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CONVERSATION AVEC ANTONINO FOGLIANI

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SYNOPSIS

SYNOPSIS

« Aida est un drame intime, cela ne fait aucun doute »

Quelques questions à Antonino Fogliani

Quelles sont vos origines musicales? Commentpeut-on abandonner Messine et finir dans les brumes de l’Émilie-Romagne?

Mon père était un cheminot amoureux de la musique. Il chantait dans le chœur de la cathédrale de Messineet il a respiré la musique depuis son enfance. C’est en chantant moi aussi dans le chœur et en étudiant le violon et le piano que j’ai appris les premiers rudiments de la composition. À 13 ans, j’écrivais déjà des motets et des messes dans le style de Lorenzo Perosi, un compositeur souvent interprété par le chœur de la cathédrale. C’est ainsi que je suis entré au conservatoire de Messine pour y étudier la composition, le violon et le piano. Le soleil de la Sicile, j’ai dû vite l’abandonner pour Bologne car ma ville natale ne n’offrait que peu de débouchés. La musicologie et la composition m’ont toujours intéressé, ce qui fait qu’étudier au DAMS de Bologne et fréquenter la classe de composition de Francesco Carluccio au Conservatoire Martini a été un parcours obligé, mais aussi désiré. Andrea Camillieri dit qu’il existe deux types de Siciliens: quelli di scoglio e quelli di mare aperto: ceux du rocher et ceux du grand large. J’appartiens à la deuxième catégorie. Maintenant, je vis avec ma famille à Lugano et je travaille principalement en Allemagne. Je vais où je peux m’exprimer moi-même avec la musique. Pour citer le philosophe sicilien Manlio Sgalambro, je sais que la Sicile exercera sur moi ce qu’il appelle la «loi de l’appartenance» et que bon gré mal gré, mes racines sont en Sicile et cette terre tôt ou tard réclamera que j’y retourne.

Votre identité en tant que spécialiste de la musiqueromantique italienne n’est plus à démontrer. Mais aimez-vous ou cela vous arrive-tilde diriger d’autres genres de musique?

J’aime toute musique qui est capable d’exprimer le monde sentimental et intellectuel des êtres humains. Je reviens justement de diriger un concert avec la Düsseldorf Symphoniker où j’ai interprété des musiques de Richard Strauss. J’ai dirigé beaucoup de musique italienne et pourtant je me sens lié à la musique symphonique allemande et j’aime beaucoup le répertoire français, que je pratique régulièrement. J’aime également la musique d’aujourd’hui et mon parcours de compositeur explique ma curiosité pour la musique contemporaine.

Pour vous qui est Giuseppe Verdi?

Verdi est pour moi un père rempli de sagesse et, en compagnie de Rossini, mon compositeur d’élection. J’aime tout ce qu’a écrit Verdi parce qu’il est l’exemple même que le talent n’arrive à rien sans un travail acharné. On sent dans toute son œuvre la volonté de s’améliorer et de se remettre en question. Voilà pour moi son plus grand enseignement. Après il y a aussi la grandeur de son don pour dépeindre n’importe quel drame personnel et le rendre universel. Verdi est l’un de ces Italiens qui me rend fier de mon pays.

Aidaest l’antépénultièmeœuvre de Verdi. Pouvezvous nous parler de ce qui amène stylistiquement etmusicalement Verdi à Aida? Est-ce que vous sentez que Meyerbeer etRossini ont joué un rôle dans la montée de Verdi vers le Grand opéra?

Dans sa villa de Sant’Agata, où je me rends continuellement en pèlerinage, Verdi avait une bibliothèque, régulièrement mise à jour, où figuraient les œuvres de Meyerbeer, Gounod et Wagner. Il était un compositeur cultivé et soucieux de sa formation continue. Que ce soit avec Les Vêpres siciliennes, Don Carlo ou Aida, Verdi étudie les formes du Grand opéra et les fait siennes. En termes pratiques, je crois que Verdi, homme de théâtre et son propre patron, a produit des œuvres en adéquation avec le lieu où elle devaient porter fruit, mais il l’a fait en restant toujours fidèle à son style de composition, à la recherche de la vérité de ses personnages et non par le respect obséquieux des formes vides. Même ses ballets sont fortement liés au drame. Dans cette version pour Genève, nous ne ferons aucune coupure parce que crois que les passages pour ballet ne sont pas simplement de la musique de circonstance mais bien de la musique entièrement intégrée dans un contexte plus vaste.

