Marie-Pascale Jégou
Les dits de l’ensoleillée vive
Amis de Hors Jeu Éditions Éditions L’Écritoire 1999
Marie-Pascale Jégou
Les dits de l’ensoleillée vive
Amis de Hors Jeu Éditions Éditions L’Écritoire 1999
Les dits de l’ensoleillée vive
Tous droits réservés : par Marie-Pascale Jégou pour les textes, par Gilles Baudry pour la postface, et par les éditeurs pour la présente édition.
© Marie-Pascale Jégou, 1999
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Marie-Pascale Jégou
Table En prémices de joie je voudrais t’apporter...............................7 N’éveillez pas mon amour avant l’heure...................................8 Cœur qui ne se peut contenir......................................................9 Ô douceur me vient de la lumière............................................10 Je ne veux plus aller ailleurs.......................................................13 Soleil ! Soleil de ma vie !.............................................................14 Mon tapis de noces roulé derrière l’armoire...........................16 Ces simples choses......................................................................18 Herbe aux corneilles stellaires silènes penchées.....................19 Je te bénis pour nos enfances rieuses.......................................21 Tu savais tout...............................................................................23 Père a posé son chevreau sur la paille......................................25 Je me recueille dans le silence de ma racine............................27 Anges de Dieu..............................................................................28 Tu as mis la triple barrière..........................................................29 Toi que si loin j’entrevois...........................................................31
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Les dits de l’ensoleillée vive
J’étais ce grand roi désabusé......................................................33 Le temps de l’embâcle est venu................................................34 Paix à vous cris des ventres ouverts.........................................35 Ô vivants qui versez votre sang................................................37 Le bois sec je l’aime.....................................................................39 Une petite fille revenue de la mort...........................................41 Voir par les yeux des bêtes et des anges..................................43 Mains de mon Père......................................................................45 Zébrure d’or dans le néant.........................................................47 Où êtes-vous mes trois Soleils..................................................50 Le chant s’est ouvert...................................................................51 Feu d’amour..................................................................................52 Quelqu’un danse..........................................................................54 Humble est le poète....................................................................55 Oh ! la magie des arbres qui vont.............................................56 Écrirai-je pour mon pays le lamento........................................58 Nous parlerons de nos enfances...............................................65 Où trouverai-je la joie pour cimenter mon corps..................67 Il ne sera pas dit qu’à terre je resterai collée...........................69 La fiancée chante la vie...............................................................70 Nos jeux d’enfants épiaient aux formes des nuages..............72 Ô Cœur comment parler de toi.................................................73 À force d’avoir suivi les pas des chevaux................................75 Je veux pour te chanter des mots d’arêtes vives....................77
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Marie-Pascale Jégou
Mère des hommes.......................................................................80 Elle vient la fiancée de lin..........................................................82 Tu priais.........................................................................................84 Le Souffle frais qui tourne et se balance et vire.....................85 Des cœurs donnés prière sort....................................................87 Un soleil mort au fond du cœur j’attendais............................88 Ô toi pleurant dans ma chair.....................................................90 Ne pleure pas les jours n’ont pas changé................................92 Combien de lunaisons faudra-t-il..............................................94 Les murs de nos vies étaient-ils mitoyens...............................96 Postface........................................................................99 Du même auteur.........................................................101
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Les dits de l’ensoleillée vive
* En prémices de joie je voudrais t’apporter des brassées de froment et des jonchées d’oiseaux dans l’herbe des collines des rires dans les arbres et des couloirs d’eau de mon enfance des prairies de soleil des profondeurs de calme et des parfums Ô des parfums À l’aube des rencontres je veux quérir pour toi les brumes tièdes et le rythme du vent des cieux lavés emplis d’envols de grives de rutilants fossés des myrtilles des prêles de la houlque laineuse des écorces fleuries et des chants Ô des chants Un vent gonfle les jours
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* N’éveillez pas mon amour avant l’heure je saurai bien attendre un peu à pas de loup je vaquerai en la demeure mettrai la table ferai le feu et broderai la nappe à jour Il a fauché le blé les barbes des épis à ses cheveux sont emmêlées n’éveillez pas mon roi sur son lit de froment je saurai bien attendre encore un peu de temps J’ai à faire de la cave au grenier brebis malade à bercer barrière du pré qui ne ferme Ah ! ne vous hâtez point empressées mes mains cueillant les roses au mur et rajustez la longe des bœufs roux brûlantes qu’avez-vous ? paix je vous prie qui versez le lait dans la bergerie
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Cœur qui ne se peut contenir pauvre cheval emballé vaisseau sur la mer en délire milliard de roses empourprées que n’allez-vous boire à la source glacée J’y vais ! j’y cours ! mais s’il allait se réveiller pour peu que je m’encoure au pré trouver la table mise déserte la demeure je viens j’arrive je suis là Ô mes jambes de laine ne me trahissez pas Je sais que mon soleil sur sa couche de blé entrouvre ses yeux purs
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* Ô douceur me vient de la lumière je voudrais la crier dans les rues Mais passants je suis folle allez votre chemin ne suis qu’une femme en liesse Les choses sont trop belles trop plein de nos enfances le chant fou des grillons trop lourd le poids de gloire qui pèse dans mon corps Ne me regardez plus Ne suis qu’une femme dont le sein trop menu renferme un océan S’il tangue mon esprit vous qui ne le supportez entourez d’un treillis la trop soûle espérance qui me force à danser
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Les dits de l’ensoleillée vive
Trouvez-moi la colline où je puisse crier le nom que prend l’amour quand il touche l’aimée Des forêts s’ajoutent aux forêts l’incendie va tout prendre passants qui le savez creusez pour mon salut des feux de reculée
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* Mariée d’amour à dix-sept ans, mariée si jeune, on escalade toutes les collines quand se profile le Corps de Dieu. Quelqu’un appelle, sans mot, le martyre à petit feu, la configuration. On n’a pas peur. Les marches dures ont leurs heures de paix. Le moindre bleuet crie. Un arbre, une herbe roussie, n’importe quoi vous brûle. Le feu dans votre cœur de mariée. Le Visage ne vous attend pas aux prochaines étapes. Il est en vous ! Sinon, d’où la brûlure et comment l’expliquer ? En vous. Une masse de feu. La balance des jours pèse si lourd d’un coup, sac de froment contre vos flancs. Qui peut savoir pourquoi vous hurleriez d’amour au moindre oiseau qui passe au carré des fenêtres ? Viennent l’amour du Roi, la touche ardente de ses doigts sur la lyre.
