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DESTINS DE FEMMES ESCLAVES DANS LES ZONES DE CONFLIT AU MOYEN-ORIENT AUJOURD’HUI
Une femme yazidie montre ses blessures aux mains suite à des sévices conduits par des combattants de l’État islamique
Adapté d’un article du quotidien The Guardian Slaves of Isis: the long walk of Yazidi women, par Cathy Otten (25 juillet 2017)
Le jour avant l’arrivée de Daesh était un jour férié dans le district de Sinjar, au nord de l’Irak. Les Yazidis s’étaient réunis pour fêter la fin d’un jeûne. C’était le 2 août 2014. Le chaume des champs de blé moissonnés brillait sous un soleil de plomb. On tuait le mouton et on se retrouvait en famille pour la rupture du jeûne, en distribuant des confiseries et en échangeant les dernières nouvelles et les ragots. Dans le passé, les gens auraient aussi invité leurs voisins musulmans à se joindre à la fête, mais ces derniers temps, un fossé s’était creusé entre eux et les Yazidis restaient plutôt entre eux.
Dans cette ambiance tendue, la température atteignait déjà les 40 degrés Celsius. Le sommet du mont Sinjar, au nord de la ville elle-même, semblait reluire dans la chaleur et les gens qui vivaient au pied de la montagne évitaient de voyager avant le coucher du soleil et les rues étaient pleines des gens du voisinage qui échangeaient des rumeurs inquiétantes, alors que des hommes armés patrouillaient les rues.
Au crépuscule, des véhicules inconnus sont apparus. On voyait leurs phares avancer dans le désert au-delà de la zone habitée. Un mauvais pressentiment grandissait pendant que la nuit tombait. Les hommes Yazidi prirent leurs fusils et allèrent patrouiller au-delà des champs de blé, pour surveiller les villages.
À leur retour, ils se sont réunis en petits groupes, les nerfs à vif. Des convois autotmobiles étaient apparus il y a à peine deux mois et Mossoul – la capitale de la province de Ninive dont Sinjar faisait partie – était tombée aux mains de l’État islamique et quatre autres villes après elle. Quatre divisions de l’armée iraquienne avaient été mises en déroute, dont la troisième division, basée autout de Sinjar et comprenant de nombreux soldat yazidis. La zone était pratiquement sans défense.
Lorsque les troupes de l’État islamique eurent saisi Mossoul, elles avaient libéré les musulmans sunnites de la prison municipale de Badoush et mis à mort 600 prisonniers chiites. Le groupe pilla les armes et le matériel des bases militaires iraquiennes. Les soldats dispersèrent leurs uniformes et un demi-million de civils prit la fuite vers le nord et l’est. En une semaine, un tiers de l’Iraq était sous le contrôle de Daesh. Le district de Sinjar, environ 300000 habitants, était encerclé. Sur la frontière iranienne, au sud-est de la région, une partie des combattants kurdes peshmerga affrontait Daesh, mais à Sinjar, un silence malaisé plombait l’air, comme un mal de tête vient avant la tempête.
Les Yazidis de Sinjar savaient que la ville était déjà sous attaque et que la population fuyait. (…) Daesh assiégeait la zone et ne laissait personne sortir.
Ils étaient pris au piège. Peu après, un groupe de combattants de l’État islamique vint vers eux pour saisir argent, fusils, or et téléphones portables. Ils furent transportés aux bâtiments
de l’administration centrale à Sinjar, là où on faisait les pièces d’identité. Il semblait que des milliers de femmes et de jeunes filles y avaient été rassemblées, avec les hommes entassés dans les bureaux à l’étage. Vers 9 heures, les gardes de Daesh entrèrent avec les lanternes pour inspecter les visages des femmes et des filles. Elle se blottirent les unes contre les autres pour se protéger. (…)
Les femmes yazidies de Sinjar ne le savaient pas encore, mais les combattants de l’État islamique allaient réaliser un enlèvement en masse pour un projet de viol institutionnalisé. Au début, ils cherchaient des femmes célibataires et des jeunes filles de plus de huit ans.
Quand l’État islamique attaqua Sinjar, plus de 100000 personnes prirent la fuite vers le mont Sinjar. On rafla tous ceux qui ne pouvaient pas fuir. Beaucoup d’hommes furent massacrés. Des milliers de Yazidis furent soit exécutés et jetés dans des fosses, soit laissés sur la montagne à mourir de soif, de leurs blessures ou d’épuisement. Il y avait tellement de personnes disparues que l’esclavage des femmes passa d’abord inaperçu aux yeux de la communauté internationale.
D’après la députée iraquienne Vian Dakhil, ellemême une Yazidie de Sinjar, environ 6383 Yazidis – pour la plupart des femmes et des enfants – furent réduits en esclavage et transportés vers les prisons et les camps d’entraînement militaires de Daesh partout en Syrie orientale et en Iraq occidental où elles furent violées, battues, vendues et séquestrées. Au milieu de 2016, 2590 femmes et enfants avaient pu s’échapper ou sortir clandestinement du califat, alors que 3793 restaient en captivité.
Les Yazidis sont un groupe religieux, majoritairement kurdophone, qui vit surtout dans le nord de l’Iraq. Ils sont moins d’un million au niveau mondial. Au cours de leur histoire, ils furent persécutés comme infidèles par les musulmans qui les forçaient à se convertir. Sans vrai culte formel, leur pratique religieuse consiste en pèlerinages vers des lieux saints, en baptêmes et en fêtes où l’on chante des cantiques et récite des histoires. Quelques-uns de ces récits parlent de batailles historiques et légendaires pour défendre leur religion. D’autres, que des générations de femmes se sont transmises, expliquent comment résister aux dangers qui menacent encore les femmes yazidies aujourd’hui.
Beaucoup de femmes et d’enfants capturés à Sinjar avaient vu ou entendu les hommes de leur famille se faire tuer par les combattants armés de Daesh qui les encerclaient maintenant. Dans les prisons où ces femmes étaient détenues à travers l’Iraq et la Syrie, on sentait «une terreur abjecte en entendant des pas dehors dans le couloir et le bruit des clefs dans la porte», selon le rapport de la Commission de l’ONU qui désigna les crimes de l’État islamique contre les Yazidis comme un génocide. «Les premières douze heures étaient un crescendo de terreur. La sélection des filles se
Femmes prisonnières de guerre à l’appel dans un camp japonais de la Deuxième Guerre mondiale
faisait sur fond de hurlements de frayeur, leurs mères et les autres femmes essayant de les retenir, pour empêcher les combattants de les brutaliser. Les femmes et les filles yazidies commencèrent à s’ensanglanter et à se défigurer avec leurs ongles, dans l’espoir de se rendre moins attrayantes aux acheteurs potentiels.»
Au début, on transportait les femmes et les filles vers des lieux prédéterminés en Iraq où elles étaient distribuées aux combattants de Daesh qui avaient pris part à l’assaut sur Sinjar. Pour ne pas être enchaînées, battues, violées et passées d’un homme à l’autre comme des bêtes, quelques-unes des filles se sont donné la mort en se tranchant la gorge ou les poignets, en se pendant ou en se jetant du haut d’immeubles.