Skippers 90 fr

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skippers

Cover Story

Glisser sans modération en Gunboat 72

La folle

Jacques Vabre de TeamWork

Croisières: évasions dans le Pacifique Sud et sur le Léman Alinghi Red Bull Racing: tout sur les régates préliminaires

Mini Transat: un Suisse aux avant-postes

Le meilleur est à venir

Alinghi Red Bull Racing nous a fait rêver, Justine Mettraux nous a fait vibrer et Swiss Sailing Team nous a rendus fiers. 2023 était une grande année pour la voile suisse qui s’est illustrée à bien des égards. Ce dernier numéro en est un ultime reflet. Realteam, avec le Ruban Bleu et sa victoire sur le TF35 Trophy, signe une saison remarquable. Felix Oberle entre, quant à lui, dans le cercle restreint des Suisses ayant bouclé une Mini Transat dans le Top 5. Que ce soit en Star ou en ILCA 6 U21, des couronnes de vice-champion du monde ont à nouveau été distribuées depuis la razzia de l’été dernier.

Si l’actualité de 2023 vous a tenus en haleine, 2024 devrait vous couper le sou e. Nous commencerons début janvier avec l’Arkea Ultim Challenge Brest, la «Course du siècle» qui verra 6 solitaires téméraires s’élancer pour un tour du monde sans escale. Au printemps, rendez-vous du côté de Corfou pour la Skippers Cup. L’été sera placé sous le signe de l’olympisme, avant de braquer nos regards sur Barcelone et la 37e America’s Cup. Enfin, nous conclurons l’année avec le départ du Vendée Globe, et, si tout va bien, trois Suisses recevront tous nos encouragements: Oliver Heer, Alan Roura et Justine Mettraux… rien que ça!

Comme toujours, le sport est à alterner avec la détente. Dévorez nos croisières, dans ce numéro nous vous emmenons loin, aux Tuamotu, et plus près de chez nous, avec une belle navigation sur le Léman. Continuez à découvrir nos coups de cœurs nautiques, comme ici le Gunboat 72, notre star en couverture. En mer ou au coin du feu, avec un Skippers à la main, on est toujours bien!

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Tuamotu, atoll

de Rangiroa

Le grand calme au beau milieu du Paci que

Cerné par la grande houle du plus grand des océans, l’atoll de Rangiroa accueille en sa barrière corallienne un immense lagon aux folles dimensions. Une véritable mer intérieure aux eaux sages y prend ses aises, promesse d’une virée vagabonde.

Photos ) Bertrand Duquenne À PEINE LA PIOCHE JETÉE, DES ENVIES D'EXPLORATION TITILLENT SANS COUP FÉRIR L'APPÉTIT DE L'ÉQUIPAGE.

Mer d’huile sous un soleil intraitable. Hormis de lourds cumulus intertropicaux se suivant au loin en farandoles, rien à l’horizon, pas une terre, pas un voile. Notre catamaran Dream Rangiroa a beau être géographiquement en plein Pacifique, aucune houle longue ne vient chahuter ses deux coques. Étonnante sensation, impression de croiser sur un lac.

Nous naviguons dans un havre démesuré. 43 milles de longueur, 17 milles de largeur, une mer intérieure de 79 kilomètres carrés qui pourrait accueillir l’intégralité de la grande île de Tahiti, Rangiroa a su prendre des aises hors normes, de quoi en faire le deuxième plus grand lagon de la planète derrière celui de Kwajalein dans les îles Marshall. À notre aise, nous le sommes également pour arpenter cette vaste étendue apaisée, puisque nous disposons d’un Lagoon 62 ultraconfortable habituellement géré en location à la cabine. Bertrand, fidèle compagnon de voyage, et moimême avons la chance de partager le bord avec une jolie bande de passionnés, tous épris de «leur» Polynésie.