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* Je ne veux plus aller ailleurs. Je vous en prie, n’essayez plus pour calmer ma douleur, les multiples remèdes des hommes. Laissez-moi revoir mon Roi. J’ai écrit ces mots et l’oiseau rouge bouge en moi, s’enfuit par la lucarne de l’aurore. À le regarder voler si haut dans un brasillement de jade et d’émeraude, mon cœur se serre. Ne savez-vous pas que les enfants marchent dans le jour sans regarder en arrière ? Un cheval a sauté les barrières au milieu pur de leur âme bleue. Je veux avoir un cœur d’enfant. Marcher tout droit vers la colline, faire le tour du jardin. Laissez-moi sortir. Que je revoie l’irrépressible douceur, le feu long, le feu brûlant, le feu adorable plein de désir de mon Amant du ciel !
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* Soleil ! Soleil de ma vie ! Un instant dans mes doigts s’arrête le fil d’or. Le tremble du jardin a frôlé ma fenêtre. La terre ramoitie s’abreuve de silence. Mais c’est l’ombre de toi… Je ferme les yeux. Un grillon me fait signe. Un feu de salve danse quelque part dans une allée perdue. L’orgie des cloches déferle. Mais c’est l’ombre de toi… Je vais par les treillis en quête d’innocence, te croyant disparu à jamais de chez moi. De ramée en écorce, d’écorce en bouton d’or, l’engoulevent des livres, jamais encore connu — feuille morte, feuille vive — aujourd’hui je l’ai vu. Mais c’est l’ombre de toi… Traversée d’espérance je caresse les arbres, l’osier rouge, les saules et le noyer cendré. Je cours dans la combe, les grèbes battent l’eau — du foin vasé partout — je veux 14
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rencontrer mon roitelet d’épines, qui dans mes noirs déserts chaque fois me revient. Mais c’est l’ombre de toi… À peine au soir levée la lune rousse, immense, s’est toute déformée. L’ocre de sa splendeur a plu sur notre avril, brésillant la ténèbre et mes frères ont souri. Ô ténèbres de feu ! Mais c’est l’ombre de toi… Ô rentre donc mon âme. Prends un livre, bavarde, endorstoi un instant ! Mais en vain sous les yeux courent et courent les mots, en vain le livre ouvert. Un torrent d’eau fluviale a glissé jusqu’au fond et m’étreint le désir. En Toi je suis tombée comme une pierre sourde. Mais c’est l’ombre de toi… J’ai parlé tout hier et parlaient les visages, du soleil sur les mains. Rengendré, brusquement, ton sourire-étincelle m’a transpercé le sein et se figent les lèvres. Mais dors un seul instant ! Je vais dormir. Les mailles du sommeil ellesmêmes s’effilochent. Quelque chose déjà au-dedans à bougé. Tu m’appelles de nuit. Tes yeux je les désire. Mais c’est l’ombre de toi…
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* Mon tapis de noces roulé derrière l’armoire étendez-le dans le couloir l’Amour arrive ! Ma jupe de soie blanche, le corsage fleuri mettez-les sur le lit que je sois belle ! et cueillez pour mes cheveux de jais l’iris et le lilas ! Mon roi de pourpre se cachait quand la douleur était muette mais puisqu’il dit venir et m’envoie pour hérauts alentour des collines ceinturées d’or les nuages apaisez mon cœur qu’il ne meure ! L’automne dernier déjà s’est embrasé l’orfèvre a brûlé sa boutique d’herbes
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et semé en pépites les feuilles Oh ! l’hiver est là le temps me dure Serais-je encore à mi-chemin de son Visage pur ?
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* Ces simples choses nous les aurons aimées un rien de vent dans l’âme quelque bois mort et ces matins ces matins de brume ô mon amour des moissons dans les bras des parfums de bruyère au cœur et la touffeur d’été qui vous prend à la gorge Ces simples choses nous les aurons aimées dans notre cœur immense que ronge la musique où se forent un passage les anciennes tendresses
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* Herbe aux corneilles stellaires silènes penchées fleurs de coucou airelles myrtilles bruyère cendrée je vous retrouve ! Arabeltes hérissées orpin âcre-misère pâquerettes vivaces mes amours ! Attendez que je vienne piloselles épervières centaurées tête-de-moineau véroniques mes sœurs Mes sœurs je vous révère sorties des Mains du Roi de gloire Lui mon armure qui muselle les bêtes de la nuit et largue les coursiers de la tristesse J’irai J’irai où veut mon Roi que j’aille dût-il me voir percluse marcher sur mes genoux usés Mes sœurs chèvrefeuille roses pures
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calices emplis de rires dans mes mains vous êtes une lettre d’amour émerveillée
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* Voici que je dispose ma lyre Comme une échelle à poules contre le ciel. René-Guy Cadou
Je te bénis pour nos enfances rieuses imbibées d’herbes et de vent pour avoir sur nos bras posé des javelles d’orge et de foin glissé dans la nuit tant d’étoiles à l’épure des cieux quand à l’écurie nos chevaux tracassaient leurs chaînes en dormant Je te bénis Douceur secrète pour nos gelinottes traquées jamais saisies toujours rêvées aux rives glissantes des prés
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Je te bénis Présence ardente pour ces premiers pas dans la vie sautant à pieds joints les ruisseaux et les couleuvres endormies parmi les joncs
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* À mon grand-père Ma Zad Koz
Tu savais tout la renoncule-flamme l’âcre et la scélérate et celle aussi des bois Tu savais l’églantier les colchiques et les sorbes Tu courais des grillons des mantes dans les mains quelquefois des orvets dans la petite poche sous le cœur Tu rencontrais des lièvres dans les ajoncs bâtards nous revenais mouillé racontant des tourbières et des veaux
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engloutis La renarde avait mis bas le soir il n’en fallait rien dire au fusil de ton père À l’aube tu fuyais pour dépister les sources les ondes te montaient jusqu’aux yeux plus tard tu sauras la magie des mots tu écriras des livres La terre terre-mère communiait à l’enfant
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* Père a posé son chevreau sur la paille sorti de sa violente amour et le regarde infiniment son grand regard qui tout comprend et longuement pourtant s’étonne de si vulnérable splendeur Venu de Lui qui palpite ce ventre doux qui renfle et bat ce flanc D’où vient que vous êtes mon amour là que j’avais dans mon ventre caché dans le haut ciel et qui flambiez sous l’averse innombrable
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D’où vos yeux fermés qui êtes ma lumière et cette bouche close ô mon Verbe violent qui sur ma bouche étiez Mon Fils est-il permis qu’un Dieu verse des larmes à contempler vos mains qui dormez sur la paille de moi non détaché fruit battant dans mon arbre comme brûle un saphir Noël
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Je me recueille dans le silence de ma racine un chant monte de l’Arbre intérieur Baigné de lune et d’aromates le cantique d’un oiseau libéré la houle des feuillages qui respirent La brûlure atteint l’aubier la Vie coule vermeille
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Marie-Pascale Jégou
* Anges de Dieu regardez-la celle-là celle-là la petite qui allait par tous les temps, aimée des guêpes et des cloportes cétoines et fourmis à grosse tête noire Le cœur en prière pour tous et qui pleurait de joie la nuit des heures à cause du Visage quand glisse le ciel mauve sur la forêt Celle-là la meurtrie qui buvait à sa Coupe à Gethsémani mais connaît son Retour dans sa blanche tunique Silence nul n’entend ses Pieds quand dorment les œillets en jauge et les reines des prés Que croyez-vous qu’il lui fera à la petite malgré tous ses péchés ?
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* Tu as mis la triple barrière remblayé le talus barricadé la brèche Au diable vauvert ne m’en serais-je allée Tu m’as serrée dedans l’épine planté l’écharde au plus profond violenté l’âme gyrovague Ne dis pas non C’était Ta main Blessé mon cœur allait à la dérive tu m’as donné la fièvre quarte Ne dis pas non C’était Ta main Oh d’huile vierge parfumée elle a si doucement pansé
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l’amère blessure du plus haut mal j’ai réchappé Ne dis pas non C’était Ta main Bénie la main, jalouse main qui radoube en secret les vaisseaux en péril Bénie la main quand racornis ragués blessés au large noir ils vont mourir
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Toi que si loin j’entrevois en solitude ombrée du taillis fou de mon pays Toi que si loin j’entrevois en solitude Toi que si tôt je vois partir avant que d’avoir enlevé l’obier la rose et le lilas noué la gerbe sur tes bras toi que si tôt je vois partir en solitude Toi que je n’aurai plus jamais pour traverser l’ombre apeurée dans le pré toi que jamais je n’aurai plus qu’en solitude
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Marie-Pascale Jégou
Ne me demandez pas pourquoi les jours sont gris dans mon pays la source enclose dans le noir et la musique au bord du puits en solitude Ne me demandez pas pourquoi le jour où fleurit l’osier rouge l’eau jaillira jusqu’au soleil à l’heure pourpre du retour pour avoir si longtemps crié en solitude
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Les dits de l’ensoleillée vive
* J’étais ce grand roi désabusé qui ne voyait même plus le soleil s’enchevêtrer autour des branches Lumière toujours morne inchangée je regardais par la fenêtre de quoi avais-je faim dans ma loque de vie le luthier du village était mort l’étoile filante aussi Un jour tu vins par miracle sur le tard j’allais barricader la porte moucher la flamme Alors tu écrivis mon nom sur le mur Subitement un olivier naquit où s’aimaient des oiseaux
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Marie-Pascale Jégou
* Le temps de l’embâcle est venu Nos villes repaires de crimes aux ventres-cimetières des millions dépecés La fumée monte comme une oronge immense Racine qui explose la terre a peur La malebête s’enfle et la mer est pourrie Pourtant la lumière enveloppe la terre mais qui le sait ? Ses larmes creusent des cratères au cœur des hommes La Beauté frappe aux fenêtres voudrait s’inviter à la table Les yeux ont des volets de bois
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Paix à vous cris des ventres ouverts paix cris des cœurs qu’on arrache crucifiés aux pylônes nuques éclatées à coups de pioche Paix sur toi monde noir paix sur toi la catholica paix par l’anneau du retour la somptueuse venue du Bien-aimé paix par ses mains percées la mort de l’Innocent Quand il viendra lui qui s’est dressé du tombeau lui la Paix la chrysostome la perpétuelle la pourvoyeuse d’espoir Quand il viendra lui le Béni sur les nuées du ciel
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Marie-Pascale JĂŠgou
observant l’immense carnage trouvera-t-il encore la foi sur la terre la terre grosse de souffrance enceinte de fiel
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Ô vivants qui versez votre sang lavant la soue du monde sous vos traits de misère anges incandescents Vivants sur la terre épandus torches dans la forêt de nos divisions Vous myriades inconnues qui dans la mort sans parole entrez vous sans pain ni sel corps pleine eucharistie Vous innombrables qui sautez à pieds joints dans la fournaise d’amour et froments sous la flamme que Dieu désenfourne avec larmes et ravissement
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Marie-Pascale Jégou
Feux qui brillez dans nos steppes fils de Dieu humiliés pauvres de la terre dans la gloire cachée Sur tous les goulags du monde se lève le Soleil
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Le bois sec je l’aime il crie ce que nous sommes sans pudeur il est mon hivernale mort il crie la malemort Endolori il a su résister lutter contre l’orage il finira de geindre à l’image de toi creusée de solitude passante qui t’effraies de l’agonie d’un arbre L’oie sauvage viendra qui ouvrira le ciel une ondée d’alouettes fondra dans la saulée et demain
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Marie-Pascale Jégou
peut-être demain rallumée la sève remuera Du deuil de son écorce déjà monte le chant d’une immortelle
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Je m’obstine à croire à des germinations de ciel à des pousses de lendemain. Gilles Baudry
Une petite fille revenue de la mort s’immerge dans les colzas sa robe à volants gonfle elle va portant l’odeur des granges poussières des foins l’odeur rebelle des laines de brebis L’eau des sources a goût d’ambroisie la joie longtemps hivernée met le feu à la terre l’absinthe s’évade des racines À l’Orient se gerbent des moissons en haute mer on ferle une voile
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Marie-Pascale JĂŠgou
plus ne seront jamais ferrĂŠs chevaux de guerre le soleil monte dans les veines du temps
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Voir par les yeux des bêtes et des anges fleurir les lilas Voir par les yeux des arbres l’éclosion du ciel après l’orage Devenir la source Laver avec les mains des rivières les péchés accumulés sans rire sans hymne sans rien Écouter écouter tout l’immense silence la musique étoile l’âme Se ressouvenir voilà la clef Se ressouvenir du Visage couché derrière les blés du cœur qui attend la semaine de la moisson
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Marie-Pascale Jégou
Guetter Le toucher à l’épaule Rire serrés l’un dans l’autre Courir ensemble les cheveux comme des écharpes courir courir
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Mains de mon Père reposez sur ma vie comme jacinthes dans un bol bruissantes colombes dans mon cou à l’orée du jour me remettez debout et me couchez le soir grands soleils protecteurs comme un enfant je dors en me serrant le cœur Vos mains sont douces en moi comme des oliviers vivifiantes elles vont allumant des tendresses dans ma terre gelée miraculeuses écrivent dans les arbres la courbe des années Nul ne sait ce qu’elles font à la sève profonde aux artères soyeuses des cœurs de scarabées Trop pleurent sans savoir
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Marie-Pascale Jégou
comme sont dans le soir vos mains douces à aimer, vos mains ô Père Comme un soleil se couche aux branches d’un talus demeurez l’incendie de nos pauvres landiers
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Zébrure d’or dans le néant Danse Le Verbe appelle du sein du Père sous la puissante Haleine de l’Esprit par Lui TOUT FUT CRÉÉ La joie tourne en tous sens dans les veines du monde Orchestre immense La vie ouvre ses voiles dans la pierre dans l’espace dans les fluides dimensions du temps Une flamme emplit l’univers La Vie brûle dans la mer dans le vent ondes graines parfums fluorescentes lumières la joie fleurit sur l’océan des moissons et des vignes Nul n’entend comme Lui la symphonie du grain d’orge ou de blé les mots cuivrés du raisin sur la treille
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Marie-Pascale Jégou
Nul ne voit par nuées les foules grésillantes d’insectes dans l’aurore tressaille l’épaule des chevaux pour Lui les oiseaux innombrables poudrés de pollen pleins de trilles pas un de leur duvet ne tombe qu’il ne le voie flotter telle une soie de jonc Il met le soleil dans les fleurs sa Voix tire l’eau des collines ample rideau de perles long cheminement vers la mer Lui seul sait la splendeur du feu intouchable Feu de la création feu multiforme fidèle dans ses rythmes et sa croissance feu dans les fruits et feu des saisons des amours feu tendre des parades nuptiales feu arborescent feu même de la mer irisée de soleil feu secret des cratères L’oreille du Père dans celle du Verbe entend le moindre froissis d’eau le grain de sable qui roule inaudible vers la mer la coquille moirée de l’œuf qui se brise l’haleine bleue des vents et les cieux d’opaline
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Les dits de l’ensoleillée vive
la brisure secrète des chrysalides l’appel du crocus sous la terre le remuement de l’agneau endormi
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* Où êtes-vous mes trois Soleils quand s’élude le jour dans mes jardins croulant de nuit Où êtes-vous mes trois Soleils quand mal aimé mal feuillu mal aimant à la croisée des soirs enfant perdu mon arbre crie Arche puissante quand ne chantent plus les vergers l’âme tremblante va cherchant à travers les buissons dans l’herbe triste fait un pas après l’autre par amour des Soleils qui se cachent
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Le chant s’est ouvert De ses mains l’ange du seuil tient béante la porte Pourquoi ne l’a-t-il fait plus tôt qui me suppliait d’écrire Et moi je pensais se taire est mieux que dire Maintenant ils reviennent les mots en rafales Tant pis s’ils me soûlent Ô longanime loyal patient Amour Pour toi je note au vol sur l’aire à battre calée contre les meules Je te guette et ne fais qu’ânonner le jardin d’Éden se respire en silence et tu veux que je parle Ces longues longues années que fallait-il donc faire face à ton ostensoir quand la Flamme d’amour effilée s’étirait m’arrachant l’âme
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Marie-Pascale Jégou
* Feu d’amour j’ai pour demeure ta voûte d’or pour morsure ton désir et pour visitation ta splendeur Tu me broies Sous la herse de tes dents nos accordailles ont goût de froment Recouvre par pitié ma honte du pan de ton manteau Humble feu qui t’acharnes mendiant ma joie ne vois-tu pas que tu me laisses défaite et hors de moi ? Vois ce qu’il reste cet anneau à triple diamant Je sais je sais si malade est mon cœur c’est le tien qui se brise Je sais que l’indompté en moi toi seul l’amèneras jusqu’au prosternement
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Les dits de l’ensoleillée vive
Tantôt je t’aime tantôt j’ignore où l’Amour m’a laissée seule au bord de la route Feu pur étreins-moi dévore-moi
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Marie-Pascale Jégou
* Quelqu’un danse Danse large pacifique ruisselante et rouge Je vois Tes pieds de fouleur de raisin au pressoir de la Croix ta robe écarlate retroussée Ruissellement ruissellement dans la substance de toute créature le Corps de l’Unique est la réalité et puits de la bonté Ce Corps qui connut brisure et mort et fut incendié au Calvaire peut-il ne pas brûler
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Humble est le poète qui attend la révélation des oiseaux de mer en plein Sahel Fou le poète qui croit au feu dormant dans le gel Pur le poète qui voit Dieu jouer dans l’arbre Libre le poète qui écoute l’Amour et bannit l’Insane du seuil de sa maison Doux le poète qui ne rend qu’en pervenches le mal qu’on lui a fait n’en a plus souvenance et parle d’un rivage 55
Marie-Pascale Jégou
* Oh ! la magie des arbres qui vont gonflés de brume l’hiver et quand le soleil pose sa tête en feu dans la haie se déshabillent de leur robe de soie Oh ! la magie des arbres nus en leurs grands corps épars rémiges d’oiseaux morts que donc disent vos mains de chorégraphes grands signes pour nos peurs Ô vous qui êtes purs en vos dépouillements et demeurez tendus sous la voûte glacée dans l’entremêlement de vos multiples bras contre vous je m’apaise
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Les dits de l’ensoleillée vive
Sur vos troncs grèges et froids qui contiennent vos cœurs je pose mes lèvres sur vous livres mystérieux qui m’avez accordé de savoir les déserts
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Marie-Pascale Jégou
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Écrirai-je pour mon pays le lamento Je veux écrire soleil dans toutes les langues je veux écrire soleil dans la langue brûlée d’Orient et d’Afrique à cause de la vie qui ne meurt dans mon pays de souffrance À moi cette lampée à moi qui ne bois goutte que je me soûle de mots m’en vais faire le barde une bonne fois toutes lanternes éteintes avec pour seul astre au plein de ma poitrine l’amour de ma terre Fanal sur l’océan des blés je ferai monter la morte musique j’ouvrirai l’étable aux souvenirs remugle de foin trop pressé
