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Journal européen des droits de l’homme
Journal européen des droits de l’homme European Journal of Human Rights
European Journal of Human Rights
JEDH | EJHR
n° 5 | décembre 2013 Rédacteur en chef | Editor in chief Olivier De Schutter
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804 Article
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Droits de l’homme et politiques d’activation des personnes sans emploi Que peuvent les droits de l’homme face aux politiques de retour à l’emploi autoritaires ? . 741 Les politiques d’activation des personnes sans emploi et la jurisprudence internationale relative à l’interdiction du travail forcé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 746 Droit au travail et responsabilité individuelle dans les États sociaux contemporains. Une analyse en termes de capabilités des politiques d’activation des personnes sans emploi . . . . . . . . . . . . . . . . . . 777 - Obligations extraterritoriales des droits de l’homme : Bilan et Perspectives . . . . . . . 804 - La socialisation de la notion de handicap en droit de la non-discrimination . . . . . . . 836
- Extraterritorial Human Rights Obligations : Taking Stock, Looking Forward . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 804 - Socialising of the notion of disability in non-discrimination law . . . . . . . . . . . . . . 836
859 Chroniques
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951 Actualités
951 News
- Asile et immigration . . . . . . . . . . . . . . . . . . 859 - Vie privée et familiale . . . . . . . . . . . . . . . . . 882
ISSN : 2294-9313
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Human Rights and Activation Policies for the Unemployed What Can Human Rights Do About Coercive Welfare-to-Work Policies ? . . . . . . . 741 Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case Law on the Prohibition of Forced Labour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 746 Right to work and individual responsibility in contemporary Welfare States. A capability approach to activation policies for the unemployed . . . . . . . . . . . . . 777
- Asylum and immigration . . . . . . . . . . . . . . 859 - Private and family life . . . . . . . . . . . . . . . . . 882
D/2013/0031/540 JEDH-N.13/5 ISBN : 978-2-8044-6986-3
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Sommaire / Table of contents Dossier : Droits de l’homme et politiques d’activation des personnes sans emploi Human Rights and Activation Policies for the Unemployed Que peuvent les droits de l’homme face aux politiques de retour à l’emploi autoritaires ? What Can Human Rights Do About Coercive Welfare-to-Work Policies ? Daniel Dumont 741
Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case Law on the Prohibition of Forced Labour Les politiques d’activation des personnes sans emploi et la jurisprudence internationale relative à l’interdiction du travail forcé Elise Dermine 746
Droit au travail et responsabilité individuelle dans les États sociaux contemporains Une analyse en termes de capabilités des politiques d’activation des personnes sans emploi Right to work and individual responsibility in contemporary Welfare States A capability approach to activation policies for the unemployed Jean-Michel Bonvin et Eric Moachon 777
Article Extraterritorial Human Rights Obligations : Taking Stock, Looking Forward Obligations extraterritoriales des droits de l’homme : Bilan et Perspectives Wouter Vandenhole 804
La socialisation de la notion de handicap en droit de la non-discrimination Socialising of the notion of disability in non-discrimination law Joseph Damamme 836
Chroniques / Columns Asile et immigration Asylum and immigration Vincent Chetail et Géraldine Ruiz 859
Vie privée et familiale Private and family life Hugues Fulchiron (sous la dir.) 882
Actualités / News 951
Dossier Que peuvent les droits de l’homme face aux politiques de retour à l’emploi autoritaires ? What Can Human Rights Do About Coercive Welfare-to-Work Policies ? Daniel Dumont
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epuis les années 1990 et 2000, tous les systèmes de protection sociale des pays européens et nord-américains sont confrontés au tournant de l’activation1. On entend par là la multiplication des mesures qui visent à rapprocher les bénéficiaires d’un revenu de remplacement ou d’une allocation d’aide sociale de la perspective d’une participation au marché du travail2. Il faut le souligner d’emblée : en soi, l’existence d’obligations telles qu’être disponible pour le marché de l’emploi, accepter toute offre d’emploi convenable ou faire des efforts pour se réinsérer n’a rien de nouveau sur le plan juridique, dans la mesure où tous les systèmes nationaux d’assurance chômage et d’aide sociale sont marqués depuis l’origine par une forme de subsidiarité de l’intervention de la collectivité par rapport aux démarches que chacun peut accomplir par lui-même pour assurer sa subsistance. En raison de cette subsidiarité de principe, les allocations de chômage et d’aide sociale ont toujours présenté un caractère plus ou moins « conditionnel » selon les pays et les époques3. Les mesures contemporaines d’activation entendent resserrer les liens entre sécurité sociale et marché du travail, en augmentant les transitions de la première vers le second. Si ces mesures peuvent prendre la forme d’une amélioration de l’aide fournie par les services publics de l’emploi, d’un développement de l’accompagnement individualisé des demandeurs d’emploi ou d’investissements dans la formation professionnelle, elles consistent le plus souvent en un renforcement des conditions à satisfaire pour pouvoir bénéficier d’une prestation de sécurité sociale. C’est ainsi que, partout, l’intensité des recherches actives d’emploi auxquelles les allocations de chômage et d’aide sociale sont subordonnées tend à être renforcée, par le biais d’un monitoring toujours plus serré des demandeurs d’emploi. De même, la notion d’emploi convenable, qui permet de délimiter la portion du marché de l’emploi pour laquelle l’intéressé doit se montrer disponible, subit dans de nombreux 1
Pour un aperçu comparé, voir par exemple A. Serrano Pascual et L. Magnusson (eds.), Reshaping Welfare States and Activation Regimes in Europe, Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, coll. Work & Society, 2007 ; W. Eichhorst, O. Kaufmann et R. Konle-Seidl (eds.), Bringing the Jobless into Work ? Experiences with Activation Schemes in Europe and the US, Berlin, Springer, 2008. 2 Pour cette définition, D. Dumont, La responsabilisation des personnes sans emploi en question, Bruxelles, La Charte, 2012, no 759, p. 421. 3 ID., « Activation rime-t-elle nécessairement avec stigmatisation ? », Droit et société, no 78, 2011, pp. 449 à 456.
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systèmes de protection sociale un processus de flexibilisation, afin de contraindre les demandeurs d’emploi à revoir à la baisse leurs attentes, voire à accepter le premier emploi venu. Dans certains pays, en particulier anglo-saxons, les allocataires sociaux sont même tenus d’effectuer des prestations d’intérêt général pour pouvoir conserver leurs allocations – il s’agit du workfare. C’est dans ce contexte général que l’Université catholique de Louvain et l’Université libre de Bruxelles ont co-organisé, en mars 2013, un colloque international à l’Institut syndical européen, sur le thème Activation Policies for the Unemployed, Right to Work and Freedom of Work. Rangée sous le label de l’interdisciplinarité, la journée d’études a eu pour objet l’analyse des rapports qu’entretiennent les mesures d’activation des personnes sans emploi avec les deux versants constitutifs du droit au travail, tel que celui-ci est consacré par les instruments internationaux de protection des droits fondamentaux : d’une part, le droit (positif) d’accéder au marché du travail et de disposer d’un emploi ; d’autre part, le droit (négatif) de déterminer librement son orientation professionnelle et de choisir son employeur. Le premier versant de ce binôme correspond au droit au travail au sens strict, le second à ce que l’on appelle habituellement, dans le champ du droit social à tout le moins, la liberté du travail. Si, intuitivement, on comprend en quoi les mesures d’activation sont susceptibles d’accroître l’effectivité du droit de disposer d’un emploi – ce qui laisse entière la question de la qualité des emplois auquel un accès est ainsi procuré –, on peut aussi faire l’hypothèse que ces mêmes mesures peuvent, particulièrement lorsqu’elles sont marquées du sceau de la coercition, entraver, voire réduire à bien peu de choses, le droit de déterminer librement son activité professionnelle4. Or, il faut souligner que les instruments internationaux envisagent généralement ces deux versants, positif et négatif, comme les deux facettes indissolublement liées d’un seul et même droit5. Il en résulte qu’une poursuite du premier au détriment du second porte atteinte au droit fondamental au travail. Adossé à cette hypothèse, le colloque a visé à éclairer sous différents angles les relations entre politiques d’activation des personnes sans emploi, droit au travail et liberté du travail. Ainsi, une rétrospective historique est d’abord revenue sur 4
En ce sens, voir les avertissements précurseurs de Jef Van Langendonck, notamment dans J. Van Langendonck, « De ‘actieve’ welvaartsstaat », in B. Raymaekers et G. Van Riel (eds.), Hoe dichtbij is de toekomst ?, Louvain, Universitaire Pers Leuven, coll. Lessen voor de eenentwintigste eeuw, 2005, pp. 241‑254. 5 Voir ainsi l’article 23, § 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme (« Toute personne a droit au travail [et] au libre choix de son travail ») ; l’article 6, § 1er du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (le droit au travail est défini comme « le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté ») ; le préambule de la Convention de l’OIT no 122 du 9 juillet 1964 sur la politique de l’emploi (référence est faite à la nécessité d’assurer une « expansion économique reposant sur le plein emploi productif et librement choisi ») ; le préambule de la Convention de l’OIT no 168 du 21 juin 1988 sur la promotion de l’emploi et la protection contre le chômage (référence est à nouveau faite à la « promotion du plein emploi productif et librement choisi ») ; l’article 1er, §§ 1er et 2 de la Charte sociale européenne (« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit au travail, les parties s’engagent à reconnaître comme l’un de leurs principaux objectifs et responsabilités la réalisation et le maintien du niveau le plus élevé et le plus stable possible de l’emploi en vue de la réalisation du plein emploi » et « à protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris »). Adde Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, « Observation générale no 18 : le droit au travail », doc. E/C.12/GC/18, 6 février 2006, § 1 (« Le droit au travail concourt à la fois à la survie de l’individu et de sa famille et, dans la mesure où le travail est librement choisi ou accepté, à son épanouissement et sa reconnaissance au sein de la communauté »).
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Les droits de l’homme face aux politiques de retour à l’emploi autoritaires ?
Dossier
les débats très riches qui, au milieu du 19e siècle, ont entouré les premières manifestations de l’idée de consacrer un « droit au travail », tandis qu’une analyse de théorie politique a contribué à cartographier la multiplicité des justifications qui sont aujourd’hui apportées en faveur ou, au contraire, à l’encontre du renforcement du devoir de travailler des personnes sans emploi. Ensuite, les évolutions juridiques et politiques observées dans un certain nombre de pays emblématiques (les États-Unis, la France et la Finlande et la Suède) ont été étudiées, aux fins de documenter la diversité des articulations entre droits et devoirs qui sous-tendent les politiques d’activation contemporaines. Une attention particulière a pu alors être portée aux instruments internationaux de protection des droits de l’homme, dans le but de jauger la conformité des mesures de promotion du retour à l’emploi auxdits instruments, mais aussi à la philosophie dont ils sont porteurs. Enfin, deux propositions en rupture avec la variante coercitive de l’activation ont été soumises à la discussion, en guise de contribution au débat d’idées : d’une part, la proposition de garantir à tout individu, de manière totalement inconditionnelle, un revenu minimum de base – ou allocation universelle – et, d’autre part, la proposition de garantir à tout demandeur d’emploi un droit à accéder à un travail convenable. Le dossier que l’on va lire propose aux lecteurs du Journal un premier aperçu des résultats de cette recherche, sous la forme de deux des contributions qui paraîtront dans les actes du colloque6. L’une et l’autre relèvent du champ des droits de l’homme. Ce choix est justifié par la considération suivante. Si, politiquement, les tenants de la réduction des prestations sociales au nom de la promotion de la compétitivité et de la lutte contre les « abus » qui mineraient l’État-providence règnent aujourd’hui en maître au sein des cénacles européens et internationaux, juridiquement, l’orthodoxie économique et idéologique trouve sa limite dans les mécanismes de protection juridictionnelle des droits sociaux fondamentaux. Certes, on peut être un peu sceptique devant les attentes démesurées dont sont parfois investis les juges en matière de préservation, voire de promotion, des droits sociaux. Conquête ouvrière, le droit social n’est-il pas avant tout le fruit d’un combat politique plutôt que judiciaire ? Partant, son périmètre n’est-il pas la résultante première des fluctuations d’un rapport de force qui trouve son lieu privilégié dans la rue, au sein des organes de concertation sociale, à la table de négociation du gouvernement et dans les travées du parlement plutôt qu’au prétoire ? Certes. Mais si l’histoire du droit social ne rend pas celui-ci entièrement soluble dans le registre des droits de l’homme7, il est n éanmoins aujourd’hui acquis que, quand les remises en cause vont trop loin, un certain nombre d’instruments relevant dudit registre invitent à, voire imposent de faire barrage8.
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E. Dermine et D. Dumont (eds.), Activation Policies for the Unemployed, Right to Work and Freedom of Work, Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, coll. Work & Society, 2014, à paraître. À ce sujet, voir les réflexions pénétrantes de R. Lafore, « Les ‘droits sociaux’ et le droit social », in D. Roman (dir.), La justiciabilité des droits sociaux : vecteurs et résistances, préface de M. Delmas-Marty, Paris, Pedone, 2012, pp. 451‑458. 8 Pour une illustration dans le contexte de la refonte du mode de calcul des allocations de chômage opérée en Belgique en 2012, voir D. Dumont, « Dégressivité accrue des allocations de chômage versus principe de standstill », JT, 2013, pp. 769‑776. 7
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Daniel Dumont
C’est dans cette perspective générale que s’inscrivent les deux contributions proposées dans le présent dossier, même si l’une et l’autre mobilisent un registre d’analyse distinct. La première, due à Elise Dermine, convoque le droit international des droits fondamentaux, tandis que la seconde, sous la plume de JeanMichel Bonvin et Eric Moachon, fait appel à la philosophie des droits de l’homme. Le dossier étudie ainsi la question de la conformité avec les droits sociaux fondamentaux des mesures de (re)mise au travail des personnes sans emploi d’abord dans un registre de droit positif, puis dans un registre normatif, ou éthique. Constatant l’essaimage des mesures de workfare dans plusieurs pays européens, un auteur s’était brièvement interrogé, il y a quelques années, sur la compatibilité de ces mesures avec la prohibition du travail forcé9 – qui est une composante du versant négatif du droit au travail. L’interrogation a été réitérée récemment, à la faveur de la vague d’austérité qui frappe l’Europe et conduit, dans certains pays, à un renforcement, parfois drastique, des contraintes qui pèsent sur les demandeurs d’emploi10. Si la question avait été soulevée, jamais, à ce jour, elle n’avait fait l’objet d’une analyse fouillée sur le plan du droit positif. C’est cette lacune que vient combler l’étude pionnière d’Elise Dermine. À travers le dépouillement de nombreux documents méconnus, en particulier des différents organes de l’Organisation internationale du travail, elle identifie avec précision la portée et le régime juridique de l’interdiction du travail forcé consacrée par la Convention no 29 de l’OIT, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme. Elle passe ensuite en revue les différentes affaires, encore peu nombreuses à ce jour, dans lesquelles les organes de contrôle des instruments cités ont été amenés à se prononcer sur la conformité avec ceux-ci des mesures d’activation. Le bilan est maigre : dans toutes les affaires, l’argument de la violation de l’interdiction du travail forcé a été écarté de manière plutôt expéditive. Ce constat amène E. Dermine à souligner avec (im)pertinence l’écart qui sépare les raisonnements tenus à propos des mesures d’activation de la jurisprudence générale développée par les organes de contrôle en matière de prohibition du travail forcé. La cohérence et la rigueur devraient conduire ces organes à soumettre les mesures de renforcement de la contrainte à intégrer le marché de l’emploi à un test de conventionalité beaucoup plus attentif. Il faut toutefois concéder qu’aucune des différentes situations individuelles portées à la connaissance des organes n’était, sur le plan factuel, particulièrement interpellante, à tout le moins au regard de celles que la mise en œuvre des mesures de mise au travail donne à voir quotidiennement dans un certain nombre de pays. D’autres recours gagneraient dès lors à être introduits, tant domine le sentiment que, face au déploiement de la variante autoritaire, voire dégradante, de l’activation, la boîte à outils du droit international des droits de l’homme est loin d’avoir encore déployé toutes ses virtualités. 9
K. Kapuy, « Social Security and the European Convention on Human Rights : How an Odd Couple Has Become Presentable », European Journal of Social Security, vol. 9, no 3, 2007, p. 237. P. Vielle, « La légitimité des mesures de droit social en temps de crise », in M.‑C. Escande Varniol, S. Laulom et E. Mazuyer (dir.), Quel droit social dans une Europe en crise ?, Bruxelles, Larcier, coll. Europe(s), 2012, p. 373.
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Les droits de l’homme face aux politiques de retour à l’emploi autoritaires ?
Dossier
La première contribution présentée dans ce dossier devrait contribuer à aiguiller les plaideurs comme les juges. C’est une tout autre voie, non moins riche d’enseignements, qu’empruntent JeanMichel Bonvin et Eric Moachon pour éclairer le débat relatif à la question de savoir ce que peuvent les droits de l’homme face à la diffusion des politiques de retour à l’emploi qui font peser toute la pression sur les allocataires. La principale ressource qu’ils mobilisent à l’appui de leur propos n’est pas la jurisprudence des organes de contrôle du respect des instruments internationaux en matière de droits de l’homme, mais la philosophie politique et la comparaison des systèmes de protection sociale. Pour établir un cadre d’analyse prescriptif au regard duquel la légitimité des mesures d’activation peut être jaugée, J.‑M. Bonvin et E. Moachon convoquent la pensée d’un auteur qui occupe depuis longtemps déjà les devants de la scène dans le champ de la philosophie et des sciences sociales, mais qui reste par contre encore relativement peu connu des juristes : il s’agit du prix Nobel d’économie Amartya Sen. Celui-ci place au cœur de ses écrits la préoccupation constante d’accroître la liberté réelle et effective des individus – soit ce qu’il appelle leur capacité, ou « capabilité » (capability). S’agissant de l’accès à l’emploi, la concrétisation de cette préoccupation implique l’adoption, d’une part, de mesures accroissant les ressources matérielles et juridiques des personnes, leurs compétences et les opportunités concrètes qui leur sont offertes, ainsi que, d’autre part, de mesures protégeant leur liberté de choix. Il est frappant de constater que le cadre théorique mobilisé corrobore largement, par l’articulation étroite de ces deux dimensions, positive et négative, la manière dont le droit international des droits de l’homme conceptualise le droit fondamental au travail. Par ailleurs, la volonté d’équiper les personnes sans emploi en ressources, compétences et opportunités – soit le versant positif du droit au travail – et de leur donner leur mot à dire à propos de leur parcours de réinsertion – soit le versant négatif de ce même droit – conduit à déporter la notion centrale de responsabilité de la question de la faute individuelle, dans laquelle les politiques d’activation la cantonnent habituellement, vers la perspective de la restauration de la capacité d’agir. Activer ou responsabiliser une personne sans emploi ne signifie alors plus lui imputer l’entière responsabilité de sa situation, mais d’abord et avant tout la mettre concrètement en mesure de reprendre barre sur celle-ci. Le déplacement est fondamental11. L’étude de J.‑M. Bonvin et E. Moachon suggère – c’est ce qui en fait tout l’intérêt – de nombreux moyens de l’opérationnaliser. Daniel Dumont Chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles Centre de droit public daniel.dumont@ulb.ac.be
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Pour une proposition similaire, D. Dumont, La responsabilisation des personnes sans emploi en question, op. cit., nos 909 à 914, pp. 523 à 526.
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Dossier
Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case Law on the Prohibition of Forced Labour Les politiques d’activation des personnes sans emploi et la jurisprudence internationale relative à l’interdiction du travail forcé Elise Dermine
Abstract
Résumé
I
D
n Western Welfare States, entitlement to social benefits has always been conditioned by a duty to work. It has been traditionally considered that work-related obligations imposed on social benefits recipients were not likely to contravene the prohibition of forced labour. Since the early 1990s, Western Welfare States have tended to activate the unemployed and are steadily reinforcing their duty to work. In this contribution, we demonstrate that, in this new context, international supervisory bodies of the application of civil and political rights are progressively abandoning the traditional principle of impermeability between work-related obligations in social protection systems and the prohibition of forced labour. They now admit that activation measures for the unemployed might in certain circumstances violate the prohibition of forced labour. Nevertheless, they are still adopting a very formalistic approach to these cases, compared to their general case law concerning the prohibition of forced labour.
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ans les États-providence occidentaux, l’octroi de prestations sociales a toujours été conditionné au devoir de travailler. On considère traditionnellement que les obligations liées au travail imposées aux bénéficiaires de prestations sociales ne sont pas susceptibles de porter atteinte à l’interdiction du travail forcé. Depuis le début des années 1990, les États-providence occidentaux activent de plus en plus les personnes sans emploi et renforcent leur devoir de travailler. Dans cette contribution, nous démontrons que, dans ce nouveau contexte, les organes internationaux de contrôle de l’application des droits civils et politiques abandonnent progressivement le principe traditionnel de l’imperméabilité entre les obligations liées au travail inhérentes aux systèmes de protection sociale et l’interdiction du travail forcé. Ils admettent maintenant que les mesures d’activation des personnes sans emploi pourraient, dans certaines circonstances, enfreindre l’interdiction du travail forcé. Ils continuent néanmoins à adopter une approche très formaliste de ces mesures, comparativement à leur jurisprudence générale relative à l’interdiction du travail forcé.
Dossier
Activation Policies for the Unemployed
Introduction
S
ince the early 1990s, Western Welfare States have entered into a spiral of reforms aimed at promoting the return to employment of social benefits recipients. In this perspective, the work-related obligations imposed on the recipients of unemployment and social assistance benefits have been reinforced. The scope of the availability for work condition has been expanded : in some countries, the traditional concept of “suitable” employment has been progressively weakened ; 1 in others, the right to refuse non-suitable employment has even been replaced by the obligation to accept any “reasonable” offer of employment or any “generally accepted” employment.2 In parallel, the granting of benefits is now being linked to increased obligations to actively seek work, or even to mandatory participation in work-related activities.3 It is traditionally considered that, when a State sets up a social protection system, the conditions for the granting of social benefits, including the work-related conditions, are not likely to be at odds with the prohibition of forced labour. The prohibition of forced labour would not be a relevant concept under which to assess the relationship between the recipients of social benefits and their public authorities. This idea was precisely expressed in the draft outline of the International Bill on Human Rights, submitted by the United Nations Division on Human Rights to the Drafting Committee : “Slavery and compulsory labour are inconsistent with the dignity of man and therefore prohibited by this Bill of Rights. But a man may be required to perform his just share of any public service that is equally incumbent upon all, and his right to a livelihood is conditioned by his duty to work”.4 In 1
In the 1990s, Norway and Germany suppressed the possibility for unemployment benefits recipients to refuse, during an initial period of unemployment, an offer of employment that does not correspond to their previous profession or their qualifications. In 2011, Belgium limited the protection period of the professional status and strengthened the requirements concerning the distance between residence and workplace. Since a reform of the employment insurance system carried out in 2012, the definition of suitable employment in Canada has varied, depending on the category of unemployed that the worker belongs to. The regulation distinguishes long-tenured workers who have only rarely had recourse to employment insurance benefits, occasional claimants and frequent claimants, such as seasonal workers. In the aftermath of their dismissal, frequent recipients must accept any employment considered as “similar” to the job they normally perform, and after six weeks of unemployment, they must extend their employment search to any work “they are qualified to perform”. 2 In reforming its unemployment insurance system in 2002, Denmark suppressed the distinction between “suitable” employment (corresponding to the abilities, qualification, experience and period in service of the jobseeker in its previous work) and “reasonable” employment (outside the activity sector of the jobseeker). Jobseekers have no longer the right to refuse non-suitable employment during the first three months of unemployment within the last six months. The Danish regulation now requires that jobseekers generally accept any offer of employment. In France, any reference to the notion of suitable employment was removed in 2008 and jobseekers must now accept any reasonable offer of employment. On the French case, see D. Roman, “Activation Policies for the Unemployed in France : ‘Social Debt’ or ‘Poor Laws’ ?”, in E. Dermine and D. Dumont (eds.), Activation Policies for the Unemployed, Right to Work and Freedom of Work, Brussels, P.I.E.-Peter Lang (Work & Society), 2014, forthcoming. 3 Several schemes condition the granting of unemployment or social assistance benefits to unpaid work performances in the private, public or non-profit sector. For example, one can refer to the Work Experience Program carried out in New York (1996) or the Wisconsin Works (W-2) programme in Wisconsin (1996), two emblematic workfare devices in the United States, to Work for the Dole in Australia (1997), to the Work First programme in the Netherlands (2011) and, finally, to the Mandatory Work Activity Programme (2011) and the Community Action Programme (2012) for the “very long-term” unemployed in the United Kingdom. On workfare schemes in the United States, see D. Dumont, “Activation Policies for the Unemployed in the United States : Work First”, in E. Dermine and D. Dumont (eds.), op. cit. 4 The Division of Human Rights of the Secretariat, Draft Outline of an International Bill of Rights, in Report of the Drafting Committee on an International Bill of Human Rights, Annex 1 July 1947 (E/CN.4/21), p. 11. See also M. Nowak, U.N. Covenant on Civil and Political Rights. CCPR Commentary, 2nd revised edition, Kehl, N.P. Engel Publisher, 2005, p. 202, §19 and, infra, the traditional case law of the European Court of Human Right (II., B.).
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Elise Dermine
Western Welfare States, the entitlement to social benefits has always been conditioned by a duty to work. As expressed by Jon Elster, this duty to work seems necessary “to foreclose the free-rider option” in order to guarantee the model’s sustainability or at least for reasons of fairness.5 In the current context of the activation of social benefits recipients, must this idea be abandoned ? Are measures strengthening the duty to work of the unemployed not, in certain circumstances, likely to violate the prohibition of forced labour ? Some lawyers have begun to raise this question in front of national courts.6 If some authors are conscious of this issue, the question has thus far been tackled in very few in-depth doctrinal analyses.7 In this context, we propose to undertake a critical review of international case law’s evolution on this issue. More specifically, we will analyse the case law related to Article 8, §3 of the International Covenant on Civil and Political Rights (1966) (ICCPR) and Article 4, §2 and 3 of the European Convention on Human Rights (1950) (ECHR), which enshrine the prohibition of forced labour.8 In the first section, the material scope of application of these provisions will be clarified. The defining criteria of forced labour and possible exceptions to the scope of application of its prohibition will be identified. The drafters and interpreters of these provisions have often referred to Convention No. 29 of the International Labour Organization (1930) (ILO) concerning forced labour. Therefore, we will also pay special attention to its scope of application (I.). In the second section, we will proceed to a review of the few cases that have given rise to a conformity assessment of the work-related obligations imposed on social 5 J. Elster, “Is There (or Should There Be) a Right to Work ?”, in A. Gutman (ed.), Democracy and the Welfare State, Princeton, Princeton University Press, 1988, p. 57. 6 Mainly in the Netherlands and in the United Kingdom. See, for example, Rechtbank Arnhem, Uitspraak LJN BF 7284, 8 October 2008 (No. AWB 07/5115), www.jwwb.jure.nl ; Centrale Raad van Beroep, 8 February 2010 (No. 08/5996 WWB – 08/5998 WWB, 09/2408 WWB, 09/5858 WWB, 09/5859 WWB, 09/5861 WWB), Nederlands Juristenblad, 2010, liv. 8, p. 507 ; High Court of Justice, Queen’s Bench Division, Administrative Court, 6 August 2012 (No. CO/260/2012 and CO/1087/2012), www.judiciary.gov.uk ; Court of Appeal (Civil Division) on appeal from Queen’s Bench Division Administrative Court, 12 April 2013 (No. B3/2012/2138/2141), www.judiciary.gov.uk. 7 The question has been raised by Pascale Vielle in an international seminar on the trends of labour law reforms in Europe (P. Vielle, “La légitimité des mesures de droit social en temps de crise”, in M.C. Escande Varniol, S. Laulom, E. Mazuyer and P. Vielle (eds.), Quel droit social dans une Europe en crise ?, Brussels, Larcier (Europe(s)), 2012, p. 373). Earlier, G. J. Vonk argued in a very inspiring article that workfare policies may contravene the prohibition of forced labour (G. J. Vonk, “Hunger as a policy instrument ?”, in O. Hospes and B. van der Meulen (eds.), Fed up with the right to food ? The Netherlands’ policies and practices regarding the human right to adequate food, Wageningen, Wageningen Academic Publishers, 2009, pp. 79‑90). 8 The prohibition of forced labour is also considered a component of the right to freely chosen work as proclaimed in the international covenants on economic, social and cultural rights. We analyse the case law of the bodies supervising the application of those texts in a companion paper entitled “Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case law on the Right to Freely Chosen Work” (“Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case law on the Right to Freely Chosen Work” in E. Dermine and D. Dumont, op. cit.). In so doing, we do not intend to question the relevance of the traditional classification of human rights in successive generations. Rather, splitting our analysis in two separate articles seems appropriate in order to reveal how this issue may be differently addressed by the bodies, depending on whether they apply texts dedicated to civil and political rights or to economic, social and cultural rights. Whether prohibition of forced labour is rooted in one type of legal text or the other may indeed influence its interpretation and its application to activation measures for social benefits recipients. Prima facie, we may expect the bodies controlling the application of texts on civil and political rights to be more reluctant to interfere in States’ social policies and construe the prohibition of forced labour as disconnected from the idea that social protection should support freedom of work.
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benefits recipients with regard to the prohibition of forced labour. We will verify whether the case law has considered, in line with the traditional thesis, that such measures cannot as a matter of principle violate the prohibition of forced labour, either because they would not enter into the definition of forced labour or because they would be excluded from the scope of application of the provisions establishing its prohibition (II.). This exercise will lead us to conclude that, even though they have so far never found a breach of the prohibition of forced labour, the international bodies supervising the application of covenants on civil and political rights admit that the work-related obligations imposed on social benefit recipients in the context of activation may, under certain circumstances, infringe the prohibition of forced labour.
I. The material scope of application of the provisions on the prohibition of forced labour This section aims at clarifying the material scope of application of the different international provisions on prohibition of forced labour. We will successively look at the Forced Labour Convention No. 29 of the ILO (A.), Article 8, §3 of the ICCPR (B.), and Article 4, §3 and 4 of the ECHR (C.).
A. The prohibition of forced labour in Convention No. 29 of the International Labour Organization The Forced Labour Convention No. 29 of the ILO (1930) commits States’ parties to suppress the use of forced or compulsory labour in all its forms within the shortest possible period. This Convention is part of the eight Fundamental Conventions of the ILO and one of the most ratified (by 177 countries as of 1st of November 2013). Although Convention No. 29 was drafted in the historical context of slavery under colonial administration, it is recognised to be of general applicability, which means that it concerns all new forms of forced labour.9 In this part, the defining criteria of forced labour within the meaning of the Convention No. 29 ILO will be explained (1.). A description of the measures excluded from the scope of application of the Convention will follow (2.). We will base our analysis on the text of the Convention and its interpretation by ILO bodies, such as the International Labour Conference (ILC), the Governing Body, tripartite committees set up by the Governing Body, the Committee of Experts on
9
Another convention of the ILO also addresses the issue of forced labour : the Abolition of Forced Labour Convention No. 105 (1957). It complements Convention No. 29, by more particularly aiming at abolishing new forms of forced labour imposed for political or ideological reasons during and after World War II.
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the Application of Conventions and Recommendations (CEACR) and the Conference Committee on the Application of Standards.10
1. The definition of forced labour Forced or compulsory labour is defined by Article 2, §1 of the Forced Labour Convention as a work or service that is exacted from any person under the menace of any penalty and for which the said person has not offered himself voluntarily. The Convention gives a common definition to “forced labour” and “compulsory labour”. Furthermore, the bodies supervising the application of the conventions draw no distinction between the two concepts. The Convention, by only referring to a work or a service, does not apply to vocational training.11 Admittedly, the principle of compulsory education, as established by several international instruments, aims at ensuring the full exercise of the right to education.12 According to the CEACR, “by analogy with and considered as an extension to compulsory general education”,13 a compulsory scheme of vocational training cannot be considered a mandatory work or service within the meaning of Convention No. 29.14 Vocational training often implies a certain amount of practical work, and one should assess, on a case-by-case basis, if a training programme solely constitutes vocational training, or if it imposes a work or a service that could be considered forced or mandatory labour.15 10
As a short reminder, the ILC is the tripartite assembly of the ILO that establishes and adopts international labour standards. Also composed of governments’ members, employers and workers, the Governing Body is the executive body of the ILO. In the framework of its representation procedure, a three-member tripartite committee may be set up to examine the representation presented by an industrial association of employers or workers against a member State and its government’s response. The committee is charged with submitting a report with recommendations to the Governing Body, which is entitled to publish both the representation and the response. Concerning the regular monitoring of ILO Conventions, the CEACR examines each State’s report on their application of the ratified conventions. Composed of jurists appointed by the Governing Body for three-year terms, it is charged with providing an impartial and technical evaluation of a State’s application of international labour standards. Following the examination, it makes observations on and direct requests to each State and publishes an annual report. On this basis, the Conference Committee on the Application of Standards, a tripartite body of the ILC, draws the attention of the ILC, in its general report, to the most serious cases of difficulty encountered with the States as regarding the application of ratified standards. 11 I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, General Survey, 2007, p. 19, §36 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Abolishing Forced Labour, General Survey, 1979, §20 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Forced Labour, General Survey, 1968, §26. In contrast, the right to freely chosen work established in the texts dedicated to economic, social and cultural rights protects, to a certain extent, the free choice of vocational training. Concerning this issue, see E. Dermine, “Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case Law on the Right to Freely Chosen Work”, op. cit. 12 Universal Declaration of Human Rights, Art. 26 ; I.C.E.S.C.R., Arts. 13 and 14. See also the ILO standards concerning the prescription of a school-leaving age, such as Art. 15, §2, of the Social Policy (Basic Aims and Standards) Convention, 1962 (No. 117), and Art. 19, §2, of the Social Policy (Non-Metropolitan Territories) Convention, 1947 (No. 82). 13 I.L.O., C.E.A.C.R., General Survey on the Fundamental Conventions Concerning Rights at Work in light of the ILO Declaration on Social Justice for a Fair Globalization, 2012, p. 111, §269. See also, I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit., p. 19, §36 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Forced Labour, op. cit., §26 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Abolishing Forced Labour, op. cit., §20. 14 Regarding the distinction between work and vocational training, the CEACR refers in particular to the Special Youth Scheme Recommendation No. 136 (1970), which indicates that schemes of education and training involving obligatory enrolment of unemployed young people are fully complying with the conventions on forced labour, but do require the prior consent for any scheme involving an obligation to serve (art. 7, §1 and 2, a) and b)). 15 I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit., p. 19, §36. See also I.L.O., C.E.A.C.R., Abolishing forced labour, op. cit., §20 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Forced Labour, op. cit., §26.
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Regarding the criterion of the menace of any penalty, it was made clear, while the draft convention was being examined by the ILC, that this penalty was not necessarily meant to take the form of a criminal penalty. It may also consist in a loss of rights, advantages or privileges.16 The threat may be physical or psychological ; it could also be financial.17 It can be the fact of public or private agents. This criterion must be understood in a very broad sense.18 The criterion of the absence of consent must be established in the person of the worker while the criterion of the menace of a penalty is related to the perpetrator of forced labour. The CEACR notes that “where consent to work or service was already given ‘under the menace of a penalty’, the two criteria overlap : there is no ‘voluntary offer’ under threat”.19 The CEACR further considers that external constraints or indirect coercion on formal consent may result in an invalidly expressed consent, the interested party having thus not been able to “offer himself voluntarily”. Such constraints or coercion may result from an act of the public authorities. In this respect, the CEACR clarifies that “the State is not accountable for all external constraints or indirect coercion existing in practice : for example, the need to work in order to earn one’s living could become relevant only in conjunction with other factors for which it is answerable”.20 In summary, forced labour implies that the work relationship is characterised by “exercise of coercion” and “denial of freedom”.21 The notion of forced labour is thus defined by “the nature of the relationship between a person and an ‘employer’”, and not by the conditions of work.22 But admittedly harsh conditions of work may denature a work relationship into forced labour.23 Forced labour is the “antithesis of decent work”24 and “there is a broad spectrum of working conditions and practices, ranging from extreme exploitation including forced labour at one end, to decent work and the full application of labour standards at the other. Within that part of the spectrum in which forced labour conditions may be found, the line dividing forced labour in the strict legal sense of the term from extremely poor working conditions can at times be very difficult to distinguish”.25 16
I.L.O., Record of Proceedings, I.L.C., 14th session, Geneva, 1930, p. 691. See also I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit., §37 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Forced Labour, op. cit., §27 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Abolishing Forced Labour, op. cit., §21. 17 I.L.O., Report of the Director-General of the I.L.O., A Global Alliance Against Forced Labour, Global Report under the Follow-up to the ILO Declaration on Fundamental Principles and Rights at Work, Report I(B), I.L.C., 93rd session, 2005, pp. 5‑6, §14. 18 I.L.O., C.E.A.C.R., General Survey on the Fundamental Conventions concerning Rights at Work in light of the ILO Declaration on Social Justice for a Fair Globalization, op. cit., p. 111, §270. 19 I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit., p. 20, § 38. On this overlap, see also M. Kern and C. Sottas, “Freedom of Workers : The Abolition of Forced or Compulsory Labour”, in J.‑C. Javillier (ed.), International Labour Standards. A Global Approach, 75th Anniversary of the CEACR, Geneva, ILO Publications, 2002, p. 57. 20 I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit., p. 21, §39. On this matter, see M. Kern et C. Sottas, “Abolition du travail forcé ou obligatoire”, in B.I.T., Droits fondamentaux au travail et normes internationales du travail, Geneva, Publications du Bureau International du travail, 2004, p. 39. 21 I.L.O., Report of the Director-General of the I.L.O., Stopping Forced Labour, Global Report under the Follow-up to the ILO Declaration on Fundamental Principles and Rights at Work, Report I, I.L.C., 89rd session, 2001, p. 7, §2. 22 I.L.O., Report of the Director-General of the I.L.O., A Global Alliance Against Forced Labour, op. cit., p. 6, §16. 23 I.L.O., Report of the Director-General of the I.L.O., A Global Alliance Against Forced Labour, op. cit., p. 70, §295. 24 I.L.O., C.E.A.C.R., General Survey on the Fundamental Conventions concerning Rights at Work in light of the ILO Declaration on Social Justice for a Fair Globalization, op. cit., p. 104, §255. 25 I.L.O., Report of the Director-General of the I.L.O., A Global Alliance Against Forced Labour, op. cit., p. 9, §31.
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One shall finally note that, by opting for a general definition of forced labour in its Convention No. 29, the ILO has demonstrated its willingness to embrace evolutive phenomenons.26 In its general surveys dedicated to forced labour,27 the CEACR has insisted on the diverse nature that forced labour has been and still is able to display over time28 and, as a consequence, on the dynamic construction of the phenomenon it has to favour.29 In its general surveys on forced labour, the CEACR thus reviews the new national legislation and practice likely to be questioned regarding the conventions on forced labour.30
2. Exceptions to the scope of application of the Convention While the draft convention was discussed, a strong majority of countries expressed their opposition to accepting such a wide definition of forced labour without any exceptions to its scope of application.31 That is why the first paragraph of Article 2, which defines forced labour, is followed by a second paragraph listing measures that should “nevertheless” not be included in the notion of forced labour. The second paragraph therefore aims at excluding from the scope of the Convention certain specific forms of labour that “would otherwise have fallen under the general definition of forced or compulsory labour”.32 Article 2, §2 specifies that : “Nevertheless, for the purposes of this Convention, the term forced or compulsory labour shall not include : (a) any work or service exacted in virtue of compulsory military service laws for work of a purely military character ; (b) any work or service which forms part of the normal civic obligations of the citizens of a fully self-governing country ; (c) any work or service exacted from any person as a consequence of a conviction in a court of law, provided that the said work or service is carried out under the supervision and control of a public authority and that the said person is not hired to or placed at the disposal of private individuals, companies or associations ; 26
I.L.O., C.E.A.C.R., General Survey on the Fundamental Conventions concerning Rights at Work in light of the ILO Declaration on Social Justice for a Fair Globalization, op. cit., p. 112, §272 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Forced Labour, Report I, I.L.C., 14th session, Geneva, 1930, pp. 129‑131. 27 I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit. ; I.L.O., C.E.A.C.R., Abolishing Forced Labour, op. cit. ; I.L.O., C.E.A.C.R., Forced Labour, op. cit. 28 Through this broad definition, ILO supervisory bodies were abled “to address traditional practices of forced labour, such as vestiges of slavery and slave-like practices, and various forms of debt bondage, as well as new forms of forced labour that have emerged in recent decades, as human trafficking” (I.L.O., C.E.A.C.R., General Survey on the Fundamental Conventions concerning Rights at Work in light of the ILO Declaration on Social Justice for a Fair Globalization, op. cit., p. 112, §272). 29 I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit., p. 111, §193. 30 I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit., p. xii. 31 L. Thomann, Steps to Compliance with International Labour Standards. The International Labour Organization (ILO) and the Abolition of Forced Labour, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2012, p. 192, referring to Bülck (H. Bülck, Die Zwangsarbeit im Friedensvölkerrecht : Untersuchung öber die Möglichkeit und Grenzen allgemeiner Menschenrechte, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1953, p. 59). 32 I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of forced labour, op. cit., p. 22, §42. See also M. Kern et C. Sottas, op. cit., p. 41 ; N. Valticos, op. cit., p. 274.
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(d) any work or service exacted in cases of emergency, that is to say, in the event of war […] (e) minor communal services (…)”.33
We have seen that forced labour may be imposed by the State as well as by private actors.34 However, it is notable that the exceptions to its scope of application exclusively target cases of works or services imposed by the State. The CEACR points out that “the exceptions are subject to the observance of certain conditions, which define their limits”. States having recourse to these forms of compulsory work need to demonstrate their respect of the conditions set out in the Convention.35 The list of exceptions can thus be qualified as exhaustive.36 To complement this established interpretation, the tripartite Committee set up by the Governing Body ruled however in 2008 that the so-called “duty lawyer roster system” in Chile, although it did not fit within the limits of one of the five exceptions to the scope of application of the Convention, could however equate to one of them, if it was contained within reasonable limits of proportionality.37 Beforehand, the Committee had stated that the system of assignment fell within the general definition of forced labour set out in Article 2, §1 of Convention No. 29. One could not consider that lawyers had voluntarily accepted the system of assignments, although they had chosen, freely and well-informed, the profession of lawyer. In its view, “the lawyers have indeed no choice but to accept the general system governing their profession with all its legal requirements, which include the duty lawyer roster system”.38 The Committee considered afterwards that the obligation imposed on appointed lawyers, by pursuing a general interest objective, i.e. access to justice, could be closely linked to the specific exceptions to forced labour listed in Article 2, §2. Indeed, among the five exceptions to the prohibition of forced labour, four of them are based on general interest considerations. Each one of those exceptions is, however, subject to compliance with precise conditions aimed at guaranteeing that the imposed work or service does not constitute a disproportionate burden 33
We will not elaborate on this last exception since it has been reproduced neither in the ICCPR, nor in the ECHR. The drafters of those texts have indeed considered that the distinction between minor communal services for the territories under colonial administration and the civic obligations applying to the sovereign States was no longer acceptable (U.N., Secretary General, Comments of the Draft Covenants, Art. 4 of the ICCPR, Geneva, 1955 (A/2929), §25 ; Eur. Com. HR, Preparatory works for Art. 4 of the Convention, Strasbourg, Council of Europe, 15 November 1962 (DH(62)10), p. 15). 34 L. Thomann, op. cit., p. 191. 35 I.L.O., C.E.A.C.R., General Survey on the Fundamental Conventions concerning Rights at Work in light of the ILO Declaration on Social Justice for a Fair Globalization, op. cit., p. 112, §273 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit., p. 22, §42. 36 See also L. Thomann, op. cit., p. 192. 37 I.L.O., Report of the Committee set up to examine the representation alleging non-observance by Chile of the Forced Labour Convention, 1930 (No. 29), submitted under article 24 of the ILO Constitution by the Colegio de Abogados de Chile A.G., Geneva, 11 November 2008, §35-38. 38 I.L.O., Report of the Committee set up to examine the representation alleging non-observance by Chile of the Forced Labour Convention, 1930 (No. 29), submitted under article 24 of the ILO Constitution by the Colegio de Abogados de Chile A.G., Geneva, 11 November 2008, §32.
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for the interested party regarding the pursued general interest objective. The Committee has taken the view that, as in the case of the exceptions explicitly provided for, the duty lawyer roster system had to comply with the principle of proportionality in order to be excluded from the scope of application of the Convention. It concluded that, in some cases, the load and the frequency of the tasks assigned in the framework of this obligation had a serious impact on the normal exercise of the profession of lawyer, which was in breach with the prohibition of forced labour.39 Nevertheless, how the Committee could equate such a measure with the Convention’s exceptions seems difficult to reconcile with Article 2, §2, considering that the exceptions, precisely defined by the States, are, in essence, of strict interpretation (and considering that the list is supposedly exhaustive). One may, however, understand the Committee’s embarrassment in this matter, as it was facing a case involving work imposed by the State in the name of a general interest objective, even though it was not included in the list of exceptions. It is even more understandable because organised systems of legal aid did not exist when the Convention was adopted, and as we know, the ILO is willing to develop a dynamic and evolutive approach to the forms of forced labour. Concerning in particular the general exception to normal civic obligations, there is no ample case law. The CEACR has ruled that mandatory membership to a jury or the duty to assist a person in danger constitutes normal civic obligations.40 It considers that the exception should be understood in a very restrictive way.41 Besides, when investigating the complaint concerning the duty lawyer roster system in Chile, the tripartite Committee provided for the fact that the obligation on lawyers to provide legal defence for the most deprived people could not constitute a normal civic obligation, considering that it is only imposed on a certain category of persons and that it did not affect all citizens equally.42 According to this ILO body, normal civic obligations are thus submitted to a condition of generality.
39
In the Van der Mussele case (Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, 23 November 1983 (app. No. 8919/80)), the ECHR was also brought to assess the compliance of a duty lawyer roster system with the prohibition of forced labour. Comparing the respective approaches of the Committee of the ILO Governing Body and of the European Court of Human Rights appears, as will be seen below, enlightening to understand how the notion of forced labour is conceived by those two bodies (see infra, B., 1 and 2). 40 I.L.O., C.E.A.C.R., General Survey on the Fundamental Conventions concerning Rights at Work in light of the ILO Declaration on Social Justice for a Fair Globalization, op. cit., p. 113, §277 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Eradication of Forced Labour, op. cit., §44 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Abolishing Forced Labour, op. cit., §34 ; I.L.O., C.E.A.C.R., Forced Labour, op. cit., §37. 41 I.L.O., C.E.A.C.R., General Survey on the Fundamental Conventions concerning Rights at Work in light of the ILO Declaration on Social Justice for a Fair Globalization, op. cit., p. 113, §277. 42 I.L.O., Report of the committee set up to examine the representation alleging non-observance by Chile of the Forced Labour Convention, 1930 (No. 29), submitted under article 24 of the ILO Constitution by the Colegio de Abogados de Chile A.G., Geneva, 11 November 2008, §35-38.
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B. The prohibition of forced labour in the International Covenant on Civil and Political Rights Article 8 of the ICCPR establishes the prohibition of slavery, servitude and forced or compulsory labour.43 Slavery and servitude are banned under the first and second paragraphs. The principle of the prohibition of forced or compulsory labour is contained in point a) of the third paragraph (1.). The points b) and c) of the same paragraph state an exception to the scope of application of this prohibition as well as exclusions from the notion of forced labour (2.). We will essentially base our analysis on the travaux préparatoires since the Human Rights Committee of the United Nations (HRC) has not adopted a General Comment on Article 8. Besides, very few cases permit an enlightening of its conception of the prohibition of forced labour.
1. The definition of forced labour Article 8, §3, a) of the ICCPR provides that “no one shall be required to perform forced or compulsory labour”. It does not contain any positive definition of the notion of forced labour. The definition adopted by the ILO has not been integrated into the text, since it did not seem fully satisfying to the drafters of the Covenant, regarding the way it was articulated with its exceptions.44 The drafters of the Covenant were however willing to rely on the ILO definition of forced labour to construe Article 8, §3, a) of the ICCPR.45 As has been seen, forced labour consists in a work or a service performed against the will of a person under the menace of a penalty or any comparable sanction. This definition remains openended and must allow for an evolutive approach to the forms of forced labour. In that vein, the United Nations Human Rights Council set up a working group on the contemporary forms of slavery in 2007,46 designed to identify and to combat the new faces of slavery but also of forced or compulsory labour.
43
Distinction between slavery, servitude and forced labour is about the gravity of the denial of freedom. Slavery occurs when a person literally “owns” another. Servitude involves that a person exercises a form of domination on another. For further details on the distinction between these concepts, see F. Martin, “Article 8”, in. E. Decaux (ed.), Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Commentaire article par article, Paris, Economica, 2011, pp. 227‑233 and S. Joseph, J. Schultz and M. Castan, The International Covenant on Civil and Political Rights. Cases, Materials and Commentary, 2nd edition, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 295, 10.02. 44 M. Bossuyt, Guide to the “Travaux Préparatoires” of the International Covenant on Civil and Political Rights, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1987, p. 169. 45 S. Joseph, J. Schultz and M. Castan, op. cit., p. 295, 10.03 ; M. Nowak, UN Covenant on Civil and Political Rights. CCPR Commentary, 2nd revised edition, Kehl, N.P. Engel Publisher, 2005, p. 201, §15. 46 U.N., Council of Human Rights, Resolution 6/14, 21st session, 28th of Sept. 2007.
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2. The exception to the scope of application of the prohibition of forced labour and the exclusions from this notion The prohibition of forced labour is accompanied by derogations and limitations established in points b) and c) of Article 8, §3 of the ICCPR : “(b) Paragraph 3 (a) shall not be held to preclude, in countries where imprisonment with hard labour may be imposed as a punishment for a crime, the performance of hard labour in pursuance of a sentence to such punishment by a competent court ; (c) For the purpose of this paragraph the term “forced or compulsory labour” shall not include : (i) Any work or service, not referred to in subparagraph (b), normally required of a person who is under detention in consequence of a lawful order of a court, or of a person during conditional release from such detention ; (ii) Any service of a military character and, in countries where conscientious objection is recognized, any national service required by law of conscientious objectors ; (iii) Any service exacted in cases of emergency or calamity threatening the life or well-being of the community ; (iv) Any work or service which forms part of normal civil obligations”.
The case referred to in point b) is a form of forced labour in the sense of the Covenant, but is nevertheless considered admissible. It is an exception to the scope of application of the prohibition of forced labour. On the contrary, the cases covered by point c) do not constitute forced or compulsory labour within the meaning of the Covenant.47 According to Nowak,48 this formal distinction has no bearing on the application of the law. However, in the absence of any positive definition of forced labour, since the cases referred to in point c) are not to be considered forced or compulsory labour, Article 8, §3, c) could be interpreted as delineating the notion of forced labour by negative construction and could thus provide guidance for the interpretation of the notion of forced labour as stated in Article 8, §3, a). As we will see in the next part, Article 4, §3 of the ECHR, which also states forms of work that cannot be considered forced labour, has in this way been considered by the European Court of Human Rights as an aid to interpret the notion of mandatory work.49 In our view, the distinction between the exception to the scope of application of the prohibition of forced labour and the exclusions from the notion of forced labour could thus be fundamental for the application of the Covenant. This question has not so far been addressed by the HRC.
47
S. Joseph, J. Schultz and M. Castan, op. cit., p. 295 ; F. Martin, op. cit., p. 229 ; M. Nowak, op. cit., p. 203, §21. See also Ludovic Hennebel who does not make this distinction and considers that points b) and c) of Article 8, §3 both establish exceptions to the prohibition of forced labour (L. Hennebel, La jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations-Unies. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son mécanisme de protection individuelle, Brussels, Bruylant (Droit et Justice), 2007, p. 146, §166). 48 M. Nowak, op. cit., p. 203, §21. The other authors mentioned in the previous note do not discuss this question. 49 See infra, C.
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Finally, the reference to normal civic obligations directly derives from Convention No. 29 and can thus be given the same definition.
C. The prohibition of forced labour in the European Convention on Human Rights Article 4 of the ECHR establishes the prohibition of slavery, servitude and forced labour.50 Slavery and servitude are banned under the first paragraph. Forced or compulsory labour is prohibited under the second (1.). Then, in the third paragraph, the forms of work or service that cannot be considered to be forced or compulsory labour are laid out (2.).51
1. The ILO definition of forced labour as a starting point for the interpretation of Article 4 of the ECHR As Article 8 of the ICCPR, Article 4 of the ECHR does not contain any positive definition of forced or compulsory labour. In the Van der Mussele v. Belgium case, the European Court of Human Rights (hereafter the Court) referred to the definition given by the ILO. In this case, it was asked to assess the conformity of the obligation imposed on pupil avocats, in casu Mr Van der Mussele, to defend indigent persons, with regard to the prohibition of forced labour. Having noted that no guidance could be found in the various documents of the Council of Europe, the Court held that the drafters of the ECHR had clearly drawn on Convention No. 29 of the ILO on forced labour. The Court observed “the striking similarity, which is not accidental, between paragraph 3 of Article 4 of the European Convention and paragraph 2 of Article 2 of Convention No. 29”.52 After observing that Convention No. 29 binds nearly all member States of the Council of Europe, it ruled that the definition of forced labour enshrined in the first paragraph of Article 2 of Convention No. 29 provides a “starting-point for the interpretation of Article 4 of the European Convention”.53 Subscribing to a dynamic approach to human rights,
50
The Convention bodies have clarified distinctions between these three notions. The concept of slavery ought to be interpreted narrowly. It requires that a person exercises a genuine right of ownership over another and reduces her to the status of an object (Eur. Ct HR, Siliadin v. France, 26 July 2005 (app. No. 73316/01), §122). The concept of servitude is an “aggravated” forced labour. The fundamental distinction with forced labour lies in “the victim’s feeling that their condition is permanent and that the situation is unlikely to change” (Eur. Ct HR, C.N. et V. v. France, 11 October 2012 (app. No. 67724/09), §91). 51 For general commentaries of Article 4 of ECHR, see F. Kurz, “Lutte contre le travail forcé, l’exploitation économique et la traite des êtres humains : des concepts légaux à l’application judiciaire”, Chroniques de droit social, 2008, pp. 317‑330 ; Z. Leventhal, ‘‘Focus on Article 4 of the ECGR’’, Judicial Review, Vol. 10, 2005, pp. 237‑243 ; V. Mantouvalou, “The Prohibition of Slavery, Servitude, Forced and Compulsory Labour”, in F. Dorssemont, K. Lörcher and I. Schömann (eds.), The European Convention on Human Rights and the Employment Relation, Oxford-Portland, Hart Publishing, 2013, pp. 143‑158 ; J. Moerman, “Article 4 EVRM : een kritische analyse van het verbod op slavernij en dwangarbeid”, Chroniques de droit social, 2010, pp. 509‑522 ; A. Mowbray, Cases and Materials on the European Convention on Human Rights, 2nd edition, Oxford, Oxford University Press, 2007, pp. 229‑239 ; C. Ovey and R. White, The European Convention on Human Rights, 4th edition, Oxford, Oxford University Press, 2006, pp. 110‑121. 52 Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, 23 November 1983 (app. No. 8919/80), §32. 53 Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §32.
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the Court then recalled that the Convention is a living document that must be read “in the light of the notions currently prevailing in democratic States”.54 In its ruling on Siliadin v. France in 2005,55 the Court also referred to the ILO definition of forced labour.56 Likewise, it made clear that the Convention is “a living instrument that must be interpreted in the light of present-day conditions, and that the increasingly high standard being required in the area of the protection of human rights and fundamental liberties correspondingly and inevitably requires greater firmness in assessing breaches of the fundamental values of democratic societies”.57 Unlike the bodies of the ILO, the Court distinguishes between forced and compulsory labour. In its view, forced labour implies physical or mental constraint,58 while compulsory labour refers to a work “exacted […] under the menace of a penalty” and “for which one has not offered himself voluntarily”.59 This definition corresponds to that of Convention No. 29 of the ILO. In the Van der Mussele case, the Court had recourse to the criterion of the menace of a penalty to define forced labour. By contrast, the European Commission of Human Rights generally established forced or compulsory labour to be on the basis of the satisfaction of two conditions – the lack of willingness and the “unjust” or “oppressive” character of the obligation to carry out the work – without referring to the ILO criterion of the menace of a penalty.60 We will nevertheless see in the second section that, without referring to the ILO definition of forced labour, the European Commission of HR as an exception has used the criterion of the menace of a penalty from 1976 in cases of work-related obligations imposed on unemployment benefits recipients. Following the case law of the ILO, the Court considered, in the Van der Mussele case, that the menace did not necessarily have to take the form of a criminal sanction, but could also consist in a loss of status. According to the Court, the risk of having the Council of the Order strike his name off the roll of pupils or reject his application for entry on the register of lawyers could constitute a menace of a penalty.61
54
Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §32, referring to the Guzzardi case (Eur. Ct HR, Guzzardi v. Italy, 6 November 1980 (app. No. 7367/76), §95). Eur. Ct HR, Siliadin v. France, §115-116. 56 On the interplay between Article 4, §3 of the ECHR and ILO Forced Labour Convention No. 29 and its merits, see V. Mantouvalou, “The Prohibition of Slavery, Servitude, Forced and Compulsory Labour”, op. cit., pp. 154‑157. See also V. Mantouvalou, “Labour Rights in the European Convention on Human Rights : An Intellectual Justification for an Integrated Approach to Interpretation”, Human Rights Law Review, Vol. 13, No. 3, 2013, pp. 529‑555. 57 Eur. Ct HR, Siliadin v. France, §121. 58 Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §34. 59 Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §34. 60 Eur. Com. HR, Iversen v. Norway, 17 December 1963, Decision on the admissibility (app. No. 1468/62) ; see also Eur. Com. HR, Ackerl and others Limberger v. Austria, 9 September 1998, Decision on the admissibility (app. No. 09/97). 61 Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §35. 55
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The existence of a menace having been established, the Court then turned to the second element contained in the definition of compulsory labour : that the interested person must perform it against his will. The Court found that Mr Van der Mussele “had consented in advance to the situation he complained of”.62 He had indeed chosen to enter the profession of lawyer, well aware of the fact that his status would require him to sometimes defend clients free of charge and without reimbursement of his expenses. Nevertheless, the Court considered that the fact that he had to comply with that requirement in order to enter the bar needed to be taken into account. The Court therefore considered that his prior consent, formally expressed, was not sufficient to conclude that he had offered himself voluntarily. Obviously, the Court followed the ILO supervisory bodies, which had already emphasised that the expression of a formal consent did not permit to necessarily conclude that its author had offered himself voluntarily.63 Having established “the relative weight to be attached to the argument regarding the applicant’s prior consent”,64 the Court did however not conclude that Mr. Van der Mussele had taken part in the duty lawyer roster system against his will.65 It decided that, in order to assess his lack of will, elements other than his formal consent needed to be taken into account. These elements were identified by the Court from a review of the concerns underpinning Article 4 of the ECHR, and more particularly its third paragraph enouncing exclusions from the notion of forced labour. We will detail those factual elements in the next paragraph.
2. Exclusions from the notion of forced labour providing guidance for the construction of Article 4 of the ECHR The third paragraph of Article 4 of the ECHR provides that : “3. For the purpose of this Article the term “forced or compulsory labour” shall not include : (a) any work required to be done in the ordinary course of detention imposed according to the provisions of Article 5 of this Convention or during conditional release from such detention ; (b) any service of a military character or, in case of conscientious objectors in countries where they are recognised, service exacted instead of compulsory military service ; (c) any service exacted in case of an emergency or calamity threatening the life or well-being of the community ; (d) any work or service which forms part of normal civil obligations”. 62
Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §36. See supra, A. 1. Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §37. 65 One will remember that regarding the system of assignments in Chile, the tripartite Committee of the Governing Body of the ILO had on the contrary decided in 2008 that lawyers could not be considered as having voluntarily offered themselves since they had no choice but to accept this system in order to enter the profession (I.L.O., Report of the Committee set up to examine the representation alleging non-observance by Chile of the Forced Labour Convention, 1930 (No. 29), submitted under article 24 of the ILO Constitution by the Colegio de Abogados de Chile A.G., Geneva, 11 November 2008, §32. See supra, A. 2.). 63 64
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In its Van der Mussele ruling, the Court made it clear that the third paragraph of Article 4 was not intended to “limit” the scope of the prohibition of forced labour, but to “delimit” the notion of forced labour.66 By listing measures that do not constitute forced labour, paragraph 3 contributes to shedding light on the construction of the concept of forced labour, as enunciated in the second paragraph. Paragraph 2 and 3 thus forms a whole, allowing the contours of the notion of forced labour to be marked out. The Court’s interpretation relied on the text of the third paragraph, which lists the works and services that “the term ‘forced or compulsory labour’ shall not include”. In the Court’s view, from the different forms of labour listed in the third paragraph, the common ideas of general interest, social solidarity and normality emerge. From these common features, the Court specified the factual elements other than formal consent that would allow it to determine if the burden imposed on the trainee attorneys was disproportionate and implied that no one could have imagined that it was accepted voluntarily. In this perspective, the Court stressed the following points : − the services to be rendered are of a similar nature as the usual and normal tasks of a lawyer and do not imply a restriction of his freedom in the conduct of the case ; − the lawyers can find compensation through the advantages attaching to the profession, such as the exclusive right of audience and of representation ; − the concerned lawyer will personally benefit from his work, in terms of experience or notoriety ; − the obligation is based on an idea of general interest and social solidarity, since it aims at guaranteeing the right of access to justice for all ; − the system leaves the lawyer enough time to perform his paid work.67 Concerning the absence of remuneration for the services provided, the Court recalled that remunerated work may also qualify as forced or compulsory labour. It also added that the lack of remuneration and of reimbursement of expenses did constitute an element to be taken into account in the assessment of the proportionate character of the measure.68 In this case, the Court found that the prejudice was not excessive, considering, in particular, the advantages granted and the time dedicated to those cases compared to the paying ones. The Court concluded that, in the presence of a priorly expressed consent, “only a considerable and unreasonable imbalance between the aim pursued – to qualify as a lawyer – and the obligations undertaken in order to 66
This case law has been confirmed since then. See in particular, Eur. Ct HR, Karlheinz Schmidt v. Germany, 18 July 1994 (app. No. 13580/88), §22 ; Eur. Ct HR, Spöttl v. Austria, 15 May 1996, Decision on the admissibility (app. No. 22956/93), §2 ; Eur. Ct HR, Kovalova v. Czech Republic, 30 November 2004, Decision on the admissibility (app. No. 57319/00), §1.3. 67 Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §39. 68 Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §40.
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achieve that aim would alone be capable of warranting the conclusion that the services exacted by Mr. Van der Mussele in relation to legal aid were compulsory despite his consent”.69 This conclusion having been reached, the Court did not have to judge if the obligation imposed on pupil avocats to provide legal aid could qualify as a “normal civic obligation” while only affecting a specific category of citizens. On this matter, the European Commission of HR ruled that the requirement for holders of shooting rights to participate in the gassing of fox-holes as part of a campaign against an epidemic amounted to a normal civic obligation,70 as well as the obligation for employers to withhold tax on wages and other contributions from their employees.71 Unlike the ILO tripartite Committee in the Chilean case, the European Commission thus considered that normal civic obligations could apply to specific categories of persons. It must be noted that the test of proportionality applied by the Court in the Van der Mussele case did not formally act as an autonomous criterion for the definition of compulsory labour, which would eventually override the criteria of the lack of will. The Court considered it as a complementing criterion permitting them to determine, through a balancing test between the general interest and the burden carried by the individual, if prior consent had been validly expressed. The Court in this way stated that the service required of Mr. Van der Mussele could fall within the prohibition of compulsory labour “if the service imposed a burden which was so excessive or disproportionate to the advantages attached to the future exercise of that profession, that the service could not be treated as having been voluntarily accepted beforehand”. In its discourse, the Court thus applied the two defining criteria of forced labour enounced in the Forced Labour Convention No. 29 of the ILO – i.e. the menace of a penalty and the lack of will. Nevertheless, we may observe that all the factual elements identified by the Court to deduce the lack of will were largely disconnected from this criterion, which tends to indicate that the proportionate character of the imposed work de facto supplanted the criteria of the lack of will. The factual elements taken into consideration for the test of proportionality were in reality largely borrowed from the European Commission of HR case law concerning the “unjust” or “oppressive” character of the obligation to carry out work.72 As a matter of fact, in the Reitmayr v. Austria case, subsequent to the Van der Mussele case, the European Commission merged both criteria and had recourse to the test of proportionality to assess if the obligation for the public medical service to carry out examinations on some patients without payment was unjust or oppressive.73 69
Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, §40. Eur. Com. HR, S. v. Germany, 4 October 1984, Decision on the admissibility (app. No. 9686/82). 71 Eur. Com. HR, Four Companies v. Austria, 27 September 1976, Decision on the admissibility (app. No. 7427/76). 72 See for example the X. v. The Federal Republic of Germany case also concerning the obligation for attorneys to provide legal aid (1 April 1974 (app. No. 4653/70)). 73 Eur. Com. HR, Reitmayr v. Austria, 28 June 1995, Decision on the admissibility (app. No. 23866/94). 70
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In our view, it would be more satisfying to explicitly construe the proportionality criterion as an autonomous criterion overriding the lack of will criterion, in situations where the work is allegedly imposed in the name of a general interest objective. Our point of view relies on the fact that the proportionality criterion has arisen from a combined reading of the measures excluded from the notion of forced work in §3, which all embrace situations where work is imposed by the State in the name of a general interest objective. Moreover, construing the test of proportionality as a complementing criterion to assess the validity of the consent, leads, in our view, to questionable outcomes. By definition, the test of proportionality only applies when the work is requested by a State pursuing a general interest objective, since it consists in balancing the burden imposed on the individual with the general interest. This criterion is thus not relevant in situations where the work is imposed by a private agent pursuing a personal goal, e.g. in the cases of trafficking in persons for the purpose of labour exploitation. Besides, we have showed that construing the test of proportionality as a complementing criterion does not tighten the definition of forced labour. On the contrary, it broadens it by allowing a more flexible construction of the lack of will criterion, the application of the test of proportionality permitting a possible invalidation of the expressed consent. As a result, establishing a violation of the prohibition of forced labour would be easier in the case of work imposed by the State pursuing a general interest objective, than in that of an individual acting for private purposes. Logically, the definition of forced labour should on the contrary be narrowed when the imposed work serves a general interest objective. It is in fact in this perspective that the drafters of the Convention have drawn up the list of exclusions of the notion of forced labour. In these cases, a certain level of coercion is admitted, since work is imposed on the basis of general interest considerations. The interpretation of Article 2, §2 of Convention No. 29 of the ILO differs from that of Article 4, §3 of the ECHR. According to ILO case law, the measures listed in Article 2, §2 fall within the definition of forced labour set out in the first paragraph but are nevertheless specifically excluded from its scope. This list of exceptions is exhaustive and of strict interpretation. Unlike Article 4, §3 of the ECHR, Article 2, §2 takes no conceptual part in defining forced labour. It seemed therefore unlikely that ILO case law would discover in the measures listed in Article 2, §2 a complementing or autonomous criterion for the definition of forced labour, which would be applicable to all hypotheses of work imposed by a State pursuing a general interest objective. Facing such a case, we have seen hereinabove that a tripartite Committee of the ILO Governing Body did however consider – exactly like the European Court – that a common requirement of proportionality could emerge from those measures. It therefore had recourse to the test of proportionality in order to assess if the duty lawyer roster system could be related to the exceptions to forced labour listed in Article 2, §2 of Convention No. 29. On the basis of criteria largely similar to those selected by the Court in the Van der Mussele
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case, it found that, in the case it was dealing with, the load and the frequency of the tasks assigned in the framework of the obligation could affect the normal exercise of the profession of lawyer and did thus constitute forced labour.74 At the end of this section, some relevant elements regarding activation measures for the unemployed may be pointed of the general international case law on the prohibition of forced labour. Throughout international case law, the menace of a penalty and the lack of will are the general defining criteria of forced labour. Through these large criteria, international bodies are willing to develop an evolutive approach of the notion of forced labour and to apprehend all new phenomenons that could amount to it. Concerning the criterion of the menace of a penalty, we will particularly underline that international bodies consider that the penalty can consist in the loss of a right or an advantage. As for the lack of will criterion, its evaluation goes beyond formally expressed consent. Indirect coercion may for example invalidate the expressed consent. Beyond these general criteria, we have noticed that the question of proportionality emerges whether in the case law on ILO Forced Labour Convention or in the case law of the ECHR, when the work is imposed by a State on individuals under general interest considerations. This criterion is in fact rooted in a separate paragraph following the general prohibition of forced labour, listing in both instruments very similar forms of work imposed on individuals by States in the name of a general interest objective, such as compulsory military service, work in detention or normal civic obligations. Theses paragraphs have nevertheless a different status in each instrument, which leads to different difficulties and ways of handling the question of proportionality. In the ILO Forced Labour Convention, the forms of work listed in Article 2, §2 fall under the general definition of forced labour but are exempted from Convention No. 29. As an exception to the scope of the general definition of forced labour, this paragraph should be of strict interpretation. We have, though, observed that ILO tripartite Committee has had recourse to interpretations by analogy and have subsequently judged that forms of work imposed under general interest considerations may equate with the Convention’s exceptions if the charge imposed on the individual is proportionate. The European Court faces different problems. According to her, Article 4, §3 participates in delineating the notion of forced labour. It has thus considered the proportionate character of the work as a defining criterion of forced labour, 74
I.L.O., Report of the committee set up to examine the representation alleging non-observance by Chile of the Forced Labour Convention, 1930 (No. 29), submitted under article 24 of the ILO Constitution by the Colegio de Abogados de Chile A.G., Geneva, 11 November 2008, §38.
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arising from paragraph 3. Probably willing to develop an interpretation that is consistent with the ILO definition of forced labour, the Court has formally considered the test of proportionality as a secondary test to assess the reality of the expressed consent. Admitting that the test of proportionality has a prevailing role in defining forced labour when work is imposed under general interest considerations, may however, be justified on the fact that Article 4, §3 contributes to defining the notion of forced labour, unlike Article 2, §2 of the ILO Convention. To conclude this first section, we will finally observe that normal civic obligations may be a very interesting concept in terms of the work-related obligations imposed on social benefits recipients. On this matter, the general international case law seems open as to whether normal civic obligations have to affect all citizens or if they may target specific categories of persons. Besides, few case law developments have been devoted to the abstract criterion of normality.
II. Activation policies for the unemployed in the international case law on prohibition of forced labour In this second section, an analysis will be delivered of all the cases in which the organs controlling the application of the ICCPR (A.) and the ECHR (B.) have had to look into the work-related obligations imposed on social benefits recipients from the angle of the prohibition of forced labour.75 We will determine if jurisprudence considers this type of obligation as not meeting the definition of forced labour or as excluded from the scope of application of its prohibition. These particular cases will also be compared to the general case law on the material scope of application of the prohibition of forced labour, as analysed in the first section. If the case law on the prohibition of forced labour is generally not abundant, this is equally the case for the particular question of the work-related obligations imposed on social benefits recipients. According to Bouziri and Martin, this is probably due to the precarious situation of its potential victims.76 This tends to be confirmed by the fact that absolutely no cases concerning social assistance recipients have been brought before international bodies. These people generally face an even more precarious situation than unemployment benefits recipients.
75
The ILO case law related to the conformity of activation measures regarding the prohibition of forced labour is not analysed here. This paper aims at emphasising the specific approach to the prohibition of forced labour in the case law applying texts dedicated to civil and political rights (ICCPR and ECHR). Yet, the ILO bodies have also, if not mainly, analysed activation measures through the prism of social rights, such as the right to freely chosen work or the right to social security. For that matter, ILO bodies consider that the prohibition of forced labour supports the right to freely chosen work. The ILO case law is therefore examined in a companion paper dedicated to the right to freely chosen work (E. Dermine, “Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case Law on the Right to Freely Chosen Work”, op. cit.). 76 N. Bouziri, La protection des droits civils et politiques par l’ONU. L’œuvre du Comité des droits de l’homme, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 303‑304 ; F. Martin, op. cit., p. 239.
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A. The Faure v. Australia case and Article 8, §3 of the ICCPR The Human Rights Committee (HRC) of the United Nations has only once been called upon to decide on the conformity of an activation measure regarding the prohibition of forced labour. This was in 2005, in the Faure v. Australia case.77 We propose a critical analysis of this case, which has thus far at most only been mentioned in some general commentaries on Article 8, §3.78 In order to combat long-term unemployment amongst its youth, the Australian government set up the Work for the Dole scheme in the late 1990s, according to which the long-term jobless had to accept work of 12 to 15 hours a week, or face a penalty of having their unemployment benefits reduced or suspended for two months. This programme was part of the unemployment assistance system, for which no prior contribution was required, and the benefits of which were unlimited in time. This type of work programme has since spread to some European countries, such as the United Kingdom and the Netherlands, mainly in universal unemployment benefits systems and in social assistance systems. Mrs Faure, a young unemployed woman who had never worked, had her unemployment benefits suspended for two months, because of unexplained absences from the work she had been assigned in the framework of the Work for the Dole scheme. Mrs Faure lodged a complaint in the HRC, arguing that she had been compelled to perform forced or compulsory labour, in breach of Article 8, §3, a) of the Covenant. Moreover, she claimed to not have any legal remedy to pursue her grievances, thus violating paragraph 2 and 3, a), b) and c) of Article 2 of the Covenant. Concerning admissibility, the HRC found that the complainant’s allegations based on Article 8, §3, a) did fall within the scope of the Covenant and were sufficiently supported to be deemed admissible.79 The HRC thus accepted the idea that an obligation to work imposed on unemployed persons as a condition for the granting of their benefits could, under certain circumstances, appear to be contrary to the prohibition of forced labour, enshrined in Article 8, §3, a) of the Covenant. In her separate opinion80, Mrs Ruth Wedgwood, an American Committee member, considered, by contrast, that the complaint of forced labour should have been dismissed as inadmissible, through lack of substantiation. She argued that the work-related obligations imposed on unemployment benefits recipients could clearly not equate to forced labour. She claimed that the analysed facts could absolutely not be compared with “horrific instances such as the forced labour required 77
H.R. Committee, Faure v. Australia, communication No. 1036/2001, 23 November 2005 (CCPR/C/85/D/1036/2001). L. Hennebel, op. cit., pp. 147‑148, §168 ; F. Martin, op. cit., pp. 236‑237. H.R. Committee, Faure v. Australia, §6.3. 80 H.R. Committee, Faure v. Australia, Appendix, Individual opinion by Committee member Ms Ruth Wedgwood. 78 79
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by colonial powers to build canals and roads”. Her argument was based on an approach to the forms of forced labour that might be considered quite static. So far, we have indeed shown the shared will of international supervisory bodies to follow an evolutive interpretation of the phenomenon of forced labour. Mrs Wegwood then referred to Nowak, according to which “the mere lapse of unemployment assistance when a person refuses to accept work not corresponding to his or her qualifications does not […] represent a violation [of Article 8] ; in this case, neither the intensity of the involuntariness nor that of the sanction reaches the degree required for forced or compulsory labour”.81 Nowak based his argument on the X v. The Netherlands case of the European Commission of Human Rights, delivered in 1976. In our view, such a statement cannot however be inferred from this case. As will be explained in our next point, in X v. The Netherlands the European Commission of Human Rights did come to a decision on the conformity of the availability for work condition, imposing on unemployment benefits recipients to accept any suitable job that would match their professional skills. Nothing relevant for the Faure case can emerge from the X. v. The Netherlands case, since the Faure case is about absences from a compulsory work programme imposed on unemployment benefits recipients, without any consideration of their professional skills. Concerning a potential violation of Article 2 of the Covenant, the HRC recalled that States must provide legal remedies for any violation of the rights enshrined in the Covenant. This guarantee would be void if it was not available where a violation had not yet been established. Article 2 ensures the alleged victims with a legal protection if their complaints are sufficiently well founded as to be arguable under the Covenant. In this case, the Committee concluded that Article 2, read together with Article 8, had been breached, since the complainant did not benefit from an effective national remedy that would have allowed her to have her obligation to work controlled regarding the prohibition of forced labour.82 The HRC then investigated the alleged breach of the third paragraph of Article 8. The Committee had already recognised that the definition of forced or compulsory labour in the relevant ILO instruments may contribute to the construction of Article 8, §3, a). It however made clear that it falls ultimately under its own responsibility to identify the prohibited practises. So, in its view : “The term ‘forced or compulsory labour’ covers a range of conduct extending from, on the one hand, labour imposed on an individual by way of criminal sanction, notably in particularly coercive, exploitative or otherwise egregious conditions, through, on the other hand, to lesser forms of labour in circumstances where
81
M. Nowak, op. cit., p. 202. H.R. Committee, Faure v. Australia, §7.2.-7.4.
82
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punishment as a comparable sanction is threatened if the labour directed is not performed”.83 In this paragraph, reference is indirectly made to the ILO criterion of the menace of a penalty that does not need to take the form of a criminal sanction. Surprisingly, without even analysing if the obligation to work fell into the definition of forced labour, the HRC then immediately specified the general requirements that needed to be met for a work or service to be considered as a normal civic obligation. In its view, “to so qualify as a normal civic obligation, the labour in question must, at a minimum, not be an exceptional measure ; it must not possess a punitive purpose or effect ; and it must be provided for by law in order to serve a legitimate purpose under the Covenant”.84 The HRC does thus not seem to require the obligation to affect all citizens on an equal footing, as will be later required by the Committee of the ILO Governing Body in the Chilean case.85 At this stage, one would have expected the HRC to individually apply to the case each one of the criteria it had identified, in order to determine if the obligation to work in the framework of the Work for the Dole scheme did, or not, constitute a normal civic obligation, compatible with the prohibition of forced labour. This was, however, not the case. Instead, the HRC concluded its review in one sentence : “In the light of these considerations, the Committee is of the view that the material before it, including the absence of a degrading or dehumanizing aspect of the specific labour performed, does not show that the labour in question comes within the scope of the proscriptions set out in article 8. It follows that no independent violation of article 8 of the Covenant has been made out”.86 Given the brevity of the reasoning, it is hard to understand if the HRC based its conclusions on Article 8, §3, a) or on the point c). In the beginning, the HRC seemed to want to determine if the obligation to work imposed on Mrs Faure could be qualified as a normal civic obligation, within the meaning of Article 8, §3, c). Its conclusion is nonetheless very general, with the HRC having confined itself to merely finding that the work imposed on Mrs Faure did not constitute forced labour, as prohibited by Article 8, §3, a). In particular, the finding of the HRC is based on the fact that the required work could not be considered as degrading or dehumanising. This criterion appears far 83
H.R. Committee, Faure v. Australia, §7.5. H.R. Committee, Faure v. Australia, §7.5. It must be noted that in 2005, the tripartite Committee of the Governing Body of the ILO had not yet made clear that a condition of generality was required regarding the civic nature of the obligation (I.L.O., Report of the committee set up to examine the representation alleging non-observance by Chile of the Forced Labour Convention, 1930 (No. 29), submitted under article 24 of the ILO Constitution by the Colegio de Abogados de Chile A.G., Geneva, 11 November 2008). 86 H.R. Committee, Faure v. Australia, §7.5. 84 85
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more restrictive than the normality criterion, generally required for the exception of normal civic obligations. It recalls the former case law of the European Commission of Human Rights, which had proposed the unfair or oppressive nature of the work as a defining criterion of forced labour.87 The criterion favoured by the HRC implies, however, a much graver threshold. It echoes the threshold required to trigger the applicability of Article 3, which prohibits torture and inhuman or degrading punishment or other treatments. It is astonishing that the HRC did not apply the ILO defining criteria of forced labour, i.e. the menace of any penalty and the lack of will, used by the ECHR in the Van der Mussele case, to which the Australian government itself had even referred in its answer to the complaint’s author.88
B. The X, Talmon and Schuitemaker v. The Netherlands cases and Article 4, §3 of the ECHR The European Court and Commission of Human Rights have so far only had three opportunities to address the issue of work-related obligations imposed on unemployment benefits recipients, from the angle of the prohibition of forced labour : the X v. The Netherlands (1976),89 the Talmon v. The Netherlands (1997)90 and the Schuitemaker v. The Netherlands (2010)91 cases. These three disputes concerned the suspension or the reduction of unemployment benefits, justified on the grounds of the complainants’ refusal to take up employment on the labour market. Thus far, the Convention bodies had never had to assess the conformity of compulsory work schemes with Article 4, §3 of the ECHR. None of the abovementioned cases passed the admissibility test. The Convention bodies did not identify any problem regarding their material competence in deciding the cases submitted to them. In the three cases, the applications were declared inadmissible for being manifestly ill-founded. As a reminder, the Convention bodies consider that “any application will be considered ‘manifestly ill-founded’ if a preliminary examination of its substance does not disclose any appearance of a violation of the rights guaranteed by the Convention, with the result that it can be declared inadmissible at the outset without proceeding to a formal examination on the merits”.92 This implies that, even if the Court case law on the issue is not abundant, the organs of the Convention have considered the situation as sufficiently simple to conclude, regarding the existing jurisprudential elements, that there was no indication of violation of the Convention.
87
Eur. Com. HR, Iversen v. Norway ; Eur. Com. HR, Ackerl and others v. Austria. H.R. Committee, Faure v. Australia, §4.9. Eur. Com. HR, X. v. The Netherlands, 13 December 1976, Decision on the admissibility (app. No. 7602/76). 90 Eur. Com. HR, Talmon v. The Netherlands, 26 December 1997, Decision on the admissibility (app. No. 30300/96). 91 Eur. Ct HR, Schuitemaker v. The Netherlands, 4 May 2010, Decision on the admissibility (app. No. 15906/08). 92 Council of Europe, Practical Guide on Admissibility Criteria, Strasbourg, Council of Europe Publishing, 2011, pp. 68‑69. 88 89
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The factual background of the X. v. The Netherlands case is as follows.93 The applicant, a specialised construction worker, had refused an employment offer made by the municipal plantations service, for the reasons that it did not match his professional skills and that it was socially disreputable, those kinds of jobs being, in his view, mainly for disabled persons. Following this refusal, he was excluded from unemployment benefits for 25 weeks. Before the European Commission of HR, he argued that he had been summoned to perform forced or compulsory labour, banned by Article 4, §2 of the Convention. The Commission declared the application manifestly ill-founded after a very concise – and quite formalistic – reasoning : “In pursuance of Dutch legislation relating to unemployment benefits, no one is forced, by whatever penalty, to accept a job offer made by competent public authorities. A refusal does not constitute an infringement of the law. The acceptance of a convenient employment is only a condition for granting unemployment benefits. The refusal is penalised by the temporary loss of these benefits, excluding any other measure. There can therefore be no question of forced or compulsory labour within the meaning of Article 4, §2 of the Convention”.94
It would indeed be inconsistent to consider that the loss of unemployment benefits for refusing suitable work constitutes forced labour, while, according to international standards, unemployment benefits can be refused, suppressed, suspended or reduced if the interested party fails to accept a suitable employment.95 As a reminder, the notion of suitable employment essentially protects the professional status of the unemployed person who must have the right, during a first reasonable period of unemployment, to refuse an employment that does not correspond to her professional qualifications.96 Nevertheless, the unemployed individual in this case complained about having been excluded from unemployment benefits for refusing work that did not match his professional skills. One can thus deplore that the European Commission of HR confined its control to such a formal regulation, without making sure that, concretely, the unemployed individual had not been compelled to accept a non-suitable employment. Moreover, the Commission also applied the criterion of the menace of a penalty. As we can recall, the European Court of Human Rights had recourse for the first time to this criterion years later in the Van der Mussele case. Besides, it is excep93
Eur. Com. HR, X v. The Netherlands, 13 December 1976, Decision on the admissibility (app. No. 7602/76). Eur. Com. HR, X v. The Netherlands, §1. Article 21 of the ILO Convention No. 168 concerning Employment Promotion and Protection against Unemployment (1988). 96 On the notion of suitable employment, see E. Dermine, “Suitable Employment and Job of Quality”, in P. Vielle and S. Borelli (eds.), Quality of Employment in Europe. Legal and Normative Perspective, Brussels, PIE-Peter Lang (Work and Society), 2012, pp. 157‑180. 94 95
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tional that the Commission referred to this criterion, since following its consolidated case law forced labour was solely conditioned by the absence of will and its unjust or oppressive character. The Commission considered that this criterion was clearly not met. It seemed to base this finding on the fact that in this case, refusal of the suitable employment was not punished by a criminal penalty. In its view, it was normal that the refusal would be punished by the temporary loss of benefits, since this was one of the conditions for their granting. This reasoning seems now outdated, considering the subsequent case law of the Court on the notion of forced labour. The Court currently refers to the case law of the ILO bodies and thus now considers that the penalty should not necessarily take the form of criminal sanction, but may also consist in the loss of a right, advantage, privilege or status.97 The second case, Talmon v. The Netherlands was submitted to the European Commission of HR in 1997 and relates to a beneficiary of unemployment assistance, who considered that the only suitable employment for him was that of an independent scientific expert or a social critic.98 In his view, he had serious and insurmountable conscientious objections to taking up any other employment. The Dutch administration decided to reduce his unemployment benefits, since he refused to comply with his obligation to seek suitable employment. Indeed, other employments than those of independent scientific expert and social critic did match his professional skillset. Again on the basis of a very concise reasoning, quite similar to the one made in the previous case, the Commission concluded that there could be no question of forced or compulsory labour, within the meaning of Article 4, §2 of the ECHR. In its view, the applicant did not seem to have been compelled to perform any kind of labour, and the refusal to seek any other form of employment than those of independent scientific expert did not appear to have made him liable to any other kind of measures than the reduction of his unemployment benefits. The Commission therefore considered that his application was manifestly ill-founded. The Commission seems to have made a distinction between the constraint and the menace of a penalty. This distinction probably echoes that made by the Convention bodies between forced labour implying constraint and compulsory labour implying the menace of a penalty.99 Just as in the first case, the Commission did not consider that the reduction of unemployment benefits may constitute, in itself, the menace of a penalty. In between these two cases, the Court had however delivered its judgement in the Van der Mussele case, where it ruled, in accordance with the case law of the ILO bodies, that the menace of a penalty could consist in the loss of a right. In 97
Eur. Ct HR, Van der Mussele v. Belgium, 23 November 1983. Eur. Com. HR, Talmon v. The Netherlands, 26 December 1997, Decision on the admissibility (app. No. 30300/96). See supra, I., C. and, in particular, the Van der Mussele case commentary.