Et à perte de vue, l’élément liquide

L’évocation des Tuamotu, de Rangiroa en particulier, a beau tinter aux oreilles d’un bon nombre de plaisanciers du monde entier mais aussi de plongeurs pour le célèbre tombant de Tiputa, nous sommes seuls sur l’eau. Nous avons bien aperçu une poignée de voiliers au mouillage lors de notre appareillage, mais depuis rien, nous faisons route sur une mer hors du temps, hors de sa géographie océane.

Lorsque des hublots de l’avion de la compagnie intérieure, apparaissent sur les premiers contours de l’atoll, l’esprit est frappé par cette conjugaison de notions totalement opposées, immensité et exiguïté, force et fragilité. Un maigre cordon de terre ferme sans reliefs défile son bout d’humanité en dérive. Ici est le règne de l’élément liquide. Impossible d’embrasser du regard la totalité du lagon en dépit de l’altitude, de faire la distinction entre océan et eaux intérieures sans l’indice écumeux de la houle du large s’empalant sur le corail protecteur. Pour mesurer la prégnance marine de Rangiroa, ce n’est pas sur la circonférence de son anneau corallien – 200 kilomètres ! – qu’il faut se pencher, mais sur sa largeur – 300 modestes mètres seulement. En dépit des 240 motus recensés, la quasi-totalité des trois milles

PRIVILÈGE D'UN MOUILLAGE SOLITAIRE AU PIED DU LAGON BLEU ET DE SON CHAPELET DE MOTUS, ENCORE DÉSERTÉS PAR LES EXCURSIONNISTES EN CETTE DOUCE HEURE MATINALE.

de l’atoll Paumotu est regroupée uniquement sur deux motus voisins à hauteur des deux seules passes navigables, en un microcosme hauturier soudé.

Tout à sa navigation du haut du poste de barre supérieur, Moana, notre skipper du cru, en est un bel exemple. De premier abord taciturne, il a che une réserve propre à ces îliens du bout du monde habitués à leur autarcie et à la débrouille. Homme de mer dans les tripes, il sillonne en tous sens ce grand terrain de liberté depuis sa prime enfance. Un premier temps patron de vedettes d’excursion à la journée, il est depuis quatre ans le skipper attitré de l’imposant Dream Rangiroa. Cap au sud-ouest pour une première traversée de 22 milles, notre skipper quitte rarement la route des yeux, scrutant la surface avec attention à la recherche de nuances de bleu. Même si la navigation n’est techniquement pas compliquée dans le lagon, la présence aléatoire de très nombreux hauts-fonds non cartographiés de type patates de corail astreint à une veille consciencieuse. La mer est généralement très praticable, les alizés de nord-est à sud-est sou ent modérément toute l’année soulevant tout de même un clapot court. En revanche, lorsque se réveille le Mara’amu, ce coup de vent de secteur sud-est accompagné de fortes pluies, l’eau à courir est telle qu’il n’est pas rare de devoir a ronter des vagues de plus d’un mètre. Les alizés ont surtout un impact sur le confort, voire parfois la sécurité, de l’ensemble des mouillages dans la partie ouest de l’atoll, immanquablement expo-

DÉBONNAIRE REQUIN À POINTES NOIRES DANS UNE EAU LIMPIDE GORGÉE DE SOLEIL, INFAILLIBLE IMAGE D'ÉPINAL DES TUAMOTU.

sés. Il est ainsi rare de pouvoir passer la nuit à l’abord du petit bout de paradis le plus renommé de Rangiroa, le Lagon Bleu, dont la silhouette, tout en cocotiers, se matérialise bientôt au loin devant nos étraves.

«Désolé, c’est ça Rangi!»

