9 minute read

« Je comblerais l'espace, dans tous les cas »

Mise en place immédiate de l'implant « Je comblerais l'espace dans tous les cas »

Professeur Jan Cosyn | Belgique Sciences de la santé bucco-dentaire Département de parodontologie et d'implantologie orale, Université de Gand

Propos recueillis par le Dr Giulia Cerino

Le professeur Jan Cosyn, Université de Gand, a beaucoup d'expérience dans le domaine controversé du moment idéal pour la pose de l'implant. Nous lui avons demandé de nous éclairer sur la question : en cas d'implantation immédiate, quand la greffe de tissus durs et mous estelle indiquée ?

L'implantation immédiate est un traitement intéressant pour les patients. Quels en sont, à votre avis, les plus gros avantages ?

Pr Cosyn : Le gain de temps est le plus gros avantage. Tout d'abord, du point de vue du patient, car il se présente avec un problème urgent et la pose de son implant et de sa couronne provisoire se font le jour-même. Ensuite, le praticien exécute une seule intervention chirurgicale et une seule intervention prothétique. Il s'agit là d'une réelle optimisation du temps.

Observez-vous une tendance croissante vers le recours à l'implantation immédiate ?

Pr Cosyn : Oui, la tendance est à la hausse partout. De plus en plus de praticiens réalisent une mise en place immédiate de l'implant car il y a plus de connaissances concernant le concept thérapeutique et les cliniciens sont plus informés des pièges. Cela ne signifie pas, toutefois, que les risques de l'implantation immédiate sont entièrement pris en compte. Ce qui m'inquiète le plus est que ce traitement est également réalisé par des gens non expérimentés.

Vous avez récemment publié une revue systématique démontrant que l'implantation immédiate présente un risque supérieur de perte précoce de l'implant par rapport à la mise en place différée de l'implant1. Quelles en sont les raisons ?

Pr Cosyn : Nous avons réalisé plusieurs analyses par sous-groupes de données car l'ensemble de l'étude était composé de huit études cliniques comparatives différentes. L'analyse a permis de mettre en évidence le fait que l'utilisation d'antibiotiques après l'intervention chirurgicale a un impact significatif sur l'échec précoce de l'implant. La non prescription d'antibiotiques en cas d'implantation entraîne un risque d'échec 7 % plus élevé (Fig. 1).

« La prescription d'antibiotiques après l'intervention chirurgicale a un impact significatif sur la diminution de l'échec précoce de l'implant. »

La prescription d'antibiotiques après le traitement n'est-elle pas une recommandation générale ?

Pr Cosyn: La prescription d'antibiotiques n'est pas une recommandation générale en implantologie. Cela n'a pas été démontré ou il n'y a, en tous cas, aucune donnée sérieuse le confirmant. Le nombre de patients à traiter en cas d’implantation classique serait élevé, mais cela n'est pas le cas lorsqu'il s'agit des implants mis en place immédiatement. Il n'est pas possible de généraliser à toutes les procédures, mais pour la mise en place d'un implant de type I (implantation immédiate), il convient d'envisager l'utilisation d'antibiotiques ; ce résultat est conforme à la revue systématique de Lang et coll. déjà publiée en 20122 .

Pensez-vous que les tissus durs et mous dans le contexte d'une mise en place immédiate de l'implant, p. ex. « comblement de l'espace », pourraient rendre cette procédure plus prévisible ?

Pr Cosyn : Je le pense sincèrement. Il y a eu un débat, il y a dix ans, sur la nécessité d'une greffe intra-alvéolaire après une mise en place immédiate de l'implant.

Chez les patients nécessitant un implant unitaire, l'implantation immédiate se traduit-elle par un taux de survie différent par rapport à la mise en place différée ?

