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« Tout sur les grands du cinéma » Monographie de cinéma et spectacle pour l’école et l’université Collection dirigée Enrico GiacovElli
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Oreste De Fornari
TOUTSUR
SERGIOLEONE Sous la direction de Enrico GiacovElli
Avec la contribution de Franco FErrini et DiEGo Gabutti
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À Michela
Remerciements : Enrico Appetito, Guia Croce, Gloria De Antoni, Gianluca Farinelli et Rosaria Gioia (Cinémathèque de Bologne), Emma Ferrini, Franco Ferrini, Diego Gabutti, Massimo Ghirlanda et Sabina Meini (Centro Studi Commedia all'Italiena), Marco Giusti, Anna Guedy, Angelo Humouda, Raffaella Leone, Paolo Luciani et Cristina Torelli (Officina Filmclub), Massimo Marchelli, Piero Messori, Carmelo Milone, Giorgio Navarro, Nicola Petralia, Valeria Paniccia, Claver Salizzato, Aldo Tassone, Patrizia Viola, Alejandro Villareal. Merci à Antonietta Pizzorno et Luc Moullet, qui ont vérifié la traduction en français et m'ont aidé grâce à leurs conseils. Et un remerciement spécial à Enrico Giacovelli, qui a dirigé cet ouvrage avec compétence et créativité, en l'enrichissant de notes, matériaux et illustrations.
Titre original : Tutto Leone 2018 © Gremese International s.r.l.s. – Roma Traduit de l’italien par : Alessandra De Stefanis, Antonietta Pizzorno, Elena Bonnet et Chloé Lafitte Couverture : Francesco Partesano En couverture : en haut, de gauche à droite : Clint Eastwood dans Et pour quelques dollars de plus, Lee Van Cleef dans Le bon, la brute et le truand ; au centre : Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest, Rod Steiger dans Il était une fois la révolution, Elizabeth McGovern dans Il était une fois en Amérique ; en bas : Charles Bronson dans Il était une fois dans l’Ouest, Eli Wallach dans Le bon, la brute et le truand, Robert De Niro dans Il était une fois en Amérique. Sur la page 2 : Le premier plan rapproché de Clint Eastwood dans Pour une poignée de dollars. Sources iconographiques : La plupart des illustrations sont tirées de photogrammes des films cités. Pour les photos de Sergio Leone enfant, nous remercions Raffaella Leone. Pour ce qui est des autres photos, l’Éditeur a essayé de retrouver le nom de leur auteur afin de pouvoir le mentionner, mais les recherches n’ont pas toujours abouti. L’Éditeur prie les auteurs de bien vouloir lui pardonner d’éventuelles lacunes ou omissions et se déclare prêt à apporter des compléments d’information lors de nouvelles rééditions de ce livre. Il est également disposé à reconnaître les droits afférents aux clauses de l’article 70 de la loi n° 633 de 1941 et ses modifications successives. Impression : Peruzzo Industrie Grafiche – Mestrino (PD)
Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite, enregistrée ou transmise, de quelque façon que ce soit et par quelque moyen que ce soit, sans le consentement préalable de l’éditeur. ISBN 978-2-36677-179-4 Dépôt légal : octobre 2018
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Que signifie bon, brute et truand ? Nous sommes tous quelque part un peu bons, un peu brutes et un peu truands. Sergio Leone
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SOMMAIRE Introduction Au temps où le public applaudissait... d’Oreste De Fornari (1983), 9 La majesté du trivial de Luc Moullet (1983), 10 L’homme qui corrompt le western d’Oreste De Fornari (2018), 11
Première partie – Vie et films, 13 a) Biophotogrammes (Le film d’une vie), 15 b) Les films de Sergio Leone :, 27 1. Avant l’Ouest (Les Derniers Jours de Pompéi ; Le Colosse de Rhodes), 29 2. La trilogie du dollar (Pour une poignée de dollar ; Et pour quelques dollars de plus ; Le bon, la brute et le truand), 37 3. La trilogie du temps (Il était une fois dans l’Ouest ; Il était une fois la révolution ; Il était une fois en Amérique), 69 4. Six manières de ne pas ressembler à John Ford, 106
Deuxième partie – Paroles, 129 1. 2. 3. 4.