Encerclée de motus reliés entre eux par de grandes plages d’un sable fin éblouissant, trône une lagune intérieure aux multiples couleurs marines rivalisant de peps, électrique, aiguemarine, turquoise, azurin… Tout au creux du Lagon Bleu, au milieu de nurseries de requins frénétiquement peureux, les seules navigations envisageables ne peuvent s’effectuer qu’en paddle ou kayak. Les pourtours se parcourent en de belles balades flâneuses menant pour les plus hardis jusqu’à des îlots isolés colonisés par de très vindicatives colonies de sternes et de fous. À quelques encablures, un tapis de massifs coralliens nous en met plein les masques, avant que de respectables pointes noires, simplement curieux, n’entament une ronde encerclante fascinante. De retour de nos robinsonnades, nos mines réjouies suscitent un désarmant retour laconique de Moana. «Désolé, c’est ça Rangi ! », lance-t-il froidement avant de rapidement partir dans un grand rire, heureux de son e et. Le marin se dévoile, malicieux, pince-sans-rire, l’acclimatation mutuelle semble s’opérer.

Tout simplement beau, épuré et esseulé, brûlant de soleil, le Lagon Bleu attire évidemment les bateaux d’excursions et leurs chargements de touristes. L’un des motus, équipé de carbets avec tables et barbecues, en est l’épicentre. C’est ici que se concentre le flux des visiteurs, à son abord que croisent raies manta, requins et bancs de poissons, clou d’un spectacle assuré grâce à un généreux appâtage. Si l’absence remarquée d’Éole, une rareté qui devrait s’étendre à toute notre croisière, nous prive de pouvoir tâter de la puissance du grand soixante-deux pieds, cette pétole nous o re en revanche le luxe de conserver notre position pour la nuit. Dès le milieu d’après-midi, alors que les vedettes repartent dare-dare plein nord en direction des hôtels et pensions, nous nous retrouvons délicieusement seuls. Un ciel aux rouges endiablés ponctue théâtralement cette féconde journée. Une nuit d’un noir d’encre nous plonge sans guère de transition dans une obscurité immobile à peine percée par de très fugaces cris d’oiseaux furtifs. Aucune stridence, aucune odeur de terres ne vient s’immiscer. Imprégnées de ce grand calme, arrivent les riches heures du dîner, celles de la légèreté de l’instant, du partage des souvenirs. Les témoignages et expériences de tous nos compagnons sont autant de trésors à engranger.

FIGÉS EN DES POSTURES ÉDIFIANTES, LES FÉODALISMES DE L'ÎLE AUX RÉCIFS, OUVRENT LEUR DÉDALE CHAOTIQUE AU HARDI PAGAYEUR.

La rude quiétude du Secteur

Au fil du chapelet de motus, qui, en procession, garnissent la ceinture corallienne en une géographie très identique, se démarque une portion de barrière baptisée «l’île aux Récifs» à 19 milles dans le sud-ouest du Lagon Bleu. Tout au fond d’une lagune, à la source d’un dédale de ruisseaux,

CHAQUE SOIR, UNE APOTHÉOSE CRÉPUSCULAIRE VIENT COURONNER LES PÉRÉGRINATIONS DE LA JOURNÉE.

SI À HAUTEUR D'HOMME LA PLACIDITÉ DES EAUX DE L'ATOLL DE RANGIROA SEMBLE ÉVIDENTE, UNE PRISE DE HAUTEUR PERMET D'APPORTER UN GROS BÉMOL!

s’érige, échoué, un amas aérien de fantomatiques coraux. Quel maléfice les aurait ainsi figés pour l’éternité en de telles postures torturées? Le génie maléfique des Tuamotu, Tangaroa?

La science se contente pour sa part de nous informer qu’il s’agit de féo, des coraux morts calcifiés à la suite d’un contact prolongé avec une eau riche en magnésium. Des mouvements tectoniques d’ampleur les ont dans un second temps tous soulevés hors de l’eau, avant que les embruns, la pluie et le vent n’entament leur extravagant travail érosif. Qu’il est jouissif de s’aventurer dans ce chaos empreint de mana, l’esprit maori ! Dans un cliquetis creux et métallique joué par des cavalcades de crabes, nous slalomons en paddle entre recoins et fausses routes parmi ces spectres aux arêtes tranchantes.

Nous sommes seuls à jouer les explorateurs en ce terrain de jeu fantastique, pas âme qui vive à l’horizon, en mer comme sur l’atoll. Toute la vaste partie sud de Rangiroa, surnommée le

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