Mise en place immédiate de l'implant ≤ 24 h post‑extraction Mise en place différée de l'implant ≥ 3 mois post‑extraction

233/473 240/473

94,9 % 98,9 %

Survie de l'implant Survie de l'implant

+ 7 %

Risque d'échec sans prescription d'antibiotiques

FIG. 1 : Synthèse de la revue systématique et de la méta-analyse publiées par Cosyn et coll.1

Nous disposons à présent de trois études cliniques comparatives et randomisées3-5 , et la dernière de Sanz et coll.5 indique clairement une différence statistiquement significative en faveur de la greffe intra-alvéolaire par rapport à l'absence de greffe. Il est donc impératif, pour maintenir l'intégrité de la paroi osseuse vestibulaire, de pratiquer une greffe.

Cependant, nous savons également que cette greffe peut ne pas être suffisante car elle ne fait que limiter la résorption de l'os vestibulaire, elle ne l'élimine pas. Différentes séries de cas de plusieurs groupes de recherche montrent qu'une récession médio-faciale avancée se développe dans environ 20 % des cas, ce qui reste trop élevé malgré la greffe intraalvéolaire et un diagnostic juste. Par conséquent, la nécessité de compenser justifie l'indication d'une greffe de tissus mous dans la plupart des cas.

Dans quelles situations recommanderiez-vous d'inclure un traitement régénératif dans le traitement global ?

Pr Cosyn : Plus particulièrement dans la région antérieure. Je pense qu'il n'y a plus une seule situation où j'écarterais la greffe intra-alvéolaire. Chose intéressante, Sanz et coll.5 ont démontré, pour la première fois, que l'effet additionnel de la greffe intra-alvéolaire ne dépend pas de la taille de l'espace à combler. L'effet proportionnel est le même pour les espaces de petite ou de grande taille. La recommandation clinique est par conséquent de combler cet espace dans tous les cas. Et comment comblez-vous l'espace ?

Pr Cosyn : J'ajoute un biomatériau minéral osseux d'origine bovine et je pousse délicatement le biomatériau en direction apicale à l'aide d'un fouloir fin. Il convient de toujours éviter une compression excessive (Fig. 2).

Quand la greffe de tissus mous est-elle indiquée dans le contexte d'une mise en place immédiate de l'implant ?

Pr Cosyn : Je dirais fréquemment. Mais commençons avec le pire scénario - les situations où il n'y a pas de paroi osseuse vestibulaire. En présence de cette situation autour d'une dent, nous savons que les procédures de recouvrement radiculaire sont prévisibles mais uniquement si l'épaisseur gingivale est d'au minimum 1,5 mm. Dans un cas avec implant, l'épaisseur doit impérativement être supérieure - 2 mm - pour la simple raison qu'il n'y a pas d'insertion de fibres de collagène supra-crestales. Il n'existe pas de données à ce sujet, c'est seulement du bon sens. Dans la mesure où une épaisseur de tissus mous de 2 mm n'est observée que dans environ 10 % des cas, en commençant avec le pire cas, cela signifie que pour une prévisibilité totale dans 90 % des cas, la greffe de de tissus mous est nécessaire.

Pour bien comprendre ce point : l'augmentation des tissus mous devient-elle plus pertinente en présence d'une déhiscence osseuse ?

Pr Cosyn : La greffe de tissus mous est presque toujours indiquée pour obtenir un résultat optimal et stable. Elle est encore plus importante, à mon avis, en présence d'une déhiscence osseuse.

Quelle est, à votre avis, la quantité minimale d'os vestibulaire nécessaire pour une mise en place immédiate de l'implant prévisible ?

Pr Cosyn : Je réalise une mise en place immédiate de l'implant uniquement en

FIG. 2 : Une patiente de 58 ans s'est présentée avec une incisive latérale supérieure fracturée. En raison de la paroi osseuse vestibulaire intacte et de la présence d'os en apical et palatin de l'alvéole d'extraction, une mise en place de type I a été planifiée.

