Frères Bien
N° 26
Aimés
21 avril 2005 _________________________________________________________________________
Thème de la réunion: « La mixité »
Les Constitutions d'Anderson (1717) précisent: "Les personnes admises comme membres d'une Loge doivent être des hommes de
biens et loyaux, nés libres et d'âge mûr et circonspects, ni serfs, ni femmes, ni hommes sans moralité ou conduite scandaleuse mais de bonne réputation".
La Maçonnerie spéculative, née en Angleterre, fut dès sa naissance réservée aux hommes, à l’instar des clubs strictement interdits à la gent féminine. Comment parler de mixité sans évoquer les débuts de la Maçonnerie féminine. Nous essaierons de mêler en ce numéro planches et éléments de discussion, informations recueillies par quelques Sœurs et Frères.
La mixité en Franc-maçonnerie La Grande Loge de France, puis le Grand Orient de France furent sûrement les deux premières obédiences importantes créées en France. Mais elles étaient et sont toujours exclusivement masculines, comme prescrit par les Constitutions d’Anderson. On sait qu’en France, nombre de Loges ont reçu des femmes bien avant que leur existence soit reconnue par le Grand Orient, le 10 juin 1774. En effet, diverses correspondances nous permettent de constater qu’il y avait des réceptions de femmes à Marseille (1740) et à Brioude (1747). Des archives de la Loge « La Française Elue Ecossaise » de Bordeaux attestent l’existence d’une Loge d’Adoption aux côtés de la Loge masculine. Des Loges strictement féminines se créent également, telle celle qui se constitue avant que la Loge masculine « La Candeur » se crée pour lui donner une régularité. Lorsque le Grand Orient prend conscience de ce phénomène, il tente d’y mettre de l’ordre (en 1774), et les Loges d’Adoption sont très souvent « souchées » sur des Loges masculines du même nom, ce qui ne signifie nullement que le souchage induise quelque soumission que ce soit. Bien au contraire et certains documents le confirment. Une résolution prise le 19 janvier 1776 dans la loge La Candeur dit en effet:
« Il a été arrêté qu'on n'admettrait désormais aucun frère ou profane sans le consentement unanime des soeurs qui seront préalablement consultées sur l'admission de tel ou tel profane ou affilié. » Ce sont toutefois les responsables de la Loge Masculine qui dirigent leurs travaux. Elles ne sont pas initiées. Sur le plan symbolique leurs travaux sont rythmés par le nombre cinq et non par le nombre trois, comme il est d'usage dans les autres rites.
« Comme il n'est pas de sexe pour les âmes, il n'en est pas non plus pour les vertus »,
peut dire une soeur lors de sa réception au grade de compagnonne, dans la loge d'adoption La Concorde, à Dijon en 1782. Entre 1770 et 1780, on dénombre plus de 60 Loges d’Adoption en province, une douzaine à Paris et quelques unes rattachées à des Loges militaires. Il y avait plus de 1000 Maçonnes en France avant la Révolution, surtout d’origine noble ou issues du milieu intellectuel. En 1780, Cagliostro fonde le Rite égyptien avec des loges dites "androgynes" sous les auspices de la déesse Isis..
Les loges féminines d'adoption survécurent après la Révolution française de 1789. Mais il semble qu’elles ne se développèrent pas durant le XIXe siècle. Aucune ne semble avoir été créée après 1864. En 1861, certains Frères de la Grande Loge de France et principalement de la Grande Loge Symbolique Ecossaise, trouvant choquant notre irrespect de l’Egalité et de la Fraternité dans nos Loges en n’y recevant pas de femmes, demandèrent par la voix de la Loge ‘’ Les Libres Penseurs du Pecq.’’ qui méritait bien son nom : le droit d’initier des femmes. Le 9janvier 1882, recevant le refus péremptoire de la Grande Loge Symbolique Ecossaise dont ils dépendent ‘’ Les Libres Penseurs du Pecq‘’ manifestent leur souhait de se détacher de leur obédience. Ce qu’ils font le 14 janvier sous l’impulsion du Sénateur et Conseiller général de Paris, Georges Martin, et ils initient une femme apôtre de l’émancipation féminine : Maria Deraismes. Maria était déjà connue, puisque c’est en son honneur que Gounod écrivit son « Ave Maria » Pendant trois ans, de 1890 à 1893, Georges Martin et elle conçoivent tous deux une structure Maçonnique Mixte ; la première à exister. La première obédience maçonnique à initier des femmes alors qu’elles n’avaient même pas le droit de vote dans le civil. Le 14 mars 1893, seize femmes furent initiées et le 4 avril 1894, l’Ordre Maçonnique « Le Droit Humain » est officiellement fondé. Enfin des femmes vont pouvoir parler et voter selon leur conscience propre. La Mixité en Franc-maçonnerie venait d’être créée. En dehors du fait qu’il initiait des femmes, cet Ordre gardait tous les principes d’un Ordre Maçonnique : institution initiatique, philosophique et philanthropique, se donnant pour mission d’œuvrer au progrès de l’humanité afin d’obtenir l’amélioration de la société et de ses membres par le perfectionnement moral et intellectuel et adogmatique, ce qui dans ces années là n’était pas toujours pour plaire.