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our view, compliance with this criterion should thus have been more carefully assessed, or at the very least, the Commission’s reasoning should have been more widely developed.100 The Commission would have then eventually examined the second criterion of the lack of will, which it has not yet applied to work-related obligations imposed on social benefits recipients. As the work-related requirement is a condition for the granting of unemployment benefits and is only sanctioned by the loss of those benefits, it could not, in the European Commission of HR’s view, be a question of forced labour. States would thus be completely free to choose the granting conditions to impose on the recipients of the benefits systems they set up. One shall however note that, at that time, the Commission could probably not imagine the multiple forms that work-related obligations imposed on unemployed persons would take a decade later. In 2010, in the Schuitemaker v. The Netherlands case, the Convention bodies investigated for the first time a case where the availability for work condition had been expanded to all “generally accepted” employment.101 In the surrounding context of activation, the Netherlands had indeed reformed their regulation on unemployment assistance, in order to force the unemployed to take up any generally accepted employment, and not only suitable employments. This new obligation had a much wider scope, since it included employments the unemployed had no experience or qualifications for and even no affinity with and only excluded employments that were generally not socially accepted. According to this reform, the unemployed could also refuse employments for which they had conscientious objections. Before the Court, the applicant argued that this new requirement to accept any generally accepted employment, and not solely suitable employments, may compel her to perform forced or compulsory labour. The applicant had not concretely had her benefits reduced following a refusal to take up employment. Following the case law of the Court, in the absence of an individual measure of implementation, individuals can only contend that a law violates their rights within the meaning of Article 34 of the Convention if they run the risk of being directly affected by this law.102 On the basis of this case law, the applicant argued that this law applies to all recipients of benefits. The Court however ruled that it did not have to assess the applicant’s status of victim, since its application was in any case manifestly ill-founded for other reasons. The Court stated that, “it must in general be accepted that where a State has introduced a system of social security, it is fully entitled to lay down conditions that 100
In certain circumstances, ILO bodies have considered that the reduction or suspension of unemployment benefits for non-compliance with a work-related obligation constituted a menace of losing a right. On this case law, see E. Dermine, “Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case law on the Right to Freely Chosen Work”, op. cit. 101 Eur. Ct HR, Schuitemaker v. The Netherlands, 4 May 2010, Decision on the admissibility (app. No. 15906/08). 102 Eur. Ct HR, Klass and others v. Germany, 6 September 1978 (app. No. 5029/71), §33 ; Eur. Ct HR, Marckx v. Belgium, 13 June 1979 (app. No. 6833/74), §25-27.
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have to be met for a person to be eligible for benefits pursuant to that system”.103 Reading this assertion, the Court seems to be confirming the traditional position according to which work-related obligations imposed on unemployed persons in the framework of a social security system could in principle never violate the prohibition of forced labour, whatever the nature of the work relationship and the working conditions. However, the Court further nuances this affirmation, in the next paragraph : “In particular a condition to the effect that a person must make demonstrable efforts in order to obtain and take up generally accepted employment cannot be considered unreasonable in this respect. This is the more so given that Dutch legislation provides that recipients of benefits pursuant to the Work and Social Assistance Act are not required to seek and take up employment which is not generally socially accepted or in respect of which they have conscientious objections. Therefore, the condition at issue cannot be equated with compelling a person to perform forced or compulsory labour within the meaning of Article 4, §2 of the Convention”.104
Moreover, the Court could only rule on the abstract content of the law. If the applicant had had her unemployment benefits reduced following a refusal to take up employment, the Court may have reviewed the concrete elements of the case and determine if what was required from the applicant did reach the threshold of forced or compulsory labour, within the meaning of Article 4, §2 of the Convention.105 In terms of principles, this was an important ruling, since it was the first time that the Court indirectly recognised that the measures aimed at activating unemployment benefits recipients could, under certain circumstances, constitute forced labour prohibited by the Convention. Otherwise, the decision can be deemed somewhat disappointing. The Court did not refer to the defining criteria of forced labour that it had itself identified in the Van der Mussele case (menace of a penalty and offer against one’s will). Knowing that the Court considers non-contributory social benefits to constitute “possessions” in the sense of Article 1 of the First Additional Protocol, the same as contributory benefits,106 one may have expected the Court to rule, within this new jurisprudential framework, that the threat to suspend unemployment assistance benefits constituted a menace of depriving of a right, as the loss of unemployment insurance benefits.
103
Eur. Ct HR, Schuitemaker v. The Netherlands, §5. Eur. Ct HR, Schuitemaker v. The Netherlands, §5. Eur. Ct HR, Schuitemaker v. The Netherlands, §6. 106 Eur. Ct HR, Koua Poirrez v. France, 30 September 2003 (app. No. 40892/98) ; Eur. Ct HR, Stec and others v. United Kingdom, 6 July 2005, Decision on the admissibility (app. No. 65731/01 and No. 65900/01). 104 105
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The Court confines itself to applying a test of proportionality, considering that the obligation to seek and to take a generally accepted employment imposed by the law is not unreasonable, especially as the unemployed person has the opportunity to refuse any employment for which she may have a conscientious objection. Since the Court does not refer to the absence of will criterion, we do not know if the test of proportionality is used as an autonomous defining criterion of forced labour or if its use aims at implicitly assessing the existence of a real consent on the part of the applicant. Since the Court further states that it does not possess the concrete elements to conclude that the threshold of forced or compulsory labour has been reached, one may be tempted to think that the Court uses the unreasonable nature of the imposed work as an autonomous defining criteria of forced labour.
Conclusions A certain duty to work has always been inherent to the social protection systems of the Western Welfare States. Traditionally, it was considered that this duty could not enter into conflict with the prohibition of forced labour. Since the 1990s, the duty to work of unemployment benefits and social assistance recipients has been steadily reinforced : classical availability for work conditions have been deepened and new work-related obligations have been introduced in legislations. In this context, one can ask if the classical thesis of complete impermeability between work-related obligations in social protection systems and the prohibition of forced labour is still topical. To shed an original light on this question, we have turned to the relevant international case law on this issue. The first section of our study was dedicated to an overview of the general case law on the prohibition of forced labour. In view of this general case law, we could assume that the work-related obligations imposed on social benefits recipients should not be excluded by principle from the notion of forced labour or from the scope of application of the prohibition of forced labour and that they should, on the contrary, be assessed on a case-by-case basis. This assumption relies on three observations. Firstly, the defining criteria of forced labour are large and open. The menace of a penalty can consist in the loss of rights or advantages. If the unemployed persons, as former workers, have contributed in order to later be eligible for unemployment insurance benefits, one could thus argue that the loss of unemployment benefits in cases of refusals to take up employment or training consist in a loss of a right. And given that the European Court of Human Rights considers non-contributory social benefits as constituting “possessions” in the sense of article 1 of the First Additional Protocol, one could think that the threat to suspend unemployment assistance or social assistance benefits also constitutes a menace of a loss 2013/5
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of a right. As for the criterion of the absence of consent, international bodies do not limit it to formally expressed consent. They take into consideration external elements of coercion that could invalidate expressed consent. This criterion thus offers a margin of discussion to potential claimants. In the first section, we also have put into perspective the emergence of an ultimate defining criterion : the proportionate character of the burden imposed on the individual balanced with general interest considerations. This criterion requires as a matter of course a caseby-case analysis in order to determine if the activation measure has exceeded in practise the reasonable charge that may be imposed on social benefits recipients. Secondly, work-related obligations imposed on social benefits recipients are not the subject of a specific exclusion from the scope of application of the prohibition of forced labour nor of an exclusion from the notion of forced labour itself. One may though wonder if they could be qualified as a normal civic obligation. The international case law has still not definitively judged if a normal civic obligation can affect a specific category of persons or if it must concern all citizens equally. The normality criterion should moreover give rise to a case-by-case analysis. Finally, the will of international bodies to adopt an evolutive approach of the prohibition of forced labour in order to apprehend new forms of forced labour has appeared throughout the international case law overview. Following the general overview of this promising case law, we examined in the second section a few cases in which the international case law assessed the conformity of work-related obligations imposed on social benefits recipients with regard to the prohibition of forced labour. We have identified two cases brought before the European Commission of Human Rights in 1976 (X. v. the Netherlands) and 1997 (Talmon v. the Netherlands) concerning the classical availability for work condition in unemployment benefits systems and two other cases concerning the activation measures of unemployment benefits recipients, the first one brought before the HRC in 2005 (Faure v. Australia) and the second brought before the European Court of Human Rights in 2010 (Schuitemaker v. the Netherlands). In the two first cases, the European Commission of Human Rights considered, in line with the traditional thesis, that work-related obligations imposed on social benefits recipients cannot conflict with the prohibition of forced labour. In short and authoritative reasonings, it asserted, without explaining its position regarding the defining criteria of forced labour, that States, as soon as they set up a social protection system, are free to choose the work-related obligations to be imposed on benefits recipients. In the Schuitemaker case, the European Court of Human Rights moved away from the traditional principle of a complete impermeability between work-related
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Activation Policies for the Unemployed
obligations in social protection systems and the prohibition of forced labour. It assessed if the activation measure was in casu contrary to the prohibition of forced labour. By undertaking this examination, it implicitly admitted that some activation measures could raise concerns regarding the prohibition of forced labour. In the Faure case, the HRC also accepted to assess if the activation measures complied with the prohibition of forced labour. Given the state of the case law, we can thus affirm that supervisory organs of the international texts dedicated to civil and political rights today admit that work-related obligations imposed on unemployment benefits and social assistance recipients might, in certain circumstances, come to violate the prohibition of forced labour. Notwithstanding, the case law opening remains very formal. In the Schuitemaker case as well as in the Faure case, the international bodies did not refer to the classic defining criteria of forced labour, i.e. menace of a penalty and absence of will, as these have been progressively defined by the general international case law on forced labour. The HRC required, in its Faure decision, that work should be inhuman and degrading in nature in order to be qualified as forced labour. This criterion involves such a high threshold that the possibility to interfere with the choices made by States remains minimal. In the Schuitemaker case, the European Court limited itself to declaring that it did not possess the concrete elements to consider that the work imposed on the unemployed was unreasonable. This criterion clearly echoes the test of proportionality, applied in the Van der Mussele case. Nonetheless, in its Schuitemaker ruling, the Court seems to have disconnected this criterion from any verification of the absence of will criterion. On this particular question, we will recall that it is in our view fully legitimate to institute the test of proportionality as an autonomous criterion in cases where the work is imposed in the name of a general interest objective, since Article 4, §3 of the ECHR, from which the idea of proportionality emerged, participates in defining the notion of forced labour. Within the framework of work-related obligations imposed on the unemployed, the burden imposed on the unemployed should thus be balanced with the collective objective of a labour market including the highest number of working people. In conclusion, supervisory bodies of international covenants on civil and political rights have taken the first step by admitting that the activation measures of unemployment benefits recipients might contravene the prohibition of forced labour. We now hope that, departing from a formalistic approach, they will observe from case to case in what really consists the activation measure that is contested (content of the measure, its objective, its concrete effects, the accompanying sanctions) and confront it with the defining criteria of forced labour identified in their general case law. In order to give international case law the opportunity to develop in this way, pleaders would be advised to invoke the prohibition of forced labour in front of national courts, in support of claims against activation measures, and bring these cases up to international jurisdictional bodies. 2013/5
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Elise Dermine
International supervisory bodies and national courts may feel uncomfortable in concretising the abstract defining criteria of the prohibition of forced labour. On this matter, one must know that international bodies supervising the application of economic, social and cultural rights do protect the prohibition of forced labour under the right to freely chosen work. These bodies have already identified concrete elements to assess the existence of a menace of a penalty and the proportionate character of the work imposed on the benefits recipients. They have essentially derived these elements from the case law concerning the right to social security and international minimum standards on social protection.107 We hope that the international supervisory bodies and national rights courts will rely on this substantial case law and benefit from the expertise of the international bodies supervising the application of social rights. The adoption of an “integrated approach to human rights”108 is in this case all the more desirable since the prohibition of forced labour is both a civil right – protecting the individual freedom and the physical integrity – and a social right – supporting the freedom of work. Elise Dermine FNRS Research Fellow at the Catholic University of Louvain-la-Neuve elise.dermine@uclouvain.be
107
On international case law concerning the right to freely chosen work and activation policies, see again E. Dermine, “Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case Law on the Right to Freely Chosen Work”, op. cit. 108 On this concept, see V. Mantouvalou, “Labour Rights in the European Convention on Human Rights”, op. cit., pp. 529‑555.
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Dossier Droit au travail et responsabilité individuelle dans les États sociaux contemporains Une analyse en termes de capabilités des politiques d’activation des personnes sans emploi Right to work and individual responsibility in contemporary Welfare States A capability approach to activation policies for the unemployed Jean-Michel Bonvin et Eric Moachon1
Résumé
Abstract
L
T
e droit au travail s’est longtemps limité à son versant négatif, c’est-à-dire à l’interdiction de certaines activités professionnelles jugées incompatibles avec la dignité humaine. L’essor des politiques d’activation donne l’occasion d’envisager une action sur le versant positif du droit au travail en accroissant les possibilités d’agir et la liberté de choix des demandeurs d’emploi. Cet article vise à identifier les figures de la responsabilisation des individus sous-jacentes aux politiques d’activation et propose une grille normative inspirée de l’approche par les capabilités du philosophe et économiste Amartya Sen permettant de les évaluer. Il confronte ensuite les principaux modèles d’État-providence à cette grille analytique. La conclusion met en lumière les conditions d’une activation et d’une responsabilisation des personnes sans emploi qui soient compatibles avec les exigences de l’approche par les capabilités et montre en quoi les pratiques actuelles se démarquent de ce modèle.
he right to work has long been confined to its negative dimension – that is to say the prohibition of certain professional activities judged to be incompatible with human dignity. The rise of activation policies provides the opportunity to consider an action on the positive dimension of the right to work, by empowering job-seekers and enhancing their freedom to choose. This contribution seeks to identify the diverse conceptions of (individual and/or social) responsibility underlying activation policies and suggests a normative grid inspired by the capability approach of the philosopher and economist Amartya Sen in order to assess them. The paper then confronts the main models of the Welfare State to the grid. The conclusion brings to light the conditions to be respected for a capability-friendly activation and responsibilization of the unemployed, and shows how current practices diverge from that model.
1
Haute École de travail social et de la santé, éésp, Vaud.
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Dossier
Jean-Michel Bonvin et Eric Moachon
Introduction
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epuis près de trois décennies, les politiques d’intégration socioprofessionnelle connaissent dans les pays de l’OCDE des évolutions considérables qui remettent en cause le sens même du droit social. Jusque-là, celui-ci était envisagé comme l’archétype même des droits-créances et reposait sur une conception de l’État débiteur, en vertu de laquelle tout membre de la collectivité pouvait exiger le remboursement de la dette des pouvoirs publics sous la forme de prestations sociales et de services sociaux. En d’autres termes, les individus détenaient une créance que l’État était tenu d’honorer en leur assurant une certaine protection sociale en cas de besoin, notamment en cas de perte d’emploi2. Cette conception consacrait le primat de la responsabilité collective sur la responsabilité individuelle dans le cadre du droit social. Mais elle limitait aussi l’intervention régulatrice de l’État sur le marché du travail au versant négatif du droit au travail, c’est-à-dire à l’interdiction de certaines activités professionnelles jugées incompatibles avec la dignité humaine (travail forcé, travail de nuit, travail des enfants, etc.). Par conséquent, le versant positif du droit au travail – que l’on pourrait désigner comme la liberté positive de travailler3 – n’était pas soutenu par des initiatives relevant du droit social. Sa réalisation procédait soit de la confiance dans le marché du travail, censé créer des emplois en suffisance, soit des instruments de politique macroéconomique d’inspiration keynésienne. Le droit de la sécurité sociale et le droit du travail se sont en effet développés en priorité dans la double perspective d’indemniser le non-emploi et de protéger les travailleurs contre les emplois non convenables, tandis que le soutien à la liberté positive de travailler n’était pas envisagé comme une tâche relevant du droit.
Depuis le début des années 1980, les politiques keynésiennes ont été largement abandonnées4, laissant dans la plupart des États de l’OCDE les questions de la création de l’emploi et de l’accès à l’emploi – donc la liberté positive de travailler – aux seuls mécanismes du marché. Sur ce plan, le rôle de l’État est alors réduit à garantir les conditions-cadres permettant aux acteurs privés de l’économie de créer des emplois en suffisance. Parallèlement à ce retrait de l’État en matière de politiques macroéconomiques, on observe l’essor de l’État social actif qui remet en question l’approche précédente du droit social5. L’accent est placé sur la responsabilisation des individus, sous-entendant par là que les anciennes formes de solidarité sociale entraîneraient des effets d’irresponsabilisation de ceux-ci. Suivant la nouvelle conception qui s’impose, il convient d’adapter le droit social pour éradi2
Sur la distinction entre « droits-libertés » et « droits-créances » et les débats qu’elle a suscités, voir L. Ferry et A. Renaut, Philosophie politique, tome 3, Des droits de l’homme à l’idée républicaine, Paris, Presses universitaires de France, 1985, pp. 26 et s. 3 On se réfère ici à la distinction établie par Isaiah Berlin entre liberté négative – la liberté de ne pas être contraint à faire quelque chose contre son gré – et liberté positive – la liberté d’être son propre maître, d’avoir le contrôle de son destin. Voir I. Berlin, Four Essays on Liberty, Oxford, Oxford University Press, 1969. 4 Voir par exemple E. Matzner et W. Streeck (eds.), Beyond Keynesianism, London, Edward Elgar, 1991 et B. Jessop, « The Transition to Post-Fordism and the Schumpeterian Workfare State », in R. Burrows et B. Loader (eds.), Towards a Post-Fordist Welfare State, London, Routledge, 1994, pp. 13‑37. 5 J.‑M. Bonvin et E. Moachon, « L’activation et son potentiel de subversion de l’État social », in P. Vielle, P. Pochet et I. Cassiers (dir.), L’État social actif, Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, 2005, pp. 62‑92.
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quer les phénomènes de dépendance et de piège à l’emploi. Cette thématique du piège de la dépendance (dependency trap), suivant laquelle les personnes auraient tendance à « s’installer » dans la dépendance durable à l’égard de l’État pourvoyeur de prestations sociales, s’est dans un premier temps développée surtout dans les pays anglo-saxons. Elle a ensuite trouvé de puissants relais au niveau international, avec les stratégies de l’emploi respectivement mises en place par l’OCDE (1994) et l’Union européenne (1997), qui recommandent toutes deux la révision des systèmes de prestations sociales en vue d’éliminer toute incitation perverse qui pousserait les bénéficiaires à « profiter » de la générosité publique plutôt qu’à rechercher activement un emploi et l’autonomie financière qu’il est censé procurer. Émerge ainsi un nouveau sens commun qui présente la réforme de l’État social dans le sens de l’activation des personnes sans emploi comme un postulat indiscutable. Il ne resterait dès lors qu’à déterminer les conditions concrètes d’application de cet État social actif et de sa mise au service de la responsabilisation des individus. Le débat ne devrait plus porter sur le bien-fondé de ce mouvement d’activation, mais uniquement sur la question plus technique des modalités de sa mise en œuvre : les conditions d’éligibilité, le niveau des prestations, le contenu des mesures actives du marché du travail, le système d’incitations et de sanctions, etc. Cependant, ce passage des droits-créances à la responsabilisation des individus ne va pas de soi et doit être interrogé sous de multiples aspects6. Est-il vraiment démontré que les droits-créances produisent de l’irresponsabilité ? Surtout, quel est le sens concret de cette « responsabilisation » des individus ? Quelle est la relation entre l’État social et l’individu qui se met en place ? S’agit-il d’un État moralisateur et paternaliste visant à discipliner les individus ou de versions plus réflexives ou participatives de la relation entre institutions et bénéficiaires ? La responsabilisation des individus est-elle orientée vers le passé, dans le sens d’un retour du discours de la faute et de l’imputabilité, ou vers l’avenir, en vue d’une restauration des conditions de l’agir responsable ? Pour ce qui concerne plus particulièrement le droit au travail, se pose avec acuité la question de la pertinence d’une conception se focalisant sur son seul versant négatif. Ne convient-il pas en effet de développer aussi la composante positive de ce droit et de doter les personnes non seulement de la possibilité de refuser des emplois jugés non convenables, mais aussi du droit effectif (et pas simplement formel) à un travail librement choisi7 ? Les programmes d’activation pourraient ici constituer une contribution intéressante, à condition toutefois qu’ils ne soient plus envisagés d’abord sous l’angle de la contrainte à la reprise d’un emploi (le devoir de travailler), mais aussi sous celui de l’augmentation des capacités de trouver un emploi de qualité (la liberté positive de travailler). Les évolutions 6
Voir D. Dumont, La responsabilisation des personnes sans emploi en question, Bruxelles, La Charte, 2012. En ce sens, voir également la conclusion de la contribution d’Elise Dermine, « Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case Law on the Right to a Freely Chosen Work », in E. Dermine et D. Dumont (eds.), Activation Policies for the Unemployed, Right to Work and Freedom of Work, Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, 2014, à paraître. 7
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actuelles en direction de l’État social actif requièrent qu’une attention minutieuse soit portée à l’ensemble de ces interrogations fondamentales. Cet article se donne comme objectif d’identifier les figures de la responsabilisation des individus sousjacentes aux politiques d’activation des personnes sans emploi. Il propose une grille normative permettant de les évaluer. Dans la première partie de notre texte, nous proposons un cadre théorique et analytique permettant de reprendre ces questions à frais nouveaux. Ce premier temps de notre réflexion est largement inspiré de l’approche par les « capabilités » du philosophe et économiste Amartya Sen, dont nous présenterons la pensée et le vocabulaire (I.). Ensuite, nous confrontons les principaux modèles d’Étatprovidence, tels que la plupart des spécialistes en analyse comparée des systèmes de protection sociale les distinguent, à cette grille analytique (II.). La conclusion synthétise les principaux enseignements dégagés dans cet article, en mettant en lumière les conditions d’une activation et d’une responsabilisation des personnes sans emploi qui soient compatibles avec les exigences de l’approche par les capabilités et montre en quoi les pratiques actuelles se démarquent de ce modèle.
I. L’approche par les capabilités, la responsabilité et le droit au travail Amartya Sen place au centre de ses travaux la préoccupation constante de développer ce qu’il appelle les « capabilités » (capabilities) des personnes, c’est-à-dire leur liberté réelle de mener une vie qu’elles ont des raisons de valoriser (a life they have reason to value, suivant la formule récurrente dans ses écrits)8. Le développement des capabilités requiert des actions se déployant sur deux versants complémentaires : l’accroissement des « possibilités ou pouvoirs d’agir » des individus, d’une part (qui fait écho à la liberté positive de travailler), l’élargissement de leurs « libertés de choix », d’autre part (qui passe, entre autres, par la liberté négative de ne pas travailler dans des conditions que la personne ne valorise pas)9. Cette perspective théorique intègre donc les versants positif et négatif du droit au travail. Voyons plus précisément ce qu’il faut entendre par « possibilités ou pouvoirs d’agir » (A.) et « libertés » (B.) dans ce cadre conceptuel, et le type de relation entre individu et institution qu’une telle approche de la « liberté de choix » implique (C.).
8
Voir par exemple A.K. Sen, Inequality Reexamined, Oxford, Oxford University Press, 1992 ; A.K. Sen, Development as Freedom, Oxford, Oxford University Press, 1999 ; A.K. Sen, The Idea of Justice, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2009. 9 Le rapprochement entre liberté comme possibilité et liberté positive de travailler, d’une part, liberté de choix et versant négatif du droit au travail, d’autre part, n’est pas repris directement des travaux d’Amartya Sen. Il nous paraît cependant fidèle à l’esprit de la distinction qu’il opère entre opportunity freedom et process freedom (voir A.K. Sen, Rationality and Freedom, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2002).
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A. La liberté comme possibilité ou pouvoir d’agir Sur le premier versant, positif, le développement des capabilités des individus requiert, d’après Sen, la prise en compte simultanée de trois dimensions : les ressources, les compétences et les opportunités. Les ressources englobent tous les biens et services dont une personne peut disposer, qu’ils soient produits ou dispensés sur le marché, dans le secteur associatif ou dans le secteur public. Sont compris dans cette notion de « ressources » les revenus perçus sur le marché du travail, les dons ou cadeaux privés, les marchandises, ainsi que toutes les prestations en espèces (indemnisations, revenus de remplacement, etc.) ou en nature (services sociaux, transports publics, etc.) auxquels les individus ont accès via l’État social. Dans cet article, nous proposons d’élargir cette conception à tous les droits formels des individus qui peuvent être considérés comme autant de ressources mobilisables dans le cours de l’action. Ainsi, l’inscription dans un texte constitutionnel ou législatif du droit des travailleurs à faire grève ou à être consultés sur telle ou telle thématique constitue une ressource pour l’action, qui peut être utilisée au cours d’un conflit de travail ou d’une négociation collective. De même, le principe constitutionnel d’égalité des sexes est un levier sur lequel une action concrète peut s’appuyer. On peut également citer ici les droits qui protègent le versant négatif de la liberté du travail tels que l’interdiction du travail forcé, le droit de refuser un emploi non convenable ou encore l’interdiction de la discrimination dans l’accès à l’emploi10. La possession de ressources, comprise dans cette acception élargie, ne suffit cependant pas à garantir que la personne soit en mesure de les convertir en capacité réelle d’agir ou en liberté réelle de mener une vie qui ait de la valeur à ses yeux. Deux personnes disposant d’une même quantité de revenus ou de droits formels n’ont pas nécessairement les mêmes capacités de les utiliser à bon escient. Même l’existence de droits constitutionnels ne garantit nullement à tous les citoyens une égale capacité de les mobiliser. Il convient donc que ces ressources soient complétées par d’autres paramètres, que Sen appelle facteurs de conversion, qui vont permettre leur utilisation effective dans l’action. À défaut, les ressources ne seront pas traduites en capabilité ou liberté réelle de mener une vie de qualité – ou, dans le cas qui nous intéresse, de trouver un emploi de valeur. C’est pourquoi l’approche par les capabilités insiste sur la nécessité de développer – parallèlement aux actions visant à octroyer ou redistribuer les ressources au sens large (donc des biens matériels ou des droits formels) – les compétences des personnes et les opportunités qui leur sont offertes. Sen envisage ces deux types d’intervention sous l’angle des facteurs de conversion, parmi lesquels il distingue deux catégories.
10
À ce sujet, voir les deux contributions d’Elise Dermine dans l’ouvrage E. Dermine et D. Dumont (eds.), Activation Policies for the Unemployed, Right to Work and Freedom of Work, op. cit.
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• Tout d’abord, les facteurs de conversion individuels désignent les caractéristiques innées (âge, sexe, etc.) et acquises (diplômes, qualifications, expériences professionnelles, savoir-faire, savoir-être, etc.) des personnes. Il convient ici de faire en sorte que ces facteurs soient envisagés de manière à permettre le développement des capabilités. Sous l’angle du droit au travail, il s’agit de veiller à ce que les personnes disposent de compétences adéquates et qu’elles ne soient pas discriminées sur le marché du travail (sur la base de caractéristiques comme le sexe ou la nationalité par exemple), avec l’objectif de leur permettre de trouver un emploi ou une occupation de qualité. Des actions doivent donc être déployées sur les versants à la fois positif et négatif du droit au travail en vue de promouvoir les capabilités des personnes concernées. De multiples formes de droits sont ici convoquées : d’un côté, ce que nous suggérons d’appeler des droits-contraintes, qui visent à proscrire les discriminations sur le marché du travail (dans la ligne notamment des conventions no 100 et 111 de l’OIT, toutes deux relatives à la discrimination sur le lieu de travail) ou les formes inacceptables de travail (cfr. les conventions no 29 et 105 de l’OIT sur l’interdiction du travail forcé) ; de l’autre côté, des droits-capacités, pourrait-on dire, visant à développer les compétences, le savoir-faire et le savoir-être des personnes. Dans l’esprit de Sen, ces deux formes de droits – droits-contraintes et droitscapacités – ne se substituent pas aux droits-créances classiques, mais viennent les compléter. L’action conjointe sur les ressources et les compétences est en effet une condition sine qua non du développement des capabilités, lequel est conçu comme un « système de droits-buts » dans les termes de Sen11. Le développement des capabilités constitue en effet la finalité ultime qui est poursuivie par le recours aux droits-contraintes, droits-capacités et droits-créances. Ce système est donc l’étalon à l’aune duquel l’impact de ces trois formes de droits doit être évalué12. • Ensuite, les facteurs de conversion sociaux désignent le contexte social et économique dans lequel la personne évolue. Sont ici incluses à la fois les normes sociales (concernant par exemple les attentes comportementales à l’égard des individus, la manière d’envisager la place de la femme dans la société, etc.), les structures sociales (c’est-à-dire les inégalités économiques, sociales, éducatives, de genre, etc.) et les possibilités d’intégration économique et sociale à disposition des personnes (le nombre d’emplois disponibles, leur qualité, leur répartition suivant les métiers et les secteurs économiques, etc.). La conjonction de ces divers éléments contribue à définir l’ensemble des opportunités réelles à disposition d’une personne donnée. De fait, en fonction des normes sociales en vigueur, tous les membres d’une collectivité ne bénéficient pas des mêmes opportunités d’intégration professionnelle, ainsi que l’illustrent l’exemple des 11
A. Sen, Éthique et économie, Paris, Presses universitaires de France, 1993. Voir aussi J. De Munck, « Vers un nouveau paradigme du droit », in F. Eymard-Duvernay (dir.), L’économie des conventions, vol. 1, Méthodes et résultats, Paris, La Découverte, 2006, pp. 249‑262. 12 Parmi les droits sociaux fondamentaux, les droits-contraintes occupent une place importante. Les droits-créances sont abordés dans plusieurs conventions de l’OIT (par exemple la convention no 102 sur la norme minimum de sécurité sociale, ainsi que d’autres instruments portant sur des branches spécifiques de la sécurité sociale), tandis que les droits-capacités sont à peine esquissés. Voir aussi J.‑M. Bonvin, « Droits sociaux fondamentaux », in A. Jobert, M. Lallement et A. Mias (dir.), Dictionnaire du travail, Paris, Seuil, 2012, pp. 212‑217.
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femmes et celui des étrangers. De même, l’appartenance à une catégorie de la population défavorisée économiquement ou sur le plan des qualifications coïncide le plus souvent avec une restriction significative du champ des possibles sur le marché du travail. Enfin, en situation de difficultés, voire de crise, économiques, la raréfaction des emplois réduit la capacité d’intégration professionnelle de très nombreuses personnes. Le développement des capabilités des individus requiert de prendre en compte chacun de ces paramètres. Les premiers facteurs mentionnés ci-dessus – les normes sociales et les structures sociales – relèvent dans une large mesure de la question de la discrimination. La mise en place de droits-contraintes (politiques de quotas) ou d’instruments incitatifs (tels que des primes à l’embauche de personnes défavorisées) peut être envisagée pour juguler autant que possible l’impact de ces facteurs. Pour sa part, le dernier facteur – le nombre et la qualité des emplois – relève dans une large mesure de la politique économique, que celle-ci consiste en une non-intervention de l’État ou s’inscrive dans une inspiration plus keynésienne. En droit social international, l’augmentation du nombre et de la qualité des emplois n’est pas envisagée par le biais de droits-contraintes, mais prend la forme de droits programmatiques. On pense par exemple à l’article 1er de la Charte sociale européenne et à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Aux termes de ces dispositions, les États prennent des engagements très larges et imprécis, tels que mettre en œuvre une politique de l’emploi visant à assurer un niveau d’emploi aussi stable et élevé que possible, mettre en place des services gratuits de l’emploi ou encore favoriser l’orientation et la formation professionnelle des travailleurs et des personnes sans emploi. De même, la convention no 122 de l’OIT sur la politique de l’emploi se limite à édicter des objectifs très généraux sans énoncer avec précision les moyens à mobiliser pour les atteindre. La mise en œuvre de ces objectifs est laissée au libre choix des instances politiques concernées13. Dans un esprit similaire, Sen ne suggère pas une formule unique de politique économique qu’il faudrait imposer à tous les États concernés. Dans son esprit, le développement des opportunités peut passer par des moyens divers qui doivent tenir compte du contexte dans lequel ils sont appelés à se déployer. Le relatif flou de ces droits programmatiques et la multiplicité des formes concrètes qu’ils peuvent revêtir s’inscrivent bien dans l’esprit de l’approche par les capabilités. Tout paraît envisageable, à condition toutefois que la politique économique choisie s’inscrive dans le système surplombant de droits-buts, c’est-à-dire ait pour finalité première le développement des capabilités des personnes. On ne peut donc pas parler ici d’une obligation parfaite de respecter une règle précise mais seulement d’une obligation imparfaite, c’est-à-dire d’une exigence éthique14. 13
En termes d’objectifs, il s’agit de stimuler la croissance et le développement économique, de garantir du travail pour toutes les personnes disponibles et en quête de travail, de faire en sorte que ce travail soit aussi productif que possible, etc. (art. 1). La convention précise que les méthodes choisies pour atteindre ces objectifs très généraux doivent être adaptées aux conditions de chaque pays (art. 2). 14 Sen reprend explicitement la distinction introduite par Kant entre obligations parfaites et imparfaites dans son article « Elements of a Human Rights Theory », Philosophy and Public Affairs, vol. 32, no 4, 2004, pp. 315‑356 (traduit en français dans J. De Munck et B. Zimmermann (dir.), La liberté au prisme des capacités. Amartya Sen au-delà du libéralisme, Paris, Éditions de l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales, 2008).
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Ainsi, sur le versant capacitaire – celui de la liberté positive de travailler –, l’approche par les capabilités exige de considérer dans le même mouvement les ressources, les compétences et les opportunités. Les droits-créances ou la redistribution de ressources matérielles, financières et juridiques ne suffisent en effet pas à garantir l’amélioration des capacités de tous les bénéficiaires. De même, agir sur la compétence des personnes ne suffit pas dans la mesure où les facteurs sociaux, économiques et politiques ne sont alors pas pris en compte. Une politique publique centrée sur la promotion des capabilités doit donc agir conjointement sur les ressources (biens, services, revenus ainsi que libertés et droits formels), les compétences et les opportunités. En termes de droit au travail, une telle action implique une pluralisation des formes de droits mobilisées, afin que soient combinés les droits-créances, les droits-contraintes, les droits-capacités et les droits programmatiques, toutes ces formes étant toutefois subsumées sous un objectif unique, à savoir le développement des capabilités des personnes concernées – soit le « système de droits-buts » dans le langage de Sen. La question de la responsabilité se trouve au cœur des enjeux liés au versant capacitaire de l’approche de Sen. Celui-ci estime en effet qu’une personne qui ne serait pas dotée des ressources, compétences et opportunités adéquates ne peut être tenue pour responsable de la situation dans laquelle elle se trouve. Cette conception de la responsabilité requiert une action résolue des pouvoirs publics en termes de droit positif au travail, qui passe par la pluralisation des instruments de droit indiquée ci-dessus. La distinction introduite par J.‑L. Genard entre deux formes de responsabilité permet de préciser ce point15. Selon lui, il convient de ne pas confondre la responsabilité comme disposition à répondre de ses actes, qui est orientée vers le passé, et la responsabilité comme capacité de commencer, qui est orientée vers le futur et requiert donc que les conditions de l’agir responsable soient effectivement données. D’un côté, on insiste sur la nécessité d’assumer ses actes et leurs conséquences. La responsabilité est alors envisagée avant tout sous l’angle de l’imputabilité. De l’autre, on cherche à déterminer les conditions dans lesquelles l’action humaine peut être considérée comme responsable, dans une perspective qui vise à restaurer la capacité à agir de façon responsable. L’approche par les capabilités se situe clairement dans la seconde de ces deux perspectives : ne peut être jugée responsable qu’une personne dotée des capacités d’action nécessaires. Un individu doté de ressources, compétent et ayant accès à des opportunités nombreuses peut donc être appelé à répondre de ses actes : dans ce cas, les conditions de l’agir responsable sont remplies. Bref, l’approche par les capabilités soutient que la question de l’imputabilité est seconde et n’est légitime que dans la mesure où les conditions de réalisation du droit positif au travail sont remplies. Suivant les termes de Bovens16, il convient de promouvoir une conception « active » de la responsabilité (« qu’est-ce qui doit être fait pour promouvoir le comportement responsable ? »), et de ne faire intervenir que dans un second 15
J.‑L. Genard, La grammaire de la responsabilité, Paris, Cerf, 1999. M. Bovens, The Quest for Responsibility. Accountability and Citizenship in Complex Organisations, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
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temps la responsabilité dite « passive » – « pourquoi avez-vous fait cela ? » – qui vise à identifier les coupables et à distribuer les sanctions. À cet effet, le droit au travail, ou, dans le vocabulaire de Sen, la capabilité de travailler (capability for work), doit porter sur l’ensemble des dimensions énoncées dans les pages qui précèdent (ressources et facteurs de conversion individuels et sociaux). À défaut, il risque fort de rester, au moins en partie, formel, et l’exigence de responsabilisation se présentera comme une injonction impossible à concrétiser dans la mesure où les conditions de l’agir responsable ne sont pas réunies. Cependant, ce versant capacitaire ne suffit pas à lui seul à garantir la capabilité de travailler : il en est une condition nécessaire mais non suffisante. Si l’approche par les capabilités en restait là, elle ne se démarquerait pas nécessairement de certaines conceptions du « capital humain » ou de l’« employabilité » développées par exemple dans les pays scandinaves17 : les individus pourraient bénéficier de dotations importantes en termes de ressources, compétences et opportunités, mais ils ne seraient pas libres dans leur utilisation. La deuxième dimension de l’approche senienne des capabilités, celle de la liberté de choix, introduit une distinction décisive à cet égard.
B. La liberté de choix Dans ses écrits, Sen revient fréquemment sur l’importance de distinguer les fonctionnements, ou accomplissements, c’est-à-dire ce que je suis ou fais effectivement (les actes que j’accomplis et les choix que je pose par rapport à mon activité professionnelle par exemple), des capabilités ou libertés réelles d’être et de me comporter de telle ou telle manière (les actes et les choix que je peux poser). Cette précision terminologique peut paraître triviale, elle n’en est pas moins d’une portée considérable. Deux personnes se retrouvant dans la même situation ou accomplissant les mêmes actes n’ont en effet pas nécessairement le même degré de liberté réelle. Sen recourt ici à l’exemple emblématique de l’état de carence nutritionnelle18 : si quelqu’un vit dans une région affectée par la pénurie ou la famine, le fait de ne pas se nourrir relève d’une contrainte, tandis qu’une personne vivant dans un contexte d’abondance pourra faire le choix de se nourrir ou de ne pas le faire. Entre la famine et le jeûne volontaire, il y a un gouffre en termes de liberté réelle que la distinction entre « fonctionnements » et « capabilités » permet de saisir. La pertinence de cette distinction vaut également pour des exemples moins extrêmes. Une personne disposant de ressources en abondance (via l’État social ou d’autres canaux) pourra faire le choix de travailler ou non. Elle sera donc dotée d’une capabilité de travailler significative, tandis qu’une personne
17
Voir I. Lødemel, « Discussion : Workfare in the Welfare State », in I. Lødemel et H. Trickey (eds.), An offer You Can’t Refuse. Workfare in International Perspective, Bristol, Policy Press, 2001, pp. 295‑344, et I. Lødemel et H. Trickey, « A New Contract for Social Assistance », in I. Lødemel et H. Trickey (eds.), An offer You Can’t Refuse, op. cit., pp. 1‑40. 18 Voir par exemple A.K. Sen, Development as Freedom, op. cit.
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sans ressources sera contrainte d’exercer une activité professionnelle pour assurer sa subsistance19. De manière générale, la liberté réelle des personnes dépend de la faisabilité comparative des alternatives devant lesquelles elles sont placées. Dans un contexte où les libertés individuelles sont garanties, tout choix est théoriquement envisageable : choisir un emploi rémunéré ou une activité bénévole, se former ou ne pas se former, s’occuper de ses enfants ou non, travailler à temps partiel ou à temps plein. Mais ces choix induisent le plus souvent des coûts très inégaux pour les personnes concernées. Ainsi, suivant le cadre juridique ou les normes sociales en vigueur, le choix du temps partiel ou d’une activité bénévole peut s’avérer plus ou moins réalisable en pratique. Le degré de liberté de choix de la personne dépend donc fondamentalement de sa possibilité d’opter pour des choix dont le coût reste dans des limites supportables. Ce point est d’une importance cruciale dans le contexte de l’État social actif : si la législation comporte une forte incitation, assortie de sanctions, à reprendre un emploi le plus rapidement possible, ce cadre contraignant ne permet pas d’envisager des alternatives comme une formation de longue durée en vue de restaurer les conditions d’une intégration professionnelle durable (via la reprise d’un emploi de meilleure qualité et à durée indéterminée) – ou alors seulement à un prix très élevé. Dans les faits, les personnes qui choisissent de telles options risquent fort de devoir renoncer à leurs prestations sociales pendant une certaine période ou de se contenter de prestations minimales telles que celles versées par l’aide sociale. Dans un tel contexte, les diverses alternatives sont clairement déséquilibrées. Cet exemple montre bien que les conditions d’accès aux droits-créances jouent un rôle déterminant en matière de développement des capabilités ou libertés réelles de mener une vie ou d’avoir un emploi de qualité. Si ces conditions sont trop restrictives, elles risquent de déboucher sur un ajustement par le bas des préférences individuelles qui peut aller dans le sens d’une restriction du versant négatif de la liberté du travail. La dimension « liberté » de l’approche par les capabilités vise précisément à éviter cet écueil et à faire en sorte que le droit positif au travail ne soit pas dévoyé en un devoir de travailler. Nous proposons ici de considérer que cette dimension « liberté de choix » implique l’existence de trois possibilités alternatives pour chaque personne bénéficiant de droits-créances soumis à certaines conditions d’éligibilité et d’octroi : cette personne devrait pouvoir choisir d’être loyale aux prescriptions édictées collectivement (loyalty), mais aussi et surtout de contester ou négocier ces exigences sans encourir de sanction insupportable (voice) ou encore, le cas échéant, d’opter pour la voie de la défection (exit) à un coût acceptable pour elle. La présence effective de cette triple alternative20 permet de garantir la liberté réelle de choix. Si, par exemple, un travailleur n’a pas voix au chapitre 19
On voit ici l’importance d’une garantie de ressources (telle que celle procurée par les assurances sociales) pour augmenter la liberté réelle des personnes à l’égard du marché du travail. A.O. Hirschman, Exit, Voice, and Loyalty. Responses to Decline in Firms, Organizations, and States, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1970. 20
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dans la manière de gérer les conditions et les rythmes de travail, les salaires,… au sein de son entreprise et qu’il ne peut bénéficier d’une option de sortie à un coût supportable (sous forme par exemple d’une prestation d’assurance chômage d’un niveau acceptable), il se trouve pour ainsi dire contraint à la loyauté. Dans le cas contraire, lorsque la présence des deux autres alternatives (exit et voice) est garantie, la loyauté pourra être interprétée comme le résultat d’un choix librement effectué. Dans la perspective des capabilités, une personne qui a le choix entre un emploi de mauvaise qualité et la suspension de son droit aux prestations sociales ne bénéficie pas du degré de liberté nécessaire à un agir authentiquement responsable et elle ne peut donc être tenue pour responsable de son choix. La liberté de choix passe donc par la mise à disposition d’opportunités valables en quantité suffisante : si la personne a le choix entre seulement deux options de qualité médiocre ou entre une option satisfaisante et une autre de faible valeur, sa liberté réelle de choix sera limitée. Aux yeux de Sen, la capabilité de travailler ne dépend cependant pas seulement de la dimension « opportunité ». Elle exige aussi que la personne bénéficie d’une certaine liberté « processus » qui lui permette d’être autant que possible l’auteur de son choix21. Ceci ne signifie pas que les personnes puissent toujours et partout faire prévaloir leurs préférences individuelles, mais qu’elles doivent avoir la possibilité de les exprimer et de les faire prendre en compte au moment où une décision les concernant est prise. Nous désignons cette possibilité par la notion de capability for voice, ou capacité d’expression22. Une condition importante de la capacité d’expression réside dans l’incomplétude du droit. Plus les règles de droit ou les directives administratives sont complètes et exhaustives, moins il y a de place pour la liberté individuelle de choix. Par contraste, plus le droit est incomplet, plus la marge de manœuvre et d’interprétation des bénéficiaires, mais aussi des autres acteurs locaux, peut se déployer. Une trop grande incomplétude peut toutefois déboucher sur des comportements arbitraires tels que des abus de pouvoir des fonctionnaires de guichet de l’État social23. Il importe donc que le droit se pose en garant du caractère équitable de la relation qui se met en place entre le bénéficiaire et le représentant de l’État social actif. L’approche par les capabilités ne constitue donc pas un plaidoyer pour une incomplétude radicale du cadre régulateur (qui devrait alors se limiter à énoncer des grands principes), mais elle demande une réflexion sur les conditions nécessaires à la mise sur pied d’un cadre procédural adéquat. Si le droit doit s’édicter autant que possible au niveau local et par les personnes concernées, il est nécessaire de mettre en place des droits procéduraux donnant à tous les participants les conditions nécessaires pour l’épanouissement de leur capacité d’expression ou capability for voice24. 21 Cette distinction entre « liberté opportunité » et « liberté processus » est explicitée, entre autres, dans A.K. Sen, Rationality and Freedom, op. cit. 22 J.‑M. Bonvin, « La démocratie dans l’approche d’Amartya Sen », L’économie politique, no 27, 2005, pp. 27‑36 ; J.‑M. Bonvin, « Individual Working Lives and Collective Action. An Introduction to Capability for Work and Capability for Voice », Transfer. European Review of Labour and Research, vol. 18, no 1, 2012, pp. 9‑18. 23 V. Dubois, La vie au guichet, Paris, Economica, 1999. 24 J. Browne, S. Deakin et F. Wilkinson, « Capacités, droits sociaux et intégration du marché européen », in R. Salais et R. Villeneuve (dir.), Développer les capacités des hommes et des territoires en Europe, Lyon, ANACT, 2006,
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Jean-Michel Bonvin et Eric Moachon
Un nouveau champ d’action est ici ouvert pour le droit, qui englobe toutes les dimensions susceptibles d’influencer la possibilité de chacun et chacune de prendre la parole et de garantir l’effectivité de cette parole dans les processus de décision collectifs25. L’OIT a également perçu l’importance de ces droits procéduraux en érigeant en droits fondamentaux du travail les droits de liberté syndicale et de négociation collective, donc les droits de s’associer et de s’organiser (cfr. les conventions no 87 et 98 de l’OIT). Cette importance donnée aux droits procéduraux va dans le sens d’une approche que l’on peut dire située de la régulation du marché du travail. Tout ne doit pas être décidé par un centre régulateur : il convient de laisser de la place à l’action située des personnes concernées, mais en garantissant que chacun de ces acteurs (ou catégories d’acteurs) soit doté des capacités nécessaires à l’exercice de sa capability for voice. Les droits de s’associer et de s’organiser ne suffisent cependant pas. Il convient de développer aussi d’autres formes de droits procéduraux visant à promouvoir la participation effective au processus de décision collective (par exemple le droit d’être informé, consulté, voire d’être co-décideur), la possibilité de produire sa propre information à propos d’une situation donnée (ce qu’on pourrait désigner comme des « droits cognitifs », que traduirait par exemple la possibilité de recourir aux experts de son choix), le droit de contester une décision ex post (via un droit de recours), etc. Le développement de tels droits, qui revient à équiper les acteurs pour le débat démocratique, se pose comme une condition-clé de l’équité de processus situés de régulation qui s’inscriraient dans la ligne de ce que Dorf et Sabel désignent comme l’« expérimentalisme démocratique »26. Si l’on ne veut pas tomber dans une version libertaire des capabilités où chacun pourrait faire ce qu’il veut (c’està-dire où les préférences individuelles devraient toujours et partout prévaloir) et que l’on souhaite par contraste privilégier une vision de la liberté de choix enracinée dans la délibération et le débat démocratique, il importe alors que chacun puisse effectivement représenter son point de vue. Les droits procéduraux et l’incomplétude du droit se présentent comme les conditions sine qua non d’une telle interprétation de l’approche par les capabilités, qui se démarque d’une conception libertaire, pour épouser une perspective fondée sur la délibération démocratique et le recours au débat public. La prochaine section montre les implications d’une telle conception de la « liberté de choix » pour les politiques d’activation des personnes sans emploi.
pp. 336‑366 ; S. Deakin et A. Supiot (eds.), Capacitas. Contract Law and the Institutional Preconditions of a Market Economy, Oxford-Portland, Hart Publishing, 2009. 25 J. Bohman, Public Deliberation, Pluralism, Complexity and Democracy, Boston, MIT Press, 1996 ; J.‑M. Bonvin, « La participation à l’aune de l’approche par les capacités d’Amartya Sen », in M. Reuchamps et C. Laviolette (dir.), La participation en action, Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, à paraître. 26 M. Dorf et C. Sabel, « A Constitution of Democratic Experimentalism », Columbia Law Review, vol. 98, no 2, 1998, pp. 267‑473.
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Droit au travail et responsabilité individuelle dans les États sociaux contemporains
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C. Le lien individu-institution au cœur de l’État social actif Dans le cadre de l’État social actif, la question-clé est celle de la relation entre l’institution et l’individu et de l’espace laissé dans ce cadre pour le développement de la capacité d’expression ou capability for voice des bénéficiaires. Au même titre que les autres domaines des politiques publiques, l’État social actif résulte de processus de décision collective qui aboutissent à imposer, de manière plus ou moins autoritaire ou top-down, des normes collectives aux individus. Le risque d’une tyrannie de la majorité existe donc. Si ce risque venait à être réalisé, le versant « liberté » de l’approche par les capabilités ne serait pas concrétisé. L’accent mis sur la liberté réelle de chacun de choisir un mode de vie qu’il valorise requiert que l’on jugule cette menace et que le champ de l’action publique soit défini de manière à empiéter le moins possible sur la liberté individuelle. La question de l’incomplétude du droit social et des directives qui encadrent sa mise en œuvre est essentielle dans ce cadre. Ce n’est qu’à cette condition que peuvent se déployer des formes de gouvernance réflexive27 qui garantissent un espace de déploiement pour la capacité d’expression. En effet, aucune référence normative ne peut être jugée meilleure de manière absolue, puisqu’il existe plusieurs ordres de grandeur possibles28, donc plusieurs objectifs possibles pouvant être assignés à une politique d’activation des bénéficiaires de l’État social. Ce peut être un retour à l’emploi rapide, mais aussi une amélioration de l’employabilité sur le long terme, la restauration de la confiance et du sentiment d’autonomie, etc. Tous ces objectifs comportent une vision propre du droit au travail et de la responsabilité individuelle. Si le retour rapide en emploi est privilégié, les versants capacitaires et « liberté » du droit au travail cèdent en importance devant le devoir de travailler. L’augmentation de l’employabilité donne plus d’importance au versant capacitaire mais risque de négliger le versant « liberté ». Diverses conceptions de l’articulation du droit au travail et de la responsabilité sont ainsi possibles. Il importe que les choix collectifs fassent place à cette pluralité des points de vue légitimes. Pour certains bénéficiaires, en effet, une reprise rapide d’emploi est pertinente, mais pour d’autres une formation plus longue s’avérera nécessaire, tandis que pour d’autres encore un processus plus long, passant par des démarches dites de « bas seuil », sera indispensable. L’existence de cette pluralité passe par une certaine incomplétude des règles adoptées, qui permette de tenir compte des spécificités individuelles et des circonstances locales au moment de la mise en œuvre de ces règles. Il est cependant nécessaire d’encadrer cette « liberté processus » et de veiller à ce qu’elle ne débouche pas sur des formes de justice locale arbitraire. L’État social actif est donc exposé à deux écueils symétriques : d’une part, une trop grande 27
O. De Schutter et J. Lenoble (eds.), Reflexive Governance. Redefining the Public Interest in a Pluralistic World, Oxford-Portland, Hart Publishing, 2010. L. Boltanski et L. Thévenot, De la justification, Paris, Gallimard, 1991.
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complétude des prescriptions juridiques qui ne laisse pas ou trop peu de place à l’action située ; d’autre part, une trop grande incomplétude qui pourrait déboucher sur des abus de pouvoir de la part des représentants de l’institution à l’échelon local. Le défi consiste donc à garantir l’équité des actions préconisées à l’échelon local dans un cadre d’incomplétude du droit édicté par les instances centrales. En pratique, la réponse la plus fréquente à ce défi consiste à recourir à des outils inspirés par la nouvelle gestion publique, tels que les contrats de prestations, les indicateurs de performance ou le management par objectifs, qui fixent des objectifs précis et contraignants tout en laissant, théoriquement, une grande marge de manœuvre sur la manière de les atteindre29. Une telle version, managérialiste, de la gouvernance réflexive n’est toutefois pas sans ambiguïté : en effet, plus les injonctions managériales sont précises et quantitativement déterminées, moins elles laissent de place à l’interprétation par les acteurs locaux. Par exemple, l’exigence d’un taux de réussite élevé en matière de réinsertion des personnes sans emploi conduira souvent à un écrémage des publics bénéficiaires (en vue d’exclure des statistiques les personnes ayant le moins de chances de retrouver un emploi) et à un ciblage des interventions sur les personnes les plus proches du marché du travail, afin d’atteindre la performance attendue. Une exigence d’accroissement des taux d’emploi conduira pour sa part à un accent sur la rapidité de la réinsertion professionnelle plutôt que sur sa qualité. Dans un tel contexte, les acteurs locaux auront la tâche d’adapter ou d’ajuster les préférences individuelles des bénéficiaires afin qu’elles correspondent au mieux aux attentes officielles. Par contraste, les acteurs locaux bénéficient d’une marge de manœuvre plus importante lorsque les directives venant du haut sont moins contraignantes. Ainsi, des objectifs plus modestes en termes de taux d’emploi ou la reconnaissance d’autres objectifs tels que la restauration de la confiance en soi, ou la mise à disposition d’un catalogue plus étendu de mesures, vont dans le sens d’une gouvernance plus authentiquement réflexive et de la notion de « démocratie constructive »30. Suivant cette dernière, toute construction sociale, donc toute règle sociale, norme sociale, décision collective, etc. doit faire autant que possible l’objet d’un processus de délibération démocratique et ne pas être imposée d’en haut. Il importe donc, dans l’esprit de l’approche par les capabilités, que les instruments managériaux soient également marqués du sceau de l’incomplétude afin de laisser un espace de déploiement pour l’action située. La notion de « système de droits-buts » est ici cruciale : ce n’est en effet pas à l’aune (ou au moyen) d’objectifs quantifiés ou de préceptes managériaux que l’action située doit être évaluée (ou encadrée) mais à celui de son impact sur le développement des capabilités des bénéficiaires. Dans cet esprit, l’incomplétude n’est donc pas le vide complet, dans la mesure où il demeure une référence surplombante 29 F. Varone et J.‑M. Bonvin (dir.), « La nouvelle gestion publique », numéro spécial de Les politiques sociales, 2004, no 1-2. 30 A.K. Sen, « Democracy as a Universal Value », Journal of Democracy, vol. 10, no 3, 1999, pp. 3‑17.
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dont la poursuite s’impose aux acteurs locaux. Cette référence est cependant délibérément conçue en termes très flous (« la liberté de mener la vie que l’on a des raisons de valoriser ») qui permettent de prendre en compte les préférences des acteurs situés.
II. Types d’État social actif et approches de la responsabilité et du droit au travail À présent, nous confrontons les différents types d’État social actif qui peuvent être distingués au cadre analytique et normatif qui vient d’être présenté et qui insiste sur la nécessaire complémentarité des dimensions « possibilités ou pouvoirs d’agir » et « libertés ». Notre présentation privilégie une perspective diachronique montrant comment les récentes évolutions ont affecté la conception du droit au travail et de la responsabilité qui prévaut dans chacun de ces modèles. Elle s’articule autour des trois interrogations suivantes : a) quelles capacités l’État social actif concerné met-il au service des bénéficiaires en termes de ressources, de compétences et d’opportunités (droit positif au travail) ?, b) dans quelle mesure la relation mise en place entre institution et individu est-elle soucieuse de la promotion de la liberté de choix individuelle (versant négatif du droit de travailler) ?, c) comment la conception de la responsabilité qui est promue combine-t-elle les orientations vers le passé (backward-looking) et vers l’avenir (forward-looking)31 ? Le passage à un État social actif marque l’évolution vers une autre façon d’envisager le rapport entre individus et institutions sociales et vers la formulation d’autres attentes exprimées à l’égard des individus et des institutions publiques. Ainsi, l’émergence de l’État social actif coïncide avec l’imposition d’une nouvelle référence normative pour l’État-providence : il ne s’agit plus d’organiser l’indemnisation des personnes ayant perdu leur emploi en vertu de la survenance d’un risque social (maladie, invalidité, etc.), mais de restaurer la capacité d’action des personnes, qui coïncide dans la plupart des cas avec leur capacité à trouver place sur le marché du travail. Une telle évolution modifie en profondeur la conception classique de l’État-providence telle que François Ewald l’a mise en évidence32. D’une part, la notion de risque qui avait supplanté, voire écarté, celle de faute est remise en question, dans la mesure où elle est accusée de comporter des incitations à l’irresponsabilité. D’autre part, la division du travail entre les individus bénéficiaires et les institutions sociales est repensée à nouveaux frais.
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La distinction entre les formes backward-looking et forward-looking de la responsabilité est reprise de R. Goodin, « Social Welfare as a Collective Social Responsibility », in D. Schmitz et R. Goodin, Social Welfare and Individual Responsibility, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, pp. 97‑195. Elle est très voisine des réflexions de Genard et Bovens évoquées plus haut. 32 F. Ewald, Histoire de l’État-providence, Paris, Le Livre de Poche, 1996.
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Jean-Michel Bonvin et Eric Moachon
Nous envisagerons successivement les trois modèles d’États-providence distingués dans le champ des politiques sociales comparées33. Nous les analyserons chacun sous l’angle de sa conception spécifique du droit au travail et de la responsabilité34. En filigrane de cette analyse, se dessinera ce qui pourrait être interprété comme une approche « capabilisante » de la responsabilité et du droit au travail, dont les principaux linéaments seront synthétisés en conclusion de cet article.
A. Le modèle libéral Les fondements normatifs de ce premier modèle d’État-providence s’inscrivent dans la tradition de pensée libérale. Ce modèle affiche une préférence marquée pour les mécanismes de marché. L’État social n’y assume qu’une fonction résiduelle, dans la mesure où les prestations sociales ne sont versées qu’aux personnes incapables de s’assurer sur le marché des assurances privées. En outre, ces prestations sont servies sous condition de ressources et elles sont de niveau très modeste afin d’inciter au retour rapide sur le marché du travail. En dépit de leur modestie, elles sont envisagées comme un possible facteur de dépendance et leurs bénéficiaires font l’objet d’une importante stigmatisation. Sous l’angle des « capacités », les interventions publiques se réduisent à cette faible redistribution de ressources financières, rien ou presque n’étant fait sur le plan du développement des compétences et des opportunités. De fait, les pays anglosaxons, qui se rapprochent le plus de ce modèle, se distinguent par une proportion élevée et constante de personnes pas ou peu qualifiées. Du côté des opportunités d’intégration professionnelle, il revient au marché de les créer. Celui-ci mobilise à cette fin des stratégies d’abaissement du coût du travail. Ainsi, en cas de difficultés économiques, la lutte contre le chômage passe par la baisse des salaires plutôt que par l’augmentation de l’employabilité des demandeurs d’emploi. Il s’agit d’améliorer le rapport qualité-prix des exclus du marché du travail, non pas en augmentant leur attractivité ou leur compétitivité sur le marché du travail, mais en réduisant les dépenses que leur embauche représente pour l’employeur. Cette définition restrictive des opportunités, qui se réduisent à des emplois de qualité souvent médiocre, explique pourquoi l’action sur le plan des ressources et des compétences demeure aussi limitée. Ainsi, une redistribution des ressources au-dessus du seuil représenté par le salaire payé pour de tels emplois agirait comme un puissant dissuasif, qui irait à l’encontre du principe making work pay qui est au cœur de la stratégie d’activation de ce modèle. Dans un tel cadre, la référence au droit est très peu présente (notamment sous l’angle des droits-créances et des droits-capacités) dans la mesure où la solution aux problèmes d’intégration socioprofessionnelle réside avant tout dans les mécanismes de marché.
33
Dans la continuité de l’ouvrage séminal de G. Esping-Andersen, The Three Worlds of Welfare Capitalism, Cambridge, Polity Press, 1990. Les analyses présentées ici ne doivent donc pas être appliquées telles quelles aux situations nationales, qui dans la plupart des cas sont bien plus contrastées.
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L’essor de l’État social actif (aussi appelé workfare dans les pays se rapprochant de ce modèle) depuis le début des années 1990 a entraîné le renforcement des traits caractéristiques du modèle libéral, en diminuant encore les ressources redistribuées et en abrégeant la durée de leur versement. Ainsi, aux États-Unis, les programmes d’assistance sociale ont été accusés de produire des effets pervers massifs35, ce qui a incité le législateur à introduire des dispositions plus restrictives sous forme d’obligations de contrepartie en termes de travail, de limite temporelle à la durée des versements et de mise en place d’un appareil administratif de contrainte inspiré du nouveau paternalisme prôné par l’intellectuel Lawrence Mead36, où la personne sans emploi doit être suivie et au besoin harcelée jusqu’à ce qu’elle reprenne un emploi37. La loi sur la réforme du welfare signée par le président Clinton le 20 août 1996 concrétise ces évolutions. Elle a supprimé le principal programme fédéral d’aide sociale et a transféré aux États la compétence de définir le contenu des programmes sociaux sous réserve du respect d’un cadre général imposant le principe de conditionnalité de l’aide sociale. Pour être soutenus financièrement par le niveau fédéral, les programmes sociaux des États doivent notamment se conformer aux règles suivantes : (1) obligation doit être faite aux adultes membres d’une famille bénéficiaire d’effectuer des prestations telles que des travaux d’intérêt général (community services) ; (2) en tout état de cause, il n’est pas possible de toucher la prestation pendant plus de cinq ans au cours d’une vie adulte. Le changement fondamental découlant de l’émergence des programmes de workfare ou de welfare-to-work, est le renforcement du devoir de travailler aux dépens de la « liberté de choix » des bénéficiaires. Alors qu’auparavant la reprise rapide de l’emploi était incitée par la modestie des prestations versées, elle est désormais soutenue et au besoin imposée par les représentants de l’administration. Puisque l’équation « moins de ressources redistribuées = plus d’incitation à reprendre rapidement un travail » ne se concrétise pas, le législateur décide de diminuer encore les ressources et de mettre en place un dispositif de contrôle administratif pour éradiquer les effets pervers de dépendance produits par le système antérieur. L’agir responsable est ici exigé sur la double base de capacités réduites (via la redistribution de ressources diminuées) et de la négation de la liberté des individus qui sont sommés de se conformer aux injonctions des représentants de l’administration. Dans un tel cadre, la relation entre individu et institution est fortement déséquilibrée : il n’y a aucune possibilité pour l’individu de négocier la prestation servie ou de demander un service supplémentaire (ce qui correspondrait à l’option voice de Hirschman), mais il doit soit se conformer aux prescriptions de l’autorité administrative (loyalty), soit renoncer purement et simplement aux prestations (exit).
35
P. Bénéton, Le fléau du bien, Paris, Robert Laffont, 1981. L. Mead, Beyond Entitlement. The Social Obligations of Citizenship, New York, Free Press, 1986 ; L. Mead, The New Politics of Poverty. The Nonworking Poor in America, New York, Basic Books, 1992. 37 Sur le cas des États-Unis, voir D. Dumont, « Activation Policies for the Unemployed in the United States : Work First », in E. Dermine et D. Dumont (eds.), Activation Policies for the Unemployed, Right to Work and Freedom of Work, op. cit. 36
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Jean-Michel Bonvin et Eric Moachon
La conception de la responsabilité reste donc constante dans le temps : l’individu responsable est toujours celui qui reprend rapidement un emploi, quelles que soient par ailleurs les conditions salariales et de travail imposées. Mais les moyens mis au service de cet agir responsable changent. Alors qu’auparavant l’État n’exerçait pas de pression directe sur l’individu, mais le soumettait à des conditions d’indemnisation telles qu’il n’était pas en capacité de faire des choix et devait accepter le premier emploi venu, il devient maintenant directement contraignant et use de la pression dans le but d’abréger le plus possible la durée de perception de l’aide de l’État. L’individu responsable est donc celui qui se conforme aux injonctions complémentaires de l’État (dans le cadre du nouveau paternalisme) et du marché (il accepte d’adapter ses préférences aux opportunités offertes sur le marché du travail). Une telle définition n’est pas le résultat d’un processus délibératif entre bénéficiaires et représentants de l’administration, mais d’une imposition de la volonté publique de promouvoir un retour aussi rapide que possible sur le marché du travail. Ces conditions illustrent l’évolution du droit social dans le modèle libéral vers un renforcement des droits-contraintes et la promulgation d’objectifs précis laissant peu de place à un authentique « expérimentalisme démocratique »38. Dans ce modèle, la responsabilité orientée vers le passé prime : c’est la condamnation des attitudes passées qui justifie l’intensité des pressions exercées sous forme de restrictions financières ou de contraintes à reprendre un emploi. Au total, nous sommes donc en présence d’un modèle qui donne peu de capacités, tend à nier la liberté des individus en les subordonnant aux injonctions de l’autorité publique et du marché et qui privilégie la responsabilité comme imputabilité et source de sanction.
B. Le modèle social-démocrate L’égalité et la redistribution des ressources (entre les différentes catégories de salariés) constituent les principes fondamentaux du modèle social-démocrate, dont les pays scandinaves sont ceux qui se rapprochent le plus. Un des objectifsclés consiste à diminuer les inégalités via la redistribution de montants élevés de prélèvements obligatoires. De la sorte, l’impôt se présente comme un mécanisme de solidarité sociale bénéficiant d’une légitimité importante. Les prestations servies au titre de l’État social couvrent une large palette de risques sociaux, elles atteignent un niveau élevé avec des taux de remplacement généreux et s’adressent à tous les citoyens, indépendamment de leur responsabilité individuelle dans la situation de carence de ressources qui les affecte. Le droit aux prestations n’est donc pas fondé sur le besoin (comme dans le modèle libéral), mais sur la citoyenneté ou la résidence sur le territoire national.
38 J. Handler, Social Citizenship and Workfare in the United States and Western Europe. The Paradox of Inclusion, Cambrige, Cambridge University Press, 2004.
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Cette action étendue sous l’angle de la redistribution des ressources s’accompagne d’une intervention résolue sur le double plan des compétences et des opportunités. Dans cette perspective, la lutte contre le chômage ne passe pas par une réduction des prestations en vue de produire des incitations à la reprise du travail, mais par la combinaison de trois formes d’action complémentaires : a) garantir la flexibilité du marché du travail (conçue comme une condition de la compétitivité économique), b) servir des prestations généreuses aux personnes temporairement exclues de ce marché du travail en raison de difficultés économiques ou de compétences obsolètes, c) promouvoir la réinsertion rapide de ces personnes au travers de mesures actives du marché du travail axées sur l’amélioration des compétences et donc de l’attractivité aux yeux des employeurs potentiels. Ce qui est visé ici, c’est la mise en place d’un triangle vertueux qui s’articule autour d’une redistribution généreuse de ressources, d’une politique volontariste d’amélioration des compétences et d’un développement des opportunités rendu possible par la flexibilité du marché du travail39. Sur ce versant des « possibilités ou pouvoirs d’agir » octroyés par l’État social, deux autres volets jouent un rôle central dans le modèle social-démocrate. D’une part, la très large palette de services offerts quasi gratuitement par le secteur public, qui se traduit par un développement très important des opportunités d’emploi pour tous les membres de la famille, et notamment pour les femmes, qui peuvent ainsi transférer à ces services la prise en charge des enfants et des autres personnes dépendantes. Le modèle social-démocrate se signale donc par son volontarisme égalitariste, non seulement sur le plan de la redistribution des ressources, mais aussi sur celui des opportunités réellement mises à disposition. L’existence de ces services, leur qualité élevée et leur quasi-gratuité visent à faire de l’emploi une opportunité réelle pour tous les membres de la collectivité. D’autre part, le secteur public se présente dans ce modèle comme un employeur de dernier recours : dans la mesure où la flexibilité du marché du travail ne permet pas d’absorber toute la main-d’œuvre disponible, le secteur public prend le relais. De manière générale, le taux d’emploi public se situe à près de 30 % dans les pays scandinaves, soit plus du double de la moyenne des pays de l’OCDE40. Ainsi, toutes les formes de droits évoquées dans la première partie de cet article sont mobilisées à large échelle dans le modèle social-démocrate, notamment des droits-créances généreux et une action significative en matière de création d’opportunités, qui met concrètement en œuvre les droits programmatiques figurant dans l’article 1er de la Charte sociale européenne, l’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la convention no 122 de l’OIT. Il convient toutefois de noter que, jusqu’au début des années 1990, l’action sur le versant des droits-capacités (mesures d’activation) était moins étendue.
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Ce triangle vertueux reste en partie théorique. Dans les faits, ce modèle élaboré par les syndicalistes suédois Rehn et Meidner n’a été que partiellement mis en œuvre (jusqu’au début des années 1990), notamment pour ce qui concerne les mesures actives du marché du travail. 40 Voir G. Esping-Andersen, The Three Worlds of Welfare Capitalism, op. cit.
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Sur le plan de la liberté de choix, les contraintes exercées sur les bénéficiaires de prestations sociales avant l’essor de l’État social actif au début des années 1990 sont très limitées. Le Danemark et son assurance chômage figurent ici comme un cas emblématique. À la fin des années 1970 et durant les années 1980, l’opinion selon laquelle il n’y a pas assez de travail pour tous les Danois est largement répandue. La solution au problème du chômage consiste alors à partager les emplois et à améliorer la protection des chômeurs en leur garantissant un revenu de remplacement très élevé (entre 80 et 100 % de l’ancien salaire, certes plafonné) pour une durée très étendue (jusqu’à 9 ans). La participation à des programmes facultatifs de formation et à des travaux d’utilité publique est assimilée à un emploi, en vue de permettre aux chômeurs de longue durée d’ouvrir de nouveaux droits aux allocations. De plus, l’application de la loi est alors relativement souple : peu de contrôle des recherches d’emploi et peu de contrôle du respect de l’obligation d’accepter des emplois convenables. Il n’y a donc pas de volonté politique d’imposer une référence normative ou un agir responsable spécifique, mais plutôt de fournir des opportunités dont l’utilisation est ensuite considérée comme relevant du libre choix des individus. Nous sommes ici dans une configuration très voisine de celle que propose l’approche par les capabilités : l’octroi de ressources et d’opportunités abondantes et la reconnaissance d’un espace de liberté étendu (dans un environnement où la prédominance de l’« ethos du travail »41 exerce toutefois une influence importante) figurent au cœur de la conception de la responsabilité caractéristique de ce modèle. Nous pouvons toutefois relever un développement limité des programmes d’activation avant les années 1990, ce qui nous permet de conclure à une faible prise en compte des droits-capacités. La condition de la pérennité de ce modèle réside dans sa viabilité financière qui est concrétisée par la permanence d’un taux d’emploi très élevé permettant aux citoyens d’assumer des impôts et charges sociales importants afin de financer le système. L’objectif de plein emploi (masculin et féminin), qui trouve un soutien fort dans la prédominance de l’« ethos du travail » dans les pays scandinaves, se présente ainsi comme la condition sine qua non du succès de cette conception du droit au travail et de la responsabilité. Cette exigence de plein emploi a été mise à mal au début des années 1990 avec une augmentation considérable des taux de chômage dans les pays scandinaves. Décision a alors été prise de renforcer les mesures relevant de l’État social actif dans le triple sens de la multiplication des programmes d’activation, de la diminution des ressources redistribuées (notamment de la durée maximale de perception des prestations) et, surtout, de l’introduction de conditionnalités fortes enracinées dans le principe de devoirs et contre-prestations obligatoires de la part du bénéficiaire42. Sur le versant « possibilités et pouvoirs d’agir », cette évolu41
Ce concept sociologique inspiré des travaux de Max Weber fait référence à l’intériorisation par les individus de la norme travail comme fondement de leur identité. Voir par exemple C. Lalive D’Épinay, Les Suisses et le travail, Lausanne, Réalités sociales, 1990. 42 Voir par exemple N. Kildal, Workfare Tendencies in Scandinavian Welfare Policies, Genève, BIT, 2000.
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Droit au travail et responsabilité individuelle dans les États sociaux contemporains
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tion entraîne un déplacement tendanciel de l’État social ressourciste (axé sur les droits-créances et les opportunités) vers une stratégie d’activation visant à agir sur la capacité d’action des personnes (les droits-capacités). Mais la transformation la plus profonde concerne le versant « liberté de choix » où un autre type de relation entre individu et institution se met en place. Les décisions collectives définissent un cadre plus contraignant pour les bénéficiaires et l’État social officie désormais comme un relais puissant de l’« ethos du travail » au service de l’objectif de plein emploi. Se met ainsi en place une figure différente de l’agir responsable, où la redistribution des ressources est plus largement conditionnée par l’adoption de comportements adéquats. On observe donc à la fois un rééquilibrage des composantes du droit positif au travail (avec un accent mis sur les droits-capacités) et des restrictions importantes au droit au travail librement entrepris, soit le versant négatif du droit au travail – qui correspond à la dimension « liberté de choix » de l’approche par les capabilités43. Cette évolution coïncide aussi avec un changement d’orientation temporelle de la responsabilité. Résolument tournée vers l’avenir avant l’adoption de politiques actives plus strictes dans le courant des années 1990, la responsabilité se signale désormais par la combinaison des dimensions backward-looking et forward-looking : d’un côté, les dispositifs d’imputabilité récemment introduits (où il s’agit de sanctionner les comportements passés) ; de l’autre, le renforcement des programmes visant à restaurer la capacité d’action des bénéficiaires.
C. Le modèle conservateur Le modèle conservateur d’État-providence, dont les pays d’Europe continentale semblent se rapprocher le plus44, se donne comme objectif principal le maintien des revenus et des statuts par le recours aux assurances sociales. Ainsi, une personne qui perd son emploi pour des raisons reconnues (invalidité, accident professionnel, maladie, vieillesse, maternité, chômage) bénéficie d’une prestation correspondant à un pourcentage de son salaire antérieur. La question de la responsabilité de l’individu dans la survenance du risque social n’entre pas en ligne de compte dans le calcul de la prestation. Du moment qu’il remplit les critères d’éligibilité prévus (portant généralement sur la durée de la période préalable de cotisation), l’individu se présente comme un bénéficiaire inconditionnel45. Dans le cas de l’assurance-maladie par exemple, les habitudes hygiéniques de l’individu ou son mode de vie non seulement ne sauraient être tenus pour responsables de sa mauvaise santé, mais en outre les prestations versées ne comportent 43
Il est à noter que la perspective dite de l’« investissement social » s’inscrit dans une optique similaire. Voir G. Esping-Andersen (avec B. Palier), Trois leçons sur l’État-Providence, Paris, Seuil, 2008 ; G. Bonoli et D. Natali (eds.), The Politics of the New Welfare State, Oxford, Oxford University Press, 2012. 44 La pertinence de ce modèle est très contestée dans la littérature, tant les pays d’Europe continentale présentent des situations contrastées. Ce n’est cependant pas l’objectif de cet article d’entrer dans cette controverse et nous reprenons donc cette classification sans la discuter ici. 45 On notera toutefois que l’attribution des indemnités de chômage est, dès l’origine, conditionnée au respect d’obligations diverses destinées à s’assurer que le bénéficiaire n’a pas quitté volontairement le marché du travail et va bien, à terme, le réintégrer. La mise en œuvre effective de ces prescriptions s’avère variable selon les contextes.
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pas d ’injonctions à adopter des comportements plus sains ou plus hygiéniques. Dans ce modèle, la responsabilité individuelle est d’une certaine façon absente des modalités de fonctionnement de l’assurance sociale. L’individu bénéficie de prestations en tant que membre d’une catégorie exposée à un risque social (les invalides, les chômeurs, etc.) et non en vertu de ses caractéristiques personnelles. Les prestations financières de remplacement sont plus ou moins abondantes en fonction du niveau des revenus précédents. Les non-cotisants, c’est-à-dire toutes les personnes qui n’exercent pas d’emploi salarié, n’ont pas d’accès direct aux prestations d’assurance sociale. Au sein des familles, seuls les travailleurs salariés (le plus souvent les pères de famille) jouissent de droits propres à être indemnisés en cas de perte de revenu, tandis que les autres membres du ménage ne disposent que de droits dits dérivés. En cas de besoin avéré, les non-cotisants ne bénéficiant pas de droits dérivés ou ayant épuisé leurs droits peuvent recourir à l’assistance sociale, dont les prestations sont plus modestes et soumises à des conditions plus restrictives. Le modèle conservateur est enraciné dans une conception spécifique de la division des rôles familiaux qui voit l’homme pourvoir aux besoins financiers tandis que la femme est chargée de s’occuper des enfants et des tâches ménagères. Les politiques sociales développées dans ce cadre confirment et renforcent la division sexuelle du travail au sein de la famille traditionnelle46. Ainsi, sur ce versant des ressources et des droits-créances, le montant et le degré de conditionnalité des prestations varient fortement. Les montants sont plus ou moins élevés suivant les revenus antérieurs dans le cadre des assurances sociales et très modestes pour l’assistance sociale. Leur degré de conditionnalité varie d’une quasi-inconditionnalité dans le cas de l’assurance sociale à une conditionnalité plus stricte pour les femmes – droits dérivés plutôt que droits propres – et pour les bénéficiaires de l’assistance sociale. L’indemnisation financière constitue le cœur du modèle conservateur d’Étatprovidence qui se montre peu actif en matière de développement des compétences et autres programmes d’activation. De manière générale, jusqu’au milieu des années 1980, la question du chômage se règle dans les États-providence conservateurs par l’incitation au retrait du marché du travail plutôt que par la promotion active du retour à l’emploi47. L’absence de mesures actives (ou droits-capacités) ne signifie pourtant pas que la question des opportunités ait été négligée dans ce modèle, dans la mesure où sont mises en œuvre des politiques macroéconomiques au service de l’objectif du plein emploi. Il convient aussi de signaler le faible développement des services à la personne dans ce modèle, où la famille reste le pourvoyeur traditionnel de ces services, avec toutes les limitations que cela entraîne en termes de développement des opportunités d’emploi pour les femmes.
46
Voir M. Daly, The Gender Division of Welfare, Oxford, Oxford University Press, 2000. J.‑C. Barbier et J. Gautié (dir.), Les politiques publiques d’emploi en Europe et aux États-Unis, Paris, Presses universitaires de France, Cahiers du CEE no 36, 1998.
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Au total, sur le versant des « possibilités ou pouvoirs d’agir », on observe une action différenciée en termes de droits-créances (généreuse pour ceux qui rentrent dans la norme de l’emploi à temps plein et masculin, plus modeste pour les autres), une intervention limitée sur le versant des droits-capacités et du développement des compétences (ainsi qu’en témoigne la quasi-absence de mesures actives dans la plupart des pays d’Europe continentale jusqu’au début des années 1980) et une action souvent importante sur les opportunités, qui relève prioritairement du domaine des politiques macroéconomiques. Sur le versant « liberté de choix » de la responsabilité, l’assurance sociale du modèle conservateur ne cherche pas à imposer aux bénéficiaires un comportement particulier. L’État social ne se présente pas ici comme un facteur de normalisation, mais comme le pourvoyeur d’une indemnisation garantie indépendamment de la question de la responsabilité des bénéficiaires, c’est-à-dire de leurs comportements passés48. Par contraste, l’assistance sociale ne propose que des prestations conditionnelles souvent accompagnées d’actions visant à conformer les personnes assistées aux normes sociales en vigueur, notamment, pour les bénéficiaires aptes au travail, la norme de l’emploi à temps plein. Le bénéficiaire de l’assistance sociale est considéré comme responsable de son sort. À ce titre, il doit se contenter de prestations de second plan et il est soumis à des injonctions comportementales strictes. Nous sommes donc en présence de deux situations très différentes que l’on peut résumer de la façon suivante : d’un côté, l’individu des assurances sociales bien doté sur le plan des ressources (mais privé de droitscapacités) et dont la liberté d’action n’est que peu entravée ; de l’autre, l’individu de l’assistance sociale, moins généreusement indemnisé et pour qui l’accent est mis sur la conformité avec les normes sociales. L’émergence de l’État social actif entraîne un bouleversement en profondeur de ce modèle qui modifie la conception du droit au travail et de la responsabilité qui prévaut dans les mécanismes d’assurance sociale, lesquels vont dès lors s’aligner de plus en plus sur le modèle de l’assistance sociale. Cette transformation se traduit essentiellement sur trois plans. Tout d’abord, les revenus perçus au titre de l’assurance sociale sont soumis à des conditionnalités plus strictes, notamment pour les jeunes chômeurs, les chômeurs de longue durée et les invalides49. Ensuite, de nombreuses mesures actives sont introduites avec la volonté d’activer les chômeurs en direction de l’emploi. Dans un premier temps, ces mesures s’avèrent moins contraignantes que dans les pays se réclamant des modèles social-démocrate et libéral, mais depuis le début des années 2000, la tendance 48
L’État social assuranciel ne se donne ainsi pas pour tâche d’imposer aux individus un comportement spécifique prédéterminé, mais de garantir que certaines des conditions de l’agir responsable soient réunies (au travers de l’indemnisation des personnes et de la mise sur pied de conditions macroéconomiques propices au plein emploi, par exemple via des politiques keynésiennes agissant sur la demande). On observe cependant que le développement des droits-capacités n’est pas réellement pris en compte dans ce modèle, du moins jusqu’au milieu des années 1980. Toutes les conditions de l’agir responsable et de la liberté positive de travailler ne sont donc pas réunies. 49 Voir J.‑M. Bonvin, « The Rhetoric of Activation and its Effects on the Definition of the Target Groups of Social Integration Policies », in A. Serrano Pascual (ed.), Are Activation Policies Converging in Europe ? The European Employment Strategy for Young People, Bruxelles, ETUI, 2004, pp. 101‑127.
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est au renforcement des conditions et attentes comportementales imposées aux bénéficiaires de prestations d’assurances sociales (notamment pour les risques chômage et invalidité)50. Enfin, l’action en termes de développement des opportunités est beaucoup plus timide depuis l’émergence de l’État social actif, dans la mesure où les exigences d’équilibre budgétaire et d’inflation zéro ont pris le pas sur les instruments de gestion macroéconomique et les politiques d’investissement. Pour les mêmes raisons, le développement de l’État-providence de services (structures de gardes pour les enfants en bas âge, soins pour les personnes âgées, etc.) qui soulagerait les femmes d’une partie du travail domestique traditionnellement à leur charge et contribuerait à créer les conditions du droit positif au travail pour tous les membres de la famille, en reste à un stade souvent embryonnaire. Au total, on observe un développement important des droits-capacités mais avec un fort accent mis sur le devoir de travailler (qui aboutit aussi à renforcer les conditionnalités dans le champ des droits-créances), et une action plus timide sur le plan des opportunités. La liberté de choix des bénéficiaires est clairement réduite par ces évolutions qui vont dans le sens d’une plus grande contrainte exercée à leur égard et d’une plus grande complétude du droit, dans la mesure où l’utilisation des ressources, compétences et opportunités octroyées par l’État social n’est plus laissée à la libre décision du bénéficiaire, mais soumise à des injonctions plus strictes. Du côté de l’orientation temporelle de la responsabilité, le modèle conservateur se caractérise par sa dualité. L’assurance sociale, avec son système de prise en charge socialisée des risques, repose sur la mise à l’écart de la question de la faute51. Il y a donc une volonté explicite de ne pas faire porter aux individus la responsabilité de leurs comportements passés, mais au contraire de veiller à ce qu’ils soient indemnisés adéquatement, quelle que soit par ailleurs la cause de leur situation actuelle. Cette intervention est orientée vers le futur dans la mesure où l’indemnité versée aux individus leur permet de surmonter plus facilement leurs difficultés et de se réinsérer sur le marché du travail dans de meilleures conditions. Par contraste, l’assistance sociale privilégie l’imputabilité en insistant sur la responsabilité des individus et sur la nécessité de les sanctionner en cherchant à les discipliner et à les rendre plus conformes aux normes sociales en vigueur. Avec l’émergence de l’État social actif, on assiste à un effacement tendanciel des frontières entre assistance et assurance, ainsi que l’illustre l’essor de la rhétorique de la faute dans certaines assurances sociales (en particulier l’assurance chômage).
