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LES FILMS SÉLECTIONNÉS Collection dirigée par CAROLE AUROUET
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LA DOULEUR [ La Douleur, 2017 ] d’EMMANUEL
FINKIEL MAÏTÉ SNAUWAERT
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LA CARTE D’IDENTITÉ DU RÉALISATEUR
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Photo © Matthieu Raffard
Nom
Finkiel
Prénom Né le À
Emmanuel
30 octobre 1961
Boulogne-Billancourt (France)
Filmographie Mélanie (1996) Téléfilm diffusé en prime time sur France 2 Madame Jacques sur la Croisette (1997) Court métrage Voyages (1999) Long métrage de fiction Casting (2001) Film documentaire pour Arte En marge des jours (2007) Téléfilm France 2
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LA DOULEUR D’EMMANUEL FINKIEL
Nulle part terre promise (2009) Long métrage de fiction Je suis (2012) Long métrage documentaire Je ne suis pas un salaud (2016) Long métrage de fiction La Douleur (2017) récompenses Je ne suis pas un salaud Prix de la Mise en Scène • Prix du Meilleur Acteur au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2015 Nulle part terre promise Prix Jean Vigo 2008 En marge des jours FIPA d’Or du Meilleur Scénario 2007 Casting Mention Spéciale Prix Europa 2001 • Mention Spéciale Amascultura 2001 • Internationale Leipziger Festival Für Dokumentar Films 2001 Voyages César du Meilleur Premier Film et César du Meilleur Montage 2000 • Prix de la Jeunesse à la Quinzaine des réalisateurs 1999 • Prix Louis Delluc du Premier Film 1999 • Prix du Meilleur Film au Festival du Film de Jérusalem 1999 Madame Jacques sur la Croisette César du Meilleur Court Métrage 1997 • Prix du Public aux Festivals de Belfort, Nancy et Paris • Prix de la Fondation Beaumarchais au Festival de Brest 1995
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LA CARTE D’IDENTITÉ DU FILM
LA DOULEUR (La Douleur, 2017)
réalisation : Emmanuel Finkiel ; Scénario et adaptation : Emmanuel Finkiel, d’après La Douleur de Marguerite Duras (Paris, P.O.L, 1985) ; chef opérateur : Alexis Kavyrchine. interprètes et personnages : Mélanie Thierry (Marguerite Duras) ; Benoît Magimel (Pierre Rabier) ; Benjamin Biolay (Dionys Mascolo) ; Shulamit Adar (Madame Katz) ; Emmanuel Bourdieu (Robert Antelme) ; Grégoire Leprince-Ringuet (François Mitterrand, alias François Morland) ; Anne-Lise Heimburger (Madame Bordes) ; Patrick Lizana (Georges Beauchamp). origine : France. Décors : Pascal Le Guellec. costumes : Anaïs Romand, Sergio Ballo. son : Antoine-Basile Mercier, Jean Goudier, Benoît Gargonne, David Vranken, Aline Gavroy, Emmanuel Croset. montage : Sylvie Lager. musique : Nicolas Becker. compagnies De proDuction : Les Films du Poisson, Cinéfrance, KNM. Distribution : Les Films du Losange. première monDiale : Le 27 août 2017 au Festival du Film Francophone d’Angoulême. sortie : France, 24 janvier 2018. Durée Du Film : 127 minutes.
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LA DOULEUR D’EMMANUEL FINKIEL
honneurs et récompenses Sélectionné pour représenter la France dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère aux Oscars 2019 ; 8 nominations par l’Académie des César 2019 : Meilleur film, Meilleure actrice, Meilleur réalisateur, Meilleure photographie, Meilleure adaptation, Meilleur son, Meilleurs costumes, Meilleurs décors ; 3 nominations par Les Globes de Cristal 2019 : Meilleur film, Meilleure actrice (Mélanie Thierry), Meilleur acteur (Benoît Magimel) ; Swann d’Or de la meilleure actrice pour Mélanie Thierry au Festival du film de Cabourg 2018 ; Swann d’Or Gonzague Saint Bris du meilleur scénario adapté d’une oeuvre littéraire au Festival du film de Cabourg 2018 ; Prix du Film d’Histoire : Prix du jury professionnel au Festival international du film d’histoire de Pessac 2017 ; Prix de la Réalisation au Festival du Film de Muret 2017 ; Prix Chabrol d’Or de la meilleure adaptation au Festival du Film du Croisic – De La Page à l’Image 2017 ; Prix Chabrol du jury, mention spéciale coup de coeur, pour l’interprétation féminine de Mélanie Thierry au Festival du Film du Croisic – De La Page à l’Image 2017 ; Sélectionné pour le Prix Louis-Delluc 2018 ; Sélection officielle San Sebastian Film Festival 2017 ; Sélection officielle Haifa International Film Festival 2017 ; Sélection officielle Rendez-vous with French Cinema 2018 ; Sélection officielle Atlanta Jewish Film Festival 2018 ; Sélection officielle COLCOA French Film Festival 2018 ; Sélection officielle San Francisco Jewish Film Festival 2018.
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LA CARTE D’IDENTITÉ DU FILM
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synopsis En 1944, Marguerite Duras est l’auteure chez Plon d’un premier roman, Les Impudents, paru en 1943 sous ce pseudonyme. Lorsque le film commence, son mari Robert Antelme vient d’être arrêté pour faits de résistance. Débute une première attente chaotique et proactive, rythmée par les rendez-vous clandestins que lui fixe Rabier, agent français de la Gestapo qui lui déclare son admiration littéraire et prétend pouvoir aider Robert. Celui-ci est cependant déporté, son sort plus inconnaissable encore. Rabier semble alors le seul lien restant, en même temps qu’une menace constante pour le réseau de résistance auquel appartient également Marguerite, et que mène François Mitterrand, alias Morland, le futur président de la République. La première partie du film est imprégnée de cette menace qui couve, du danger qui sourd en permanence dans un Paris occupé, de l’attente nerveuse et de la frénésie des rendez-vous annoncés au dernier instant. Finalement, presque à notre surprise tant le film a su recréer le sentiment d’un suspense, la défaite allemande se profile, puis devient réalité. C’est alors que commence la véritable attente, ou la pire : celle, à mesure que sont découverts les camps, de ne pas savoir si Robert va revenir – ni dans quel état. Celle de subir le contraste entre la révélation des atrocités nazies, de leur nature, de leur ampleur ; et la joie, l’allégresse qui entourent dans les rues de Paris la Libération puis l’Armistice ; et le désir corollaire de la majorité de la population de revenir à la normale, d’oublier les disparus, d’ignorer la portée de l’extermination des Juifs d’Europe, sa dimension idéologique, son impact politique. Le Robert Antelme qui est finalement retrouvé à Dachau par Morland est un mort-vivant, et c’est dans cet état qu’il est secrètement transporté jusqu’à l’appartement de la rue Saint-Benoît, où Marguerite va, durant de longues semaines, le ramener de jour en jour à la vie. Mais Finkiel, très justement, fait l’impasse sur cette partie, s’arrêtant lorsque finit la longue agonie de l’attente. Pour en venir à une séquence finale, sur une plage, lorsqu’Antelme a été ramené à la vie par Marguerite. Celle-ci, qui l’a quitté pour le camarade Dionys avec lequel elle entretenait déjà une liaison avant son arrestation, le regarde, contemplant et énonçant en voix off avec une gratitude farouche le fait, dont il faut se répéter la vérité victorieuse, qu’il n’est « pas mort en déportation ».