« La Mixité proclame l’égalité de l’homme et de la femme, condition incontournable de l’évolution de toute société de progrès et gage d’équilibre et de développement harmonieux pour les générations futures ».
En 1893 alors que bien des femmes étaient les esclaves de l’industrie naissante, soumises corps et âme à leur mari, passant de la tutelle du père à celle du mari, il fallait oser écrire et publier de tels textes, qui plus est dans une Franc-maçonnerie misogyne au plus haut niveau.
Enfin des femmes allaient être libres de penser et d’agir en dehors de toutes contraintes et consignes masculines.
« A l'abri du monde profane, frères et soeurs expérimentent et construisent un nouveau type de relations, fondé sur l'égalité et l'amitié. Ils travaillent ensemble à la régénération de la nature humaine. La maçonnerie tout entière est invitée à bâtir des temples à la Vertu. Toutes et tous, s'appliquent à devenir meilleurs pour rendre le monde meilleur. Les rituels des loges d'adoption sont de nature à susciter la réflexion des soeurs sur leur situation particulière, leur évolution, leur rôle en tant que femmes. Les outils, les symboles, les récits mythiques, les références à l'hermétisme, à l'alchimie, à la tradition hébraïque leur offrent un ensemble symbolique très riche qui doit et qui va leur permettre, au fil du temps, d'en faire un outil d'émancipation et d'accomplissement. » Cet amour de la véritable Liberté a incité les dictatures, quelles qu’elles soient à travers le monde, à persécuter les chercheurs de Lumière à travers les âges. Et l’on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec les persécutions de tous les sages, apparues un peu partout sur la surface du globe à différentes époques. En 1901, La Grande Loge de France relance les Loges d'Adoption, mais lorsque les femmes obtiennent enfin le droit de vote en 1945, elle leur donne leur autonomie. C'est ainsi que se crée l'union Maçonnique féminine de France, qui changea son nom en 1952 et devient « Grande Loge féminine de France. » XXX Pour le Franc-maçon, les hommes et les femmes sont égaux, quelle que soit leur origine. La Fraternité lui rappelle que la Franc-maçonnerie est un mouvement de solidarité entre les êtres humains et que l’Amour est la plus grande des vertus. C’est bien de le dire, mais il faudrait l’appliquer, et nombre d’obédiences misogynes refusent encore d’initier des femmes, voire même de les recevoir en Loge masculine. Il faut pourtant de tout pour faire un Monde et comme diraient certains de mes FF.’. …même des femmes. Socrate disait dans l’une des phrases qui lui coûtèrent la vie ‘’ Connais-toi toi-même
et tu connaîtras l’univers et les Dieux. ‘’
Copernic quant à lui, dit en sortant du tribunal ecclésiastique où il venait de sauver sa vie : « Et pourtant, elle tourne ». La Franc-maçonnerie Mixte aussi tourne, et peut-être même plus facilement que d’autres ; puisqu’elle possède les deux pôles de la vie de l’humanité : l’animus et l’anima. Même si chacun d’entre nous en possède une part, dans les Loges Mixtes ces deux pôles s’expriment pleinement. Les femmes savent l'importance de la Loi Primordiale de Polarité, cette dualité du monde que tous les maçons connaissent bien. Alors, la bipolarité, en francmaçonnerie, elles vont l'imposer peu à peu, ne pouvant pas oublier que deux pôles régissent le monde, et cette conviction restant fermement ancrée dans leur coeur.