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Les dits de l’ensoleillée vive
L’homme qui vit dans l’instant sait-il la texture des choses Qui peut dire en clair qu’un pays meurt Je veux ouvrir la porte aux mystères peut-être le barde au seul toucher de son anneau fera-t-il tomber la porte du mystère d’ici Ne me lasserai de marcher dans les landes d’hier pour chérir mon pays d’aujourd’hui Entre deux soleils je cours sur les collines sautant les échaliers Entre deux souffles je crie je crie Ne meurs pas terre aimée Et je cours jupes retroussées Les épines me balafrent les jambes Vieux pays vieux pays ne meurs pas Voici mes bras levés pour la grande bénédiction sur mon pays de collines je t’aime J’élève les mains pour faire lever les moissons vers l’Amant de la terre pour faire mentir leur désespérance à tous
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Marie-Pascale Jégou
Je me sens l’âme carnassière moi qui ne tuerais mouche l’âme grièche moi qui n’appelle que douceur quand s’étale de tous côtés la désespérance Écoute vieux pays je lance la ligne dormante de mon cri Il sortira de mon pays la résurrection tu sortiras mon pays debout tu sortiras sur la haute mer fendras les flots de la plus lente mort tu te relèveras Faut-il larguer les souvenirs Je les sème au champ d’étoiles filantes de septembre Regarde dans les mers de genêts ce galop de chevaux emballés Je t’aime je sais que tu vivras Il a tourné le vent il a tourné le temps tu voudrais que la grande horloge n’eût point sonné mais les vieux ont remisé leur jupe à perles et leur chuppen ils sont partis pour un pays plus chaud danser le plin et le fisel
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Les dits de l’ensoleillée vive
Ça fait saigner le cœur sous tous les tropiques les vieux s’en vont qu’on a chéris avec leur vieille façon de couper le pain et de raconter les histoires et de faire un signe de croix à tous les carrefours J’ai connu les vieilles sentes en accordéon sous la valse des bêtes me suis roulée dans les seigles et soûlée comme tous de cidre doux et de châtaignes comme tous de groseilles écrasées dans la terrine filant le sucre et le miel roux Jusqu’à plus faim les crêpes de blé noir et les blondes raides comme guimpes à trous jusqu’à plus soif gorgées de lait ribot N’ai pas assez de cris pour dire merci d’être née dans l’amitié des bêtes et la chaleur des signes pas assez pour l’odeur chauffée des greniers à froment le tambour des rainettes dans la grande prairie les grillons blancs fantômes plein les trous des vieilles cheminées
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Marie-Pascale Jégou
Comme tous j’ai soufflé dans les vessies séchées des cochons de ferme comme tous soulevé la coiffe des saloirs et tiré le cidre et tiré les vaches la tête contre leur flanc en chantant des cantiques Je sais mon pays j’ai hersé démarié les betteraves et passé le rouleau comme tous chargé les javelles sur les chars et regardé mon père dans l’aire à battre monter sa tour en or Tout cela personne n’a besoin de me l’apprendre Je sais C’est inscrit là dans ma chair et tu dis que ça va mourir Le cœur circulaire des fleurs ne reste-t-il pas le même de siècle en siècle Le cœur des fils d’ici restera plein d’orgueil Ne mettez pas vos flèches à poison dans l’âme des petits enfants à naître
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Les dits de l’ensoleillée vive
Un jour vieux pays les talus seront pleins de vipères et l’eau coulera au ruisseau des prés Je ne veux pas que tu meures Il y aura la flûte de Pan des crapauds la traversière des rousserolles l’effervescence des nids dans les saules et mon père arrosera de sel les meules qui fument Mon père rentrera les bêtes un taureau s’échappera le village battra la campagne comme naguère Entends-tu la musique vaguer dans le noir On verra les fleurs en fusion dans les champs l’herbe molle se balancer le ciel s’enchevêtrer aux branches des arbres dans l’eau claire un bouleau poussera nos cœurs battront comme tambour les chaumes écriront sur les jambes en paraphes de sang le soleil ruissellera sa poussière au long des troncs
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Marie-Pascale Jégou
Il y aura toujours la pluie des hannetons dans les lilas les étourneaux graviteront autour des granges Maintenant nos terres sont changées dévié le cours des rivières rasés les talus pleins de nids de vipères et d’orties ravagées nos campagnes sans visage ahuries dans la nue la corneille tourne en rond sans comprendre et meurent les violettes Peut-être bien qu’ils ont raison de pleurer comme eux ne l’ai-je fait quand n’ai retrouvé mes talus et les pommes rambour Ne suis que barde et femme de surcroît dans un pays de chouans N’écrirai pas en griffures de mort Dans mon cromlec’h joyeux je parfile mon chant et tresse en joncs fleuris des couronnes d’espoir
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Les dits de l’ensoleillée vive
* À Séverine, Bruno, Yann-Raphaël, Valérie, Annaïck, Rozenn, Guenhaël, Laurent, Corentin, Lénaïg et Maël
Nous parlerons de nos enfances des joies profuses d’un été d’une aube prometteuse à la porte un soleil rouge battra de l’aile dans les lauriers Il suffira d’un talus pour que tout recommence pour que remonte des années dans la ramure des buis l’alouette qui s’y était prise Un arbre s’enluminait d’un éclair de chaleur au sud on soufflait d’un souffle menu les akènes des pissenlits de très loin nous venait fendu
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Marie-Pascale Jégou
le chant d’une écrémeuse la douceur des choses n’avait pas de nom Je sais l’endroit des souvenirs les nèfles qu’on laissait blossir nichées de chats dans l’étable dix œufs de poule à l’écurie mais les roses-thé que j’aimais les retrouverai-je T’en souvient-il la jument grise comme on lui baisait les naseaux lui promettant des prairies quand tous les blés seraient coupés tu lui tressais des auvents de feuilles sa tête encensait la colline