Leone raconte, 131 Leone raconté, 143 Leone juge (Ses collègues et leurs films), 181 Quand un homme avec un pistolet... (Phrases et dialogues des films), 185
Troisième partie – Matériaux, 211 1. Documents, 213 Le western-melodrame de Giuseppe Rausa (1984), 213 Le film que Leone n’a pas voulu tourner d’Oreste De Fornari (2008), 215 Escadron Hollywood de Diego Gabutti (2018), 216 Il était une fois l’Amérique, l’Ouest et… le Festival de Cannes de Franco Ferrini (2013), 219 2. Filmographie réelle et revue De presse, 235 Les films réalisée et signés par Leone, 235 Les films partiellement réalisés (mais non signés), 287 Leone producteur, acteur, scénariste, assistant réalisateur, publiciste, 306 3. Filmographie De BaBel, 311 Les projets non réalisés, 311 4. BiBliographie sélective, 315
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Le cinéma western de Leone résumé dans le générique du début de Pour une poignée de dollars.
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INTRODUCTION introDuction 1983 (i) Au temps où le public applaudissait... d’Oreste De Fornari En cet après-midi de l’hiver 1966, Sergio Leone était assis à son bureau. Sur sa table, les journaux faisaient état des recettes record de son dernier film, Et pour quelques dollars de plus. Tout à coup, arrivent trois hommes, l’air menaçant. Ils parlent très fort, en dialecte romain : « Dottore, nous avons vu le film vingt fois, nous avons parié un million de lires. Vous devez nous le dire : c’est la fille ou la sœur ? » Leur curiosité portait sur la nature de la parenté entre la jeune fille violée dans le flash-back et Lee Van Cleef qui garde son portrait dans sa montre, et la venge en tuant le violeur. Bien qu’il y ait un échange de phrases révélateur (Eastwood « Cette photo fait un peu famille ». Van Cleef : « Ça arrive parfois entre frère et sœur »), les trois Romains n’avaient pas compris. Peut-être le dialogue avait-il été couvert par les cris et les applaudissements, comme cela arrivait souvent à cette époque durant la projection des westerns, surtout quand ils étaient signés Leone. On sait que le cinéma italien populaire vit de vogues éphémères. Le boom du western a suivi celui du film d’horreur, du péplum, du feuilleton d’aventures, de l’opéra filmé, etc. Pas tout à fait des genres, mais de bons filons (en Italie, on emploie le terme filone, comme pour une mine d’or). Le genre détermine une production industrielle qui nécessite une somme régulière d’investissements. Le filon, au contraire, relève d’une économie fondée sur le court terme : exploitée à fond, elle s’épuise vite. En outre, en Italie, le filon est souvent destiné à un public restreint, parfois uniquement régional – c’est le cas du film napolitain des années 50. Seule, la comédie italienne, produit moyen par excellence, semble échapper à ce destin précaire : équipes assez stables de scénaristes et de réalisateurs, acteurs et personnages récurrents, faveur constante de tous les publics. Les westerns de Leone ont du succès à la fois en exclusivité et dans les salles de quartier bien qu’ils ne répondent pas aux caractéristiques du produit moyen. A la différence de Risi et Monicelli, Leone ne cherche pas à atténuer les éléments les plus vulgaires ou les plus sophistiqués, mais, au contraire, il les exagère, en provoquant des dissonances. Dans les cinémas, devant certains silences prolongés (Lee Van Cleef qui entre dans la ferme mexicaine au début de Le Bon, la brute et le truand), on entendait parfois les interventions du public, « Mais qu’est-ce que vous attendez pour parler ? », ce qui n’arrivait d’ordinaire que pour les films d’Antonioni. C’étaient des symptômes d’impatience plus que de mécontentement. Par contre, certains critiques italiens détestaient vraiment Leone : ils le traitaient de maniériste, ce qui, à cette époque, constituait presque une insulte. Trente ans après, le maniérisme est à la mode, et la hiérarchie qui séparait les genres nobles et les genres populaires a été enfin abolie. Leone est désormais considéré comme un classique. On parle, à propos de ses films, d’antiwestern, de méta-western, de cinéma qui réfléchit sur lui-même. Umberto Eco a comparé sa « nostalgie païenne » de l’Ouest à celle de l’Arioste pour le Moyen Âge. Mais cette terminologie intellectuelle ne convient pas trop à ses films. On risque d’oublier qu’il y a eu une époque où la foule défonçait les guichets pour les voir, où les moralistes l’accusaient de faire l’apologie de la violence, où des cinéphiles apprenaient par cœur ses dialogues, et où la musique de Il était une fois dans l’Ouest remplaçait dans les églises la Marche nuptiale de Mendelssohn.