50
La loi allemande Hartz-IV est emblématique de cette évolution vers un renforcement du devoir de travailler des personnes sans emploi. Voir F. Ewald, Histoire de l’État-providence, op. cit. Cette conception de l’assurance sociale est cependant discutable (voir par exemple D. Dumont, « Activation rime-t-elle nécessairement avec stigmatisation ? », Droit et société, no 78, 2011, pp. 447‑471). 51
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Conclusion L’approche par les capabilités insiste sur la multiplicité des formes de droits (droits-créances, droits-contraintes, droits-capacités, droits procéduraux, droits programmatiques, tous envisagés sous l’angle d’une certaine incomplétude favorisant le déploiement situé des modalités précises du droit au travail) qu’il convient de mettre au service d’un objectif ultime, à savoir le développement des capabilités de travailler (ou capability for work) des personnes concernées. Est ici proposée une architecture complexe du droit, avec au sommet de la pyramide des « droitsbuts » qui indiquent la finalité de l’action et énoncent des obligations imparfaites ; il incombe ensuite à chaque collectivité publique de mettre en place la combinaison adéquate de « droits-moyens » en vue de remplir au mieux cette obligation imparfaite. L’aune à laquelle doit être évaluée l’action publique dans le champ du droit au travail est sa contribution à la réalisation du « système de droits-buts », donc au développement des capabilités. C’est ici un changement de perspective radical qui est proposé : l’étalon n’est plus l’augmentation des taux d’emploi, qui se situe par exemple au cœur des stratégies de l’OCDE et de l’Union européenne, mais la capabilité de travailler envisagée comme un droit de l’homme. La question ne se résume donc pas à déterminer les moyens les plus efficaces d’augmenter les taux d’emploi, ce qui pourrait légitimer des formes d’instrumentalisation du droit au travail et justifier des atteintes au droit au travail librement entrepris (soit le volet négatif du droit au travail ou la « liberté de choix » chez Sen) au nom de l’obligation de travailler. Dans la perspective des capabilités, il s’agit plutôt de déterminer quelle combinaison de « possibilités ou pouvoirs d’agir » et de « liberté de choix », en d’autres termes quelle combinaison des versants positif et négatif du droit au travail, il convient de privilégier en vue de promouvoir le droit de l’homme à exercer un travail qui a de la valeur à ses yeux. L’approche par les capabilités n’implique donc pas une reconceptualisation du droit au travail tel qu’il est entendu dans le droit international des droits de l’homme, elle permet au contraire de montrer la complémentarité des deux versants – positif et négatif – que l’on retrouve dans les divers instruments internationaux qui proclament le droit au travail. À cet égard, les modèles d’État social actif analysés dans cet article se trouvent dans des situations contrastées. Sur le plan des « droits-moyens », que ce soit sur les versants « possibilités ou pouvoirs d’agir » ou « libertés », ou à propos de l’orientation temporelle de la responsabilité, les approches sont très différentes. Ainsi, le modèle libéral tend à donner plus de prégnance à l’équation « moins de ressources redistribuées = plus de pouvoirs d’agir » et les interventions sur le plan des compétences ou des opportunités relèvent dans une très large mesure de la responsabilité individuelle ou des mécanismes de marché. L’État-providence se présente ici comme un facteur toujours plus puissant de normalisation des comportements, dont les moyens d’action relèvent avant tout d’une logique d’imputabilité et de sanction des comportements déviants (c’est-à-dire de ceux qui ne parviennent pas à s’inscrire sur le marché du travail par eux-mêmes). Le devoir de travailler 2013/5
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prend le pas sur le droit au travail, à la fois sous ses versants positif et négatif. Par contraste, le modèle social-démocrate se signale par son action résolue en faveur de la redistribution des ressources et du développement des compétences et des opportunités. Le coût de ces diverses interventions dans un contexte économique et budgétaire tendu a toutefois incité les autorités à introduire des contraintes plus fortes qui ont modifié l’équilibre de la relation entre institutions et individus bénéficiaires, dans le sens d’un encadrement plus marqué des libertés individuelles. Dans le même mouvement, l’orientation vers l’avenir qui caractérise ce modèle fait place à des dispositifs d’imputabilité pouvant déboucher sur des sanctions sévères (même si elles sont appliquées avec modération). Ici, une situation initiale de développement important des versants positif et négatif du droit au travail doit composer avec une volonté de renforcer le devoir de travailler. Enfin, le modèle conservateur se distingue par la volonté de mettre en place des mesures d’activation plus ambitieuses, qui soient à même d’augmenter l’employabilité des personnes et leur attractivité aux yeux des employeurs. Cette évolution coïncide toutefois avec une action beaucoup plus timorée sur le plan du développement des opportunités et l’on peut craindre que le nouvel accent mis sur les compétences et l’employabilité ne suffise pas, en l’absence d’opportunités réelles sur le marché du travail, à promouvoir effectivement le droit d’avoir un emploi. Le droit positif au travail a été renforcé mais d’une manière ambiguë qui ouvre la porte à de nombreuses dérives dans le sens du devoir de travailler. Au-delà de ces divergences, on observe, sur le plan des finalités, une large convergence autour de l’objectif d’augmentation des taux d’emploi et d’accélération de la réinsertion, qui coïncide avec une négligence relative de la question de la qualité de l’emploi. Cette convergence se traduit par une tendance, commune aux trois modèles, à la diminution des ressources redistribuées et à leur conditionnalité accrue, par l’introduction de contre-prestations obligatoires qui encadrent plus étroitement la liberté individuelle et par le renforcement de l’orientation temporelle rétrospective de la responsabilité. Ces évolutions exercent un impact considérable sur les conceptions du droit au travail et de la responsabilité sous-jacentes à l’État social, que ce soit en termes substantiels ou procéduraux. Sur le versant substantiel, l’équilibre entre droits-créances, droits-capacités et opportunités est modifié dans le sens d’un renforcement des droits-capacités et d’une tendance, plus ou moins forte selon les cas, à la remise en question des autres composantes. Il semble en effet que le développement des politiques d’employabilité (du côté de l’offre) ne s’accompagne pas d’une action aussi résolue sur le plan des politiques de l’emploi (demande). Sur le versant procédural, le renforcement du devoir de travailler coïncide avec la montée en force de préceptes managériaux laissant trop souvent peu de place aux expériences locales et à la gouvernance réflexive. Ainsi, sur ces deux plans, la responsabilité individuelle ne bénéficie pas de toutes les conditions nécessaires à son déploiement. Il nous semble qu’une référence forte à la capabilité de travailler conçue comme un droit de l’homme et donc un « système de droits-buts » alternatif à l’augmenta-
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Droit au travail et responsabilité individuelle dans les États sociaux contemporains
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tion des taux d’emploi, pourrait permettre de mieux concrétiser les promesses de l’État social actif, de juguler ses dérives possibles vers l’exacerbation du devoir de travailler et de promouvoir une vision plus réflexive et démocratique de l’action publique dans le champ du droit au travail. Jean-Michel Bonvin et Eric Moachon jean-michel.bonvin@eesp.ch
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Article
Extraterritorial Human Rights Obligations : Taking Stock, Looking Forward1 Obligations extraterritoriales des droits de l’homme : Bilan et Perspectives Wouter Vandenhole
Abstract
Résumé
F
P
or a long time, human rights law has been concerned (almost) exclusively with the human rights obligations of the territorial state. However, human rights are increasingly impacted upon not only by the territorial state, but also by other, foreign states. These realities pose a conceptual challenge to human rights law to broaden the range of duty-bearers, in the first place to include also foreign states. This article seeks to take stock of the state of the art of the field of extraterritorial human rights obligations, in particular in the area of economic, social and cultural rights. It explicitly engages with the 2011 Maastricht Principles on Extraterritorial Obligations of States in the area of Economic, Social and Cultural Rights. We conclude by moving beyond extraterritorial obligations of foreign states to the case for direct human rights obligations of international organisations, companies and other non-state actors in a position to wield substantive power.
1
endant longtemps, le régime juridique des droits de l’homme s’est intéressé (presque) exclusivement aux obligations de l’État territorial. Cependant, les droits de l’homme sont de plus en plus affectés non seulement par l’État territorial mais également par les États étrangers. Ces réalités posent un défi conceptuel au régime des droits de l’homme afin d’élargir l’éventail des débiteurs, pour y inclure, en premier lieu, les États étrangers. Cet article cherche à faire le bilan de la doctrine des obligations extraterritoriales en matière de droits de l’homme, et particulièrement des droits économiques, sociaux et culturels. Il s’intéresse explicitement aux Principes de Maastricht de 2011 sur les obligations extraterritoriales des États dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels. Nous concluons en dépassant les questions d’obligations extraterritoriales des États, en envisageant le cas des obligations directes des organisations internationales, des entreprises et d’autres acteurs non étatiques occupant une position leur permettant d’exercer un pouvoir substantiel.
This article draws in part on a co-authored piece, M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten, “Introduction. An Emerging Field”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, 3-31. I am indebted to my co-authors, but all errors are my sole responsibility.
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Extraterritorial Human Rights Obligations : Taking Stock, Looking Forward
Article
Introduction
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or a long time, human rights law has been concerned (almost) exclusively with the human rights obligations of the territorial/domestic state. Increasingly, this exclusive focus on the territorial state has been under strain in the daily realities. Human rights are impacted upon not only by the territorial state, but also by other, foreign or extraterritorial states. When foreign States require unaffordable user fees be imposed for primary health care as a condition of their international aid programme, the right to health is affected. When a State’s export credit agency provides support to companies involved in major infrastructure projects or production of goods that leads to violations of ESC rights, that State may be co-responsible. Biofuel or agricultural policies may have adverse effects on the enjoyment of ESC rights, including the right to an adequate living standard. Wealthier States may also have legal obligations to address poverty beyond their borders.
These realities pose a conceptual challenge to human rights law to broaden the range of duty-bearers, in the first place to include also foreign states, but also a range of non-state actors. Can international human rights law act as a corrective to failures of both States and the market ?2 In other words, are the structure and power of international law sufficient to provide any form of accountability ? Although it has been argued that the human rights obligations of foreign states (often labelled extraterritorial obligations) have always been there in some treaties at least (in particular the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, hereafter ICESCR),3 recognizing that human rights obligations may be incumbent on foreign states is quite a paradigmatic shift for mainstream human rights law. Politically too, it is a sensitive issue. Some of the often-voiced objections include that there is no legal basis for extraterritorial obligations ; that they create excessive obligations for in particular richer states ; that they are yet another attempt to create a legally binding obligation to provide development assistance ; that they are convenient to domestic states that are unwilling to take their human rights obligations seriously and try to pass on responsibility to other states. There is a fear that focusing on extraterritorial obligations may weaken what has been achieved with human rights law by blurring who the duty-bearers are ; or that they are a convenient concept for foreign states to justify interference with the internal affairs, or to legitimise conditionalities. In this article, we seek to show that whereas we cannot be conclusive on every issue, the conceptual understanding of ETOs has meanwhile reached a degree of sophistication, so that there are compelling rebuttals to these often-voiced concerns. This is not to say 2
See K. De Feyter, Human Rights. Social Justice in the Age of the Market, London, Zed Books, 2005, p. 15. Compare S. Narula, “International Financial Institutions, Transnational Corporations and Duties of States”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 114‑116. 3 See inter alia S. Skogly, Beyond National Borders : States Human Rights Obligations in International Cooperation, Antwerp, Intersentia, 2006.
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Article
Wouter Vandenhole
that the notion of ETOs, if accepted, will cure the world from all ills. A major challenge for international human rights law remains in the absence of strong implementation mechanisms. Moreover, human rights law is not necessarily or automatically transformative. Attempts to place human rights law at the core of efforts to challenge power may be misguided,4 or should at least be vividly aware of some of the inherent limits of human rights law, among which the legal fiction of sovereign equality of States.5 These critiques should be taken seriously, but they do not result in the complete dismissal of the potential of human rights law. The language of human rights, backed by legal norms, is a key tool in many struggles for global justice. Although an important symbolic battle, ETOs are not primarily about an obligation to provide development assistance and/or to facilitate financial resource transfers. International development assistance is quickly becoming less relevant for many countries, and may in any case fail to address structural causes of underdevelopment. But more importantly, extraterritorial obligations may be much more relevant and effective in other areas. This might include the structure of the world economy, behaviour of multinational corporations in poorer States and export processing zones, intellectual property for medicines and other key goods, costs of inputs for the health sector and debt relief. Many of these issues have been addressed in ESC rights scholarship and advocacy but not always in the context of legal articulation and discussion of extraterritorial State obligations. As we have argued elsewhere, obligations to respect and protect have often been “neglected”.6 This article seeks to take stock of the state of the art of the field of extraterritorial human rights obligations, in particular in the area of economic, social and cultural rights. It explicitly engages with the Maastricht Principles on Extraterritorial Obligations of States in the area of Economic, Social and Cultural Rights (hereafter : Maastricht Principles), a set of principles adopted in September 2011 by a group of experts in international law and human rights, representing all regions of the world and including current and former members of human rights treaty bodies, regional human rights bodies and Special Rapporteurs. The Maastricht Principles are a milestone in the long journey of full legal recognition and definition of extraterritorial human rights obligations. Before examining the substance aspects, we briefly offer a historical perspective on efforts first to put extraterritorial human rights obligations on the agenda, and then to clarify their scope and meaning. We will assess the current thinking and standard-setting on extraterritorial human rights obligations, and the extent to which there are signs of political and legal recognition of these obligations. The analysis is focused on 4
M. Koskenniemi, “Human Rights Mainstreaming as a Strategy for Institutional Power”, Humanity : An International Journal of Human Rights, Humanitarianism and Development, Vol. 1, No. 1 (2010), pp. 47‑58. 5 W. Vandenhole, “The Limits of Human Rights Law in Human Development”, in E. Claes, W. Devroe and B. Keirsbilck (eds.), Facing the Limits of the Law, Berlin/Heidelberg, Springer, 2009, pp. 368‑369. 6 W. Vandenhole, “Economic, Social and Cultural Rights in the CRC : Is There a Legal Obligation to Cooperate for Development ?”, International Journal of Children’s Rights, vol. 17, no. 1 (2009), p. 24.
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Extraterritorial Human Rights Obligations : Taking Stock, Looking Forward
Article
one particular type of actor : States. Non-State actors are mentioned only when they can be approached through the lens of State obligations, e.g. as home States for a transnational corporation or member States of an intergovernmental organisation. We conclude by moving beyond extraterritorial obligations of foreign states, and will argue that a further broadening of the duty-bearer dimension of human rights law is needed, to include also for instance direct human rights obligations of international organisations, companies and other non-state actors in a position to wield substantive power. Understanding the relative legal and institutional strength of human rights obligations incumbent on States may help consider how the nascent regime of human rights obligations for other actors should be further developed. However, whereas important work has already been done on individual non-state actors such as international (financial) organisations or companies,7 attempts to identify key concepts and principles that guide human rights obligations of non-state actors across the board remain rare.8 It may be safe to say that extraterritorial human rights obligations are increasingly recognized as being part of human rights law as a normative framework, i.e. a framework that spells out the applicable rules. To make them also part and parcel of human rights law as an accountability and remedy framework may need more time, although both functions of human rights law cannot be fully separated. This may be particularly the case in the area of economic, social and cultural rights, given the rather weak accountability and remedy dimension of these rights even within the traditional paradigm of the territorial state. A number of accountability mechanisms exist but they are quite weak and ill-equipped, particularly when examining the political, economic and military power that extraterritorial human rights obligations seek to address.9
7 For international financial institutions, see inter alia M. Darrow, Between Light and. Shadow, The World Bank, the International Monetary Fund and International Human Rights Law, Oxford, Hart Publishing, 2003 ; S. Skogly, The Human Rights Obligations of the World Bank and the IMF, London, Cavendish Publishing, 2001 ; W. van Genugten, P. Hunt and S. Mathews (eds.), World Bank, IMF and Human Rights, Nijmegen, Wolf Legal Publishers, 2002 ; A. McBeth, International Economic Actors and Human Rights, London, Routledge, 2010 ; D.D. Bradlow and D.B. Hunter (eds), International Financial Institutions & International Law, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2010. For companies, see inter alia O. De Schutter (ed.), Transnational Corporations and Human Rights, Oxford, Hart Publishing, 2006 ; N. Jägers, Corporate Human Rights Obligations : In Search of Accountability, Antwerp, Intersentia, 2002 ; M. Kamminga and Z. Zarifi, Liability of Multinational Corporations under International Law, The Hague, Kluwer International Law, 2000. For the United Nations in the area of development, see M. Darrow and L. Arbour, “The Pillar of Glass : Human Rights in the Development Operations of the United Nations”, The American Journal of International Law, Vol. 103, No. 3 (2009), pp. 446‑501. 8 Exceptions are P. Alston (ed.), Non-State Actors and Human Rights, Oxford, Oxford University Press, 2005 ; A. Clapham, Human Rights Obligations of Non-State Actors, Oxford, Oxford University Press, 2006 ; see also W. Vandenhole, Emerging Normative Frameworks on Transnational Human Rights Obligations, EUI Working Papers RSCAS 2012/17, 23 p. (ISSN 1028-3625), http://cadmus.eui.eu/bitstream/handle/1814/21874/RSCAS_2012_17.pdf ? sequence=1 (15 April 2013). 9 For a solid overview, see A. Khalfan, “Accountability Mechanisms”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 391‑416 ; see also Salomon with regard to the Optional Protocol to the ICESCR (M.E. Salomon, supra note 9, pp. 288‑295).
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Initially, there was a considerable degree of debate on the appropriate terminology.10 Whereas the principled positions may not have changed, there seems to have emerged a pragmatic quasi-consensus, to use the notion of extraterritorial obligations. This notion suggests that first there were territorial obligations, and now also extraterritorial obligations. Such an understanding has been challenged, grounded in arguments that human rights are universal (“all people have human rights and […] all States have the responsibility to protect those rights – for all people”11) or give rise to global obligations or obligations of international cooperation.12 The Maastricht Principles do use the notion of extraterritorial obligations, but define them in a two-pronged way, i.e. as obligations binding upon a State relating to its conduct and as obligations of a global character.13 Whereas that is a creative and workable compromise, subsuming global obligations under the notion of extra-territorial obligations may be misleading in terminology, but certainly also challenges quite fundamentally the relevance of questions of jurisdiction or causation. It may equally invite further reflection on the scope of obligations and on questions of assigning obligations and attributing responsibility.
I. Beyond territoriality14 Traditionally, human rights have been framed within a territorial perspective. The idea of human rights emerged in the aftermath of the establishment of a Westphalian world order of 1648, with territorially distinct States exercising sovereignty within their geographical borders. This territorial ordering has shaped the trajectory and vocation of domestic and international human rights law : it is a corrective to the domestic failures of the State. Whatever the content of the claim or the nature of the government, the responsibilities of States are constrained by national borders. This “Westphalian territorial framing of rights is a paradigm under strain”.15 The capacity of States and other actors to impact human rights far from home, whether positively or negatively, is real. Most notable has been the rise of trade and investment regimes, international aid policies, global military operations and global finance. Economic globalisation in particular has fragmented and transformed State sovereignty, facilitating the growth of other powerful actors on the global level. As 10
See for more details, M. Gibney, “On Terminology : Extraterritorial Obligations”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The Extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 32‑47. 11 Ibidem, p. 47. Compare M. Gibney and S. Skogly (eds.), Universal Human Rights and Extraterritorial Obligations, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2010. 12 See e.g. M.E. Salomon, supra note 9, pp. 259‑296. 13 Principle 8, Maastricht Principles on Extraterritorial Obligations of States in the area of Economic, Social and Cultural Rights, Netherlands Quarterly of Human Rights, Vol. 29, No. 4 (2011), pp. 578‑590. 14 This section draws heavily on M. Langford et alii, supra note 1, pp. 3‑6. 15 Ibidem, p. 3.
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Extraterritorial Human Rights Obligations : Taking Stock, Looking Forward
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a consequence, “overlapping and concurrence of multiple legitimate authorities take place inside the same decision-making framework”16 that is “held together by a duality of competing universalistic claims”, particularly those of the nationState system and the transnational market economy.17 International law has been struggling with this phenomenon. The international law architecture remains State-centric in two respects. First, States remain the principal decision makers and duty-bearers. International law has recognised that non-State actors can be recipients of substantive or procedural rights, but there has been caution in extending responsibilities to non-State or multilateral actors, particularly outside the framework of international humanitarian and criminal law. Second, in international relations in the twentieth century, global misdistributions of power and wealth have been primarily understood as a lack of justice between States. This is evident in the recurring calls for economic redistribution between Southern developing and Northern developed States. However, calls for economic and social justice have taken on a new dimension. Individuals or groups increasingly express their grievances against foreign States in direct terms. The foreign State is viewed as holding direct obligations to these individuals and groups. These claims by individuals and groups may overlap with those articulated by their own governments, but they do not necessarily do so, as individuals and groups may have quite divergent interests from their governments. The domestic State may be actively cooperating with foreign States or international regimes, or it may simply lack the interest or capacity to defend these diverse interests. In what follows, we look into the agenda-setting stage on the issue of extraterritorial human rights obligations.
II. Agenda-setting on extraterritorial human rights obligations In an initial period of agenda-setting – that defies any strict temporal circumscription, but that started somehow at the turn of the new Millennium – non-governmental organisations (NGOs), some United Nations human rights monitoring bodies and human rights scholars started to make the point that other actors than the territorial State, and in particular foreign States, do have human rights obligations beyond their national borders. Early academic work made that 16 H. Bull, The Anarchical Society, New York, Columbia University Press, 2002, pp. 254‑255 cited in C. Bailliet, “What is to Become of Human Rights Rule-Based International Order within an Age of Neo-Medievalism ?”, in C. Bailliet (ed.), Non-State Actors, Soft Law and Protective Regimes : From the Margins, Cambridge, Cambridge University Press, 2012. 17 J. Friedrichs, “The Meaning of New Medievalism”, European Journal of International Relations, Vol. 7, No. 4 (2001), p. 475.
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point with regard to foreign States,18 or States and intergovernmental actors in particular. Expanding the duty-bearer dimension of human rights law was explicitly argued from a North-South perspective,19 and could build on previous work that had been done on the references to international assistance and cooperation in the ICESCR in particular.20 Several non-governmental human rights organisations, among which the International Council on Human Rights Policy,21 FoodFirst Information and Action Network (FIAN), Médécins sans Frontières and 3D-> Trade – Human Rights – Equitable Economy, raised the issue too. FIAN, a human rights organization that focuses in particular on the right to food, started to include the issue in some of its parallel reports to the UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights (hereafter : CESCR).22 Other organizations, like 11.11.11 – Platform of the NorthSouth movement in Flanders, Belgium, followed suit. In 2003, 11.11.11 convened a broad coalition of development cooperation and human rights organizations to prepare a parallel report to the government report. Half of the parallel report was dedicated to extraterritorial obligations of Belgium in areas such as international cooperation and assistance, trade, investment and finance mechanisms, and the right to health.23 The Belgian parallel report was closely connected to the interest in introducing a human rights-based approach to development (cooperation), and to the fight for recognition of the justiciability of economic, social and cultural rights, in particular through the adoption of a complaints procedure to the ICESCR. Within the UN, it was mainly Special Rapporteurs – on health, education, food – who included extraterritorial obligations in their work.24 18
M. Gibney, K. Tomaševski, and J. Vedsted-Hansen, “Transnational State Responsibility for Violations of Human Rights”, Harvard Human Rights Journal, Vol. 12, Spring (1999), pp. 267‑295 ; S. Skogly and M. Gibney, “Transnational Human Rights Obligations”, Human Rights Quarterly, Vol. 24, No. 3 (2002), pp. 781‑798. 19 M. Salomon, A. Tostensen and W. Vandenhole (eds.), Casting the Net Wider : Human Rights, Development and New Duty-Bearers, Antwerp, Intersentia, 2007. 20 P. Alston and G. Quinn, “The Nature and Scope of States Parties’ Obligations under the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights”, Human Rights Quarterly, Vol. 9, No. 2 (1987), pp. 186‑192 ; M. Craven, The International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights – A Perspective on its Development, Clarendon, Oxford, 1995, pp. 144‑150 ; M. Sepúlveda, The Nature of the Obligations under the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, Intersentia, Antwerp, 2003, pp. 370‑377 ; S. Skogly, “The Obligation of International Assistance and Co-Operation in the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights’, in M. Bergsmo (ed.), Human Rights and Criminal Justice for the Downtrodden. Essays in Honour of Asbjørn Eide, Martinus Nijhoff, Leiden, 2003, pp. 403‑420. 21 International Council on Human Rights Policy, Duties sans Frontières. Human rights and global social justice, Versoix, 2003. 22 See e.g. on Germany, FIAN and others, Extraterritorial State Obligations, Document in the Form of a Written Report to the United Nations on the Effect of German Policies on Social Human Rights in the South, www.fian.org/fian/index. php ? option=com_doclight&Itemid=100&task=showdocument&dl_docID=37 ; on Norway, FIAN Norway and Church of Norway Council on Ecumenical and International Relations, Parallel Information. The Right to Adequate Food and the Compliance of Norway with its Extraterritorial Obligations, http://www.eldis.org/vfile/upload/1/document/0708/DOC18647.pdf (21 February 2013). 23 Joint Parallel Report of the Belgian Coalition of Civil Society for Economic, Social and Cultural Rights, UN Doc. E/C.12/ BE//NGO/3, see in particular pp. 11‑20, http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G07/447/73/PDF/ G0744773.pdf?OpenElement (21 February 2013). 24 E.g. : Interim Report of the Special Rapporteur on the Right to Education, 5 August 2011 (A/66/269), paras. 15-18 ; Report of the Independent Expert on the Effects of Foreign Debt and Other Related International Financial Obligations of States on the Full Enjoyment of all Human Rights, particularly economic, social and cultural rights, Cephas Lumina – Guiding Principles on Foreign Debt and Human Rights, 10 April 2011 (A/HRC/20/23), inter alia paras. 21-24 ; Report of the Special Rapporteur on the Right to Food, Mr. Olivier De Schutter. Addendum.
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Whereas the CESCR was among the first to recognize some aspects of extraterritorial human rights obligations, in particular in a North-South dimension,25 it has been rather reluctant to strongly engage with the issue in its concluding observations in the reporting procedure.26 A disconnect between general comments and concluding observations may characterise the Committee’s work more generally.27 However, in the case of extraterritorial human rights obligations, it may have been a deliberate choice of the Committee to remain vague, in order to avoid sharp confrontation with governments. One reason for the Committee’s cautious stance may be found in the fact that negotiations were conducted on an Optional Protocol to the ICESCR establishing a complaints procedure between 2004 and 2008.28 Raising simultaneously the question of justiciability of economic, social and cultural rights and their extraterritorial dimensions could have stalled the negotiations on the Optional Protocol. For, typically, extraterritorial human rights obligations get narrowed down in a more political setting to a human rights obligation to provide development assistance, as the following excerpts aptly illustrates :
Guiding Principles on Human Rights Impact Assessments of Trade and Investment Agreements, 19 December 2011 (A/RRC/19/59/Add.5), p. 7, Principle 2.6 ; Report of the Special Rapporteur on the Right to Food, Mr. Olivier De Schutter, The Role of Development Cooperation and Food Aid in Realizing the Right to Adequate Food : Moving from Charity to Obligation, 11 February 2009 (A/HRC/10/5), §§6-25 ; Report of the Special Rapporteur on the Right to Food, Olivier De Schutter- Building Resilience : a human rights framework for world food and nutrition security, 8 September 2008 (A/HRC/9/23), paras. 24-52 ; Report of the Special Rapporteur on the Right to Food, Jean Ziegler, 16 March 2006 (E/CN.4/2006/44), paras. 17-51 ; Report of the Special Rapporteur on the Right of Everyone to the Enjoyment of the Highest Attainable Standard of Physical and Mental Health, Paul Hunt, 11 February 2005 (E/CN.4/2005/51), paras. 62-66 ; The Right of Everyone to the Enjoyment of the Highest Attainable Standard of Physical and Mental Health. Report of the Special Rapporteur, Paul Hunt, 13 February 2003 (E/CN.4/2003/58), para. 28 ; The Right to Adequate Food and to Be Free from Hunger. Updated Study on the Right to Food, Submitted by Mr. Asbjørn Eide, 28 June 1999 (E/CN.4/Sub.2/1999/12), para. 131. 25 For the CESCR, see General Comment No. 3 (1990), The Nature of States parties’ Obligations (Art. 2, para. 1, of the Covenant), 14 December 1990 (E/1991/23), paras. 13-14 ; General Comment No. 4 (1991), The Right to Adequate Housing (Art. 11(1) of the Covenant), 13 December 1991(E/1992/23), para. 19 ; General Comment No. 8 (1997), The Relationship between Economic Sanctions and Respect for Economic, Social and Cultural Rights, 12 December 1997 (E/C.12/97/8), paras. 7-14 ; General Comment No. 11 (1999), Plans of Action for Primary Education (Art. 14), 10 May 1999 (E/C.12/1999/4), para. 9 ; General Comment No. 12 (1999), The Right to Adequate Food (Art. 11), 12 May 1999 (E/C.12/1999/5), paras. 36-41 ; General Comment No. 13 (1999), The Right to Education (Art. 13), 8 December 1999 (E/C.12/1999/10), paras. 56 and 60 ; General Comment No. 14 (2000), The Right to the Highest Attainable Standard of Health (Art. 12), 11 August 2000 (E/C.12/2000/4) paras. 38-42, 45 and 63-65 ; General Comment No. 15 (2002), The Right to Water (Arts. 11 and 12), 20 January 2003 (E/C.12/2002/11) para. 30-36, 38 and 60 ; General Comment No. 17 (2005), The Right of Everyone to Benefit From the Protection of the Moral and Material Interests Resulting From any Scientific, Literary or Artistic Production of Which he or she is the Author (Art. 15, Paragraph 1 (c) of the Covenant), 12 January 2006 (E/C.12/GC/17), paras. 36-38 ; General Comment No. 18, The Right to Work (Art. 6 ICESCR), 6 February 2006 (E/C.12/GC/18), paras. 29-30 ; General Comment No. 19, The Right to Social Security (Art. 9), 4 February 2008 (E/C.12/GC/19), paras. 52-58 ; General Comment No. 21, Right of Everyone to Take Part in Cultural Life (art. 15, para. 1 (a) of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights), 21 December 2009 (E/C.12/GC/21), paras. 56-59). 26 For an extensive analysis of the Committee’s work on extraterritorial obligations, see F. Coomans, “The Extraterritorial Scope of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights in the Work of the United Nations Committee on Economic, Social and Cultural Rights”, Human Rights Law Review, Vol. 11, No. 1 (2011), pp. 1‑35. 27 Compare M. Langford and J.E. King, “Committee on Economic, Social and Cultural Rights. Past, Present and Future’’, in M. Langford (ed.), Social Rights Jurisprudence. Emerging Trends in International and Comparative Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 480. 28 For more details, see Special Issue Norwegian Journal for Human Rights, Vol. 27, No. 1 (2009) ; C. Mahon, “Progress at the Front : the Draft Optional Protocol to the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights”, Human Rights Law Review, Vol. 8, No. 4 (2008), pp. 617‑646 ; A. Vandenbogaerde and W. Vandenhole, “The Optional Protocol to the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights : an Ex Ante Assessment of its Effectiveness in Light of the Drafting Process”, Human Rights Law Review, Vol. 10, No. 2 (2010), pp. 207‑237.
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Egypt (on behalf of the African Group), India, Nigeria and South Africa encouraged States to be innovative in their approach, emphasizing that international assistance was a legally binding obligation.29 The representatives of the United Kingdom, the Czech Republic, Canada, France and Portugal believed that international cooperation and assistance was an important moral obligation but not a legal entitlement, and did not interpret the Covenant to impose a legal obligation to provide development assistance or give a legal title to receive such aid.30
Therefore, raising extraterritorial human rights obligations could have easily politicized the debate on the Optional Protocol, with polarized positions of different regional blocs. The fear for politicization of the debate went beyond the discussion on the OP however. E.g., at its day of general discussion on resources for the rights of the child in 2007, attempts to also raise the question of extraterritorial human rights obligations were carefully blocked, allegedly in order not to politicize the debate.31
III. Standard-setting Although not neatly distinguishable from the agenda-setting period, there has been a clear-cut shift in literature and NGO work from making the point that extraterritorial human rights obligations are an issue, to attempts to clarify the scope, meaning and legal basis of these obligations, thereby laying the groundwork for standard-setting on the issue. The establishment of an ETO Consortium (Extra-Territorial Obligations Consortium) in 2006-2007 may bear testimony of that shift, but has at the same time been instrumental in consolidating that shift, by bringing together leading scholars on the issue and a broad range of NGOs. While the debate on jurisdiction and the case-law of the European Court of Human Rights on extraterritorial obligations in the area of civil and political rights at times dominated the debate,32 29
Report of the Open-Ended Working Group on an optional protocol to the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights on its fourth session (Geneva 16-27 July 2007), 30 August 2007 (A/HRC/6/8), para. 164. Report of the Open-Ended Working Group to Consider Options Regarding the Elaboration of an Optional Protocol to the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights on its second session, 21 February 2005 (E/CN.4/2005/52), para. 76. 31 In fairness, the Committee’s recommendations that followed from this day of general discussion do contain explicit language on international cooperation, in particular in paras. 50-52, www2.ohchr.org/english/bodies/crc/ docs/discussion/recommendations2007.doc (21 February 2013). 32 See e.g. the volume edited by F. Coomans and M. Kamminga, Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Antwerp, Intersentia, 2004 ; M. Gondek, The Reach of Human Rights in a Globalising World : Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Antwerp, Intersentia, 2009 (although both do pay some attention to economic, social and cultural rights). Further work on civil and political rights and the issue of jurisdiction includes V. Mantouvalou, “Extending Judicial Control in International Law : Human Rights Treaties and Extraterritoriality”, International Journal of Human Rights, Vol. 9, No. 2 (2005), pp. 147‑163 ; D. Kamchibekova, “State Responsibility for Extraterritorial Human Rights Obligations”, Buffalo Human Rights Law Review, Vol. 13 (2007), pp. 87‑149 ; K.M. Larsen, “Attribution of Conduct in Peace Operations : The ‘Ultimate Authority and Control’ Test”, The European Journal of 30
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the ETO Consortium managed to steer away from such a reductionist take on the issue, without over-emphasizing the differences between civil and political rights on one hand, and economic, social and cultural rights on the other hand though. The ETO Consortium held intense deliberations and repeatedly met in the 20082011 period (in Heidelberg, Lancaster and Antwerp) to discuss cross-cutting questions of attribution and distribution of responsibility, and accountability, and to engage with real-life cases that illustrated the necessity and complexity of addressing extraterritorial human rights obligations. The 2009 Lancaster meeting paved the way for the establishment of an independent Drafting Group of principles on extraterritorial human rights obligations in the area of economic, social and cultural rights, the Maastricht Principles (see further below).33 These Maastricht Principles are the continuation of a strong tradition of landmark documents in the field of economic, social and cultural rights (hereafter : ESC rights). In 1986, the Limburg Principles on the Implementation of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights were adopted.34 They spelled out the nature and scope of the obligations of States Parties. In 1997, the Maastricht Guidelines on Violations of Economic, Social and Cultural Rights were adopted.35 An academic network on the issue, Beyond Territoriality : GLObalisation and Transnational Human Rights Obligations (GLOTHRO), a Research Networking Programme funded by the European Science Foundation (ESF, 2010-2014) was launched in 2010. Whereas formal membership is constrained by ESF rules, the stated ambition of the academic network is to bring together existing scholarship on the issue and to attract new scholarship, so as to establish a research community.36 The ETO Consortium and GLOTHRO have a partly overlapping membership, which has facilitated mutual reinforcement of both networks. A joint working group meeting of the drafting group and Consortium steering committee on the one hand, and of GLOTHRO on the other hand, was held in November 2010, and International Law, Vol. 19, No. 3 (2008), pp. 509‑531 ; R. Wilde, “Triggering State Obligations Extraterritorially : The Spatial Test in Certain Human Rights Treaties”, in R. Arnold and N. Quénivet (eds.), International Humanitarian Law and Human Rights Law. Towards a New Merger in International Law, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff, 2008, pp. 133‑153 ; M. Milanovic, Extraterritorial Application of Human Rights Treaties. Law, Principles, and Policy, Oxford, Oxford University Press, 2011 ; S. Besson, “The Extraterritoriality of the European Convention on Human Rights : Why Human Rights Depend on Jurisdiction and What Jurisdiction Amounts to”, Leiden Journal of International Law, Vol. 25, No. 4 (2012), pp. 872‑873. 33 The Drafting Group also wrote an extensive commentary on the Maastricht Principles : O. De Schutter, A. Eide, A. Khalfan, M. Orellana, M. Salomon and I. Seiderman, “Commentary to the Maastricht Principles on Extraterritorial Obligations of States in the Area of Economic, Social and Cultural Rights”, Human Rights Quarterly, Vol. 34, No. 4 (2012), pp. 1084‑1169. 34 The Limburg Principles on the Implementation of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights were adopted in 1986 in Maastricht. The Limburg Principles have been published in E/C.12/2000/13 ; 2 October 2000 and Human Rights Quarterly, Vol. 9, No. 2 (1987), pp. 122‑135. 35 The Maastricht Guidelines on Violations of Economic, Social and Cultural Rights were agreed upon by a group of experts on the occasion of the 10th anniversary of the Limburg Principles in 1997. The Maastricht Guidelines can be found in UN Doc. E/C.12/2000/13, Human Rights Quarterly, Vol. 20, No. 3 (1998), pp. 691‑704 and in : T. van Boven, C. Flinterman and I. Westendorp (eds.), The Maastricht Guidelines on Violations of Economic, Social and Cultural Rights. Proceedings of the Workshop of Experts organised by the International Commission of Jurists (Geneva, Switzerland), the Urban Morgan Institute on Human Rights (Cincinnati, USA) and the Maastricht Centre for Human Rights of Maastricht University, 22-26 January 1997, SIM-Special No. 20, SIM, Utrecht, 1998, pp. 1‑12. 36 For more information, see www.glothro.org.
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the 2011 Consortium meeting took place back to back with the GLOTHRO stocktaking conference in May 2011, in Antwerp. Scholarly work on extraterritorial human rights obligations gained momentum in the mid-2000s, and attention was increasingly directed at defining the legal basis, nature and scope of extraterritorial human rights obligations (mainly but not exclusively in the area of economic, social and cultural rights), either by looking at it right-by-right,37 or by investigating cross-cutting issues of causation, attribution and distribution of responsibility, and accountability and remedies.38 There equally emerged a small but important body of work on extraterritorial human rights obligations in the area of civil and political rights, sometimes with a particular focus such as migration.39 Furthermore, the question of extraterritoriality in the area of children’s rights was examined.40 In addition, questions of accountability and amenability of extraterritorial obligations to litigation have been addressed, in particular under the OP-ICESCR.41 We may now gradually enter a new stage, in which the application of the principles (in particular as ‘codified’ in the Maastricht Principles) gains centre stage, either in real-life cases or in hypothetical legal opinions and judgments.42 The publication with hypothetical legal opinions and judgments also reflects another new development, i.e. that of moving beyond the extraterritorial obligations of foreign states, to also include human rights obligations of international organisations and non-state actors. These obligations have been coined transnational.43
37
Gibney and Skogly, supra note 11, covering the right to life, the prohibition of torture, environmental rights, the right to health, the right to food, the right to water, the right to housing and labour rights ; M. Mustaniemi-Laakso, “The Right to Education : Instrumental Right Par Excellence”, in M.E. Salomon, A. Tostensen and W. Vandenhole (eds.), Casting the Net Wider : Human Rights, Development and New Duty-Bearers, Antwerp, Intersentia, 2007, pp. 331‑352. 38 The latter exercise was initiated in 2008 at an exploratory workshop in Tilburg, and culminated in an edited volume, M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013. 39 T. Gammeltoft-Hansen, Access to Asylum : International Refugee Law and the Globalisation of Migration Control, Cambridge, CUP, 2011 ; M. Milanovic, Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Law, Principles, and Policy, Oxford, OUP, 2011 ; and M. den Heijer, Europe and Extraterritorial Asylum, Oxford, Hart, 2012. 40 M. Wabwile, Legal Protection of Social and Economic Rights of Children in Developing Countries. Reassessing International Cooperation and Responsibility, Antwerp, Intersentia, 2010 ; W. Vandenhole, “Economic, Social and Cultural Rights in the CRC : Is There a Legal Obligation to Cooperate Internationally for Development ?”, International Journal of Children’s Rights, Vol. 17, No. 1 (2009), pp. 23‑63. 41 M. Sepúlveda, “Obligations of ‘international assistance and cooperation’ in an Optional Protocol to the International Covenant on Economic, Social and Cultural, Rights”, Netherlands Quarterly of Human Rights, Vol. 24, No. 2 (2006), pp. 271‑303 ; C. Courtis and M. Sepúlveda, “Are Extra-Territorial Obligations Reviewable under the Optional Protocol to the ICESCR ?”, Nordic Journal of Human Rights, Vol. 27, No. 1 (2009), pp. 54‑63. 42 See F. Coomans and R. Künneman, Cases and Concepts on Extraterritorial Obligations in the Area of Economic, Social and Cultural Rights, Cambridge, Intersentia, 2012 and M. Gibney and W. Vandenhole (eds.), Litigating Transnational Human Rights Obligations : Alternative Judgments, London, Routledge, 2014. The former presents case studies that were developed through the work of the Consortium. The latter provides a legal analysis of transnational obligations based on various concrete fact situations. 43 See Glothro and Vandenhole, supra note 8.
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IV. Substantive issues As discussed above, there is meanwhile a growing literature on extraterritorial human rights obligations, that far from being mainstreamed, nevertheless increasingly impacts on new research proposals and scholarly thinking. In what follows, we map the state of the art, as reflected in literature and in the Maastricht Principles. We structure the analysis along the lines of five themes : legal basis ; attribution of extraterritorial conduct to a state ; the scope or extent of extraterritorial obligations ; the attribution of responsibility for an internationally wrongful act ; and the distribution of responsibility (in its plain and general meaning, not in its international law meaning of responsibility for a wrongful act) among States, i.e. what are the obligations incumbent on the territorial State and on foreign States.
A. Legal basis and status There is no straight-forward, unequivocal recognition of extraterritorial human rights obligations in any of the human rights treaties. Therefore, it does not come as a surprise that much of scholarship on extraterritorial human rights obligations has been about arguing that extraterritorial human rights obligations do exist.44 As to treaty law, one line of argument has been that some international human rights standards are not as territorially limited as presumed : extraterritorial obligations have simply gone unarticulated.45 In some instances, there is indeed no explicit spatial limitation, such as in the ICESCR, the four Geneva Conventions and the Genocide Convention, none of which contain a jurisdiction clause. The dominant trend in literature has been to argue that the ICESCR does contain extraterritorial obligations.46 The ICJ however has hypothesized in passim that the absence of a jurisdictional clause in the ICESCR might be explained by the fact that it guarantees rights ‘which are essentially territorial’.47 This hypothesis, which is not substantiated, is difficult to reconcile with the multiple references to international assistance and cooperation in the same Covenant. The International Court of Justice (ICJ) has read an extraterritorial positive obligation in common article 1 of the Geneva Conventions : “It follows from that provision that every State party to that Convention, whether or not it is a party to a specific conflict, is under an obligation to ensure that the requirements of the instruments in question are 44 For an overview of the arguments, see M. Langford, F. Coomans and F. Gómez Isa, “Extraterritorial Duties in International Law”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 51‑113. 45 Skogly, supra note 3. 46 For an early example, see F. Coomans, “Some Remarks on the Extraterritorial Application of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights”, in F. Coomans and M. Kamminga, Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Antwerp, Intersentia, 2004, pp. 183‑199. 47 ICJ, Advisory Opinion Concerning Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory, 9 July 2004, para. 112.
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complied with.”48 The existence of a negative duty had earlier been identified by the ICJ in the Nicaragua judgment : ‘The Court considers that there is an obligation on the United States Government, in the terms of Article 1 of the Geneva Conventions, to “respect” the Conventions and even “to ensure respect” for them “in all circumstances”.’ It was argued that this rule did not only derive from the Geneva Conventions themselves, but also from the general principles of humanitarian law.49 Similarly, the ICJ held in the Bosnia case that the rights and obligations enshrined by the 1950 Genocide Convention are rights and obligations erga omnes, and that the obligation each state has to prevent and to punish the crime of genocide is not territorially limited by the Convention.50 Craven has pointed out that this judgment ‘does (…) raise the possibility that, absent a jurisdictional clause, human rights treaty obligations may generally be regarded as extending to all acts of state irrespective of where they may be taken as having effect.’51 Regional monitoring bodies and courts, and United Nations treaty bodies are increasingly used to test extraterritorial claims. The European Court of Human Rights has consistently argued that jurisdiction is primarily territorial, thereby limiting – though not necessarily excluding – extraterritorial human rights obligations (see below under the attribution of extraterritorial conduct).52 The inter-American Commission on Human Rights, using the criterion of exercise of authority or control over persons by agents of the State, has held that Colombia exercised extraterritorial jurisdiction during the period that its troops operated on Ecuadorian soil.53 The UN treaty bodies have been paying more attention to the issue in their periodic review of state reports and general comments. The Human Rights Committee has clearly accepted that the Covenant rights must be guaranteed to “anyone within the power or effective control of [a] State party, even if not situated within the territory of the State party”, including to “those within the power or effective control of the forces of a State Party acting outside its territory, regardless of the circumstances in which such power or effective control was obtained, such as forces constituting a national contingent of a State Party assigned to an international peace-keeping or peace-enforcement operation.”54 The CESCR has been most explicit in recognizing extraterritorial obligations, which it has coined ‘international obligations’, in a good deal of its general comments.55 As far as litigation on extraterritorial obligations in the area of ESC 48
Ibidem, para. 158. ICJ, Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), Judgement of 27 June 1986, ICJ Reports (1986), p. 114, para. 220. 50 ICJ, prel obj, Case concerning Application of the Convention on the Prevention and Punishment of Genocide (Bosnia-Herzegovina v. Yugoslavia), (11 July 1996), ICJ Reports (1996), p. 616, para. 31. 51 M. Craven, “Human Rights in the Realm of Order : Sanctions and Extraterritoriality”, in F. Coomans and M. Kamminga (eds.), Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Antwerp, Intersentia, 2004, p. 251. 52 For the most recent Grand Chamber Judgment, see ECt.HR (GC), judgment Al-Skeini and others v. United Kingdom of 7 July 2011 (appl. No. 55721/07). 53 IAComHR, adm. Decision, Franklin Guillermo Aisalla Molina v. Ecuador of 21 October 2010 (IP 02), paras. 98-102. 54 HRC, General Comment 31 (2004), The Nature of the General Legal Obligation Imposed on States Parties to the Covenant, 26 May 2004 (CCPR/C/21/Rev.1/Add. 13), para. 10. 55 For an analysis, see M. Langford, F. Coomans and F. Gómez, “Extraterritorial Duties in International Law”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 51‑113 ; F. Coomans, “The Extraterritorial Scope of the International Covenant on Economic, Social and 49
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rights is concerned, it may be just a matter of time before the first cases come up. Much may depend e.g. on the CESCR’s ability and willingness to deal with extraterritorial claims under the Optional Protocol to the ICESCR, that entered into force in May 2013.56 In addition, the arguments for viewing human rights – and as far as ESC rights are concerned, at least the minimum core – within international customary law have strengthened considerably. A similar exercise could be undertaken to see whether general principles of law allow for the recognition of extraterritorial obligations.57 The Maastricht Principles are relatively silent and vague on the legal status of extraterritorial obligations. They are quite vague on their own legal status, and remain almost silent on the sources they draw on. Whereas the Limburg Principles were said to be believed by the participants to reflect the then present state of international law, except when otherwise indicated, the Maastricht Principles only make a vague claim that they are “[d]rawn from international law” (Preambular para. 8). Nor is the legal basis for extraterritorial obligations clearly spelt out : reference is simply made to the “[e]conomic, social and cultural rights and the corresponding territorial and extraterritorial obligations [that] are contained in the sources of international human rights law, including the Charter of the United Nations ; the Universal Declaration of Human Rights ; the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights ; and other universal and regional instruments” (Principle 6). The Commentary does not shed much additional light on this question, although the usual references to art. 56 UN Charter, to art. 28 Universal Declaration of Human Rights, to references to international assistance and cooperation in some UN core human rights treaties, and to customary law are reiterated.58 In conclusion, it is clear that the field of extraterritorial human rights obligations is in an evolutionary phase and that there have been considerable doctrinal and institutional advances. In the area of civil and political rights, extraterritorial human rights obligations have been explicitly recognized in litigation, albeit in (too) restricted and circumscribed cases. In the area of ESC rights, there is a need for bodies such as the CESCR and the Committee on the Rights of the Child to recognize and clarify more systematically the notion of extraterritorial obligations. Cultural Rights in the Work of the United Nations Committee on Economic, Social and Cultural Rights”, Human Rights Law Review, Vol. 11, No. 1 (2011), pp. 1‑35 ; W. Vandenhole, “Third State Obligations under the ICESCR : a Case Study of EU Sugar Policy”, Nordic Journal of International Law, Vol. 76, No. 1, (2007), pp. 88‑91 ; W. Vandenhole, “EU and Development : Extraterritorial Obligations under the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights”, in M.E. Salomon, A. Tostensen and W. Vandenhole (eds.), Casting the Net Wider : Human Rights, Development and New Duty-Bearers, Antwerpen, Intersentia, 2007, pp. 92‑97 ; R. Hennessy, “Defining States’ International Legal Obligations to Cooperate for the Achievement of Human Development : One Aspect of Operationalising a Human Rights-Based Approach to Development”, in M. Scheinin and M. Suksi (eds.), Human Rights in Development Yearbook 2002. Empowerment, Participation, Accountability and Non-Discrimination : Operationalising a Human Rights-Based Approach to Development, Leiden, Martinus Nijhoff, 2005, pp. 79‑88. 56 On the possibility for this, see earlier references in note 41. 57 See Langford, Coomans and Gómez, note 55, pp. 65‑73 ; Skogly, supra note 45, pp. 109‑134. 58 De Schutter et alii, supra note 33, pp. 1090‑1096.
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B. Assigning obligations – Determining duty-holders Assigning particular obligations to a foreign State logically precedes the question as to whether that foreign State can subsequently be held responsible for a violation or infringement of a human right (i.e. constituting an internationally wrongful act). The role of the concept of jurisdiction has been disputed.59 For sure, the notion of jurisdiction in international human rights law differs from the same term in general international law. The latter imputes sovereign responsibility and the former restrains the exercise of sovereign power. It remains unsettled though what role jurisdiction plays in human rights law, how it is defined and how widely it extends. There are broadly speaking three positions. For some, it is part of assigning obligations ; for others it attributes responsibility for a wrongful act. Scheinin merely views it as a general term to describe the different parts of the existing procedures of international law and adjudication. Here, it is seen as playing a role in assigning obligations rather than in establishing responsibility. This is in line with the way the ECt.HR has used it, and with the way it seems to have been understood in the Maastricht Principles.60 “The limits of a State’s jurisdiction regarding civil and political rights have often, but not always, been constructed on the concept of some sort of ‘physicalised’ relationship – for example, armed occupation or an arrest by agents.”61 As amply discussed elsewhere, the exercise of effective and overall control over territory or persons brings the persons affected under the jurisdiction of that (foreign) State, as e.g. the ECt.HR and the Human Rights Committee have held.62 A broader understanding of extraterritorial jurisdiction can be found in the case-law of the Inter-American Commission of Human Rights. In deciding a case under the American Declaration of Human Rights – which does not contain a jurisdictional clause – it has accepted that downing civil planes by military aircrafts brought the individuals in the civil planes under the jurisdiction of the state to which the military aircrafts belonged.63 It has thus introduced the principle that states are responsible for the (extraterritorial) conduct of their agents that adversely affects individuals in another state. Cerna has coined this a ‘cause and effect’ theory of jurisdiction.64 59
See the different strands as presented in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten, “Introduction. An Emerging Field”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 14‑16. 60 De Schutter et alii, supra note 33, p. 1110. 61 Langford, Vandenhole, Scheinin and van Genugten, supra note 1, p. 9. 62 See e.g. De Schutter et alii, supra note 33, pp. 1106‑1108 ; M. den Heijer and R. lawson, “Extraterritorial Human Rights and the Concept of ‘Jurisdiction’”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 153‑191. 63 IACHR, Armando Alejandro jr. and others v. Cuba, Report No. 86/99 of 29 September 1999 (No. 11.589), Ann. Rep. IACHR 1999. 64 C.M. Cerna, “Extraterritorial Application of the Human Rights Instruments of the Inter-American System”, in F. Coomans and M. Kamminga (eds.), Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Antwerp, Intersentia, 2004, p. 158.
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Besson has put forward what she calls a “political notion of jurisdiction”. Jurisdiction is for her about de facto legal and political authority, and consists of three constitutive elements : not only effective power and overall control, but also an appeal for compliance. The latter is also referred to as the normative-guidance element. Key to her argument is that jurisdiction cannot be reduced to effective and overall control only, but needs this normative-guidance element of reasongiving or an appeal for compliance. In building her argument, she strongly draws on democratic theory, in which affectedness is not enough, but where normative subjectedness is required. Besson submits that the European Court of Human Rights’ case-law endorses these three constitutive elements.65 Whereas Besson’s normative plea for the inclusion of a normative-guidance constitutive element in conceptualising jurisdiction seems to give it a rather narrow meaning – merely being affected is not enough, and e.g. some military operations may not be understood as an exercise of jurisdiction due to the absence of the normative-guidance element – she does admit that the “existence of state jurisdiction is not easy to assess in practice”66. Much will depend also on how the constitutive elements are interpreted in practice, in concrete cases.67 Is there a different departure point for ESC rights ? In the latter case, the element of direct physical control or effect is often not required for a State to produce a negative impact.68 Likewise, there is no appeal for compliance. For instance, subsidies for domestic production or incentives for production of certain crops such as biofuels may have global effects on livelihood and environmental rights. Does this make the establishment of jurisdiction more difficult ? Or even more fundamentally, should we abandon the notion of jurisdiction in the area of economic, social and cultural rights, the more so that the ICESCR does not refer to it ? There has been heated debate on the relevance of jurisdiction in the area of economic, social and cultural rights within the scholarly community and the ETO Consortium. In many ways, it was the infamous ‘elephant in the room’ in many discussions on extraterritorial human rights obligations in the area of ESC rights. For some, any mention of jurisdiction would unavoidably carry with it the unduly restrictive meaning given to it in civil and political rights litigation, as pointed out once more in the Commentary to the Maastricht Principles : “Jurisdiction has served notoriously as a doctrinal bar to the recognition and discharge of human rights obligations extra-territorially.”69 For others, the notion of jurisdiction was simply unavoidable in the attribution of obligations. For them, the challenge rather lied in keeping the concept’s meaning open enough. In the end, the Maastricht Principles seem to have settled (pragmatically at least) the question in favour of the position that it is a concept that guides the 65
Besson, supra note 32, pp. 872‑873. Ibidem, p. 874. 67 Ibidem, pp. 857‑884. 68 Although this is sometimes the case for civil and political rights, the potential for some acts to have widespread socio-economic consequences means that the concept of jurisdiction requires close interrogation. 69 De Schutter et alii, supra note 33, p. 1105. 66
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assigning of obligations. Maastricht Principle 9 on the scope of jurisdiction reads : “A State has obligations to respect, protect and fulfil economic, social and cultural rights in any of the following […].” (emphasis added) This is also confirmed in the Commentary, which explains under Principle 8 on which basis a “state’s extraterritorial obligations in the area of human rights may arise”. (emphasis added)70 Whether one begins or ends with jurisdiction, the key question is the type of test to apply. At one end is the approach that tends towards ‘overall control’ and ‘effective control’ tests – to which Besson adds an appeal for compliance as a third cumulative element. The institutional powers of a State over territory, persons or possible situations are determined independently of the particular act or omission in question. At the other end is a contextual and inductive perspective that leans towards attributive or ‘facticity’-based tests. Here, the focus is on the actual or potential use of power and its effects on rights-holders. Strict control-oriented tests can be questioned on both normative and legal grounds. They appear to permit States to violate human rights abroad with impunity, which raises not only ethical concerns but frustrates the object, purpose and arguably the wording of international human rights standards. The Maastricht Principles do refer to the notion of jurisdiction, but give it a very broad meaning, including situations over which a State exercises authority or effective control ; situations over which State actions or omissions bring about foreseeable effects, and situations in which a State is in a position to exercise decisive influence or to take measures to realize ESC rights extraterritorially (Principle 9). This compromise may have put the debate largely to rest whether to use the notion of jurisdiction at all in the area of economic, social and cultural rights. That seems more and more accepted as appropriate, or at least unavoidable. The concept’s meaning may still be open to debate though : the Maastricht Principles have stretched the meaning of jurisdiction that far, that some may argue it has been overstretched. In particular the inclusion of situations where a State is simply in a position to take measures to further economic, social and cultural rights as bringing about obligations for that State, seems to go beyond any emerging doctrinal consensus, and may have far-reaching implications in practice. Logically, the latter ground for jurisdiction had to be included because of the recognition of obligations of a global character in the Maastricht Principles.71 If one accepts obligations of a global character to realize human rights universally, regardless of any notion of causation or effect through acts or omissions, and if one still wants to use the concept of jurisdiction to assign obligations, a very broad notion of jurisdiction appears inevitable. Interestingly, while Besson criticizes the Maastricht Principles for considering authority and effective control as interchangeable concepts,72 she does not take issue with the broadening of the meaning of jurisdiction as such. 70
Ibidem, p. 1101. This is explicitly acknowledged in the De Schutter et alii, supra note 33, p. 1109. Besson, supra note 32, p. 872.
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C. Scope of extraterritorial obligations How far do extraterritorial obligations stretch ? How far should States go in cooperating internationally for the fulfilment of ESC rights, from provision of access to intellectual property to the provision of development assistance ? To which degree must States regulate the extraterritorial activities of multinational corporations registered in their jurisdiction or influence the activities of international financial organisations such as the World Bank or the International Monetary Fund (IMF) ? When must they refrain themselves from committing extraterritorial acts that produce negative consequences ? In what follows, we discuss the scope of extraterritorial obligations along the tripartite typology of obligations to respect, protect and fulfil. The obligation to respect can be seen as a negative obligation, while the obligations to protect and fulfil are generally considered to be positive obligations.
1. Obligation to Respect There is a fair degree of clarity that negative obligations can be most easily incorporated into the existing international human rights architecture, both procedurally and substantively. There is a rise in the number of cases of this nature, and many of the General Comments of the CESCR specifically raise this issue, e.g., ensuring sanctions regimes take into account ESC rights73 or ensuring that food or water embargoes or similar measures are avoided at all times.74 The Maastricht Principles emphasize under the heading “Obligation to avoid causing harm” that “States must desist from acts and omissions that create a real risk of nullifying or impairing the enjoyment of economic, social and cultural rights extraterritorially.” (MP 13)75 This is echoed in Principle 20 on direct interference from which states must refrain. A specific application of this principle can be found in sanctions (Principle 22). In addition, it is said that States must refrain from indirect interference, i.e. conduct that “impairs the ability of another State or international organisation to comply” with their obligations and conduct that “aids, assists, directs, controls or coerces another State or international organisation to breach” their own obligations.
2. Obligation to Protect Secondly, some positive obligations, in particular those that articulate obligations to protect, have been spelt out in treaties. E.g., art. 10 of the Optional Protocol to the Convention on the Rights of the Child on the sale of children, child prostitu73
CESCR, General Comment No. 8, supra note 25, paras. 12-14. CESCR, General Comment No. 12, supra note 25, para. 32. See also De Schutter et alii, supra note 33, pp. 1112‑1113.
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tion and child pornography, provides that States’ parties must take steps to cooperate for the “prevention, detection, investigation, prosecution and punishment of those responsible” for the sale of children, child prostitution, child pornography and child sex tourism.76 The extent of the obligation to regulate corporations or control international organisations is contested. Ruggie argued that, “States are not generally required under international human rights law to regulate the extraterritorial activities of businesses domiciled in their territory.”77 He believed though that there were good normative and policy reasons for regulation and that it was legally permissible to regulate.78 Ruggie’s legal position is difficult to sustain. He bases his narrow conclusion on the grounds that State obligations are limited by territory and/or jurisdiction clauses within certain international human rights treaties, but this ignores the absence of such phrases in treaties or provisions that address ESC rights and positive obligations (which include the obligation to protect). Ryngaert argues that where there is a strong connection between an affected rights holder in a host State and the activities of a corporation in the home State, jurisdiction of the home State over the corporation is automatically triggered, making regulation compulsory. Drawing on the jurisprudence of the ICJ, he argues that a State is required to act with due diligence in regulating such a corporation but that this varies according to its capacity to influence, its proximity to the corporation and its direct links (if any) with the corporation’s activities (e.g. provision of insurance or credit supports).79 Narula similarly arrives at a due diligence standard for regulation of corporations and extends this to the activities of IFIs that States have the capacity to influence.80 Thus, the due diligence standard with its emphasis on capacity to influence becomes a useful means of detailing the scope of legal obligations.81 The Maastricht Principles introduce under the obligations to protect, in addition to an obligation to regulate, a soft obligation (“should”) to exercise influence when States are in a position to do so. The obligation to regulate is defined as follows in Principle 24 : All States must take necessary measures to ensure that non-State actors which they are in a position to regulate […], such as private individuals and organisations, and transnational corporations and other business enterprises, do not nullify or impair the enjoyment of economic, social and cultural rights. […] 76
For an extensive discussion, see Vandenhole, supra note 6, pp. 34‑38. UN Human Rights Council, Report of the Special Representative of the Secretary-General on the Issue of Human Rights and Transnational Corporations and Other Business Enterprises, John Ruggie (21 March 2011) (A/HRC/17/31), p. 7. 78 Ibidem, pp. 7‑13. 79 R. Ryngaert, “Jurisdiction : Towards a Reasonableness Test”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 192‑211. 80 Narula, supra note 2, pp. 114‑149. 81 See e.g. also O. De Schutter, “Extraterritorial Jurisdiction as a tool for improving the Human Rights Accountability of Transnational Corporations”, http://cridho.uclouvain.be/documents/Working.Papers/ExtraterrRep22.12.06.pdf (15 April 2013) ; D.M. Chirwa, “The Doctrine of State Responsibility as a Potential Means of Holding Private Actors Accountable for Human Rights”, Melb. J. Int’l L., Vol. 5, No. 1 (2004), pp. 11‑18. 77
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A State is considered to be in a position to regulate in five circumstances in particular.82 Some are of a general character, i.e. when the harm or threat of harm originates from or occurs on its territory ; when the non-State actor has its nationality ; or when there is a reasonable link between that State and the conduct it seeks to regulate. One position focuses on business enterprises in particular, i.e. “where the corporation, or its parent or controlling company, has its centre of activity, is registered or domiciled, or has its main place of business or substantial business activities, in the State concerned.” Finally, one basis for protection does not refer to a link between the non-State actor and the State concerned, but refers to the importance of the norm that is violated, i.e. when a violation of a peremptory norm of international law takes place and where “such a violation also constitutes a crime under international law”, the State “must exercise universal jurisdiction over those bearing responsibility or lawfully transfer them to an appropriate jurisdiction.” All in all, the Maastricht Principles seek to move beyond a narrow understanding of a State’s entitlement and even obligation to regulate non-State actors. In addition, the Maastricht Principles introduce a fallback position for these instances in which a State is not in a position to regulate the conduct of non-State actors, by introducing a soft obligation to influence the conduct of non-State actors, e.g. through public procurement or diplomacy (Maastricht Principle 26). Support for some aspects of the obligations to regulate and to influence business enterprises can be found in the UN Guiding Principles on Business and Human Rights.83 The Committee on the Rights of the Child for its part, in its 2013 General Comment on State Obligations Regarding the Impact of the Business Sector on Children’s Rights, echoes very much the principles established in the Maastricht Principles, arguing that the CRC “does not limit a State’s jurisdiction to ‘territory’.”84 It submits that States have “obligations to engage in international co-operation towards the realisation of children’s rights beyond their territorial boundaries. […] thus realisation of [CRC] provisions should be of major and equal concern to both host and home States of business enter prises.”85 Complementary to the host State’s primary responsibility, home States are said to also have obligations “to respect, protect and fulfil children’s rights in the context of businesses’ extra-territorial activities and operations provided that there is a reasonable link between the State and the conduct concerned.”86 What constitutes a reasonable link is clarified with an explicit reference to Maastricht Principle 25. Whereas an earlier draft adopted the two-pronged protection 82 These are said to be the classic bases (De Schutter et alii, supra note 33, p. 1138) ; for further elaboration, see O. De Schutter, “Sovereignty-plus in the Era of Interdependence : Towards an International Convention on Combating Human Rights Violations by Transnational Corporations”, in P.H.F. Bekker, R. Dolzer and M. Waibel (eds.), Making Transnational Law Work in the Global Economy : Essys in Honour of Detlev Vagts, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, pp. 245‑284. 83 For details, see De Schutter et alii, supra note 33, pp. 1138‑1144. 84 Committee on the Rights of the Child, General Comment No. 16 (2013) on State Obligations Regarding the Impact of the Business Sector on Children’s Rights, 15 March 2013 (CRC/C/GC/16), para. 39. 85 Ibidem, para. 41. 86 Ibidem, para. 43.
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obligation approach as the Maastricht Principles, i.e. as an obligation to regulate, or if not in that position, to influence conduct of business enterprises in order to prevent extra-territorial abuses, the finally adopted text emphasizes access to remedies and prevention.87
3. Obligation to Fulfil As to the obligation to fulfil, more recent treaties have gone beyond the general obligation of international cooperation and assistance.88 The 1989 Convention on the Rights of the Child (CRC), the 2000 OPAC89 and OPSC90 and the 2006 Convention on the Rights of Persons with Disabilities (CRPD) in particular are more explicit in the nature of international obligations in the context of development. The latter in particular promotes a human rights-based approach to international cooperation in both the design of programmes and activities. This trend is equally apparent, and more specific, in the interpretive and monitoring work of UN human rights treaty bodies. States have been asked to (1) ensure that food aid does not adversely affect local producers and local markets but instead facilitates the return to food self-reliance, (2) provide disaster relief and humanitarian assistance in times of emergency, (3) ensure an equitable distribution of world food supplies in relation to need. Where a state party is clearly lacking in the financial resources and/or expertise required to ‘work out and adopt’ a detailed plan of action for primary education, the international community has a clear obligation to assist.91 To comply with their extraterritorial obligations in relation to the right to work, states are to promote the right to work in other countries as well as in bilateral and multilateral negotiations.92 It has also submitted that states and international organisations have a joint and individual responsibility to cooperate in providing disaster relief and humanitarian assistance in times of emergency.93 With regard to the CRC, Northern States parties have been advised that the CRC “should form the framework for international development assistance related directly or indirectly to children and that programs of donor States should be rights-based.” They are also urged to meet internationally agreed targets, including the United Nations target for international development assistance of 0.7 per cent of gross domestic product (GDP). States parties are expected “to be able to identify on a yearly basis the amount and proportion of international support 87
Ibidem, paras. 44-45. This is expressed in Article 2(1) of the ICESCR, for example. Some other articles of the treaty provide more specific detail (e.g. with the right to freedom from hunger and cultural rights). 89 Art. 7 OPAC : the rehabilitation and social reintegration of persons who are victims of acts contrary thereto, including through technical cooperation and financial assistance. 90 Art. 10(3) OPAC : to assist child victims in their physical and psychological recovery, social reintegration and repatriation, but also in order to address the root causes, such as poverty and underdevelopment. 91 CESCR, General Comment No. 11, supra note 25, para. 9. 92 CESCR, General Comment No. 18, supra note 25, para. 30. 93 CESCR, General Comment No. 14, supra note 25, para. 40 ; CESCR, General Comment No. 12, supra note 25, para. 38. 88
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earmarked for the implementation of children’s rights.”94 Developed States are encouraged to provide technical assistance in the implementation process of the CRC.95 In the periodic review of State reports, States have been asked to justify their internal allocations of development assistance (from the perspective of rights in different treaties, in particular ICESCR,96 97 CRC), to give sufficient priority to certain issues (e.g. housing rights or the social sectors) and particular groups (e.g. refugees and internally displaced persons and children), or to consider new policies (e.g. debt conversion and forgiveness measures).98 Not surprisingly, the scope of the extraterritorial obligation to fulfil, and in particular an obligation to provide international development assistance, is the most contentious one. There is an on-going legal debate amongst States and scholars as to whether States carry individual obligations to provide development assistance to particular countries or rights-holders in other countries. However, it is clear that there is a general duty to provide assistance as part of a community of States, through international cooperation. The fundamental question nowadays is therefore what the obligation entails, and how its scope can be defined. Authors such as Alston have argued for a political resolution of the problem through, for example, global compacts,99 but a number of authors seek answers through legal interpretation. Salomon notes how different approaches to causation (direct, indirect, historical) as well as capacity could serve as a basis for assigning obligations of international cooperation.100 Vandenhole and Benedek emphasize the importance of unilateral and multilateral political and legal commitments for assessing capacity and for defining the corresponding scope of extraterritorial obligations to fulfil.101 Khalfan has suggested a combination of procedural and substantive tests in order to determine the extent of a State’s ability to assist. A State must first satisfy a procedural test to demonstrate it has developed a plan of action for the progressive fulfilment of ESC rights extraterritorially. Khalfan then considers 94
Committee on the Rights of the Child, General Comment No. 5 (2003), General measures of implementation of the Convention on the Rights of the Child (arts. 4, 42 and 44, para. 6), 27 November 2003 (CRC/GC/2003/5), para. 61. 95 Ibidem, para. 63. 96 See, e.g., CESCR, Concluding Observations – Spain, adopted on 6 June 2012 (E/C.12/ESP/CO/5), para. 12 ; CESCR, Concluding Observations – New Zealand, adopted on 13 May 2012 (E/C.12/NZL/CO/3), para. 29 ; CESCR, Concluding Observations – Spain, adopted on 7 June 2004 (E/C.12/1/Add.99), paras. 10 and 27 ; CESCR, Concluding Observations – Italy, adopted on 14 December 2004 (E/C.12/1/Add.103) para. 15. 97 See, e.g., CESCR, Concluding Observations – The Netherlands, adopted on 9 December 2010 (E/C.12/NDL/CO/4-5, para. 4 ; CESCR, Concluding Observations – Norway, adopted on 23 June 2005 (E/C.12/1/Add.109), para. 35 ; CESCR, Concluding Observations – Denmark, adopted on 14 December 2004 (E/C.12/1/Add.102), para. 5. 98 For more details, see references in footnote 55. 99 P. Alston, “Ships Passing in the Night : The Current State of the Human Rights and Development Debate Seen Through the Lens of the Millennium Development Goals”, Human Rights Quarterly, Vol. 27, No. 3 (2005), p. 777. This draws on the work of Dr Arjun Sengupta. See, for example, UN Commission on Human Rights, Fourth Report of the Independent Expert on the Right to Development, Mr Arjun Sengupta, submitted in accordance with Commission resolution 2001/9, 20 December 2001 (E/CN.4/2002/WG.18/2), paras. 66 and following. 100 Salomon, supra note 9, pp. 259‑296. 101 W. Vandenhole and W. Benedek, “Extraterritorial Human Rights Obligations and the North-South Divide”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 342‑349.
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three substantive tests. A developed State must show that it has achieved internationally agreed-upon benchmarks and unilateral commitments (such as 0.7 per cent of its gross national product [GNP] for development assistance and possibly 0.15 to 0.20 per cent of GNP towards the ‘least developed countries’). The test would not be absolute, and States could bear the burden of proof of showing that such failure was due to inability rather than unwillingness. Alternatively, one could assess whether a State has taken steps that are reasonable in comparison to peer States although it may be difficult to operationalise. A final approach examines whether the State has progressively increased the extent of its assistance and cooperation as its available resources increase and has avoided retrogression in levels of assistance without cause.102 The Maastricht Principles define the extraterritorial obligation to fulfil primarily as an obligation to create “an international enabling environment conducive to the universal fulfilment of economic, social and cultural rights, including in matters relating to bilateral and multilateral trade, investment, taxation, finance, environmental protection, and development cooperation.” (Maastricht Principle 29). Clearly, this obligation is considered to extend beyond the provision of development assistance. The latter is seen as “part of the broader obligation of international cooperation” (Maastricht Principle 33). This is a most welcome approach, as the political and legal discussion of the extraterritorial obligation to fulfil has all too often been narrowed down to a discussion as to whether there exists a legal obligation to provide development assistance.103 The scope of the extraterritorial obligation to fulfil is limited to contribution to fulfilment, commensurate with inter alia capacities, resources and influence in international decision-making processes.104 This somewhat restrictive approach is in line with that of UN Special Rapporteurs,105 the Committee on the Rights of the Child,106 NGOs107 and the majority of scholarship.108 A minority position has argued against an explicit coinage of the extraterritorial obligation to fulfil as one of support to fulfilment, while at the same time acknowledging that it is a qualified obligation, just as the territorial obligation to fulfil is.109
102
A. Khalfan, “Division of Responsibility amongst States”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 324‑328. 103 See in particular Vandenhole, supra note 40. 104 The Commentary points out that historical causation is not excluded, see De Schutter et alii, supra note 33, p. 1153. 105 See e.g. Report of the Special Rapporteur on the Right to Food, Olivier De Schutter, Addendum Mission to Canada, 24 December 2012 (A/HRC/22/50/Add.1), para. 52 ; Report of the Special Rapporteur on the Right to Food, Jean Ziegler, 24 January 2005 (E/CN.4/2005/47), paras. 56-59. 106 See in particular Vandenhole, supra note 40. 107 FIAN et al, Extraterritorial State Obligations, Document in the Form of a Written Report to the United Nations on the Effect of German Policies on Social Human Rights in the South, www.fian.org/fian/ index.php?option=com_ doclight&Itemid=100&task=showdocument&dl_docID=37, Chart 2. 108 R. Künnemann, “Extraterritorial Application of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights”, in F. Coomans and M. Kamminga, Extraterritorial Application of Human Rights Treaties, Antwerp, Intersentia, 2004, pp. 222‑223. 109 Vandenhole, “EU and Development”, supra note 55, p. 87 and footnote 2.
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The extent of the extraterritorial obligation to contribute to fulfilment is not defined in much further detail, except for some principles and priorities in cooperation, such as the prioritisation of the rights of vulnerable groups and of core obligations, the observance of international human rights standards and principles, and the avoidance of retrogressive measures (Maastricht Principle 32). The Maastricht Principles mark a new and important step in defining the scope of extraterritorial obligations. The preceding discussion may suggest that the scope of extraterritorial obligations can be defined in the abstract. Whereas that is possible to a certain degree, it should be kept in mind that the scope of the obligations is variable, not only for the obligation to fulfil (inter alia commensurate with capacities, resources and influence) or protect (with varying degrees of positions to regulate or influence), but arguably also more generally in light of the degree of jurisdiction exercised. So while analytically, jurisdiction can be confined to the exercise of attributing obligations, in practice, the extent of the obligations attributed to an extraterritorial State may vary in light of the degree of jurisdiction exercised.110 This position is in line with that of the European Court of Human Rights,111 and as mentioned in the Commentary in the discussion of jurisdiction, i.e. that the extent or scope of obligations is determined by the degree of control exercised.112 This point is also highly relevant for the question of distribution of obligations among States, to which we now turn.
D. Distributive Allocation of Obligations : Concurrent, Collective, Joint Obligations As long as there is only one State carrying obligations, the question of distribution or apportioning of obligations among multiple duty-bearing States is not an issue. However, in the context of extraterritorial obligations, several States come into the picture as potential duty-bearers : the territorial State, and one or more foreign States. As a consequence, attention needs to be paid to the question of the distribution of obligations among the duty-bearers concerned. There are two basic relationships that warrant further examination : the relationship between the domestic State and foreign State(s), and that among foreign States.
1. Domestic State – Foreign State(s) There is a broadly shared understanding that the domestic State is to be viewed as the ‘primary’ duty-holder. This long-standing principle in international development law has been adopted in human rights law too. Article 32(2) of the Convention on Rights of Persons with Disabilities, which deals with international cooperation, stipulates that its provisions are “without prejudice to the obligations of 110
See Ryngaert’s notion of jurisdiction over violations of economic, social and cultural rights as a continuum, Ryngaert, supra note 79, pp. 210‑211. ECt.HR (GC), judgment Al-Skeini and others v. United Kingdom of 7 July 2011 (appl. No. 55721/07), paras. 138-139. 112 De Schutter et alii, supra note 33, p. 1108. 111
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each State Party to fulfil its obligations under the present Convention”. A similar provision is repeated in Article 14(4) of the Optional Protocol to the ICESCR. Logically, foreign States bear only subsidiary obligations. Other scholars do not take this starting point for granted, but focus e.g. on the question whether human rights of individuals are respected or met.113 Vandenhole and Benedek suggest a “third way”, whereby the primary duty-holder remains the domestic State, but whereby foreign States are complementary rather than secondary duty-bearers. ‘Complementary’ does not suggest any hierarchy or sequence of obligations, in other words, extraterritorial obligations are always there : they are not just triggered when the domestic State fails to abide by its obligations. This is particularly relevant with regard to the extraterritorial obligations to respect and to protect, which co-exist with the domestic State’s obligations : they have been said to be parallel obligations. The extraterritorial obligation to fulfil, on the other hand, has been considered as a subsidiary obligation by these authors. Others have referred to a correlative or supplemental obligation. This subsidiary obligation to fulfil can be triggered by inability or unwillingness of the domestic State.114 The Maastricht Principles are not very explicit on the distribution of obligations between the domestic State and foreign States. That the domestic State bears primary responsibility for the realisation of ESC rights on its territory seems to go unquestioned. Principle 4 proclaims that each State has “the obligation to realize economic, social and cultural rights, for all persons within its territory […]” (emphasis added), and that all States “also have extraterritorial obligations […]” (emphasis added). Principles 19, 23 and 28 echo this approach. In particular for the obligation to fulfil ESC rights, the primary responsibility of the domestic State has been emphasized : “A State has the obligation to fulfil economic, social and cultural rights in its territory to the maximum of its ability”115 and is under the obligation to seek international assistance and cooperation when it is unable to realise ESC rights within its territory.116 Logically, if the primary responsibility rests with the domestic State, other States can only have a complementary obligation. That complementary obligation applies simultaneously : “All States have obligations to respect, protect and fulfil human rights, including civil, cultural, economic, political and social rights, both within their territories and extraterritorially.”117 The extraterritorial obligation is defined as an obligation to contribute to the fulfilment.118 That is not only limiting the scope of extraterritorial obligations (see the preceding section), but also suggesting that the extraterritorial obligation to fulfil is subsidiary. The obligations to provide international assis113
For more details and references, see W. Vandenhole and W. Benedek, “Extraterritorial Human Rights Obligations and the North-South Divide”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 335. 114 Ibidem, pp. 335‑340. 115 Principle 31. 116 Principle 34. 117 Principle 4, and echoed for the obligations to respect, protect and fulfil in Principles 19, 23 and 28. 118 Principle 31. This is reiterated in particular also for the obligation to provide international assistance in Principle 33.
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tance and to cooperate in order to contribute to the fulfilment of ESC rights extraterritorially also seem to depend on a legitimate request from a State that is “unable, despite its best efforts,” to realise ESC rights within its territory, which illustrates once more the subsidiary or secondary nature of the extraterritorial obligation to fulfil.
2. Among Foreign States The second dimension of the question of distribution of obligations concerns those situations in which more than one foreign State is involved. As far as negative obligations to respect are concerned, no particular problems arise, in that several duty-bearers can be under an obligation to abstain from infringing human rights extraterritorially. The extraterritorial obligation to protect may raise more questions, such as a varying scope of the obligation for the different foreign States concerned, depending on their varying levels of control or influence ; 119 the fact that the obligation to protect amounts to a joint obligation (i.e. extraterritorial obligations incumbent on individual States are not sufficient) ; 120 or regulation that conflicts and/or interferes with the regulatory powers of other States.121 The most challenging part may be to define the distribution of obligations among foreign States with regard to the extraterritorial obligation to fulfil. Some authors tend to see these obligations as collective, i.e. incumbent on all States or the international community, or on all States in a position to assist.122 Salomon has argued that obligations need to be assigned in a differential way, just like the scope of obligations may have to be differentiated, and draws thereby on current regimes of state responsibility.123 Vandenhole and Benedek have suggested ways for identifying which States are in a position to assist, what the scope of their obligation is, and towards whom they hold the obligation.124 In other words, they believe that specific obligations to fulfil can be assigned to specific foreign States. The Maastricht Principles do not detail the apportioning of responsibility among foreign States. While they repeatedly state that all States “must take action, separately and jointly through international cooperation”,125 that all States must cooperate to protect ESC rights extraterritorially,126 and that they “should coordinate with each other in order to cooperate effectively in the universal fulfilment of ESC rights”, little is said on what particular States should do. Some guidance can nevertheless be found. With regard to the extraterritorial obligation to protect, reference is made to those States that are in a position to regulate or
119
Langford, Vandenhole, Scheinin and van Genugten, supra note 1, p. 27. Vandenhole and Benedek, supra note 113, pp. 340‑341. Useful suggestions to resolve these challenges can inter alia be found in Narula, supra note 2 ; Ryngaert, supra note 79 ; see also Langford, Vandenhole, Scheinin and van Genugten, supra note 1, p. 22. 122 See, e.g. Künnemann supra note 108, p. 223. 123 Salomon, supra note 9, pp. 283‑284. 124 Vandenhole and Benedek, supra note 113, pp. 341‑350. 125 Principles 19, 23 and 28-29. 126 Principle 27. 120 121
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to influence.127 With regard to the extraterritorial obligations to fulfil, and more in particular the obligation to coordinate, it is clarified that lack of coordination “does not exonerate a State from giving effect to its separate extraterritorial obligations.” The obligation to provide international assistance is confined to States “in a position to do so”.128 The Commentary aptly clarifies the challenge : “[I]nternational human rights law, at present, does not determine with precision a system of international coordination and allocation that would facilitate the discharging of obligations of a global character […] among those states “in a position to assist.””129 The way the Maastricht Principles seek to answer that challenge is by establishing a procedural obligation to devise a division of distribution of obligations to give effect to the collective (substantive) obligation to cooperate internationally.130 As most usefully pointed out in the Commentary to Principle 31, but of much broader relevance, recognition of truly joint or collective obligations does not preclude “an individualized regime of legal responsibility in the event of a breach of those obligations.” (footnote omitted).131 Hence, in the current absence of “a clear system of coordination for the allocation of responsibilities”, “[t]he international responsibility of each state is determined individually, on the basis of its own conduct, and by reference to its own international obligations.”132
E. State responsibility for internationally wrongful acts So far, we have examined whether, under which conditions and to what extent States do have extraterritorial human rights obligations, and which obligations are incumbent on which States. Here, we move on to the question under which conditions failure to abide by these obligations amounts to a violation or infringement, i.e. an internationally wrongful act, and therefore triggers state responsibility. In a way, so far we have taken a so-called obligations approach, and we now adopt a violations approach.133 The doctrine of state responsibility for internationally wrongful acts has been codified in the ILC Articles on State Responsibility. State responsibility arises due to an act or omission attributable to a State that is a breach of an international obligation. If established, an obligation of reparation follows. Although the rele127
Principles 24 and 26. Principles 33 and 35. De Schutter et alii, supra note 33, p. 1149. 130 Ibidem, p. 1150. 131 Ibidem, p. 1152. 132 Ibidem, p. 1150. 133 This distinction draws on Chapman’s publication, “A ‘Violations Approach’ for Monitoring the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights”, Human Rights Quarterly, Vol. 18, No. 1 (1996), pp. 23‑66. Some have argued that the term ‘violations’ is inappropriate when there is no finding of an infringement by a judicial or quasi-judicial body that establishes through interpretation that a legal norm has indeed been violated (Scheinin). Others have warned against “loose or uncritical use of this concept”, see M. Darrow and L. Arbour, “The Pillar of Glass : Human Rights in the Development Operations of the United Nations”, AJIL, Vol. 103, No. 3 (2009), p. 476. 128 129
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vance of the ILC Articles is not seriously questioned, and is regularly relied upon, one may wonder whether the law of state responsibility needs to be adapted to the particularities of international human rights law. In other words, it is not clear whether general principles of international law have developed sufficiently to accommodate human rights. E.g., the ILC Articles focus on the perspective of an “injured State” rather than other actors in international law, such as individual victims of human rights violations.134 Moreover, the Commentary to the ILC Articles assumes that a State can be found to be complicit in the commission of an internationally wrongful act only if it acted intentionally in providing aid or assistance. This appears not only to ignore the pre-eminence of looking at the primary rules in international law and using standard legal concepts such as “foreseeability” and “proximity”, but to elevate the threshold for violations to that of criminal law. Skogly’s call to develop a theoretical framework regarding State responsibility for human rights violations and, in particular, the concept of shared responsibility should be taken seriously.135 The Maastricht Principles embrace key elements of the ILC Articles on State Responsibility, and reiterate some of their key provisions. Principle 11 paraphrases Article 2, and reads : State responsibility is engaged as a result of conduct attributable to a State, acting separately or jointly with other States or entities, that constitutes a breach of its international human rights obligations wihtin its territory or extraterritorially.
Principle 12 clarifies the attribution of State responsibility for the conduct of non-State actors, such as a business enterprise or another private entity. It is derived from Articles 5 and 8 ILC Articles on State Reponsibility, and deals in particular with situations where non-State actors act on the instructions or under the direction or control of a State, and with acts and omissions of persons or non-State entities that have been empowered to exercise elements of governmental authority (e.g. following privatisation). Elements of governmental authority are said to include as a minimum law enforcement, the provision of basic infrastructure, essential public services and traditionally public functions of the State.136 In what follows, we will look at two dimensions of the law on State responsibility for an internationally wrongful act, i.e. the dimensions of both attribution and distribution of responsibility.
134 D. Shelton, “Remedies and Reparation”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 390. 135 S. Skogly, “Causality and Extraterritorial Human Rights Obligations”, in M. Langford, W. Vandenhole, M. Scheinin and W. van Genugten (eds.), Global Justice, State Duties. The extraterritorial Scope of Economic, Social and Cultural Rights in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, pp. 244‑249. 136 De Schutter et alii, supra note 33, p. 1111.
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1. Dimension of attribution Causation is of central importance in the establishment of State responsibility. It is seemingly easier to establish proximity by referring to acts of foreign States that have physical expression, whether arrests or torture, than the potentially more complex repercussions in the socio-economic arena. Several authors have demonstrated that existing principles in international law can be usefully appropriated for the field of human rights and ESC rights, in particular that the ‘but for’ test together with ‘reasonable foreseeability’ may be useful for more complex forms of causation. Salomon helpfully demonstrates in practice the use of the ‘but for’ and ‘reasonable foreseeability’ tests with examples of the effects of biofuel policy and export subsidies where the economic evidence is relatively clear of the negative effects. Salomon argues that this factual causation can be translated into legal causation.137 Shelton notes that precedents set in the context of international environmental law, such as shifting the burden of proof, may be useful starting points for further elaboration of an appropriate doctrine on causation.138 Salomon also grapples with the difficult case of establishing causation for omissions, the failure to fulfil positive obligations. She takes the hard case of ending world poverty and notes that responsibility could be attributed on the basis of a State’s historical responsibility for the problem, their relevant spheres of influence or their capacity to assist as well as the ability of all States, although to different degrees, to reform international institutions so as to better advance the realisation of ESC rights.139
2. Dimension of distribution International law on state responsibility for internationally wrongful acts is quite clear on the distribution of responsibility in case of multiple tortfeasors, i.e. when several States have contributed to the same wrongful act. Article 47 ILC Articles on State Responsibility provides that each State is separately responsible for its own contribution. At the same time, “[t]he respective responsibilities of the various States are not reduced or precluded by reason of the concurrent responsibility of other States.”140 In other words, such responsibility is fully imputed even if a State only aids or assists another in the commission of an internationally wrongful act.141 Distribution of responsibility in cases not covered explicitly by the ILC Articles on State Responsibility include situations where several States contribute by separate 137
Salomon, supra note 9, pp. 260 and 263-278. Shelton, supra note 134, p. 390. Salomon, supra note 9, pp. 280‑288. 140 Ibidem, p. 272. 141 Article 16 : “A State which aids or assists another State in the commission of an internationally wrongful act by the latter is internationally responsible for doing so if : (a) that State does so with knowledge of the circumstances of the internationally wrongful act ; and (b) the act would be internationally wrongful if committed by that State.” 138 139
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internationally wrongful conduct. Notions of complicity – if not understood in the criminal law sense of requiring intent nor in the sense of requiring effective control –142 and joint and several responsibility143 may be relevant in this type of situations. Respective responsibilities may vary substantially. In some instances, the extraterritorial State may bear full responsibility because it alone caused the harm through a direct violation or coercing the domestic State to violate a right. However, the domestic State would need to demonstrate that it had done everything in its power to prevent such a scenario, in accordance with its own territorial obligation to protect. In other circumstances, both States would bear joint responsibility to the same or different degrees. Following the ILC Articles on State Responsibility, Khalfan argues that extraterritorial responsibility would follow even when the domestic State is the actor directly causing the injury : if the extraterritorial State involved or providing assistance has knowledge of the circumstances of the internationally wrongful act and it would have been internationally wrongful if committed by that State.144 However, the scope of responsibility of the extraterritorial State would be limited to the consequences of the violation that result from its own conduct. The Maastricht Principles do not seem to engage with this question.