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Où trouverai-je la joie pour cimenter mon corps si je pleure les ruines sans bénir le roi Comment fera-t-elle intrusion dans ma pauvre maison de guingois sentant peur et moisi C’est dans son cœur que la source remue dans un parfum d’iris non dans ma citerne pourtant la clef des vannes du grand puits c’est moi qui la serre sous mon corsage comme un sachet de myrrhe et sa grande main chaude n’ira me la voler À la porte il se tient derrière le treillis m’écoute son grand regard d’émeraude Si mes lamentations emplissent ma maison je n’entendrai le Dieu dansant
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Marie-Pascale Jégou
Qu’éclatent tristesse et murs de refends immense la joie déferlera Il me couchera au lit du Vent m’arrachant à la lise des mouvants de mer à la hargne des grands limiers comme un copeau s’enlève dans la tempête je serai soulevée Entre dans la louange comme lotte en rivière comme en luzerne un lièvre fond tombe sur le Seigneur Les héros ne vainquent pas par leur vigueur mais les enfants-poètes et les fous du roi se bâtissent une demeure d’onyx et de paix par la seule grâce de la danse
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Il ne sera pas dit qu’à terre je resterai collée Maître qui avez sur mon âme écrit avec vos doigts Il ne sera pas dit que je ne vous louerai que pour vous jamais plus soleil ne flamboiera Il ne sera pas dit que moisissure et mort m’étoufferont que jamais plus l’oiseau ne s’en voudra dormir dans mon épaule
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Marie-Pascale Jégou
* La fiancée chante la vie le soleil et le sel loge sous les ponts ne se plaint ni des pluies ni du gel se laisse vêtir de bure ou de satin dérober son vaisseau comblé d’or et sans mots à genoux implore l’Amour que lui soit seulement donnée une petite barque dans les joncs Elle n’est ni un calife ni une aventurière ni femme naïve sans raison elle a signé la page immaculée c’est tout pour des millénaires Elle sourit tout le temps connaît par amitié les migrations des cœurs
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Les dits de l’ensoleillée vive
celui qui sait le miel l’autre l’amer et veut toute chose transmuer Son front têtu ouvre des brèches dans les murailles de l’ennui Pourtant ses pieds sont nus ses mains de feuilles déchirées Elle court vers l’Amant princier Père des pauvres qui vient à elle blessé par tant de confiance dans le moirage du couchant la met sur ses épaules agneau de lait
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Marie-Pascale Jégou
* Nos jeux d’enfants épiaient aux formes des nuages des oiseaux des sampans et des taureaux laineux échevelés et nous battions des mains si le frère et la sœur subjugués en ces semblances vaines découvraient multiflore l’arbre inespéré Frissons de l’innocence ramage des lauriers folles folles images de nos têtes bouclées trop grand ciel mouvant tendu de drap violet formes perdues qu’êtes-vous devenues en vos croisières longues vers l’Orient ô fluence du temps nuages étonnés
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Les dits de l’ensoleillée vive
*
Ô Cœur comment parler de toi calice de la braise divine comment balbutier ce que seulement sait qui tient ses lèvres sur la vermeille plaie Mots de terre pauvres mots qui vouliez être flammes syllabes nouées dans la gorge par milliers parturition violente ô vous qui m’enleviez sommeil et trêve implorant le jour quand se fermaient les paupières des blés pourquoi tant vous brûliez quand ce n’était pas l’heure et tant vous dérobiez quand je vous saisissais
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Marie-Pascale Jégou
Enfermée dans la nuit aux sept voiles j’ai passé le désert sortie de l’inextricable j’ai pleuré de ne savoir nommer la Présence Ne vous ai pas trouvés dans mon cartable d’écolière mais dans le ciboire Mots de terre je vous donne à qui voudra de vous comme un hibou lègue son cri une pauvresse son fagot comme un enfant dans un vieux sabot porte la braise de demeure en demeure
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Les dits de l’ensoleillée vive
* À mon père, à ma mère
À force d’avoir suivi les pas des chevaux couru nu-pieds dans les venelles à force d’arbres chéris de sources à goût de ciel j’ai gardé chauds les secrets de ma terre Je sais les floraisons des lunes rousses galettes joyaux de la nuit gonflée de trilles je vais coq enluminé royal qui s’avance dans la profondeur jaune de juillet Je vais comme un enfant qui tourbillonne sur un talon
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Marie-Pascale Jégou
passe par la trappe imprévue et rêve suspendu au pressoir fendu de rire à cause de l’odeur amère et enterrée de l’école Comme un enfant je rejaillis dans la lumière l’or du soleil me façonne un corps glorieux
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Ayant levé les yeux, voilà qu’il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Apparition à Abraham Genèse XVIII
Je veux pour te chanter des mots d’arêtes vives comme brisants de mer des mots d’herbes d’écorce des mots soûls de gentianes de fléoles des prés ivres de vent gorgés de pluie Tu m’es revenu mouillé de bruine tiède Est-ce en ami d’un soir que tu passes par là un secret de forêt traîne encore en tes yeux Dans ton Cœur des langages de sources fleurent l’autre Montagne de folles graminées constellent tes cheveux ô simple qui viens pour de très simples noces
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Marie-Pascale Jégou
tu m’arrives chargé de blé d’automne rouge humble offert généreux comme l’est un seigneur Je te croyais d’ailleurs passager sur la route mais tu m’as dit mon nom Étranger mon ami à tes pieds je m’écroule à jamais reconnue et j’étreins ta Présence comme on étreint la Vie en nos âmes remuent des parfums qui vous tournent le sang Arrête arrête-toi Je danserai l’aurore je danserai midi je danserai le feu en ma déserte amour pose et repose-toi Unique est mon Amant et Trois sont tes sourires unique ta Parole et trois fois tu bénis Tu prononces mon nom comme on chante un cantique tu viens Dieu fragile déjà de notre race tu viens de blanc vêtu des mots de tous les jours fleurissent sur tes lèvres des mots de blé qui meurt de farine qui lève