A B

C D

| A Vue occlusale préopératoire de la 22 qui doit être remplacée par un implant. | B Vue occlusale après l'extraction de la dent et l'implantation immédiate en position palatine. Notez que l'espace a été comblé avec de l'os minéral bovin déprotéinisé (particules de Geistlich Bio-Oss®). | C Un greffon de tissu conjonctif fin prélevé sur le palais a été inséré dans la poche vestibulaire et fixé avec un fil de suture monofilament. | D Vue occlusale deux jours après la chirurgie lors de la mise en place de la couronne provisoire.

présence d'une paroi osseuse vestibulaire intacte. Certaines données appuient le concept avec des déhiscences osseuses peu importantes mais il n'existe aucun essai clinique comparatif et randomisé ni aucune étude sur le long terme avec des cas où il manque plus de 50 % de la paroi osseuse vestibulaire. Étant donné les connaissances actuelles, je ne pense pas qu'il faille promouvoir l'implantation immédiate en présence de parois osseuses vestibulaires fragilisées.

Peut-il y avoir une nécessité d'épaississement des tissus mous même en présence d'un os vestibulaire intact si l'épaisseur gingivale est inférieure à 2 mm ?

Pr Cosyn : Oui, je le pense. Sur le court terme, la greffe de tissus mous entraîne une récession médio-faciale moins importante, comme cela a été démontré dans l'essai clinique comparatif et randomisé réalisé par le groupe de Groningue6 . Ce que je peux affirmer, en me basant sur le suivi prospectif sur 10 ans d'implants unitaires mis en place immédiatement dans des situations favorables à Gand, c'est que les tissus sont plus stables après une greffe de tissu mous. À mon avis, tout est question de stabilité tissulaire sur le long terme. Les connaissances actuelles sur ce sujet sont rares.

Les nouvelles techniques, telles que l'imagerie 3D, la chirurgie guidée ou les nouveaux modèles d'implants, rendent-elles la mise en place implantaire plus prévisible pour les chirurgiens moins chevronnés également ?

Pr Cosyn : Elles peuvent certainement être utiles. Je recommande de réaliser une CBCT avant l'extraction de la dent ou l'implantation immédiate pour poser le bon diagnostic et évaluer les risques. Il s'agit de l'unique moyen permettant de visualiser la paroi osseuse vestibulaire, son épaisseur et sa morphologie ainsi que l'épaisseur des tissus mous, en cas d'utilisation d'un écarteur. La chirurgie guidée est également importante car dans la mise en place d'implants de type I, l'erreur grave est le positionnement trop vestibulé. Cela peut facilement se produire pour des praticiens non expérimentés et aucune greffe de tissu conjonctif (GTC) ne peut traiter la récession médio-faciale qui en résulte. Ainsi, pour éviter ce risque, le recours à la chirurgie guidée est un plus, notamment pour les chirurgiens moins chevronnés.

Les implants courts et étroits pourraient-ils permettre de contourner les procédures de régénération ?

Pr Cosyn : Non, je ne le pense pas. Les implants courts sont difficiles à utiliser dans une alvéole car il faut un bon ancrage osseux. Nous utilisons habituellement des implants plus longs - 11 à 13 mm - qui sont la norme pour cette approche thérapeutique. Il est plus important d'utiliser des petits diamètres - 3,5 – 3,6 mm -, même pour les incisives centrales, de manière à rester loin de la zone vestibulaire. Et, n'oubliez pas, comblez l'espace dans tous les cas.

Références 1 Cosyn J, et al.: J Clin Periodontol. 2019;46 Suppl 21:224-241 (Revue systématique et méta-analyse).

2 Lang NP, et al.: Clin Oral Implants Res. 2012;23 Suppl 5:39-66 (Étude clinique).

3 Sanz M, et al.: Clin Oral Implants Res. 2017;28(8):902-910 (Étude clinique).

4

5

6 Chen ST, et al.: Clin Oral Implants Res. 2007;18(5):552-62 (Étude clinique).

Mastrangelo F, et al.: Implant Dent. 2018;27(6):638-645 (Étude clinique).

Zuiderveld EG, et al.: J Periodontol. 2018;89(8):903-914. (Étude clinique).

This article is from: