Mono-matière

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Introduction

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La matière détient sa propre poétique, se révèle être une expérience du corps et de l’esprit, et exalte nos sens. Quelle soit brute ou transformée, artificielle ou naturelle, elle donne sens au projet. La matière a cette grande faculté de s’adapter à son temps, aux nouvelles technologies, et de répondre aux envies les plus surprenantes et ambitieuses des architectes. Le choix de pousser à l’extrême l’utilisation d’un matériau, c’est assumer un geste fort, s’interroger jusqu’au détail le plus infime et assumer pleinement l’identité formelle et sensorielle donnée au projet. Il n’est pas nécessaire de faire interagir et entrer en résonnance plusieurs matières pour donner sens à un édifice. La simple variation de traitement en surface d’une même matière détient les mêmes effets, mais avec une intensité beaucoup plus poussée. Comme en musique il suffit de varier l’intensité, la tonalité ou la nuance apportée à une note ou un accord, pour lui donner un tout autre sens. La matière détient cette capacité de composer par des nuances, des rythmes, et des variations. Pourquoi donc ne pas l’assumer pleinement et en faire un véritable outil du projet? La mono-matière peut-elle être pensée comme une approche de projet?

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Le choix de monochromie n’est pas signe de monotonie. Bien au contraire, c’est choisir de révéler tout les aspects de la matière. L’économie de matière ne doit pas être pensée comme une contrainte, mais comme une occasion de sublimer la matière, en portant attention à toutes les échelles, au rapport à l’environnement, au corps et à l’esprit. L’unité matérielle ne doit pas être le résultat d’une contrainte économique, elle doit au contraire se distinguer par cet aspect. La neutralité ou l’uniformité d’un «monochrome architectural», suggère, révèle et met en scène un ensemble de phénomènes matériels ou immatériels. Le traitement des surfaces est une invitation au toucher, lui confère une coloration ou un motif subtile et entretient un rapport singulier avec l’environnement et l’homme. La matière donne sens et s’adresse à nos sens. L’utilisation d’un matériau brut et familier peut avoir d’autres fins que celles qu’on lui connait. La monomatière présente la qualité de donner une présence physique immédiate et identifiable. L’utilisation unitaire de la matière permet à l’édifice construit de tendre vers une certaine abstraction. Le caractère objectal et monolithique donné, met en valeur la régularité et la simplicité des lignes. La frugalité géométrique associée au travail de la matière dégage une architecture épurée et subtile. La volumétrie autonome et unitaire en fait une forme forte, identifiable et significative.

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Martin Steinmann disait1: « Dans l’architecture contemporaine, on peut constater une tendance à concevoir les bâtiments en tant que corps géométriques simples, clairs, des corps dont la simplicité confère une grande importante à la forme, au matériau, à la couleur, et cela en dehors de toute référence à d’autres bâtiment.» Il existe une relation forte entre la forme du bâtiment et le matériau mis en avant. L’architecture et la géométrie épurée, met l’accent sur la richesse présente dans les caractéristiques et qualités du matériau utilisé. La mono-matière est l’expression formelle, visuelle et sensorielle de «l’empreinte» constructive. Les motifs, reliefs ou coloration donnés à la matière deviennent l’expression du phénomène d’impression de technique constructive. Des instants singuliers du chantier figés dans l’édifice. Comme illustré sur les façades de l’Atelier Bradill de Valerio Olgiati, le matériau et sa mise en forme lient et rapprochent l’homme, l’édifice et le travail de l’artisan. L’architecte fait la démarche de penser les états de surface souhaité en négatif pour leur construction. Cette approche inscrit un lien fort entre la réalisation finale du projet, le processus de conception et les techniques de construction. Ce dialogue est pensé en amont et devient l’élément principal du projet. La mono-matière est un outil poétique, un support d’expression, figeant des phénomènes constructifs. En instaurant un dialogue entre la phase constructive et la phase de réalisation du projet, elle traduit et illustre la «mémoire du chantier».