V. Conclusion In the early period of agenda-setting, it was important to make the point that extraterritorial human rights obligations do exist legally. Inevitably, that raises questions as to whether they are in the domain of established “hard” rules of international law, or rather some sort of aspirational “soft law”, whether they hover on the boundary and whether that really matters. Arguably, a binary approach is not very helpful. A sliding scale of completeness as an independent legal norm may be a more accurate model. As Boyle and Chinkin have argued, “once soft law begins to interact with binding instruments its non-binding character may be lost or altered”,145 so that soft law is “potentially law-making”.146 Soft law may not simply correspond with lex ferenda, emerging or evolving law, if it also represents a legitimate interpretation of hard law or constitutes an element of it (e.g. under international customary law). Resolutions, declarations or documents issued by the human rights treaty bodies, or guidelines adopted by nongovernmental organisations or scholarly meetings such as the Maastricht Principles, are all relevant. 142
Skogly, supra note 135, pp. 243‑249. Skogly seems to limit its relevance to a bilateral setting. Salomon, supra note 9, pp. 276‑278. Khalfan, supra note 102, pp. 304‑306. 145 A. Boyle and C. Chinkin, The Making of International Law, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 213. 146 Ibidem, p. 212. 143 144
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Now that we have entered the standard-setting stage, and the Maastricht Principles as a landmark instrument have been adopted, it is time to move on, in at least three respects. First of all, it is important to keep track of further (piecemeal) standard-setting and of the “legal hardening” of the norms and principles contained in the Maastricht Principles and elsewhere. There are encouraging signs that UN bodies increasingly engage with the issue. For instance, the Committee on the Rights of the Child has explicitly acknowledged the extraterritorial obligations of States, individually and when acting as members of international development, finance and trade organisations, in its 2013 General Comment on State Obligations Regarding the Impact of the Business Sector on Children’s Rights.147 The United Nations Special Rapporteurs on the Right to Food (De Schutter) and Extreme Poverty and Human Rights (Sepúlveda) have built their case for the creation of a Global Fund for Social Protection on the obligation of international assistance and cooperation incumbent on richer States towards the Least Developed Countries.148 An analytical study of the High Commissioner for Human Rights on the relationship between human rights and the environment spelled out the extraterritorial dimensions of human rights and the environment.149 Secondly, time may have come to invest more in accountability mechanisms and remedies. In literature, concepts and tests have now sufficiently been discussed to put them to practice, and to test their potential for review mechanisms. This might apply to human rights treaty bodies, emerging review mechanisms in the development field, such as the newly constituted UN Accountability Commission for Health of Women and Children, the proposed human rights complaints procedure for German development cooperation150 or national human rights institutions,151 as well as general political review mechanisms, such as the follow-up by the UN General Assembly to the Millennium Development Goals or the Universal Periodic Review mechanism of the UN Human Rights Council. For at least some of these bodies, scholars have also examined what their space for manoeuvre is in order to engage with extraterritorial human rights obligations.152 Thirdly, we need to focus on a much broader range of potential duty-bearers beyond the domestic or territorial State. In addition to extraterritorial obligations of foreign States, direct human rights obligations of non-State actors (including international organizations) deserve further scrutiny. While important work has already been done on this, in particular with regard to international organiza147
Committee on the Rights of the Child, supra note 84. O. De Schutter and M. Sepúlveda, “Underwriting the Poor. A Global Fund for Social Protection”, Briefing Note 07 – October 2012, http://www.ohchr.org/Documents/Issues/Food/20121009_GFSP_en.pdf (15 April 2013). 149 Report of the United Nations High Commissioner for Human Rights, Analytical Study on the Relationship between Human Rights and the Environment, 16 December 2011 (A/HRC/19/34), pp. 14‑15. 150 http://www.transinterqueer.org/archiv_cms/uploads/ForumMR_Proposal_HR_Complaint_Procedure_Dev_ Coop_2012.pdf (15 April 2013). 151 See, e.g., a complaint lodged with the Australian Human Rights Commission against AusAID for supporting for the Cambodian railway rehabilitation, which has led to resettlements. The complaint is available at http://www. inclusivedevelopment.net/wp-content/uploads/2012/10/Complaint-to-the-Australian-Human-Rights-Commission-FINAL.pdf (15 April 2013). 152 As far as the UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights is concerned, see inter alia references in note 41 ; Salomon, supra note 9, pp. 288‑295. For a general survey, see Khalfan, supra note 9, pp. 391‑416. 148
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Extraterritorial Human Rights Obligations : Taking Stock, Looking Forward
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tions and companies, there is a need to integrate these efforts in a more general exercise. The elaboration of seperate sets of principles for each different actor in dealing with the current global landscape and its multitude of actors may well fail, given that states, international organisations, companies and other powerful actors all interact continuously.153 Wouter Vandenhole is professor of human rights law and children’s rights at the University of Antwerp. He holds the UNICEF Chair in Children’s Rights, is the spokesperson of the Law and Development Research Group, and chairs the Research Networking Programme Beyond Territoriality : Globalization and Transnational Human Rights Obligations (GLOTHRO). Wouter Vandenhole can be reached at wouter.vandenhole@uantwerp.be The work reported on in this publication has been financially supported by the European Science Foundation (ESF), in the framework of the GLOTHRO Research Networking Programme.
153
For an elaboration of this point, see inter alia W. Vandenhole, G.E. Türkelli and R. Hammonds, “New Human Rights Duty-Bearers : Towards a Re-conceptualisation of the Human Rights Duty-Bearer Dimension” in A. Mihr en M. Gibney (eds.), Handbook of Human Rights, London, Sage, forthcoming ; Vandenhole, supra note 8.
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La socialisation de la notion de handicap en droit de la non-discrimination Socialising of the notion of disability in nondiscrimination law Joseph Damamme1
Résumé
Abstract
N
F
otion courante dans le langage médical, le handicap est un critère prohibé de discrimination dans plusieurs instruments juridiques. Si l’appartenance à la catégorie des personnes handicapées ouvre des droits, force est de constater que la notion de handicap pose des difficultés d’interprétation. Contrairement au droit de l’Organisation des Nations Unies, le droit de l’Union européenne est dépourvu d’une définition écrite de cette notion. Il est revenu à la CJUE d’en délimiter les contours. Cet article examine l’évolution de l’articulation entre ces deux ordres juridiques connectés depuis la ratification par l’UE de la Convention onusienne relative aux droits des personnes handicapées. Le rôle de la CJUE dans l’intégration des acquis onusiens en droit de l’UE fera l’objet d’une attention particulière.
requently used in the medical terminology, disability is a prohibited ground of discrimination in several legal instruments. If the detection of disability creates certain legal rights, the interpretation of this notion raises difficulties of interpretation. In contrast to UN Law, EU law lacks a legal definition of this notion. Therefore, the ECJ has shaped a definition. This article examines the evolving articulation between these two legal systems having been connected since the ratification by the EU of the UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities. In this perspective, the role of the ECJ in the integration of the UN « acquis » into EU law will especially be analysed.
I. Introduction
Q
u’une atteinte à l’état de santé porte le nom d’« handicap », « syndrome », « virus », « infection », « maladie », ou « dépression », le poids de la souffrance est pour l’individu a priori le même. Le choix des termes revêt toutefois une importance fondamentale en droit de l’UE sur le fondement duquel le juge est parfois appelé à qualifier juridiquement une pathologie. Le combat judiciaire peut alors s’ajouter au combat contre la pathologie. Le droit primaire2 et le droit dérivé
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L’auteur tient tout spécialement à remercier Emmanuelle Bribosia, Professeur à l’Institut d’Études européennes et à la Faculté de droit de l’ULB et Isabelle Rorive, Professeur à la Faculté de droit de l’ULB et Directrice du Centre Perelman de philosophie du droit pour leurs précieux commentaires sur une version antérieure de cet article. L’auteur assume toutefois seul la responsabilité pour toute erreur ou omission. 2 Article 19 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et article 21 de la Charte des droits fondamentaux.
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(directive 2000/78/CE, ci-après « directive emploi »)3 consacrent l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap. Cependant, cette notion n’est pas définie textuellement. La Cour de justice de l’UE (ci-après « CJUE ») en a donné une interprétation « autonome » et « uniforme » sur le fondement de la directive emploi dans l’arrêt Chacón Navas4. Celle-ci est applicable à l’accès à l’emploi, la formation professionnelle, aux conditions d’emploi et de travail (y compris le licenciement et la rémunération), l’affiliation à, et l’engagement dans, une organisation de travailleurs ou d’employeurs5. Cette directive a été adoptée avant la ratification par l’UE de la Convention relative aux droits des personnes handicapées6 (ci-après « la Convention » ou « la Convention onusienne ») de l’Organisation des Nations Unies (ci-après « ONU »), instrument qui comporte une définition de la notion de handicap. Le présent article se concentre principalement sur l’évolution des rapports entre les deux ordres juridiques et plus précisément sur l’évolution de l’interprétation de la notion de handicap par la CJUE. Il s’agira de déterminer ce qu’on entend par handicap dans le contexte de l’emploi. Le droit dérivé est en effet, de lege lata, limité à cette matière pour le handicap en attendant une éventuelle extension du champ d’application du droit dérivé à d’autres domaines7. La définition de la notion de handicap est précieuse à deux titres. Comme toute définition, elle circonscrit le champ d’application de la norme qui la contient et comporte le risque d’exclure certaines situations. Elle conditionne ainsi l’applicabilité de la directive emploi. Nous verrons que la frontière entre le handicap et des notions voisines telles que la maladie a déjà conduit la CJUE à décliner la protection offerte par le droit de l’UE. Ensuite, l’obligation d’aménagement raisonnable n’a été prévue que pour un seul de tous les critères prohibés de discrimination du droit de l’UE8 : le handicap. Cette obligation impose à l’employeur de prendre « les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit dispensée ». Elle n’est pas imposée si elle crée pour l’employeur « une charge disproportionnée »9. L’adaptation des locaux, des rythmes de travail ou de la répartition des tâches en fonction des besoins de la personne handicapée sont autant de formes d’aménagement 3
Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (J.O. L 303 du 2 décembre 2000, p. 16) (ci-après « directive emploi »). C.J., 11 juillet 2006, Chacón Navas, C-13/05. 5 Article 3 de la directive emploi intitulé « champ d’application ». 6 Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006, (rés. 61/106) et entrée en vigueur le 3 mai 2008. 7 Proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle, COM (2008) 426 final, 2 juillet 2008 (directive visant à étendre le champ d’application de la directive 2000/78 aux domaines de la protection sociale, les avantages sociaux, l’éducation, l’accès aux biens et aux services à la disposition du public y compris en matière de logement). 8 Parmi lesquels se trouvent également la race et l’origine ethnique ; voy. directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (J.O. L 180 du 19 juillet 2000, p. 22), la religion ou les convictions, l’âge ou l’orientation sexuelle ; voy. directive emploi et le genre ; directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte) (J.O. L 204 du 26 juillet 2006, p. 23). 9 Directive emploi, article 5. 4
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raisonnable10. Il s’agit d’un dispositif supplémentaire de protection des personnes handicapées11. Supplémentaire dans le sens où il s’ajoute à d’autres dispositifs du droit de la non-discrimination (interdiction de la discrimination directe, indirecte, du harcèlement et de l’injonction de discriminer)12. Le point de départ de la notion de handicap, bien que contestable en pratique comme nous le verrons, est la limitation ou l’incapacité d’un individu à participer à une activité (le terme anglais disable illustre lui-même cette idée). À ce titre, deux modèles de handicap sont classiquement présentés pour appréhender la notion ; le modèle médical et le modèle social13. Selon le premier modèle, le handicap résulte de la déficience médicale. Comme le relève l’Organisation mondiale de la santé, il est « perçu comme un attribut de la personne, conséquence directe d’une maladie, d’un traumatisme ou un autre problème de santé, qui nécessite des soins médicaux fournis sous forme de traitement individuel par des professionnels »14. Le modèle dit social (social model ou human rights model) a été développé en opposition au modèle médical. Fondé sur une approche socio-politique, il pointe l’incapacité de l’environnement à s’ajuster aux besoins et aspirations des personnes handicapées. Ce sont alors des facteurs extérieurs à la personne, comme par exemple l’attitude de ceux qui l’entourent15 (les préjugés, la stigmatisation), qui créeraient le handicap16. Celui-ci ne serait donc « pas un attribut de la personne, mais plutôt un ensemble complexe de situations, dont bon nombre sont créées par l’environnement social »17. Mary Crossley présente ainsi la différence concrète avec l’exemple de l’inaccessibilité d’un bâtiment (facteur extérieur à l’individu) pour une personne ne pouvant se déplacer qu’en fauteuil roulant en raison d’une pathologie (facteur individuel)18. Si l’on suit le modèle social, le handicap ne résulte pas de l’incapacité à marcher mais de l’inaccessibilité constatée et causée par la structure du bâtiment. La cause du handicap n’est donc pas l’atteinte médicale mais l’interaction de celle-ci avec l’environnement de l’individu. Pour l’exemple choisi, la distinction théorique entre le modèle social et le modèle médical n’a a 10
Directive emploi, considérants 16 et 20. J. Ringelheim, « Adapter l’entreprise à la diversité des travailleurs : la portée transformatrice de la non-discrimination », article paru dans cette revue, 2013/1, p. 69. 12 Notions définies à l’article 2 paragraphe 2, a) (discrimination directe) ; b) (discrimination indirecte) ; paragraphe 3 (harcèlement) ; paragraphe 4 (injonction de discriminer) et à l’article 5 (aménagement raisonnable) de la directive emploi. 13 Cette opposition a été théorisée et se retrouve dans les écrits de disciplines diverses (en sociologie, droit, médecine notamment). Voy. H. Hahn, « Feminist Perspectives, Disability, Sexuality, and Law : New Issues and Agendas », 4. S. Cal. Rev. L. & Women’s Stud. 97, 105 (1994) ; M. Oliver, Understanding Disability : From Theory To Practice, Palgrave Macmillan, Basingstoke, 2009 (2e éd.) ; Priestley, « Constructions and creations : Idealism, materialism and disability theory », 13 : 1 Disability and Society (1998), 75-94 ; E. Dubout, L’article 13 du traité CE, La clause communautaire de lutte contre les discriminations, Bruxelles, Bruylant, collection Droit de l’Union européenne, 2006, pp. 155 et s. ; Organisation mondiale de la santé (OMS), Projet final de Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (ci-après « CIF ») (WHO/EIP/GPE/CAS/ICIDH-2 FI/01.1), 2000, p. 18, approuvé par l’Assemblée générale le 22 mai 2001, voy. sur le site de l’OMS : Rés. WHA.5421 22 mai 2001 disponible à l’adresse suivante : http://www.who.int/classifications/icf/wha-en.pdf. 14 Projet final de CIF, cité supra, p. 18. 15 M. Oliver cite les facteurs environnementaux incluant les caractéristiques physiques, les attitudes culturelles, les comportements sociaux et les règles institutionnelles. Voy. son ouvrage, The Politics of disablement : a sociological approach, St. Martin’s Press, 1990. 16 K. Wells, « The impact of the Framework Employment Directive on UK Disability Discrimination Law », IJL, 2003, p. 261. 17 Projet final de CIF, cité supra, p. 18. 18 M. Crossley, « The disability Kaleidoscope », 74, Notre Dame L. Rev., (1999), p. 654. 11
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priori pas d’implication pratique dans la mesure où, selon les deux modèles, un handicap devrait être constaté juridiquement. On montrera pourtant que le choix d’un modèle peut être un enjeu en droit. Dans cet article sont analysés les enjeux de l’évolution de la notion de handicap en droit de l’UE par l’arrêt HK Danmark rendu par la CJUE le 11 avril 201319. Plus précisément, on montrera l’impact du choix ou de l’absence de choix d’un modèle de handicap et répondra à la question de savoir si les contours de la notion se dessinent en fonction d’un des modèles. L’analyse couvre trois ordres juridiques (ONU, UE et Conseil de l’Europe) avec pour point de référence le droit de l’UE selon une approche intégrée. L’UE a ratifié la Convention onusienne, instrument sur lequel pourrait se fonder la Cour EDH, dont la jurisprudence est pertinente pour la CJUE. Plus précisément, nous verrons que la Cour EDH a rendu un arrêt sur une pathologie ayant fait l’objet d’un contentieux dans le contexte de l’emploi. Si le choix d’un modèle de handicap n’a longtemps été que l’apanage du droit de l’ONU (II), une convergence entre ce droit et celui de l’UE semble être officialisée avec l’arrêt HK Danmark (III).
II. Une prise en compte limitée du modèle social de la notion de handicap L’analyse de l’influence des modèles de handicap dans les ordres juridiques choisis précédera celle de l’articulation entre le droit de l’UE et celui de l’ONU sur cette question.
A. L’influence des modèles de handicap 1. L’adhésion partielle de l’UE au modèle social Peu après l’adoption de la directive emploi, la Commission énonçait dans une communication : « l’UE voit également le handicap comme un concept social. Le modèle social communautaire du handicap met l’accent sur les obstacles environnementaux qui empêchent une pleine participation des personnes handicapées à la société » faisant de la notion de handicap « le rapport entre le handicapé et son milieu »20. Une telle position, officialisant l’adhésion au modèle social dans la politique publique de l’Union n’a toutefois pas été adoptée par la CJUE dans l’arrêt Chacón Navas du 11 juillet 2006. Dans cette affaire ayant fait l’objet d’une procédure de question préjudicielle, la requérante au principal avait été licenciée après 19
C.J., 11 avril 2013, HK Danmark contre Dansk Almennyttigt Boligselskab DAB et HK Danmark contre Pro Display A/S in Konkurs, affaires jointes C‑335/11 et C‑337/11. Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, 30 octobre 2003 – Égalité des chances pour les personnes handicapées : un plan d’action européen, COM (2003) 650 final, pp. 4‑5.
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une longue période d’arrêt de travail pris officiellement pour cause de maladie. Elle souhaitait qu’une juridiction nationale déclare son licenciement nul en raison d’une discrimination, l’enjeu étant pour elle d’être réintégrée. Les normes nationales de transposition de la directive emploi ne prévoyaient pas, à l’instar de celleci, la maladie comme un critère de discrimination. Soulignant la frontière ténue entre les deux notions puisque « la maladie est souvent susceptible d’entraîner un handicap irréversible » (point 23), le juge de renvoi demande à la CJUE si la directive emploi s’applique à la situation d’un licenciement pour cause de maladie. Dépourvue de définition textuelle21, la CJUE se déclare compétente pour définir la notion de handicap. Par cette notion, il faut ainsi entendre « une limitation résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle » (point 43), ajoutant que la limitation doit probablement être de longue durée (point 45). Il faut observer que la CJUE ne laisse pas de marge de manœuvre dans l’interprétation de la notion qu’elle veut « autonome et uniforme » (point 42). Les définitions nationales du handicap ne peuvent donc pas, en matière de non-discrimination dans le contexte de l’emploi, exclure des situations répondant à la définition jurisprudentielle de la notion de handicap. Le revers de la médaille est que la notion de handicap au sens de la directive emploi n’est pas extensible. Conformément à l’appréhension classique du handicap, la CJUE présente cette notion comme une « limitation » et précise les caractères que celle-ci doit revêtir. Elle doit « probablement » être durable, critère laissé à l’appréciation des États membres et de leurs juridictions22. Ensuite, la cause de la limitation doit résider dans une atteinte à l’état de santé et plus précisément dans des « atteintes physiques, mentales ou psychiques » appréhendant ainsi le handicap dans sa diversité. Néanmoins, la qualification juridique de handicap n’est pas conférée à toute atteinte à l’état de santé. La CJUE précise en effet qu’une personne licenciée « exclusivement » pour cause de maladie ne relève pas de la protection conférée par la directive. Selon son raisonnement, le terme handicap, expressément choisi par le législateur, diffère de celui de maladie ce qui exclut « [u]ne assimilation pure et simple des deux notions » (point 47). La troisième caractéristique de la notion de handicap est l’entrave de « la participation de la personne concernée à la vie professionnelle ». La limitation doit avoir pour conséquence une entrave dans un contexte particulier, celui de l’emploi, ce qui résulte directement du champ d’application de la directive européenne. L’arrêt Chacón Navas a fait l’objet de deux critiques principales. Sa solution a été jugée insatisfaisante quant à la frontière entre le handicap et la maladie23. Ensuite, 21
Il en est de même pour la proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle, COM (2008) 426 final, citée supra. 22 En Autriche, selon la loi pour l’égalité de traitement du Land de Styrie (Steirisches Landes-Gleichbehandlunggsgesetz), la durabilité au sens de la loi correspond à une période de six mois minimum. Article 4, paragraphe 4. 23 Rapport thématique « Handicap et droit européen contre la discrimination, Une analyse du droit européen contre la discrimination des personnes handicapées dans le domaine de l’emploi et au-delà », rédigé par L. Waddington et A. Lawson au nom du réseau européen des experts juridiques en matière de non-discrimination. Ce rapport a
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l’ignorance de l’aspect social du handicap a été perçue comme réductrice, certains auteurs affirmant même que la définition suivait un modèle exclusivement médical24. Il est vrai que la Cour ne fait nulle mention de l’interaction entre l’atteinte médicale et l’environnement de l’individu pour définir la notion de handicap. L’ONU a suivi le mois suivant le prononcé de l’arrêt une toute autre approche.
2. L’adhésion de l’ONU au modèle social La Convention onusienne a été ratifiée par de nombreux États25 et l’UE. Sans consacrer de nouveaux droits par rapport aux traités existants, elle rappelle la nécessité de garantir la pleine jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux personnes handicapées sans discrimination (lettre c du Préambule). L’opportunité d’inclure une définition de la notion de handicap et les contours de celle-ci furent des questions particulièrement débattues dans le cadre des négociations de cet instrument.
a) L’opportunité de la définition La particularité de la Convention onusienne est la forte implication d’organisations issues de la société civile (notamment d’ONGs comme le Forum européen des personnes handicapées) dans le processus de négociations. Avec l’aval du comité ad hoc chargé d’élaborer la Convention, elles n’ont pas manqué de devenir des partenaires actifs utilisant les pouvoirs dont elles disposaient (lobby auprès des délégations étatiques, participation aux réunions du comité ad hoc, suivi de la rédaction de chaque article s’exprimant à l’oral comme à l’écrit) jouant ainsi une réelle influence26. La question de la définition participe justement de cette dynamique27. Certains (dont la plupart des ONGs) ont plaidé en faveur de l’inclusion d’une définition. Le manque de définition textuelle risquait pour eux de permettre aux États de contourner leurs engagements. D’autres ont au contraire considéré cette absence de définition comme présentant l’avantage de la flexibilité et permettant d’adapter l’interprétation à des situations imprévues. L’opposition s’est effacée lors de l’ultime séance de négociations du comité ad hoc en août 2006. Ce changement de cap serait semble-t-il directement lié aux troubles engendrés par la solution de l’arrêt Chacón Navas un mois plus tôt28. Les ONGs y auraient en effet vu l’exemple été financé par la direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances de la Commission européenne pour ses besoins propres. Disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.non-discrimination.net/ content/media/Disability%20and%20non%20discrimination%20law_FR.pdf, p. 17. 24 L. Waddington, « Case C-13/05, Chacón Navas v. Eurest Colectividades SA », C.M.L.R., (2007) 44. L’auteur precise : « the problem lies in the individual, and not in the reaction of society to the impairment or in the organization of society », p. 491. 25 Tous les États membres de l’UE des vingt-huit l’ont ratifié hormis la Finlande, l’Irlande et les Pays-Bas à la date du 4 décembre 2013. 26 G. de Burca, « The EU in the Negotiations of the UN Disability Convention », Jean Monnet Working Paper, no 14/09, pp. 5 et 14. 27 Ibid., pp. 19‑20. 28 L. Waddington « A New Era in Human Rights Protection in the European Community : The Implications of the UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities for the European Community », p. 18 et la référence en note de bas de page 80. L’auteur dit tirer cette information de participants au comité ad hoc qui ont négocié la Convention. Voy. également G. de Burca, op. cit., p. 25.
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parfait du risque que pouvait présenter l’absence de définition normative pour l’effectivité des droits des personnes handicapées. La première définition internationale a vu enfin le jour dans un instrument normatif porteur du modèle social.
b) Une définition-reflet du modèle social La Convention est classiquement présentée par le Comité pour les droits des personnes handicapées de l’ONU29 et la doctrine30 comme étant l’expression de la volonté des Nations Unies d’opérer une transition du modèle médical au modèle social du handicap. Cette transition initialement effectuée dans des instruments de soft law31, est désormais une réalité dans un acte juridique contraignant. L’adoption du modèle social se retrouve dans le Préambule et l’article 1er de la Convention intitulé « objet » délimitant son champ d’application. Contrairement à la CJUE, les rédacteurs de la Convention ont défini la notion de « personnes handicapées » (et non de handicap) identifiées comme celles « qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ». Le dépassement de l’approche médicale est patent. Ce n’est pas l’atteinte à l’état de santé qui est visée pour déterminer si une personne est juridiquement handicapée mais le jeu d’interactions entre le facteur interne (l’incapacité) et les facteurs externes (les diverses barrières) à l’individu. Il est intéressant de noter que la version anglaise présente une définition exemplative, contrairement à son homologue français, de nature limitative. Selon la version anglophone : « [p]ersons with disabilities include those who have long-term physical, mental, intellectual or sensory impairments which in interaction with various barriers may hinder their full and effective participation in society on an equal basis with others ». Il est regrettable que le champ d’application de la Convention puisse se révéler plus restrictif selon la version officielle choisie. On peut toutefois rétorquer que la définition exemplative a le désavantage de ne pas délimiter clairement la catégorie protégée.
3. L’adhésion incertaine du Conseil de l’Europe à un modèle La Convention EDH ne comporte pas la notion de handicap et la Cour EDH n’a pour l’instant pas été confrontée au choix d’un des modèles applicables à la notion. Il ne faut toutefois pas négliger sa jurisprudence. 29
Voy. particulièrement ses Observations finales concernant le rapport périodique initial de Hongrie adoptées par le Comité à sa huitième session, tenue du 17 au 28 septembre 2012, 22 octobre 2012, § 49, insistant sur « l’abandon de l’approche médicale du handicap au profit de l’approche fondée sur les droits de l’homme ». 30 T. Melish, « The UN Disability Convention : Historic Process, Strong Prospects, and Why the U.S. Should Ratify », 14 Hum. Rts. Brief. 37 (2007), p. 8 ; G. de Burca, op. cit., p. 6. 31 Pour une présentation détaillée de l’évolution de l’action des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées jusqu’à l’adoption de la Convention, voy. M. Zani, « La Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées », R.D.I.D.C., 2008, no 4, pp. 552‑554.
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a) L’absence d’autonomie de la notion de handicap L’étude de la jurisprudence de la Cour EDH en matière de handicap permet d’observer trois scénarios. Tantôt celle-ci constate la situation de handicap sans en tirer de conséquences. Dans l’affaire Salontaji c. Serbie, un individu ayant un handicap psychosocial (une psychose paranoïaque) a vu sa capacité juridique limitée par les autorités après avoir commis des actes violents. Il contestait la procédure ayant conduit à cette limitation au nom du droit à un procès équitable32. Ni la question de la discrimination sur le fondement de l’article 14 de la Convention EDH (interdiction de la discrimination) ni celle de la notion de handicap n’étaient toutefois posées. Tantôt la Cour s’abstient de qualifier une pathologie de handicap quand elle pourrait le faire (arrêt B. c. Royaume-Uni)33. Tantôt, elle utilise les notions de handicap et de maladie de manière interchangeable. Cette troisième démarche a été suivie dans l’arrêt Glör c. Suisse34 rendu sur le fondement des articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 14. Le diabète y est présenté comme un handicap physique puis comme une maladie (§§ 53 et 54). Il faut toutefois rappeler que la Cour n’avait pas à trancher la question de savoir si le diabète est ou n’est pas un handicap, le droit national classant déjà la pathologie dans cette catégorie. Le nœud gordien de l’affaire résidait dans la différence faite entre le handicap revêtant un caractère majeur et celui revêtant un caractère mineur. En l’espèce, le requérant contestait que seuls les individus ayant un handicap mineur (tel que le diabète) devaient payer une « taxe d’exemption » pour le service militaire sans que leur soit proposé un service civil de substitution. Une discrimination est finalement constatée entre deux catégories de personnes handicapées. De manière générale, l’interchangeabilité des notions n’est pas dérangeante en droit de la Convention EDH dans la mesure où la Cour considère que la liste des motifs de discrimination de l’article 14 n’est pas exhaustive35. Elle a ainsi aisément fait entrer dans cette liste le handicap et la maladie sous l’expression « problème de santé »36 sans que la différence entre ces deux notions, cruciale en droit de l’UE, n’importe ici. En outre, la différence entre handicap et des notions voisines n’est pas non plus un enjeu pour ce qui est appelé le caractère suspect de certains motifs de discrimination. Pour certains d’entre eux, dégagés par la Cour elle-même, des « considérations très fortes »37 sont exigées pour justifier une 32
Cour eur. D.H. (2e sect.), arrêt Salontaji c. Serbie, 13 octobre 2009, req. no 36500/05 (devenu définitif le 13 janvier 2010). 33 Cour eur. D.H. (2e sect.), arrêt B. c. Royaume-Uni, 14 février 2012, req. no 36571/06 (définitif depuis le 14 mai 2012). À ce titre E. Bribosia et I. Rorive remarquent également le silence de la Cour sur la qualification des déficiences intellectuelles de handicap de la requérante et le manque de référence à la Convention onusienne, voy. « Chronique en droit européen de l’égalité et de la non-discrimination », paru dans cette revue, 2013/1, p. 141. 34 Cour eur. D.H. (1re sect.), arrêt Glör c. Suisse, 30 avril 2009, req. no 13444/04 (définitif depuis le 6 novembre 2009). 35 Plusieurs critères de discrimination ont ainsi été ajoutés : la condition d’un enfant né hors mariage dans l’arrêt Sommerfeld c. Allemagne [GC], du 8 juillet 2003 (req. no 31871/96) et Sahin c. Allemagne [GC], du 8 juillet 2003 (req. no 30943/96), l’appartenance à une organisation dans l’arrêt Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani c. Italie (n° 2) du 31 mai 2007 (req. no 26740/02) – et bien d’autres. 36 Cour eur. D.H. (1e sect.), arrêt Kiyutin c. Russie, 10 mars 2011, req. no 2700/10 (définitif depuis le 15 septembre 2011), § 57 : « la Cour a récemment admis qu’un handicap physique et certains problèmes de santé relevaient du champ d’application de cette disposition (Glör, §§ 53-56 […]) ». 37 Exemple dans l’arrêt Gaygusuz c. Autriche du 16 septembre 1996 (req. no 17371/90) portant sur la différence de traitement exclusivement fondée sur la nationalité. Le critère suspect apparaît également lorsque la Cour parle « de
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différence de traitement. Certains auteurs ont ainsi noté une hiérarchie entre les critères dits « suspects » et les autres, le contrôle variant selon le caractère attribué38. Elle a exigé ainsi des « raisons particulièrement impérieuses » pour le contrôle de la justification de la différence de traitement des personnes ayant un handicap mental. La déchéance du droit de vote d’un individu maniaco-dépressif a été l’occasion de ce contrôle39. Depuis un arrêt Kiyutin c. Russie40, le virus de l’immunodéficience (VIH) reçoit également le qualificatif de « critère suspect ». Une loi fédérale de l’État défendeur conditionnait la délivrance d’un permis de résidence sur le territoire à la preuve d’un certificat de séronégativité. Déclaré séropositif après examen médical, un citoyen ouzbek se vit refuser le permis par l’administration avant de contester la décision devant les tribunaux sans succès. Considérant les personnes vivant avec le VIH/SIDA comme appartenant à un groupe « particulièrement vulnérable[s] » victimes depuis longtemps de la stigmatisation, la Cour déclare la marge d’appréciation accordée à l’État singulièrement réduite. Sont une nouvelle fois exigées des « raisons particulièrement impérieuses » pour imposer la restriction en question qui ne passera pas le test de justification41. La Cour consacre ainsi par petites touches un contrôle plus strict pour certaines atteintes à l’état de santé – pour l’instant les handicaps mentaux et le VIH –. Il n’est pas sûr qu’elle procède ainsi pour tous les handicaps distinguant entre ceux faisant l’objet d’une stigmatisation (VIH) et les autres (diabète). La Cour EDH n’a pas eu à trancher de conflits de qualification dans une situation où un État contestait qu’une pathologie puisse être qualifiée de handicap. Ensuite, elle n’a pas consacré de définition autonome de la notion. Il ne faut toutefois pas négliger la jurisprudence de la Cour EDH dont l’interprétation de la notion de handicap pourrait être précieuse. Nous y reviendrons notamment avec le cas des personnes séropositives dans le contexte de l’emploi. La jurisprudence de la Cour EDH n’est pas non plus une référence pour le choix d’un modèle de handicap.
b) L’absence de choix de modèle de handicap La Cour EDH a déjà mentionné dans ses arrêts la Convention onusienne porteuse du modèle social du handicap. Le recours à des conventions internationales n’est pas nouveau42 et permet parfois à la Cour de construire des définitions juridiques43. Son recours à la Convention onusienne n’a cependant pas servi à très fortes raisons » comme dans l’arrêt Marurek c. France du 1er février 2000 (req. no 34406/97) où c’est la naissance hors mariage qui a reçu le qualificatif de suspect. 38 Rapport thématique sur « L’interdiction de discrimination dans le droit européen des droits de l’homme. Sa pertinence pour les directives communautaires relatives à l’égalité de traitement sur la base de la race et dans l’emploi », par le Professeur O. De Schutter et le réseau européen des experts en matière de non-discrimination à la Commission européenne, achevé en mai 2011. 39 Cour eur. D.H. (2e sect.), arrêt Alajos Kiss c. Hongrie, 20 mai 2010 (req. no 38832/06) (définitif depuis le 20 août 2010), § 57. 40 Arrêt Kiyutin c. Russie, cité supra. 41 Ibid., § 63. 42 Pour une évaluation des recours aux « sources externes » par la Cour EDH, voy. F. Tulkens, S. van Drooghenbroeck et F. Krenc, « Le soft law et la Cour européenne des droits de l’homme : questions de légitimité et de méthode », R.T.D.H., 2012, pp. 432‑489. 43 Cour eur. D.H. (GC), arrêt Gäfgen c. Allemagne, 1er juin 2010 (req. no 22978/05) pour la notion de torture.
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dégager une définition de handicap. Dans l’arrêt Glör c. Suisse, elle ne la cite que pour constater « qu’il existe un consensus européen et universel sur la nécessité de mettre les personnes souffrant d’un handicap à l’abri de traitements discriminatoires »44. Un arrêt récent rendu contre la Grèce45 a été perçu par certains comme étant une adoption explicite du modèle social dans une affaire concernant le licenciement d’un employé d’une entreprise de fabrication de bijoux en raison de sa séropositivité46. Un tel licenciement avait été déclaré justifié par la Cour de cassation grecque. La Cour conclut à la violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention EDH. Dans cette affaire, l’employé s’était confié à certains collègues craignant avoir contracté le VIH ce qui se révéla avéré. La nouvelle s’est alors rapidement répandue au sein de l’entreprise de soixante-dix employés. Une trentaine d’entre eux fit pression sur le propriétaire de l’entreprise au nom de la sauvegarde de « leur santé et leur droit au travail » pour que leur collègue soit exclu. Au-delà du peu d’humanisme des employés, on peut noter leur rôle moteur dans la décision de licenciement prise par l’employeur. Celui-ci avait pourtant en vain tenté de les raisonner en faisant venir un médecin pour expliquer les précautions à prendre. Il n’était toutefois pas exempt de tout reproche ayant résilié le contrat sous prétexte de rétablir un climat harmonieux au sein de son entreprise. La Cour ne cite pas la Convention onusienne et ne qualifie pas la situation d’ensemble (l’interaction entre la stigmatisation des collègues et le VIH) de handicap. Elle ne fait ainsi que réaffirmer que « [l]es personnes porteuses du VIH sont obligées de faire face à de multiples problèmes, de type non seulement médical, mais aussi professionnel, social, personnel et psychologique et surtout à des préjugés parfois enracinés même parmi les personnes les plus instruites ». Cela ne conduit toutefois pas la Cour à l’effort de définition et ne permet pas d’affirmer que la situation pourrait être qualifiée de handicap sur le fondement du droit de l’UE. Ces développements nous permettent de montrer que la Cour EDH n’a pas dégagé de définition de la notion de handicap et n’a pas expressément choisi de modèle de handicap. La distinction maladie/handicap ne joue pas sur le caractère suspect de critères de discrimination liés à l’état de santé. Elle n’a en réalité pas besoin de l’effort de catégorisation contrairement à la CJUE. Sa jurisprudence reste à observer dans la mesure où elle peut intervenir dans le champ d’application du droit de l’UE, cantonné pour l’instant au contexte de l’emploi, et même éclairer l’interprétation de la notion de handicap dans ce contexte. La notion de handicap a ainsi fait l’objet d’une définition textuelle (ONU) et jurisprudentielle (UE), opération que s’est épargnée la Cour EDH. Les définitions consacrées doivent être confrontées. 44
Arrêt Glör c. Suisse, cité supra, § 53. Cour eur. D.H. (1re sect.), arrêt I. B. c. Grèce, 21 octobre 2013 (req. no 552/10). A. Timmer, « HIV based-employment discrimination : the ECtHR takes a strong stance in I.B. v. Greece », 21 octobre 2013, article disponible sur le blog Strasbourg Observers à l’adresse suivante : http://strasbourgobservers. com/2013/10/21/hiv-based-employment-discrimination-the-ecthr-takes-a-strong-stance-in-i-b-v-greece/. 45 46
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B. La confrontation entre la notion onusienne et européenne (UE) du handicap 1. Un champ de protection différencié Pour rappel, l’UE a ratifié la Convention onusienne ce qui signifie que la protection offerte par le droit de l’UE, et plus particulièrement la directive emploi, ne doit pas être en deçà de celle en droit de l’ONU. Le champ d’application de la définition onusienne est plus large en ce que les barrières ressenties dans tous les domaines de la vie sociale (« la participation à la société ») sont concernées alors que la définition Chacón Navas ne couvre que les obstacles à la vie professionnelle. Ainsi, la directive emploi ne peut s’appliquer à une situation d’inaccessibilité d’une personne handicapée à un magasin si elle souhaite y accéder en tant que cliente. Souhaitant y accéder pour une raison professionnelle (un entretien d’embauche par exemple), la directive devient alors applicable. En droit de l’ONU, les deux situations entrent dans le champ d’application de la Convention. Une telle différence de protection n’est pas un point d’incompatibilité. La restriction au domaine de l’emploi a en effet été rendue claire lors de l’adhésion de l’UE à la Convention onusienne47. Cela résulte des compétences limitées de l’UE en matière de non-discrimination. Ensuite l’exigence de durabilité apparaît dans les deux définitions, le droit de l’UE exigeant la durabilité pour la limitation, le droit de l’ONU pour l’incapacité, différence terminologique qui ne semble pas avoir d’impact en pratique. Au-delà de la directive emploi, l’UE s’est dans son acte d’adhésion déclarée seule compétente pour assumer les obligations en ce qui concerne sa propre administration publique48. Or, selon le statut des fonctionnaires des Communautés européennes de 200449, une « personne est réputée handicapée si elle présente une déficience physique ou mentale permanente ou susceptible de l’être »50. Cette exigence de permanence (même susceptible) est plus restrictive que celle de durabilité et risque d’exclure certains fonctionnaires et agents du champ d’application de la notion de personne handicapée. Ceci nous amène à constater une incompatibilité entre le Statut et la Convention onusienne. L’actuelle proposition de réforme du Statut pourrait être l’occasion d’une mise en conformité51. La question d’une redéfinition du handicap n’y est pourtant pas envisagée. Le Parlement européen s’est montré plus réactif en proposant d’intégrer ad verbatim la définition onusienne dans le Statut et de réaliser ainsi un alignement entre les deux instruments52. Il faut souhaiter que les nombreuses tensions apparues 47
Déclaration de l’UE déterminant l’étendue de la compétence de l’UE en vertu de l’article 44, par. 1 de la Convention onusienne, disponible à l’adresse suivante : http://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_ no=IV-15&chapter=4&lang=fr. 48 Décision 2010/48/CE, concernant la conclusion, par la Communauté européenne, de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, J.O., L 23 35, du 27 janvier 2010, annexe II. 49 Statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le régime applicable aux autres agents de ces Communautés, 1er mai 2004, article 1erquinques, par. 1. 50 Ibid., art. 1erquinques, par. 4. 51 Proposition de règlement modifiant le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne, le 13 décembre 2011, COM (2011) 890 final, 2011/0455 (COD). 52 Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le statut des fonc tionnaires et le régime applicable aux autres agents de l’Union, document de séance A7-0156/2012, disponible à l’adresse suivante : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2012-0156
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sur d’autres sujets (tels que les baisses de salaires, le relèvement de l’âge de la retraite53) n’occultent pas le besoin de changer la définition du handicap afin de la mettre en conformité avec celle de la Convention onusienne.
2. La divergence de modèles sur la compatibilité entre les deux instruments L’avocat général Geelhoed a mis en évidence dans ses conclusions sur l’affaire Chacón Navas l’appréhension du handicap « en tant que terme médico-scientifique, mais aussi dans son sens social »54. Force est pourtant de constater que la CJUE n’avait pas suivi cette approche à la différence d’autres institutions qui ont franchi le pas de l’approche sociale55. La définition Chacón Navas est problématique pour l’articulation entre le droit de l’UE et celui de l’ONU connectés depuis la ratification de la Convention par l’UE en théorie comme en pratique.
a) L’impact théorique L’importance consacrée par la CJUE à l’atteinte médicale a été perçue par certains comme une charge supplémentaire pour celui alléguant un handicap56. Dans le silence de la directive, la charge de la preuve d’une situation de handicap incombe à celui qui l’allègue57. À notre sens, la charge probatoire existe mais est différente selon le modèle choisi. Il faut en effet prouver soit l’atteinte à l’état de santé (modèle médical), soit l’interaction entre celle-ci et « diverses barrières » (modèle social). On aurait même tendance à penser que la charge de la preuve est plus lourde dans le modèle social. Celui-ci exige en effet une double preuve (de l’atteinte médicale et de l’interaction). Cet alourdissement ne doit pas obstruer un avantage essentiel de la lecture sociale. Comprendre que l’origine du problème ne se situe pas exclusivement dans l’individu mais aussi dans des facteurs extérieurs à celui-ci permet de mieux faire le lien entre l’identification du handicap et les obligations qui en découlent. L’exemple le plus topique est l’obligation d’aménagement raisonnable à la charge de l’employeur. Comme énoncé en introduction de cet article, ce concept permet d’identifier les besoins concrets d’un individu dans un environnement donné. Le concept peut non seulement permettre de pallier les inconvénients liés à une pathologie mais également de ne pas faire de celle-ci un handicap. En localisant la cause du handicap non pas dans l’atteinte invalidante de la personne mais dans l’interaction entre cette atteinte et son environnement de travail, l’employeur est mieux à même de comprendre ce qu’il doit faire pour +0+ DOC+XML+V0//FR, proposition d’amendement à l’actuel article 1erquinquies, § 4, alinéa 1er, p. 16. Européenne, (COM(2011)0890–C7-0507/2011–2011/0455(COD), p. 16. 53 Voy. sur le site d’un syndicat des institutions européennes, Union for Unity à l’adresse suivante : http://u4unity. eu/statut2012.htm. 54 Conclusions de l’avocat général L. A. Geelhoed sur l’affaire Chacón Navas, C-13/05, prononcées le 16 mars 2006, point 58. 55 L. Waddington, « Case C-13/05, Chacón Navas… », op. cit., p. 492. 56 Ibid. 57 Ibid., p. 493.
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respecter son obligation. La définition sociale de la notion de handicap s’inscrit bien mieux dans l’esprit de la directive que son homologue médical.
b) L’impact pratique : l’exclusion de certains types de handicaps L’approche médicale telle que consacrée dans l’arrêt Chacón Navas risquait d’écarter certaines situations de la notion de handicap. Trois exemples ont été donnés par Mme Waddington : le handicap supposé (mais inexistant), passé (guéri ou s’étant muté en maladie) ou futur58. Ces trois situations sont dans certaines législations expressément couvertes par la notion de handicap59 mais en sont a priori exclues selon la formule Chacón Navas. Il est en effet difficile de prouver une limitation concrète à la participation à la vie professionnelle puisque l’atteinte n’existe pas, pas encore ou n’existe plus. L’affaire HK Danmark était la première occasion pour la CJUE de changer de cap et de donner sa position par rapport à la Convention onusienne.
III. La consécration du modèle social de la notion de handicap La CJUE a procédé à une redéfinition de la notion de handicap (A) dont il faut évaluer l’impact (B).
A. L’occasion saisie de la mise en conformité : l’arrêt HK Danmark Il s’agira, après avoir examiné les cas d’espèce de montrer que le recours à la notion onusienne de handicap sert à redéfinir celle du droit de l’UE.
1. Les cas d’espèce L’arrêt porte sur deux affaires de licenciement au Danemark (Ring et Skouboe Werge). Dans l’affaire Ring, l’employée a été plusieurs fois absente du lieu de travail pour cause de maladie. D’après les certificats médicaux, elle souffrait de douleurs dorsales chroniques dues notamment à un développement de l’arthrose au niveau des lombaires. Après son licenciement, elle a trouvé un autre travail exercé à raison de vingt heures par semaine. Dans l’affaire Skouboe Werge, l’employée a été mise en arrêt maladie pour des périodes limitées, puis à plein temps à la suite d’un accident qui a engendré divers symptômes tels que des douleurs à la nuque 58
Ibid., p. 497. Exemple en droit irlandais : section 2 (1) du Employment Equality Act, 1998 : « a disability which exists at present, or which previously existed but no longer exists, or which may exist in the future or which is imputed to a person ».
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et une faible résistance au stress. Une procédure d’évaluation a conclu qu’elle était capable de travailler environ huit heures par semaine à un rythme lent. Agissant au nom et pour le compte des employées, le syndicat de défense des droits des travailleurs (HK Danmark) a assigné les employeurs en réparation de leur préjudice sur le fondement du droit national matérialisé par une loi anti-discrimination. Comme dans l’affaire Chacón Navas, la raison officielle des arrêts de travail était la maladie. Le requérant a toutefois pris soin d’alléguer que l’atteinte à l’état de santé dont souffraient les employées pouvait être qualifiée de handicap. Cette allégation était toutefois contestée par les employeurs. Ceux-ci s’appuyaient sur le fait que la seule incapacité qui affectait les employées les empêchait d’exercer un emploi à temps plein. Les affaires amènent à se demander si le handicap correspond seulement à une situation d’incapacité totale ou comprend également la capacité partielle à travailler. Le juge de renvoi s’interrogeait également sur la possibilité de comprendre la notion de handicap au sens de la directive emploi comme pouvant englober un état de santé causé par une maladie curable ou incurable. On sent ici les séquelles de l’arrêt Chacón Navas où la distinction maladie/ handicap, est, en plus d’être délicate, lourde de conséquences. En l’espèce, le requérant invoque également une violation de l’obligation d’aménagement raisonnable, obligation n’existant que pour le handicap rappelons-le.
2. Le recours à la Convention onusienne Contrairement à son avocate générale, la CJUE a eu directement recours à la définition onusienne pour redéfinir celle de l’UE.
a) Les conclusions : le maintien de la définition Chacón Navas L’avocate générale Kokott prône une interprétation conforme de la directive emploi à la Convention onusienne pour la notion de handicap en vertu de l’article 216, paragraphe 2 du TFUE selon lequel les accords conclus par l’UE lient celle-ci (point 26 des conclusions). Elle ne plaide pourtant pas pour une intégration de la définition onusienne mais vient au contraire rappeler celle de la jurisprudence Chacón Navas (point 46). Maintenir cette définition est un choix surprenant d’autant que l’avocate en pointe les défauts pour l’harmonie entre le droit de l’UE et celui de l’ONU. Selon elle, la définition Chacón Navas risque « dans certains cas de figure […] d’être en retrait » par rapport à celle de l’ONU (point 27). La raison de ce retrait réside dans le fait que, dans le cadre onusien, l’obstacle subi par la personne handicapée à sa participation à la société résulte de « l’interaction avec diverses barrières ». C’est précisément cet élément social qui fait défaut dans la définition Chacón Navas. Elle admet donc que la définition européenne risque de ne pas englober autant d’individus que celle de l’ONU. La question ne fait toutefois pas l’objet d’une analyse plus développée puisque les cas d’espèce ne portent pas sur les « barrières » (point 28). Les juges suivent une autre approche.
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b) Le jugement : la reprise de la définition-reflet du modèle social La CJUE fait preuve d’ouverture en remplaçant sa définition Chacón Navas par une définition quasi identique à celle de la Convention onusienne. Après avoir cité les deux définitions (points 36 et 37), elle affirme, en vertu de la primauté des accords internationaux sur le droit dérivé, que la notion de handicap « doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs » (point 38). Cette définition vise à concilier le modèle social avec le champ d’application de la directive emploi. Le conflit potentiel entre les deux instruments semble alors désamorcé. Le juge de l’UE, à savoir au premier chef le juge national, doit prendre en compte la nouvelle définition inspirée de la Convention onusienne pour déterminer si la situation qui lui est soumise relève ou non du handicap au sens de la directive emploi. Cette redéfinition doit être examinée en détail.
3. La redéfinition de la notion de handicap Selon la nouvelle définition, le handicap est une limitation qui est le résultat d’un rapport de cause à effet mettant en jeu l’interaction entre l’atteinte médicale et diverses barrières pouvant avoir pour conséquence un obstacle à la participation à la vie professionnelle.
a) La cause de la limitation : l’interaction entre l’atteinte médicale et « diverses barrières » (i) L’interaction entre l’atteinte médicale… La maladie peut-elle relever de la notion de handicap ? L’arrêt HK Danmark accepte clairement la possibilité (point 41). La Cour partage l’opinion de l’avocate générale selon laquelle la directive emploi ne vise pas seulement à couvrir les « handicaps de naissance ou d’origine accidentelle en excluant ceux causés par la maladie » (point 40). Ainsi, la notion juridique de handicap peut ignorer la classification médicale. La notion de handicap doit bien être interprétée comme pouvant inclure un état pathologique causé par une maladie curable ou incurable. Elle est alors susceptible de recouvrir une multitude de pathologies telles que le diabète, l’hypertension, le cancer et bien d’autres. La frontière entre la maladie et le handicap reste toutefois utile à un titre : l’exclusion de la maladie comme motif propre de discrimination. En tant que telle, elle ne relève pas du champ d’application de la directive emploi (point 42) mais doit revêtir certaines caractéristiques qui seront vues dans la partie consacrée aux conséquences de l’interaction.
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(ii) … et « diverses barrières » Cet élément montre la reprise par la CJUE du modèle social de la notion de handicap. Le modèle exclusivement médical consacré dans l’arrêt Chacón Navas est abandonné. La CJUE reconnaît en effet que des barrières de nature non médicale (les barrières environnementales ou comportementales) peuvent jouer un rôle dans le processus menant au handicap et doivent ainsi être incluses dans la définition juridique. La décision HK Danmark vient d’ailleurs démentir le propos de certains selon lequel le juge européen, à l’instar du juge américain, préfère le modèle médical lui permettant une interprétation claire et rationnelle60. Le juge de l’UE a au contraire adhéré au modèle social. La définition étant conçue comme autonome et uniforme, la substitution opérée dans l’arrêt HK Danmark va avoir un impact dans certains ordres juridiques suivant l’approche médicale de la notion. À ce titre nos développements présentant la définition Chacón Navas et sa confrontation avec le système onusien sont utiles. La notion de handicap comporte une nouvelle fois une composante relative aux effets de l’interaction.
b) La conséquence de l’interaction La composante « cause » semble avoir été relâchée en ce que toute atteinte à l’état de santé – maladie ou handicap dans le bréviaire des médecins – entraînant une limitation durable peut relever de la notion de handicap au sens de la directive emploi. La composante « conséquence » de la limitation est plus délicate à appréhender. L’interaction entre l’atteinte médicale et les diverses barrières doit, selon la CJUE, « pouvoir » faire obstacle à la participation à la vie professionnelle. Contrairement à la définition Chacón Navas, une simple possibilité d’obstacle est exigée, conformément à la Convention onusienne. Le plaideur n’aurait donc pas à prouver concrètement l’obstacle à l’exercice de l’activité professionnelle. Ainsi l’entrave ne doit-elle être que potentielle. La CJUE vient expliciter ce qu’il faut entendre par cette expression. Il s’agit d’une simple gêne à l’exercice d’une activité professionnelle. La précision est importante. Les employeurs défendaient en l’espèce que la notion de handicap suppose une impossibilité de travailler ce qui n’était pas le cas des employées. L’argument est rejeté, la CJUE énonçant que la possibilité de travailler à temps partiel n’exclue pas le handicap (point 44). L’arrêt HK Danmark est un soulagement. Il clarifie qu’une maladie puisse relever de la notion de handicap. Ensuite, il montre la volonté de la CJUE d’appréhender le handicap selon une lecture sociale dont il faut évaluer la portée.
60
Voy. V. Perju, « Impairment, Discrimination, and the Legal Construction of Disability in the European Union and the United States », 44 Cornell Int’ L Journal, 279 (2011), pp. 279‑348, p. 344. L’article est disponible sur internet à l’adresse suivante : http://www.lawschool.cornell.edu/research/ILJ/upload/Perju-final.pdf.
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B. L’impact de la socialisation Le principe de la socialisation acquis, les questions de la preuve et de l’interprétation de l’élément « conséquence » de la définition ressortent de l’arrêt HK Danmark.
1. L’impact sur la preuve Il a été développé au cours de cet article que plusieurs composantes doivent être prouvées pour dégager la notion d’ensemble : le handicap. Il est toutefois intéressant de remarquer que sous l’apparence d’une extension de la notion par la socialisation, celle-ci peut être exclusive pour certaines situations. La définition HK Danmark sous-entend la preuve d’une interaction entre l’atteinte médicale et « diverses barrières ». Si cette preuve est exigée, force est de constater que les individus pour lesquels aucune barrière ne joue de rôle dans le processus menant à leur limitation risquent d’être exclus. Dans l’affaire HK Danmark, Mme Kokott note que « le nœud du problème ne se rapportait pas aux barrières » en l’espèce ce qui aurait pu conduire au refus de constater un handicap. Il est vrai que d’après les faits, ce sont uniquement les atteintes médicales (douleurs physiques notamment) qui causaient l’obstacle à la participation à la vie professionnelle. Cet obstacle se manifestait par une impossibilité de respecter les horaires de travail. Le plus important reste à notre estime l’inclusion de toutes les personnes handicapées dans le champ de la définition européenne, que leur handicap soit causé par l’atteinte à leur état de santé ou par l’interaction entre celle-ci et diverses barrières. Ainsi, le droit de l’UE pourrait conserver le modèle médical adopté dans l’arrêt Chacón Navas tant que celui-ci aboutit à la qualification de handicap. De ce fait, le modèle médical ne jouerait plus un rôle d’exclusion mais d’option par rapport au modèle social. La CJUE n’a pas abordé la question. Ceci révèle que la socialisation de la notion ne fait pas obstacle à inclure dans le champ d’application de celle-ci les situations de handicap selon une lecture médicale.
2. Les incertitudes interprétatives sur la nouvelle définition a) Le cas du handicap subjectif Outre les pathologies qui limitent effectivement la participation d’un individu à une activité professionnelle, d’autres cachent des réalités plus subtiles. Certains parlent de handicap « subjectif » ce qui s’oppose au handicap objectivement constaté. Plusieurs sous-catégories de handicaps subjectifs peuvent ici être présentées. Mme Waddington a cité trois situations de handicaps exclues par la définition Chacón Navas : le handicap supposé, passé ou futur. Selon elle, ces situations sont bien des handicaps au sens juridique d’après le modèle social61. Elles traduisent des réalités certaines qu’il faut présenter avant de s’interroger sur la portée de la définition HK Danmark à leur égard. 61
L. Waddington, « Case C-13/05, Chacón Navas… », op. cit., p. 497.
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Le handicap supposé décrit une situation où l’atteinte à l’état de santé du travailleur n’interfère pas avec l’exercice de l’activité professionnelle soit parce qu’elle est asymptomatique (tel que le VIH dans la première phase du développement de la maladie), soit parce que les symptômes ne gênent pas ou peu le travailleur. L’employeur se fonde alors sur des présupposés infondés scientifiquement. Une autre catégorie de handicap subjectif qui se rapproche du handicap supposé est le handicap futur. Dans cette configuration, l’employeur anticipe le développement d’une maladie ou infection qui progressera inéluctablement vers la limitation ou l’incapacité. Le handicap supposé et le handicap futur peuvent d’ailleurs se combiner, l’employeur supposant le développement d’une pathologie. De telles situations ont déjà été présentées devant les tribunaux américains et canadiens. La comparaison est utile d’autant que dans l’affaire HK Danmark, Mme Kokott y a recours pour cerner la notion de handicap au sens de la directive emploi. Elle cite ainsi l’affaire Bragdon v. Aboot rendu par la Cour suprême des États-Unis dans le contexte de l’accès aux soins62 sur le fondement du Anti-Discrimination Act63. Un dentiste avait refusé de dispenser des soins à un patient atteint du VIH dans son cabinet préférant le faire dans un hôpital pour des raisons de sécurité. Les coûts engendrés par ce transfert devaient toutefois être supportés par le patient. Sur la base de recherches scientifiques, la Cour suprême explique que le VIH asymptomatique est la première phase de l’infection. L’absence de symptômes ne l’empêche toutefois pas de qualifier l’infection de handicap avant de conclure qu’une discrimination a été opérée sur ce motif. Dans le contexte de l’emploi cette fois, la Cour suprême du Canada a consacré la notion de handicap subjectif dans deux affaires64. Dans la première, un employeur avait écarté une candidate pour un poste de jardinière horticultrice aux motifs qu’elle avait une anomalie à la colonne vertébrale. Dans la seconde, le contrat d’un employé atteint de la maladie de Crohn65 n’avait pas été prolongé. Deux éléments ressortaient de ces affaires. Tout d’abord, la différence de traitement était fondée sur les pathologies, l’employeur craignant un développement de la maladie dans le premier cas et un risque d’absentéisme dans le second. Ensuite les certificats médicaux attestaient que les pathologies n’affectaient pas la capacité des individus à remplir normalement ses fonctions professionnelles. Selon une approche médicale, il n’y avait pas de handicap. La Cour suprême, divisée sur la question, décida d’étendre la notion de handicap en droit de la non-discrimination aux situations de handicap subjectif. Une limitation ou une incapacité réelle n’est donc pas nécessaire à la qualification juridique de handicap. Un des juges justifiait la solution en comparant le handicap avec d’autres motifs de discrimination : « dès qu’un employeur refuse un emploi parce qu’il trouve la peau d’un candidat trop brune, peu importe 62
US Supreme Court, Bragdon v. Aboot, 524 US 624 [1998]. American with Disabilities Act (1990), 104 Stat. 355, 42 U.S.C, § 12182, qui définit le handicap comme une personne qui « has (A) a physical or mental impairment that substantially limits one or more major life activities of such individual ; (ii) A record of such an impairment ; or (iii) Being regarded as having such an impairment ». 64 Cour suprême du Canada, Québec c. Montréal et Québec c. Broisband, [2000], 1 R.C.S 665, disponible à l’adresse suivante : http://csc.lexum.org/decisia-scc-csc/scc-csc/scc-csc/fr/1789/1/document.do. Les affaires sont citées par E. Dubout, op. cit., p. 156. 65 Le juge canadien relève que cette maladie affecte certaines portions du tube digestif et peut chez certaines personnes nécessiter des opérations, jugement précité, p. 673. 63
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que le candidat ait réellement la peau brune ou que l’employeur le perçoive subjectivement comme tel, il se trouve à exercer de la discrimination à cause de la couleur »66. Ainsi, l’accent doit être mis sur les effets de la distinction et non sur la réalité objective du handicap67. Le handicap passé porte quant à lui sur la différence de traitement opérée en raison d’une pathologie qu’a eu le travailleur (cancer par exemple) et qui a été guérie ou acquis un degré moindre de gravité. Un employeur peut craindre que la pathologie ait laissé des séquelles et puisse diminuer la performance de l’employé ou que des symptômes ne réapparaissent. Il est à notre estime nécessaire de qualifier toutes ces situations de « handicap » au sens de la directive emploi en ce qu’il serait injustifié de traiter de manière différente des individus ayant objectivement un handicap et ceux perçus comme en ayant un. Bien que devant être qualifié de handicap en théorie, la preuve est délicate en pratique. Il faut montrer le lien entre le handicap, par hypothèse inexistant, et la différence de traitement. Toutefois, comme dans les affaires présentées, l’employeur risque d’utiliser, à tort, la pathologie comme étant une cause justificative de la différence de traitement jugeant la personne inapte à effectuer des prestations de travail de manière satisfaisante. Opérer une différence de traitement en raison d’un handicap – ou de ce qui est perçu comme tel – n’est pas forcément prohibé. Le cœur d’une relation de travail est l’aptitude d’un employé à effectuer des prestations professionnelles. Transposée au contexte européen, il s’agit du droit pour l’employeur de ne pas recruter ou de licencier un individu incompétent, incapable ou indisponible en raison d’un handicap68. Le handicap peut ainsi jouer comme une défense pour l’employeur. Il faut toutefois la manier avec prudence dans la mesure où elle peut se retourner contre le plaideur. Comme dans les affaires canadiennes, les employeurs avaient considéré à tort les travailleurs incapables d’accomplir les tâches professionnelles. Ceci a permis aux juges de transformer l’argument en défense (la croyance du handicap) en argument au bénéfice des employés. En somme, les employeurs doivent prendre garde à ce qu’ils considèrent comme un handicap en soit bien un. Dans l’hypothèse où l’employeur ne révèle pas qu’il s’est fondé sur l’état de santé, il reste à l’employé le jeu des présomptions pour faire peser la charge de la preuve sur l’employeur. La directive emploi n’envisage cet outil qu’aux fins d’établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination (directe ou indirecte) et non pour le motif de discrimination69. Or, il faut, avant de se poser la question de la discrimination, établir une situation de handicap afin que l’action soit jugée recevable. Une évolution du droit de l’UE obligeant les États à permettre de créer des présomptions de handicap au sens de la directive emploi est ainsi souhaitable. 66
Québec c. Montréal et Québec c. Broisband, op. cit., p. 692 citant les motifs du juge Benoît dans l’affaire Commission des droits de la personne du Québec c. Ville de Laval, [1983] C.S. 961, p. 966. Ibid., p. 700. 68 Directive emploi, considérant 17. 69 Directive emploi, article 10, paragraphe 1. 67
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De la présomption de discrimination, on passerait alors à celle du handicap, la seconde conférant à la première une portée plus effective. Il faut répondre à notre question de l’impact de la définition HK Danmark sur ces situations. L’intégration de l’approche sociale conduit-elle à les qualifier de handicap au sens de la directive emploi ? La CJUE, dans le souci d’expliciter la nouvelle définition de handicap, énonce que la notion doit être entendue comme étant une « gêne à l’exercice de l’activité professionnelle ». La précision est heureuse pour écarter l’argument des employeurs selon lequel le handicap suppose une impossibilité de travailler. Elle risque toutefois d’exclure, comme la définition Chacón Navas, les atteintes à l’état de santé qui ne sont pas concrètement une gêne pour cet exercice. Tout dépend alors de l’interprétation que vont en donner les tribunaux nationaux, et le cas échéant la CJUE dans un nouvel arrêt sur la question. Nous défendons qu’elle doit le faire, à l’instar du juge canadien. L’adoption de l’approche sociale conduit à se demander dans quelle mesure une pathologie doit être rattachée au travail pour être qualifiée de handicap au sens de la directive emploi.
b) Le rattachement du handicap au travail De lege lata, le droit dérivé ne garantit l’interdiction de la discrimination en raison du handicap qu’en matière d’emploi et de travail. Les contours de cette matière sont délicats à tracer. Le champ d’application de la directive emploi concerne des situations aisément rattachables à ce contexte dont l’accès à celui-ci et le licenciement. Il est plus difficile de savoir ce qu’il faut entendre par conditions de travail70. Si la fourniture d’une prestation est l’élément majeur de la relation de travail, celleci ouvre également des droits pour le travailleur qui doivent être garantis sans discrimination. Le congé de maternité participe de cette approche. Reconnu en droit de l’UE par la directive 92/85/CE71, il est classiquement présenté comme un élément de la protection des femmes contre la discrimination72. Le refus à un tel droit est toutefois également appréhendé sous l’angle du handicap et donc de la directive emploi dans une affaire actuellement pendante devant la CJUE ; l’affaire Z73. En attendant le prononcé de l’arrêt, les conclusions de l’avocat général Wahl74 permettent de comprendre le lien entre le handicap et le droit au congé de maternité. Le droit est ici réclamé par une femme qui a eu recours à une convention de mère porteuse pour pallier l’impossibilité de donner naissance à un enfant en 70
Ibid., article 5, paragraphe 1, c). Directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (J.O. L 348 du 28 novembre 1992, p. 1), article 2. 72 Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte) (J.O., L 204 du 26 juillet 2006, p. 23), article 2, paragraphe 2, lettre c). 73 Affaire Z c. A Government Department et the Board of Management of a Community School, C-363/12, enregistrée le 13 octobre 2012 (pendante au 31 octobre 2013). 74 Conclusions de l’avocat général Wahl sur l’affaire Z c. A Government Department et the Board of Management of a Community School, C-363/12, présentées le 26 septembre 2013. 71
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raison du manque d’utérus. Ce type de conventions consiste à demander à une femme, appelée mère porteuse, de donner naissance à un enfant qui est ensuite confié à une autre femme (la mère commanditaire). Travaillant en Irlande où ces conventions sont interdites, elle s’est rendue avec son mari en Californie. Demandé pendant la grossesse de la mère porteuse, le congé payé est refusé par l’employeur. Se plaignant devant une juridiction irlandaise d’une discrimination fondée notamment sur le handicap, le juge de renvoi pose plusieurs questions préjudicielles à la CJUE. Il est intéressant de noter que celui-ci ne se demande pas si la situation qui lui est soumise correspond à un handicap au sens de la directive emploi puisqu’il énonce d’emblée que la requérante au principal « souffre d’un handicap »75. C’est donc sur la question de la discrimination qu’il émet des doutes. L’étape préalable de qualification de la situation est toutefois effectuée par l’avocat général pour déterminer si la directive emploi est applicable. Tout d’abord, le juge peut considérer que le lien entre le handicap et le refus du congé fondé sur le droit national est trop ténu. Ce lien résulte en effet de l’initiative de la travailleuse d’être mère commanditaire. La Cour a déjà accepté d’appliquer la directive emploi dans des cas où le lien entre une règle et le motif de discrimination n’est pas automatique comme l’atteste l’affaire Römer76. Face à une différence de traitement entre les individus ayant conclu un partenariat de vie enregistré et les personnes mariées pour la pension de retraite complémentaire en Allemagne, la Cour a conclu à une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle alors que, comme le notait l’avocat général, « [l] e lien entre l’homosexualité et la forme de l’union entre deux personnes n’est pas automatique »77. Il était toutefois plus facile à établir que dans l’affaire irlandaise. En droit allemand, le mariage n’est pas ouvert aux personnes de même sexe et le partenariat enregistré ne peut être conclu qu’entre celles-ci. Il faut alors revenir à la motivation qui anime l’employeur pour opérer la différence de traitement. L’incapacité physique à donner naissance à un enfant n’a pas d’influence sur sa décision. C’est le processus palliatif à cette incapacité qui pose ici problème. Si les juges viennent rattacher la situation au handicap, il reste que cette notion révèle une nouvelle fois que la socialisation opérée par la CJUE n’est pas complète. L’arrêt HK Danmark a en effet opté pour une socialisation par rapport au travail. L’avocat général Wahl énonce ainsi que la définition est dictée par le champ d’application de la directive emploi78. Il faut en effet rappeler que la notion de handicap est comprise par la CJUE comme étant une « gêne à l’exercice de l’activité professionnelle ». L’atteinte médicale est appréhendée et qualifiée de handicap dès lors qu’il a un impact sur l’accomplissement du travail ce qui n’est pas le cas ici (le manque d’utérus la rend incapable d’avoir un enfant mais pas de travailler). Par son action, elle cherche au contraire à être dispensée de l’obligation de travailler pendant la période du congé demandé. Selon l’avocat général, il faut se concentrer sur la « nature intrinsèquement fonctionnelle de la notion de handicap » au 75
Ibid., point 28. C.J., 10 mai 2011, Jürgen Römer c. Freie und Hansestadt Hamburg, C-147/08. Conclusions de l’avocat général Jääskinen sur l’affaire Römer, citée supra, présentées le 15 juillet 2010. 78 Conclusions de l’avocat général Wahl, citées supra, point 90. 76 77
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sens de la directive emploi79. Le handicap suppose selon lui d’établir une interaction entre la limitation de l’individu et la capacité à travailler. Ainsi, « la notion de ‘‘handicap’’ au sens de la directive 2000/78 doit être entendue en relation avec les possibilités pour cette personne de travailler et d’exercer une activité professionnelle »80. Pour ces raisons, M. Wahl suggère à la Cour de considérer que la situation de l’employée ne relève pas de la directive emploi. Il émet discrètement deux exceptions. La directive emploi serait selon lui applicable en cas de licenciement et de refus d’embauche fondé sur l’atteinte constatée. Selon lui, « on ne saurait exclure la possibilité que la conclusion soit différente, si par exemple, Mme Z avait été licenciée pour des raisons liées à la condition dont elle souffre ou si elle n’avait pas été embauchée uniquement en raison de son handicap »81. Il admet ainsi qu’une pathologie puisse être qualifiée de handicap sans qu’une limitation à travailler n’existe in concreto. Cet aveu renforce pour nous l’idée selon laquelle la notion de handicap dépasse la seule question de la capacité de l’individu à travailler et ce, même en droit de l’UE. Si la CJUE se prononce également dans ce sens, des situations telles que celle de l’employé licencié en raison de sa séropositivité dans l’affaire I.B c. Grèce de la Cour EDH relèverait du champ d’application de la directive emploi. Dans cette affaire, la décision de l’employeur de licencier l’employé séropositif n’était pas motivée par rapport à une quelconque interaction entre le virus et la capacité de l’employé à travailler. Objectivement, le virus n’affectait pas ses performances et subjectivement l’employeur ne craignait pas une diminution de celles-ci en raison de sa séropositivité. Le rapport travail-handicap n’était donc pas fonctionnel mais contextuel. C’est dans le cadre des relations de travail que la différence de traitement fondée sur le VIH a posé problème. Ce sont en effet les collègues du travailleur séropositif qui ont demandé à l’employeur son exclusion. L’opinion de l’avocat général est bienvenue. Il faut aller plus loin. À notre estime, le modèle social du handicap doit se traduire en véritable démarche qui doit non seulement dépasser le modèle médical mais également la nature fonctionnelle de la notion de handicap. Deux précisions sont importantes ici. Le caractère traditionnellement fonctionnel du handicap est indéniable. Certaines fonctions sont en effet difficiles à remplir par une personne handicapée dans certains contextes (taper au clavier d’ordinateur pour un aveugle). Ensuite, notre position ne vise pas à contester le champ d’application de la directive emploi. Toutefois, celle-ci s’applique à notre sens aux différences de traitement opérées dans le contexte de l’emploi82 et non seulement à celles fondées sur la capacité à travailler. Reprenant l’esprit de la définition onusienne transposée en droit de l’UE, il est question pour des individus de « participer » à la vie professionnelle, participation souvent entravée en raison de l’atteinte à leur état de santé et de la réaction par rapport à celle-ci sur le lieu de travail. L’entrave à la participation doit ainsi être comprise de façon large, incluant non seulement 79
Ibid., point 97. Ibid., point 96. Ibid., note de bas de page 61. 82 L’avocat général Wahl défend lui aussi adopter une approche contextuelle mais pour la circonscrire à la capacité de l’individu à travailler ce que nous contestons, voy. ses conclusions sur l’affaire Z, citées supra, points 84 et 96. 80 81
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le caractère fonctionnel mais aussi contextuel de la situation de handicap. Une telle approche doit selon nous être suivie non seulement pour l’accès à l’emploi et le licenciement mais également pour les conditions de travail. Si l’on revient à l’affaire de la mère porteuse, celle-ci devrait selon nous être considérée comme ayant un handicap. Le litige devrait donc être réglé, non pas sur le terrain du motif de discrimination, mais sur celui de la discrimination elle-même.
Conclusions Délimiter les contours de la notion de handicap en droit de l’UE n’est pas tâche facile. La CJUE a courageusement consacré l’approche sociale de la notion du handicap qui aide à une meilleure compréhension. Sa définition reflète en effet mieux la réalité de ce phénomène. Plus largement, l’analyse des cas cités montre que le plus important n’est pas de savoir si une pathologie relève in abstracto du handicap. Comme l’a relevé l’avocat général Bot se prononçant sur le fondement de la Charte des droits fondamentaux : « une déficience ou une atteinte physique, mentale ou psychique ne constitue pas forcément un handicap. Tout dépend de l’environnement dans lequel la personne concernée évolue et des obstacles qu’elle rencontre lorsque sa déficience entre en contact avec cet environnement »83. Tout est alors question de circonstances dans une situation donnée. Les États membres, qu’ils aient ou non ratifié la Convention onusienne, devront prendre en compte la nouvelle définition en laissant au besoin inappliquée la notion nationale si celle-ci exclue des individus devant être protégés contre la discrimination. Une nouvelle barrière à franchir, après celle du modèle médical, est la question du rattachement de l’atteinte médicale au travail. Il faut espérer que la CJUE n’ait pas une approche purement fonctionnelle de la notion. À cela s’ajoutent des formes plus subtiles de handicaps telles que le handicap subjectif. Les faits de l’arrêt HK Danmark n’invitaient pas à ce dépassement dans la mesure où les douleurs physiques limitaient les employées dans leur capacité à travailler. L’affaire Z est à ce titre particulièrement attendue. Il revient à la CJUE de poursuivre sa démarche d’appréhension du handicap dans des contextes précis pour y inclure de nouvelles situations dans le champ de cette notion. Elle en est capable. Joseph Damamme Assistant de recherche à l’Institut d’Études européennes de l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Il peut être contacté à l’adresse jdamamme@ulb.ac.be
83
Conclusions de l’avocat général Bot sur l’affaire Wolfgang Glatzel c. Freistaat Bayern, C-356/12, présentées le 18 juillet 2013. Il cite un exemple historique montrant que ce qui est couramment perçu comme un handicap ne l’est pas forcément : « l’amiral Nelson, devenu borgne lors du siège de Calvi en 1794, n’a pas été empêché de continuer à diriger ses hommes et de gagner la bataille de Trafalgar en 1805. Souffrant objectivement d’une déficience visuelle, cette dernière ne constituait pas, pour autant, un handicap dans ces circonstances ».
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Chroniques / Columns Asile et immigration Asylum and immigration Vincent Chetail et Géraldine Ruiz
Résumé
Abstract
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a présente chronique retrace les développements les plus marquants qui ont eu lieu durant l’année 2012 et le premier semestre 2013 dans le domaine de l’asile et de l’immigration. Au niveau international, l’accent est mis sur les différents organes des Nations Unies impliqués dans la protection des migrants, tandis qu’au niveau régional l’attention sera portée au Conseil de l’Europe et à l’Union européenne, dont les activités ont été particulièrement prolixes durant la période considérée.
he column recounts the most striking developments regarding asylum and immigration that happened during the year 2012 and the first semester of 2013. At the universal plane, the emphasis is put on the United Nations organs involved in the protection of migrants, while at the regional level the attention focuses on the Council of Europe and the European Union activities, which were particularly numerous.
I. Asile, immigration et Nations Unies
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es activités de l’Organisation des Nations Unies dans le domaine de l’asile et de l’immigration s’inscrivent dans la continuité de celles menées durant la dernière décennie. Ses organes politiques se sont principalement bornés à adopter diverses résolutions sur leur sujet de préoccupation récurrent (A), tandis que les organes de contrôle des traités relatifs aux droits de l’homme (B) et les procédures spéciales (C) ont poursuivi leur mission de gardiens des droits des migrants sur la scène internationale.
A. Les organes politiques des Nations Unies À l’instar des années précédentes, le Conseil de sécurité s’est principalement intéressé à la question du retour volontaire des réfugiés et personnes déplacées dans certains pays en voie de reconstruction, tels que l’Afghanistan, l’Irak ou encore la Bosnie-Herzégovine. La trame de ces résolutions est bien connue : elles commencent par rappeler que le retour est « d’une importance décisive pour l’instauration d’une paix durable »1 avant de souligner les conditions requises en vue d’accompagner sa mise en place. Le Conseil de sécurité rappelle alors le caractère volontaire de tels retours et la nécessité d’assurer la sécurité et la réintégration 1
Conseil de sécurité des Nations Unies, Res. 2074 (2012), La situation en Bosnie-Herzégovine, al. 8 du préambule.
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Chroniques / Columns
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des réfugiés dans leur pays d’origine2. Il souligne également qu’il incombe en premier chef aux autorités nationales concernées de créer les conditions propices au retour librement consenti, durable et sûr3. Suivant cette optique, les agences onusiennes – et notamment le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés – ont vocation à jouer un rôle de soutien et d’accompagnement des politiques nationales. L’Assemblée générale participe à la même logique dans les diverses résolutions qu’elle consacre aux réfugiés, notamment en Afrique4 et dans la région d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud5. En revanche, l’organe plénier des Nations Unies est nettement plus concerné que le Conseil de sécurité par la question plus générale des migrations, et pas seulement par celle du retour des réfugiés. L’Assemblée générale y dédie pas moins de trois résolutions thématiques chaque année, qui permettent ainsi d’appréhender la question migratoire avec davantage de hauteur. Sa résolution annuelle sur la protection des migrants constate, dans la lignée du Conseil des droits de l’homme6, que « du fait de la mondialisation de l’économie, les flux migratoires se multiplient et se produisent sur fond de nouvelles préoccupations en matière de sécurité »7 et réaffirme que « les États sont tenus de promouvoir et de protéger efficacement les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous les migrants, en particulier les femmes et les enfants, quel qu’en soit le statut migratoire »8. L’Assemblée générale condamne dans cette même optique les actes de violence régulièrement commis à l’encontre des migrants9, et souligne l’apport des travailleurs étrangers au développement économique tant des pays d’accueil que des pays d’origine10.
B. Les organes de contrôle des traités relatifs à la protection des droits de l’homme Les organes de contrôle des traités relatifs à la protection des droits de l’homme jouent un rôle essentiel pour rappeler aux États leurs obligations à l’égard des migrants11. Il est vrai qu’au sein des Nations Unies, un seul organe de contrôle 2
Voir notamment : Conseil de sécurité des Nations Unies, Res. 2041 (2012), La situation en Afghanistan, §§ 44-46 ; Res 2061(2012), La situation en Irak, al. 11 du préambule. Idem. 4 Assemblée générale des Nations Unies, Res. 67/150 (2012), Aide aux réfugiés, aux rapatriés et aux déplacés d’Afrique, §§ 9-10 ; Res. 66/135 (2011), Aide aux réfugiés, aux rapatriés et aux déplacés d’Afrique, §§ 13-16. 5 Assemblée générale des Nations Unies, Res. 67/268 (2013), Situation des personnes déplacées et des réfugiés d’Abkhazie (Géorgie) et de la région de Tskhinvali/Ossétie du Sud (Géorgie), §§ 5-6 ; Res. 66/283 (2012), Situation des personnes déplacées et des réfugiés d’Abkhazie (Géorgie) et de la région de Tskhinvali/Ossétie du Sud (Géorgie), §§ 5-6. 6 Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Res. 23/20 (2013), Droits de l’homme des migrants, al. 12-14 du préambule ; Res. 20/23 (2012), Droits de l’homme des migrants, al. 8 et 12 du préambule. 7 Assemblée générale des Nations Unies, Res. 67/172 (2012), Protection des migrants, al. 17 du préambule. 8 Idem, § 4. 9 Assemblée générale des Nations Unies, Res. 67/185 (2012), Promouvoir les efforts visant à éliminer la violence à l’encontre des migrants, des travailleurs migrants et de leur famille. 10 Assemblée générale des Nations Unies, Res. 67/219 (2012), Migrations internationales et développement. Sa résolution a convoqué un Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement qui s’est tenu les 3 et 4 octobre 2013 et sur lequel nous reviendrons dans la chronique de l’année prochaine. 11 Pour une vue d’ensemble, voir tout particulièrement : D. Weissbrodt et J. Rhodes, « UN Treaty Bodies and Migrant Workers », in V. Chetail et C. Bauloz (eds.), Research Handbook on Migration and International Law, Cheltenham, 3
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Asile et immigration
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est spécifiquement en charge de la question : le Comité pour la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille établi en 200412. Bien que ce dernier Comité prenne progressivement de l’ampleur, son champ d’action demeure limité par le nombre encore faible d’États parties à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille13. Elle est actuellement ratifiée par 47 États, dont aucun pays occidental. Il n’en reste pas moins que le nombre d’États parties s’élargit régulièrement. Cette convention est d’ailleurs amenée à jouer un rôle de premier rang dans la migration Sud-Sud qui représente une part essentielle et en tout cas majoritaire des mouvements de personnes dans le monde. Pour les États non-parties, les organes de contrôle des traités à vocation plus générale sont par la force des choses amenés à jouer un rôle considérable. Ils rappellent non seulement que, sauf rares exceptions, les droits de l’homme s’appliquent à tous indépendamment de la nationalité. Mais ils accordent également une attention toute particulière aux droits des migrants qui découlent de leurs traités respectifs. À l’instar des années précédentes, trois préoccupations essentielles ressortent de la pratique des organes de contrôle portant respectivement sur la détention des migrants en situation irrégulière, sur le principe de nonrefoulement et sur la non-discrimination. L’adoption en janvier 2013 par le Comité des droits de l’homme d’un projet d’Observation générale consacrée à la liberté et sécurité de la personne fut l’occasion de rappeler les principes directeurs régissant la détention des migrants en situation irrégulière. Selon ces derniers, « [l]a détention pendant une procédure aux fins de contrôle de l’immigration n’est pas en soi arbitraire mais doit être justifiée, raisonnable, nécessaire et proportionnée compte tenu de toutes les circonstances, et la mesure doit être réévaluée si elle se poursuit. Les demandeurs d’asile qui entrent illégalement sur le territoire d’un État partie peuvent être placés en rétention pendant une brève période initiale, le temps de vérifier leur entrée, d’enregistrer leurs griefs et de déterminer leur identité si elle est douteuse. Les maintenir en détention pendant que leur demande est examinée serait arbitraire en l’absence de raisons particulières propres à l’individu, comme un risque de fuite présenté par l’individu, le danger d’atteinte à autrui ou un risque d’acte contre la sécurité nationale. Il faut étudier les éléments utiles au cas par cas et ne pas fonder la décision sur une règle obligatoire applicable à une vaste catégorie de personnes ; il faut tenir compte de moyens moins invasifs d’obtenir Edward Elgar Publishing, Research Handbooks in International Law Series, 2014 ; I. Slinckx, « Migrants’ Rights in UN Human Rights Conventions », in R. Cholewinski, P. de Guchteneire et A. Pécoud (eds.), Migrant and Human Rights : The United Nations Convention on Migrant Workers’ Rights, Paris/Cambridge, UNESCO/Cambridge University Press, 2009, pp. 143‑149. 12 Sur le rôle de ce Comité qu’il n’est pas possible de développer ici, voir : V. Chetail, « The Committee on the Protection of the Rights of All Migrant Workers and Members of Their Families », in P. Alston et F. Megret (eds.), The United Nations and Human Rights : A Critical Appraisal, 2e ed., Oxford, Oxford University Press, 2014. 13 Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, 18 décembre 1990 (entrée en vigueur le 1er juillet 2003), 2220 UNTS 3.
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le même résultat, comme l’obligation de se présenter à la police, le versement d’une caution ou d’autres moyens d’empêcher le demandeur de passer dans la clandestinité ; il faut en outre que la décision fasse l’objet d’un réexamen périodique et d’un contrôle juridictionnel. La décision doit également prendre en considération les besoins des enfants et l’état de santé mentale de l’étranger placé en détention. Tout placement en détention nécessaire doit se faire dans des locaux appropriés, salubres, tels qu’ils ne donnent pas un caractère punitif à la rétention, qui ne doit pas avoir lieu dans une prison. Les intéressés ne doivent pas rester retenus indéfiniment aux fins du contrôle de l’immigration si l’État partie n’est pas en mesure de procéder à leur expulsion »14.
