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5) Créer une valeur sociétale et la mesurer : le rôle des Objectifs de développement durable

Jillian Goltz, présidente du comité organisateur de la communauté locale des B Corps de l’Alberta, évoque implicitement l’importance que l’entreprise aspire à se situer dans le quadrant supérieur droit : « Je pense que chacun-e a un rôle à jouer. Je pense que c’est une chose pour l’entreprise de dire “nous voulons aligner notre profit sur notre finalité”, mais il faut aussi regarder la communauté dans laquelle elle évolue. Car en termes de finalité, si elle ne répond pas aux besoins de sa communauté, ce n’est pas vraiment pertinent. »

En outre, un certain nombre d’accélérateur(-trice)s sont d’avis qu’à l’avenir, lorsqu’il s’agira de déterminer la valeur qu’une entreprise cherche à offrir en dehors des profits, elle devra voir au-delà des parties intéressées et envisager d’offrir une valeur à l’ensemble de la société.

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Cette approche peut sembler rationnelle, mais des défis attendent inévitablement les chef-fes d’entreprise tentant de s’éloigner des pressions quotidiennes et à court terme de la maximisation des profits en vue du prochain rapport trimestriel de leur entreprise, en cherchant à investir plus de temps, d’efforts et de ressources dans l’amélioration du bien-être de leurs parties intéressées.

Figure 10 : Continuum de la valeur partagée et de la finalité

5) Créer une valeur sociétale et la mesurer : le rôle des Objectifs de développement durable

« Si elle ne peut pas créer de bénéfice sociétal, une entreprise n’a pas le droit d’exister. » Faisal Kazi, président et chef de la direction de Siemens Canada

Dès lors qu’un-e chef-fe d’entreprise accepte que, dans un avenir relativement proche, la finalité d’une entreprise aille au-delà de la réalisation de profits pour les actionnaires, propriétaires et/ou investisseur(-euse)s, et englobe la création de valeur et son partage avec la société, la question devient celle-ci : « Quel type de valeur une entreprise devrait-elle créer pour la société? ».

Quelques participant-es à l’enquête signalent une nuance fondamentale : une entreprise pourrait être axée sur un but utile précis et partager la valeur qu’elle crée, mais sans pour autant créer une valeur qui procure un bénéfice net à la société. Afin d’illustrer ce fait, Kasha Huk note qu’un important mouvement est en cours pour que les entreprises internalisent les externalités de la fabrication de leurs produits ou de la fourniture de leurs services, alors que cela n’avait jamais été envisagé auparavant.

Quelques participant-es à l’enquête préviennent que les entreprises feraient mieux de commencer à « préparer l’avenir », car si ce mouvement prenait de l’ampleur, leurs modèles d’affaires pourraient être complètement dépassés. Certain-es participant-es, comme Tamara Vrooman, expliquent qu’un grand nombre d’entreprises ne seraient pas aussi rentables qu’elles le sont aujourd’hui si elles devaient payer la totalité du coût réel de la création de produits et de services, le coût des externalités étant actuellement couvert par le gouvernement et, en fin de compte, par le grand public.

Plusieurs participant-es à l’enquête expriment toutefois leur incertitude quant à la meilleure façon de déterminer ce qui a de la « valeur » pour la société. Un certain nombre de chef-fes d’entreprise font valoir que l’évaluation d’une « valeur » jugée positive pour la société est un exercice subjectif et qu’il est difficile pour les entreprises de remplir une mission qui n’est pas clairement définie.

Tout en reconnaissant que cela n’est pas nécessairement facile, une grande partie des accélérateur(-trice)s croient qu’il est possible de déterminer objectivement ce qui a de la « valeur » pour la société, en utilisant les Objectifs de développement durable des Nations Unies (ci-après, « ODD »).