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galerie photographique Des acteurs
Mélanie Thierry (Marguerite Duras)
Benoît Magimel (Pierre Rabier)
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GALERIE PHOTOGRAPHIQUE DES ACTEURS
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Benjamin Biolay (Dionys Mascolo)
Shulamit Adar (Mme Katz)
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Grégoire Leprince-Ringuet (François Mitterrand, alias Morland)
Emmanuel Bourdieu (Robert Antelme)
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INTRODUCTION
Duras et le cinéma Décembre 2017. Je termine l’écriture d’un essai sur la relation de Duras au cinéma1 lorsque je prends connaissance de la sortie imminente d’une adaptation de La Douleur par un réalisateur dont j’ignore tout, Emmanuel Finkiel. Après des années consacrées à son étude, je ne pense pas qu’il soit possible d’adapter Marguerite Duras de façon réussie – son œuvre ou sa vie –, à plus forte raison un texte aussi infilmable que La Douleur : pur texte de littérature, quoi qu’ait pu en dire son auteure, parce qu’élevant à son plus haut degré le courage de la pensée dont est capable la littérature. Texte immontrable à proportion de ce qu’il décrit : le caractère insubstantiel de l’attente ; le corps décharné de Robert Antelme à son retour des camps. La question de l’adaptation est ici cruciale : non seulement en raison de cette dimension immontrable ; ou des précédents notoires d’une histoire passablement conflictuelle des adaptations cinématographiques de l’œuvre (L’Amant de Jean-Jacques Annaud étant le dernier en date, moins famous que infamous au sens anglais : réputé négativement…) ; mais parce que ce « journal de l’attente » met en cause l’idée même de représentation, comme encore la notion de commémora1. Maïté Snauwaert, Duras et le cinéma, Paris, Nouvelles éditions Place, coll. « Le cinéma des poètes », 2018.
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tion, à travers le parti-pris affiché de la mémoire singulière, de la remémoration personnelle versus le bloc monolithique de l’Histoire, qui fait entendre la voix sans discordance des vainqueurs. J’avais en outre vu en 1997 La Maladie de la mort, dans la mise en scène de Robert Wilson, avec Lucinda Childs et Michel Piccoli, et contrairement au public unanimement époustouflé, outrancièrement laudateur, j’étais demeurée chagrinée au-delà des mots par ce que j’avais perçu comme une entreprise hystérique et pour cela obscène, une exploitation théâtrale de ce qui, comme l’appelait de ses vœux la postface de Duras, n’aurait dû faire l’objet que d’une mise en scène la plus sobre possible, une prononciation presque atone par un corps neutre, sans charge émotionnelle, sans démonstration : « Ici, le jeu serait remplacé par la lecture. Je crois toujours que rien ne remplace la lecture d’un texte, que rien ne remplace le manque de mémoire du texte, rien, aucun jeu2. » Ce, afin de toujours redécouvrir le texte à neuf, de rester proche d’une voix de l’écrit : « Les deux acteurs devraient donc parler comme s’ils étaient en train d’écrire le texte dans des chambres séparées, isolés l’un de l’autre3. » Sous peine sinon, radicale, de perdre le texte : « Le texte serait annulé s’il était dit théâtralement4. » Autrement dit, je rêvais d’une mise en scène à la Claude Régy, fameusement premier metteur en scène de Duras avec Le Square, qui n’avait pourtant pas été écrit pour la scène… 2. Marguerite Duras, La Maladie de la mort, Paris, Éditions de Minuit, 1982, p. 59. 3. Ibid., p. 60. 4. Ibid.
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J’éprouvais donc depuis vingt ans une réticence presque insurmontable à l’idée d’entendre les textes charcutés, malmenés égocentriquement par des metteurs en scène histrioniques. Pour dire le moins, je me sentais donc alarmée par cette sortie prochaine : je voyais déjà comment le film irait à l’encontre de tout ce que j’étais en train d’écrire, et je m’apprêtais à en prononcer de façon anticipée quelques mots critiques… Pour ce faire naturellement, il m’a fallu consentir à regarder la bande-annonce. Là, en ces quelques minutes, j’ai pu mesurer instantanément la justesse de ton de ce réalisateur, la pertinence de son choix d’actrice et la performance éblouissante de celle-ci, mais aussi la lumière de ses images, le flouté de ses scènes qui évitait savamment la reconstitution historique tant décriée par Duras comme le leurre maximal du cinéma « milliardaire5 ». On connaît l’anecdote de tournage formidable du film le plus célèbre de Duras, India Song. L’écrivain-cinéaste invente d’enregistrer les acteurs disant leur texte, puis, lorsqu’elle les filme, de leur passer en même temps la bande-son de leurs voix. Ce, pendant qu’ils déambulent silencieusement dans le château Rothschild qui, à quelques kilomètres de Paris, fait office d’Ambassade de France à Calcutta… Ce procédé donne aux acteurs un air absenté : ils sont tout à fait là mais ailleurs, tout entiers emportés dans l’écoute d’eux-mêmes, de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils ne savaient pas qu’ils étaient, qu’ils pouvaient être... leur actualité déplacée de l’image qui les montre à la voix qui les dit. 5. Marguerite Duras, « Textes de présentation. Deuxième projet », Le Camion, Paris, Éditions de Minuit, 1977.