Ce rappel de principe reflète l’interprétation communément admise en la matière par bon nombre d’acteurs concernés, incluant notamment le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Ce dernier prit d’ailleurs soin de rappeler ses propres lignes directrices peu avant le Comité des droits de l’homme15. Le principe de non-refoulement, tel qu’il est notamment consacré par l’article 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture16, continue d’occuper une place centrale dans les activités du Comité éponyme. En fait, depuis sa création, l’immense majorité des communications individuelles qui lui sont soumises porte sur cette disposition, au point qu’il est devenu un comité anti-expulsion. Sur le fond, les communications examinées durant l’année 2012 et le premier semestre 2013 ne diffèrent pas fondamentalement de l’interprétation développée auparavant à propos du contenu et du champ d’application de l’article 317. Le Comité a notamment rappelé que l’interdiction de refoulement ne souffre d’aucune exception et que les assurances diplomatiques obtenues par les États de renvoi auprès des États de destination pour démontrer l’absence de risque encouru ne suffisent pas en elles-mêmes pour délier les premiers de leurs responsabilités18 ; or, c’est bien là l’objectif poursuivi par ce procédé de défausse de plus en plus fréquemment invoqué devant les organes de contrôle. De même, la possibilité de s’installer dans une autre région de son pays d’origine supposée plus sûre ne suffit pas en soi à écarter le risque de torture : en effet, 14 Comité D.H., Projet d’Observation générale No. 35 : article 9 (liberté et sécurité de la personne), CCPR/C/107/R.3 (29 janvier 2013), § 18 (notes de bas de page omises). 15 À ce propos, voir notamment : Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guidelines on the Applicable Criteria and Standards Relating to the Detention of Asylum-Seekers and Alternatives to Detention, 2012, accessible en ligne à partir du site Refworld. 16 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984 (entrée en vigueur le 26 juin 1987), 1465 UNTS 85, article 3 aux termes duquel « 1. Aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. 2. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ». 17 Pour une vue d’ensemble de l’interprétation du Comité contre la torture qu’il n’est pas possible de retracer ici, voir notamment : M. Nowak et E. MCArthur, The United Nations Convention Against Torture. A Commentary, Oxford, Oxford University Press, 2008, pp. 126‑228 ; V. Chetail, « Le Comité des Nations Unies contre la torture et l’expulsion des étrangers : dix ans de jurisprudence », Revue suisse de droit international et européen, 2006, no 1, pp. 63‑104. 18 Voir tout particulièrement : Comité contre la torture, Inas Abichou c. Allemagne, communication no 430/2010, déc. du 17 juillet 2013 (CAT/C/50/D/430/2010), § 11.5 ; Alexey Kalinichenko c. Maroc, communication no 428/2010, déc. du 18 janvier 2012 (CAT/C/47/D/428/2010), §§ 15.5-15.6.
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Asile et immigration
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selon la jurisprudence du Comité, « la notion de ‘‘danger local’’ ne fournit pas des critères mesurables et n’est pas suffisante pour dissiper totalement le danger personnel d’être torturé »19. Plus généralement, le Comité rappela que, conformément à son Observation générale No. 1, l’appréciation du risque encouru impose de tenir compte de l’ensemble des circonstances concernant la situation générale dans le pays de destination et la situation particulière de l’individu concerné20. Dans les faits, la plupart des cas de violation de l’article 3 concerne des déboutés de l’asile en attente d’expulsion, ce qui est assez révélateur de la qualité des procédures d’asile dans les pays incriminés. Ont été notamment condamnés durant la période concernée par cette chronique l’Australie21, le Canada22, le Danemark23, la Suède24 et la Suisse25. Les pays d’origine demeurent relativement inchangés au regard des années précédentes : Afghanistan26, Azerbaïdjan,27 Chine28, Egypte29, Iran30 et République démocratique du Congo31. Outre les déboutés de l’asile, le deuxième type de cas où des violations de l’article 3 sont régulièrement constatées − quoique dans des proportions moindres – a trait à des mesures d’extradition vers un pays où l’extradé risque d’être soumis à la torture. À cet égard, ont notamment été concernées des mesures d’extradition du Maroc vers la Russie32 et de l’Allemagne vers la Tunisie33. Au-delà des cas de refoulement au titre de la Convention contre la torture, l’autre grande source de préoccupation de nombreux organes de contrôle des traités sur les droits de l’homme porte sur les violations du principe de non-discrimination. Le droit à la non-discrimination ayant déjà fait l’objet d’une chronique dans la
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Comité contre la torture, Arthur Kasombola Kalonzo c. Canada, communication no 343/2008, déc. du 4 juillet 2012 (CAT/C/48/D/343/2008), § 9.7. 20 Idem. 21 Comité contre la torture, M. Ke Chun Rong c. Australie, communication no 416/2010, déc. du 7 février 2013 (CAT/C/49/D/416/2010). 22 Comité contre la torture, Arthur Kasombola Kalonzo c. Canada, communication no 343/2008, déc. du 4 juillet 2012 (CAT/C/48/D/343/2008). 23 Comité contre la torture, K. H. c. Danemark, communication no 464/2011, déc. du 7 février 2013 (CAT/C/49/D/464/2011). 24 Comité contre la torture, M. A. M. A. et consorts c. Suède, communication no 391/2009, déc. du 10 juillet 2012 (CAT/C/48/D/391/2009) ; S. M., H. M. et A. M. c. Suède, communication no 374/2009, déc. du 17 janvier 2012 (CAT/C/47/D/374/2009). 25 Comité contre la torture, Abolghasem Faragollah et al. c. Suisse, communication no 381/2009, déc. du 17 janvier 2012 (CAT/C/47/D/381/2009). 26 Comité contre la torture, K. H. c. Danemark, communication no 464/2011, déc. du 7 février 2013 (CAT/C/49/D/464/2011). 27 Comité contre la torture, S. M., H. M. et A. M. c. Suède, communication no 374/2009, déc. du 17 janvier 2012 (CAT/C/47/D/374/2009). 28 Comité contre la torture, M. Ke Chun Rong c. Australie, communication no 416/2010, déc. du 7 février 2013 (CAT/C/49/D/416/2010). 29 Comité contre la torture, M. A. M. A. et consorts c. Suède, communication no 391/2009, déc. du 10 juillet 2012 (CAT/C/48/D/391/2009). 30 Comité contre la torture, Abolghasem Faragollah et al. c. Suisse, communication no 381/2009, déc. du 17 janvier 2012 (CAT/C/47/D/381/2009). 31 Comité contre la torture, Arthur Kasombola Kalonzo c. Canada, communication no 343/2008, déc. du 4 juillet 2012 (CAT/C/48/D/343/2008). 32 Comité contre la torture, Alexey Kalinichenko c. Maroc, communication no 428/2010, déc. du 18 janvier 2012 (CAT/C/47/D/428/2010). 33 Comité contre la torture, Inas Abichou c. Allemagne, communication no 430/2010, déc. du 17 juillet 2013 (CAT/C/50/D/430/2010).
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présente revue34, l’on se bornera ici à relever deux communications importantes et tristement révélatrices de l’époque dans laquelle nous vivons. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale constata que l’Allemagne et le Danemark avaient manqué à leur obligation de mener une enquête effective à la suite de faits portant respectivement sur une incitation à la haine raciale diffusée par voie de presse à l’encontre des populations d’origine turque35, et sur des actes de violence commis à l’encontre d’une famille de réfugiés d’origine iraquienne36.
C. Les procédures spéciales En parallèle aux organes de contrôle, les procédures spéciales ont vocation à jouer un rôle non négligeable de promotion et de soutien des droits des migrants37. Cependant, bien que toutes les procédures spéciales soient virtuellement susceptibles d’être concernées, la protection des migrants est loin d’être prise en compte de manière systématique dans l’exercice de leurs mandats respectifs. Selon nos estimations, seulement un tiers des mandats thématiques intègre la question dans leurs rapports. De fait, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants instauré en 1999 se trouve relativement isolé face à une tâche immense, tant les droits des migrants sont bafoués dans le monde. Contrairement aux organes de contrôle des traités, le Rapporteur spécial n’est pas lié par la règle de l’épuisement des voies de recours internes. Mais l’efficacité de son contrôle ne doit pas être surestimée pour autant. Le nombre de communications adressées aux États à propos d’allégation de violation(s) demeure limité, et le taux de réponse des États concernés représente moins de la moitié de l’ensemble des communications : du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2010, 104 communications ont ainsi été envoyées, et 43 d’entre elles ont obtenu une réponse38. Ces informations ne figurent d’ailleurs plus dans les rapports annuels du nouveau Rapporteur spécial, le Professeur François Crépeau.
34 E. Bribosia et I. Rorive, « Chronique : droit de l’égalité et de la non-discrimination », Journal européen des droits de l’homme, 2013, Vol. 1, no 2, pp. 297‑329. 35 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, TBB-Turkish Union in Berlin/Brandenburg c. Allemagne, communication no 48/2010, déc. du 26 février 2013 (CERD/C/82/D/48/2010). Dans cette dernière affaire, le Comité « rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’exercice du droit à la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités spécifiques, en particulier l’obligation de ne pas propager d’idées racistes. Il fait observer aussi que l’article 4 de la Convention codifie la responsabilité de l’État partie de protéger la population contre l’incitation à la haine raciale, mais aussi contre les actes de discrimination raciale par diffusion d’idées basées sur la supériorité ou la haine raciale », idem, § 12.7 (notes de bas de page omises). 36 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Mahali Dawas et Yousef Shava c. Danemark, communication no 46/2009, déc. du 3 avril 2012 (CERD/C/80/D/46/2009). 37 Pour une vue d’ensemble voir : T. Lesser, « The Role of United Nations Special Procedures in Protecting the Human Rights of Migrants », Refugee Survey Quarterly, 2010, Vol. 28, no 4, pp. 139‑164 ; E. Decaux, « Droits des travailleurs migrants et droit international des droits de l’homme », Migrations Société, 2008, no 20, pp. 185‑198. 38 Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, M. Jorge Bustamante, présenté à la dixseptième session du Conseil des droits de l’homme (21 mars 2011) (A/HRC/17/33), § 3 ; Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, M. Jorge Bustamante, présenté à la quatorzième session du Conseil des droits de l’homme (16 avril 2010) (A/HRC/14/30), § 4 ; Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, M. Jorge Bustamante, présenté à la onzième session du Conseil des droits de l’homme (14 mai 2009) (A/HRC/11/7), § 3, p. 3 ; Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, M. Jorge Bustamante, présenté à la septième session du Conseil des droits de l’homme (25 février 2008) (A/HRC/7/12), §§ 5-6.
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L’éminent spécialiste – qui a pris ses fonctions en août 2011 − a décidé de consacrer la première année de son mandat à une étude thématique régionale sur la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne en se concentrant sur la région méditerranéenne. Son rapport contient de nombreuses recommandations adressées aux différents acteurs concernés pour mieux tenir compte des droits fondamentaux des migrants. Il souligne plus généralement que : « [t]oute approche n’intégrant pas pleinement les garanties en matière de droits de l’homme et les garanties juridiques peut être qualifiée de répressive, et remet en cause l’aptitude de l’Union européenne à jouer un rôle de modèle en ce qui concerne la protection des droits de l’homme dans le monde »39.
Force est de constater que l’Union européenne manque encore de crédibilité en la matière. En attestent les condamnations régulières par les organes du Conseil de l’Europe qui ont été insuffisamment prises en compte dans la récente refonte du droit de l’asile et de l’immigration effectuée par l’Union européenne.
II. Asile, immigration et Conseil de l’Europe Au niveau régional, le Conseil de l’Europe occupe une place toute particulière dans la protection des droits fondamentaux des migrants. En écho aux préoccupations de bon nombre d’observateurs, ses organes politiques et judiciaires mettent régulièrement en cause les carences de la politique de l’Union européenne et les violations émanant de ses États membres.
A. Les organes politiques du Conseil de l’Europe Si la prudence prévaut au sein du Comité des Ministres, l’Assemblée parlementaire s’est montrée ouvertement critique à l’égard de la politique migratoire de l’Union européenne. À titre d’exemple, elle n’hésita pas à souligner – parmi d’autres problèmes structurels et opérationnels – le manque de clarté et de transparence dans le fonctionnement et la gestion de l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex)40. Elle a également pointé du doigt les carences en matière de solidarité entre les pays membres de l’Union, dont elle jugea les politiques « irréalistes »41, tout comme elle s’in39 Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, M. François Crépeau − Étude régionale : la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne et ses incidences sur les droits de l’homme des migrants – présenté à la vingt-troisième session du Conseil des droits de l’homme (24 avril 2013) (A/HRC/23/46), § 78. 40 Assemblée parlementaire, « Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme », Résolution 1932(2013), 25 avril 2013 (version provisoire). Voir également la recommandation portant sur le même thème, Recommandation 2016(2013), 25 avril 2013 (version provisoire). 41 Assemblée parlementaire, « Migrations et asile : montée des tensions en Méditerranée orientale », Résolution 1918(2013), 24 janvier 2013, § 11. Une recommandation ayant trait au même sujet a également été adoptée, voir Assemblée parlementaire, « Migrations et asile : montée des tensions en Méditerranée orientale », Recommandation 2010(2013), 24 janvier 2013.
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quiéta des répercussions du durcissement de la gestion des frontières extérieures de l’Union42. Bien que, par sa composition, le Comité des Ministres soit naturellement moins porté à la critique, il n’a pas manqué de prendre acte de l’obligation de respecter les droits de l’homme des migrants. Les obligations internationales des États membres en la matière ont été systématiquement rappelées dans les réponses que le Comité des Ministres adressa à l’Assemblée parlementaire, que ce soient à propos des migrants Roms en Europe43, de la protection des femmes immigrées44, de la traite des travailleurs migrants45, de l’expulsion des réfugiés et des migrants46, des enfants non accompagnés47 ou sans-papiers48, ou des interceptions en mer49. L’unique recommandation adoptée par le Comité – dont le sujet apparaît pour le moins marginal au regard de l’actualité migratoire – participe également de cette approche50. En outre, les thématiques transversales que sont la discrimination et la vulnérabilité des populations migrantes sont très présentes dans les prises de position du Comité et de l’Assemblée51. De manière générale, la stratégie affichée ne préconise pas un développement normatif, mais œuvre au contraire à un renforcement des politiques d’intégration et des mécanismes de contrôle52, au premier rang desquels figure la Cour européenne des droits de l’homme. Si le Comité des Ministres a souhaité rappeler que cette dernière n’était pas un « tribunal d’immi42
Assemblée parlementaire, « La gestion des défis en matière de migrations et d’asile au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne », Résolution 1933(2013), 25 avril 2013 (version provisoire). Comité des Ministres, « Les migrants Roms en Europe – Recommandation 2003 (2012) de l’Assemblée parlementaire », réponse adoptée le 27 mars 2013, CM/AS(2013)Rec2003 final, 2 avril 2013. Voir également la recommandation du même nom de l’Assemblée parlementaire, 2003(2012), 28 juin 2012. 44 Comité des Ministres, « La protection des femmes immigrées sur le marché du travail – Recommandation 1970(2011) de l’Assemblée parlementaire », réponse adoptée le 1er février 2012, CM/AS(2012)Rec1970 final, 3 février 2012. 45 Comité des Ministres, « La traite des travailleurs migrants à des fins de travail forcé – Recommandation 2011(2013) de l’Assemblée parlementaire », réponse adoptée le 10 juillet 2013, CM/AS(2013)Rec2011 final, 12 juillet 2013. Voir également la recommandation et la résolution du même nom de l’Assemblée parlementaire, Résolution 1922(2013), 25 janvier 2013 et Recommandation 2011(2013), 25 janvier 2013. 46 Comité des Ministres, « Protéger les réfugiés et les migrants en situation d’extradition et d’expulsion : indications au titre de l’article 39 du règlement de la Cour européenne des droits de l’homme – Recommandation 1956(2011) de l’Assemblée parlementaire », réponse adoptée le 18 janvier 2012, CM/AS(2012)Rec1956 final, 20 janvier 2012. 47 Comité des Ministres, « L’arrivée massive de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés sur les rivages du Sud de l’Europe / Problèmes liés à l’arrivée, au séjour et au retour d’enfants non accompagnés en Europe / Demandeurs d’asile et réfugiés : pour un partage des responsabilités en Europe – Recommandations 1967(2011), 1969(2011) et 1973(2011) de l’Assemblée parlementaire », réponse conjointe adoptée le 20 juin 2012, CM/AS(2012)Rec1967-1969-1973 final, 22 juin 2012. 48 Comité des Ministres, « Les enfants migrants sans-papiers en situation irrégulière : une réelle cause d’inquiétude – Recommandation 1985(2011) de l’Assemblée parlementaire », réponse adoptée le 24 octobre 2012, CM/AS(2012) Rec1985 final, 29 octobre 2012. 49 Comité des Ministres, « L’interception et le sauvetage en mer de demandeurs d’asile, de réfugiés et de migrants en situation irrégulière – Recommandation 1974(2011) de l’Assemblée parlementaire », réponse adoptée le 24 octobre 2012, CM/AS(2012)Rec1974 final, 29 octobre 2012. Voir également la position critique développée par l’Assemblée parlementaire dans sa résolution d’avril 2012, « Vies perdues en Méditerranée : qui est responsable ? », Résolution 1872(2012), 24 avril 2012. 50 Comité des Ministres, « Recommandation sur la protection des enfants et des jeunes sportifs contre des problèmes liés aux migrations », CM/Rec(2012)10, 19 septembre 2012. 51 Voir par exemple : Comité des Ministres, « La protection des femmes immigrées sur le marché du travail… », op. cit., § 2 ; « L’arrivée massive de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés sur les rivages du Sud de l’Europe… », op. cit., § 6 ; « Les enfants migrants sans-papiers en situation irrégulière… », op. cit., § 2. 52 Comité des Ministres, « Les enfants migrants sans-papiers en situation irrégulière… », op. cit., § 4 ; « La protection des femmes immigrées sur le marché du travail… », op. cit., § 4. 43
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gration de quatrième instance »53, force est toutefois de constater qu’elle offre aux migrants une protection plus que nécessaire dans un contexte peu favorable au respect de leurs droits fondamentaux.
B. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme54 La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans le domaine de l’asile et de l’immigration s’inscrit dans la continuité. En matière de détention des étrangers, ses arrêts confirment pour la plupart les positions de principe dégagées dans sa jurisprudence antérieure. Les conditions de détention doivent ainsi respecter certaines garanties minimales, sous peine de contrevenir à l’article 3 de la Convention. La Grèce fut de nouveau condamnée de ce chef55, pays dont les conditions de détention des demandeurs d’asile et des migrants irréguliers furent exposées en détail dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce56. De même, la Cour a condamné la France pour avoir détenu des enfants de cinq mois et trois ans, avec leurs parents, pendant quinze jours au centre de rétention de Rouen-Oissel57. De façon plus inédite, la Cour réunie en Grande Chambre a apporté une importante clarification dans l’arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie du 23 février 2012. Elle a jugé que l’interdiction d’expulsion collective contenue à l’article 4 du Protocole no 4 s’applique pleinement aux personnes interceptées en haute mer58. Pour ce faire, elle rappela son interprétation du concept de juridiction, puis invoqua divers éléments textuels, le but et le sens de la disposition, ainsi que le principe de l’interprétation évolutive chère à la Cour, pour en conclure que : « les éloignements d’étrangers effectués dans le cadre d’interceptions en haute mer par les autorités d’un État dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique, et qui ont pour effet d’empêcher les migrants de rejoindre les 53
Le Comité endosse les propos tenus lors de la Conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme tenue à Izmir les 26 et 27 avril 2011, dans : « Protéger les réfugiés et les migrants en situation d’extradition et d’expulsion… », op. cit., § 4. 54 La Cour n’est évidemment pas le seul organe européen de contrôle. Parmi d’autres exemples possibles, le Comité européen sur les droits sociaux joue en la matière un rôle qui aspire à se développer. Dans l’affaire Défense des Enfants International (DEI) c. Belgique, les experts rappelèrent que « la restriction du champ d’application personnel […] ne saurait se prêter à une interprétation qui aurait pour effet de priver les étrangers en situation irrégulière de la protection des droits les plus élémentaires […] ainsi bien que de porter préjudice à leurs droits fondamentaux » : C.E.D.S., Défense des Enfants International (DEI) c. Belgique, R.C. no 69/2011, déc. du 23 octobre 2012 (sur le bien-fondé), § 28. C.E.D.S., Défense des Enfants International (DEI) c. Belgique, R.C. no 69/2011, déc. du 23 octobre 2012 (sur le bienfondé), § 28. Le Comité en conclut que les articles 17, 7, § 10, 11, 13 et 16 de la Charte sociale européenne trouvaient à s’appliquer aux mineurs étrangers en situation irrégulière. Cette interprétation téléologique de la Charte offre de nouvelles perspectives dans la protection des droits sociaux des personnes migrantes qui sont amenées à prendre de l’ampleur. 55 Voir notamment : Cour eur. D.H. (1re sect.), arrêt Horshill c. Grèce du 1er août 2013 (req. 70427/11) ; Cour eur. D.H. (1re sect.), arrêt A.F. c. Grèce du 13 juin 2013 (req. 53709/11) ; Cour eur. D.H. (1re sect.), arrêt Ahmade c. Grèce du 25 septembre 2012 (req. 50520/09) (définitif depuis le 25 décembre 2012) ; Cour eur. D.H. (1re sect.), arrêt Chkhartishvili c. Grèce (req. 22910/10) du 2 mai 2013 ; Cour eur. D.H. (1re sect.), arrêt Bygylashvili c. Grèce du 25 septembre 2012 (req. 58164/10) (définitif depuis le 25 décembre 2012) ; Cour eur. D.H. (1re sect.), arrêt Mahmundi et autres c. Grèce du 31 juillet 2012 (req. 14902/10) (définitif depuis le 24 octobre 2012). 56 Cour eur. D.H. (GC), arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 (req. 30696/09). 57 Cour eur. D.H. (5e sect.), arrêt Popov c. France du 19 janvier 2012 (req. 39472/07 et 39479/07) (définitif depuis le 19 avril 2012), §§ 89-103. 58 Cour eur. D.H. (GC), arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie du 23 février 2012 (req. 27765/09).
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frontières de l’État, voire de les refouler vers un autre État, constituent un exercice de leur juridiction au sens de l’article 1 de la Convention, qui engage la responsabilité de l’État en question sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 4 »59.
Les conséquences de cette interprétation – somme toute logique – n’en demeurent pas moins substantielles puisque, conformément à l’arrêt Čonka60, il incombe à l’État concerné de procéder à un examen individuel de la situation propre à chaque personne interceptée avant toute expulsion. L’obligation de procéder à un tel examen individuel implique notamment d’évaluer les risques encourus dans le pays de destination conformément au principe de non-refoulement. Parmi les multiples affaires concernant ce dernier principe61, l’arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni procède à un élargissement notable du champ matériel du non-refoulement, en y incluant le risque de violation flagrante du droit à la liberté et à la sûreté62. Cet arrêt a le mérite de clarifier une question qui n’avait curieusement pas encore été tranchée jusqu’à présent63. Il n’en demeure pas moins que les cas dans lesquels les risques de violation de l’article 5 viendront prohiber un refoulement ont vocation à rester relativement rares. En effet, comme pour s’excuser de son interprétation auprès des États, la Cour souligne que : « [t]outefois […] un seuil élevé doit s’appliquer. Il n’y aurait violation flagrante de l’article 5 que si, par exemple, l’État d’accueil détenait arbitrairement un requérant pendant plusieurs années sans avoir l’intention de le traduire en justice, ou si un requérant risquait d’être détenu pendant une longue période dans l’État d’accueil après avoir été condamné à l’issue d’un procès manifestement inéquitable »64.
De fait, la Cour n’a pas constaté de violation de l’article 5 dans la présente affaire mais a censuré le renvoi du requérant en Jordanie sur la base du droit à un procès 59
Idem, § 180. La Cour devait ainsi constater sa violation par l’Italie après avoir relevé que « le transfert des requérants vers la Libye a été exécuté en l’absence de toute forme d’examen de la situation individuelle de chaque requérant. Il est incontesté que les requérants n’ont fait l’objet d’aucune procédure d’identification de la part des autorités italiennes, lesquelles se sont bornées à faire monter l’ensemble des migrants interceptés sur les navires militaires et à les débarquer sur les côtes libyennes. De plus, la Cour relève que le personnel à bord des navires militaires n’était pas formé pour mener des entretiens individuels et n’était pas assisté d’interprètes et de conseils juridiques », ibid., § 185. 60 Cour eur. D.H. (3e sect.), arrêt Čonka c. Belgique du 5 février 2002 (req. 51564/99) (définitif depuis le 5 mai 2002), §§ 61-63. 61 Voir par exemple les affaires suivantes dans lesquelles la Cour censura le refoulement : Cour eur. D.H. (5e sect.), arrêt M.E. c. France du 6 juin 2013 (req. 50094/10) ; Cour eur. D.H. (5e sect.), arrêt MO.M. c. France du 18 avril 2013 (req. 18372/10) (définitif depuis le 18 juillet 2013) ; Cour eur. D.H. (2e sect.), arrêt Singh et autres c. Belgique du 2 octobre 2012 (req. 8139/09) (définitif depuis le 2 janvier 2013) ; Cour eur. D.H. (2e sect.), arrêt M.S. c. Belgique du 31 janvier 2012 (req. 50012/08) (définitif depuis le 30 avril 2012). 62 Cour eur. D.H. (4e sect.), arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012 (req. 8139/09) (définitif depuis le 9 mai 2012), §§ 231-235. 63 La Cour avait exprimé des doutes à cet égard dans l’affaire Tomic c. Royaume-Uni (req. 17837/03) (décision sur la recevabilité du 14 octobre 2003). Bien que la Cour ne semble pas en être consciente, l’ancienne Commission avait admis en 1997 que l’interdiction du refoulement incluait le risque de détention arbitraire en violation de l’article 5. Voir sur ce dernier point V. Chetail, « Le droit des réfugiés à l’épreuve des droits de l’homme : bilan de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’interdiction du renvoi des étrangers menacés de torture et de traitements inhumains ou dégradants », R.B.D.I., 2004, Vol. 37, no 1, pp. 182‑183. 64 Cour eur. D.H. (4e sect.), arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012 (req. 8139/09) (définitif depuis le 9 mai 2012), § 233.
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équitable au sens de l’article 6, dont l’applicabilité au contentieux du refoulement avait été reconnue dès le tout premier jugement rendu en la matière en 1989 dans la célèbre affaire Soering65. L’arrêt Othman (Abu Qatada) précise à ce sujet que l’admission de preuves obtenues par la torture est un déni flagrant de justice au sens de l’article 666. Plus généralement, l’apport supposé de cet arrêt est fortement atténué par la position de la Cour à l’égard des assurances diplomatiques censées neutraliser le risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Bien que cette affaire soit l’occasion de rappeler les différents critères permettant d’apprécier la validité de telles assurances67, on ne peut que regretter l’ambiguïté qui prévaut en présence de violations systématiques des droits de l’homme68. Au-delà du principe de non-refoulement proprement dit, le contentieux des étrangers relatif au droit à la vie privée et familiale a connu un développement important avec l’arrêt Hode et Abdi c. Royaume-Uni du 6 novembre 2012. Pour la Cour, le fait que le droit au regroupement familial des réfugiés puisse varier selon que leur mariage a été conclu avant ou après leur fuite est un traitement discriminatoire en violation de l’article 1469. Bien que la loi incriminée fut modifiée par le Royaume-Uni, les effets de ce jugement pourraient rejaillir sur les États membres de l’Union européenne qui choisiraient de se rallier à la définition prévalant dans la directive 2011/95/UE, et de n’offrir par conséquent un titre de séjour qu’aux membres d’une famille fondée préalablement à la fuite du bénéficiaire de la protection internationale70. La Cour fut amenée dans d’autres affaires à se prononcer plus directement encore sur la conformité du droit de l’Union relatif à l’asile et l’immigration avec la Convention européenne. Le règlement Dublin fut à nouveau l’objet de l’attention de la Cour71. En outre, la procédure d’asile proprement dite a été soumise à son contrôle juridictionnel à travers le droit à un recours effectif. Dans l’arrêt I.M. c. France du 2 février 201272, la Cour a été amenée à se prononcer sur les effets d’un classement d’une demande de protection internationale en procédure accélérée. La Cour n’a pas rejeté in abstracto le principe même des procédures prioritaires73. Elle a toutefois dénoncé le fait que l’accessibilité des recours fut « limitée 65
Cour eur. D.H. (plénière), arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989 (req. 14038/88). Cour eur. D.H. (4e sect.), arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012 (req. 8139/09) (définitif depuis le 9 mai 2012), §§ 267 et 282. 67 Idem, §§ 188-189. 68 Ibidem, §§ 188 et 191-193 pour l’application au cas d’espèce. 69 Cour eur. D.H. (4e sect.), arrêt Hode et Abdi c. Royaume-Uni du 6 novembre 2012 (req. 22341/09) (définitif depuis le 6 février 2013), §§ 42-56. 70 Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte) (J.O., L 337, du 20 décembre 2011, p. 9), article 2, al. j et article 23, § 1er (ci-après Refonte de la Directive Qualification). 71 Voir tout particulièrement Cour eur. D.H. (1re sect.), arrêt Mohammed c. Autriche du 6 juin 2013 (req. 2283/12). 72 Cour eur. D.H. (5e sect.), arrêt I.M. c France du 2 février 2012 (req. 9152/09) (définitif depuis le 2 mai 2012). 73 Idem, § 141. 66
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par plusieurs facteurs, liés pour l’essentiel au classement automatique de [la] demande en procédure prioritaire »74. Par ailleurs, si la Cour s’attacha à rappeler que son seul mandat était de « s’assurer que [les procédures nationales d’asile et d’immigration] fonctionnent dans le respect des droits de l’homme »75, elle ne manqua pas de s’inquiéter de certaines défaillances procédurales : brièveté des délais76, absence d’examen circonstancié77, recours sans effet suspensif78, insuffisance de l’assistance juridique et linguistique79. Ce faisant, la Cour souligne avec force que les garanties diffèrent selon le type de procédure par laquelle est examinée une demande de protection internationale, et prend ainsi position sur le système différencié institué par la directive 2005/85/CE80. Qu’on le veuille ou non, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est devenue une source majeure du droit européen de l’asile et de l’immigration. Son contrôle juridictionnel reste primordial pour assurer que les règles imaginées par les États et endossées par l’Union européenne ne portent pas atteinte aux droits de l’homme.
III. Asile, immigration et Union européenne L’Union européenne a été – on l’a vu – au cœur de l’attention en raison de sa politique de l’immigration et de l’asile. La situation ne risque pas de changer dans un proche avenir. En effet, les refontes que l’Union européenne a achevées en 2013 ne manqueront pas d’alimenter le débat, tant les modifications apportées dans les domaines de l’immigration et de l’asile demeurent dans la continuité de sa politique antérieure.
A. Immigration et contrôle aux frontières La plupart des développements entrepris en matière d’immigration ont trait à la politique de la gestion des frontières, qui subit des modifications à la fois techniques et opérationnelles. On notera en premier lieu que le système d’information Schengen deuxième génération (SIS II)81 est en service depuis le 9 avril 74
Ibid., § 154. Idem, § 136. Ibidem, §§ 144-147. 77 Ibid., § 141. 78 Idem, § 156. 79 Ibidem, § 155. 80 Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié (J.O., L 326, du 13 décembre 2005, p. 13) (ci-après directive Procédures). 81 Règlement (UE) no 1272/2012 du Conseil du 20 décembre 2012 relatif à la migration du système d’information Schengen (SIS 1+) vers le système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (refonte) (J.O., L 359, du 29 décembre 2012, p. 21) et règlement (UE) no 1273/2012 du Conseil du 20 décembre 2012 relatif à la migration du 75 76
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201382, clôturant un processus entamé en 2012 visant à intégrer au système (SIS I) les avancées dans les technologies de l’information83. En second lieu, une refonte a introduit tout récemment dans le Code Schengen les changements techniques exigés par l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne notamment84. Les modifications étant dès le départ vouées à être « d’ampleur limitée »85, la valeur ajoutée de cette refonte apparaît faible. Elle consacre toutefois quelques avancées86 et rappelle que certaines garanties fondamentales doivent être observées lors du contrôle des étrangers87. Ce faisant, la refonte du Code Schengen offre un lointain écho aux faits de l’affaire Zakaria, dans laquelle le demandeur a mis en cause les actes des gardes-frontières commis lors du contrôle préalable à l’entrée sur le territoire88. Saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice a interprété l’article 13, para. 3 du Code consacrant un droit de recours comme ne s’appliquant qu’aux seules décisions de refus d’entrée sur le territoire89. Les articles 20 et 21 du Code – qui, selon l’arrêt Adil, n’interdisent pas les contrôles à l’intérieur des États membres dès lors qu’ils sont nécessaires et qu’ils n’équivalent pas à un exercice de vérification aux frontières à la lumière de leurs objectifs et de leurs effets90 – restent en grande partie inchangés91. L’article 5 auquel se réfère la cour luxembourgeoise dans l’arrêt ANAFE92 est pour sa part légèrement modifié.
système d’information Schengen (SIS 1+) vers le système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (refonte) (J.O., L 359, du 29 décembre 2012, p. 32). 82 « Mise en service du système d’information Schengen (SIS II) », Communiqué de presse de la Commission européenne, IP/13/309, 9 avril 2013. 83 Proposition de règlement du Conseil relatif à la migration du système d’information Schengen (SIS 1+) vers le système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II) (refonte), COM(2012) 81 final, 2012/0033 (NLE), 30 avril 2012, p. 1. 84 Règlement (UE) no 610/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 modifiant le règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), la convention d’application de l’accord de Schengen, les règlements (CE) no 1683/95 et (CE) no 539/2001 du Conseil et les règlements (CE) no 767/2008 et (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil (refonte) (J.O., L 182, du 29 juin 2013, p. 1), al. 9 et 11 du préambule notamment. Comme son titre l’indique et dans la mesure où les changements introduits dans le nouveau Code Schengen ont des répercussions sur d’autres actes de droit dérivé, le nouveau règlement vient également modifier le Code des visas, la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa, le modèle type de visa et le règlement VIS (Visa Information System). À ce propos, la Cour de justice estima dans l’affaire Vo que le règlement no 810/2009 (Code Visas) – lequel subit quelques modifications du fait de la refonte du Code Schengen – ne s’opposait pas à la pénalisation de l’aide à l’obtention frauduleuse de visas sans que ces derniers aient été au préalable annulés : C.J., 10 avril 2012, Vo, C-83/12 PPU, points 42-48. 85 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) et la convention d’application de l’accord de Schengen, COM(2011)118 final, 2011/0051 (COD), 10 mars 2011, p. 2. 86 En matière par exemple de droits fondamentaux (nouvel article 3bis), de la reconnaissance de la vulnérabilité de certaines catégories de personnes (article 6, § 1er modifié) ou de formation (article 15, § 1er concernant la formation des garde-frontières). 87 Nouvel article 7, § 5 qui consacre, dans le cadre des vérifications approfondies aux frontières sur les personnes, le droit d’être informé par écrit sur l’objet dudit contrôle. 88 C.J., 17 janvier 2013, Zakaria, C-23/12. 89 Idem, point 35. 90 C.J., 19 juillet 2012, Adil, C-278/12 PPU, points 57, 59, 68, 75-76 et 86-87 tout particulièrement. 91 L’article 21, al. d est toutefois légèrement modifié. Cfr. les règlements no 610/2013 et 562/2006. 92 C.J., 14 juin 2012, ANAFE, C-606/10.
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La réglementation de la gestion des frontières de l’Union européenne aspire à se développer d’un point de vue opérationnel, comme en attestent les propositions élaborées par la Commission. Au début de l’année 2013, cette dernière a proposé simultanément trois règlements destinés à mettre sur pied un programme d’enregistrement des voyageurs93, permettant « aux ressortissants de pays tiers ayant été soumis à un contrôle de sûreté préalable et ayant obtenu l’accès au [programme] de bénéficier d’une facilitation des vérifications aux frontières extérieures de l’Union »94. Constatant que les procédures de vérification aux frontières pour les ressortissants des pays tiers sont assez lourdes, la Commission suggère pour ceux voyageant fréquemment une « procédure alternative de vérification […] pour passer progressivement de l’approche ‘‘centrée sur le pays’’ à une approche ‘‘centrée sur la personne’’ »95. Par ailleurs, la Commission a élaboré une proposition de règlement relative à la surveillance des frontières maritimes par Frontex96. Cette proposition s’inscrit dans la continuité de l’arrêt Parlement européen c. Conseil97. À l’occasion de ce recours en annulation, la Cour de justice a estimé que le Conseil avait outrepassé ses compétences en adoptant la décision 2010/252/UE portant sur les règles applicables aux opérations de l’agence aux frontières maritimes98 ; elle annula par conséquent l’acte99. À la demande du Parlement européen, la Cour déclara cependant que les effets de la décision étaient maintenus, « jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable, d’une nouvelle réglementation »100. Le règlement aurait pour effet de rendre obligatoires les « règles et les lignes directrices [applicables aux cas de recherche et de sauvetage et au débarquement] non contraignantes »101 de la décision 2010/252/UE, dans une version quelque peu développée102. Il laisse dans tous les cas en suspens la question fondamentale des responsabilités. Les 93
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d’un système d’entrée/sortie pour l’enregistrement des entrées et sorties des ressortissants de pays tiers franchissant les frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, COM(2013) 95 final, 2013/0057 (COD), 28 février 2013 ; proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 562/2006 en ce qui concerne l’utilisation du système d’entrée/sortie (EES) et le programme d’enregistrement des voyageurs (RTP), COM(2013) 96 final, 2013/0060 (COD), 28 février 2013 ; proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d’un programme d’enregistrement des voyageurs, COM(2013) 97 final, 2013/0059, 28 février 2013. 94 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d’un programme d’enregistrement des voyageurs, COM(2013) 97 final, 2013/0059, 28 février 2013, projet d’article 3, § 1er. 95 Idem, exposé des motifs, p. 3. 96 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures dans le cadre de la coopération opérationnelle coordonnée par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, COM(2013) 197 final, 2013/0106 (COD), 12 avril 2013 (ci-après proposition de règlement sur la surveillance des frontières maritimes extérieures). 97 C.J., 5 septembre 2012, Parlement européen c. Conseil de l’Union européenne, C-355/10. 98 Décision 2010/252/UE du Conseil du 26 avril 2010 visant à compléter le code frontières Schengen en ce qui concerne la surveillance des frontières extérieures maritimes dans le cadre de la coopération opérationnelle coordonnée par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (J.O., L 111, du 4 mai 2011, p. 20) (ci-après décision 2010/252/UE sur la surveillance des frontières extérieures maritimes). 99 C.J., 5 septembre 2012, Parlement européen c. Conseil de l’Union européenne, C-355/10, point 84. 100 Idem, point 90. 101 Décision 2010/252/UE sur la surveillance des frontières extérieures maritimes, article 1er. 102 Cfr. l’annexe II de la décision 2010/252/UE sur la surveillance des frontières extérieures maritimes et les articles 9-10 de la proposition de règlement sur la surveillance des frontières maritimes extérieures. Une brève comparaison des deux textes est effectuée par la Commission dans sa proposition de règlement. Voir COM(2013) 197 final, 2013/0106 (COD), 12 avril 2013, pp. 6‑8.
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débats autour de ce projet de règlement révèleront si le recours déposé devant la Cour de justice concernait exclusivement la répartition des compétences institutionnelles au sein de l’Union. Enfin, une proposition a également été formulée au mois de mars 2013 par la Commission relative au droit d’entrée dans l’Union. Invoquant tout à la fois le vieillissement de la population européenne, la compétition en matière d’innovation et la politique migratoire comme outil de développement, la Commission a présenté un projet de refonte conjointe103 des directives 2004/114/CE104 et 2005/71/CE105. Quand bien même la proposition élargit le champ de ses bénéficiaires106, elle n’en demeure pas moins limitée par son objet qui porte sur l’admission aux fins d’études, de volontariat ou de recherche scientifique. Cette même logique catégorielle du droit de l’immigration de l’Union européenne se retrouve dans deux autres propositions toujours en discussion portant respectivement sur l’entrée aux fins d’un emploi de saisonnier ou dans le cadre d’un détachement intragroupe107. En parallèle à l’effervescence des instances communautaires en matière de réglementation de la gestion des frontières de l’Union, la Cour de justice a rendu un certain nombre d’arrêts importants. Dans le domaine de l’immigration irrégulière, la Cour a réaffirmé le principe selon lequel les sanctions liées aux infractions des législations nationales relatives à l’entrée et au séjour des étrangers doivent se conformer au principe du retour dans les meilleurs délais, ce qui exclut l’imposition d’une peine d’assignation à résidence108. En outre, trois arrêts notables ont été rendus concernant le statut de résident de longue durée. La Cour a condamné la pratique consistant à réclamer aux demandeurs de permis de séjour longue durée des droits fiscaux disproportionnés qui portent atteinte à l’objectif de la directive109. Elle a précisé dans l’arrêt Singh la portée du champ d’application personnel de la directive 2003/109/CE à propos de l’exclusion des personnes séjournant de façon temporaire110. Elle a estimé tout 103
Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, d’échange d’élèves, de formation rémunérée et non rémunérée, de volontariat et de travail au pair (refonte), COM(2013) 151 final, 2013/0081 (COD), 25 mars 2013, p. 3. 104 Directive 2004/114/CE du Conseil du 13 décembre 2004 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins d’études, d’échange d’élèves, de formation non rémunérée ou de volontariat (J.O., L 375, du 23 décembre 2004, p. 12). 105 Directive 2005/71/CE du Conseil du 12 octobre 2005 relative à une procédure d’admission spécifique des ressortissants de pays tiers aux fins de recherche scientifique (J.O., L 289, du 3 novembre 2005, p. 15). 106 Cfr. l’article 1er, al. a de la directive 2004/114/CE, l’article 1er de la directive 2005/71/CE, et l’article 1er de la proposition de refonte. 107 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un détachement intragroupe, COM(2010)378 final, 2010/0209 (COD), 13 juillet 2010 ; proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi saisonnier, COM(2010)379 final, 2010/0210 (COD), 13 juillet 2010. 108 C.J., 6 décembre 2012, Sagor, C-430/11, points 31-47. 109 C.J., 26 avril 2012, Commission européenne c. Royaume des Pays-Bas, C-508/10. 110 Sont en effet exclues du champ d’application de la directive les personnes qui « séjournent exclusivement pour des motifs à caractère temporaire, par exemple en tant que personnes au pair ou travailleurs saisonniers, ou en tant que travailleurs salariés détachés par un prestataire de services afin de fournir des services transfrontaliers, ou en
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d’abord que cette exclusion couvrait « deux cas de figure, à savoir, d’une part, celui des ressortissants de pays tiers qui séjournent exclusivement pour des motifs à caractère temporaire et, d’autre part, celui des ressortissants de pays tiers dont le permis de séjour a été formellement limité »111. La conclusion de la Cour vient cependant amoindrir les effets d’une telle distinction. Elle estima en effet que la définition du « permis de séjour formellement limité » – notion autonome du droit de l’Union112 – ne couvrait pas les permis dont la durée serait certes déterminée mais pourrait toutefois être indéfiniment prolongée, dès lors que « la limitation formelle n’empêche pas l’installation durable du ressortissant de pays tiers dans l’État membre concerné »113. Enfin, l’arrêt Kamberaj lui a donné l’occasion d’interpréter la notion de « prestations essentielles » qui représente le seuil en deçà duquel les États ne peuvent déroger à l’égalité de traitement en matière d’aide et de protection sociales (article 11, para. 4). La Cour se référa à la Charte des droits fondamentaux pour conclure que l’aide au logement était une prestation essentielle lorsqu’elle visait à « assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes »114. Outre les questions relatives au statut des résidents de longue durée, la Cour s’est également prononcée sur le regroupement familial des membres de la famille d’un citoyen de l’Union. À deux occasions, elle a confirmé la position selon laquelle le droit de séjour des membres de la famille d’un citoyen de l’Union découlant de la directive 2004/38/CE115 ne trouvait à s’appliquer que lorsque ce dernier avait fait usage de sa liberté de circulation116, principe soumis toutefois à exception117. La Cour a précisé par ailleurs dans son arrêt Rahman les obligations positives découlant de la disposition qui invite les États à favoriser l’entrée et le séjour de tout autre membre de la famille du citoyen européen118.
tant que prestataires de services transfrontaliers, ou lorsque leur permis de séjour a été formellement limité », directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (J.O., L 016, 23 janvier 2004, p. 44), article 3, § 2, al. e. 111 C.J., 18 octobre 2012, Singh, C-502/10, points 30-38. 112 Idem, point 43. 113 Ibidem, point 56. 114 C.J., 24 avril 2012, Kamberaj, C-571/10, point 92. 115 Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (J.O., L 158, du 30 avril 2004, p. 77). 116 C.J., 6 décembre 2012, O. et S., C-356/11 et 357/11, point 41 ; C.J., 8 mai 2013, Ymeraga, C-87/12, point 45. 117 Le refus de séjour ne doit ainsi pas entraîner pour le citoyen européen « la privation de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union », C.J., 8 mai 2013, Ymeraga, C-87/12, point 45 et C.J., 6 décembre 2012, O. et S., C-356/11 et 357/11, point 82. Dans ce dernier arrêt, la Cour souligna que l’application de cette exception n’était pas liée à l’existence d’une « relation biologique entre le ressortissant de pays tiers pour lequel un droit de séjour est demandé et le citoyen de l’Union, qui est un enfant en bas âge », mais avait trait à leur « relation de dépendance » (points 55-56), précisant de la sorte sa jurisprudence antérieure énoncée notamment dans l’arrêt Ruiz Zambrano (C-34/09). 118 Selon la Cour, l’article 3, § 2 exige que les États prévoient « la possibilité pour [ces] personnes […] d’obtenir une décision sur leur demande qui soit fondée sur un examen approfondi de leur situation personnelle et qui, en cas de refus, soit motivée », C.J., 5 septembre 2012, Rahman, C-83/11, point 22. La Cour interpréta également la relation de dépendance requise, en soulignant que la directive n’exigeait pas que cette dépendance ait pris place dans l’État d’origine du citoyen européen mais qu’il suffisait au contraire qu’elle existât dans le pays de provenance du membre de la famille, au moins au moment de la demande de droit de séjour (point 35).
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Les jugements de la Cour en matière de regroupement familial offrent cependant une image contrastée quant au rôle que les droits de l’homme jouent dans son interprétation préjudicielle. Dans l’arrêt O. et S., la Cour a mentionné à diverses reprises la Charte des droits fondamentaux, et a souligné que ses dispositions devaient guider l’interprétation et l’application des conditions posées par la directive 2003/86/CE au regroupement familial de ressortissants de pays tiers119. L’arrêt Iida témoigne à l’inverse de la réserve dont font preuve les juges sur le régime général des droits de l’homme : en dépit de l’orientation des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, la Cour s’est contentée d’estimer que le refus de titre de séjour ne présentait aucun lien de rattachement avec le droit de l’Union. Par conséquent, « la conformité de ce refus aux droits fondamentaux ne saurait être examinée à l’aune des droits institués [par la Charte] »120.
B. Un (nouveau) régime d’asile européen ? La nouvelle mouture du régime d’asile européen a commencé à prendre forme avec l’adoption en 2011 de la refonte de la directive 2004/83/CE sur les conditions d’octroi de la protection internationale121. Elle n’a véritablement pris corps qu’au mois de juin 2013 avec la refonte des règlements et directives portant sur le partage de la responsabilité, sur les procédures d’examen des demandes et sur les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale. Face aux diverses critiques émises à propos du premier « paquet asile », la volonté affichée est celle du souci de clarté122. Il faut toutefois relever d’emblée que les changements apportés sont principalement cosmétiques : il s’agit en effet d’une reformulation plus que d’une réforme proprement dite123. De manière générale, chaque refonte trouve désormais à s’appliquer aux demandeurs de protection internationale124, terme qui recouvre les candidats au statut 119
C.J., 6 décembre 2012, O. et S., C-356/11 et 357/11, points 75-80. C.J., 8 novembre 2012, Iida, C-40/11, point 81. Pour une analyse critique de cette position, voir J.‑Y. Carlier, « La libre circulation des personnes dans et vers l’Union européenne », J.D.E., no 197, 3/2013, § 15. 121 Refonte de la directive Qualification. Elle fut d’ailleurs soumise à diverses reprises à l’interprétation de la Cour de justice : C.J., 19 décembre 2012, El Kott, C-364/11 (clause d’exclusion, article 12, § 1er, al. a de la directive 2004/83/ CE, inchangé par la refonte) ; C.J., 22 novembre 2012, M.M., C-277/11 (exigence de coopération, article 4, § 1er de la directive 2004/83/CE, inchangé par la refonte ; droit d’être entendu dans la procédure d’instruction de la demande de protection subsidiaire après le rejet d’une première demande de statut de réfugié) ; C.J., 5 septembre 2012, Bundesrepublik Deutschland, C-71/11 et C-99/11 (notion de persécution religieuse, article 9, § 1er, inchangé par la refonte). 122 Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (refonte) (J.O., L 180, du 29 juin 2013, p. 31) (ci-après refonte du règlement Dublin), 1er al. du préambule ; directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) (J.O., L 180, du 29 juin 2013, p. 96) (ci-après refonte de la directive Accueil), 1er al. du préambule ; directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) (J.O., L 180, du 29 juin 2013, p. 60) (ci-après refonte de la directive Procédures), 1er al. du préambule. 123 Voir dans le même sens, parmi les premiers commentaires : S. Peers, « The Second Phase of the Common European Asylum System : A Brave New World – or Lipstick on a Pig ? », Analysis Paper No. 220, Statewatch, 8 avril 2013. 124 Refonte du règlement Dublin, article 1er ; refonte directive Accueil, article 1er ; refonte directive Procédures, article 1er. 120
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de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire. En matière d’application ratione loci, il est désormais explicitement confirmé que le territoire des États comprend leurs eaux territoriales125. Au regard des débats actuels relatifs aux responsabilités étatiques en haute mer, cet ajout apparaît superflu et passe à côté du véritable enjeu du champ d’application géographique des obligations en matière d’asile. Concernant le régime d’allocation de la responsabilité, le but de la refonte visait à « renforcer l’effectivité du système » et à garantir « l’ensemble des besoins des demandeurs d’une protection internationale » tout au long de la procédure de détermination de l’État responsable126. Il faut dire que les limites du régime de Dublin et les violations des droits de l’homme qui accompagnaient sa mise en œuvre avaient été mis en exergue par la Cour européenne dans son retentissant arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce127, puis par la Cour de justice dans l’arrêt N.S.128. La refonte semble tirer les leçons de ces condamnations jurisprudentielles. En ce sens, l’article 3 reprend quasi littéralement la jurisprudence européenne lorsqu’il prévoit l’impossibilité d’un transfert vers un État membre désigné comme responsable par les critères de la refonte, « parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs »129. Parmi les autres modifications les plus notables, les garanties offertes aux demandeurs de protection internationale sont quelque peu enrichies concernant par exemple le droit à l’information (article 4), à l’entretien individuel (article 5), le droit au recours (article 27), ou encore à propos des mineurs (article 6). Leur mode de rédaction reste cependant assez souple, découlant soit du caractère optionnel des clauses, soit de l’exception apposée au principe130. C’est ainsi que, si la rétention en vue d’un transfert ne peut être décidée au « seul motif que [la personne] fait l’objet de la procédure établie par le présent règlement », l’essentiel de l’article 28 vise à en organiser les modalités. S’agissant des critères de détermination de la responsabilité (articles 7-15), aucune modification fondamentale n’est opérée. Les principaux changements y afférant ont trait à la situation des mineurs non accompagnés (article 8), et ne codifient, pas plus qu’ils ne contredisent, l’interprétation de la Cour de justice en la matière. Dans l’arrêt M.A., les juges luxembourgeois estimèrent à ce propos que – en cas de demandes déposées dans différents États membres par un mineur non accompagné n’ayant pas de famille se trouvant régulièrement dans un État 125
Refonte directive Accueil, article 3 ; refonte directive Procédures, article 3. Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), COM(2008)820 final, 2008/0243 (COD), 3 décembre 2008, p. 1. 127 Cour eur. D.H. (GC), arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 (req. 30696/09). 128 C.J., 21 décembre 2011, N.S., C-411/10 et 493/10. 129 Refonte du règlement Dublin, article 3, § 2, al. 1er. 130 Les articles 5 et 27 illustrent tout particulièrement ce propos. 126
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membre – c’est l’État dans lequel se trouve le mineur après y avoir déposé une demande d’asile qui est responsable de l’examen de sa demande de protection internationale131. Par ailleurs, le regroupement des clauses discrétionnaires en un seul et même article (article 17) ne remet pas en cause leur caractère distinct souligné par la Cour de justice dans son arrêt Halaf132. En outre, la préservation de la lettre de l’ancien article 15 permet à la jurisprudence K. de garder toute sa pertinence dans l’interprétation de la clause humanitaire133. Au final, la refonte du règlement Dublin ne remet nullement en cause l’économie générale du système précédent, ni ses effets souvent décriés à l’égard des États situés aux frontières extérieures de l’Union qui assument l’essentiel de la responsabilité à l’égard des demandeurs d’asile134. Comme complément longtemps indissociable au régime de Dublin, le règlement Eurodac a également fait l’objet d’une refonte après différentes propositions de la Commission135. Sa finalité s’en trouve profondément modifiée et n’est désormais plus exclusivement reliée au système Dublin. Si Eurodac fut initialement créé pour « faciliter l’application de la Convention de Dublin », son application est maintenant étendue à des « fins de […] prévention ou de […] détection des infractions terroristes ou d’autres infractions pénales graves, et des enquêtes en la matière »136. Par-delà les importantes modifications opérées par la refonte137, l’accès à la base de données Eurodac par les autorités policières nationales ou européenne assimile de façon plus que discutable
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C.J., 6 juin 2013, MA, C-648/11, point 66. C.J., 30 mai 2013, Halaf, C-528/11, point 39. C.J., 6 novembre 2012, K, C-245/11. Dans cet arrêt, la Cour favorisa une lecture dynamique du second paragraphe de l’article 2, en estimant que – dans le cadre d’une relation de dépendance – la possibilité ordinaire que les États ont d’invoquer la clause humanitaire devient exceptionnellement obligatoire (point 54). 134 Voir en guise d’atténuation le nouvel article 33 établissant un mécanisme d’alerte rapide, de préparation et de gestion de crise. 135 Quatre propositions furent successivement soumises par la Commission : proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la création du système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (CE) No. […/…] [établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride], COM(2008)825 final, 2008/0242 (COD), 3 décembre 2008 ; proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la création du système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (CE) No. […/…] [établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride], COM(2009)342 final, 2008/0242 (COD), 10 septembre 2009 ; proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la création du système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (CE) No. […/…] [établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride], COM(2010)555 final, 2008/0242 (COD), 11 octobre 2010 ; proposition modifiée de Règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la création du système « Eurodac » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (CE) No. […/…] [établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride] et pour les demandes de comparaison avec les données d’EURODAC présentées par les services répressifs des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) no 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, COM(2012)254 final, 2008/0242 (COD), 30 mai 2012. 136 Refonte du règlement Dublin, al. 13 du préambule. 137 Outre le nouveau chapitre 6 dévolu à la procédure de comparaison à des fins répressives, les modifications portent par exemple sur les fonctions de l’agence opérationnelle d’Eurodac (article 4), sur les autorités policières (articles 5-7), le type d’informations conservées (articles 10, 11), leur transmission (article 24). Pour une présentation plus développée des changements, se référer à S. Peers, « The Second Phase of the Common European Asylum System : A Brave New World – or Lipstick on a Pig ? », op. cit., pp. 9‑10. 132 133
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les demandeurs et les bénéficiaires de protection internationale à des « criminels potentiels »138. En matière d’accueil des demandeurs de protection internationale, si la nouvelle directive 2013/33/UE consacre des normes qui ne sont désormais plus minimales, force est de constater qu’elle ne révolutionne pas son contenu. Les dispositions relatives à l’emploi (article 15) et à l’éducation (article 14) sont légèrement étayées. L’article sur les voies de recours est lui aussi détaillé, et pose désormais le principe de l’assistance juridique et de la représentation gratuite auquel les États peuvent toutefois apposer différentes limites (article 26). Les personnes vulnérables (articles 21 et 22) et les mineurs – qu’ils soient accompagnés ou non (articles 23 et 24) – font l’objet d’une attention particulière. Dans l’arrêt Cimade et Gisti, la Cour a en outre précisé que, dans le cadre d’un transfert Dublin, les normes en matière d’accueil trouvaient à s’appliquer et relevaient de la responsabilité de l’État saisi de la demande de protection jusqu’à ce que le transfert du demandeur soit effectif139. Toutefois, la formulation des dispositions reste trop souvent flexible140, ce qui offre une marge de manœuvre assez substantielle aux États. Un tel procédé jette le doute sur l’effectivité de l’harmonisation des conditions d’accueil des demandeurs à travers les différents pays de l’Union. Par ailleurs, les maigres développements soulignés ci-dessus viennent difficilement compenser la normalisation de la détention que la refonte opère et qui intègre en son sein quatre dispositions régissant ses modalités (articles 8-11). Dernière pièce du puzzle de l’asile européen, la refonte des procédures vise elle aussi à remédier aux graves insuffisances de la directive originale141. En support à sa proposition initiale de refonte, la Commission souligna que cette directive était celle qui « relie et complète tous les instruments relatifs à l’asile », de telle sorte que « toute lacune dans [celle-ci] a-t-elle des répercussions sur l’application des autres règles communautaires »142. Cinq buts furent alors attachés à la refonte, laquelle visait à : 1) instaurer une procédure unique ; 2) faciliter l’accès à la procédure ; 3) améliorer l’efficacité du processus d’examen des demandes, via notamment la mise en place de délais ; 4) assurer la qualité des décisions par l’amélioration des garanties procédurales ; 5) assurer un recours effectif à l’effet suspensif explicite143. 138
S. Peers, op. cit., p. 9. C.J., 27 septembre 2012, Cimade et Gisti, C-179/11, dispositif. Voir par exemple article 6 (information) ou article 7 (séjour et liberté de circulation). 141 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait de la protection internationale dans les États membres (refonte), COM(2009)554 final, 2009/0165/COD, 21 octobre 2009, pp. 2‑4. 142 Document de travail des services de la Commission accompagnant la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait de la protection internationale dans les États membres (résumé de l’analyse d’impact), SEC(2009) 1377 final, 20 octobre 2009, p. 3. 143 « Une procédure d’asile unique et plus équitable en vue d’instituer un statut uniforme valable dans toute l’Union européenne : les dernières briques de la protection internationale sont posées », communiqué de presse de la Commission européenne, IP/09/1552, 21 octobre 2009.
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Après plusieurs années de négociations et une proposition de directive modifiée144, le contenu de la directive refondue offre un constat plutôt mitigé quant à l’achèvement de ces objectifs. Les modifications apportées à l’article 6 (nouveaux articles 6 et 7) consacrent certaines avancées en matière d’enregistrement des demandes et des autorités qui en sont responsables, ce qui participe à l’amélioration de l’accès à la procédure des personnes majeures ou mineures. Cet accès est toutefois sérieusement entravé pour ceux se trouvant en centre de rétention ou aux passages frontaliers, à qui ne sont fournies des informations concernant la procédure de demande de protection internationale que « s’il existe des éléments donnant à penser [qu’ils] peuvent souhaiter présenter » une telle demande (nouvel article 8). Relativement à la qualité des décisions, certaines garanties procédurales sont approfondies. Outre les retouches concernant les autorités responsables (article 4), des améliorations sont notables en matière d’établissement des faits – qu’elles concernent les sources d’information des autorités (article 10, para. 3), l’entretien des demandeurs et ses modalités (articles 14-17 et article 34), ou l’examen médical que les États ont la possibilité de demander (article 18). À l’instar des autres actes refondus, les personnes vulnérables et les mineurs non accompagnés font l’objet d’une attention particulière et bénéficient de garanties procédurales aménagées (articles 24 et 25). Par ailleurs, les dispositions portant sur le droit à l’information et à l’assistance ou la représentation juridiques sont également revues, tant dans les conditions qui y sont attachées que dans leur portée (articles 19-23). Au final, nombreux sont les changements très ciblés ; en faire la liste exhaustive n’aurait que peu d’intérêt pour cette chronique. Il suffit de relever, là encore, que le jeu d’équilibre prévaut et l’énoncé des garanties est rarement univoque. Concernant la procédure en tant que telle, un délai de principe encadre les procédures ordinaires de première instance, qui ne peuvent dans tous les cas excéder vingt-et-un mois (article 31). La refonte laisse intacte la procédure accélérée, malgré la liste raccourcie de ses motifs et leur ouverture aux procédures à la frontière ou aux zones de transit (article 31, para. 8). Dans ce cadre, les États membres jouissent d’une « marge d’appréciation […] quant à l’organisation du traitement de telles demandes »145. Par ailleurs, la lettre de l’article 31 ne réfute pas explicitement l’interprétation de la Cour de justice selon laquelle la liste des motifs de procédure accélérée serait indicative et non exhaustive146. La refonte préserve en outre le lien entre les procédures accélérées décidées au titre de l’article 31, paragraphe 8, et les demandes manifestement infondées (article 32, para. 2), ce qui laisse présager que la plupart des demandes examinées en procédure accélérée se 144
Proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait de la protection internationale dans les États membres (refonte), COM(2011)319 final, 2009/0165/COD, 1er juin 2011. 145 C.J., 31 janvier 2013, H.I.D., C-175/11, point 62. Si la Cour se prononça dans cette affaire à propos de la directive non refondue, la généralité des propos fait qu’ils sont transposables à la nouvelle directive. 146 Idem, point 70.
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verront frappées d’un refus. Par ailleurs, la latitude laissée aux États en la matière ne permet pas d’éviter l’automaticité qui fut pointée du doigt par la Cour européenne dans l’affaire I.M. c. France147. En outre, les notions contestées de premier pays d’asile (article 35), pays d’origine sûr (article 36 et annexe I), pays tiers sûr (article 38) et pays tiers sûr européen (article 39) demeurent inchangées148, mais leurs effets sont parfois légèrement modifiés. Ainsi, la provenance d’un pays tiers sûr n’autorise plus un examen en procédure accélérée, mais reste un motif d’irrecevabilité prévu par l’article 33, qui lui aussi fournit une liste quelque peu amputée (article 33). De prime abord, la lecture comparée des articles relatifs aux voies de recours suggère que la refonte a nettement approfondi cette garantie fondamentale qui, selon ses termes, comporte un « examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique » par une véritable « juridiction »149. Une nouvelle fois cependant, l’effet de balancier est flagrant et toute avancée de principe est compensée par l’exception qui y est ensuite apposée. En ce sens, l’article 46 prévoit que les personnes qui bénéficient de la protection subsidiaire jouissent d’un droit de recours à l’encontre de la décision de refus relative au statut de réfugié. Ce recours pourra toutefois être considéré comme irrecevable dès lors que, dans l’État membre concerné, les droits et avantages attachés aux deux statuts sont les mêmes. De la manière, la disposition reconnaît (enfin) l’effet suspensif du recours dans la mesure où ce dernier est exercé dans les délais prévus. Néanmoins, dans certains cas de figure – comme par exemple une décision d’irrecevabilité ou de refus prise en procédure accélérée – cet effet suspensif devra être décidé par voie juridictionnelle (article 46, para. 6). Au final, l’essentiel des ajouts de la refonte en matière de recours est grandement atténué par le jeu d’exceptions et de dérogations qui limite ainsi sa valeur ajoutée. Du chemin reste à faire avant la mise en place d’une réelle procédure unique. Les délais pourront à eux seuls difficilement garantir un processus plus efficace, et pourraient par ailleurs entraver la qualité des décisions. L’accès à la procédure aurait pu être plus fermement établi. Il reste à espérer que les modifications opérées notamment en matière d’assistance juridique permettront un contrôle plus efficace du déroulement de la procédure d’asile. Le nouveau régime d’asile commun consacre des avancées qui ne sont pas vraiment à la hauteur des attentes nées lors du lancement du processus de réforme. Les cinq années de négociations semblent avoir eu raison des objectifs initialement défendus. Il est certain que les crispations actuelles autour des questions
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Cour eur. D.H. (5e sect.), arrêt I.M. c. France du 2 février 2012 (req. 9152/09) (définitif depuis le 2 mai 2012). Notons que le concept de pays tiers sûr mentionne désormais les atteintes graves et que, dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de justice, les listes communes de pays d’origine sûr ont été supprimées. 149 Article 46, para. 3. La Cour de justice rappela récemment les éléments permettant de déterminer si un organe est une juridiction au sens du droit de l’Union, C.J., 31 janvier 2013, H.I.D., C-175/11, point 83 notamment. 148
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migratoires n’ont en rien facilité la mise en place de ce régime d’asile qui, au final, n’est ni radicalement nouveau, ni véritablement commun. C’est désormais à la lumière de la pratique des États membres que les conséquences concrètes des compromis atteints devront être évaluées. Vincent Chetail Professeur de droit international à l’Institut de hautes études internationales et du développement (Genève) Directeur du Centre des migrations globales et rédacteur en chef du Refugee Survey Quarterly (Oxford University Press)
Géraldine Ruiz Coordinatrice du Centre des migrations globales de l’Institut de hautes études internationales et du développement (Genève) geraldine.ruiz@graduateinstitute.ch
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Vie privée et familiale Private and family life Hugues Fulchiron (sous la dir.)
Résumé
Abstract
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’actualité des droits de l’homme en matière de vie privée et familiale entre juin 2012 et juin 2013, dates de référence de cette chronique, est particulièrement abondante. Elle concerne tous les domaines du droit des personnes et de la famille, avec, peut-être, deux touches dominantes : la « question homosexuelle » et le problème des discriminations subies par les minorités rom. Un double fil rouge court tout au long de ces douze mois. Il apparaît d’une part que la pesée entre droits et intérêts concurrents ou complémentaires (droits et intérêt de l’enfant, droit des parents, droits des membres de la famille, droits des tiers intéressés, droit des minorités, intérêt collectif), devient de plus en plus délicate, ce qui donne parfois lieu à des arbitrages ambigus et à certains égards peu satisfaisants. Mais peut-il en être autrement dès lors que le concept de vie privée et familiale semble s’étendre à l’infini ? D’autre part, la Cour européenne des droits de l’homme n’en continue pas moins à accroître son emprise en allégeant la condition de subsidiarité de son intervention.
he developments related to the right to private and family life were particuarly abundant between June 2012 and June 2013. These developments concerned all areas of family law, though they were particularly noteworthy in two fields : the “homosexual question”, and the discrimination against the Roma. Two main themes run across the period under consideration. First, balancing competing or complementary rights and interests (rights and interests of the child, rights of the parents, rights of the family members, rights of interested third parties, rights of minorities, and the public interest) appears to be an increasingly delicate operation, leading on occasion to ambiguous and in some respects unsatisfactory rulings. This may be unavoidable, given the apparently infinite expansion of the concept of private and family life. Secondly, the European Court of Human Rights continues to extend its control, giving less weight to the principle of subsidiarity.
I. Les personnes A. Transsexualisme 1. Dans l’arrêt H c. Finlande1 du 13 novembre 2012, la Cour européenne s’est intéressée à la délicate question du changement de sexe d’une personne mariée, laquelle illustre parfaitement les liens unissant la sphère privée et la dimension familiale de l’article 8 de la Convention. 1
Cour eur. D.H., arrêt H c. Finlande, 13 novembre 2012, req. no 37359/09.
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Un homme finlandais marié et père d’un enfant, qui avait sollicité la rectification officielle de son sexe, s’était heurté à un refus des autorités, lesquelles avaient fait application de la loi de 2002 sur la confirmation du genre du transsexuel. Ce texte permet aux nationaux ou résidents majeurs ayant subi un traitement médical d’obtenir un changement de leur numéro d’immatriculation sociale. S’ils sont mariés ou en partenariat enregistré, la rectification – qui ne peut avoir lieu qu’avec le consentement du compagnon – entraîne de jure une modification du statut matrimonial. Le mariage devient un partenariat et le partenariat (réservé en Finlande aux couples de même sexe) est converti en mariage. C’est cette conversion forcée du statut conjugal parallèlement à la rectification du sexe du transsexuel que le requérant contestait dans son principe comme dans ses modalités, le consentement du compagnon étant requis. Or, en l’occurrence l’épouse n’acceptait pas le changement de statut conjugal, alléguant qu’un partenariat civil n’offrirait pas la même sécurité qu’un mariage et placerait leur enfant dans une situation différente de celle des enfants nés en mariage. L’intéressé ajoutait qu’un divorce irait à l’encontre de leurs convictions religieuses et déduisait du tout que l’État finlandais avait violé le droit au respect de sa vie privé (art. 8 CEDH), entravé son droit au mariage (art. 12), créé une discrimination (art. 14) et lui aurait fait subir des actes de torture (art. 3). La requête a été déclarée recevable hormis sur le dernier point. La Cour ne reconnaît en revanche aucune violation, rappelant que l’article 12 ne garantit pas l’accès au mariage pour les couples de même sexe. La juridiction strasbourgeoise estime qu’il n’était pas disproportionné d’imposer que le mariage du requérant doive être transformé en un partenariat, lequel, prend-t-elle soin de relever, bénéficie en Finlande d’un régime juridique pratiquement identique à celui du mariage. De même, il n’était pas disproportionné d’exiger que l’épouse consente à la conversion du statut puisque ses droits étaient en jeu. À défaut d’accord du compagnon, la Cour observe qu’il est toujours possible de divorcer. La Convention étant un instrument à interpréter dans son ensemble, l’arrêt précise en outre de façon classique que ce que l’article 12 ne peut faire, ni l’article 8 ni l’article 14 ne le peuvent. Enfin, l’argument de la discrimination est écarté pour la raison qu’un transsexuel marié ne se trouverait pas dans une situation comparable à celle d’un transsexuel non marié. B.B. 2. L’actualité de la question du transsexualisme est incontestable. En moins d’un an, la Cour de cassation française a rendu quatre arrêts sur la question, respectivement le 7 juin 20122 et le 13 février 20133. En 2012, elle se prononçait sur la 2
Cass. civ. 1re, 7 juin 2012 (deux espèces no 10-26.947 et no 11-22.490), D. 2012, p. 1648, note F. Vialla ; R.D.S.S., 2012, p. 880, note S. Paricard ; A.J.F., 2012, p. 405, obs. G. Vial ; R.T.D. civ., 2012, p. 502, obs. J. Hauser. Cass. civ. 1re, 13 février 2013 (deux espèces) ; 1re espèce no 11-14.515, D. 2013, p. 1089, obs. J.‑J. Lemouland et D. Vigneau ; A.J.F., 2013, p. 182, obs. G. Vial ; R.T.D. civ., 2013, p. 344, obs. J. Hauser ; 2e espèce no 12-11.949, D. 2013, p. 499, obs. I. Gallmeister ; A.J.F., 2013, p. 182, obs. G. Vial ; R.T.D. civ., 2013, p. 344, obs. J. Hauser. 3
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question de la réassignation sexuelle totale établie par une expertise judiciaire. Elle rappelait, à ce propos, qu’il appartient au demandeur de rapporter la preuve de la réalité de son syndrome et du caractère irréversible de sa transformation4. Elle précisait également qu’en ce qui concerne l’irréversibilité, il est nécessaire que les attestations médicales fournies certifient son effectivité. Dans le cas contraire, le juge peut demander une expertise médicale. Contrairement à ce que les juges avaient décidé en 19925, cette dernière ne semble donc plus être obligatoire pour prouver la transformation irréversible du demandeur, mais peut être demandée à défaut d’éléments de preuve suffisants. Cette solution répondait aux exigences du commissaire aux droits de l’homme près le Conseil de l’Europe qui avait exprimé son souhait d’assouplir les exigences probatoires en matière de changement de sexe6. En 2013, dans deux nouvelles décisions, les juges reviennent sur la preuve de l’irréversibilité de la transformation opérée et justifient leur refus d’autoriser le changement à la lumière des exigences européennes. Concernant d’abord la preuve de l’irréversibilité, ils imposent qu’elle soit intrinsèque au demandeur, c’est-à-dire qu’elle ne résulte pas uniquement d’un fait social. Le fait que pour les tiers l’individu appartienne au sexe qu’il souhaite obtenir ne suffit donc pas. Par ailleurs, ils ajoutent que les traitements hormonaux ne constituent pas une preuve de nature à caractériser l’irréversibilité du changement. En ce qui concerne ensuite la motivation de la décision, il est remarquable de constater que les juges prennent le soin de justifier leur position au regard des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. Ils insistent particulièrement sur le fait que leur décision ne porte atteinte, ni au droit au respect de la vie privée, ni au principe de non-discrimination. Plus qu’une volonté de se prémunir contre une éventuelle condamnation des juges strasbourgeois, la Cour semble vouloir montrer qu’elle prend la mesure de sa décision et qu’elle tente de trouver un juste équilibre entre les intérêts en présence. 3. D’ailleurs, la Cour européenne devra s’interroger, de nouveau, sur la question du transsexualisme. Dans l’affaire pendante Y. Y. c. Turquie, une requérante a saisi la Cour car les juridictions turques se sont opposées à ce qu’elle subisse une opération chirurgicale de réaffectation sexuelle, au motif qu’elle n’était pas empêchée, de manière définitive, de procréer. Le Code civil turc prévoit en effet que, pour changer de sexe, il faut y être autorisé par le tribunal après que ce
4
Cette position est celle des juges français depuis les arrêts Cass. AP, 11 décembre 1992 (deux arrêts) no 91-11.900 et no 91-12.373 ; R.T.D. civ., 1993, obs. J. Hauser ; J.C.P. G 1993, II.21991, note G. Memeteau. Cet arrêt a été rendu après une condamnation de la France qui refusait d’autoriser la modification de l’état civil d’un individu transsexuel (Cour eur. D.H., B. c. France, 25 mars 1992, no 13343/87, D. 1993, p. 101, note J.‑P. Marguénaud ; idem, 1992, p. 323, chron. C. Lombois et p. 325, obs. J.‑F. Renucci ; R.T.D. civ., 1992, p. 540, obs. J. Hauser ; A.J.D.A., 1992, p. 416, chron. J.‑F. Flauss ; J.C.P., 1992, II.21955, note T. Garé). 5 Arrêts préc. les juges estiment « que si l’appartenance apparente de M. Y… au sexe féminin était attestée par un certificat du chirurgien ayant pratiqué l’intervention et l’avis officieux d’un médecin consulté par l’intéressé, la réalité du syndrome transsexuel ne pouvait être établie que par une expertise judiciaire ». 6 T. Hammarberg, Droits de l’homme et identité de genre, Conseil de l’Europe, Strasbourg, octobre 2009, pour la version française, p. 43.
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dernier ait vérifié que les conditions du changement étaient remplies. Parmi elles, il est notamment imposé que « l’intéressé soit, de manière définitive, empêché de procréer » (art. 40). La requérante invoque une violation du droit au respect de sa vie privée (article 8 CEDH), caractérisée par la différence qui existe entre la perception mentale qu’elle a d’elle-même en tant qu’homme et sa constitution physiologique en tant que femme à laquelle les autorités turques se refusent de mettre fin. Elle souligne alors les incohérences de la loi turque en insistant sur la condition de stérilité qui lui est opposée. Cette condition ne peut être atteinte que si elle est autorisée à procéder à une intervention chirurgicale qui, par ailleurs, lui est refusée. Elle se trouve donc dans une situation insoluble au sein de laquelle on lui impose de demeurer dans la contradiction inhérente au syndrome du transsexualisme. Il appartient alors à la Cour européenne de se prononcer sur la contrariété de la loi turque à la Convention et particulièrement sur la condition préalable à la réaffectation qu’elle semble imposer à travers la procédure de stérilisation ou le dispositif hormonal. Dans ce cas, une condamnation de la Turquie pourrait être à prévoir car une telle condition constitue un obstacle quasi systématique au changement de sexe et par conséquent est constitutif d’une violation au droit au respect de la vie privée. S.T.
B. Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou le sexe 1. Discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle 4. Le 12 juin 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt Genderdoc-M c. Moldavie (req. no 9106/06), relatif à l’interdiction par le gouvernement moldave d’une manifestation prévue par l’organisation non gouvernementale Genderdoc-M dont le but était d’informer et d’assister la communauté des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT). La manifestation devait être organisée pour promouvoir l’adoption d’une loi sur la protection des minorités sexuelles contre la discrimination. Le 7 avril 2005, l’organisation sollicita la municipalité de la capitale moldave afin d’obtenir l’autorisation de manifester, mais la demande fut rejetée le 27 avril au motif qu’un tel rassemblement était inutile puisqu’une loi sur la protection des minorités sexuelles existait déjà. Cette décision fut confirmée par le bureau du maire. L’ONG contesta cette décision devant les juridictions moldaves considérant qu’elle était illégale et discriminatoire, mais en vain. Les juges estimaient, en effet, que l’organisation ne présentait pas les garanties nécessaires pour une bonne tenue de la manifestation qui représentait un risque de trouble à l’ordre public. Elle saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme en alléguant une violation des articles 11 (liberté de réunion et d’association), 13 (droit à un recours effectif) et 14 (interdiction de la discrimination). La Cour européenne a accueilli favorablement le recours et admis la violation des articles 11, 13 et 14 combinés avec l’article 11. Elle reconnait donc 2013/5
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que l’interdiction opposée par le maire n’est pas justifiée, qu’elle est discriminatoire et contraire à la liberté de réunion et d’association. Cet arrêt traduit une volonté de lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle quand bien même la tenue d’une manifestation constituerait une potentielle atteinte à l’ordre public. Il est une nouvelle illustration de la promotion croissante des intérêts individuels7 qui ne peuvent être limités que si l’atteinte à l’intérêt général est avérée. 5. La Cour se prononcera une nouvelle fois sur la question de la liberté d’association et de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans l’affaire pendante Zhdanov et Rainbow House c. Russie (req. no 12200/08). Le requérant avait ouvert une boite de nuit gay, le « Rainbow house » (deuxième requérant), qui organisait des soirées hebdomadaires, mais un soir, les services de police firent évacuer les occupants des lieux et plusieurs jours plus tard le bail portant sur les locaux fut soudainement interrompu. Quelques mois plus tard, « Rainbow house », une association de protection des droits des minorités sexuelles fut créée. Une demande d’enregistrement de cette association fut déposée auprès de l’autorité compétente qui refusa l’enregistrement. Le motif allégué était la propagande de l’association en faveur de l’orientation sexuelle non traditionnelle, qui pouvait mettre en danger la sécurité de la société russe et de l’État. Le requérant contesta ce refus en rejetant le caractère propagandaire de l’association dont le seul but était la protection des droits des minorités sexuelles et la promotion de la tolérance. Après s’être confronté au refus des juridictions russes de remettre en cause la décision de l’autorité d’enregistrement, le requérant déposa une nouvelle demande, mais celle-ci, comme la précédente, n’aboutit pas, pas plus que ses recours devant les juridictions internes. Il saisit alors, avec l’association, la Cour européenne des droits de l’homme invoquant une atteinte à l’article 11 pris isolément et combiné avec l’article 14. Autrement dit, les requérants considèrent que le refus d’enregistrement de l’association est une atteinte à la liberté de réunion et d’association protégée par la Convention, et que cette atteinte a un caractère discriminatoire puisque le refus était motivé par le but poursuivi par l’association, c’est-à-dire la protection des droits des minorités sexuelles. Les juges strasbourgeois devront donc déterminer si le refus d’enregistrer l’association est justifié et s’il n’est pas constitutif d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Au regard des faits et notamment des justifications de l’État russe, cette association présenterait le risque de « détruire les valeurs morales de la société et de mettre en danger la souveraineté et l’intégrité du territoire russe en diminuant sa population ». L’argument fait écho à la loi que vient d’adopter le gouvernement russe, le 11 juin 2013, et qui prohibe toute propagande en faveur des pratiques sexuelles « non traditionnelles ». Toutefois, l’argumentaire fait sans doute pâle figure face au principe de non-discrimination qualifié de « principe matriciel de la protection
7 Dans le même sens, voir Cour eur. D.H., arrêt Baczkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, req. no 1543/06 et Cour eur. D.H., arrêt Alekseyev c. Russie, 21 octobre 2010, req. nos 4916/07, 25924/08, 14599/09.
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internationale des droits de l’homme »8 auquel aucune justification objective et raisonnable ne semble pouvoir être opposée en l’espèce. Dès lors, il y a peu de place au doute quant à une éventuelle condamnation. 6. La question de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle a également été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre des établissements pénitentiaires. Dans l’affaire X. c. Turquie (req. no 24626/09) ayant donné lieu à un arrêt du 9 octobre 2012, un détenu homosexuel avait fait l’objet d’actes d’intimidation et de harcèlement de la part de ses codétenus hétérosexuels. Il fut alors placé dans une cellule individuelle, ce qui eut pour effet de le priver de tout contact avec les autres détenus et de toute activité sociale. Il n’était autorisé à quitter sa cellule que pour s’entretenir avec son avocat ou assister à des audiences le concernant. Trois mois après son placement en isolement, le détenu demanda la levée de la mesure prise à son égard afin de se réinsérer dans la population carcérale et être ainsi traité comme les autres détenus. Il alléguait au soutien de sa demande que les conditions de détention lui avaient causé des troubles « psychologiques néfastes et irréparables » (§ 13). Le juge d’exécution des peines refusa de statuer sur le fond de la demande considérant que le détenu n’avait pas été jugé, qu’il était seulement en détention provisoire et que dès lors la pratique de la prison était conforme à la loi. Le détenu contesta cette décision en invoquant notamment que la raison de son placement en isolement n’était pas, selon lui, de lui offrir une protection, mais de l’écarter des autres détenus à cause de son orientation sexuelle. Après avoir été placé avec un autre détenu homosexuel, puis de nouveau isolé, pour enfin être replacé dans une cellule avec trois autres codétenus, le requérant passa finalement plus de huit mois à l’isolement et souffrait désormais de troubles psychiatriques préoccupants. Il saisit donc la Cour européenne des droits de l’homme afin qu’elle constate qu’il avait été placé à l’isolement et privé de tout contact avec les autres détenus sans aucun fondement légal et qu’un tel comportement pouvait s’analyser comme un traitement inhumain et dégradant (art. 3 CEDH). Le recours à l’article 3 pour contester des conditions de détention fut admis par la Cour européenne dans l’arrêt Selmouni c. France, du 28 juillet 1999 (req. no 25803/94) où, faisant « une lecture modernisée et exigeante de l’article 3 »9, elle contrôla des conditions de détention sur ce fondement au terme d’une « démarche audacieuse »10. Le gouvernement réfuta l’existence d’une quelconque violation et rappela que le détenu avait été placé à l’isolement à sa demande en raison du comportement de ses codétenus face à son homosexualité. Mais cette argumentation n’a pas convaincu la Cour qui a considéré que « certains aspects de ces conditions étaient plus stricts que le régime prévu en Turquie pour les condamnés à une peine de réclusion perpétuelle alors que le détenu était jugé pour des faits non
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F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 11e éd., 2012, no 180. F. Sudre, op. cit., no 188. 10 F. Sudre, loc. cit. 9
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violents ». Par conséquent, l’absence totale de promenade que subissait le détenu ainsi que son absence de contacts avec les autres prisonniers « illustre le caractère exceptionnel des conditions de détention du requérant » (§ 44). Ce dernier n’a pas été en mesure de contester ces mesures « le juge [s’étant] contenté de préciser que l’autorité pénitentiaire jouissait d’un pouvoir discrétionnaire en la matière » (§ 49). La Cour admet donc que le requérant a été privé d’un recours interne effectif (art. 13) et que ses conditions de détentions ne respectaient pas sa dignité et « [s’analysaient] en un ‘‘traitement inhumain et dégradant’’ infligé en violation de l’article 3 de la Convention » (§ 51). Était-il opportun de sanctionner l’isolement de M. X sur le fondement des traitements inhumains et dégradants ? Une réponse positive s’impose. En effet, l’imprécision de l’article 3 a permis au juge européen d’en avoir une interprétation extensive intégrant le cas particulier du détenu placé en isolement total11. Dès lors, on peut admettre qu’il y ait une violation de l’article 3 sans qu’aucune violence physique n’ait été pratiquée. L’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme s’inscrit donc dans le sillage des arrêts précédents relatifs à la protection de l’intégrité physique et psychologique des détenus. Le requérant se plaignait également d’avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur son orientation sexuelle. Son isolement ayant été motivé par son homosexualité et non pas par sa protection. La Cour constate que « les autorités pénitentiaires n’ont aucunement procédé à une appréciation adéquate du risque pour la sécurité du requérant » (§ 63) et considère que la mesure d’isolement a été prise principalement en raison de son homosexualité. Elle conclut donc à la violation de l’article 14 de la Convention. Dans cet arrêt, la Cour admet que l’isolement n’est pas une mesure appropriée à la protection d’un détenu homosexuel et que le placement en cellule individuelle, à l’écart des autres détenus et sans possibilité de se promener, est constitutif d’un traitement inhumain et dégradant et d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. 7. À l’aune des précédentes décisions étudiées, on remarque que la Cour européenne des droits de l’homme est généralement saisie par l’individu victime d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, mais ce n’est pas toujours le cas comme en témoigne l’affaire Ladele et Mc. Farlane c. Royaume-Uni (req. no 51671/10 et 36516/10), ayant donné lieu à un arrêt du 15 janvier 2013. Dans cette espèce, des employés, chrétiens, furent licenciés pour avoir refusé d’accomplir des actes qui, selon eux, auraient été synonymes d’une acceptation des pratiques homosexuelles. Ils saisirent alors la Cour européenne au motif que « les relations homosexuelles sont contraires à la loi divine et que tout acte impliquant une reconnaissance de l’homosexualité est incompatible avec leur conviction »12. C’est pourquoi, Mme Ladele, officier d’état civil, refusa de célébrer des cérémonies de partenariats
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Voir par ex. Cour eur. D.H., arrêt Messina c. Italie, 8 juin 1999, req. no 25498/94. Communiqué de presse relatif à l’arrêt Cour eur. D.H., Ladele et Mc. Farlane c. Royaume-Uni, 15 janvier 2013, p. 3.
