RISF-N.15/2

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Sommaire

Numéro 2015/2 Sommaire

The Alstom Decree: A reinforcement of the French economic patriotism . . . . . . . . . 58 Olivier Taffin de Tilques

Éditorial La notion d’information privilégiée au cœur de la régulation financière européenne. . . . . . 3 Régis Vabres

Dossier : Les « inducements » Les rétrocessions de commission : une révolution des systèmes de rémunérations ? . . . . . . . . . . . 7 Gilles Kolifrath Inducements: The Luxembourg perspective from MiFID I to MiFID II. . . . . . . . . . . . . . . . . 18 Pit Reckinger The regulation of “inducements” in Spanish law . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 Dr. Héctor Simón-­Moreno Inducements in Investment Services: The Transposition of the European Rules in Italy. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Chiara Mosca et Angelo Borselli

B. Régulation comparée Les opérations d’initiés en droit russe. . . . . . . 61 Stephan de Groër et Katrin Deckert

C. Régulation internationale

II. Régulation bancaire A. Régulation européenne C.J.U.E. (4e ch.), 18 janvier 2005, aff. C-­375/13, Harald Kolassa c. Barclays Bank plc. . . . . . . . . 70 Marion Meilhac-­Perri

B. Régulation comparée Le dispositif de traitement de la défaillance bancaire avérée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Pr. Alain Kenmogne Simo

III. Régulation assurantielle A. Régulation européenne La distribution par internet dans le viseur de l’EIOPA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82 Pauline Pailler

Chroniques I. Régulation financière A. Régulation européenne C.J.U.E., 28 janvier 2015, Harald Kolassa c. Barclays Bank plc, aff. C-­375/13. . . . . . . . . . 40 Andra Cotiga Surveillance européenne complémentaire des conglomérats financiers – Enjeux et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Marine ­Michineau La « titrisation haute qualité », nouvel objectif européen : vers une relance par la titrisation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 Katia Medjani

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Distribution de produits d’investissement assurantiels : haro sur les conflits d’intérêts !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Pauline Pailler

B. Régulation comparée Chronique de droit panaméen . . . . . . . . . . . . . 85 Miguel Montiel Colombie – L’assurance-­crédit et la protection du consommateur financier : à propos du décret 673/2014 . . . . . . . . . . . . . . . 88 Daniel Rojas Tamayo Le contrat d’assurance de personnes, un outil de la planification patrimoniale au Mexique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Rafael Ibarra Garza

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Sommaire

C. Régulation internationale Association Internationale des Contrôleurs d’Assurance, « Rapport annuel 2013‑2014 ». . . Adrien Tehrani

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IV. Régulation intersectorielle A. Stabilité du marché B. Intégrité du marché Étude comparée des règles applicables aux banques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux en droit français et en droit mauricien. . . . . . 98 Guillaume Berruyer et Javed Allybokus Corruption en Chine : l’état des lieux . . . . . . . 105 Mélanie Catteau Les registres centraux des bénéficiaires effectifs au service d’une transparence accrue. . . . . . . . 109 Matthieu Guérineau

V. Fiscalité des services financiers

Modifications récentes de la directive mère-­fille. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 Patrice Delacroix The Definition of “Residency” under the Common Reporting Standard . . . . . . . . . . 119 Dr. Karl Küpper et Dr. Oliver v. Schweinitz

B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée) C.J.U.E., 12 juin 2014, Granton advertising BV, aff. C-­461/12. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Sabrina Le Normand-­Caillère

C. Fiscalité comparée

Notice bibliographique S. Adalid, La Banque centrale européenne et l’Eurosystème : recherches sur le renouvellement d’une méthode d’intégration, Bruxelles, Bruylant, 2015. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131 Emmanuelle Baumont

A. Fiscalité directe PEA PME – ou la distorsion d’une faveur fiscale au profit d’entreprises de taille intermédiaire cotées ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 Georges Cavalier

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Éditorial

La notion d’information privilégiée au cœur de la régulation financière européenne

Régis Vabres

Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne

Une directive de niveau 1, deux directives et un règlement de niveau 2 (mesures d’exécution), un guide de niveau 3 et différents textes de transposition au niveau national : en dépit d’un impressionnant « arsenal normatif », les textes relatifs aux opérations d’initié manquent de précision… sur la définition de l’information précise ! L’intervention du juge était donc attendue. Ainsi, dans un arrêt du 11 mars 2015 (1), rendu à la suite d’une question préjudicielle de la Cour de cassation (2), dans le prolongement de l’affaire Wendel c. Saint-­Gobain, la C.J.U.E. donne des indications fondamentales sur ce qu’il convient de prendre en compte pour déterminer si une information est dite privilégiée, dans le cadre de la directive Abus de marché. Dans cette affaire, la société Wendel SA, présidée par M. Lafonta, a conclu avec différents établissements de crédit des contrats de « total return swaps » (TRS) ayant pour actif sous-­jacent des actions de Saint-­Gobain. Grâce aux concours financiers fournis par des établissements de crédit, le dénouement des TRS a été effectué en titres, ce qui a permis à la société Wendel SA d’acquérir plus de 20 % du capital de Saint-­Gobain. L’enquête diligentée par l’AMF a mis en évidence que le montage financier mis en place par Wendel avait pour objectif dès l’origine de permettre l’acquisition d’une participation conséquente dans le capital de Saint-­Gobain. Aux yeux du régulateur français, cette information aurait dû être publiée afin de ne C.J.U.E., 11 mars 2015, Lafonta c. Autorité des marchés financiers, aff. C-­628/15 ; Bull. Joly Bourse, mai 2015, p. 205, note A. Gaudemet. 2. Com. 26 novembre 2013, n° 12‑21.361 ; Bull. Joly Bourse, janvier 2014, p. 15, note T. Bonneau. 1.

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pas fausser le fonctionnement du marché. L’acquisition des titres de Saint-­Gobain ayant été réalisée au mépris des règles de transparence, l’AMF a considéré que les protagonistes n’avaient pas respecté l’obligation de porter à la connaissance du public toute information privilégiée et a prononcé des sanctions pécuniaires. M. Lafonta a contesté cette décision en mettant en avant l’argument selon lequel faute d’une information suffisamment précise, aucune communication n’était nécessaire. Il est vrai que la directive 2003/6 dite Abus de marché, applicable à l’époque des faits, aujourd’hui remplacée par un règlement du 16 avril 2014 (3) qui n’a pas modifié le contenu des textes sur ce point, prévoyait qu’« une information privilégiée est une information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne (…) un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés (…) » (4). Mieux, comme la C.J.U.E. a eu l’occasion de le rappeler (5), sur le fondement de 3.

4.

5.

Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché, (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/ CE et 2004/72/CE de la Commission. Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE, J.O.U.E., L 173, 12 juin 2014, pp. 1‑61. T. Bonneau, « Les projets européens relatifs à la lutte contre les abus de marché », RD bancaire et financier, novembre/décembre 2011, 34 ; N. Rontchevsky, « Vers une pénalisation impérative des abus de marché intentionnels dans l’Union européenne », RTD com., 2012, p. 150 ; L. Delage, « La nouvelle réglementation des abus de marché », R.I.S.F., 4/2014, pp. 52 et s. Directive 2003/6 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initié et les manipulations de marché (abus de marché), J.O.C.E., L 96, p. 16. C.J.U.E., 28 juin 2012, Geltl c. Daimler, aff. C-­19/11 ; RD bancaire et financier, septembre/octobre 2012, comm. n° 174, note T. Bonneau ; J.D.E., janvier 2013, n° 195, p. 23, obs. P.-­E. Partsch.

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Éditorial

Éditorial

la directive 2003/124 de niveau 2 (6), une information a un caractère précis si elle réunit deux éléments (7). D’une part, cette information doit faire mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira. D’autre part, cette information doit permettre de tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers. L’impact de l’information sur les cours permet donc d’apprécier le caractère précis de l’information, même s’il n’est pas toujours aisé de distinguer la précision de la sensibilité (8). L’effet possible de l’information s’apprécie aux yeux d’un investisseur raisonnable et non de manière subjective (9). Mais la directive précitée n’indique pas si une information suffisamment précise implique que l’on puisse déterminer le sens que le cours va prendre à la suite de la publication de l’information. C’était précisément tout l’enjeu de la décision de la C.J.U.E. du 11 mars 2015. Pour le juge européen, il n’est pas nécessaire que le détenteur de l’information soit en mesure de déduire avec un degré de probabilité suffisant que la divulgation au public de cette information aura une influence sur le cours des instruments financiers dans un sens précis. Qu’importe le sens, pourvu que l’on ait l’influence ! La C.J.U.E. écarte donc l’interprétation restrictive suggérée par certains auteurs considérant qu’une information n’est véritablement précise et donc privilégiée que si elle permet de déterminer l’effet positif ou négatif de sa publication sur le cours de bourse (10). L’arrêt de la C.J.U.E. offre une belle illustration des problématiques actuelles de la régulation financière européenne. Incontestablement, le cadre juridique s’est renforcé et ne cesse de l’être, comme le montre l’adoption du règlement du 16 avril 2014 précité. Mais l’harmonisation renforcée, voire l’unification de certaines notions, n’a aucune consistance si elle ne s’accompagne pas d’une interprétation uniforme, d’autant plus nécessaire que la qualité des textes laisse à désirer. Les tribunaux anglais avaient d’ailleurs précédemment retenu une solution inverse de celle de la C.J.U.E. (11) 6.

Directive 2003/124 de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d’application de la directive 2003/6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, J.O.C.E., L 339, p. 70. 7. T. Bonneau, Régulation bancaire et financière européenne et internationale, Bruxelles, Bruylant-­Larcier, 3e éd., 2014, spéc. nos 288 et s. 8. T. Bonneau, op. cit., spéc. n° 290. 9. F. Drummond, « Table ronde n° 2 – Le manquement d’initié : données récentes », in 3e Colloque de la Commission des sanctions de l’AMF : transcription des débats, 18 octobre 2010, spéc. p. 2. 10. N. Menesson, « Information privilégiée : bonne ou mauvaise nouvelle », JCP E, 2012, p. 1348. 11. H. Pisani et S. Benouville, « L’information privilégiée : quel sens ? », Les Échos, 14 avril 2015. 4

La C.J.U.E. écarte l’interprétation restrictive (…) considérant qu’une information n’est véritablement précise (…) que si elle permet de déterminer l’effet positif ou négatif de sa publication

sur le cours de bourse.

L’ancien CESR, remplacé aujourd’hui par l’ESMA, tente bien de favoriser des pratiques convergentes, ce qui passe notamment par des lignes directrices favorisant des interprétations communes de la réglementation. Dans l’affaire qui nous intéresse, le CESR avait indiqué dans un guide, à titre d’exemple, qu’une information est suffisamment précise « lorsqu’elle permet à un investisseur raisonnable d’adopter une décision d’investissement sans courir de risques financiers (…), à savoir lorsqu’elle lui permet d’évaluer avec assurance comment l’information (…) affectera le cours de l’instrument financier concerné ». En d’autres termes, l’ancien comité des régulateurs européens avait ouvert une brèche dans laquelle s’est engouffrée la personne poursuivie dans la présente affaire. Fort justement, l’avocat général rappelle dans ses conclusions qu’un tel guide n’a pas de valeur juridique contraignante et ne lie pas le juge… Mieux, dans son arrêt, la Cour indique que la possibilité de tirer une conclusion quant à la direction de l’effet de l’information sur le cours des instruments financiers concernés figurait dans la version soumise à consultation publique de l’avis technique du CESR destiné à la Commission européenne, mais a été supprimé ensuite. Cette référence à l’avis technique de l’ancien CESR montre clairement que le juge entend s’inspirer des travaux préparatoires réalisés par le régulateur européen pour interpréter les textes… sans se prononcer pour autant sur le guide en cause. L’avis technique adressé à la Commission aurait-­il plus de valeur que le guide adressé principalement aux opérateurs et aux autorités nationales de surveillance ? En tout état de cause, les observateurs du droit bancaire et financier sont fortement invités à suivre les travaux des trois autorités européennes de surveillance… tout comme les décisions de la C.J.U.E. !

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Dossier Les « inducements »



Les rétrocessions de commission : une révolution des systèmes de rémunérations ?

Dossier

Les rétrocessions de commission : une révolution des systèmes de rémunérations ?

Gilles Kolifrath

Partner Kramer Levin Naftalis & Frankel

L’adoption de la directive MIF 2 le 15 mai 2014 va changer la donne pour les prestataires de services d’investissement qui ne pourront plus percevoir des rétrocessions de commission lorsqu’ils fournissent de manière indépendante des services de conseil en investissement ou effectuent une activité de gestion sous mandat. Cette nouvelle donne pourrait avoir un impact important sur les réseaux de distribution en France. Par ailleurs, en dépit des critiques soulevées après le vote de la directive MIF 2, l’ESMA a maintenu sa position dans son avis technique final du 19 décembre 2014 transmis à la Commission européenne et a indiqué qu’elle considérait l’analyse financière comme un « inducement », c’est-­à-­dire une « incitation à traiter ». Si cette position n’évolue pas, là encore l’impact pourrait être important pour l’organisation de la commercialisation de certains instruments financiers en France.

MiFID’s II adoption on May 15th, 2014 will change the situation for investment firms who will no longer be able to receive inducements when providing advice on an independent basis or carrying out the activity of portfolio management. This new situation could have a significant impact on distribution channels in France. Despite criticisms made after MiFID’s II adoption, ESMA maintained its position in its Final Technical Advice dated December 19th, 2014 sent to the European Commission and indicated that it considered financial analysis to constitute an inducement, i.e. an incentive to deal. If this position does not evolve, the impact might, here again, be important for the distribution of certain financial instruments in France.

La directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 du Parlement européen et du Conseil concernant les marchés d’instruments financiers, dite MIF 1 était l’un des éléments clés du Plan d’action des services financiers lancé par la Commission européenne. Cette directive (ainsi que ses textes d’exécution) avait pour objectif la protection des investisseurs, la préservation de l’intégrité des marchés financiers ainsi que la promotion de l’équité, la transparence, l’efficacité et l’intégration pour abaisser le coût du capital, la croissance ainsi que le renforcement de la compétitivité internationale.

protection des investisseurs demeure l’un des objectifs essentiels de cette directive.

Quelques années après le vote de la directive MIF 1, le bilan restait mitigé (1). Seuls certains objectifs de cette directive étaient atteints (2). Les faiblesses et les limites de la directive MIF 1 ont aussi été amplifiées par la crise financière. En octobre 2011, la Commission européenne a alors présenté des propositions de révision de la directive MIF 1 avec pour ambition de rendre les marchés financiers européens plus efficients, plus résilients et plus transparents tout en renforçant la protection des investisseurs. Le Parlement européen a adopté sa position dès le mois d’octobre 2012. La directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil concernant les marchés d’instruments financiers, dite MIF 2, a finalement été adoptée le 15 mai 2014. La

Nous examinerons dans une première partie les dispositions de la directive MIF 1 pour étudier le dispositif original sur les rétrocessions de commissions avant d’étudier dans une seconde partie l’apport du nouveau dispositif de la directive MIF 2.

1. 2.

A.-­C. Muller, « Premier bilan après un an d’application de la MIF », R.D.B.F., 2009 comm. 69. K. Deckert, « La directive MIF 2 », R.I.S.F., 3/2014, p. 32.

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Dans les débats liés à la directive MIF 2, la Commission européenne voulait bannir les fameux « inducements », de façon à éviter les ventes biaisées. La question posée était de savoir si le distributeur, qui peut être un conseiller indépendant ou une banque, n’était pas tenté de vendre à son client le fonds (ou l’instrument financier de manière générale) qui lui rapporte le plus et non pas le fonds le mieux adapté aux besoins du client ? Si tel pouvait être le cas, il convenait bien sûr de l’éviter !

I.  Les dispositions de la directive MIF 1 sur les rétrocessions de commissions L’article 9 de la loi n° 2007‑212 du 20 février 2007 a autorisé le gouvernement à transposer par voie d’ordonnance la directive MIF 1. L’ordonnance n° 2007‑544 relative aux marchés d’instruments financiers, prise en

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Dossier

Les « inducements »

application de cette habilitation, a transposé les dispositions de cette directive le 12 avril 2007. La directive MIF 1 est venue abroger et remplacer la directive 93/22/CEE concernant les services d’investissement en valeurs mobilières (directive « DSI ») (3). L’ensemble des dispositions d’application de la directive est ainsi entré en vigueur le 1er novembre 2007. La directive MIF 1 a également fait l’objet de plusieurs mesures de niveau 2. Ces mesures d’exécution ont pour objectif de préciser le contenu des règles de niveau 1, en apportant des détails techniques qui doivent renforcer l’harmonisation des droits nationaux. Précisément, une directive et un règlement de niveau 2 ont été adoptés pour renforcer les règles communautaires en la matière (4). Ces mesures de niveau 2 ont conduit à une réforme du droit interne, modifiant les textes réglementaires et le règlement général de l’Autorité des marchés financiers (ci-­après l’« AMF »). Le Comité européen des régulateurs des marchés des valeurs mobilières (ci-­après le « CERVM », ou en anglais Committee of European Securities Regulators, CESR), remplacé aujourd’hui par l’Autorité européenne des marchés financiers (ci-­après l’« AEMF », ou en anglais European Securities and Markets Authority, ESMA), a été amené à établir des recommandations concernant la directive MIF 1 et ses mesures d’exécution. Pour l’essentiel, ces recommandations visent à clarifier certains points pouvant poser des difficultés d’interprétation et à orienter l’interprétation des textes communautaires par les autorités nationales. Des recommandations en matière de rétrocessions de commissions ont été adoptées en mai 2007 (5) faisant suite aux dispositions prévues dans la directive d’exécution. Le CERVM réalisera ensuite une enquête auprès de 150 professionnels de l’Union européenne et publiera le 19 avril 2010 un rapport intitulé « avantages : rapport sur les bonnes et les mauvaises pratiques » qui met en avant et « encourage » un certain nombre de bonnes pratiques en matière d’application des règles relatives aux inducements. Ce rapport dans sa version française a été rendu public par l’AMF le 7 juillet 2010. 3. 4.

5. 8

Transposition de la directive MIF, JCP E, n° 16, 19 avril 2007, act. 177. Il s’agit de la directive 2006/73/CE de la Commission du 10 août 2006 portant mesures d’exécution de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d’exercice applicables aux entreprises d’investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive et du règlement n° 1287/2006 de la Commission du 10 août 2006 portant mesures d’exécution de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les obligations des entreprises d’investissement en matière d’enregistrement, le compte rendu des transactions, la transparence du marché, l’admission des instruments financiers à la négociation et la définition de termes aux fins de ladite directive. Inducements under MiFID – Recommendations, Ref.: CESR/07‑228b, mai 2007.

C’est sur la base de ces nouveaux travaux du CERVM que l’AMF établira sa Position – Recommandation 2013‑10 en date du 10 juillet 2013 (ci-­ après la « Position ») sur les rémunérations reçues dans le cadre de la commercialisation et de la gestion sous mandat.

A. La directive MIF 1 et la directive d’exécution L’article 19 de la directive MIF 1 impose tout d’abord une obligation pour toute entreprise d’investissement fournissant des services d’investissement ou des services auxiliaires, d’agir d’une « manière honnête, équitable et professionnelle qui sert au mieux les intérêts d’un client ». Les considérants 39 et 40 de la directive 2006 d’exécution précisent qu’ : « (39) Aux fins des dispositions de la présente directive concernant les avantages, la perception, par une entreprise d’investissement, d’une commission en rapport avec des conseils en investissement ou des recommandations générales, dans les cas où la perception d’une commission n’a pas pour effet de biaiser ces conseils et recommandations, doit être considérée comme visant à améliorer la qualité des conseils en investissement fournis au client. (40) La présente directive n’autorise les entreprises d’investissement à accorder ou à recevoir certains avantages qu’à certaines conditions et sous réserve que le client en soit informé, ou lorsqu’ils sont donnés ou reçus par le client lui-­même ou par une personne agissant en son nom ». Les principes de ces considérants sont repris à l’article 26 de la directive d’exécution. Les dispositions de cet article sont applicables aux entreprises d’investissement qui fournissent des services d’investissement et des services auxiliaires. Les services d’investissement et services auxiliaires figurent à l’annexe 1 de la directive MIF 1, en ses sections A et B respectivement. L’article 26 de la directive d’exécution distingue trois catégories de rémunérations, commissions ou avantages non monétaires. Premièrement, ceux qui sont versés (au titre du (a) de l’article 26), directement ou non, entre le client et le prestataire et qui sont autorisés sans condition. Il en est de même, deuxièmement, pour ceux qui sont versés (au titre du (c) de l’article 26) par le prestataire en vue de permettre la réalisation du service ou parce qu’ils sont nécessaires à celle-­ci (notons ici que le (c) n’est pas limitatif). Troisièmement, la directive autorise en revanche (au titre du (b) de l’article 26), le versement ou la perception de rémunérations, commissions ou avantages sous deux conditions cumulatives. En effet, le client doit, d’une part, avoir été clairement informé de l’existence, de la nature et du montant de l’avantage, ou le cas échéant du mode de calcul de celui-­ci. Cette information doit être complète, exacte, claire et compréhensible, c’est-­à-­dire qu’elle doit mettre le client en mesure de comprendre aisément de quelle manière l’entreprise d’investisse-

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ment est incitée à agir par l’avantage (6). D’autre part, cet avantage doit améliorer la qualité du service fourni au client et servir au mieux ses intérêts. Ainsi, en principe, les rémunérations, commissions ou avantages versés à un tiers ou fournis par un tiers ne sont pas interdits, mais autorisés sous conditions, même si le régime des inducements a pour but d’interdire les rétrocessions dont l’existence est inconnue du client et qui pourraient inciter le prestataire à agir autrement que dans le meilleur intérêt du client (7). Les conditions de l’autorisation sont alors objectives et matérielles.

Les rémunérations, commissions ou avantages versés à un tiers ou fournis par un tiers ne sont pas interdits, mais autorisés sous

conditions.

Les rémunérations, commissions ou avantages ne sont autorisés que moyennant le respect d’une condition d’information, à savoir que les inducements envisagés soient divulgués et d’une condition de fond, c’est-­à-­ dire qu’ils aient pour but d’améliorer la qualité du service fourni au client et servir au mieux ses intérêts. La France a bien sûr transposé les règles que nous venons d’énoncer. L’AMF en adoptant une Position le 10 juillet 2013 a repris et clarifié les principes européens en se fondant notamment sur les travaux effectués précédemment par le CERVM.

B. Les travaux du CERVM En mai 2007, dans le but de faciliter la mise en œuvre et l’application de l’article 26 précité, le CERVM a publié des recommandations de niveau 3 (8) détaillant le régime des rétrocessions de commissions de la directive MIF 1 et de sa directive d’exécution, après avoir consulté deux

6. 7. 8.

Questions & Answers on MiFID, question 132, p. 63. P.-­E. Partsch, Droit bancaire et financier européen, Bruxelles, Larcier, 2009, n° 616, pp. 431 et s. Inducements under MiFID – Recommendations, Ref.: CESR/07‑228b, mai 2007.

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fois les acteurs de la place (9). En élaborant ces recommandations, le CERVM avait l’intention de prendre en compte les considérations pratiques, telles que l’égalité de traitement entre les instruments financiers et les « business models » qui se trouvent dans le champ d’application de la directive MIF 1. Ces recommandations visaient ainsi à stimuler la convergence en matière de contrôle au sein de l’Union européenne (UE). Comme souligné par le CERVM, ces recommandations ne constituaient pas de nouvelles obligations ni de nouvelles exigences envers ses membres. Elles devaient être appliquées par ces derniers de manière volontaire dans leurs contrôles quotidiens. La Commission a participé à ce projet en tant qu’entité observatrice et a considéré que l’approche du CERVM correspondait à la lecture normale et naturelle de la directive. Les recommandations du CERVM visaient également à préciser le contenu des dispositions de la directive d’exécution. Selon le CERVM, l’énumération mentionnée à l’article 26 (c) de cette directive, permettant d’illustrer les cas où la rémunération est autorisée du fait de sa nécessité à la réalisation de la prestation, n’est pas exhaustive (10). Le CERVM semble d’ailleurs accorder une portée extensive à ce principe en n’excluant pas l’hypothèse qu’il puisse s’appliquer à d’autres services d’investissements que ceux mentionnés dans le considérant 39 de la directive d’exécution. Il développe ainsi une conception large de la notion de « facteur de nature à améliorer la qualité du service » en considérant que cette condition est remplie si la commission est indispensable à l’existence du service finalement offert à l’investisseur (11). Par ailleurs, le CERVM liste de manière non exhaustive certains facteurs qui permettent de déterminer si un arrangement peut être défini comme améliorant la qualité du service fourni au client sans nuire à l’obli­ gation d’agir dans le meilleur intérêt des clients. Le ­premier facteur est celui du type de service d’investissement ou de service auxiliaire fourni au client par l’entreprise d’investissement et toute obligation qu’il doit au client en complément de celles énumérées à l’article 26 de la directive d’exécution. Le second facteur concerne le bénéfice attendu par le client en cas de fourniture dudit service, notamment la nature et l’étendue du bénéfice, ainsi que le bénéfice attendu par l’entreprise. Le troisième facteur porte sur l’incitation de l’entreprise d’agir autrement que dans le meilleur intérêt du client ou sur la possibilité que cette rétrocession de commission l’incite à changer de comportement. La relation entre l’entreprise d’investissement et l’entité qui reçoit ou verse la commission, ainsi que la nature de l’avantage, les circonstances dans lesquelles il est versé sont également des facteurs à prendre en compte. 9. Consultations du CESR/06‑687 publiée en décembre 2006 et CESR/07‑228 publiée en avril 2007. 10. Inducements under MiFID – Recommendations, Ref.: CESR/07‑228b, mai 2007, Recommandation 3, p. 7. 11. Inducements under MiFID – Recommendations, Ref.: CESR/07‑228b, mai 2007, Recommandation 5, p. 10.

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Dossier

Les rétrocessions de commission : une révolution des systèmes de rémunérations ?


Dossier

Les « inducements »

Afin de clarifier encore cette notion d’« amélioration de la qualité du service », le CERVM établit des exemples permettant de déterminer si les conditions de l’article 26 de la directive d’exécution sont remplies. Ainsi, un des cas exposé est celui d’une entreprise d’investissement qui fournit un service de gestion de portefeuille à un client et lui facture ce service. Cette entreprise achète les instruments financiers pour son client. Le fournisseur de ces instruments paie une commission à l’entreprise d’investissement qui est prélevée sur les redevances des produits. Le CERVM estime que dans ce cas le montage n’est pas forcément interdit. Cependant, la réception d’une commission ajoutée aux frais de gestion reçus pour le service de gestion de portefeuille est clairement de nature à nuire à l’obligation d’agir dans le meilleur intérêt des clients. Une option s’ouvre à l’entreprise dans ce cas. Elle peut décider de reverser au client toute commission reçue. Si l’entreprise ne souhaite pas procéder au reversement, une attention particulière devra être portée au montage puisqu’il serait difficile pour le gestionnaire de portefeuille de répondre aux autres exigences de l’article 26 de la directive d’exécution notamment celle d’agir dans le meilleur intérêt des clients. Un autre exemple illustre le cas où un client d’une entreprise d’investissement désire acheter des instruments financiers qui ne sont pas proposés par cette entreprise. L’entreprise d’investissement présente alors ce client à une seconde entreprise. Le client devient client de cette seconde entreprise qui lui fournit des services d’investissement pour lesquels elle lui facture des commissions de fourniture de service. Ensuite la seconde entreprise reverse une part de ces commissions à l’entreprise apporteuse du client. Selon le CERVM, le paiement effectué par la seconde entreprise tombera dans le champ de l’article 26(b) de la directive d’exécution et pourra être considéré comme améliorant la qualité du service fourni au client. Le paiement réalisé à cet effet devra être divulgué au client et ne devra pas empêcher l’entreprise d’agir dans le meilleur intérêt de ses clients. Deux ans plus tard et faisant suite aux demandes du secteur et des investisseurs de poursuivre le travail commencé afin de s’assurer qu’une interprétation uniforme et consistante et qu’une application des dispositions de la directive d’exécution en matière de rétro-­commissions était mise en œuvre, les membres du CERVM ont entrepris un sondage (12) dans le but de rassembler des informations sur l’application de ces dispositions au sein de l’UE. Ce travail a donné lieu à un rapport en date du 19 avril 2010 (13) détaillant les bonnes et mauvaises pratiques en la matière. Ces mesures de niveau 3 ont été reprises par l’AMF afin de préciser le fondement de sa Position de juillet 2013.

12. Consultation paper on Inducements: Good and poor practices, Ref.: CESR/ 09‑958, 22 October 2009 13. CESR’s Report on good and poor practices 19th April 2010. 10

C. La Position – Recommandation AMF n° 2013‑10 du 10 juillet 2013 La Position vient préciser l’application des dispositions relatives aux rémunérations et avantages reçus dans le cadre de la commercialisation et de la gestion sous mandat d’instruments financiers. Elle énonce un certain nombre de recommandations, pour l’application des dispositions des articles 314‑76 (Prestataires de Services d’Investissement (ci-­après les « PSI »)) et 325‑6 (Conseillers en Investissement Financier (ci-­ après les « CIF »)) de son règlement général, relatives aux rémunérations et avantages reçus dans le cadre de la commercialisation et de la gestion sous mandat d’instruments financiers. Précisément, les articles 314‑76 et 325‑6 du règlement général de l’AMF transposent l’article 26 de la directive d’exécution. Sont énoncées à l’article 314‑76 les trois hypothèses dans lesquelles le versement d’une rémunération, d’une commission ou d’un avantage non monétaire est autorisé (14). La première hypothèse concerne la rémunération, commission ou avantage non monétaire versé au client qui est dans tous les cas autorisé. La deuxième hypothèse vise un cas plus délicat et concerne la rémunération, commission ou avantage non monétaire versé ou fourni à un tiers ou par celui-­ci (le PSI), ou à une personne agissant au nom de ce tiers ou par celle-­ci (la personne). Le versement n’est autorisé dans ce cas que lorsque deux conditions cumulatives sont remplies : d’une part, le client est informé de l’existence de la rémunération et d’autre part, ce paiement doit avoir pour objet d’améliorer la qualité du service. Concernant l’amélioration de la qualité du service, celle-­ci ne semblait pas constituer un obstacle pour justifier le versement d’une commission ou un avantage. Les professionnels de place ont pu avancer plusieurs justifications pour expliquer pourquoi les avantages non monétaires versés par des « producteurs d’OPCVM » à des distributeurs pouvaient avoir pour objet d’améliorer la qualité du service aux clients (15). Ces justifications ont d’ailleurs fait l’objet de discussions avec l’AMF et de remontées d’informations lors du sondage réalisé par le CERVM en 2009. Les professionnels ont précisé dans ce cadre que ces « paiements peuvent permettre au distributeur de fournir à ses clients un accès à une grande diversité d’OPC, auxquels ils ne pourraient pas accéder facilement autrement, de même qu’à des services liés, comme des informations 14. L’article 325‑6 du règlement général de l’AMF relève des mêmes principes que ceux décrits à l’article 314‑76 qui a été modifié par l’arrêté du 15 septembre 2014 pour ajouter un troisième alinéa autorisant le versement de rémunérations nécessaires à la prestation de conseil. 15. Reprise des arguments de la FBF – Bon usage professionnel d’octobre 2009 sur la transparence de la rémunération des distributeurs dans le cadre de la commercialisation des OPCVM mise en œuvre par la directive MIF.

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sur ces OPC (analyses financières, etc.) allant au-­delà des informations obligatoires qui doivent être fournies aux clients (fiches techniques sur les produits, valeurs liquidatives, etc.). Ces paiements peuvent également couvrir des coûts qui devraient être facturés aux clients, tels que les frais de sélection de fonds ou les coûts liés à la fourniture d’informations sur les instruments financiers vendus par l’entreprise (fiches techniques sur les produits, etc.) » (16). On peut donc remarquer que les PSI ont pu surmonter somme toute assez facilement ces conditions. Il est à noter cependant que cela a pu être plus délicat pour de plus petites structures indépendantes qui ont eu plus de mal à mettre en place de telles mesures organisationnelles, au vu du coût que ces changements engendraient. La troisième hypothèse concerne les rémunérations qui sont nécessaires à la prestation du service et qui sont de ce fait autorisées. Notons aussi au passage que l’obligation d’information à l’égard des clients portant sur l’existence, la nature et le montant de la rémunération est complétée par une obligation de prévention des situations de conflits d’intérêts (17). Comme nous l’avons indiqué précédemment, s’agissant des personnes, la Position s’applique aux PSI, y compris aux sociétés de gestion ainsi qu’aux CIF. S’agissant des services, la Position s’applique aux services d’investissement et aux services connexes fournis en France à l’occasion de la distribution d’instruments financiers ainsi qu’à la gestion sous mandat. La Position n’a en revanche pas vocation à couvrir la gestion d’OPCVM qui, en matière de rémunérations, est réglementée par des dispositions spécifiques aux articles 314‑77 et suivants du règlement général de l’AMF. Toutefois, la Position rappelle que « les activités de distribution d’OPCVM exercées directement par les sociétés de gestion de portefeuille, y compris de type 1, sont, en vertu de l’article 3 de l’instruction AMF n° 2008‑042, soumises aux exigences posées à l’article 314‑76 au titre du service de conseil en investissement ou de la prestation de réception et de prise en charge de l’ordre de souscription ou de rachat ». Autrement dit, l’article 314‑76 du règlement général de l’AMF s’applique aux sociétés de gestion de portefeuille exerçant l’activité de distribution d’OPCVM lorsqu’elles fournissent un service d’investissement : soit de conseil en investissement, soit de RTO. En effet, les distributeurs d’OPCVM sont souvent rémunérés sous diverses formes par le producteur d’OPCVM et risquent de ne pas agir au mieux des intérêts de leurs 16. M. Storck, « L’information des souscripteurs de parts ou actions d’OPCVM sur les rémunérations et avantages dans le cadre de la commercialisation et de la distribution indirecte d’OPCVM », R.D.B.F., n° 4, juillet 2012, comm. 135. 17. M. Storck, « Les rétrocessions de commissions et avantages dans le cadre de la gestion de portefeuille pour compte de tiers », R.D.B.F., n° 3, mai 2013, comm. 112. 2015/2

clients souscripteurs. La plupart des distributeurs « ne perçoivent pas d’honoraires de l’investisseur mais bénéficient d’une rétrocession de commissions de la société de gestion pour les OPCVM distribués, qui peut être trimestrielle, semestrielle ou annuelle. Les gérants d’OPCVM effectuent ainsi des remises sur les droits d’entrée et les frais de gestion au profit d’entreprises qui distribuent des instruments financiers, fournissent des conseils en investissement et proposent des services de gestion de portefeuille ; les entreprises d’investissement peuvent bénéficier également de remises pour des frais de garde et des commissions de performance en lien avec des parts ou actions d’OPCVM » (18). Il convient de préciser que lorsque les circuits de distribution font intervenir plusieurs professionnels, les obligations posées à l’article 314‑76 (pour les PSI) ou à l’article 325‑6 (pour les CIF) du règlement général de l’AMF relatives au client final s’appliquent uniquement à ceux qui fournissent à ce dernier un service d’investissement ou un service connexe. Comme nous l’avons indiqué, la Position n’inclut donc pas la gestion d’OPCVM, cette dernière n’étant pas un service d’investissement. Néanmoins, les arrêtés du 15 octobre 2012 et du 11 décembre 2013 ont permis de transposer respectivement les directives OPCVM IV et AIFM au sein du règlement général de l’AMF. Ainsi les articles 314‑76 et 314‑77 et suivants, inchangés quant aux activités qui y sont régies intègrent ces directives. La transposition au sein des mêmes articles a été rendue possible par la similitude de rédaction entre les articles 29 de la directive OPCVM IV et 24 de la directive AIFM et l’article 26 de la directive 2006 d’exécution. Les articles du règlement général de l’AMF sont donc également applicables aux OPCVM et aux FIA. On pourra noter aussi que postérieurement à la publication de cette Position et depuis l’entrée en vigueur des arrêtés du 15 octobre 2012 et du 11 décembre 2013 transposant respectivement les directives OPCVM IV (19) et AIFM (20), le terme « OPCVM » est remplacé par les termes « un placement collectif mentionné à l’article 311‑1 A » du règlement général de l’AMF, à la fois dans l’article 314‑76 et dans les articles 314‑77 et suivants. 18. M. Storck, « L’information des souscripteurs de parts ou actions d’OPCVM sur les rémunérations et avantages dans le cadre de la commercialisation et de la distribution indirecte d’OPCVM », R.D.B.F., n° 4, juillet 2012, comm. 135. 19. Directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). 20. Directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle et 2009/65/ CE relative aux OPCVM ainsi que les règlements (CE) n° 1060/2009 sur les agences de notation de crédit et (UE) n° 1095/2010 instituant l’AEMF.

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Les rétrocessions de commission : une révolution des systèmes de rémunérations ?


Dossier

Les « inducements »

C’est à la lumière des textes applicables aujourd’hui qu’il convient maintenant d’étudier le dispositif de la nouvelle directive MIF 2.

II.  Les dispositions de la directive MIF 2 sur les rétrocessions de commissions La directive MIF 2 adoptée le 15 mai 2014 devra être transposée dans un délai de deux ans et au plus tard le 3 juillet 2016 pour application le 3 janvier 2017. Comme nous l’avons vu, la protection de l’investisseur demeure l’un des objectifs premiers de la directive MIF 2. La directive juge en effet « nécessaire d’introduire un certain degré d’harmonisation afin d’offrir aux investisseurs un niveau de protection élevé dans l’ensemble de l’union » (21). À cette fin, la directive MIF 2 rappelle dans son considérant 70 que « lorsque la directive 2004/39/CE a été adoptée, la dépendance croissante des investisseurs vis-­ à-­vis des recommandations personnalisées obligeait à assimiler la fourniture de conseils en investissement à un service d’investissement soumis à agrément et à des règles de conduite spécifiques ». En tenant compte du rôle important de ces recommandations personnalisées pour les clients et de la complexité grandissante des services et des instruments, la directive MIF 2 détaille l’amélioration des règles de conduite à respecter. Ainsi, « il convient d’exiger des entreprises d’investissement proposant des conseils en investissement qu’elles communiquent le coût des conseils, qu’elles précisent la base sur laquelle s’appuie le conseil qu’elles fournissent, en mentionnant en particulier la gamme des produits couverts par les recommandations personnalisées et en indiquant si elles dispensent ces conseils sur une base indépendante et si elles fournissent aux clients une évaluation périodique du caractère adéquat des instruments financiers qui leur sont recommandés. Il y a également lieu d’exiger des entreprises d’investissement qu’elles expliquent à leurs clients les raisons du conseil qu’elles leur fournissent » (22).

A. Le conseil indépendant et les autres services d’investissement La directive MIF 2 introduit un nouveau concept dans notre droit : le « conseil en investissement indépendant ». Le considérant 73 de la directive MIF 2 énonce que : « Lorsque les conseils sont fournis sur une base indépendante, un éventail suffisant de produits offerts par différents fournisseurs devrait être examiné avant de formuler une recommandation personnalisée. Le conseiller n’est pas tenu d’examiner les produits d’investissement disponibles sur le marché par tous les fournisseurs ou émetteurs, mais la gamme d’instruments financiers ne devrait pas être limitée aux instruments financiers émis ou proposés par des entités ayant des liens étroits avec l’entreprise d’investissement ou toute autre relation juridique ou économique, telle qu’une relation contractuelle, si étroite qu’elle est susceptible de nuire à la fourniture d’un conseil indépendant » (23). Le conseil indépendant vise ainsi à proposer une palette large de produits offerts sur le marché. Les produits ne devraient pas être limités à ceux émis ou proposés par des entreprises ayant des liens juridiques ou économiques ou encore contractuels d’une nature telle que l’indépendance puisse être biaisée.

La directive MIF 2

introduit un nouveau concept dans notre droit : le « conseil en investissement

indépendant ».

Finalement à la suite de l’adoption de la directive MIF 2, l’AEMF a publié le 19 décembre 2014 son avis technique final qu’elle a transmis à la Commission européenne.

L’article 24 de la directive MIF 2 reprend le considérant 73 en précisant que les instruments financiers doivent « être suffisamment diversifiés quant à leur type et à leurs émetteurs, ou à leurs fournisseurs, pour garantir que les objectifs d’investissement du client puissent être atteints de manière appropriée » (24).

21. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2011/61/ UE, considérant 70. 22. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2011/61/ UE, considérant 72.

23. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2011/61/ UE, considérant 73. 24. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2011/61/ UE, article 24(7) (a).

On remarquera ainsi que dans l’esprit de la directive MIF 2, le conseil et la recherche sont intrinsèquement liés.

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Le conseil indépendant est accompagné de plusieurs mesures permettant d’améliorer les connaissances du client en lui fournissant différentes informations. Ces informations portent sur le type de conseil fourni, l’analyse des différents types d’instruments financiers, la fourniture d’une évaluation périodique du caractère approprié des instruments financiers recommandés, les orientations et mises en garde appropriées sur les risques inhérents à l’investissement et enfin les coûts et frais liés à la fourniture du service (25). La protection du client reste donc au cœur de ces dispositions (la section 2 du chapitre 2 de la directive MIF 2 vise à garantir la protection des investisseurs) et les informations doivent être fournies « sous une forme compréhensible de manière que les clients ou clients potentiels puissent raisonnablement comprendre la nature du service d’investissement et du type spécifique d’instrument financier proposé ainsi que les risques y afférents et, par conséquent, de prendre des décisions en matière d’investissement en connaissance de cause » (26). La protection du client ne se fait pas seulement en amont du service rendu mais également durant la fourniture de celui-­ci. Pour permettre une réelle transparence dans la fourniture du service, la directive MIF 2 impose un nouveau principe corrélé à l’apparition du concept de « conseil indépendant », qui consiste en l’interdiction pour une entreprise d’investissement fournissant un service de conseil sur une base indépendante ou un service de gestion de portefeuille de verser ou percevoir des commissions provenant de tiers. « Cela implique que tous les droits, commissions et avantages monétaires versés ou fournis par un tiers doivent être reversés au client dans leur intégralité et dans les meilleurs délais après réception de ces versements par l’entreprise et que l’entreprise ne devrait pas être autorisée à déduire des versements provenant de tiers des honoraires dus par le client à l’entreprise » (27). Il est donc logique que le client soit informé de ces commissions également afin de lui permettre de prendre une décision d’investissement en connaissance de cause. En revanche, les avantages non monétaires mineurs sont autorisés sous certaines conditions. On retrouve ici les conditions déjà existantes sous la directive 2006 d’exécution, à savoir « que le client en soit clairement informé, qu’ils soient à même d’améliorer la qualité 25. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2011/61/ UE, article 24(4) (a à c). 26. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2011/61/ UE, article 24(5). 27. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2011/61/ UE, considérant 74. 2015/2

des services fournis et qu’ils ne soient pas considérés comme compromettant la capacité des entreprises d’investissement d’agir au mieux des intérêts de leurs clients ». Autrement dit, l’avantage mineur doit être connu du client et doit lui être favorable, à la fois par l’amélioration du service rendu et par la prise en compte de ses intérêts. Ce principe d’interdiction est clairement affirmé à les articles 24(7)(b) pour le conseil indépendant et 24(8) pour la gestion de portefeuille. L’article 24(7) (b) énonce que l’entreprise d’investissement « n’accepte pas, en les conservant des droits, commissions ou autres avantages monétaires ou non monétaires en rapport avec la fourniture du service aux clients, versés ou fournis par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers. Les avantages monétaires mineurs qui sont susceptibles d’améliorer la qualité du service fourni à un client et dont la grandeur et la nature sont telles qu’ils ne peuvent être pas considérés comme empêchant le respect par l’entreprise d’investissement de son devoir d’agir au mieux des intérêts du client, doivent être clairement signalés et sont exclus du présent point ». L’article 24(8) énonce que « Lorsqu’elle fournit des services de gestion de portefeuille, l’entreprise d’investissement n’accepte pas, en les conservant des droits, commissions ou autres avantages monétaires ou non monétaires en rapport avec la fourniture du service aux clients, versés ou fournis par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers. Les avantages monétaires mineurs qui sont susceptibles d’améliorer la qualité du service fourni à un client et dont la grandeur et la nature sont telles qu’ils ne peuvent pas être considérés comme empêchant le respect par l’entreprise d’investissement de son devoir d’agir au mieux des intérêts du client, sont clairement signalés et sont exclus du présent paragraphe ». A contrario, demeure un principe d’autorisation sous conditions pour les autres services d’investissement et les services auxiliaires. L’article 24(9) dispose que « les entreprises d’investissement (sont) considérées comme ne remplissant pas leurs obligations au titre de l’article 23 », relatif aux conflits d’intérêts, « ou du paragraphe 1 du présent article », imposant l’obligation d’agir de manière honnête, équitable et professionnelle servant au mieux les intérêts des clients, « lorsqu’elles versent ou reçoivent une rémunération ou une commission, ou fournissent ou reçoivent un avantage non pécuniaire en liaison avec la prestation d’un service d’investissement ou d’un service auxiliaire, à ou par toute partie, à l’exclusion du client ou de la personne agissant au nom du client, à moins que le paiement ou l’avantage : a) ait pour objet d’améliorer la qualité du service concerné au client ; et b) ne nuise pas au respect de l’obligation de l’entreprise d’investissement d’agir d’une manière honnête, équitable et professionnelle au mieux des intérêts de ses clients ».

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Les rétrocessions de commission : une révolution des systèmes de rémunérations ?


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Les « inducements »

On pourra noter ici que « Le client est clairement informé de l’existence, de la nature et du montant du paiement… ou de l’avantage visé au premier alinéa, ou lorsque ce montant ne peut être établi, de son mode de calcul d’une manière complète, exacte et compréhensible avant que le service d’investissement ou le service auxiliaire concerné ne soit fourni. Le cas échéant, l’entreprise d’investissement informe également le client sur les mécanismes de transfert au client de la rémunération, de la commission et de l’avantage pécuniaire ou non pécuniaire reçus en liaison avec la prestation du service d’investissement ou du service auxiliaire ». Enfin, le « paiement… nécessaire à cette prestation, tels que les droits de garde, les commissions de change et de règlement, les taxes réglementaires et les frais de procédure, et qui ne peut par nature occasionner de conflit avec l’obligation qui incombe à l’entreprise d’investissement d’agir d’une manière honnête, équitable et professionnelle au mieux des intérêts de ses clients n’est pas soumis aux exigences énoncées au premier alinéa » (28). Les conditions demeurent ainsi les mêmes en matière de service d’investissement ou de service auxiliaire par rapport à la directive 2006 d’exécution. Le client doit avoir été informé du versement de l’avantage qui doit avoir pour objet d’améliorer la qualité du service fourni et ne doit pas nuire au respect de l’obligation de l’entreprise d’investissement d’agir d’une manière honnête, équitable et professionnelle au mieux des intérêts de ses clients. En revanche comme nous l’avons vu, à compter de la transposition de la directive MIF 2, un régime spécial sera instauré pour les services de conseil indépendant et de gestion de portefeuille. Les PSI fournissant de tels services devront se conformer aux nouvelles exigences et ne pas conserver de commissions en prévoyant un processus de transfert au client de l’avantage. Il convient de noter que la directive MIF 2 prévoit la possibilité pour les États membres d’« interdire ou limiter davantage la possibilité d’offrir ou d’accepter des droits, commissions ou autres avantages monétaires et non monétaires en rapport avec la fourniture du service aux clients, versés ou fournis par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers » (29). Existe ainsi la possibilité pour les États de limiter encore cette perception d’avantages notamment pour les services d’investissement autres que le conseil indépendant et la gestion de portefeuille déjà visés par l’interdiction. Il paraît peu probable que la France utilise cette possibilité en raison des positions déjà exprimées lors de la transposition de la directive MIF 1. Pour certains, l’objectif n’est pas de parvenir à 28. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2011/61/ UE, article 24(9). 29. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2011/61/ UE, considérant 76. 14

une réduction du coût des services au profit des investisseurs, mais de limiter les risques de conflit d’intérêts afin que les conseils proposés aux investisseurs portent sur les produits financiers les plus adaptés à la situation personnelle et patrimoniale des clients (30).

B. La recherche en investissements Il convient de rappeler que les services auxiliaires incluent depuis la directive MIF 1 la recherche en investissements et l’analyse financière (recherche en investissements et analyse financière ou toute autre forme de recommandation générale concernant les transactions sur instruments financiers) (31). La rémunération de celle-­ci devrait donc en principe être soumise au régime d’autorisation sous conditions de l’article 29 de la directive MIF 2 telle que nous l’avons précédemment décrite. Or, l’AEMF, lorsqu’elle s’est interrogée (32) sur la possibilité de recevoir des avantages mineurs (dans le cadre du conseil indépendant et de la gestion de portefeuille), a indiqué que la fourniture d’analyse financière ne pouvait être considérée comme un avantage mineur que si elle était envoyée à un nombre significatif de personnes ou en même temps au public. On retrouve ici le raisonnement qui vise à éviter les ventes biaisées (fourniture d’avantages pouvant constituer des conflits d’intérêts), dans un contexte où la plupart de la recherche est fournie gratuitement (en France) par les PSI aux sociétés de gestion qui s’en servent pour orienter leurs décisions d’investissement dans le cadre de la gestion collective ou de la gestion discrétionnaire (sous mandat). De ce qui vient d’être dit découle par un raisonnement a contrario que la fourniture d’analyse financière lorsqu’elle est reçue de manière individualisée n’est pas un avantage mineur et que par conséquent son paiement doit être financé par le bénéficiaire de celle-­ci, à savoir le client. Cette position de l’ESMA a été fortement contestée par le secteur financier tout au long de l’été dernier (33). Rappelons brièvement quelques arguments qui ont été soulevés en ce sens.

30. M. Storck, « La protection des investisseurs et les enjeux de la révision de la directive MIF en France », Revue Lamy Droit des Affaires, 2013, n° 82, pp. 98‑104. 31. Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/ CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/ CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil, annexe 1, section B (5). 32. ESMA’s Consultation Paper 22nd May 2014, pp 121, 12 et s. 33. Message sur le site de la Société Française des Analystes Financiers en date du 1er août 2014, voy. aussi les réponses de l’AMAFI, de la FBF et de l’AFG à l’ESMA’s Consultation Paper 22nd May 2014.

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Les acteurs de place considèrent que la recherche ne peut pas être qualifiée de « commission » pour plusieurs raisons. D’abord, la recherche en investissements et l’analyse financière ou toute autre forme de recommandation entrent dans le champ d’application des services auxiliaires de la directive MIF 2. Ensuite, les acteurs allèguent que la recherche reçue par les gestionnaires de portefeuille est perçue dans l’intérêt des clients, puisqu’elle permet aux gestionnaires de se conformer à leurs obligations fiduciaires envers leurs clients en prenant des décisions d’investissement plus efficaces et en allouant de manière efficiente l’argent des investisseurs. Enfin, la recherche n’est jamais mentionnée dans la directive MIF 2 comme une commission. En dépit des critiques soulevées, l’ESMA a maintenu sa position dans son avis technique final (34) du 19 décembre 2014 transmis à la Commission européenne et ­indiqué qu’elle considérait l’analyse financière comme un « inducement », c’est-­à-­dire une « incitation à traiter », ou une « rétrocession de commission ». L’avis technique final de l’ESMA prévoit dans son point 2.15 que la recherche n’est pas considérée comme un inducement dans les cas où (i) elle est financée directement par celui qui la reçoit (par exemple dans le cadre de la gestion par le gestionnaire de portefeuille) ou (ii) si elle peut être financée directement par les portefeuilles selon les conditions suivantes : mise en place d’un compte ségrégué, établissement d’un budget ex-­ ante de recherche avec une affectation par portefeuille, obtention de l’accord préalable du client puis fourniture d’une information ex-­post sur le budget affecté à son portefeuille (35). Enfin, il conviendra pour l’ESMA de mettre en place un contrôle de l’utilité pour le client des frais de recherche qu’il est amené à supporter (36).

C. Avis technique de l’ESMA L’avis technique final de l’AEMF publié le 19 décembre 2014 vise à apporter des précisions sur la directive MIF 2. Cet avis intègre (en partie) les réponses données par les acteurs de place interrogés durant l’été 2014. Il revient sur les cinq points importants qui ont suscité de nombreux débats entre les institutions européennes et les professionnels des marchés. Premièrement, l’AEMF clarifie d’abord l’obligation de reverser les paiements ou avantages provenant d’une tierce partie au client prévue dans le considérant 74 et l’article 24 de la directive. Elle précise que ce reversement devra avoir lieu le plus tôt possible après réception, en transférant les fonds reçus au compte de th

34. ESMA’s Final Technical Advice 19 December 2014, point 2.15, § 7 à § 9, pp. 139‑141. 35. ESMA’s Final Technical Advice 19th December 2014, point 2.15, § 7, pp. 139‑140. 36. 15e journée de formation des RCSI, AMF 17 mars 2015, Atelier 3, « Transposition de MIF 2 : les enjeux pour les intermédiaires de marché ». 2015/2

paiement du client. Elle ajoute que cette exigence ne devrait pas être enfermée dans une période de temps déterminée, sachant que ce type de paiements peut être perçu par l’entreprise à tout moment et pour différents clients d’un coup. Ainsi, en énonçant que cette exigence relève des mesures organisationnelles décrites dans l’article 16 de la directive MIF 2, l’AEMF fait peser une vaste responsabilité sur l’entreprise qui doit mettre en place une politique permettant de s’assurer que les paiements sont alloués et transférés à chaque client (37). Ces derniers devront être informés des montants qui leur sont transmis, à travers les relevés de comptes bancaires. Cette information relève du rapport périodique régulier fourni au client pour lui permettre d’avoir une vision globale des informations (38). Deuxièmement, après avoir rappelé que les entreprises d’investissement qui fournissent du conseil en investissement indépendant ou font de la gestion de portefeuille ne peuvent recevoir d’avantages non monétaires qui ne sont pas mineurs, l’AEMF recommande à la commission d’introduire une liste exhaustive d’avantages non monétaires qui peuvent être considérés comme mineurs et qui sont de ce fait, autorisés. Elle ajoute que ces avantages sont mineurs uniquement lorsqu’ils sont raisonnables et proportionnés et d’un niveau tel qu’ils ne sont pas susceptibles d’influencer le comportement de celui qui les reçoit au détriment des intérêts du client (39). L’AEMF établit également une liste d’avantages non monétaires mineurs (l’information relative aux instruments financiers, la participation à des séminaires ou des conférences, les invitations relevant d’un prix minime ou encore les autres avantages non monétaires mineurs). Troisièmement, la recherche en investissements, sur laquelle nous ne reviendrons pas, l’ayant évoquée plus à même auparavant. Quatrièmement, l’AEMF apporte des précisions sur les conditions relatives à l’amélioration du service de l’article 24(9). Elle précise que les conditions qui y sont énoncées sont cumulatives et doivent être remplies au cas par cas par les entreprises. L’ESMA recommande également à la Commission d’introduire une liste non exhaustive de circonstances et situations que l’Autorité Nationale Compétente (ANC) devrait prendre en compte pour déterminer les cas dans lesquels la condition d’amélioration de la qualité n’est pas respectée (40). L’avis technique détaille les conditions qui permettent de déterminer si l’amélioration de la qualité peut être retenue. Une fois ce critère d’amélioration de la qualité du service rempli, les entreprises devront maintenir ce niveau d’amélioration. Néanmoins, il ne 37. ESMA’s Final Technical Advice point 2.15, § 1, p. 138. 38. ESMA’s Final Technical Advice point 2.15, § 2, p. 138. 39. ESMA’s Final Technical Advice point 2.15, § 4, pp. 138‑139. 40. ESMA’s Final Technical Advice point 2.15, § 11, p. 141.

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19th December 2014, 19th December 2014, 19th December 2014, 19th December 2014, 15

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Les rétrocessions de commission : une révolution des systèmes de rémunérations ?


Dossier

Les « inducements »

leur est pas demandé d’améliorer la qualité de façon continue mais simplement de la maintenir au même niveau (41). L’avis retient également que l’établissement d’une liste interne ou d’un d’enregistrement permettant de démontrer cette amélioration fait partie des exigences organisationnelles prévues par la directive (42). Cinquièmement, l’AEMF précise dans son avis les informations qui devront être transmises aux clients lorsque des avantages monétaires ou non sont perçus. Préalablement à la fourniture du service d’investissement ou du service auxiliaire, l’entreprise d’investissement devra divulguer au client de manière claire, compréhensible et précise, l’existence, la nature et le montant du paiement ou de l’avantage non monétaire. À défaut, seule la méthode de calcul devra être transmise au client. Dans ce dernier cas, l’entreprise devra également fournir des informations sur le montant exact de l’avantage, postérieurement à sa perception (43). Ces informations s’inscrivent dans le cadre du rapport périodique dû par l’entreprise au client qui doit être effectué au moins une fois par an. L’autorité souligne qu’en cas d’existence d’un réseau de distribution, chaque entité fournissant un service d’investissement ou auxiliaire est tenue de se conformer aux obligations précitées (44). En conclusion, cet article ne serait pas complet si on ne mentionnait pas l’article 91 de la directive MIF 2 (qui vient modifier la directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurance) qui vient préciser que les États pourront « interdire aux intermédiaires d’assurance et entreprises d’assurance d’accepter ou de percevoir des frais, des commissions ou d’autres avantages monétaires versés ou fournis par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers, en rapport avec la distribution aux clients de produits d’investissement fondés sur l’assurance » (45). La raison de cette interdiction vise, dans l’attente du vote de la nouvelle directive sur l’intermédiation en assurance (ou sur la commercialisation des produits d’assurance, puisqu’elle a changé de nom en cours de route), à permettre aux États européens d’appliquer les mêmes dispositions sur les instruments financiers et les produits d’investissement fondés sur l’assurance (les « PIA »). En effet, la directive MIF 2 rappelle dans ses considérants que les contrats d’assurance ont souvent 41. ESMA’s Final Technical Advice 19th December 2014, point 2.15, § 14, p. 142. 42. ESMA’s Final Technical Advice 19th December 2014, point 2.15, § 15, p. 142‑143. 43. ESMA’s Final Technical Advice 19th December 2014, point 2.15, § 16, p. 143. 44. ESMA’s Final Technical Advice 19th December 2014, point 2.15, § 17‑18, p. 143. 45. Conférence annuelle Directive MIF 2 : « Un big bang pour vos circuits de distribution ! Le point de vue juridique d’un assureur pour négocier les contrats avec les intermédiaires. Solutions alternatives et points de convergence avec DIA 2, D.I.I. », 2 décembre 2014. 16

été proposés comme des alternatives aux instruments financiers et que par conséquent des exigences appropriées sont depuis la crise financière de 2008 nécessaires pour protéger la clientèle achetant PIA. L’adoption du règlement n° 1286/2014 du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 sur les documents d’informations clés (ci-­après « DIC ») relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance (ou règlement PRIIPS en anglais – Package Retail and Insurance-­ Based Investment Products) comprend lui une section intitulée dans son article 8 « Que va me coûter cet investissement ? ». Il y est précisé que le DIC « mentionne… des informations détaillées sur les coûts de distribution éventuels qui ne sont pas déjà inclus dans les coûts précisés ci-­ dessus, de manière à permettre à l’investisseur de détail de comprendre l’effet cumulé de ces coûts agrégés sur le rendement de l’investissement ». On peut penser ici qu’il sera nécessaire aux fins de comparabilité des produits de faire apparaître les éventuelles rétrocessions. Les associations de place travaillent par conséquent sur le sujet pour y intégrer ces notions. Au final, sous le nouveau régime de la directive MIF 2, les rétrocessions de commission seront finalement interdites pour le conseil indépendant ou la gestion de portefeuille. Il est prévu de devoir les reverser intégralement et immédiatement au client. Dans les autres cas (le « conseil non indépendant » et de manière générale les services d’investissement et auxiliaires), le régime restera assez similaire au régime actuel. Lorsque l’on envisage les impacts de la directive MIF 2, il convient donc de distinguer plusieurs cas. La gestion discrétionnaire sera directement impactée. Des portefeuilles investis en fonds d’investissement par exemple pourraient générer moins de revenus par l’absence de rétrocessions. Dans le but de compenser cette différence, le gestionnaire pourrait imaginer revoir les frais de gestion facturés au client final, parallèlement à un recentrage sur des fonds maisons au détriment des fonds de tiers. La situation pourrait mener à une détérioration de la gestion, moins diversifiée. L’impact sur les activités de conseil est plus subtil. A priori, le conseil non indépendant pourrait subsister : il suffirait de ne pas se déclarer indépendant et de proposer des produits d’un fournisseur unique, voire de quelques fournisseurs. Tous les acteurs devront donc se positionner. On peut intuitivement imaginer que les réseaux bancaires pourraient être considérés comme des acteurs « non indépendants » s’ils privilégient la distribution de leurs propres produits. À l’inverse, certains prestataires revendiquant aujourd’hui cette indépendance pourraient se trouver dans une position plus délicate, obligés de transformer les rétrocessions perdues en frais de conseil, avec des clients parfois réticents à payer ce qui était précédemment considéré comme dû. Par ailleurs, privilégier les échanges intra-­groupes permettrait de conserver un revenu global à l’inverse de la

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renonciation aux inducements. Dans ce sens, la banque pourrait avoir un intérêt à distribuer prioritairement les fonds du groupe. Selon cette logique, nous pourrions nous attendre au succès croissant des sociétés de gestion adossées à des banques. À terme, les banques pourraient alors être amenées à redéployer leurs compétences en gestion pour offrir une couverture large de solutions avec un moindre recours aux fonds de tiers. Les gestionnaires indépendants quant à eux devraient davantage convaincre par la qualité de leur gestion,

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ou la faiblesse de leurs coûts. Certains pourraient aussi envisager des partenariats stratégiques avec des banques voire avec des prestataires d’assurance. Dans une approche internationale de la distribution de produits ou du conseil aux clients, il va sans doute être de plus en plus difficile de construire un modèle efficace en se fondant sur une règle non uniforme et probablement non pérenne. Ne faut-­il pas progressivement prendre acte et envisager un nouveau modèle ?

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Les rétrocessions de commission : une révolution des systèmes de rémunérations ?


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Les « inducements »

Inducements: The Luxembourg perspective from MiFID I to MiFID II

Pit Reckinger

Partner Lawyer at the Luxembourg Bar

I. Introduction The subject of inducements is of particular importance for Luxembourg as it directly impacts two major segments of its financial services sector: the investment fund industry which focuses on crossborder distribution and the private banking activity which concentrates on wealth management. In both areas it is customary for firms which provide investment services to clients (whether it be order execution, investment advisory or portfolio management services in respect of financial instruments) to receive or provide fees, commissions or other non-­monetary benefits (together referred to as “Inducements”) from the product manufacturer, its representative or other professionals in the chain. The advice/sale channel and the related remuneration structure constitute the main source of conflict of interest risk for retail investors. (1) With the implementation of MiFID I (2) and MiFID I Implementing Directive (3) into Luxembourg legislation in 2007, specific requirements were set in relation to the receipt or payment of any such Inducements associated with the sale, advice or management of an investment product in order to make sure that these Inducements do not place the firm in a situation where it would not comply with the basic rule of conduct to act honestly, fairly and professionally in accordance with the best interests of its clients. With the introduction of MiFID II (4), the European legislator has reinforced the requirements by imposing inter alia a total prohibition on Inducements for independent advisers and discretionary portfolio managers. The objective of this article is to explain the existing legal regime under MiFID I in Luxembourg (which will continue to apply although with a narrower scope 1. N. Moloney, EU Securities and Financial Markets Regulation, 3rd edition, Oxford EU Law Library, p. 808. 2. Directive 2004/39/EC of 21 April 2004, O.J.E.U. L 145, 30 April 2004. 3. Directive 2006/73/EC of 10 August 2006, O.J.E.U. L 241, 2 September 2006. 4. Directive 2014/65/EU of 15 May 2014, O.J.E.U. L 173, 12 June 2014. 18

and a more stringent interpretation under MiFID II) and to set out what main changes are to be expected under MiFID II. It will briefly discuss the interaction of MiFID I/MiFID II with parallel legislation covering UCITS management companies, AIFM and the insurance sector.

II. The relevant Luxembourg legislation When implementing MiFID I and MiFID I Implementing Directive, the Luxembourg legislator almost used the European texts word for word. Article 19(1) of MiFID I which sets out the overall rule of conduct requiring investment firms “to act honestly, fairly and professionally in accordance with the best interests of their clients […]” has been introduced in identical terms in Article 37‑3(1) of the Luxembourg law of 5 April 1993 on the financial sector as amended (the “Financial Sector Law”), safe that it is specified that the obligations apply to both banks and investment firms. The same is true for Article 26 of the MiFID I Implementing Directive which is replicated almost word for word in Article 30 of the Grand-­Ducal Regulation of 13th July 2007 relating to organisational requirements and rules of conduct in the financial sector (the “MiFID I Regulation”). Article 30 of the MiFID I Regulation introduces the concept of Inducements into Luxembourg law and sets out the requirements in relation to the receipt or payment by an investment firm or a bank of a fee, commission or non-­monetary benefit that could, in certain circumstances, place the firm in a situation of a conflict of interests. In parallel, the supervisory authority (CSSF) (5) issued a circular on 31st July 2007 (6) setting out explanations and giving specifications on certain aspects of the MiFID I legislation in particular with respect to Inducements (7) (“CSSF MiFID I Circular”). Attached to the CSSF MiFID I Circular are the CESR Recommendations on Inducements under MiFID (8) which are to be used by professionals in Luxembourg as a reference when applying the rules on Inducements. Other relevant documents under Luxembourg law with respect to Inducement rules are the Luxembourg bank association’s (ABBL) MiFID handbook of September 5. 6. 7. 8.

Commission for the Supervision of the Financial Sector. CSSF Circular 07/307 as amended by circulars CSSF 13/560, CSSF 13/567 and CSSF 14/585. CSSF Circular 07/307, Chapter 8 Inducements. CESR, Inducements under MiFID – Recommendations, CESR/07‑228b, May 2007.

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2007 (9) as well as an informal memorandum issued by an ABBL MiFID working group setting out a common view of the professional community on certain aspects of Inducements such as the conditions relating to service enhancement or the disclosure rule for clients. Further CESR documents, in particular the CESR report on good and poor practices in respect of Inducements, (10) ought to be considered by professionals in Luxembourg as part of the application of the Inducement rules.

CESR documents, (…)

ought to be considered by professionals in Luxembourg as part of the application of the

Inducement rules.

III. Two “narrow” categories of authorised Inducements Article 30 of the MiFID I Regulation identifies two situations where banks and investment firms can pay/ provide or be paid/provided Inducements in relation to the provision of an investment or ancillary service to a client without having to fulfil any further condition and without any specific disclosure requirement: (i) payments paid or provided to or by the client (Article 30(a) MiFID I Regulation) and (ii) proper fees which enable or are necessary to provide the service (Article 30(c) MiFID I Regulation). These two categories of Inducements are intended to apply only in a limited number of situations and constitute exemptions from the “general” regime on Inducements referred to below. Article 30(a) only applies when the firm’s invoice is paid directly by the client or when the client provides separate specific instruction to a person to make the payment on his behalf (e.g. an accountant or a lawyer) who then acts as a mere conduit for payments between the firm and the client. (11) The fact that the economic 9. Handbook on MiFID Issued by the Association des Banques et Banquiers à Luxembourg (ABBL). 10. CESR, Inducements: Report on good and poor practices, CESR/10-295, 19 April 2010. 11. E.g. a client has agreed with the firm A the fee that he will pay to A; the client could, if he wishes in connection 2015/2

cost of payments is borne by the client alone is not sufficient for it to be considered to be made on behalf of the client. (12) Although the list of items falling under the definition of “proper fees” provided in Article 30(c) (13) is not exhaustive, the scope of this article is limited by the condition that such fees may not, by their nature, conflict with the firms’ duty to act in the client’s best interest. (14) This test needs to be focused on the “nature” of the Inducements and not on the basis of whether the payment gives rise to such a conflict. Generally speaking, all kinds of fees paid by a firm in order to access and operate on a given instruction venue should normally fall within Article 30(c) (within the general category of settlement and exchange fees) as well as specific types of custody-­related fees such as those paid by the investment firm in connection with specific corporate events. (15) However, despite calls from the Luxembourg industry to CESR (16) which were not accepted, standard commissions or fees, such as retrocessions of commissions or trailer fees to a distributor of financial products, are of the nature to potentially give rise to conflicts with the duty owed to clients, even if this remunerates legitimately services allowing clients to have access to products. (17) All these types of remuneration will therefore be part of the general Inducement regime referred to below. MiFID II broadly follows the MiFID I template with respect to payments provided to or by clients or on their behalf and payment of proper fees as set out herein. The regime as described above should therefore continue unchanged under MiFID II.

IV. All other Inducements authorised subject to conditions only Article 30(b) of the MiFID I Regulation governs the largest category of Inducements under MiFID I, namely all other payments related to the provision of an investment or ancillary service to a client, which have to meet certain conditions in order to be acceptable: quality enhancement, absence of conflict of inte-

12. 13. 14. 15. 16. 17.

with the service provided by A, also provide an explicit instruction to C to pay the amounts that the client owes to A out of the client’s account with C; the client is able to instruct C to cease to make such payments (CESR, Inducements under MiFID – Recommendations, CESR/07‑228b, May 2007, p. 12). Circular CSSF 07/307, p. 20. Custody costs, settlement and exchange fees, regulatory levies and legal and judicial fees. Circular CSSF 07/307, p. 20. CESR, Inducements: Report on good and poor practices, CESR/10‑295, 19 April 2010, p. 15. Which in the meantime has been replaced by the ESMA. Circular CSSF 07/307, p. 20.

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Inducements: The Luxembourg perspective from MiFID I to MiFID II


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Les « inducements »

rest and disclosure. This category has a large scope and includes all types of Inducements including standard fees (18) regardless of their purpose and also cover intra-­ group payments (19) and not only payments in an open architecture structure.

A. Quality enhancement and absence of conflict of interest The first condition is that the payments must be designed to enhance the quality of the relevant services and must not impair compliance with the firm’s duty to act in the client’s best interests. From a wording point of view it is interesting to note that the Luxembourg text of Article 30(b) refers to the Inducement which “must be designed to enhance the quality of the relevant service” (“doit viser à améliorer la qualité du service fourni”) and reflects the English text of the MiFID I Implementing Directive. The French text of the Directive does not contain the words “designed to” (“viser à”) and hence appears stricter than the English text. The term “designed” makes clear that the judgment has to be made at the time the payment arrangement is proposed, rather than only once the payment has been made. (20) This condition does not imply that the quality of the service must be enhanced for each client. The assessment may be performed at the level of the service offered to a group of clients, rather than for each service provided to each individual client. (21) In principle, CESR agrees that Inducements paid to third parties which imply the provision of additional or higher services, or even offer access to a wider range of financial instruments are authorised if all other elements of the rules are complied with. CESR obviously specifies that this test must be assessed on a case-­by-­ case basis having regard to its recommendations. (22) In respect of distributions of units in Undertakings for Collective Investment (UCI), the informal memorandum of the ABBL referred to above gives important input on the commonly applied standards in Luxembourg. When distributing financial instruments in an “execution only” context where the firm is not receiving a specific remuneration from the client for an advisory service, the enhancement of the quality of the service is sufficiently evidenced through the fact that clients benefit from a broader, more diversified range of investments (23) and have access to up-­ to-­date information in this respect. Where a firm also provides investment advice or portfolio management 18. See above. 19. Circular CSSF 07/307, p. 20. 20. CESR, Inducements under MiFID – Recommendations, CESR/07‑228b, May 2007, number 15, p. 8. 21. Circular CSSF 07/307, p. 21. 22. CESR, Inducements: Report on good and poor practices, CESR/10‑295, 19 April 2010, p. 22. 23. Circular CSSF 07/307, p. 21. 20

services (which increases the risk of non-­compliance with its duty to act in accordance with the best interest of the client). Inducements can still be acceptable provided that the firm is able to demonstrate that such Inducements allow it to enhance the quality of its service in a manner which exceeds the quality of the advisory/ management service without payment or receipt of the Inducements. This would be the case if the firm maintained a dedicated infrastructure and extensive monitoring as management tool intended to optimize investor satisfaction and help to strengthen and enhance the quality of the advisory/ management service rendered to the client. (24) It is the expertise and know-­how which ultimately benefit the clients and may justify Inducements subject to objective criteria.

Inducements can still

be acceptable provided that the firm is able to demonstrate that such Inducements allow it to enhance the quality of its service (…)

Irrespective of a sale or advice service, a firm or bank sometimes remunerates certain third parties for example in order to expand its client base (apporteur d’affaires). Such third parties fulfil a selection role vis-­ à-­vis the client on behalf of which they act. The service enhancement may consist in a better selection of the financial institutions which offer the service which best corresponds to the client’s expectations and requirements. Vis-­à-­vis the bank, these third parties introduce clients which fall within the relevant bank’s defined target range. The remuneration could be a one off payment or a payment staggered over time. Other type of Inducements which are identified by CESR as “good practice” as enhancing the quality of the service may consist of soft commissions (e.g. research, technical and IT facilities) received by firms providing portfolio management or advisory services from a custodian where their clients have deposited their assets and which also act as executing broker. This is in particular the case when such IT facilities 24. Informal ABBL MiFID working group paper, October 2007.

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2015/2


enable access to real time information on the assets of the firm’s clients. (25)

B. Disclosure Article 30(b) of MiFID I Regulation further requires that the existence, nature and amount of the payment or, where the amount cannot be ascertained, the method of calculating that amount, must be clearly disclosed to the client, prior to the provision of the relevant service. By virtue of the final paragraph of Article 30, firms may disclose in a summary form only the essential terms of the arrangements relating to the payments, provided that further details are disclosed at the request of the client and the client is informed of his right to ask for such details. A generic disclosure merely referring to the fact that the investment firm may or will receive Inducements is not considered as sufficient. (26) The Luxembourg regulator has indicated that a disclosure without any reference value on the amount of the Inducements would not be acceptable. The summary disclosure should thus be specific to the service provided and contain sufficient information to enable the client to make an informed decision. Where a number of entities are involved in the distribution channel, each investment firm that is providing an investment or ancillary service must comply with its obligation of disclosure to its clients. (27)

V. A reduced scope of the “Authorised Inducements subject to conditions” under MiFID II With the introduction of MiFID II, the above regime remains applicable (although in a narrower way (see below)) but possibly with a few nuances due to ESMA’s proposal, (28) in the context of the MiFID II level 2 measures (29) to expand the obligations of quality enhan25. CESR, Inducements: Report on good and poor practices, CESR/10‑295, 19 April 2010, p. 23. 26. CESR, Inducements: Report on good and poor practices, CESR/10‑295, 19 April 2010, p. 26. 27. CESR, Inducements under MiFID – Recommendations, CESR/07‑228b, May 2007, p. 11. 28. This proposal has been issued to and remains to be confirmed by EU Commission. 29. See EU Commission’s request to ESMA on technical advice regarding possible delegated acts and implementing acts concerning MiFID II Directive (EU/2014/65) and the MiFID II Regulation (EU) 600/2014 on markets in financial instruments, p. 26 and the ESMA Final Report on Technical Advice to the Commission on MiFID II and MiFIR (ESMA /2014/1569), 19 December 2014. 2015/2

cement and disclosure by specifying these criteria. In respect of the quality enhancement condition, ESMA has suggested to the EU Commission the introduction of a non-­exhaustive list of circumstances and situations to be considered by the national competent authorities when assessing whether or not the condition is met. The Inducements would not generally be regarded as designed to enhance the quality of the relevant service in any of the following cases: – the payment is not justified by the provision of an additional or higher level service to the client, proportional to the level of Inducements received. ESMA gives three examples (30) of situations where the provision of an additional or higher level service is demonstrated: – the provision of non-­independent advice and access to a wide range of suitable financial instruments including an appropriate number of instruments from third party product providers; – the provision of non-­independent advice combined with either an offer to the client, at least on an annual basis, to assess the continuing suitability of the financial instruments in which the client has invested or with another ongoing service that is likely to be of value to the client; – the provision of access to a wide range of financial instruments at a competitive price, that are likely to meet the needs of the target market, including an appropriate number of instruments from third party product providers together with either the provision of added-­value tools (e.g. objective online information tools), or providing periodic reports on the performance, costs and charges associated with the financial instruments; – the payment directly benefits the recipient firm, its shareholders or employees without tangible benefit to its end user client; – in relation to an on-­going Inducement, the payment is not related to the provision of an on-­going service to an end user client. Additional requirements also need to be met, notably in terms of organisational requirements. Firms should be able to demonstrate clearly that any Inducements paid or received by the firm are designed to enhance the quality of the service to the client, such as: – keeping an internal list of all Inducements accepted from a third party in relation to the provision of investment or ancillary services, – recording how it uses or intends to use these Inducements to enhance the quality of services provided to its clients and the steps taken in order not to breach the firm’s duty to act honestly, fairly and professionally in accordance with the best interest of the client. 30. See ESMA Final Report on Technical Advice to the Commission on MiFID II and MiFIR (ESMA /2014/1569), 19 December 2014.

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Dossier

Inducements: The Luxembourg perspective from MiFID I to MiFID II


Dossier

Les « inducements »

MiFID II no longer provides for the possibility of a summarised disclosure as is currently the case under MiFID I. ESMA recommends that the firm should disclose the nature and amount of the payment or non-­ monetary benefit concerned on an ex-­ante basis, prior to the provision of the relevant investment or ancillary service. Where the amount of payments cannot be ascertained, the method of calculating that amount must be clearly disclosed to the client. Only minor non-­monetary benefits can be described in a generic way. In the case where an investment firm was unable to ascertain on an ex-­ante basis the amount of any payment or benefit it was to receive, it must disclose the exact amount received on an ex-­post basis. In addition, the investment firm would be required to inform its clients at least once a year about the actual amount of payments received.

VI. A ban on Inducements for discretionary portfolio managers and independent advisers under MiFID II Transparency and disclosure alone are sometimes not sufficient. For that reason, MiFID II opts for a more radical solution and introduces a prohibition on Inducements received (31) by portfolio managers and independent advisers except for minor non-­monetary benefits. Firms which provide investment advice on an independent basis and/or which provide portfolio management services will not be permitted in the future to accept and retain payments made by third parties in connection with the provision of their services. If payments are made by a third party, they must be transferred as soon as possible to the client. (32) The currently proposed MiFID II Level 2 measures contemplate that: (33) – the Inducements should be passed on as soon as possible to the client but no specific timeframe would be set as the fees can be received at various points in time and for several clients at once; – the firms will have to set up a policy to ensure the correct allocation and transfer of third party payments to each individual client; and

31. The regime of “Inducements authorised but subject to conditions” as previously described is maintained for fees, commissions or non-­monetary benefits paid by an investment firm in connection with the provision of portfolio management or independent advice services. 32. Recital (74) of MiFID II specifies that the payments may not be deducted from the fees payable by the client in relation to the service provided (no offset allowed). 33. “The legitimacy of inducements to be paid to/by a third person”, in ESMA Final Report on Technical Advice to the Commission on MiFID II and MiFIR (ESMA/2014/1569), 19 December 2014, p. 138. 22

– the clients should be informed of the amounts transferred to them through regular bank account statements.

Each investment firm will

be required to inform its clients whether it provides investment advice on an independent basis or not.

Each investment firm will be required to inform its clients whether it provides investment advice on an independent basis or not. In order to be able to declare that investment advice is provided on an independent basis, firms will have to define and implement a selection process to assess and compare a sufficient range of financial instruments available on the market. (34) Not all firms will be able to include all elements which are necessary to satisfy the condition of the selection process for the assessment and comparison of a sufficiently wide range of financial instruments. These firms will have to hold themselves out as non-­independent and will be subject to the conditional Inducement regime already existing under MiFID I but with a number of strengthening elements referred to above. Minor non-­monetary benefits are not covered by this prohibition provided that they are clearly disclosed to the client, they are capable of enhancing the quality of the service provided and they are of a scale and nature such that they could not be deemed to impair the ability to act in the client’s best interests. These benefits may be restricted to generic information relating to a product or service, participation in conferences, seminars and other trainee events on the benefits of a particular product or service and hospitality for a reasonable de minimis value (such as food and drink during a business meeting).

34. Article 24.7(a) MiFID II. These financial instruments must not be limited to financial instruments issued or provided by the investment firm itself or by entities having close links or by other entities having with which the investment firm has such close legal or economic relationships, as to pose a risk of impairing the independent basis of the advice provided. See also the ESMA Final Report on Technical Advice to the Commission on MiFID II and MiFIR (ESMA /2014/1569), 19 December 2014.

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VII. Interaction between MiFID I/MiFID II and parallel legislation on insurance companies, UCITS management companies or AIFMs In Luxembourg, the MiFID I regime is applicable to banks and to investment firms. Insurance companies or intermediaries (i.e. agents and brokers), when distributing insurance based investment products and in particular unit linked life insurance products, are currently not subject to a specific regime on Inducements. This is likely to change with MiFID II which sets out the overall principle that investment products based on insurance should be subject to appropriate requirements similar to those set out in MiFID II not only to guarantee a protection to retail clients in all circumstances but also to create a level playing field between similar products. The rules on distribution of insurance products are currently being reformed through the Insurance Mediation Directive II Reform (35) and 35. Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on insurance mediation.

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discussions are going on at the level of the European Council and of the European Parliament. An alignment is also expected in relation to UCITS management companies and authorised AIFMs, (36) as – in substance and under the current UCITS Directive (37) and AIFM Directive (38) regimes – inducement rules similar to those under MiFID I (but not MiFID II) apply (i) to authorised AIFMs when providing investment management, administration and marketing services to AIFs, and (ii) to UCITS management companies when providing investment management and administration (not marketing) services to UCITS. MiFID rules on Inducements (currently those of MiFID I and, once transposed, those of MiFID II) automatically apply to UCITS management companies and AIFMs providing MiFID services pursuant to the “ancillary services exception” of Article 6(3) of the UCITS Directive and Article 6(4) of the AIFM Directive, respectively.

36. In this respect, please refer to paragraph 24 on page 132 of the aforementioned ESMA Final Report on Technical Advice to the Commission on MiFID II and MiFIR (ESMA/2014/1569). 37. Directive 2009/65/EC of 13 July 2009, O.J.E.U. L 302, 17 November 2009. 38. Directive 2011/61/EU of 8 June 2011, O.J.E.U. L 174, 1 July 2011.

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Dossier

Inducements: The Luxembourg perspective from MiFID I to MiFID II


Dossier

Les « inducements »

The regulation of “inducements” in Spanish law Dr. Héctor Simón-­Moreno

Postdoctoral Researcher of Civil Law at University Rovira i Virgili (1)

inducements and the expected impact of the implementation of MiFID II into Spanish law.

Spanish providers of

investment services will

I. Introduction The Directive 2014/65/EU, of 15 May 2014, on markets in financial instruments (2) (MiFID II) introduces far-­reaching changes to the existing legal framework. Amongst the measures taken, whose overall purpose is to make financial markets more efficient, resilient and transparent, one should highlight the duty of providers of investment services to inform investors whether or not they provide investment advice on an independent basis (article 24.4.(a).(i)). Should they act with such independence, the consequences are basically twofold: a) they must assess a sufficient range of different product providers prior to making a personal recommendation (article 24.7.a); and b) they shall be prohibited from accepting and retaining fees, commissions or any monetary or non-­monetary benefits paid or provided by any third party, or a person acting on behalf of a third party, in relation to the provision of their services to clients (article 24.7.b)). Only minor non-­monetary benefits shall be accepted (e.g. learning courses). The prohibition of retrocessions or “inducements” also applies to portfolio/asset management (article 24.8). The underlying idea is to strengthen investors’ protection by moving from a commission-­based model towards a fee-­ based model. (3) Investment firms, however, may decide to act on a dependent basis, in which case inducements are allowed as long as certain conditions are met. (4) As a result, Spanish providers of investment services will have to decide whether or not to operate in the market on an independent basis. The following sections will briefly discuss the current Spanish legal framework on 1. 2. 3.

4.

24

Member of the Housing Chair of University Rovira i Virgili (http://housing.urv.cat/). DOL, 12 June 2014, No. 173, p. 349. Commission staff working paper impact assessment. Accompanying the Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on Markets in financial instruments, 55. The “inducement” should be designed to enhance the quality of the relevant service to the client and should not impair compliance with the investment firm’s duty to act honestly, fairly and professionally in the best interest of its clients. In addition, investment firms must inform investors properly about the nature and amount of the payment or benefit.

have to decide whether or not to operate in the market on an independent

basis.

II. Current regulation of inducements in Spanish law The initial aim pursued with the enactment of the Act 47/2007 dated 19 December 2007, (5) which amended the Act 24/1988 dated 28 July 1988, on the securities market, (6) was the implementation of the following European Directives on markets in financial instruments into Spanish law: (7) a) Directive 2004/39/ EC (MiFID Level I); b) Directive 2006/73/EC (MiFID Level II); and c) Directive 2006/49/EC. Nevertheless, it was the Royal Decree (RD) 217/2008 dated 15 February 2008, on legal regulation of investment services and other investment services entities (8) that actually implemented MiFID Level II into Spanish law. As a result, articles 79 and 79bis Act 24/1988 lay down the obligation of diligence and transparency for invest5.

6. 7. 8.

BOE (Official Spanish Gazette), 20 December 2007, No. 304, p. 52335. An overview of this rule may be found at G. Arranz Pumar, “Comentario a la Ley 47/2007, de 19 de diciembre, por la que se modifica la Ley 24/1988, de 28 de julio, del Mercado de Valores”, in Derecho de los Negocios, 209, 2008, 85 et seq. BOE, 29 July 1988, No. 181, p. 23405. Available at: http://ec.europa.eu/finance/securities/isd/ index_en.htm (last visit 5‑3-­15). BOE, 16 February 2008, No. 41, p. 8706. A general analysis of this rule may be found at G. B. De Quirós Cabrera, “El nuevo régimen jurídico de las empresas de servicios de inversión. Principales novedades del real decreto 217/2008, de 15 de febrero”, in Revista de Derecho del Mercado de Valores, 3, 2008. Online Database La Ley.

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ment services providers as well as the duty to keep their clients appropriately informed at all times. These firms must behave diligently and transparently in the interests of their clients, safeguarding such interests as if they were their own. With reference to inducements, article 79.2 Act 24/1988 establishes that the above-­ mentioned duties shall be deemed to be breached if, in relation to the provision of an investment or ancillary service to the client, providers of investment services pay or are paid any fee or commission, or provide or are provided with any non-­monetary benefit, other than as established in the secondary legislation (please see article 26 MiFID Level II). Therefore, this rule does not specify in which cases such fees or commissions may be paid or may be provided within the legal framework. This has been established by article 59 RD 217/2008. As the Spanish Act reproduces to greater or lesser extent the wording of MiFID Level II, the Recommendations issued by the CESR on inducements (9) are fully applicable to the interpretation of RD 217/2008. Accordingly, fees, commissions or non-­monetary benefits paid or provided to or by the client, or any person on his behalf, are admitted, along with those provided to or by a third party or a person acting on his behalf, where the following two cumulative conditions are fulfilled: (i) the existence, nature and amount of those fees commissions or benefits – or where the amount cannot be ascertained, the method of calculating that amount – must be clearly disclosed to the client, in a manner that is comprehensive, accurate and understandable, prior to the provision of the relevant investment or ancillary service; and ii) the payment of them must be designed to enhance the quality of the relevant service to the client and not impair compliance with the firm’s duty to act in his best interests. It is worth highlighting that the Spanish legislator has adopted the possibility foreseen in article 26 MiFID Level II of entitling investment services providers to disclose the essential terms in summary form, provided that it undertakes to disclose further details at the request of the client. As a matter of fact, it is common practice nowadays that they make available to their clients a general policy of incentives where the most relevant aspects are indicated, so that information on incentives is only provided for a specific operation if it is specifically requested by the client, which rarely happens in practice. (10) This duty is deemed to be satisfied when the firm makes the required information available to the client through the distribution channels of the company or on its website, provided that the client has consented for said information to be provided in such a way. Inducements under MIFID, Recommendations, CESR/07-­ 228b, May 2007; Inducements: Report in good and poor practices, CESR/10-­295, April 2010. 10. G. J. Sastre Corchado, “La reforma de la MiFID (MiFID 2) en materia de distribución de productos de inversión. La protección de los inversores”, in Revista de Derecho del Mercado de Valores, 12, 2013. Online database La Ley.

9.

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In addition, proper fees that enable or are necessary for the provision of investment services are also acceptable. These include custody costs, settlement and exchange fees, regulatory levies or legal fees which, by their nature, cannot give rise to conflicts with the firm's duties to act honestly, fairly and professionally in accordance with the client’s best interests. Furthermore, firms providing investment services have more duties. In fact, they must: a) maintain records of information provided to or requested by clients about inducements (register number 20); b) keep a registry of clients in which information on inducements must be included (register number 2) and a register on potential conflicts of interests (register number 15); (11) c) provide information with the CNMV -­the agency in charge of supervising and inspecting the Spanish Stock Markets and the activities of all the participants in those markets-­about inducements by completing the so-­called “T-­5” form (12) (the information to be provided is the inducement not only received or paid to a third party but also, where applicable, the amount of inducements received that have been also retroceded to the clients in relation to several items); (13) and d) include, in standard agreements, the description of the procedure to reveal the existence, nature and amount of inducements -­or if not possible, their method of calculation-­to their customer at the outset, along with how the client would be able to request further information. (14) 11. Annex of the Resolution of 7 October 2009 of the Spanish Regulatory Agency for Securities Market – CNMV – on the minimum records to be maintained by undertakings that provide investment services (BOE, 21 October 2009, No. 254, p. 88085). See A. Aguilar Fernández, “The record-­keeping obligations of supervised entities”, in CNMV Bulletin, Quarter IV, 2009, 121 et seq. Available at: http://www.cnmv.es/DocPortal/Publicaciones/Boletin/BulletinQIV_weben.pdf (last visit 5‑3-­2015). 12. The investment firms concerned (the EAFIs are the only ones exempted from this duty) must provide information about inducements on an annual basis within two months following the end of the year, see Third Rule and Annex of the Circular CNMV 1/2010, of 28 July, on reserved information of entities providing investment services (BOE, 16 August 2010, No. 198, p. 72356), amended by the Circular CNMV 3/2014, of 22 October (BOE, 7 November 2014, No. 270, p. 91915). See CNMV, Manual de cumplimentación de la información reservada de las entidades que prestan servicios de inversión, Departamento de Supervisión de ESI y ECA, November 2012, 12. Available at: https://www.cnmv.es/ cnmvdia/decetes/ManualCumplimentacionESI.pdf (last visit 5‑3-­2015). 13. With regard to Marketing Collective Investment Schemes, for instance, the inducements received from third parties for marketing investment funds among customers of the credit institution. 14. Article 7.1.d Circular CNMV 7/2011, of 12 December, on fees prospectus and content of standard agreements (BOE, 24 December 2011, No. 309, p. 141676).

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Dossier

The regulation of “inducements” in Spanish law


Dossier

Les « inducements »

The open-­ended collective investment schemes that fall outside the scope of the Directive 2011/61/EU dated 8 June 2011, with regard to regulatory technical standards determining types of alternative investment fund managers (AIFMD) (15) – which has been implemented into Spanish law through the Act 22/2014 dated 12 November 2014 (16) – are regulated in the Act 35/2003 dated 4 November 2003, on Collective Investment Schemes. (17) Article 8 of the latter lays down the commissions and fees to which these companies are entitled. This article was amended by the Act 31/2011, which implements Directive 2009/65/ CE into Spanish law, and deals with the coordination of laws, regulations and administrative provisions relating to undertakings for collective investment in transferable securities (UCITS). (18) In this respect, management companies may take management and deposit fees from these funds as well as subscription and redemption fees from the unit holders (in an explicit manner). Underwriting discounts and reimbursement for the funds themselves may also be established. Such fees shall be fixed as a percentage of the assets or fund performance, or on a combination of both variables, or if applicable, on the net asset value of the investment, and they may not exceed the limits established by article 5.3 Royal Decree 1082/2012 dated 13 July 2012 (19) (which further implements Act 35/2003). Since the 2011 reform, the simplified prospectus foreseen in article 17.1 Act 35/2003 has been replaced by the key investor information (which are publicly issued by the management companies so as to inform potential investors) due to the fact that it failed in its original purpose. (20) The new document, which must be provided by Spanish collective investment institutions, including the ones with a non-­financial nature and a free investment regime, as well as foreign non-­ harmonized UCITS that intend to sell their shares in Spain, must indicate the method of calculation and the cap agreed by each committee, the fees that are actually charged and the beneficiary of his collection. The CNMV Resolution dated 20 February 2006 (21) stated that inducements received by a management company must be for the express benefit of collective investment schemes and the shareholders, and they cannot be received by the management companies of said undertakings. O.J. L 174/1, 8 June 2011. BOE, 13 November 2014, No. 275, p. 93215. BOE, 5 November 2003, No. 265, p. 39220. O.J. L 302/32, 17 November 2009. BOE, 20 July 2012, No. 173, p. 52108. E. Hernández Sainz, “El documento con los datos fundamentales como instrumento esencial de información para el inversor minorista en instituciones de inversión colectiva”, in Revista de Derecho del Mercado de Valores, 10, 2012. Online Database La Ley. 21. Available at: http://www.cnmv.es/cnmvdia/noticiascnmv/docs/ComunicadoIIC.pdf (last visit 5‑3-­2015). 15. 16. 17. 18. 19. 20.

26

In light of the foregoing it can be concluded that the current Spanish legal system allows investment firms to charge inducements. This practice, however, is not free from problems related to conflict of interests, which have been pointed out by the CNMV on several occasions. (22)

The current Spanish

legal system allows investment firms to charge inducements. This practice, however, is not free from problems related to conflict of

interests.

22. Its Annual Report on Stock Markets and its activity of 2008 (163 and 169, available at https://www.cnmv.es) detected as an incident “Charging of fees for investment services provided to clients without properly inducements disclosing such fees”, and also that “A very common inducement is the retrocession of marketing fees by UCITS managed by operators outside the marketer’s group”; the same Report of 2011 (173 and 174) also detected several significant incidents concerning the marketing of financial products by credit institutions and investment firms, among which it is worth to be highlighted the lack (in some cases) of enough information provided to the client about the incentives received by the marketing entity and the existence of unresolved conflicts of interest; and the same Report issued in 2013 (172) stated that some entities were in breach of the duties foreseen in article 59.b.ii) RD 217/2008 in relation to the classes of shares of foreign collective investment schemes due to the fact that they had recommended the share classes which involved higher distribution or management fees to the investors, rather than other share classes in the same sector of the collective investment schemes that the client could have had access to. The entities received from the corresponding management companies incentives in the form of a percentage of the management and distribution fee.

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III. The transition towards MiFID II A. The current role of Spanish investment firms in the financial market The above-­mentioned rules shall be applied to the following entities: (23) a) investment services firms, whose principal activity consists of providing investment services on a professional basis to third parties, such as broker-­dealers, brokers, portfolio management companies and financial advisory firms (EAFIs, created by the Circular CNMV 10/2008 dated 30 December 2008, on Financial Advisory Firms); (24) b) credit institutions that provide investment services; and c) collective investment undertaking management companies which are authorised to engage in discretionary and tailor made investment portfolio management activities, advice in the investment sector, custodianship and administration of holdings in investment funds or of shares in investment companies as the case may be. Not all these investment firms, however, play an equally important role in financial markets. According to the III Barómetro del Ahorro of the Observatorio Inverco dated 4 November 2013, (25) 54% of Spanish investors trust the advice provided by credit institutions (despite still being the first option, in 2011 the percentage amounted to 76%), while 41% prefer obtaining advice through a financial advisor. In a similar vein, it has been said (26) that nowadays more than 90% of financial advice is provided in Spain by credit institutions. In fact, they play a relevant role as far as the marketing of mutual funds is concerned according to data provided by the CNMV, (27) by virtue of which the Spanish mutual fund industry displayed the following features between 1995 and 2010: a) there was a prevalence of retail investors (77.1% of mutual funds assets); b) they were the ones that charge higher fees in retail funds; and c) most 23. See articles 64 et seq. Act 24/1988 and article 1 RD 218/2007. 24. BOE, 14 January 2009, No. 12, p. 4411. 25. Available at: http://www.jubilaciondefuturo.es/recursos/doc/pensiones/20131003/posts/iii-­b arometro-­ del-­ahorro-­del-­observatorio-­inverco.pdf (last visit 5‑3-­2015). 26. A. Pedraza Alba, President of Edesa and of the Consejo Nacional de Economistas Asesores Financieros, Sep/Oct 2014. Available at: http://www.antoniopedrazaalba.com/docs/up/2Numero21vidaeconomica.pdf (last visit 5‑3-­2015). 27. See Mª Isabel Cambón & R. Losada, “Evolución de las sociedades gestoras de fondos de inversión y de su oferta desde 1995 hasta 2010”, in CNMV Bulletin Quarter I/2012, 96 et seq. 2015/2

funds and their assets were mainly managed by fund managers belonging to credit institutions (between 91% and 95%), which means that credit institutions used closely built product platforms. Likewise, it has been stated, in regard to the distribution channels of fund assets, that agents tied to banks and financial institutions were the primary method of distribution in Spain in 2013. (28) While the importance of credit institutions is true, there is strong evidence suggesting that Spanish EAFIs are gaining the investors’ confidence little by little. (29) In fact, at the end of 2014 (30) there were up to 138 credits institutions (Spanish firms), 143 EAFIs (Spanish firms and branches), 62 broker-­dealers (Spanish firms and branches), 57 brokers (Spanish firms and branches) and 11 portfolio management companies (Spanish firms and branches). In addition, it should be borne in mind that there has been a sharp increase in retail clients in 2014 compared to the previous year (14% in assets managed), professional clients (22% in assets managed) and eligible counterparties (an 80% of the number of contracts) of EAFIs. (31)

B. The expected impact of MiFID II on investment firms As it has been said, credit institutions play a relevant role in both the provision of financial advice as well as the distribution of investment funds amongst investors. One point that deserves particular attention is the wide perception among Spanish investors that financial advice is free of charge for the client, due to the fact 28. CFA Institute, Restricting sales inducements. Perspectives on the Availability and Quality of Financial Advice for Individual Investors, December 2013, 18. 29. In this sense, it has been argued that Spanish EAFIs “laid the foundations for the development of a new form of investing, based on independent, transparent, objective and personalized financial advice, as well as open architecture networking, something investors are seeking and demanding increasingly as a result of their discontent with their investment portfolios’ performance and the lack of objectivity of the advice they get from financial institutions. Independent financial advisors have satisfied Spanish investors need to get unbiased advice, something hard to achieve in the Spanish financial system, where commercial banks perform many functions, as manufacturers, distributors and “advisors”, at the same time”, see C. Lassala, A. Momparler & P. Carmona, “Determinants of performance of independent financial advisors”, in International Entrepreneurship and Management Journal, 9, 2013, 583. 30. See CNMV, Bulletin Quarter IV/2014, 145. Available at: https://www.cnmv.es (last visit 5‑3-­15). 31. Source: Funds Society, 20‑2-­ 15 (http://www.fundssociety.com/es/noticias/private-­b anking/las-­e afis-­ aceleran-­su-­crecimiento-­e-­incrementan-­su-­volumen-­ asesorado-­un-­21, last visit 5‑3-­15).

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Dossier

The regulation of “inducements” in Spanish law


Dossier

Les « inducements »

that profits stem from indirect commissions (retrocessions, brokerage fees and collection of dividends). (32) Indeed, widespread practices of Spanish investors (33) consist, on the one hand, in paying lower discretional portfolio management fees in relation to those charged in other countries and, on the other, in not paying for advice fees as a general rule. Furthermore, it is not customary amongst the Spanish retail investors to pay subscription or redemption fees to collective investment institutions. Consequently, MiFID II will have a significant impact on credit institutions due to the fact that investors could be reluctant to pay directly for the services provided by them whilst acting on an independent basis. Indeed, it has been said that on the one hand, the implementation of this system in Spain would be difficult, (34) and on other, that this system would result in a reduction of profits for financial institutions. (35)

MiFID II will have a

significant impact on

credit institutions.

The decision to act on an independent basis could lead to further consequences: the underwriting of the cheapest type of share for the final investor; the reduction in the offer of foreign distributors (36) i.e. credit institutions will tend to offer in-­house funds since buying third-­party funds would provide a lesser advantage; the need to assess a sufficient range of different products (it remains to be seen the final scope of this rule once it is implemented into Spanish law) could affect the usual 32. G. J. Sastre Corchado, op. cit.; and R. Ruiz Huerga, “Asesoramiento y planificación financiera”, in M. García Olalla & F. J. Martínez García (eds.), Manual del asesor financiero, Paraninfo, 2014, 562. 33. According to F. J. Alonso Cabornero, S. Franco Hidalgo & I. Gallego Tortuero, “MiFID II. Novedades en relación con las normas de conducta. Especial referencia al asesoramiento de inversiones”, in icade. Revista cuatrimestral de las Facultades de Derecho y Ciencias Económicas y Empresariales, 89, 2013, 99‑100. 34. IE Business School, MiFID 2: un desafío para las entidades financieras, June 2011, 3. Available at: http:// csf.ie.edu/sites/default/files/informe_mifid_2_final.pdf (last visit 5‑3-­2015). 35. The amount of inducements currently charged by credit institution is 2,000 billion euros. Source: Feel Capital, 6‑11‑14 (http://blog.feelcapital.com/los-­costes-­ invisibles/, last visit 5‑3-­2015). 36. According to J. Luis Blázquez & E. Andreu, Funds people, 31‑12‑2011 (http://www.fundspeople.com/ gente/j-­l-­blazquez-­y-­emilio-­andreu-­10552/blog/mifid-­ ii-­se-­acabaron-­los-­rebates-­llega-­la-­estabilidad-­en-­los-­ modelos-­de-­asesoramiento-­30026, last visit 5‑3-­2015). 28

way in which Spanish credit institutions operate with closed architecture product platforms; and the specific training needed will increase the training costs. (37) This impact of the new provisions on inducements will not, however, be the same on other providers of investment services. As a matter of fact, the market quota of independent financial advisory firms, which act as a general rule with open-architecture platforms, is very low (1%) in comparison with credit institutions, but it is nonetheless true that their profits stemming from inducements amounts only to 20% of their total income. As a consequence, a great percentage of commissions charged by EAFIs are paid directly by the client (fee only). (38) In this respect, there are only currently 62 EAFIs that charge inducements while 289 charge the client directly; however, the amount generated by the 62 EAFIs (45.4 million euros last year) is higher than by the 289 (34.4 million). (39) Therefore, Spanish EAFIs seem to be better prepared prima facie than credit institutions to act on an independent basis. With reference to portfolio management companies (0,4%) and foreign entities (0,7%), they have little presence on the market. Finally, the implementation of MiFID II into Spanish law could lead to further far-­reaching consequences. Should the cost of providing the service be charged directly to the client, this could lead to the provision of the service to become uneconomical for a number of investment firms due to the high competitiveness in the sector, the higher costs related to the provision of services and the subsequent low profitability margins. (40) Therefore, this could lead to two different scenarios: a battle of prices between entities regarding commissions; or the confirmation that below certain assets managed, the increased costs generated by the new regulation makes the service less profitable for the traditional private banking. This could result in mergers or less efficient institutions or their exit from the market altogether. (41) Should provi37. The Judgement of the Provincial Court of Alava 7 April 2009 (ECLI: ES:APVI:2009:61; available at: http://www. poderjudicial.es/) showed that even the director of the bank office could not explain some of the clauses of a swap. 38. In accordance with the declarations of A. Moreno, director of the Office of Companies Authorization and Registration of the CNMV, Funds people, 12‑06‑2014 (http://www. fundspeople.com/noticias/el-­80-­de-­las-­retrocesiones-­ por-­asesoramiento-­en-­espana-­lo-­aglutinan-­una-­docena-­ de-­eafi-­141711, last visit 5‑3-­2015). 39. In accordance with the declarations of L. Mosquera, technician of the Office of Companies Authorization and Registration of the CNMV, Funds people, 14‑06‑2013 (http://www.fundspeople.com/noticias/mifid-­i i-­ obligara-­a-­las-­entidades-­que-­asesoran-­a-­ajustar-­su-­ modelo-­de-­negocio-­94518, last visit 5‑3-­2015). 40. I. Rodríguez-­Sastre & J. Gálvez Pascual, “MiFID II: El coste del asesoramiento Financiero Independiente”, in Boletín Informativo, Fundación de Estudios Bursátiles y Financieros, 239, 2014, 12‑13. 41. AFI & ACCENTURE, Banca Privada: Forward, 38‑40. Available at: http://www.afi.es/afi/libre/pdfs/grupo/ documentos/estudio-­banca-­privada-­forward.pdf (last visit 5‑3-­15).

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ders of investment services, however, decide to act on a dependent basis, they will have to face a large increase in management costs due to the fact that they will not be able to provide the information on inducements in a summarised form. This requires management control systems that are absent in the vast majority of credit institutions. It could additionally affect their reputation or image for investors.

C. Effects of MiFID rules on private law European legislation on financial instruments provides for information duties on inducements for the benefit of investors (e.g. article 24.4.c Directive 2014/65/ EU sets out the duty to inform investors about all costs and associated charges, and the key investor information required by Act 35/2003 is deemed to be pre-­contractual information). Nevertheless, MiFID Directives are not aimed at harmonising the private law effects of the non-­fulfilment of these duties, which depend in the end on the internal provisions of each legal system (judgement of the European Court of Justice 30 May 2013). (42) It has been stated, however, that the violation of MiFID rules on conduct could be the basis for a claim of damages, and the lack of provision of information to the client could lead to the contract being declared null and void. (43) From a Spanish law perspective, financial services rules do not specify the private law effects of non-­ compliance with these rules (44) but merely provide administrative fines. For instance, the judgment of the National High Court of Spain of 14 December 2012 (45) imposed a fine of 14 million euros on Santander Asset Management for a very serious offense in breach of 42. Case C-­604/11. 43. See M. Kruifthof, “A differentiated approach to client Protection: The Example of MiFID”, in S. Grundmann & Y. M. Atamer (eds.), Financial Services, Financial Crisis and General European Contract Law, Kluwer Law International, 2011, 159 and 160. 44. See about this problem in Spanish and Italian legal systems, F. Della Negra, “The private enforcement of the MiFID conduct of business rules”, in European Contract Law Review, 4, 2014, 574 et seq. 45. ECLI: ES:AN:2012:5287. The court maintained the administrative fine imposed by the CNMV (available at http://www.boe.es/boe/dias/2012/05/19/pdfs/BOE-­ A-­2012‑6678.pdf, last visit 5‑3-­15).

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income, fees and expenses rules attributable to the collective investment schemes administered by this entity. Regardless of the kind of contract concluded between the investor and the provider of investment services (a business agency contract – article 244 Spanish Commercial Code 1885 – according to the Supreme Court judgment 20 January 2003), (46) the contract is governed by general rules of contract law as set out in the Spanish Civil Code of 1889 (CC). In fact, the Supreme Court judgments of 11 June 2010 (47) and 19 November 2008 (48) established that the breach of administrative rules may result in the total or partial invalidity of a civil contract (article 6.3 CC), and several Spanish courts judgments have also put an end to contracts concluded between investment firms and investors (even professionals) (49) because of the non-­ performance of the information duties on the ground of mistake (article 1265 CC). This article could be applicable not only in the case of lack of provision of information on inducements but also in the case of lack of delivery of the key investor information by the investment fund management firm or the inclusion in this document of false or misleading information, or the omission of essential data. (50) However, the mistake must be about the substance of the thing which constituted the subject matter of the contract, or about the conditions thereof which should have been the main reason to enter into it (article 1266 CC). In the case of a swap, the Supreme Court judgements 10 September (51) and 20 January 2014 (52) considered that article 1266 CC may be applied if there is no information about the risks associated with the financial instruments. Therefore, it remains to be seen whether or not an inducement may be deemed to be the subject matter of a contract. Should the court not accept the mistake, the contract shall be deemed to be valid, but the injured party would be entitled to claim damages. (53) 46. 47. 48. 49.

ECLI: ES:TS:2003:162. ECLI: ES:TS:2010:3061. ECLI: ES:TS:2008:6456. Supreme Court judgment of Spain, 7 July 2014 (ECLI:ES:TS:2014:2659). 50. E. Hernández Sainz, op. cit. 51. ECLI: ES:TS:2014:4339. 52. ECLI: ES:TS:2014:354. 53. This is accepted in case of fraudulent misrepresentation (article 1270 CC), see Supreme Court judgment, 18 January 2007 (ECLI: ES:TS:2007:176).

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Dossier

The regulation of “inducements” in Spanish law


Dossier

Les « inducements »

Inducements in Investment Services: The Transposition of the European Rules in Italy

Chiara Mosca

Assistant professor, Department of Law, Bocconi University, Milan, Italy; Baffi Centre for Applied Research on International Markets, Banking, Finance and Regulation

I. Introduction The rules on inducements, introduced in Europe by the MiFID Directive, have been transposed in Italy by Consob, the public authority responsible for regulating the Italian financial markets. In particular, Article 52 of Consob’s Regulation on intermediaries (1) basically replicates the relevant European provision. (2) Neither the European rules nor the Italian ones provide for a precise definition of “inducements”. According to the meaning commonly given, inducements include any fee, commission or non-­monetary benefit paid or provided to or by an investment firm (3) in relation to the provision of an investment or ancillary service, and which may lead the investment firm not to act in the best interests of a client. (4) It is worthwhile emphasizing, in fact, that MiFID aims to ensure a high level of protection for clients – especially retail clients. (5) To this end, detailed requirements 1. Consob’s Regulation no. 16190 of 29 October 2007 as last amended by resolution no. 19094 of 8 January 2015 implementing the provisions on intermediaries of Italian Legislative Decree no. 58 of 24 February 1998 [hereinafter “Consob’s Regulation on intermediaries”]. 2. See Article 26 of Commission Directive 2006/73/CE of 10 August 2006 [hereinafter “Level 2 Directive”] implementing Directive 2004/39/EC of 30 April 2004 [hereinafter MiFID, or “Level 1 Directive”]. See also Article 24, paragraphs 7‑9 of Directive 2014/65/EU of the European Parliament and of the Council of 15 May 2014 on markets in financial instruments [hereinafter MiFID II] which introduces some changes in the current regulation. According to Article 93 of MiFID II, Member States shall transpose the Directive by 3 July 2016. 3. .For the purposes of this paper the term “intermediary” will be used to refer to “investment firms” and “credit institutions”. 4. See F. Annunziata, La disciplina del mercato mobiliare, Turin, (2014) 147 f. 5. Consob shall set the criteria for client classification. See Annex 3 of Consob’s Regulation on intermediaries establishing the criteria for identifying private professional customers. The rules implement MiFID’s client clas30

Angelo Borselli

&

Researcher with grant, Department of Law, Bocconi University, Milan, Italy; Fellow, Insurance Law Center, University of Connecticut School of Law, Hartford, CT, U.S.A.

for investment firms in relation to the conduct of business are defined in order to protect investors. (6) Article 52 of Consob’s Regulation on intermediaries implements two basic principles of the Level 1 Directive relating to business conduct rules that investment firms must follow in the course of their relationships with clients, and to rules on the organizational structure of investment firms. These principles concern the obligation imposed on authorized intermediaries to “act diligently, fairly and transparently in the interests of customers and the integrity of the market” (7) and, respectively, the regulation of conflicts of interest. With regard to the obligation to act in the interest of customers and the integrity of the market, the decision to introduce specific rules on inducements reflects the legislature’s intention to remove a potential obstacle that may prevent the intermediary from offering the best services to customers. Inducements, however, should also be considered within the framework of conflicts of interest regulation which, under MiFID, is structured around two main pillars. First, investment firms shall adopt all reasonable measures to identify and manage conflicts of interest that arise between themselves and their clients or between one client and another, and shall also maintain effective organizational arrangements designed to prevent conflict of interests from adversely affecting the interests of the clients. The European legislation acknowledges that conflicts of interest might be inherent in invest-

6. 7.

sification requirements: retail clients are those who are not included under either the category of “professional clients by law” or the category of “professional clients on request”. See Article 4, paragraph 11, no. 11) and Annex II, MiFID. Similarly to the regulation of conflicts of interest, the regulation of inducements also applies to the provision of investment and ancillary services to professional clients. See Recital 3, MiFID and Recital 5, Level 2 Directive. See also R. Veil, European Capital Markets Law, Oxford and Portland, (2013) 384. Article 21, paragraph 1, letter a) of Italian Legislative Decree no. 54 of 24 February 1998 [hereinafter Consolidated Law on Finance].

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ments firms that undertake multiple activities, often in multiple countries. The regulatory strategy, therefore, is to rely on organizational measures to be adopted by investment firms in order to manage conflicts and prevent damage to clients’ interests. (8) Second, investment firms must disclose conflicts of interest in relation to the provision of an investment service to a client, where the measures taken to manage conflicts are not sufficient to ensure, with reasonable certainty, that the risk of damaging clients’ interests will be prevented. In particular, investment firms “shall clearly inform customers, prior to acting on their behalf, of the general nature and/or sources of conflict of interest”. (9) Thus, disclosure of conflicts of interest is a requirement that only applies where investment firms consider that the organizational arrangements made will not be adequate to prevent conflicts of interest from affecting the investment services to be provided. In this context, the regulation on inducements represents the intention of the legislature to regulate the matter specifically and through stricter rules compared to those set out in respect of conflicts of interest in general. (10) The regulatory approach is based on the prohibition of “inducements” as the most effective strategy – if not the only one – for the investment firm not to be subject to conflicts of interest and to best serve the client’s interests. (11) Exceptions are permitted in certain limited circumstances. This paper will explore the rules on inducements and the conditions that must be met in order for a payment or non-­monetary benefit provided to or made by investments firms not to fall within the prohibition. (12) Article 21, paragraph 1-­bis, letter a), Consolidated Law on Finance. In addition, Article 24, paragraph 1, letters a) and b) of the Regulation adopted by the Bank of Italy and Consob on 29 October 2007, as last amended on 19 January 2015, provides that conflicts of interest arise when, following the provision of services, intermediaries “a) may realize a financial gain or avoid a financial loss, to the detriment of the customer” or “b) may have an interest in the result of the service provided to the customer, which differs from that of the customer”. The above-­mentioned Regulation also provides for some organizational arrangements that may permit to manage conflicts of interest, such as the so-­called Chinese Walls. 9. Article 21, paragraph 1-­bis, letter b), Consolidated Law on Finance. 10. F. Annunziata, Considerazioni in merito alla disciplina dei c.d. “incentivi” (note a margine degli artt. 52 e 73 del regolamento intermediari), in L’attuazione della MiFID in Italia (R. D’Apice (ed.), 2010), 559. 11. CESR, Inducements under MiFID. Recommendations, May 2007, 5: “It is important to stress that the conflicts management rules and the inducements rules are complementary and not substitutes or alternatives. Compliance with the conflicts rules does not provide a safe-­ harbour from the inducements rules. Compliance with the inducements rules does not provide a safe-­harbour from the conflicts rules”. 12. This paper does not cover the regulation of inducements in relation to asset managers, that is set out by 8.

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Dossier

Inducements in Investment Services: The Transposition of the European Rules in Italy

The regulation on

inducements represents the intention of the legislature to regulate the matter specifically and through stricter rules compared to those set out in respect of conflicts of interest in general.

II. The general prohibition on inducements

Article 52 of Consob’s Regulation on intermediaries states that “[i]n relation to the provision of an investment or accessory service to a customer, intermediaries may not pay or claim fees or commissions, or provide or receive non-­monetary services” with certain exceptions provided herein. The above-­mentioned rule entails a general ban on inducements with regard to the provision of an investment as well as an ancillary service to a client. As to ancillary services, it is worthwhile mentioning that they can be freely provided also by unauthorized persons. Therefore, in that case, the provision of ancillary services is not within the scope of MiFID. On the other hand, if ancillary services are provided by an authorized person MiFID rules apply. (13) The prohibition set out by Article 52 is broad in scope as it prevents intermediaries from receiving fees, comArticle 73, Consob’s Regulation on intermediaries. This provision, amended in March 2015, cross-­refers to Article 24 of EU Regulation No. 231/2013, which basically replicates the regulation of inducements provided under the MiFID Directive. See ESMA, Final Report. ESMA’s Technical Advice to the Commission on MiFID II and MIFIR, 19 December 2014, ESMA/2014/1569, 132 ff. 13. F. Annunziata, La disciplina del mercato mobiliare, op. cit., 104 f.

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Les « inducements »

missions or non-­monetary benefits in relation to the provision of an investment or ancillary service. Nor can the intermediary pay or provide fees, commissions or non-­monetary benefits. The ban concerns any monetary and non-­monetary benefit, thereby including all types of payments flowing between: (i) the intermediary and the client; (ii) the intermediary and third parties. The rule is commonly interpreted to cover any payment, even where it consists in standard commissions, that are generally paid in the reference market. (14) Such a wide interpretation risks to imply that the prohibition also applies where commissions are paid by the client to the intermediary as a mere remuneration for the investment service provided. Taking matters to extremes, the very fact that the intermediary provides an investment service to receive remuneration may represent, in theory, the easiest and most obvious example of “inducements”. Sure enough this is not feasible, otherwise intermediaries could not receive any remuneration for their activity. It follows that exceptions to the general prohibition are established. The ban on “inducements” should apply, indeed, only in case of fees, commissions, monetary or non-­monetary benefits that can give rise to conflicts with the intermediary’s duties towards its clients. (15)

III. The exceptions to the general prohibition on inducements Article 52, paragraph 1, letters a)-c) of Consob’s Regulation on intermediaries provides for three exceptions to the general prohibition on inducements. The exceptions under subparagraphs (a) and (c) (16) are more straightforward than the one under subparagraph (b), which is subject to more complex conditions. (17) The following paragraphs discuss the three exceptions. In order to better clarify the exception under subparagraph (b) some relevant cases are also examined. (18) 14. CESR, Level 3 Recommendations on Inducements under MiFID. Feedback statement, May 2007, CESR/07‑316, 3; E. Katz, Wholesale Investment Firms, in Financial Services Law, (G. Walker, R. Purves (eds.), 2014), Oxford University Press, 754. 15. CESR, Inducements under MiFID. Recommendations, op. cit., 5: “Article 26 should not be treated as applying only to payments or receipts that are made with the purpose or intent to influence the action of a firm. However, regulators and supervisors will, of course, direct their attention to items and situations in which there is a greater possibility of harm to the interests of clients”. 16. See paragraphs IV and V. 17. See paragraph VI. 18. See paragraph VII and VIII. 32

IV. The remuneration for the service provided The first exception to the prohibition on inducements concerns “fees, commissions or non-­monetary services paid or provided to or from a customer or person acting on behalf of the customer”. (19) To begin with, the payments made by the client to the intermediary for the service provided does not fall within the prohibition. These payment flows cannot be considered as an element that affects the intermediary’s conduct adversely. Fees, commissions or, though less frequent, non-­monetary services, represent in fact the consideration for the performance of the service. Payments and non-­monetary benefits provided by a person on behalf of the client are exempted as well: for example in the case of a professional acting under a general power of attorney or where the third party is acting as a “mere conduit” for the payment under clear payment instructions. (20) Moreover, it should be clear that the regulation on inducements should not interfere with the freedom to fix the remuneration for services provided by the investment firm or the credit institution and should not interfere with the assessment of its adequacy, which is the result either of a business decision by the intermediary or the outcome of the negotiation between the relevant parties. (21) The rule also permits payments and non-­monetary benefits flowing from the intermediary to the client. This provision recognizes the common practice for the investment firm to repay to its clients the commission received by the product providers (such as an issuer or a management company of a collective investment scheme). The most significant example in this area regards the case of an investment firm that provides a portfolio management service, and that receives a remuneration from its clients (for the investment service) and a commission from the product providers. It should be noted that, if the intermediary is allowed to retain the commission received from a third party, it would benefit from a double remuneration for the same investment service. (22) The repayment permits to remove an incentive that may influence the intermediary’s conduct adversely; thus the investment decision is not biased by the receipt of the commission. Similar remarks can be made about the service of investment advice to clients where remuneration is provided to the investment firm. (23) 19. Article 52, paragraph 1, letter a), Consob’s Regulation on intermediaries. 20. CESR, Inducements under MiFID. Recommendations, op. cit., 6. 21. S. Fortunato, Conflitto di interessi e disciplina degli inducements, (2009) Banca borsa tit. cred., 145. 22. CESR, Inducements under MiFID. Recommendations, op. cit., 13. 23. See paragraph VII.

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V. Adequate fees that are necessary for the provision of the investment service The exception under Article 52, paragraph 1, letter c), Consob’s Regulation on intermediaries allows payments that are strictly and necessarily related to the provision of the service to the client. This includes all kinds of fees that enable the provision of the investment service. (24) A non-­exhaustive list of items falling under the exception is supplied, which comprises “depository costs, regulatory and exchange commissions, compulsory withdrawals or legal expenses”. The rule also specifies that this type of payments, “by nature, cannot enter into conflict with the firm’s duty to act in an honest, fair and professional manner in the best interests of [its] customers”. They may consist of both payments made by the client to the intermediary for complementary activities performed in connection with the investment service and payments made by the client to a third party that provides a complementary activity necessary for the investment service. It should be emphasized, however, that the exception considered here requires that the fees are “adequate”. Therefore, an ex ante evaluation has to be made on a case-­by-­case basis in order to verify whether the payment is congruous, meaning that it should be proportionate to the service provided. (25)

VI. Payments and non-­ monetary benefits are allowed provided that (i) clear prior disclosure is made to the client; (ii) they are designed to enhance the quality of the service to the client and do not impede the intermediary’s obligation to act in the best interest of the client Payments and non-­monetary benefits “paid or provided to or from a third party or person acting on behalf of said third party” in relation to an investment or 24. See Consob, Prime linee di indirizzo in tema di inducements, in Esito delle consultazioni 30 ottobre 2007. 25. F. Annunziata, op. cit., Considerazioni, 563. 2015/2

ancillary service are admissible under Article 52, paragraph 1, letter b) of Consob’s Regulation on intermediaries where two conditions are satisfied. (26) The first condition requires clear prior disclosure to the intermediary’s client in relation to the payments and benefits. This is a typical measure in the regulation of securities markets and a key strategy for managing conflicts of interest. In particular, the rule provides that “the existence, nature and amount of any fees, commissions or services or, where such amount cannot be ascertained, the calculation method for said amount are communicated clearly to the customer, in a full, accurate and understandable manner, prior to provision of the investment or accessory service”. Normally, relevant information has to be included in the investment service contract that must be in writing. (27) It is likely, however, that the contract only contains information on the (objective) criteria for the calculation of the inducement, while detailed information is provided when the client transmits an order (as the exact amount of the inducement may vary depending on the specific financial instrument chosen by the client). (28) The fact that “inducements” are governed by rules that are stricter compared to the rules on conflicts of interest also emerges when considering that disclosure alone is not sufficient.

26. The notion of “third party” should also include entities within the same corporate group to which the intermediary that paid or received the inducement belongs: J.P. Casey, K. Lannoo, Managing Conflicts of Interests: from ISD to MiFID, in The MiFID Revolution, (J.P. Casey, K Lannoo (eds.)), Cambridge University Press, (2009) 100. Also payments and non-­monetary benefits received by relevant persons (i.e. employees or sales force staff) of the intermediary should be included within the scope of inducements regulation where paid or provided by third parties. See generally L. Enriques, Conflicts of Interest in Investment Services: The Price and Uncertain Impact of MiFID’s Regulatory Framework, in Revue trimestrielle de droit financier, 2006, 52, and also in Investor Protection in Europe, (G. Ferrarini, E. Wymeersch, (eds)), Oxford University Press, (2006) 330. Conversely, payments and non-­monetary benefits paid by the intermediary to its employees do not fall within inducement regulation (see paragraph IX). 27. Article 37, paragraph 2, letter f), Consob’s Regulation on intermediaries. 28. See CESR, Inducements: Good and poor practice, 19 April 2010, CESR/10‑296, 14 noting that “what constitutes a fair, clear and not misleading disclosure can vary between retail and professional clients”.

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Inducements in Investment Services: The Transposition of the European Rules in Italy


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Les « inducements »

According to the position expressed by Consob during the consultation process for the adoption of the MiFID Directive, in the case of high value added investment services it is unlikely to demonstrate that inducements may benefit the client. (30)

The fact that “inducements” are governed by rules that are stricter compared to the rules on conflicts of interest also emerges when considering that disclosure

alone is not sufficient.

In addition to disclosure, a second condition, substantial in nature, must in fact be satisfied not to classify certain payments as prohibited inducements. In particular, “payment of the fees or commissions or the provision of non-­monetary services required to increase the quality of the service provided to the customer, must not impede any intermediary obligation to serve the best interests of the customer”. It is worthwhile discussing some examples in order to clarify the enforcement of the above-­mentioned requirement and the position adopted by Consob with regard to payments and other benefits designed to enhance the quality of the relevant service to the client.

VII. Inducements designed to “increase the quality of the service provided to the customer” The relationship between a client and the investment firm or credit institution is generally considered as a principal-­agent relationship. The client (the principal) bears the cost of the investment service provided by the intermediary (the agent), which has professional skills and an organized structure and is required to act in the best interest of the client. As already illustrated, derogations from the general ban on inducements should comply with the “designed to enhance” condition. (29) 29. A. Pacces, Financial intermediation in the securities markets law and economics of conduct business regulation, in International Review of Law and Economics 20 (2000), 481 et seq. 34

Traditionally, investment advice and individual portfolio management are considered high value added services since a commission has to be paid by the investor (representing the cost of the service) in order to remunerate the intermediary for the assessment and selection of the suitable investments, as well as, in the case of portfolio management, for actively managing investments and disinvestments. As to the relationship between the intermediary and the product provider (issuers or management companies), arrangements are often in place to remunerate the distribution of financial instruments made by the intermediary. This activity is remunerated with an underwriting fee that may also vary depending on the success of the final placement. Considering the MiFID framework, the commission received by the investment firm or credit institution from a third party in relation to the service provided to the client falls within the prohibition on inducements. The remedy established at the European level and consequently adopted by the Italian supervisory authority requires the intermediary not to retain the commission and to pay it back to the client. (31) Instead, in the case of low value added services, such as execution of orders or reception and transmission of orders, it is possible that inducements enhance the quality of the service provided to the client. (32) Compliance with the “designed to enhance” requirement, however, should be duly assessed on a case-­ by-­case basis. With regard to low value added services, it is worthwhile noting that the intermediary normally does not receive any remuneration from the client for the assistance in the investment decision, whereas a commission is received from the product provider. The “designed to enhance” criterion is met considering that the intermediary generally provides strong support and assistance to the client in selecting and understanding 30. Consob, op. cit., 4. 31. This is permitted under the exception set out by Article 52, paragraph 1, letter a) of Consob regulation on intermediaries. See paragraph IV. The solution is also adopted in Article 24, paragraphs (7) and (8) of the MiFID II Directive in relation to the provision of “investment advice on an independent basis”, which allows to retain only “[m]inor non-­monetary benefits that are capable of enhancing the quality of service provided to a client and are of a scale and nature such that they could not be judged to impair compliance with the investment firm’s duty to act in the best interest of the client”. See N. Moloney, EU Securities and Financial Markets Regulation3, Oxford University Press (2014), 804. 32. E. Katz, op. cit., 754.

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the relevant financial instrument as well as in the so-­ called post-­sale assistance. In the aforementioned situation, the evaluation about the payment or non-­monetary benefit has to be made at the time the arrangement is proposed by considering the increase in the quality of the relevant service to the client, for example with regard to the assistance provided or the possibility of accessing to a wide range of investment products (the so-­called “open architecture” model). (33)

VIII. “Soft commissions” in the form of investment research Services offered by portfolio managers include the selection of the investments that best suit the needs of the client based on the professional research that they carry out. For this value added service, a commission is paid by the client. It is normal practice, however, that portfolio managers also receive investment research from brokerage firms to whom the portfolio managers transmit orders for execution on behalf of the client. Following a lively debate, ESMA recently confirmed that such a non-­monetary benefit qualifies as an inducement and must comply with the relevant regulation. (34) The same solution has been adopted in Italy where investment research provided to portfolio managers by brokers represents an example of a non-­ monetary benefit received from third parties. (35) This is so especially taking into account that the commission 33. Training to the staff of an intermediary offered by a product provider is considered as a non-­monetary benefit that may enhance the quality of the service to the client. However, training provided in an exotic holiday location at product provider’s expense may not be permitted because it is likely to impair the duty of the intermediary to act in accordance with the best interest of the client. See CESR, Inducements under MiFID. Recommendations, op. cit., 14. 34. Esma, op. cit., 130 ff. 35. It is worthwhile mentioning that Article 25, paragraph 2 of the Level 2 Directive complements the regulation of inducements provided by the following Article 26 establishing that “the investment firms […], financial analysts, and other relevant persons involved in the production of the investment research must not accept inducements from those with a material interest in the subject-­matter of the investment research”. See N. Moloney, Financial Services and Markets, in The Oxford Handbook of Regulation, (R. Baldwin, M. Cave, M. Lodge (eds.)), Oxford University Press, (2010) 442. This provision has been transposed in Italy by Article 28, paragraph 2, letter c) of the Regulation adopted by the Bank of Italy and Consob on 29 October 2007, which exempts from the prohibition only “incentives of modest value, and in any case less than that specifically indicated in the conflicts of interest management policy”. 2015/2

charged by the broker is a bundled charge that normally does not distinguish between order execution and research. (36) According to Consob, the receipt of soft commissions in the form of research is admissible provided that the benefit is designed to enhance the quality of the service to clients pursuant to Article 52, paragraph 1, letter b) of Consob’s Regulation on intermediaries. (37) The increase in the quality of the relevant service occurs when investment research made by the broker (i) meets the novelty requirement, in the sense that it must be a complement to, and not a substitute for, the research made by the portfolio manager (even if the research function is outsourced); (ii) satisfies the originality requirement, that is it cannot merely present facts and findings already known; (iii) is rigorous; (iv) produces significant results. In order not to fall within the prohibition on inducements there must also be clear, prior disclosure of the soft commission to the investors. To this end, information should be given concerning the costs relating to research even if the commission charged by the broker is a bundled charge.

IX. Final remarks on inducements and remuneration policies under MiFID The regulation of inducements deals with the relationship between the intermediary and its clients with regard to the provision of investment and ancillary services. Some of the examples of inducements discussed above may apply as well to conflicts of interest. Compared to the conflict of interest regime, however, the regulation of inducements is stricter. Disclosure alone is not enough: (38) the intermediary cannot receive or provide inducements if it is not able to demonstrate a clear link between the fees, commissions or non-­monetary benefits provided or received and the increase in the quality of the service provided to the customer. The concern is that inducements may affect the action of investment firms and credit institutions adversely. Both conflict of interest and inducement rules require organizational structural arrangements in order to ensure that the best interest of the client is served but, in the case of inducements, the regulation provides for an unconditional ban in certain cases. 36. N. Moloney, EU Securities and Financial Markets Regulation3, op. cit., 693; E. Katz, op. cit., 755. 37. Consob, Communication no. DIN/9003258 of 14 January 2009. 38. L. Enriques, S. Gilotta, “Disclosure and Financial Market Regulation”, Law Working Paper n° 252/2014 (April 2014), available at www.ecgi.org/wp, 9 f.

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Inducements in Investment Services: The Transposition of the European Rules in Italy


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Les « inducements »

issue is attracting increasing attention at the European level. (40)

Remuneration structures, however, may create incentives for the intermediary’s staff not to act in the best interests of its client.

It is worthwhile noting that the area of the remuneration paid by investment firms to relevant persons (namely all persons involved in the provision of investment and ancillary services, especially client-­facing front-­office staff) is not within the scope of the regulation of inducements. Remuneration structures, however, may create incentives for the intermediary’s staff not to act in the best interests of its client, particularly in cases of bonuses or variable remuneration. (39) This 39. N. Moloney, EU Securities and Financial Markets Regulation3, op. cit., 808 f. See also CESR, Inducements under MiFID, op. cit., 5.

36

At the present time, in Italy, remuneration policies can be addressed within the regulation of conflicts of interest. Article 25, paragraph 3 of the Regulation adopted by the Bank of Italy and Consob on 29 October 2007 requires that relevant parties (such as the employees of the intermediary) “carry out […] business with an appropriate level of independence, considering the dimensions and activities of the intermediary and its group and the relevance of the risk that the customers’ interests are damaged”. Pursuant to the following paragraph 4, letter c), intermediaries shall adopt organizational measures and procedures aimed at “eliminating all direct connection between the salaries of relevant parties mainly going about business that may generate potential conflicts of interest”. Consob required intermediaries to comply with the relevant guidelines issued by ESMA when designing their remuneration policies.(41) 40. Article 24, paragraph 10 of the MiFID II Directive sets out that “[a]n investment firm which provides investment services to clients shall ensure that it does not remunerate or assess the performance of its staff in a way that conflicts with its duty to act in the best interests of its clients”. 41. According to Consob Communication no. 107588 of 29 January 2014, as of 29 January 2014 Italian intermediaries have to comply with the “Guidelines on remuneration policies and practices” issued by ESMA on 11 June 2013 under Article 16 of the Regulation no. 1095/2010/EU.

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Chroniques



I. Régulation financière Chronique sous la direction de Katrin Deckert

Maître de conférences à l’Université de Paris Ouest La Défense

&

Anastasia Sotiropoulou

Maître de conférences à l’Université Panthéon-­ Sorbonne (Paris I)

Avec la collaboration de

Andra Cotiga

Docteur en droit, enseignant-chercheur, Faculté de droit, Université Catholique de Lille

Stephan de Groër

Élève-­avocat, Gide Loyrette Nouel

&

Katia Medjani

Présidente de l’Association Droit & Affaires, Elève avocate, M2 Droit Financier Panthéon-­Sorbonne

Olivier Taffin de Tilques Société Générale, Juriste financier

Les récentes crises financières dans le monde entier, entraînant des défaillances ou « faillites » de nombreuses entreprises, ont souligné l’importance des interconnexions entre les marchés financiers et entre leurs acteurs, ainsi que les lacunes de la régulation en vigueur à cette époque. Des nouveaux dispositifs ont alors été mis en place (ou sont en train de l’être) dans l’Union européenne et dans de nombreux pays pour résoudre et anticiper les dysfonctionnements (et leurs conséquences) sur les marchés financiers et au sein de leurs acteurs, dans un souci notamment de répondre aux exigences de rénovation, d’adaptation et de modernité. Les résultats ne sont cependant pas toujours totalement satisfaisants. Les quatre contributions de cette chronique témoignent de cette démarche et de ses limites.

The recent financial crises around the world, resulting in failures or « bankruptcy » of many companies have stressed the importance of interconnections between financial markets and between the players, as well as the gaps in the regulation in force at that time. New rules have been implemented (or are in the process of being) in the European Union and in many countries to solve and prevent problems (and their consequences) of financial markets and their actors, in particular in order to meet the requirements of renovation, adaptation and modernity. The results are not always entirely satisfactory. The four contributions of this chronicle reflect this approach and its limitations.

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Chroniques

I. Régulation financière

I.A. Régulation européenne C.J.U.E., 28 janvier 2015, Harald Kolassa c. Barclays Bank plc, aff. C-­375/13

Andra Cotiga

Docteur en droit, enseignantchercheur, Faculté de droit, Université Catholique de Lille

Un investisseur domicilié sur le territoire d’un État membre peut se prévaloir de l’article 5.3 du règlement Bruxelles I afin d’introduire dans cet État une action en responsabilité délictuelle à l’encontre de l’émetteur domicilié dans un autre État membre. L’expression « le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » doit être interprétée comme se référant au lieu où le dommage financier direct s’est produit sur le compte bancaire de l’investisseur. An investor domicilied on the territory of a Member State may rely on article 5.3 of Brussel I regulation in order to bring an action against the issuer domicilied in onother Member State for selling indirectly in the former Member State financial products on the basis of wrong financial informations depriving the investor of the chance to make an alternative valuable investement. The expression “the harmful event occurred or may occur” is to be interpreted as referring to the place where the direct financial damage occurred on the bank account of the investor. Le jugement rendu par la C.J.U.E. dans l’affaire Harald Kolassa c. Barclays Bank plc, C-­375/13 du 28 janvier 2015 apporte un éclairage sur les règles de compétence juridictionnelle en matière de responsabilité générée par des produits financiers dérivés commercialisés dans l’Union européenne. La société de droit anglais Barclays Bank plc immatriculée au Royaume-­Uni a émis des certificats représentant l’emprunt d’une entreprise, sous la forme d’obligation au porteur. L’émission a été accompagnée par la diffusion dans plusieurs États dont l’Autriche d’un prospectus de base. L’échéance du remboursement de l’emprunt d’entreprise était prévue pour 2016 et le montant du remboursement ainsi que la valeur réelle des obligations devaient être déterminés en fonction d’un indice constitué à partir d’un portefeuille créé et géré par une société à responsabilité limitée de droit allemand, X1 Fund Allocation Gmbh. Cette dernière avait pour rôle d’investir les capitaux obtenus de la vente des certificats émis. Ces certificats ont été vendus par la Barclays Bank plc exclusivement à des investisseurs institutionnels, dont la DAB Bank AG siégeant à Munich qui a ensuite transféré une partie des certificats à sa filiale autrichienne direktanlage.at AG. Cette dernière les a proposés sur le marché financier secondaire à des investisseurs particuliers. M. Kolassa, domicilié en Autriche, a ainsi investi 68.180,36 EUR dans ce type de produit financier. Les commandes de certificats ont cependant été 40

passées au nom des sociétés mentionnées en dépôt et non pas au nom de M. Kolassa. Les certificats dans lesquels ce dernier a investi ont été conservés par la société direktanlage.at AG à Munich, agissant en qualité de fonds de couverture, en son nom propre pour le compte du client. M. Kolassa pouvait demander la livraison de ces certificats uniquement à hauteur de la part conservée par le fonds de couverture. Entre temps la société de droit allemand en charge de la gestion du portefeuille a été victime d’une fraude financière et fiscale. L’argent obtenu de la vente des certificats, y inclus celui envoyé par M. Kolassa, a été majoritairement perdu. Suite à cet événement, la valeur finale des certificats acquis par M. Kolassa a été évaluée à zéro euro. M. Kolassa a introduit alors une action en responsabilité précontractuelle, contractuelle et délictuelle contre la Barclays Bank plc devant le tribunal de son domicile en Autriche. L’investisseur reprochait à la banque le non-­respect de la réglementation relative à l’émission de produits financiers et à la publicité entourant cette opération, raison pour laquelle il s’est trompé en réalisant l’investissement litigieux au lieu de placer son capital dans un autre fond fructueux. La compétence de la juridiction autrichienne était fondée selon le demandeur soit sur les règles de conflit de juridictions contenues par l’article 15, paragraphe 1, sous c) soit sur l’article 5, point 1, sous a), ou bien sur l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 (Bruxelles I) modifié

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par le règlement n° 1215/2012. La société défenderesse contestait à la fois le grief de responsabilité que la compétence de la juridiction autrichienne. Doutant de sa compétence et de la matière à laquelle le litige pouvait réellement relever au regard du règlement Bruxelles I, le tribunal de commerce de Vienne a posé à la C.J.U.E. plusieurs questions préjudicielles en interprétation du règlement. Il était ainsi demandé à la Cour de se prononcer sur l’appartenance du litige à la matière des contrats avec les consommateurs ou des contrats avec les professionnels, ou bien à la matière délictuelle et quasi délictuelle et le cas échéant l’interprétation de l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». La qualification matérielle était le préalable nécessaire à la détermination des règles de conflit de juridictions applicables afin de connaître la juridiction compétente pour accueillir la demande de M. Kolassa. La réponse de la Cour fût favorable à l’investisseur. Jugeant que le litige relevait de la matière délictuelle et quasi délictuelle, la Cour appliqua l’article 5, paragraphe 3 pour vérifier la compétence du tribunal de Vienne. Le fait dommageable initial s’étant produit sur le compte bancaire de l’investisseur en Autriche, cette juridiction du domicile du demandeur fût reconnue compétente. L’arrêt illustre le malaise des règles européennes de conflit de juridiction à appréhender les conséquences juridiques de la commercialisation des produits dérivés à risque par des systèmes de détention indirecte. Ceci est doublement mis en exergue dans l’affaire Kolassa : l’identification d’un lien contractuel entre l’émetteur et l’investisseur n’est pas possible, laissant ce type de litige se mouvoir en la matière délictuelle ou quasi délictuelle (I), alors que la localisation géographique du fait dommageable devient problématique (II).

L’arrêt illustre le malaise

des règles (…)

de conflit de juridiction à appréhender les conséquences (…) de la commercialisation des produits dérivés à de détention indirecte.

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I. L’absence de lien contractuel entre l’émetteur et l’investisseur A. L’opération financière objet du litige : un dérivé de crédit titrisé Les dérivés sont des instruments financiers de transfert de risque qui répondent au besoin ressenti par les acteurs économiques de transférer à un tiers le risque associé à la valeur d’une chose dans le futur sans la chose elle-­même (1). Les premiers dérivés semblent avoir fait leur apparition en 1976, comme une conséquence de la conférence de Kingston qui mettait en place la liberté totale des régimes de change des devises (2). Cette nouvelle organisation économique au niveau international a produit une fluctuation des prix de l’ensemble des actifs économiques (matières premières, actions, obligations,…). Les instruments de transfert de risque habituellement utilisés jusqu’alors tels que le contrat d’assurance ou les garanties de paiement ne protégeaient pas contre la fluctuation des prix des actifs, raison pour laquelle la pratique a imaginé ce qu’elle a désigné par le terme « produits dérivés (3) ». Dans le cadre d’un produit dérivé, une partie cherche à se protéger contre un risque potentiel de perte d’argent lié à une chose dont la valeur peut augmenter ou diminuer dans le temps. L’autre partie accepte d’assumer elle-­même le risque qui normalement pesait sur la première en échange d’une contrepartie, mais parie sur le fait qu’un tel risque n’interviendra pas. Si le risque ne se produit pas, comme cette deuxième partie l’espère, elle gagnera la contrepartie. Mais si le risque intervient comme la première partie le craignait, cette deuxième partie porteuse du risque devra assumer toute la perte (4). Des informations contenues dans l’arrêt, il est possible de déduire que l’investisseur avait souscrit précisément un dérivé de crédit titrisé. Il s’agit d’une forme de produit financier dérivé portant sur un événement de crédit incorporé dans un titre négociable (5). Ce type de produit dérivé implique minimum trois acteurs principaux. Le premier appelé A est celui qui contracte un crédit. Dans l’affaire Kolassa, A est représenté par l’entreprise ayant fait un emprunt auprès de la Barclays Bank. Le deuxième, appelé B, est celui qui accorde le crédit mentionné et qui cherche à se couvrir contre le risque de défaillance de A. Dans l’affaire Kolassa, B est représenté par la Barclays Bank. B émet des obligations qui seront souscrites par le troisième acteur, appelé C, 1.

risque par des systèmes

Chroniques

I.A. Régulation européenne

2. 3. 4. 5.

A. Gaudemet, Les dérivés, Economica, 2010, pp. 4 à 5 ; A. Couret et al., Droit du commerce international, Litec, 2010, p. 661. A. Gaudemet, Les dérivés, Economica, 2010, pp. 4 à 5. Idem. Idem. Idem.

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Chroniques

I. Régulation financière

qui représente le vendeur de protection ou le porteur du risque. Dans l’affaire Kolassa, C est représenté par l’investisseur. Si le risque de défaillance de A n’intervient pas, A remboursera B qui paiera à C les intérêts des obligations et remboursera l’investissement de C à la date prévue. Si le risque de crédit affecte A, B ne paiera pas à C les intérêts des obligations émises et lui remboursera en principe uniquement l’investissement principal de manière anticipée (6). De cette manière, B se couvre (dans le présent cas la Barclays Bank) et C (dans notre cas, un des C est M. Kolassa) spécule mais ses ressources sont livrées à un risque de dévalorisation (7). Dans l’affaire Kolassa, entre B et C s’interpose une chaîne d’intermédiaires financiers. Cette situation a pour explication principale la diversification des modes de détention des titres négociables intervenue au cours du xxe siècle, marquant le passage de la détention directe à la détention indirecte ou multi-­ intermédiée de titres (8). La détention, le transfert et le nantissement de titres via la possession de certificats matériels représentant les titres ou l’inscription des droits dans les registres de l’émetteur sont aujourd’hui obsolètes. Les droits sur des titres sont désormais majoritairement détenus, transférés ou nantis par le biais de l’inscription sur des comptes de titres (9). Entre l’investisseur et l’émetteur existe ainsi une chaîne d’intermédiaires (10). Au niveau international, les systèmes juridiques traitent cette situation de façon distincte. Dans certains systèmes juridiques, l’intermédiaire direct de l’investisseur détient des droits sur les titres équivalents aux droits de l’investisseur, qui sont crédités dans un compte de titres chez un autre intermédiaire jusqu’à l’intermédiaire immédiat de l’émetteur qui est le titulaire des droits inscrits chez cet émetteur (11). Dans d’autres systèmes, l’intermédiaire direct de l’investisseur tient seulement le registre des droits d’un investisseur établissant un lien direct entre l’émetteur et l’investisseur (12). De plus, les certificats représentant des titres se sont dématérialisés et sont représentés par des inscriptions dans des registres chez des dépositaires centraux de titres (DCT) ou directement chez l’émetteur. L’affaire Kolassa illustre comment le développement du commerce portant sur les nouveaux produits financiers à risque a dilué le lien juridique permettant d’établir l’existence d’un contrat entre l’émetteur et l’investisseur. L’hésitation du demandeur, de la juridiction de renvoi ainsi que de la Cour quant à savoir si le litige relevait de la matière contractuelle ou délictuelle confirme le malaise éprouvé par le droit européen à classifier juridiquement ces rapports. Idem. Idem. Idem. Rapport explicatif de la convention de La Haye du 5 juillet 2006 relative aux droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire, p. 9. 10. Idem, p. 10. 11. Idem. 12. Idem. 6. 7. 8. 9.

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B. L’action en responsabilité pour violation des obligations d’information des investisseurs et du prospectus relève de la matière délictuelle 1.  Le litige ne relève pas de la matière contrats de consommation La section 4 du règlement Bruxelles I relative à la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs comporte une règle de conflit de juridictions spéciale parce que le consommateur est présumé être une partie faible. L’article 16, alinéa 1er (aujourd’hui article 18, al. 1er, du règlement réformé) laisse au consommateur qui souhaite intenter une action contre l’autre partie au contrat le choix de saisir soit la juridiction de l’État membre du domicile du défendeur, soit le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié. Cette disposition déroge au principe de compétence générale des tribunaux de l’État du domicile du défendeur prévu à l’article 2, alinéa 1er (aujourd’hui article 4, al. 1er, du règlement réformé) lorsque ce dernier se situe sur le territoire d’un État membre. La juridiction de renvoi cherchait à savoir si l’action en responsabilité introduite par l’investisseur à l’encontre de l’émetteur de l’obligation et fondée sur les conditions de l’emprunt, le non-­respect des obligations d’information et de contrôle ainsi que la responsabilité du prospectus relevaient de la matière contrats conclus avec les consommateurs. Une réponse positive de la Cour aurait justifié la compétence du tribunal de Vienne car en tant que consommateur, M. Kolassa pouvait alors choisir de saisir ce dernier situé au même endroit que son domicile et non pas une juridiction du Royaume-­Uni où était établi l’émetteur. La C.J.U.E. rappelle l’article 15, paragraphe 1er, du règlement en vertu duquel trois conditions doivent être cumulativement respectées pour qu’un litige puisse appartenir à la matière contrats conclus par les consommateurs. Premièrement, une partie au contrat doit être un consommateur, c’est-­à-­dire une personne qui a agi pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle. Deuxièmement, le contrat mentionné doit nécessairement entrer dans les catégories présentées à l’article 15, paragraphe 1er, a) b) c). Troisièmement, un contrat doit avoir été réellement conclu entre le consommateur et le professionnel. Les deux premières conditions ont été considérées remplies par la Cour sans difficulté (13). L’avocat général précisait que M. Kolassa avait agi en dehors de ses activités commerciales et professionnelles et le prospectus ayant été diffusé en Autriche, la Barclays Bank avait dirigé ses activités vers cet État (14). 13. Point 23 de l’arrêt Kolassa. 14. Point 28 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Kolassa.

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Ce ne fût pas le cas de la troisième condition relative à l’existence d’un contrat entre le consommateur et le professionnel. La Cour a constaté l’absence de contrat conclu entre l’investisseur et le professionnel mis en cause, la Barclays Bank. Les obligations au porteur avaient été acquises et conservées non pas par l’investisseur lui-­même mais par un tiers, la direktanlage.at, laquelle a agi en son nom et pour le compte de l’investisseur (15). Suivant les conclusions de l’avocat général, la Cour apprécie de manière stricte l’existence d’un contrat conclu entre le consommateur et le professionnel. Parce que la règle de compétence juridictionnelle propre à la matière des contrats conclus avec les consommateurs constitue une dérogation aux règles de principe, la qualification d’un litige comme relevant de cette matière doit rester exceptionnelle et ne peut pas suivre une interprétation économique comme le suggérait le demandeur (16). La conclusion d’un contrat entre le consommateur et un tiers professionnel tel que la direktanlage.at ne signifie pas selon la Cour que le consommateur a conclu par là-­même un contrat avec le professionnel mis en cause, la Barclays Bank dans notre cas (17). Certes, la Cour le mentionne, dans son arrêt Maletic, elle avait admis que l’expression « autre partie au contrat » contenue à l’article 16, paragraphe 1er, du règlement désignait également le cocontractant de celui avec lequel le consommateur avait conclu directement un contrat. Mais était-­il envisageable sur le fondement de cet arrêt de considérer que la Barclays Bank appartenait à la catégorie « autre partie au contrat » de consommation au sens de l’article 16, paragraphe 1er précité dans la mesure où elle était le cocontractant de la direktanlage.at ? La Cour répondit par la négative. La solution de l’arrêt Maletic ne pouvait pas être transposée à l’affaire Kolassa parce que dans le premier cas, le consommateur s’était engagé d’emblée indissociablement auprès de deux cocontractants  (18). Une telle interprétation paraît forcée aussi au regard des faits dans l’affaire Kolassa où le lien contractuel entre l’investisseur autrichien et l’émetteur des obligations était absent, la DAB Bank AG et sa filiale direktanlage. at s’interposant comme des tiers professionnels (19). Un argument que le gouvernement néerlandais soutenait mérite attention. Un lien contractuel existait entre l’investisseur et l’émetteur qui résultait des obligations que les parties mentionnées avaient prises l’une à l’égard de l’autre. L’investisseur devait payer le prix de l’obligation au porteur, l’émetteur devait rembourser l’emprunt obligataire. Même si l’obligation au porteur n’appartenait pas à l’investisseur, ce dernier avait un droit de versement d’un montant déterminé 15. Point 26 de l’arrêt Kolassa. 16. Point 28 de l’arrêt Kolassa ; points 39 et 40 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Kolassa. 17. Points 30 et 32 de l’arrêt Kolassa. 18. Point 33 de l’arrêt Kolassa. 19. Point 35 de l’arrêt Kolassa. 2015/2

et était le propriétaire de l’obligation au porteur d’un point de vue économique (20). Cette argumentation fût balayée par l’avocat général selon lequel, s’il était probable que l’émetteur des obligations au porteur ait des obligations envers l’investisseur en vertu du droit national applicable, ces obligations ne résultaient pas d’un contrat entre les deux parties qui n’a jamais été conclu (21). La réserve de la Cour à admettre l’existence d’un lien contractuel entre le consommateur et le professionnel mis en cause s’avère défavorable au consommateur investisseur. Selon l’avocat général, l’article 15, paragraphe 1er, du règlement n’a pas pour vocation une protection absolue du consommateur mais il vise une médiation entre les intérêts du consommateur et ceux du professionnel (22).

2.  Le litige ne relève pas de la matière droit des contrats La juridiction de renvoi a demandé ensuite à la C.J.U.E. si l’action en responsabilité contre l’émetteur relevait de la matière contractuelle. Une réponse affirmative permettait d’appliquer pour déterminer la compétence juridictionnelle l’article 5, paragraphe 1er, du règlement Bruxelles I. Ce texte contient également une règle de compétence spéciale dont l’application n’est pas tributaire de l’existence d’un contrat entre les parties, élément que nous avons vu, n’existait pas selon l’analyse de la C.J.U.E. Néanmoins, cette règle ne s’applique qu’en présence d’une obligation juridique librement consentie par une partie envers l’autre, la compétence juridictionnelle étant déterminée par référence au lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée (23). La mise en œuvre de cette règle de compétence entraîne plusieurs difficultés. D’abord, la C.J.U.E. exige que l’obligation à prendre en considération est bien celle sur laquelle repose l’action du demandeur et non pas l’obligation principale du contrat. Ensuite, il est nécessaire de localiser l’obligation litigieuse (24). Il fallait donc identifier l’obligation de l’émetteur pour ensuite tenter de localiser son exécution. Et là aussi, la C.J.U.E. ne considére pas qu’il y a en l’espèce une obligation juridique librement consentie par l’émetteur au profit de l’investisseur bien qu’en vertu du droit national certaines obligations existaient entre les parties mais n’étaient pas contractuelles, dans le sens d’un engagement librement consenti entre elles (25). L’application des règles de conflit de juridictions propres à la matière contractuelle fut ainsi écartée, sous réserve néanmoins que la juridiction natio20. Point 30 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Kolassa. 21. Point 38 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Kolassa. 22. Point 41 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Kolassa. 23. Points 38 et 39 de l’arrêt Kolassa. 24. C.J.C.E., 6 octobre 1976, Bloos, aff. 14/76. 25. Points 51 à 53 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Kolassa.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

nale constate dans les circonstances du litige l’absence d’une telle obligation (26). Il est vrai que cette interprétation ne saurait surprendre, elle a été acceptée par la doctrine qui admet l’absence de lien contractuel ou obligataire entre l’émetteur et l’investisseur sur le marché secondaire ou le marché principal (27). Cependant, une thèse assez récente publiée en France a cherché précisément à démontrer que les produits dérivés constituent une catégorie de contrats aléatoires qui se distingue des autres plus classiques par l’ampleur du risque qu’ils transfèrent entre de multiples parties dans un système dit multi-­intermédié (28). Ce dernier point de vue rejoint l’argumentation de l’investisseur qui cherchait à faire reconnaître l’existence d’un contrat entre lui et l’émetteur en invoquant l’interprétation économique du règlement Bruxelles I, ce dont la Cour s’est bien gardé de faire. Ceci permet de relativiser le caractère absolu de l’idée selon laquelle toute portée contractuelle doit être exclue à la relation investisseur émetteur.

II. La localisation géographique du compte bancaire où le dommage s’est matérialisé A. La compétence juridictionnelle du forum actoris Épuisant les tests de la matière contractuelle sans arriver à un résultat positif, la Cour a jugé que le litige relevait de la matière délictuelle ou quasi délictuelle. Selon l’article 5, paragraphe 3, du règlement (7.2 du règlement réformé), la matière délictuelle ou quasi délictuelle se définit par défaut comme toute action en responsabilité qui ne se rattache pas à la matière 26. Point 41 de l’arrêt Kolassa. 27. M. Lehmann, « Proposition d’une règle spéciale dans le règlement Rome II pour les délits financiers », Rev. crit. DIP, p. 485 : « … les actions en responsabilité pour un délit financier… ont aussi un caractère non contractuel, puisque dans la grande majorité des cas, il n’existe pas de lien contractuel entre l’auteur du délit et la victime, comme par exemple entre l’émetteur d’un produit financier et l’acheteur sur le marché secondaire. Même dans le cas où l’acheteur acquiert le produit directement de l’émetteur sur le marché primaire, une qualification non contractuelle paraît correcte puisque la responsabilité ne découle pas d’une obligation volontairement assumée par l’émetteur mais d’une régulation imposée aux transactions sur le marché financier par le législateur » ; F. Garcimartin Alferez, « The law applicable to prospectus liability in the European Union », Law and financial market review, 2011, p. 449. 28. A. Gaudemet, op. cit., p. 5. 44

contractuelle visée à l’article 5, point 1, sous a) (29). Or la Cour venait juste de vérifier si le litige relevait de la matière contractuelle ou pas et elle avait conclu par la négative (30). Ce qui conduit la Cour à déduire que l’action en responsabilité du fait du prospectus et pour violation des obligations légales d’information de l’investisseur relevait de la matière délictuelle et quasi délictuelle. L’article 5, paragraphe 3 comporte également une règle spéciale de compétence permettant de déroger exceptionnellement au principe selon lequel le défendeur est attrait devant la juridiction de son domicile lorsque ce dernier est situé sur le territoire d’un État membre. Selon ce texte, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire (31). Il appartenait à la Cour de localiser le lieu de production du dommage, ce qu’elle fit en procédant à une identification géographique de ce dernier. Estimant que le dommage s’était réalisé directement sur le compte bancaire tenu par l’investisseur dans une banque établie dans le ressort des juridictions autrichiennes, lieu qui était également celui de son domicile personnel, la Cour a reconnu la compétence de ces juridictions pour juger de l’action en responsabilité contre l’émetteur (32). Bien que l’arrêt valide la compétence du forum actoris la Cour insiste sur la mise en œuvre exceptionnelle de cette compétence spéciale.

Bien que l’arrêt valide

la compétence du forum actoris, la Cour insiste sur la mise en œuvre exceptionnelle de cette

compétence spéciale.

29. Point 44 de l’arrêt Kolassa ; C.J.U.E., 13 mars 2014, C-­548/12, Marc Brogsitter c. Fabrication de montres normandes EURL et Karsten Fräbdorf, RTD com., 2014, p. 446, A. Marmisse-­Abbadie d’Arrast ; Dalloz, 2014, p. 1059, H. Gaudemet-­Tallon, F. Jault-­Seseke. 30. Point 39 de l’arrêt Kolassa. 31. Règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 relatif à la compétence juridictionnelle, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O., L 012, 16 janvier 2001, pp. 0001‑0023. 32. Point 55 de l’arrêt Kolassa.

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1.  Une solution favorable à l’investisseur Exceptionnellement favorable aux juridictions du domicile de l’investisseur, l’arrêt est pourtant fondé sur les principes jurisprudentiels antérieurs qui avaient conduit la C.J.U.E à maintes reprises à écarter la compétence du forum actoris. Tout d’abord, la Cour rappelle que depuis l’arrêt Mines de Potasse d’Alsace, lorsque l’événement causal et la matérialisation du dommage interviennent dans des lieux géographiquement différents, le demandeur a le choix d’attraire le défendeur devant la juridiction de l’un des deux lieux mentionnés (33). Une telle hypothèse factuelle identifiée par ce que la doctrine appelle aujourd’hui un « délit complexe » justifierait l’admission de l’un ou de l’autre de ces deux points de rattachements par l’impératif de proximité entre le litige et la juridiction compétente (34). La Cour a appliqué cette règle dans l’affaire Kolassa. L’investisseur pouvait introduire l’action devant la juridiction du lieu où l’événement causal s’était produit ou saisir la juridiction du lieu où le dommage s’était matérialisé. Était cela le cas pour le tribunal de Vienne saisi par l’investisseur ? Il revenait à la C.J.U.E. de vérifier si cette juridiction était localisée au même endroit que l’un des deux points de rattachement mentionnés. La localisation de l’événement causal ne pouvait pas conférer la compétence aux juridictions du domicile de M. Kolassa, car les événements déterminants du dommage, à savoir la violation par l’émetteur des obligations légales relatives au prospectus, était intervenue au Royaume-­Uni et non pas en Autriche (35). Il est possible de se demander si l’événement causal ne résidait pas plutôt dans la mauvaise gestion en Allemagne des fonds investis par la société allemande responsable du portefeuille que dans la violation des obligations légales par l’émetteur. Dans ce cas, la compétence des juridictions allemandes aurait pu entrer en ligne de mire. Certes, cette considération n’aurait rien changé en l’espèce, mais elle montre les difficultés induites par la localisation géographique. L’hypothèse fût seulement mentionnée par la Cour mais écartée au profit de la première, sans doute parce qu’elle aurait conduit à la compétence des juridictions allemandes et non pas autrichiennes. Or, la Cour cherchait à vérifier si le forum actoris pouvait recevoir compétence en raison de la localisation éventuelle de l’événement causal en Autriche. L’investisseur fût plus chanceux sur le terrain du lieu de matérialisation du dommage. Ce dernier a été identifié par la Cour au lieu du compte bancaire de l’investisseur où le dommage initial s’est produit. Or ce compte, croit savoir la Cour, était tenu dans une 33. C.J.C.E., 30 novembre 1976, Sté Bier et Fond. Rheinwater c. Mines de potasse d’Alsace ; point 45 de l’arrêt Kolassa ; point 29 des conclusions de l’avocat général Léger dans l’arrêt Kronhofer, C.J.C.E., 10 juin 2004, C-­168/02. 34. B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, op. cit., p. 520. 35. Point 53 de l’arrêt Kolassa. 2015/2

banque siégeant en Autriche, au même endroit que le domicile de l’investisseur, dans le ressort du tribunal saisi (36). Tous les éléments du théorème étant démontrés, c’est-à-dire que le lieu du domicile du demandeur était identique au lieu de matérialisation du dommage, la Cour conclut à la compétence exceptionnelle des juridictions dans le ressort desquelles l’investisseur avait son domicile. Il est vrai que l’arrêt n’est pas particulièrement explicite en ce qui concerne lequel des comptes bancaires de l’investisseur revêt une importance pour la localisation du lieu où le fait dommageable s’est matérialisé (37). Au regard des arrêts précédents dans lesquels la localisation géographique du dommage par le biais d’un compte bancaire avait été réalisée, tant la Cour que les avocats généraux se réfèrent au lieu du compte sur lequel le droit sur les titres est crédité. Dans l’arrêt Kronhofer, a été pris en considération le compte de placement situé en Allemagne et non pas le compte à partir duquel l’argent a été transféré (38). Dans l’affaire Melzer, l’avocat général Jääskinen précise clairement qu’il y a une distinction à opérer entre le compte de l’investisseur à partir duquel l’argent a été transféré et le compte de placement sur lequel se manifeste réellement le gain ou la perte entraînée par l’opération spéculative (39). Il est possible de se demander si cette ligne directrice a guidé encore la Cour et l’avocat général dans l’affaire Kolassa où l’investisseur n’était pas le dépositaire des titres, ces derniers, immatériels, avaient été conservés en dépôt par l’intermédiaire dans un compte de dépôt à Munich. Dans ces conditions, la Cour n’aurait pas pu considérer que le dommage patrimonial initial s’était matérialisé tout d’abord sur le compte de dépôt avant de prolonger ses effets sur le compte autrichien où les certificats ne pouvaient être livrés qu’à hauteur de leur valeur détenue dans le compte de placement ? Certainement qu’une application à la lettre des arrêts Kronhofer et Melzer ne pouvait que conduire la Cour à dire que le fait dommageable était intervenu sur le compte de dépôt en Allemagne et non pas sur le compte en Autriche. La compétence juridictionnelle aurait été celle des juges allemands plus proches du lieu du fait dommageable. Ce « détail » dans l’affaire Kolassa suggère que la Cour a dévié ici aux solutions sévères qu’elle adoptait jusqu’ici à l’égard des particuliers investisseurs. En dépit de ce résultat, la Cour cherche à convaincre du maintien du principe d’application stricte de la compétence forum actoris. 36. Points 54 et 55 de l’arrêt Kolassa. 37. Point 63 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire Kolassa : « ... Même si les faits énoncés par la juridiction de renvoi ne fournissent pas des indications suffisamment claires pour éliminer tout doute en ce qui concerne la détermination du lieu où le dommage est intervenu... ». 38. Point 6 de l’arrêt Kronhofer, op. cit. 39. Point 32 des conclusions de l’avocat général Jääskinen présentées le 29 novembre 2012 dans l’affaire Melzer c. MF Global UK Ltd, C-­228/11, 16 mai 2013 ; Rev. crit. DIP, p. 933, J. Charcornac ; Recueil Dalloz, p. 2293, obs. L. d’Avout et J. Bollée.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

Certainement qu’une application à la lettre des arrêts Kronhofer et Melzer

ne pouvait que conduire la Cour à dire que le fait dommageable était intervenu sur le compte de dépôt en Allemagne et non pas sur le compte en

Autriche.

2.  La compétence du forum actoris doit faire l’objet d’une application stricte La Cour a souhaité expressément rappeler l’interprétation stricte dont doivent faire l’objet les règles de compétence spéciales gouvernant la matière délictuelle et quasi délictuelle. En raison de la proximité avec le litige attribuée au for du lieu où le dommage est survenu, cette juridiction serait mieux placée que la juridiction du domicile du défendeur pour organiser le procès et surtout administrer la preuve (40). La Cour insiste dans l’arrêt Kolassa sur le fait que la compétence du forum actoris s’expliquait ici uniquement par l’identité existant entre la localisation du domicile de l’investisseur et le lieu où le dommage s’était produit (41). Il est connu que cette orientation qui domine l’arrêt est défavorable au demandeur qui dans la majorité des cas introduit son action devant les juridictions de son domicile et surtout pas devant les juridictions du domicile du défendeur. À cette fin, il sera tenté, comme M. Kolassa, d’arguer que c’est au lieu de son domicile que le fait dommageable s’est produit (42). Mais il résulte de ­l’arrêt 40. B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, op. cit., p. 519 ; point 46 de l’arrêt Kolassa ; point 56 des conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Kolassa ; points 12 à 15 de l’arrêt Kronhofer ; points 25 à 28 des conclusions de l’avocat général Léger dans l’arrêt Kronhofer ; point 11 de l’arrêt Mines de Potasse d’Alsace. 41. Point 50 de l’arrêt Kolassa. 42. B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, op. cit., p. 520. 46

que la Cour n’a pas cure, puisque la protection du demandeur n’est pas l’objectif qu’elle doit suivre lors de l’application de l’article 5, paragraphe 3, du règlement. Comme si elle devait s’expliquer d’une déviation à la règle, la Cour précise que dans l’affaire Kolassa, l’émetteur pouvait raisonnablement prévoir le risque d’être attrait devant une juridiction d’un autre État membre dès lors qu’il y a publié un prospectus (43). Ceci appelle deux observations. La première est interrogative. Est-­il possible de considérer qu’un émetteur qui ne respecte pas l’obligation de publier un prospectus dans un État membre dans lequel ses produits financiers seront proposés sur le marché secondaire peut être rassuré ? Il ne risque pas d’être attrait devant la juridiction du domicile d’un investisseur floué résidant dans le pays où les produits ont ainsi été vendus sans prospectus ?

Ce « détail » dans l’affaire Kolassa suggère que la Cour a dévié ici aux solutions sévères qu’elle adoptait à l’égard des particuliers

investisseurs.

La deuxième observation vise une comparaison avec l’affaire Kronhofer, dans laquelle la compétence du forum actoris fût refusée à l’investisseur au motif que le dommage initial s’était matérialisé sur un compte de placement situé dans un État membre différent de l’État de son domicile (44). M. Kronhofer, un particulier domicilié également en Autriche avait été démarché par téléphone par des conseillers en placement d’une société siégeant en Allemagne pour souscrire un contrat portant sur des options d’achat d’actions. M. Kronhofer avait alors transféré une somme d’argent dans un compte de placement en Allemagne, somme placée par les intermédiaires dans des opérations spéculatives. Suite à ces opérations, le placement financier fut perdu. M. Kronhofer avait introduit une action en responsabilité contre les conseillers en placement domiciliés en Allemagne devant la juridiction de son domicile. La C.J.C.E. fut saisie par la juridiction suprême d’Autriche d’une question préjudicielle en interprétation de l’article 5 paragraphe 3 (à cette date de la Convention 43. Point 56 de l’arrêt Kolassa. 44. Point 17 de l’arrêt Kronhofer.

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de Bruxelles) afin de savoir si l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit » se référait également au centre du patrimoine de l’investisseur situé en principe au lieu de son domicile affecté par ricochet par une perte subie sur une partie du patrimoine placée dans un autre État membre (45). L’argumentation n’était pas dénuée de pertinence, certains auteurs européens s’étaient prononcés déjà en faveur de cette thèse (46). Mais la Cour ne s’engagea pas sur cette voie privilégiant l’approche stricte selon laquelle le lieu où le dommage s’est produit fait référence au lieu où il s’est initialement manifesté et non au lieu où il prolonge ses effets (47). Même si la perte financière subie par M. Kronhofer produisait un effet simultané à son domicile en Autriche parce que c’est là qu’elle affectait l’ensemble de son patrimoine, l’événement causal du dommage et la matérialisation de ce dernier se situaient dans un autre État membre, le lieu où le fait dommageable s’était produit ne pouvait pas être le lieu du domicile de l’investisseur (48). Cette localisation qui a conduit la Cour à rejeter la compétence du forum actoris dans l’affaire Kronhofer fût jugée sévère à l’égard de l’investisseur et flexible vis-­à-­vis des défendeurs qui avaient pourtant démarché ce dernier par téléphone à son domicile (49). La Cour avait pourtant alors pris le soin de préciser que sa sévérité à l’égard du forum actoris s’expliquait par l’objectif de prévisibilité que la Convention de Bruxelles avait consacré en faveur du demandeur et du défendeur qui (à propos de ce dernier) doit « prévoir raisonnablement celle » (la juridiction) « devant laquelle il peut être attrait (50) ». Or, aujourd’hui, à la lumière du récent arrêt Kolassa, il semble que les conseillers en placement dans l’affaire Kronhofer pouvaient tout aussi bien prévoir la compétence des juridictions du domicile de l’investisseur où ils avaient délibérément téléphoné, que la banque Barclays pouvait anticiper la compétence juridictionnelle des tribunaux de l’État où elle avait publié un prospectus. Ce deuxième « détail » de l’arrêt Kolassa confirme que le jugement a été inspiré par une approche particulièrement favorable à la protection de l’investisseur. Au-­delà, le raisonnement de la Cour met en évidence les inconvénients de la 45. Point 9 de l’arrêt Kronhofer. 46. B. Hoffmann, in Stautinger, BGB, Seillier 2001, art. 40 EGBGB, n° 282a ; K. Thorn, in O. Paladant, BGB, 71e éd., C.H. Beck, 2012, art. 4 Rom II-­VO. 47. C.J.C.E., 11 janvier 1990, Dumez France Tracoba, C-­220/88, conclusions de l’avocat général Darmon présentées le 23 novembre 1989 ; C.J.C.E., 19 septembre 1995, Marinari c. Lloyd’s Bank Plc, C-­364/93, conclusions de l’avocat général Léger présentées le 18 mai 1995. 48. Arrêt Kronhofer ; points 48 et 49 de l’arrêt Kolassa. 49. H. Muir-­Watt, « De la localisation d’un préjudice patrimonial subi à l’occasion de placements financiers à l’étranger », C.J.U.E., 10 juin 2004, Rudolf Kronhofer c. Marianne Mayer et autres, aff. C-­168/02, Rev. crit. DIP, 2005, p. 326. 50. Point 20 de l’arrêt Kronhofer. 2015/2

localisation géographique du fait dommageable en matière de produits financiers.

B. Les inconvénients de la localisation géographique du fait dommageable en matière de produits financiers 1.  Un critère de rattachement inadapté aux modes de détention indirecte des titres L’arrêt met en exergue la persistante difficulté consistant à localiser des dommages financiers résultant d’opérations mathématiques et qui ne disposent pas d’une position géographique strictement déterminable (51). Ce constat implique de s’interroger sur la pertinence d’utiliser, en matière de délits financiers, le critère de rattachement géographiquement localisable préconisé par la règle de compétence prévue à l’article 5, paragraphe 3, du règlement. Sur le terrain du conflit des lois, des critères de rattachements plus appropriés aux systèmes multi-­ intermédiés sont actuellement recherchés et l’abandon des points de rattachement qui fonctionnent sur une localisation géographique des titres est envisagé. La conférence de La Haye a rédigé une convention internationale relative à la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire afin de refléter la réalité de la détention des titres sur le marché (52). Des critères de rattachement jugés plus appropriés pour déterminer la loi applicable à la détention de titres via un intermédiaire ont été proposés. Qu’est-­ce que l’on peut apprendre de ces travaux, utile pour la détermination de la compétence juridictionnelle dans l’Union européenne en matière de délits financiers ? Il est remarquable de constater que les règles traditionnelles de conflit de lois souffrent également dans ce domaine d’un certain archaïsme qui les rend impraticables. 51. M. Lehmann, « Proposition d’une règle spéciale dans le règlement Rome I pour les délits financiers », Rev. crit. DIP, 2012, p. 487. 52. Rapport explicatif à la convention de La Haye du 5 juillet 2006, p. 9. La Convention n’est pas applicable, car elle a été signée uniquement par deux États. Néanmoins, elle fournit une réflexion intéressante quant aux ajustements nécessaires en matière de droit international privé pour répondre à la complexification des litiges portant sur des délits financiers. En ce qui concerne le système commun européen, une réforme du règlement Rome II afin d’y inclure un critère de rattachement propre aux comportements illicites sur le marché financier a été proposé via une insertion d’un article 6bis dans le règlement Rome II mais le texte maintient partiellement un critère de rattachement géographique pour la détermination de la loi applicable. Voy. Conseil allemand pour le droit international privé, Commission spéciale « Droit des marchés financiers », Résolution du 31 mars 2012, Rev. crit. DIP, 2012, p. 679.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

Dans les systèmes de détention directe de titres, la loi applicable à un transfert international de titres est traditionnellement la lex rei sitae ou la lex ­cartae sitae, c’est-­ à-­dire la loi du lieu où les titres sont géographiquement situés ou la loi du lieu de la tenue du registre si les titres sont nominatifs (53). Cette « approche de la transparence » ou « look through » n’est pas transposable dans les systèmes de détention indirecte auprès d’intermédiaires où le registre est souvent électronique, donc non identifiable géographiquement (54). Ceci se vérifie bien dans une situation comme celle de M. Kolassa, l’investisseur autrichien détenant des titres immatériels à travers plusieurs niveaux d’intermédiaires sans pouvoir connaître exactement à quel niveau ses titres étaient réellement conservés. Par ailleurs, il est difficile de faire correspondre la réception des titres par un intermédiaire avec les titres crédités sur le compte d’un client en raison de l’effet de la compensation multilatérale dans les systèmes de compensation (55). Compte tenu des difficultés suscitées par l’approche de la transparence, les rédacteurs de la convention ont proposé de retenir pour facteur principal de rattachement de la règle de conflit de lois le lieu du compte tenu par l’intermédiaire pertinent/immédiat de l’investisseur (le principe du lieu de l’intermédiaire pertinent – PRIMA – Place of the relevant intermediary approach) (56). Cette approche semble avoir été adoptée par la Cour pour localiser le fait dommageable en matière de compétence juridictionnelle dans l’Union européenne. Néanmoins l’approche PRIMA n’est pas non plus praticable, car il n’y aurait pas de critère universellement valable applicable à toutes les opérations financières internationales permettant de déterminer sans appel le lieu d’un compte de titres ou lieu de l’établissement d’un intermédiaire tenant un compte de titres pour un particulier (57). La tenue d’un compte de titres implique des manipulations réalisées aujourd’hui par plusieurs établissements ou sont exécutés par des sous-­traitants localisés dans les lieux géographiquement différents (58). Compte tenu de ces difficultés, la convention a abandonné l’idée d’introduire un critère de rattachement géographique. Son article 4 (1) permet aux parties à une convention de comptes (l’investisseur et l’intermédiaire pertinent) de librement choisir la loi applicable aux aspects régis par la Convention, à condition que l’intermédiaire pertinent dispose d’un établissement conforme dans l’État choisi (59). Des rattachements subsidiaires opérant en cascade sont prévus à l’article 5 et peuvent tout de même exceptionnellement reconduire à l’identification géographique lorsque les parties n’ont pas opéré un choix. Ces rattachements sont les sui53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. 48

Rapport explicatif, p. 19. Rapport explicatif, p. 19 Rapport explicatif, p. 19. Rapport explicatif, p. 19. Rapport explicatif, p. 19. Rapport explicatif, p. 21. Rapport explicatif, p. 23.

vants : le lieu de l’établissement conforme fondé exclusivement sur la convention de compte (5.1), le lieu où l’intermédiaire pertinent a été constitué ou organisé au moment de la signature de la convention de compte ou de l’ouverture du compte de titres ce qui peut entraîner l’application de la loi de l’État du siège social d’une société (5.2), le lieu d’activité de l’intermédiaire pertinent au moment de la conclusion de la convention de compte ou au moment de l’ouverture du compte de titres et qui correspond au lieu de son administration centrale (5.3). Ces développements devraient inspirer également le renouveau des règles européennes de compétence juridictionnelle en matière de délits financiers afin d’ajuster ces dernières aux nouvelles formes de détention des titres.

2.  L’inconvénient résultant de l’utilisation du facteur de rattachement « la production du fait dommageable » pour résoudre le conflit de juridictions et le conflit de lois Le deuxième inconvénient de la localisation géographique du fait dommageable résulte du fait que ce critère de rattachement sert non seulement à identifier la juridiction compétente pour connaître d’une action en responsabilité contre un émetteur mais également à déterminer la loi applicable à la responsabilité de ce dernier. Sous les auspices du règlement Rome II, la responsabilité de l’émetteur envers l’investisseur en l’absence de contrat entre les parties est soumise à l’article 4 selon lequel la loi applicable est celle de l’État où le dommage est survenu (60). L’article 12 du règlement Rome II relatif à la culpa in contrahendo ne s’applique pas car il vise le non-­respect d’un devoir précontractuel d’information, alors qu’il n’y a pas de contrat entre l’investisseur et l’émetteur (61). En vertu de ce dispositif commun européen, la responsabilité de la Barclays Bank en tant qu’émetteur sera non seulement évaluée par la juridiction autrichienne du domicile de l’investisseur alors que la banque siège au Royaume-­ Uni, mais le droit applicable à la responsabilité de l’émetteur sera également le droit autrichien. Certainement que dans une perspective relativement égocentrique de l’émetteur, la solution est loin d’être idéale, peut-­on le croire. Elle entraîne en effet la segmentation du procès portant sur la responsabilité de l’émetteur entre toutes les juridictions des États où un dommage s’est produit (62). L’arrêt Kolassa renforce le bienfondé de ces craintes. La publication d’un prospectus comportant des informations incorrectes ou incomplètes pourra entraîner des actions en responsabilité contre l’émetteur dans tous les pays où le prospectus a été notifié. Ce qui signifie que les contentieux relatifs à la responsabilité délictuelle de l’émetteur 60. M. Lehmann, op. cit., p. 487. 61. Idem. 62. Idem.

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seront soumis à l’application de législations nationales différentes (63). Cet état des lieux est néanmoins un peu rassurant du point de vue de l’investisseur qui avait réellement besoin d’une protection face aux développements fulgurants de la commercialisation de produits financiers à risque, raison pour laquelle la responsabilisation infligée par la Cour aux émetteurs dans l’affaire Kolassa semble objectivement appropriée. Sous l’angle de la régulation des marchés financiers européens en revanche, le système actuel de droit international privé européen est critiquable en raison de la segmentation qu’il impose entre le traitement des devoirs de l’émetteur et le traitement de sa responsabilité (64). En ce qui concerne les obligations qu’il doit respecter, la loi applicable est celle du lieu du fait générateur du dommage en vertu de l’article 17 de Rome II alors que la responsabilité de l’émetteur pour violation des obligations d’informations et de prospectus dépend du lieu de survenance du dommage (65). La situation générée est surprenante. Elle se caractérise par un mélange des genres. L’État dont la législation financière a été violée, dans l’exemple Kolassa, c’était le Royaume-­Uni, doit laisser les juridictions sur le ter63. Points 55 et 56 de l’arrêt Kolassa. 64. M. Lehmann, op. cit., p. 487. 65. Idem.

ritoire desquelles le dommage résultant de cette violation est survenu à juger selon leur loi nationale de la responsabilité de l’émetteur (66).

Sous l’angle de la

régulation (…),

le système actuel de droit international privé européen est critiquable en raison de la segmentation qu’il impose (…)

66. Idem.

Surveillance européenne complémentaire des conglomérats financiers – Enjeux et méthodes

Marine Michineau

Docteur en droit, chargée d’enseignement, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

L’évolution des marchés financiers est marquée par l’apparition de groupes, appelés « conglomérats financiers », caractérisés par la fourniture de services relevant de différents segments de la finance (banque, assurance et service d’investissement). Les récentes crises bancaires et financières ont mis en lumière la nécessité d’une surveillance complémentaire de ces conglomérats, en vue de combler les lacunes de la réglementation propre à chaque secteur. La présente étude a pour objet de présenter les enjeux et méthodes de cette surveillance complémentaire, qui reste à parfaire, de manière à garantir une supervision efficace des groupes exerçant des activités transsectorielles.

New developments in financial markets have led to the creation of financial groups, « financial conglomerates », which provide services in different sectors of the financial markets (credit, insurance and investment). The recent global financial crisis has underlined how series of actions need to be taken under supplementary prudential legislation for financial conglomerates, in order to complete sectoral supervision. The purpose of this study is to present the issues raised and the methods of this supervision that need to be improved, in order to develop appropriate supplementary supervisory concepts with regard to financial conglomerates. 2015/2

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

Les faillites d’AIG, Lehman Brothers ou Bear Stearns ont souligné l’importance des interconnexions entre institutions financières. Le dispositif de surveillance des services financiers, alors en place, n’a pu ni anticiper ni résoudre les dernières crises financières. Elles ont mis en lumière l’exigence de rénovation de la surveillance des institutions financières (1) et plus généralement les lacunes de la régulation (2) face aux risques de contagion. Spécifiquement, les systèmes de surveillance, implantés à l’échelle nationale, se sont avérés dépassés, compte tenu de la réalité intégrée et interconnectée des marchés financiers européens. L’évolution des pratiques emporte l’évolution des enjeux, tenant désormais à la lutte contre des risques systémiques interconnectés, complexes, sectoriels comme transsectoriels. Notamment, l’activité transfrontalière de nombreux établissements financiers implique une approche rénovée de la surveillance. Dans la perspective d’assurer le bon fonctionnement des marchés financiers, l’Union européenne fait donc face à un objectif de taille : assurer la surveillance des acteurs et des activités afférents aux services d’investissement, dans leur ensemble, au regard de leurs caractéristiques communes et des enjeux actuels.

(qui vise l’ensemble du système financier européen). C’est l’économie européenne, dans sa globalité, qu’il convient de protéger. Cette protection passe incontestablement par la stabilité du marché intérieur des services financiers, ce qui implique donc la prise en compte des conglomérats financiers. En raison de leur champ d’intervention transsectoriel, il est apparu essentiel de superposer, à la surveillance prudentielle dédiée à chaque segment (banque, service d’investissement ou assurance), une surveillance propre aux conglomérats, dénommée « surveillance complémentaire ». Elle tient au contrôle et à l’évaluation (par exemple l’adéquation des fonds propres), non pas au niveau de chaque entité prise isolément, mais à l’échelle du conglomérat.

Dans le prolongement du rapport Larosière, la Commission européenne (5) a défini une architecture de base (6), destinée à façonner un nouveau cadre européen relatif à la surveillance financière. L’accent est alors mis sur une mutation nécessaire : le passage d’une appréhension des difficultés et d’une surveillance microprudentielle (portant sur un établissement isolé dans le but de protéger sa propre clientèle) vers une complémentarité (7) des approches micro et macroprudentielle

La définition européenne des conglomérats financiers comprend un aspect qualitatif et quantitatif : sont prises en considération les activités transsectorielles du groupe ainsi que leur ampleur. Un décret et un arrêté du 3 novembre 2014, parachevant la transposition de la directive FICOD (8), relative à la surveillance complémentaire des conglomérats financiers, précisent les modalités d’identification des conglomérats financiers. Conformément à l’article L.517‑3 du Code monétaire et financier, un groupe constitue un conglomérat financier lorsque les trois conditions suivantes sont remplies. Premièrement, une entité réglementée est à la tête du groupe (entreprise mère, entreprise détenant une participation ou liée) ou l’une des filiales du groupe au moins est une entité réglementée. Dans l’hypothèse où il n’y a pas d’entité réglementée à la tête du groupe, les activités de ce dernier doivent s’exercer « principalement » dans le secteur financier (le seuil de 40 % vient d’être fixé par arrêté pour déterminer ce caractère principal (9)). La deuxième condition tient aux secteurs exploités par le conglomérat. Une entité du groupe au moins doit appartenir au secteur de l’assurance et au moins une autre entité appartient au secteur bancaire ou à celui des services d’investissement. Ce dernier secteur comprend les entreprises d’investissement, les sociétés de gestion de portefeuille et les gestionnaires de fonds alternatifs. Troisièmement, les activités consolidées ou agrégées des entités du groupe dans le secteur financier sont importantes (10).

Voy. Sénat, Rapport d’information sur les perspectives de l’Union européenne, n° 407, 26 février 2014, pp. 23 et 24. BCE, « L’UEM et la surveillance bancaire », Bull. mens. BCE, avril 2000, pp. 59 à 63 ; BCE, « Recent developments in supervisory structures in the UE Member States », n° 2007‑10, octobre 2010. J. Larosière, Rapport sur la supervision financière au sein de l’Union européenne, 25 février 2009. COM (2009) 252 final, 27 mai 2009. COM (2009) 252 final, op. cit. À travers ses deux nouveaux piliers : le Conseil européen du risque systémique (CERS) et le Système européen de surveillance financière (SESF). Voy. COM (2009) 252 final, op. cit., p. 4 : « il est essentiel de mettre en œuvre les deux piliers [microprudentiel et macroprudentiel] du nouveau système de surveillance afin de créer des synergies utiles ; afin que les effets des deux piliers sur la stabilité financière se renforcent

mutuellement ; et afin d’assurer l’existence d’un cadre de surveillance micro-­macroéconomique intégré ». 8. Directive n° 2011/89/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011, modifiant les directives n° 98/78/CE, n° 2002/87/CE, n° 2006/48/CE et n° 2009/138/ UE en ce qui concerne la surveillance complémentaire des entités financières des conglomérats financiers. 9. Ce seuil est atteint lorsque le rapport entre le total du bilan des activités de l’ensemble du secteur financier du groupe (entités réglementées et non réglementées) et le total général du bilan du groupe est supérieur à 40 %. Voy. art. 1er de l’arrêté du 3 novembre 2014, relatif à la surveillance complémentaire des conglomérats financiers, J.O.R.F., n° 0256, p. 18593. 10. Pour déterminer si cette condition est remplie, les établissements doivent procéder à deux calculs permettant d’apprécier si le secteur des assurances, d’une part, et les secteurs bancaires et des services d’investissement, d’autre part, représentent une part importante du total

La refondation de la surveillance des services financiers, dans sa triple dimension bancaire, financière et assurantielle, procède du rapport Larosière du 25 février 2009 (3), repris dans ses grands axes par la Commission européenne dans une communication du 27 mai 2009 (4). Parmi les causes de la crise financière, le rapport précité identifie notamment la faiblesse de la réglementation et de la surveillance financière européenne. L’évaluation isolée des établissements financiers, sans prise en compte de leur interaction, s’est avérée stérile.

1. 2.

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Alors que l’interconnexion des institutions financières est considérée comme une composante fondamentale du risque systémique (11), le rôle croissant (12) des conglomérats financiers pose de nouveaux défis. Ainsi, l’atténuation des frontières traditionnelles entre les segments de la banque, des assurances et des titres implique une nouvelle approche de la détection précoce des crises, isolées comme systémiques.

L’atténuation des

frontières traditionnelles entre les segments de la banque, des assurances et des titres implique une nouvelle approche de la détection précoce des crises, isolées comme

systémiques.

du bilan et des exigences de solvabilité. En complément, il est imposé, pour emporter la qualification de conglomérat financier, que le total du secteur le moins important au sein du groupe (services d’investissement, banque ou assurance) doit dépasser 6 milliards d’euros. Il est toutefois à noter que dans certaines circonstances exceptionnelles, le superviseur national peut modifier les critères, ou décider d’appliquer les règles propres aux conglomérats financiers, quand bien même ces critères ne sont pas remplis. Voy. art. 1er et 2 de l’arrêté du 3 novembre 2014, relatif à la surveillance complémentaire des conglomérats financiers, J.O.R.F., n° 0256, p. 18593. 11. Banque de France, « Comment mesurer l’interconnexion entre banques, assureurs et conglomérats financiers », mars 2015, Rue de la Banque, n° 4, p. 1. 12. Le 11 septembre 2014, le Comité mixte des autorités européennes de surveillance (le Joint Committee) a publié une liste des conglomérats financiers identifiés. Cette liste fait ressortir l’existence de 71 conglomérats financiers dont l’entité à la tête de groupe est enregistrée sur le territoire de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen. Parmi ces conglomérats, huit ont pour coordonnateur l’ACPR français et trois d’entre eux relèvent de cette autorité, sans qu’elle soit leur coordonnateur. Voy. Joint Committee, List of Identified Financial Conglomerates (as per 31 December 2013 figures), 11 septembre 2014. La même liste, publiée en 2008, faisait ressortir l’existence de 61 conglomérats financiers. Voy. Identification of financial conglomerates (as per end-­2007 figure), 3 octobre 2008. 2015/2

Le développement d’une gestion multisectorielle des risques est, dès 2002 (13), perçue comme une première réponse à apporter à ces nouveaux défis. L’inefficacité de cette première réponse face aux récentes crises financières a amené l’Union européenne à reconstruire la surveillance complémentaire des conglomérats financiers (I). Dans cette perspective, les autorités de régulation européennes poursuivent leurs efforts vers l’établissement d’une concurrence plus équitable sur le marché intérieur, en veillant à ce qu’une coordination cohérente soit déployée entre les autorités chargées de la surveillance complémentaire des conglomérats (II).

I. La surveillance complémentaire des conglomérats financiers : nouveaux enjeux, nouvelles approches La régulation peut-­elle être nationale alors que les opérateurs financiers évoluent dans un espace financier mondialisé ? La régulation peut-­elle être sectorielle alors que les protagonistes se déspécialisent ? À ces deux questions, l’Union européenne répond par la négative. Tel n’a pourtant pas toujours été le cas. La mise en place d’un réseau d’autorités européennes et nationales (A), complétée par une approche transsectorielle affinée (B), apparaissent aujourd’hui comme la clé de voûte de la surveillance des conglomérats financiers.

A. Mise en place d’un réseau d’autorités européennes et nationales : la coordination verticale Les premiers principes régissant la supervision des conglomérats financiers datent de 1999 (14). Au niveau international, la création d’un Forum tripartite (ou Joint Forum), illustre le besoin de prise en compte du développement de groupes, actifs dans les trois secteurs financiers (15). Un pas décisif dans leur surveillance européenne a été franchi par la directive n° 2002/87/ CE du 16 décembre 2002 (16). 13. Voy. Comm. Bancaire, « Gestion des risques dans les conglomérats financiers et supervision prudentielle », in Étude du Rapport annuel de la Commission bancaire, 2002, p. 185. 14. Joint Forum, « Capital adequacy principles paper », in Supervision of Financial Conglomerates, février 1999. 15. Joint Forum, « Principles for the supervision of Financial conglomerates », septembre 2012. Voy. Th. Bonneau, « Conglomérat financier-­Joint Forum », R.D.B.F., comm. 108. 16. Directive n° 2002/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2002, J.O.U.E., 11 février 2003,

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I.A. Régulation européenne


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I. Régulation financière

Le dispositif mis en place reposait sur le contrôle exercé par les autorités nationales, amenées à coopérer entre elles dès lors que la surveillance des conglomérats financiers présentait une dimension européenne. Toutefois, le rapport Larosière de 2009, exposant les lacunes de ce dispositif, préconise un mécanisme de surveillance intégrée, orchestrée à l’échelle européenne. Cette proposition fut consacrée par les réformes européennes successives, mettant en place progressivement des collèges d’autorités ayant pour mission de contrôler les situations juridiques à dimension transfrontalière dans le domaine des services financiers. La démarche s’en trouve bouleversée et marque le passage d’un contrôle national vers une surveillance financière intégrée. Cette orientation est aujourd’hui affirmée par la création d’un « système européen de surveillance financière » (SESF), constitué d’un réseau d’autorités nationales travaillant en interaction avec les trois autorités européennes de surveillance (l’AEMF (17), l’ABE (18) et l’AEAPP (19)), dotées de pouvoirs contraignants (20). Ces autorités européennes contribuent, chacune dans son secteur respectif, à l’élaboration de règles harmonisées, participant à renforcer la surveillance des établissements transfrontaliers. L’ambition poursuivie est celle de la coordination verticale, de manière à favoriser l’émergence d’une pratique cohérente en matière de surveillance financière. La régulation globale, harmonisée à l’échelon européen, est complétée par la surveillance nationale, confiée aux autorités des États membres, auxquelles est reconnue une certaine proximité avec les établissements qui relèvent de leur compétence (à savoir, pour la France, l’AMF dans le domaine des valeurs mobilières ou l’ACPR dans les domaines bancaire et assurantiel). À cette coordination verticale, consacrée, vient s’ajouter une convergence horizontale, toutefois non parachevée à l’échelle européenne.

17. 18. 19.

20.

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relative à la surveillance complémentaire des établissements de crédit, des entreprises d’assurance et des entreprises d’investissement appartenant à un conglomérat financier. Autorité européenne des marchés financiers, règlement n° 1095/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010, J.O.U.E., 15 décembre 2010. Autorité bancaire européenne, règlement n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010, J.O.U.E., 15 décembre 2010. Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, règlement n° 1094/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010, J.O.U.E., 15 décembre 2010. Th. Bonneau, « La réforme de la supervision financière européenne », R.L.D.A., 2011, n° 56, p. 31 ; A.-­C. Muller, « La réforme du système européen de surveillance financière : organisation et fonctionnement des autorités européennes de surveillance », R.D.B.F., 2011, comm. 11 ; R. Vabres, « La réforme du système européen de surveillance financière : les pouvoirs des autorités européennes de surveillance », R.D.B.F., 2011, comm. 12.

B. Affinement de l’approche transsectorielle : vers une convergence horizontale de la surveillance des conglomérats L’idée germe de soumettre les entités réglementées, appartenant à un conglomérat, à une surveillance complémentaire. Elle vient s’ajouter (21) au contrôle propre à chaque structure ou groupe spécialisé, soumis au contrôle de son superviseur sectoriel. Toutefois, le pas vers une surveillance transversale n’est toutefois pas franchi à ce jour, l’Union européenne conservant une approche majoritairement fragmentaire de la surveillance financière, à travers la coexistence de trois autorités sectorielles de régulation (l’AEMF, l’ABE et l’AEAPP). En outre, le règlement n° 1024/2013/UE du 15 octobre 2013, entré en vigueur le 4 novembre 2014, confie à la Banque centrale européenne (BCE) des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit. L’approche sectorielle se confirme donc à l’échelle européenne. Le règlement prévoit un mécanisme de surveillance unique (22) (MSU), dédié à la supervision des établissements de crédit. Cette union est composée de la BCE et des autorités de surveillance des États membres (23). Le règlement (24) définit les missions de la BCE à l’égard des établissements de crédit 21. Par exemple, en France, une surveillance, propre au conglomérat, vient donc en complément de la surveillance prudentielle, sectorielle. Cette complémentarité est garantie par l’article L. 633‑13 du Code monétaire et financier, qui offre à l’AMF et à l’ACPR un pouvoir de sanction destinée aux entités réglementées qui utiliseraient leur appartenance à un conglomérat financier pour se soustraire totalement ou partiellement à l’application des règles sectorielles dont elles relèvent. 22. Le MSU est complété d’un « mécanisme de résolution unique », en cours de mise en place. Voy. notamment le projet de loi autorisant la ratification de l’accord concernant le transfert et la mutualisation des contributions au Fonds de résolution unique, adopté par le Sénat le 16 mars 2015. Voy. égal. le règlement d’exécution (UE) 2015/81 du Conseil du 19 décembre 2014 définissant des conditions uniformes d’application du règlement (UE) n° 806/2014 en ce qui concerne les contributions ex ante au Fonds de résolution unique. 23. L’ordonnance du 6 novembre 2014, ayant pour objectif d’adapter les dispositions législatives afin de permettre la mise en œuvre du MSU, organise la coopération entre la BCE et l’ACPR. Est notamment précisée la mission d’assistance de l’ACPR à la BCE dans l’exercice de ses missions de surveillance prudentielle. Voy. ordonnance n° 2014‑1332 du 6 novembre 2014, portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au mécanisme de surveillance unique des établissements de crédit. 24. Voy. art. 4, 1°, h), du règlement n° 1024/2013/UE du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit.

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établis dans les États membres participants, y compris la surveillance complémentaire d’un conglomérat financier et la coordination de cette surveillance avec les autorités nationales compétentes (lorsque la BCE est désignée en tant que coordonnateur (25) pour un conglomérat financier à dimension transfrontalière). Néanmoins, la création (26) du Comité européen du risque systémique (CERS), à vocation macroprudentielle, marque une véritable avancée vers une approche horizontale, à l’échelle européenne, dès lors que son champ couvre l’ensemble des services financiers européens. Ce comité se distingue des autorités de surveillance européennes (AEMF, ABE et AEAPP) par sa vocation transsectorielle d’anticipation et de lutte contre les crises affectant l’ensemble du système financier. Dans ce cadre, le CERS est chargé d’émettre des alertes en vue d’anticiper les risques systémiques et, le cas échéant, adresser des recommandations visant à dissiper ces risques. En outre, le Comité mixte des autorités européennes de surveillance (le Joint Committee), composé de représentants de l’AEMF, de l’ABE et de l’AEAPP conforte cette orientation transsectorielle. Sa compétence porte notamment sur la surveillance conjointe des secteurs de la banque, de l’assurance et des services d’investissement. Spécifiquement, il assure une cohérence transsectorielle s’agissant de la surveillance des conglomérats (27). Ces comités illustrent le glissement, l’évolution, vers la recherche de solutions globales (et non plus sectorielles), à fournir face à des enjeux communs.

Ces comités illustrent le glissement, l’évolution, vers la recherche de solutions globales (et non plus sectorielles), à fournir face à des enjeux communs.

25. Pour assurer une surveillance complémentaire adéquate des entités appartenant à un conglomérat, un coordonnateur unique, responsable de la coordination et de l’exercice de la surveillance complémentaire, est désigné parmi les autorités compétentes des États membres concernés. 26. Règlement n° 1092/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010, J.O.U.E., 15 décembre 2010. 27. Règlement n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010, art. 54 et s. 2015/2

Par comparaison, à l’échelle mondiale, la surveillance des conglomérats financiers est confiée à un Forum tripartite (ou Joint Forum), notamment chargé de la régulation des conglomérats financiers. Le Joint Forum est composé d’un nombre égal de représentants des superviseurs mondiaux du secteur de la banque, de l’assurance et des services d’investissement. Au niveau national, une approche transversale tend également à se substituer à une approche sectorielle. En France, le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), établi par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013, s’inscrit dans cette orientation transversale. Sa mise en place répond aux recommandations du CERS en faveur de la désignation, par les États membres, d’une autorité macroprudentielle dotée de pouvoirs réglementaires pour mettre en œuvre son mandat. Son champ de surveillance et d’action englobe l’ensemble des acteurs du secteur financier, afin de contribuer au maintien de la stabilité du système financier dans son ensemble. Par ailleurs, l’instauration (28) d’une Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) marque cette mutation vers un modèle « consolidé » de surveillance des services financiers. La fusion française des autorités d’agrément et de contrôle de la banque et de l’assurance s’inscrit pleinement dans cette démarche. Par ailleurs, cette orientation, en faveur d’une coordination verticale (entre autorités européennes de régulation et autorités nationales de supervision) et d’une convergence horizontale, se traduit dans les récentes démarches initiées par les autorités européennes de surveillance.

II. Perspectives européennes vouées à l’instauration d’une surveillance complémentaire cohérente Dès 1993, plusieurs études (29) avaient mis en évidence les bienfaits d’une appréciation agrégée des risques des secteurs de la banque et de l’assurance. En outre, en 2002, la Commission bancaire (30) observait à regret que « très peu de conglomérats financiers sont parvenus à 28. Ordonnance n° 2010‑76 du 21 janvier 2010, portant fusion des autorités d’agrément et de contrôle de la banque et de l’assurance. 29. Voy. J. Boyd, S. Graham et R. Hewitt, « Bank holding Company Mergers with non-­bank financial firms », Journal of banking and Finance, 1993, n° 17, pp. 43 et s. ; G. Whalen, The risks and returns associated with the insurance activities of foreign subsidiaries of US banking organizations, Office of the Comptroller of the Currency, US Treasury, 2000 ; L. Allen et J. Jagtiani, The impact of new bank powers (securities and insurance activities) on bank holding companies risk, Federal Reserve Bank of Chicago, 1999. 30. Comm. Bancaire, rapp. précité, p. 187.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

esquisser une mesure agrégée des risques […]. Le plus fréquemment, les calculs se font par famille de risques (marché, crédit, opérationnel, technique d’assurance) ». À la lumière de ces constats et des conclusions tirées des récentes crises financières, il apparaît aujourd’hui que la réduction de chaque type de risque (marché, crédit, assurance), sous la forme d’un étalon commun, favorise une vision complète des menaces au niveau du conglomérat financier. L’idée sous-­jacente est que le décloisonnement des secteurs permet une meilleure identification des opérations à risque, sans distinction du secteur auquel elles appartiennent. Afin de saisir l’essence des démarches additionnelles initiées au niveau européen, les prochains développements tiendront à la présentation des principales mesures récemment envisagées (A) ou adoptées (B).

A. Concentration des risques et transactions intragroupe : les pistes européennes

Aussi, conformément à la directive FICOD, à défaut de prévision par les États membres, les transactions intragroupe sont réputées importantes si leur montant dépasse au moins 5 % du montant total des exigences en matière d’adéquation des fonds propres au niveau d’un conglomérat (34). Ce seuil de 5 % vient d’être transposé en France par l’arrêté du 3 novembre 2014 relatif à la surveillance complémentaire des conglomérats financiers (35). En revanche, il est observé qu’un tel seuil subsidiaire est absent de la directive en matière de concentration des risques. Certains États membres ont, volontairement, fixé de tels seuils mais de manière non homogène. Le RTS convient qu’une harmonisation en ce domaine serait préférable, sans toutefois privilégier la fixation d’un seuil unique. Par ailleurs, la directive (36) requiert des États membres qu’ils exigent des conglomérats la communication, sur une base au moins annuelle, d’un rapport relatif aux concentrations des risques et aux opérations intragroupe. Toutefois, l’exact contenu de ces rapports n’est pas identifié. Les autorités européennes de surveillance projettent de remédier à cette situation et aux exigences étatiques désaccordées qu’elle entraîne.

Les trois autorités européennes de surveillance ont publié, le 18 décembre 2014, le Final draft Regulatory Technical Standards on risk concentration and intra-­ group transactions (31) (ci-­après le « RTS »). Notamment, ce document présente le bilan de la consultation publique réalisée courant 2014 en matière de concentration des risques et de transactions entre les différentes entités du conglomérat. Ces normes techniques de réglementation, qui devront être adoptées en la forme d’un règlement délégué par la Commission européenne pour être opposables (32), fournissent des précisions quant aux opérations « significatives » à reporter au coordonnateur du conglomérat. Il présente les options ouvertes à la Commission européenne, laquelle sera amenée à trancher dans les prochains mois.

Le quatrième écueil envisagé par le RTS tient aux mesures dont disposent les autorités nationales de supervision (37). La directive FICOD ne confie aucune mesure spécifique de supervision aux autorités compétentes en matière de concentration des risques et d’opérations intragroupe. La première option envisagée consiste à établir une liste de mesures octroyées aux autorités nationales sur la base de celles applicables, sectoriellement, à la fois aux segments de la banque et de l’assurance. La seconde option envisagée, non privilégiée par le RTS, tient à l’instauration d’une liste exhaustive incluant, plus largement, l’ensemble des mesures accordées aux autorités compétentes dans le cadre de la surveillance prudentielle propre à chaque secteur.

Dans un objectif d’harmonisation (33), le document propose d’établir une définition européenne de la concentration des risques et des opérations intragroupe « significatives ». Le RTS envisage deux alternatives : une approche énumérative ou conceptuelle. Une définition contraignante et énumérative (policy option 1) est opposée à une définition générique, une clausula generalis, qui servirait de repère aux coordonnateurs nationaux (policy option 2).

Un point d’honneur est mis à l’échange d’informations (son contenu, son support, sa périodicité). L’efficacité de la surveillance complémentaire des conglomérats repose assurément sur la qualité de l’information fournie aux superviseurs, quant aux sujets sensibles (concentration des risques, opérations intragroupe, adéquation des fonds propres, procédures de gestion des risques et dispositifs de contrôle interne). Hormis l’information communiquée par les conglomérats aux autorités compétentes, l’efficience de leur surveillance passe par la coopération entre autorités nationales. L’échange d’informations entre superviseurs se trouve alors au centre des récentes orientations des autorités européennes de surveillance.

31. ESMA, EBA, EIOPA, Draft Regulatory Technical Standards on risk concentration and intra-­group transactions under article 21a (1a) of Directive 2002/87/EC (Financial Conglomerates Directive), 18 décembre 2014. 32. Conformément à l’article 10 des règlements n° 1093/2010, n° 1094/2010 et n° 1095/2010, op. cit. 33. Voy. ESMA, EBA, EIOPA, Draft Regularity Techncal Standards, op. cit., p. 28 : the EBA banking Stakeholder Group « supports an initiative that aims at harmonozing supervisory rules and practices across Europe, in order to ensure their fair conditions of competition between institutions and more efficiency for cross-­border groups ». 54

34. Voy. art. 8 (2) de la directive FICOD, op. cit. 35. Art. 12 de l’arrêté du 3 novembre 2014, relatif à la surveillance complémentaire des conglomérats financiers, J.O.R.F., n° 0256, p. 18593. 36. Art. 7 (2) et 8 (2) de la directive FICOD, op. cit. 37. Voy. Draft Regulatory Technical Standards, op. cit., pp. 18 et s. et 26 et s.

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B. Vers une meilleure coopération entre autorités compétentes La nouvelle architecture de surveillance, reposant sur les autorités européennes de surveillance et le CERS, constitue la pierre angulaire des réformes globales entreprises par la Commission européenne depuis l’éclatement des crises financières (38). Dans la perspective de renforcer durablement la stabilité et l’efficacité du système financier dans toute l’Union européenne, l’objectif poursuivi repose sur une coopération et un échange de renseignements plus étroit entre les autorités nationales de surveillance, en vue de l’adoption de solutions européennes, une interprétation et une application plus cohérentes des règles.

La nouvelle architecture

de surveillance, reposant sur les autorités européennes de surveillance et le CERS, constitue la pierre angulaire des réformes globales entreprises par la Commission européenne depuis l’éclatement des

crises financières.

À cet effet, le 22 décembre 2014, le Comité mixte des autorités européennes de surveillance (le Joint Committee) a publié des Joint Guidelines on the convergence of supervisory practices relating to the consistency of supervisory coordination arrangements for financial conglomerates (39) (ci-­après les « Joint 38. COM (2014) 509 final, Rapport sur le fonctionnement des autorités européennes de surveillance (AES) et du système européen de surveillance financière (SESF), 8 août 2014, p. 3. 39. Voy. Joint Committee, Joint Guidelines on the convergence of supervisory practices relating to the consistency 2015/2

Guidelines »). Ces lignes directrices, entrées en vigueur le 23 février 2015, visent à clarifier et renforcer la coopération entre les autorités nationales compétentes à l’égard d’entités de dimension transfrontalière et transsectorielle (40). Spécifiquement, les Joint Guidelines couvrent les attributions pour lesquelles une coopération étroite est requise entre superviseurs, à savoir dans les domaines suivants : la cartographie des conglomérats financiers, la coordination de l’échange d’informations (en période normale et d’urgence), l’évaluation prudentielle des conglomérats financiers (41), la planification et coordination des activités de surveillance (en période normale et d’urgence) et le processus de prise de décisions entre les autorités nationales compétentes. Depuis le 23 février 2015, les autorités nationales doivent appliquer ces orientations communes, soit en modifiant leur cadre juridique, soit en adaptant leurs procédures de supervision. Ces autorités, conformément au principe « comply or explain », avaient jusqu’au 23 février 2015 pour notifier à leur autorité européenne de surveillance respective (AEMF, ABE ou AEAPP) si elles respectent ou entendent respecter ces lignes directrices. Dans le cas contraire, les autorités compétentes doivent indiquer les raisons pour lesquelles elles ne respectent pas ou n’entendent pas respecter les Joint Guidelines. Parmi les mesures significatives envisagées, on retiendra les propositions suivantes. Premièrement, la cartographie des conglomérats (c’est-­à-­dire le processus de collecte et d’analyse d’informations nécessaires à leur identification) doit être actualisée régulièrement, au moins sur une base annuelle. Il est jugé essentiel à cet effet de prendre en compte, le cas échéant, les changements opérés sur la structure du conglomérat (42). Dans une perspective d’échange d’informations entre autorités, il est proposé que chaque nouveauté dans la cartographie des conglomérats soit communiquée aux autres autorités compétentes. En outre, il est prévu que les informations échangées entre autorités compétentes doivent inclure, le cas échéant, les informations utiles aux exercices de simulation de crise (43) (ou stress tests) des conglomérats financiers (44).

40. 41.

42. 43.

44.

of supervisory coordination arrangements for financial conglomerates, 22 décembre 2014. Voy. Joint Committe, Joint Guidelines, op. cit., n° 2, p. 8. En particulier les règles applicables dans les domaines suivants : adéquation des fonds propres, transactions intragroupe, concentrations des risques, contrôle interne et procédures de gestion des risques. Voy. Joint Committe, Joint Guidelines, op. cit., n° 13, p. 10. Les exercices de simulation de crise (ou stress tests) ont pour objectif de mesurer et d’apprécier la capacité d’une entité à faire face aux événements et chocs sur la stabilité du système financier. Voy. Joint Committe, Joint Guidelines, op. cit., n° 23, p. 11.

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I.A. Régulation européenne


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I. Régulation financière

Par ailleurs, le coordonnateur (45) et les autorités compétentes sont invités à s’avertir mutuellement de toute action ou mesure de surveillance adoptée à l’égard des entités du conglomérat (46). Le coordonnateur devra alors favoriser l’identification de mesures communes de supervision. Spécifiquement, il devra contrôler, conjointement avec les autorités compétentes concernées, la manière dont les transactions intragroupe peuvent potentiellement induire un effet de contagion au sein du conglomérat, provoquer des conflits d’intérêts ou conduire à un contournement des règles sectorielles.

La coopération et la coordination entre superviseurs constituent un véritable défi, si ce n’est le principal enjeu, de la surveillance complémentaire des conglomérats financiers. Ce constat, partagé par les autorités internationales de régulation (47), encourage à la mise en œuvre d’une coordination au niveau mondial en matière de supervision, de régulation financière, de surveillance microprudentielle et macroéconomique. L’instauration (48) du Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board), ayant pour mission de donner rapidement l’alerte de risques macroprudentiels au niveau mondial, participe de cette démarche, à laquelle l’Union européenne ne peut rester extérieure.

45. Pour assurer une surveillance complémentaire adéquate des entités appartenant à un conglomérat, un coordonnateur unique, responsable de la coordination et de l’exercice de la surveillance complémentaire, est désigné parmi les autorités compétentes des États membres concernés. 46. Voy. Joint Committe, Joint Guidelines, op. cit., nos 41 et 45, pp. 14 et 15.

47. Voy. Joint Forum, Principles for the supervision of Financial conglomerates, septembre 2012, principle 6 ; Joint Forum, Report on supervisory colleges for financial conglomerates, septembre 2014, p. 2. 48. Le Conseil de stabilité financière a été créé lors de la réunion du G20 à Londres en avril 2009 et succède au Forum de stabilité financière institué en 1999 à l’initiative du G7.

La « titrisation haute qualité », nouvel objectif européen : vers une relance par la titrisation ?

Katia Medjani

Présidente de l’Association Droit & Affaires, Élève avocate, M2 Droit Financier Panthéon-­Sorbonne

Le 18 février 2015, à l’occasion de la publication du livre vert sur « l’union des marchés des capitaux » (UMC), la Commission européenne a annoncé la création d’un marché de la titrisation de « haute qualité ». Cette relance du marché de la titrisation est une volonté partagée par la plupart des acteurs financiers et politiques européens. Les vertus de la titrisation ayant été redécouvertes, la réflexion est désormais axée autour de l’élaboration d’une « bonne titrisation » exempte des vices de celles pratiquées jusqu’en 2008 à l’origine de la crise des subprimes.

On February 18th 2015, the European Commission announced a public consultation on “high-­quality securitisation”, as a part of its plan to create a “Capital Markets Union” (CMU) for all member states. Most financial and political actors in the European Union share the will to give a boost to the securitisation market, whose benefits have recently been rediscovered. An important work is now being carried on to define “good” securitisation, cleared from the flaws that led to the 2008 subprime crisis.

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Le 18 février 2015, la Commission européenne a publié un livre vert sur l’union des marchés des capitaux (1), ouvrant une consultation globale sur les moyens d’aider les entreprises à trouver des sources de financement diversifiées. Parmi ces moyens, la création d’un marché de la titrisation de « haute qualité » (high quality securitisation) a été annoncée. Une consultation parallèle relative à la titrisation de haute qualité a donc été mise en place et sera clôturée le 13 mai.

Ainsi, la réactivation du marché de titrisation est une volonté partagée par la plupart des acteurs financiers et politiques européens. Dans un contexte économique dégradé, la titrisation s’impose comme l’un des moyens incontournables pour financer l’économie réelle, en direction notamment des PME et des ETI qui rencontrent des difficultés à se financer (7).

Ce dernier objectif, décidé par le Conseil ECOFIN de décembre 2014, figurait déjà dans le « Plan d’investissement pour l’Europe (2) » de la Commission, ainsi que dans son plan de travail publié le 16 décembre 2014 (3).

(…) la titrisation s’impose

La Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre (BoE) avaient également indiqué leur souhait de relancer la titrisation. À cet égard, la BCE a mis en place, le 4 septembre 2014, un programme d’achat de produits titrisés soumis à des exigences accrues de simplicité et transparence. En outre, une société de place dédiée à la titrisation de créances recourant à des standards élevés de simplicité, sécurité et transparence – à l’image de la pratique de la BCE – a été récemment créée en France par cinq banques (BNP, BPCE, Crédit Agricole, HSBC, et Société Générale) (4). Les premières émissions de cette société, les Euro Secured Notes (ESN), ont été réalisées en avril 2014 et portaient sur 2,65 milliards d’euros (5). La création de l’ESNI a été encouragée par la Banque de France pour aider les banques à renforcer leurs fonds propres conformément aux exigences de Bâle III, les ratios de solvabilité passant de 8 % à 10,5 %, incluant le coussin de conservation, dès 2019 (6). 1. Commission européenne, « Construire l’Union des marchés des capitaux », Livre vert, COM(2015) 63 final, 18 février 2015 : http://eur-­lex.europa.eu/legal-­content/ FR/TXT/PDF/?uri=COM:2015:63:FIN&from=FR. 2. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque européenne d’investissement : « Un plan d’investissement pour l’Europe », 26 novembre 2014. http://eur-­lex.europa.eu/legal-­content/FR/TXT/ PDF/?uri=CELEX:52014DC0903&from=FR. 3. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « Programme de travail de la Commission pour l’année 2015 : Un nouvel élan », 16 décembre 2014 : http://ec.europa.eu/atwork/ pdf/cwp_2015_fr.pdf. 4. Fédération bancaire française : « Principales caractéristiques de la société Euro Secured Note Issuer (ESNI) », http://www.fbf.fr/fr/files/9J3F6T/Note-­t itrisation-­ creances-­privees-­ESNI-­08042014.pdf. 5. À noter que le modèle adopté de titrisation de crédits aux PME est non déconsolidant. Ainsi, la dette reste dans le bilan de la banque ce qui permet de responsabiliser les établissements de crédit dans l’allocation du crédit tout en permettant un refinancement. 6. Les accords de Bâle III consistent à augmenter fortement la qualité des fonds propres : au ratio de 8 % est augmenté d’un ratio dit « Tier One » fixé à 4.5 % en 2013, 2015/2

comme l’un des moyens incontournables pour

financer l’économie réelle.

Or, effet post subprimes, la titrisation a baissé de manière significative depuis 2008. Les émissions de titrisation en Europe représentaient 700 milliards d’euros en 2008, et leur nombre était tombé à 150 milliards d’euros en 2013. Aux États-­Unis, leur montant est passé de 2.000 milliards d’euros avant 2008 à 1.500 milliards d’euros en 2013 (8). Un récent rapport parlementaire français estimait que le besoin de financement des sociétés non financières était de 45 milliards d’euros en 2011 et précisait parallèlement que le montant de l’épargne financière des Français s’élevait à 3.600 milliards d’euros (investis dans divers supports : assurance vie, épargne retraite, etc.) (9). À défaut de pouvoir réorienter cette épargne dans l’immédiat, il est notamment préconisé de favoriser la capacité de crédit des établissements de crédit. La technique de titrisation est bien connue : il s’agit de transférer des actifs financiers, par exemple des créances, en les regroupant dans un portefeuille cédé à une entité ad hoc qui en finance l’achat par l’émission de titres sur les marchés de capitaux. Elle permet ainsi aux établissements de crédit de sortir les créances de leur bilan et de ne pas entamer leurs ratios de solvabilité – ratios sensiblement alourdis par Bâle III. La et à 6 % en 2019. Le ratio de fonds propres rapporté aux engagements passera de 8 % en 2015 à 10.5 % en 2019. 7. « La titrisation au secours de l’économie européenne ? », L’info Amafi, n° 116, octobre 2014 : http://www.amafi. fr/images/stories/pdf/Dossiers/li%20116%20-­%20la%20 titrisation%20au%20secours%20de%20l%20economie%20europenne.pdf. 8. ACPR, « Le marché de la titrisation en Europe : caractéristiques et perspectives », Étude, n° 31, juin 2014 : http:// acpr.banque-­france.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/analyses-­syntheses/20140701-­Marche-­titrisation-­ en-­Europe-­caracteristiques-­et-­perspectives.pdf. 9. K. Berger et D. Lefebvre, « Dynamiser l’épargne financière des ménages pour financer l’investissement et la compétitivité », Rapport remis au Premier Ministre le 2 avril 2013.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

titrisation permet également aux entreprises de titriser elles-­mêmes leurs actifs pour se refinancer sur les marchés de capitaux à des taux attractifs.

verture de liquidités selon la qualité des actifs titrisés, ou encore la création de nouvelles obligations d’informations à destination des investisseurs (11).

Les vertus de la titrisation redécouvertes, vient le temps de s’interroger sur ce que recouvre cette titrisation de haute qualité.

Parallèlement, le Comité de Bâle (12), l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) et l’Autorité Bancaire européenne (ABE) (13) ont contribué de manière significative par leurs récents travaux aux réflexions relatives à l’élaboration d’une « bonne titrisation », en proposant des méthodes d’évaluation, en renouvelant les critères de définition et en préconisant des améliorations au dispositif actuel.

Les régulateurs souhaitent à présent élaborer un nouveau cadre juridique plus sûr et plus clair, exempt de contraintes trop lourdes pour les investisseurs sensibles à ce critère dans leurs arbitrages. Nombreux sont les organismes et autorités déjà engagés dans ce processus de réflexion. L’idée directrice est de créer une « bonne titrisation ». Cette expression est utilisée volontairement afin de différencier la titrisation promue au niveau européen de celles pratiquées jusqu’en 2008 et à l’origine de la crise des subprimes, jugées mauvaises et excessives (10). Les dernières années ont été particulièrement fécondes en matière de renforcement des normes prudentielles. Les directives « CRD IV » et « CRA » et le règlement « CRR » adoptés en 2013 visent à prévenir les risques de pratiques abusives. Des précisions ont été apportées en 2014, parmi lesquelles on citera l’obligation de rétention, la différenciation du calcul du ratio de cou10. « Nous n’allons pas revenir aux vieux jours des subprimes. Notre porte sera fermée aux instruments de titrisation complexes, opaques et risqués qui ont favorisé la crise », déclaration de Jonathan Hill, commissaire européen à la Stabilité financière, aux Services financiers et à l’Union du marché des capitaux européen aux marchés financiers, conférence de presse du 18 février 2015.

La Commission européenne communiquera cet été son plan d’action définissant les orientations de cette « titrisation de haute qualité », dont les éléments constitutifs devront être mis en place d’ici à 2019. Les orientations de ce plan seront décisives tant au regard des enjeux financiers qu’elles revêtent que de leur portée politique : de la direction adoptée par le législateur européen dépendra en effet la relance effective de ce marché et de l’économie européenne. 11. F. Faure-­Dauphin et C. Marion, « La régulation de la titrisation toujours en question », Rev. banc. fin., 1/2015, p. 105. 12. « Basel Committee on Banking Supervision, Revisions to the securitization framework », 11 décembre 2014. 13. « EBA Discussion paper on simple standard and transparent securitisations, Response to the Commission’s call for advice December 2013 related to the merit of, and the potential ways of promoting a safe and stable securitisation market », 14 octobre 2014. « Opinion of the EBA on the securitisation retention, due diligence and disclosure requirements », 22 décembre 2014.

The Alstom Decree: A reinforcement of the French economic patriotism

Olivier Taffin de Tilques (1) Société Générale Juriste financier

On 14 May, 2014, France adopted decree No. 2014‑479 (the “Decree”) also known as the Alstom Decree, relating to foreign investments, following the highly mediatised $17 billion acquisition of the French multinational Alstom’s power and grid divisions by General Electric. 1. 58

L’article est rédigé à titre personnel et n’engage pas la Société Générale.

The Decree which came into force only two days after its issuance aimed at strengthening the existing foreign investment control regime by expanding the types of transaction that must receive prior authorization from the French Minister of Economy to several new sectors considered to be key to the French economy. Even though adopting the Decree has sparked much controversy and criticism, it is interesting to note that many developed countries such as the US, Germany and the UK, have passed similar legislations to protect their own economic interests in the current competitive world. The question of the compatibility of the Decree with the European Directive of June 24, 1988 setting forth the free circulation of capital between member states and between member states and third parties must also be raised.

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Even though adopting the

Decree has sparked much controversy and criticism, it is interesting to note that many developed countries (…), have passed similar legislations to protect their own economic interests in

There is a decree which defines in details the type of activities covered i.e. activities in the gambling sector, private security regulated services etc. From a procedural point of view, the French Minister of Economy must respond within two-­month from the reception of a complete file and its authorization is deemed to have been granted if it does not respond within such period of time. The French Minister of Economy can either approve the investment, authorize it subject to various conditions or refuse it. It can even impose fines which amount to twice the amount of the unauthorised investments if it notices that the parties have not applied for an authorization. One point which is worth noting is that the authorization of the French Minister of Economy is suspensive which in practice means that a proposed transaction cannot complete until such authorization has been obtained.

II. Changes brought by the Decree

the current competitive

The Decree has added six new sectors: water supply, healthcare, energy, transports, electronic communication and infrastructure which are considered as “strategic sectors” for the French economy.

world.

The Decree applies to on-­going transactions i.e. those that have been signed but not yet completed.

I. Reminder of the Regime applying to Foreign Investments in France Article L. 151‑1 of the French Monetary and Financial code (the “Code”) setting out the applicable regime, confirms as a principle that “the financial dealings between France and foreign countries are unrestricted”. Notwithstanding the foregoing, according to Article L. 151‑3 of the Code, foreign investments in “strategic sectors” in France are subject to the prior approval by the French Minister of Economy. Therefore, the types of foreign investments which require the prior approval of the Ministry of the Economy are as follows:

Considering that the Decree could impact the timing of M&A transactions, it is vital that foreign investors, with the help of their advisors, identify as early as possible and possibly during the due diligence process, if one of the activities of the target company is subject to one of the regulated sectors. Advisors to foreign investors should also accompany them during any negotiation phase with the Administration.

III. Analysis of the Regime of Foreign Investment in the U.S.

(a)  activities which by nature may affect public order, public security or the interests of national defense; or

Since the early 2000s, the U.S. has toughened its own legislation regarding foreign investment, perhaps most notably with the enactment of the Foreign Investment National Security Act of 2007 (FINSA), which reinforces the power of the Administration. The law provides the U.S. government with tools similar to those recently created in France, such as the power to protect its “national security” and “crucial infrastructures” interests, which are defined broadly and thus provide extensive discretion for the Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS).

(b)  activities of research, production or sale of weapons, ammunitions, gun powders and explosive substances.”

Established in 1975, the CFIUS is chaired by the Department of the Treasury, which applies the CFIUS regulations (31 CFR part 800) and comprises 15 exe-

“Foreign Investments, even occasional ones, which may be part of the exercise of public authority or which are linked to one the following activities:

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

cutives agencies, as well as a number of consultative agencies that review transactions when appropriate. In the event of a proposed take-­over or acquisition, bids are examined within a 75-­day-­period by CFIUS, which has the right to request amendments and in some instances, it can even request the President of the U.S. to oppose the foreign acquisition. In addition, the 1988 Exon-­Florio amendments grant the President the power to block proposed or pending foreign “mergers, acquisitions, or take overs” that threaten to impair the “national security”. To that effect, the Exon-­Florio provision includes among other things a list of 12 factors that the President of the U.S. must consider in deciding whether or not to block a foreign acquisition. The decision of the President is taken in the form of an executive order which cannot be legally appealed, contrary to the decision of the French Minister of Economy in France which can. However, historically speaking, there are few cases of foreign acquisitions which have been blocked by the President. For example, in 1990, President George H.W. Bush used this enhanced power to veto the sale of Mamco Manufacturing, a Seattle-­based aircraft parts maker, to a Chinese state-­owned aviation company. Twenty-­ two years later, citing national security risks, President Obama blocked a Chinese company from owning four wind farm projects in northern Oregon near a navy base where the U.S. military flies unmanned drones and electronic-­warfare planes on training missions.

things, that all restrictions on the movement of capital between Member States and between Member States and third countries, shall be prohibited. Notwithstanding the foregoing, article 65 of the TFEU authorizes Member States to take restrictive measures which are justified on grounds of “public policy” or “public security”. As a consequence, the Court of Justice of the European Union (CJEU) allows a Member State to introduce a system of prior administrative authorization for foreign investments. However, in 2000(2), the CJEU considered overturning the French regime of prior authorization which could apply to any foreign direct investments “impacting public order and legal security”. In 2005, the European Commission launched an investigation where it had put France on notice to provide explanation on the viability of the then applicable decree with European law. At that time, no formal legal action was initiated before the European judges. The European Commission would without any doubt review the compatibility of the Decree with EU law. Michel Barnier, the European Commissioner in charge of the internal market has already raised concerns about the Decree stating that its scope is “so vast that all attempts to buy French companies will be scrutinised by national authorities, which clearly amounts to protectionism”. Wait and see!

IV. Possible censorship of the European Commission? Article 63 of the Treaty on the Functioning of the European Union (TFEU) sets forth, amongst other

60

2.

C.J.E.U., 14 March 2000, Association Eglise de Scientologie de Paris, aff. C-­54/99.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée

I.B. Régulation comparée Les opérations d’initiés en droit russe Stephan de Groër

Élève-­avocat, Gide Loyrette Nouel

&

Katrin Deckert

Maître de conférences à l’Université de Paris Ouest La Défense

Le 27 juillet 2010, la Loi fédérale n° 224-­FZ « Sur la lutte contre l’utilisation illicite d’informations privilégiées et la manipulation du marché ainsi que sur l’amendement de certains actes normatifs de la Fédération de Russie » a été adoptée. Le gouvernement russe souhaitait faire de cette loi un instrument à la fois pédagogique, fonctionnel et autonome régulant l’ensemble des opérations d’initiés. La Loi n° 224-­FZ définit ainsi les concepts d’information privilégiée et d’initié et édicte un certain nombre d’obligations à la charge des initiés. Elle précise aussi les modalités du contrôle de l’État en matière d’opérations d’initiés. Bien que la Loi n° 244-­FZ permette d’engager la responsabilité des auteurs d’opérations d’initiés, les tribunaux russes n’ont, en pratique, prononcé jusqu’à présent que très peu de sanctions en la matière.

On 27 July 2010, the Federal Act No. 224-­FZ “On the fight against the illegal use of inside information and market manipulation and on amendments to certain legislative acts of the Russian Federation” was adopted. The Russian government wanted to make this law an educational, functional and autonomous instrument regulating insider trading. Act No. 224-­FZ defines the concepts of insider information and insider trading, and establishes a number of obligations for the insiders. It also specifies how the State exercises controls on insider trading. Although Act No. 244-­FZ allows to engage the liability of insider traders, only few have been sanctioned, in practice, by Russian courts. 1. Le concept juridique d’opération d’initié peut être analysé comme une réponse apportée par le droit au problème économique de l’asymétrie d’information. La théorie économique considère qu’il y a « asymétrie d’information » lorsque la même information n’est pas partagée par tous les opérateurs du marché. Une telle situation contribue à fausser le modèle de la concurrence pure et parfaite, dont l’une des cinq composantes est justement la transparence de l’information. Dans une opération d’initié, une personne fait usage d’une information confidentielle, dont elle a eu connaissance et qui n’est pas accessible aux autres acteurs du marché, lui permettant de réaliser un gain (ou d’éviter une perte) qu’elle ne pourrait pas réaliser (ou éviter) en son absence. Afin de remédier à ces situations portant atteinte au bon fonctionnement du marché financier et à la confiance des investisseurs, le droit interdit les opérations d’initiés. 2. La Fédération de Russie ne figure pas parmi les pays pionniers en matière de lutte contre les opérations d’initiés. En effet, elle ne s’est dotée d’une loi spéciale sur les opérations d’initiés qu’en 2010 alors que la plupart des pays disposant de marchés financiers avaient déjà adopté de telles lois au début des années 90, et parfois même plus tôt encore. Toutefois, une réglementation en la matière n’était pas pour autant totalement absente du droit russe. Le chapitre 8 de la Loi fédérale n° 39-­FZ « Sur le marché des valeurs 2015/2

mobilières » en date du 22 avril 1996 (1) (« Loi n° 39-­ FZ ») définissait ainsi l’« information professionnelle » [služebnaâ informaciâ] comme toute information non publique concernant un émetteur de valeurs mobilières et les valeurs mobilières émises par celui-­ci, conférant à la personne détenant cette information de par ses fonctions professionnelles ou un contrat conclu avec l’émetteur, une position privilégiée par rapport aux autres acteurs du marché. 3. Le champ d’application de la Loi n° 39-­FZ était néanmoins restreint sous plusieurs aspects. La liste des initiés était notamment fortement limitée et la Loi n° 39-­FZ ne s’appliquait qu’aux opérations d’initiés concernant des actions, obligations et certains produits dérivés (notamment les contrats d’option) (2). L’article 33 de la Loi n° 39-­FZ énonçait ainsi que « les personnes [visées par la loi] (3) détenant une information professionnelle, 1. http://www.consultant.ru/document/cons_doc_LAW_ 165248/. 2. E. A. Emelʹânova, « Manipulirovanie rynkom i nepravomernoe ispolʹzovanie insajderskoj informacii kak faktory ograničeniâ konkurencii » [La manipulation du marché et l’utilisation illicite d’informations privilégiées comme facteurs restrictifs de la concurrence], Konkurentnoe pravo, 2012, n° 1. 3. Notamment les membres des organes dirigeants d’émetteurs de valeurs mobilières, les professionnels des marchés financiers liés à ces émetteurs, les auditeurs, etc.

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Chroniques

I. Régulation financière

ont l’interdiction d’utiliser cette information en vue de la conclusion d’opérations [sur le marché des valeurs mobilières] ainsi que de transmettre cette information à des tiers en vue de la conclusion d’opérations [sur le marché des valeurs mobilières] ». Le régime juridique applicable aux opérations d’initiés tel que résultant de la Loi n° 39-­FZ ne prévoyait que des sanctions administratives et non pénales. En effet, cette dernière loi renvoyait au Code des infractions administratives de la Fédération de Russie (« KoAP ») (4), qui ne prévoyait qu’une peine d’amende comprise entre 2.000 et 3.000 roubles applicable initialement aux seules personnes physiques et non morales (ces dispositions ont ensuite été amendées en 2009 afin d’y introduire une responsabilité des personnes morales en cas de manquement d’initié). 4. Par ailleurs, la Loi n° 39-­FZ souffrait d’un certain nombre d’imprécisions. Elle ne spécifiait pas, par exemple, en quoi la position du détenteur d’informations professionnelles était privilégiée par rapport aux autres acteurs du marché, ni quel était le lien entre cette position et le prix des valeurs mobilières en question (5). En outre, la Loi n° 39-­FZ omettait de mentionner un certain nombre de caractéristiques essentielles de l’information privilégiée telles son caractère décisif et son influence, en cas de divulgation, sur les décisions des acteurs du marché relatives aux valeurs mobilières concernées et donc indirectement sur le prix de celles-­ ci (6). Mais surtout, les dispositions de cette loi concernant les opérations d’initiés n’ont quasiment jamais été appliquées par les juridictions. 5. La question de légiférer en la matière pour pallier les lacunes de la Loi n° 39-­FZ s’est posée avec insistance au lendemain de la crise économique qui a frappé la Russie en août 1998. En effet, très peu de temps avant que la nouvelle concernant la faillite de l’État russe ne soit officialisée, certains établissements de crédit à la fois proches du pouvoir et de la Banque centrale russe avaient cédé en masse les obligations de l’État qu’elles possédaient (7). Suite à cette affaire, plusieurs projets de loi ont été déposés à la Douma, mais aucun d’entre eux n’a été adopté en première lecture. Ces initiatives avaient notamment été bloquées par le ministère des Finances et par celui du Développement économique de la Fédération de Russie, tous deux réticents à conférer des pouvoirs accrus à l’Agence fédérale des marchés financiers. Par la suite, l’introduction de nouvelles règles en matière d’opérations d’initiés s’est notamment heurtée à la question d’adopter une nouvelle 4. http://base.garant.ru/12125267/15/. 5. D. A. Vavulin, Kommentarij k Federalʹnomu zakonu « O protivodejstvii nepravomernomu ispolʹzovaniû insajderskoj informacii i manipulirovaniû rynkom i o vnesenii izmenenij v otdelʹnye zakonodatelʹnye akty Rossijskoj Federacii » [Commentaire de la Loi fédérale « Sur la lutte contre l’utilisation illicite de l’information privilégiée et la manipulation du marché ainsi que sur l’amendement de certains actes normatifs de la Fédération de Russie »], Delovoj dvor, 2015. 6. E. A. Emelʹanova, op. cit. 7. Vlastʹ, n° 3 (456), 2002. 62

loi ou de simplement amender la législation existante (la Loi n° 39-­FZ). L’argument principal en faveur de l’adoption d’une nouvelle loi était notamment l’élargissement du champ d’application des opérations d’initiés aux marchés de marchandises et de devises (8). 6. Au milieu des années 2000, la « Stratégie de développement du marché financier pour 2006 à 2008 » énonçait expressément qu’il était nécessaire d’adopter une nouvelle loi en matière d’opérations d’initiés (9). En décembre 2008, le gouvernement a ainsi déposé au Parlement un projet de loi revu conjointement par l’Autorité fédérale en charge des marchés financiers et par le ministère de la Justice. L’examen de ce texte a donné lieu à de vifs débats notamment concernant la définition des concepts clés figurant dans la loi et la liste des initiés concernés. Le dépôt de ce projet de loi par le gouvernement est intervenu lors des premiers mois du mandat présidentiel de Dimitri Medvedev, axés autour de la volonté de moderniser la Russie et de libéraliser son économie. Le pouvoir en place avait notamment pour objectif de faire de Moscou une place financière internationale à l’image de Londres, New-­York ou Paris. L’adoption d’une loi traitant spécifiquement des opérations d’initiés devait contribuer à la réalisation de cet objectif et attirer les investisseurs étrangers en Russie (10). 7. C’est ainsi que deux ans et demi après que le projet de loi ait été déposé, la Loi fédérale n° 224-­FZ « Sur la lutte contre l’utilisation illicite d’informations privilégiées et la manipulation du marché ainsi que sur l’amendement de certains actes normatifs de la Fédération de Russie » en date du 27 juillet 2010 (11) (« Loi n° 224-­FZ ») a été adoptée et le chapitre 8 de la Loi n° 39-­FZ abrogé. 8. La volonté du gouvernement russe de faire de la Loi n° 224-­FZ un instrument à la fois pédagogique, fonctionnel, autonome et régulant l’ensemble des opérations d’initiés transparaît dans sa structure et dans sa syntaxe. La Loi n° 224-­FZ définit ainsi les concepts d’information privilégiée et d’initié (I) et édicte un certain nombre d’obligations à la charge des initiés (II). Cette loi précise aussi les modalités du contrôle de l’État en matière d’opérations d’initiés 8. D. A. Vavulin, V. N. Fedotov, A. S. Emelʹanov, Kommentarij k Federalʹnomu zakonu ot 27 iûlâ 2010 g. N 224-­ FZ « O protivodejstvii nepravomernomu ispolʹzovaniû insajderskoj informacii i manipulirovaniû rynkom i o vnesenii izmenenij v otdelʹnye zakonodatelʹnye akty Rossijskoj Federacii » [Commentaire de la Loi fédérale n° 224-­FZ en date du 27 juillet 2010 « Sur la lutte contre l’utilisation illicite de l’information privilégiée et la manipulation du marché ainsi que sur l’amendement de certains actes normatifs de la Fédération de Russie »], Ûsticinform, 2011. 9. http://www.rg.ru/2009/01/27/strategiya-­dok.html. 10. A. Minajcev, « Otvetstvennostʹ za insajd užestočaetsâ » [Renforcement de la responsabilité pour les infractions en matière d’opérations d’initiés], Èkonomika i žiznʹ, 2009, n° 12 (9278), p. 1. 11. http://www.consultant.ru/document/cons_doc_ LAW_166310/.

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et modifie le KoAP et le Code pénal de la Fédération de Russie (« Code pénal ») (12) eu égard aux sanctions pénales et administratives encourues en cas d’opération d’initié (III).

I. Les notions d’information privilégiée et d’initié 9. La compréhension des enjeux des opérations d’initiés passe dans un premier temps par la définition des deux éléments centraux de ce concept que sont l’information privilégiée (A) et l’initié (B).

A. L’information privilégiée 10. La traduction littérale du terme information privilégiée [insajderskaâ informaciâ] tel que figurant dans la Loi n° 224-­FZ est « information d’insider », directement inspiré de l’anglais « insider information ». Lors de l’examen du projet de loi au Parlement, le recours à un mot étranger avait d’ailleurs fait l’objet de vives discussions. En effet, certains députés y voyaient la marque d’une influence occidentale sur le droit russe, voire même d’une certaine forme d’ingérence. Toutefois, à défaut de s’être mis d’accord sur un terme russe équivalent, les députés ont finalement opté pour cette expression d’origine étrangère (13). En réalité, le choix de ce terme familier aux investisseurs étrangers procède avant tout d’une volonté du gouvernement de gagner leur confiance et de leur rendre plus accessible la Loi n° 224-­FZ. 10. La Loi n° 224-­FZ définit l’information privilégiée de manière extrêmement précise. Selon les termes de la Loi n° 224-­FZ est une information privilégiée toute information (i) précise et concrète, (ii) non publique, (iii) dont la divulgation ou la communication peuvent avoir une influence considérable sur les prix d’instruments financiers, de devises étrangères ou de marchandises, (iv) concernant un ou plusieurs émetteurs de valeurs mobilières, un ou plusieurs fonds d’investissements ou fonds de pension privé, une ou plusieurs entreprises, un ou plusieurs instruments financiers, une ou plusieurs devises étrangères ou marchandises, et (v) incluse dans la liste des informations privilégiées contenue à l’article 3 de la Loi n° 224-­FZ. L’article 3 de la Loi n° 224-­FZ ne contient pas de liste d’informations en soi, mais est essentiellement composé de renvois vers d’autres textes normatifs. 11. Pour chaque type d’initié, une certaine série d’informations sont considérées comme privilégiées. Les informations privilégiées des émetteurs de valeurs mobilières sont, par exemple, énumérées dans la 12. http://base.garant.ru/10108000/. 13. D. A. Vavulin, op. cit. 2015/2

directive de la Banque centrale n° 3379-­U en date du 11 septembre 2014 (14). Cette liste longue de plus de quatre pages contient notamment la date de tenue des assemblées générales de l’émetteur, l’ordre du jour, les décisions adoptées lors des assemblées générales, la date de tenue des réunions du conseil d’administration de l’émetteur, les prises de contrôle dont fait objet l’émetteur, l’inscription au Registre unique d’État des personnes morales de la mention d’une réorganisation de l’émetteur ou de sa liquidation, etc.

Pour chaque type

d’initié, une certaine série d’informations sont considérées comme

privilégiées.

12. Après la condition tenant au caractère non public de l’information privilégiée, la Loi n° 224-­FZ précise que des informations relevant du secret commercial, du secret bancaire, du secret professionnel ou de tout autre secret protégé par la loi, peuvent également, dans certains cas, constituer des informations privilégiées. Ces informations relevant d’un secret protégé par la loi sont toutefois soumises à un régime juridique différent que les informations privilégiées. La principale différence entre une information relevant du secret bancaire ou commercial, par exemple, et une information privilégiée réside dans la conservation de cette information. Une information relevant du secret bancaire ou commercial doit être conservée dans des conditions posées par la loi afin qu’elle reste secrète et ne soit pas portée à la connaissance d’un groupe de personne indéterminé. Au contraire, une information privilégiée doit, dans le cadre de la bourse par exemple, demeurer provisoirement inaccessible aux tiers puis faire ensuite l’objet d’une divulgation. 13. La définition de l’information privilégiée contenue dans la Loi n° 224-­FZ est loin de faire l’unanimité parmi les représentants de la doctrine russe. Il lui est notamment reproché d’être trop complexe et difficile à comprendre à première lecture (15). En effet, la définition est fort longue, ponctuée de nombreuses parenthèses et propositions relatives et nécessite donc un réel effort de concentration pour être comprise dans son entier. 14. http://www.cbr.ru/sbrfr/files/legislation/3379-­u.pdf. 15. S. V. Pyhtin, « Insajderskaâ informaciâ: raskrytie i zaŝita konfidencialʹnosti » [Information privilégiée : divulgation et protection de la confidentialité], Ûridičeskaâ rabota v kreditnoj organizacii, 2012, n° 3.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

Lorsqu’elle est exposée dans les articles doctrinaux, elle est d’ailleurs quasiment toujours présentée sous la forme d’une énumération avec des tirets afin de la rendre plus lisible. En réalité, cette complexité résulte probablement du fait qu’il s’agissait d’un sujet nouveau en droit russe et que le législateur a souhaité rédiger le texte de la façon la plus précise possible pour éviter toute ambiguïté. Malheureusement, ces excès de précision nuisent par moment à l’intelligibilité du texte.

La définition de

l’information privilégiée contenue dans la Loi n° 224-­FZ est loin de faire l’unanimité parmi les représentants de la

doctrine russe.

14. Ce souci de clarté et de précision qui anime le législateur russe transparaît également dans la distinction opérée entre divulgation et communication d’information. Selon la Loi n° 224-­FZ, la communication d’information [predostavlenie informacii] consiste à porter celle-­ci à la connaissance d’un groupe de personne déterminé. La divulgation d’information [rasprostranenie informacii] renvoie quant à elle à l’action de dévoiler l’information à un groupe de personne indéterminé, comme par exemple par le moyen d’une publication sur internet ou dans les médias. 15. Bien qu’ayant emprunté en partie un lexique étranger, le législateur russe a tout de même introduit certaines particularités propres à la régulation de l’information privilégiée en Russie. En effet, la Loi n° 224-­FZ ne s’applique pas qu’aux marchés financiers mais également aux marchés de devises et aux marchés de marchandises. Les marchandises visées par la Loi n° 224-­FZ regroupent l’ensemble des biens dans le commerce susceptibles d’être échangés sur des marchés organisés en Fédération de Russie, à l’exclusion des titres financiers. La Loi n° 224-­ FZ donne ainsi une définition plus restreinte du terme marchandise que celle figurant à l’article 455 du Code civil de la Fédération de Russie lequel n’exclut pas les titres financiers de cette catégorie. Les marchandises concernées par la Loi n° 224-­FZ sont notamment le pétrole, le sucre, le blé, le coton, l’acier, etc. Dans tous les cas, l’information privilégiée est détenue par un initié. 64

B. L’initié 16. La Loi n° 224-­FZ ne donne pas de définition du terme d’initié [insajder], ce qui peut paraître étonnant lorsque l’on sait qu’il s’agit d’un mot d’origine étrangère. L’article 4 de la Loi n° 224-­FZ contient toutefois une liste exhaustive des personnes considérées comme des initiés. 17. Y figurent notamment les émetteurs de valeurs mobilières, les sociétés de gestion, les entreprises occupant une position dominante sur leur marché et inscrites au registre tenu par l’Agence fédérale antimonopole russe, les courtiers et autres intermédiaires intervenant dans le cadre d’opérations concernant des instruments financiers, des devises étrangères ou des marchandises, les actionnaires détenant plus de 25 % des droits de vote des organes dirigeants d’une des entités précitées, les dirigeants, membres du conseil d’administration et des autres organes dirigeants collégiaux de l’une des entités précitées, les personnes physiques ayant accès à des informations privilégiées dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail ou d’un contrat civil ainsi que les agences de notation et les agences de presse. Les organes exécutifs fédéraux et leurs dirigeants, les organes exécutifs des sujets de la Fédération et leurs dirigeants, les autorités municipales et les élus municipaux, les organes dirigeants des fonds sociaux disposant du droit provisoire d’acquérir des titres financiers ainsi que la Banque centrale de Russie et ses salariés sont également considérés comme des initiés au sens de la Loi n° 224-­FZ. 18. Cette énumération extrêmement précise et exhaustive des initiés a pour inconvénient d’en exclure toute personne non mentionnée expressément à l’article 4 de la Loi n° 224-­FZ. Les élus des parlements locaux et fédéraux figurent par exemple parmi les grands absents de cette liste. Ils ont pourtant souvent, dans le cadre de leurs fonctions, accès à des informations privilégiées, notamment concernant des opérations de privatisation ou de nationalisation. Les représentants des organes judiciaires ne figurent pas non plus au rang des initiés énumérés par la Loi n° 224-­FZ. Ces omissions sont d’autant plus frappantes lorsque l’on sait que les actions les plus échangées à la bourse russe et concentrant 80 % des fonds échangés par les traders et les investisseurs sont celles des sociétés Norilsk Nickel, Lukoil, Sberbank, Gazprom, Rosneft et VTB, dont quatre (Sberbank, Gazprom, Rosneft et VTB) sont des sociétés publiques (16). 19. Un exemple d’affaire fréquemment citée dans la presse et dans laquelle beaucoup d’observateurs s’accordent à dire qu’il y a probablement eu une opération d’initié avec la participation de hauts fonctionnaires russes est la vente de 650.000 actions de YUKOS par Gazprom le 25 mai 2004. Celle-­ci est en effet interve16. T. I. Bikbulatov, « Ispolʹzovanie i peredača insajderskoj informacii v zakonodatelʹnyh organah v Rossii i SŠA » [Utilisation et transfert d’informations privilégiées au sein des organes législatifs russes et américains], Pravo. Žurnal Vysšej školy èkonomiki, n° 2, avril-­juin 2014.

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nue la veille du jugement du tribunal de commerce de Moscou confirmant le redressement fiscal de YUKOS pour un montant de 99,4 milliards de roubles et ayant entraîné une forte chute du cours de bourse des actions de YUKOS (17). Parallèlement aux affaires intentées en Russie à l’encontre de YUKOS et Mikhail Khodorkovsky notamment, un groupe d’actionnaires et d’anciens actionnaires de cette société a saisi la Cour fédérale du district de Columbia aux États-­Unis arguant que YUKOS avait fait l’objet d’une expropriation illégale. Bien que cela ne soit pas l’objet central de cette affaire, les demandeurs accusaient notamment certains dirigeants de Gazprom d’avoir commis un délit d’initié lors de l’achat des actions de YUKOS en mai 2004. La Cour fédérale du district de Columbia s’est toutefois déclarée incompétente pour connaître de ce litige (18). Toute personne ayant la qualité d’initié est soumise à certaines obligations.

II. Les obligations incombant aux initiés 20. Les obligations mises à la charge des initiés par le législateur russe peuvent être distinguées selon qu’elles revêtent une dimension négative impliquant une abstention de l’initié (A) ou une dimension positive impliquant une action de la part de ce dernier (B).

A. Obligations d’abstention 21. Un initié est soumis à une triple obligation d’abstention. D’abord, le droit russe interdit aux initiés l’utilisation d’informations privilégiées portant sur des titres financiers, des devises étrangères ou des marchandises en vue de faire l’acquisition de ces titres financiers, devises étrangères ou marchandises pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers. La Loi n° 224-­FZ précise toutefois que la passation d’un ordre d’achat ou de vente par un initié avant qu’il ait eu connaissance d’une information privilégiée ne serait toutefois pas considérée comme une utilisation illicite de cette information. 22. Ensuite, le « transfert » d’une information privilégiée à un tiers est également prohibé par la loi. La Loi n° 224-­FZ prévoit toutefois trois exceptions à cette règle. Ainsi, le transfert d’une information privilégiée à un tiers est autorisé lorsque le tiers est une personne incluse sur la liste des initiés ou bien lorsque le transfert s’effectue conformément à une obligation dictée par la législation fédérale ou dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un autre type de contrat. L’article 6 de 17. http://www.assetmanager.ru/statiipressa/insaid/55‑ 2010‑08‑16‑22‑14‑28.html. 18. https://ecf.dcd.uscourts.gov/cgi-­b in/show_public_ doc?2005cv2077‑74. 2015/2

la Loi n° 224-­FZ dans lequel figurent ces exceptions est formulé de telle manière qu’il n’est pas clair s’il s’agit de cas distincts ou si l’exception ne s’applique que lorsque le tiers est une personne incluse sur la liste des initiés et que le transfert s’effectue conformément à une obligation dictée par la législation fédérale ou dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un autre type de contrat. Afin de dissiper ces doutes, l’Autorité Fédérale des Marchés Financiers a précisé dans une lettre d’information datée du 28 novembre 2011 que chacun de ces cas représentait à lui seul une exception à la prohibition du transfert d’une information privilégiée à un tiers. En outre, le transfert d’une information privilégiée à la rédaction d’un média, à son rédacteur en chef, à un journaliste ou à tout autre salarié d’un média en vue de sa publication n’est également pas considéré comme une infraction au sens de la Loi n° 224-­FZ. 23. Enfin, et conformément à la Loi n° 224-­FZ, il est également interdit de donner une recommandation à un tiers sur la base d’une information privilégiée, de l’inciter ou de l’obliger à faire l’acquisition ou la vente de valeurs mobilières, devises étrangères ou marchandises. 24. La Loi n° 224-­FZ prévoit cependant que les professionnels de la bourse et les personnes ayant réalisé des opérations conduisant à une utilisation illicite d’une information privilégiée peuvent être exonérés de responsabilité s’ils ont agi sur instruction ou sur ordre d’un tiers (c’est alors lui qui sera tenu pour responsable). Les initiés sont en outre soumis à des obligations positives.

B. Obligations de publicité et de déclaration 25. Les initiés au sens de la Loi n° 224-­FZ sont soumis à un certain nombre d’obligations positives. Ils doivent notamment dresser une liste des initiés travaillant en leur sein et soumettre cette liste aux organisateurs des marchés et à la Banque centrale. Tout initié inscrit sur la liste des initiés d’un émetteur de valeurs mobilières ou d’une société de gestion doit informer la Banque centrale ainsi que l’émetteur de valeurs mobilières ou la société de gestion, de toute opération concernant des valeurs mobilières de cet émetteur ou de cette société de gestion ainsi que de la conclusion de tout contrat constituant un instrument financier dérivé dont le prix dépend de ces valeurs mobilières. 26. Par ailleurs, tout émetteur de valeurs mobilières est tenu d’adopter un document interne décrivant ses règles internes d’accès aux informations privilégiées ainsi que la procédure de protection de confidentialité et de contrôle des obligations en matière d’opérations d’initiés. Les émetteurs de valeurs mobilières ont également l’obligation de créer un département ou d’affecter un salarié en charge de contrôler l’application de la réglementation interne et de la législation fédérale en matière d’informations privilégiées. L’ensemble de ces obligations est contrôlé et sanctionné.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

III. Le contrôle et les sanctions des opérations d’initiés 27. L’une des principales difficultés en matière d’opérations d’initiés est la détection des comportements répréhensibles ; la Banque centrale joue ici un rôle déterminant (A). Une fois les infractions découvertes, des sanctions de nature pénale ou administrative trouvent à s’appliquer (B).

L’une des principales

difficultés en matière d’opérations d’initiés est la détection des comportements

répréhensibles (…)

A. Le contrôle par la Banque centrale russe

28. La Loi n° 224-­FZ avait initialement conféré le pouvoir de contrôle en matière d’opérations d’initiés à l’Agence fédérale des marchés financiers. Lorsque celle-­ci a été supprimée en 2013, la Banque centrale est devenue l’autorité en charge de la régulation des marchés financiers et a, à ce titre, hérité les prérogatives de l’Agence fédérale des marchés financiers concernant les opérations d’initiés. La Banque centrale a donc notamment pour mission de veiller au respect des dispositions de la Loi n° 224-­FZ, d’engager la responsabilité administrative des auteurs de manquement d’initié et d’adopter des directives dans les cas prévus par la Loi n° 224-­FZ. La Banque centrale n’ayant à ce jour adopté qu’une directive sur les sept cas dans lesquels l’adoption d’un tel document est prévue par la Loi n° 224-­FZ, ce sont donc encore majoritairement celles adoptées antérieurement par l’Agence fédérale des marchés financiers qui s’appliquent. 29. Afin d’être en mesure de contrôler le respect de la législation concernant les opérations d’initiés, la Loi n° 224-­FZ a doté la Banque centrale d’un certain nombre de prérogatives. La Banque centrale peut notamment, sur décision de son président, conduire des enquêtes suite à des plaintes, à la publication d’informations dans les médias et dans tous les cas où elle suspecte une violation 66

de la législation en matière d’opérations d’initiés. Dans le cadre de ces enquêtes, la Banque centrale peut demander tout document aux initiés, aux personnes morales résidentes et non résidentes fiscalement en Russie, aux personnes physiques de nationalité russe ou étrangère, ainsi qu’aux entités étrangères n’ayant pas la personnalité morale impliquées dans l’affaire. La Banque centrale peut en outre enjoindre aux auteurs d’opérations d’initiés d’adopter des mesures pour mettre fin à celles-ci et à leurs conséquences ainsi qu’à toute opération portant sur des instruments financiers, des devises étrangères ou des marchandises. Les décisions administratives d’infliger une amende, adoptées par la Banque centrale après enquête, ainsi que ses injonctions, peuvent être contestées devant les tribunaux de commerce de la Fédération de Russie. Lorsque l’auteur de l’opération d’initié est détenteur d’une licence l’habilitant à exercer une activité professionnelle sur les marchés financiers, la Banque centrale peut également saisir l’organe ayant octroyé la licence afin de contraindre l’auteur d’une opération d’initié à interrompre son activité ou à restituer sa licence. 30. Par ailleurs, lorsque les amendes qu’elle inflige font l’objet de contestations devant les tribunaux, la Banque centrale endosse le rôle de défendeur au procès. Une dualité de sanctions est prévue.

B. Les sanctions pénales ou administratives 31. L’un des principaux apports de la Loi n° 224-­FZ est l’introduction dans le Code pénal de l’article 185.6 consacré au délit d’initié. Dorénavant, l’utilisation (ou le transfert) illicite d’une information d’initié peut engager la responsabilité pénale de son auteur. Or, contrairement à la quasi-­totalité des dispositions de la Loi n° 224-­FZ, celles concernant les amendements portés au Code pénal ne sont entrées en vigueur qu’au 30 juillet 2013 afin de laisser le temps aux différents acteurs de s’adapter à cette nouvelle forme de responsabilité en la matière (19). 32. L’article 185.6 du Code pénal scinde les différents types d’utilisation frauduleuse d’informations privilégiées en deux catégories : –  l’utilisation à une fin personnelle, pour le compte d’un tiers, ainsi que l’utilisation caractérisée par une recommandation donnée à un tiers, l’incitation ou l’obligation d’un tiers à réaliser une opération sur la base de l’information privilégiée ; – l’utilisation via le transfert illicite de l’information privilégiée à un tiers. 33. Un tiers est incité à réaliser une opération lorsque lui sont donnés des conseils précis et argumentés 19. Le droit russe ne prévoyant pas de responsabilité pénale des personnes morales, les dirigeants peuvent engager leur responsabilité pénale et administrative pour des faits liés à l’exercice de leurs fonctions.

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concernant cette opération, peu importe que l’information privilégiée lui soit communiquée expressément ou non et que les conseils soient donnés à titre onéreux ou gratuit. L’infraction est consommée à partir du moment où les conseils ont été prodigués, peu importe que le tiers ait ou non réalisé l’opération par la suite (20). 34. Il convient de noter que conformément à l’article 7 de la Loi n° 224-­FZ, toute personne faisant une utilisation (ou un transfert) illicite d’une information privilégiée n’engage sa responsabilité sous aucune forme, si elle ne savait pas ou ne pouvait pas savoir que cette information était une information privilégiée. 35. Le délit pénal est constitué lorsque sont cumulativement caractérisés, d’une part, un élément intentionnel (l’utilisation ou le transfert illicite de l’information doit avoir été réalisé sciemment) et, d’autre part, une utilisation illicite de l’information ayant causé soit un « préjudice significatif » [krupnyj uŝerb] à une personne physique ou morale ou à l’État soit s’accompagnant d’un gain réalisé ou d’une perte évitée d’un « montant significatif » [krupnyj razmer]. Sont considérés comme significatifs conformément à l’article 185.6 du Code pénal, tout gain réalisé, toute perte évitée et tout préjudice subi d’un montant supérieur à 2,5 millions de roubles (soit 38.460 EUR environ). En l’absence d’élément intentionnel, de préjudice significatif, de gain significatif réalisé ou de perte significative évitée, l’auteur de l’infraction engagera sa responsabilité administrative et non pénale.

Le délit pénal est constitué lorsque sont cumulativement caractérisés, (…) un élément intentionnel (…) et une utilisation illicite de l’information ayant causé soit un « préjudice

significatif » (…)

20. A. V. Brilliantov, Kommentarij k Ugolovnomu kodeksu Rossijskoj Federacii: v 2 t. (postatejnyj), [Commentaire du Code pénal de la Fédération de Russie : en deux tomes (article par article)], tome 1, 2e éd., Prospekt, 2015. 2015/2

36. Dans le premier cas, à savoir l’utilisation frauduleuse d’informations privilégiées à une fin personnelle ou à la fin d’un tiers ainsi que de conseils donnés à un tiers sur la base d’une information privilégiée pour l’inciter ou le contraindre à réaliser une opération, les sanctions pénales encourues sont (i) une peine d’amende d’un montant compris entre 300.000 roubles et 500.000 roubles (soit 4.615 à 7.692 EUR) ou d’un montant égal au salaire ou à toute autre revenu perçu par la personne condamnée durant une période comprise entre un et trois ans, (ii) une peine d’emprisonnement comprise entre deux et quatre ans assortie soit d’une amende d’un montant de 50.000 roubles (soit 770 EUR) ou d’un montant égal au salaire ou à toute autre revenu perçu par la personne condamnée durant une période de trois mois, soit d’une privation d’exercer une activité déterminée durant une période pouvant aller jusqu’à quatre ans. 37. Dans le second cas, le transfert illicite d’une information privilégiée à un tiers peut, lui, entraîner le prononcé (i) d’une peine d’amende d’un montant compris entre 500.000 roubles et un millions de roubles (soit 7.692 EUR à 15.385 EUR), ou d’un montant égal au salaire ou à tout autre revenu perçu par la personne condamnée durant une période comprise entre deux et quatre ans, (ii) d’une peine d’emprisonnement comprise entre deux et six ans assortie soit d’une amende d’un montant de 100.000 roubles (soit 1.538 EUR) ou d’un montant égal au salaire ou à tout autre revenu perçu par la personne condamnée durant une période de deux ans, soit d’une privation d’exercer une activité déterminée durant une période pouvant aller jusqu’à quatre ans. 38. L’utilisation (ou le transfert) illicite d’une information privilégiée fait l’objet d’une sanction administrative lorsqu’elle n’est pas constitutive d’une infraction pénale, conformément à l’article 15.21 du KoAP (21) tel que modifié par la Loi n° 224-­FZ. Il ne peut donc pas y avoir de cumul des sanctions administratives et pénales en cas d’utilisation (ou de transfert) illicite d’une information privilégiée. 39. L’article 23.74 du KoAP dispose que les manquements d’initiés relèvent de la compétence de la Banque centrale. En revanche, les sanctions pénales ne peuvent être prononcées que par les tribunaux de droit commun. Contrairement aux délits pénaux, les infractions administratives peuvent être constituées même en l’absence d’élément intentionnel de la part de leur auteur. 40. Les sanctions administratives de droit commun encourues par les personnes physiques sont des amendes d’un montant compris entre 3.000 et 5.000 roubles (soit 46 et 77 EUR environ). Les fonctionnaires et les dirigeants d’entreprise encourent des amendes d’un montant compris entre 30.000 et 50.000 roubles (soit 460 et 770 EUR environ) ainsi qu’une suspension de leurs fonctions pour une durée pouvant aller de un à quatre ans. Les personnes morales encourent quant à elles des peines d’amende d’un montant égal au « gain excéden21. http://base.garant.ru/12125267/15/.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

taire » [izlišnij dohod] réalisé dans le cadre de l’opération, mais ne pouvant être inférieur à 700.000 roubles (soit 10.770 EUR environ). Une note informative située au bas de l’article 15.21 du KoAP précise que le « gain excédentaire » se calcule en soustrayant le gain qui aurait été réalisé sans l’utilisation frauduleuse de l’information privilégiée de celui effectivement réalisé. 41. La lettre de l’article 15.21 ne prévoit pas comment calculer le montant de l’amende dans le cas où le manquement d’initié n’aurait pas permis à la personne morale d’éviter une perte ou de réaliser un profit supplémentaire. Une telle situation pourrait par exemple se produire si un initié avait donné à un tiers un ordre de réaliser une certaine opération sur la base d’une information privilégiée. 42. Cette question n’a à ce jour pas encore été réglée par la jurisprudence, mais il est probable que le montant de l’amende infligée serait alors de 700.000 roubles, soit le seuil minimal indiqué dans l’article 15.21 du KoAP. Un auteur propose d’ailleurs de reformuler l’article 15.21 du KoAP afin qu’il prévoit que « le montant de l’amende est égal à 700.000 roubles ou à la différence entre le gain effectivement réalisé et celui qui aurait été réalisé sans l’utilisation frauduleuse de l’information privilégiée lorsque ce montant est supérieur à 700.000 roubles » (22). 43. Par ailleurs, l’utilisation frauduleuse d’une information privilégiée entraîne également un certain nombre de conséquences relevant du droit civil commun. En effet, la personne utilisant frauduleusement une information privilégiée engage également sa responsabilité civile et peut être contrainte à réparer les dommages qu’elle a causés aux tiers de par ses actes. L’alinéa 8 de l’article 7 de la Loi n° 224-­FZ dispose par ailleurs que l’utilisation frauduleuse d’une information privilégiée n’entraîne pas la nullité de l’opération réalisée sur la base de cette infor22. E. A. Emelʹânova, op. cit.

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mation. Cette disposition constitue donc une exception à la règle de l’article 168 du Code civil de la Fédération de Russie prévoyant que toute opération réalisée en fraude à la loi encourt la nullité. Toutefois, l’opération réalisée sur la base d’une information privilégiée peut toujours être sanctionnée par la nullité lorsqu’un dol est caractérisé. Il sera alors nécessaire de prouver que la personne détenant l’information privilégiée a sciemment trompé la victime de l’infraction.

Conclusion 44. Bien que la Loi n° 244-­FZ permette d’engager la responsabilité des auteurs d’opérations d’initiés, les tribunaux russes n’ont, en pratique, prononcé jusqu’à présent que très peu de sanctions en la matière (23). Les fonctionnaires en charge de ces affaires manquent souvent d’expérience ainsi que d’une formation leur permettant de comprendre toutes les subtilités du fonctionnement des marchés, notamment financiers (24). Selon Anatoly Gavrilenko, le président de l’Association de la bourse russe, l’absence d’interprétation unifiée de la loi pourrait dans le futur conduire à des erreurs judiciaires et des décisions contradictoires (25). 23. A. I. Sotov, « Rassledovanie prestuplenij, svâzannyh s ispolʹzovaniem insajderskoj informacii pri soveršenii operacij na rynke cennyh bumag » [Enquête sur les délits liés à l’utilisation d’informations privilégiées dans le cadre de la réalisation d’opérations sur le marché des valeurs mobilières], Èkspert-­kriminalist, n° 3, 2013. 24. E. V. Anisenko, « Problemy protivodejstviâ primeneniû insajderskoj informacii i manipulirovaniû rynkom cennyh bumag v Rossii » [Les problèmes de la lutte contre l’utilisation d’informations privilégiées et la manipulation du marché des valeurs mobilières en Russie], Konkurentnoe pravo, n° 2, 2012. 25. A. Minajcev, op. cit.

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II. Régulation bancaire Chronique sous la direction de Anne-­Claire Rouaud &

Maître de conférences à l’École de Droit de la Sorbonne (Université Paris 1)

Myriam Roussille

Professeur à l’Université du Maine

Avec la collaboration de

Pr. Alain Kenmogne Simo

Agrégé des Facultés de Droit Enseignant de l’Université de Yaoundé II Coordonnateur du Programme MBF-­CESAG

&

Marion Meilhac-­Perri

Docteur en Droit privé, Credimi, Université de Bourgogne

Le traitement des difficultés des banques reste une préoccupation centrale, et pas seulement au plan européen, comme le montre le règlement adopté récemment par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Dans le prolongement de l’étude consacrée, dans un précédent numéro de cette chronique, à la prévention des difficultés des établissements de crédit dans la zone CEMAC, est ici présenté le dispositif de traitement des difficultés avérées de ces établissements. En ce qui concerne les activités des banques, une importante décision de la Cour de justice de l’Union européenne vient préciser l’interprétation du règlement « Bruxelles I » n° 44/2001 concernant la détermination de la juridiction compétente pour connaître d’une action en responsabilité contre l’émetteur d’obligations sur le fondement des conditions d’emprunt, de la violation des obligations d’information et de contrôle ainsi que des exigences concernant le prospectus. Selon la Cour, un consommateur qui a acquis une obligation au porteur auprès d’un tiers professionnel ne peut pas se prévaloir des règles de compétence relatives aux contrats conclus par les consommateurs (art. 15, paragraphe 1, du règlement), si aucun contrat n’a été conclu entre lui-­même et l’émetteur des obligations, ni de celles prévues à l’article 5, point 1, a) pour la matière contractuelle, à moins que l’émetteur n’ait librement assumé une obligation à l’égard de ce demandeur. L’action en responsabilité relève de la matière délictuelle, régie par l’article 5, point 3, du règlement, de sorte que les juridictions du domicile du demandeur sont compétentes, au titre de la matérialisation du dommage, notamment lorsque le dommage allégué se réalise directement sur un compte bancaire du demandeur auprès d’une banque établie dans le ressort de ces juridictions.

Adressing bank difficulties remains a key concern of today’s regulators, non only at european level, as showed by the new regulation recently implemented in the Economic and Monetary Community of Central Africa. In the wake of the article on prudential banking rules and the rules required to anticipate and prevent bank difficulties in the CEMAC published in a former issue of this review, in this issue attention will be focused on the new regime for bank insolvency in the CEMAC. Regarding banking activities, an important judgment of the Court of Justice of the European Union clarifies the rules for determining which court has jurisdiction to entertain an action brought against the issuer of bonds on the basis of the bond conditions, breach of the information and control obligations and prospectus liability under the provisions of Regulation No 44/2001 of 22 December 2000 on jurisdiction and the recognition and enforcement of judgments in civil and commercial matters. As a result, a consumer who has acquired a bearer bond from a third party professional may not invoke jurisdiction under article 15(1) of Regulation No 44/2001 (jurisdiction over consumer contracts) if no contract has been concluded between him and the issuer of the bond, or under Article 5(1)a) (matters relating to a contract) unless the issuer has freely assumed an obligation towards that consumer. The action seeking to put in issue the liability of the issuer falls under article 5(3) (matters relating to tort) and the courts where the applicant is domiciled have jurisdiction, on the basis of the place where the loss occurred, particularly when the damage alleged occurred directly in the applicant’s bank account held with a bank established within the area of jurisdiction of those courts.

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Chroniques

II. Régulation bancaire

II.A. Régulation européenne C.J.U.E. (4e ch.), 18 janvier 2005, aff. C-­375/13, Harald Kolassa c. Barclays Bank plc

Marion Meilhac-­Perri

Docteur en Droit privé, Credimi, Université de Bourgogne

Saisie d’un renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a statué le 28 janvier 2015 (1) sur l’interprétation des articles 5, point 3 et 15, § 1er, du règlement n° 44/2001/CE, dit règlement « Bruxelles I » dans le cadre d’une action en responsabilité engagée à l’égard d’un établissement à l’origine d’un instrument financier. En l’espèce, une banque dont le siège était au Royaume-­ Uni, mais ayant une succursale en Allemagne, avait émis des certificats prenant la forme d’obligations au porteur. Une personne domiciliée en Autriche, intéressée par ces certificats, demanda à sa banque autrichienne de s’en procurer. Cette banque commanda alors les certificats auprès de sa société mère allemande, qui les acquit auprès de la banque du Royaume-­Uni. Les commandes furent passées et exécutées, à chaque fois, au nom des sociétés concernées. Conformément à ses conditions générales, la banque autrichienne a exécuté la commande en « dépôt », c’est-­à-­dire en conservant, en tant que fonds de couverture, les certificats à Munich en son nom propre et pour le compte de son client, qui pouvait uniquement réclamer la livraison des certificats à hauteur de la part détenue dans le fonds de couverture, sans que ceux-­ci ne puissent être transférés à son nom. Lors de l’émission de ces certificats, un prospectus fut diffusé au Royaume-­Uni mais également en Autriche. La valeur de ces certificats ayant chuté, l’investisseur autrichien lésé saisit une juridiction autrichienne d’une action en responsabilité. Ainsi, M. Kolassa introduisit une action devant le Handelsgericht Wien pour réclamer le paiement de dommages-­intérêts au titre de la responsabilité contractuelle, précontractuelle et délictuelle de Barclays Bank. Il fit valoir que, si 1. C.J.U.E. (4e ch.), 18 janvier 2005, Harald Kolassa c. Barclays Bank plc, aff. C-­375/13 ; F. Mélin, D. Actualités, 19 février 2015 ; C. Nourissat, Procédures, n° 3, mars 2015, comm. 79 ; J. Morel-­Maroger, Gazette du Palais, 17 mars 2015, n° 76, p. 35. 70

celle-­ci s’était comportée conformément au droit, il n’aurait pas réalisé l’investissement, mais aurait placé son capital dans le portefeuille d’un fonds diversifié d’orientation neutre, ce qui lui aurait permis d’obtenir à l’échéance la somme réclamée, à savoir celle investie avec des intérêts. M. Kolassa soutenait que le Handelsgericht Wien était compétente, à titre principal, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001 ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de l’article 5, points 1, sous a), et 3, de ce même Règlement. Devant la juridiction de renvoi, Barclays Bank contestait quant à elle, les griefs de M. Kolassa tant sur le fond que sur la question de la compétence de la juridiction saisie. Le Handelsgericht Wien décida alors de surseoir à statuer et saisit la Cour de justice. Concernant la question de la compétence de la juridiction, il était soutenu que le juge autrichien pouvait être tenu pour compétent en application des dispositions du règlement dit « Bruxelles I ». Il était soutenu que la compétence de ce juge trouvait son fondement dans les dispositions de ce règlement spécifique aux contrats conclus par des consommateurs ou à défaut dans ses dispositions relatives à la matière contractuelle ou délictuelle. La juridiction saisie demanda donc à la Cour de justice si elle pouvait valablement se déclarer compétente soit par application de l’article 15, paragraphe 1er qui porte de la compétence en tant que juridiction du domicile du consommateur, soit par application de l’article 5, paragraphe 1er sur la compétence tirée du for contractuel, soit par application de l’article 5, paragraphe 3 qui retient la compétence tirée du for délictuel. Le Handelsgericht Wien sursoit à statuer et posa deux questions préjudicielles. L’une relative à l’applicabilité des articles 15, § 1er et 5, point 1, du règlement, l’autre à l’applicabilité de l’article 5, § 3. Ainsi, à défaut d’application de l’article 15, § 1er pouvait-­on considérer que le litige relevait de la « matière contractuelle » au sens de l’article 5, § 1er ? La Cour de justice devait déterminer si l’on pouvait considérer qu’un contrat avait été conclu entre la banque émettrice du certificat et l’investisseur lésé, alors même que ce dernier n’avait pas acquis les certificats directement auprès de la banque. Et à défaut d’application de l’article 5, point 1, du règlement « Bruxelles I » fondée sur la responsabilité contractuelle, pouvait-­on retenir la responsabilité délictuelle sur le fondement de son article 5, point 3 ?

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La Cour de justice a rappelé que l’article 15, § 1er est dérogatoire aux règles de compétence ordinaire et que son application doit faire l’objet d’une interprétation stricte, ce qui suppose qu’il ne doit pas être retenu en présence d’une chaîne de contrats emportant transfert de certains droits et obligations vers le consommateur. Ainsi, dès lors que le consommateur n’a pas directement contracté avec l’émetteur, il n’est pas possible de retenir la présence d’un contrat au sens de l’article 15, § 1er. En ce qui concerne l’article 5, point 1, la Cour de justice a également rappelé que son application présuppose l’existence d’une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre. Ainsi, l’absence de liens directs entre les deux parties au litige permet d’écarter l’application de l’article 5, point 1. La Cour de justice a donc estimé que l’action de l’investisseur lésé relevait de l’article 5, § 3, du règlement ce qui supposait de déterminer « le lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Les juges ont rappelé que ce lieu vise à la fois le lieu de matérialisation du dommage et celui de l’événement causal à l’origine du dommage. La Cour de justice reprend ici le raisonnement précédemment admis (2) selon lequel le lieu du fait dommageable ne peut se confondre avec le lieu du domicile de l’investisseur lésé au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d’éléments de son patrimoine. Mais si la localisation du fait dommageable ne peut pas systématiquement coïncider avec le domicile de la victime, d’autres éléments permettaient ici d’aboutir à ce résultat.

I. L’éviction des articles 15, § 1er et 5, point 1, du règlement « Bruxelles I » en l’absence de contrat librement consenti entre émetteur et investisseur Il était demandé à la Cour de justice de déterminer si une personne qui a acquis des obligations au porteur auprès d’un professionnel peut se prévaloir de ces principes contre l’émetteur, en faisant état des conditions d’emprunt, de la violation des obligations d’informations et de contrôle ainsi que de la responsabilité concernant le prospectus. Sur ce point, les juges ont considéré que « dans des circonstances telles que celles de l’affaire (…), un demandeur qui, en tant que consommateur, a acquis une obligation au porteur d’un tiers professionnel, sans qu’un contrat soit conclu entre ledit consommateur et l’émetteur de cette obligation – ce qu’il appartient à la juridiction 2.

C.J.C.E., 10 juin 2004, Kronhofer, C-­168/02, Rev. crit. DIP, 2005, p. 326, note H. Muir Watt.

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de renvoi de vérifier –, ne peut pas se prévaloir de la compétence prévue à cette disposition aux fins de l’action introduite contre ledit émetteur et fondée sur les conditions d’emprunt, la violation des obligations d’information et de contrôle ainsi que la responsabilité concernant le prospectus ». La Cour ne retient donc pas ici la présence d’un contrat conclu entre le consommateur autrichien et la banque du Royaume-­ Uni. En effet, elle rappelle que l’article 15, § 1er doit être interprété strictement et ne doit pas s’appliquer en présence d’une chaîne de contrats emportant transfert de certains droits et obligations vers le consommateur. Or, en l’espèce, les certificats avaient été conservés par la banque autrichienne en son nom propre, il n’y a donc eu aucune relation directe entre la banque du Royaume-­Uni émettrice et l’investisseur lésé. Les deux parties n’étant liées que par une chaîne de contrats, l’application de l’article 15, § 1er, du règlement est exclue. En l’espèce, à défaut de convention directe entre les deux parties, aucun contrat de consommation ne pouvait être retenu. Cette position de la Cour fait suite à une jurisprudence du 14 mars 2013 (3) dans laquelle elle avait énoncé que l’article 15 s’appliquait si trois conditions cumulatives étaient remplies : l’une des parties doit avoir la qualité de consommateur qui agit dans un cadre pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ; le contrat entre un tel consommateur et un professionnel doit avoir été effectivement conclu ; et ce contrat doit relever de l’une des trois catégories visées par l’article 15. La Cour de justice devait donc déterminer si, à défaut d’application de l’article 15, § 1er, l’article 5, point 1 était applicable et donc la responsabilité engageable sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Les juges n’ont pas non plus retenu l’application de la règle de compétence fondée sur l’article 5, point 1 propre au contrat en général. En effet, à titre subsidiaire il était demandé à la Cour de justice si les dispositions de cet article étaient applicables à l’action introduite contre l’émetteur des obligations au porteur et fondée sur les conditions d’emprunt, la violation des obligations d’information et de contrôle ainsi que la responsabilité concernant le prospectus, alors que le demandeur avait acquis ces obligations auprès d’un tiers. La Cour a écarté cette possibilité en estimant qu’« un demandeur qui a acquis une obligation au porteur auprès d’un tiers sans que l’émetteur de celle-­ci ait librement assumé une obligation à l’égard de ce demandeur, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, ne peut pas se pré3.

C.J.U.E., 14 mars 2013, aff. C-­419/11, § 30, Dalloz actualité, 27 mars 2013, obs. S. Menetrey ; D., 2013. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid., 2014, 1059, obs. H. Gaudemet-­Tallon et F. Jault-­Seseke ; Rev. sociétés, 2014, 243, note T. Mastrullo ; RTD civ., 2013, 341, obs. P. Remy-­Corlay ; RTD com., 2013, 379, obs. A. Marmisse-­d’Abbadie d’Arrast ; Europe, mai 2013, comm. 246, obs. Idot ; R.J.D.A., 6/13 n° 577.

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II.A. Régulation européenne


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II. Régulation bancaire

valoir de la compétence prévue » par cet article 5, point 1. Les juges considèrent qu’il ne résulte pas de la présentation des faits par la juridiction de renvoi l’existence d’un lien d’obligation entre la banque du Royaume-­Uni et le demandeur. En outre, dans son arrêt du 14 mars 2013 (4), la Cour a rappelé que pour que l’article 5, point 1, soit applicable, la conclusion d’un contrat n’est pas toujours nécessaire, il faut seulement identifier l’existence d’une obligation. Les parties doivent s’être engagées librement l’une envers autre sans toutefois qu’un contrat soit nécessairement conclu. Ainsi, à défaut d’engagement librement assumé par l’émetteur auprès du demandeur (5) aucun lien d’obligation au porteur ne sera reconnu, même s’il ne faut pas nécessairement un contrat mais au moins une obligation matérialisée par un engagement librement assumé d’une partie envers une autre. Comme le souligne le professeur Nourissat, il est alors intéressant de noté que « la conception compréhensive souhaitée par le demandeur ne peut être reçue s’agissant d’une exception à la règle de droit commun et, dans le second cas, que l’existence « d’une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre » fait ici clairement défaut » (6). Ainsi l’application de l’article 5, point 1, du règlement n’exige pas la conclusion matérielle d’un contrat, mais se contente de l’engagement assumé des parties. Il fallait donc déterminer si, en l’espèce, on pouvait retenir l’existence d’une obligation juridique librement consentie par l’émetteur à l’égard de l’investisseur. Or, ici il n’y a eu aucun contact direct entre la Banque du Royaume-­Uni et l’investisseur allemand, chacun ayant conclu un contrat avec un intermédiaire. La Banque du Royaume-­Uni ne s’est jamais engagée directement à l’égard de l’investisseur allemand qui a reçu les bons au porteur de sa banque allemande qui les a elle-­même conservés à son propre nom. Les parties n’étaient donc pas engagées l’une envers l’autre par une obligation assumée, ce qui rendait alors impossible l’application de l’article 5, point 1 et donc l’engagement de la responsabilité contractuelle de la Banque du Royaume-­Uni. La Cour ne retenant ni la responsabilité sur le fondement de l’article 15, § 1er, ni sur celui de l’article 5, point 1, les juges devaient se prononcer sur l’applicabilité de l’article 5, point 3. La Cour de justice, dans un arrêt Kalfelis (7), a précisé que ce qui n’est C.J.U.E., 14 mars 2013, aff. C-­419/11, § 30, op. cit. Elle reprend ici le raisonnement de l’arrêt : C.J.C.E., 17 juin 1992, Jakob Handte, C-­26/91, point 15, Rev. crit. DIP, 1992, 726, note H. Gaudemet-­Tallon ; J.D.I., 1992, 469, obs. M. Bischoff ; RTD eur., 1992, 709, note P. de Vareilles-­Sommières. 6. C. Nourissat, Procédures, n° 3, mars 2015, comm. 79. 7. C.J.C.E., 27 septembre 1988, Kalfélis, C-­189/87, D., 1989, somm. comm. 254, obs. B. Audit, Rev. crit. DIP, 1989, 117, note H. Gaudemet-­Tallon, J.D.I., 1989, 457, obs. A. Huet. 4. 5.

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pas contractuel est délictuel, conférant un caractère résiduel à cette dernière catégorie. Ainsi, à défaut de pouvoir retenir la responsabilité contractuelle, la Cour de justice retient la responsabilité délictuelle prévue à l’article 5, point 3.

II. La localisation de l’événement causal, une variable dans la détermination de la compétence juridictionnelle Compte tenu de l’inapplicabilité des articles 15 et 5, point 1, du règlement « Bruxelles I », il était demandé à la Cour si l’article 5, point 3 pouvait être mis en œuvre. Or, cet article retient qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » (8). La Cour de justice a donc retenu l’applicabilité de cette disposition puisque la notion de matière délictuelle s’entend comme toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l’article 5, point 1 (9). L’application de l’article 5, point 3, du règlement supposait de déterminer « le lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». La Cour de justice rappelle que ce lieu s’entend comme à la fois le lieu de matérialisation du dommage et celui de l’événement causal à l’origine du dommage. Elle rappelle également que le lieu du fait dommageable ne peut se confondre avec le lieu du domicile de l’investisseur lésé au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d’éléments de patrimoine. Enfin la Cour conclut que la matérialisation du dommage se réalise « au lieu où l’investisseur le subit », c’est-­à-­dire « directement sur un compte bancaire du demandeur auprès d’une banque établie dans le ressort de la juridiction ». Les juges expliquent (10) qu’en l’espèce la prétendue violation par Barclays Bank de ses obligations légales relatives au prospectus et à l’information des investisseurs, ainsi que les actes ou les omissions susceptibles de constituer une telle violation, ne sauraient être localisés au domicile de l’investisseur prétendument lésé. Une telle précision limite considérablement la portée de la compétence juridictionnelle. Elle ajoute qu’aucun élément du dossier n’indiquait Voy. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, Tome II, Partie spéciale, PUF, 3e éd., 961 et s. 9. C.J.C.E., 27 septembre 1988, Kalfélis, C-­189/87, op. cit. ; C.J.U.E., 14 mars 2013, op. cit. 10. Point 53 de l’arrêt. 8.

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que les décisions relatives aux modalités des investissements proposés par cette banque ainsi qu’aux contenus des prospectus aient été prises dans l’État membre où l’investisseur était domicilié ni que lesdits prospectus étaient rédigés et distribués à l’origine ailleurs que dans l’État membre du siège de ladite banque (11). Cette approche de la Cour de justice s’explique par le fait que selon elle, l’émetteur de certificats qui ne remplit pas ses obligations légales relatives au prospectus doit, s’il décide de diffuser le prospectus relatif à ce certificat dans d’autres États membres, s’attendre à ce que des personnes insuffisamment informées, domiciliées dans ces États membres, investissent dans ce certificat et y subissent, le cas échéant, un dommage. Le lieu du fait dommageable réunit donc le lieu du domicile du détenteur des certificats, à la condition de l’existence d’un lien de causalité entre la publication du prospectus et le préjudice subi par l’investisseur lésé. En l’espèce, la Barclays Bank était accusée de manquements à ses obligations légales d’informations avec la diffusion du prospectus sur le territoire autrichien, ce qui permettait de localiser le dommage sur le sol autrichien.

11. Point 53 de l’arrêt.

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II.A. Régulation européenne

La prétendue violation

par Barclays Bank de ses obligations légales […] ne saurait être localisée au domicile de l’investisseur

prétendument lésé.

La Cour de justice semble donc renforcer ici la protection de l’investisseur par le droit international privé en permettant une appréciation plus souple de la location du préjudice financier, puisque dorénavant le demandeur peut agir contre l’émetteur d’un produit financier devant les juridictions de son domicile lorsque le dommage se réalise directement sur son compte bancaire auprès d’une banque établie dans le ressort de ces juridictions.

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II. Régulation bancaire

II.B. Régulation comparée Le dispositif de traitement de la défaillance bancaire avérée Pr. Alain Kenmogne Simo Agrégé des Facultés de Droit Enseignant de l’Université de Yaoundé II Coordonnateur du Programme MBF-­CESAG

L’idée de la « spécificité des banques » a connu une certaine érosion du fait que des institutions financières non bancaires fournissent aujourd’hui des services qui traditionnellement étaient du ressort exclusif des banques. En dépit de cela, il convient de reconnaître avec Eddie George (1) et la majorité de la doctrine financière que les banques demeurent spécifiques à certains égards : elles sont dépositaires des liquidités immédiates de l’économie ; elles sont au cœur de la structure du système de paiements ; les échéances de leurs actifs et de leurs passifs sont, par nature, désharmonisées. Du fait de ces caractéristiques qui les rendent plus vulnérables au risque systémique en cas de défaillance d’une banque, la nécessité de prévenir la défaillance (2) ici est plus accentuée. Toutefois, lorsque le dispositif de traitement du risque de défaillance (3) n’a pas pu porter de fruits et que, finalement, la banque s’est installée dans la défaillance, comme en droit commun, une procédure collective devra être ouverte à son égard. Le premier apport du règlement n° 02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/CM relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (4) est probablement de rappeler (afin que nul n’en ignore) que le droit commun est applicable ici (5). 1. Ancien Gouverneur de la Bank of England. 2. Surtout que la fréquence des crises bancaires est de plus en plus rapprochée et leur impact de plus en plus important. 3. Dispositif analysé dans notre article sur « Le dispositif prudentiel de traitement du risque de défaillance des établissements de crédit dans la zone CEMAC », R.I.S.F., 2014/3, pp. 80 à 89. 4. Ce règlement ayant été publié entre temps, il est à présent possible de le citer avec précision (la COBAC organise un séminaire pour sa vulgarisation à Douala le 22 mai 2015). 5. Sur cette question de manière générale, voy. la thèse soutenue par M. Y. Kouenguen Nguetnkam à l’Université de Yaoundé II sur L’applicabilité des actes uniformes OHADA au secteur bancaire (2012) et notre intervention sur La dualité du régime des procédures 74

Le premier apport du

règlement n° 02/14/ CEMAC/UMAC/ COBAC/CM (…) est probablement de rappeler (afin que nul n’en ignore) que le droit commun est

applicable ici.

Certes, et fort logiquement, il ne l’est que dans la mesure où il n’est pas contraire aux dispositions de ce règlement (6). En plus du rappel de cette règle qui gouverne l’interprétation de deux textes dont l’un est général et l’autre spécial, un autre apport général de ce règlement concerne le critère d’ouverture de la procédure collective bancaire. À ce sujet, si le règlement retient le critère de la cessation des paiements (7), il lui donne des contours particuliers en en consacrant, selon nous, deux types : à côté de la cessation des paiements que l’on pourrait qualifier collectives d’apurement du passif des établissements de crédit lors du séminaire organisé par la COBAC à Douala le 22 mai 2015 sur la vulgarisation de ce règlement (inédit). 6. L’article 85 dudit règlement dispose que « Les dispositions de droit commun instituées par l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif relatives au règlement préventif, au redressement judiciaire et à la liquidation des biens sont applicables aux établissements de crédit tant qu’il n’y est pas dérogé par les dispositions du présent règlement ». Sur la dualité du régime des procédures collectives bancaires dans la CEMAC, voy. notre communication au cours du séminaire de vulgarisation évoqué ci-­dessus. 7. Dans le droit commun des procédures collectives OHADA, on distingue les procédures ouvertes en cas de cessation des paiements (redressement judiciaire et liquidation des biens) du règlement préventif qui vise à éviter la cessation des paiements ou d’activités.

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d’économique, le texte consacre une autre que nous qualifierons de réglementaire. En ce qui concerne la première, elle a son siège dans l’alinéa 1 er de l’article 86 qui dispose que « Les établissements de crédit sont en état de cessation des paiements lorsqu’ils ne sont pas en mesure d’assurer leurs paiements (8), immédiatement ou dans un délai de trente (30) jours » (9). Quant à la seconde, elle se trouve dans l’alinéa 2 du même article aux termes duquel, « Tout retrait d’agrément d’un établissement de crédit vaut cessation des paiements ». Il convient de dire qu’en partant de l’inadéquation de la notion telle qu’entendue dans le droit commun, la doctrine appelait à sa particularisation dans ce domaine. C’est ainsi qu’en se basant sur la loi française sur l’épargne et la sécurité financière, un auteur écrivait ceci : « il est souhaitable de dégager une définition de cette notion [celle de cessation des paiements] dans le domaine bancaire. Dans le souci de protéger les déposants, il ne faudrait pas que la définition consacrée retarde énormément la constatation de la cessation des paiements. En conséquence, la définition pourrait prendre appui sur les critères prudentiels, notamment sur le ratio de solvabilité aménagé. Pourrait alors être considérée comme étant en cessation des paiements, toute banque qui ne serait pas en mesure d’assurer ses paiements, immédiatement ou à terme rapproché » (10). Le règlement est allé plus loin en quantifiant la notion de « terme rapproché ». Seule l’expérience permettra de savoir si la durée retenue est réaliste. Cela dit, pour les banques déjà en difficulté, le dispositif mis en place par le règlement CEMAC cité ci-­ dessus prévoit fort logiquement leur sauvetage (I) ou leur liquidation (II), selon que leur survie est encore possible ou non.

I. Le sauvetage de la banque défaillante Lorsque la banque est simplement fragile, elle est susceptible d’être sauvée. De l’examen des dispositions consacrées au sauvetage de la banque défaillante, il est possible de relever que deux questions sont résolues : les établissements susceptibles d’être sauvés (A) et les modalités de sauvetage (B). 8.

L’utilisation du pluriel permet de comprendre qu’un seul défaut de paiement ne suffit pas. 9. Même si l’échéance d’un mois utilisée dans le ratio de liquidité n’est pas, strictement parlant, égal à celle de 30 jours utilisée ici, il est possible de penser que le règlement a privilégié la notion de liquidité. 10. Cfr A. Kenmogne Simo, La prévention de la défaillance des établissements de crédit dans les pays africains de la zone Franc, thèse, Université de Yaoundé 2, 2004, p. 211. Voy. également, P.L. Fotue Kengne, Le traitement des crises bancaires dans la zone CEMAC, thèse, Université de Yaoundé 2, 2014. 2015/2

A. Les établissements de crédit susceptibles d’être sauvés Le règlement CEMAC retient deux voies de sauvetage : le règlement préventif et le redressement judiciaire. En ce qui concerne la circonscription des établissements susceptibles d’être sauvés, on peut parler d’une double détermination : négative et positive. Si la première est faite de manière claire et précise, il n’en est pas de même pour la seconde. En ce qui concerne la détermination négative, elle a lieu par exclusion. À ce sujet, l’article 90 dispose clairement qu’aucune procédure de règlement préventif ou de redressement judiciaire ne peut être ouverte à l’égard d’un établissement de crédit placé sous le régime de l’administration provisoire ou celui de la restructuration spéciale. Cette disposition semble impliquer qu’en cas d’échec de l’administration provisoire ou de la restructuration spéciale d’un établissement de crédit, seule sa mise en liquidation des biens est envisageable (11). S’agissant de la détermination positive, elle consiste plutôt à dire quels sont les établissements susceptibles de bénéficier de l’une des deux procédures de sauvetage consacrées par le règlement CEMAC. À ce sujet, ce texte n’est pas aussi clair que pour la détermination négative. En se basant sur le droit commun, applicable ici, on peut dire que le règlement préventif est applicable lorsque l’établissement de crédit en difficulté n’est pas encore en cessation des paiements ou d’activités et que le redressement judiciaire est applicable si l’établissement de crédit est déjà en cessation des paiements mais avec des chances de survie.

B. Les modalités du sauvetage des banques fragiles Quelle que soit la procédure de sauvetage, on peut relever dans les dispositions du nouveau règlement une recherche d’efficacité. Celle-­ci se traduit notamment à travers la prépondérance reconnue à la commission bancaire. Cette prépondérance s’exprime différemment selon qu’il est question du règlement préventif ou du redressement judiciaire. Dans le règlement préventif, elle prend la forme de la soumission de l’ouverture de la procédure à l’autorisation préalable de la COBAC. En effet, selon l’article 88 de ce règlement, « Le représentant légal d’un établissement de crédit qui envisage de déposer une requête tendant à l’ouverture de la procédure de règlement préventif doit obtenir l’autorisation préalable de la COBAC, avant toute saisine de la juridiction compétente ». Dans le redressement 11. Sauf si le texte affirme une évidence : à savoir qu’un établissement ne peut être concomitamment en administration provisoire et en règlement préventif ou en redressement judiciaire.

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II.B. Régulation comparée


Chroniques

II. Régulation bancaire

judiciaire, la prépondérance se traduit par l’exigence de l’avis conforme de la COBAC. Aux termes de l’article 91, la procédure de redressement judiciaire visant un établissement de crédit est ouverte, sous réserve de l’avis conforme de la COBAC. Si la forme que prend la prépondérance de la COBAC varie en fonction de la procédure de sauvetage empruntée, dans le fond, les modalités de son intervention sont les mêmes. En effet, que ce soit dans le règlement préventif ou dans le redressement judiciaire, lorsqu’elle est saisie (12), la mission de la COBAC est d’apprécier « l’aptitude de l’établissement de crédit à réaliser l’objectif de retour à des conditions normales d’exploitation » (13). Dans le cadre de cette appréciation, elle est habilitée, dans l’une et l’autre procédures, à recueillir tous renseignements jugés utiles à l’instruction de la demande. La recherche d’efficacité se traduit aussi par une recherche de rapidité dans l’intervention de la COBAC. C’est ainsi qu’un délai lui est imparti : à compter de la réception du dossier, elle dispose de deux (2) mois pour statuer. Lorsque le dossier est incomplet, ce délai commence à courir à compter de la transmission des renseignements nécessaires à la prise de décision (14). De même, la COBAC peut, en cas de besoin, rendre sa décision selon la procédure d’urgence. Lorsque la commission bancaire est saisie, en principe son mode de fonctionnement est tel que sa réponse pourrait nécessiter un temps assez considérable, notamment à cause de la nécessité de respecter un certain délai dans la convocation des membres. C’est pourquoi il est prévu une procédure d’urgence pour certaines questions. Cette procédure consiste en une réponse par son président, sous réserve de ratification par la commission à sa prochaine session. En dépit de ces mesures visant à sauver les banques en difficulté, il est possible que la situation d’une banque soit telle qu’elle ne peut pas être sauvée, ou que les mesures entreprises pour son sauvetage échouent. À ce moment, il faudrait la mettre en liquidation des biens. 12. Dans le règlement préventif, la COBAC est saisie par une demande exposant la situation financière de l’établissement de crédit et comportant notamment ses états financiers de synthèse, l’offre de concordat précisant les mesures et conditions envisagées pour son redressement et toute autre pièce nécessaire à son information. Dans le redressement judiciaire, elle est saisie par une demande écrite du président de la juridiction compétente exposant la situation financière de l’établissement de crédit et comportant les documents prévus aux articles 26 et 27 de l’Acte Uniforme OHADA portant procédures collectives d’apurement de passif. 13. Ce qui montre bien que le principal révélateur des difficultés d’une banque est la cessation des conditions normales d’exploitation. C’est d’ailleurs la raison susceptible de justifier le retrait de l’agrément de l’établissement. 14. Aux termes des articles 89, alinéa 6 et 92, alinéa 6, l’absence de décision dans ce délai vaut respectivement autorisation préalable et avis conforme. 76

II. La liquidation de la banque défaillante La liquidation dont il est question ici est la liquidation des biens, c’est-­à-­dire celle qui est ouverte dans le cadre d’une procédure collective. Il s’agit d’une procédure susceptible d’être ouverte à l’égard des établissements de crédit en cessation des paiements et ne présentant pas de chance de survie. À leur égard, le règlement CEMAC instaure une procédure dérogatoire au droit commun. Selon le règlement, cette procédure spécifique à l’activité bancaire est destinée à préserver la confiance dans le secteur bancaire et financier dans son ensemble et à assurer la sécurité des déposants (15). Après avoir présenté les règles gouvernant l’ouverture de cette procédure (A), il conviendra d’exposer ensuite celles qui sont relatives à sa clôture (B).

A. L’ouverture de la liquidation des biens d’un établissement de crédit Si le règlement CEMAC déclare le droit commun applicable aux procédures collectives bancaires, il convient néanmoins de relever qu’il ne s’agit que d’une application subsidiaire tant il existe en ce domaine de nombreuses dispositions dérogatoires, aussi bien en ce qui concerne les conditions (1) que les effets (2) de l’ouverture de la procédure.

1. Les conditions d’ouverture Les principales conditions particulières se retrouvent non seulement au niveau du fond, mais aussi au niveau de la procédure. Sur le plan du fond, le retrait d’agrément semble devenu un préalable nécessaire à la mise en liquidation de biens d’un établissement de crédit car selon l’article 94, « L’ouverture de la procédure de liquidation des biens d’un établissement de crédit ne peut résulter que d’une décision de retrait de son agrément ». Tel que le texte est formulé, il laisse croire que tant que l’agrément d’un établissement de crédit n’a pas été retiré, celui-­ci ne peut être mis en liquidation des biens. Ce qui signifierait que la cause ou le critère d’ouverture de la liquidation des biens d’un établissement de crédit est le retrait d’agrément. Pourtant, si l’article 86 assimile le retrait d’agrément à la cessation des paiements (alinéa 2), il n’en fait pas son seul critère. De ce fait, la formulation de l’article 94 peut paraître curieuse. Si on peut comprendre que la disposition vise à assurer la prépondérance des autorités bancaires sur l’ouverture de la procédure de liquidation des biens des établissements de crédit, on peut se demander s’il n’aurait pas 15. Cfr article 93.

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2015/2


été plus indiqué de soumettre, comme pour le redressement judiciaire, l’ouverture de la liquidation des biens à l’avis conforme de la COBAC. Ce qui permettrait que le retrait d’agrément ne soit que l’une des causes d’ouverture de la procédure de liquidation des biens et que la mise en liquidation des biens soit une cause du retrait d’agrément.

« L’ouverture de la

procédure de liquidation des biens d’un établissement de crédit ne peut résulter que d’une décision de retrait de son

agrément. »

En ce qui concerne la procédure de retrait, au plus tard un mois après sa prise de fonction, le liquidateur bancaire fait une déclaration de cessation des paiements de l’établissement de crédit auprès de la juridiction compétente aux fins d’obtenir l’ouverture d’office de la procédure de liquidation des biens et l’homologation d’office de sa nomination (il adresse à la COBAC copie de la déclaration susvisée avec les pièces y afférentes) (16). Étant donné que dans le droit commun, la saisine du tribunal à l’effet d’ouvrir la liquidation des biens est largement ouverte, la question peut se poser du sort réservé aux autres auteurs de la saisine : peuvent-­ils saisir directement le tribunal compétent ou doivent-­ils se résoudre à saisir les autorités compétentes en vue du retrait préalable de l’agrément de la société ? Si l’on s’en tient aux termes de l’alinéa 2 de l’article 94 qui dispose que la juridiction compétente est tenue d’aviser la COBAC des actions engagées aux fins d’ouverture de ladite procédure, on devrait en déduire que leur droit de saisine demeure intacte. Mais bien que le texte ne parle que d’avertissement du tribunal, la combinaison des deux alinéas de l’article 94 incline à croire qu’après avoir averti la COBAC, le tribunal devra attendre que celle-­ci retire l’agrément de l’établissement. Et encore, cela ne résout pas toute la difficulté dans la mesure où le règlement attribue l’initiative de la déclaration de cessation des paiements au liquidateur. En réalité, une lecture croisée avec l’article 119 (17) permet de dire 16. Cfr article 113. 17. Selon ce texte, la décision de la juridiction compétente saisie conformément aux dispositions de l’article 113 2015/2

qu’il y aurait deux ouvertures de la liquidation d’un établissement de crédit : le retrait d’agrément ouvrirait la liquidation du compartiment bancaire et la décision du tribunal ouvrirait celle du compartiment non bancaire. Il aurait été plus indiqué de ne pas ériger le retrait d’agrément en condition d’ouverture de la liquidation des biens alors que celui-­ci n’est qu’une des hypothèses de cessation des paiements, ou alors pour plus de cohérence, neutraliser le droit de saisine des autres acteurs.

2. Les effets de l’ouverture Il convient de dire que les effets habituellement attachés à l’ouverture de la liquidation des biens commencent ici dès la désignation du liquidateur bancaire. Or ce dernier est désigné par la COBAC et bien avant que la procédure ne soit ouverte puisque c’est lui qui fera la déclaration de cessation des paiements. En effet, dès notification de la décision nommant le liquidateur bancaire aux dirigeants sociaux et à l’Autorité monétaire avec ampliation à la Direction nationale de la BEAC, les pouvoirs du conseil d’administration et de la direction générale prennent fin. Tous les pouvoirs d’administration, de direction et de représentation de la personne morale sont transférés au liquidateur bancaire. Les actes, droits et actions de la personne morale concernant son patrimoine sont accomplis ou exercés, pendant toute la durée de la liquidation des biens, par le liquidateur bancaire. Il est investi des pouvoirs les plus étendus pour réaliser l’actif. Le principal effet attaché à l’ouverture de la procédure proprement dite va concerner le déroulement de la liquidation. Comme la doctrine l’avait souhaité, celui-­ci semble mieux encadré, aussi bien en ce qui concerne la réalisation de l’actif que l’apurement du passif (18). C’est ainsi que : – le liquidateur est tenu dans le délai d’un mois suivant son entrée en fonction, d’élaborer et de communiquer à la COBAC le budget annuel de fonctionnement de la liquidation des biens pour approbation ; – la COBAC peut exiger que certains actes de disposition du liquidateur et sa faculté de transiger ou de compromettre soient soumis à son autorisation ; – le liquidateur doit tenir une comptabilité lui permettant de transmettre, selon une périodicité fixée par la COBAC, les situations comptables, un rapport détaillé des actifs réalisés et du passif apuré ainsi qu’un rapport sur les perspectives de dénouement des opérations de liquidation des biens et sur les difficultés rencontrées ; – le liquidateur doit justifier les charges de la liquidation des biens et les dépenses directement liées aux opérations de liquidation auprès de la COBAC ; ouvre les opérations de liquidation du compartiment non bancaire et les licenciements. 18. Voy. A. Kenmogne Simo, op. cit., et P.L. Fotue Kengne, op. cit.

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77

Chroniques

II.B. Régulation comparée


Chroniques

II. Régulation bancaire

– le liquidateur est tenu de rendre compte de sa mission et du déroulement de la liquidation bancaire à la COBAC selon une périodicité définie dans la décision le nommant ; – le liquidateur est tenu de verser immédiatement les deniers provenant des opérations de liquidation dans un compte spécialement ouvert pour la liquidation des biens auprès d’un établissement de crédit ou à la BEAC (il doit justifier à la COBAC le versement de ces deniers et est redevable, en cas de retard, des intérêts des sommes non versées) ; – le liquidateur peut, à tout instant, être entendu par la COBAC sur les résultats et les perspectives de la liquidation bancaire. Il convient de signaler que le règlement CEMAC distingue le patrimoine des banques en liquidation en deux compartiments : le compartiment bancaire et le compartiment non bancaire (cfr art. 95). Si le règlement indique qu’un texte de la commission bancaire précisera le contenu de chaque compartiment, il est déjà possible de dire que le compartiment bancaire est constitué des éléments d’actifs et de passifs engendrés par l’activité bancaire, y compris ceux relatifs aux activités connexes de la banque. Pour que cette distinction ait un intérêt pratique, le règlement consacre une dérogation au principe de l’unicité du patrimoine. En effet, aux termes de l’article 97, les actifs d’un compartiment déterminé ne répondent que des dettes, engagements et obligations et ne bénéficient que des créances qui concernent ce compartiment. Par ailleurs, chaque compartiment donne lieu à une gestion séparée qui fait l’objet, au sein de la comptabilité de l’établissement, d’une comptabilité distincte et les opérations réalisées pour le compte d’un compartiment sont imputées dans un compte bancaire propre, spécialement ouvert à cette fin à la BEAC ou le cas échéant dans un établissement de crédit.

Les actifs d’un

compartiment déterminé ne répondent que des dettes, engagements et obligations et ne bénéficient que des créances qui concernent

ce compartiment. 78

Cette distinction mérite néanmoins d’être relativisée dans la mesure où non seulement les deux compartiments sont gérés par une seule personne (le liquidateur bancaire) (19), mais aussi, si la liquidation des actifs du compartiment non bancaire permet de payer toutes les créances admises dans ledit compartiment à l’exception des emprunts et dettes subordonnées et des dettes à l’égard des actionnaires, le liquidateur bancaire doit transférer sans délai, le surplus d’actifs dans le compartiment bancaire. En ce qui concerne l’apurement du passif, la problématique est toujours celle de la protection des déposants. Le souci de protéger le système bancaire, voire la paix sociale, amène à faire une place à part à ces derniers (20). Certains d’entre eux sont pris en charge par le FOGADAC (21). La part non prise en charge par le FOGADAC est indemnisée par le liquidateur en suivant l’ordre indiqué par l’article 138 (22). Selon ce texte, les deniers provenant de la réalisation des actifs du compartiment bancaire, majorés le cas échéant des deniers provenant du surplus d’actifs du compartiment non bancaire mentionnés à l’article 98 (23), sont distribués dans l’ordre qui suit : – aux créanciers des frais de justice engagés pour la réalisation de l’actif du patrimoine bancaire ou le recouvrement de la créance bancaire ; – aux créanciers de salaires super-­privilégiés ; – au FOGADAC, aux déposants ; – aux créanciers non déposants ; – aux créanciers porteurs de prêts ou de créances subordonnés ; – aux actionnaires. 19. Aux termes de l’article 114, la liquidation des biens d’un établissement de crédit est placée sous la responsabilité exclusive du liquidateur bancaire qui procède à la liquidation des deux compartiments ainsi qu’aux licenciements. Mais la liquidation des compartiments n’est pas sous le contrôle de la même autorité : celle du compartiment bancaire est placée sous l’autorité de la COBAC alors que celle du compartiment non bancaire est placée sous le contrôle du juge-­commissaire. 20. Sur la problématique de l’institutionnalisation d’un fonds de garantie des dépôts, voy. notre thèse citée ci-­ dessus et les références qui y sont contenues (spéc. les pages 300 et s.). 21. Fonds de garantie des dépôts en Afrique centrale. Pour une analyse du rôle que joue ce fonds en matière de prévention de l’insolvabilité des banques, voy. H. D. Modi Koko Bebey, « La prévention de l’insolvabilité des banques par le FOGADAC au regard du droit des procédures collectives d’apurement du passif », R.I.S.F., 2014/4, pp. 89 à 96. 22. Il convient de signaler que, comme pour la plupart des fonds de garantie, le FOGADAC ne couvre pas tous les dépôts. Pour les dépôts qu’il couvre, le fonds indemnise, en principe, à hauteur de 5.000.000 FCFA (soit, un peu plus de 7.622 EUR). 23. Dans le silence du règlement, on peut penser que la distribution des fonds provenant du compartiment non bancaire obéit au droit commun.

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Il apparaît donc que les déposants occupent une place de choix dans l’ordre de désintéressement des créanciers de la banque en liquidation.

B. La clôture de la liquidation Aux termes de l’article 140, la clôture de la liquidation peut intervenir à tout moment dans les hypothèses suivantes : – s’il n’existe plus de passif du compartiment bancaire exigible ; – si la poursuite des opérations de liquidation bancaire est rendue impossible en raison de l’insuffisance de l’actif du compartiment bancaire (dans cette hypothèse, la liquidation pourra être reprise par décision spéciale motivée de la juridiction compétente s’il apparaît que des actifs bancaires avaient été dissimulés ou si des cas de fraude sont établis) ; – si la continuation des opérations ne peut être poursuivie en raison, notamment, de la gravité de la situation. Mais préalablement à la clôture, le liquidateur bancaire doit dresser un bilan de la liquidation bancaire annexé à son rapport définitif transmis à la COBAC, avec copie au juge commissaire. Si les comptes sont approuvés, cela vaut décharge du liquidateur pour le compartiment bancaire. À la suite du rapport définitif, la COBAC, ou en cas d’urgence son président, décide la clôture des opérations de la liquidation bancaire. Le liquidateur bancaire procède alors au dépôt de la décision auprès de la juridiction compétente. Mais la liquidation judiciaire du compartiment non bancaire peut se poursuivre le cas échéant. Il existe deux points sur lesquels le règlement est silencieux. Ce qui signifie que le droit commun est applicable à ces points. Il s’agit de la question du rétablissement du droit de poursuite individuelle et du sort des dirigeants. Par rapport au premier point, aux termes de l’article 170, alinéa 3, de l’Acte uniforme OHADA portant organisation des procédures collectives et apurement du passif, à la fin des opérations de liquidation des biens, l’union est dissoute de plein droit et « les créanciers recouvrent l’exercice individuel de leurs actions ». Cette solution est réitérée par l’article 174, alinéa 1er qui dispose que « la décision de clôture pour insuffisance d’actif fait recouvrer à chaque créancier l’exercice individuel de ses actions ». Bien que l’hypothèse d’un retour à meilleure fortune ne soit pas totalement à exclure, il est néanmoins possible de s’interroger sur l’utilité de ce rétablissement. La question présente un très grand intérêt pratique puisque l’achèvement de la procédure pour insuffisance d’actif est l’hypothèse la plus fréquente. Même si dans le règlement c’est le liquidateur qui fait la déclaration de cessation des paiements et que sa nomination est 2015/2

la conséquence du retrait d’agrément, il est possible que ce soit le débiteur lui-­même qui ait pris l’initiative de saisir les autorités compétentes pour le retrait d’agrément. Dans cette hypothèse au moins, ne serait­il pas indiqué d’instaurer, à l’instar du droit américain, une sorte de « discharge » du débiteur ? La solution pourrait inciter les débiteurs à ne plus user d’artifices pour retarder le moment de l’ouverture de la procédure collective.

Si le nouveau règlement

peut constituer une avancée dans la mesure où il va apporter des clarifications dans le domaine des procédures collectives bancaires, il reste encore des zones

d’ombre (…)

En ce qui concerne le sort des dirigeants, depuis toujours, les procédures collectives ont eu un effet sur ces derniers. Ce qui se justifie par le fait qu’ils constituent le pilier de l’activité de l’entreprise in bonis (24). S’ils sont, de ce fait, amenés à prendre des risques, il est souhaitable que ces derniers soient raisonnables, sinon ils commettraient des fautes. C’est pourquoi le droit consacre une place à leur sanction (25). Traditionnellement, leur sort était lié à celui de l’entreprise et la sanction visait à moraliser l’activité économique (26). Aujourd’hui, le droit commun l’a détaché de celui de l’entreprise. Si à cette dernière, il applique un traitement essentiellement économique et aux premiers un traitement disciplinaire ou même pénal, il convient de dire qu’il a essayé d’humaniser les procédures collectives ; ce qui s’est traduit par un assouplissement des sanctions 24. Cfr C. Mascala, « Les sanctions applicables aux dirigeants », in coll. du CDA et de l’association de DEA de droit des affaires de l’Université des sciences sociales de Toulouse, op. cit., p. 50. 25. Cfr C. Mascala, « La responsabilité pénale du chef d’entreprise », L.P.A., n° 87, 1996, p. 16. 26. D’où la sévérité qui la caractérisait.

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Chroniques

II.B. Régulation comparée


Chroniques

II. Régulation bancaire

qui a permis de mettre désormais l’accent sur les sanctions réparatrices. Seul le débiteur malhonnête devant être frappé par les rigueurs de la loi. À notre avis, la volonté d’assouplissement, sans être absente du domaine bancaire, ne devrait pas être de même ampleur. En effet, l’importance de la confiance et l’agrément des dirigeants devraient militer pour un peu plus de rigueur à leur égard, aussi bien en ce qui concerne les sanctions réparatrices qu’en ce qui concerne les sanctions vindicatives. Cette rigueur se traduirait notamment par l’aggravation du régime de l’action en comblement du passif et l’application réelle des sanctions existantes (27). À ce sujet, le règlement se contente de reprendre le droit commun en énonçant que si d’anciens dirigeants sociaux, de droit ou de fait, l’administrateur provisoire ou le

Au total, si le nouveau règlement peut constituer une avancée dans la mesure où il va apporter des clarifications dans le domaine des procédures collectives bancaires, il reste encore des zones d’ombre et, surtout, il soulèvera aussi des problèmes d’interprétation de certaines de ses dispositions. En attendant éventuellement que le régulateur revoie sa copie, si des banques venaient à connaître de sérieuses difficultés entre temps, les juges devront jouer leur partition.

27. Sur la question, voy. notre thèse citée ci-­dessus, pp. 313 et s.

28. Cfr article 130.

80

liquidateur bancaire précédents ont, par des fautes d’administration ou de gestion, contribué à accroître l’insuffisance d’actif, le liquidateur peut introduire une requête auprès du tribunal compétent aux fins qu’il décide que les dettes de l’établissement en liquidation des biens soient supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par eux (28).

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III. Régulation assurantielle Chronique sous la direction de Pauline Pailler

Professeur à l’Université de Reims

Avec la collaboration de

Miguel Montiel

Avocat auprès de la Cour suprême de Panama Doctorant/Chargé d’enseignement à l’Université Paris II

Daniel Rojas Tamayo

Avocat au barreau de Colombie Doctorant au CRDI, Université Panthéon-Assas (Paris II) et au Département de droit civil, Université Externado de Colombie

&

Rafael Ibarra Garza

Professeur à l’Universidad Autónoma de Nuevo León (Facultad de Ciencias Políticas y Administración Pública) Membre du cabinet Leal-­Isla & Horváth, S.C.

Adrien Tehrani

Maître de conférences à la Faculté de droit et de science politique de Montpellier Centre du droit de l’entreprise

En ce début d’année 2015, l’EIOPA a adopté plusieurs textes relatifs à l’encadrement de la distribution des produits d’assurance, qu’il s’agisse de la distribution par internet, auquel elle consacre une Opinion du 28 janvier 2015, ou encore de la lutte contre les conflits d’intérêts, qui donne lieu à un avis technique du 30 janvier 2015. En matière de régulation comparée, l’Amérique du Sud et l’Amérique Centrale sont à l’honneur et, plus spécifiquement, le Panama, la Colombie et le Mexique. Chacun de ces pays donne lieu à une chronique annuelle, qui met en évidence des enjeux classiques, notamment, de protection du consommateur financier et de lutte contre le blanchiment dans le secteur de l’assurance. En matière internationale, l’Association internationale des contrôleurs d’assurance a rendu public son Rapport annuel «  2013‑2014  », qui propose un bilan des politiques menées, mais signale également les travaux à venir.

During the first quarter of 2015, the EIOPA issued two documents concerning the regulation framework of sales of insurance and pension products. The first one is an Opinion dated January 28th, 2015, which deals with sales via the Internet; the second one is a Technical Advice dated January 30th, 2015 on Conflicts on Interest in direct and intermediated sales of insurance-­based investment products. From a comparative law standpoint, this issue will focus this quarter on Central and South America, and more specially on the recent updates regarding insurance regulations in Panama, Colombia and Mexico, which deal with standard and recurring issues, such as the protection of financial consumers and the fight against money laundering in the insurance sector. Finally, the International Association of Insurance Supervisors issued its 2013‑2014 Annual Report, which proposes an assessment of the policies currently conducted together with the contemplated actions for the coming years.

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Chroniques

III. Régulation assurantielle

III.A. Régulation européenne La distribution par internet dans le viseur de l’EIOPA EIOPA, Opinion on sales via the internet of insurance and pension products, EIOPA-­BoS-­14/198, 28 janvier 2015

Pauline Pailler

Professeur à l’Université de Reims

Le cadre juridique de la

commercialisation des produits d’assurance et

Le cadre juridique de la commercialisation des produits d’assurance et de retraite sur internet est défini de plus en plus strictement. Plusieurs textes réglementent cette question. La directive du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation à distance des services financiers est à cet égard un fondement essentiel (1), complété par la directive sur l’intermédiation en assurance (2), dont la refonte devrait témoigner du renforcement de l’encadrement de la distribution sur internet. Plus récemment, le règlement PRIIPs du 26 novembre 2014, qui impose un document-­clé uniforme pour les produits distribués contribue à instaurer davantage de transparence (3). 1. Directive 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil sur la commercialisation à distance des services financiers du 23 septembre 2002 : JCP E, 2003, 1072, spéc. n° 4, note G. Parléani ; « La directive sur la commercialisation à distance des services financiers : vers un droit européen des contrats spéciaux », C.C.E., 2003, comm. 15, note L. Grynbaum ; Dr. sociétés, 2003, comm. 18, note T. Bonneau. Sur les textes de transposition de la directive en droit français, voy., notamment, F. Coupez, T. Verbiest, « Commercialisation à distance des services financiers : bilan d’un nouveau cadre juridique », D., 2006, p. 3057 ; T. Granier, « La commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs : une rencontre entre droit de la consommation et droit financier », Bull. Joly Bourse, 2006, p. 7 ; L. Grynbaum, « Transposition de la directive du 23 septembre 2002 relative à la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs », C.C.E., 2005, comm. 138 ; P. Deumier, « Application dans l’espace du droit communautaire de la consommation », Rev. des contrats, 2005, p. 1192. Voy., pour une réécriture partielle des textes : J. Bigot, « La loi Hamon et le contrat d’assurance », JCP G, 2014, doct. 634, spéc. nos 17 et s. 2. Directive 2002/92/CE sur l’intermédiation en assurance, art. 12(3). 3. Règlement (UE) n° 1286/2014 du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 sur les documents 82

de retraite sur internet est défini de plus en plus

strictement.

Après avoir établi, en janvier 2014, un Rapport sur les bonnes pratiques sur les sites de comparaison en ligne (4), l’EIOPA fait plusieurs recommandations aux autorités nationales de régulation pour l’encadrement de la vente en ligne. Dans une nouvelle Opinion concernant la distribution des produits d’assurance et de retraite sur internet, rendue publique en janvier 2015, elle souligne la nécessité de prévenir les risques liés à un tel mode de distribution pour le consommateur, en renforçant une fois encore son information. Elle rappelle que les distributeurs sur internet doivent se conformer à la réglementation en vigueur (5). Les autorités nationales doivent ainsi mettre en œuvre des moyens nécessaires et proportionnés pour assurer que les distributeurs tenus d’une obligation de conseil la respectent et que les consommateurs bénéficient d’une information adaptée sur le processus de vente, en vue d’éviter des contrats non sollicités ou conclus par erreur (6). L’EIOPA recommande également aux autorités nationales, quand c’est nécessaire, d’être plus réactives dans la collecte d’informations concernant les activités de distribution par internet et d’encadrer davantage les nouveaux modes de distribution en ligne sur le plan national. d’informations clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance. 4. EIOPA, Report on Good Practices on Comparison Websites, EIOPA-­CCPFI-­13/100 2014, 30 janvier 2014 : https://eiopa.europa.eu/Publications/Reports/Report_ on_Good_Practices_on_Comparison_Websites.pdf. 5. § 5.1. 6. § 5.2.

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La multitude d’informations délivrées au consommateur sur internet comme la rapidité des transactions sont en effet autant de risques pour le consommateur,

même si son développement est aussi une condition au commerce transfrontière et, par conséquent, à l’intégration du marché intérieur.

Distribution de produits d’investissement assurantiels : haro sur les conflits d’intérêts ! EIOPA, Technical Advice on Conflicts of Interest in direct and intermediated sales of insurance-­based investment products, EIOPA-­15/135, 30 janvier 2015

Pauline Pailler

Professeur à l’Université de Reims

L’EIOPA a reçu mandat de la Commission pour l’assister dans l’élaboration d’actes délégués en matière d’intermédiation en assurance, dans le cadre, avant que sa révision n’ait été adoptée, de la directive Intermédiation en assurance du 9 décembre 2002 (1), telle que modifiée par la directive Marchés d’instruments financiers 2 (2). L’EIOPA publie en ce sens, le 30 janvier 2015, dans la foulée de son document de consultation publié le 1er octobre 2014 (3), un avis technique sur les conflits d’intérêts en matière de vente de produits d’investissement assurantiels, qu’elle soit réalisée de manière directe par les entreprises d’assurance ou qu’elle soit réalisée par le recours à des intermédiaires. Le traitement des conflits d’intérêts est un enjeu grandissant en droit des services financiers et n’est à cet égard pas propre au droit des produits d’investissement assurantiels : l’EIOPA s’est donc inspirée, dans son avis technique, du cadre existant sur les marchés financiers et, en particulier, de la directive du 10 août 2006,

portant mesures d’application de la directive MIF 1 (4). L’autorité européenne souligne à cette occasion que la spécificité du secteur assurantiel ne justifie pas, pour la majeure partie des règles élaborées en matière de conflits d’intérêts, un traitement différencié. C’est donc à la marge que les dispositions adoptées dans le secteur des marchés financiers se trouvent aménagées et précisées.

Le traitement des conflits

d’intérêts est un enjeu grandissant en droit des services financiers et n’est à cet égard pas propre au droit des produits d’investissement

assurantiels. 1. Directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurance. 2. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers, art. 91 : G. Vela-­Rodriguez, « Article 91 de la directive MIF 2 ou le nouvel encadrement des produits d’investissement fondés sur l’assurance par la MIF 2 (faut-­il désormais évoquer la directive “IMD 1.5” ? », R.I.S.F., 1/2015, p. 92. Voy. Chapitre IIIbis nouveau sur les « Exigences supplémentaires de protection des consommateurs en ce qui concerne les produits d’investissement fondés sur l’assurance », articles 13bis et suivants. 3. EIOPA-­CP-­14/041, 1er octobre 2014 : https://eiopa. europa.eu/Publications/Consultations/EIOPA-­ CP-­14‑041_Consultation_Paper_on_IMD.pdf. 2015/2

Le raisonnement de l’EIOPA suit trois étapes principales : d’abord, la définition de critères appropriés pour l’identification des conflits d’intérêts ; ensuite, la politique à mettre en œuvre pour lutter contre ces conflits ; enfin, l’encadrement de la rémunération et des « inducements ». 4.

Directive 2006/73/CE de la Commission du 10 août 2006 portant mesures d’application de la directive 2004/39/ CE en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d’exercice applicables aux entreprises d’investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive.

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Chroniques

III.A. Régulation européenne


Chroniques

III. Régulation assurantielle

I. Identification des conflits d’intérêts La pertinence de la transposition des règles prévues dans le secteur des produits financiers au secteur des produits d’investissement assurantiels n’est pas discutée. Toutefois, l’EIOPA s’interroge sur l’étendue de la transposition : les situations visées sont-­elles identiques ou admettent-­elles certains aménagements ? L’article 21 de la directive du 10 août 2006 identifie plusieurs situations susceptibles de caractériser un risque de conflit d’intérêts : a) l’entreprise ou la personne est susceptible de réaliser un gain financier ou d’éviter une perte financière aux dépens du client ; b) l’entreprise ou cette personne a un intérêt dans le résultat du service fourni au client ou d’une transaction réalisée pour le compte de celui-­ci qui est différent de l’intérêt du client dans ce résultat ; c) l’entreprise ou cette personne est incitée, pour des raisons financières ou autres, à privilégier les intérêts d’un autre client ou groupe de clients par rapport à ceux du client concerné ; d) l’entreprise ou cette personne a la même activité professionnelle que le client ; e) l’entreprise ou cette personne reçoit ou recevra d’une personne autre que le client un avantage en relation avec le service fourni au client sous la forme d’argent, de biens ou de services, autre que la commission ou les frais normalement facturés pour ce service. La définition large et abstraite proposée par les textes d’application de la directive MIF 1 permet, pour l’EIOPA, une transposition aux autres secteurs des services financiers et, en particulier, au secteur de l’assurance (5). Toutefois, il conviendrait selon l’autorité européenne de clarifier le texte afin de souligner que la liste proposée n’est pas exhaustive et qu’elle peut être étendue à d’autres hypothèses de conflits d’intérêts. Elle impose ainsi une obligation d’évaluation d’un éventuel risque de conflit d’intérêts à la charge de l’intermédiaire ou de l’entreprise d’assurance. Elle précise qu’un tel conflit peut être présumé dans certains cas, y compris ceux figurant dans une liste prédéfinie, reprenant alors la liste élaborée par la Commission dans la directive de 2006, sous réserve du b) qu’elle juge redondant avec le a) (6).

II. Politique en matière de conflits d’intérêts Là encore, l’EIOPA prend appui sur les mesures élaborées par la Commission dans le secteur des marchés d’instruments financiers. L’article 22 de la directive du 10 août 2006 prévoit la mise en place d’un système d’identification des conflits d’intérêts et de lutte contre 5. 6. 84

Point 3.2.2, p. 7. Point 3.3, p. 9.

ceux-­ci (mesures organisationnelles et procédures). Tout en soulignant la pertinence des hypothèses identifiées dans la directive de 2006, l’EIOPA propose ici aussi que le texte fasse état d’une liste non exhaustive de mesures et de procédures adaptées. L’autorité européenne propose également la mise en place de Recommandations pour répondre de manière flexible à de nouvelles hypothèses de conflits (7).

Pour finir, le principe de

proportionnalité n’est pas oublié par l’EIOPA, qui en réaffirme clairement la

nécessité.

III. Encadrement de la rémunération et des « inducements » Il ne s’agit pour l’EIOPA, en matière d’encadrement des rémunérations et des rétrocessions de commissions, que de proposer des recommandations provisionnelles, l’issue des négociations entre le Parlement européen et le Conseil n’étant pas encore clairement identifiée dans le cadre de la révision de la directive Intermédiation en assurance. La question essentielle concerne l’interdiction des rétrocessions de commission, autrement désignées en anglais sous le terme d’« inducements ». Cette interdiction, envisagée pendant les discussions mises en œuvre lors de l’adoption de MIF 2, est fermement écartée par l’EIOPA. Dans ce contexte général incertain, l’EIOPA se contente toutefois de trois remarques générales. Elle identifie trois types de mesures, également identifiées par l’ESMA dans son avis technique rendu dans le cadre de MIF 2 pour la distribution d’instruments financiers (8) : d’abord, des mesures permettant à l’entreprise ou à l’intermédiaire de s’assurer que les rétrocessions profitent au client et ne lui nuisent pas ; ensuite, des mesures assurant que ces rétrocessions ne portent pas 7. 8.

Point 4.3, p. 12. Technical Advice to the Commission on MIFIDII and MIFIR, ESMA 2014/1569, 19 décembre 2014 : http:// www.esma.europa.eu/system/files/2014‑1569_final_ report_-­_ esmas_technical_advice_to_the_commission_on_mifid_ii_and_mifir.pdf. Voy., sur cette question, dans ce numéro, G. Kolifrath, « Les rétrocessions de commission : une révolution des systèmes de rémunération ? ».

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atteinte à l’obligation d’agir conformément au meilleur intérêt du client ; enfin, des mesures garantissant une bonne information du client (9). Pour finir, le principe de proportionnalité n’est pas oublié par l’EIOPA, qui en réaffirme clairement la nécessité (10). À la suite de la consultation publique d’octobre 2014, elle refuse toutefois d’en préciser les critères, craignant qu’une telle démarche ait pour effet de nuire à l’application du principe, dont le domaine

pourrait devenir flou. Il revient donc à chaque partie concernée de justifier qu’elle respecte bien les exigences nécessaires à une bonne prévention des conflits d’intérêts et, si elle ne se soumet pas aux règles prévues par les textes, de préciser quelles mesures alternatives elle a mises en place pour s’y substituer (11). L’EIOPA exclut enfin de mettre en place des mesures spécifiques pour la recherche en investissements, qui n’est pas propre au domaine de l’assurance (12).

9. Point 5.2.2, pp. 15‑16. 10. Point 6, p. 16.

11. Point 6, p. 17. 12. Point 7, p. 17.

III.B. Régulation comparée Chronique de droit panaméen Miguel Montiel

Avocat auprès de la Cour suprême de Panama Doctorant/Chargé d’enseignement à l’Université Paris II

Développement de la régulation et lutte contre le blanchiment de capitaux. Le travail de développement de la Loi n° 12 du 3 avril 2012 (la Loi), réformant les bases de la régulation et la supervision assurantielle panaméenne, s’est poursuivi pendant l’année 2014 soutenu d’ailleurs par un effort renouvelé dans la lutte contre le blanchiment de capitaux. Développement du cadre réglementaire de la Loi et mesures spécifiques de lutte contre le blanchiment de capitaux ont marqué la période comprise dans la présente chronique.

I. Développement du cadre réglementaire de la Loi La période 2014‑2015 se distingue par l’adoption de deux textes réglementaires d’une grande importance. Ils concernent les mécanismes de contrôles internes des entreprises d’une part, et les exigences techniques pour la présentation des rapports fournis par les entités supervisées d’autre part. Au-­delà, il conviendra également de rapporter un arrêt de la Cour suprême de mai 2014 ayant vocation à influencer le régime du contrat d’assurance prévu par la Loi. L’accord de janvier 2015 sur les contrôles internes. L’article 205 de la Loi prévoit l’obligation pour les 2015/2

entreprises surveillées de mettre en place des procédures dites de contrôle interne, avec des règles claires sur la répartition de responsabilités et la distribution de fonctions afférant aux processus internes de surveillance, y compris vis-­à-­vis des audits internes et externes envisagés par la Loi. Sur le fondement de cette disposition, ainsi que de l’article 20, 19° de ladite loi, le Conseil d’administration de la Superintendencia (entité régulatrice et de surveillance) a adopté l’Accord n° 1 du 7 janvier 2015 établissant le cadre technique que doivent respecter les entreprises en assurances lors de la confection des procédures de contrôle interne. Les dispositions de cet accord détaillent pour l’essentiel celles de l’article 205 de la Loi. En particulier, sont rappelés les objectifs poursuivis. Parmi ceux-­ci : la prévention de fraudes et la mise en place de processus aptes à prendre en charge les normes prudentielles et de gestion de risques de la Loi. Pour bien signaler toute l’importance qu’il lui confère, l’Accord met la responsabilité du système de contrôle interne sur le chef des instances supérieures des entreprises, à savoir le Conseil d’administration et la Présidence supérieure (art. 6). Plus techniquement, l’Accord établit les exigences minimales à respecter par ces procédures de contrôle, parmi lesquelles il faut remarquer l’organisation d’audits externes ciblant le système de contrôle interne de l’entreprise (art. 7). La mise en adéquation des structures internes des entreprises se trouvera quelque peu bousculée par ce nouveau cadre et engendrera sans doute de coûts supplémentaires d’opération. Pour s’en persuader, il suffit d’attirer l’attention sur l’article 10 de l’Accord. Cet article impose l’obligation de maintenir un département d’audit interne au sein de l’entreprise avec des fonctions nombreuses et précises. La Résolution de novembre 2014 sur la présentation de rapports. Dans sa mission de développement des dispositions de la Loi, plus particulièrement sur le fon-

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Chroniques

III.B. Régulation comparée


Chroniques

III. Régulation assurantielle

dement des articles 222 et 229, le Conseil d’administration de la Superintendencia a adopté la Résolution n° JD-­037 du 27 novembre 2014 concernant la présentation des rapports d’activité et de situation financière de l’entreprise en assurances. Lesdits articles lui permettent d’exiger la présentation de toute information statistique qu’elle estime opportune. Les objectifs rappelés sont à cet égard ceux prévus par la Loi, et consistent principalement dans le respect d’une présentation fidèle qui rende compte de la solvabilité de l’entreprise et de la situation particulière de chaque branche assurantielle de son activité. À ce propos, l’on se souviendra que parmi les objectifs les plus médiatiques de la Loi était celui de se mettre en conformité avec les normes de comptabilité de l’IASB. La résolution en question rappelle ainsi une panoplie de devoirs à la charge de l’entreprise en matière de présentation d’informations et de rapports sur son organisation, opération, comptabilité, investissement ou patrimoine, sollicitées pour les besoins de la régulation, supervision, contrôle, inspection, surveillance et statistique. Sur le fond, les principales informations exigées à l’entreprise par la Superintendencia sont de cinq types : sur sa situation financière; sur ses analyses statistiques ; sur sa couverture de réserves ; sur la constitution du capital minimum requis ; et sur son activité de réassurance et contre-­garantie. L’on peut pourtant hésiter sur l’assise juridique employée par la Superintendencia pour asseoir cette vision large des devoirs à la charge des entreprises. En effet, l’on ne retrouve point tous ces devoirs dans les textes législatifs susmentionnés. L’article 229 ne fait référence qu’à des présentations qui reflètent la solvabilité de l’assureur et les résultats de son activité dans chaque branche, et les autres informations de type statistique que requière la Superintendencia. Il est aussi important de noter la mise en place d’une plateforme informatisée de présentation unique (art. 3) : le Système de rapport unique d’assurance. La présentation par les entreprises en assurances peut désormais se faire par le biais d’un transfert de documents à trois échéances : annuellement pour la présentation du rapport de sa situation financière ; trimestriellement pour ce qui a trait aux résultats techniques obtenus par chaque branche d’activité ; et mensuellement pour les polices souscrites, primes payées et certaines autres rubriques de l’entreprise. À l’intérieur de ce système, la Superintendencia s’arroge le droit d’exiger les informations supplémentaires qu’elle considère opportunes. L’arrêt de la Chambre civile du 28 mai 2014. La solution de l’arrêt risque de perturber l’application de la réglementation que le législateur panaméen a souhaité introduire pour le contrat d’assurance. Si la solution se fonde sur l’ancien régime (Loi n° 59 de 1996), l’interprétation que retient la Cour nous paraît tout à fait extrapolable aux situations sous le régime actuel de la Loi. L’affaire concerne la résolution d’un contrat d’assurance vie dont la prime n’avait pas été réglée au moment du sinistre. Le bénéficiaire de la police s’est 86

vu refuser le paiement prévu par l’assureur qui excipait d’une clause du contrat prévoyant que celui-­ci restait en vigueur jusqu’au dernier jour de la période couverte par la prime payée. Or, le sinistre se trouvait précisément à l’extérieur de ladite période. Les juges du fond ayant donné gain de cause à l’assureur sur ce fondement, le bénéficiaire se pourvoit en cassation invoquant dans son moyen la violation de l’article 41 de l’ancienne Loi de 1996, en vigueur à l’époque des faits. Cette disposition indiquait que le contrat d’assurance restait en vigueur tant que la mise en demeure à l’adresse de l’assuré n’avait pas eu lieu dans les 10 jours précédents la résolution du contrat. Le cas échéant, poursuivait la disposition, la solution prévue à l’article 998 du Code de commerce (13), droit commun des contrats d’assurance, s’appliquait. Ce dernier article prévoyant à son tour, aussi, la mise en demeure de l’assuré, qui se voit par ailleurs accorder un délai de 15 jours pour payer. La Cour suprême rejette le pourvoi en se fondant essentiellement sur la nature disponible de l’ancien article 41. Pour la Cour, la disposition légale (art. 41) dispose clairement que les termes et conditions spéciaux du contrat d’assurance sont régis par les clauses de la police. La Cour cite par ailleurs un arrêt du 1er avril 1998 où elle avait décidé que l’article 998 du Code de commerce était également de nature disponible. Bref, pour la Cour suprême le contrat avait dérogé à ce droit à une notification préalable.

Il est à craindre,

en réalité, que ce ne soit tout le régime du contrat d’assurance qui soit vu comme disponible par la Cour.

Il suffit de relire les formules des articles considérés comme disponibles pour s’apercevoir que la même interprétation pourrait être retenue au sujet des articles de la Loi relatifs aux effets du non-­paiement de la prime. La crainte paraît d’autant plus justifiée que l’un des objectifs majeurs de la nouvelle loi est justement la lutte contre les impayés de primes. Dans le système pour le moins compliqué mis en place dans la Loi, l’on pouvait espérer que les solutions pro assureur se voient contrebalancées par la sacralisation d’un 13. Art. 998 : … Si l’assureur ne fait pas la notification requise, en cas de sinistre, l’assuré recevra la quantité convenue dans le contrat d’assurance

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régime représentant le cadre minimum de protection auquel pouvaient s’attendre les assurés. Si l’on se fie à l’esprit de l’arrêt de 2014 précité, cela paraît désormais très douteux, au moins pour le mécanisme de mise en demeure précédant la résolution du contrat suite à une suspension. Au-­delà du sujet précis de la mise en demeure, à défaut d’indication expresse contraire dans la Loi, il est à craindre, en réalité, que ce ne soit tout le régime du contrat d’assurance qui soit vu comme disponible par la Cour.

II. Développement de la réglementation contre le blanchiment de capitaux illicites Les efforts des autorités panaméennes en la matière ont été principalement guidés par le but de sortir de la liste grise du GAFI. Concrètement, deux instruments particuliers, applicables aux secteurs surveillés, y compris donc aux entreprises en assurances, ont été mis en place. La Résolution du 25 janvier 2015 de l’Unité d’analyse financière (UAF). L’on retrouve dans cet élan réglementaire la Résolution n° AL-­ 01‑2015 du 25 janvier 2015 sur l’usage obligatoire de trois outils particuliers créés par l’UAF (unité spécialisée dans la lutte contre le blanchiment de capitaux), à savoir : le Manuel de signaux d’alerte à l’intention des organismes de supervision, le Guide de qualité de rapports d’opérations suspectes et le Formulaire de rapport d’opérations suspectes. Ces instruments seront sans doute à lire en parallèle avec le Catalogue d’opérations suspectes que l’UAF a confectionné et mis à la disposition des entités de supervision. En guise d’illustration, l’on retrouve parmi les opérations qui devraient attirer l’attention des entreprises : les primes payées par anticipation ; celles payées en espèce ou en chèque au porteur ; le fait que l’assuré souscrive des produits sans s’intéresser à leur rendement financier ; le fait que l’assuré contracte plusieurs polices sans raison particulière, etc. Pour déterminer les personnes pour qui l’utilisation de ces trois instruments devient obligatoire, il convient de se référer aux fondements juridiques de la résolution même : le décret n° 947 du 5 décembre 2014 qui réorganise l’UAF, et la Loi n° 42 du 2 octobre 2000 (art. 1 et 2) qui établit des mesures pour la prévention du blanchiment de capitaux. C’est surtout cette dernière loi qui établit le cercle des sujets obligés. Au terme d’une lecture de cette loi, il apparaît cependant que la base juridique des obligations ainsi mises à la charge des entreprises soit d’une portée relative. Si bien que l’on peut se poser la question de savoir si la résolution de l’UAF ne dépasse pas la charge prévue par cette loi. C’est en particulier l’article 7 de la 2015/2

Loi de 2000 qui pose l’obligation pour les entreprises en assurances de présenter à l’UAF des déclarations à propos de leurs opérations, mais seulement en ce qui concerne celles réglées en espèce ou quasi-­espèce au-­delà d’un certain montant. Ladite loi ne paraît pas mentionner les entreprises en assurances en tant que sujets d’une obligation générale de déclaration. À ce dernier égard, il nous semble que l’invocation éventuelle de la Loi de 2012 en matière d’assurances ne résolve pas le problème. En effet, s’il est vrai que dans plusieurs de ses dispositions cette loi indique l’objectif de lutte contre le blanchiment de capitaux, il n’en reste pas moins qu’elle opère plutôt un renvoi vers les lois particulières en la matière, notamment vers la Loi de 2000 précitée. C’est notamment le cas de l’article 40, 12°, de la Loi, qui impose la présentation d’un manuel de procédures sur des mesures de prévention, contrôle et fiscalisation contre le blanchiment de capitaux tel qu’il est conçu selon une résolution précédente de la Superintendencia se fondant sur la Loi de 2000.

Fruit d’une consultation

publique pilotée par le gouvernement panaméen, en consultation avec le GAFI, le Projet de Loi reprend dans une très large mesure les recommandations de ce

dernier organisme.

Il nous semble donc que les assises juridiques du développement réglementaire, en cette matière de première importance, restent tout de même fragiles. Le développement réglementaire récent que nous décrivons ici pourrait alors prêter le flanc aux critiques, notamment par rapport à sa conformité aux charges précises posées par les textes législatifs de base. De ce point de vue, l’on ne peut donc que se réjouir de l’adoption de la Loi n° 23 du 27 avril 2015 sur la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération d’armes de destruction massive.

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III.B. Régulation comparée


Chroniques

III. Régulation assurantielle

La Loi n° 23 de 2015. Fruit d’une consultation publique pilotée par le gouvernement panaméen, en consultation avec le GAFI, la Loi n° 23 du 27 avril 2015 (la Loi n° 23) reprend des recommandations de ce dernier organisme(2). Il s’agit du principal outil développé par le gouvernement panaméen dans la lutte contre le blanchiment de capitaux. La Loi n° 23 améliore les mécanismes de lutte contre le blanchiment de capitaux allant au-­delà de ce que son prédécesseur, la Loi de 2000, prévoyait. En particulier, le champ de surveillance est augmenté à une vingtaine d’activités supplémentaires. Pour ce qui a trait aux assurances et réassurances, l’on se réjouit que la Loi n° 23 prévoie une base solide de leur inclusion. Elle prévoit à cet égard une compréhension très large dans son article 23, 3°, en faisant référence à tous les sujets supervisés par la Superintendencia. Autrement dit, les entreprises en 2.

Publiée au J.O. n° 27768-B. En vigueur depuis le 28 avril 2015.

assurances et réassurances, les courtiers en assurance, ainsi que tous les autres sujets de commercialisation prévus dans la Loi. Il faudra alors compter parmi ces sujets avec des entreprises peut-être moins bien équipées pour suivre les lourdes obligations de surveillance et déclaration qui y sont imposées. Ce sera par exemple le cas des partenaires des compagnies d’assurances qui servent de canaux alternatifs pour les microassurances. Il est alors à craindre que les obligations de la Loi n° 23 ne rendent peu intéressant le développement de ce marché. Ce résultat n’est pourtant pas inéluctable, mais il requerrait l’aménagement, en parallèle, d’un régime particulier au développement de ces canaux alternatifs par où l’on cherche à développer le marché des microassurances au Panama. Autrement, il faudra se résoudre à voir là le sacrifice d’un objectif économique local au profit d’un objectif plus large embrassé par la communauté internationale, à savoir la lutte contre le blanchiment de capitaux illicites.

Colombie – L’assurance-­crédit et la protection du consommateur financier : à propos du décret 673/2014

Daniel Rojas Tamayo

Avocat au barreau de Colombie Doctorant au CRDI, Université Panthéon-Assas (Paris II) et au Département de droit civil, Université Externado de Colombie Il est d’usage que les établissements de crédit demandent aux débiteurs des garanties pour s’assurer du remboursement de leurs dettes. Au-delà des garanties traditionnelles portant sur des biens (comme l’hypothèque), ces établissements proposent à leurs clients de souscrire un contrat d’assurance-­crédit. Cependant, cette pratique – d’ailleurs bien établie – peut s’avérer contraire aux intérêts des débiteurs-­ assurés. Le décret 673/2014, qui modifie le décret 2555 de 2010, illustre quelques-­unes des difficultés qui peuvent accompagner cette pratique. Malgré l’existence en droit colombien d’un cadre général, la Loi du consommateur (1), et d’un régime spécial en matière financière (2), le décret rapporté témoigne également 1. 2. 88

Il s’agit de la loi 1480 du 12 octobre 2011 qui se substitue à l’ordonnance 3466/1982 connue sous le nom de loi du consommateur. Une figure spéciale appelée le « consommateur financier » a été introduite par la loi 1328 du 15 juillet 2009.

du besoin de prendre des mesures spécifiques de protection du consommateur. Pour remédier aux effets indésirables de la pratique mentionnée et ainsi garantir une défense efficace des assurés (un rapport déséquilibré typique), les mesures doivent porter sur toutes les étapes des relations juridiques entre les professionnels et les consommateurs. C’est justement dans ce sens que la protection du consommateur financier a été renforcée en 2014.

Le but principal du

nouveau décret est d’améliorer la protection

du consommateur.

Le 2 avril 2014 le ministère des Finances et du Crédit public (Ministerio de hacienda y crédito público, ci-­ après MHCP) a édicté le décret 673 en vertu duquel est modifié le titre 2 du livre 36 de la partie 2 du décret 2555 de 2010. Le nouveau titre sur les « règles applicables aux institutions financières qui souscrivent des assurances pour le compte de leurs débiteurs » (l’intitulé reste lui inchangé) est composé de vingt articles, au

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lieu de deux dans l’ancienne version. Le gouvernement colombien a voulu mettre en place avec ce décret un dispositif qui vise à protéger le consommateur (assuré) dès la conclusion des contrats d’assurance-­crédit entre les établissements de crédit (souscripteur) et les compagnies d’assurance. Désormais on doit distinguer deux hypothèses selon que le contrat d’assurance collective est associé, ou non, à des crédits immobiliers (crédit hypothécaire ou crédit-­bail). Chacune fait l’objet d’un chapitre et de règles différentes. Cette distinction semble prendre spécialement en compte les risques que les institutions financières affrontent avec chaque type de crédit. Le but principal du nouveau décret est d’améliorer la protection du consommateur. Ainsi, les considérants visent expressément la loi qui a introduit la figure du consommateur financier (L. 1328/2009) et les dispositions de la loi du secteur financier (D. 663 du 2 avril 1993, ci-­après EOSF) concernant la protection des souscripteurs d’assurances. En effet, le décret cherche à éviter les situations où la conclusion d’une assurance-­crédit pourrait créer des frais inutiles pour les débiteurs (7e considérant) ou porter atteinte à leur liberté de contracter (8e considérant). Pour atteindre son objectif, le décret contraint donc les établissements de crédit à mettre en place des procédures pour conclure ce type de contrats (I). Les procédures ne protégeant qu’indirectement les consommateurs, le décret contient aussi des dispositions qui atteignent directement son objectif principal (II).

I. Protection indirecte : la réglementation de la procédure de conclusion du contrat d’assurance La distinction entre les assurances associées à des crédits immobiliers et les autres prend toute sa signification au sujet de la procédure que le décret entend imposer. Tandis que pour les premières les établissements de crédit doivent mettre en place un appel d’offres dont le décret organise le moindre détail (B), ils doivent seulement respecter quelques indications pour la conclusion des secondes (A).

A. Des critères de sélection de l’assureur pour les crédits non associés à des garanties immobilières Le souci qui inspire fortement l’ensemble de la nouvelle réglementation apparaît clairement dans le premier chapitre. En effet, lorsque les assurances ne sont pas 2015/2

associées à des crédits immobiliers, les établissements prêteurs doivent garantir la libre concurrence des assureurs (art. 2.36.2.1.1 (3)). Le nouveau texte va plus loin et renforce cette obligation – déjà consacrée dans le texte ancien – car il y ajoute « la protection et la promotion de la concurrence dans le marché d’assurances ». Puis il reprend avec quelques aménagements les « critères » « d’égalité d’accès », « d’égalité d’information » et « de choix objectif » de l’ancien texte qui doivent guider le choix de l’assureur. Il reproduit même l’erreur de compter parmi les critères les règles qui concernent le choix de l’assureur par le débiteur et la fréquence des procédures, sur lesquelles on reviendra. De même, le nouvel article 2.36.2.1.2 reprend pour l’essentiel l’ancien texte mais précise que les seuls intermédiaires pouvant être choisis sont les courtiers d’assurances. Le choix de ces derniers est soumis à la même procédure et aux mêmes critères que ceux prévus par l’article 2.36.2.1.1. Il semble cependant que la mise en œuvre de ces procédures ne soit guère soumise à contrôle car aucune disposition ne prévoit spécifiquement l’intervention de la Superintendance financière de la Colombie, ci-­après SFC (4). L’impérativité de la procédure semble même douteuse à la lecture du chapitre second.

B. De l’appel d’offres concernant les crédits immobiliers L’approche adoptée à l’égard des assurances associées aux crédits immobiliers est différente. Tout d’abord, le dispositif est tourné dès son intitulé vers la procédure conduisant au choix de l’assureur : « de l’appel d’offres d’assurances associées à des crédits avec une garantie hypothécaire ou des crédits-­bails » (5). Certes, il n’est pas habituel que l’État colombien intervienne de cette manière dans l’activité des personnes privées, mais la procédure d’appel d’offres prévue dans le décret 673 est, pour un juriste colombien, tout à fait classique. Elle prévoit d’abord une invitation à participer et la remise du cahier des charges, puis l’étude et la modification de ce dernier, suivies du dépôt des candidatures et enfin une audience d’adjudication et la fermeture de la procédure (art. 2.36.2.2.13 à 2.36.2.2.16). Les délais, qui n’avaient pas été fixés par le décret, ont été déterminés par la SFC dans sa Circulaire externe n° 22 du 30 juillet 2014 (ci-­après C. ext. n° 22/2014) (6), qui est, par conséquent, indispensable à la mise en œuvre de la procédure. 3.

Cette numérotation des nouveaux articles correspond à celle qu’ils ont dans le D. 2555/2010. 4. La Superintendencia financiera de Colombia est l’autorité administrative en matière financière. 5. La procédure s’applique tant aux assurances vie qu’aux assurances incendie et tremblement de terre. Il est important de signaler que l’article 101.1 EOSF oblige les établissements de crédit à conclure ces dernières assurances. 6. Les circulaires externes peuvent être considérées comme des actes administratifs à portée générale. Elles

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Chroniques

III.B. Régulation comparée


Chroniques

III. Régulation assurantielle

L’approche adoptée

à l’égard des assurances associées aux crédits immobiliers est

différente.

Ensuite, la première disposition énonce sans ambiguïté le caractère impératif de l’appel d’offres (art. 2.36.2.2.1) et la plupart des autres dispositions prévoit l’intervention de la SFC. Paradoxalement, la C. ext. n° 22/2014 crée un moyen de contourner la procédure de l’appel d’offres car la SFC peut autoriser l’établissement prêteur à conclure un contrat directement. Or, cette possibilité, établie par la circulaire, n’est pas prévue dans le décret 673 et contredit ouvertement le but poursuivi et le caractère impératif de la procédure établie par ce dernier. Il semble que la SFC ouvre une porte que le MHCP entendait fermer. Pourtant d’autres interventions sont expressément envisagées dans le décret et constituent aussi des exceptions à la réglementation mise en place, telle que l’autorisation pour segmenter le portefeuille de l’établissement de crédit, alors que le contrat d’assurance est a priori collectif et doit inclure tous les débiteurs ainsi que l’ensemble d’immeubles associés aux crédits. Enfin, les critères énoncés dans le premier chapitre trouvent une traduction plus précise dans le second. D’une part, l’égalité d’accès (2.36.2.2.3) se concrétise dans les conditions d’admissibilité à l’appel d’offres. Le décret en fixe deux : être autorisé à offrir les assurances concernées, et avoir une note de solidité financière supérieure ou égale à « A » (7). Les autres conditions peuvent être déterminées par l’établissement prêteur selon ces trois critères définis par la SFC dans la circulaire : capacité financière et patrimoniale, expérience et service client/sinistre et réassurance. D’autre part, en vertu du critère de l’égalité d’information (2.36.2.2.4), le décret consacre l’obligation des établissements de crédit de donner toute l’information nécessaire à la participation des assureurs présents et dans les mêmes conditions, ainsi que l’information nécessaire pour la

7.

90

sont également une manifestation du pouvoir de régulation prudentielle des activités financières de la SFC et contiennent des instructions et des règles juridiques obligatoires pour les organismes contrôlés. Le D. 1745 du 12 septembre 2014 a changé le critère de « risque de crédit » (riesgo crediticio), prévu initialement par le D. 673/2014, par celui de « solidité financière » (fortaleza financiera).

bonne gestion du portefeuille à la compagnie qui aurait remporté le contrat. Il prévoit aussi la conclusion d’un accord de confidentialité. Il semble que l’approche du chapitre second convienne mieux au souci de garantir la libre concurrence des compagnies d’assurances dans l’appel d’offres qu’au but ultime de protection du consommateur financier. Le D. 673/2014 contient cependant des dispositions qui envisagent directement sa protection.

II. Protection directe : la prise en compte des intérêts du consommateur financier Étant donné que le D. 673/2014 cherche à mettre en place une procédure pour la conclusion du contrat d’assurance-­crédit, les dispositions qui protègent directement le consommateur sont moins nombreuses mais interviennent précisément là où cela est nécessaire. Certaines dispositions concernent la procédure (A), tandis que des autres prévoient des avantages concrets pour les débiteurs (B).

A. De la prise en compte des intérêts du consommateur financier dans l’appel d’offres Au regard de la procédure, on trouve tout d’abord le critère qui détermine la candidature gagnante. En effet, selon le deuxième alinéa de l’article 2.36.2.2.16, l’assureur qui remportera l’appel d’offres est celui qui proposera « le prix de la prime le plus bas pour le débiteur ». Le critère de choix de l’assureur est dans la logique de l’esprit qui anime le D. 673. Ce critère satisfait l’objectif d’éviter des frais inutiles et le but ultime de protéger le consommateur. Ensuite, le décret a fixé la fréquence avec laquelle les procédures doivent avoir lieu (art. 2.36.2.1.1, n° 5 et 2.36.2.2.7) (8) ; il détermine ainsi indirectement la durée des contrats. Ceci permet en pratique que les différents assureurs puissent adapter leur offre d’une manière permanente. En théorie, cela devrait faire bénéficier les consommateurs financiers de prix plus intéressants. Par ailleurs, on remarque que la fréquence ne portera pas atteinte aux droits des débiteurs car la SFC a rappelé aux établissements prêteurs, dans la C. ext. n° 22/2014, leur devoir de prendre des mesures pour qu’il n’y ait pas de solution de continuité de l’assurance. C’est donc une erreur de l’article 2.36.2.1.1 de qualifier la période comme un critère de la pro8. Le D. 2555 de 2010 prévoyait initialement une fréquence de 3 ans.

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cédure, et par conséquent du choix de l’assureur, puisqu’elle constitue plutôt l’un des éléments du contrat d’assurance-­crédit. La procédure doit se caractériser, enfin, par sa transparence vis-­à-­vis du public en général et des débiteurs en particulier. Ainsi, les établissements ouvrant un appel d’offres doivent rendre publics, notamment sur leur site internet, tous les documents concernant la procédure : cahier des charges, questions et réponses, etc. On remarque que l’établissement doit publier les résultats de l’appel d’offres indiquant l’assureur ayant été choisi (art. 2.36.2.2.17). Par ailleurs, le décret exige également que le défenseur du consommateur financier de l’établissement ouvrant la procédure soit présent lors de l’audience publique d’adjudication (art. 2.36.2.2.16) et même si l’indépendance du défenseur est fortement questionnée en droit colombien, sa présence semble une garantie. Certes, ces dispositions s’inscrivent aussi dans le cadre de la libre concurrence, mais il semble qu’elles bénéficient davantage aux débiteurs.

B. Des avantages concrets pour le consommateur financier La protection du consommateur se manifeste aussi de manière très concrète dans le décret. En premier lieu, le contenu du contrat doit répondre à certaines exigences. Ainsi, le décret prévoit, d’une part, le gel du « taux de la prime mensuelle d’assurance » (tasa de prima mensual del seguro) pour toute la durée du contrat. Le texte initial du paragraphe 4 de l’article 2.36.2.2.16, c’est-­à-­dire la version du D. 673/2014, prévoyait le gel du « prix de la prime d’assurance » (precio de la prima de seguros). Le nouveau texte a été introduit par l’article 2 D. 1745/2014. D’autre part, le n° 5 de l’article 2.36.2.2.10 exige l’insertion d’une clause indiquant l’exclusion de la révocation unilatérale du contrat par l’assureur prévue à l’article 1071 du Code de commerce colombien.

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En second lieu, le débiteur conserve la liberté de prendre un assureur différent de celui proposé par l’établissement prêteur tant qu’il offre des conditions d’assurance au moins égales à celles du cahier des charges. Cette liberté d’élection est expressément consacrée par les articles 2.36.2.2.2 et 2.36.2.2.5. Cependant, en ce qui concerne les assurances non liées à un crédit immobilier, la liberté de choix semble remise en cause. Selon le n° 4 de l’article 2.36.2.1.1 (9), les établissements de crédit peuvent proposer plusieurs assureurs aux débiteurs, laissant à ces derniers le droit de choisir librement parmi les compagnies proposées. Or, on pourrait penser que le choix est cantonné aux seuls assureurs proposés ou qu’il n’est plus possible lorsque l’établissement prêteur n’en propose qu’un seul. Il semble néanmoins que cette lecture un peu littérale de la disposition ne puisse pas être soutenue car elle contredit l’objectif de protection visé par le décret 673 et le principe de liberté d’élection énoncé dans l’article 3.b de la L. 1328 de 2009, selon lequel les consommateurs peuvent choisir librement leur contractant dans le cadre des services financiers. Par ailleurs, l’absence d’une garantie associée au crédit ne serait pas non plus en mesure de justifier une telle interprétation car il suffirait d’étendre à ce cas de figure l’exigence qui porte sur les conditions d’assurance prévue pour les crédits immobiliers. On remarque enfin qu’il ne s’agit aucunement d’un critère devant guider la procédure menant au choix de l’assureur tel que l’énonce l’article mais d’une règle à part entière qui octroie un droit au consommateur financier. 9.

« Choix de l’assureur par le débiteur. Lorsque l’institution financière choisit plus d’une compagnie d’assurance comme offreuses de la garantie, seulement le débiteur pourra choisir à son arbitre, celle qui prendra en charge la couverture du risque » (Elección de aseguradora de parte del deudor. Cuando la institución financiera escoja a más de una entidad aseguradora como oferentes del amparo, sólo el deudor asegurado podrá elegir a su arbitrio, la que en su caso asumirá la cobertura del riesgo).

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Chroniques

III.B. Régulation comparée


Chroniques

III. Régulation assurantielle

Le contrat d’assurance de personnes, un outil de la planification patrimoniale au Mexique

Rafael Ibarra Garza

Professeur à l’Universidad Autónoma de Nuevo León (Facultad de Ciencias Políticas y Administración Pública) Membre du cabinet Leal-­Isla & Horváth, S.C.

La planification patrimoniale a comme objectif l’organisation des pouvoirs de prise de décisions (1) et l’ensemble de droits et d’obligations d’une personne non seulement pour la réalisation de certains objectifs, mais aussi pour faire face à certains imprévus. En conséquence, une bonne planification patrimoniale doit prendre en compte les différents imprévus qui pourraient affecter le patrimoine d’une personne et, par voie de conséquence, les intérêts de sa famille. Pour cette raison, le contrat d’assurance est un outil (2) indispensable dans la planification patrimoniale. Il en est ainsi car l’objet même du contrat d’assurance est précisément de garantir les personnes assurées contre la réalisation d’un risque, qui est un événement futur et incertain (3).

Nous ne traiterons ici que des contrats d’assurance de personnes, non seulement pour de raisons de place mais surtout parce qu’ils constituent l’instrument essentiel utilisé par la pratique mexicaine. Il en est ainsi pour plusieurs raisons, dont la principale est qu’au Mexique, les mécanismes de protection sociale sont faibles.

Pour faire face à ces

risques, la pratique mexicaine de planification

Nous sommes toujours exposés au risque qu’un de nos biens soit endommagé, de causer un dommage à un tiers, de tomber malade, de subir un accident ou encore de mourir. Or, la réalisation de tels risques aurait inéluctablement un impact négatif sur le patrimoine de la personne concernée. Pour faire face à ses risques, le droit mexicain distingue les assurances de dommage (4) des assurances de personnes (5). Ainsi, une planification patrimoniale bien conçue devrait intégrer ces deux catégories de contrats d’assurance (6).

1.

Puisque les décisions qu’une personne prend ont un effet sur son patrimoine, il est souhaitable de prendre en considération les pouvoirs de prises de décisions dans la définition de planification patrimoniale. 2. Entre autres outils également utilisés dans la planification patrimoniale, nous rencontrons la fiducie, le testament, le mandat, etc. 3. En ce sens, voy. Nuevo Diccionario Jurídico Mexicano, v° « Seguro, México, Porrúa », 2001. 4. Voy. articles 85 et s. de la Ley Sobre el Contrato de Seguro. 5. Voy. articles 162 et s. de la Ley Sobre el Contrato de Seguro. 6. Sur le contrat d’assurance en droit mexicain, voy. L. Ruiz Rueda, El contrato de seguro, México, Porrúa, 2010. 92

patrimoniale recourt à

l’assurance maladie.

Nous envisagerons dans un premier temps le contrat d’assurance maladie (I) pour ensuite analyser l’assurance-­vie (II). Nous nous concentrerons sur les modalités qui s’utilisent le plus dans la pratique mexicaine de planification patrimoniale.

I. L’assurance maladie Un des défauts du système de la sécurité sociale mexicain est le service de santé publique (7) : outre que des milliers de mexicains n’ont pas d’accès aux soins publics, le système souffre de graves insuffisances (par exemple, la longueur du temps d’attente pour recevoir un traitement). Ainsi, ceux qui n’ont pas accès au service de santé publique ou ceux qui ne seraient pas satisfaits dudit service sont obligés de recourir au secteur privé de santé 7.

Sur le sujet, voy. A. Sánchez-­Castañeda, La seguridad y la protección social en México. Su necesaria reorganización, México, Porrúa, 2012.

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2015/2


qui, selon le type de maladie ou d’accident en cause, peut s’avérer très couteux, affectant ainsi la viabilité économique du titulaire du patrimoine et de sa famille. Pour faire face à ces risques, la pratique mexicaine de planification patrimoniale recourt à l’assurance maladie (8) sous la modalité de seguro de gastos médicos mayores (assurance médicale majeure). Cette formule consiste à garantir seulement le risque de maladie ou d’accident qui exposent la personne concernée à des dépenses importantes et qui sont donc susceptibles de déstabiliser le patrimoine de l’assuré.

II. L’assurance-­vie L’assurance-­vie (9) joue un rôle essentiel dans la planification patrimoniale puisqu’au Mexique, il n’existe aucun programme public d’allocations chômage. Le programme de retraite est également déficient de sorte qu’une grande partie de la population est exposé à ne jamais percevoir une pension de retraite. Les mêmes problèmes se posent dans le programme prévoyant l’attribution d’une pension aux survivants en cas de décès (époux et/ou enfants). Pour cette raison, il est opportun de se prémunir contre la réalisation de risques qui ferait obstacle, temporairement ou définitivement à la poursuite d’une activité génératrice de revenus (tels, une maladie, une incapacité, et a fortiori, un décès). Pour anticiper la survenance de tels événements, la pratique mexicaine de planification patrimoniale recourt à trois catégories d’assurance-­vie (chacun de ces types de contrat pouvant eux-­mêmes être souscrits selon des modalités diverses) : a) l’assurance en cas de survie ; b) l’assurance en cas de décès ; et c) l’assurance mixte. En ayant recours à l’une de ces trois catégories de contrat, l’assuré peut se prémunir contre la survenance d’une situation d’impossibilité temporaire ou définitive d’exercer une activité génératrice de revenus, ce qui est essentiel dans une planification patrimoniale optimale.

A. L’assurance en cas de survie Ce type d’assurance est essentiel dans la planification patrimoniale puisqu’elle garantit le paiement d’une somme d’argent (soit le versement du capital, soit le versement d’une rente) à l’assuré s’il survit au-­delà d’une date prédéterminée dans la police. Ainsi, par le biais de ce premier type de contrat, le bénéficiaire peut être assuré de percevoir une pension de retraite décente. En particulier, une des modalités des assurances en cas 8. 9.

Voy. les articles 7, 8 et 39 de la Ley de Instituciones y Sociedades Mutualistas de Seguros. Sur l’assurance-­vie, voy. O. Alecrim, « La naturaleza jurídica del contrato de seguro de vida », Boletín del Instituto de Derecho Comparado de México, Número 12 Sección de Doctrina, 1951.

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de vie est le seguro de jubilación (assurance de retraite) qui permet à l’assuré de recevoir un paiement mensuel à vie, dès lors et s’il atteint l’âge de retraite (10).

B. L’assurance en cas de décès Dans ce type d’assurance-­vie, le bénéficiaire recevra un versement du capital ou d’une rente au décès de l’assuré. Par ce biais, il est ainsi possible de garantir la perception d’une pension par le conjoint ou/et les enfants survivants. Dans la planification patrimoniale, l’on privilégie généralement, dans ce type de situation, le versement d’une rente mensuelle. Il est également fréquent de constituer une fiducie pour affecter les sommes à une finalité déterminée (par exemple, le paiement des frais de scolarité des enfants).

C. L’assurance mixte Appelée en espagnol seguro dotal mixto (assurance dotal mixte), l’assurance-­mixte est un mode spécial qui est intégré par une assurance qui garantit le risque du décès et d’une assurance en cas de survie. Si l’assuré décède avant la date limite, les bénéficiaires recevront une compensation pécuniaire ; à l’inverse, au-­delà de cette date, l’assuré percevra lui-­même la somme prévue par le contrat.

Un des aspects de la

planification patrimoniale est la prévision des risques qui sont susceptibles d’affecter

des intérêts

économiques. Conclusion

Un des aspects de la planification patrimoniale est la prévision des risques qui sont susceptibles d’affecter 10. Voy. l’article 8 de la Ley de Instituciones y Sociedades Mutualistas de Seguros.

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Chroniques

III.B. Régulation comparée


Chroniques

III. Régulation assurantielle

des intérêts économiques. Les risques de maladie, d’accident, d’incapacité et de décès affectent sans conteste le patrimoine d’une personne. D’où le besoin des contrats d’assurance de personnes dans le cadre

d’une planification patrimoniale bien conçue. Ainsi, la phrase de l’historien Eric Hobsbawm, « le futur est bien obscur », résume à la perfection le mariage entre la planification patrimoniale et le contrat d’assurance.

III.C. Régulation internationale Association Internationale des Contrôleurs d’Assurance, « Rapport annuel 2013‑2014 »(1)

Adrien Tehrani

Maître de conférences à la Faculté de droit et de science politique de Montpellier Centre du droit de l’entreprise Un peu moins d’un an après la publication de son dernier rapport annuel, l’Association Internationale des Contrôleurs d’Assurance (AICA) a publié un bilan de son activité d’octobre 2013 à septembre 2014. Comme à l’accoutumée, le rapport est instructif en ce qu’il offre une vision transversale et synthétique des travaux menés, permettant de faire le point sur les projets lancés lors des années précédentes ainsi que sur les nouveaux sujets qui ont occupé l’AICA au cours de l’année écoulée. Quelques exemples de ces travaux avancés, achevés ou initiés peuvent être donnés. Les travaux avancés. S’agissant du projet de Cadre commun pour la surveillance des groupes d’assurance internationaux (Internationally Active Insurance Groups ou IAIGs), qui doit permettre aux régulateurs nationaux de faire face aux particularités de ces groupes et aux défis que leur surveillance soulève, il est en phase de test sur le terrain. L’objectif est notamment d’évaluer le coût de la mise en œuvre des mesures proposées et d’opérer les ajustements nécessaires d’ici à 2018. Le projet de Cadre commun (ComFrame) est structuré autour de trois modules (rapport, p. 11) : le premier est relatif au champ d’application du ComFrame (définition des IAIGs et précision de la manière dont les régulateurs peuvent identifier les entités concernées) ; le second concerne ces groupes d’assurance avec des mesures d’ordre qualitatif, en termes notamment de gouvernance et de gestion des risques, mais aussi d’ordre quantitatif, concrètement des mesures d’ordre prudentiel. Le dernier module concerne les régulateurs, qui doivent en particulier coopérer pour la supervision 1. http://iaisweb.org/index.cfm?event=getPage& nodeId=25204. 94

de ces groupes. Si le premier module a déjà été testé, des consultations ont été menées en octobre 2013 sur les principes d’ordre qualitatif du module 2, ce qui a permis à l’AICA d’arrêter, au début de l’année 2014, la version du texte à utiliser pour tester ces principes. Ceux-­ci devraient cependant être complétés prochainement par de nouveaux principes prudentiels (infra, sur les travaux lancés). D’autres exemples des avancées de l’AICA au cours de l’exercice sous revue pourraient être cités. De manière générale, les comités et sous-­comités de l’AICA travaillent régulièrement à l’amélioration des principes fondamentaux de l’assurance formulés (Insurance Core Principles), avec notamment comme objectif que tous aient été révisés en 2018, date à laquelle l’association espère pouvoir adopter son ComFrame (rapport, pp. 12 et s.).

De manière générale,

les comités et sous-­ comités de l’AICA travaillent régulièrement à l’amélioration des principes fondamentaux

de l’assurance.

Les travaux achevés. Concernant ces principes fondamentaux, le principe n° 22, relatif à la « lutte anti-­ blanchiment et contre le financement du terrorisme », a été refondu, afin de prendre en compte les recommandations modifiées du Groupe d’action financière (GAFI). L’idée a notamment été de renforcer l’approche

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par les risques et de distinguer selon que les contrôleurs d’assurance sont ou non désignés dans leur pays comme les autorités compétentes en la matière. Des études ont également été achevées sur divers sujets, tels que les mécanismes de protection des preneurs d’assurance, les collèges d’autorités de surveillance, la lutte contre la corruption ou encore la gouvernance des groupes, ces deux derniers documents de réflexion ayant été présentés dans la dernière livraison de cette chronique. Par ailleurs, concernant les assureurs ayant une importance systémique au niveau mondial (Global Systemically Important Insurers – GSIIs), au-­delà de l’actualisation de la liste des assureurs (et réassureurs) concernés, le comité de stabilité financière de l’AICA a notamment terminé ses travaux sur la gestion du risque systémique (publication en décembre 2013) et sur la gestion de la liquidité de ces groupes (publication intervenue au début du présent exercice, en novembre 2014). Enfin, il faut mentionner l’adoption d’une sorte de plan d’action visant à favoriser la mise en œuvre effective des mesures proposées par l’AICA (Coordinated Implementation Framework) afin notamment d’améliorer les pratiques des divers contrôleurs d’assurance dans le monde et l’application fidèle des principes fondamentaux de l’assurance. L’AICA entend ainsi, en application du plan stratégique 2011‑2015, renforcer son engagement régional et ses liens avec différents partenaires aptes à l’assister dans la mise en œuvre de ses travaux.

La collaboration entre

l’AICA et l’ISFB doit conduire à l’élaboration d’un document de réflexion sur une forme spécifique d’assurance, le Takaful, compatible avec

la Sharia.

Les travaux initiés. Plusieurs projets ont ainsi été initiés par le comité de l’AICA chargé de travailler à cette mise en œuvre. L’un d’eux est mené en partenariat avec l’Islamic Financial Services Board (ISFB), présenté sur son site internet comme un normalisateur (standard-­ setter) international, chargé de promouvoir et de renforcer la solidité et la stabilité de l’industrie des services 2015/2

financiers islamiques au sens large. La collaboration entre l’AICA et l’ISFB doit conduire à l’élaboration d’un document de réflexion sur une forme spécifique d’assurance, le Takaful, compatible avec la Sharia, afin d’élargir l’accès aux mécanismes d’assurance dans les régions concernées (2). Il convient également de rappeler que l’un des sujets majeurs de préoccupation de l’AICA concerne la solidité financière des acteurs du monde de l’assurance. En ce sens, dans le prolongement de travaux auxquels l’association faisait déjà référence dans son précédent rapport annuel, relatifs, d’une part, aux fonds propres requis de base (Basic Capital Requirements), publiés fin 2014 et, d’autre part, aux exigences additionnelles (Higher Loss Absorbency) pour les assureurs d’importance systémique au niveau mondial, qui doivent être finalisées en 2015, un nouveau projet a été lancé. Lors de la rédaction du rapport annuel, il n’en était qu’au stade conceptuel (rapport, p. 24). L’idée est de proposer de nouvelles mesures en matière de fonds propres, basées sur les risques et applicables aux groupes d’assurance (IAIGs et GSIIs). Comme expliqué plus haut, ces Insurance Capital Standards ont vocation à s’intégrer au ComFrame, ce que confirme le plan stratégique 2015‑2019 adopté en octobre 2014 (3). Ils devraient aussi venir remplacer à terme les Basic Capital Requirements pour les GSIIs (4), ce qui n’est pas surprenant. Il faut se souvenir en effet que si le ComFrame se focalise sur la supervision des groupes d’assurance internationaux, qu’ils soient ou non d’importance systémique au niveau mondial, il est présenté comme une base commune aux IAIGs et aux GSIIs sur laquelle des mesures propres à ces derniers pourront être ajoutées (5). À nouveau, la question de la mise en œuvre des propositions formulées relatives aux Insurance Capital Standards se posera lors de l’achèvement de ce projet. Toutefois, il faut prendre acte de ce que l’AICA, dont les membres sont les régulateurs de plus de 140 pays, a désormais des liens avec plusieurs organisations régionales ou internationales, soit comme partenaire, soit comme observateur, liens qu’elle entend préserver et renforcer conformément aux objectifs du Coordinated Implementation Framework et du plan stratégique 2015‑2019 précités. À en juger par le nombre des organisations citées (rapport, p. 2), du Forum asiatique des régulateurs d’assurance à la Banque mondiale, en passant par la Communauté de développement de l’Afrique Australe, l’Autorité euro2.

Ce produit de la finance islamique n’est pas inconnu en Europe. Cfr F. Dubuessy, « Le Takaful, alternative crédible à l’assurance conventionnelle », L’Argus de l’assurance, 1er décembre 2014, argusdelassurance.com. 3. http://iaisweb.org/index.cfm?event=getPage&nod eId=25181. 4. IAIS, « Basic Capital Requirements for Global Systemically Important Insurers », novembre 2014, p. 5. 5. IAIS, « Frequently Asked Questions for The IAIS Common Framework for the Supervision of Internationally Active Insurance Groups (ComFrame) », mis à jour le 17 décembre 2014, spéc. pp. 4 et 6.

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Chroniques

III.C. Régulation internationale


Chroniques

III. Régulation assurantielle

péenne des assurances et des pensions professionnelles ou encore le Fonds monétaire international ou l’Association nationale des commissaires aux assurances aux États-­Unis, le réseau de l’AICA est déjà étendu (6), ce qui favorise la diffusion des idées et la probabilité de les voir se concrétiser. Le travail de réflexion accompli en amont pour aboutir aux propositions formulées ne doit donc pas être négligé. Il faut à cet égard approuver l’assouplissement de la procédure de consultation adopté au mois de janvier 2015, qui devrait permettre à davantage de personnes intéressées de s’exprimer et 6.

96

Étant précisé que vingt-­deux organisations sont citées cette année contre seize l’an dernier.

ainsi de faire progresser la réflexion (7), pourvu bien sûr que les consultations soient menées dans de bonnes conditions (8). Néanmoins, rien ne vaut sans doute une présence active au sein même de l’AICA. Ne doit-­on pas alors regretter que sur les vingt-­quatre membres que comptait le comité exécutif de l’association au mois d’août 2014 (rapport, p. 46), il n’y ait aucun représentant de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ? 7. IAIS, « Policy For Consultation of Stakeholders » et IAIS, Newsletter, n° 37, février 2015. 8. T. Bonneau, « Consultations publiques : leurre ou réalité ? », Dr. sociétés, novembre 2004, repère 10.

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IV. Régulation intersectorielle Chronique sous la direction de Anne-­Dominique Merville

Maître de Conférences, HDR Directrice du Master 2 Droit pénal financier Université de Cergy-­Pontoise

Avec la collaboration de

Javed Allybokus

Barrister London (UK &Wales) (Mauritius) (Gray’s Inn)

Guillaume Berruyer

Avocat associé du Cabinet Jeantet Associés AARPI (Barreau de Paris)

&

Mélanie Catteau

Compliance Officer Banque d’investissement, Hong Kong

Matthieu Guerineau Compliance officer

Sylvain Lambert

Avocat au Barreau de Paris

Une approche intersectorielle de la régulation en matière financière est désormais la règle : les différents domaines de la banque, de l’assurance et des activités de marchés sont de moins en moins hermétiques les uns par rapport aux autres, ce qui a une incidence croissante sur les règles qui leur sont applicables. Trouvant leurs sources dans de nombreux horizons juridiques et professionnels, ces règles constituent un vaste ensemble de normes de régulation, dont la réglementation n’est que l’un des aspects. Ceci se retrouve aussi bien au sein de l’Union européenne que dans divers pays.

Cross-­sector based approach of financial regulation has become the norm: the various banking, insurance, and market activities are less and less hermetic from each other, which has an increasing impact on rules applicable to them. Those rules stem from diverse legal and professional sources, of which “pure” regulation is only one aspect. It’s the case in EU or throught the world

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Chroniques

IV. Régulation intersectorielle

IV.B. Intégrité du marché Étude comparée des règles applicables aux banques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux en droit français et en droit mauricien

Guillaume Berruyer Avocat associé du Cabinet Jeantet Associés AARPI (Barreau de Paris)

&

Javed Allybokus

Barrister (UK & Wales) (Mauritius) (Gray’s Inn)

Il existe des liens économiques très étroits entre la France et la République de Maurice (ci-­après, « Maurice » ou « l’Île Maurice »). La France est effectivement la plus grosse source d’investissements étrangers directs à l’Île Maurice (1), représentant pas moins de 27 % du montant total des investissements étrangers. La situation stratégique de l’île, un climat politique stable ainsi qu’une fiscalité et un réseau de traités fiscaux avantageux avec de nombreux pays africains, comme avec l’Inde, en font une destination privilégiée pour bon nombre d’investisseurs.

Les premières mesures prises par l’Île Maurice en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux datent de 1995 avec l’adoption du « Dangerous Drugs Act » qui comportait des dispositions incriminant le blanchiment de capitaux en rapport avec le trafic de stupéfiants. Puis en 2000, Maurice a adopté la première loi dédiée spécifiquement à la lutte contre le blanchiment de capitaux avec le « Economic Crimes and Anti-­Money Laundering Act » remplacé ensuite en 2002 par le « Financial Intelligence and Anti-­Money Laundering Act ».

Ainsi, le secteur des services financiers de l’Île Maurice s’est adapté rapidement afin de satisfaire les besoins de ces investisseurs et leur permettre de réaliser leurs opérations de plus en plus complexes. Avec un flux constant d’investissements étrangers, les autorités mauriciennes ont dû mettre en place un dispositif de lutte anti-­blanchiment d’un niveau adapté.

L’adaptation de l’Île Maurice à cette réglementation et son déploiement semblent être réussis. En effet, le rapport annuel de l’International Narcotics Control Strategy Report de 2014 classe l’Île Maurice parmi les pays qui ne présentent pas une situation préoccupante en matière de blanchiment de capitaux. En outre, l’Île Maurice est membre du « Groupe Anti-­blanchiment de l’Afrique Orientale et Australe » (GABAOA) qui est un organisme régional de type « GAFI » ayant adopté les Recommandations du GAFI.

Avec un flux constant d’investissements étrangers, les autorités mauriciennes ont dû mettre en place un dispositif de lutte anti-­

Dans ce contexte, il paraît intéressant d’examiner, de manière comparée, les principales règles applicables aux banques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux en droit français et en droit mauricien. Ainsi après avoir examiné les principales exigences des dispositifs en matière de lutte contre le blanchiment auxquels sont soumis les banques (I), nous comparerons les organes intervenant en matière de LCB-­FT en France et à l’Île Maurice, savoir les cellules de renseignement en matière de LCB-­FT et les autorités de régulation compétentes (II).

blanchiment d’un niveau

adapté. 1. 98

Rapport intitulé « An analysis of foreign direct invest -­1st semester 2014 by the Board of Investment of Mauritius ». Revue internationale des services financiers/International Journal for Financial Services

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I. Étude comparée des principales obligations pesant sur les établissements assujettis Les dispositifs en matière de LCB-­FT applicables aux banques en France et à l’Île Maurice reposent sur les mêmes principes fondamentaux mais se distinguent par quelques particularités. L’essentiel du dispositif en droit français en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux est présenté par les articles L.561‑1 et suivants et R.561‑1 et suivants du Code monétaire et financier (COMOFI), transposant la « 3e directive » européenne adoptée le 26 octobre 2005. L’arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services d’investissement soumises au contrôle de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ci-­après « l’arrêté du 3 novembre 2014 »), a abrogé le Règlement CRBF 97‑02 et précise de nombreuses dispositions du COMOFI en matière de LCB-­FT. Le « Financial Intelligence and Anti-­Money Laundering Act de 2002 » (« FIALMA 2002 ») et son règlement correspondant, le « Financial Intelligence and Anti-­ Laundering Act 2003 » contiennent l’essentiel des dispositions en matière de LCB-­FT applicables à l’Île Maurice. Ces deux textes désignent la Banque de Maurice comme le régulateur des banques locales (2). Dans ce rôle, la Banque de Maurice a publié le code AML-­CFT qui est venu préciser et établir les obligations minimales pesant sur ses assujettis en matière de LCB-­FT (3). Nous avons ci-­après examiné quelques principes applicables en matière de LCB-­FT afin de les comparer aux obligations auxquelles sont soumises les entreprises assujetties en France et à l’Île Maurice.

A. L’obligation de se doter d’une organisation, de procédures internes et d’un système de contrôle du dispositif LCB-­FT Comme les banques françaises (4), les banques mauriciennes (5) doivent se doter, en matière de LCB-­FT, de procédures efficaces. 2. 3. 4. 5.

Article 18(1) (b) FIAMLA 2003. Article 18(1) (a) FIAMLA 2003. Article 43 de l’arrêté du 3 novembre 2014, 315‑49 et 320‑14 du RGAMF. Article 54 du Banking Act 2004.

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Cependant, les obligations à respecter par les banques sont plus largement détaillées dans la réglementation française que dans la réglementation mauricienne. En effet, si les banques françaises et mauriciennes sont soumises aux mêmes obligations suivantes : – existence de procédures internes (6) (7) ; – existence de formation du personnel salarié et des dirigeants (8) ; la réglementation française en la matière apparaît plus précise. Ainsi, alors que les articles 61 et suivants de l’arrêté du 3 novembre 2014 relatifs aux procédures internes précisent notamment les sujets à encadrer par des procédures, les diligences à accomplir, les mesures à adopter, les informations à recueillir, les articles 5.01 et suivants du code mauricien AML-­CFT imposent simplement que les établissements assujettis adoptent des procédures permettant de respecter les dispositions applicables en matière de LCB-­FT. Ils laissent ainsi, auxdits établissements, une plus large autonomie quant au contenu des procédures internes, seules les procédures en matière de connaissance client, KYC (Know your customer) font l’objet de nombreux développements dans le chapitre 6 du AML-­ CFT (comme cela sera exposé par la suite). En tout état de cause, les établissements mauriciens assujettis doivent prendre toutes mesures nécessaires afin de ne pas faciliter ou participer à une opération de blanchiment de capitaux.

B. L’organisation du dispositif LCB-­FT au sein d’un groupe La réglementation française applicable en matière de LCB-­FT prend en compte le fait que l’établissement assujetti appartienne ou non à un groupe et rappelle notamment l’importance d’assumer une cohérence des différents dispositifs, susceptibles de cohabiter dans les différentes filiales d’un même groupe. De même, la réglementation française impose d’organiser un échange d’informations au sein du Groupe notamment au niveau de l’existence et du contenu des déclarations de soupçons. Ainsi, notamment, l’article L.511‑34 du COMOFI précise que « Les entreprises établies en France et qui font partie d’un groupe financier ou d’un groupe comprenant au moins une société de financement ou, […], d’un groupe mixte ou d’un conglomérat financier auquel appartiennent des entités réglementées au sens de l’article L.517‑2 [parmi lesquelles les établissements de crédit], sont tenues, nonobstant toutes dis6. 7. 8.

Pour la France : articles 61 à 70 de l’arrêté du 3 novembre 2014. Pour l’Île Maurice : article 54 du Banking Act 2004. Part 8 Code AML-­CFT BOM, L.561‑33 COMOFI.

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IV. Régulation intersectorielle

positions contraires, de transmettre à des entreprises du même groupe ayant leur siège social dans l’un de ces États : (…) 2° Les informations nécessaires à l’organisation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et contre le financement du terrorisme ; ». De même, les articles L.561‑20 et L.561‑21 du COMOFI autorisent, sous certaines conditions, la transmission d’informations sur l’existence et le contenu d’une déclaration de soupçon entre personnes d’un même groupe. À cet effet, les articles 68 et 69 de l’arrêté du 3 novembre 2014 imposent que les entreprises assujetties, membres d’un groupe, prévoient des procédures encadrant les modalités d’échange d’informations. Il n’existe aucune disposition similaire dans la réglementation mauricienne. Toutefois, dans la pratique, afin d’avoir une vision globale sur le dispositif LCB-­FT, certains groupes mauriciens ont désigné un salarié ayant le titre de « Money Laundering Reporting Officer » (MLRO) au niveau du groupe et lui ont ainsi conféré la responsabilité de procéder aux déclarations de soupçons pour chaque entité du groupe. Ledit MLRO a de ce fait une connaissance intime et exhaustive des déclarations de soupçons réalisées par les entités du Groupe.

C. Sur la classification et l’approche des risques en matière de LCB-­FT Alors qu’une classification et une approche par les risques en matière de LCB-­FT est exigée par les textes français suite à la transposition de la 3e directive, le droit mauricien apparaît sur ce point plus limité.

clientèle avec le niveau de risques de LCB-­FT ainsi déterminé. En droit mauricien, la situation se rapproche de celle qui existait en France avant la transposition de la « 3e directive ». En effet, la classification et l’approche par les risques en droit mauricien reposent quasiment exclusivement sur les caractéristiques des clients au travers de la connaissance de la clientèle « KYC » (know your customer) (9). Ainsi, cette obligation de KYC s’articule autour (10) : – d’une politique d’acceptation des clients tenant compte notamment de l’arrière-­plan économique du client (11) ; – d’une procédure d’identification des clients devant bénéficier d’une vigilance standard, réduite ou renforcée (12) ; – d’une surveillance permanente des comptes à hauts risques, c’est-­à-­dire des comptes qui ne fonctionnent pas selon le profil et l’activité déclarée et attendue du client (13).

D. L’obligation d’identification et de connaissance de la clientèle L’obligation d’identification et de connaissance de la clientèle est une obligation essentielle dans les réglementations tant française que mauricienne.

L’obligation

d’identification

et de connaissance

En effet, en France, l’article L.561‑32 du COMOFI prévoit que les établissements assujettis doivent mettre en place des systèmes d’évaluation et de gestion des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme. À cet effet, l’article R.561‑38 I 2° du COMOFI impose notamment l’élaboration d’une classification des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme, c’est-­à-­dire une évaluation du niveau de risque présenté par chacune des activités de l’établissement selon « quatre axes » comme suit :

de la clientèle est une obligation essentielle dans les réglementations tant française que

– les conditions des transactions proposées ; – les canaux de distribution utilisés ; – les caractéristiques des clients. Cette classification des risques permet ensuite à l’établissement d’adapter ses procédures et contrôles et partant la vigilance à déployer à l’égard de sa 100

mauricienne.

– la nature des produits ou des services offerts ;

9. 10. 11. 12. 13.

6.11 Code AML-­CFT BOM. 6.17 Code AML-­CFT BOM. 6.18 Code AML-­CFT BOM. 6.23 Code AML-­CFT BOM. 6.112 Code AML-­CFT BOM.

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En France, les établissements assujettis ont l’obligation : – d’identifier leurs clients et le cas échéant les bénéficiaires effectifs de la relation d’affaires (14) ;

client ou une opération qui présente un risque LCB-­FT élevé. C’est le cas notamment des clients :

– de recueillir des éléments de connaissance du client, notamment son activité, l’origine de son patrimoine, l’origine de ses revenus, etc. (15)

– personnes politiquement exposées ;

Les établissements peuvent réduire ou renforcer les mesures d’identification et de connaissance du client en fonction du niveau de risque de LCB-­FT plus ou moins élevé (16).

– qui sont originaires d’un pays non coopératif.

En outre, dans certains cas, lesdits établissements doivent appliquer des mesures de vigilance complémentaires à l’égard de certains clients, notamment s’agissant de clients qui ne sont pas physiquement présents lors de l’identification, ou encore de personnes politiquement exposées, ou également lorsque les opérations réalisées favorisent l’anonymat et enfin lorsque l’opération est réalisée avec une personne établie dans un pays dit « non coopératif » (17). Le droit mauricien impose également les mêmes types d’obligations d’identification et de connaissance de la clientèle. Ainsi, les banques établies à l’Île Maurice « ont l’obligation d’établir et de vérifier l’identité et l’adresse permanente du client, la nature de son activité, son statut financier et la raison de l’ouverture du compte » (18). Tout comme la réglementation française, les banques mauriciennes peuvent réduire ou doivent renforcer les mesures d’identification et de connaissance du client en fonction du risque LCB-­FT identifié. Ainsi une réduction des mesures KYC (« Reduced Due Diligence (RDD) » (19)) peut être appliquée lorsque le risque de blanchiment est limité et que les informations sur l’identité du client sont publiques ou encore lorsque des contrôles ont déjà été effectués. C’est le cas notamment des clients : – institutions de services financiers régulées par le régulateur mauricien ; – sociétés faisant appel à l’épargne publique et cotées à la bourse de Maurice ou sur une bourse ou un marché financier reconnu, désigné et approuvé par le régulateur mauricien ; – administrations gouvernementales et établissements publics. À l’inverse, un renforcement des mesures KYC (« Enhanced Due Diligence » (20)) est imposé par le règlement FIAMLA 2003 et le Code AMF-­CFT pour un 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20.

L.561‑5 COMOFI. L.561‑6 COMOFI. L.561‑9 et L.561‑10‑2 COMOFI. L.561‑10 COMOFI. Article 4 du règlement FIAMLA de 2003. Article 6.98 du Code AML-­CFT BOM. Articles 9 (d), du règlement FIAMLA de 2013 et 6.100 du Code AMF-­CFT BOM.

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– qui ne sont pas physiquement présents à l’ouverture du compte ; Dans le cas d’une due diligence accrue, la banque mauricienne doit notamment ajouter des diligences complémentaires telles que : – obtenir des informations plus élaborées relatives à l’identité et à la nature de l’activité ; – assurer une surveillance plus fréquente et plus étendue des opérations enregistrées sur le compte avec un seuil d’alerte plus bas que le niveau standard ; – prendre des mesures adaptées et raisonnables afin de déterminer la provenance des fonds, les ressources du client, les éventuels bénéficiaires ultimes. Cela étant, tant la réglementation française que la réglementation mauricienne imposent une mise à jour régulière des informations recueillies en matière d’identification et de connaissance client. Enfin, les deux réglementations demandent aux établissements assujettis de conserver les documents d’identification et de connaissance client pendant un délai de cinq ans à compter de la cessation des relations ou à compter de l’exécution de l’opération (21).

E. Sur la déclaration de soupçon Tant à l’Île Maurice qu’en France, les banques ont une obligation de procéder à une déclaration de soupçon, dès lors que l’opération réalisée dans leurs livres et les éventuelles explications fournies par le client interrogé ne permettent pas d’écarter le fait qu’elle provienne d’une infraction pénale. Toutefois, il existe quelques différences dont la principale concerne le périmètre même de l’infraction pénale susceptible de sous-­entendre le blanchiment de capitaux. En droit français, l’obligation de déclaration porte sur (22) : –  les sommes inscrites dans les livres des établissements ou les opérations portant sur des sommes dont les établissements « savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme » ; 21. Article 561‑13 COMOFI et les articles 17 (b), FIAMLA 2002 et 8 (1), du règlement FIAMLA 2003. 22. Article 561‑15 COMOFI.

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IV.B. Intégrité du marché


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IV. Régulation intersectorielle

– les sommes ou opérations dont ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent, sous certaines conditions, d’une fraude fiscale. Les tentatives de telles opérations doivent également faire l’objet d’une déclaration de soupçon. Enfin, l’établissement doit établir une déclaration de soupçon, lorsque l’examen renforcé de toute opération particulièrement complexe ou d’un montant inhabituellement élevé n’a pas permis d’établir que ladite opération avait une justification économique ou un objet licite.

Ainsi, à la différence de la

réglementation française, la réglementation mauricienne ne prévoit pas de surseoir

L’article L.561‑16 du COMOFI impose aux établissements assujettis de s’abstenir d’effectuer l’opération dont ils soupçonnent qu’elle pourrait être liée à un blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme jusqu’à l’envoi de la déclaration de soupçons. L’opération peut être réalisée à la suite de la déclaration de soupçon sauf opposition notifiée par la cellule TRACFIN.

à l’exécution de la transaction tant que la déclaration de soupçon

En droit mauricien, l’obligation de déclaration porte sur les opérations suspectes (« suspicious transaction ») (23) qui sont définies comme étant une opération (24) : – pour laquelle il existe une suspicion raisonnable qu’elle constitue : –  un cas de blanchiment d’argent ou qu’elle provienne du produit d’un « crime » (un « crime » étant constitué par toute infraction punie en droit mauricien d’une peine d’emprisonnement supérieure à dix jours ou d’une amende supérieure à 5.000 roupies, soit environ 125 euros) ; –  un cas de financement de terrorisme ; –  réalisée dans des circonstances inhabituelles ou inutilement complexes ; –  qui n’a pas de justification économique ou légale ; –  réalisée par ou pour le compte d’une personne dont l’identité n’a pas pu être établie de manière satisfaisante par l’établissement ; –  qualifiée de suspecte pour toute autre raison à la diligence de l’établissement. En présence d’une opération suspecte, l’établissement doit procéder à une déclaration de soupçon auprès de la FIU (« Financial Inteligence Unit ») dès que possible et en tout état de cause, dans un délai maximum de quinze jours ouvrables. Ainsi, à la différence de la réglementation française, la réglementation mauricienne ne prévoit pas de surseoir à l’exécution de la transaction tant que la déclaration de soupçon n’a pas été réalisée. Cependant, la réglementation mauricienne impose que la déclaration de soupçon soit faite dans un délai défini et plutôt bref.

23. Article 14 FIAMLA 2002. 24. Article 2 FIAMLA 2002. 102

n’a pas été réalisée.

Les réglementations mauricienne et française prévoient les informations minimales devant figurer sur les déclarations de soupçon, telles que notamment l’identification des parties en cause, une description de l’opération et des éléments qui ont conduit à faire naître un soupçon justifiant d’effectuer une déclaration. La réglementation mauricienne impose en outre expressément que l’établissement indique d’une part, l’impact de l’activité suspecte sur l’établissement ou le déclarant et d’autre part, le nom des employés ayant participé à la transaction (25). Enfin, tant la réglementation mauricienne  (26) que la réglementation française (27) prévoient l’interdiction de révéler, à tout tiers, l’existence et le contenu d’une déclaration de soupçon. La violation de cette interdiction est réprimée à l’Île Maurice par une peine d’emprisonnement de cinq ans (28) alors que la réglementation française prévoit une simple peine d’amende (29). De même, les deux réglementations prévoient une immunité des poursuites à l’encontre des personnes ayant effectué de bonne foi une déclaration de soupçon (30).

25. 26. 27. 28. 29. 30.

Article 15 FIAMLA 2002. Article 16 FIAMLA 2002. Article L.561‑19 COMOFI. Article 19 FIAMLA 2002. Article L.574‑1 COMOFI. Articles L.561‑22 COMOFI et 16 2 (a) FIAMLA 2002.

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II. Les autorités compétentes en matière de LCB-­FT Les cellules de renseignement (A) ainsi que les régulateurs français et mauricien sont investis de missions très semblables en matière de LCB-­FT (B).

A. Des cellules de renseignements aux missions très semblables La FIU et TRACFIN sont respectivement les cellules mauricienne et française chargées de recueillir, d’analyser, d’enrichir et d’exploiter les informations qu’elles reçoivent en matière de la LCB-­FT (31). TRACFIN peut, si les investigations mettent en évidence des faits susceptibles de relever du blanchiment du produit d’une infraction punie d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou du financement du terrorisme, notamment : – saisir le procureur de la République par une note d’information ; – sous réserve qu’elles soient en relation avec lesdits faits, communiquer des informations obtenues : – aux autorités judiciaires ; – à l’administration des douanes ; – aux services de police judiciaire ;

– la Financial Services Commission ; – le Gambling Revenue Authority. La FIU et TRACFIN peuvent également transmettre les informations qu’ils détiennent à leurs homologues étrangers, précision faite que seule la réglementation française encadre expressément les types de renseignement, transmissibles et les conditions de leur transmission. La FIU et TRACFIN sont toutes deux membres du groupe EGMONT qui regroupe près de 139 cellules de lutte anti-­blanchiment de divers ordres juridiques et qui a pour objet notamment de développer la coopé­ration internationale par l’échange d’informations, d’accroître l’effectivité des cellules de renseignement financier en offrant des programmes de formation et d’échanges aux personnels de ces cellules et de promouvoir la création de telles cellules respectant les standards internationaux de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

B. Des régulateurs aux missions similaires notamment en matière de contrôle de respect par les entreprises assujetties de leurs obligations en matière de LCB-­FT

– transmettre aux services de renseignement spécialisés les informations relatives à des faits qui sont susceptibles de révéler une menace contre les intérêts fondamentaux de la Nation en matière de sécurité publique et de sûreté de l’État ;

Les régulateurs français et mauricien contrôlent et sanctionnent les entreprises assujetties au titre de leurs obligations en matière de LCB-­FT, ce qui diffère sensiblement, ce sont les procédures applicables.

– dans l’hypothèse d’une fraude fiscale, transmettre les informations à l’Administration fiscale.

1. Les autorités de tutelle

De même la FIU peut informer, conseiller et coopérer avec : – l’équivalent du procureur de la République (le « Director of Public Prosecution ») ; – les cellules d’investigation Authorities ») qui sont :

(«  Investigatory

– « l’Independent Commission Against Corruption » compétente pour enquêter et poursuivre les infractions de corruption ; – l’administration fiscale « Mauritius Revenue Authority » ; – l’administration des douanes ; – le département de la police ; – les Supervisory Authorities que sont : – la Banque de Maurice ; 31. Article L.561‑23 COMOFI et articles 1 et 2 (a) FIAMLA 2002. 2015/2

Tout comme la réglementation française, la réglementation mauricienne prévoit que le contrôle du respect des obligations prévues en matière de LCB-­FT et, le cas échéant, le pouvoir de sanction en cas de non-­respect de celles-­ci sont assurés par les autorités de tutelles. Ainsi, l’article L.561‑36 1°, du COMOFI confie expressément ces pouvoirs à l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) qui exerce ces pouvoirs à l’égard des banques, mais également, notamment à l’égard des entreprises d’investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille (lesquelles relèvent de l’AMF), aux entreprises de marché, aux adhérents aux chambres de compensation, aux entreprises d’assurance, etc. En vertu de l’article 18 (1) (b) du FIAMLA 2002, la Banque de Maurice est l’autorité de tutelle mais exerce son contrôle sur un nombre moins élevé d’entreprises assujetties que celles relevant de l’ACPR. En effet, la

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IV.B. Intégrité du marché


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IV. Régulation intersectorielle

Banque de Maurice est compétente à l’égard de quatre types d’institutions financières (32) : –  es banques constituées en vertu de la Companies Act 2001 ; – les succursales de banques étrangères qui sont autorisées à exercer une activité bancaire, à l’Île Maurice ; – les institutions à dépôts non bancaires ; – les « Cash dealer » et les changeurs cambiste. Les autres institutions financières sont supervisées par le régulateur des activités non bancaires, savoir la FSC, comme également les compagnies financières.

2. Les types de contrôle Alors que l’ACPR peut effectuer des contrôles sur pièces et sur place (général ou thématique, notamment en matière de respect des dispositions applicables à la LCB-­FT), la loi mauricienne prévoit seulement deux types de contrôle sur place (33) (et pas de contrôle sur pièces) : – un contrôle sur place classique dont la fréquence est d’environ tous les deux ans (34). La Banque de Maurice décide de l’étendue de la mission de contrôle et évalue d’une part, si l’établissement assujetti respecte correctement les lois bancaires, les directives et les instructions qu’elle a émises, et d’autre part, la situation financière de l’établissement ; – un contrôle spécial qui est conduit lorsque la Banque de Maurice estime nécessaire de vérifier soit la situation financière de l’établissement, soit la conformité des dispositifs applicables en matière de LCB-­FT. La différence majeure entre l’ACPR et la Banque de Maurice tient à l’existence d’une phase contradictoire dans le cadre du rapport de contrôle réalisé par l’ACPR, laquelle phase permet à l’établissement assujetti de faire valoir de manière formalisée ses éventuelles observations au projet de rapport de contrôle. Le rapport définitif étant constitué d’une part, du rapport de contrôle matérialisant les constats réalisés par la mission de contrôle et d’autre part, des observations de l’établissement sur lesdits constats. Or, un tel échange contradictoire n’est pas expressément prévu et organisé par les textes mauriciens.

3. Les procédures de sanction devant l’ACPR et la Banque de Maurice L’organisation des procédures de sanctions diverge également profondément entre l’ACPR et la Banque de Maurice. Ainsi, à la suite d’une mission de contrôle, le Collège de l’ACPR peut décider d’ouvrir une procédure de sanction à l’encontre de l’établissement assujetti, en procédant à une notification de griefs et en saisissant la Commission 32. FSC ACT. 33. Articles 42 et 43 du Banking Act 2004. 34. Article 42 du Banking Act 2004. 104

des sanctions (35). La Commission des sanctions veille au respect du caractère contradictoire de la procédure disciplinaire jusqu’à la clôture des débats (36). À l’Île Maurice, c’est l’article 45 du Banking Act qui prévoit la procédure de sanctions applicable devant la Banque de Maurice. L’originalité de la procédure mauricienne tient au fait que le caractère contradictoire n’est introduit qu’après que la Banque de Maurice a pris ou propose de prendre une mesure à l’encontre de l’établissement assujetti. Ainsi toute action que la Banque de Maurice a pris ou a l’intention de prendre, doit être notifiée par écrit à l’établissement assujetti qui peut alors adresser une requête à la Banque de Maurice de la convoquer à une audience au cours de laquelle il pourra faire valoir ses droits sur la ou les mesures prises ou proposées (37). Une audience est alors organisée, précision faite que si les sanctions ont déjà été prises, elles ne sont pas suspendues par cette procédure (38). Une décision contradictoire est ainsi prise à l’issue de l’audience.

4. Échelle des sanctions possibles La Commission des sanctions de l’ACPR dispose de l’échelle des sanctions disciplinaires et pécuniaires applicables à tout établissement qui ne respecte pas ses obligations professionnelles (39), savoir : « l’avertissement, le blâme, l’interdiction d’effectuer certaines opérations et toutes autres limitations dans l’exercice de l’activité, suspension temporaire d’un ou plusieurs dirigeants, démission d’office d’un ou plusieurs dirigeants, retrait partiel ou total d’agrément et, soit à la place, soit en sus de ces sanctions, une sanction pécuniaire au plus égale à cent millions d’euros ». En droit mauricien, les sanctions prévues concernant le non-­respect de la législation réglementation LCB-­FT trouvent leur origine dans plusieurs textes (40). Si le régulateur bancaire mauricien considère que la banque a failli dans le respect des dispositions applicables en matière de LCB-­FT par négligence, omission ou par un défaut d’implémentation des dispositions applicables, il peut prononcer à l’encontre de l’établissement, en l’absence d’une excuse raisonnable, des sanctions prévues aux articles 11 et 17 du Banking Act de 2004 et essentiellement la suspension ou le retrait d’agrément de la licence de banque. Il convient de relever qu’en droit mauricien, le fait de ne pas répondre à une demande de la FIU (sciemment ou sans excuse raisonnable) ou encore de ne pas procéder à une déclaration de soupçon ou enfin de ne pas vérifier l’identité d’un client est constitutif d’une infraction punie par une amende et une peine d’emprisonnement 35. 36. 37. 38. 39. 40.

Article L621‑3 CMF. L621‑38 CMF. Article 45 (4) et (5) du Banking Act 2004. Article 45 (6) du Banking Act 2004. Article L.612‑39 du Code monétaire et financier. Loi FIAMLA 2002, règlement FIAMLA 2003, Banking Act et BOM Act.

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ne pouvant excéder cinq ans(41). De telles dispositions n’existent pas en droit français en l’absence de complicité de la banque dans les opérations de blanchiment. * * * En conclusion, la réglementation mauricienne en matière de LCB-­FT apparaît moins minutieuse et processuelle que celle issue de la 3e directive transposée en France, notamment du fait d’une approche par les risques essentiellement fondée sur la connaissance client au travers des procédures KYC. Même si le rapport d’évaluation de la mise en œuvre par l’Île Maurice des mesures de lutte contre le blanchiment 41. Article 19 (1) (a) FIAMLA 2002.

de capitaux et le financement du terrorisme (LAB/ CFT) de décembre 2008 identifiait des axes d’amélioration, il établissait la réelle volonté des autorités mauriciennes en matière de LCB-­FT. La question de l’efficacité de la LCB-­FT au travers des normes complexes et détaillées ou essentiellement fondées sur une parfaite connaissance de sa clientèle et de ses opérations reste posée.

La question de l’efficacité

de la LCB-­FT (…) reste posée.

Corruption en Chine : l’état des lieux Mélanie Catteau

Compliance Officer Banque d’investissement, Hong Kong

La Chine, puissance mondiale incontournable détrône pour la première fois en 2014, les États-­Unis, sur la première marche du podium des puissances économiques(1). De ce fait, la Chine attire encore et toujours les regards de la communauté internationale qui cherche à identifier les facteurs de réussite mais aussi les sources d’inquiétudes de son développement exponentiel(2). En effet, à l’instar de ses prédécesseurs, l’empire du milieu conserve une place très controversée dans le classement établi par Transparency International. L’organisation non gouvernementale internationale (ONGI) lui attribue un indice de perception de la corruption relativement élevé(3), comparable à celui de pays en voie de développement. Pourtant, depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en mars 2013, le Gouvernement de Pékin 1.

2. 3.

Le Figaro, 8 décembre 2014. La Chine représente aujourd’hui 16.5 % de l’économie mondiale en termes de pouvoir d’achat réel, devant les États-­Unis avec 16.3 %. Ch. E. Bouée, Comment la Chine change le monde, Édition Dialogues, mai 2013. Classement de 2014, Transparency International, La Chine 36/100 et 100e au classement mondial sur 175.

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a lancé une vaste campagne anticorruption visant à imposer un retour de la morale et de la frugalité dans les sphères dirigeantes. « La lutte contre la corruption frappera ainsi les tigres et les mouches »(4) menaçait le Président Xi Jinping lors du discours de Novembre 2012. Des paroles, mais aussi et surtout des actes, puisqu’en effet, de véritables mesures coercitives avaient été envisagées, des projets de lois, inspirés de règles déjà adoptées par le code du Parti Communiste Chinois (PCC), pourraient renforcer le cadre législatif appréhendant la corruption en Chine dès cette année. Pour l’actuel gouvernement chinois, la lutte contre la corruption est un challenge capital. Le chef de l’État a indiqué que la tolérance zéro serait appliquée pour tous les responsables accusés de corruption.

Le chef de l’État a indiqué

que la tolérance zéro serait appliquée pour tous les responsables accusés

de corruption.

4. Pékin, 15 mars 2015. Li Keqiang, premier ministre chinois évoquant la campagne de lutte contre la corruption lors de la session annuelle de l’assemblée populaire nationale.

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IV.B. Intégrité du marché


Chroniques

IV. Régulation intersectorielle

Avant de faire l’état des lieux sur le régime réglementaire de la lutte anticorruption, nous analyserons les enjeux politiques et les impacts d’une telle lutte.

décembre 2014 démontre alors aux membres du Parti et à l’ensemble de la population la détermination sans faille de Xi Jinping.

I. La moralisation de la vie publique et des affaires

Très récemment, le Daily China rapporte également la mise en cause de Xu Jianyi, Président de l’une des plus grosses firmes de construction automobile et Secrétaire du Parti communiste, pour « graves violations de la discipline et de la loi », terme utilisé pour désigner les voies de fait en matière de corruption(8).

La Chine, gangrenée de façon endémique par la pratique des pots-­de-­vin, du favoritisme, du népotisme ou du détournement de fonds publics, a décidé de faire de la lutte anticorruption, son cheval de bataille. Les raisons sont multiples. Avec une croissance toujours importante mais ralentie depuis quelques années, le pouvoir en place compte bien redonner confiance aux investisseurs en éradiquant la corruption dans les milieux des affaires d’une part mais également dans l’Administration, d’autre part. Le nombre d’arrestations depuis le début de la bataille menée par le gouvernement est impressionnant. L’agence de presse gouvernementale « Chine Nouvelle » annonçait en juillet 2014 que 62.953 officiels avaient été « sanctionnés » au cours des cinq premiers mois de l’année 2014, soit 34,7 % de plus que sur la même période de 2013. Des chiffres qui confirment une réelle motivation du gouvernement(5) de changer des pratiques devenues « monnaie courante ». Un article rapporte que plus de 182.000 personnes officielles et proches du pouvoir avaient fait l’objet d’investigations suite à la mise en place de cette lutte anticorruption. Parmi celles-­ci, 32 personnes, de vice-­ ministre ou de grade supérieur, comprenant au moins cinq officiels du Parti communiste chinois avaient été interpellées(6). La série de condamnation commence en juillet 2013, lorsque les autorités chinoises arrêtent quatre cadres du groupe GlaxoSmithKline, l’une des plus importante entreprise pharmaceutique britannique. Cette dernière, soupçonnée de corruption, est accusée d’avoir corrompu des médecins ainsi que des cadres hospitaliers afin de booster ses ventes. Il s’agit ainsi de la première entreprise étrangère à être poursuivie pour corruption active selon les lois locales du pays et de devoir se justifier de ces faits devant la justice chinoise(7). D’autres condamnations de personnalités politiques nourrissent peu à peu ce feuilleton politico-­médiatique. L’accusation visant Zhou Yongkang, membre du Parti communiste chinois, ex-­directeur général de Petrochina et ancien ministre du gouvernement, n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Son arrestation en 5. 6. 7.

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H. Thibault, « En Chine, pleins pouvoirs contre corruption », Le Monde, 4 juillet 2014. http://tribune.com.pk/story/657325/more-­t han-­ 182000-­officials-­punished-­in-­china-­graft-­crackdown/. Le laboratoire est condamné à 380 millions d’euros pour corruption active. Les anciens dirigeants sont condamnés à des peines de prison de deux à quatre ans.

Toutefois, les véritables motivations du pouvoir en place suscitent quelques interrogations quant à leur bonne foi. Certains observateurs pensent qu’à travers l’adoption de ces lois anticorruption, le pouvoir en place profiterait de la vague de condamnation pour effectuer un nettoyage politique(9). Pourtant la volonté du gouvernement en place semble inébranlable. En deux ans, cette guerre menée de front contre la corruption et les diverses condamnations impliquant des fonctionnaires au plus haut niveau de l’État, a eu des effets presque immédiats.

II. Les impacts de la politique de lutte contre la corruption A. Des impacts économiques La lutte contre la corruption a des incidences sur des pans entiers de l’économie, impactant notamment des secteurs florissant qui jusqu’alors avaient profité des largesses des officiels chinois et des entreprises locales. Les secteurs du luxe et des casinos qui jouissaient jusqu’alors d’une croissance à deux chiffres dans la région, se retrouvent désormais en difficulté avec, en 2014, une très forte baisse de leur chiffre d’affaires.

La lutte contre la

corruption a des incidences sur des pans entiers de l’économie.

8. http://usa.chinadaily.com.cn/china/2015‑03/16/ content_19818914.htm. 9. Le Monde, 24 juillet 2014. « En ordonnant une enquête à l’encontre de M. Zhou, le président chinois brise une règle tacite voulant que les membres du comité permanent du politburo ne soient pas inquiétés même après leur retraite, et étaye les soupçons de nombreux observateurs selon lesquels la campagne anticorruption qu’il a lancée lui sert aussi à éliminer ses adversaires politiques ».

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À Macao, le chiffre d’affaire s’est écroulé en 2014 en perdant 23.2 %(10). Les observateurs ne s’y sont pas trompés, l’univers du jeu n’aura pas résisté longtemps à cette cure d’austérité suite aux importants changements économiques et politiques. Parmi eux, les observateurs pointent, en effet, du doigt la politique de lutte anticorruption de Xi Jinping mise en place depuis 2013, comme facteur principal de cette chute libre des deux secteurs. Le nouvel encadrement des contrôles de change, la surveillance accrue des dépenses publiques par les fonctionnaires, la politique favorisant les lanceurs d’alerte, … sont autant de facteurs ayant contribué à celle-­ci.

communiste, chargée des investigations sur les cadres du Parti. L’ostentatoire dans les affaires est dorénavant banni, la Chine tente « à la dur » d’éduquer ses cadres.

Le Financial Times(11), dans son édition de septembre 2014, rapporte la chute du nombre de joueurs « VIP »(12) et fait directement un lien entre la campagne anticorruption menée par le gouvernement chinois et la perte de revenue des casinos.

Le ministère des Finances a par exemple publié des normes pour les subventions alimentaires de ses fonctionnaires lorsque ceux-­ci sont envoyés en voyage d’affaires(16). D’autre part, le Manuel du PCC indique désormais que les fonctionnaires ne peuvent accepter que des cadeaux d’une valeur inférieure à 200 RMB (environ 20 euros) – les cadeaux d’une valeur supérieure devant être remis à leur hiérarchie.

En mai 2013, la Commission centrale de discipline a lancé une investigation contre Yang Kun, l’ancien vice-­président et directeur exécutif de la banque étatique « Agricultural Bank of China », finalement exclu du parti pour « graves violations de la discipline et de la loi »(13). Yang est accusé d’avoir irrégulièrement consenti des prêts, pour un montant de plus de 30.79 millions RMB (4.5 millions d’euros), à des compagnies immobilières entre 2005 et 2012. Ces fonds auraient servi à rembourser une partie de la dette d’un casino à Macau(14). D’après une étude publiée par PricewaterhouseCoopers en mars 2014, le blanchiment d’argent reste encore très présent à Hong-­Kong et Macau, bien plus que dans d’autres régions du monde(15). Un récent sondage a permis d’établir que 37 % des compagnies locales auraient déjà pratiqué le blanchiment d’argent pendant les deux dernières années ; contre seulement 11 % en moyenne dans d’autres compagnies à travers le globe. Le constat est similaire pour LVMH ou certains groupes de spiritueux tel que Pernod Ricard. Les boutiques de luxe du centre de Pékin ont désormais été délaissées par les hommes de pouvoir. Ceux-­ci craignent d’être aperçus dans de tels lieux, par les enquêteurs du bureau des taxes ou par les membres de la Commission d’inspection disciplinaire du Parti

10. Gaming Inspection and coordination Bureau Macao SAR. 11. http://www.ft.com/intl/cms/s/0/79e893dc-­4 552‑ 11e4‑9b71‑00144feabdc0.html#axzz3VAlmiIBi. 12. Les salons VIP sont réputés pour être réservés aux personnes dépensant des montants élevés. 13. http://news.xinhuanet.com/politics/2013‑05/ 21/c_124738902.htm, http://www.nytimes. com/2013/05/21/world/asia/former-­bank-­excetutive-­ in-­china-­faces-­bribes-­accusations.html?_r=0. 14. http://finance.ifeng.com/bank/special/abcyangkun/20130501/7983177.shtml. 15. South China Morning Post, 5 mars 2014. 2015/2

B. La mise en place des procédures dans les institutions financières et autres compagnies du secteur privé De nombreux exemples de contrôle des dépenses publiques peuvent être relevés.

La ville de Pékin a même défini son propre règlement administratif concernant la politique « des cadeaux » pour exiger de ses fonctionnaires d’inscrire tout cadeau d’une valeur supérieure à 100 RMB dans un registre prévu à cet effet, et de retourner n’importe quel cadeau d’une valeur supérieure à 200 RMB(17). Suite à ces évolutions, les institutions financières et autres compagnies du secteur privé ont dû mettre en place des procédures « Cadeaux et divertissements ». Il s’agit de « Code de conduite » interne à l’entreprise, que les employés se doivent de respecter sans réserve sous peine d’être sanctionnés. Le changement s’opère à marche forcée tant la pratique était courante afin de favoriser les relations commerciales dans le secteur privé. Les compagnies transposent désormais ces mesures de contrôles (comprenant les demandes d’autorisation concernant l’envoi ou la réception de cadeaux) établies dans la sphère administrative afin de ne pas être poursuivies pour tentative de corruption. Le prix des repas offerts aux clients, ainsi que les prix des repas offerts par des clients(18) sont, par exemple, autant de détails qui devront être approuvés par les services de conformité dans le but d’éviter tout soupçon de corruption. D’autres moyens de corruption sont ainsi contrôlés comme les voyages, les abonnements de toute nature, les places de concerts et d’événements sportifs

16. Conformément à l’article 17 des mesures administratives concernant la gestion des frais de déplacement de l’administration centrale et des organes de l’État. 17. L’article 2 du règlement d’application des dispositions d’enregistrement pour donner et recevoir des cadeaux dans les relations du Parti Communiste Chinois de la municipalité de Pékin. 18. Article 53 of Working Rules of the State Council (issued by State Council, effective on 23 March 2013).

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ou même les accommodations hébergements lors de voyages d’affaires(19).

du secteur privé(24). Les agents publics étrangers sont désormais visés par l’article 164 du Code pénal depuis le 1er mai 2011.

III. Le cadre réglementaire chinois en matière de lutte anticorruption

Les sanctions prévues par la loi pénale diffèrent selon le statut des personnes appréhendées. En tout état de cause, un fonctionnaire encoure des peines plus sévères. Sa peine variera en fonction de l’importance du montant issu de la corruption.

Les règles encadrant le délit de corruption sont d’abord d’origine législative. Le Code pénal chinois attendra le 25 février 2011 pour incorporer les délits de corruption comme ils sont mentionnés dans la Convention des Nations Unies(20) que la Chine a ratifiée le 13 janvier 2006. La Chine a également conféré le caractère d’infraction pénale à la corruption transnationale et le 5 septembre 2014 en tant qu’État partie à la Convention, la République populaire de Chine confirme que « la Convention est la base légale de coopération en matière d’extradition (remise de personnes accusées et de personnes condamnées) entre la République populaire de Chine (y compris la Région administrative spéciale de Hong Kong et la Région administrative spéciale de Macao) et les autres États parties à la Convention ». La loi sur la concurrence déloyale du 2 septembre 1993(21) encadre également le délit de corruption engageant alors la responsabilité civile (mais qui, dorénavant pourra être aussi pénale si celle-­ci peut être soulevée). Divers ministères contiennent également des dispositions administratives supplémentaires anticorruption. Le groupe pilote de la lutte anticorruption (le « groupe pilote ») établi en 2006 a également publié une série d’avis importants sur les pratiques de corruption anti-­ commerciale, qui, bien que non juridiquement contraignantes, contiennent des conseils pratiques importants dans ce domaine(22). Nous retrouvons donc un système occidental avec un ensemble de responsabilités (administratif, civil et pénal) pouvant être engagées en cas d’accusation de corruption. L’interdiction de corruption passive ou active s’applique aussi bien aux fonctionnaires(23) qu’aux salariés 19. Par exemple, l’article 13 des mesures administratives concernant la gestion des frais de voyage de centrale gouvernement et organes de l’État (délivré par le ministère des Finances, à compter du 1er janvier 2014) prévoit que les fonctionnaires de niveau ministériel ou équivalent peuvent séjourner dans des suites ordinaires et les fonctionnaires de niveau du bureau ou en dessous peuvent séjourner dans des chambres simples ou standard. 20. Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003. 21. Anti-­Unfair Competition Law of the PRC. 22. The Central Anti commercial Bribery Leading Group. 23. Article 389 du Code pénal. 108

Une peine de dix ans d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à la perpétuité peut être infligée pour toute condamnation de corruption impliquant un montant égal ou supérieur à 100.000 RMB (15 000 EUR). La peine de mort(25) est également prévue dans le Code pénal lorsque les circonstances sont extrêmement graves(26). Celles-­ci se définissent par un montant égal ou supérieur à 150.000 EUR ou lorsque le montant est égal ou supérieur à 50.000 EUR et implique des circonstances aggravantes telles qu’une perte directe pour l’économie publique égale à 5.000.000 RMB (500.000 EUR). Des peines moins sévères s’appliquent aux salariés du secteur privé mais dès lors qu’une personne publique est impliquée et qu’un acte de corruption a été constaté, les peines s’aggravent et peuvent aller jusqu’à dix ans de prison et une confiscation des biens. La droit pénal chinois souligne que le procureur doit prouver que le présumé avait l’intention de rechercher des gains illégitimes. Cet élément du crime est généralement déduit de circonstances externes telles que les montants impliqués, la fréquence des offres effectuées, la relation faite entre les protagonistes… La loi pénale prévoit dans son article 164 qu’une personne avouant sa tentative de corruption avant l’investigation pénale, pourra être exemptée de peine. La seconde loi sur la concurrence déloyale couvre les actes de corruption commis dans le but d’acheter ou de vendre un service écartant toute concurrence de façon illégale. Ces actes peuvent alors engager la responsabilité civile du présumé en imposant une amende de 10.000 RMB à 200.000 RMB et confisquer les gains illégalement acquis. Plus récemment, le 27 mai 2013, le Parti communiste de Chine publiait ces nouvelles règles de contrôle internes au Parti. Ces règles ont un impact considérable sur le pouvoir donné à la commission disciplinaire et l’inspec24. Partenaires commerciaux du secteur privé, articles 163 et 164 du Code pénal et article 8 de la loi sur la concurrence déloyale. 25. Liu Zhijun, l’ancien ministre des chemins de fer, a été condamné à mort (avec deux ans de sursis) en juillet dernier pour avoir accepté l’équivalent d’environ 10 millions de dollars. 26. En décembre 2012, la Cour Suprême publie son interprétation sur certaines questions concernant l’application spécifique de la loi en traitement des affaires pénales, ce qui fournit des orientations sur ce que constituent les circonstances « graves » et « extrêmement graves » en vertu de la loi pénale.

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tion du Parti. Leurs investigations sur des présomptions de corruption pourraient ne connaître aucune limite. L’agence Chine nouvelle évoquait une réforme de la lutte anticorruption qui, à l’horizon 2017, devrait « accroître les contrôles et la supervision des dirigeants » en conférant davantage de pouvoir à l’agence d’inspection de la discipline. La soumission des banques à l’État-­Parti permet aussi aux enquêteurs d’accéder à l’intégralité des informations financières sur un particulier du seul fait d’une dénonciation ou d’une suspicion, avant même qu’elle soit étayée par des preuves(27). La troisième session plénière du 18e Comité central du PCC a souligné que la Chine continuera à réformer son système judiciaire afin de garantir l’indépendance de la commission de discipline vis-­à-­vis des acteurs publics de tout niveau. Plus récemment, la Chine a publié le projet des « neufs amendements » à la loi pénale en novembre 2014. Il contient un certain nombre de modifications proposées à l’égard des infractions de corruption, y compris : (i) de nouvelles sanctions pénales introduites pour corruption d’un proche ou d’autres personnes étroitement liées à un fonctionnaire du gouvernement dans le but d’influencer ce dernier et en quête d’avantages indus ; (ii) mise en place d’amendes comme sanction supplémentaire pour les délits de corruption ; et (iii) de nouveaux critères de détermination de la peine proposée pour les fonctionnaires gouvernementaux jugés coupables de corruption passive (et de détournement de fonds). Les seuils monétaires existants pourraient 27. International, mardi 8 juillet 2014, www.letemps.ch/.../ La_Chine_à_lheure_de_la_purge_anti-­corruption.

être remplacés par des critères de détermination plus flexibles, ainsi les juges pourront considérer d’autres facteurs afin de donner des peines plus adéquates. En outre, les autorités chinoises ont également déployé une campagne intitulée « Fox Hunt » en juillet dernier visant à rapatrier les fonctionnaires corrompus se cachant à l’étranger. En octobre, la Cour Suprême, ainsi que plusieurs autres ministères, ont publié un avis conjoint pour exhorter ces fonctionnaires de se rendre eux-­mêmes(28). Au cours des quatre derniers mois, la campagne a abouti à l’arrestation de 288 suspects qui avait fui à l’étranger, parmi lesquels 126 sont retournés volontairement en Chine et se sont rendus aux autorités. En outre, une déclaration anticorruption a été adoptée lors de la dernière Conférence de l’APEC à Pékin(29). La déclaration démontre les efforts supplémentaires de la Chine et son engagement à lutter contre la corruption grâce à la coopération avec d’autres pays en matière d’extradition et d’entraide judiciaire. Avec un taux de croissance de 7,4 % en 2014, la Chine gagnera son pari en engageant une bataille rude contre le phénomène de corruption, qui par nature, ne promeut pas le développement économique. Ces mesures sont donc une évolution positive pour la vie des affaires et la diplomatie, même si leur impact à long terme reste à voir. 28. Notice on Printing and Distributing the Announcement on Urging Fugitive Economic Criminals to Surrender to Justice released by Supreme People’s Court, the Supreme People’s Procuratorate, the Ministry of Public Security and the Ministry of Foreign Affairs. 29. La 26e réunion ministérielle de l’APEC, novembre 2014.

Les registres centraux des bénéficiaires effectifs au service d’une transparence accrue

Matthieu Guerineau Compliance officer

La lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la fraude fiscale est au cœur du travail législatif européen initié par la rédaction de la 4e directive(1). L’ampleur de ces phénomènes reste dif1.

Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, Bruxelles, 12 janvier 2015.

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ficile à évaluer mais ces délits représenteraient environ 3 % du produit intérieur brut mondial. Ces phénomènes sont favorisés par l’opacité de certains montages financiers ou de certaines structures juridiques tels que les trusts ou les fiducies. Cette opacité a été renforcée par la mondialisation des échanges donnant accès à des territoires pour lesquels la transparence administrative et la coopération fiscale et judiciaire ne sont pas privilégiées. Pour lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux et favoriser le recouvrement de l’impôt, la transparence fiscale, administrative et financière est indispensable. L’Union européenne, afin de renforcer son arsenal dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et la fraude fiscale, a intégré au projet de 4e directive un dispositif visant à renforcer cette nécessaire transparence. Ce dispositif qui est l’une des principales avancées de la 4e directive figure à

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l’article 29(2). Il indique que « Les États membres veillent à ce que les sociétés et autres entités juridiques constituées sur leur territoire aient l’obligation d’obtenir et de détenir des informations satisfaisantes, exactes et à jour sur leurs bénéficiaires effectifs, y compris des précisons sur les intérêts réels détenus. In fine, le registre visé dans l’article 29 de la directive va mettre à mal l’opacité de certaines structures juridiques et l’anonymat les entourant.

Ce registre a pour objectif

de permettre un accès aux informations sur l’identité des bénéficiaires effectifs des sociétés, fondations ou trusts établis au sein de

l’Union européenne.

Ce registre a pour objectif de permettre un accès aux informations sur l’identité des bénéficiaires effectifs des sociétés, fondations ou trusts établis au sein de l’Union européenne. Cet accès sera permis aux autorités compétentes notamment aux cellules de renseignement financier et aux personnes physiques ou morales soumis aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux telles que les banques ou les assurances. L’accès du public à ces informations sera soumis à la condition de « l’intérêt légitime » sur le fondement du principe de la protection de la vie privée et des données personnelles. Pour certaines associations telle que Transparency International(3), prouver « l’intérêt légitime » est contradictoire avec l’objectif de transparence. Cependant pour les personnes assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment, ce registre pourrait constituer une avancée permettant une identification simplifiée des bénéficiaires effectifs notamment pour les structures complexes ou opaques. Néanmoins, cette avancée est à relativiser en ce que la 4e directive dispose(4) que les entités assujetties ne peuvent pas s’appuyer « exclusivement sur le registre central (…) pour remplir leurs obligations en matière de vigilance à l’égard de la clientèle ». 2. 3.

4. 110

Voy. note 1. « EU Agrees Money Laundering Transparency Reforms, but Full Access Denied », publié par Transparency International Liaison Office to the European Union le 17 décembre 2014. Article 29, § 8, de la Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention

En pratique, cela signifie que les États membres devront mettre en place un registre national synthétisant les informations sur l’identité des bénéficiaires effectifs mais que ce registre ne pourra pas constituer l’unique source d’information pour les personnes assujettis aux obligations de la 4e directive. Le champ d’application du registre inclut les sociétés et entités juridiques telles que les trusts, les fondations et les autres structures assimilées. Il concernera également les casinos. Néanmoins, les États membres seront libres d’intégrer ou non les sociétés de jeux de hasard et de loterie au dispositif proposé. Cette flexibilité a été négociée par certains États membres arguant notamment que ces sociétés de jeux d’argent et de hasard étaient communément des sociétés soumises aux monopoles d’États. La question s’est également posée de savoir à partir de quel seuil d’identification un bénéficiaire effectif devait être listé dans le registre national. Cette question fonde sa légitimité sur l’établissement par les États-­Unis de la réglementation FATCA qui prévoit des obligations à partir d’un seuil de 10 % de détention du capital(5). La 4e directive, en cours d’élaboration, conserve un seuil de 25 %. Ce pourcentage a l’avantage de ne pas alourdir la charge de gestion administrative et donc des coûts financiers pour les sociétés devant transmettre aux registres centraux les informations. Ce registre inclura, sauf circonstances exceptionnelles, le nom du bénéficiaire effectif, le mois et son année de naissance, sa nationalité, son pays de résidence, la nature et l’étendue approximative des intérêts réels détenus. Les circonstances exceptionnelles correspondent au cas dans lequel la divulgation des informations sur le bénéficiaire effectif l’exposerait à un « risque de fraude, d’enlèvement, de chantage, de violence ou d’intimidation ou si le bénéficiaire effectif est un mineur ou est autrement frappé d’incapacité »(6). En pratique, certaines questions demeurent sur la forme du registre national et ses conditions d’accès. En France, le registre pourrait s’appuyer sur un Kbis enrichi des informations sur les bénéficiaires effectifs. Une autre interrogation existe : comment s’assurer que les informations transmises sur les bénéficiaires effectifs sont correctes et actualisées ? Existera-­t‑il un mécanisme de contrôle des informations et de sanctions en cas de manquement ? Cette obligation, qui pourrait être une avancée indéniable pour la transparence, la lutte contre le blanchiment de capitaux et la fraude fiscale, devra toutefois trouver sa confirmation dans la pratique. de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, Bruxelles, 12 janvier 2015. 5. M. Guérineau et S. Lambert, « L’échange automatique d’informations fiscales de l’OCDE : un enjeu de transparence », R.I.S.F., 2014/4, pp. 108 et s. 6. Article 29, § 9, de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

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V. Fiscalité des services financiers Chronique sous la direction de Régis Vabres

Professeur à l’Université de Bourgogne

&

Georges Cavalier

Maître de conférences à l’Université de Lyon III

Avec la contribution de

Patrice Delacroix

Chargé de conférences à l’Executive Master en Gestion Fiscale de la Solvay Brussels School of Economics and Management

Dr. Karl Küpper

Rechtsanwalt (FAStR), Partner at PwC

&

Dr. Oliver von Schweinitz

Rechtsanwalt/Attorney (New York)/German Tax Advisor; Director at PwC

Sabrina Le Normand-­Caillère

Maître de conférences à l’Université d’Orléans

Les univers de l’OCDE et de l’UE ne sont pas sans communication : ce que fait la première ne reste pas inconnu de la seconde. Telle est la conclusion qui se dégage des modifications récentes de la directive « mère-­fille » ou encore de la directive du 9 décembre 2014 pour l’échange automatique de renseignements en matière fiscale : la lutte contre les hybrides ou la transparence fiscale sont des thèmes désormais communs aux deux organisations. Mais les notions, telle celle de « résidence fiscale », ne sont pas toujours harmonisées, ce qui peut poser des difficultés. L’unité notionnelle exige également interprétation au regard de l’exonération de TVA prévue en matière d’opérations financières. De même, les institutions nationales nouvelles, comme le plan d’épargne en actions (PEA) destiné au financement des petites et moyennes entreprises (PME), qui ne puisent pas aux sources internationales, méritent d’être néanmoins testées au regard du régime communautaire des aides d’État. En définitive, l’amateur de droit fiscal ne peut plus se contenter de s’intéresser au droit national, ce que confirme la présente chronique.

The universes of the OECD and the EU are not without communication: the actions of the former do not remain unknown to the latter. So much is evidenced by the recent modifications to the “parent-­subsidiary” directive or the December 9, 2014 directive concerning mandatory automatic exchange of information in the field of taxation; the fight against hybrid instruments or tax transparency are themes now common to both organizations. However concepts such as “tax residency” are still not harmonized and this could raise difficulties. The unification of concepts also demands interpretation with respect to VAT exemption of financial transactions. Moreover, new domestic institutions, such as the Share Savings Plan (PEA) targeting the financing of SMEs merit being tested with regard to the EU State Aid regime. In short, an amateur of tax law can no longer settle on concerning himself with domestic laws, so much is confirmed by the following columns.

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

V.A. Fiscalité directe PEA PME – ou la distorsion d’une faveur fiscale au profit d’Entreprises de taille intermédiaire cotées ?

Georges Cavalier Maître de conférences HDR, Université de Lyon

Dans le monde financier, le chroniqueur séduit toujours lorsque son sujet traite de cap et de floor, de directives européennes, ou de risques systémiques. Il séduit plus encore à l’évocation des scandales affectant les plus grands opérateurs bancaires de la place. Et le triomphe est garanti, à la vue de chiffres dont la longueur ne permet plus de savoir vraiment s’il s’agit de millions ou de milliards. La mondialisation des échanges imposerait la concentration et le gigantisme. En revanche, l’accueil serait moins enthousiaste lorsque l’exposé est consacré aux PME, autrement dit au commerce et à l’artisanat. Le plan d’épargne en actions (PEA) destiné au financement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) (1) devrait faire mentir à moitié l’affirmation qui précède : car le premier anniversaire de ce support d’investissement révèlerait qu’un grand nombre de titres de sociétés cotées l’alimenteraient. Le régime fiscal favorable du PEA PME, destiné à drainer l’investissement privé vers des sociétés qui présentent un degré de risque élevé, a été dévoyé : par le truchement des fonds communs de placement à risque en effet la faveur fiscale profiterait notablement aux investisseurs dans des entreprises cotées, lesquelles supportent pourtant un risque moindre. Ce constat structure un questionnement quant à une modification du régime d’éligibilité des titres intermédiés employés dans un PEA PME. Ce paradoxe s’explique par des raisons techniques qu’il convient de dévoiler après un retour en arrière sur la gestation et la naissance de ce compte titres. À la suite du rapport parlementaire Berger et Lefebvre du 2 avril 2013 intitulé Dynamiser l’épargne financière des ménages pour financer l’investissement et la compétitivité, (2) le 1.

La notion d’ETI a été introduite par la loi de modernisation de l’économie de 2008. 2. R. Berger et D. Lefebvre, Rapport au premier ministre, Dynamiser l’épargne financière des ménages pour financer l’investissement et la compétitivité, 2 avril 2013, disponible sur http://www.tresor.economie.gouv. fr/File/383682, et résumé à Dr. fisc., 2013, n° 15, act. 211. 112

ministre de l’Économie et des Finances a annoncé, aux assises de l’entreprenariat le 26 août de la même année, une réforme du PEA et la création d’un PEA dédié au financement des PME (3). Né avec la loi de finances pour 2014 (4), il ressemble à son grand frère, le PEA, dont il reprend l’essentiel des règles de fonctionnement et du bénéfice fiscal attractif. Il s’en distingue par le plafond des versements pouvant y être effectués (5), et surtout par la nature des titres exigibles : plus restrictif que son aîné, il est – en principe – réservé aux PME.

L’investissement dans

les PME est parfois une

loterie.

Or les titres de ces sociétés sont par nature risqués et leur valeur volatile, même si celle-ci peut se révéler très élevée dans une optique de long terme. En quinze ans, l’indice consacré aux petites et moyennes valeurs a certes connu beaucoup de soubresauts, mais il a battu le CAC 40 au cours de douze années : reste que l’investisseur préfère parfois un rendement moins élevé à des placements potentiellement plus rentables mais risqués. Car il faut bien le dire, l’investissement dans les PME est parfois une loterie : certains investisseurs réalisent des gains qui peuvent dépasser 50 % (6). Mais à l’autre bout de l’échelle des performances, d’autres affichent des pertes dans les deux tiers des cas et les moins-­values supérieures à 50 % sont monnaie courante. Cet ordre 3.

4. 5. 6.

Dr. fisc., 2013, n° 36, act. 476. Les ETI étaient bien visées dans le rapport au premier ministre, mais la motivation du dispositif transparait en faveur des PME lorsqu’il est écrit, p. 51, « Les PME de croissance, faute d’accès à des fonds propres suffisants, n’ont souvent d’autre choix avant d’atteindre la taille critique d’ETI que de se laisser racheter par de grands groupes au risque de conduire à bref délai à un arrêt rapide du développement de l’innovation ». Loi n° 2013‑1278 du 29 décembre 2013, art. 70, modifié par loi n° 2013‑1279 du 29 décembre 2013 (art. 13). 75.000 EUR par an pour le PEA PME contre 150.000 EUR pour le PEA : voy. art. D. 221‑113‑5 du Code mon. et fin., issu du décret n° 2014‑283 du 4 mars 2014. E. Leroux, « Fonds d’investissement : la loterie des performances », Le Monde, 13 octobre 2014.

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de raison explique aussi le relatif échec du PEA PME : 80.000 ouvertures après un an, comparé aux 5 millions de PEA (7). Les banques sont aussi réticentes à conseiller l’investissement dans une « petite » valeur pour laquelle, une fois son prix tombé, le client n’hésitera pas à engager la responsabilité de l’établissement financier. Mais quelles sont donc ces entreprises dont les titres sont éligibles au PEA PME ? Si les juristes s’accordent aujourd’hui sur la définition économique de l’entreprise (8), il n’existait pendant longtemps aucun consensus sur les critères permettant de distinguer les grandes entreprises des PME/ETI. Le législateur se référait aux dimensions de l’entreprise en privilégiant, au cas par cas, tantôt les effectifs, tantôt le chiffre d’affaires, voire un mélange de ces deux critères. Témoin, l’administration fiscale utilisant les termes de PME pour désigner les sociétés qui bénéficient du taux réduit de l’impôt sur les sociétés, dès lors que leur chiffre d’affaires est inférieur à 7.630.000 EUR (9). Mais à compter de 2005 de nouveaux seuils sont entrés en vigueur. L’axiome de base s’organise autour des PME dites « communautaires », c’est-­à-­dire celles qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros (10). Ce n’est pas cette définition européenne qui est retenue pour qualifier les sociétés émettrices des titres qualifiant pour le PEA PME, puisque sont également compris les titres des ETI. Il s’agit de ceux émis par une société qui occupe moins de 5.000 personnes et qui a un chiffre d’affaires n’excédant pas 1.500 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2.000 millions d’euros (11). Ce faisant, ces titres sont le cas échéant cotés sur un marché réglementé. Ils sont alors très éloignés des titres d’une PME et de l’objectif de ce régime fiscal attractif visant à orienter l’épargne privée vers des valeurs mobilières présentant une faible liquidité (12). Autrement dit, l’ETI dont les titres sont cotés n’est 7. Voy. B. Lety, « Un an après, le PEA-­PME peine à convaincre », disponible sur http://www.cbanque. com/actu/50794/un-­a n-­a pres-­l e-­p ea-­p me-­p eine-­a -­ convaincre (consulté le 20 mars 2015). 8. Voy. toutefois D. Legais, Droit commercial et des affaires, 21e éd., 2014, § 4. 9. L’article 219-­I-­b, du CGI ne vise que les « redevables », mais l’administration fiscale parle de PME (voy. BOI-­IS-­ LIQ-­20‑20120912). Le Code général des impôts distingue, parmi les entreprises, celles qui bénéficient du régime simplifié d’imposition des revenus : cette fois-­ci, le chiffre d’affaires retenu est environ 10 fois inférieur : 783.000 EUR s’il s’agit d’entreprises de vente, ou 236.000 EUR s’il s’agit d’entreprises de prestations de services (art. 302 septies A, du CGI). L’administration octroie également un régime fiscal de faveur pour les très petites entreprises, appelées microentreprises (art. 50‑0, 293 B, CGI). 10. Extrait de l’article 2 de l’annexe à la recommandation 2003/361/CE. 11. Code mon. et fin., art. L.221‑32‑2, para. 2. 12. Voy. par ex. G. Roulin, « De l’importance de la fiscalité dans le capital-­investissement », Fusions-­Acquisitions magazine, 2 décembre 2013. 2015/2

a priori clairement pas la priorité du PEA PME car ceux-­ci sont par hypothèse plus liquides que ceux d’une PME non cotée. Il sera pourtant rappelé que le régime fiscal attractif ne distingue pas PME et ETI et impose seulement des conditions de fonctionnement. Les gestionnaires de fonds ont pris avantage de cette absence de distinction fiscale pour favoriser les ETI où l’aléa est moindre au détriment du financement plus hardi des PME. Il sera donc rappelé, dans un premier temps, la faveur fiscale conditionnée du PEA PME (I) pour démontrer, dans un second temps, que la finalité de ce dernier a été partiellement dévoyée (II).

I. Une faveur fiscale conditionnée La faveur fiscale, d’une part, du PEA PME tient à l’exonération des gains réalisés, ce bénéfice étant, d’autre part, conditionné par le respect strict de règles de fonctionnement. L’exonération des gains réalisés conduit d’abord à ne pas soumettre à l’impôt sur le revenu (13) les profits réalisés sur le plan si aucun retrait n’est effectué pendant cinq ans. L’idée est de préserver un financement dans la durée, car l’apport de fonds à des PME est une catégorie d’investissement longue. Les profits sont toutefois soumis aux prélèvements sociaux au taux de 15,5 %. Mais si, plutôt que de sortir en capital, le contribuable opte pour le versement d’une rente viagère, celle-­ci est exonérée d’impôt au-­delà de huit années (14). Et l’investisseur peut ensuite bénéficier d’une réduction de la base soumise aux prélèvements sociaux : seule une partie, variable selon l’âge atteint au premier versement de la rente, y est alors soumise (15). Prenons un exemple évocateur : si le contribuable a entre soixante et soixante-­neuf ans lors du premier versement, seuls 40 % de sa rente sera soumis aux prélèvements sociaux. Mais le bénéfice de cette faveur fiscale est conditionné par des règles de fonctionnement qui sont, d’abord, celles du PEA « classique » : les sommes versées sur le plan sont consacrées à l’achat ou à la souscription des titres éligibles. L’organisme gestionnaire du plan (établissement de crédit, entreprise d’assurance) porte au crédit du compte en espèces les versements effectués par le titulaire, ainsi que le montant des produits en espèce que procurent les valeurs inscrites au compte de titres associés ou le montant des ventes de ces valeurs (16). 13. Voy. aussi la réduction « ISF-­Fonds » accordée au titre de la souscription en numéraire de parts de fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) et des fonds d’investissement de proximité (FIP). 14. Tout retrait avant le huitième anniversaire du plan entraîne sa clôture. 15. CGI, art. 158, 6. 16. Code mon. et fin., art. R 221‑111, II. Et inversement, l’organisme gestionnaire porte au débit du compte le montant des souscriptions ou acquisitions des valeurs

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Chroniques

V.A. Fiscalité directe


Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

Ces emplois autorisés sont ensuite réservés aux titres émis par des sociétés établies dans l’Union européenne ou dans l’Espace économique européen : les titres émis par des sociétés établies en Islande, Norvège, et au Liechtenstein sont donc aussi éligibles. Cette extension à l’EEE n’est pas symbolique : même si une poignée de sociétés européennes (non françaises) installées en Belgique, Ireland, Italie, ou Luxembourg sont mentionnées dans la liste publiée par Euronext (17), les spécialistes avancent que près de 40 % des fonds éligibles seraient dirigés vers des entreprises non hexagonales (18). Pourtant, ce régime fiscal attractif ne semble pas être réellement mis au service des PME puisqu’il financerait à titre principal des ETI cotées : le support « PEA PME » voit donc sa finalité partiellement dévoyée.

II. Une finalité partiellement dévoyée La finalité partiellement dévoyée du PEA PME, qui pourrait être renommée « PEA ETI », est d’une part révélée par le bilan mitigé qu’il convient de dresser à peine soufflé sa première bougie (19). Une explication s’articule, d’autre part, dans la non-­application de la règle de quotas d’investissement intermédiés aux fonds communs de placements à risques (« FCPR »). Le bilan mitigé l’est, d’abord, s’agissant des règles qui entourent l’appréciation des seuils d’éligibilité des titres retenus (20). Ces seuils (moins de 5.000 salariés et chiffre d’affaires annuel inférieur à 1.500 millions d’euros ou total de bilan inférieur à 2.000 millions d’euros), sont naturellement appréciés sur la base des derniers comptes de la société émettrice des titres concernés inscrites au compte de titres associé, et le montant des retraits en espèces. Les frais de gestion ou de transaction sont également portés au débit du compte en espèces. L’administration fiscale admet toutefois que les frais de gestions (frais d’ouverture et de tenue du plan, droits de garde et frais de clôture ou de transfert) soient portés au débit d’un autre compte : BOI-­RPPM-­ RCP-­40‑50‑20‑20‑20150115, n° 20. 17. https://www.euronext.com/sites/www.euronext. com/files/content/liste_pea-­pme.xls?1426948616870 (consulté le 20 mars 2015). Mais la liste n’a aucun caractère officiel et n’est donnée qu’à titre informatif : l’investissent n’est donc pas à l’abri d’une société qui se serait trompée dans ses calculs et qui se serait déclarée à tort éligible au PEA-­PME (voy. BPAT 3/14 – 1 Investir sur le nouveau PEA-­PME : ne pas se tromper de titres !). L’explication tient seulement à la méconnaissance, par les autres sociétés européennes éventuellement éligibles, du dispositif de publicité auprès d’Euronext afin d’attirer des investisseurs domiciliés fiscalement en France. 18. A. Tonnelier, « Premier bilan mitigé pour le dispositif fiscal PEA-­PME  », Le Monde, 9 janvier 2015. 19. Institué à compter du 1er janvier 2014, mais officiellement lancé le 5 mars 2014. 20. Rappr. note ANSA n° 14‑011 (mars 2014). 114

et, le cas échéant, de ceux des sociétés avec lesquelles elle constitue un groupe (entreprises ayant un lien en capital ou en droits de vote supérieur à 25 %). Ce mode de calcul consolidé des limites de tailles (21) présenterait l’avantage de réduire le nombre d’ETI appartenant à un groupe qui peuvent figurer sur un PEA PME. Mais les gestionnaires emploient des parts de fonds de capital-­ risque (fonds d’investissement de proximité pour soutenir les PME d’un périmètre géographique donné, fonds communs de placements dans l’innovation pour les PME innovantes, et FCPR) qui ne sont pas soumis aux règles de quotas des autres investissements intermédiés (22). Ces derniers, au contraire, tels les FCP et SICAV, peuvent émettre des parts et actions employées sur un PEA PME dès lors qu’ils sont investis à 75 % dans des PME et ETI, dont les deux tiers devront être investis dans des titres éligibles définis ci-­dessus (23). En d’autres termes, les investissements intermédiés sont éligibles dès lors qu’au moins 50 % de l’actif des entités sont investis en titres de capital émis par des PME et ETI, et 25 % dans d’autres titres émis par ces entités tels que des obligations. L’intérêt pour l’investisseur est de profiter du dynamisme des valeurs moyennes tout en bénéficiant de la sécurité associée aux placements obligataires. Mais les fonds de capital-­risque ne sont pas soumis à une telle règle (24). Et parmi ces fonds, ce sont surtout les FCPR qui bénéficient d’un avantage concurrentiel, car leur quota d’investissement en titres non cotés 21. Il explique aussi l’enfantement difficile de ce produit d’épargne compte tenu des risques d’erreur importants pour ces dernières sociétés, faute de disposer d’informations publiques sur leur actionnariat non coté : ces difficultés à démêler les liens capitalistiques entre maisons mères et filiales avaient même entraîné – un temps – l’interruption des souscriptions. Les seuils sont appréciés à la date d’acquisition des titres ou, pour les fonds, à la date à laquelle le fonds réalise ses investissements. Ceci implique que les titres des entreprises qui franchiraient ces seuils pourront être maintenus dans le PEA PME. 22. Bien entendu, le PEA-­PME peut être investi directement en autres titres donnant accès au capital : (i) actions ou certificats d’investissement de sociétés et certificats coopératifs d’investissement ; (ii) parts de SARL ou de sociétés dotées d’un statut équivalent ; (iii) droits ou bons de souscription ou d’attribution attachés aux actions mentionnées ci-­dessus (seulement pour ceux existants aujourd’hui – sont exclus les droits et bons qui seront émis en vue d’augmentation de capital) ; (iv) pour les actions non cotées, la règle est la même que pour le PEA classique : la participation ne doit pas excéder plus de 25 % du capital. Comme dans le PEA de droit commun, les titres de sociétés immobilières (SIIC) ne seront pas éligibles. 23. Code mon. et fin., art. L.221‑32‑2, para. 3 a) et b). 24. Code mon. et fin., art. L.221‑32‑2, para. 3 d). Voy. aussi Navis fiscal RM-­ IV-­ 26170. L’explication du BOFIP tient aux « contraintes d’investissement auxquelles ces fonds sont d’ores et déjà soumis » : voy. BOI-­RPPM-­RCM-­40‑55‑20150115.

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n’est que de 50 % (25). Cela signifie donc a contrario que le FCPR peut investir jusqu’à 49,9 % en titres cotés, par exemple ceux de sociétés formant l’indice « CAC 40 » ; et si l’on ajoute le fait que sont également éligibles au quota d’investissement de 50 % les titres de petites capitalisations boursières (26) à hauteur de 20 % de l’actif du fonds, c’est en théorie 79,9 % des actifs du fonds qui peuvent être constitués de titres admis aux négociations sur un marché réglementé.

Elle supposera (…) que

le régime fiscal du PEA PME ne constitue pas une

« aide d’État ».

Les gestionnaires d’actifs disposaient bien avant la création du PEA PME de FCP et de SICAV de classification « actions » investissant dans des petites capitalisations, au détriment des PME non cotées principalement visées 25. Code mon. et fin., art. L.214‑28 ; alors que pour les FIP et FCPI, le quota est fixé à 70 % (voy. Code mon. et fin., L.214‑30 et L.214‑31). 26. C’est-­à-­dire inférieures à 150 millions d’euros.

par le PEA PME. Et ce sont en pratique ces fonds qui seraient largement venus alimenter les PEA PME. Or une société dont la capitalisation boursière est inférieure à 150 millions d’euros a un accès plus commode au financement bancaire que la PME non cotée. Le PEA PME profiterait ainsi notablement aux ETI cotées. Si le PEA PME veut réellement atteindre les buts fixés par le législateur, il nous semble donc devoir considérer une modification des règles d’éligibilité au PEA PME des parts de FCPR (27). Et si cette proposition de réforme du Code monétaire et financier s’incarne un jour dans le verbe législatif, elle supposera, bien entendu, que le régime fiscal du PEA PME ne constitue pas une « aide d’État » … ce qui mériterait encore d’être vérifié (28) … 27. À l’article L.221‑32‑2, para. 3 d) précité pourrait être ajoutée la condition suivante « et dont l’actif est constitué pour plus de 75 % de titres d’entreprises définis au 2, parmi lesquels au moins les deux tiers sont des titres mentionnés aux a et b du 1 ». 28. Constitue une aide d’État tout avantage octroyé par un État à certaines entreprises ou productions, dès lors qu’il risque de fausser la concurrence et d’affecter les échanges au sein de l’UE. La France a mis en œuvre le PEA PME sans l’avoir, le cas échéant, notifié au préalable à la Commission européenne. L’exposé des motifs sous l’article 70 du projet de loi de finances pour 2014 se borne à constater que l’article introduisant le PEA PME est « par ailleurs compatible avec le droit européen en vigueur ou en cours d’élaboration » (voy. Évaluation préalable des articles du projet de loi, p. 307, disponible à http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?id Document=JORFDOLE000027991163&type=general& legislature=14).

Modifications récentes de la directive mère-­fille Patrice Delacroix

Chargé de conférences à l’Executive Master en Gestion Fiscale de la Solvay Brussels School of Economics and Management

I. Contexte La question de l’évasion fiscale des sociétés figure au premier rang des priorités politiques tant au niveau européen qu’au niveau international. Elle fut l’objet de réunions récentes du G8 et du G20 et fut également au centre des derniers travaux de l’OCDE. Il est en effet apparu nécessaire aux yeux de ces instances internationales de mettre en place une action concrète visant à combattre l’évasion et la fraude fiscales. C’est dans ce contexte qu’est notamment né le Projet « BEPS » 2015/2

de l’OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices. Ce dernier définit quinze actions clés qui devraient être mises en place d’ici la fin de l’année. Parallèlement, au niveau européen, la Commission a présenté, le 6 décembre 2012, une recommandation relative à la « planification fiscale agressive ». Parmi les différentes mesures proposées dans cette recommandation, on trouvait déjà la volonté de la Commission que les « États membres adoptent une règle anti-­abus générale, adaptée aux situations nationales et transfrontalières limitées à l’intérieur de l’Union ainsi qu’aux situations impliquant des pays tiers »(1). Bien que cette recommandation ne soit pas contraignante au même titre qu’une directive, celle-­ci montrait déjà clairement quelles étaient les intentions de la Commission. 1. Recommandation de la Commission du 6 décembre 2012 relative à la planification fiscale agressive, C(2012) 8806 final.

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V.A. Fiscalité directe


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V. Fiscalité des services financiers

Depuis lors, cette idée de mesure générale anti-­abus a fait du chemin et se retrouve depuis peu dans la nouvelle mouture de la directive n° 2011/96/UE, mieux connue sous le nom de directive « mère-­fille ». Nous allons y revenir plus en détails dans cette contribution, de même qu’en ce qui concerne la disposition anti-­ abus spécifique concernant les instruments financiers hybrides elle-­même également introduite récemment dans la directive « mère-­fille ».

II. Directive européenne « mère-­fille » Cette directive, adoptée dans les années 1990(2), visait à éviter la double imposition économique à l’occasion de la distribution de dividendes au sein de groupes transfrontaliers. À cette fin, dans une relation mère-­ fille, la directive prévoit, d’une part, une exonération de retenue à la source dans l’État membre de la société filiale qui distribue le dividende (l’État de la source) et, d’autre part, une exonération (ou un crédit d’impôt) à l’impôt sur les revenus dans l’État membre de la société mère qui le perçoit (l’État de résidence). La philosophie de l’époque était donc d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur au sein de l’Union européenne et de prévenir toute forme de double imposition. Ainsi, la directive initiale ne s’occupait que de manière marginale des risques d’abus. Son article 1.2 mentionnait uniquement que « la directive ne fai(sait) pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus ». Autant dire que cette disposition était rarement invoquée en pratique et les cas de jurisprudence concernant cette disposition (ou une disposition équivalente que l’on retrouve notamment dans la directive dite fusion) revenaient plutôt à vérifier la compatibilité de mesures anti-­abus nationales avec le droit européen. En d’autres termes, la question revenait plutôt à savoir si une disposition anti-­abus nationale n’allait pas trop loin et n’était pas contraire (car trop large) à celle prévue par la directive « mère-­fille ».

III. Autres temps, autres mœurs … Depuis le début des années 90, les choses ont évolué, et certainement ces dernières années ! La philosophie 2.

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La directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents a été modifiée au fil du temps à plusieurs reprises et de façon substantielle. Dans un souci de clarté, celle-­ci fut refondue dans la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011.

n’est en effet plus aujourd’hui à prévenir la double imposition mais, au contraire, de prévenir des situations de double non-­imposition contraires à l’esprit de la directive. À cette fin, la directive « mère-­fille » a été amendée à deux reprises en quelques mois. La première modification date du 8 juillet 2014 et est destinée à lutter contre les financements hybrides. Celle-­ci prend essentiellement la forme d’une « correction technique » en ce qu’elle ne laisse que peu de latitude aux États membres pour apprécier son champ d’application et ses effets. La seconde modification, qui date du 27 janvier 2015, constitue une « mesure générale anti-­abus », dont le champ d’application semble très large.

IV. Disposition anti-­abus spécifique destinée à lutter contre les instruments financiers « hybrides » (directive 2014/86/UE du Conseil du 8 juillet 2014) La directive entend s’attaquer aux instruments financiers « hybrides ». Ces produits financiers présentent certaines caractéristiques proches des instruments de dettes (comme des obligations) mais également certaines caractéristiques que l’on retrouve généralement dans les instruments financiers de type actions. Ce caractère hybride fait qu’ils sont, dans certains cas, traités de façon différente d’un État membre à l’autre. Les uns voient ces instruments financiers comme des instruments de dettes (générant des intérêts), les autres comme des participations au capital de la société émettrice (dont le rendement constitue alors un dividende). Si la société qui a émis ces instruments est établie dans un État membre qui considère ceux-­ci comme des instruments de dettes, les paiements effectués seront en principe déductibles dans son chef alors que si la société qui a souscrit à ces instruments est établie dans un État membre qui considère ceux-­ci comme des actions, les revenus perçus qualifieront de dividendes et pourront, sur base du texte de la directive « mère-­fille » actuelle soit bénéficier d’une exemption, soit d’un crédit d’impôt. Résultat : une déduction d’un côté et une exemption (ou un crédit d’impôt) de l’autre ! Voilà le type de « situations de double non-­imposition » contre lesquelles la Commission voulait s’attaquer. Pour remédier à ces situations de double non-­imposition, une mesure spécifique « anti-­hybrides » a donc été introduite par la directive 2014/86/UE du 8 juillet 2014 modifiant la directive 2011/96/UE(3). Concrètement, 3. Le deuxième considérant de la directive précise que « le bénéfice de la directive 2011/96/UE ne doit pas conduire à des situations de double non-­imposition et,

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avant d’appliquer l’exonération (ou le crédit d’impôt) prévu par la directive « mère-­fille », la société mère devra s’assurer que le revenu perçu n’a pas été déduit à l’impôt sur les revenus dans l’État membre de la filiale(4). Dans cette hypothèse, elle devra imposer le dividende perçu et n’aura pas le choix de l’exempter !

La société mère devra

s’assurer que le revenu perçu n’a pas été déduit à l’impôt sur les revenus dans l’État membre de la

filiale.

Il en résulte qu’un groupe transfrontalier dont la filiale et la mère utilisent des instruments hybrides ne pourra plus être exempté d’imposition du côté de la société mère si le paiement est déductible dans l’État membre de la filiale.

V. Mesure générale anti-­abus (directive (UE) 2015/121 du Conseil du 27 janvier 2015) La deuxième modification de la directive « mère-­fille » concerne le renforcement de la mesure anti-­abus déjà existante dans la directive mais jugée insuffisante puisqu’elle se limitait à prévoir la possibilité pour les États membres d’appliquer les dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et les abus. Ainsi, une « mesure générale anti-­abus » a été introduite par la directive (UE) 2015/121 du Conseil du 27 janvier 2015 modifiant la directive 2011/96/UE et

4.

par conséquent, générer des avantages fiscaux indus pour les groupes de sociétés mères et filiales d’États membres différents par rapport aux groupes de sociétés d’un même État membre ». Le troisième considérant de préciser que « Pour éviter les situations de double non-­imposition découlant de l’asymétrie du traitement fiscal appliqué aux distributions de bénéfices entre États membres, il convient que l’État membre de la société mère et celui de son établissement stable n’octroient pas à ces entreprises l’exonération fiscale applicable aux bénéfices distribués qu’elles ont reçus, dans la mesure où ceux-­ci sont déductibles par la filiale de la société mère ».

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ce dans la mesure où « il est nécessaire de veiller à ce que les contribuables qui relèvent du champ d’application de la directive 2011/96/UE n’en fassent pas un usage abusif ». L’idée étant également d’avoir une plus grande cohérence en matière d’outil contre la fraude et l’évasion fiscales entre les différents États membres. Cette mesure anti-­abus se présente comme suit : « Les États membres n’accordent pas les avantages de la présente directive à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la présente directive, n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents. Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties. (…) un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique ». Par voie de conséquence, la directive « mère-­fille » oblige désormais les États membres à ignorer les montages artificiels construits dans l’unique but d’utiliser les lacunes de la directive afin de ne pas payer d’impôt. Le montage sera considéré artificiel s’il ne correspond pas à une réalité économique.

La directive « mère-­fille »

oblige désormais les États membres à ignorer les montages artificiels construits dans l’unique but d’utiliser les lacunes de la directive afin de ne pas payer d’impôt.

Afin d’interpréter cette disposition (bien qu’il n’y ait pas directement de lien entre les deux), il pourrait être utile de se référer à la recommandation de la Commission européenne du 6 décembre 2012(5) qui 5. Recommandation de la Commission du 6 décembre 2012 relative à la planification fiscale agressive (C(2012) 8806 final). Dans cette recommandation, la Commission encourageait les États membres à introduire une mesure générale anti-­abus rédigée comme suit : « les

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V.A. Fiscalité directe


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V. Fiscalité des services financiers

comprend une liste (illustrative et non limitative) de critères auxquels les autorités nationales devraient (selon la Commission) avoir égard pour déterminer si les montages ont une substance économique : 1.  la qualification juridique des différentes étapes qui composent le montage est incompatible avec la nature juridique du montage pris dans son ensemble ; 2.  le montage ou l’ensemble de montages est mis en œuvre d’une manière qui n’aurait généralement pas cours dans le cadre de ce qui devrait être une conduite raisonnable des affaires ; 3.  le montage ou l’ensemble de montages contient des éléments qui ont pour effet de se compenser ou de s’annuler ; 4.  les opérations conclues sont de nature circulaire ; 5.  le montage ou l’ensemble de montages donne lieu à un avantage fiscal considérable, mais cet avantage ne se reflète pas dans les risques commerciaux pris par le contribuable ni dans les flux de trésorerie de ce dernier ; 6.  le bénéfice escompté avant impôt est négligeable par rapport au montant de l’avantage fiscal escompté. Par cette mesure, l’Union européenne entend mettre fin au recours à certaines structures ou dispositifs montages artificiels ou ensembles artificiels de montages mis en place essentiellement dans le but d’éviter l’imposition et conduisant à un avantage fiscal sont ignorés. Aux fins de la fiscalité, les autorités nationales traitent ces montages sur la base de leur réalité économique ». Elle précisait en outre ce qu’il faut entendre par « montage », c’est-­à-­dire « tout type de régime, de transaction, de mesure, d’opération, d’accord, de subvention, d’entente, de promesse, d’engagement ou d’événement. Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties ». Il semble bien que la mesure générale anti-­abus introduite dans la directive mère-­fille soit inspirée de ces travaux.

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acceptables d’un point de vue strictement légal mais qui ne respecteraient pas l’esprit et le but de la directive « mère-­fille » (comme par exemple l’interposition d’une société européenne entre une filiale européenne et une mère hors Union). Comme par le passé, cette règle européenne s’appliquera selon la formule de minimis de sorte que chaque État membre pourra appliquer des mesures anti-­abus de droit national ou conventionnel (pour autant qu’elles soient conformes au droit communautaire – la nouvelle mesure anti-­abus n’est pas la porte ouverte à l’excès inverse qui consisterait à considérer toute structure au sein d’un groupe comme ipso facto représentative d’un abus). Contrairement à la correction technique traitant des financements hybrides, qui fut adoptée relativement rapidement, la mesure générale anti-­abus a fait l’objet de plus âpres discussions avant d’aboutir à l’accord unanime requis. Proposée en novembre 2013, cette mesure n’a été approuvée qu’en décembre 2014. Un délai d’un an a été nécessaire afin de convaincre tous les États membres car certains d’entre eux craignaient que cette « obligation de taxation » ne crée un précédent dangereux. Les États membres ont jusqu’au 31 décembre 2015 pour transposer cette directive dans leurs législations nationales.

VI. Conclusion Ces deux modifications de la directive « mère-­fille » dans un laps de temps très court témoignent bien de la nouvelle donne en matière de fiscalité internationale où l’accent est désormais mis – à juste titre – sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, mais également contre la planification jugée trop agressive, ce qui sera vraisemblablement source de plus de problèmes d’interprétation à l’avenir. On verra dans quelle mesure ces objectifs seront atteints dans les années qui viennent.

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Chroniques

V.A. Fiscalité directe

The Definition of “Residency” under the Common Reporting Standard

Dr. Karl Küpper

Dr. Oliver von Schweinitz

Rechtsanwalt (FAStR), Partner at PwC

On 21 July 2014, the OECD published its “Common Reporting Standard” to standardize the global automatic exchange of information on foreign financial accounts. “Automatic” in this context is merely the opposite of “spontaneous” or upon request. The “Common Reporting Standard” (“CRS”) in the broader sense comprises: 1.  the “Competent Authority Agreement” (“CAA”), 2. the “Common Standard on Reporting and Due Diligence for Financial Account Information” (unfortunately, also referred to as “Common Reporting Standard” strictu sensu), 3. as well as the “Commentaries on the Model Competent Authority Agreement and the Common Reporting Standard” mentioned in 1 and 2 above (the “Commentary”). On 29 October 2014, 51 jurisdictions signed a “multilateral competent authority agreement” on the basis of the CRS in order to automatically exchange information based on Article 6 of the Multilateral Convention on Mutual Administrative Assistance in Tax Matters. Among the initial 51 jurisdictions, all 28 EU Member States except Bulgaria have signed. (1)To date, some 93 (2) jurisdictions have agreed to implement the CRS. Amongst the 28 EU Member States, the directive on administrative cooperation in the field of taxation (2011/16/EU) was amended through Directive 2014/107/EU of 9 December 2014 “as regards mandatory automatic exchange of information in the field of taxation”, thereby basically (3) adopting the CRS within the EU. Such revised Directive on Administrative 1.

2. 3.

Cfr the list of signatories of the CAA on the OECD Global Forum on 19 November 2014, or immediately afterwards: http://www.oecd.org/tax/exchange-­of-­tax-­ information/MCAA-­Signatories.pdf. Cfr the OECD list of jurisdictions committed to implement CRS, dated 6 March 2015, http://www.oecd.org/ tax/transparency/AEOI-­commitments.pdf. The EU member states will apply the EU DAC II and the respective local implementations as of 1 January 2016 and exchange information automatically thereunder for the first time by 30 September 2017, with the exception of Austria applying the directive as of 1 January 2017 and exchanging information as of 30 September 2018

2015/2

Rechtsanwalt/Attorney (New York)/German Tax Advisor; Director at PwC Cooperation” (hereafter “DAC II”) was published in the Official Journal of the European Union on 16 December 2014 (L 359/1).

The definition of

residency is not uniform within the CRS and will depend on the

context.

Account onboarding procedures have to be amended by January 1st, 2016, the date set for the group of “Early Adopter” jurisdictions, in order to capture tax residencies of new account holders. Naturally, many financial institutions struggle as they strive to get the CRS/DAC II implemented into their systems within a very short timeframe. Such an ambitious deadline leaves little time to all participants (including governments) to consider specific legal or technical issues that will eventually be resolved over time. One such issue, however, is the definition of “tax residency”. The term “residency” seems to be used differently with respect to (I) the test of “residency” as applied to a financial institution (“FI”) to determine the tax administration to which its reports must be sent, and (II) the tax residency test for account-­holders. When used in the context of financial institutions, the term is full of supervisory law/level-­playing field considerations whereas for the determination of “tax residency” for account-­holders, the term is primarily “tax-­oriented”. In the CRS terminology, the term “residency” is thus used differently when relating to a “Participating Jurisdiction Financial Institution” (cfr I. Residency of (Preamble (19), Article 2(2) and Annex I. Section X of EU DAC II).

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119


Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

financial institutions, below) and when relating to an individual or an entity-­account-­holder as a “Reportable Jurisdiction Person” (cfr II. Tax residency of account holders below).

I. Residency of financial institutions Pursuant to Section VIII (A)(2) of the Model Competent Authority Agreement, the term “Participating Jurisdiction Financial Institution” means: (i)  “any Financial Institution that is resident in a Participating Jurisdiction, but excludes any branch of that Financial Institution that is located outside such Participating Jurisdiction, and (ii)  any branch of a Financial Institution that is not resident in a Participating Jurisdiction, if that branch is located in such Participating Jurisdiction”. (4) This rather convoluted wording seems to encompass both “domestic” entities and “foreign” entities with their “local” branches. For this purpose, as stated in the Commentary, a FI is resident in a Participating Jurisdiction if it is “subject to the jurisdiction of such Participating Jurisdiction (i.e. the Participating Jurisdiction is able to enforce reporting by the Financial Institution). In general, where a FI is resident for tax purposes in a Participating Jurisdiction, it is subject to the jurisdiction of such Participating Jurisdiction and it is, thus, a Participating Jurisdiction Financial Institution.” (5) The CRS Commentary also provides for specific rules to address non-­resident FIs, multiple resident entities and trusts; apparently, Member States sensed a particular urgency to address these cases (which might be more prone to tax abuse) and declared the traditional rules to determine “tax-­residency” thereby inapplicable. Instead, the Commentary introduces additional requirements according to which a Financial Institution will be considered to be subject to the jurisdiction of a Participating Jurisdiction including place of incorporation and place of management. (6) Accordingly, the following scenarios may be distinguished: –  FIs as “normal” tax resident entities: “residence” to be interpreted as “residence for tax purposes”, –  FIs as non-­ tax resident entities (except trusts): “Residence” to be determined under the following criteria: The jurisdiction under the laws of which it is incorporated, place of management or where it is subject to financial supervision, 4. 5. 6. 120

Model Competent Authority Agreement, Section VIII (A)(2). Cfr Commentary on Section VIII, p. 158, para. 4. Cfr Commentary on Section VIII, p. 158, para. 4‑6.

–  FIs as multiple resident entities (except trusts): “Residence” to be determined by the jurisdiction where the accounts are maintained, and –  Trust-­FIs: “Residence” to be determined by where one or more trustees are resident, unless the trustee knows the required information is being reported elsewhere because the trust is treated as tax resident there. Despite this relatively nuanced approached, even the above long list may not give enough clarity with respect to “virtual” banks without physically clearly defined operations. Furthermore, in international financial groups, sales and booking locations often vary. In that case, the place where the booking occurs should be the logical basis for determining the reportable jurisdiction. It is to be seen whether the OECD will give any further extensions to its existing Commentary to clarify issues or how a consensus will develop around these issues. In any case, financial institutions should keep supervisory law parameters in mind. Where a CRS jurisdiction fears that “its” customers are being serviced by another non CRS jurisdiction, such CRS jurisdiction may well decide to use its supervisory law to prevent the servicing of its customers by the non CRS jurisdiction.

II. Tax residency of account holders Whereas the residency of FIs is a mere group compliance issue for the FIs themselves (and the competent tax authorities of the jurisdictions concerned), the “tax residency” of account holders will affect all individuals and entities worldwide in the participating jurisdictions. In order to determine the account holder’s tax residency, the CRS primarily relies on self-­certifications in the registration procedure and thus account holders will have to form an opinion about their own tax residency for CRS purposes; in a second stage, the account keeping FIs will have to undertake a plausibility check of such self-­certifications. The final responsibility for determining the residency of account holders lies with the account holders themselves. FIs “merely” have the obligation to comply with the methodical steps described in the CRS due diligence rules, such as obtaining self-­certifications from account holders where required and checking the “reasonableness” of such self-­ certifications with the other documentary evidence on file. The “tax residency” of account holders remains, however, a term only defined by reference to the “Model Tax Convention on Income and on Capital” (hereafter the “Model Convention”) (7) and not defined by the CRS 7. Model Tax Convention with respect to Taxes on Income and on Capital, OECD 2014, condensed ver-

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itself. The silence of the CRS itself in respect of this issue is owed not only to a certain degree of “respect” existing prior to the Model Convention but may in our view also be explained by a historical evolution.

The definition of tax

residency of account-­ holders will depend on local tax law and – where applicable – tiebreaker rules among application conventions for the avoidance of double

taxation.

A. Residency of account holders, a central term of the CRS only defined by reference in its Commentary to the Model Convention Although “residency” is possibly the concept at the heart of the CRS, the latter only refers to the term and it does not give a proper definition. However, the very first sentence of the introduction to the CRS is a clear illustration of the idealism which accompanies this OECD work and it contains the word “residence”: “As the world has become increasingly globalized it is easier for all taxpayers to make, hold and manage investments through financial institutions outside of their country of residence. Vast amounts of money are kept offshore and go untaxed to the extent that taxpayers fail to comply with tax obligations in their home jurisdiction.” The CRS mentions the word “residency” or “resident” 390 times. One might expect the CRS to centrally define the term (among the “defined terms” section but there might also be good reasons (besides the enormous time pressure on the OECD officials and the governments sion (http://www.oecd.org/ctp/treaties/2014-­model-­ tax-­convention-­articles.pdf). 2015/2

during the early negotiation stages) why the CRS itself is relatively silent on the subject. The primary reason should be that the CRS is merely “procedural” in its legal nature. It is embedded in the other ongoing works of the OECD, such as – notably – the Model Convention. These other works are subject to substantial “material” debate as the OECD member countries (as well as countries with consultative voice) discuss how to amend the Model Convention in view of “Base-­Erosion-­Profit-­Shifting” (BEPS). It seems to us that it is this aspect of the OECD “material” works which has had the effect of “silencing” the CRS on the issue. The current Model Convention, in its Article 4, contains a definition of “resident of a contracting state”. Such person is defined as: “any person who, under the laws of that State, is liable to tax therein by reason of his domicile, residence, place of management or any other criterion of a similar nature, and also includes the State and any political subdivision or local authority thereof.” The territorial origin of payments in particular is insufficient as it does not constitute a “criterion of a similar nature”. Although merely a consequence of the sentence quoted above, its following sentence specifies that “the term (…) does not include any person who is liable to tax in that State in respect only of income from sources in that State or capital situated therein.” Article 4(2) and (3) then contain the “tie-­breaker” rules for individuals (para. 2) and for “persons other than an individual” (para. 3). Residency under the Model Convention is thus defined in a two-­step process: by reference to domestic law (“unlimited tax liability” (step 1) and the tie-­breaker-­rules (step 2). The only part of the CRS that alludes to these rules is the Commentary on Section IV concerning the “Due Diligence for New Individual Accounts”, page 127, para. 4 which states: “The self-­certification must allow determining the Account Holder’s residence(s) for tax purposes. Generally, an individual will only have one jurisdiction of residence. However, an individual may be resident for tax purposes in two or more jurisdictions. The domestic laws of the various jurisdictions lay down the conditions under which an individual is to be treated as fiscally “resident”. They cover various forms of attachment to a jurisdiction which, in the domestic taxation laws, form the basis of a comprehensive taxation (full liability to tax). They also cover cases where an individual is deemed, according to the taxation laws of a jurisdiction, to be resident of that jurisdiction (e.g. diplomats or other persons in government service). To solve cases of double residence, tax conventions contain special rules which give the attachment to one jurisdiction a preference over the attachment of the other jurisdiction for purposes of those conventions. Generally, an individual will be resident for tax purposes in a jurisdiction if, under the

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Chroniques

V.A. Fiscalité directe


Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

laws of that jurisdiction (including tax conventions), he pays or should be paying tax therein by reason of his domicile, residence or any other criterion of a similar nature, and not only from sources in that jurisdiction.” While the CRS thereby refers to Article 4(1) of the Model Convention – which itself refers to the national laws of the contracting states in question –, it is worth noting that it also allows for the application of the tiebreaker rules. It states (Commentary on Section IV, page 128, para. 4): “Dual resident individuals may rely on the tiebreaker rules contained in tax conventions (if applicable) to solve cases of double residence for determining their residence for tax purposes.” In the context of “New Entity Accounts”, the reference to the tiebreaker rule – i.e. here Article 4(3) of the Model Convention in particular – is repeated (“Commentary on Section VI concerning Due Diligence for New Entity Accounts, page 144, para. 7): “It may be rare in practice for an Entity to be subject to tax as a resident in more than one jurisdiction, but it is, of course, possible. The domestic laws of the various jurisdictions lay down the conditions under which an Entity is to be treated as fiscally “resident”. They cover various forms of attachment to a jurisdiction which, in the domestic taxation laws, form the basis of a comprehensive taxation (full tax liability). To solve cases of double residence, tax conventions contain special rules which give the attachment to one jurisdiction a preference over the attachment of the other jurisdiction for purposes of those convention. Generally, an Entity will be residence for tax purposes in a jurisdiction if, under the laws of that jurisdiction (including tax conventions), it pays or should be paying tax therein by reason of his domicile, residence, place of management or incorporation, or any other criterion of a similar nature, and not only from sources in that jurisdiction. Dual resident entities may rely on the tiebreaker rules contained in tax conventions (if applicable) to solve cases of double residence for determining their residence for tax purposes.” (8)

B. Other reasons for the relative silence The relative silence regarding the definition of the term is also linked to the silence from the preceding legislation, the Model Intergovernmental Agreement (cfr below) and the scope of duties of financial institutions 8.

122

The Commentary goes on to explain the application of these sentences in the case of a company where Participating Jurisdictions either jointly or separately define residency by reference to the place of incorporation or the place of management but does not itself contain a scenario for the application of the tiebreaker rules.

under the CRS (cfr C. The scope of duty of financial institutions under the CRS, below). The OECD is one of the truly global standard setters in today’s world. As such, it is extremely rare for OECD law to refer to any national legal development. Nonetheless, in the context of the GIIN (Global Intermediary Identification Number), the CRS refers to the US Internal Revenue Service and mentions the “Model Intergovernmental Agreement to Improve International Tax Compliance and to Implement FATCA as developed between France, Germany, Italy, Spain and the United Kingdom with the United States (the “Model 1 IGA”). This Model 1 IGA is the model upon which the CRS is based. Much like the Model 1 IGA, the CRS contains a general part defining terms and the content of the information to be exchanged (the CAA) as well as an annex with detailed due diligence requirements for financial institutions (Annex I in the context of the Model IGA corresponds to the “Common Reporting Standard” strictu sensu). Annex II of the Model 1 IGA is missing in the context of the CRS; intended to be primarily designed as a multilateral instrument, the CRS allows national jurisdictions to specify their exemptions locally. For instance, within the definition of “excluded accounts”, the “Common Reporting Standard” defines as excluded (9) “any other account that presents a low risk of being used to evade tax, has substantially similar characteristics to any of the accounts described in subparagraphs C(17) (a) through (f), and is defined in domestic law as an Excluded Account, provided that the status of such account as an Excluded Account does not frustrate the purposes of the Common Reporting Standard.”

C. The scope of duty of financial institutions under the CRS Under the Model Intergovernmental Agreement, the vast number of bilateral Intergovernmental Agreements with the United States of America and the CRS itself that ensued, (10) the scope of duties of financial institutions has remained limited. FIs around the world rely on automated processing of financial account data and onboarding and back-­office teams have little or no knowledge of tax terms. Within this context, however, the term “residency” is naturally understood to be a “tax” term of art. The situation is probably still more extreme or difficult with respect to FATCA and/or the IGAs as the 9.

Common Reporting Standard, Section VIII: “Defined Terms”, C. 17 “Excluded Accounts” (g), p. 56. 10. Cfr the continuously updated list of IGAs of the U.S. Department of the Treasury, http://www.treasury.gov/ resource-­center/tax-­policy/treaties/pages/fatca-­archive. aspx.

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U.S. definition of tax-­residency – coinciding with the term “U.S. person” – is special as it requires to not only check the “physical” residency of a person but also its citizenship. (11) Other, more subtle deviations exist with the “estate” of a deceased generally not being taxable in non Anglo Saxon countries (rather, after the death of the deceased, a community of heirs inherits the estate until repartition of the estate; the community of heirs is then taxed in the same way as a partnership would be). In such a context, it would have been impossible to require FIs around the world to test for a “tax” term of art. On the contrary, the IGAs/the CRS devised a standardized test, the details of which are still being discussed both at international level and at a local level during the implementation stage. In the context of the FATCA/IGA due diligence of individual accounts for example, the test relies primarily on an “indicia search” (such as a U.S. address or telephone number). Each of these indicia leads to a presumption of U.S. status until rebutted through a self-­declaration (for which the U.S. Internal Revenue Service “IRS” has devised specific forms, such as the W9 Form or the W8 Forms). Once again, it is up to the account holders to testify as to their tax status as “resident” of a foreign-­jurisdiction or as a U.S. person, but it is not the duty of the FI to teach its back-office teams US-tax law. It is thus entirely consequential that the CRS Commentary explains the term of “residency” only within the sections relating to “new accounts” of either individuals or entities.

11. Cfr Section 7701(a), para. 30 of the U.S. Internal Revenue Code: “(30) United States person The term “United States person” means (A) a citizen or resident of the United States, (B) a domestic partnership, (C) a domestic corporation, (D) any estate (other than a foreign estate, within the meaning of paragraph (31)), and (E) any trust if (i) a court within the United States is able to exercise primary supervision over the administration of the trust, and (ii) one or more United States persons have the authority to control all substantial decisions of the trust.” For FATCA purposes, under Section 1.1471‑1(b) (141) of the Regulations to the Internal Revenue Code, a U.S. person further means the United States government, a State or the District of Columbia (including any agency or instrumentality of these), furthermore a foreign insurance company that has made an election under Section 395(d), provided that either the foreign insurance company is not a specified insurance company and is not licensed to do business in any State, or the foreign insurance company is a specified insurance company and is licensed to do business in any State. 2015/2

Financial institutions

need not become experts on international tax as they are (merely) required to mechanically apply the procedures dictated by the new rule-­set.

While FIs around the world merely have to test the plausibility of the statements of their account holders, the latter have to know their status – failing which they could be guilty of perjury (according to the U.S. forms, at least if being used in the context of the Qualified Intermediaries regime) (12) – or with the risk of being charged of (tentative) tax evasion in the context of the CRS. In the current political climate, banks may choose to deliberately apply a strict “plausibility-­test” (at least with their “private banking divisions”). However, FIs will have to check the plausibility of the self-­certification received under the “reason-­to-­ know” regime (a term that appears 47 times within the CRS) as well as based on any changes in circumstances. “Reason to know” is mentioned 47 times in the CRS and defined in the Commentary on Section VII concerning Special Due Diligence Requirements, page 149, as: “2. Paragraph A contains the standards of knowledge applicable to a self-­certification or Documentary 12. Cfr Section 1.1441‑1(e)(5) of the Internal Revenue Code, pursuant to which certain FIs may enter into a so called Withholding Agreement (Qualified Intermediary Agreement, QI Agreement) with the IRS, under which the FIs will be subject to withholding and reporting provisions applicable to withholding agents and payors under chapters 3, 4 and 61 of the Internal Revenue Code (i.e. they shall apply U.S. law to certain extent). Among others, such FIs will be able to furnish withholding (self-­) certificates on behalf of their clients for the purpose of claiming and verifying reduced rates of withholding taxes. (Such FIs obtain withholding certificates from their clients – mainly on W8 or W9 forms signed under penalty of perjury –, but they are not required to attach those single certificates or report the payments separately, but rather on an aggregated basis (with the exemption of payments made to U.S. Persons).

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Chroniques

V.A. Fiscalité directe


Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

Evidence. It provides that a Reporting Financial Institution may not rely on a self-­certification or Documentary Evidence if the Reporting Financial Institution knows (i.e. has actual knowledge) or has reason to know that the self-­certification or Documentary Evidence is incorrect or unreliable. 3. A Reporting Financial Institution has reason to know that a self-­certification or Documentary Evidence is unreliable or incorrect if its knowledge of relevant facts or statements contained in the self-­ certification or other documentation, including the knowledge of the relevant relationship managers, if any (see paragraphs 38‑42 and 50 of the Commentary on Section III), is such that a reasonably prudent person in the position of the Reporting Financial Institution would question the claim being made. A Reporting Financial Institution also has reason to know that a self-­certification or Documentary Evidence is unreliable or incorrect if there is information in the documentation or in the Reporting Financial Institution’s account files that conflicts with the person’s claim regarding its status.” The first component of the plausibility check is thus to test for the actual knowledge. That set aside, the second stage of the test is to check for “conflicting information”. This is a very broad concept. Which information should be considered relevant? Is simple negligence sufficient or is the standard comparable to gross-­negligence? From the “couple of concepts” of either actual knowledge or assumed knowledge, “gross-­ negligence” is often being the chosen standard against which to test for plausibility. Moreover, the comparison to a “prudent person” may dictate higher standards (such as notably the relationship manager enquiry) in a private banking environment and a less stringent, more mechanical application in an automated retail banking environment. Internet banking in particular may benefit from the scarcity of direct interaction with the client that may be more prone to electronic evaluation. What becomes apparent with corresponding references within the CRS, is that the “risk based approach” that has been proposed by the Financial Action Task Force “FATF” (13) recommendations (14) and 13. The FATF is an international standard setting body located at the OECD’s premises. “The Financial Action Task Force (FATF) is an inter-­ governmental body established in 1989 by the Ministers of its Member jurisdictions.”, cfr http://www.fatf-­gafi. org/pages/aboutus/. 14. Cfr the International Standards on Combating Money Laundering and the Financing of Terrorism & Prolife-

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incorporated in EU AML procedures through the 3rd AML directive, (15) thereby seems to “carry-­over” into the field of automatic exchange of information. In cases, where account holders are local according to all their characteristics, they will find it easy to declare their tax status and the plausibility check will be trivial. However, where an account holder has connections with several jurisdictions, the analysis will not be easy and it may be expected that tax-­payers (at least corporates) will outsource this question for convenience or risk-­management purposes and that FI will have to team-­up both automatic query systems as well as back-­ office operations to stand the challenge.

D. Conclusion Despite some references as to “residency” and “reason to know” in the CRS Commentary and the conflict rules of the Model Convention, due to the silence of the CRS on the details and the ever-­changing nature of treaty law, it is hard to predict whether a unified approach may be developed throughout the currently 93 jurisdictions committed to implement the CRS. As “residency” appears to be the core concept of the whole information exchange regime, it remains to be seen whether the OECD will take the lead in gathering, colliding and compromising on different views to provide a unified and practicable approach to make the planned scheme of avoiding tax evasion through multilateral reporting indeed feasible. We may, hopefully, expect the OECD to provide both governments and financial institutions alike future guidance on how to deal with the interpretation of the term in specific fact scenarios.

ration – The FATF Recommendations, February 2012, http://www.fatf-­gafi.org/topics/fatfrecommendations/ documents/fatf-­recommendations.html. 15. Directive 2005/60/EC of the European Parliament and of the Council of 26 October 2005 on the prevention of the use of the financial system for the purpose of money laundering and terrorist financing, as amended from time to time (last by Directive 2010/78/EU). The consolidated version may be download at http://eur-­ lex.europa.eu/legal-­content/EN/TXT/?uri=CELEX:020 05L0060‑20110104.

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Chroniques

V.B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée)

V.B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée) C.J.U.E., 12 juin 2014, Granton advertising BV, aff. C-­461/12 Sabrina Le Normand-­Caillère Maître de conférences à l’Université d’Orléans

Une véritable harmonisation des règles de TVA au sein de l’Union européenne reste difficile à obtenir. L’exonération prévue en matière d’opérations financières en témoigne. À l’occasion d’un arrêt délivré le 12 juin 2014, la Cour de justice, saisie à titre préjudiciel, a précisé le régime fiscal des cartes de réduction à l’égard de la TVA. Elle complète ainsi le régime applicable aux offres promotionnelles. En l’espèce, une société néerlandaise a commercialisé des cartes à un prix oscillant entre 15 et 25 EUR sans TVA. Non personnelles, elles restaient cessibles. En revanche, elles ne pouvaient être échangées contre de l’argent ou des biens. Chaque carte donnait droit à une réduction de prix sur les commandes réalisées auprès des entreprises partenaires, lesquelles espéraient ainsi attirer de nouveaux clients. Ceux-­ci s’engageaient, en application de la convention type, à accepter les cartes en cours de validité présentées et à fournir les biens ou services précisés sur chaque carte à concurrence de la valeur maximale indiquée sur celle-­ci. En contrepartie, la société néerlandaise « Granton Advertising » prenait en charge la fabrication, la production, la distribution et la promotion des cartes. Une fois la convention type signée, elle ne facturait aucune somme au titre des cartes à charge des entreprises partenaires et ne recevait aucune indemnité de leur part. Suite à une vérification de comptabilité diligentée au cours de l’année 2005, l’administration fiscale danoise a estimé que la commercialisation de ces cartes constituait une activité soumise à TVA. La société néerlandaise a contesté cette décision. Elle a ainsi introduit une réclamation contentieuse. Le tribunal de première instance a toutefois débouté la société de sa demande en considérant que les cartes de réduction ne relevaient pas des notions « d’autres titres » ou « d’autres effets de commerce » au sens des points 5 et 3 de l’article 13 B-­d, de la sixième directive (1). Selon les juges, ces termes doivent être analysés strictement. 1. Le point 3 de l’article 13, B-­ d de la 6e directive (article 135,1-­c de la directive TVA transposée à l’ar2015/2

La société « Granton advertising » a alors interjeté appel. Saisie de ce litige, la cour d’appel danoise a considéré en revanche que ces notions pouvaient être interprétées de manière plus large. Elle saisit alors à titre préjudiciel la Cour de justice de l’Union européenne pour le confirmer. La question s’est alors posée de savoir si la vente de telles cartes était soumise à la TVA. Pour y répondre, la Cour a dû rechercher si celle-­ci constitue une opération portant sur « d’autres titres » ou « d’autres effets de commerce » au sens respectivement des points 5 et 3 de l’article 13 B-­d, de la sixième directive visant certaines opérations financières. La Cour a raisonné en deux temps. Après avoir précisé que de telles cartes ne constituent pas un paiement, elle vérifie le champ d’application matériel des exonérations prévues par les points 3 et 5 de l’article 13 B-­d, de la sixième directive. Au regard des caractéristiques de ces cartes, elle considère qu’elles ne constituent ni « d’autres titres », ni « d’autres effets de commerce ». Pour la Cour de justice de l’Union européenne, la vente de cartes accordant des réductions de prix sur les produits ou services vendus par des entreprises affiliées est donc soumise à la TVA. D’une part, la Cour précise que l’assujettissement à la TVA des cartes dépend de ses caractéristiques juridiques et économiques (2). Les juges déduisent ainsi la véritable nature des cartes de ses conditions de commercialisation. En l’espèce, leur titulaire peut obtenir des entreprises affiliées des conditions préférentielles et notamment des réductions de prix. Comme le soulignent les juges, il n’existe aucun lien entre le prix de la carte et la valeur des réductions accordées. Selon la Cour, cette carte offre simplement aux consommateurs « un rabais de prix » au sens de l’article 11, A, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive.

2.

ticle 261 C, 1°-­c, du CGI) prévoit l’exonération des opérations, y compris la négociation concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances. Le point 5 de l’article 13 B-­d de la 6e directive (article 135, 1-­f de la directive TVA transposé à l’article 261 C, 1° e, du CGI) prévoit l’exonération des opérations, y compris la négociation mais à l’exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d’associations, les obligations et les autres titres, à l’exclusion des titres représentatifs de marchandises. C.J.C.E., 15 octobre 2002, C-­427/98, Commission c. Allemagne, point 57.

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

bon donnant droit à une remise, à une réduction de prix et le prix d’acquisition de la carte n’a pas d’incidence sur la base d’imposition des prestations sous-­ jacentes quand la carte est utilisée » (4). Après avoir éclairci les caractéristiques juridiques et économiques des cartes Granton, la Cour revient sur l’exonération de l’opération de vente de celles-­ci.

Contrairement

à la formulation approximative de la question préjudicielle, la carte ne constitue pas un paiement mais davantage une réduction de prix.

Contrairement à la formulation approximative de la question préjudicielle, la carte ne constitue pas un paiement mais davantage une réduction de prix. Aucun lien n’existe entre le paiement de la carte et la valeur des réductions obtenues par le consommateur. À lire la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, il convient donc de distinguer deux opérations au regard de la TVA. La première tient à la vente de la carte. En tant que carte de réduction, sa commercialisation est soumise à TVA. La base d’imposition de la TVA est constituée par la contrepartie payée par le consommateur pour l’acquisition. La seconde tient à l’achat par le consommateur du bien ou du service auprès de l’entreprise affiliée à l’opération. Les rabais de prix ainsi accordés ne sont pas compris dans la base d’imposition des opérations réalisées entre ces dernières et les consommateurs. Celle-­ci est ainsi constituée par la différence entre le prix de vente et le montant du rabais. Conformément à la jurisprudence de la Cour, la réduction de prix est soustraite à la base d’imposition soumise à la TVA (3). Ainsi, la « carte s’analyse en un 3.

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L’article 267, II 1°, du CGI autorise, conformément à la directive, la déduction des réductions de prix que consentent les entreprises à leurs clients sur la base d’imposition à la TVA. Pour pouvoir être exclue de la base d’imposition, l’administration fiscale exige toutefois plusieurs conditions : la réduction doit bénéficier intégralement au client ; elle ne doit pas rémunérer des services rendus par l’acheteur au vendeur ; elle doit faire l’objet d’une facture rectificative lorsqu’elle est accordée après la délivrance de la facture. Le Conseil d’État prévoit également une autre condition tenant à la proportionnalité entre la réduction et le montant des opérations. En l’espèce, l’ensemble des conditions posées était réuni. Il convient en effet de souligner que la « carte Granton » était délivrée contre le paiement d’un prix à la société néerlandaise « Granton Advertising ». Les relations établies étaient triangulaires. Les consommateurs n’avaient pas payé

D’autre part, elle décide s’il convient d’accorder à la vente de cartes de réduction de prix une exonération au regard de la TVA relative à certaines activités financières visées à l’article 13 de la sixième directive. Ce dernier texte dispose que « Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-­dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuel (…) 3. les opérations, y compris les négociations, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances; (…) 5. les opérations, y compris la négociation mais à l’exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d’associations, les obligations et les autres titres, à l’exclusion : – des titres représentatifs de marchandises ». À titre liminaire, elle rappelle que les termes employés pour désigner les exonérations constituent des notions autonomes de droit de l’Union. Dérogations au principe général d’assujettissement de la TVA, ces exonérations sont en conséquence d’interprétation stricte afin d’éviter des divergences dans l’interprétation des textes (5). Afin de savoir, si les cartes de réduction litigieuses relèvent de ces exonérations, la Cour apprécie « le libellé de la directive, le contexte dans lequel ces notions s’inscrivent ainsi que la finalité de l’exonération qu’elle prévoit » (6). À ce titre, la Cour relève que les opérations exonérées doivent relever par nature des opérations financières (7). Elle rajoute que la finalité de l’exonération des opérations est de pallier aux difficultés liées à la détermination de la base d’imposition des opérations et du montant de la TVA déductible. Cette finalité ressort de la jurisprudence de la Cour (8). Les travaux préparatoires de l’article 13B-­d sont en effet muets quant à cette question.

4. 5.

6. 7. 8.

une prestation à la société affiliée pour bénéficier de la réduction mais à la société délivrant les cartes de réduction. O. Courjon, « Taxe sur la valeur ajoutée : chronique de l’année 2014 », Dr. fisc., 2015, étude 169, § 4. Voy. le point 25 de l’arrêt. Confirmation de la jurisprudence antérieure : C.J.U.E., 28 juillet 2011, aff. C-­350/10, Nordea Pankki Suomi, point 22 ; C.J.C.E., 15 juin 1989, aff. C-­348/88, Stichting Uivoering Financiël Acties, point 20. Voy. le point 26 de l’arrêt. Voy. le point 29 de l’arrêt. Voy. le point 30 de l’arrêt.

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de réduction ne constitue donc pas une opération de nature financière.

La finalité de l’exonération

des opérations est de pallier aux difficultés liées à la détermination de la base d’imposition des opérations et du montant de la TVA déductible.

S’agissant de l’exonération des activités financières relatives aux « autres titres », la Cour précise que les cartes de réduction n’y étaient pas comprises. Cette exonération est selon la Cour réservée aux titres conférant un droit de propriété sur des personnes morales mais également aux titres représentant une dette (un droit de créance). Or, tel n’est pas le cas des cartes de réduction litigieuses. En effet, elles ne confèrent pas à leur titulaire un quelconque droit de propriété ou encore un droit de créance sur la société néerlandaise. Les consommateurs détiennent seulement un droit d’obtenir des réductions de prix sur les produits ou prestations des entreprises affiliées. Par ailleurs, elle rappelle que la vente de telles cartes ne constitue pas une opération financière au sens de la jurisprudence de la Cour en raison de l’absence de valeur nominale et de leur incapacité à être échangées contre de l’argent ou des biens auprès des entreprises affiliées à l’opération. En conséquence, la vente de telles cartes

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Elle considère ensuite que ces cartes ne peuvent être considérées comme des effets de commerce. Les opérations visées par le point 3 de l’article 13 B-­d, de la sixième directive concernent exclusivement celles relevant du domaine financier. Si les cartes litigieuses confèrent des réductions de prix, elles ne constituent pas pour autant un instrument de paiement au sens de la directive. Leur mode de fonctionnement n’implique pas en tant que tel un transfert d’argent, contrairement aux paiements, aux virements et aux chèques. Ne constituant ni des titres, ni des effets de commerce, la vente de cartes accordant des réductions de prix sur les produits ou services vendus par des entreprises affiliées est donc soumise à la TVA. Cette décision adopte une analyse restrictive de l’exonération portant sur certaines activités financières. Avec l’arrêt ATP Pension Service (9), cette décision témoigne de l’urgence d’harmoniser davantage les règles d’exonération de la TVA dans l’Union européenne. La Commission a pris les devants en sollicitant une révision des règles de la TVA applicables aux « bons », c’est-­à-­dire aux techniques promotionnelles. A également été lancée une consultation publique relative à la « modernisation du régime TVA applicable aux “bons et questions connexes” », dont un rapport a été publié au cours de l’année 2007 sur les résultats (10). Une proposition de directive, modifiant la directive TVA, est actuellement en cours. Pour l’instant, aucune règle ne régit expressément le traitement des bons. Cela est source d’insécurité juridique. Il conviendrait d’y remédier rapidement afin d’éviter que la Cour ne doive à nouveau pallier à ces lacunes juridiques. 9. C.J.U.E. (1re ch.), 13 mars 2014, aff. C-­ 464/12, ATP Pension Service, R.I.S.F., 3/2014, note de S. Le Normand-­Caillère. 10. http://ec.europa.eu/taxation_customs/common/ consultations/tax/article_2992_fr.htm.

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Chroniques

V.B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée)



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S. Adalid, La Banque centrale européenne et l’Eurosystème : recherches sur le renouvellement d’une méthode d’intégration, Bruxelles, Bruylant, 2015.

L’essence de la monnaie étant la confiance, il était nécessaire que la monnaie unique repose sur un système stable et autonome pour en assurer la pérennité. Le seul marché commun ne pouvait pas à lui seul être le support d’une monnaie unique. Un véritable renforcement des bases de la construction européenne était un préalable indispensable. Le passage à l’Union monétaire constitue ainsi l’approfondissement du marché commun devenu marché unique. Cet approfondissement s’est concrétisé par un abandon de la souveraineté des États membres. Cette perte de souveraineté et du monopole étatique de la création monétaire ne s’est pas faite sans compromis. La création de la monnaie unique a conduit à mettre en place de nouvelles institutions au sein desquelles les équilibres sont fragiles. Parmi elles, la Banque centrale européenne occupe une place particulière. Souvent critiquée, la BCE n’en reste pas moins au cœur du système monétaire, bancaire et financier européen. Pire, alors, qu’aujourd’hui la crise est de rigueur, certaines de ses causes peuvent se trouver dans le fonctionnement de l’Union monétaire lors de sa première décennie. Par son ouvrage, La Banque centrale européenne et l’Eurosystème : recherches sur le renouvellement d’une méthode d’intégration, Sébastien Adalid analyse l’instauration de l’Eurosystème et par conséquent les relations entre la BCE et les banques centrales nationales (BCN), mettant en évidence l’émergence d’un sous-­système caractérisé par un nouveau procédé d’intégration. Précisément, l’Eurosystème repose sur une intégration verticale qui est « l’intégration dans un système commun d’un organe supranational et d’organes nationaux qui collaborent entre eux dans un but spécifique et dans un secteur déterminé ». Pour commencer, l’auteur analyse la nature atypique de l’Eurosystème. Ce dernier puise son fondement dans le droit européen et dans l’intégration européenne tout en s’affranchissant des bases communautaires pour s’adapter à la spécificité de la matière. Sébastien Adalid, dans cette première partie, cherche la place de l’Eurosystème au sein de l’Union et inversement, la place du droit de l’Union au sein de l’Eurosystème. Le premier titre reprend donc les traits caractéristiques du système institutionnel de l’Union qui apparaît comme un système technocratique. De son côté, l’Eurosystème a une nature hors du commun, dès lors qu’il n’est pas reconnu comme l’un des piliers européens. Le premier chapitre, qui étudie la BCE, montre sa nature paradoxale. L’auteur commence logiquement par l’éta2015/2

blissement de l’Eurosystème par les traités européens. Il rappelle ainsi que la constitution de l’Eurosystème est complexe puisque contrairement au système européen des banques centrales, l’Eurosystème tend à réunir tous les États membres tout en permettant à certains de s’en exclure. Ensuite, l’analyse de la création et des missions de l’Eurosystème, qualifié d’institution par les traités, démontre que son rôle s’apparente à celui d’une agence chargée d’assurer la stabilité des prix. Il transparait alors une dichotomie entre la volonté de ne pas en faire une institution politique et les faits qui trahissent d’une réelle ambiguïté entre une constitution de nature économique ou de nature politique. Le second chapitre de l’ouvrage permet d’établir la supranationalité des organes de direction de l’Eurosystème héritée de la méthode communautaire. Cette méthode, que ce soit dans l’élaboration des normes ou dans leur mise en œuvre, a été très utile sans pour autant être la seule source d’inspiration. En effet, il a fallu trouver un équilibre entre les États qui ont abandonné leur souveraineté en matière de monnaie et la nécessaire neutralité dans les décisions pour atteindre les objectifs. C’est ce que l’auteur résume par l’idée « de fusion ou de symbiose du niveau étatique et du niveau supranational, aussi bien dans l’élaboration, l’adoption que la mise en œuvre des normes adoptées ». Il cherche, de ce fait, à démontrer le caractère inédit de l’intégration verticale tout en restant dans la lignée de la méthode communautaire classique. Il en résulte que l’Eurosystème, sans être un pilier, appartient à l’Union européenne qui applique son mode de fonctionnement tout en s’adaptant à la spécificité de la matière. Le titre deux de la première partie démontre l’émergence d’une spécificité monétaire. Compétence exclusive de l’Union, la politique monétaire doit être prise en charge par l’Eurosystème. Cette lourde responsabilité nécessite que l’appréhension des règles qui la composent en facilite l’exécution. Il faut pour cela offrir « une palette d’outils, normatifs et concrets ». Dans le premier chapitre, l’auteur étudie scrupuleusement la compétence, les pouvoirs et objectifs de la BCE. Bien entendu, il faut commencer par l’analyse de son pouvoir monétaire qui repose principalement sur la monnaie et sa création. Encore faut-­il parvenir à définir le marché monétaire. La première difficulté réside ici dans la définition même de la monnaie. Il est difficile aujourd’hui de définir la monnaie de manière uniforme. Certes, il existe une vision économique classique de la monnaie qui consiste à la définir par ses fonctions d’unité de compte, de moyen de paiement et de réserve de valeur. Mais l’émergence de la monnaie virtuelle, fiduciaire mais aussi scripturale a conduit à bouleverser ces repères traditionnels. Dès lors que la monnaie n’est plus une création étatique, elle devient beaucoup plus difficile à définir pour le juriste. L’auteur l’apparente alors à un médium « par (sa) capacité à se réinventer sans cesse ». Sans s’attarder sur la définition, il cherche à démontrer la complexité même de la matière et le besoin de souplesse qui en résulte. La complexité du marché monétaire appelle nécessairement

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La Banque centrale européenne et l’Eurosystème : recherches sur le renouvellement d’une méthode d’intégration


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à un système institutionnel complexe. Il en résulte que la crise demande à ce que les pouvoirs de la BCE soient élargis remettant en question la séparation des matières monétaires, financières et prudentielles. Ce chapitre finit, donc, par l’étude du marché monétaire. Il est l’interlocuteur privilégié de l’Eurosystème. La construction de ce dernier se fait de manière active par ses acteurs sur le marché et la recherche d’une réelle proximité avec eux. Pour illustrer son propos, l’auteur examine TARGET 2 qui est le système de paiement de l’Eurosystème ou encore SEPA (systeme euro payments area) qui a permis d’entreprendre l’harmonisation des paiements en détail. Il est évident que pour asseoir son autorité, l’Eurosystème dispose d’un pouvoir normatif, analysé dans le second chapitre. La norme résulte notamment de son pouvoir d’édicter des textes délégués par l’Union et par son pouvoir d’action. Au-­delà de ce pouvoir normatif, l’Eurosystème s’appuie sur d’autres ressorts, telle la gouvernance, la régulation ou encore des décisions non conventionnelles qui relèvent de la soft law. L’Eurosystème dispose ainsi de véritables pouvoirs « ad-­hoc », à l’image des autres institutions et autorités européennes. Mais « l’efficacité réelle de ces normes dépend de leur inclusion dans un cadre normatif contraignant et de la crédibilité de leur auteur ». Caractériser l’existence de ce pouvoir normatif n’est pas suffisant. Pour être complète, l’analyse suppose aussi que l’on détermine qui détient ce pouvoir : l’Eurosystème dans son ensemble ou la BCE elle-­même ? Certes, d’un point de vue théorique, c’est la BCE qui agit en son nom propre. Pourtant, la BCE représente plus largement l’Eurosystème dans son ensemble. Ainsi, même si ces actes émanent de la BCE, ils sont davantage l’émanation de l’Eurosystème pris dans son ensemble. De cette analyse, tant institutionnelle que normative, il s’avère que, « l’Eurosystème réussit à maîtriser l’objet monétaire ». Ces différents modes d’intervention montrent qu’il est parvenu à atteindre son objectif principal, à savoir la stabilité des prix. Cependant, la technique trouve sa limite en ce que malgré une politique favorisant les investissements, il s’avère qu’avec la crise, les banques sont de moins en moins enclines aux prêts aux professionnels comme aux particuliers et le « système se grippe ». Se pose alors la question des liquidités laissées aux banques. L’Eurosystème dispose-­ t‑il du pouvoir de dicter aux banques leur politique de prêt ? Alors que des mesures sont prises pour favoriser le crédit, les banques bloquent quelque peu le processus et ne répercutent pas ces mesures favorables à la création monétaire. L’Eurosystème pourrait-­il à l’avenir imposer aux banques qui souhaitent obtenir du refinancement de fournir des crédits aux entreprises ? Ne s’agirait-­il pas alors d’une nouvelle ère pour l’Eurosystème qui le conduirait à changer de nature ? Du bilan de la première partie, il en ressort une analyse fine et détaillée de l’Eurosystème dans son ensemble. L’application de la méthode communautaire et le caractère hybride de l’institution mêlant des organes nationaux et de la supranationalité permettent des normes efficaces qui s’adaptent aux complexités du marché monétaire. Le 132

caractère fluctuant du marché nécessite une réelle adaptation des différents acteurs de l’Eurosystème. L’institution est, selon l’auteur, « un véritable sous-­système juridique » qui « défie l’orthodoxie juridique au profit de l’efficacité économique. ». Incontestablement, le système d’intégration verticale repose sur une ambiguïté « entre technocratie et démocratie ». Il est difficile d’exclure l’Eurosystème de la constitution politique alors même que cela est nécessaire pour en assurer une réelle autonomie. Toujours est­il que l’intégration verticale met en évidence une prise de distance par rapport au système juridique de l’Union, au mépris de la sécurité juridique.

Il est difficile d’exclure

l’Eurosystème de la constitution politique alors même que cela est nécessaire pour en assurer une réelle autonomie.

La deuxième partie de l’ouvrage analyse l’autonomie de l’Eurosystème. L’auteur estime que « l’Eurosystème s’autonomise de l’Union ». Il rappelle que l’indépendance des organes était primordiale pour en assurer l’efficacité. En effet, « l’indépendance est un gage de leur capacité à poursuivre cet objectif de manière neutre ». La neutralité est un élément indispensable de la politique monétaire qui suppose que le discours soit juridique et non économique. En outre, l’Eurosystème apparaît comme une structure originale où la distinction entre autonomie et indépendance prend un sens. Si on définit l’indépendance « comme l’idée de ne pas faire partie de quelque chose », il apparaît clairement que l’indépendance de l’Eurosystème n’est pas totale. L’Eurosystème est intégré à l’Union. Il est dès lors difficile de considérer qu’il est totalement indépendant. Disposant toutefois d’une réelle marge de manœuvre, sa complète autonomie, c’est-­à-­dire le « droit de gouverner par ses propres lois », ne fait aucun doute. L’Eurosystème est intégré comme structure de l’Union mais cette appartenance ne l’empêche pas de bénéficier d’une réelle autonomie. Au sein de cette seconde partie, le premier titre cherche à comprendre le système organisé des banques centrales. La complexité du fonctionnement interne de l’Eurosystème conduit à ce que le premier chapitre analyse les rapports entre la BCE et les BCN. Pilier de l’intégration verticale, les rapports entre l’échelon national et l’échelon européen se devaient d’être analysés. Cette analyse amène à la qualification de ces rapports. Sommes-­nous

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en présence d’une décentralisation ou d’une « simple » organisation ? L’auteur s’appuie en particulier sur l’analyse de C. Eisenmann qui explique la centralisation/ décentralisation par les compétences de chacun des organes. Pour ce dernier, il ne faut pas s’arrêter à deux solutions opposées à savoir centralisation ou non, il peut exister une demi-­mesure. Afin d’analyser le système, Sébastien Adalid identifie une compétence exclusive et générale de la BCE et une compétence déléguée et limitée des BCN qui n’agissent que localement. Le constat est clair, la BCE a pour compétence universelle la politique monétaire et reste maître des grandes décisions. Les BCN sont alors des agents du système qui répercutent les décisions au niveau local. Et leur appartenance au système devient conditionnée par leur intégration. Il est admis, dans le premier chapitre, que les prérogatives sont clairement définies entre les différents protagonistes. L’auteur se demande ensuite si cela répond aux exigences d’un système décentralisé. À l’analyse, la compétence limitée des BCN montre que leur autonomie est très faible au sein du système. Ils ne peuvent agir que sur leur territoire et en suivant les directives de la BCE. La décentralisation reposant sur la possibilité de décider et de disposer d’un pouvoir discrétionnaire, il est de plus en plus évident que la notion est à exclure. En effet, la supervision administrative de la BCE réfute pleinement l’idée d’un quelconque pouvoir discrétionnaire. Il existe pourtant une hiérarchie évidente. Chacun dispose d’une place qui lui est propre et les uns interagissent avec les autres dans le respect de la hiérarchie imposée par le système. Contrairement aux apparences donc, l’Eurosystème n’est pas décentralisé. Alors que l’autonomie du système est prouvée, il reste à savoir, dans un second titre, si l’on peut penser le système comme indépendant et responsable. L’autonomie et la singularité de l’Eurosystème lui permettent de s’adapter aux exigences du marché et aux complexités de la matière. Pour l’auteur, cette intégration verticale en tant que sous-­système s’inscrit dans une démarche plus large « d’autonomisation de l’administration par rapport au pouvoir politique ». L’Eurosystème devient une structure indépendante mais liée à l’Union par sa finalité qu’est la stabilité des prix, ce qui semble paradoxal. Pour ce faire, il analyse, dans un premier chapitre, l’indépendance de la BCE qui dit vouloir exclure la « politique » de la politique monétaire. Cette analyse ne peut se faire que par « le prisme des crises au sein de l’Union où les institutions sont soumises à une pression extrême et la qualité de leur construction se voit testée ». On entre alors dans un débat forcément politique où s’oppose « le dilemme de la démocratie et l’optimalité économique ». Et la citation du président de l’Eurogroupe J.-­C. Juncker illustre bien le propos de Sébastien Adalid « We all know what to do, but we don’t know how to do it ». Les politiciens se trouvent bloqués entre leur volonté d’avancer et de résoudre du mieux qu’ils le peuvent ces crises successives et la crainte de ne pas être réélu. Pourtant, avec la mondialisation des marchés, le problème a pris de telles proportions qu’il évolue de manière exponentielle. 2015/2

Ainsi, l’indépendance de la BCE n’est clairement pas remise en cause. Elle est assurée, dès le départ, par le traité dans tous ses fondements et réaffirmée quand il le faut par la Cour de justice. Cependant, ce qui caractérise « sa flexibilité et sa rapidité » devient sa limite. La BCE devient moralisatrice, se ferme aux autres institutions de l’Union, se renferme sur son pouvoir discrétionnaire, ne laissant aucun pont entre le droit et l’économie. Elle se borne à tenter d’atteindre son objectif, par tous les moyens dont elle dispose, conventionnels ou non, de la stabilité des prix. En étant au plus près de l’économie, la BCE se dit être hors du temps politique. Elle affirme ne pas être une union politique, arguant n’être toujours que technocratique. La BCE ne peut nier sa vocation politique et doit prendre conscience afin de disposer d’institutions politiques en conséquence. Fort de son indépendance affirmée tant envers les autres institutions mais aussi envers le monde politique, reste la question de sa légitimité. Ne devant rendre de compte à personne, la BCE est-­elle pour autant responsable de ses actes ? C’est la question à laquelle l’auteur cherche à répondre dans le deuxième chapitre. La BCE, par souci d’indépendance, échappe aux interventions exécutives comme législatives, ce qui la rend peu voire pas démocratique. La légitimité politique de la BCE se retrouve remise en cause puisque elle échappe au processus démocratique justifié encore et toujours par son besoin d’indépendance. Les acteurs de la BCE doivent être avant tout compétents pour gérer la politique monétaire, peu importe qu’ils ne disposent d’aucune légitimité politique. Est-­il alors possible d’engager la responsabilité de la BCE par d’autres mécanismes ? La réponse est plutôt négative tant la responsabilité de la BCE apparaît fortement limitée. Malheureusement, peu d’actes font l’objet d’une obligation de publication de sorte que le contrôle de la Cour de justice est très restreint. Désormais, les choses évoluent. Alors que peu d’actes étaient publiés, on voit l’effort de la BCE qui cherche à instaurer une transparence, son opacité lui étant souvent reprochée. La seule voie plausible à la légitimité est la transparence. Cette transparence est-­ elle suffisante ? Il est vrai qu’elle commence à publier des bilans sans que ça ne lui soit imposé mais pourtant les informations essentielles de cette dernière restent cachées, tout comme les réunions en conseil des gouverneurs. Cela n’est pas logique puisque si l’on s’en tient à sa fonction strictement bureaucratique, aucune décision politique n’y est prise. Ainsi, la BCE ne donne pas les informations que les citoyens attendent pour être rassurés et perd en légitimité. Alors quelle est la solution ? Pour l’auteur, elle repose sur l’émergence d’un débat public, un véritable dialogue monétaire, avec d’une part le Parlement européen, mais plus ouvert encore. Il pense que « l’adoption d’un débat de fond avec un langage courant permettant à tous les citoyens de s’intégrer aux échanges ». Ce dernier titre montre que ce manque de légitimité vient à troubler quant à sa place en tant qu’institution au sein de l’Union. Classiquement, les institutions se divisent en deux organes, de décision ou de contrôle. On retrouve dans les organes de contrôle, la Cour de

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La Banque centrale européenne et l’Eurosystème : recherches sur le renouvellement d’une méthode d’intégration


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justice et la Cour des comptes et par certains aspects la Commission qui contrôle les États membres et le Parlement qui censure la Commission. Leur légitimité se trouve dans la technicité de la tâche imposée où ils se bornent à contrôler les règles posées par le traité. Les organes de décision, qui regroupent le Parlement, le Conseil, le Conseil européen et la Commission, ont avec eux la légitimité démocratique qui découle de toutes prises de décisions. La BCE n’est clairement pas un organe de décision puisqu’elle ne dispose aucunement d’une légitimité démocratique dans sa prise de décisions, toujours justifiée par sa nécessité d’indépendance. Mais pourtant, elle n’est pas non plus un organe de contrôle. Quelle est donc sa place en tant qu’institution de l’Union ? Cela démontre un manque total de légitimité exacerbé par sa place centrale d’un point de vue économique et la crise que l’on connaît. Pour l’auteur, l’ouverture et la participation sont indispensables pour transformer la BCE, très critiquée par l’opinion publique ces derniers temps. Il faut arrêter de la penser comme seulement technocratique et ouvrir le débat politique qui plane autour de son objectif. D’une manière générale, cette seconde partie montre que l’indépendance, au cœur de l’Eurosystème, a permis de régir les relations entre la BCE et les BCN mais aussi de connaître de véritables succès. Le système tel qu’il existe est louable puisque fonctionne « en s’affranchissant des contraintes nationales ». Mais tout système a ses limites, et l’indépendance est indubitablement la limite de l’Eurosystème. Pour Sébastien Adalid, « elle contient ontologiquement un paradoxe ». L’indépendance doit être consacrée par le droit mais elle traduit aussi « la méfiance envers le système juridique ». Aussi surprenant que cela puisse paraître, « le droit n’est pas perçu comme un facteur de légitimité ». L’exemple le plus frappant est l’absence de définition juridique de l’objectif de l’Eurosystème à savoir la stabilité des prix. Si l’intégration verticale a fait preuve d’une certaine efficacité, l’auteur finit par mettre en exergue sa limite qui conduit « à la mise en danger de l’intérêt général ». La solution se trouve peut-­être dans l’intégration au sein du système des principes de bonnes gouvernances. Il est déjà positif de souligner la véritable prise de conscience des limites du système par les acteurs de la BCE. C’est un premier pas vers l’ouverture d’un langage avec les citoyens. Sans légitimité, le système perd en efficacité.

Il est déjà positif de

souligner la véritable prise de conscience des limites du système par les acteurs de la BCE.

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La conclusion de l’ouvrage se fait sous fond de crise. Alors qu’elle était en filigrane tout au long de son raisonnement, elle est au cœur de sa conclusion. L’analyse de l’Eurosystème démontre une efficacité certaine des limites liées au caractère technocratique de ce dernier, « préférant l’efficience économique à la sécurité juridique ». Le bilan de l’Eurosystème est donc nuancé. S’il fait preuve d’une importante rigidité due à son fondement juridique qui émane des traités, il doit obligatoirement s’ouvrir aux citoyens pour gagner en légitimité. Son efficacité sur le plan économique n’est pas suffisante en soit pour atteindre celle-­ci. Cette efficacité est liée au système d’intégration verticale dont l’auteur rappelle les quatre caractéristiques qui sont « l’appartenance à l’Union, la spécialisation, organisation et indépendance ». Ces éléments ont su démontrer leur importance tout au long de la crise en assurant, par exemple, « l’intermédiation entre les banque et le pilotage du taux d’intérêt ». Malgré un renforcement des prérogatives de la BCE, on a su laisser aux BCN une marge de manœuvre suffisante. Forte des réussites de l’Eurosystème, l’intégration verticale a vu naître d’autres organisations tel que le système européen de surveillance financière ou des agences comme l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des assurances et des pensions et l’Autorité européenne des marchés financiers qui reposent sur une organisation similaire à celle de la BCE. Au-­delà de l’Eurosystème, l’auteur croit en l’Europe comme solution de la crise bancaire et financière. Malgré une conscience collective de ce qui pourrait être la solution, les décisions sont prises délicatement par chaque nouveau Conseil européen, sans véritable succès auprès des marchés financiers. « Il faut que la zone euro affirme son unité et sa détermination face aux « pouvoirs privés économiques » que représentent le marché financier ». Il faut une plus grande solidarité entre les pays membres. Surtout, il faut que cette solidarité soit basée sur la volonté et non sur la contrainte. Pour Sébastien Adalid, « l’Europe a besoin d’un véritable gouvernement à temps plein qui démocratise l’union économique et où les budgets nationaux seront des enjeux européens ». À cet égard, les eurobonds permettraient de rendre responsables chaque pays des dettes contractées par les autres États membres, ce qui reviendrait à insuffler un élan de solidarité. La sortie de la crise ne pourra pas se faire sans le citoyen qui est au centre de la résolution de la crise. L’Europe manque cruellement d’une identification par ses citoyens. Si la création de la monnaie avait pour objectif de fédérer, d’être « la monnaie des européens », elle n’a pas su engendrer un « mouvement fort d’identification au projet européen ». La monnaie n’a pas réussi à avoir la portée symbolique qu’elle aurait dû avoir, l’Eurosystème se bornant à n’être qu’économique. Ainsi, l’Europe n’a pas une histoire qui a su unir les européens entre eux. Le mythe de l’unité européenne reste à construire. Emmanuelle Baumont Doctorante contractuelle à l’Université de Bourgogne UMR 6295 CNRS

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