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Et on les regarde comme des acteurs, on les écoute comme les rôles écrits qu’ils endossent, dont ils deviennent comme nous les spectateurs, les auditeurs, aussi vierges que nous devant cet inconnu de l’écriture qui se déroule et les traverse… Or le parti-pris du off, dans le film d’Emmanuel Finkiel, qui porte à notre attention, à notre écoute, une voix d’ailleurs, d’un autre temps – celle du « journal de l’attente » – transperce de même l’image et en gêne la coïncidence à la fois avec notre plein regard et avec l’action montrée. Ce n’est pas seulement la temporalité douteuse de l’expectative qui vient troubler la représentation, mais ce dédoublement de la voix et de l’être à l’image ; le son de sa pensée et les bruissements de la lumière sur son visage inquiet. Ce qui permet aussi au réalisateur de faire allusion au trouble qui pèse sur la rédaction de ce texte, que l’auteure dit avoir retrouvé tel quel au fond d’une armoire, dans des cahiers de l’époque, sans souvenir de l’avoir écrit. Le réalisateur joue de cette ambiguïté, situant réalistement l’action dans les lieux et le temps, mais filmant de façon floue sa protagoniste, pour la dédoubler entre celle qui vit les événements et celle qui les écrit, et plus encore, pour montrer que celle même qui vit l’attente se dédouble entre émotivité et conscience, vagues d’une douleur presque animale et observation rigoureuse de ses propres émois. Ce parti-pris suggère l’écriture comme un en-creux où vient se loger le réel, une sorte de réservoir intérieur où se condense l’épreuve vécue de la réalité – écho fidèle à la conception de l’écriture qui était celle de Marguerite Duras, et qui est
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aussi celle de Finkiel qui explique en entrevue : « Je fais partie de ceux qui pensent que le réel, on ne peut pas le décrire, qu’il nous échappe complètement. La seule chose qui existe, c’est ce que l’on pourrait appeler le réel à notre sauce, la réalité, notre réalité. Ce que l’on appelle le réel est une espèce de consensus entre les différentes réalités des gens. Par éducation, on s’accorde, on s’entend sur un certain aspect du monde, mais ce ne sont que des réalités. D’autant plus quand on fait un film d’époque. Qu’est-ce qu’on en sait de l’époque ? Moi, je n’étais pas là pour le voir. Donc, je me suis dit : la façon dont ma conscience saisit le monde, je vais l’appliquer là. C’est-à-dire, quand bien même nous serions en 1943, ce que l’on voit et ce que l’on vit, c’est quelque chose qui est hautement subjectif. Alors, j’y suis allé dans cette subjectivité, en me collant aussi à la subjectivité du personnage principal, et on a avancé comme ça dans l’époque de 44-45, en se disant qu’on ne faisait que recréer une réalité, mais qu’en aucun cas ce n’est le réel6 . » Le cinéma de Duras aussi maniait ce décalage qui fait qu’on voit la représentation en train de se faire, dans la magie de son artificialité ; et à la fois cette magie nous envoûte, parce qu’on ne sait plus où saisir, comment attraper ce qui se passe, où regarder, ou de combien de degrés se dédouble l’image, puisque dans India Song, quand on croit être en train d’observer les personnages dans le plein champ de leur présence, on découvre soudain qu’on regardait leur reflet dans un miroir… 6. Emmanuel Finkiel, « Je joue la carte de la subjectivité totale », propos recueillis par Fabien Lemercier, Cineuropa, 21 décembre 2017.