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introDuction 1983 (ii) La majesté du trivial de Luc Moullet Il existe deux cinémas italiens dignes d’intérêt, d’une part un « cinéma d’auteur » fondé sur des sujets nouveaux, celui de Rossellini, Visconti, Antonioni, Fellini, Pasolini, Bertolucci, applaudi par la critique mais très longtemps boudé par le public italien, et d’autre part un cinéma fondé sur les conventions des genres, les filoni comme les appelle Oreste De Fornari, celui de Cottafavi, Bava, Matarazzo, Jacopetti, un cinéma méprisé par la critique transalpine, mais qui attire les foules. À l’intérieur de ce cinéma des filoni, Sergio Leone bat les records de provocation : alors que le cinéma italien lutte par tous les moyens contre l’invasion du film américain, Leone ne fait pratiquement que des westerns, tous ses films se situent en Amérique et sont tournés – pour l’essentiel du texte – en langue anglaise. Alors que la qualité d’un film italien était souvent jugée en fonction de son poids de néoréalisme, Leone se moque de la réalité, même si elle l’inspire parfois (les grands manteaux de Il était une fois dans l’Ouest) et ne s’intéresse qu’au passé, jamais au présent. Le cinéma engagé fait loi ? Eh bien, qu’à cela ne tienne, Leone ne prend jamais parti (Il était une fois la révolution). Leone ou le parfait traître du cinéma italien. Et pourtant – le livre de De Fornari le montre bien – ces deux cinémas ennemis ont des liens solides entre eux : Monicelli et Risi qui passent soudain du deuxième camp dans le premier, comme De Sica, lequel reviendra en fin de carrière au film de genre ; Bertolucci qui collabore au scénario d’un Leone ; Pasolini qui joue dans un western et fait tourner les deux comiques les plus débiles, Franchi et lngrassia ; Leone assistant et figurant de Le Voleur de bicyclette, Cottafavi qui passe du mélo et du péplum à l’adaptation de Conrad et des classiques grecs. En réalité, le cinéma des filoni se révèle souvent plus personnel, plus artiste, que le « cinéma d’auteur », trop souvent réduit maintenant à un velléitarisme plus ou moins gauchisant ou esthétisant (Scola, Brusati, Pontecorvo, Cavani, Bolognini, Petri, Vancini, Maselli, Lizzani, Zeffirelli, etc.). Avec son montage agressif, Leone demeure le principal héritier actuel d’Eisenstein. Il rejoint le cinéma le plus moderne, axé sur la durée : comme Rivette, Leone ne peut réussir un film que s’il fait au moins deux heures un quart. Ses premiers films étaient beaucoup trop courts, et ce n’est qu’avec Le Bon, la brute et le truand que Sergio Leone pourra vraiment devenir lui-même. C’est qu’il y a chez lui une nouvelle conception du temps, qui fait l’essentiel de son génie, et qui est fondée sur sa dilatation. Au-delà des différences soulignées par la quantité des spectateurs et par les étiquettes hâtives, on pense à Duras. Mais, chez Duras, la dilatation du temps exprime la réalité quotidienne, matérielle ou morale. Alors que chez Leone, elle s’inscrit dans des genres, le film d’action, le western, où la rapidité est reine. Nouvelle provocation, plus grande que les provocations de Duras. Chez Leone, la vitesse existe, excessive, irréaliste : on tire plusieurs séries de coups de fusil en un clin d’œil, mais seulement après un cérémonial invraisemblable de cinq minutes ponctué d’innombrables gros plans où il ne se passe rien, contraires à la logique narrative traditionnelle. Ce rythme est contradictoire, tout comme le cumul constant de la trivialité et de la majesté. Nous ne sommes pas loin de Menotti et de son opéra du sordide. Rare exemple filmique d’une avant-garde comprise et adorée par le plus large public. Œuvre admirable et précaire, comme celle de Syberberg ou de Jancso : elle dépend de la découverte de nouveaux principes formels (j’allais écrire de martingales) dont l’intérêt peut s’épuiser assez vite, et l’on comprend mieux alors, chez Leone, sa peur de tourner.