C’est en cela que la Franc-maçonnerie Mixte est ouverte à tous ceux qui le sont, à toutes formes de pensées et d’idées. Ecole de l’éveil au sein de laquelle on vient s’élever intellectuellement et spirituellement dans une vraie communauté complète et entière, fraternellement construite de SS.’. et de FF.’. J’ai dit V.’. M.’. J.F.L
Mixité ? Il est un rituel secret, dans la Franc-maçonnerie Egyptienne, où apparaît une femme qui n’est pas d’essence divine. Elle est venue de loin pour contempler le Temple que le Roi Salomon a fait construire à Jérusalem, et pour ouïr la sagesse reconnue universellement de ce dernier. Le Roi Salomon l’accompagne dans sa visite et celui-ci, apercevant à l’entrée d’un parvis Adoniram qui se tient modestement à l’écart, lui fait signe de s’approcher afin de le présenter à sa visiteuse.
Après quelques hésitations, Adoniram s’approche et va se prosterner, lorsque le Roi Salomon « prévenant son intention » l’en empêche, le prend par la main et lui dit de se « lever », le hissant par ce geste à son propre rang et à celui de son invitée qui n’est autre que la Reine de Saba.
Il y a derrière cette anecdote un certain nombre de questions qu’il y aurait lieu d’approfondir et auxquelles nous allons tenter de répondre : Que représentent les trois personnages ? Quelle signification donner aux gestes des uns et des autres ? Quel message les concepteurs des rituels ont-ils voulu transmettre ? Tout d’abord, il faut noter que cette Reine de Saba est évoquée dans quelques rituels maçonniques. 1) dans le rituel du degré de Most Excellent Master, qui est un degré cryptique des juridictions américaines.
2) dans le degré de Queen of the South, qui est conféré à toute sœur active de l’Eastern Star qui en est jugée digne. 3) Dans un Ancient Rituel (cité par le Dr W.W.Wescott) qui serait vraisemblablement d’origine irlandaise ou écossaise. 4) Dans quelques rituels d’installation de maître installé qui sont (encore) secrets et qui font partie des plus beaux textes que la Franc-maçonnerie nous ait légués. Le texte le plus ancien qui nous en ait révélé la présence est certainement le Livre des Rois de l’Ancien Testament, qui relate le voyage qu’elle fit à Jérusalem, pour rencontrer le Roi Salomon et « l’éprouver par des énigmes ». Il n’est point question là d’Adoniram, l’Architecte du Temple. Dans le Nouveau Testament, le Christ l’évoque sous le nom de la « Reine du Midi ». Mathieu et Luc rapportent ses paroles :
« La Reine du Midi se lèvera, au jour du jugement, avec les hommes de cette génération et les condamnera, parce qu’elle vint des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et voici, il y a ici plus que Salomon. »
Le Koran va plus loin dans son évocation, car il nous en révèle la nature spirituelle : Koran 27 - 24 :
Je l’ai trouvée, elle et son peuple, se prosternant devant le soleil plutôt qu’à Dieu. Le Diable leur a embelli leurs actes et, les ayant repoussés loin de la voie, ils ne trouvent plus la bonne direction.
Koran 27 - 25 :
Qu’ont-ils donc à ne pas se prosterner à Dieu, qui sort ce qui est enfoui dans les cieux et en terre et qui sait ce que vous cachez et ce que vous laissez voir ?
Se dessinent alors deux personnages antinomiques, deux personnages royaux, de rang égal certes, mais pas de puissance ou de richesse. La Bible dit qu’elle apporte au Roi Salomon 120 talents d’or, des aromates, des pierres précieuses, du bois de santal. Elle dit aussi que « Le roi Salomon donna à la reine de Saba tout ce qu’elle désira, ce
qu’elle demanda, plus qu’elle n’avait apporté au roi. Puis, elle s’en retourna et alla dans son pays, elle et ses serviteurs. »
Pour Ibn Arabi, le Soufi, la reine de Saba est, dans le Koran, la seule femme qui a un accès direct à l’inspiration spirituelle, à l’intuition de Dieu. Par là même elle a, en quelque sorte, le même statut que le roi Salomon.