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Martin Steinmann, La forme forte, en deça des signes», Faces, n°19, p8, 1991 Pierre Soulages, dans un entretien avec Françoise Jaunin, 2002 Sylvain Malfroy, «Perception critique à l’oeuvre et perception critique de l’oeuvre», Matières, 1999 Jacques Lucan, Matières, «Editorial» 1999 Manfred Sack, critique d’architecture allemand L.S. Senghor, Ce que l’homme noir apporte, 1939 Alberto Abriani, Matières, «Regard et matériaux», 1999

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I. Mono- Aspect & Sens

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Pour comprendre et définir avec justesse la Mono-matière, un rapprochement entre art et architecture me semble être essentiel. Et quel artiste autre que Pierre Soulages pourrait au mieux traduire et exprimer dans toute sa richesse, sa signification et les qualités de la monochromie. Peintre du noir et de la lumière, il travaille dans toute sa profondeur, l’épaisseur de la matière peinte. Mettant en scène l’ombre ou la lumière, créant des reliefs dans le lisse absolu, faisant dialoguer les contrastes par la matité ou la brillance, il donne vie et sens à la matière. La simplicité et la subtilité du geste figé dans l’épaisseur peinte, révèlent et organisent la matière. Elle donne à lire une succession de plans au sein même de la matière et aborde la matière comme une épaisseur malléable. Le phénomène immatériel de la lumière donne sens à la toile et fait évoluer son apparence, en la présentant toujours sous un nouvel aspect. La lumière dégage un effet cinétique à la matière, l’inscrit dans le temps et l’espace. L’unité chromatique est alors un caractère formel assumé. P. soulages nous dit2: «Ce que j’appelle forme, c’est un ensemble couleur-surfacematière qui produit des tensions, des concentrations, des accents, des points forts, des stries qui dynamisent la surface, des poids ou des profondeurs qui se modulent avec la lumière (les Outrenoirs) et qui se met en relation avec l’ensemble plus vaste dont elle fait partie.» Transposé au domaine de l’architecture, l’aspect monolithique de certains ouvrages, mettant l’accent sur un matériau présentent ils les mêmes qualités? L’interaction de phénomène matériel et immatériel peut-elle être le seul vecteur pour donner sens à un édifice?

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Mono- Chrome, Unité, Simplicité, subtilité

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Mono- Lithe, Caractère objectal, forme et identité forte

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La mono-matière procure un aspect monolithique à l’édifice architectural. Toutefois, elle ne doit pas instinctivement être associée à une volonté de solidité, de massivité ou de pérennité. Le caractère monolithique donné peut simplement être le résultat d’une volonté formelle et géométrique. Par son aspect élémentaire, l’unité matérielle détient cette qualité de souligner, accentuer et mettre en valeur la régularité et les lignes géométriques de l’objet architectural. La complexité ne doit pas être un objectif récurrent pour l’architecture. L’objectif de simplicité, matérielle et/ou formelle possède selon moi beaucoup plus de potentiel pour l’identité, la sensibilité et la qualité sensorielle d’un édifice. Après tout, poser un cube dans un champs a beaucoup plus d’impact que de venir construire une tour d’une hauteur de 200m noyée en plein cœur de N.Y. La simplicité matérielle et formelle du cube surprend, interroge et invite. La géométrie d’un travail architectural de monomatière et la simplicité de forme ont l’avantage d’instaurer une présence forte dans l’environnement et de se forger une identité propre. L’architecture n’est pas un objet flottant mais ancré dans un site, une situation géographique et contextuelle. Le monolithe n’est pas signe absolu d’introversion. Son impact dans l’environnement est représentatif d’un dialogue fort et singulier. L’ancrage au sol et le dialogue avec l’homme et l’espace sont des conditions essentielles du projet. Le monolithe et le caractère objectal se construisent avec,

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Oeuvres de Pierre Soulages

Peintre de l’outre-noir


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par et pour le vide. Les installations de Richard Serra sont pour moi extrêmement représentatives de la richesse identitaire, géométrique et formelle d’un travail sur la mono-matière. Ces installations donnent l’impression que l’acier est aussi malléable que le feutre. En changeant de façon inattendue au fur et à mesure que le spectateur se déplace à l’intérieur ou à l’extérieur de l’œuvre, ces sculptures créent des expériences surprenantes de l’espace et de l’équilibre en provoquant une sensation vertigineuse d’acier solide et d’espace en mouvement. Le caractère objectal et monolithique de la mono-matière donne l’impression d’être une traduction formelle et matérielle, à grande échelle de la maquette architecturale. Elle fait figure d’une volonté constructive, géométrique et formelle assumée.