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introDuction 2018 L’homme qui corrompt le western d’Oreste De Fornari J’ai longtemps résisté avant de prendre part au culte de Sergio Leone. La première fois que j’ai écrit à son sujet, c’était dans le journal de l’école, il y a plus de cinquante ans, encouragé par un jeune jésuite devenu ensuite spécialiste de Kurosawa. L’objectif était de faire l’éloge de Yōjinbō, c’est à dire Le Garde du corps, que des lycéens venaient de voir au cinéforum, et de le comparer avec Pour une poignée de dollars, essentiellement car le premier était japonais et en noir et blanc, et était donc un film artistique, et que le second était au contraire un western spaghetti en couleur, un film commercial. Voilà tous les arguments dont je disposais. Il faut dire qu’à cette époque, tous critiquaient les westerns italiens. Ma méfiance s’est aviver dans les années qui suivirent, lorsque je suis devenu cinéphile d’inspiration francophone à tendance américanocentrique, un petit neveu des « Cahiers » pour ainsi dire. Et le culte de la sobriété de Ford Hawks Mann était incompatible avec toute forme d’admiration, et même seulement d’indulgence, envers le caractère baroque de Leone et de ses disciples (sur les disciples, je n’ai jamais changé d’avis). Seul Le Bon, la Brute et le Truand, sorti en 1966, la veille de Noël, peut-être en raison de son contexte historique (la guerre de Sécession), avait attiré davantage mon attention ; l’opinion d’Enzo Natta sur « Cineforum », la revue que je lisais à l’époque, me confortait dans mon idée. Plus tard, Il était une fois dans l’Ouest me sembla une idée peu originale et trop solennelle, opinion partagée par mes amis de « Cinema e Film ». Des années plus tard, lorsque se présenta l’occasion d’écrire un petit volume sur Sergio Leone pour l’éditeur Moizzi, je la saisis au vol. J’avais surtout envie de faire des comparaisons avec les westerns américains. Et les comparaisons sont le sel de la critique, elles la font ressembler à une science exacte – mais le style, soutenu et prolixe, laissait à désirer. Avec le temps, mon conservatisme esthétique s’est atténué. À l’occasion de la sortie du film Il était une fois en Amérique, j’ai essayé de transformer le livre en une sorte d’album plus vaste, publié par Ubulibri, agrémenté de photographies et de témoignages du réalisateur et de ses collaborateurs. Je crois que cela en valut la peine, ne fût-ce que pour l’Amérique, son chef d’œuvre d’après moi et beaucoup d’autres. Entre temps, Leone a quitté ce monde, trop tôt, en 1989, en emportant avec lui son rêve d’un film sur le siège de Leningrad. En 1997, le livre a été réédité, toujours par Ubulibri, dans une édition corrigée et revue, dont Gremese a publié les versions françaises et anglaises. Vingt ans plus tard, nous percevons l’influence de Leone dans un nombre de films toujours plus grand, et les réalisateurs qui reconnaissent lui devoir beaucoup se sont multipliés. Des réalisateurs post-modernes, des maîtres du pastiche, comme Tarantino, qui a déclaré que Le Bon, la Brute et le Truand était son film préféré. Même l’un des pères du néoréalisme, Carlo Lizzani, a fait amende honorable de son incompréhension passée, en expliquant que le maniérisme de Leone était aussi une façon d’affirmer l’identité italienne. À vrai dire, de mon côté, la seule justification que je puisse invoquer à l’égard de la réédition de ce livre, dont la présentation a changé (l’appareil photographique est différent, il y a de nouvelles sessions et les anciennes photos ont aussi été actualisées et enrichies), c’est le sens de la mesure. Je ne pense pas qu’on rende service à un auteur en encensant tous ses films, et tous les aspects de chacun de ses films. Il vaut mieux laisser l’emphase à Leone, qui était un génie, inutile de l’imiter avec des critiques emphatiques à leur tour. Par ailleurs, Leone lui-même était capable d’être autocritique, comme avec Il était une fois la révolution. Il était une fois en Amérique, par exemple, continue de me séduire à travers les années, avec ses flashbacks hypnotiques, son héros en clair-obscur, assez généreux pour pardonner l’ami qui l’a trahi et assez vil pour abuser de la femme de ses rêves. Mais d’autres aspects de lui
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ToutsurSergioLeone me semblent encore aujourd’hui insuffisants et non aboutis, comme la scène sur les maires, ou la pâle figure de la nymphomane incarnée par Tuesday Weld (Leone n’a pas été non plus satisfait de sa prestation). Et d’autres me semblent encore trop flous, surtout la mort de Max. Sauf s’il s’est jeté dans les poubelles tout seul, comme j’ai lu quelque part (suicide acceptable uniquement dans un film de Fantozzi). À ce propos, je me permets de suggérer que la version américaine, apocryphe et abrégée, est très certainement une abomination (je ne l’ai pas vue, Mary Corliss a été la seule à en parler en bien, dans un article présenté dans la troisième section de ce libre), mais elle a au moins le mérite de la trouvaille du coup de pistolet hors champ, qui nous indique le suicide de Max sans équivoque. Après tout, Hitchcock avait aussi tourné une fin de film similaire, en suggérant d’un coup de pistolet hors champ le suicide de Michel Piccoli à la fin de L’Étau (il s’agit là aussi d’une fin un peu arrangée, ajoutée en postproduction). D’ailleurs, une touche d’hermétisme n’était pas pour déplaire à Leone, c’est ce qu’il m’a dit l’une des dernières fois que nous nous sommes vus. Il m’a également confié que s’il devait refaire le film, il l’aurait rendu encore plus labyrinthique, avec plus de va-et-vient dans le temps. Il ne faut donc pas être scandalisé s’il existe trois versions différentes en circulation, qui rendent le labyrinthe plus tortueux. Hermétisme, maniérisme, postmodernisme, alexandrinisme, byzantinisme. La meilleure définition de Leone est peut-être celle d’Alberto Ongaro, entendue il y a quelques années : selon lui, Leone est un corrupteur du récit, un grand corrupteur du récit western. Dans quel sens ? C’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans ces pages.