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Les dits de l’ensoleillée vive
de brebis égarée avec des mots de rien l’Aimé me dit l’Amour et très douce remue la tendresse du Souffle
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Marie-Pascale Jégou
* Mère des hommes ses yeux L’ont vu pendu Celui que longuement elle tint contre sa chair Les soubresauts du corps et le violet visage son flanc qui veut de l’air ses grandes mains percées et quel silence mon Dieu quel silence maintenant qu’on l’a emmuré quel silence au chemin où s’en vont ses amis s’en retournent au lac à l’échoppe quel silence maintenant sur le monde mort Pourtant d’une femme qu’un glaive fend jamais on n’entendit qu’elle éteignit sa lampe Fiancée des aubes tranquilles l’Amant lui avait dit Je ne te quitte pas
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Les dits de l’ensoleillée vive
Porteuse d’agonie à l’heure d’abandon quel silence quand va profond l’épée Pourtant jamais on n’entendit qu’elle éteignit sa lampe Nul n’a d’excuse s’il reste au puits on n’a jamais entendu dire qu’à ses enfants de terre elle ait rien refusé Tout le temps qu’il y aura du temps ses mains seront prière pour ses fils Longuement appuyée aux collines une Femme désentrave la peur
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Marie-Pascale Jégou
* Je vis la Cité Sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel. Apocalypse XXI
Elle vient la fiancée de lin parée d’obsidienne d’or blanc Elle plane au-dessus des chairs labourées de l’est à l’ouest du nord au sud elle vient l’ignorée sur tout soleil avorté elle descend sur toute guerre en partance pour lui lier les poings Quand elle viendra quand tout jusqu’au dernier yod sera révolu
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Les dits de l’ensoleillée vive
quand elle viendra l’un sera pris l’autre laissé Je n’allègue pas l’impossible l’impossible sera demain au vu de tous Au vu de tous les charniers se réveilleront se lèvera le peuple des spoliés immense gerbier d’or frissonnant dans le vent des girandoles alentour de la tête Alors fini le temps des tortures guerre sera jugée alleluia tous les purs surgiront du gésier de la terre clameur rouge des épurés Sur tous les rivages du monde l’enfant jouera avec l’enfant et les anges
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Marie-Pascale Jégou
* Tu priais il a surgi dans l’embourrure de ta chair battage secret en tes soubassements il vient bluter son blé Il vient chargé de gemmes et de javelles d’asters cœrcible et bon te donne guérison regard d’aigle et tendresse Il verse au brûloir cassolettes de myrrhe Quand tu pries tu es fils le Souffle te traverse la bouche du Très-Haut sur ta bouche posée
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Le Souffle frais qui tourne et se balance et vire dans la chair crie Abba bondissant il enlève ma peur claquemurée au fond parsème d’héliotropes mes chemins tordus À l’échappée me touche Soleil dévorateur attise ma prière trame douce et tissu de ma vie ta robe de damas ta tunique de pourpre Contristé se love au-dedans de mes yeux me demande pourquoi des reproches si doux que semblent des baisers
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Marie-Pascale Jégou
Celui-là Celui-là qui me l’enlèvera sans me mettre en lambeaux Celui-là le danseur pour qu’endeuillée je n’aille le Souffle frais qui tourne et se balance et vire
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Les dits de l’ensoleillée vive
* Des cœurs donnés prière sort source perpétuelle la terre ouvre ses feux dormants des montagnes de haine d’elles-mêmes s’en vont jeter dans l’océan Des cœurs donnés prière sort sans qu’ils sachent comment qu’ils dorment ou mangent un cri passe la terre la chair des arbres est traversée un soleil ébouriffé embrase le ciel Au loin venant vers nous appareille la paix
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Marie-Pascale Jégou
* Ce que tu cherches cela est proche et vient déjà à ta rencontre. Hölderlin
Un soleil mort au fond du cœur j’attendais ma Miséricorde elle était hors et dedans ne le savais je pleurais tant contre la treille Je la vis s’en venir un soir courant dans sa jupe longue le ciel avait ouvert ses lumières dorées l’amour creusait son lit dans nos propres rivières et sur les champs terreux ce haut buisson de flammes Elle venait ma Mère enamourée d’enfants parlant aux gemmes aux végétaux de ses petits brûlants comme des lampes
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Les dits de l’ensoleillée vive
Et maintenant que là se tient dans ma fenêtre son doux regard timide hors d’haleine ma Miséricorde ôte ses sandales pour s’approcher de moi Pour s’approcher de moi pieds nus elle se prosterne demandant que j’entrouvre ma joie C’est pour un temps reposer dit-elle À grand effort ses deux mains contiennent la fournaise forte sa douceur qui brûle Laurée de silence elle marche dans ma chair ouvrant des yeux ravis les vannes des parfums alentour de son corps déversent leur pollen Contre elle je voudrais dormir
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Marie-Pascale Jégou
* Ô toi pleurant dans ma chair en larmes tant humaines moi qui doutais quand tu comprenais tout ayant tout su de la faiblesse ô ma Miséricorde qui tant fut triste à en mourir Une once de retard et s’inquiète l’Amour il reste là dehors griffé par les mélèzes obstiné Son poème est mort si je n’y brûle pas Ô mon indéchirable douceur fuirai-je loin de toi avec ma peur kyrielle jungle de nœuds aux alentours du cœur quand trop s’attache ta violente joie Qui donc s’est comme toi passionné pour mes jours ô toi souffrant de ma moindre douleur trouve-moi
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Les dits de l’ensoleillée vive
trouve-moi cimetière pour enterrer l’odeur de ma crainte dernière ô toi pleurant dans ma chair Amour qui tant n’es pas aimé
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*
Ne pleure pas les jours n’ont pas changé On ne s’est pas revus mais ton visage danse autour de ma journée tes yeux pers les jacinthes les joncs tressés en croix le jour qui va grand erre et le cheval du roi disent ton nom je l’aime Ne t’en fais pas je t’ai toujours aimée Serait-ce que silence est plus lourd plus léger qu’une parole morte avant que d’être née serait-ce que l’amour quand il vous a touché défigure sa face pour vous effrayer Ne pleure pas n’ai jamais eu pour toi de poèmes trompeurs des silences peut-être qui chantournaient ton cœur plein d’étoiles cigales et grands charrois de blé Ne t’en fais pas je t’ai toujours aimée
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Les dits de l’ensoleillée vive
Tes yeux sont grandes barques oblongues balancées la musique dans l’herbe demain aura bougé tu mettras sur la table deux tranches de pain bis tout près dans l’étable le souffle des brebis Ne pleure pas car je m’en reviendrai si c’est au bout de l’an ou dans dix je ne sais en ce monde ou dans l’autre je te retrouverai Ne t’en fais pas je t’ai toujours aimée
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Marie-Pascale Jégou
* Combien de lunaisons faudra-t-il pour que tu me reviennes toi que le vent me dérobe Sens-tu quand les fleurs se ferment la brisure de mon cœur et quand m’éveille le souvenir de ton Visage irradié sens-tu trembler ma vie Dis-moi si l’étoffe de notre amour tissée tout uniment conserve dans ses pans l’odeur de nos champs de lavande ensemble parcourus Si tu savais comme avec tes yeux j’ai vu bouger les paupières des avoines chaque jour
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Les dits de l’ensoleillée vive
et tressailli avec ton Cœur quand a resplendi la colline de nos fiançailles combien j’ai su l’empire de ton Sang sur le mien Ô dis-moi si pour Toi il en va de même dis-moi si les narcisses de mes cheveux tressés te manquent et qu’un oiseau sans ailes s’est un peu débattu dans ta gorge nouée
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Marie-Pascale Jégou
* Les murs de nos vies étaient-ils mitoyens que je T’aie reconnu si vite Ce grand buisson de roses qui rougeoie dans l’ombre c’est Toi qui de tes mains l’allumas avant de m’avoir seulement touchée De loin tes douces mains m’ont cernée avant même que ma joie n’héberge la tienne Je savais à l’odeur des lys ta Présence sous ma robe de lin plus intime à mon cœur que moi-même Je n’étais pas encore née que jalousement tes lèvres de soie sur mon nom reposaient ô mon Vermeil Amour Les murs de nos vies étaient-ils donc si proches qu’en mon sein divisé par tes labours lève un tel froment miraculeux 96
Les dits de l’ensoleillée vive
Kergrist-Moëlou Gouarec Cordes-sur-Ciel Pont-Saint-Esprit 1998
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Marie-Pascale Jégou
«Tu as brillé tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité ; tu as embaumé, j’ai respiré et haletant, j’aspire à toi, j’ai goûté et j’ai faim et j’ai soif ; tu m’as touché et je me suis enflammé pour ta paix. »
Saint Augustin
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Postface Plus qu’un lecteur, je l’avoue, j’ai été l’auditeur d’une musique d’éternité célébrant le Très-Haut dans l’ici-bas, dans la gloire cachée du temps ordinaire. Plus encore que par le don verbal de Marie-Pascale Jégou, je fus séduit par son chant ailé porté sur l’aile angélique de sa voix ; un chant qui n’en est pas moins enraciné profond dans sa Bretagne natale. Parce qu’elle a su garder sous les auspices de sa foi les plus élevés un sens concret de ce monde ; parce qu’elle a su conjuguer la légèreté de l’être avec le poids du monde dans la musicalité d’une écriture souveraine, Marie-Pascale ne laissera pas insensibles ceux et celles qui la liront l’oreille éblouie. Violence et passion sont ici apprivoisées par le feu de la grâce visible dans la nudité vulnérable de ces poèmes brûlants.
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Marie-Pascale Jégou
Témoin d’une impalpable tendresse pour tout ce qui est, Marie-Pascale instille en nous le nectar de la compassion. Il nous faut descendre un à un les degrés, pas à pas, mot à mot dans l’abîme de notre misère, là où nous rejoindra l’abîme de la Miséricorde, là où se marie la source intarissable de la prière. Nul égotisme dans ce seul à seul avec l’Unique, mais au contraire, le lieu de solidarité avec tous les humiliés de cette terre enceinte de fiel, et ce cri prophétique : Sur tous les goulags du monde se lève le soleil. Tels sont les dits de l’ensoleillée vive, lyrique jusque dans les larmes. Nul ne guérit que par ses plaies. Marie-Pascale le sait pour être passée par le laminoir des épreuves. Sœur de l’amante du Cantique, elle est la fiancée de lin parée d’obsidienne d’or blanc. Sa poésie, comme celle de Jean de la Croix, est un épithalame évangélique… Tu es ma tendresse l’or de l’alliance, qui le ternira ?
Fr. Gilles Baudry Landévennec Automne 1998
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Les dits de l’ensoleillée vive
Du même auteur Terre qui brûle, hors commerce, 1974. Danse d’Abraham, hors commerce, 1976. Le blé en feu (I, II, III), auto-édités, 1976, 1978 et 1981. Demeurez en moi. Un chemin vers l’oraison, 1ère édition, 1988 ; Éditions des Béatitudes, 1990 ; édition allemande, 1994 ; édition polonaise, 1995. Initiation à sainte Gertrude, Le Cerf/Épiphanie, 1995. Le Fils Vermeil, Amis de Hors Jeu éditions, 1998. Tressaillement de joie, (K7) textes lus par Étienne Dahler, Diakonia, 1982. Publications dans les revues « Feu et Lumière », « Carmel », « Christi Sponsa », « Tychique », « Hors Jeu », … Poèmes parus dans les ouvrages du P. Daniel-Ange : Le Chant Royal, Saint-Paul Le Corps de Dieu, DDB, Le Sarment/Fayard (réédition) 101
Marie-Pascale Jégou
Le Sang de l’Agneau, DDB, Le Sarment/Fayard (réédition) Les Noces de Dieu, DDB, Le Sarment/Fayard (réédition) Poèmes parus dans J’entends battre ton cœur, d’Édouard Glotin, DDB/Emmanuel.
L’auteur Originaire de Basse Bretagne, dans les Côtes d’Armor, et petite fille du barde Césaire le Coënt, Mab Loïz — sœur Marie-Pascale Jégou — est diplômée de Lettres Modernes. Elle vit à Pont-Saint-Esprit, « Porte d’or de la Provence », au sein de la Communauté des Béatitudes, où elle pratique l’iconographie et exerce un rôle d’écoute spirituelle.
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