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civils entre personnes de même sexe. M. Mc. Farlane, quant à lui, était employé dans un organisme national prodiguant des conseils de sexothérapie et des conseils conjugaux et avait déclaré qu’il respecterait la politique de l’organisme en matière d’égalité des chances et des conseils pour les couples homosexuels, mais sans intention de s’y tenir. Les deux individus furent licenciés. Ils contestèrent cette décision constitutive, selon eux, d’une discrimination fondée sur leurs convictions religieuses. Après l’épuisement des voies de recours internes, les deux requérants saisirent la Cour européenne invoquant une violation de l’article 9 pris isolément et de l’article 9 combiné avec l’article 14 (Mme Ladele invoquait seulement la violation de l’article 9 combiné avec l’article 14). Cet arrêt témoigne d’une mise en balance de deux libertés : la liberté de religion et la protection des droits d’autrui. La solution retenue par la Cour européenne pourrait être résumée par la maxime populaire : La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres… En effet, si elle reconnait l’importance de la liberté de religion, elle précise que lorsque la pratique religieuse d’un individu empiète sur les droits d’autrui, elle peut être restreinte. En l’occurrence, le licenciement des deux requérants était justifié par une volonté de protéger l’égalité des chances et de lutter contre les comportements discriminatoires. Par conséquent, le juste équilibre entre le droit des employeurs de garantir les droits d’autrui et le droit des requérants de manifester leur religion avait été respecté, la Cour rejette donc les demandes des parties. 8. Pour terminer sur la question des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, il convient de préciser que la Cour se prononcera prochainement dans les affaires F. J. c. Autriche, E. B. c. Autriche et H. G. c. Autriche, sur la conservation de fichiers contenant des informations enregistrées en vertu de la loi sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans les arrêts L. et V. c. Autriche et S. L. c. Autriche du 9 janvier 2003. Cette loi condamnait les relations sexuelles entre des hommes adultes et des jeunes hommes âgés de 14 à 18 ans alors qu’elle autorisait celles entre des hommes adultes et des jeunes filles de 14 à 18 ans. Il existe peu de doutes quant à l’issue de ces affaires et on peut aisément croire que la Cour condamnera la conservation de ces renseignements, discriminatoires et portant atteinte à la vie privée des individus sans qu’aucune justification ne puisse être alléguée puisque la loi sur le fondement de laquelle ces fichiers ont été créés a été sanctionnée par la Cour européenne. Une condamnation pourrait également être prononcée contre la Roumanie dans le cadre de pratiques policières consistant à arrêter, interroger, photographier et ficher grâce à ses empreintes, un individu en raison de son homosexualité : tel est l’enjeu de l’affaire Costin Georgescu c. Roumanie, actuellement pendante.
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2. Discrimination indirecte fondée sur le sexe 9. La Cour de cassation française a rendu un arrêt innovant reconnaissant pour la première fois en droit français l’existence d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe13. Les faits de l’espèce résultent de l’intégration du régime complémentaire agricole aux régimes de retraite complémentaire professionnelle de l’association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC). S’agissant des emplois spécifiques de la filière sanitaire et sociale de la Mutualité sociale agricole (MSA), cette dernière décida d’affilier les inspecteurs et les contrôleurs de la MSA, emplois exercés majoritairement par des hommes, mais refusa d’intégrer les assistants du service social, délégués à la tutelle et conseillers en économie sociale et familiale, emplois essentiellement féminins, alors que tous ces emplois dépendent d’une même convention collective. Face à ce choix, des employés de la MSA, non affiliés, saisirent les juridictions du fond aux fins d’obtenir la condamnation de l’AGIRC et la révision des critères d’affiliation estimant être victimes d’une discrimination indirecte. La Cour d’appel fit droit à leur demande. L’AGIRC se pourvut en cassation en tentant de démontrer d’une part, que le refus d’affiliation n’emportait pas de désavantages particuliers pour les employés qui, affiliés à l’association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ACCRO), bénéficient de prestations similaires ; d’autre part, que la mesure présentait un caractère légitime et approprié car, si certains professionnels n’avaient pas été affiliés au régime, c’est parce qu’ils n’avaient pas une fonction d’encadrement contrairement aux emplois d’inspecteurs et de contrôleurs. L’AGIRC poursuivait donc, avec ce critère, un « objectif de stabilité, de cohérence et de pérennité du régime ». Les juges sont pourtant restés sceptiques face à l’argumentaire de l’organisme et ont constaté, après avoir rappelé la définition de la discrimination indirecte, l’existence d’un traitement inégal entraînant un désavantage pour certains employés. Par ailleurs, ils ont relevé que l’AGIRC ne justifiait pas du caractère « nécessaire et approprié » de la mesure. Hormis, la reconnaissance inédite de la discrimination indirecte en droit français, la Cour de cassation apporte peu d’éléments permettant de cerner la notion. En effet, concernant l’existence d’un traitement défavorable, elle renvoie habilement sa détermination à la libre appréciation des juges du fond. Sur la justification de la différence de traitement, elle se limite à constater que la justification est insuffisante, sans préciser ce qu’aurait dû démontrer l’organisme pour qu’elle soit suffisante14. Toutefois, cette décision demeure importante dans la mesure où elle semble avoir initié un mouvement de reconnaissance de la discrimination indirecte puisque plusieurs arrêts l’ont, par la suite, reconnu15.
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Cass. soc., 6 juin 2012, no 10-21.489. Il faut toutefois ajouter qu’au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (C.J., 12 janvier 2012, aff. C-341/08, Petersen) la preuve du caractère justifié de la mesure n’aurait pas pu être rapportée par l’organisme puisque c’est la cohérence de son action qui était contestée car dès lors qu’elle acceptait d’affilier certains professionnels qui n’avaient pas une fonction d’encadrement, elle ne pouvait pas démontrer que ce critère était pertinent à l’égard des professions qu’elle refusait d’affilier en l’espèce. 15 Voir Cass. soc., 3 juillet 2012, no 10-23.013 ; Cass. civ. 2e, 12 juillet 2012, no 10-24.661. 14
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10. Les conflits familiaux peuvent parfois prendre une tournure tragique lorsqu’ils deviennent l’expression de la violence physique ou verbale. Dans ce cas, les juges n’hésitent pas à condamner les individus violents. Mais lorsque ces violences sont seulement potentielles, le contrôle qu’ils opèrent est beaucoup plus strict et les condamnations moins systématiques. C’est d’ailleurs ce qu’illustre la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire A. A. et autres c. Suède16. Suite à un arrêté d’expulsion, des ressortissants yéménites, résidant en Suède, invoquaient le risque d’exposition à un crime d’honneur en cas de renvoi au Yémen car ils avaient quitté le pays sans l’autorisation de leur mari/père. Plus généralement, ils alléguaient un risque de violences ou de mort en cas d’expulsion. Après avoir contesté l’arrêté devant les juridictions internes suédoises, les requérants saisirent la Cour européenne des droits de l’homme afin qu’elle constate que l’exécution de l’arrêt serait contraire aux articles 2 et 3 de la Convention. Le gouvernement suédois, quant à lui, ne niait pas l’existence d’un risque lié au renvoi des personnes dans leur pays d’origine, mais soulevait l’absence d’éléments permettant de prouver la nécessité, pour les autorités suédoises, de les protéger. Les juges strasbourgeois ont également refusé de reconnaître la violation de la Convention. On aurait pu imaginer que ce refus soit lié à la potentialité de l’atteinte qui n’est pas suffisante pour reconnaître une violation de la Convention, mais la Cour européenne a déjà admis que l’expulsion d’un individu puisse soulever un problème au regard de l’article 3 « lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 »17. Toutefois, la reconnaissance de l’atteinte potentielle à la Convention en cas d’expulsion est subordonnée à la preuve de l’existence d’éléments corroborant la réalité du risque invoqué. En l’espèce, c’est cette preuve qui fait défaut et qui conduit la Cour à rejeter la demande des requérants. En effet, les juges relèvent d’une part, que la situation générale au Yémen n’est pas telle que l’on puisse affirmer que les requérants seraient exposés à un risque réel de mauvais traitements ; d’autre part, qu’au regard de la situation particulière des requérants, ces derniers n’ont pas rapporté de preuves permettant de caractériser le risque lié à leur expulsion (ils n’ont pas reçu de menaces, l’individu à l’origine des potentielles violences n’a pas été mis en cause pour de tels faits au Yémen). La Cour conclut qu’il n’y a pas de motifs sérieux permettant de caractériser le risque réel d’atteinte aux articles 2 et 3 de la Convention et que l’arrêté d’expulsion doit être mis en œuvre. Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour en matière de reconnaissance du risque d’atteinte aux articles de la Convention. En effet, loin de consacrer un principe général de protection des individus face au risque de mauvais traitements ou de mort, elle avait déjà eu l’occasion de préciser qu’elle se devait « d’appliquer des critères rigoureux en vue d’apprécier l’existence d’un risque réel de mauvais
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Cour eur. D.H., arrêt A. A. et autres c. Suède, 28 juin 2012, req. no 14499/09. Cour eur. D.H., arrêt Saadi c. Italie, 28 février 2008, req. no 37201/06, § 125.
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traitements »18. L’arrêt A. A. c. Suède est une illustration de cette volonté de ne reconnaître que de manière restrictive les atteintes potentielles à la Convention. Il témoigne notamment de l’attention minutieuse qu’elle porte aux éléments de preuve qui doivent être suffisamment étayés pour emporter la conviction des juges. La Cour aura de nouveau à se prononcer sur cette question. Dans l’affaire Sow c. Belgique19, une femme, mariée de force, craint d’être soumise à une nouvelle excision si elle est renvoyée en Guinée. Après avoir introduit de nombreuses demandes d’asile auprès des autorités belges et après autant d’échecs, elle a saisi la Cour européenne qui devra donc déterminer si le risque de subir une autre excision est avéré. À la lumière du récent arrêt A. A. c. Suède, il n’y a pas à douter que la Cour opérera un contrôle attentif des éléments de preuve avant de se prononcer sur le risque encouru par la requérante. S.T. 11. Faisant suite à la Convention d’Istanbul du 11 mai 2011, adoptée par le Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, la Commission pour l’égalité entre les femmes et les hommes a publié, en avril 2013, son projet de stratégie 2014-2017 pour promouvoir l’égalité des sexes20. La prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes y sont inscrites au rang de deuxième objectif stratégique. Fidèle à ce double objectif, la Cour européenne des droits de l’homme a eu et aura prochainement l’occasion d’assurer la protection des femmes victimes de violences conjugales. Dans l’arrêt Eremia et autres c. Moldavie du 28 mai 201321, c’est essentiellement la prévention des violences conjugales et familiales qui était en question. À l’origine, un policier avait pris l’habitude de rentrer ivre à son domicile, où il battait son épouse en présence de leurs deux filles. Plusieurs mesures furent prises par les autorités moldaves pour tenter de remédier à cette situation. Tout d’abord, le tribunal prononça une amende assortie d’un avertissement formel, ce qui eut pour effet d’énerver davantage le mari, qui tenta d’étouffer son épouse. Ensuite, parallèlement à une procédure de divorce, le tribunal rendit une ordonnance de protection, sommant l’époux de ne plus contacter sa femme et ses filles, et de se tenir à plus de cinq cents mètres du domicile familial pendant une période de quatre-vingt dix jours. Il outrepassa à différentes reprises l’ordonnance, pénétrant dans le domicile et commettant de nouveaux actes de violence. Sur sa demande, la Cour d’appel annula partiellement l’ordonnance de protection. C’est également pendant cette période que Mme Eremia reçut des menaces de la part de son mari. 18
Cour eur. D.H., arrêt Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, req. no 22414/93, § 96. Cour eur. D.H., Sow c. Belgique, req. no 27081/13. Ce projet de stratégie est consultable sur le site internet de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/ justice/gender-equality/index_fr.htm. 21 Cour eur. D.H., arrêt Eremia et autres c. Moldavie, 28 mai 2013, req. no 3564/11. 19 20
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Les policiers qui enregistrèrent sa plainte exercèrent sur elle des pressions, afin qu’elle la retire. Suite à cette plainte, l’enquête démontra la culpabilité de l’époux, mais le procureur décida de suspendre annuellement la procédure et subordonna sa reprise à la commission d’une nouvelle infraction. La mère et ses deux filles critiquaient l’attitude des autorités moldaves face aux violences qu’elles avaient subies, physiquement et psychologiquement, considérant en outre que l’inertie des autorités compétentes était discriminatoire car motivée par la basse position de la femme dans la famille. Après examen, la Cour de Strasbourg a décidé de conclure à la condamnation de la République de Moldavie pour son incapacité à remédier aux violences subies par Mme Eremia. Trois raisons fondent cette décision. Tout d’abord, il est démontré que Mme Eremia a été victime d’un sentiment d’anxiété et de crainte constitutif d’un préjudice moral, que l’arrêt assimile à un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La condamnation ne porte pas sur l’inaction des autorités moldaves mais sur l’inefficacité des mesures prises, ainsi que leur inadaptation aux circonstances particulières, notamment au fait que le mari était policier. La critique s’adresse tout particulièrement au procureur qui n’a pas su tenir compte des éléments probants, tels les certificats médicaux, et a décidé de suspendre l’enquête malgré le danger auquel les trois requérantes étaient confrontées. Ensuite, outre les traitements inhumains, la Cour condamne l’État moldave pour ne pas avoir agi efficacement dans le but de faire cesser et de prévenir les multiples ingérences du mari dans la vie familiale des deux filles, psychologiquement affectées par le comportement de ce dernier. Le droit au respect de la vie familiale, garanti par l’article 8 de la Convention, s’en est ainsi trouvé violé. Enfin, c’est l’attitude discriminatoire que les autorités moldaves ont adopté à l’égard des requérantes qui se trouve condamnée par la Cour européenne. De nombreux dysfonctionnements ont été constatés : le tribunal a refusé de traiter en urgence le divorce de Mme Eremia ; la police a tenté de la convaincre de retirer sa plainte ; les services sociaux ont reconnu avoir failli dans l’application de l’ordonnance de protection, d’une part en raison d’une erreur administrative, et d’autre part en professant des insultes à l’égard de la requérante ; le procureur de la République a suspendu l’enquête et subordonné sa reprise à l’existence de nouveaux actes de violence. La discrimination ne provient pas directement de l’influence que le sexe de la victime a pu avoir dans la réalisation de ces différents dysfonctionnements. Selon la Cour, elle résulte du fait qu’un État qui ne protège pas correctement les femmes contre les violences domestiques ne respecte tout simplement pas le principe d’égalité devant la loi22, principe qu’elle avait précédemment énoncé dans l’arrêt Opuz c. Turquie23. Malgré la fragilité de cette déduction, la position stricte de la Cour européenne des droits de l’homme à l’égard des violences faites aux femmes doit être saluée.
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Cour eur. D.H., arrêt Eremia et autres c. Moldavie, 28 mai 2013, req. no 3564/11, § 85. Cour eur. D.H., arrêt Opuz c. Turquie, 9 juin 2009, req. no 33401/02 ; J.C.P. G., 2009, I.143, no 2, obs. F. Sudre ; R.S.C., 2010, 219, obs. J.‑P. Marguénaud. 23
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12. Deux autres affaires portées devant les juges strasbourgeois avaient également pour objet les violences conjugales. Cependant, c’est davantage leur traitement que leur prévention qui était concerné, et plus particulièrement les enquêtes destinées à en démontrer l’existence. Un premier arrêt du 30 octobre 201224 propose une illustration des problèmes d’effectivité que rencontrent, dans certains États, les lois destinées à assurer la protection des femmes. Alors même que la Roumanie s’est dotée en 2003 d’une loi destinée à protéger les victimes de violences conjugales25, son application connait de nombreuses difficultés. À l’origine de cette affaire, un homme infligeait des mauvais traitements à son épouse ainsi qu’à sa fille. Une enquête fut ouverte par les autorités roumaines. Mais la Cour européenne des droits de l’homme l’a jugée insuffisante, considérant qu’elle n’avait pas permis d’assurer une protection effective des victimes, alors qu’il s’agit d’un objectif que les États doivent poursuivre au titre de l’article 3 de la Convention. Si cet arrêt ne présente pas d’originalité, c’est parce qu’une précédente décision, l’arrêt Opuz c. Turquie26, en constitue la colonne vertébrale. Les renvois sont nombreux, rappelant notamment « l’obligation positive des États de mettre en place et d’appliquer de manière effective un système réprimant toutes les formes de violence familiale et offrant aux victimes des garanties suffisantes »27. Si l’État roumain a manqué à cette obligation, c’est dans la manière dont l’enquête et la procédure judiciaire ont été réalisées. Même si elle rappelle le principe, respectueux de la souveraineté des États, selon lequel « l’admissibilité des preuves et leur appréciation relèvent au premier chef du droit interne et des juridictions nationales »28, elle ne manque pas d’examiner attentivement le traitement, par la juridiction roumaine, des preuves de violences domestiques présentes dans cette affaire. Constatant les désordres de l’instruction, les juges strasbourgeois estiment que « le tribunal départemental aurait pu ordonner l’instruction de nouvelles preuves pour éclaircir la situation de fait »29. Il est vrai que ce tribunal, pour acquitter le mari, s’était contenté de relever l’absence de témoin oculaire et les déclarations peu détaillées de la victime, dont les lésions corporelles étaient incontestées. S’ensuit alors, de la part de la Cour de Strasbourg, une série de reproches à l’encontre des autorités roumaines30. Ils consti24
Cour eur. D.H., arrêt E. M. c. Roumanie, 30 octobre 2012, req. no 43994/05. Loi no 217/2003 sur la prévention et la lutte contre la violence domestique. 26 Cour eur. D.H., arrêt Opuz c. Turquie, 9 juin 2009, req. no 33401/02. 27 Cour eur. D.H., arrêt Eremia et autres c. Moldavie, 28 mai 2013, req. no 3564/11, § 62, renvoi à Opuz c. Turquie, § 145. 28 Cour eur. D.H., arrêt Eremia et autres c. Moldavie, 28 mai 2013, req. no 3564/11, § 66. 29 Cour eur. D.H., arrêt Eremia et autres c. Moldavie, 28 mai 2013, req. no 3564/11, § 68. 30 Cour eur. D.H., arrêt E. M. c. Roumanie, 30 octobre 2012, req. no 43994/05, § 68 : « La Cour considère qu’en vertu de son rôle actif et de l’étendue de ses pouvoirs au vu du droit interne (paragraphe 42 ci-dessus), surtout dans une affaire où la thèse de la violence domestique était évoquée, le tribunal départemental aurait pu ordonner l’instruction de nouvelles preuves pour éclaircir la situation de fait. Ainsi, afin d’obtenir les renseignements nécessaires pour compléter le dossier de l’affaire, il aurait pu procéder à l’interrogatoire de l’intéressée et lui demander des détails quant aux faits. Il aurait pu également prévoir la confrontation des témoins et parties dont il estimait les déclarations contradictoires. De plus, il n’a pas cherché à obtenir les déclarations de la mère de la requérante, qui serait arrivée dans l’appartement une heure après les faits allégués, ni celles des policiers – dont l’identité était connue – qui auraient accompagné I.B. lors de son second passage – deux heures après le premier – à son domicile. En outre, bien que saisis par I.B. d’une demande en vue de l’accompagner pour lui assurer l’accès à son domicile dans un contexte de conflit familial, les policiers n’ont établi aucun acte officiel pour consigner les circonstances de leur intervention. La Cour estime ainsi que le tribunal départemental, bien qu’ayant à sa disposition des éléments suffisants 25
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tuent en réalité autant de recommandations qui ne manqueront pas de servir aux juges internes, en leur indiquant la position qu’ils devront adopter à l’avenir31. Dans un arrêt du 26 mars 201332 , ce sont surtout les lenteurs de la procédure qui étaient en cause. Victime de violences conjugales, une ressortissante lituanienne avait porté plainte contre son conjoint, inculpé de coups et blessures. Mais la suite de la procédure fut des plus chaotiques. Suspendue à de multiples reprises, en raison de preuves jugées insuffisantes et du défaut de comparution de celui que la requérante désignait comme l’auteur des coups, l’enquête avait finalement été clôturée en raison de l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale. Ce dernier prévoit en effet que les atteintes mineures à l’intégrité physique doivent en principe faire l’objet de poursuites privées car elles n’intéressent en rien l’intérêt général. La victime a donc la possibilité d’engager une procédure civile. Le procureur, quant à lui, n’est pas contraint d’ouvrir une enquête. Face à cette réforme et dans une ultime tentative, la victime avait demandé l’engagement de poursuites civiles, mais son rejet fut inévitable compte tenu de la prescription des poursuites. La Cour européenne, saisie par la victime, relève qu’il y a eu des dysfonctionnements dans le système pénal lituanien. D’une part, elle constate que les décisions du procureur de la République ont été annulées par le procureur de rang supérieur, parce qu’elles n’étaient pas suffisamment approfondies, ce qui constitue une grave lacune de la part de l’État33. Ces défaillances ont contribué, avec les nombreuses suspensions de l’enquête, au retard pris dans la procédure. D’autre part, les juges strasbourgeois s’intéressent à la réforme du Code de procédure pénale. S’ils reconnaissent la possibilité de subordonner les poursuites pénales à l’existence d’un intérêt général, ils affirment cependant que l’un des objectifs de ces poursuites est de garantir une protection effective contre des actes de mauvais traitements, le but des sanctions pénales étant notamment de dissuader l’auteur de commettre de nouvelles infractions34. Or, compte tenu des circonstances de l’enquête, cet objectif n’a pas été atteint dès lors que Mme Valiuliene s’est trouvée dans l’impossibilité d’exercer une quelconque poursuite à l’encontre de l’auteur des coups dont elle a été victime. L’État lituanien n’a donc pas respecté l’article 3 de la Convention, dont l’une des finalités est justement de garantir cette protection effective, notamment en mettant en œuvre des mécanismes de droit pénal efficaces35. A.M.
pour lui permettre d’ordonner la poursuite de l’enquête, a clôturé l’affaire en faisant porter à la requérante la responsabilité d’un manque de preuves ». 31 L. Burgorgue-Larsen, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme (juillet – décembre 2012) », A.J.D.A., 2013, 165. 32 Cour eur. D.H., arrêt Valiuliene c. Lituanie, 26 mars 2013, req. no 33234/07. 33 Cour eur. D.H., arrêt Valiuliene c. Lituanie, 26 mars 2013, req. no 33234/07, § 82. 34 Cour eur. D.H., arrêt Valiuliene c. Lituanie, 26 mars 2013, req. no 33234/07, § 85. 35 Cour eur. D.H., arrêt Beganović c. Croatie, 25 juin 2009, req. no 46423/06, § 69 ; Cour eur. D.H., M. C. c. Bulgarie, 4 décembre 2003, req. no 39272/98, § 150.
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II. Les couples A. Liberté du mariage 13. En 2013, le Conseil constitutionnel français eut à connaître de la question de l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe pour la troisième fois36. En 2010 et en 2011, il lui avait été demandé, par la voie de la « question prioritaire de constitutionnalité » nouvellement introduite en droit français, de déclarer l’interdiction de l’alliance homosexuelle et de la parenté monosexuée contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, et tout particulièrement au principe d’égalité. Dans les deux cas, le Conseil constitutionnel avait répondu qu’ils ne leur appartenaient pas de revenir sur l’appréciation du Parlement quant à la prise en compte de la disparité de situation des couples hétérosexuels et homosexuels37. Ce renvoi au pouvoir souverain des élus du Peuple, que certains partisans de la cause homosexuelle n’avaient pas craint de qualifier de « conservateur », ne pouvait qu’être salué. Quoi qu’en disent certains promoteurs du gouvernement des juges (constitutionnels ou européens), qui rêvent d’importer sur notre territoire la figure du « Juge Hercule » (si bien illustrée par la décision de la Cour suprême des États-Unis du 26 juin dernier, qui a invalidé, au nom de l’égalité, une loi fédérale qui définissait le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme), ce n’est évidemment pas à un juge, fut-il constitutionnel, fut-ce au nom des droits de l’homme, mais au législateur, qu’il appartenait de trancher cette question politique au sens premier et noble du terme. C’est ce qu’a fait la majorité nouvellement élue en décidant, au terme d’un débat pour le moins houleux, tant dans l’hémicycle que dans la rue, d’ouvrir la voie du mariage, et donc de l’adoption, aux couples de même sexe. Sans surprise, ce texte fut soumis à l’examen du Conseil constitutionnel. Aiguillés par un certain Portalis, groupe de juristes « informel et apolitique », les parlementaires de l’opposition avaient décidé de faire feu de tout bois, ce qui explique la longueur de la décision commentée38. Ne pouvant revenir dans le cadre de cette chronique sur l’ensemble de ces arguments39, nous nous contenterons d’évoquer les principaux. Les requérants soutenaient tout d’abord que la loi portait atteinte au principe d’égalité en traitant de manière identique (ouverture du mariage, et donc de l’adoption) des situations différentes (couples hétérosexuels et couples homosexuels). Ce grief est rejeté par le Conseil qui rappelle que « si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des 36
Cons. const., 17 mai 2013, déc. no 2013-469. Voir A.J. fam., 2013, 332, étude F. Chénedé, Constitutions, 2013, 116, étude A.‑M. Le Pourhiet. 37 Cons. const., 6 octobre 2010, no 2010-39 QPC, cons. no 9 ; Cons. const., 28 janvier 2011, no 2010-92 QPC, cons. no 9. 38 Dr. famille, 2013, comm. 98, note J.‑R. Binet ; Petites Affiches, 4 juillet 2013, pp. 5 et s., chron. J.‑M. Larralde ; J.C.P. G 2013, no 28, 819, obs. A. Gouttenoire ; A.J. fam., 2013, 332, chron. F. Chénedé. 39 Pour l’analyse des différents griefs, voir outre les obs. préc., le commentaire « officiel » publié sur le site internet du Conseil constitutionnel.
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personnes se trouvant dans des situations différentes »40. Cette solution apparaît comme le parfait pendant de celles adoptées en 2010 et 2011. Après avoir rappelé aux pros que le législateur pouvait prévoir des règles différentes pour des situations qu’il jugeait distinctes, le Conseil rappelle ici aux antis qu’il peut également prévoir des règles identiques pour des situations dissemblables. C’est rappeler, contre les utilisations – et manipulations – simplistes de l’argument d’égalité, que les arbitrages nécessaires à l’application de ce principe relèvent de la compétence des élus du Peuple et non du juge constitutionnel : « le législateur a estimé que la différence entre les couples formés d’un homme et d’une femme et les couples de personnes de même sexe ne justifiait plus que ces derniers ne puissent accéder au statut et à la protection juridique attachés au mariage ; qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur » (cons. no 22 ; idem au sujet de l’adoption au cons. no 49). Pour nier la compétence du législateur ordinaire au profit du pouvoir constituant, les parlementaires soutenaient également que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe méconnaissait l’« enracinement naturel du droit civil » selon lequel l’altérité sexuelle serait le fondement du mariage. Les juges constitutionnels étaient donc saisis d’un argument de droit naturel ! Une telle démarche, pour le moins originale, était évidemment vouée à l’échec (cons. no 21). Si le contrôle des lois au nom des droits et libertés peut effectivement s’apparenter à un contrôle du droit positif au nom de considérations morales et politiques qui le dépassent, et donc d’un certain droit naturel41, il était parfaitement vain de solliciter l’une de ces règles supérieures devant le Conseil sans faire l’effort, pour le moins limité, de la « positiver » dans un droit ou un principe tiré du Préambule de la Constitution. Les parlementaires en avaient vraisemblablement conscience puisqu’ils invoquaient également le principe fondamental reconnu par les lois de la République (ci-après PFRLR), selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme. C’est essentiellement autour de l’existence de ce principe que s’était nouée la disputatio doctrinale à l’occasion de la discussion du projet de loi devant le Parlement. Esquissée par une juriste pseudonyme, Lucie Candide42, la thèse de l’existence d’un tel PFRLR fut défendue par certains43 et contestée par d’autres44. Ces derniers avaient estimé que le principe invoqué par les opposants au « mariage pour tous » était incompatible avec la philosophie traditionnelle des PFRLR, qui 40
Considérant 15. Sur ce point, voir F. Chénedé, « Le constitutionnalisme est un jusnaturalisme. Brèves réflexions sur un débat doctrinal relatif au mariage entre personnes de même sexe », Petites Affiches, 20 février 2013, no 37, pp. 6 et s., spéc. o n 2-4 42 L. Candide, « Le sexe, le mariage, la filiation et les principes supérieurs du droit français », GP, 4 octobre 2012, no 278, p. 7. 43 Voir parmi d’autres, P. Delvolvé, « Mariage : un homme, une femme », Le Figaro, 8 novembre 2012, p. 17 ; F.‑X. Bréchot, « La constitutionnalité du ‘‘mariage pour tous’’ en question », J.C.P. G., 2012, doctr. 1388 ; adde, moins catégorique, G. Drago, « Mariage entre personnes de même sexe : problématiques de constitutionnalité », Petites Affiches, 11 février 2013, no 30, pp. 4 et s. 44 Voir parmi d’autres, X. Dupré de Boulois, « Le mariage homosexuel, La Constitution et l’agrégée des facultés de droit », R.D.L.F., 2012, chron. no 23 ; A. Viala, « Un PFRLR contre la mariage gay ? Quand la doctrine fait dire au juge le droit qu’elle veut qu’il dise », R.D.L.F., 2013, chron. no 4. 41
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auraient toujours assuré la promotion, et non l’interdiction, de nouveaux droits et libertés45. Sans aller jusqu’à restreindre les PFRLR au domaine des droits et libertés, le Conseil s’est montré sensible à cette argumentation en décidant que « si la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu’à la loi déférée, regardé le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, cette règle qui n’intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l’organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de 1946 » (cons. no 21). Le Conseil constitutionnel a enfin souhaité répondre à l’affirmation selon laquelle la loi reconnaissait aux couples de même sexe un « droit à l’enfant », en rappelant que les couples homosexuels, comme les couples hétérosexuels, devront évidemment satisfaire aux conditions légales de l’adoption et à la procédure visant à s’assurer de leur capacité à élever un enfant (cons. no 52). Concernant cette procédure, le Conseil a d’ailleurs précisé, sous la forme d’une réserve d’interprétation, que les articles L. 225-2 et L. 225-17 du CASF ne sauraient conduire à ce que l’agrément soit délivré sans qu’ait été vérifié « le respect de l’exigence de conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant qu’implique le dixième alinéa du Préambule de 1946 » (cons. no 53). Si elle ne modifie pas le droit de l’adoption, cette réserve d’interprétation présente l’avantage de donner une valeur constitutionnelle à une règle d’ores et déjà garantie au niveau international (CIDE, art. 3-1 ; CEDH, art. 8) et de rappeler que le droit de l’adoption, et, de manière plus générale, le droit de la parenté et de la parentalité, devront toujours être guidés par cette considération essentielle : l’intérêt de l’enfant. Mais, au final, l’essentiel de la décision du Conseil constitutionnel se trouve au considérant 14, qui rappelle, d’une part, qu’il est loisible au législateur de faire évoluer le droit, et d’autre part, que le Conseil ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation et de décision de même nature que le Parlement46. Or il est aisé d’observer que les requérants s’étaient contentés de reprendre, en les « constitutionnalisant », les arguments d’ores et déjà avancés et discutés lors du débat parlementaire et citoyen. Sous couvert du contrôle de la loi au nom des droits et principes fondamentaux, c’est donc bien la remise en cause de l’arbitrage opéré par les élus de la Nation qui était sollicitée. Le Conseil constitutionnel s’y est refusé. Cette nouvelle leçon de modestie, et de démocratie, ne peut qu’être approuvée. F.C.
45 En sens contraire, voir A.‑M. Le Pourhiet, « Un PFRLR contre le mariage gay ? Réponse à Alexandre Viala », R.D.L.F., 2013, chron. no 5. 46 Pour le constat et la justification de la réserve du Conseil constitutionnel en droit des personnes et de la famille, voir J.-F. de Montgolfier, « La QPC et le droit de la famille au Conseil constitutionnel », A.J. fam., 2012, 578 ; F. Chénedé et P. Deumier, « L’œuvre du Parlement, la part du Conseil constitutionnel, en droit des personnes et de la famille », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, no 39, avril 2013, pp. 7 et s.
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Chroniques / Columns B. Égalité entre conjoints
14. Deux ans après avoir vérifié la conformité à la Constitution de l’article L. 39 du Code des pensions civiles et militaires de retraite, c’est à une question prioritaire de constitutionnalité relative aux droits à pension militaire d’invalidité du conjoint survivant que le Conseil constitutionnel français a répondu dans sa décision du 21 juin 201347. En 2011, la différence de traitement entre les modes de conjugalité était mise à l’épreuve de la pension de réversion48. Le Conseil avait alors décidé que cette différence était pleinement justifiée et que le texte n’encourait pas l’inconstitutionnalité pour deux raisons principales : d’une part, parce que le mariage crée des obligations réciproques, ce que ne fait pas le concubinage ; d’autre part, parce que le mariage dote l’époux survivant d’une vocation successorale ab intestat, ce qui n’est pas le cas du pacte civil de solidarité. Cette nouvelle question prioritaire de constitutionnalité, déposée le 8 avril 2013 par le Conseil d’État, concerne une différence de traitement dans le bénéfice de la pension militaire d’invalidité. Alors que l’article L. 43 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre subordonne son obtention à l’absence de divorce prononcé entre le bénéficiaire et l’ayant droit décédé49, les articles L. 44 du Code des pensions civiles et militaires de retraite et L. 353-3 du Code de la sécurité sociale maintiennent le droit à pension de réversion au profit du conjoint divorcé. Si pour la requérante cette différence de traitement contrevient au principe d’égalité des citoyens devant la loi50, le Conseil constitutionnel conclut à la conformité constitutionnelle du texte examiné. La décision repose sur une règle que le Conseil constitutionnel a pris l’habitude d’énoncer : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »51. La formule contient le raisonnement que doivent adopter les sages pour vérifier le grief d’inconstitutionnalité fondé sur la rupture d’égalité. Le Conseil procède à deux vérifications. La première permet de rechercher l’existence d’une justification à la différence de traitement constatée entre conjoints divorcés, au regard des trois pensions visées par la requérante. Selon le Conseil, l’objet des pensions en cause n’est pas le même. Alors que les pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre poursuivent un objectif de réparation, les pensions civiles et militaires de retraite permettent d’assurer un revenu de substitution ou 47
QPC no 2013-324, 21 juin 2013 ; R.L.D.C., 2013, no 107, pp. 46 et s., obs. E. Pouliquen ; ibid., pp. 56 et s., obs. A. Paulin. 48 QPC no 2011-155, 29 juillet 2011 ; D. 2012, 971, spéc. 983, obs. J.‑J. Lemouland et D. Vigneau ; A.J.D.A., 2011, 1591, obs. M.‑C. De Montecler ; A.J.F., 2011, 436, obs. W. Jean-Baptiste ; R.T.D. civ., 2011, 748, obs. J. Hauser ; J.C.P. S 2011, 1458, note A. Devers ; Dr. Famille, 2011, comm. 143, note V. Larribau-Terneyre ; J.C.P. G., 2012, I.31, no 2, obs. Y. Favier. 49 L’article L. 43 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre utilise en effet le terme conjoint survivant, que l’article L. 1ter du même code définit comme « l’époux ou l’épouse uni par les liens du mariage à un ayant droit au moment de son décès ». 50 Article 6 DDHC, 1789. 51 QPC no 2013-324, 21 juin 2013, Mme Micheline L, cons. n° 3.
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d’assistance au survivant. L’objet des pensions étant distinct, rien ne s’oppose par conséquent à ce que leur régime et notamment la désignation des bénéficiaires soient différents, sans qu’il ne soit porté atteinte au principe d’égalité. Il existe ainsi un rapport direct entre la différence de traitement et l’objet de la loi. C’est ensuite la différence de traitement entre conjoint survivant et conjoint divorcé, au regard de la pension militaire d’invalidité et des victimes de la guerre, que le Conseil contrôle. Sur ce point, un constat s’impose : le conjoint survivant et le conjoint divorcé ne sont pas dans des situations analogues. Tandis que le mariage du premier a cessé par la mort d’un conjoint, de manière concomitante, c’est un divorce qui a provoqué l’extinction du mariage du second, qui n’était donc plus marié au de cujus au jour de son décès. Les situations, à l’instar de l’objet des pensions, sont différentes, ce qui permet de rejeter totalement le grief d’inconstitutionnalité soulevé par la requérante. Rien ne s’oppose en effet à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes52 et, puisque rien ne s’y oppose, rien ne le contraint dès lors à assurer l’égalité entre le conjoint survivant et le conjoint divorcé, ainsi qu’entre conjoints divorcés. On l’aura compris, tout n’est qu’une question de choix, et le choix d’accorder une pension au titre de l’article L. 43 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre repose entièrement sur la volonté législative. Elle ne constitue donc en rien une exigence constitutionnelle. A.M.
C. Mariage et acquisition de la nationalité 15. À l’occasion d’observations sur des arrêts rendus par la Cour de cassation, le professeur Hauser écrivait que « le contentieux essentiel du mariage paraît définitivement fixé autour de l’acquisition de la nationalité »53. Il est vrai que différentes questions affleurent, notamment devant le Conseil constitutionnel. En juillet 2012, ce dernier a notamment été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité aux termes de laquelle le requérant estimait que les articles 21-2 et 26-4 du Code civil, qui fixent les conditions d’acquisition de la nationalité par le mariage, contrevenaient au droit au respect de la vie privée et familiale des époux. La décision rendue en guise de réponse54 a comme des airs de déjà vu. En effet, quelques mois plus tôt, le Conseil constitutionnel avait déjà eu à traiter d’une question portant sur la conformité à la Constitution des articles 21-2 et 26-4 du Code civil. Le requérant prétendait notamment qu’ils ne respectaient pas le droit 52
La solution est aussi ancienne que l’Éthique à Nicomaque, dans laquelle Aristote enseignait que « si les personnes ne sont pas égales, elles n’obtiendront pas dans la façon dont elles sont traitées l’égalité » (Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre V, ch. III). 53 J. Hauser, « Mariage et nationalité (re-suite) : mariage pour tous à l’ancienne », R.T.D. civ., 2013, 93, à propos des arrêts Cass. civ. 1re, 7 novembre 2012, no 11-17.237 ; D., 2012, 2660 ; ibid., 2013, 324, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; A.J.F., 2012, 621, obs. N. Nord ; Cass. civ. 1re, 7 novembre 2012, no 11-25.662 ; D., 2012, 2661 ; ibid., 2013, 324, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; A.J.F., 2013, 620, obs. N. Nord ; Cass. civ. 1re, 7 novembre 2012, no 12-13.713. 54 QPC no 2012-264, 13 juillet 2012 ; A.J.F., 2012, 561, obs. F. Chénedé ; R.T.D. civ., 2012, 713, obs. J. Hauser.
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au respect de la vie privée55. Le Conseil avait alors conclu qu’aucune de ces dispositions n’étaient contraires à la Constitution. Si la question a déjà été posée et si une réponse y a déjà été apportée, alors comment se fait-il qu’une nouvelle décision ait été rendue ? L’article 23-2, 2°, de la loi no 2009-1523 du 10 décembre 2009, prévoit pourtant la transmission au Conseil des seules questions portant sur des dispositions qui n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution. Toutefois, la question peut être posée de nouveau lorsque les circonstances ont changé, ce qui est notamment le cas en présence d’une réforme du texte examiné. Or, en l’occurrence, l’article 21-2 du Code civil a été plusieurs fois modifié, et si le Conseil s’est prononcé en mars sur la version résultant de la loi du 16 mars 1998, c’est sur la rédaction que lui a conféré la loi du 26 novembre 2003 qu’il a statué en juillet. Quelle modification la loi de 2003 a-t-elle apportée ? D’abord, le délai séparant la célébration du mariage de la déclaration d’acquisition de nationalité a été porté à deux ans. Le législateur en a profité pour préciser que la condition de vie commune doit s’entendre au sens de l’article 215 du Code civil et que le candidat à l’acquisition de la nationalité doit justifier d’une maîtrise suffisante de la langue française. Ensuite, un délai de trois ans a été ajouté pour les cas dans lesquels l’étranger ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue en France, pendant au moins un an à compter du mariage. Enfin, la dérogation qui écartait la condition de délai en cas de naissance d’un enfant a été supprimée. Après cette évolution du texte, peut-on considérer qu’il y ait eu un réel intérêt justifiant que cette question soit de nouveau posée ? La réforme n’a-t-elle pas été qu’un simple prétexte pour la poser deux fois ? Les circonstances ont bien changé dès lors que les conditions d’acquisition de la nationalité par le mariage ont été durcies, mais ont-elles eu une quelconque influence sur l’objet de la question, de nature à en faire varier la réponse ? Il semble a priori que ce soit le cas, puisque la question transmise par la Cour de cassation est examinée par le Conseil, ce qui implique qu’il a constaté un changement de circonstances. Toutefois, pour y répondre, les sages n’ont pas hésité à procéder à de multiples renvois à la décision rendue quelques mois plus tôt, introduisant leur motivation par cette formule : « comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans sa décision du 30 mars 2012 »56. Malgré l’évolution du texte, le résultat ne varie pas : même question, même réponse… qu’il convient d’examiner en analysant successivement la conformité à la Constitution, plus exactement au droit au respect de la vie privée ainsi qu’au droit de mener une vie familiale normale, des articles 21-2 puis 26-4 du Code civil. L’article 21-2 du Code civil prévoit que l’étranger qui contracte un mariage avec un français peut, deux ans après la célébration de son union, acquérir la nationalité française par déclaration, à condition cependant que la communauté de vie n’ait pas cessé pendant ce délai et que le conjoint du candidat à l’acquisition de la natio55 QPC no 2012-227, 30 mars 2012, M. Omar S. ; D., 2013, 326, obs. O. Boskovic ; A.J.D.A., 2012, 680, obs. S. Brondel ; A.J.F., 2012, 350, obs. F. Chénedé ; R.C.D.I.P., 2012, 560, note P. Lagarde ; R.T.D. civ., 2012. 294, obs. J. Hauser. 56 QPC no 2012-264, 13 juillet 2012, M. Saïd K., cons. 6 et, à quelques mots près, cons. 9.
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nalité française ait lui-même conservé cette nationalité. Selon le Conseil, aucune atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ne peut être constatée car aucun de ces deux droits n’impose que le conjoint d’une personne de nationalité française puisse acquérir la nationalité française à ce titre. Autrement dit, si le législateur permet l’acquisition de la nationalité française par le mariage, c’est un choix de sa part et non le résultat d’une contrainte résultant des droits et libertés garantis par la Constitution. En effet, le fait de conditionner l’acquisition de la nationalité par le mariage « n’empêche pas l’étranger de vivre dans les liens du mariage avec un ressortissant français et de constituer avec lui une famille » et donc « ne porte, par lui-même, atteinte ni au droit au respect de la vie privée ni au droit de mener une vie familiale normale »57. Malgré les conditions plus rudes introduites par la loi de 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, le Conseil affirme de nouveau la conformité constitutionnelle du texte. Au regard de la motivation délivrée par le Conseil, on peut d’ailleurs penser que la durée de la vie commune, qui conditionne l’obtention de la nationalité française, importe finalement peu. Qu’elle soit d’une ou de deux années, voire plus, le Conseil pourra toujours considérer que l’étranger n’est pas empêché de fonder une famille et de vivre en mariage avec un français. On perçoit alors le véritable fond de cette décision. Derrière cette nouvelle affirmation de la conformité constitutionnelle des conditions d’acquisition de la nationalité par le mariage, c’est l’influence de la nationalité sur le droit au respect de la vie privée et familiale qui est tranchée. En affirmant que l’article 21-2 du Code civil ne fait pas obstacle à ce qu’un étranger soit marié à un ressortissant français et puisse fonder une famille, le Conseil constitutionnel suggère deux choses : d’une part, le droit au respect de la vie privée et familiale de l’étranger n’impose pas que ce dernier, parce qu’il vit en mariage avec un ressortissant français, acquière systématiquement la nationalité française ; d’autre part, l’étranger, pour vivre en mariage et fonder une famille avec un ressortissant français, n’est pas contraint d’acquérir la nationalité de son conjoint. Il apparaît alors que ce sont moins les conditions d’acquisition de la nationalité française que le principe même de cette acquisition qui semble être sans effet sur le droit au respect de la vie privée et familiale. Le deuxième texte soumis au contrôle a posteriori, l’article 26-4 du Code civil, énonce les modalités d’enregistrement et de contestation de la déclaration qui intervient au terme du délai fixé par l’article précédent. En outre, il dispose que la cessation de la communauté de vie dans les douze mois de l’enregistrement vaut présomption de fraude. C’est au regard de cette disposition que l’on pourrait déceler le caractère artificiel de cette question prioritaire de constitutionnalité, puisqu’elle n’a reçu aucune modification depuis la précédente saisine du Conseil. Ce dernier reconnaît par ailleurs que la nouvelle rédaction de l’article 21-2, issue de la loi du 26 novembre 2003, n’a eu aucune incidence sur l’article 26-4. La conclusion s’impose d’elle-même : l’article 26-4, conforme en mars, l’est toujours en juillet. Toutefois, les deux articles fonctionnent de pair, l’un énonçant les conditions et l’autre 57
QPC no 2012-264, 13 juillet 2012, M. Saïd K, cons. 6.
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les modalités de l’acquisition de la nationalité. Il était par conséquent préférable d’examiner à nouveau les deux textes, ensemble, pour ne pas morceler le contrôle de constitutionnalité. La conformité de cette seconde disposition à la Constitution est donc confirmée, mais il faut se reporter à la première décision pour en connaître la motivation. Le Conseil y avait expliqué deux choses. D’une part, la possibilité pour le Ministère public de contester la déclaration d’acquisition de la nationalité lorsque les conditions de l’article 21-2 ne sont pas remplies, ou encore en cas de mensonge ou de fraude, n’est pas contraire au droit au respect de la vie privée. Une nouvelle fois, ce n’est pas parce que l’étranger ne peut pas acquérir la nationalité française qu’il est empêché de vivre sur le territoire français, dans les liens du mariage, et de fonder une famille. On aurait pu cependant attendre du Conseil, en juillet, qu’il adapte sa motivation à la question qui ne concernait pas seulement, comme en mars, le droit au respect de la vie privée, mais également le droit de mener une vie familiale normale. Le résultat aurait été le même mais la décision aurait gagné en pédagogie et en cohérence. D’autre part, c’est la présomption de fraude, applicable lorsque la vie commune a cessé dans les douze mois de l’enregistrement de la déclaration, qui était en cause. Cette présomption a pour raison d’être la protection du mariage dans les fins qui sont les siennes et la prévention contre l’acquisition frauduleuse de la nationalité française. Elle poursuit donc un objectif de protection de l’intérêt général, qui se confronte dès lors à l’intérêt particulier, représenté par le droit au respect de la vie privée. Le Conseil, qui avait la tâche de vérifier que l’un ne l’emporte pas complètement sur l’autre, en a conclu que « le législateur, en instituant cette présomption, n’a pas opéré une conciliation qui soit déséquilibrée entre les exigences de la sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée »58. On pourrait regretter – mais il faut néanmoins relativiser la critique – que la négation de l’existence d’un déséquilibre ait été préférée à l’affirmation d’un équilibre entre les deux exigences constitutionnelles en conflit. Si le législateur « n’a pas opéré une conciliation qui soit déséquilibrée », faut-il comprendre qu’il a opéré une conciliation équilibrée ou qu’il n’a tout simplement pas opéré de conciliation ? La question peut à peine être posée car c’est en réalité sans réelle difficulté que l’on passe de la négation du déséquilibre à l’affirmation de l’équilibre entre ces exigences. Il ne fait aucun doute que la conciliation a bien été recherchée par le législateur français. En outre, la motivation n’est pas reprise dans la décision de juillet, qui procède simplement par renvoi, et l’affirmation finale du Conseil chasse toute hésitation en suggérant qu’une conciliation équilibrée a bien eu lieu : « l’article 26-4 du Code civil doit être déclaré conforme à la Constitution »59. Ce n’est finalement qu’une mauvaise impression rapidement effacée que laisse cette négation, mais on sait combien les apparences ont de l’importance. Pour finir, le Conseil précise que le texte est conforme sous la même réserve que celle qu’il avait énoncée dans sa précédente décision : la présomption de fraude ne profite au Ministère public qu’à l’occasion des actions engagées dans les deux ans de la date de l’enregistrement et ne s’étend 58
QPC no 2012-227, 30 mars 2012, M. Omar S., cons. 9. QPC no 2012-264, 13 juillet 2012, M. Saïd K, cons. 9.
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pas aux actions engagées postérieurement, à savoir dans les deux ans de la découverte de la fraude ou du mensonge. Il avait en effet été jugé que cette extension portait une atteinte excessive aux droits de la défense. Malgré le changement de circonstances, qui aura permis à la question de mars d’être de nouveau posée en juillet, c’est bien le même contrôle que le Conseil constitutionnel réalise une seconde fois. C’est également la même réponse qui est apportée. La cohérence est donc sauve. Mais après la loi de 2003, l’article 21-2 du Code civil a une nouvelle fois été modifié, notamment par une loi du 24 juillet 2006 qui a porté le délai conditionnant l’acquisition de la nationalité à quatre ans après la célébration du mariage. La saga de l’article 21-2 n’est peut-être pas prête de s’arrêter… A.M.
III. Les enfants A. Filiation biologique 16. L’affaire Costa et Pavan c. Italie60, aborde la question infiniment délicate du diagnostic préimplantatoire. L’arrêt est d’autant plus intéressant qu’au-delà de la solution qu’il retient et de sa motivation, il laisse entrevoir l’immense pouvoir que la Cour entend assumer – même si elle prétend le contraire. En l’espèce, les deux requérants, Madame Costa et Monsieur Pavan, avaient appris après la naissance de leur première fille, qu’ils étaient porteurs sains de la mucoviscidose et que l’enfant était atteint de cette pathologie. Le diagnostic prénatal réalisé lors d’une seconde grossesse en 2010, avait révélé que l’enfant porté par Madame Costa était également atteint, ce qui avait amené les parents à demander une IMG (interruption médicalisée de la grossesse). Avant d’entamer une nouvelle grossesse, le couple souhaitait accéder à un diagnostic préimplantatoire. Or, selon la loi italienne de 2004, les techniques de PMA ne sont accessibles qu’aux couples stériles ou infertiles : eux seuls peuvent, par conséquent, recourir au DPI. Certes, en 2008, le ministère de la Santé a étendu par décret l’accès au PMA aux couples dont l’homme est affecté par des maladies virales transmissibles, dans le but d’en éviter la transmission lors de la procréation à la femme ou au fœtus ; mais là encore, le champ du DPI demeure strictement limité. De même, si une décision du tribunal de Salerne avait autorisé un couple de parents porteurs sains de l’atrophie musculaire d’accéder au DPI, la décision était restée isolée. Dans ses écritures, le gouvernement italien réaffirmait d’ailleurs clairement la position de son pays. 60
Cour eur. D.H., arrêt Costa et Pavan c. Italie, 28 août 2012, req. no 54270/10. R.T.D. civ., 2012, 697, obs. J.‑P. Marquénaud, Dr. Famille, 2012, comm., 170, J.C.P. G. 2012, 1148, obs. C. Picheral, A.J. fam., 2012, 552, obs. A. Dionisi-Peyrusse, F. Sudre, « Droit de la Conv. EDH », J.C.P., 2013, doctr. 64, A. Gouttenoire, « La famille dans la jurisprudence de la Cour eur. D.H. », Dr. Famille, 2013, étude 3.
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La première question posée par la Cour était celle de l’épuisement des voies de recours internes car, en l’espèce, les requérants n’avaient jamais saisi les autorités italiennes d’une demande de DPI : ils ne s’étaient donc pas heurtés à un refus de leur part. Pour écarter l’objection, les intéressés soulignaient que l’interdiction posée par la loi italienne était absolue et qu’il n’existait donc pas de recours effectif. Selon la Cour, « en l’absence d’un remède interne spécifique, il appartient au gouvernement de démontrer, à l’appui de la jurisprudence interne, le développement, la disponibilité, la portée et l’application de la voie de recours qu’il invoque »61 et encore faut-il apporter de la jurisprudence à l’appui62. L’affirmation n’est pas nouvelle, mais l’application qui en est faite est étonnante. Les voies de recours de droit commun existent, indubitablement. À preuve, la jurisprudence du tribunal de Salerne. Celle-ci est certes isolée, mais parce que personne d’autre n’a agi jusqu’ici sur le même fondement. Si personne n’a agi, dira-t-on, c’est peut-être parce que le résultat était connu d’avance compte tenu des dispositions du droit italien. Mais la décision du tribunal de Salerne prouve le contraire… Dans les arrêts cités par la Cour à l’appui de sa décision, l’ineffectivité des voies de recours était liée à la mauvaise volonté réelle ou supposée de l’État requis ou à l’impossibilité pour les parties d’accéder, de facto, à la justice. Dans l’affaire Costa et Pavan, c’est la clarté de la règle italienne qui rendrait inutile l’exercice des voies de recours. C’est dire que sur une question nouvelle et délicate, il ne serait pas besoin de laisser se constituer une jurisprudence : les choix du législateur peuvent être directement soumis à la Cour. Il est vrai qu’en l’espèce, la loi italienne est sans équivoque. Et sans doute y auraitil eu une certaine cruauté à exiger que les époux se lancent dans une procédure longue et aléatoire, qui aboutirait peut-être trop tard pour qu’ils puissent espérer une nouvelle grossesse. C’est ce que laisse entendre, par prétérition, la Cour lorsqu’elle relève que « on ne saurait reprocher valablement aux requérants de ne pas avoir introduit une demande visant à l’obtention d’une mesure qui, le gouvernement le reconnaît explicitement, est interdite de manière absolue par la loi »63. Mais le raisonnement, humainement compréhensible, n’en est pas moins ambigu : il revient à nier que la jurisprudence nationale, sur le fondement éventuellement de la Convention européenne des droits de l’homme, puisse donner une interprétation favorable aux parties ou provoquer une réforme. Peut-être était-ce en l’espèce illusoire : l’ouverture du DPI constitue un choix bioéthique majeur qui appartient au législateur. Mais une audace jurisprudentielle n’est jamais impossible : à preuve la décision du tribunal de Salerne… Aussi opportune que puisse paraître la solution retenue par la Cour, le raisonnement suivi est lourd de conséquences : déduire de l’absence de jurisprudence et de la clarté de la loi l’absence de voie de recours effectif vide de sa substance 61
Cour eur. D.H., arrêt Costa et Pavan c. Italie, 28 août 2012, req. no 54270/10, § 37 et références citées. Costa et Pavan c. Italie, § 31. 63 Costa et Pavan c. Italie, § 38. 62
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la condition d’épuisement des voies de recours internes et remet en cause le caractère subsidiaire de l’intervention de la cour : confronté à l’exigence d’une preuve impossible (parce qu’il n’y a pas eu de décisions, il n’y aurait pas de recours effectif), l’État requis voit sa législation déférée directement devant le juge européen. C’est dire le pouvoir que s’arroge la Cour. Sur le fond, la solution peut également paraître opportune mais, là encore, le raisonnement est des plus ambigu. Soigneusement construite, la décision s’appuie sur les travaux réalisés par le Conseil de l’Europe et par l’Union européenne en la matière. Elle repose également sur une solide étude de droit comparé. Selon le gouvernement italien, les parents invoquaient en réalité un « droit à un enfant sain », droit qui n’est pas protégé au titre de l’article 8. La Cour écarte l’argument : les parents revendiquent seulement le droit d’accès au DPI pour pouvoir identifier l’éventuelle présence d’une pathologie précise, au regard de risques réels de transmission. D’autres pathologies peuvent exister, d’autres complications survenir et compromettre la santé de l’enfant, que le DPI demandé n’a pas pour objet d’exclure64. En revanche, la demande rentre bien dans le champ de l’article 8 au titre de la vie privée65, dans le prolongement de la reconnaissance du droit des parents de voir respecter leur décision de devenir parents génétiques : « en l’espèce, la cour considère que le désir des requérants de procréer un enfant qui ne soit pas atteint par la maladie dont ils sont porteurs sain et de recourir pour ce faire à la procréation médicalement assistée et au DPI relève de la protection de l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de leur vie privée et familiale »66. L’ingérence constituée par l’interdiction d’accéder au DPI est assurément prévue par la loi et sa finalité peut passer pour légitime puisqu’il s’agit d’assurer la « protection de la morale et des droits et libertés d’autrui »67. Mais est-elle nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au regard de l’objectif poursuivi ? D’entrée de jeu, la cour souligne que « le grief des requérants ne porte pas sur la question de savoir si, prise isolément, l’interdiction qui leur est faite d’accéder au DPI est compatible avec l’article 8 de la Convention », mais si « le manque de proportionnalité d’une telle mesure à la lumière de ce que le système législatif italien les autorise de procéder à une IMG lorsque le fœtus devait être atteint par la pathologie dont ils sont porteurs »68. C’est la cohérence du droit italien qui est en cause dans ses conséquences sur les intéressés. Or selon la Cour, les arguments du gouvernement ne sont pas convaincants.
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Costa et Pavan c. Italie, § 6. Costa et Pavan c. Italie, § 55. Costa et Pavan c. Italie, § 56. 67 Costa et Pavan c. Italie, § 59. 68 Costa et Pavan c. Italie, § 60. 65 66
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Celui-ci avançait tout d’abord le souci de protéger « l’enfant » et la femme : certes ; mais quid dans ce cas de l’avortement, avec les risques qu’il entraîne, pour le fœtus évidemment, mais aussi pour la femme et pour le couple ? Quant aux risques de dérive eugénique, et à liberté de conscience des professions médicales, l’argument est balayé d’un revers de main. Il est vrai que le DPI peut être encadré dès lors qu’on peut en limiter le recours à des risques réels de pathologies précises et que la liberté de conscience des praticiens peut être préservée comme elle a pu l’être en matière d’interruption de grossesse. Pour la Cour, « force est de constater que le système législatif italien en la matière manque de cohérence. D’une part, il interdit l’implantation limitée aux seuls embryons non affectés par la maladie dont les requérants sont porteurs sains ; d’autre part, il autorise ceux-ci d’avorter un fœtus affecté par cette même pathologie »69. Selon la Cour, les conséquences d’une telle position sont évidentes pour les personnes, avec l’angoisse qui accompagne la nécessité d’entamer une grossesse et, en cas d’affection, la nécessité d’avorter, ce que les requérants avaient dû faire par le passé70. Au passage, la Cour reconnaît le « droit de mettre au monde un enfant qui ne soit pas affecté par la maladie dont ils sont porteurs sains » : il n’y aurait donc pas un droit, général, à un enfant sain, mais le droit pour des parents de donner naissance à un enfant qui ne soit pas atteint par la pathologie dont ils sont porteurs sains. Que la position du droit italien puisse être discutée, notamment dans ses conséquences sur les parents, est certain ; qu’elle soit isolée, comme le révèle le droit comparé, l’est tout autant. Est-elle pour autant incohérente ? Pour éviter tout risque d’eugénisme, la loi italienne interdit le DPI en dehors du champ précis de l’assistance médicale à la procréation ; si toutefois le danger pathologique est avéré, il permet le recours à l’avortement. Qualifier le choix italien « d’incohérent », comme le répète à l’envie la cour, permet seulement d’éviter d’affronter la question de front : la réponse à donner au problème est implicitement contenue dans la façon de le poser… C’est la faveur de la Cour pour le DPI dans de telles hypothèses, faveur que l’on peut comprendre en opportunité, qui la conduit à dénoncer « l’incohérence » du droit italien. D’ailleurs, qu’aurait dit la cour si l’Italie, allant jusqu’au bout de sa logique, avait interdit à la fois le DPI et l’IMG ? Sans doute l’aurait-elle aussi été condamnée, non plus en raison de son « incohérence », mais au vu de l’ampleur de l’atteinte au droit au respect de la vie privée. Au fond, c’est bien le principe même de l’interdiction qui est en cause. Dès lors que le DPI existe et qu’il est disponible, peut-on en restreindre l’accès et pour quelles raisons au regard du droit reconnu aux parents « de mettre au monde un enfant qui ne soit pas affecté par la maladie dont ils sont porteurs sains » ? Sur ce genre de questions, « qui suscitent de délicates interrogations d’ordre moral 69
Costa et Pavan c. Italie, § 64. Costa et Pavan c. Italie, § 65.
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et éthique », les États disposent d’une large marge d’appréciation : se référant à l’arrêt S.H. c. Autriche71, rendu en matière de fécondation hétérologue, la Cour rappelle qu’en ce domaine, « la marge d’appréciation des États ne pouvait pas être restreinte de manière décisive »72, sans échapper pour autant au contrôle de la Cour. Seule « l’incohérence » prétendue du droit italien permet de passer outre : c’est elle qui permet de qualifier l’ingérence de « disproportionnée ». Quant à l’argument du consensus ou de l’absence de consensus européen sur ces questions, la Cour en fait un usage tout aussi ambigu. Certes, l’Italie est isolée puisque deux autres pays seulement interdisent le DPI dans de telles hypothèses (et encore, la Suisse est-elle en train de réformer son droit). Pour autant la Cour n’invoque pas de consensus contraire : ce serait aller trop directement à l’encontre de la marge d’appréciation reconnue aux États. Si la solution donnée au fond de l’affaire peut sembler opportune, le raisonnement de la Cour laisse donc dubitatif. Le soin même avec lequel la Cour le construit afin de lui donner une apparence de parfaite objectivité, ne fait que renforcer l’impression que l’on part de la solution souhaitée pour construire l’arrêt. Reste que la méthode ne va pas sans danger : transposés à d’autres affaires, les principes posés au fil de la décision pourraient avoir des effets dévastateurs. M.F. 17. Dans l’arrêt Kristian Barnabas Toth c. Hongrie73, la Cour européenne des droits de l’homme a également eu l’occasion de se pencher sur la délicate question de l’équilibre entre les droits du père biologique à établir sa descendance et la protection de la stabilité de l’enfant intégré dans sa famille – famille par le sang et/ou famille adoptive. Si le critère prépondérant doit être la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, la question se pose de savoir si cet intérêt doit être apprécié in abstracto ou in concreto, étant entendu que l’appréciation in concreto ne fait bien souvent que traduire une conception in abstracto implicite. La Cour européenne des droits de l’homme a parfois semblé se laisser enfermer dans une vision univoque de l’intérêt de l’enfant, au risque de sacrifier un père biologique dont on craignait qu’il ne vienne perturber l’équilibre de l’enfant74. Tel n’est pas le cas dans l’affaire Toth c. Hongrie, jugée le 12 février 2013, même si la motivation a sa part de non-dit. En l’espèce, K.B. Toth., né en 1974, vit en concubinage avec HK. En 2004, alors que HK est enceinte depuis quelques mois, le couple se sépare. Trois mois plus tard, un Monsieur P. fait une déclaration de paternité de l’enfant à naître, avec le 71
Cour eur. D.H. (GC), arrêt S.H. c. Autriche, 5 novembre 2011, no 57813/100. S.H. c. Autriche, §§ 67 et s. Cour eur. D.H., arrêt Krisztian Barnabas Toth c. Hongrie, 12 février 2013, req. no 48494/06. 74 Cour eur. D.H., arrêt Nylund c. Finlande, 20 juin 1999, req. no 27110/95 ; et surtout l’arrêt Yousef c. Pays-Bas, 5 novembre 2002, no 33711/96. 72 73
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consentement de la mère. Une petite fille naît début 2004. Un an plus tard, l’enfant est adopté par Monsieur P. – devenu entre-temps le mari de la mère. Le père qui jusqu’ici ne s’était, semble-t-il, jamais occupé de l’enfant (la situation est donc radicalement différente de celle qui donna lieu à l’arrêt Rozanski c. Pologne75), agit en justice pour que soit désigné un « ad hoc guardian » afin qu’il puisse intenter une action destinée à établir sa propre paternité. Sa démarche est rejetée : les autorités administratives puis judiciaires hongroises soulignent que l’intérêt de l’enfant, qui doit être une considération essentielle en la matière, est de ne pas remettre en cause la situation établie, l’enfant étant élevé dans une famille aimante et stable. De plus, si la paternité adoptive était mise en question, la paternité deviendrait vacante car la mère s’opposerait à ce que la déclaration de paternité du père biologique prenne pleinement effet. Enfin, souligne la Cour Suprême hongroise, l’enfant elle-même pourra agir en justice si elle le souhaite à partir de 14 ans76. Dans son arrêt du 12 février 2013, la Cour reprend, en les précisant, les solutions posées dans des arrêts antérieurs. En ce qui concerne l’invocabilité de l’article 8, il ne faisait aucun doute que la situation entrait dans le champ de l’article 8 au titre de la vie privée : « the court has found on numerous occasions that proceedings concerning the establishment of or challenge of the paternity concerned that man’s private life under article 8, wich « compasses important aspects of one’s personnel identity »77. La situation relèvet-elle en revanche de la vie familiale ? La Cour rappelle que « biological kinships between a natural and a adult alone, without any further legal or factual elements indicating the existence of a close personnal relationship, is insufficient to attract the protection of article 8 ». Certes, par le passé, la Cour a admis qu’une vie familiale désirée mais contrariée par la mère, par les services chargés de la protection de l’enfant etc., pouvait être protégée au titre de l’article 878. Mais il n’y avait rien de tel en l’espèce : le demandeur ne s’était jamais préoccupé de l’enfant, avant et après la naissance, jusqu’au moment où il avait eu connaissance de l’adoption. Il est vrai que la mère n’avait visiblement rien fait pour cela, ce que la Cour met paradoxalement au débit du père79. Sur le fond, la Cour avait à apprécier si l’interférence dans la vie privée du père qui ne pouvait établir sa descendance, était nécessaire dans une société démocratique. Dans la ligne de sa jurisprudence antérieure, la Cour affirme que la question doit être examinée d’un double point de vue : du point de vue des raisons qui, en l’espèce, avaient conduit les autorités hongroises à prendre leur décision, mais aussi du point de vue procédural : la procédure a-t-elle été équitable et a-t-elle offert au demandeur une protection adéquate ? 75
Cour eur. D.H., arrêt Rozanski c. Pologne, 18 mai 2006, req. no 55339/10. Krisztian Barnabas Toth c. Hongrie, § 13. 77 Krisztian Barnabas Toth c. Hongrie, § 28. La Cour se réfère à l’affaire Kautzor c. Germany, 22 mars 2012, req. o n 23338/09. 78 La Cour cite à ce sujet l’arrêt Anayo c. Allemagne, 21 décembre 2010, req. no 20578/07. 79 Krisztian Barnabas Toth c. Hongrie, § 28. 76
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Sur le premier point la Cour affirme que « considerations of what lies in the best interest of the child concerned is of paramount importance in every case of this kind ; depending on their nature and seriousness, the child’s best interests may override those of the parents… ». Pour apprécier cet intérêt, les autorités nationales sont assurément les mieux placées ; mais la Cour entend examiner, à la lumière de la Convention, les décisions prises par ces autorités dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation80. Elle souligne que le refus des autorités hongroises est fondé non seulement sur le fait que l’enfant a déjà une filiation établie (par reconnaissance légale et par adoption), et que si cette filiation adoptive était détruite, l’enfant n’aurait plus de filiation paternelle car sa mère s’opposerait à ce que M.P. – soit reconnu comme père et, en toute hypothèse, qu’il assure son rôle de père, au risque de priver l’enfant de tout statut familial stable. Un tel raisonnement ne va pas sans ambiguïté : peut-on remettre entre les mains de la mère la paternité légale et/ou affective des enfants nés hors mariage ? Il y aurait là la trace d’une conception plutôt archaïque de la famille créée hors mariage même s’il ne faut pas négliger le fait que, très souvent, la mère se retrouve seule pour élever son enfant. En revanche, que le père biologique ne se soit jamais préoccupé d’établir des liens juridiques, affectifs ou tout simplement matériels avec l’enfant, est de mauvais augure. Et comme l’enfant vit par ailleurs dans un environnement familial et social stable, on peut douter qu’il soit de son intérêt de détruire la filiation adoptive81. Reste que cette filiation a été établie à l’insu du père biologique. La Cour n’aborde pas ce point. Et il est vrai qu’en l’espèce, on ne pouvait reprocher aux autorités hongroises d’avoir prononcé l’adoption : après tout, Monsieur P. avait auparavant reconnu sa paternité. Fallait-il en revanche la remettre en cause ? La Cour EDH donne un satisfecit sur la procédure suivie par les autorités hongroises et sur la façon dont elles ont apprécié l’intérêt de l’enfant : Monsieur Toth a été entendu personnellement et a pu exposer ses idées sur la façon dont il assumerait sa paternité ; pour autant il n’a pas convaincu, d’autant que son attitude passée, notamment le fait qu’il n’ait pas reconnu l’enfant, ne plaidait pas en sa faveur. La Cour en conclut que « the domestic authorities carried out a thorough scrutiny of the interests of those involved – attaching particular weigh to the interests of the child while not ignoring those of the applicant – and this in a procedure securing sufficient procedural safeguards for the applicant. In the face of these observations, the Court finds that, in exercising their discretionary power, the authorities have not overstepped the margin of appreciation afforded to them in this field – which the Court has recognized to be wider than the one relating to questions of contact or information rights (…) »82. Les raisons avancées par les autorités nationales pour justifier l’ingérence dans les droits du requérant étaient pertinentes et suffisantes : en conséquence, 80
Krisztian Barnabas Toth c. Hongrie, § 32. Krisztian Barnabas Toth c. Hongrie, § 35. Krisztian Barnabas Toth c. Hongrie, § 37.
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la Cour « considers that the measure complained of can be seen as corresponding to a pressing social need in order to protect the rights of others »83. Est ainsi réalisé un équilibre délicat entre les intérêts en cause : ceux de l’enfant, avant tout, mais aussi ceux du père adoptif et plus généralement de la famille de l’enfant, au détriment d’un homme qui s’est trop tardivement soucié d’assumer sa paternité. M.F. 18. Dans un arrêt du 7 mai 2013, la Cour européenne des droits de l’homme traite de l’extension des règles de la filiation par le sang aux enfants nés dans le cadre d’un projet parental homosexuel. L’analyse de cette décision, rendue dans l’affaire Boeckel et Gessner-Boeckel c. Allemagne84, présente un intérêt particulier au regard de l’adoption par le législateur français de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe qui consacre le mariage homosexuel85. L’affaire concerne deux femmes de nationalité allemande, Sabine Boeckel et Anja Gessner-Boeckel vivant ensemble depuis 2001 date à laquelle elles ont conclu un partenariat civil enregistré (Eigetragene Lebenspartenerschaft). Le 22 décembre 2008, Anja Gessner-Boeckel donna naissance à un garçon, L. Sur l’acte de naissance établi le 19 janvier 2009 par l’officier de l’état civil de Hambourg-Eimsbüttel, elle fut enregistrée comme la mère de l’enfant alors que sa partenaire, Sabine Boeckel, ne fut nullement mentionnée sur cet acte : le cadre réservé pour l’inscription du père ne fut pas renseigné. Le 25 février 2009, les intéressées conclurent un accord par lequel elles décidèrent de l’adoption de l’enfant L. par Sabine Boeckel. Le 27 janvier 2010, le tribunal de district de Hambourg-Altona homologua cet engagement en prenant une ordonnance d’adoption et déclara que l’enfant L. était désormais, légalement, le fils des deux partenaires. Le 17 mars 2009, les deux partenaires déposèrent une requête auprès du tribunal de district de Hambourg afin qu’il soit procédé à la rectification de l’acte de naissance – exigeant l’inscription de Sabine Boeckel en qualité de deuxième parent. Selon les intéressées, l’article 1592, par. 1 du Code civil (Bürgerliches Gesetzbuch – BGB), aux termes duquel il doit être considéré que le père est l’homme qui est marié avec la mère au moment de la naissance, s’applique mutatis mutandis aux hypothèses dans lesquelles une mère vit avec une autre femme dans le cadre d’un partenariat civil enregistré86. En outre, elles faisaient valoir que dans la mise en œuvre de cette disposition, il importait peu de savoir si le mari de la mère était réellement le père biologique de l’enfant né de leur mariage. Par conséquent, elles 83
Krisztian Barnabas Toth c. Hongrie, § 37. Cour eur. D.H., arrêt S. Boeckel et A. Gessner-Boeckel c. Allemagne, 7 mai 2013, req. no 8017/11. Sur cette réforme en droit français, voir not. H. Fulchiron, « Le mariage pour tous. Un enfant pour qui ? », J.C.P. G., 2013, doctr., pp. 1123‑1133. 86 Sur la présomption de paternité du mari en France, pater is est quem nuptiae demonstrant, prévue par l’article 312 du Code civil, tel que modifié par l’ordonnance no 2005-759 du 4 juillet 2005, voir not. : Ph. Malaurie et H. Fulchiron, Droit civil – La Famille, Defrénois, Lextenso éditions, 4e éd., 2011, nos 1127 à 1167. 84 85
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soutenaient qu’il n’y avait pas lieu de traiter différemment les enfants nés d’une union entre partenaires et ceux issus de parents mariés. Ces arguments ne furent pas retenus par les autorités judiciaires allemandes. Le 24 juin 2009, le tribunal de district de Hambourg rejeta leur demande au motif qu’il n’y avait pas de raison de rectifier l’acte de naissance de L. car il avait été correctement et complètement établi87. De plus, le tribunal précisa qu’il n’existait pas de fondement légal susceptible de justifier l’inscription de Sabine Boeckel comme seconde mère sur le certificat de naissance de l’enfant L. ou comme étant son ascendant88. Enfin, le tribunal observa que la reconnaissance du droit d’adoption par le partenaire du parent, par l’article 9, § 7 de la loi du partenariat civil enregistré, démontrait que le législateur avait pris en considération les droits du partenaire à l’aune des droits dont bénéficiaient les enfants nés d’autres couples ayant conclu un partenariat civil. Dès lors, le tribunal de district de Hambourg conclut qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer mutatis mutandis les dispositions de l’article 1592 du Code civil précitées qui ne visent que les enfants nés du mariage de leur parent. Le 4 novembre 2009 puis le 26 janvier 2010, les recours exercés par les intéressés furent rejetés respectivement par le tribunal régional de Hambourg et la Cour d’appel hanséatique, laquelle considéra, notamment, que les requérantes n’étaient pas fondées à invoquer une violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, combiné avec l’article 8 dudit texte. De même, le 2 juillet 2010, la Cour constitutionnelle fédérale rejeta leur requête, essentiellement pour défaut de fondement et pour absence de traitement discriminatoire89. La 5e section de la Cour européenne des droits de l’homme était donc invitée à statuer sur la conformité, avec les stipulations de l’article 14 combiné à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, du refus des autorités allemandes compétentes d’inscrire sur l’acte de naissance d’un enfant comme deuxième parent la partenaire de la mère liée à cette dernière par un partenariat civil enregistré. Après avoir estimé recevable la requête, la Cour européenne conclut à l’absence de violation des droits garantis par le texte européen. Préalablement à l’examen au fond de la requête, la Cour européenne s’est prononcée sur sa recevabilité. Dans la mesure où Sabine Boeckel avait obtenu la reconnaissance juridique du statut de deuxième parent, précisément de deuxième mère dans le cas d’espèce, il était légitime que la Cour s’interroge sur la qualité de victime des requérantes au sens de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour écarte ce moyen d’irrecevabilité estimant que les requérantes sont fondées à se prévaloir d’une violation de droits garantis par la Convention européenne au sens de l’article 34 dudit texte, au seul regard de la nature du grief. Pour étayer cette position, la Cour précise que mesdames Boeckel et GessnerBoeckel peuvent se prévaloir d’une méconnaissance de leurs droits car la première 87
Cour eur. D.H., arrêt S. Boeckel et A. Gessner-Boeckel c. Allemagne, 7 mai 2013, req. no 8017/11, § 7, in fine. S. Boeckel et A. Gessner-Boeckel c. Allemagne, § 8. 89 S. Boeckel et A. Gessner-Boeckel c. Allemagne, §§ 13-14. 88
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d’entre elles a dû recourir à une procédure d’adoption pour être reconnue comme deuxième parent par l’autorité allemande compétente pour établir les actes de naissance (§§ 23 à 26). Cette appréciation, qui doit être approuvée, n’était pas a priori acquise. La Cour aurait légitimement pu déclarer la requête irrecevable en considérant que les requérantes ne pouvaient pas se prétendre victimes au sens de l’article 34 de la Convention90 car la première requérante, Sabine Boeckel, avait pleinement obtenu la reconnaissance juridique du statut : son état de second parent de l’enfant L. La Cour vérifie ensuite que la relation entre les deux femmes liées par un partenariat et leur enfant L. entre bien dans le champ d’application personnelle de l’article 8 de la Convention européenne. Après avoir observé que les deux femmes cohabitent, ont conclu un partenariat civil enregistré et élèvent ensemble l’enfant L., la Cour en déduit qu’il existe bien une vie familiale entre les intéressés au sens de l’article 891, conformément à sa jurisprudence libérale habituelle relative au champ d’application personnelle de l’article 892. Dans ce contexte, conclut la Cour, mesdames Boeckel et Gessner-Boeckel sont fondées à se prévaloir de la qualité de victime et à invoquer une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8. Sur le fond, la Cour européenne s’est tout d’abord prononcée sur la question de savoir si les requérantes, qui étaient liées par un partenariat civil enregistré au moment de la naissance de l’enfant, se trouvaient dans une situation comparable à celle d’un couple hétérosexuel marié au sein duquel l’épouse donne naissance à un enfant. La Cour se contente de prendre note du raisonnement adopté par les juridictions allemandes. Elle observe que l’article 1592, § 1er du BGB prévoit une présomption simple selon laquelle l’enfant né pendant le mariage a pour père le mari, rappelant que ce principe n’est pas remis en cause alors même que la mise en œuvre de cette présomption ne reflète pas forcément la véritable filiation. À l’instar de l’appréciation des juridictions allemandes, la Cour souligne que l’affaire ne concerne ni une situation de transsexualité ni un cas de maternité de substitution. Par conséquent, estime la Cour, lorsque l’un des membres d’un partenariat conclu par deux personnes de même sexe donne naissance à un enfant, il peut être écarté – sur base de motifs d’ordre biologique – que l’enfant soit le descendant de l’autre partenaire93. Autrement dit, selon la Cour, il n’existe pas de fondement factuel à la présomption légale selon laquelle l’enfant descendrait de l’autre partenaire. Par conséquent, il ne peut être valablement soutenu que les requérantes se trouvaient dans une situation comparable à celle d’un homme et d’une femme mariés pour ce qui est des données inscrites sur l’acte de naissance de l’enfant. Pour ces raisons, la Cour estime qu’il n’y a pas d’apparence de violation de l’article 14 de la Convention européenne combiné avec l’article 8 dudit texte. 90
Sur la notion de victime au sens de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme, voir F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, coll. Droit fondamental, 11e éd. 2012, no 312. S. Boeckel et A. Gessner-Boeckel c. Allemagne, § 27. 92 Sur le concept de vie familiale, voir : J‑J. Lemouland et M. Luby (dir), Le droit à une vie familiale, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2007. 93 S. Boeckel et A. Gessner-Boeckel c. Allemagne, § 30 : « Accordingly, in case one partner of a same-sex partnership gives birth to a child, it can be ruled out on biological grounds that the child descended from the other partner ». 91
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On ne peut qu’approuver la Cour d’avoir rappelé que tout n’est pas comparable et moins encore identique. F.T.
B. Adoption 19. Le 14 octobre 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu l’arrêt Harroudj c. France94, fort important en matière de coordination des droits fondamentaux et du droit international privé95, qui avait trait à la kafala. Cette figure juridique de droit musulman, généralement traduite par « recueil légal » est protéiforme. De manière générale, en tous cas au Maroc et en Algérie, elle est l’acte par lequel un adulte musulman96 (kafil) s’engage à prendre en charge bénévolement l’entretien, l’éducation et la protection d’un mineur (Makfoul). Les kafalas internationales représentent une faible part de l’ensemble des recueils (entre 12 et 14 % en Algérie selon les statistiques du ministère algérien de la Solidarité nationale et moins de 10 % au Maroc selon le ministère de la Justice marocain). Parmi celles-ci, trois ou quatre centaines au plus intéressent la France (mêmes sources et APAERK – Association de Parents Adoptifs d’Enfants Recueillis par Kafala –). Cela suffit pour que se pose la question de sa confrontation avec le droit français97. Une première problématique concerne sa réception puisqu’il s’agit d’une notion juridique a priori étrangère au droit français. Elle est résolue : la législation française la reconnaît et lui offre des effets tenant à la parentalité. La seconde problématique, traitée par l’arrêt Harroudj, est relative à l’adoptabilité des enfants qui en sont issus. Quelle conséquence offrir à l’observation selon laquelle la kafala est organisée par le droit musulman comme palliatif d’une prohibition de l’adoption98 ? Les enfants peuvent-ils malgré tout être adoptés dans notre système juridique ? La jurisprudence française l’a longtemps admis99 avant la création le 6 février 2001 d’une règle de conflit explicite : « L’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France »100. La
94
Cour eur. D.H., Harroudj c. France, 14 septembre 2012, req. no 43631/09. P. Hammje, Dalloz, 2012, 2947. M. Kebir, « Kafala : le refus d’adoption ne porte pas atteinte au respect de la vie familiale », Dalloz actualités, 17 octobre 2012. J.‑P. Marguénaud, R.T.D. civ., 2012, 705. J. Hauser, « Adoption, kafala et sorts des enfants », R.T.D. civ., 2013, p. 105. S. Corneloup, « Impossibilité d’adopter un enfant par kafala et convention européenne des droits de l’homme », Rev. crit. DIP, 2013, p. 146. Th. Garé, « Refus d’adoption plénière d’un enfant recueillie en Kafala et droit au respect de la vie familiale », R.J.P.F., 2012, no 11. A. Boiché, « Le sort des enfants recueillis par Kafala en matière d’adoption : la Cour européenne des droits de l’homme approuve la position prohibitive du droit français », A.J. fam., 2012, p. 546. M. Farge, Dr. Famille, 2012, 187. 96 Article 118 du Code de la famille algérien. 97 La Garde des sceaux a annoncé le 13 mars 2013 qu’une circulaire était en préparation afin de renforcer l’information des juridictions sur la kafala. 98 L’article 46 du Code de la famille algérien prohibe l’adoption, l’article 116 autorise la kafala. 99 Cass. civ. 1re, 10 mai 1995, no 93-17634. 100 Article 370-3 du Code civil des français. 95
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jurisprudence s’est alignée101 : ainsi, une française, qui avait recueilli en 2004 en Algérie une petite fille orpheline âgée de trois mois, avait adjoint son nom au sien (Hind-Harroudj) et l’avait toujours élevée en France, a vu sa demande d’adoption rejetée par le Tribunal de grande instance de Lyon en 2007. Estimant qu’un tel refus d’adoption constituait une violation de sa vie familiale, l’intéressée saisit la juridiction européenne. L’affirmation récente de la Cour selon laquelle il n’existe pas de droit à adopter102 formait un premier indice de la décision à venir103. Un second indice pouvait être dégagé de deux arrêts relatifs à l’absence de reconnaissance de jugements d’adoption prononcés à l’étranger104. En l’occurrence, la Cour écarte le grief d’une violation et conforte la nouvelle prohibition française. La décision a été diversement accueillie. La Cour se penche préalablement sur l’éventuelle irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes tirée de l’article 35. Le gouvernement avait soutenu que la requérante ne serait pas recevable à se plaindre d’une prétendue violation de la Convention en raison du refus d’adoption sans avoir usé de toutes les possibilités offertes en ce sens, dont celle – non contestée – d’obtenir la nationalité française pour l’enfant. La Cour, qui aurait pu relever que l’obtention de la nationalité n’est pas assimilable à une voie de recours de nature juridictionnelle, rejette l’argument comme nécessitant un examen au fond. Sur le fond, la Cour affirme qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans la vie familiale puisque celle-ci a pu se dérouler de façon effective (l’effectivité étant d’ailleurs constitutive de la notion même de vie familiale). La Cour conforte sa position en observant que la requérante ne se serait plainte d’aucun obstacle majeur dans le déroulement de sa vie familiale, ce qui relève d’une conception subjective voire quasi introspective des droits fondamentaux (l’existence d’une violation dépendant avant tout de ce qui a été ressenti par le justiciable). La Cour européenne balaye également l’argument tiré d’une potentielle violation des articles 8 et 14 combinés. La Convention étant un instrument à interpréter comme un tout cohérent, il est vrai qu’il eut été hardi de retenir une discrimination dans l’application des droits garantis par l’article 8 de la Convention alors même qu’aucun droit découlant de cette disposition n’avait par ailleurs été violé. Il n’empêche : la question posée était pertinente. N’est-ce pas être discriminé que d’être juridiquement « inadoptable » en raison des règles applicables dans votre seul pays de naissance ? 101
Cass. civ. 1re, 10 octobre 2006, no 06-15264 et no 06-15265. Cass. civ. 1re, 9 juillet 2008, no 07-20279. Cass. civ. 1re, 28 janvier 2009, no 08-10034. Cass. civ. 1re, 25 février 2009, no 08-11033 (arrêt sous examen de la présente Cour). Cass. civ. 1re, 15 décembre 2010, no 09-10439. 102 Cour eur. D.H., E.B. c. France, 22 janvier 2008, no 43546/02. 103 Encore que cela n’implique pas l’absence réciproque de droit à être adopté, à défaut de parallélisme en la matière : l’adoption servant précisément l’intérêt de l’enfant, non celui des adultes candidats à l’adoption. 104 Cour eur. D.H., Wagner et J.M.W.L c. Luxembourg, 28 juin 2007, no 76240/01. Cour eur. D.H., Negrepontis-Giannisis c. Grèce, 3 mai 2011, no 56759/08. L’analogie est limitée : ces arrêts sont relatifs à l’absence de reconnaissance d’une situation valablement constituée à l’étranger alors que la kafala est bien reconnue en France.
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La Cour examine également la question d’une violation indirecte, c’est-à-dire de l’inexécution d’une potentielle obligation positive105. Pour aboutir à la conclusion d’une compatibilité du système français avec le standard découlant de la Convention, elle observe d’abord que la marge nationale d’appréciation, naturellement ample en matière d’obligation positive découlant de l’article 8 de la Convention106, était de surcroît large à défaut de consensus européen sur l’adoptabilité des enfants issus d’une kafala107. La Cour observe ensuite que l’interdiction française est trois fois relative : sans brutalité, partielle et évolutive108. L’interdiction serait acceptable en ce que l’absence d’adoptabilité ne se ferait pas trop cruellement ressentir : ni l’enfant ni la « recueillante » ne demeurent sans droit : identité du nom de famille, titularité de l’autorité parentale, possibilité d’établir un testament, de nommer un tuteur légal109. La Cour note que la prohibition peut s’effacer au fur et à mesure de l’intégration réelle de l’enfant en France. D’une part, l’interdiction est partielle puisque l’inadoptabilité ne concerne ni les enfants majeurs ni les mineurs nés en France et y résidant de façon habituelle. D’autre part, l’enfant peut solliciter la nationalité française – et partant être adopté – après avoir été recueilli puis élevé en France pendant cinq années par un Français110. En somme, la Cour procède à un « calcul d’ineffectivité » : elle prend en compte les moyens de contourner la loi française en vue d’établir la validité de cette dernière111. Tout porte à croire que la Cour se livre ici à une appréciation de la proportionnalité du droit français, analyse que l’on s’attendrait davantage à rencontrer pour une violation directe que pour une violation indirecte. La Cour crée en quelque sorte des semi-obligations positives, en l’espèce celle de ne pas rendre trop longuement et trop fermement inadoptable un enfant recueilli par kafala. Globalement satisfaisant, l’arrêt du 4 octobre 2012 n’est pas à l’abri de toute critique, notamment quant à son utilisation de la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant » à laquelle la prohibition, selon l’argumentaire du gouvernement, était censée répondre. Il est permis de contester assez fermement l’idée que puisse aller dans l’intérêt d’une enfant abandonnée puis recueillie à l’âge de trois mois, dépourvue de contact avec l’Algérie et ne connaissant que la France, d’être ramenée à un statut personnel bien théorique… Quel intérêt cette jeune fille a-t105
Les États peuvent se trouver dans l’obligation de permettre la formation et le développement de la vie familiale : Cour eur. D.H., Keegan c. Irlande, 26 mai 1994. Cour eur. D.H., Gas et Dubois c/ France, 15 mars 2012, no 25951/07. 106 § 47. 107 La Cour observe qu’il n’existe pas non plus de consensus en Europe quant à la l’assimilation d’une kafala avec l’adoption mais cette problématique concerne moins l’adoptabilité de l’enfant que la réception de la kafala. 108 La Cour prend aussi acte en son § 27 des deux propositions de loi Milon du 10 mars 2011 et Tabarot du 8 février 2012 tendant à assimiler les effets de la kafala à ceux de l’adoption. 109 Il existe pourtant des difficultés d’ailleurs partiellement mentionnées par la Cour (§ 27) pour obtenir un visa (C.E., 22 février 2013), la nationalité française (Cass. civ. 1re, 14 avril 2010 no 08-21312), ou des cotisations sociales (par ex. Cass. civ. 2e, 11 juin 2009, Bull. civ., II, no 158), ainsi qu’une fiscalité bien moins avantageuse et une absence de réserve héréditaire. 110 Article 21-12 du Code civil. 111 Cette « compensation » a été critiquée. Par ex. A. Boiché, op. cit. : « les [règles en matière de nationalité française] ne sont pas là pour attendrir [la règle de conflit de loi extrêmement ferme] ».
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elle à ce qu’on lui rappelle que le droit interdit l’adoption là où elle est née112 ? Un certain nombre d’auteurs suggèrent d’ailleurs une évolution afin de distinguer désormais les enfants bénéficiant d’un rattachement avec leur pays d’origine et ceux dépourvus de tous liens113. De toute évidence, l’arrêt Harroudj s’intéresse moins à l’intérêt de l’enfant114 (en dépit de l’évocation de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant) qu’au respect du pluralisme culturel promu par l’article 20 de ce même texte (invitant à tenir compte de l’origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique de l’enfant). Or, sauf à s’attacher plus que de raison à l’idée d’origine, ce n’est pas la culture de l’enfant que la Cour considère mais le respect d’un certain pluralisme culturel … du droit ! D’ailleurs, six réponses ministérielles récentes ont affirmé que la règle de l’article 370-3 a été adoptée « afin de respecter la souveraineté des États prohibant l’adoption115 ». Cette considération, censée satisfaire l’intérêt de la société dans son ensemble, aurait pu ressortir plus clairement, d’autant que ce n’est pas si fréquent dans la jurisprudence de la Cour (l’expression de pluralisme culturel n’avait précédemment été utilisée qu’en deux occurrences, également liées au droit musulman116). Ce pluralisme culturel à respecter est largement compris, incluant même des législations extra européennes, ce qui, au delà du seul droit européen, rend l’harmonisation recherchée profitable au droit international privé lui-même. Indéniablement, cet arrêt porteur d’une vision téléologique de la Convention promeut un pluralisme juridique, du respect duquel la France a paru s’écarter bientôt, mettant implicitement en cause les termes de l’article 20, alinéa 3 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant assimilant l’adoption et la kafala comme égales protections de remplacement de la filiation117. B.B. 20. Par deux arrêts en date du 7 juin 2012, la Cour de cassation française s’est solennellement opposée, au nom de l’ordre public français, à la reconnaissance de jugements étrangers ayant prononcé l’adoption d’un enfant par deux couples homosexuels118. 112
En ce sens également Th. Garé, op. cit. : « l’intérêt de l’enfant nous paraît être de bénéficier dans le milieu où il vit désormais, d’un statut clair, reconnu et protecteur ». Cfr. par ex. S. Corneloup, op. cit. 114 Selon J.‑P. Marguénaud, op. cit. : « la Cour dilue l’intérêt supérieur de l’enfant au point de le perdre de vue pour mieux pouvoir justifier sa solution ». 115 QP des 2 et 16 octobre, 4 décembre 2012 et 16 juillet 2013, nos 5829, 7120, 7121, 12503, 12504 et 32549. 116 Cour eur. D.H., Demuth c. Suisse, 5 novembre 2002, no 38743/97. Cour eur. D.H., Hasan et Eylem Zengin c. Turquie, 9 octobre 2009, no 1448/04. 117 C.E., 22 février 2013. 118 Cass. 1re civ., 7 juin 2012, arrêts no 11-30.262, FP P+B+I+R, et no 11-30.261, FP P+B+I+R ; D. 2012. 1992, obs. I. Gallmeister, note D. Vigneau ; ibid., 1973, point de vue L. d’Avout ; A.J. fam., 2012, 397, obs. B. Haftel, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; R.T.D. civ., 2012, 522, obs. J. Hauser ; J.C.P. G 2012, 878, obs. H. Bosse-Platière ; J.C.P. G 2012, 856, avis C. Petit ; J.C.P. G 2012, 857, note F. Chénedé. 113
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Les situations de fait et de droit à l’origine de ces deux décisions étaient identiques. Dans la première affaire, le couple résidait au Royaume-Uni et était composé d’un français et d’un britannique. Dans la seconde, il habitait au Canada et unissait deux franco-canadiens. Ces deux couples avaient sollicité et obtenu de la Cour d’appel de Paris l’exequatur des décisions britannique et canadienne qui avaient prononcé à leur profit l’adoption conjointe d’un enfant119. Le procureur général s’était toutefois pourvu en cassation en soutenant que les deux décisions étrangères heurtaient l’ordre public international français. Dans un premier moyen, le ministère public soutenait que la décision étrangère violait l’article 346 du Code civil qui réserve la voie de l’adoption conjointe aux couples mariés. Ce raisonnement n’a guère convaincu la Cour de cassation, selon laquelle cette règle ne constitue pas un « principe essentiel reconnu par le droit français ». Il est vrai que ce privilège matrimonial apparaît de plus en plus fragile. Tout d’abord, car la parenté hors mariage, devenue courante, est jugée moins précaire que par le passé, tandis que le mariage ne semble plus en mesure d’assurer la stabilité du foyer. Ensuite, car après avoir ouvert, en 1994, la voie de la procréation médicalement assistée aux couples non mariés, il peut paraître quelque peu incohérent de ne pas leur ouvrir les portes de l’adoption. Mais en rejetant ce premier moyen, les hauts magistrats ont surtout eu le mérite de ne pas s’abriter derrière l’accessoire pour esquiver l’essentiel : le caractère sensible de ces deux affaires tenait, non pas à la présence d’un couple de concubins, mais bien à la présence d’un couple d’homosexuels. Tel était l’objet du second moyen. Le procureur général estimait que les deux jugements d’adoption étrangers allaient à l’encontre des « dispositions d’ordre public relatives à la filiation, qui interdisent l’établissement conjoint de la filiation par deux personnes du même sexe ». Ce moyen a convaincu la Cour de cassation qui a estimé qu’était contraire « à un principe essentiel du droit français de la filiation, la reconnaissance en France d’une décision étrangère dont la transcription sur les registres de l’état civil français, valant acte de naissance, emporte inscription d’un enfant comme né de deux parents du même sexe ». Quel est ce « principe essentiel » ? La Cour de cassation ne le dit pas explicitement. On peut cependant supposer qu’il s’agit du principe avancé par le pourvoi : l’interdiction de l’établissement conjoint de la filiation par deux personnes du même sexe, c’est-à-dire l’interdiction de la filiation monosexuée (tel est vraisemblablement le sens du visa de l’article 310 du Code civil, qui fait référence aux « père et mère » de l’enfant). Une telle solution apparaît, au moins de prime abord, comme un authentique revirement de jurisprudence. Dans une décision en date du 8 juillet 2010, la Cour de cassation avait en effet admis la reconnaissance d’une décision étrangère qui avait prononcé l’adoption par une ressortissante française d’une enfant née après insémination avec donneur anonyme de sa compagne américaine, au motif qu’elle 119
CA Paris, 24 février 2011, no 10/08810, JurisData no 2011-004062, Dr. Famille, 2011, comm. 87, M. Farge.
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prévoyait le partage de l’autorité parentale entre les deux partenaires120. C’était admettre, au moins implicitement, que la création d’un double lien de filiation au profit d’un couple homosexuel, bien que prohibée par le droit français, pouvait être acceptée ou tolérée en présence d’une situation régulièrement établie à l’étranger. Dans une note au Bulletin d’information, la Cour de cassation a cependant affirmé qu’il ne s’agissait nullement d’un revirement de jurisprudence, mais qu’elle avait seulement tenu compte de la différence de situation entre l’espèce de 2010 et celles de 2012 : alors qu’il s’agissait, dans la première affaire, d’une adoption simple, qui aurait maintenu la filiation antérieure de l’enfant, nous étions ici en présence d’adoptions plénières, qui supprimaient les liens de l’adopté avec sa famille d’origine. Séduisante en apparence, cette explication peine à convaincre. Elle néglige ou occulte la situation de fait et de droit qui a donné lieu à l’affaire de 2010. L’enfant étant issu d’une PMA avec tiers donneur anonyme, la prétendue adoption simple ne maintenait nullement un quelconque lien de filiation avec la famille d’origine. En 2010, comme en 2012, la transcription de la décision étrangère sur les registres de l’état civil français emportait inscription de l’enfant comme né de parents du même sexe. Admise, accidentellement, en 2010 (sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre note précitée), la reconnaissance d’une filiation monosexuée établie à l’étranger est donc refusée en 2012. Certains regretteront peut-être que les hauts magistrats n’aient rien dit de la compatibilité de leurs décisions avec les exigences des droits de l’homme et plus précisément avec la jurisprudence Wagner de la Cour EDH, relative à la reconnaissance des situations établies à l’étranger au nom du droit au respect de la vie familiale et de l’intérêt de l’enfant121. Nous ne serons pas de ceux-là. D’une part, car l’adoption par un célibataire (aff. Wagner) n’est pas l’adoption par un couple homosexuel. D’autre part, et surtout, car la voie judiciaire et le prisme des intérêts individuels, c’est-à-dire l’invocation des droits de l’homme, nous semblent totalement inadaptés au règlement de ces questions dites aujourd’hui de « société ». L’arbitrage entre les revendications des uns et les intérêts des autres, la conciliation de ces aspirations individuelles avec le bien commun, opérations inhérentes à la vie en société, doivent demeurer de la responsabilité exclusive du politique, c’est-à-dire, en définitive, du Peuple qui s’exprime directement ou à travers ses représentants. Précisément, depuis cette décision, le Peuple français s’est exprimé en portant au pouvoir une majorité, qui, comme elle l’avait promis, a ouvert la voie du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe122. Les urnes et non les prétoires. Tel 120 Cass. 1re civ., 8 juillet 2010, no 08-21.740 ; D., 2011, pan. p. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; J.C.P. G., 2010, act. 809, A. Devers ; J.C.P. G., 2010, doctr. 911, no 6, obs. J. Rubellin-Devichi ; J.C.P. G 2010, note 1173, H. Fulchiron ; A.J.F., 2010, p. 387, obs. A. Mirkovic et B. Haftel ; Dr. Famille, 2010, comm. 156, M. Farge ; Rev. crit. DIP, 2010, p. 747, note P. Hammje ; R.T.D. civ., 2010. p. 547, obs. J. Hauser. 121 Cour eur. D.H., 28 juin 2007, no 76240/01, J.C.P. G 2007, I, 182, no 9, obs. F. Sudre ; J.D.I., 2008, comm. 5, p. 183, note L. d’Avout ; D., 2007, p. 2700, note F. Marchadier ; Rev. crit. DIP, 2007, p. 807, note P. Kinsch. 122 Loi du 17 mai 2013, no 2013-404, J.O.R.F., no 0114 du 18 mai 2013.
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est le cheminement naturel de la démocratie. Il faut saluer la Cour de cassation de l’avoir respecté. F.C.
C. Accès aux origines personnelles 21. Neuf ans après l’arrêt Odièvre c. France du 13 février 2003, la Cour européenne des droits de l’homme était invitée, dans l’affaire Godelli c. Italie123, à apprécier la conventionalité du régime de l’accouchement anonyme italien. L’occasion est ainsi donnée à la Cour de rappeler ses exigences en matière de droit d’accès aux origines personnelles. L’actualité est également marquée par deux arrêts du Conseil constitutionnel français124, qui laissent à penser que l’équilibre improbable mis en œuvre par l’accouchement sous x entre les différents intérêts – de la mère, de l’enfant, du père, et des parents adoptifs – est loin d’être atteint. Rappelons que dans le contexte favorable au développement des droits de l’enfant et à la quête de la vérité biologique125, l’accès aux origines personnelles est protégé par la Cour européenne des droits de l’homme126. Dans l’arrêt Bensaid c. RoyaumeUni du 6 février 2001127, la Cour relevait que l’article 8 de la Convention protège un droit à l’identité et à l’épanouissement personnel et que la sauvegarde de la stabilité mentale est un préalable à la jouissance effective du droit au respect de la vie privée. Les juges de Strasbourg poursuivaient leur raisonnement dans la décision Mikulic c. Croatie du 7 février 2002128 en indiquant que le droit à l’épanouissement personnel de chaque personne implique l’établissement des détails de son identité d’être humain et « l’intérêt vital à obtenir les informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, soit par exemple l’identité de ses géniteurs ». Dans l’affaire Mikulic, la requérante, âgée de cinq ans, se plaignait de la lenteur de la procédure en recherche de paternité engagée conjointement avec sa mère et de l’impossibilité de contraindre le « père » à se soumettre à des tests ADN ordonnés par le juge. Le contentieux de l’accès aux origines personnelles révélait alors l’existence d’un conflit d’intérêts entre d’un côté, le droit du « père » à consentir librement d’effectuer des examens médicaux et de l’autre, le droit de connaître son géniteur. En l’espèce, la Croatie 123
Cour eur. D.H., arrêt Godelli c. Italie, 25 septembre 2012, req. no 33783/09. Cons. const., 16 mai 2012, no 2012-248 et QPC cons. const., 27 juillet 2012, no 2012-268. 125 Sur cette question, voir C. Desnoyer, « La place de la vérité biologique dans la jurisprudence européenne relative à l’article 8 de la CEDH en matière de filiation charnelle », in Mélanges en l’honneur de la Professeure Françoise Dekeuwer-Défossez, Montchrestien, 2012, pp. 55 et s. 126 Il est utile de rappeler que l’ensemble des États se sont engagés à garantir à l’enfant, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents (art. 7.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant). L’article 30 de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération internationale prévoit également que les autorités nationales veillent à conserver les informations qu’elles détiennent sur les origines de l’enfant, notamment celles relatives à l’identité de sa mère et de son père, ainsi que les données sur le passé médical de l’enfant et de sa famille. Enfin, dans la recommandation 1443 (2000) du 26 janvier 2000, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe invite les États à « assurer le droit de l’enfant adopté de connaître ses origines au plus tard à sa majorité et à éliminer de leurs législations nationales toute disposition contraire ». 127 Cour eur. D.H., arrêt Bensaid c. Royaume-Uni, 6 février 2001, req. no 44599/98. 128 Cour eur. D.H., arrêt Mikulic c. Croatie, 7 février 2002, req. no 53176/99. 124
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fut condamnée pour ne pas avoir su ménager un « juste équilibre » entre les intérêts en présence, en raison notamment de l’inefficacité de ses tribunaux, qui a eu pour effet de « laisser la requérante dans un état d’incertitude prolongée quant à son identité personnelle »129. Le droit d’accès aux origines semble donc primer sur le droit à ne pas être contraint de se soumettre à des examens médicaux130, tout comme il semble prévaloir sur le droit à l’intangibilité du corps du défunt131. Mais quid de l’effectivité de ce droit lorsqu’il est confronté au droit de la mère à la préservation du secret de son identité ? À l’évidence, la question se pose en des termes différents. La Cour européenne relève d’ailleurs dans les arrêts Odièvre et Godelli (aux paragraphes 43 et 62, respectivement) que la question de l’accès aux origines et à la connaissance de l’identité de ses parents biologiques n’est pas de même nature que celle de l’accès au dossier personnel établi par un enfant pris en charge (arrêt Gaskin132) ou celle de la recherche des preuves d’une paternité alléguée (arrêt Mikulic). Ainsi, contrairement à l’enfant privé de sa filiation paternelle, dont l’action sera le plus souvent de nature filiative, l’enfant « né sous x » a, dans la plupart des cas, préalablement fait l’objet d’une adoption. La quête de l’identité de sa génitrice ne se pose donc pas en termes de parenté. La connaissance des origines constitue ici une fin en soi. Dans cette hypothèse, les États disposent d’une large marge d’appréciation quant au choix des mesures visant à garantir le respect de l’article 8 de la Convention. La Cour veille néanmoins à ce que ces mesures préservent un juste équilibre entre les différents intérêts en cause. L’intérêt de l’un ne peut être sacrifié au profit des intérêts concurrents. Il est toutefois illusoire de croire que l’on pourra satisfaire chaque partie. La préservation de l’intérêt de l’un se fera nécessairement au détriment de l’autre. En l’occurrence, le maintien du secret de l’identité de la parturiente conduit inévitablement à dénier à l’enfant un véritable droit d’accéder à l’identité de son parent de naissance. Dans l’arrêt Odièvre, passant au crible le système français de l’accouchement sous x, la Cour européenne constate que la France a adopté un dispositif facilitant l’accès aux origines personnelles133. Aussi, elle considère que, sur cette question,
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Mikulic c. Croatie, § 66. Voir aussi Cour eur. D.H., arrêt Pascaud c. France, 16 juin 2011, req. no 19535/08 ; J.C.P. G., 2011, act. 797, Milano. 131 Cour eur. D.H., arrêt Jäggi c. Suisse, 3 juillet 2006, req. no 58757/00 : cas d’une demande de prélèvement d’ADN sur le cadavre du père présumé. La Cour constate notamment que cette mesure constitue une ingérence relativement peu intrusive (§ 41) et que la protection de la sécurité juridique ne saurait à elle seule suffire comme argument pour priver le requérant du droit de connaître son ascendance (§ 42). 132 Cour eur. D.H., arrêt Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, req. no 10454/83 ; GACEDH, p. 324. 133 Loi no 2002-93, 22 janvier 2002, J.O. 23 janvier 2002 ; J.C.P. G., 2002, I, 119, obs. Mallet-Bricout. La loi du 22 janvier 2002 prévoit en effet que toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité est informée des conséquences juridiques de cette demande. Elle est alors invitée à laisser, si elle le souhaite, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de sa naissance. Elle peut également, à cette occasion, communiquer, sous pli fermé, son identité. Le texte précise que le choix de conserver l’anonymat n’est pas irréversible, puisque la mère dispose, à tout moment, de la faculté de lever le secret de son identité. Si l’accès de l’enfant à ses origines reste subordonné à la volonté de la mère, la loi s’efforce d’infléchir la décision de la mère pour permettre la levée du secret. La rencontre de l’offre et de la demande s’opère alors devant le Conseil national pour l’accès aux origines (CNAOP) dont la mission consiste principalement à centraliser tous les éléments relatifs à l’identité des parents de naissance et les renseignements non identifiants et, le moment venu, à communiquer aux intéressés les éléments qui leur sont destinés. 130
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le droit français est compatible avec les exigences de l’article 8 en ce qu’il préserve suffisamment les droits et intérêts de chacun. Au contraire, dans la décision Godelli c. Italie, la Cour européenne juge que l’Italie excède sa marge nationale d’appréciation dès lors que sa législation ne donne aucune possibilité à l’enfant d’accéder à ses origines134. En l’espèce, la requérante, abandonnée par sa mère biologique à la naissance et adoptée en la forme simple à l’âge de six ans, avait sollicité auprès des autorités nationales l’accès à son acte de naissance. Les juridictions internes rejetèrent sa demande, au motif que la « mère » n’avait pas consenti à la divulgation de son identité135. Devant les juges strasbourgeois, la requérante dénonce la « préférence aveugle » accordée par le droit italien à la mère et rappelle qu’aucun autre système en Europe ne connait un régime d’anonymat aussi poussé136. La Cour européenne lui donne gain de cause. Pour cela, elle recherche si un juste équilibre a été ménagé dans la pondération des droits et intérêts concurrents137, entre d’une part « l’intérêt vital » de l’enfant à la connaissance de ses origines et d’autre part, l’intérêt de la femme à conserver l’anonymat pour sauvegarder sa santé. Les juges font observer que la requérante n’a eu accès à aucune information sur sa mère et sa famille biologique lui permettant d’établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers. Ils considèrent également que le système italien ne tente de ménager aucun équilibre entre les droits et les intérêts concurrents en cause. En effet, contrairement à la France, l’Italie ne donne aucune possibilité à l’enfant adopté de solliciter l’accès à des informations non identifiantes sur ses géniteurs. L’accouchement sous x « à l’italienne » repose donc sur un secret absolu et irréversible. Dans ces conditions, la Cour estime que l’Italie a excédé sa marge d’appréciation en ne cherchant pas à établir un équilibre et une proportionnalité entre les différents intérêts. Dans la continuité de l’arrêt Odièvre, la juridiction européenne s’attache donc à ce que soit préservé un accès effectif de l’enfant à ses origines si la mère vient à revenir sur sa décision. Durant l’année 2012, le dispositif français de l’accouchement anonyme a également subi l’épreuve du contrôle du Conseil constitutionnel français. Deux décisions viennent ainsi nourrir le contentieux de l’accouchement anonyme. Dans le cadre de la première question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la Cour suprême française est interrogée sur la conformité des dispositions de la loi du 22 janvier 2002 à la Constitution. Le requérant fait valoir qu’en autorisant une femme à accoucher sans révéler son identité et en ne permettant la levée du secret que sous réserve de l’accord de celle-ci, ou, en cas de décès, dans le seul cas où 134
Godelli c. Italie, § 70. Le droit italien permet à l’adopté simple, dès l’âge de 25 ans, d’accéder aux informations relatives à ses origines à la condition que la « mère » n’ait pas choisi de conserver l’anonymat. 136 Godelli c. Italie, § 49. La requérante cite, en exemple, le droit français que la Cour européenne a examiné dans l’arrêt Odièvre. Selon Mme Godelli, la législation italienne sacrifie le droit de l’enfant à connaître ses origines puisqu’elle ne permet pas d’obtenir des renseignements relatifs à l’identité de la mère, ni même des informations non identifiantes. En outre, la loi ne prévoit aucun accès au dossier, même en cas d’accord de la parturiente (§ 52). 137 Godelli c. Italie, § 66. 135
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elle n’a pas exprimé préalablement une volonté contraire, les dispositions législatives relatives en la matière méconnaissent le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Dans sa décision no 2012-248 du 16 mai 2012, le Conseil constitutionnel juge que l’équilibre entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant est suffisamment assuré. D’un côté, la possibilité donnée à la femme de s’opposer à la révélation de son identité préserve de manière effective, à des fins de protection de la santé, sa volonté. De l’autre, la loi permet, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l’accès de l’enfant à la connaissance de ses origines personnelles. Cet équilibre, mis en œuvre par le législateur, garantit à la fois les exigences constitutionnelles de protection de la santé et celles du respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. Il en résulte que les règles relatives à l’accouchement anonyme sont conformes à la Constitution. La seconde QPC est nettement plus sévère pour le régime de l’accouchement « sous x », du moins à l’endroit de la mère. Dans la décision no 2012-268 QPC du 27 juillet 2012, les juges constitutionnels censurent les dispositions de l’alinéa 1er de l’article L 224-8 du Code de l’action sociale qui dispose que « l’admission en qualité de pupille de l’État peut faire l’objet d’un recours, formé dans un délai de trente jours suivant la date de l’arrêté du président du conseil général devant le tribunal de grande instance, par les parents, en l’absence d’une déclaration judiciaire d’abandon ou d’un retrait total de l’autorité parentale, par les alliés de l’enfant ou toute personne justifiant d’un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge ». Parmi les enfants susceptibles d’acquérir la qualité de pupilles de l’État, figurent les enfants « nés sous x » (article L 244-4). Le recours à l’article L 224-8 peut alors être exercé, soit par la mère elle-même138, soit par leur père qui a effectué une reconnaissance prénatale, soit par les grands-parents, qui découvrent tardivement l’existence de leurs petits-enfants. Toutefois, la décision d’admission en qualité de pupille de l’État ne fait l’objet d’aucune mesure de publicité qui conditionnerait l’opposabilité de l’arrêté d’admission aux tiers, ni même d’une notification aux personnes proches de l’enfant. En conséquence de quoi, les recours exercés contre la décision administrative sont très souvent jugés irrecevables en raison de leur caractère tardif. En l’espèce, le Conseil constitutionnel sanctionne l’absence de notification de la décision aux personnes susceptibles de la contester (cons. 9) et considère que le défaut de notification « aux personnes qui présentent un lien étroit avec l’enfant » méconnaît le droit d’exercer un recours effectif contenu à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’État français est donc invité à modifier sa législation pour se mettre en conformité avec les exigences du Conseil constitutionnel. C’est chose faite depuis la loi no 2013-673 du 26 juillet 2013 relative à l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État. Le nouvel article L 224-8 du Code de l’action sociale et des familles prévoit désormais que l’arrêté est notifié aux personnes qui ont manifesté un intérêt pour l’enfant et 138
Voir Cour eur. D.H., Kearns c. France, 10 janvier 2008, req. no 35991/04 ; R.D. sanit. soc., 2008, p. 353, Neirinck.
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qui demandent à en assumer la charge. Cette notification aux proches « parents » permettra notamment aux pères et grands-parents « intéressés » de faire valoir leurs droits sur l’enfant. Mais elle impose aussi la révélation de l’accouchement d’une femme que l’on saura assurément identifier. Le secret de la naissance et l’anonymat de la mère seront ainsi menacés chaque fois qu’un recours sera exercé contre l’arrêté. L’enfant pourra alors pleinement prendre connaissance de ses origines personnelles et même agir en recherche de maternité139. Par ricochet, le nombre d’enfants potentiellement adoptables, déjà résiduel, risque de se tarir. En matière d’accouchement anonyme, les juges semblent condamner à la quête d’un improbable équilibre entre les différents intérêts en présence. La valorisation des droits de l’un (accès effectif aux origines, droits du père) semble ainsi définitivement condamner les droits de l’autre (anonymat de la mère, intérêts des familles adoptives)… Nota bene : nous ne développons pas la question des enfants nés par insémination artificielle avec donneur qui n’offre aucune actualité normative ou jurisprudentielle particulière140. Rappelons simplement que certains d’entre eux, aujourd’hui devenus adultes, souhaitent accéder à des informations sur leur géniteur. Certains États autorisent la levée de l’anonymat, sur un schéma similaire à celui de l’accouchement anonyme, d’autres sont encore réfractaires. C’est le cas de la France141, dont une requérante s’est récemment vue refuser par un juge administratif, la communication d’informations non identifiantes142 sur son géniteur. Dans un avis du 13 juin 2013, le Conseil d’État a par ailleurs considéré que le principe de l’anonymat ne contrarie pas les dispositions des articles 8 et 14 de la Convention européenne143. Y.B.
D. Autorité parentale 1. Relations personnelles entre l’enfant et ses parents 22. En matière de droit de visite, la Cour européenne des droits de l’homme a eu à vérifier à plusieurs reprises si, au regard de l’article 8 de la Convention, les autorités des États concernés avaient bien pris toutes les mesures propres à maintenir le lien entre parent et enfant. Ces décisions sont conformes à sa jurisprudence et mettent en avant l’obligation positive qui incombe aux États d’assurer la protec139
La loi du 16 janvier 2009 a supprimé la fin de non-recevoir qui faisait obstacle à la recherche en maternité. Sur cette question, voir l’ouvrage collectif J. Sosson et H. Fulchiron, Origines, filiation, parenté. Le droit et l’engendrement à plusieurs, Bruxelles, Bruylant, 2013. 141 L’article 16-8 du Code civil précise qu’« aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donateur ». Des sanctions pénales sont prévues contre celui qui dévoilerait l’identité du donneur (art. 511-10 CP). Seul un médecin peut, en cas de nécessité thérapeutique, accéder aux informations identifiantes du donneur (art. 16-8, al. 2 du C. civ.). 142 TA Montreuil, 14 juillet 2012, no 1009924, A.J.D.A., 2012, p. 2115. 143 C.E., 13 juin 2013, M.M., no 362981. 140
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tion de cette relation. Comme le répètent régulièrement les juges strasbourgeois, « pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale »144. Désireuse de garantir des droits concrets et effectifs, la Cour veille particulièrement au droit du parent qui ne vit pas avec l’enfant de maintenir une relation avec lui. Cette vigilance est notamment procédurale puisque la Cour contrôle le rythme judiciaire aboutissant à la fixation du droit de visite. Si l’obligation positive relative aux contacts entre l’enfant et le parent avec lequel il ne vit pas n’est pas absolue145, elle n’en demeure pas moins forte146. Dans l’affaire, Ball c. Andorre, le père reprochait aux juridictions nationales d’avoir violé son droit au respect de sa vie privée et familiale en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour qu’il reste en contact avec ses enfants. Alors qu’il contestait les modalités de son droit de visite dans le cadre d’une longue procédure devant le juge de la séparation, il faisait, en même temps, appel du jugement de divorce qui organisait un droit de visite similaire. Le requérant faisait valoir qu’il avait été illégalement empêché de voir ses enfants en raison tout d’abord de l’organisation tardive par le juge de la séparation de l’expertise psychologique des enfants qui conditionnait l’exécution de son droit de visite. Il mettait ensuite en avant le vide juridique qui rendait illusoire son droit de visite puisqu’aucun des droits de visite définis dans le jugement de la séparation ou du divorce ne pouvait, en pratique, être mis en exécution. Le gouvernement andorran répondait à ces arguments par l’effet suspensif de l’appel et par la caducité des mesures de la séparation de corps une fois le jugement de divorce rendu, ce qui rendait inévitable d’attendre que le Tribunal supérieur d’Andorre se prononce sur l’appel. Le gouvernement soutenait également que le requérant, n’ayant pas versé la somme demandée à titre de dépôt en garantie des frais d’examens psychologiques qui conditionnaient son droit de visite, en dépit de tous les efforts déployés en ce sens par le juge de l’exécution, il était le seul responsable de l’absence de contact entre lui et ses enfants147. La juridiction européenne rappelle que comme il a été jugé dans l’arrêt Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994148, l’obligation pesant sur les autorités nationales de prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter les contacts entre l’enfant et le parent qui n’en a pas la garde n’est toutefois pas absolue et qu’il « arrive que l’établissement des contacts puisse ne pas avoir lieu immédiatement et requière des préparatifs ou un échelonnement dans la reprise des contacts, la coopération et la compréhension de l’ensemble des personnes concernées [constituant] dans tous les cas des facteurs importants »149 à prendre en compte. Ainsi l’article 8 de la Convention exige une participation active des parents à la procédure concernant les enfants afin de veiller à la protection des intérêts de ces derniers. 144
Cour eur. D.H., arrêt Ball c. Andorre, 11 décembre 2012, req. no 40628/10, § 45. Cour eur. D.H., arrêt Ball c. Andorre, 11 décembre 2012, req. no 40628/10. 146 Cour eur. D.H., arrêt Meirelles c. Bulgarie, 18 décembre 2012, req. no 66203/10. 147 Ball c. Andorre, § 41. 148 Cour eur. D.H., arrêt Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, req. no 19823/92. 149 Hokkanen c. Finlande, § 47. 145
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Tout en reconnaissant la complexité de la situation, la Cour observe que le requérant s’est vu notifier des décisions motivées dont il ressortait clairement que le droit de visite ne serait pas fixé définitivement tant que le Tribunal supérieur de Justice andorran n’aurait pas statué sur l’appel formé contre le jugement de divorce. Elle ajoute que le requérant n’a pas demandé à bénéficier des mesures provisoires alors qu’il avait fait appel du jugement de divorce et que son recours avait un effet suspensif par rapport à son droit de visite. Elle observe également que dans le cas le présent, « le rétablissement des contacts entre le père et ses enfants exigeait des efforts de l’ensemble des personnes concernées, y compris le requérant lui-même, dont l’inactivité semble avoir contribué à son absence de contact avec ses enfants »150. Dans une certaine mesure l’obligation positive des États s’arrête là où commence celle des parents. Le défaut d’effectivité du droit de visite n’était donc pas imputable aux autorités nationales, l’État andorran ayant respecté l’obligation positive qui lui incombait de prendre toutes les mesures nécessaires afin de maintenir le lien entre parent et enfant. Dans l’affaire Meirelles c. Bulgarie jugée le 18 décembre 2012, la requérante, à la suite d’une procédure sur des allégations mutuelles de violences domestiques entre elle et son ex-compagnon, doublée ensuite d’une procédure en déchéance d’autorité parentale intentée par le père, reproche aux tribunaux nationaux de ne pas s’être prononcé dans un délai raisonnable sur sa demande de mesures provisoires relatives aux contacts avec son enfant. Dans quelle mesure les autorités devaient-elles faire preuve d’une diligence particulière dans le cas de l’espèce ? C’est la question que la Cour pose, après avoir rappelé tout de même que « compte tenu de la nature et de l’objectif des mesures provisoires de garde, les actions y afférentes doivent normalement être traitées avec un certain degré de priorité à moins qu’il existe des raisons spécifiques de ne pas le faire »151. En l’espèce la procédure a duré huit mois et demi et la Cour rappelle que c’est pour une durée similaire et pour une affaire identique, que l’État bulgare avait méconnu son obligation positive tirée de l’article 8152. On notera à cet égard que les références jurisprudentielles choisies pour étayer les propos de la Cour concernent à plus de cinq reprises des arrêts contre la Bulgarie. La Cour souligne que le fait que les parents aient tout deux engagé des procédures ayant trait à des violences physiques, aussi bien entre eux qu’à l’égard de l’enfant, impliquait que les autorités bulgares examinent la demande de la requérante avec promptitude. C’est aussi au regard du jeune âge de l’enfant (deux ans) qu’elle considère qu’il y avait « une obligation de se prononcer d’urgence sur les mesures provisoires »153.
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Ball c. Andorre, § 58. Meirelles c. Bulgarie, § 75. Cour eur. D.H., arrêt Bevacqua et S. c. Bulgarie, 12 juin 2008, req. no 71127/01. 153 Meirelles c. Bulgarie, § 81. 151 152
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Chroniques / Columns 2. Limitation des droits parentaux
23. Au cours de l’année écoulée, la Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion à plusieurs reprises de se pencher sur la protection procédurale des droits parentaux. Dans un arrêt B. c. Roumanie du 19 février 2013154 – qui n’est pas la première affaire que B. porte devant la CEDH155 – la requérante alléguait la violation des articles 3, 5, § 1er et 8 de la Convention pour internements abusifs et pour le placement de ses enfants. Dans cette nouvelle affaire, B. diagnostiquée comme souffrant de schizophrénie paranoïde et mère de trois enfants, dont deux mineurs à l’époque des faits, avait fait l’objet de plusieurs internements consécutifs et ses enfants avaient été placés. La Cour, dans une observation préliminaire revient sur la notion de griefs. Le gouvernement roumain estimait que les 22 lettres que la requérante avait envoyées à la Cour entre 2002 et 2010 avaient un contenu incohérent et ne soulevaient aucun grief substantiel relatif aux dispositions de la Convention. La Cour rappelle qu’un grief « se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués »156, et qu’en vertu du principe jura novit curia, elle avait étudié d’office plus d’un grief sous l’angle d’un article que n’avait pas invoqué les requérants. Elle considérait en l’espèce, que les griefs relatifs à l’internement de la requérante et au placement de ses enfants étaient suffisamment clairs et pertinents pour être examinés et que « le fait que ces griefs aient été présentés par la requérante en même temps que d’autres plus confus n’enlève rien à leur sérieux »157. Ensuite, la Cour rappelle que les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière dans le cas des personnes vulnérables et doivent leur assurer une protection accrue en raison de leur capacité ou de leur volonté de se plaindre qui se trouvent souvent affaiblie (§ 86). En se référant particulièrement à l’arrêt W. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987158, elle s’attache à déterminer si les procédures suivies par les autorités roumaines se sont conciliées avec le droit de la requérante au respect de sa vie familiale. Considérant que la requérante souffrait d’une sévère pathologie connue par les autorités responsables qui l’avait fait internée à plusieurs reprises sans qu’aucune mesure de protection spéciale ne fut prise à son égard, que ce soit la désignation d’un avocat commis d’office ou la nomination d’un curateur. Le processus décisionnel qui a maintenu le placement de deux enfants mineurs de la requérante n’a donc pas été conduit dans le respect de ses droits tels que garantis par l’article 8 de la Convention. C’est d’ailleurs sur ces mêmes manquements que la Cour a reconnu la violation de l’article 8 s’agissant des internements de la requérante159. 154
Cour eur. D.H., arrêt B. c. Roumanie, 19 février 2013, req. no 1285/03. Cour eur. D.H., arrêt B. c. Roumanie, 10 janvier 2012, req. no 42390/07 – affaire dans laquelle il y avait eu violation de l’article 3 de la Convention. 156 B. c. Roumanie, 19 février 2013, § 71. 157 B. c. Roumanie, 19 février 2013, § 72. 158 Cour eur. D.H. (plénière), arrêt W. Royaume Uni, 8 juillet 1987, req. no 9749/82. 159 B. c. Roumanie, 19 février 2013, § 97. 155
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C’est également pour un manquement au droit au respect de la vie familiale d’une requérante souffrant de troubles mentaux faute d’avoir été représentée dans la procédure de placement de ses enfants mineurs, que la Croatie se trouve, elle aussi, avoir été condamnée dans l’affaire A.K. et L. c. Croatie160. En l’espèce, L., enfant de A.K., fut placé dans une famille d’accueil peu de temps après sa naissance, avec le consentement de sa mère, au motif qu’elle vivait sans ressource, dans un lieu délabré et sans chauffage. Souffrant de troubles mentaux légers, il fut jugé en mai 2010 que A.K. n’était pas capable d’assurer convenablement la garde de l’enfant et ses droits d’autorité parentale lui furent retirés. Afin de faire appel de cette décision, elle sollicita l’aide juridictionnelle, mais l’avocat ne lui fut commis d’office qu’après l’expiration du délai d’appel. En octobre 2010, son avocat demanda le rétablissement de l’autorité parentale de A.K. mais la demande fut écartée, car dans l’intervalle, L. fut adopté par des tiers, sans que sa mère n’ait été partie à la procédure d’adoption, ni même informée de celle-ci. En effet, l’autorité parentale lui ayant été retirée, son consentement n’était plus nécessaire. La Cour ne se positionne pas directement sur le fait que la loi croate prive le parent déchu de l’autorité parentale de la possibilité de consentir à l’adoption. Elle constate ainsi que la Convention européenne en matière d’adoption des enfants du 27 novembre 2008 prévoit à l’article 5-4 que « si le père ou la mère n’est pas titulaire de la responsabilité parentale envers l’enfant, ou en tout cas du droit de consentir à l’adoption, la législation peut prévoir que son consentement ne sera pas requis », comme le prévoit la loi croate, bien qu’elle ne soit pas liée à cette convention. La Cour relève également qu’au sein de la très grande majorité des États membres, qui prévoient dans leur système légal de retirer les droits parentaux, la moitié d’entre eux permettent néanmoins de participer dans une certaine mesure à la procédure d’adoption de l’enfant161. Elle tient également compte du fait que la loi croate prévoit la possibilité pour les parents de se voir restituer les droits parentaux et elle en déduit que cette législation remplit toutes les garanties par rapport à la sauvegarde des intérêts des parents. En revanche, la Cour tient à vérifier si la protection de la vie familiale de la requérante a été entourée des garanties suffisantes à tous les stades de la procédure par les autorités nationales. Or malgré les conclusions de ces dernières à propos des troubles mentaux de la requérante, elle n’a pas été représentée par un avocat dans cette procédure de déchéance de l’autorité parentale. Eu égard à l’importance de la procédure, les autorités auraient dû veiller à la protection de ses intérêts et ceux de L. Si la Cour admet que le consentement de la personne privée de l’autorité parentale puisse ne pas être nécessaire, elle estime par ailleurs que lorsque la législation nationale permet le rétablissement de l’autorité parentale, il est indispensable que le parent ait la possibilité d’exercer ce droit avant que l’enfant ne soit proposé à l’adoption. 160
Cour eur. D.H., arrêt A.K. et L. c. Croatie, 8 janvier 2013, req. no 37956/11. A.K. et L. c. Croatie, §§ 69 et 70.
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À ce titre, rappelons qu’à l’instar de la loi croate, la loi française ne prévoit pas le consentement à l’adoption du parent qui s’est vu retirer ses droits d’autorité parentale162, mais autorise ce dernier à en demander la restitution si l’enfant n’a pas encore été adopté ou même placé en vue de l’adoption et s’ils justifient de circonstances nouvelles163. C’est notamment en l’absence d’une disposition similaire que Malte s’est vu inviter par la juridiction européenne à modifier certaines dispositions dans sa législation. Une troisième décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme le 17 juillet 2012 dans l’affaire M.D. et autres c. Malte164 concerne une mère reconnue coupable de cruauté et de négligence envers ses filles de 4 et 6 ans. Ces dernières furent placées, mais par la suite, la mère fut autorisée à les voir sous surveillance et puis à passer quelques week-ends avec elles. Elle souhaita alors faire révoquer la mesure de placement de ses filles et se faire restituer les droits parentaux dont elle avait été déchue automatiquement suite à sa condamnation pour mauvais traitements. Il y avait en l’occurrence violation de l’article 6, § 1er dans la mesure où la requérante n’avait pu contester le placement de ses enfants devant un tribunal impartial et indépendant. Il y avait également violation de l’article 8 puisque l’ingérence que constitue la déchéance automatique et permanente de l’autorité parentale, comme le prévoit le Code pénal maltais, si elle a bien une base légale et qu’elle apparait comme poursuivant un but légitime, ne remplit en revanche pas la troisième condition de l’article 8, § 2 : elle n’est pas proportionnée au but recherché. Le fait que cette peine soit mise en œuvre de manière automatique empêche de vérifier qu’elle est bien justifiée au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant alors qu’elle représente une mesure particulièrement radicale qui ne doit être appliquée que dans des circonstances exceptionnelles, d’autant plus que la déchéance est permanente et dure jusqu’à la majorité de l’enfant165. Ainsi, la Cour estime que « dans ces conditions, l’application automatique de la mesure, combinée au défaut d’accès à un tribunal pour contester ensuite la privation des droits parentaux, n’a pas permis de ménager un juste équilibre entre les intérêts de l’enfant, ceux de leur mère et ceux de la société en général »166. Ainsi les autorités étatiques sont invitées à remédier aux manquements législatifs quant au défaut d’accès à un tribunal pour contester ces mesures et à l’automaticité de la peine prévue en cas de mauvais traitements. R.D.
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Article 348-2 du Code civil des français. Article 381 du Code civil des français. 164 Cour eur. D.H., arrêt M.D. et autres c. Malte, 17 juillet 2012, req. no 64791/10. 165 M.D. et autres c. Malte, §§ 76 et 78. 166 Cour eur. D.H., note d’information sur la jurisprudence de la Cour, no 174, juillet 2012 relatif à l’affaire M.D. et autres c. Malte, 17 juillet 2012, p. 2. 163
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E. Égalité entre enfants 24. À la suite de sa condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Mazurek167, la France a, par la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001, aligné la vocation successorale des enfants adultérins sur celles des enfants légitimes et naturels. Dans ses dispositions transitoires, cette loi a prévu qu’elle s’appliquerait immédiatement aux successions ouvertes à condition toutefois que le partage n’ait pas été effectué. Le législateur français a ainsi tenté de concilier l’exigence d’égalité successorale entre les enfants avec l’impératif de sécurité juridique pesant sur le droit transitoire168. Certains auteurs se sont alors demandé « dans quelle mesure les successions liquidées avant l’entrée en vigueur de la loi sont susceptibles de donner lieu à une condamnation de la France par la Cour européenne »169. Le recours formé par M. Fabris à l’encontre de la France a donné à la Cour l’occasion d’y répondre et d’apprécier la conventionnalité des dispositions transitoires de la loi du 3 décembre 2001170. Le requérant, enfant adultérin par sa mère et déclaré enfant naturel de celle-ci en 1983, sollicitait la réduction d’une donation-partage que sa mère, décédée en 1994, avait conjointement consentie en 1970 avec son époux au profit de leurs deux enfants légitimes. L’enfant adultérin entendait se prévaloir devant les juridictions françaises des nouvelles dispositions de la loi de 2001 pour obtenir satisfaction. Mais la Cour de cassation a rejeté sa demande en considérant que la donation-partage devient un partage successoral au moment du décès du disposant (en 1994 en l’espèce). Dès lors, il est impossible pour l’enfant adultérin d’exercer une action en réduction si le décès du parent à l’origine de la donation est intervenu avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001171. M. Fabris saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme, en alléguant une violation des articles 1 du Protocole no 1 et 8 de la Convention combinés avec l’article 14. Un premier arrêt de chambre du 21 juillet 2011 déboute le requérant de ses demandes au motif que les limites imposées par le législateur français concourent à garantir le principe de sécurité juridique. Dans une opinion dissidente jointe à la décision, les juges Costa et Spielman s’étaient émus « qu’en présence d’une controverse quant à la loi applicable, eu égard aux dispositions transitoires des deux lois précitées, [la Cour n’ait pas] appliqué la disposition la plus favorable au requérant, enfant adultérin ». L’affaire a été rediscutée devant la Grande chambre après que la demande de renvoi effectuée par M. Fabris, sur le fondement de l’article 43 de la Convention, ait été retenue.
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Cour eur. D.H., arrêt Mazurek c. France, 1er février 2000, req. no 34406/97 ; GAJC, 12e éd., 2007, no 99 ; D., 2000, 332, note Thierry et 626, chron. Vareille ; R.T.D. civ., 2000, 311, obs. Hauser, 429, obs. J.‑P. Marguénaud et 601, obs. Patarin ; R.D.S.S., 2000. 607, obs. Monéger. 168 Sur cette question, il est utile de se reporter à la thèse de N. Bareit, Le droit transitoire de la famille, J.‑J. Lemouland (préf.), Defrénois, tome 45, 2010, nos 996 s. 169 F. Sudre et alii, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, PUF, 5e éd., p. 557, obs. Gouttenoire. 170 Cour eur. D.H. (GC), arrêt Fabris c. France, 7 février 2013, req. no 16574/08. 171 Civ. 1re, 14 novembre 2007, Bull. civ., I, no 360 ; D., 2008. 133, note Mbotaingar ; A.J. fam., 2008. 40, obs. Bicheron ; R.T.D. civ., 2008. 90, obs. Hauser et 337, obs. Grimaldi.
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Dans son arrêt du 7 février 2013 et après avoir considéré que les intérêts patrimoniaux du requérant entrent bien dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour vérifie si le traitement subi par M. Fabris est discriminatoire. Les juges relèvent que c’est en considération du caractère adultérin de sa filiation que le requérant s’est vu refuser le droit de demander la réduction de la donationpartage faite par sa mère (§ 52). Aussi, la Cour rappelle que la communauté de vue entre les États membres du Conseil de l’Europe, quant à l’importance de l’égalité de traitement entre enfants légitimes et enfants naturels, est établie depuis longtemps et que « seules de très fortes raisons peuvent amener à estimer compatible avec la Convention fondées sur sa naissance » (§ 59). Pour justifier la différence de traitement subi par M. Fabris, le gouvernement français invoque deux arguments : l’un tenant à la préservation de la paix des familles, l’autre à la sécurité juridique. La Cour écarte rapidement le premier pour concentrer son analyse sur le second. Selon elle, le souci d’assurer la stabilité des règlements successoraux achevés constitue un but légitime susceptible de justifier la différence de traitement (§ 66). Encore faut-il que cette dernière soit proportionnée au but visé172. Or, pour la Cour, le traitement différencié dont fait l’objet M. Fabris est disproportionné par rapport à l’objectif de sécurité juridique poursuivi par le législateur dans les dispositions transitoires de la loi de 2001. En effet, le demi-frère et la demi-sœur du requérant savaient que leurs droits successoraux pouvaient être remis en cause par une action en réduction. Ils étaient non seulement informés de l’existence de leur demi-frère mais également de son intention de revendiquer sa part de réserve dans l’héritage. La précarité de leur situation successorale était d’autant plus grande au regard de l’évolution de la législation française et de la jurisprudence européenne sur cette question. La France ne peut donc invoquer l’impératif de sécurité juridique, alors que précisément en l’espèce, le contexte était propice à l’insécurité et à la précarité des droits des intéressés. Aussi, la Cour considère-t-elle que le but légitime de la protection des droits successoraux du demi-frère et de la demi-sœur n’était pas d’un poids tel qu’il dût l’emporter sur la prétention du requérant d’obtenir une part de l’héritage de la mère (§ 70). La France est donc condamnée. À titre de conclusion, les juges de Strasbourg rappellent le droit des États de prévoir des dispositions transitoires lorsqu’ils réforment leur législation en vue de s’aligner sur les exigences formulées par la Cour dans sa jurisprudence. Ils précisent également que le caractère essentiellement déclaratoire des arrêts de la Cour laisse aux États le choix des moyens pour effacer les conséquences d’une violation des dispositions de la Convention. Les juges préviennent toutefois que les États sont tenus de prendre des dispositions pour éviter de nouvelles condamnations. À défaut, il appartient aux juges internes d’assurer, dans le respect de
172
Sur cette question, voir P. Muzny, La technique de proportionnalité et le juge de la Convention européenne des droits de l’homme – Essai sur un instrument nécessaire dans une société démocratique, F. Sudre (préf.), thèse, 2 tomes, PUAM, 2005.
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l’ordre constitutionnel et du principe de sécurité juridique (sic !), le plein effet des normes de la Convention telles qu’interprétées par la Cour173. Y.B.
III. Familles, protection des minorités, droits des étrangers A. Droit de séjour 25. Dans deux arrêts rendus à la fin de l’année 2012, la Cour de justice a eu l’occasion de revenir sur les conditions dans lesquelles un ressortissant d’un État tiers peut bénéficier d’un titre de séjour en raison de la citoyenneté européenne de son conjoint ou de son enfant. Dans les affaires Iida du 8 novembre174 et O. et S c. Maahanmuuttovirasto et Maahanmuuttovirasto c. L. (ci-après O.S.L.) du 6 décembre 2012175, la Cour a donné une interprétation restrictive, voire minimaliste, du droit de séjour des membres de la famille des citoyens de l’Union. Ces affaires sont d’une importance non négligeable au regard des droits fondamentaux dans la mesure où, sous des apparences parfois techniques relatives au droit dérivé de l’Union européenne, c’est bien de la mise en œuvre du droit de mener une vie familiale normale qu’il est question. Dans l’arrêt Iida, la Cour devait se prononcer à titre préjudiciel sur le cas d’un ressortissant japonais marié aux États-Unis à une Allemande avec laquelle il avait eu une fille jouissant de la triple nationalité allemande, américaine et japonaise. Installées en Allemagne depuis 2005, l’épouse et sa fille sont allées s’installer en Autriche en 2007, tandis que l’époux est resté en Allemagne. L’épouse a par la suite signalé aux autorités allemandes sa séparation de fait avec son conjoint, conduisant au refus de prolongation du permis de séjour de l’époux, accordé en vertu de son lien marital. Celui-ci a donc demandé la délivrance d’une carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union telle que définie par la directive de 2004/38176, carte qui lui a été refusée. Contestant ce refus Monsieur Iida a saisi la Verwaltungsgerichtshof de Baden-Württemberg, laquelle a posé une série importante de questions préjudicielles dans le but d’évaluer la conformité du refus au regard des directives 2003/86177 et 2004/38, des articles 20 et 21 TFUE et de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. 173
L’arrêt Merger et Cros c. France invitait d’ailleurs le juge national à éluder les dispositions transitoires en réinterprétant le droit ancien au regard de la jurisprudence de la Cour. C.J., 8 novembre 2012, Iida, C-40/11, J.D.I., 2013, chron. 4, note S. Franck ; Europe, janvier 2013, comm. 9, note A. Rigaux. 175 C.J., 6 décembre 2012, O. et S. c. Maahanmuuttovirasto et Maahanmuuttovirasto c. L., C-356/11 et C-357/11, Europe, février 2013, J.D.I., 2013, chron. 4, note S. Franck ; comm. 9, note A. Rigaux. 176 Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, J.O. L 158, 30 avril 2004, p. 77. 177 Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, J.O. L 251, 3 octobre 2003, p. 12. 174
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En réponse, la Cour a précisé les conditions d’application du droit dérivé de l’Union relatif au droit de séjour des ressortissants étrangers d’une part, et celles des dispositions du droit primaire d’autre part. La Cour a tout d’abord refusé de considérer Monsieur Iida comme un membre de la famille de sa fille au sens de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38, celle-ci n’étant pas « à sa charge »178. La Cour a considéré que Monsieur Iida était en revanche bien « membre de la famille » de sa conjointe, alors même qu’ils vivent séparément, puisque la directive n’exige pas la résidence commune. Néanmoins, n’ayant ni accompagné ni rejoint sa conjointe en Autriche, il ne pouvait être considéré comme « bénéficiaire » de celleci au sens de l’article 3, paragraphe 1 de la directive. Il en découle qu’un droit de séjour ne pouvait pas lui être accordé sur la base de la directive 2004/38. Les arguments du requérant tirés du droit primaire n’ont pas plus prospéré. En effet, « les dispositions du traité concernant la citoyenneté de l’Union ne confèrent aucun droit autonome aux ressortissants de pays tiers »179. Aussi les droits éventuellement accordés aux étrangers dérivent-ils de l’exercice de sa liberté de circulation par un citoyen de l’Union. Autrement dit, ce n’est que lorsque le citoyen européen est contraint de renoncer à sa liberté de circulation en raison du refus d’accorder un titre de séjour au ressortissant d’un État tiers que ce dernier peut réclamer le bénéfice de droits dérivés de la citoyenneté européenne. En l’espèce, le refus d’accorder un titre de séjour à Monsieur Iida n’a pas empêché sa conjointe et sa fille d’exercer leur droit à la libre circulation. Partant, la Cour rejette les prétentions du requérant fondées sur les articles 20 et 21 TFUE. Enfin, la CJUE refuse d’appliquer la Charte des droits fondamentaux, notamment ses articles 7 et 24, au motif que la situation du requérant n’est pas régie par le droit de l’Union (articles 20 et 21 TFUE et directive 2004/38). La situation de Monsieur Iida ne tombe pas dans le champ d’application de la directive 2004/38 puisqu’il n’a pas rejoint sa femme et sa fille en Autriche. Ces deux dernières n’ayant pas été entravées dans leur liberté de circulation, la situation du requérant ne relève pas non plus des articles 20 et 21 TFUE. En conséquence, conformément aux dispositions de l’article 51 de la Charte, les droits contenus dans cette dernière ne sont pas invocables en l’espèce. La Cour semble ainsi pencher pour une vision pour le moins restrictive de l’article 51 de la Charte, considérant que dès lors qu’aucune disposition du droit de l’Union n’est applicable – même si elle est invoquée – la Charte ne s’applique pas, au risque de réduire considérablement son effet utile. Dans une situation telle que celle au principal, la Charte est en effet soit inutile – la directive étant le fondement du droit au séjour – soit non invocable. L’arrêt vient confirmer les incertitudes soulevées par la doctrine quant aux conditions d’application de la Charte180 dont il est décidemment bien difficile de déterminer quand elle doit s’appliquer. Le risque n’est pas nul de voir à
178
Voir C.J., 19 octobre 2004, Zhu et Chen, C-200/02, points 43-44. C.J., 8 novembre 2012, Iida, préc., point 66. S. Platon, « La Charte des droits fondamentaux et la ‘‘mise en œuvre’’ nationale du droit de l’Union : précisions de la Cour de justice sur le champ d’application de la Charte, » Revue des droits et libertés fondamentaux, 2013, no 11.
179 180
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l’avenir les requérants délaisser la Charte au profit de la Convention européenne des droits de l’homme. La tendance jurisprudentielle à la restriction du droit de séjour des membres de la famille se vérifie en outre dans l’arrêt rendu par la Cour dans les affaires O.S.L. Ces deux affaires jointes en raison de la proximité des faits en cause mettaient en scène deux ressortissantes d’États tiers (Algérie et Ghana), ayant eu un premier enfant issu d’un mariage avec un ressortissant finlandais. Après leur divorce, les deux femmes ont épousé chacune un ressortissant d’un État tiers et donné naissance à un deuxième enfant ayant la nationalité d’un pays tiers. Les deux beaux-pères se sont vu refuser un titre de séjour fondé sur le mariage en raison de ressources jugées insuffisantes. La Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) devant connaître de ces deux litiges a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle en interprétation pour déterminer si, au vu des situations en présence, l’article 20 TFUE s’oppose à ce qu’un titre de séjour soit refusé à un ressortissant d’un pays tiers parce qu’il est dépourvu de moyens de subsistance. La question était visiblement sensible puisque pas moins de six gouvernements sont intervenus devant la Cour181, tous soutenant que l’article 20 TFUE ne faisait pas obstacle à un refus de titre de séjour dans une situation telle que celles des affaires au principal. On perçoit ainsi la volonté des États membres de « canaliser » autant que possible les principes posés par la Cour dans l’arrêt Zambrano182. La Cour rappelle dans un premier temps que le non-exercice, par les enfants citoyens de l’Union, de leur droit de libre circulation rend la directive 2004/38 inapplicable mais que la situation ne saurait, de ce seul fait, être assimilée à une situation purement interne. Le refus d’un titre de séjour aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union est en effet de nature à le priver de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par son statut, notamment dans les cas où il se verrait obligé de quitter le territoire de l’Union pour accompagner ses parents. La Cour réaffirme le caractère exceptionnel de l’interdiction de refuser un titre de séjour aux ascendants d’un citoyen de l’Union, cette interdiction ne visant qu’à garantir l’effet utile de la citoyenneté européenne. Elle laisse ainsi le soin à la juridiction de renvoi d’établir si, en l’espèce, le refus de titre de séjour compromettrait la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen européen. Malgré cette apparente latitude laissée à la juridiction de renvoi, la Cour développe ensuite une grille d’analyse très précise censée guider ladite juridiction. Elle recommande ainsi de tenir compte du fait que ni les mères, ni les citoyens de l’UE ne sont dans l’obligation de quitter le territoire de l’Union. Elle ajoute que le seul fait qu’il pourrait paraître économiquement et familialement souhaitable que des membres d’une famille puissent séjourner avec ce citoyen sur le territoire 181
La soumission de nombreuses observations étatiques semble être devenue la règle en matière de regroupement familial, comme en témoigne l’intervention de six gouvernements également dans l’affaire C.J. (GC), 5 septembre 2012, Secretary of State for the Home c. Muhammad Sazzadur Rahman, Fazly Rabby Islam et Mohibullah Rahman, aff. C-83/11, Europe, novembre 2012, comm. 432, note A. Rigaux, ou les sept interventions déposées dans l’affaire Iida. 182 C.J., 8 mars 2011, Zambrano c. ONEm, C-34/09, D., 2011, no 19, p. 1325, note S. Corneloup.
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de l’Union, ne suffit pas en soi pour considérer que ledit citoyen serait contraint de quitter le territoire de l’Union si un droit de séjour n’était pas accordé. Enfin, reprenant les conclusions de l’avocat général Bot, elle conclut que « c’est la relation de dépendance entre le citoyen de l’Union en bas âge et le ressortissant de pays tiers auquel un droit de séjour est refusé qui est susceptible de mettre en cause l’effet utile de la citoyenneté de l’Union »183, estimant qu’en l’espèce « cette dépendance pourrait faire défaut »184. Dans les situations en cause, tout regroupement familial fondé sur la citoyenneté européenne des enfants issus du mariage entre les mères et les ressortissants finlandais semble interdit. En revanche, et alors que la juridiction de renvoi n’avait pas expressément soulevé la question, la Cour prend soin de préciser que ce regroupement pourrait trouver une base juridique dans la directive 2003/86 interprétée à la lumière des articles 7 et 24 de la Charte. Les mères peuvent en effet se prévaloir du statut de « regroupante » tel qu’il est défini à l’article 2, c) de la directive. La Cour juge en effet que « l’application de cette directive ne peut être exclue du seul fait que l’un des parents d’un mineur, ressortissant de pays tiers, est également le parent d’un citoyen de l’Union, issu d’un premier mariage »185, écartant ainsi la restriction posée par l’article 3, paragraphe 3. Il en résulte que les pères peuvent prétendre bénéficier du regroupement familial, si tant est que les mères puissent prouver, conformément à la directive, qu’elles disposent « de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné »186. Si les États disposent d’une marge d’appréciation pour examiner la satisfaction de ces conditions de ressources, ils doivent cependant tenir compte des articles 7 et 24 de la Charte afin de « procéder à une appréciation équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu, en tenant particulièrement compte de ceux des enfants concernés »187. L’avenir dira si ces garde-fous sont de nature à assurer une réelle protection du droit à la vie familiale et des droits de l’enfant. Ces deux arrêts, auxquels on pourrait ajouter celui rendu dans l’affaire Rahman188 illustrent bien l’actualité de la question du droit au séjour des membres de la famille des citoyens européens. Ils mettent en outre en exergue de multiples tensions, aussi bien juridiques que politiques. Il convient ainsi de trouver la ligne de crête entre une vision extensive du champ d’application du droit de l’UE (et donc des garanties offertes par la Charte) et la préservation des compétences nationales. Il s’agit aussi, pour reprendre la formule de Michel Rocard, d’arbitrer entre l’aveu de l’impossibilité d’accueillir toute la misère du monde et la nécessité 183
C.J., 6 décembre 2012, O. et S. c. Maahanmuuttovirasto et Maahanmuuttovirasto c. L., préc., point 56. Ibid., point 57. Ibid., point 69. 186 Article 7, § 1er, c) de la directive 2003/86 précitée. 187 C.J., 6 décembre 2012, O. et S., préc., point 81. 188 C.J. (GC), 5 septembre 2012, Secretary of State for the Home c. Muhammad Sazzadur Rahman, Fazly Rabby Islam et Mohibullah Rahman, préc. 184 185
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d’en prendre sa part. Après avoir fait preuve d’audace dans les affaires Zambrano et Zhu et Chen, il semble que la Cour ait pris soin d’opérer un certain rééquilibrage au profit de la marge d’appréciation des États membres, mais sans doute aussi au détriment de la protection des droits fondamentaux. A.P. et L.R. 26. Le cas examiné par le Conseil constitutionnel français, dans sa décision no 2013-312 QPC du 22 mai 2013, M. Jory Orlando T.189, rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionalité, dite QPC, concerne le champ d’application personnelle de l’article L. 313-11, 4° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Initialement inséré dans l’ordonnance de 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France par l’article 5 de la loi no 89-548 du 2 août 1989 relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France, dite loi Joxe190, cet article définit les conditions d’attribution d’une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » au conjoint étranger d’un ressortissant français. Le litige à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel est des plus classiques en matière de statut des étrangers. Bolivien, le requérant est entré sur le territoire français en juillet 2006. Trois ans plus tard, il a conclu un PACS avec un Français et sollicité la délivrance d’un titre de séjour « en qualité de compagnon d’un ressortissant français ». Un refus implicite lui a été opposé par l’autorité préfectorale. Monsieur Jory Orlando T. a alors saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa demande. Devant la cour administrative d’appel, il a soulevé une QPC portant sur la conformité à la Constitution de l’alinéa 6 de l’article L. 211-2-1 et du 4° de l’article L. 313-11 du CESEDA. La première de ces dispositions prévoit que lorsque « la demande de visa de long séjour émane d’un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée » à l’autorité préfectorale de son lieu de résidence. Aux termes de la seconde disposition, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit « à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, qu’il ait été transcrit préalablement sur les registres de l’état civil français ». Selon le requérant, ces articles violent deux droits fondamentaux : d’une part, ils seraient contraires au principe d’égalité et, d’autre part, ils méconnaîtraient le droit à mener une vie familiale normale. À l’appui de cette interprétation, il soutenait que ces dispositions n’accordent pas aux étrangers liés par un PACS à un ressortissant français les mêmes droits à une carte de séjour temporaire portant 189
J.O.R.F., 24 mai 2013, p. 8 599. J.O.R.F., 8 août 1989, p. 9 952.
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la mention « vie privée et familiale » que ceux reconnus aux étrangers mariés à un ressortissant français. La Cour administrative d’appel transmit la QPC au Conseil d’État. Le Conseil d’État jugea que le moyen relatif à la constitutionnalité du sixième alinéa de l’article L. 212-2-1 du CESEDA, relatif à la demande de visa de long séjour émanant d’un étranger marié en France avec un ressortissant de nationalité française, n’était pas assorti de précisions suffisantes permettant d’en apprécier le sérieux. En ce qui concerne le moyen tiré de l’article L. 313-11 du CESEDA, tout d’abord, il rappela que le Conseil constitutionnel, en 1997191, avait déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l’article 12bis, 4° de l’ordonnance du 2 novembre 1945 reprises par l’article L. 313-11, 4° contesté ; ensuite il estima que l’adoption de la loi du 15 novembre 1999 relative au PACS « constitue une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité de cette disposition à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel ». C’est pourquoi il décida de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution du 4° l’article L. 313-11 du CESEDA. Dans le cadre de cette QPC, le Conseil constitutionnel était invité à se prononcer sur le fait de savoir si les dispositions de l’article L. 313-11, 4° du CESEDA méconnaissent le principe d’égalité en réservant aux conjoints mariés à des ressortissants français le bénéfice de l’accès à une carte de séjour mention « vie privée et familiale » dès lors qu’un tel droit n’est pas accordé aux étrangers ayant conclu un PACS avec un ressortissant français. Dans sa décision du 22 mai 2013, le Conseil constitutionnel les déclare conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution. L’étranger pacsé ne peut donc se prévaloir du statut de l’étranger marié (cons. 7). Cette position s’imposait tant au regard des textes applicables que de la jurisprudence administrative. En ce qui concerne le statut des étrangers, l’absence d’assimilation légale du PACS au mariage n’est pas nouvelle. La loi relative au PACS no 99-944 du 15 novembre 1999 n’a pas transposé aux étrangers ayant conclu un pacte civil de solidarité avec un ressortissant français le statut reconnu aux étrangers mariés avec un ressortissant de nationalité française pour la délivrance d’un titre de séjour. Toutefois, son article 12 précise que la « conclusion d’un pacte civil de solidarité constitue l’un des éléments d’appréciation des liens personnels en France, au sens du 7° de l’article 12bis de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France », dont les dispositions sont désormais reprises à l’article L. 313-11, 7° du CESEDA, pour l’obtention d’un titre de séjour192. La signature d’un pacte civil de solidarité peut donc être prise en compte au titre « du droit au respect de la vie privée et familiale » et justifier la délivrance d’un titre de séjour temporaire sur ce fondement. Outre la conclusion d’un pacte civil de solidarité, le demandeur doit justifier par tous moyens d’une
191
Cons. const., déc. no 97-389 DC, du 22 avril 1997, cons. 34 à 39, J.O.R.F., 25 avril 1997, p. 6271. Sur l’introduction en droit français de cette disposition, voir not. H. Fulchiron, Réforme du droit des étrangers, Litec, coll. Carré droit, 1999, pp. 38 et s.
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communauté de vie effective, c’est-à-dire une véritable vie de couple193. La conclusion d’un pacte civil de solidarité et la justification d’une vie commune constituent « une présomption raisonnable de stabilité de la situation personnelle de l’intéressé et un indice pertinent de sa volonté d’insertion dans la société française, particulièrement renforcé/fort si l’autre partenaire est un Français ou un citoyen de l’Union européenne »194. Dans un arrêt du 29 juillet 2002, la Haute juridiction administrative a jugé que la loi du 15 novembre 1999 « n’a pas assimilé, pour l’appréciation du droit au séjour en France, le pacte de solidarité au mariage » rappelant que les étrangers mariés ne sont pas dans la même situation que ceux qui sont liés par un pacte civil de solidarité. La conclusion par un étranger d’un partenariat enregistré avec un ressortissant français ou avec un ressortissant étranger en situation régulière est seulement prise en compte pour apprécier de l’intensité des liens personnels et familiaux du ressortissant étranger en France et justifier, le cas échéant, la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » sur le fondement de l’article L. 313-11, 7° du CESEDA. Textes et jurisprudence français concordent donc sur un point : le partenariat civil de solidarité auquel est partie un étranger est un élément d’appréciation de la vie familiale et (ou) privée qu’il a créée sur le territoire français. À ce titre, il doit être examiné pour vérifier que le refus des autorités préfectorales d’accorder à l’intéressé un titre de séjour sur le fondement du droit au respect de la vie privée et familiale, consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article L. 313-11, 7° du CESEDA dans une acceptation plus restrictive, ne méconnaît pas le droit de l’étranger au respect de sa vie familiale. La saisine du Conseil constitutionnel en février dernier aurait pu lui permettre de statuer clairement sur la conformité des dispositions contestées au principe d’égalité. Le Conseil ne s’engage pas sur cette voie. Sous couvert de sa jurisprudence classique relative à l’incompétence négative, dite du contrôle « en tant que de ne pas »195, le Conseil estime inopérants les griefs du requérant fondés sur la situation particulière des personnes liées par un pacte civil de solidarité, dirigés contre l’article L. 313-11, 4° du CESEDA. Il estime que ces dispositions « ne portent que sur la délivrance de la carte de séjour temporaire à l’étranger marié à un ressortissant de nationalité française » et non le cas de délivrance d’une carte de séjour temporaire à un étranger ayant conclu un pacte civil de solidarité (cons. 3). Certes, le Conseil ne pouvait faire autrement puisque l’article L. 313-11, 7° du CESEDA ne contient aucune disposition relative aux étrangers pacsés ; seuls les étrangers mariés sont visés au 4° de cet article. D’ailleurs le Conseil le souligne expressé193
A. Richez-Pons, Pacs et droit au séjour des étrangers en France, A.J. fam., janvier 2007, pp. 22‑23. Circ. 10 décembre 1999, NOR : INT/D/99/00251/C. 195 Le Conseil a constaté que « la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l’article 12 de la loi du 15 novembre 1999 susvisée n’a pas été renvoyée au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État », précisant que ne lui a « pas davantage été renvoyée celle des dispositions du 7° de l’article L.313-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». 194
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ment en reprenant les dispositions de l’article 12 de la loi du 15 novembre 1999, qui renvoient à l’article 12bis, 7° de l’ordonnance du 2 novembre 1945, aujourd’hui codifié dans le 7° de l’article L. 313-11, 7° du CESEDA (cons. 4). Or, ces diverses dispositions, observe le Conseil constitutionnel, ne lui ont pas été renvoyées. Bien que conforme à sa jurisprudence, cette position demeure insatisfaisante car le Conseil ne statue pas concrètement sur la conformité de la disposition contestée au principe d’égalité, se contentant de « botter en touche »196. Il eut été sans doute plus pertinent de reconnaître la conformité des dispositions contestées aux principes fondamentaux invoqués par le requérant, sur les terrains procédural et substantiel. Au plan processuel, dans la mesure où l’étranger pacsé ne se trouve pas dans la même situation qu’un étranger marié, il peut être soutenu que la prétention n’est pas recevable : l’argument tiré de la méconnaissance du principe d’égalité peut être rejeté car il n’y a pas identité de situation ; il peut alors être légitiment estimé que l’argument est irrecevable. Quant au fond, en admettant la recevabilité de l’argument tiré d’une violation du principe d’égalité, il est contestable de considérer que des étrangers pacsés doivent jouir du même statut que les étrangers car si tous deux peuvent se prévaloir d’une vie familiale, la flexibilité inhérente au pacs ne semble pas devoir justifier un alignement de statuts entre l’étranger pacsé et l’étranger marié en ce qui concerne l’obtention d’un titre de séjour fondé sur le droit au respect de la vie familiale. En droit des étrangers, sans doute plus que dans d’autres branches du droit197, la singularité du mariage demeure indéniable et prégnante : l’étranger pacsé ne jouit pas du même statut que de l’étranger marié. L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe par la loi du no 2013-404 du 17 mai 2013 est susceptible de neutraliser la différence de statut entre les étrangers pacsés et ceux mariés. Comme toute personne, un étranger peut envisager de se marier avec un ressortissant français de même sexe et se prévaloir du statut de conjoint d’un Français pour obtenir un titre de séjour en France. Ainsi, les étrangers pourraient être amenés à privilégier le mariage au pacs afin de bénéficier d’un statut plus protecteur. F.T.
B. Protection des minorités 27. Alors que la question de l’intégration des membres de la communauté rom occupe une place (trop) importante dans l’agenda politique de nombreux États européens, trois arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme viennent mettre en lumière le problème épineux de la scolarisation des enfants roms et la ségrégation dont ils peuvent être victimes. Deux d’entre eux, rendus
196 C. Petit, « Non-assimilation du PACS au mariage pour la délivrance d’une carte de séjour : le Conseil constitutionnel botte en touche », Dr. Famille, juillet 2013, comm. 101. 197 B. de Boysson, Mariage et conjugalité. Essai sur la singularité matrimoniale, H. Fulchiron (préf.), LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 534, avril 2012.
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dans les affaires Sampani et autres c. Grèce198 Lavida et autres c. Grèce199, se penchent sur la « ghettoïsation scolaire » des enfants roms en Grèce, résultant, du moins en partie, de l’attitude des parents des enfants non-roms. L’autre arrêt, Horváth et Kiss200, traite quant à lui de la scolarisation systématique des enfants roms dans des écoles « spéciales » en Hongrie, réservées aux enfants souffrant d’un retard mental. Dans ces trois arrêts, la Cour sanctionne les États défendeurs pour discrimination ethnique ou raciale dans la jouissance du droit à l’instruction (article 14 combiné à l’article 2 du Protocole no 1 CEDH). Dans la continuité de sa jurisprudence, la Cour se montre très exigeante envers les États, ce qui pourrait laisser entrevoir de nouvelles condamnations à l’avenir et pas uniquement dans les États en cause en l’espèce. Dans les affaires Sampani et Lavida, la Cour avait à connaître de deux situations parfaitement identiques. Dans les deux cas, les requérants, de jeunes roms et leurs parents ou tuteurs, se plaignaient de leur scolarisation des premiers dans des écoles primaires exclusivement fréquentées par des élèves roms, entraînant une discrimination à leur égard. Les faits à l’origine de ces affaires ne constituent pas une nouveauté en Grèce, cette dernière ayant déjà été condamnée par la Cour dans l’affaire Sampanis en 2008201 dans un cas d’espèce similaire. Plus encore, certains des requérants dans l’arrêt Sampani faisaient déjà partie de ceux qui avaient saisi la Cour dans l’affaire Sampanis. La situation est particulièrement complexe dans la mesure où la ségrégation résulte pour beaucoup de l’hostilité des parents d’élèves non-roms à l’intégration des enfants roms dans les classes de leurs enfants202. La pérennité de la situation est donc due, en grande partie, à la volonté des autorités d’éviter de nouveaux affrontements203. C’est en tout cas la justification apportée par le gouvernement grec au refus d’inscrire des enfants roms dans d’autres écoles ou de fusionner les différentes écoles des communes concernées204. Après avoir essayé, en vain, d’alerter les autorités grecques, les requérants ont saisi directement la Cour, qui a fait preuve d’une grand largesse pour admettre la recevabilité de ces deux requêtes. Dans les deux cas en effet, aucune voie de recours interne n’avait été épuisée205. Le gouvernement excipait donc logiquement du non-respect de l’article 35, § 1er CEDH, soulignant que les requérants 198
Cour eur. D.H., arrêt Sampani et autres c. Grèce, 11 décembre 2012, req. no 59608/09. Cour eur. D.H., arrêt Lavida et autres c. Grèce, 30 mai 2013, req. no 7973/10. 200 Cour eur. D.H., arrêt Horváth et Kiss c. Hongrie, 29 janvier 2013, req. no 11146/11. 201 Cour eur. D.H., arrêt Sampanis et autres c. Grèce, 5 juin 2008, req. no 32526/05. 202 Cette opposition s’est manifestée de façon extrêmement violente dans l’affaire Sampanis, les parents d’élèves non-roms ayant bloqué physiquement l’accès à l’école aux enfants roms, allant jusqu’à lire devant les caméras de télévisions les dossiers médicaux des enfants indésirables afin de prouver leur dangerosité liée à un défaut de vaccination. Voir Cour eur. D.H., arrêt Sampanis et autres c. Grèce, 5 juin 2008, préc., §§ 18-23. 203 Rappelons que la problématique de la cohabitation entre les populations roms et leur riverains ne se limite pas à la Grèce. Voir notamment L. Leroux, « Polémique à Marseille après l’évacuation d’un camp rom par des habitants », Le Monde, 29 septembre 2012. 204 Voir Cour eur. D.H., arrêt Sampani et autres c. Grèce, 11 décembre 2012, préc., §§ 20 et 25 ; Cour eur. D.H., arrêt Lavida et autres c. Grèce, 30 mai 2013, préc., §§ 22-23. 205 Dans l’affaire Sampani, les requérants ont seulement saisi le médiateur et déposer une plainte avec constitution de partie civile, toujours pendante, contre les directeurs d’école ayant refusé d’inscrire les enfants dans leur école. Dans l’affaire Lavida, les requérants ont seulement adressé des lettres au ministère de l’Éducation. 199
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avaient notamment la possibilité de contester devant les juridictions administratives les refus des directeurs d’école ainsi que le découpage de la carte scolaire206. La Cour reconnaît cependant la recevabilité des requêtes, au motif qu’elle ne voit pas comment « un arrêt d’une juridiction administrative, à supposer même qu’il eût été favorable au requérant, aurait permis d’arriver à un résultat conforme aux attentes de ceux-ci »207, étant donnée l’opposition manifestée par la société locale. Il est permis de s’interroger sur le raisonnement de la Cour au regard du principe de subsidiarité208. Quoi qu’il en soit, l’admission de la recevabilité en l’espèce ne manquera pas de susciter l’intérêt de futurs requérants n’ayant pas épuisé les voies de recours nationales. Afin de se prononcer sur l’allégation d’une discrimination, la Cour devait tout d’abord déterminer l’existence d’une différence de traitement, puis, dans l’affirmative, examiner si celle-ci reposait sur une justification objective et raisonnable. L’existence d’une différence de traitement ne faisait aucun doute dans les deux affaires. Dans l’arrêt Sampini, il suffit à la Cour de constater « qu’il n’y a eu aucun changement notable dans les faits à l’origine de l’arrêt Sampanis et autres »209. Partant, la différence de traitement perdure. Dans l’affaire Lavida, la Cour estime « qu’il ne fait aucun doute, comme cela ressort des faits en cause et des arguments des parties, que la 4e école primaire de Sofades est une école exclusivement fréquentée par des enfants roms »210 et qu’aucun enfant non-rom résidant dans le secteur de cette école n’y est scolarisé. Certes, cette ségrégation ne résulte d’aucun texte, mais comme la Cour l’avait déjà affirmé dans son arrêt Zarb Adami c. Malte, « une discrimination potentiellement contraire à la Convention [peut] résulter d’une situation de fait »211. Par ailleurs la Cour a déjà admis, s’inspirant ainsi du droit de l’Union européenne, la notion de discrimination indirecte, caractérisée « lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée par rapport à d’autres personnes »212. Quant à la question de savoir si cette différence de traitement était justifiée, la Cour rappelle qu’une justification n’est pas objective et raisonnable, dès lors qu’elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Si les États « jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des 206 Cour eur. D.H., arrêt Sampani et autres c. Grèce, 11 décembre 2012, préc., § 55 ; Cour eur. D.H., arrêt Lavida et autres c. Grèce, 30 mai 2013, préc., § 44. 207 Cour eur. D.H., arrêt Lavida et autres c. Grèce, 30 mai 2013, préc., § 48. 208 Cela est d’autant plus vrai que si une décision nationale ne semble pas pouvoir être exécutée, il est peu probable qu’une décision de la Cour puisse l’être davantage. 209 Cour eur. D.H., arrêt Sampani et autres c. Grèce, 11 décembre 2012, préc., § 89. 210 Cour eur. D.H., arrêt Lavida et autres c. Grèce, 30 mai 2013, préc., § 65. 211 Cour eur. D.H., Zarb Adami c. Malte, 20 juin 2006, req. no 17209/02, § 76. 212 Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, J.O.C.E. L 180 du 19 juillet 2000, p. 22. La notion de discrimination indirecte a été utilisée pour la première fois par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Cour eur. D.H. (GC), arrêt D. H. et autres c. République Tchèque, 13 novembre 2007, req. no 57325, § 83. Voir E. Dubout, « L’interdiction des discriminations indirectes par la Cour européenne des droits de l’homme : rénovation ou révolution ? », R.T.D.H., 2008, no 75, pp. 821 et s.