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Première partie
VIE ET FILMS
Il était une fois en Amérique.
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Vie et films
Biophotogrammes – Le film d’une vie vErs
la viE
Début du xixe siècle. Le grand-père maternel de Sergio Leone, Milanais d’origine autrichienne, est directeur de l’Hôtel de Russie à Rome ; le grand-père paternel est une sommité d’Avellino. Le père de Sergio, Vincenzo, a étudié le droit et fréquenté le milieu artistique napolitain. Il devient très vite acteur dans la compagnie d’Eleonora Duse, sous le pseudonyme de Roberto Roberti. Puis il déménage à Turin, une capitale de l’industrie naissante du cinéma, et dès 1904, il travaille comme acteur et réalisateur chez Itala Film de Pastrone. En 1913, il réalise le premier western italien, La vampire indienne, avec Edvige Valcarenghi, connue sous le nom de Bice Waleran. Ils se marient l’année suivante. Jusqu’en 1928, Vincenzo Leone réalisera des dizaines de films avec Francesca Bertini.
La vampire indienne (1913), probablement le premier western italien.
Le père Vincenzo, alias Roberto Roberti.
1923. Benito Mussolini est Président du Conseil. Leone s’inscrit au Parti National Fasciste. Quatre jours plus tard, le trésorier s’enfuit avec la caisse et Leone ne renouvelle pas sa carte. Cette même année, Mussolini lui propose de porter à l’écran un roman écrit dans sa jeunesse, Claudia Particella, l’amante del cardinale, mais Leone refuse (selon Gian Piero Brunetta, il aurait accepté et écrit le scénario). Président de l’Association des réalisateurs italiens, il propose à Bottai, Ministre des corporations, de faire face à la crise du cinéma en créant un système de coopératives. Bottai rejette le projet (cela lui semble communiste) et menace d’expulser Leone. C’est Forges Davanzati qui lui sauve la vie (« le seul ministre fasciste honnête »). 1928. Pola Negri propose à Leone de déménager à Berlin pour travailler avec elle, Leone décline l’invitation : sa femme est tombée enceinte, après 14 ans de mariage.
La mère Edvide Valcarenghi, alias Bice Waleran.
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ToutsurSergioLeone 1929-1989 : soixantE ans (Et quarantE DE cinéma)
DE viE
1929. Sergio naît le 3 janvier à Palazzo Grimaldi Lazzeroni, à Rome. Il grandit à Trastevere.
Sergio Leone en 1929.
Leone enfant dans une voiture.
1935-1939. Il fréquente l’école primaire et le collège des Frères Piaristes de San Giovanni Battista de la Salle. Pour l’exempter du samedi fasciste, le père l’inscrit à des cours d’escrime. Il déteste les langues mortes. Il aime l’italien, la philosophie, la géographie et surtout l’histoire. Il éprouve une véritable passion pour les spectacles de marionnettes napolitaines organisés au Gianicolo. Les affrontements épiques entre bandes de jeunes, auxquels il participe sur les marches de l’avenue Glorioso, lui inspireront un projet (qu’il abandonnera après la sortie des Vitelloni, de Fellini). Comme tous les garçons de son âge, Sergio adore le cinéma américain : ses héros sont Errol Flynn et Gary Cooper, mais aussi Warner Oland dans la série de Charlie Chan. Et Chaplin, naturellement. Quant aux bande-dessinées, il préfère les aventures de Cino et Franco. Pendant ce temps, le père traverse une longue période de chômage forcé. Pour s’en sortir, il vend la collection de meubles anciens. Sergio n’oubliera pas les dimanches au Café Aragno, lorsqu’il accompagnait son père aux réunions de l’intelligence de gauche, suivis par deux policiers. 1939. Après douze ans d’ostracisme, Leone père revient derrière la caméra, grâce à Forges Davanzati, avec Il socio invisibile, un film aux accents pirandelliens interprété par Carlo Romano et Clara Calamai. 1941. Sergio est à Naples pour voir son père tourner La bocca sulla strada, écrit par le comédiographe – et futur
Camarades d’école, encore ignorants du futur que les attend : Sergio Leone (le 2e en haut à gauche) et Ennio Morricone (2e en haut à droite) en CE2 en 1937.
Une des premières aventures (au titre si évocateur qu’il inspirera un roman d’Umberto Eco en 2004) de Cino et Franco, la bande dessinée préférée du petit Leone.
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Vie et films leader du mouvement politique L’Uomo Qualunque – Guglielmo Giannini. Parmi les interprètes, Armando Falconi et, dans un petit rôle, Carla del Poggio. 1942. Jours de guerre et de faim : pour survivre, Sergio échange une vieille paire de chaussures de son père contre 25 kilos de farine. 1943. Il projette de rejoindre les partisans dans la montagne avec un groupe d’amis, puis il y renonce pour ne pas contrarier sa mère. 1944. Les Américains arrivent. Indigestion de films, romans, BD américaines. Prédilection pour les films noirs. Le père cherche à le pousser à faire des études de jurisprudence, mais Sergio rêve de cinéma. Encore au lycée, il travaille durant les vacances comme assistant réalisateur, en commençant par un film du père, Il folle di Marechiaro, dans lequel il a aussi le rôle d’un sous-lieutenant américain. Il sera ensuite assistant de Carmine Gallone dans les films opéras La forza del destino, La leggenda di Faust et Il trovatore, lui qui déteste l’opéra (« Lorsque je vois un acteur qui chante à cheval, tombe et se relève en continuant à chanter, j’ai envie de rire »).
La bocca sulla strada (1941) de Leone senior, au tournage duquel assista Sergio quand il avait douze ans.
1946. De Sica le choisit comme assistant pour Le Voleur de bicyclette. Il est l’un des petits prêtres allemands de Propaganda Fide qui se protègent de la pluie à Porta Portese, à côté de Lamberto Maggiorani et son fils : un parfait exemple de style à la fois néoréaliste et mélodramatique. Leone se souvient très bien du pull-over jaune qu’il portait sous la soutane rouge, devenu rouge à cause de la pluie. Après avoir insisté, De Sica lui obtiendra un remboursement. 1948. C’est l’époque de l’Assemblée Constituante, à la veille des élections du 18 avril (les premières après l’entrée en vigueur de la Constitution). Le père est communiste, lui est un sympathisant socialiste. Mais lorsque le secrétaire socialiste Nenni s’allie avec le PCI en créant le Fronte Popolare, Leone commence à le détester. Il se définira plus tard comme un anarchiste modéré, convaincu qu’on ne puisse pas être communiste en possédant des villas. Il ne cachera pas sa sympathie à l’égard d’Andreotti, grâce à son sens de l’humour.
Le film qui marqua les débuts du Leone junior en tant qu’assistant réalisateur : Il folle di Marechiaro (1944), qui à cause des vicissitudes de la guerre ne sortira qu’en 1952.
1949. Il abandonne les études. Ses parents quittent Rome au profit de Torella dei Lombardi, dans la région d’Avellino. 1950-1958. Il travaille beaucoup avec Bonnard (Il volto, Phryné, courtisane d’Orient, Haine, amour et trahison, Les anges aux mains noires, Mi pemette babbo?, L’Esclave d’Orient) : Bonnard est presque un père pour lui, et il
Sergio Leone (le 2e en partant de la droite, à côté du protagoniste Lamberto Maggiorani) dans Le Voleur de bicyclette.
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ToutsurSergioLeone l’héberge durant une longue durée. Sergio affirmera avoir découvert Brigitte Bardot en premier et l’avoir proposée à Bonnard (pour Haine, amour et trahison), puis à Robert Wise (pour Hélène de Troie), mais c’est très peu probable1. En peu de temps, il acquiert tout de même une réputation d’assistant fiable, énergique et inflexible avec les acteurs qui sèment la zizanie : ils savent qu’ils ne travailleront plus pour lui. Pour certains films, il est mieux payé que le réalisateur. Il a rencontré Walsh (second volume de Hélène de Troie) et Welles, qui avait le rôle du mari dans L’uomo, la bestia, la virtù, de Steno. Il travaillera avec lui quelques jours dans un film non identifié et jamais achevé (peutêtre M. Arkadin).
Mario Bonnard, pendant l’âge d’or du cinéma muet, et le portrait plus ou moins avoué qu’en fait Alberto Sordi dans Gastone (1959), le film de ce même Bonnard qui causera indirectement le début de la carrière en tant que réalisateur de Leone.
1959. Il est l’assistant de Fred Zinnemann pour Au risque de se perdre. Au Congo, il rencontre le futur leader révolutionnaire Patrice Lumumba, alors employé des postes à Stanleyville et il vit l’expérience du colonialisme (« les noirs sont traités pire que des animaux, c’était logique que la révolte explose »). Il dirige pour Wyler la course des chars dans Ben-Hur : deux mois et demi de tournage, tous les soirs obligation de revoir le Ben-Hur muet avec Ramon Novarro. Assistant de Bonnard pour Les derniers jours de Pompéi, il remplace en Espagne le réalisateur qui est tombé malade (ou qui s’est probablement « échappé » en Italie pour réaliser Gastone) et il choisit Sergio Corbucci comme réalisateur de la deuxième équipe et Duccio Tessari comme assistant. Et bien qu’il ne le signe pas, c’est en grande partie son premier film en tant que réalisateur. Le cinéma est son unique passion. Mais il ne refuse pas de flirter avec quelques starlettes. Il dit être surtout attiré par la beauté physique, il a peut-être peur de tomber amoureux. Avec les femmes très intelligentes, il préfère n’avoir que des relations amicales. Depuis 1950, il aime Silvana Mangano à la folie, mais elle ne le saura jamais. Comme beaucoup d’hommes de sa génération, il est un Brigitte Bardot n’était pas vraiment une « découverte » ; avant Hélène de Troie elle avait déjà tourné 13 films, avec Willy Rozier, Anatole Litvak, Sacha Guitry, Marc Allégret et René Clair... [N.d.R.]. 1
La célèbre « course de chars » (qui sont en réalité des quadriges) dans le Ben-Hur de Wyler.
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Vie et films habitué des maisons closes, et il tombe aussi amoureux d’une jeune femme qui y travaille. Mais sa relation la plus longue a duré huit ans, avec Miss Somalia, fille d’un Italien et d’une Créole du Zanzibar. 1960. Il épouse Carla Ranalli, une danseuse classique, rencontrée durant l’adolescence (il en est aussi tombé amoureux pour son sens de l’humour). Ils auront trois enfants : Raffaella (1962), Francesca (1964) et Andrea (1969). Le producteur des Derniers jours de Pompéi, c’est à dire la Procusa (financée par l’Opus Dei), lui propose de diriger une superproduction, qui deviendra Le Colosse de Rhodes. Leone, qui n’aime pas les péplums, accepte pour financer son voyage de noces. Le premier choix pour le premier rôle est John Derek, qui s’avère être indiscipliné et arrogant : Leone, malgré les supplications de la femme de l’acteur (une certaine Ursula Andress…), refuse de travailler avec lui. Ils prendront Rory Calhoun, « le Cary Grant des pauvres ». Parmi les éléments « autobiographiques » du film, le feu (« Les flammes me fascinent depuis l’enfance, j’ai un côté pyromane »). 1961. Les propositions ne manquent pas, il refuse plus de 20 films avec le nom Maciste dans le titre. Mais il collabore, entre autre, au scénario de Romulus et Rémus de Corbucci, avec Steve Reeves : Virna Lisi (la gentille) et Ornella Vanoni (la méchante) font aussi partie du casting. Il travaille durant une semaine sur le plateau de En avant la musique, de Giorgio Bianchi. 1962. Il signe, en tant que réalisateur de deuxième équipe de Sodome et Gomorrhe, un film italo-américain de Robert Aldrich : « Nous avions besoin d’un réalisateur italien pour obtenir les subventions de l’État ». Il devrait justement diriger la deuxième équipe, et il dirige en effet la scène de la bataille mais, très vite, déçu par le réalisateur américain tant aimé des spectateurs à l’époque du Grand couteau et de Vera Cruz, et indigné par le gaspillage aux frais du producteur Lombard, il quitte le plateau (Aldrich donnera une autre version des faits, attribuant les retards à la considérable lenteur de Leone). 1964. Le filon des péplums est épuisé. Vu le succès des westerns produits en Allemagne à partir des romans de Karl May sur les aventures de Winnetou, l’Italie aussi entrevoit la possibilité de tourner des westerns. Vingt-six westerns seront tournés avant que quelqu’un suggère à Leone l’idée de tourner un western inspiré d’un film japonais à peine sorti, Le Garde du corps, d’Akira Kurosawa. Ce western, Pour une poignée de dollars, produit par la Jolly Film de Papi et Colombo, permettra de recycler Bullets don’t argue de Mario Caiano, dans le sens où la scénographie et les costumes de ce dernier, plus coûteux, seront
L’amour impossible, Silvana Mangano, (ici dans Riz amer, 1949)...