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Mono- Matière Le sens éveille les sens, matière poétique

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II. Etats de surface & Atmosphères

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Exalter les sensations par la présence d’une matière? La relation entre l’homme et l’architecture, n’est pas résolu uniquement dans un rapport d’expérience spatiale. Les états de surface de la matière répondent à une quête d’originalité, de nouveauté, de poétique, de surprise, mais aussi d’expérience sensible. La matière vie et donne vie. Dans un essai sur la perception critique, Sylvain Malfroy affirme3: « A l’opposé d’une tendance de transparence, on trouve une volonté d’exalter la présence brute, pleine et silencieuse du matériau.» Les architectes s’interrogent sur les propriétés de la matière mise en oeuvre. La matière n’est pas une substance inerte, fixe, ou intemporelle. Dans sa dimension sensible et contrairement à d’autres formes d’art, elle propose un dualisme entre le regard et le toucher. Elle interroge nos sens, et interroge sur son sens. Il existe une sorte d’intimité avec la matière que l’on ne peut avoir dans les autres arts. Le caractère inviolable voir sacré des peintures et des œuvres d’arts, empêche d’entretenir un rapport tactile, une connexion directe, un contact immédiat entre le corps et la matière. Or, ce contact entre le corps et l’objet architectural répond à notre besoin d’être renseigné sur des aspects du réel. Le toucher apporte une réponse aux illusions et permet d’appréhender tout ce qui existe. Pour citer Luc Baboulet, c’est une expérience cognitive, un système de renvoi, un intermédiaire qui fait appel à notre intellect et à notre mémoire pour nous renseigner sur la réalité. Dès lors que l’on choisit de réaliser un édifice architectural mono-matière, les états de surface de l’objet sont lourd de signification. La simple nuance du traitement de la matière se présente comme une intension forte et décidée. Ceci n’exclut pas sa mise en œuvre, elle la requiert. Que se soit une réponse formelle, structurelle ou compositionnelle, chaque variation de texture est une nouvelle expérience et pousse à l’interrogation. Notre besoin de réponse nous pousse à entrer en contact avec la matière, à analyser ses reliefs, ses imperfections, ses tonalités et autres, pour la comprendre. Le toucher est une condition et une expérience nécessaire à la compréhension du projet. Condition que seule la matière peut remplir. Par sa simple présence, la matière restitue la relation fusionnelle entre l’esprit et le corps, les interrogations et les réponses sensorielles. La mono-matière est un outil de lecture poétique, un outil de révélation d’intention, un outil de connexion entre l’homme et l’architecture. C’est une invitation au toucher.

L’unité, potentiel infini Liberté de forme et mise en oeuvre de la matière

Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer et de réaliser un objet architectural dans une logique 100% monomatérielle. La nécessité d’isolation, de fermeture via le vitrage, de détail des assemblages etc., rompt avec l’idée d’unité matérielle constructive totale. La présence mono-matérielle se manifesterait donc le plus généralement par les états de surface de la matière en façade et dans l’aspect unitaire défini. La question de sa mise en œuvre est des techniques constructives sont donc primordiales et doivent être pensés comme condition principale du projet. Grâce aux nouvelles technologies et techniques de construction, les architectes sont capables de maitriser la matière et de leur donner forme et signification dans une gamme d’expression presque infinie. L’architecture Suisse illustre avec justesse et efficacité la souplesse et la malléabilité du béton, traduisant un caractère épuré et une subtilité à l’édifice. Sous son aspect formel de masse noire imposante et

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Richard Serra, sculpteur

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Fernando Pessoa et Ended space