Il a été dit qu’Aidaest moins un opéra pour l’Égypte qu’un opéra pour l’Italie (avec la solide contributiond’experts français). Quelle place symboliqueoccupe-t-elle dans l’œuvre deVerdi?

Verdi avait trop de respect pour son travail pour se consacrer à l’écriture d’un opéra seulement pour se faire de l’argent. D’ailleurs, après la première d’Aida au Caire, il a pris lui-même en charge la première italienne à La Scala. Pour Verdi, Aida représente une étape tardive de son évolution. Je crois en outre que l’orientalisme présent dans la musique est si bien dosé qu’il apparaît toujours sincère et jamais folklorique. En travaillant avec les chanteurs et le chœur, j’insiste vraiment sur une cantabilità italienne qui doit souvent en découdre avec les goûts français pour la mélodie. Je crois qu’un auteur si important doive être toujours respecté par nous ses interprètes avec la plus grande attention et qu’il est erroné de le mettre dans des moules. C’est Verdi qui recrée les styles et qui sculpte les formes à son avantage. On dit que sans avoir jamais connu l’Égypte, il a distillé les sons et les parfums

de cette terre. Mais qui sait? Peut-être que la magie qu’il crée au début du troisième acte a été inspirée par la torpeur indolente de la Plaine du Po! Impossible le le savoir mais très amusant de le penser…

«La solitaAida (l’Aida habituelle)» me disiezvous ce matin en boutade et pourtant, nousavons une mise en scènequi cherche à développer les aspects intimes etmystérieux de l’œuvre, plus queses aspects monumentalistes, dans le styledes Arènes de Vérone. Commentfaire de la «solitaAida»une «Aidainsolita »?

Aida est un opéra intimiste. Son monumentalisme n’est qu’une toute petite partie de la partition entière. Je ne réussis pas à imaginer une autre lecture que celle qui se centre sur l’interprétation de la souffrance personnelle de tous les protagonistes, déchirés par leurs sentiments divers pour la famille, l’amour, la patrie. Aida est un drame intime, cela ne fait aucun doute.

Et en cinq secondes…

Que vouliez-vous être quand vous seriez grand? Petit, je rêvais d’être Michel Platini. Après quand la musique a remplacé le foot dans mes rêves d’ado, je rêvais d’être Leonard Bernstein. Disons que j’ai toujours été attiré par le génie! Grâce à Dieu, en grandissant on se contente d’être qui on est, sans traumatismes.

Si vous deviez être un personnage d’un opéra de Verdi, qui seriez-vous? Boccanegra sans doute, le personnage verdien que j’admire le plus pour sa grandeur d’âme. Mais j’ai bien peur que je vais finir en Falstaff!

Si vous pouviez avoir un super-pouvoir comme chef d’orchestre,quel serait-il? Faire comprendre à tous les musiciens, vocaux ou instrumentaux, avec qui je travaille que je brûle d’amour pour la musique et tout ce que je leur demande est pour moi une exigence profonde. En fait, je voudrais pouvoir les porter dans mon monde. Avec l’âge je fais preuve de plus de souplesse, mais j’ai encore beaucoup de peine à supporter les artistes qui instrumentalisent les notes d’un compositeur pour exalter leur ego plus que pour servir la musique.

Vacances avec Giuseppe Verdi à la campagne de Sant’Agata ou avecGiacomo Puccini sur la plage à Torre del Lago? Les vacances de Noël chez Verdi à manger du culatello et à boire une excellente Malvoisie des Colli Piacentini. J’irais trouver Puccini l’été à Torre del Lago. J’ai quand même l’impression que même si j’apprendrais beaucoup avec Verdi, je m’amuserais mieux avec Puccini.

Votre premièrepensée du matin? Je lutte en ce moment avec moi-même pour ne pas trop penser, surtout le matin. Je pense évidemment à mon épouse et à mon fils, souvent loin de moi. Le premier coup de téléphone est pour eux. Et après je me demande s’il reste des œufs dans le frigo!

Un conseil auxspectateurs et spectatrices d’Aida? Plongez avec confiance dans la musique de Verdi et laissez cet immense génie vous prendre par la main. Soyez sûrs que nous donnerons le mieux de nous-mêmes pour honorer un chef-d’œuvre aussi émouvant qu’Aida.

Photographie de la production, Acte IV, ENO Londres

© Tristam Kenton

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