… et celui possible, Carla Ranalli (ici sur une photo de 1968).
L’affiche espagnole de Sodome et Gomorrhe, qui attribue l’entièreté de sa réalisation à Leone.
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Le pistole non discutono, le « jumeau » riche et oublié de Pour une poignée de dollars.
Clint Eastwood, le visage vainqueur de Pour une poignée de dollars (photo de scène d’Enrico Appetito).
La covedette qu’aurait voulu Leone dans Et pour quelques dollars de plus, Lee Marvin (1er à gauche), et celui qu’il a eu, Lee Van Cleef, (2e à droite), côte à côte dans une scène de L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford (1962).
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réutilisés dans le film. Le réalisateur et les acteurs signeront avec des pseudonymes américains : Leone choisira Bob Robertson, c’est-à-dire « fils de Roberto Roberti ». Pour le rôle principal, la candidature de James Coburn étant abandonnée (il demandait trop d’argent), c’est un acteur de télévision peu connu qui est choisi, Clint Eastwood ; le méchant est un acteur italien qui deviendra célèbre quelques années plus tard comme protagoniste des films politiquement engagés de Rosi et Petri, Gian Maria Volonté. Pour la musique, la Jolly Film propose Ennio Morricone, dont on découvrira qu’il a partagé les bancs de l’école avec Leone en CM2 : bande-son très novatrice, à part pour le « Deguello » (celui de Rio Bravo et d’Alamo), que le réalisateur veut insérer à tout prix, même en y apportant quelques modifications afin de ne pas violer les droits d’auteur (dans ce but, Morricone choisit une vieille berceuse exécutée à la trompette). Le film sort à la fin de l’été, dans un petit cinéma de Florence et devient en quelques mois un succès inattendu, grâce au bouche à oreille. Les japonais lui font un procès pour plagiat. Et ils gagnent. Papi et Colombo refusent de payer Leone. Pour une poignée de dollars s’avère lui être bien peu prolifique. 1965. L’avocat Grimaldi propose alors de produire le prochain western de Leone, dans des conditions particulièrement avantageuses : toutes les dépenses de Leone sont remboursées, et il obtiendra 50 % des entrées en plus de son salaire de réalisateur. Leone accepte, aussi pour prendre sa revanche sur les deux producteurs très incorrects du film précédent. Titre de la suite : Et pour quelques dollars de plus. Scénario de Luciano Vincenzoni et Sergio Donati, à partir d’un traitement sur lequel ont également collaboré, sans accréditations, Enzo dell’Aquila et Fernando Di Leo, futur petit génie du genre « Néo-polar italien ». Au casting, en plus du couple gagnant du film précédent, Leone voudrait avoir Lee Marvin (occupé sur le tournage de Cat Ballou) mais il se contentera de Lee Van Cleef, acteur de rôles secondaires dans les westerns américains (Le Train sifflera trois fois, Bravados, L’Homme qui tua Liberty Valance). On y trouve aussi Rosemarie Dexter, déjà protagoniste d’Un homme à moitié de De Seta, qui préfère ne pas figurer au générique : cela pourrait nuire à sa réputation d’actrice intellectuelle. Le nombre d’entrées explose, aucun film n’avait jamais eu autant de succès en Italie ; la critique reste perplexe, voire dédaigneuse (quelqu’un a comparé le film à la trattoria de Trastevere « Meo Patacca »). Mais Leone commence à enfin jouir du succès, notamment économique : il achète une maison du quinzième siècle sous le Gianicolo, sur laquelle John Huston avait déjà posé les yeux, et il honore son goût pour les meubles et l’argenterie du dix-septième et dix-huitième siècle (goût hérité de son père, humilié lorsqu’ils ont tout vendu pour s’en sortir). « Si je n’avais pas été réalisa-
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