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« Aider les patients avant que les problèmes ne surviennent »
Modification du phénotype « Aider les patients avant que les problèmes ne surviennent »
Entretien avec le professeur Kenneth Kornman et le docteur Richard Kao conduit par Verena Vermeulen
En août 2019, l'AAP (American Academy of Periodontology) a organisé une conférence de consensus sur les meilleures preuves (BEC pour Best Evidence Consensus) concernant les thérapeutiques de modification du phénotype. Quelles en sont les conclusions ? Nous avons échangé à ce sujet avec le Pr Kenneth Kornman et le président de l'AAP, le Dr Richard Kao.
La modification du phénotype (PhMT) était le thème principal de la rencontre Best Evidence Consensus 2019. Que signifie le terme « phénotype » ?
Dr Kao : Le phénotype est ce que vous voyez mais se base également sur des facteurs génétiques. Les Asiatiques, par exemple, ont des racines dentaires plus courtes et un ratio couronne/racine différent. Leurs tissus sont dans l'ensemble plus fins, en comparaison de ceux des Caucasiens, et ils présentent plus de déhiscences osseuses. Ils ont des phénotypes différents. Une gingivopathie, perte osseuse ou perte d'attache mineure peuvent avoir un impact plus important chez ces patients.
La « modification du phénotype » signifie alors la transformation d'un phénotype fin en un plus épais ?
Dr Kao : Oui. Dans les cas de mise en place d'un implant ou de traitement orthodontique, chez les patients présentant un phénotype fin - par exemple un os vestibulaire fin ou des tissus mous fins - le risque de développer des récessions gingivales est plus élevé. Changer les conditions pour modifier leur phénotype et obtenir des résultats durables sera bénéfique pour ces patients. Prof. Kornman : Je suis d'accord. La modification du phénotype consiste à reconnaître la situation individuelle de chaque patient et l'aider avant que les problèmes surviennent. Nous considérons cela comme un domaine important sur lequel il conviendra de se concentrer à l'avenir. Le point de départ de la rencontre BEC est de déterminer s'il y a un réel besoin clinique. S'il existe un besoin, comment les cliniciens le gèrent-ils à l'heure actuelle ? Le processus de BEC produit des synthèses des preuves et des expériences cliniques actuellement disponibles pour aider à accroître la confiance dans des applications cliniques spécifiques. Nous développons assurément la capacité de nos cliniciens à aider plus de patients à bien vivre plus longtemps.
Vous avez évoqué plusieurs indications dans lesquelles le PhMT pourrait être bénéfique pour les patients. Quelles sont ces indications ?
Dr Kao : Nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux tissus autour des dents1, autour des implants2, dans le
cadre du traitement orthodontique3. Les principales questions étaient : quand estil bénéfique d'épaissir les tissus mous, de créer plus de tissu kératinisé ou d'épaissir l'os ? Par exemple, dans le cadre de la mise en place d'un implant : y a-t-il un bénéfice à épaissir les tissus mous en plus de l'augmentation osseuse ?
Une raison pourrait être que la muqueuse péri-implantaire est plus fragile que la gencive péri-dentaire. Est-ce le cas ?
Dr Kao : Oui, les tissus autour d'un implant sont plus « susceptibles » de subir des lésions ou une perte que ceux autour des dents. Il n'y a pas de fibres de Sharpey ni de cément. Le tissu conjonctif contient moins de vaisseaux sanguins et de fibroblastes. La littérature indique que l’enveloppe osseuse dans la zone antérieure est très fine chez la plupart des patients1. Avec le temps et l'âge, il s'agit de l'une des zones les plus sujettes à la récession gingivale, même autour des dents. Avec un implant, le risque est encore plus élevé, indépendamment de la qualité de l'implantation. Il y a donc de bonnes raisons pour mieux préparer la crête avant la mise en place d'un implant.
Qu'a conclu le groupe de consensus concernant les tissus mous péri-implantaires ?
Dr Kao : Le Dr Guo-Hao Lin et ses collègues ont préparé une méta-analyse sur l'importance de la modification chirugicale du phénotype des tissus mous autour des prothèses dentaires fixes. L'une de leurs conclusions était que l'augmentation de l'épaisseur des tissus mous et de la quantité de tissu kératinisé peut être bénéfique pour assurer la santé des tissus péri-implantaires1 . Combler le fossé entre les preuves et les opinions
Le professeur Kornman explique l'idée principale derrière le concept de consensus sur les meilleures preuves (Best Evidence Consensus).
Professeur Kornman, on vous appelle l'inventeur du Best Evidence Consensus. Comment l'idée est-elle née ?
Prof. Kornman : Pendant plusieurs années, la revue Journal of Periodontology a reçu un grand nombre de revues systématiques bien construites sur des sujets cliniques de grande valeur. Cependant, les preuves disponibles étant souvent limitées, les auteurs terminaient rarement avec des conclusions utiles que les cliniciens pouvaient intégrer tout de suite dans des types de cas spécifiques.
Ils finissaient généralement par « d'autres études sont nécessaires ».
Prof. Kornman : Exactement. À un moment donné, nous avons donc cessé de considérer pour la publication les revues systématiques initiées par les auteurs eux-mêmes. Nous avons passé des années à discuter de la manière dont nous pourrions fournir un panorama de l'application clinique de certaines technologies que de nombreuses personnes utilisent, bien qu'il n'y ait pas autant de données publiées que nous le souhaiterions. C'est alors que l'idée d'un consensus sur les meilleures preuves est née. Lors de la conférence de consensus, les preuves existantes ont été associées à l'expertise clinique du groupe de consensus. Comment cette association fonctionne-t-elle ?
Prof. Kornman : Nous avons abouti à un processus très formel et très efficace pour combler le fossé entre les preuves et les opinions. Un facteur important est que nous sommes toujours très clairs quant aux questions secondaires et aux questions principales. Nous demandons ensuite des revues systématiques approfondies sur les questions secondaires ; cet exercice apporte souvent plus de connaissances qui nous rapprochent d'applications cliniques plus larges que ce que beaucoup pensaient. Pendant la rencontre elle-même, les résultats sont discutés par des cliniciens bien informés qui ont utilisé la technologie en question, ont des opinions à son sujet et peuvent parler de leur expérience. Nous voulons savoir où ils voient des opportunités et des points faibles spécifiques et comment cela s'intègre dans les preuves existantes. Les résultats de ces intenses discussions sont regroupés dans un rapport de consensus qui nous permet de communiquer avec les cliniciens intéressés à travers le monde.
Et il est indiqué, dans la déclaration de consensus, que la modification du phénotype autour des prothèses dentaires fixes peut améliorer l'esthétique - par exemple, en créant une architecture des tissus mous plus harmonieuse et en réduisant la visibilité par transparence des restaurations, parties secondaires et implants - et qu'il améliore également le confort, l'hygiène et l'entretien4 .
Le troisième thème était la modification du phénotype dans le contexte de l'orthodontie. Comment cela s’explique-t-il?
Dr Kao : La littérature indique que 20 à 35 % des patients présentent une récession gingivale faciale deux à cinq ans après le traitement orthodontique3. Cela dépend du phénotype mais également de la disposition crânienne et faciale. Si l'os et les tissus mous sont fins, les récessions apparaissent très tôt après le traitement orthodontique. Si l'os est fin mais les tissus mous épais, les récessions ne seront visibles que des années plus tard.
Comment la modification du phénotype est-elle réalisée dans ce contexte ? Quelle méthode a été discutée dans la revue systématique et au cours de la conférence ?
Dr Kao : Pour la plupart des traitements orthodontiques, le volume d'os et des tissus mous est généralement suffisant. Lorsqu'il y a une crainte de récession gingivale, les cliniciens peuvent proactivement « épaissir » la gencive avec des greffes. Lorsque l'analyse et la planification du traitement orthodontique indiquent que les mouvements orthodontiques nécessaires iront au-delà de l'enveloppe osseuse et des tissus mous, les procédures les plus
Le Dr Kao et deux de ses collègues ont traité, à eux trois, 1 500 patients avec une approche SFOT. « Nous avons, tous les trois, abouti à la même stratégie pour environ 90 % du traitement. Sur les 10 % restants, nous n'étions pas d'accord. »
courantes sont le traitement orthodontique accéléré par chirurgie (SFOT), l'orthodontie accélérée par assistance ostéogénique parodontale (PAOO) et le traitement orthodontique assisté par corticotomie (CAOT). Ces procédures impliquent la corticotomie et la décortication du complexe alvéolo-dentaire avec ou sans greffe d'os particulé. L'objectif est de permettre un mouvement des dents plus rapide et d'élargir la mâchoire. ChinWei Wang et coll. se sont intéressés plus particulièrement à ces techniques dans leur méta-analyse sur la question : la modification du phénotype parodontal estelle bénéfique pour les patients recevant un traitement orthodontique3 ?
Qu'ont-ils conclu d'après la littérature ?
Dr Kao : Les traitements tels que le SFOT, la PAOO et le CAOT peuvent raccourcir le temps de traitement et accélérer le mouvement des dents. Cependant, ils ont également favorisé une sphère élargie du mouvement des dents. Ils ont permis d'obtenir un tissu dur plus épais et de réduire les déhiscences. Enfin, ils ont amélioré la stabilité post-orthodontique des dents antérieures mandibulaires - zone avec ordinairement des enveloppes osseuses très fines - et ont présenté le
Définitions
Le phénotype est l'apparence d'un organe reposant sur des caractères génétiques et des facteurs environnementaux. Pour ce qui est de la cavité buccale, le phénotype inclut, par exemple, l'épaisseur osseuse ainsi que la qualité et l'épaisseur des tissus mous. La modification du phénotype désigne l'intervention chirurgicale impliquant l'augmentation/la modification des tissus mous et/ou durs visant à transformer le phénotype fin en un phénotype épais (ou épais en plus épais encore), pour les dents comme pour les implants dentaires.
La modification de la gencive du phénotype fin au phénotype épais permet-elle de préserver la santé parodontale ? Quel est l'effet de la modification par chirurgie du phénotype des tissus mous autour des prothèses dentaires fixes ? La modification du phénotype parodontal estelle bénéfique pour les patients recevant un traitement orthodontique ?
potentiel de réduire le taux de rechute orthodontique sur une période de suivi de 10 ans4 .
Quelques études ont été publiées, à ce jour, dans ce domaine. Quelle a été l'expérience du groupe de consensus ?
Dr Kao : Trois d'entre nous ont traité, au total, 1 500 cas avec ces techniques. Nous avons donc partagé notre documentation et nos notes. Quels matériaux avons-nous utilisés ? Quel a été l'ordre et la chronologie des événements ? Quels étaient les points de mise en garde, les outils diagnostiques nécessaires ? Qu'avons-nous essayé et qui n'a pas marché ? Sur environ 90 % du contenu, nous avons, tous les trois, abouti à la même stratégie. Sur les 10 % restants, nous n'étions pas d'accord. Mais ce n'est pas un problème. Cela nous indique où il y a une certaine flexibilité clinique.
Le groupe de consensus a-t-il conclu que le PhMT est bénéfique dans le contexte du traitement orthodontique ?
Dr Kao : Oui, le groupe de consensus a conclu que la modification du phénotype devrait être exécutée avant le traitement orthodontique chez les patients présentant un phénotype fin lorsque le mouvement des dents nécessaire risque de fragiliser l’enveloppe osseuse4. Il y aura en outre des situations où l'augmentation osseuse et l'augmentation des tissus mous seront toutes deux nécessaires.
Les orthodontistes sont-ils informés de ces développements ?
Dr Kao : Oui. Les orthodontistes disposent aujourd'hui de systèmes de modélisation informatique reposant sur les données de CBCT avec lesquels ils planifient l'ampleur du mouvement des dents et qui leur indiquent ce que cela impliquera pour l’enveloppe osseuse. Nous pouvons donc planifier ensemble la manière de protéger l'enveloppe et de prévenir les complications sur le long terme par épaississement de la gencive et de l'os4 .
Ce travail interdisciplinaire est-il également une source d'erreur ?
Dr Kao : La collaboration est assurément bénéfique et la voie à suivre à l'avenir. Le Dr George Mandelaris prépare actuellement un article sur la manière dont ce travail interdisciplinaire réunissant les orthodontistes, les parodontistes et éventuellement les chirurgiens oraux peut être organisé pour être le plus efficace possible.
Est-ce qu'une collaboration plus large est également prévue entre les sociétés de parodontistes et d’orthodontistes ?
Dr Kao : L'AAP et l'American Orthodontic Association sont toutes deux très intéressées par une collaboration. Nous avons une conférence commune prévue en 2021 et nous pensons, aujourd'hui, à nous associer pour une plateforme d'apprentissage en ligne. Cela facilitera certainement la diffusion de ce type d'informations auprès d'une population plus large.
Références 1 Kim DM, et al.: J Periodontol 2019 Nov 6. [Diffusion en ligne avant impression] (Revue)
2 Lin GH, et al.: J Periodontol 31 Oct 2019. [Diffusion en ligne avant impression] (Revue)
3
4 Wang CW, et al.: J Periodontol 31 Oct 2019. [Diffusion en ligne avant impression]. (Revue) Kao, R. et al.: J Periodontol 13 Jan 2020. [Diffusion en ligne avant impression]. (Consensus)