Une bonne portion des participant-es à l’enquête font remarquer que, puisque les ODD reflètent un consensus international concernant les besoins mondiaux, il serait logique qu’ils servent à déterminer le type de valeur que les entreprises devraient créer pour la société.

Marc-André Blanchard, ancien ambassadeur et représentant permanent du Canada aux Nations Unies à New York, signale que les chef-fes d’entreprise devraient arrêter de chercher un meilleur guide et utiliser cet outil internationalement reconnu qui « existe déjà et englobe tout ». Un-e membre du groupe des accélérateur(-trice)s est du même avis : « Ce sont les bons objectifs et l’[ONU] en a établi un ensemble complet, qui n’est pas seulement pour les gouvernements, mais aussi pour les entreprises. » Mary Ellen Schaafsma ajoute : « C’est un excellent cadre pour orienter tous les efforts dans la même direction. » Un-e chef-fe d’entreprise interviewé-e renchérit : « C’est un ensemble d’objectifs extrêmement utile qui permet à chacun-e de s’orienter de manière efficace. »

Cependant, le degré de connaissance des ODD semble faible parmi la communauté des affaires au Canada. Chris Ragan estime qu’un très petit nombre de personnes du milieu des affaires se préoccupe des ODD : « Si 10 % des entreprises canadiennes comprenaient ce que sont les ODD, je serais épaté. » Marc-André Blanchard admet que le degré de sensibilisation aux ODD est peu élevé au sein de la communauté canadienne des affaires.

La majorité des participant-es à l’enquête pensent que la sensibilisation aux ODD est limitée, dans la communauté canadienne des affaires : 55 % croient qu’elle est faible ou nulle, contre seulement 8 % qui la croient forte; 32 % estiment par ailleurs qu’elle est forte dans certaines entreprises spécifiques, mais faible pour la plupart des autres. Le pourcentage des chef-fes d’entreprise qui croient que la sensibilisation du milieu des affaires est faible ou nulle s’élève à 61 %.

Figure 11 : Répartition du degré estimé de sensibilisation du milieu canadien des affaires aux ODD de l’ONU, selon les participant-es à l’enquête

Figure 12 : Répartition du degré estimé de sensibilisation du milieu canadien des affaires aux ODD de l’ONU, selon les chef-fes d’entreprise et les accélérateur(-trice)s

Un tiers des participant-es à l’enquête – soit 23 % des chef-fes d’entreprise et 43 % des accélérateur(-trice)s – estiment que certain-es chef-fes d’entreprise canadien-nes sont très sensibilisé-es, mais que la plupart des autres le sont peu. Ce portrait « mitigé » s’explique probablement par le fait qu’un certain nombre de participant-es à l’enquête sont d’avis que, dans l’ensemble, la sensibilisation est faible, mais qu’un petit nombre d’entreprises sont plus sensibilisées aux ODD par nécessité. Cette nécessité vient selon eux/elles du fait que certaines entreprises doivent s’engager dans les ODD en raison des industries et/ou des marchés où elles évoluent. Un-e chef-fe d’entreprise indique par exemple que les ODD sont une considération centrale dans l’industrie des ressources, et que les entreprises canadiennes doivent s’engager à l’égard de ceux-ci lorsqu’elles cherchent à développer des projets de ressources naturelles dans le monde.

Par ailleurs, certain-es participant-es signalent que les entreprises dont les activités et les marchés internationaux sont importants et diversifiés sont davantage sensibilisées, car elles doivent transiger dans des régions qui sont plus engagées à l’égard des ODD. Mark Little explique : « Lorsque nous travaillons avec la communauté mondiale des affaires, nous remarquons une attention beaucoup plus marquée aux ODD de l’ONU. »

Des participant-es à l’enquête considèrent également que le niveau de connaissance des ODD est plus faible aux États-Unis. Ils et elles affirment que cette faible sensibilisation conduit des entreprises canadiennes dont les États-Unis sont le principal marché international (et parfois le seul) à ne pas s’engager autant dans les ODD que d’autres entreprises qui ont des marchés internationaux considérables dans d’autres régions.