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Or Finkiel, de même, qui fait un grand usage des miroirs, reconnaît qu’il ne veut pas que le spectateur oublie que c’est un film qu’il regarde : « J’ai toujours fait des films avec la longue focale, j’aime bien que le personnage soit à la fois isolé du reste car le reste est flou, et en même temps pleinement intégré dans la matière. Il est vrai que pour ce film l’idée était de suivre la subjectivité du personnage, donc j’ai plus utilisé les compétences de ces longues focales. Cela suit mon principe de base : ne jamais nier que ce qu’on montre est filmé. Ça paraît stupide mais il faut bien reconnaître que la plupart des films veulent nous faire croire le contraire comme si la caméra était une vitre à travers laquelle regarde le spectateur7. » Cet imaginaire possible, qui nourrit en profondeur ce que toute image choisie ne fait que suggérer, le film ne doit en aucun cas le réduire. Aussi dans le cinéma de Duras la « présence » des acteurs et plus encore des actrices – Delphine Seyrig, Jeanne Moreau, Michael Lonsdale – n’est paradoxalement la marque d’aucun présent. Elle serait même, plutôt, une qualité de passé. Ou plus exactement ce qu’on regarde, ce qu’ils incarnent, c’est ce qu’ils auraient pu être : leur légende, contenue dans la récitation littéraire et à laquelle la représentation incarnée fait seulement allusion. C’est pourquoi, selon Duras, la « reconstitution historique » est impossible, mensongère, la dernière des malhonnêtetés vis-à-vis du spectateur, dont elle porte au plus haut degré l’estime pour son imaginaire potentiel. 7. Emmanuel Finkiel, interview par Antoine de Baecque, publiée dans la revue L’Histoire sous le titre « La Douleur Verbatim », n° 444, février 2018. Je souligne.
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Ainsi dans India Song Delphine Seyrig toute de lumière, la sublime figure qui paraît sans cesse revenue parmi les vivants comme on revient d’entre les morts, ce n’est pas Anne-Marie Stretter, dit Duras, même pas ironique, même pas cocasse. Delphine Seyrig c’est une tentative d’aller chercher Anne-Marie Stretter là où elle se trouve, dans le souvenir, le mirage de la mémoire ; c’est une approximation de celle qu’elle désigne – comme combien de ses personnages et pour signaler justement qu’ils sont ses personnages, des émanations de son univers et non des reconstitutions réalistes – qu’elle désigne, voire signe, de cette élision : « AMS ». Delphine Seyrig : « C’est ce que j’ai pu trouver de plus près de l’image que j’avais gardée d’AMS8 », dit Duras. Toujours ces personnages depuis longtemps disparus – qui étaient déjà personnages dans l’imaginaire de l’écrivain, même lorsqu’ils étaient réels, même lorsqu’ils vivaient et respiraient… comme s’ils servaient déjà l’œuvre à venir, la mettaient en place selon une sorte d’annonciation prophétique singulière. Ainsi de Robert L. dans La Douleur, ou de D…. Il ne s’agit que de mettre au jour une vérité sienne, subjective certes, mais surtout poétique : explorant ce qu’il est possible de dire de ce qui a été vécu ; de ce dont on a été témoin ou dont on a fait l’expérience. Voilà, Duras et le cinéma, c’est ça : cette annonciation de quelque chose à venir et qui est déjà arrivé. On est à la fois dans un régime d’après la catastrophe, et dans son anticipation : on a toujours su qu’elle viendrait. La réussite du film d’Emmanuel 8. Marguerite Duras, La Couleur des mots, entretiens avec Dominique Noguez, Paris, Benoît Jacob éditions, 2001, p. 82.
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Finkiel est d’avoir su jouer – dans le médium propre du cinéma – de ce trouble de la temporalité, qui est aussi un trouble de la subjectivité, ou plutôt : d’avoir su devenir lui-même une manifestation de subjectivité, par définition trouble, ambiguë, mais aussi complètement assumée. C’est ce qui donne à ce grand texte, à ce grand film à présent, leur actualité. Si ce film enfin me paraît remarquable, c’est sans doute parce que Duras est l’écrivain de ma vie9, et que ce « journal personnel de l’attente » qu’est La Douleur est notoirement à même de nouer au plus proche l’écriture et la vie – valeur cardinale de la littérature à la mise au jour de laquelle toute ma recherche tend.
9. Maïté Snauwaert, « Vivre avec l’écrivain », Dossier L’Écrivain préféré, Fabula LHT n°4, mars 2008. En ligne : http://www.fabula.org/lht/4/snauwaert.html
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