Elle est pourtant Balqis, la magicienne, la yéménite selon le Koran, l’Ethiopienne selon une légende du XIVème siècle, le Kebra Nagast (La Gloire des Rois), rédigée par un moine orthodoxe éthiopien. En elle la beauté noire face à la blancheur rayonnante de Salomon. En elle l’incarnation de ceux qui se sont détournés du chemin, face à celui qui est un exemple universel de sagesse et de projection de Dieu.
« Je suis noire mais belle » (Cantique des cantiques)
Elle est la Matière Première qui donnera naissance à l’Enfant Roi. La lecture de ce « Kebra Nagast » est édifiante et mérite d’être exposée. En ce temps là, il y avait un peuple qui adorait un serpent, auquel chaque année on sacrifiait à tour de rôle l’une des filles premières nées des familles. Un jour vient le tour de Makeda, qui est attachée à un arbre. Le serpent s’approche d’elle pour la dévorer mais son père le tue ( dans une autre version, ce sont trois saints qui tuent le serpent). Une goutte de sang du monstre tombe sur le talon de Makeda, et ce talon se transforme en talon d’âne.
Les villageois font alors de Makeda leur reine. Celle-ci entend parler de Salomon et décide de lui rendre visite.
C’est Salomon qui parle :
…Mais je suis le serviteur de mon Dieu et je ne suis pas un homme libre, je ne [le] sers pas par ma [propre] volonté mais par la sienne. Cette parole n'est pas de moi, c'est lui qui me la fait dire et je ferai ce qu'il m'a ordonné; j'irai là où il me l'indiquera, je dirai ce qu'il m'a enseigné, et je comprends ce en quoi il me rend sage car je suis de poussière, il m'a créé de chair et d'eau, je suis un humain et il m'a rendu solide, comme une petite goutte, comme la salive qui est crachée par terre et qui sèche sur terre. Il m'a fait à son image et il m'a créé à son apparence ". Et pendant qu'il racontait ceci à la reine il vit un ouvrier qui portait une pierre sur sa tête, une gourde d'eau à ses épaules, ses provisions et ses chaussures à son bras et en plus du bois dans ses mains. Ses habits étaient vieux et déchirés, la sueur coulait de son front et l'eau de la gourde gouttait sur son pied. Il passait devant lui. Et quand il vint il lui dit: " Attends! " et il attendit. Il se tourna vers la reine et lui dit: " Regarde ceci, en quoi suis-je plus grand? En quoi ai-je plus de mérite par rapport à celui-ci? Car je suis humain et demain je serai cendre, ver et pourriture et maintenant je peux paraître immortel à jamais. Qui critiquerait Egziabeher s'il lui avait donné ce qu'il m'a donné et s'il m'avait fait ouvrier comme lui? …. que sa mort soit ma mort et que sa vie soit ma vie et que celui-ci soit plus fort que moi au travail… Car Il a donné la force aux faibles, Il l'a lui-même voulu ". Et lui dit: " Retourne à ton travail ". Et il dit encore à la reine: " Quel est notre bénéfice pour l'être humain si nous ne pratiquons pas la repentance et le pardon sur la terre? Ne sommes nous pas tous vanité, [comme] l'herbe du champ qui sèche en son temps et brûle au feu? Nous nous rassasions de nourriture sur terre, de douceur et d'habits somptueux. Lorsque nous vivons nous sommes malades, nous nous mettons de bonnes senteurs et des parfums. Quand nous vivons, nous mourons par les péchés et les offenses, quand nous sommes sages, nous sommes insensés en n'écoutant pas et en enfreignant la loi, lorsque nous sommes honorés, nous sommes méprisés à cause de la sorcellerie et l'adoration des idoles.
Un homme honorable qui est créé à l'image d'Egziabeher et qui a fait du bien sera comme Egziabeher. Un homme de vanité faisant le mal sera considéré comme un diable orgueilleux qui désobéit au commandement de son créateur! Tous les hommes orgueilleux iront sur son chemin et seront jugés avec lui. Egziabeher aime les humbles. Ceux qui pratiquent l'humilité iront sur son chemin et se réjouiront dans son royaume. Heureux celui qui connaît la sagesse, c'est-à-dire la repentance et la crainte d'Egziabeher ". Et quand la reine entendit ceci, elle dit: " Combien ta parole me plaît! Comme ton oeuvre m'attire ainsi que l'ouverture de ta bouche! »
Lorsque Nerval relate l’histoire de la rencontre entre le prophète Salomon et Balqis, la reine du Yemen, il prend quelque distance avec la tradition hébraïque et le Koran. Il introduit un personnage biblique, Adoniram, qu’il va doter, au-delà de ses compétences remarquables d’architecte et de fondeur, de sentiments qui vont interférer avec ceux que se portent le Roi Salomon et la Reine Balqis. Il y a d’une part Salomon, qui symbolise la religion abrahamique, monothéiste et patriarcale, d’autre part Balqis qui symbolise une alliance de magie, de polithéisme et de matriarcat. Il y a enfin Adoniram, de la race des forgerons caïnites, qui va faire appel à son ancêtre Tubal-Caïn pour accomplir son grand Œuvre, la Mer de Fonte.
Trois personnages qui vont s’affronter, s’aimer, s’attirer, se repousser en une sorte de recherche d’équilibre métastable, jusqu’à ce qu’Adoniram découvre l’amour en la personne de Balqis et lui dise : « Balqis, esprit de lumière, ma sœur, mon épouse, enfin, je vous ai trouvée ». En fait, Balqis est le « personnage total » dont parle avec beaucoup de respect Ibn Arabi, dont il disait qu’elle était issue de la liaison entre le Savoir et la Sagesse. Elle est une sorte de projection de Salomon au féminin et peut être comparée comme l’équivalent de la Sophia grecque dans le monde arabe.
On ne saurait aller plus loin sans parler de l’alchimiste Michel Maïer (1568-1622) qui rapporta dans sa « Septimana philosophica » une conversation entre Salomon, la reine de Saba et Hiram, roi de Tyr. Mais ce n’est pas là notre Adoniram. En alchimie, les allégories du Roi et de la Reine se rapportent au Soufre et au Mercure. Selon Dom Pernety, le roi représente le soufre des sages, ou or philosophique, parfois celui de la matière qui doit entrer d’abord dans la confection du mercure pour en surmonter la froideur et la volatilité, et pour le fixer. Quant à la reine, c’est l’eau mercurielle des philosophes, ou argent vif. Le roi, le soufre, doit être marié avec cette eau mercurielle, la reine. Le soufre désigne la forme, principe masculin, fixe. Le mercure désigne la matière, principe féminin, volatil. Tous deux sont père et mère des sept métaux, dont les deux métaux parfaits que sont l’or et l’argent symbolisés par le soleil et la lune.
Esprit et âme qui par conjonction, vont générer le corps. XXX Sur le plan des gestes relatifs aux uns et aux autres, on est frappé par l’importance que prennent ces mouvements. Il y a tout d’abord le long chemin qui mène la reine de Saba de son Yemen natal à Jérusalem. Selon la Bible pour contempler le Temple et ouïr la sagesse de Salomon. Selon le Koran parce que Salomon la pressait de venir à lui « en toute soumission », sous-entendu de renier ses dieux pour se soumettre au sien, le Dieu Unique. Nulle peur, un simple désir de connaître, une attirance vers l’inconnu, mais aussi une volonté sans faille d’y aller, de s’y préparer, de prévoir ce qui pourrait agréer à l’autre. « Anima », elle recherche son « animus ». Il y a la longue marche vers l’âme-sœur complémentaire. Il y a la visite du Temple, transmise jusqu’à nous sous forme de « balade », où tous les symboles de la Salle de rituélie maçonnique sont présentés à l’Apprenti. Les derniers instants de cette balade sont consacrés au regard vers le plafond, pour contempler le Soleil et la Lune, qui figurent au sein de la voûte étoilée, à la corde aux 7 nœuds, signe de reliance, ainsi qu’au tableau du 1er degré, signe d’unité de la diversité.
Puis il y a celui qui transmet, celui qui prend par la main et guide les pas de celui qui recherche le Savoir. Lorsque Balqis relève le pan de sa robe pour ne pas la mouiller et qu’elle s’aperçoit que le dallage qui reflète le ciel n’est point couvert d’eau mais qu’il est fait de cristal, son esprit s’ouvre au-delà du savoir et elle prend conscience que ce qu’elle voit sur terre n’est que le reflet de ce qui se passe au ciel. Il n’y a transmission que si le récepteur est capable de percevoir au-delà de ses sens, mais le transmetteur ne peut transmettre que ce qu’il a lui-même reçu. L’esprit-soufre est passif, seule l’âme-mercure est active mais ni l’un ni l’autre ne peuvent créer l’un sans l’autre.
« Ô Luna, par mon étreinte, ô ma bien aimée, tu deviens aussi belle, forte et puissante que moi. Ô Sol, tu es plus brillant que la plus brillante des lumières, et cependant tu as besoin de moi, comme le coq a besoin de la poule. » D’après le Rosarium (Rosaire des philosophes)
Mais la sagesse de Salomon va se manifester par un geste. Il fait signe à Adoniram de se rapprocher. Il refuse que ce dernier plie le genou devant lui, le prend par la main, et lui dit de se lever. Non pas de se relever, mais de se lever. De se lever comme les semis se lèvent, de se lever comme la brise se lève, de se lever comme la pâte de pain se lève. Il ne s’agit pas simplement de venir par attirance, par confiance, il faut venir avec le désir de se transformer, la volonté de laisser derrière soi quelques acquis de confort pour s’engager sur un chemin incertain mais au bout duquel on sait que l’on trouvera la lumière. Marcher vers l’aube. Salomon hisse Adoniram à son niveau. Il ne s’abaisse pas jusqu’à lui. Adoniram est à l’égal du roi et de la reine. Il a le Savoir. Il peut accéder maintenant à la Connaissance.
« L’homme naturel n’est pas un Soi : c’est une masse de particules, un être collectif, au point qu’il n’est même pas sûr de son Moi. C’est pourquoi il a besoin depuis des temps immémoriaux des mystères de l’évolution qui le transforment en quelque chose et l’arrachent ainsi à la psyché collective, semblable à celle de l’animal et n’étant qu’un simple agglomérat. » C.G. Jung (Psychologie et Alchimie) Il faut que cet homme entreprenne une véritable démarche introspective « d’individuation » pour parvenir au centre de lui-même, au véritable Soi. A la recherche de l’équilibre de ses deux natures (animus/anima) il atteindra d’abord le stade de l’androgynat alchimique, puis ayant brisé le masque de la « persona »,
étant parvenu à atteindre son Moi authentique, il ira jusqu’à l’obtention de sa Pierre Philosophale qui, en le transmutant pourra lui permettre de s’identifier au Soi divin. Sel de la Terre, il doit participer par son Œuvre à la co-création du Monde. XXX Quels messages les concepteurs de ces rituels ont-ils voulu laisser à leurs successeurs ? Au-delà des sentences de morale permettant d’exercer le pouvoir dans un souci de justice, de persévérance et de transmission, il y a une graine d’évidence, bien enfouie dans le sol, encore au cœur de l’homme, mais qu’il faut faire germer, lever, tout comme Adoniram fit monter les murs du Temple. Cette graine de sénevé porte en elle la double nature qui la relie tant à la lune qu’au soleil. Elle mûrit lentement au plus profond de l’homme, perce timidement le sol, comme attirée par une lumière qu’elle ne voit pas encore , mais dont toute sa psyché collective lui dit qu’elle est la plus brillante, la plus chaude, la plus conviviale. Puis un air frais, un souffle chaud la font se balancer au gré du vent. L’illusion des sens la mène à prendre une direction, mais elle sait qu’elle porte en elle sagesse et savoir et qu’il lui suffit de se référer à ce qu’on lui a transmis pour grandir dans la justice et la vérité. Comment fermer les yeux sur la signification de ce soleil et de cette lune qui ornent les temples, même si par méconnaissance ils ont été extraits de la voûte étoilée dans la quasi-totalité des obédiences maçonniques ? Comment ne pas comprendre que l’animus de l’homme est à la recherche de l’image de sa propre anima dans son entourage féminin, qu’il en est symétriquement de même pour la femme et que sans cette rencontre, il ne peut y avoir de création viable, tant sur le plan intellectuel – lieu du partage – que sur celui du spirituel – lieu de l’identification au Soi-divin. Il ne s’agit plus ici d’amour pulsion, ni celui d’un homme pour une femme, ni celui d’une mère pour son enfant, mais d’un amour où fusionnent la sagesse, la beauté et la force. Sans sagesse, point de connaissance de la beauté du plan divin, de celui du Grand Architecte de l’Univers, et qui va nous donner la force de nous perfectionner, afin de mieux comprendre le sens de notre mission ici-bas et celui de notre devenir. Je n’ai pas parlé de mixité, tant ce mot a trop souvent été apposé à l’idée d’éléments différents, voire opposés, représentant des cultures incompatibles entre elles, des intérêts divergents. Je préfèrerais parler de fusion, de relation fusionnelle, de « fusionnalité » s’il fallait inventer un mot ….pour que l’idée se lève.
G.H. Dans une intervention, Elisabeth nous dit : « J’ai été frappée par le fait que toutes les images du Mutus Liber, qui sont relatives au Grand Œuvre, figurent un couple au travail, parfois des couples au travail, sauf la première gravure, qui représente un homme couché, et la dernière, qui figure un homme debout, hissé par le couple qui semble avoir terminé son travail ».
Nous laisserons la parole à l’alchimiste, Pierre Dujols qui écrivit dans son « Hypotypose » : « L’Homme endormi est le sujet de l’Œuvre. ..
On nous demandera, et non sans raison, quel verbe magique est capable d’arracher aux bras de Morphée notre Epiménide, qui semble vraiment sourd aux clameurs des buccins. Ce Verbe vient de Dieu, porté par les anges, les messagers de feu. C’est un souffle divin qui agit de manière invisible, mais certaine, et ce n’est pas une hyperbole. Sans le concours du ciel, le travail de l’homme est inutile. On ne greffe les arbres ni on ne sème le grain en toutes saisons, chaque chose a son temps… »
Quant à la dernière figure il ajoute : « On aura noté que la lune est figurée à droite de l’homme, le soleil à
gauche de la femme : cette apparente discordance symbolique nous rappelle en fait que l’accomplissement des noces chimiques, du mariage des deux natures hermétiques opposées suppose toujours une phase où les deux polarités s’inversent, l’époux devient passif et sa compagne active »
Jung donne une interprétation de la triple corde, que tient le couple et qui les relie à l’homme debout :
« La corde triple désigne tout d'abord le lien intime unissant la sapientia et son adepte... elle désigne aussi les trois parties du processus qui unit le corps, l'âme et l'esprit... de la substance de transformation en un accord impérissable... Ce composé est le résultat de l'opus, le filius philosophorum ou lapis, comparable en un sens au corpus mysticum de l'Eglise. » [Jung, Psychologie et alchimie, § 478] ……………………………………………..
« Ici vient s'ajouter une autre nuance : celle de transformation, de la transmutation
de l'être... À un niveau supérieur, ce processus est une élévation du corpus glorificationis, du subtle body, à l'état d'incorruptibilité. » [Jung, l'Âme et le Soi, À propos de la renaissance, §203, op. cit.] Il y a derrière cette idée de « corps de gloire », l’idée que la renaissance, correspond à un renouvellement - dans le sens d'un enrichissement - de la psyché où participent des facteurs de renforcement, d'amélioration ou de guérison. Cette renaissance, qui est la rénovation ou transformation intérieure a pour but l’individuation.
Pierre Dujols continue :
« …Mais si nous redevenons pur esprit, c’est donc que notre corps en renfermait l’essence sous sa forme grossière et, dans ces conditions on ne saurait refuser aux métaux les mêmes propriétés. L’esprit ou le feu est partout si froid en apparence, dans les métaux qu’on transforme en fulminates inflammables et détonants au moindre choc. Or, la transmutation est un phénomène qui fait passer l’espèce, du plan inférieur au plan supérieur, au moyen d’un agent spirituel, véritable semence nommée poudre de projection. Ce produit merveilleux s’obtient par la mort et la putréfaction réelle d’une substance métallique, laquelle, transfigurée, à la propriété de modifier à son tour les êtres de sa nature. Ceux-ci, sous son action, subissent de même une mort et une résurrection promptes, qui les élèvent à leur plus haut degré de dignité. Les Hermétistes comparent cette transformation à celle du blé. Le grain se corrompt dans la terre, assimile les éléments grossiers du sol et, par le travail d’une longue digestion, les mue en pur ferment dans le rapport de cent pour un. Cette digestion est plus ou moins activée par l’ambiance. Dans certains climats, la moisson a lieu trois mois après les semailles, et sous le tropique, la végétation a quelque chose de presque instantané. Il est donc tout à fait rationnel qu’un ferment doué d’une grande puissance et projeté dans les corps soumis à une température élevée, puisse les faire évoluer avec une rapidité qui tient du prodige. L’évolution est la loi de la vie : le minéral devient végétal et le végétal animal, par voie d’intrus susception; mais ce transit est subordonné à la médiation d’un agent extérieur, plante ou bétail. Si donc les métaux sont admis de la sorte à passer d’un règne dans l’autre, avec l’aide d’un élément approprié, il est plus logique encore qu’un certain or parfait et quintessencié, ramené à son état radical et spermatique, ait la vertu d’exalter et de convertir en lui-même ses homogènes. N’est-ce pas ainsi que le germe humain, en gestation, assume et transforme la substance des êtres d’une origine moins noble ? La nutrition est une métamorphose continue. De même que, dans les trois règnes, tout converge vers l’homme, dans les minéraux, tous aboutissent à l’or. Mais il n’en faut point déduire que la nature, à la longue, fasse de l’or avec du plomb. Elle a besoin, pour cet effet, du secours de l’art, c’est-à-dire du ferment magique qui en opère la transmutation… …
…Les métaux deviennent donc or comme, à certains égards, notre corps devient esprit par le travail de la fermentation posthume. La putréfaction, nauséabonde et hideuse, est pourtant la prestigieuse fée qui opère tous les miracles du monde. C’est une grossière erreur de croire que, chez l’homme, l’âme abandonne le corps avec le dernier souffle. Elle est elle-même entièrement chair, car la matière est une modalité de l’esprit à différents états sous la dépendance d’une étincelle majeure et plus subtile, qui est le Dieu de chaque organisme et si la Science nie la réalité de l’esprit parce qu’elle n’en a jamais trouvé trace, elle déshonore son nom. Un cadavre, rigide et glacé, n’est nullement mort au sens absolu. Une vie intense, mais inconsciente heureusement et sans réflexes sensibles, continue dans la tombe, et c’est de cet horrible et plus ou moins long combat - qui est le Purgatoire des Religions - que la matière, distillée, sublimée, transmuée et vaporisée par l’action du Soleil, s’élance dans le plan amorphe, qui a ses degrés depuis l’air jusqu’à la lumière élémentaire et de celle-ci au feu principe où tout finit par se résoudre et d’où tout émane à nouveau. Nous croyons avoir accompli notre tâche avec toute la probité requise, et fait luire quelques clartés nouvelles dans un domaine obscur. Au disciple, maintenant, de parachever l’Œuvre. Quant à ceux qui prétendent acquérir la Sagesse sans mérite et seulement de quelque obole vile et méprisable, nous leur disons, comme le saint Jérôme de la légende au riche et désœuvré Cratus: " La Philosophie ne vous est pas idoine ". Pour vous, fils de science, souvenez-vous du signe éloquent que vous adressent les figures terminales de la quatorzième planche, et de la glose qui clôt le Mutus Liber: Si vous avez compris, travaillez dans le silence et fermez quelque temps encore la bouche sur le Mystère." " Combien ta parole me plaît! Comme ton oeuvre m'attire ainsi que l'ouverture de ta bouche! »….. Quel est le but de l’Oeuvre ? demandait un autre Frère… C’est peut-être ce que certains Maçons ont perdu de vue, à vouloir trop appliquer quelques lettres au détriment de l’évolution de l’Esprit. Il ne s’agit point tant de proclamer des sentences, qui à force deviennent peu à peu des injonctions, des mots d’ordre se vidant de leur sens au profit de significations,
que de les prononcer ensemble, lettre après lettre, imbriquées les unes dans les autres comme peuvent l’être « animus et anima ». Car c’est de leur fusion que naît leur sens transmuté. C’est alors que les mots Justice, Vérité, et Amour acquièrent tout leur sens.
Et toujours sur le blog : http://coeurdeptah.free.fr La prochaine tenue se fera autour du thème de « l’Amour Fou » Et aura lieu le jeudi 19 mai en notre Temple