Série de maquette mono-matière

1. Christian Kerez, 2. Rudi Riccioti - le Pavillon noir, 3. Pezo Von Ellrichshausen - Maison Poli

« II y a donc une différence entre jeter un coup d’oeil, avoir une impression fugace, momentanée dans l’expérience d’un mouvement, et fixer longuement le regard sur un objet architectural, dans une présence sédentaire, recherchant I’accoutumance, presque une impression tactile : dans ce cas, le face à face avec la matière devient une expérience sensible que certaines architectures des temps présents nous invitent à éprouver » Jacques Lucan4 « Face à une matière, les sens réagissent au matériau, à son toucher, à son aspect, à son odeur, au fait qu’il scintille ou brille, qu’il soit terne, dur , mou, élastique, froid ou chaud, lisse ou rugueux, à ses couleurs et aux structures révélées par sa surface ». Manfred Sack5

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Kunstmuseum, Liechtenstein, Christian Kerez

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Effet de symétrie par le reflet du matériau

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imposée, Christian Kerez parvient paradoxalement à dissimuler son édifice dans une parfaite illusion d’optique. Grâce à l’incrustation de particule de quartz et de l’application d’une lasure aux effets réfléchissants, la lumière du soleil dissimule entièrement ce monolithe par la réflexion symétrique des édifices environnants. Toutefois cette tendance ne se limite ni à la Suisse, ni au béton. Les architectes ont cette facilité à détourner la définition première et les caractères primaires des matériaux. La matière se modèle dans une ambitieuse quête d’originalité et est un art de la transformation sans cesse en évolution. C’est un magnifique outil de projet et une véritable source d’imagination. La transparence du verre pouvant être détournée au profit d’une totale opacité, est le défi que le groupe Neutelings Riedijk a relevé pour le NIBG d’Hilversum. La volonté première des architectes était de composer un «écran d’images» urbain. Pour cela, ils vont détourner le principe de réalisation d’un verre décoratif thermoformé et teinté à grande échelle. Le caractère de transparence du verre (relation visuelle) est ici complètement abandonné au profit d’une mise en scène colorée et imagée de la façade. Cette opacité du verre et l’homogénéité de la forme, accentue l’introversion de l’édifice et le présente à la ville comme un support d’expression, reflet de la culture médiatique. Cette démarche incite les architectes à penser la lumière comme «matière» principale du projet. La mono-matière présente l’édifice architectural comme un support d’expression et fait de lui un objet manifeste. Ces façades présentent ou représentent une volonté architecturale forte à l’espace urbain.

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La magie du contraste. Révéler, varier, hiérarchiser

NIBG, Neutelings Riedijk Hilversum

Détail du panneau de verre thermoformé

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L’unité matérielle induit une homogénéité, une uniformité et/ ou parfois une neutralité de ces surfaces. Dans le cas de la mono-matière, le contraste est un outil fort de démarcation et d’identification des différentes modénatures.Le contraste révèle les intentions du projet en apportant, par petites touches ou par ordre compositionnel plus général, des nuances et variations aux textures et états de surface. Dans une simplicité absolue, la Yellow House de Valerio Olgiati l’illustre avec justesse. Le changement de modénature et de traitement de la pierre en façade présente un contraste purement matériel. La différenciation entre lisse et rugueux suffit à exprimer la régularité du module et l’intension principale du projet. L’aspect lisse encadrant le module de fenêtre accentue ses lignes géométriques, la frugalité du volume et démontre la volonté d’avoir simplement «creusé» une épaisseur massive. Par simple jeu d’accords de textures, de lignes et de couleurs, la matière procure de façon subtile un rythme à l’objet architectural. En manipulant le traitement d’une même matière, les variations données présentent une certaine forme de lyrisme et de poétique à l’édifice. Comme disait L.S Senghor6: « Le rythme c’est le choc vibratoire, la force qui à travers les sens, nous saisit à la racine de l’être. Il s’exprime par les moyens les plus matériels, les plus sensuels: lignes, surfaces, couleurs, volumes en architecture, sculpture et peinture, accents en poésie et musique; mouvements dans la danse.» La maison Fosc réalisée par les architectes chiliens Pezo von ellrichshausen, offre un pouvoir mystérieux aux doux contrastes de teintes. A l’image d’une architecture colorée et assumée de Luis Barragan, cet édifice «moderne rustique» se love d’une couleur verte aux tonalités changeantes. Obtenues par l’application d’oxyde de cuivre sur la double peau en béton (séparée par une couche 8

Yellow House, Flims, Valério Olgiati

Etats de surfaces de la pierre

Maison Fosc, Pezo von ellrichshausen

Jeux d’ombres et de lumière dans le relief, et variations de teintes.


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d’isolant), les variations animent la façade, révèle les imperfections et irrégularités de la matière. Les veines du bois, les rugosités et l’irrégularité artisanale de certaines découpes du coffrage illustrent la première pureté du geste.

Matière à détail, une question d’échelles Ornement versus Structure

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La mono-matière fait nécessairement intervenir une question d’échelle, de confrontation entre ordre constructif et ordre ornemental. Quelle soit structurelle ou de remplissage, la mono-matière doit être travaillée minutieusement et faire l’objet de réflexions poussées sur les détails d’assemblage et de mise en forme. Un architecte en particulier aborde la question d’échelle par une approche quasi totale de la monomatière. Kengo kuma inscrit la mono-matière aussi bien dans les problématiques structurelles, qu’ornementales et l’adressant aussi bien pour un projet d’infrastructure, qu’un détail d’assemblage. Bien avant la forme de l’édifice, il semble choisir le matériau et définir un principe technique pour son utilisation. Une fois que cet élément a été identifié, tout le reste semble se résoudre tout seul: la forme, la technique de construction, la lumière, l’atmosphère, la sensation de bruit, la sensation de permanence. Il n’aime pas combiner des matériaux différents, parce que ses ouvrages sont des expérimentations sur le thème d’une présence mono-matière poussée à l’extrême. Il est attentif aux détails, au sens de la transparence et de l’espace, à la capacité de combiner nature et artifice. Dans son projet du Yusuhara Bridge Museum, la question de l’unité matérielle par le bois est littéralement poussée à l’extrême. Le matériau naturel fait partie à 90% de la réalisation, réduisant l’acier aux éléments d’assemblage et de fixation pour consolider l’ensemble. Le matériau naturel constitue à la fois la structure primaire, secondaire et le revêtement. Par son aspect totalement unitaire, l’édifice prend des allures de mikado géant et impressionne par son échelle et la minutie des détails. A l’échelle de l’ornement, la malléabilité de certaines matières comme le béton offre de grandes potentialités. Le désir de réaliser un motif traduit parfois un véritable travail relevant de la dentelle. Le travail de l’agence Caruso St John pour la Nottingham Contemporary gallery est réellement représentatif de l’infinie capacité de modelage et de transformation du béton. La façade articule des panneaux verticaux concaves en béton vert-amande, reposant sur un soubassement en béton noir poli. Un délicat motif de dentelle est imprimé dans la masse du béton. Dans un jeu de creux et de relief extrêmement minutieux, relevant presque de la pixellisation, la finesse des détails est une réelle invitation au toucher.

Yusuhara Wooden bridge museum, Kengo Kuma

Nottingham Contemporary gallery, Caruso St Jones

Le bois à l’échelle de l’infrastructure et du détail d’assemblage

Dentelle de béton teintée, panneau de remplissage

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Empreinte en négatif du motif gravé dans le coffrage en bois

Chapelle St Nicolas de Flue, Peter Zumthor

Empreinte du feu dans la matière

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La mémoire des matériaux. Empreinte constructive La tendance à détourner de leur usage habituel des matériaux traditionnels et de les retravailler dans une approche plus sensible est une réelle source d’inspiration et d’innovation. L’obsession de la texture, des motifs et des mutations de la mono-matière, grace aux techniques de mise en oeuvre devient réellement fascinante à analyser. Comprendre sa mise en oeuvre par l’impression de phénomènes matériels et immatériels. Les empreintes, les marques, les traces, les cicatrices, les séquelles, sont autant de mots capables d’exprimer la mémoire d’un travail laissé sur la matière. Mais quelle est la nature de ce travail et quels genres de séquelles laisse-t-il ? L’artisanat ou l’industrie, la main ou la machine, est un dualisme qui bouleverse la conception architecturale et constructive. L’artisanat et l’industrie ont et doivent avoir une influence sur la démarche du projet. Les interactions matérielles peuvent-elles constituer une condition du projet? Quelles sont leur signification et quels échanges entretiennentelle avec l’environnement ? Y a-t-il un regard qui découlerait des matériaux ? Pour Alberto Abriani7: « Chaque matériau recèle un message, et aux caractéristiques de chaque matériau correspondent un type de construction déterminé et des techniques de construction spécifiques.» Car la mémoire n’est pas qu’en nous, elle est aussi dans les objets, et précisément dans ce qu’on appelle la «substance» des objets, ce qui les fait sistere, exister, et permet par conséquent de reconnaître leur appartenance.» La matière est un support d’expression et véhicule des projections formelles fortes et singulières. Les phénomènes figées de la matière permettent de créer des illustions, d’inscrire la matière à la frontière du réel et de l’iréel. Les nouvelles techniques de construction offrent la possibilité d’un mimétisme de la matière. Par impression et interaction matérielle, l’architecture est synonyme d’illusion. Grâce aux empreintes matérielles, la matière est un vecteur et un intermédiaire entre l’objet final et l’intention du projet. Comme imprimé sur les façades de l’atelier Bradill de Valerio Olgiati; le matériau et sa mise en forme lient et rapprochent l’homme, l’édifice et le travail de l’artisan. L’architecte fait la démarche de penser les états de surfaces souhaités en négatif pour leur construction. Cette approche inscrit un lien fort entre la réalisation finale du projet, le processus de conception et les techniques de construction. Ce dialoque est pensé en amont et devient la condition même du projet.

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III. Empreinte et mémoire du chantier

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Les matériaux de la mémoire. Empreinte du chantier

Certains matériaux sont plus enclins à exprimer et traduire la mémoire du chantier, que d’autres. Leur qualités intrinsèques les définissant préférables pour un mode de construction particulier. Autrement dit, il existe une mémoire des matériaux mais aussi des matériaux de la mémoire. Rudi Ricciotti dit à ce propos: « Le béton est inscrit dans une chaîne de production courte, donc d’économie de transports. On n’a pas besoin d’aller polluer les mines africaines. Le béton est home-made, il a besoin de gens, de mains, de charpentiers, de boisiers, dans un compagnonnage et une logique transversale.» L’initiative artisanale peut-elle être imaginée comme démarche de 10

Mur urbain à Vaduz

Interaction matérielle, mimétisme figé


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projet? L’échelle de l’édifice et la matière constructive peuvent-elles constituer un outil de retranscription du chantier? Le lien entre architecture et artisanat perdu au profil de l’industrie peut-il être retrouvé? Le projet de la chapelle de Zumthor à Cologne, est une architecture atypique et traduit l’essence même de la présence d’une «mémoire du chantier» dans la matière. Il propose un monument à construire soimême, avec des matériaux locaux. 112 d’arbres de 12 m de haut sont ainsi assemblés pour former un tipi géant. Un coffrage est placé et le béton est coulé en 24 couches de 50 cm. Peter Zumthor fait recouvrir le sol de plomb pris aux mines voisines et entoure le tout de 500m3 de béton. Une fois la construction achevée, l’ossature intérieure en bois est brulée et les cendres évacuées. Le résultat totalement artisanal est fascinant par les «sequelles» inscrites sur le béton. Sur le sol, le plomb fondu a dessiné des courbes aléatoires. Et dans les trous des étançons qui ont servi à maintenir le béton, Zumthor fait placer 350 yeux de verre qui amènent un peu de la lumière extérieure et font office de vitraux. L’ensemble des phénomènes matériels ont été imprimés dans la matière. L’atmosphère engendrée par le traitement des surfaces sur la mono-matière est une réelle expérience sensorielle. La lumière délicatement canalisée, révèle les ondulations du plomb au sol et les grains noircies du béton. Par ce projet, Peter Zumthor aborde la mise en oeuvre du chantier et les techniques de coffrage comme élément principal du projet. L’art de transformer la matière devient un atout et une véritable source d’invention.

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Conclusion

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Pour séduire, l’architecture contemporaine a besoin, d’interroger, de surprendre, d’émouvoir et de provoquer de nouvelles expériences. La matière s’accomplit d’elle-même d’une infinité de possibilités, touchant nos émotions, nos sensations, dans une absolue simplicité. La quête actuelle de prouesses techniques, par la recherche de transparence absolue ou d’utilisation de nouvelles matières innovantes et toujours plus surprenantes domine le monde de l’architecture. Certains architectes tentent aujourd’hui, de revenir à la source d’une «expérience pure» de la matière et de construire une architecture autour de concepts simples mais affirmés dans leur totalité. Leur réflexion offre des questions plus profondes sur la matérialité, désirant retrouver une architecture plus sensuelle et sensorielle. Les architectes suisses tels que Peter Zumthor ou Valerio Oligati ont toujours abordé cette question avec justesse, subtilité, et force. Détourner de son usage habituel et pensé dans une approche plus sensible, ils ont une facilité à requalifier un matériau traditionnel et brut en une matière atypique. Constituer une expérience sensorielle et émotionnelle singulière par la simple transformation de la matière est une idée assez magique pour les concepteurs, architectes comme ingénieurs. La matière donne sens et éveille les sens. La volonté de bâtir une architecture fondée sur la simplicité et l’unité matérielle s’étend bien au delà des frontières européennes. Les architectes chiliens Pezo von ellrichshausen ont très bien compris les qualités d’une architecture mono-matière. L’architecture s’ouvre à de magnifiques expérimentations sur le thème d’une présence mono-matière poussée à l’extrême, comme l’exprime si bien Kengo Kuma. Pensée comme démarche et condition du projet, elle permet de tendre vers une certaine abstraction et d’identifier avec simplicité et justesse les intensions fortes du projet. Ces états de surface procurent un caractère objectal et une identité forte à l’objet architectural. Imprimant des phénomènes matériels et immatériels dans son épaisseur, la monomatière est un jeu d’accord, de variations, et d’harmonie. Les jeux d’échelles dont elle fait l’objet, dans une proximité ou une distance, relient le corps et la matière dans une certaine intimité. La mono-matière est un outil poétique, un éveil de curiosité et une invitation au toucher. La matière est une épaisseur. Dans une succession de plan, elle présente et donne à lire infinité de détails qui révèle et exalte nos sens. En peinture ou en architecture, c’est un support d’expression, un dialogue entre éléments matériels et immatériels figés et situés dans le temps et l’espace. Une parole de Goethe m’a toujours frappé par sa beauté et sa justesse. Pour lui, l’architecture est une «musique pétrifiée». Or, la matière en serait le principal support et intermédiaire. Elle est un réceptacle d’ambiances sensorielles. Corporel et matériel, la mono-matière est un langage architectural mais aussi musical. La matière rassemble, amplifie, accentue et fait vibrer des reliefs, des couleurs, des sons d’une manière particulière. Peter Zumthor dit à ce sujet: « Ces accords, leur vibration, leur présence, ne peuvent pas entièrement être pensés a priori : ils doivent se ressentir in situ. D’où l’importance du chantier comme lieu même du tâtonnement et du choix dans l’harmonie». En pensant l’initiative artisanale ou industrielle comme démarche du projet, la mono-matière n’exclut pas la réflexion du chantier et sa mise en œuvre mais la requiert. Associant les questions structurelles et ornementales, le processus de conception et de fabrication, la mono-matière est une empreinte constructive. Chaque matériau recèle un message. La matière fige dans son épaisseur une mémoire du chantier. L’architecture présente et représente la mémoire des matériaux, et des matériaux de la mémoire.

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