Devrait-il y avoir plus d’ODD?

Certain-es accélérateur(-trice)s souhaitent l’ajout de trois ODD : le vieillissement, les populations autochtones et le sentiment d’appartenance.

Un-e chef-fe d’entreprise interviewé-e estime que l’engagement du milieu canadien des affaires à l’égard des ODD est supérieur à celui observé aux États-Unis, mais inférieur à la situation dans l’Union européenne.

Lisa Kimmel signale que, même si certain-es membres du milieu canadien des affaires connaissent les ODD, il est légitime de se demander s’ils/elles placent réellement les objectifs des Nations Unies au cœur de leurs décisions et activités d’entreprise : « Les multinationales qui ont des filiales canadiennes sont peut-être signataires de ces principes, mais les mettent-elles vraiment en pratique et les utilisent-elles comme guide d’orientation? ».

En effet, soulignons qu’une part importante des participant-es à l’enquête note que plusieurs entreprises canadiennes démontrent un intérêt pour l’avancement des ODD en les citant dans leurs rapports de RSE ou dans leurs rapports annuels. Certain-es participant-es comme Allyson Hewitt et Judy Cotte croient que cela est dû en partie au fait que les entreprises relient par une logique à rebours les résultats souhaités et les ODD correspondants. Autrement dit, au lieu de s’efforcer de contribuer à un ODD spécifique, elles mettent en valeur leurs domaines de travail existants et les associent après-coup à des ODD pertinents.

Vic Huard va encore plus loin, en soutenant que pratiquement aucun-e chef-fe d’entreprise canadien-ne ne peut affirmer que les ODD lui servent réellement de cadre d’orientation.

Denis Carignan, président de la Professional Aboriginal Testing Organization, résume bien l’impression des participant-es concernant l’utilisation des ODD par le milieu canadien des affaires : « Je pense qu’il y a des éléments connus, en particulier au sein des grandes entreprises, mais le degré de sensibilisation dépend vraiment de ce que vous faites et des gens à qui vous parlez. Je crois qu’aucune entreprise n’a intégré tout cela dans sa philosophie commerciale. »

Cela dit, la plupart des participant-es à l’enquête, y compris ceux/celles qui trouvent que les chef-fes d’entreprise canadien-nes sont peu sensibilisé-es aux ODD, estiment que ce cadre de l’ONU pourrait jouer un plus grand rôle dans le milieu canadien des affaires à l’avenir. Selon Michael McKnight, « la reconnaissance est plus grande au palier international que local, mais le sujet prend de l’ampleur et gagne en importance au Canada ».

Certain-es participant-es suggèrent que l’engagement rehaussé du milieu des affaires canadien envers les ODD aurait de nombreux avantages. Kate White, présidente et directrice générale de l’Association canadienne pour les Nations Unies, soutient que les ODD représentent une opportunité économique pour le Canada. Soulignant au passage que le plan quinquennal de la Chine est basé sur les ODD, Marc-André Blanchard estime que le cadre des Nations Unies est une occasion pour le Canada d’exercer une plus grande influence sur la scène mondiale, car plusieurs pays auront besoin d’aide pour réaliser les 17 ODD actuels.

Certain-es participant-es à l’enquête observent que les millénariaux et la génération Z sont plus conscient-es des ODD. Le très honorable David Johnston affirme : « Je pense que les ODD sont impressionnants et qu’ils constituent de bons éléments normatifs. Ils ne sont peut-être pas très bien connus du milieu des affaires au Canada, mais laissez-moi vous dire qui les connaît : les jeunes. »

Puisque les jeunes générations trouveront de plus en plus leur voix en tant qu’employé-es, client-es et groupes d’investisseur(-euse)s, il est possible d’afficher un optimisme prudent quant à l’engagement futur du Canada à l’égard des ODD.

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