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différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement »213, l’exercice de celle-ci reste soumis au contrôle de la Cour. En outre, les juges rappellent que dès lors qu’un requérant apporte un commencement de preuve d’une discrimination, cela a pour conséquence d’établir une présomption simple de discrimination, renversant ainsi la charge de la preuve214. C’était donc au Gouvernement grec de justifier la différence de traitement, ce qui était d’autant plus délicat que lorsque celle-ci est « fondée sur la race, la couleur ou l’origine ethnique, la notion de justification objective et raisonnable doit être interprétée de manière aussi stricte que possible »215. Sans surprise, le gouvernement ne parvient pas à convaincre dans chacune des deux affaires. La Cour admet certes que la scolarisation des roms « soulève de grandes difficultés dans un certain nombre d’États européens », que ces derniers se heurtent à « une certaine hostilité manifestée par les parents d’enfants non-roms » et qu’il « n’est pas facile de choisir le meilleur moyen de résoudre les difficultés d’apprentissage d’enfants n’ayant pas une connaissance suffisante de la langue dans laquelle l’enseignement est dispensé »216. Cependant, les juges strasbourgeois estiment que « la position qui consiste […] à renoncer à des mesures antiségrégationnistes effectives – par exemple, répartir les élèves roms dans des classes mixtes dans d’autres écoles de Sofades ou procéder à un redécoupage de la carte scolaire –, et ce en raison, notamment, de l’opposition manifestée par des parents d’élèves non-roms, ne peut être considérée comme objectivement justifiée par un but légitime »217. Il en résulte qu’il pèse sur les États de véritables obligations positives218 relatives à la scolarisation « normale » des enfants roms. La Cour conclut logiquement à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 2 du Protocole no 1 dans les deux affaires. Par ailleurs, elle se reconnaît compétente dans l’arrêt Sampani « pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46 et indiquer certaines mesures concrètes […] de nature à mettre un terme à la violation constatée »219. Ces recommandations sont dans la droite ligne de l’évolution constatée par le Comité des ministres dans son rapport 2011 sur la surveillance de l’exécution des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, dans lequel il se félicitait que « la Cour européenne formule dans un nombre croissant d’affaires de telles recommandations »220. En définitive, les arrêts de la Cour sont certainement les bienvenus, en ce qu’ils réaffirment avec force que la ségrégation scolaire ne saurait être tolérée. Reste cependant à savoir si cette condamnation aura un impact concret sur la situation des requérants, ce dont on peut douter au vu de l’attitude des populations locales non-roms. 213
Cour eur. D.H., arrêt Gaygusuz c. Autriche, 16 septembre 1996, § 42. Voir Cour eur. D.H. (GC), arrêt D. H. et autres c. République Tchèque, 13 novembre 2007, préc., § 189. Cour eur. D.H., arrêt Sampani et autres c. Grèce, 11 décembre 2012, préc., § 90. 216 Ibid. § 91. 217 Cour eur. D.H., arrêt Lavida et autres c. Grèce, 30 mai 2013, préc., § 65. 218 Voir F. Sudre, « Les obligations positives dans la jurisprudence européenne des droits de l’homme », R.T.D.H., 1995, pp. 363 et s. 219 Cour eur. D.H., arrêt Sampani et autres c. Grèce, 11 décembre 2012, préc., § 128. 220 Comité des ministres du Conseil de l’Europe, Rapport 2011 sur la surveillance de l’exécution des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, avril 2012, p. 21. 214
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Les faits de l’arrêt Horváth et Kiss diffèrent sensiblement mais le raisonnement de la Cour reste néanmoins analogue à celui suivi dans les deux autres affaires. La discrimination invoquée ici résultait non pas de l’incapacité de l’État à surmonter l’opposition de la population majoritaire, mais de la scolarisation des deux requérants dans une école spéciale, réservée aux enfants souffrant de handicap mental. Un collège d’experts avait en effet diagnostiqué chez István Horváth et András Kiss un « léger handicap mental »221. Les tests de QI pratiqués révélaient que ceux des requérants se situaient entre 63 et 83. Au cours de la scolarité, de nouveaux tests furent pratiqués, révélant pour chacun des deux requérants de bons résultats scolaires, une bonne intégration dans l’école ainsi qu’une participation active en classe222. Malgré tout ils ne furent pas autorisés à intégrer une école classique, ce qui se traduisit, dans le chef d’András Kiss, par l’impossibilité de poursuivre le cursus de son choix. Les deux requérants subirent par la suite de nouveaux tests conduits par des experts indépendants, qui conclurent que leurs capacités intellectuelles auraient dû leur permettre d’intégrer une école classique, remettant ainsi en cause la fiabilité des tests pratiqués par les autorités223. Les requérants décidèrent donc d’intenter un recours en indemnité à l’encontre des membres du collège d’experts. Après avoir obtenu gain de cause en première instance, ils furent déboutés tant par la Cour d’appel que par la Cour suprême. Ayant épuisé les voies de recours internes, ils saisirent donc la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant la violation de l’article 2 du Protocole no 1 combiné à l’article 14. La Cour admet la recevabilité de la requête, à l’exception de la question relative à l’inadaptation structurelle des tests scolaires, les requérants n’ayant pas, sur ce point, soulevé au moins en substance la question devant les juridictions nationales224. Elle examine donc l’affaire au fond en rappelant sa jurisprudence antérieure relative à la discrimination. Elle rappelle ainsi la possibilité d’une discrimination indirecte225, résultant non pas de l’intention du gouvernement mais d’une situation de fait226, ainsi que le renversement de la charge de la preuve dès lors que le requérant est parvenu à établir un commencement de preuve de discrimination227. La Cour déroule par la suite un raisonnement désormais classique dans les affaires de ségrégation scolaire. Elle remarque tout d’abord une surreprésentation des roms dans les écoles pour déficients mentaux, dont découle une différence de traitement de nature à faire naître un commencement de preuve de discrimination fondée sur l’origine ethnique228. Elle examine ensuite les justifications apportées par le gouvernement, soulignant ses intentions louables, mais lui rappelant ses obligations positives vis-à-vis des Roms, en raison notamment du contexte historique spécifique à cette communauté229. Afin de déterminer si la Hongrie a satisfait à ses obligations positives, elle analyse les tests en cause, 221
Cour eur. D.H., arrêt Horváth et Kiss c. Hongrie, 29 janvier 2013, préc., §§ 18 et 26 : « mild mental disability ». Ibid., §§ 22 et 28. Ibidem, §§ 31-34. 224 Ibidem, § 87. 225 Cour eur. D.H. (GC), arrêt D. H. et autres c. République Tchèque, préc., § 184. 226 Cour eur. D.H., arrêt Zarb Adami c. Malte, préc., § 76. 227 Cour eur. D.H., arrêt Horváth et Kiss c. Hongrie, préc., §§ 107-108. 228 Ibidem, §§ 110-111. 229 Ibidem, §§ 113-116. 222 223
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affirmant qu’indépendamment du débat scientifique autour de leur fiabilité, ils n’offraient pas, en tout état de cause, des garanties suffisantes pour éviter aux requérants d’être victimes d’un mauvais diagnostique230. Elle en déduit que malgré la marge nationale d’appréciation dont bénéficie la Hongrie s’agissant de l’organisation de son système éducatif, l’application qui a été faite de la législation à l’égard des requérants emporte violation de l’article 14 combiné à l’article 2 du Protocole no 1231. Il convient de souligner que les faits en cause ne sont pas sans rappeler ceux de l’arrêt D. H. et autres c. République Tchèque, rendu par la Grande chambre en 2007232, dans lequel elle avait condamné la République Tchèque en raison d’une discrimination indirecte dont souffraient les enfants roms. Les tests effectués afin de déterminer les aptitudes intellectuelles des enfants conduisaient en effet au placement de plus de la moitié des enfants roms dans des écoles spéciales. Cet arrêt avait été vivement critiqué à l’époque, aussi bien par la doctrine233 que par quatre des dix-sept juges de la Grande Chambre234. Ces critiques concernaient d’une part le raisonnement de la Cour, qui s’était concentrée sur le contexte global plutôt que sur les situations individuelles, jugeant ainsi la situation in abstracto plutôt que in concreto235. Elles portaient d’autre part sur l’opportunité de condamner la République Tchèque alors même que la Cour lui reconnaissait de s’être courageusement attaquée au problème de la scolarisation des roms au contraire de la plupart des États européens236. Il semble que la Cour, tout en maintenant une jurisprudence protectrice, ait pris soin de se prémunir contre de telles critiques en l’espèce. Elle s’est ainsi attardée longuement sur le cas spécifique des requérants. Elle a par ailleurs déclaré irrecevable la requête s’agissant de la remise en cause structurelle des tests pour se concentrer uniquement sur le cas d’espèce. Elle a par ailleurs modifié la formule malheureuse de l’arrêt D. H. et autres s’agissant de la dispense d’examen des cas individuels237. Il en résulte que tout en maintenant un niveau d’exigence élevé en matière de scolarisation des enfants roms, la Cour a su faire preuve de plus de rigueur, ce qui explique sans doute en partie pourquoi les juges ont cette fois été unanimes. L.R. 230
Ibidem, §§ 117-124. Ibidem, §§125-129. Cour eur. D.H. (GC), arrêt D. H. et autres c. République Tchèque, préc. 233 Voir J.D.I., 2008, no 3, pp. 836‑840, note P. Tavernier. 234 Voir les opinions dissidentes des juges Zupančič, Jungwiert, Borrego Borrego et Šikuta. 235 La Cour avait en effet estimé que « dès lors qu’il a été établi que l’application de la législation pertinente avait à l’époque des faits des effets préjudiciables disproportionnés sur la communauté rom, les requérants en tant que membres de cette communauté ont nécessairement subi le même traitement discriminatoire. Cette conclusion dispense la Cour de se pencher sur leurs cas individuellement ». Voir Cour eur. D.H. (GC), arrêt D. H. et autres c. République Tchèque, préc., § 209. 236 Le juge Jungwiert constatait avec un certain désarroi « qu’il est probablement préférable et moins risqué de ne rien faire et de laisser les choses telles qu’elles sont ailleurs, c’est-à-dire de ne déployer aucun effort pour combattre les problèmes dont souffre une grande partie de la communauté rom ». Voir son opinion dissidente, § 15. 237 Voir Cour eur. D.H., arrêt Horváth et Kiss c. Hongrie, préc., § 128. La Cour ne se contente pas d’affirmer que puisque la communauté rom est discriminée, les requérants, appartenant à cette communauté le sont également. Elle prend soin de préciser que la discrimination résulte du fait que la Hongrie « in a situation of prima facie discrimination, failed to prove that it has provided the guarantees needed to avoid the misdiagnosis and misplacement of the Roma applicants ». 231 232
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28. La Cour européenne des droits de l’homme s’est vu offrir, par deux fois en 2012, l’occasion de faire évoluer sa position sur la question de la stérilisation forcée de femmes roms en Slovaquie : dans l’arrêt N.B. v. Slovakia238, suivi de près par l’arrêt I.G. and others v. Slovakia239, la Cour a cependant choisi de maintenir sa jurisprudence mi-figue, mi-raisin, issue du précédent et premier240 arrêt traitant de la question – l’arrêt V.C c. Slovaquie241. Concluant, en effet, à la condamnation de la Slovaquie pour violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), elle persiste (et signe ?) néanmoins à refuser d’examiner les faits sous l’angle de l’article 14 relatif à l’interdiction de discrimination242. La question intéresse la présente chronique à deux égards : en son volet droit de la famille, relativement à l’accès à la parenté ; en son volet droit des personnes, la stérilisation forcée étant constitutive d’une atteinte à l’intégrité physique de la personne humaine. Afin de prendre toute la mesure de la solution retenue, il importe de rappeler préalablement les circonstances factuelles des deux affaires : les requérantes (Mme N.B. dans la première affaire ; Mmes I.G., M.K. et R.H dans la seconde), ressortissantes slovaques d’origine rom, ont subi à l’occasion d’accouchements243 par césarienne dans un hôpital public, une stérilisation par ligature des trompes de Fallope pour des raisons médicales tenant à la survenance d’un risque vital dans l’hypothèse éventuelle d’une prochaine grossesse. Il existait bel et bien dans le dossier médical de chacune des patientes un formulaire, signé, de consentement préalable à la stérilisation. Cependant, la signature des intéressées a été recueillie, selon leurs allégations, dans des conditions de particulière vulnérabilité, voire à leur insu244 – en d’autres termes, dans des conditions incompatibles avec l’expres238 Cour eur. D.H., arrêt N.B. c. Slovaquie, 12 juin 2012, req. no 29518/10 – texte de l’arrêt disponible en anglais seulement ; voir K. Garcia, « La stérilisation forcée des femmes roms à nouveau en question devant la Cour européenne des droits de l’homme », Dr. Famille, no 9, septembre 2012, comm. 138. 239 Cour eur. D.H., arrêt I.G et autres c. Slovaquie, 13 novembre 2012, req. no 15966/04 – texte de l’arrêt disponible en anglais seulement. 240 Voir, précédemment, Cour eur. D.H., arrêt H.K. et autres c. Slovaquie, 28 avril 2009, req. no 32881/04, qui portait déjà sur la question de la stérilisation forcée de femmes Roms, mais sous l’angle uniquement de l’accès aux dossiers médicaux. 241 Cour eur. D.H., arrêt V.C. c. Slovaquie, 8 novembre 2011, req. no 18968/07 : K. Garcia, « La stérilisation forcée des femmes Roms à l’épreuve de la CEDH », Dr. Famille no 2, février 2012, étude 4 ; F. Sudre, « Droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Chronique », J.C.P. G., 2012, doctr. 87 ; K. Grabarczyk, « Stérilisation sans consentement d’une femme Rom », JCP G., 2011, 1363. 242 Ces deux arrêts de 2012 ont été, à cet égard, analysés dans le numéro précédent de cette revue par E. Bribosia et I. Rorive, dans le cadre de leur chronique « Droit de l’égalité et de la non-discrimination », J.E.D.H., 2013, no 2, pp. 125 et s., voir spéc. le point VI.A. 243 Les faits ont eu lieu le 25 avril 2001 pour Mme N.B. ; le 23 janvier 2000 pour Mme I.G. ; le 10 janvier 1999 pour Mme M.K. ; le 11 avril 2002 pour Mme R.H. 244 S’agissant de l’affaire N.B. : la requérante, alors mineure, a déclaré qu’elle avait signé ce papier parmi d’autres, pendant qu’elle se trouvait en plein travail d’accouchement et était allongée sur le dos ; la médication sédative lui avait été administrée et avait commencé à produire ses effets ; un membre du personnel médical lui tenait la main pour l’aider à signer les papiers ; enfin, elle se souvenait qu’un médecin lui a dit qu’elle mourrait si elle ne signait pas ces papiers. Elle n’a pas eu, en raison de ces circonstances, ni la force ni la volonté de demander ce que contenaient les différents formulaires – sans pour autant exprimer une objection à leur signature. Le consentement de ses représentants légaux n’avait pas été recherché. S’agissant de la seconde affaire : c’est un document qu’elle croyait lié à la césarienne uniquement que Mme I.G., alors mineure, a déclaré avoir signé, le lendemain de l’accouchement (alors que le formulaire est daté du jour même), sans qu’elle ni ses représentants légaux n’aient été informés à un quelconque moment sur sa stérilisation qui ne lui a été
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sion d’un consentement réel, libre et éclairé quant aux implications d’une telle intervention. Les faits à l’origine de ces deux affaires sont donc les mêmes que ceux de l’arrêt V.C, à ceci près que le recueil du « consentement » de certaines des requérantes s’est effectué dans un contexte de vulnérabilité encore plus marquée, en raison de leur minorité ainsi que de l’administration préalable d’une médication sédative altérant nécessairement les facultés mentales et corporelles. Dans l’arrêt N.B. comme dans l’arrêt I.G. and others245, ces différences n’ont cependant pas poussé la Cour à modifier son raisonnement : elle renvoie in extenso à celui qu’elle a mené dans l’arrêt V.C. En ce qui concerne la violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) dans son volet matériel246, l’on rappellera d’abord que l’arrêt V.C. c. Slovaquie a été l’occasion, comme l’a expliqué K. Garcia247, d’une interprétation « innovante » et « constructive » : l’article 3 consacre une valeur absolue et intangible des sociétés démocratiques. En décidant que les stérilisations forcées relevaient du champ de cet article, la Cour a donc entendu indiquer qu’aucune exception ni ingérence n’étaient permises en la matière. Et, « Qui plus est, l’incursion de ce texte dans le domaine médical [laissait] entrevoir un renforcement de la protection des droits reproductifs mais aussi, et de façon plus générale, des droits des patients »248. L’innovation, ainsi que l’a démontré le même auteur, a surtout résidé dans le fait d’ajouter à l’article 3 un nouveau droit à l’autonomie du patient, contribuant ainsi non seulement d’un côté à l’effectivité de cet article, mais aussi de l’autre côté à renforcer la nature de « principe matriciel » du droit à l’autonomie de façon générale. Pour constituer un traitement dégradant au sens de l’article 3249, l’on sait qu’un minimum de gravité, apprécié de façon relative250, doit être atteint. Dans la mesure révélée que trois ans plus tard. Mme M.K., alors également mineure, a affirmé n’avoir signé aucun document autorisant préalablement la stérilisation, dont elle et ses parents n’ont appris la réalisation qu’après l’opération ; quatre ans après, elle a découvert que figurait dans son dossier médical ledit formulaire. Enfin, Mme R.H. a déclaré avoir signé, pendant l’accouchement (alors que le formulaire est daté de la veille) et alors qu’elle subissait les effets de la médication sédative, un document présenté comme relatif à la césarienne ; elle n’a appris avoir été stérilisée que lors de sa sortie de l’hôpital. 245 En ce qui concerne l’affaire I.G and others, précisons que la Cour n’a finalement statué que sur les deux premières requêtes (celles de Mme I.G. et de Mme M.K.). La troisième requête a en effet été radiée du rôle sur le fondement de l’article 37, § 1er, (c) de la Convention : Mme R.H. est décédée en cours de procédure et la Cour a jugé que ses trois enfants n’avaient pas qualité pour poursuivre cette dernière. 246 Dans les deux affaires, la violation de l’article 3 était également alléguée sur le terrain procédural, les requérantes soutenant que l’État défendeur n’a pas respecté son obligation positive de mener une enquête effective : la Cour considère qu’il n’y a eu aucun manquement à ce titre dans l’affaire N.B. En revanche, dans l’affaire I.G. et autres, elle relève que les autorités judiciaires ont échoué à mener leur enquête dans un délai raisonnable et conclut à la violation de l’article 3 dans son volet procédural. Cet aspect ne sera pas traité davantage dans le cadre de la présente chronique. 247 K. Garcia, « La stérilisation forcée des femmes roms à l’épreuve de la CEDH », préc., spéc. §§ 2 à 4. 248 Idem, § 2. 249 Selon la jurisprudence de la Cour, un traitement peut être qualifié de dégradant s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité humaine, voire la diminue, ou s’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique (v. not. Cour eur. D.H. (GC), arrêt Kudła c. Pologne, 26 octobre 2000, req. no 30210/96, § 92 ; Cour eur. D.H., arrêt Pretty c. RoyaumeUni, 29 avril 2002, req. no 2346/02, § 52). Il peut suffire que la victime soit humiliée à ses propres yeux, même si elle ne l’est pas à ceux d’autrui (voir not. Cour eur. D.H., arrêt Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, req. no 5856/72, § 32 ; Cour eur. D.H. (GC), arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, req. no 30696/09, § 220. 250 Ainsi que le rappelle la Cour dans l’arrêt I.G. et autres (§ 121) : l’appréciation du minimum de gravité « dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir Riad and Idiab v. Belgium, Cour eur. D.H.,
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où elle prive la personne de la capacité de procréer, la stérilisation constitue une atteinte majeure à son intégrité physique, d’autant plus lorsque l’intéressée est jeune et donc au début de sa vie reproductive. Partant, la Cour rappelle que, sauf urgence vitale, l’imposition d’un tel traitement sans consentement libre et éclairé est incompatible avec le principe de respect de la dignité et de la liberté de la personne humaine – dont le droit à l’autonomie n’est qu’une manifestation. En l’espèce, dans les deux affaires, la Cour relève que malgré des indications médicales sérieuses, la stérilisation n’était pas une « nécessité imminente » d’un point de vue médical. Elle considère ensuite que même si rien n’indique une intention malveillante de la part du personnel hospitalier, la manière paternaliste dont ce dernier a agi constitue néanmoins un flagrant manque de respect envers le droit à l’autonomie des patientes, dans la mesure où elles n’ont pu exprimer un consentement valide251. En définitive, la Cour explique252 que c’est en prenant en compte tant la nature de l’intervention que ses circonstances et conséquences253 sur la vie des requérantes, leur âge et aussi, précise-t-elle expressément dans l’arrêt I.G. and others, le fait qu’elles appartiennent à une communauté vulnérable, qu’elle a considéré que le traitement subi avait atteint le seuil de gravité justifiant la qualification de traitement dégradant au sens de l’article 3. La Cour constate ensuite une violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) : transposant, ici encore, la solution également innovante dégagée dans l’arrêt V.C., elle sanctionne la Slovaquie non pour ingérence254 mais pour manquement à l’obligation positive lui incombant de garantir une jouissance effective du droit énoncé à l’article 8 – la Cour ayant en effet constaté une protection insuffisante de la santé reproductive des requérantes, en leur qualité de femmes roms255. Fort de ce constat de non-respect de l’article 8, la Cour juge qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 12 (droit au mariage), également invoqué par les requérantes. On eût espéré que la reprise de l’arrêt V.C. s’arrête là et que, pour le reste, la Cour franchisse le pas de l’examen, en plein et pas en creux, de ce contentieux symbo24 janvier 2008, no 29787/03 et 29810/03, § 96) ». Et, ainsi qu’elle l’ajoutait dans l’arrêt V.C. (§ 101) auquel elle renvoie, « Il y a lieu de prendre en compte le but du traitement infligé et, en particulier, de considérer s’il y a eu volonté d’humilier ou d’abaisser l’individu, mais l’absence d’une telle intention ne saurait forcément conduire à un constat de non-violation de l’article 3 (Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 68 et 74, CEDH 2001-III, et Grori c. Albanie, no 25336/04, § 125, 7 juillet 2009 et autres références citées) ». 251 Le consentement, même donné par écrit, n’est pas valide si l’intéressée a fait l’objet de désinformation ou d’intimidation. 252 Voir l’arrêt N.B., § 80 et l’arrêt I.G. and others, § 123. 253 La Cour mentionne à cet égard que « la stérilisation, dans sa nature et ses conséquences, était susceptible de faire naître chez la requérante des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité ainsi que des souffrances durables ». Sur ce dernier aspect en particulier, la Cour estime notamment « n’avoir aucune raison de douter que l’inaptitude à procréer ait pu fortement diminuer sa position en tant que femme au sein de la communauté Rom », laquelle attache à cet égard une importance particulière au statut de mère (arrêt N.B., § 80). 254 Dans l’arrêt V.C., la Cour précise (voir §§ 144 et145) qu’en raison de la condamnation de l’ingérence sur le fondement de l’article 3, il n’y a pas lieu d’examiner ce grief séparément sous l’angle de l’article 8, mais décide néanmoins qu’il importe d’en poursuivre l’examen sur le terrain des obligations positives. 255 Les faits litigieux se sont déroulés sous l’empire du règlement slovaque de 1972 sur la stérilisation et de la loi slovaque de 1994 sur la santé, textes ne fournissant pas selon la Cour des garanties appropriées. Elle relève, toutefois, que la Slovaquie a pris des mesures visant à combler de telles lacunes, à l’occasion de la loi de 2004 sur la santé – cette évolution, postérieure aux faits de la cause, ne saurait cependant avoir une incidence sur la situation des requérantes et l’appréciation au titre du respect des obligations positives.
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lique dans sa dimension discriminatoire. Mais c’est le statu quo et le raisonnement de la Cour strasbourgeoise achoppe donc toujours sur le même point : alors qu’elle qualifie le traitement subi de dégradant, elle s’abstient néanmoins de procéder à l’examen explicite de la cause ou de la nature de ce dernier256. Pour justifier cette abstention, elle conjugue deux arguments : l’absence d’éléments de preuves objectifs suffisamment forts pour la convaincre d’un mobile racial257 et la condamnation préalable de l’État défendeur pour violation de l’article 8. Certes, lorsque la Cour constate « une violation séparée d’une clause normative de la Convention, invoquée devant elle à la fois comme telle et conjointement avec l’article 14, elle n’a en général pas besoin d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de celui-ci » ; cependant, « il en va autrement si une nette inégalité de traitement dans la jouissance du droit en cause constitue un aspect fondamental du litige »258 : n’était-ce pas le cas en l’espèce ? Au stade de l’examen au titre des articles 3 et 8, la Cour prend en compte à plusieurs reprises le rôle joué par la circonstance de l’appartenance des victimes à une communauté vulnérable – s’appuyant notamment, au-delà des faits de l’espèce, sur plusieurs rapports émanant de diverses sources indépendantes. De façon contrastante, elle estime pourtant, s’agissant de l’article 14, qu’en l’état des informations disponibles259, il ne peut être démontré que les médecins ont agi de mauvaise foi, ni que l’intervention s’inscrivait dans le cadre d’une politique organisée ou que le comportement du personnel était sciemment motivé par des considérations raciales. Ainsi que l’ont expliqué E. Bribosia et I. Rorive260, « L’élément intentionnel est au cœur du raisonnement de la Cour et conduit à élever le standard de preuve des actes discriminatoires »261. 256
F. Sudre (op. cit.) évoque l’absence de qualification de la nature du mauvais traitement ; K. Garcia (« La stérilisation forcée des femmes roms à l’épreuve de la CEDH », op. cit., § 2) se réfère à la cause de ce dernier. On soulignera que la Cour ne fait référence qu’au mobile racial, alors que les requérantes alléguaient également une discrimination fondée sur le sexe. 258 Voir Cour eur. D.H., arrêt Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, req. no 6289/73, § 30 ; Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, req. no 7525/76, § 67. 259 Ce faisant, la Cour fait fi du contexte général passé (la stérilisation des femmes roms était une politique générale d’État sous le régime communiste) comme présent : ces affaires, non isolées, s’inscrivent dans un mouvement international de dénonciation de la persistance de cette pratique sur les femmes roms mais aussi, plus largement, sur d’autres catégories de personnes. Voir not. la résolution 1945 (2013) adoptée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 26 juin 2013 et intitulée « Mettre fin aux stérilisations et aux castrations forcées » : le rapport de Mme Maury Pasquier (disponible sur le site de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, doc. 13125) – explique que dans les États membres du Conseil de l’Europe aujourd’hui et dans un passé très récent, fort peu de stérilisations et castrations peuvent être qualifiées de « forcées » et concernent pour la plupart des personnes handicapées. Cependant, un nombre certes réduit, mais significatif, de stérilisations et de castrations ont été imposées, visant avant tout les personnes transgenres, les femmes roms et les délinquants sexuels condamnés. Dans tous les cas, la Résolution invite les États membres à « faire en sorte que nul ne soit contraint de subir de quelque manière et pour quelque motif que ce soit une stérilisation ou une castration ». En ce qui concerne les personnes handicapées, signalons que l’affaire GAUER et al. c. France (req. no 61521/08) dont la décision de la Cour était vivement attendue, a finalement donné lieu à une décision d’irrecevabilité de la requête en raison de son caractère tardif (décision du 23 octobre 2012). 260 In Chronique – Droit de l’égalité et de la non-discrimination, préc., p. 145. 261 Sur le standard de preuve habituellement appliqué, on rappellera qu’en matière de discrimination fondée sur la race ou sur le sexe, la Cour européenne a admis de faire jouer l’exception du renversement de la charge de la preuve, qui plus est dans des affaires concernant la population Rom : voir not. Cour eur. D.H., arrêt D. H. et autres c. République Tchèque, 13 novembre 2007, req. no 57325/00, spéc. §§ 176 et 180, rendu également en matière de discrimination indirecte, dans le domaine du service public scolaire (droit à l’instruction) et constatant une ségrégation des enfants roms – solution réaffirmée en 2012 dans l’arrêt CEDH, Sampanis e.a c. Grèce, 11 décembre 2012, no 59608/09. Voir égal. Cour eur. D.H., arrêt Stoica c. Roumanie, 4 mars 2008, req. no 42722/02, dans lequel la Cour condamne l’État défendeur pour discrimination dès lors que ce dernier n’a pas pu prouver l’absence de considérations racistes dans le domaine d’actes de violence commis par des policiers. L’appréhension de la situation est nettement différente dans les arrêts N.B. et I.G. et al. 257
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La Cour estime donc le degré de conviction non atteint…tout en précisant dans la foulée « n’avoir néanmoins aucune raison de s’écarter de sa précédente conclusion selon laquelle les manquements dans la législation slovaque et la pratique en matière de stérilisation étaient susceptibles d’affecter particulièrement les membres de la communauté Rom »262. N’est-ce point là, en creux, un examen des faits à la lumière de l’article 14 ? Pour évincer la nécessité de cet examen, la Cour explique alors qu’il convient d’articuler son premier argument de fond avec un second, plus technique, tenant à la condamnation déjà prononcée au titre de l’article 8. Pour ce faire, elle procède en deux temps : d’abord, alors que les requérantes soutenaient avoir subi une discrimination, fondée non seulement sur l’origine ethnique mais aussi sur le sexe, dans la jouissance des droits garantis par les articles 3, 8 et 12, la Cour juge « naturel »263 de n’envisager le grief de discrimination que dans sa combinaison avec l’article 8. Si l’on peut comprendre la mise à l’écart de l’article 12, celle de l’article 3 n’est guère justifiable. La motivation, issue de l’arrêt V.C., est toujours aussi alambiquée : la combinaison avec l’article 8 s’imposerait car « l’ingérence (sic) en cause a porté sur l’une des fonctions corporelles (sic) essentielles de la requérante et entraîné pour elle de nombreuses conséquences négatives dans sa vie privée et familiale ». La référence à une « ingérence », alors que la violation de l’article 8 n’a été retenue au contraire que pour une abstention, puis celle aux « fonctions corporelles », qui établit un lien évident avec l’article 3, révèlent une contradiction : en amont, la Cour affirme avec force que les stérilisations forcées relèvent du champ de l’article 3 et que corrélativement il n’y a pas lieu d’examiner si elles constituent une « ingérence » sur le terrain de l’article 8. En aval, s’agissant de la dimension discriminatoire du traitement infligé, l’article 8 évince au contraire l’article 3264 – soit dit en passant, cette substitution est assez symptomatique de l’absence d’appréhension du corps humain en tant quel par la Cour européenne : lorsqu’elle est également atteinte par le traitement litigieux, la vie relationnelle de la personne semble en quelque sorte « absorber » l’atteinte au corps265. Partant donc de la prémisse d’une combinaison « plus naturelle » de l’article 14 avec le seul article 8, la Cour se retranche, ensuite, derrière la condamnation déjà retenue (manquement aux obligations positives) au titre de ce dernier, pour en déduire qu’il n’y a finalement pas lieu d’examiner l’affaire sous le prisme de l’article 14 : la sanction préalable de la violation de l’article 8 serait suffisante ; l’article 8 se substitue à présent à l’article 14. Cette substitution présente au moins deux failles, déjà clairement identifiées par K. Garcia à l’époque de l’arrêt 262
Voir l’arrêt N.B., § 121 ; arrêt I.G., § 165. Arrêt N.B., § 120 ; arrêt I.G., § 164 ; arrêt V.C., § 176. Dans l’arrêt Stoica c. Roumanie, préc., la Cour a retenu une violation de l’article 14 combiné avec l’article 3 pour considérations racistes à l’égard de la population Rom : la combinaison entre ces deux articles est donc pourtant possible selon la Cour, ce qui rend d’autant moins justifiable la position adoptée en l’espèce. On aurait aimé que la Cour se prononce sur la question dans l’affaire GAUER et al. c. France (préc.), les requérantes soutenant une discrimination fondée sur leur handicap et alléguant une violation de l’article 14 combiné avec les articles 3, 8 et 12. 265 Et ce, conformément à une conception moniste, toujours bien ancrée dans la plupart des pays européens, du statut du corps humain. 263 264
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V.C : l’article 8 et l’article 14 ne partagent ni le même but (curatif pour le premier, préventif pour le second), ni la même dimension (individuelle pour l’article 8, collective pour l’article 14) 266. En d’autres termes, du point de vue du résultat, substituer n’est pas équivaloir : cette technique de raisonnement par « glissements » ou « en poupées russes » n’offre ici ni la cohérence, ni la portée qu’aurait eues la reconnaissance explicite d’une discrimination, ou à tout le moins celle de la nécessité d’examiner séparément le grief tiré de l’article 14. Bien au contraire, en maintenant ainsi la solution de l’arrêt V.C., la Cour européenne a dessiné dans sa jurisprudence volontariste267 en matière de protection de la population rom une ligne de fracture, peu conforme à la politique générale de lutte qu’elle mène depuis plusieurs années contre les discriminations. J.J. Ont contribué à cette chronique : Younes Bernand, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université Jean Moulin Lyon 3, chercheur au Centre de droit de la famille (nos 21 et 24) ; Benoit de Boysson, Docteur en droit, avocat, chercheur au Centre de droit de la famille (nos 1 et 19) ; François Chénédé, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3 (nos 13, 20) ; Renaud Daubricourt, Chercheur au Centre de droit de la famille (nos 22-23) ; Hugues Fulchiron, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Directeur du Centre de droit de la famille (nos 16-17) ; Jézabel Jannot, Chercheur au Centre de droit de la famille, chargé de cours à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et de formation au CFPN (n° 28) ; Aurélien Molière, Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3, chercheur au Centre de droit de la famille (nos 11-12, 14-15) ; Amélie Panet, Chercheur au Centre de droit de la famille (n° 25) ; Loïc Robert, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université Jean Moulin Lyon 3, chercheur au Centre d’études européennes (nos 25 et 27) ; Stessy Tetard, Attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université Jean Moulin Lyon 3, chercheur au Centre de droit de la famille (nos 2-10) ; Fabrice Toulieux, docteur en droit, chargé de cours à l’Université catholique de Lyon, chercheur au Centre de droit de la famille (nos 18 et 26).
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K. Garcia, « La stérilisation forcée des femmes Roms à l’épreuve de la CEDH », op. cit., §§ 21 et s. Voir not. supra no 27, les observations de L. Robert s’agissant des arrêts rendus en matière de scolarisation des enfants roms.
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Actualités / News Asile / Asylum Judgment on risks of returning asylum seekers to Mogadishu On 5 September 2013, the European Court of Human Rights delivered its judgment in the case of K.A.B. v. Sweden (Application no. 886/11). The case concerned a Somali asylum seeker who complained that he would run a real risk of inhuman treatment upon return to Mogadishu. In its 2011 judgment in the case of Sufi and Elmi v. the United Kingdom, the Court held that an expulsion to Mogadishu would be in violation of Article 3 ECHR, because the level of violence in Mogadishu was of such intensity that anyone in the city would be at real risk of proscribed treatment. Two years later, the Court considers that the security situation there has improved and therefore, despite the fragile and unpredictable human rights and security situation, holds that expulsion to Mogadishu does not in itself violate Article 3 ECHR. Since he moreover did not make a plausible case that, due to his personal situation, he would run an increased risk of ill-treatment, the Court consideres that his expulsion would not be in breach of Article 3.
Judgment on return Chechen asylum seeker The European Court of Human Rights issued its judgment in the case of I v. Sweden (Application no. 61204/09) on 5 September 2013. The case concerned a Chechen family who was threatened with removal from Sweden to Russia. The Court recognized the problems of disappearances, arbitrary violence, ill-treatment and impunity in the detention facilities in Chechnya, as well as the existence of reports about harassment and ill-treatment of returnees. Nevertheless, the Court did not consider the unsafe general situation to be sufficiently serious to conclude that every return of Chechen asylum seekers
to Russia would violate Article 3 ECHR. The Court however considered that the father ran a specific risk of being ill-treated since the scars on his body, which might be discovered in case of a body search in connection with a possible detention and interrogation by the authorities, could indicate that he had actively taken part in the second Chechen war. Therefore, the Court considered that the implementation of the deportation order would give rise to a violation of Article 3.
Détention / Detention CPT report on Ukraine highlights need for further action to combat ill-treatment of sentenced prisoners The Council of Europe’s Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (CPT) has published the report on its December 2012 ad hoc visit to Ukraine, together with the Ukrainian authorities’ response. The main objective of the visit was to re-examine the manner in which prisoners serving sentences were treated in so-called “correctional colonies”. The CPT’s report indicates that there has been an improvement as regards the manner in which inmates are treated by staff in some correctional colonies, but not in all. The CPT has recommended further action to combat ill-treatment of inmates in correctional colonies by : i) driving change from the highest level and developing an ethical culture among prison staff, ii) improving staff-inmate relations, iii) strengthening the role of health-care staff in the prevention of ill-treatment, iv) better defining limits and improving training on the use of force, v) ensuring the effectiveness of investigations into cases of possible ill-treatment, and vi) developing an effective national preventive mechanism.
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Le Secrétaire général présente un rapport sur l’administration de la justice qui aborde la question de la protection des détenus Dans son rapport (A/68/261), le Secrétaire général analyse le dispositif juridique et institutionnel international de protection de toutes les personnes privées de liberté et les principales difficultés rencontrées. Ce rapport présente également les activités menées par l’ensemble du système des Nations Unies en la matière. Le Secrétaire général conclut que, malgré l’existence d’un dispositif juridique et institutionnel international complet de protection de toutes les personnes privées de liberté, la plus grande difficulté réside dans l’application des normes pertinentes au niveau national. Le Conseil des droits de l’homme a adopté une résolution sur le sujet (A/ HRC/RES/24/12) qui demande notamment qu’un panel sur la protection des droits de l’homme de personnes privées de liberté soit organisé lors de la 27e session du Conseil (septembre 2014).
Discrimination et égalité de traitement / Discrimination and equality of treatment Tuncer Güneş v. Turkey On 3 September 2013, the European Court of Human Rights delivered its judgment in the case of Tuncer Güneş v. Turkey (Application no. 26268/08). The case concerned the refusal to allow the applicant to bear only her maiden name after her marriage. The applicant complained that Turkish law allows married men to bear only their own surname after marriage and not married women. The Court considered that the Government did not put forward any fact or argument capable of leading to a different conclusion from the one reached in Unal Tekeli v. Turkey, in which the difference in treatment on grounds of sex was found discriminatory. The Court therefore
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found a violation of Article 14 ECHR in conjunction with Article 8 ECHR.
Égalité de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins Dans l’affaire Marc Betriu Montull contre Instituto Nacional de la Seguridad Social (C5/12), la Cour de justice devait déterminer si le droit dérivé de l’Union s’oppose à une législation nationale dans laquelle une mère, exerçant une activité à titre indépendant sans être affiliée au régime public de sécurité sociale, ne peut céder tout ou partie de son droit au congé de maternité au père de l’enfant, (ayant le même statut de travailleur salarié pour la période de dix semaines postérieure à celle de repos obligatoire), alors qu’une telle possibilité existe lorsque la mère de l’enfant est une travailleuse salariée. En l’espèce, Mme Ollé a accouché d’un enfant dont le père est M. Betriu Montull. Ce dernier, travailleur salarié affilié au régime public de sécurité sociale espagnol, a demandé à l’organisme espagnol compétent une allocation de maternité compensant le congé de maternité. Considérant que le droit au congé de maternité est un droit que la mère tire de son affiliation au régime public de sécurité sociale, que la mère de l’enfant exerce une activité à titre indépendant et n’a pas choisi de s’affilier à ce dernier régime, et que le droit au congé de maternité n’est qu’un droit dérivé pour le père de l’enfant, une telle demande lui a été refusée. Par un arrêt rendu le 19 septembre 2013, la Cour de justice a estimé que le droit de l’Union ne s’opposait pas à une telle réglementation nationale. À titre liminaire, notons que le juge de l’Union a procédé à un élargissement des normes de contrôle telles que posées par le juge a quo. Aux fins d’une réponse utile, la Cour de justice intègre la directive 92/85CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise
Actualités / News en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (J.O. L 348, 28 novembre 1992, p. 1) à son raisonnement. Le juge de l’Union débute son argumentation en se demandant si le fait pour une mère d’un enfant, travailleuse salariée, de pouvoir céder au père de l’enfant, également travailleur salarié, tout ou partie du congé de maternité pour la période postérieure à celle de repos obligatoire heurte les exigences de la directive précitée. Considérant que les dispositions de la législation espagnole vont au-delà des prescriptions minimales de la directive, le juge de l’Union en déduit qu’une telle situation n’est pas contraire à cette directive. La Cour de justice ajoute, de façon à coller au plus près des enjeux présents, que, puisque le champ d’application de cette directive se limite aux travailleuses salariées, le fait qu’un père ne puisse pas bénéficier d’un congé de maternité en raison de l’exercice par la mère de l’enfant d’une activité à titre indépendant et du choix d’une affiliation extérieure au régime public de sécurité sociale, ne saurait heurter ladite directive. La Cour de justice s’attarde ensuite sur la directive 76/207CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (J.O. L 39, 14 février 1976, p. 40). À cet égard, la disposition nationale en cause en réservant un droit de congé de maternité originaire à la mère travailleuse salariée, et un droit dérivé au père à condition que ce dernier ait également le même statut et que la mère lui cède tout ou partie de son congé pour la période postérieure à celle de repos obligatoire engendre une discrimination fondée sur le sexe au sens de cette directive. Une telle discrimination peut toutefois être justifiée si elle vise une
protection de la femme au regard de la grossesse et de la maternité. Or, justement, pour le juge de l’Union, cette législation participe à une protection de la « condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci » (pt 63). De plus, et cela est primordial, la Cour de justice fait remarquer que la mère de l’enfant, travailleuse indépendante non affiliée à un régime public de sécurité sociale, ne dispose pas d’un droit originaire au congé de maternité. Elle ne saurait par conséquent en céder tout ou partie au père de l’enfant.
Discrimination fondée sur l’âge – Traitement de mise en disponibilité La Cour de justice a rendu le 26 septembre 2013 l’arrêt Dansk Jurist- og Okonomforbund (C-546/11) en matière de discrimination en raison de l’âge. En l’espèce, M. Toftgaard, représenté par le Dansk Jurist- og Okonomforbund, a vu la suppression de son poste de préfet. Ce dernier demande, eu égard à la législation danoise, l’octroi d’une mise en disponibilité. Un refus lui est opposé puisque, âgé de 65 ans, il peut se prévaloir d’une pension de retraite. Dans cette affaire, le juge a quo souhaite tout d’abord un éclaircissement sur la portée de l’article 6, § 2 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (J.O. L 303, 2 décembre 2000, p. 16). Ce dernier donne la possibilité pour un État membre de « prévoir que ne constitue pas une discrimination fondée sur l’âge, la fixation pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité ». La question revient alors à se demander s’il a vocation à s’appliquer uniquement aux prestations de retraite ou d’invalidité. Pour y répondre, le juge de l’Union se penche sur le fait de savoir si la réglementation danoise entre dans le 2013/5
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champ d’application de la directive. Après un rappel bienvenu de la philosophie de cette dernière, la Cour de justice considère que la directive couvre la réglementation danoise en cause. Le juge de l’Union démontre ensuite sans difficulté qu’en privant les fonctionnaires âgés de 65 ans du bénéfice d’une mise en disponibilité, la réglementation danoise institue une différence de traitement fondée sur l’âge. Enfin, il ressort tant de la finalité que de l’économie générale de la directive qu’elle ne saurait recevoir une interprétation extensive telle, qu’elle pourrait s’appliquer à tout type de régimes professionnels de sécurité sociale. L’article 6, § 2 de la directive s’applique aux régimes professionnels de sécurité sociale limités aux risques de vieillesse et d’invalidité. Quand bien même le traitement de mise en disponibilité pourrait être envisagé dans l’optique d’un régime professionnel de sécurité sociale, la Cour considère qu’il ne saurait constituer ni une prestation de vieillesse, ni une prestation d’invalidité. Le juge de l’Union en vient ensuite au cœur de l’affaire. La réglementation danoise, en prévoyant qu’un fonctionnaire licencié à la suite d’une suppression de poste ayant atteint l’âge requis pour bénéficier d’une pension de retraite ne peut de ce seul fait bénéficier d’un traitement de mise en disponibilité (prévu en cas de licenciement), heurte-t-elle les principes de la directive ? Il est nécessaire d’avoir à l’esprit l’article 6, § 1er de celle-ci disposant qu’« une différence de traitement fondée sur l’âge ne constitue pas une discrimination lorsqu’elle est objectivement et raisonnablement justifiée […] par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ». Or, si l’objectif tenant à « assurer la disponibilité des fonctionnaires et à leur assurer une protection en cas de suppression de leur poste, tout en limitant le bénéfice du traitement de mise en disponibilité aux
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seuls fonctionnaires qui ont besoin d’une protection et qui respectent leur obligation de disponibilité » avancé par le gouvernement danois est considéré comme légitime et approprié, la réglementation danoise ne passe pas l’obstacle de la nécessité. En effet, l’exclusion automatique des fonctionnaires du bénéfice d’une mise en disponibilité, posée en droit interne du fait que ces derniers peuvent se prévaloir d’une pension de retraite, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime.
Discrimination fondée sur l’âge – Cotisation de retraite La Cour de justice a rendu, le 26 septembre 2013, un arrêt dans l’affaire HK Danmark (C-476/11). En l’espèce, Mme Kristensen – représentée par HK – est recrutée par un employeur à l’âge de 29 ans. Son contrat de travail stipule que les cotisations de retraite sont progressives en fonction de tranches d’âge, ce qui a notamment pour effet d’augmenter le salaire de base. Deux ans plus tard, Mme Kristensen démissionne de son poste et sollicite, entre autres, le paiement d’arriérés de cotisations de retraite correspondant au taux applicable aux salariés de plus de 45 ans, arguant que le régime de retraite mis en place par l’employeur institue une discrimination liée à l’âge. Son employeur lui oppose un refus. Selon lui, un tel régime échappe à l’interdiction de telles discriminations, eu égard à la réglementation nationale transposant la directive 2000/78. Saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice doit se prononcer sur l’inclusion potentielle dans le champ d’application de l’article 6, § 2 de la directive 2000/78 d’un régime de retraite professionnel où l’employeur verse, en tant qu’élément de la rémunération, des cotisations de retraite progressives en fonction de l’âge de l’employé. À titre liminaire, il convient de mettre en exergue le souci de la Cour de justice d’utiliser la
Actualités / News Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et plus particulièrement son article 21 portant sur la non-discrimination liée à l’âge, alors qu’une telle référence était absente de la question posée par le juge a quo. La Cour de justice va même jusqu’à reformuler sa question en mettant l’accent sur le respect du principe précité tel que formulé par l’article 21 de la Charte et « concrétisé » par la directive 2000/78. La Cour reprend le raisonnement qu’elle a utilisé dans l’arrêt Dansk Jurist- og Okonomforbund (C-546/11, voy. supra). En effet, le juge de l’Union examine tout d’abord la potentielle existence d’une différence de traitement fondée sur l’âge. Le fait que la rémunération globale d’un jeune travailleur est moins élevée que celle d’un travailleur plus âgé le conduit à en déduire logiquement qu’une telle différence existe. Partant, le juge de l’Union se concentre ensuite sur la justification possible de cette différence au regard de l’article 6, § 2 de la directive. En considérant qu’un régime de cotisations de retraite progressives en fonction de l’âge ne s’inscrit pas dans le cadre d’un régime professionnel de sécurité sociale couvrant les risques de vieillesse et d’invalidité et en martelant que cet article ne saurait couvrir d’autres risques que ceux-ci sans dénaturer l’économie générale et la finalité de la directive, un tel régime ne peut donc être justifié au regard de ce paragraphe. Le paragraphe 1 de cet article peut toutefois venir au secours dudit régime, s’il répond à un ou plusieurs objectifs légitimes et que celui-ci ou ceux-ci sont appropriés et nécessaires. La Cour de justice considère que les objectifs apportés par l’employeur et le gouvernement danois, tels que notamment « permettre […] aux travailleurs âgés, qui entrent au service [de l’employeur] à un stade avancé de leur carrière, de se constituer une épargne-retraite raisonnable pendant une période d’affiliation relativement courte », ou bien encore l’intégration des « jeunes travailleurs dans le même régime professionnel de retraite à un stade précoce, tout en leur permettant de disposer d’une plus grande partie
de leur salaire, compte tenu de l’application qui leur est faite d’un taux de cotisations salariales plus faible » sont légitimes. Il ne reste donc plus qu’à se concentrer sur le caractère approprié et nécessaire de la progressivité des cotisations de retraite en fonction de l’âge. À cet égard, il ne semble pas déraisonnable pour le juge de l’Union d’affirmer qu’une telle mesure est de nature à atteindre les objectifs susmentionnés. Néanmoins, ce dernier choisit de laisser l’appréciation finale à la juridiction de renvoi.
Droit à la vie / Right to life Forced disappearances in Chechnya On 1 August 2013, the European Court of Human Rights delivered its judgment in the case of Kaykharova and Others v. Russia (Applications nos. 11554/07, 7862/08, 56745/08 and 61274/09). The case concerns the forced disappearance of six men and two women in and around Grozny between 2000 and 2002, after being apprehended by groups of armed men believed to be Russian military or security forces. Having regard to the previous cases concerning disappearances in Chechnya and Ingushetia, the Court found that in the particular context of this conflict, when a person was detained by unidentified State agents without any subsequent acknowledgement of the detention, this could be regarded as life-threatening. In the absence of any news and given the life-threatening nature of their detention, the individuals concerned could be presumed dead. The Court found both a substantive violation of Article 2 ECHR and a procedural violation for failing to effectively investigate the disappearances. The Court also found violations of Article 5 on account of the unlawful detention of the disappeared persons, as well as violations of Article 3 in respect of their relatives due to their suffering as a result of the disappearances and the manner in which their complaints had been dealt with by the authorities. 2013/5
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Droit à l’eau / Right to water Catarina de Albuquerque, la Rapporteuse spéciale sur le droit de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement, s’est penchée sur la réalisation du droit fondamental à l’eau et à l’assainissement La Rapporteuse spéciale sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement a concentré son rapport sur la durabilité dans la réalisation du droit à l’eau et à l’assainissement. Elle a examiné de quelle façon ce droit peut et doit être respecté dans l’intérêt des générations présentes et futures. Les risques qui se posent en période de crise économique sont analysés ainsi que les difficultés que cela pose en matière de durabilité. La Rapporteuse examine les concepts de réalisation progressive et de non-régression et la pertinence de la durabilité dans ce contexte. Elle analyse également comment le contenu normatif et les principes du droit à l’eau et à l’assainissement contribuent à garantir la durabilité.
Droit d’accès aux documents / Right of access to documents Public access to documents related to the negotiations on the EU’s accession to the ECHR In the judgment Leonard Besselink v. Council of the European Union (T-331/11) of 12 September 2013, the Court examined the public access to certain EU documents related to the negotiations on the EU’s accession to the ECHR. The applicant, a university professor of constitutional law, requested access, pursuant to Regulation (EC) No. 1049/2001 regarding public access to European Parliament, Council and Commission documents (O.J. L 145, 31 May 2001, p. 43), to document 9689/10 containing a draft decision of the Council of the EU authorizing the Commission to negotiate the Accession Agreement of the European
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Union to the ECHR. The Council refused the access under the said regulation, based on the protection of public interest as regards international relations [third indent of Article 4 § 1(a) of the said Regulation]. In April 2011, the Council refused full access to the document, relying on the same exception, and gave access to a partly declassified version of that document. As a first plea, the applicant alleged that the refusal infringed Article 11 of the Charter (freedom of expression and information). The Court rejected this claim on procedural grounds noting that the summary of pleas was a mere abstract statement of the grounds and not sufficiently clear. It held that owing to its content, document 9689/10 is capable of coming within the exception relating to the public interest as regards international relations. Even on the assumption that the refusal of the applicant’s request in the present case should also be analysed from the aspect of Article 11 of the Charter, the Court holds that the exercise of the freedom of expression and information may, under Article 52 § 1 of the Charter, be limited, without there being any interference by public authority, within the meaning of Article 11 § 1 of the Charter. However, the Court held that the Council made a manifest error of assessment in refusing access to Negotiating Directive No. 5 which had been communicated to the negotiating partners. Accordingly, the risk that the public interest as regards international relations will be undermined cannot be justified on the ground that disclosure of that directive would weaken the Union’s negotiating position. The Court’s proportionality analysis confirmed this claim and annulled the Council Decision refusing full access to document 9689/10 in that it refuses access to Negotiating Directive No. 5 and to those undisclosed parts of the requested document which did not affect the public interest of the Union as regards international relations.
Actualités / News Refusal to grant public access to a document concerning visa-free shortterm travel of Russian and EU citizens Based on the same provision, namely the third indent of Article 4 § 1(a) of Regulation 1049/2001 (protection of the public interest with regard to international relations), the Council refused to grant access to the major part of the document containing “Common Steps towards visa-free short-term travel of Russian and EU citizens”. The Council explained that the content of the document was not communicated to the public by the negotiating partners, the EU and Russia, since its unilateral release by the EU would negatively affect the climate of confidence among the actors involved in the negotiations. In the case 1649/2012/RA before the Ombudsman (Decision of 9 September 2013), the complainant argued that the Common Steps contain commitments that the EU made on behalf of its citizens and which could affect them. Public scrutiny of EU actions that might affect its citizens’ fundamental rights should prevail over the alleged protection of the public interest as regards international relations, it insisted. The complainant further argued that similar documents negotiated with other partners (Ukraine and Moldova) are public and available on the Council’s website. Shortly after the submission of this complaint, the Council informed the Ombudsman that with the agreement of the Russian authorities, it published the document and informed the complainant accordingly.
Refusal to grant public access to documents relating to a call for proposals The decision of 19 September 2013 of the Ombudsman in the case 1817/2010/(DK) RA concerns the European Commission’s refusal to grant public access to documents relating to a call for proposals “to establish new Safer Internet Centres, or maintain ex-
isting ones”. The request for public access under Regulation 1049/2001 was submitted to the Commission by the UK’s Child Exploitation and Online Protection Centre whose proposal was not recommended for funding. The Commission refused to grant public access firstly on the basis of the first indent of Article 4 § 3 of the Regulation, namely the exception of non-disclosure in case of documents “drawn up by an institution for internal use or received by an institution, which relates to a matter where the decision has not been taken by the institution”. The Ombudsman concluded that the Commission has not demonstrated to the requisite legal standard that the requested document in question falls within the category of this exception since it did not provide an explanation showing that an undue pressure on decision-makers was reasonably foreseeable, and not purely hypothetical. The Commission also attempted to invoke the second indent of Article 4 § 3 of Regulation 1049/2001, namely the refusal of access to a “document containing opinions for internal use as part of deliberations and preliminary consultations within the institution concerned”. However, the Ombudsman was of the view that the Commission has not sufficiently reasoned its decision since the document in question contained the collective view of the evaluators, but no individual’s opinions. The Ombudsman also noted that there is a clear public interest in the disclosure of the document in question, namely, ensuring that the system put in place as a result of this call for proposals is the one which is best capable of protecting children. Finally, a friendly solution was achieved, the Commission decided to provide public access to the requested document.
Refusal to give access to documents regarding a selection procedure The European Ombudsman’s decision on complaint 1403/2012/CK of 28 August 2013/5
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2013 against the European Chemicals Agency (ECHA) concerns ECHA’s initial refusal to provide access to the declarations of conflict of interest submitted by the members of the selection boards in two selection procedures the Agency had organised. In its opinion, ECHA insisted that Regulation 1049/2001 cannot be invoked regarding the declarations in question since they were very closely related to the proceedings and deliberations of the selection boards in the given selection procedures and were, therefore, protected from disclosure pursuant to the Staff Regulations (O.J. L 56, 4 March 1968, p. 1 as amended by later Regulations) or, in the alternative, pursuant to Article 4 § 1(b) of the Regulation 1049/2001 (protection of personal data). The Ombudsman first noted that the purpose of Regulation 1049/2001 is to give the fullest effect to the right of public access to documents and to lay down the general principles and limits on such access. Access should in principle be granted to all documents held by an institution, that is to say, documents drawn up or received by it and in its possession, in all areas of activity of the EU. In the context of a selection procedure, candidates have an individual right to ask for certain documents in the context of their participation in that selection procedure. The Ombudsman concluded that ECHA should have assessed the complainant’s request under the Regulation and properly ascertained whether full or partial access could be granted to the relevant documents. In a proposal for a friendly solution, he invited ECHA to reassess the complainant’s request which ECHA thereupon satisfied.
Droit au travail / Labour rights Judgment in the case of Fatma Akultun Firat v. Turkey The European Court of Human Rights issued its judgment in the case of Fatma Akultun Firat v. Turkey (Application no. 34010/06)
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on 10 September 2013. The case concerned a nurse who was arrested for one hour because she was distributing leaflets on behalf of her trade union at the hospital where she worked. The Court found a violation of Article 5 ECHR because the applicant’s detention did not have any legitimate purpose under § 1 of Article 5 and was accordingly arbitrary. In the absence of legal provisions prohibiting the distribution of leaflets in hospital, the applicant’s arrest could moreover not be considered to be “prescribed by law” in the sense of Article 11 § 2 ECHR. Therefore the Court found an additional violation of the freedom of association. Since it had already established a violation of Article 11, the Court considered it unnecessary to examine whether the interference with her freedom of association had been ‘‘necessary in a democratic society’’.
Esclavage et traite des êtres humains / Slavery and Human trafficking Gulnara Shahinian, la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, a présenté son dernier rapport au Conseil des droits de l’homme Dans son dernier rapport, la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, se concentre sur les défis à relever et les enseignements à tirer sur base de l’expérience acquise durant les six années de son mandat (A/HRC/24/43). Ces difficultés sont notamment d’ordre juridique et politique ou institutionnel ou de mise en œuvre. Les difficultés juridiques et politiques comprennent entre autres l’absence de législation spécifique dans certains pays, des failles et des lacunes dans les cadres juridiques, la faiblesse des sanctions et des lois dissuasives qui rendent les travailleurs plus vulnérables. Les problèmes institu-
Actualités / News tionnels et de mise en œuvre sont dus à la corruption, à l’incapacité des pouvoirs publics de reconnaître l’existence de l’esclavage contemporain, au manque de volonté politique et/ou de ressources, à la difficulté de localiser et d’identifier les victimes, ainsi qu’à une absence de protection des travailleurs concernés et de programmes de réadaptation efficaces qui s’inscrivent dans la durée. La Rapporteuse souligne le rôle important des bonnes pratiques en la matière, notamment en matière d’améliorations de la législation, d’efforts visant à appliquer les mesures existantes, d’actions de sensibilisation et de prévention, et de l’identification, la protection et la réadaptation des victimes. Elle formule plusieurs recommandations.
État de droit / Rule of law M.C. and Others v. Italy On 3 September 2013, the European Court of Human Rights delivered its judgment in the case of M.C. and Others v. Italy (Application no. 5376/11). The case concerned 162 Italian nationals unable to obtain an adjustment of the supplementary part of a compensation allowance following accidental contamination as a result of blood transfusions or the administration of blood derivatives. The Court held that the Government’s emergency decree ruling on the disputed adjustment infringed the rule of law and the applicants’ right to a fair trial, imposed an excessive burden on them and disproportionately infringed their property rights. The Court therefore found violations of Article 6 § 1 ECHR, Article 1 of Protocol No. 1 to the ECHR, and Article 14 ECHR taken together with Article 1 of Protocol No. 1. Since the violations of the applicants’ rights did not concern isolated cases but were the result of a systemic problem, the Court decided to apply the pilot judgment procedure. It invited the Respondent State to set, within six months from the date on which the judgment becomes final, a specific time limit within which to secure
the effective and prompt realisation of the entitlements in question.
Handicap / Disability Access to justice for persons with disabilities : Commissioner Muižnieks intervenes in hearing on milestone case before the Strasbourg Court On 4 September 2013, the Council of Europe Commissioner for Human Rights, Nils Muižnieks, took part in a hearing before the European Court of Human Rights on a case concerning the treatment of a person with disabilities in Romania. This oral intervention followed the written observations submitted by his predecessor in October 2011 ; it is the first since the entry into force of Protocol no 14 to the European Convention on Human Rights which gave the Commissioner the right to intervene in proceedings before the Strasbourg Court on his own initiative. Commissioner Muižnieks underlined the importance of the case at stake, which would set the position of the Court with regard to access to justice of people with disabilities. He considered that in “exceptional circumstances, non-governmental organisations should be allowed to lodge applications with the Court on behalf of victims, in particular in cases concerning vulnerable groups of people, such as persons with intellectual and psycho-social disabilities”.
Justice transitionnelle / Transitional justice Pablo de Greiff, le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition, se penche sur les commissions vérité Le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, la justice, la réparation et les 2013/5
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Actualités / News
garanties de non-répétition examine particulièrement les défis rencontrés par les commissions vérité durant les périodes de transition. Il formule plusieurs recommandations pour assurer que ces mécanismes adressent efficacement les violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire (voy. rapport A/ HRC/24/42).
Liberté d’expression / Freedom of expression Le Conseil des droits de l’homme a examiné un rapport du HautCommissariat sur les bonnes pratiques en matière de protection des journalistes Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, en collaboration avec le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, a présenté un inventaire des bonnes pratiques en ce qui concerne la protection des journalistes, la prévention des attaques à leur égard et la lutte contre l’impunité entourant ces attaques à la 24e session du Conseil des droits de l’homme (voy. A/HRC/24/23). Le rapport donne un aperçu de la situation des journalistes, du droit applicable et des initiatives prises par les États membres, les organismes des Nations Unies et d’autres organisations pour assurer la sécurité des journalistes. Il présente également des bonnes pratiques susceptibles d’aider à créer un environnement sûr et favorable permettant aux journalistes d’exercer librement leur profession. Le Conseil des droits de l’homme a adopté une décision sur le sujet (A/HRC/ DEC/24/116) qui demande notamment qu’un panel sur la question de la sécurité des journalistes soit organisé lors de la 26e session du Conseil (juin 2014). Ce panel sera notamment axé sur les conclusions du rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur l’identification des problèmes et la mise au point de pratiques positives pour garan-
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tir la sécurité des journalistes par l’échange d’informations sur les initiatives prises pour les protéger.
Migrants Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier Le 10 septembre 2013, la Cour a rendu son arrêt dans l’affaire M. G., N. R. c. Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (C-383/13 PPU). En vertu de l’article 15 de la directive 2008/115 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (J.O. L 348, 24 décembre 2008, p. 98), les autorités néerlandaises ont décidé en avril 2013 de prolonger la rétention de deux ressortissants de pays tiers faisant l’objet de procédures d’éloignement. Ces derniers ont introduit un recours juridictionnel contre la décision de prolongation au motif que celle-ci entraînait une violation des droits de la défense. La décision de rejet rendue en première instance est infirmée par la juridiction d’appel qui constate une violation des droits de la défense. Néanmoins, les juges de deuxième instance ne savent pas quelles conséquences ce constat de violation doit entraîner concrètement sur la rétention. Ainsi, ils décident de demander à la Cour de justice dans le cadre de l’article 267 du TFUE si, d’une part, une violation du principe du respect des droits de la défense commise dans le cadre d’une prolongation de la rétention prévue par l’article 15, § 6 de la directive 2008/115 doit impliquer dans tous les cas la levée de la rétention et, d’autre part, s’il est possible d’avoir recours à une mise en balance des intérêts entre la gravité de la violation des droits de l’étranger et les intérêts de l’État garantis par une prolongation de la rétention. La Cour estime qu’en cas de violation des droits de la défense, il incombe au juge natio-
Actualités / News nal de vérifier si la procédure administrative en cause aurait pu aboutir à un résultat différent du fait que les ressortissants des pays tiers concernés auraient pu faire valoir des éléments de nature à justifier qu’il soit mis fin à leur rétention. Le juge national ne doit annuler la décision que si les irrégularités procédurales ont effectivement privé ceux qui les invoquent de la possibilité de mieux faire valoir leur défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
L’entrée des ressortissants turcs dans l’UE sans visa pour y bénéficier de prestations de services Le 24 septembre 2013, la Cour de justice s’est prononcée dans l’affaire Leyla Ecem Demirkan c. Bundesrepublik Deutschland (C221/11). En l’espèce, une ressortissante turque, Mlle Demirkan forme une demande de visa touristique pour se rendre en Allemagne voir son beau-père. L’ambassade d’Allemagne à Ankara lui refuse l’octroi du visa. La requérante estime qu’on ne peut lui refuser un tel visa en vertu de l’article 41, § 1er du protocole additionnel à l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie. Cet article prévoit que « les parties contractantes s’abstiennent d’introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services ». Or, la requérante soutient que l’aspect déterminant de sa visite est d’être bénéficiaire de services ; par conséquent, elle aurait droit à la délivrance du visa de tourisme demandé. Elle fait appel de la décision des juges de première instance qui ont rejeté sa demande d’annulation de la décision de refus d’octroi de visa. La juridiction d’appel sursoit à statuer et demande à la Cour de Justice si la notion de libre prestation des services au sens de l’article 41 englobe aussi la libre prestation « passive » des services c’est-à-dire la liberté pour les destinataires de services d’un État de se rendre dans un autre État pour y bénéficier d’une prestation de services.
La Cour rappelle que le droit à la libre prestation des services conféré par l’article 56 TFUE aux ressortissants des États membres, et donc aux citoyens de l’Union, inclut la libre prestation des services « passive » (pt 35). Cependant, même si les principes admis dans le cadre des articles du traité relatifs à la libre prestation des services doivent être transposés, dans la mesure du possible, aux ressortissants turcs pour éliminer entre les parties contractantes les restrictions à la libre prestation des services (pt 43), l’interprétation donnée aux dispositions du droit de l’Union, y compris celles du traité, relatives au marché intérieur, ne peut pas être automatiquement transposée à l’interprétation d’un accord conclu par l’Union avec un État tiers (pt 44). Elle estime par ailleurs qu’aucun élément n’indique que les parties contractantes à l’accord d’association et au protocole additionnel aient, lors de la signature de ceux-ci, conçu la libre prestation des services comme incluant la libre prestation des services passive (pt 60). Par conséquent, elle considère que la notion de « libre prestation des services » visée à l’article 41, § 1, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’englobe pas la liberté pour les ressortissants turcs, destinataires de services, de se rendre dans un État membre pour y bénéficier d’une prestation de service. Ainsi, dans le cadre de la libre prestation des services « passive », des restrictions supplémentaires peuvent être imposées.
Minorités / Minorities Advisory Committee opinion on Azerbaijan On 3 September 2013, the Advisory Committee on the Framework Convention for the Protection of National Minorities published its third opinion on Azerbaijan, adopted on 10 October 2012. The Advisory Committee (AC) concludes that, although Azerbaijani society is characterised by a generally open attitude towards diversity, the overall legislative framework pertain2013/5
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ing to national minorities continues to be vague. The AC specifically finds that no clear procedures or criteria for the allocation of support to national minority associations exist. The AC also finds that, despite the persistent reports of discriminatory attitudes faced by persons belonging to some minorities, there are only very few cases brought to the attention of the courts or the Office of the Ombudsperson. The AC further finds that there are strong indications that persons engaged in the protection of minority rights are targeted in criminal proceedings and accused of disloyalty. The AC finally indicates that there is no effective consultative mechanism to ensure that the concerns of national minority communities are brought to the attention of the various ministries that deal with issues of their concern.
Advisory Committee opinion on Kosovo On 10 September 2013, the Advisory Committee on the Framework Convention for the Protection of National Minorities published its third opinion on Kosovo, adopted on 6 March 2013. The Advisory Committee (AC) concludes that progress on the implementation of the FCNM in Kosovo remains sporadic and is due mainly to the commitment and initiative of individuals or civil society and often supported by the international community. The AC recommends that more concerted central coordination, guidance, and support be taken to expand and institutionalise the achievements that have been made. The AC specifically states that voluntary return has decreased and remains impossible in some areas because of persisting security concerns. The AC moreover concludes that there is, in Kosovo, a negative trend towards nationalism and the creation of a homogeneous society, particularly in the urban centres and among youth, with limited tolerance for minority languages, cultures, traditions and identities.
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Nations Unies / United Nations 24e session du Conseil des droits de l’homme La 24e session du Conseil des droits de l’homme a eu lieu à Genève du 9 au 27 septembre 2013. Durant cette session, un Représentant spécial du Secrétaire général ainsi que onze rapporteurs spéciaux et experts indépendants ont présenté leur rapport sur des situations thématiques ou pays (enfants dans les conflits armés ; mercenaires ; ordre international équitable ; droit à l’eau ; esclavage ; peuples autochtones ; déchets toxiques et dangereux ; vérité, justice et réparation ; personnes d’ascendance africaine ; Cambodge ; Somalie ; Soudan). Ces experts ont également présenté les rapports de leurs visites dans les pays suivants : El Salvador, Honduras, Hongrie, Kazakhstan, Kiribati, Madagascar, Namibie, Panama, Royaume-Uni, Somalie, Thaïlande, Tunisie et Tuvalu. Le Conseil des droits de l’homme a également examiné la situation des droits de l’homme en Syrie. La Commission d’Enquête sur la situation des droits de l’homme en République arabe syrienne a présenté un rapport actualisé (A/HRC/24/46). Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays a également présenté un rapport sur la situation des personnes déplacées en Syrie (A/67/931). Le Conseil a eu un dialogue interactif avec le Président de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en République démocratique et populaire de Corée. Il a également tenu un dialogue de haut niveau sur la Somalie et un dialogue interactif sur la République centrafricaine. Le Conseil a également adopté trente-cinq résolutions thématiques ou pays, quatre décisions et une déclaration présidentielle. Ces résolutions traitent notamment des gouvernements locaux, des droits d’association et de rassemblement pacifique, du droit à la
Actualités / News santé, de la participation politique, des populations autochtones, de l’administration de la justice, de la mortalité infantile, de l’objection de conscience, du champ d’action de la société civile, de l’albinisme et des transferts d’armes. Plusieurs résolutions traitent de la situation des droits de l’homme dans des pays spécifiques : Cambodge, République arabe syrienne, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Somalie, Soudan, Yémen. Le Conseil a adopté les conclusions sur l’Examen périodique universel des pays suivants : Allemagne, Azerbaïdjan, Bangladesh, Burkina Faso, Cameroun, Canada, Cap Vert, Colombie, Cuba, Djibouti, Ouzbékistan, Russie, Turkménistan et Tuvalu.
Le Conseil des droits de l’homme demande au Secrétaire général de désigner un point focal principal sur la question des représailles contre ceux qui coopèrent avec les Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme Le rapport annuel du Secrétaire général sur le sujet a été présenté au Conseil (A/ HRC/24/29). Il contient plusieurs allégations de représailles ainsi que des informations sur des cas présentés dans les rapports précédents. Cette question a également fait l’objet d’une résolution déposée par la Hongrie (A/HRC/RES/24/24) et qui demande entre autres au Secrétaire général, en coopération avec la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, de désigner pour l’ensemble du système des Nations Unies un point focal principal sur la question des représailles et intimidations contre ceux qui coopèrent avec les Nations Unies en matière de droits de l’homme. Sa mission sera notamment de mobiliser toutes les parties prenantes aux fins d’encourager la prévention des actes de représailles et d’intimidation auxquels expose la coopération avec les Nations Unies, et la protection contre de tels actes.
Le Conseil des droits de l’homme crée de nouveaux mandats Lors de sa 24e session, le Conseil des droits de l’homme a créé deux nouveaux mandats : celui d’Expert indépendant chargé de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme (voy. résolution A/HRC/RES/24/20) et celui d’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en République centrafricaine (voy. résolution A/HRC/RES/24/34). Le Comité des droits de l’homme s’est réuni du 8 au 26 juillet 2013 Le Comité des droits de l’homme a tenu sa 108e session en juillet 2013. Il a examiné la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en Albanie, Finlande, Indonésie, République tchèque, Tadjikistan et Ukraine. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes s’est réuni du 8 au 26 juillet 2013 Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a tenu sa 55e session en juillet. Il a examiné la mise en œuvre de la Convention qui y est relative en Afghanistan, Bosnie Herzégovine, Cap Vert, Cuba, République Démocratique du Congo, République Dominicaine, Royaume-Uni et Serbie. Le Comité a adopté des déclarations sur le rôle des femmes dans le processus de transition politique en Egypte, Libye et Tunisie et sur une coopération renforcée avec UN-Women. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est réuni du 12 au 30 août 2013 Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a tenu sa 83e session en août à Genève. Il a examiné les rapports du Belarus, Burkina Faso, Chili, Chypre, Jamaïque, Suède, Tchad et Venezuela. Le Comité a également adopté la recomman2013/5
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dation générale 35 portant sur le discours de haine raciste (CERD/C/GC/35). Le Comité des droits des personnes handicapées s’est réuni du 2 au 13 septembre 2013 Le Comité des droits des personnes handicapées a tenu sa 10e session en septembre. Ses membres ont examiné la mise en œuvre de la Convention qui y est relative en Australie, Autriche et au El Salvador. Le Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et membres de leur famille s’est réuni du 9 au 13 septembre 2013 Le Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et membres de leur famille a tenu sa 19e session en septembre. Il a examiné la mise en œuvre de la Convention au Burkina Faso et au Maroc. Le Comité des droits de l’enfant s’est réuni du 16 septembre au 4 octobre 2013 Le Comité des droits de l’enfant s’est réuni du 16 septembre au 4 octobre et a examiné la mise en œuvre de la Convention et de ses protocoles facultatifs en Chine, au Koweït, en Lituanie, au Luxembourg, en Moldavie, à Monaco, au Paraguay, à Sao Tomé et Principe et à Tuvalu.
Organisation des États américains / Organization of American States Entrée en vigueur de la dénonciation de la Convention américaine des droits de l’homme par le Venezuela Conformément au libellé de l’article 78, § 1 de la Convention américaine des droits de l’homme, la dénonciation par le Venezuela du « Pacte de San José » (i.e., la Convention américaine) a pris effet le 10 septembre 2013, soit un an après son annonce. Si à partir de cette date, la Cour interaméri-
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caine n’est plus compétente pour examiner des atteintes à la Convention par cet État, elle le demeure toutefois pour tout type de violation ayant été commise avant celle-ci. Après Trinité et Tobago, il s’agit du deuxième État membre de l’OEA à avoir dénoncé la Convention américaine. Le Venezuela reste toutefois lié par les obligations générales qui découlent de la Charte de l’OEA : il se trouve donc toujours sous le contrôle de la Commission interaméricaine des droits de l’homme qui évalue le respect par les États parties à l’OEA, non seulement de la Déclaration américaine des droits de l’homme du 2 mai 1948, mais également de la Convention américaine.
Obligation des États de comparaître aux audiences de contrôle de l’exécution des arrêts Le 22 août 2013, par une résolution relative au contrôle de l’exécution de l’arrêt Yatama c. Nicaragua du 23 juin 2005 (série C no 127), la Cour interaméricaine mit en évidence, inter alia, la non-comparution à l’audience privée du 28 mai 2013 de l’État défendeur, comme l’absence de toute observation aux allégations présentées par la Commission interaméricaine et par les représentants des victimes. La Cour a rappelé de façon solennelle l’importance que l’Assemblée générale de l’OEA attribue aux audiences (publiques et/ou privées) de contrôle de l’exécution des arrêts comme le caractère obligatoire de la présence des États à celles-ci. Une non-comparution constitue en effet un manquement au devoir des États d’informer la Cour sur la mise en œuvre des arrêts.
Entrée en vigueur du nouveau Règlement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme Le nouveau Règlement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme est entré en vigueur le 1er août 2013 (après
Actualités / News avoir été adopté par la Résolution no 1/2013 du 18 mars 2013, publiée le 19 mars 2013). Ce projet de réforme – conformément aux souhaits de la Commission interaméricaine – a pris en compte les suggestions présentées par la société civile – celles des ONG, des universités, des victimes de violations des droits de l’homme etc. – ainsi que des recommandations du Groupe de travail, institué le 20 juin 2011, par le Conseil Permanent de l’Organisation des États Américains (OEA), qui avait pour but le renforcement de l’efficacité du système Interaméricain des Droits de l’Homme (nommé « Groupe de travail spécial d’analyse du fonctionnement de la CIDH »).
tions, à savoir l’inertie du requérant qui est considérée comme la preuve de son absence d’intérêt pour la poursuite de la procédure (article 42) ; 5) la définition des hypothèses de suspension du temps d’analyse des pétitions par la Commission IDH (3 mois, selon l’article 51.1 de la Convention américaine) (article 46) ; 6) la définition des critères pour la demande des mesures d’urgence par la Commission auprès de la Cour interaméricaine (article 76) ; 7) l’exigence d’une consultation publique en tant que condition préalable pour la réalisation des modifications futures sur le Règlement de la Commission interaméricaine.
Le nouveau règlement contient des modifications concernant cinq domaines différents : 1) les pétitions individuelles ; 2) les mesures conservatoires ; 3) le contrôle de l’exécution des règles du système interaméricain des droits de l’homme ; 4) la promotion et l’universalité des droits de l’homme ; 5) d’autres aspects plus généraux concernant le renforcement du Système Interaméricain des Droits de l’Homme.
La Commission interaméricaine ordonne au Gouvernement des États-Unis d’Amérique de suspendre l’exécution d’un détenu
Dans cette perspective, la réforme a concerné les articles 25, 28, 29, 30, 36, 37, 42, 44, 46, 59, 72, 76 et 79 du règlement. Parmi ces modifications, il faut mettre en avant les suivantes : 1) la définition des critères pour l’octroi de mesures conservatoires demandées par la Commission aux États (article 28) ; 2) l’augmentation du délai pour que l’État mis en cause puisse présenter sa contestation à la pétition de l’intéressé (de 2 mois il passe à 3 mois) (article 30) ; 3) la définition des hypothèses dans lesquelles la Commission pourra différer l’analyse de la recevabilité de la pétition individuelle jusqu’au moment de l’analyse du fond de la pétition (article 36) ; 4) l’augmentation du délai de 3 mois à 4 mois pour que les parties puissent présenter leurs considérations finales sur le fond (article 37) ; 5) la création d’un nouveau cas de figure de classement sans suite des péti-
Le 16 août 2013, la Commission interaméricaine accéda à la demande de mesures conservatoires présentées par l’Association des Avocats Humanitaires (The Association of Humanitarian Lawyers) en faveur de Robert Gene Garza. Ressortissant des États-Unis d’Amérique, condamné à la peine capitale dans l’État du Texas (EUA), l’Association demande une suspension de l’exécution de la peine capitale à son encontre. Dans la pétition présentée à la Commission, l’Association allégua la violation par les États-Unis d’Amérique des articles I (Droit à la vie), II (Droit d’égalité devant la loi), XVII (Droit à la reconnaissance de la personnalité juridique), XVIII (Droit à la justice) et XXVI (Droit au procès juste) de la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l’Homme du 2 mai 1948. Selon l’Association, Robert Gene Garza, arrêté le 24 janvier 2003 et détenu dans l’Unité Polansky de Livingston, au Texas, n’a pas été interrogé en présence d’un avocat spécialisé mais seulement en présence d’un avocat nommé par l’État (Court-appointed lawyer), et ce, malgré sa condition de per2013/5
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Actualités / News
sonne porteuse d’une maladie mentale, le Trouble de Déficit d’Attention avec Hyperactivité (TDAH). La Commission interaméricaine s’est tout d’abord reconnue compétente pour examiner une telle mesure conservatoire. En effet, selon les articles 18 du Statut et 25 du Règlement de la Commission, sa mission consiste à faire respecter les obligations découlant des droits de l’homme prévues dans la Charte de la OEA et, dans les cas des États membres n’ayant pas ratifié la Convention américaine des droits de l’Homme, les obligations prévues par la Déclaration des droits et des devoirs de l’Homme. Sur le fond, la Commission reconnût la présence des conditions préalables pour l’octroi de la mesure conservatoire demandée, c’est-à-dire la gravité, l’urgence et le caractère irréparable des dommages qui pourraient découler de l’action étatique contestée. Par conséquent, la Commission décida de demander au Gouvernement des États Unis qu’il s’abstienne d’exécuter Robert Gene Gaza jusqu’à qu’elle se soit prononcée sur le fond de la pétition individuelle présentée en faveur de celui-ci.
Peuples autochtones / Indigenous peoples James Anaya, le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, a présenté son dernier rapport au Conseil des droits de l’homme Le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones a présenté son dernier rapport au Conseil des droits de l’homme (voy. A/HRC/24/41). Ce rapport traite des préoccupations en matière de droits de l’homme des peuples autochtones en relation avec les industries extractives. Le Rapporteur a également partagé avec le Conseil un index de tous les rapports qu’il a présentés depuis le début de son mandat.
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Le première partie de cet index est organisée par thèmes et la seconde par région (A/ HRC/24/41/Add.5).
Contrôle par la Cour interaméricaine des droits de l’homme de l’exécution de l’arrêt Peuple Saramaka Le 4 septembre 2013, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a émis la deuxième résolution de contrôle concernant l’exécution de l’arrêt Peuple Saramaka c. Suriname du 28 novembre 2007 (série C no 172). Cette résolution répond également à une demande d’octroi en urgence de mesures provisoires formulée par les requérants. Si la Cour a refusé la demande de mesures provisoires comme tel (§ 1), elle a cependant ordonné à l’État de fournir au plus tard le 25 octobre 2013 un rapport détaillé sur l’octroi supposé d’une concession minière favorisant l’entreprise IAMGold sur le territoire du Peuple Saramaka (§ 3). Ledit rapport devra notamment indiquer : 1) le contenu et la portée de ladite concession étatique, 2) les preuves de l’éventuelle consultation préalable du Peuple Saramaka concernant ladite concession, 3) l’existence d’études préalables d’impact environnemental et social, et, le cas échéant 4) les bénéfices découlant dudit projet pour le Peuple Saramaka (§ 25).
Procès équitable / Fair trial Milen Kostov v. Bulgaria The European Court of Human Rights issued its judgment in the case of Milen Kostov v. Bulgaria (Application no. 40026/07) on 3 September 2013. The case concerned a travel ban imposed on a convicted and not yet rehabilitated offender. The Court found a violation of Article 2 of Protocol No. 4 of the ECHR. In imposing the ban, the Court held, the Bulgarian authorities only considered the applicant’s conviction and his lack of rehabilitation but not his individ-
Actualités / News ual situation or the proportionality of the measure. The Court also found a violation of Article 13 ECHR in conjunction with Article 2 of Protocol No. 4. Though Bulgarian law provided for the possibility of seeking judicial review of a measure ordering the prohibition to leave the country, the Supreme Administrative Court was only concerned with the formal lawfulness of the ban. The Court recalled that domestic appeals cannot be considered effective under the Convention, unless they provide the possibility of dealing with the substance of an arguable complaint and of granting appropriate relief.
Xenophobia and anti-Europeanism go hand in hand in many Council of Europe member states Xenophobia and anti-Europeanism seem to go hand in hand in many countries across the European continent, stressed experts at a hearing on counteraction to manifestations of neo-Nazism and xenophobia, organised by the PACE Political Affairs Committee in Paris on 4 September. Whereas previously parties with xenophobic, racist and anti-semitic programmes were only able to gain a small proportion of votes, they have now managed to get into parliaments, committee members stressed. They agreed that the resurgence of manifestations of neo-Nazism and xenophobia finds its roots in the economic crisis, particularly in rising levels of unemployment and problems linked to migration and inter-ethnic conflicts. A report by Marietta de Pourbaix-Lundin (Sweden, EPP/CD) should analyse and evaluate existing concepts for combating right-wing extremism and deliberate on stronger countermeasures, including the question of how the Council of Europe and the Assembly should behave towards members of such parties.
Santé / Health Ümit Bilgiç v. Turkey On 3 September 2013, the European Court of Human Rights delivered its judgment in the case of Ümit Bilgiç v. Turkey (Application no. 22398/05). The case concerned the applicant’s compulsory admission to psychiatric hospitals and the proceedings brought against him for contempt of court. The Court first found that the placement of the applicant at a psychiatric hospital in January 2003 lacked a legal basis and was therefore contrary to Article 5 § 1 ECHR. It had not been established that the applicant suffered from a mental disorder requiring treatment or that he posed a threat to society. The Court recalled that, given its potential effects on the psychological and physical wellbeing of the person affected, confinement in psychiatric hospitals must be accompanied by specific procedural and material safeguards suited to this type of deprivation of liberty. The Court also found a violation of Article 10 ECHR. It noted that the applicant’s accusations against the domestic judges were not brought to the attention of the public and that their effect on the public confidence in justice remained therefore limited. The Court concluded that the measures taken against the applicant, including his pre-trial detention and confinement, were a disproportionate interference contrary to Article 10 ECHR.
Terrorisme / Terrorism Gel des fonds : mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran Le 6 septembre 2013, le Tribunal a rendu un arrêt dans l’affaire Naser Bateni (T42/12 et T-181/12), concernant la licéité de mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire. L’affaire est principalement intéressante en ce qui concerne la définition de l’intensité du contrôle juridictionnel. En effet, le Conseil avait tenté de 2013/5
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Actualités / News
faire valoir une distinction entre le contrôle entier appliqué aux mesures restrictives en matière de lutte contre le terrorisme et un contrôle restreint appliqué aux mesures restrictives en matière de lutte contre la prolifération nucléaire. Le Tribunal rejette la proposition du Conseil en notant qu’« eu égard à leur nature et à leur gravité identiques, et compte tenu des objectifs similaires de sécurité internationale poursuivis par ces différentes mesures restrictives, rien ne justifie d’appliquer un standard de contrôle juridictionnel distinct » (pt 40). Soulignant que des arguments fondés sur la seule efficacité ne sauraient être décisifs dans une Union de droit, le Tribunal distingue entre le contrôle restreint appliqué notamment aux règles générales relatives à l’adoption des mesures restrictives et à leur opportunité, et le contrôle juridictionnel de la légalité de l’inscription litigieuse, lequel couvre tant l’appréciation des faits et circonstances que la vérification des éléments de preuve. En l’espèce, le Tribunal conclut à l’annulation des mesures visant le requérant en tant qu’elles découlent d’une erreur manifeste d’appréciation du Conseil.
Gel des fonds : mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie Le 13 septembre 2013, le Tribunal a rendu un arrêt dans l’affaire Issam Ambouba (T592/11), concernant la licéité de mesures prises à l’encontre de la Syrie. Le requérant invoquait notamment un renversement de la charge de la preuve, dans la mesure où le Conseil avait déduit de sa seule qualité d’homme d’affaires faisant partie de la classe économique dirigeante en Syrie qu’il apportait un soutien économique au régime syrien. Le Tribunal néanmoins conforte la présomption édictée par le Conseil, dès lors que « compte tenu de la nature autoritaire du régime syrien et du contrôle étroit exercé par l’État sur l’économie syrienne, le Conseil pouvait considérer, à juste titre, comme constituant une règle d’expérience commune le fait que les activités de l’un
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des principaux hommes d’affaires de Syrie […] n’avaient pas pu prospérer à moins que celui-ci n’ait bénéficié des faveurs dudit régime et lui ait apporté en retour un certain soutien » (pt 48). Par ailleurs, la présomption est validée en tant qu’elle était proportionnée aux objectifs poursuivis, avait un caractère réfragable et respectait les droits de la défense du fait de l’encadrement par l’obligation de motivation de la décision et du droit de relever des éléments militant pour l’abandon des mesures restrictives. Après avoir examiné les preuves apportées par le requérant et constaté l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de lacunes quant à la motivation de la décision, le Tribunal rejette le recours.
Torture et mauvais traitements / Torture and illtreatment Horshill v. Greece On 1 August 2013, the European Court of Human Rights delivered its judgment in the case of Horshill v. Greece (Application no. 70427/11). The case concerned the placement in detention of an asylum seeker, for fifteen days, in two police stations. The Court found a violation of Article 3 ECHR. The applicant suffered from overcrowding conditions for four days. In addition, the Court noted that the cells in one of the police stations was located in the basement and were thus devoid of natural light. The Court also observed that, in both police stations, the cells did not have showers and that detainees were unable to walk outside or take part in physical activity. The Court recalled that police stations are not appropriate premises for the detention of people awaiting the application of administrative measures.
Actualités / News Union européenne / European Union
L. Burgorgue-Larsen (Sorbonne Law School, Paris I, France).
Accountability for maladministration in the activities of Common Security and Defence Policy missions
The Recent Developments concerning the OAS and the Inter-American System on Human Rights were compiled by Rosmerlin Estupiñan Silva, Juana Maria Ibañez Rivas, Nicolás Montoya Céspedes and Ruitemberg Pereira, working under the supervision of prof. L. Burgorgue-Larsen (Sorbonne Law School, Paris I, France).
On 30 August, the Ombudsman issued his Decision OI/12/2010/(BEH)MMN concerning the accountability for maladministration in the activities of civilian and military missions in the context of the Common Security and Defence Policy. The Ombudsman own-initiative inquiry confirms the uncertainties as to the authority competent to remedy instances of maladministration. The Commission as well as the Council insisted on their incompetence, the Commission’s role being limited to the supervision of budget of civilian missions, whereas the Council plainly referred to the High Representative’s competence. The High Representative, while not considering herself legally responsible for missions that are not conducted under her authority, nonetheless vowed to keep track of the individual complaints lodged with the Ombudsman and provide him with the relevant elements of response. Although regretting the authorities’ refusal to recognize accountability on principle, the Ombudsman accepts the High Representative’s proposal. The Ombudsman concludes his inquiry by noting that this solution, while doubtlessly ensuring the effectiveness of the right to complain to the Ombudsman protected by Article 43 of the Charter of Fundamental Rights, could remain problematic regarding the right to good administration protected by Article 41 of the Charter if the arrangement reveals itself to be unsatisfactory in practice.
The Recent Developments concerning the Council of Europe were compiled by Yaiza Janssens, Laurens Lavrysen, Lourdes Peroni and Stijn Smet, working under the supervision of prof. Eva Brems, Ghent University (Belgium). The Recent Developments concerning the United Nations were compiled by Nathalie Rondeux, from the Office of the High Commissioner for Human Rights (Geneva) : the views expressed are those of the author and do not necessarily reflect the views of the United Nations.
The Recent Developments concerning the European Union (EU) were compiled by Pierre-Vincent Astresses, Antal Berkes, Véronique Bruck, Chervine Oftadeh and Aline Veloso, working under the supervision of prof. 2013/5
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JEDH | EJHR
n° 5 | décembre 2013 Rédacteur en chef | Editor in chief Olivier De Schutter
741 Dossier
741 Dossier
804 Article
804 Article
Droits de l’homme et politiques d’activation des personnes sans emploi Que peuvent les droits de l’homme face aux politiques de retour à l’emploi autoritaires ? . 741 Les politiques d’activation des personnes sans emploi et la jurisprudence internationale relative à l’interdiction du travail forcé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 746 Droit au travail et responsabilité individuelle dans les États sociaux contemporains. Une analyse en termes de capabilités des politiques d’activation des personnes sans emploi . . . . . . . . . . . . . . . . . . 777 - Obligations extraterritoriales des droits de l’homme : Bilan et Perspectives . . . . . . . 804 - La socialisation de la notion de handicap en droit de la non-discrimination . . . . . . . 836
- Extraterritorial Human Rights Obligations : Taking Stock, Looking Forward . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 804 - Socialising of the notion of disability in non-discrimination law . . . . . . . . . . . . . . 836
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- Asile et immigration . . . . . . . . . . . . . . . . . . 859 - Vie privée et familiale . . . . . . . . . . . . . . . . . 882
ISSN : 2294-9313
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Human Rights and Activation Policies for the Unemployed What Can Human Rights Do About Coercive Welfare-to-Work Policies ? . . . . . . . 741 Activation Policies for the Unemployed and the International Human Rights Case Law on the Prohibition of Forced Labour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 746 Right to work and individual responsibility in contemporary Welfare States. A capability approach to activation policies for the unemployed . . . . . . . . . . . . . 777
- Asylum and immigration . . . . . . . . . . . . . . 859 - Private and family life . . . . . . . . . . . . . . . . . 882
D/2013/0031/540 JEDH-N.13/5 ISBN : 978-2-8044-6986-3
16/12/13 13:28