RISF 2016/2

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Sommaire

Numéro 2016/2 SOMMAIRE

Éditorial Quel contrôle pour le droit souple émis en matière bancaire et financière ?. . . . . . . . . . 3 Pauline Pailler

Réflexions sur l’application du régime du crédit immobilier aux personnes morales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 Côme Chombart de Lauwe De l’encadrement des contrats de prêt en droit de l’Union européenne . . . . . . . . . . . . 68 Mathieu Combet

B. Régulation comparée

Chroniques

Régulation bancaire dans la CEMAC. . . . . . . . 72 Pr. Alain Kenmogne Simo

I. Régulation financière A. Régulation européenne An overview of the Securities Financing Transactions Regulation (SFTR): a new regulatory framework to enhance transparency in financial markets . . . . . . . . . . 9 Nicolas Spitz et Jean-­Jerry Anty

C. Régulation internationale Le gel des avoirs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Julien Martinet, Marion Chazeau, Igor Krasovkiy et Dr. Balázs Kutasi

III. Régulation assurantielle

MiFID II: the new revolution . . . . . . . . . . . . . . 16 Dr. Adina Onofrei

A. Régulation européenne

B. Régulation comparée

B. Régulation comparée

Belgium: Marketing of Financial Products to Retail Investors: Belgian Financial Services and Markets Authority Issues Guidance on New Rules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Ysabelle Vuillard

Le marché brésilien de la réassurance face aux acteurs étrangers . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 José Gabriel Assis de Almeida et Mickael Viglino

Vers une nouvelle conception de régulation financière aux Émirats arabes unis – Commentaire du projet de loi relatif à la SCA émiratie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 Nasser Wahbi

Actualités du droit panaméen. . . . . . . . . . . . . . 88 Miguel Montiel La liquidation légale des institutions d’assurance au Mexique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Rafael Ibarra Garza

Retrait des actionnaires en France, en Roumanie et aux États-­Unis. . . . . . . . . . . . . 37 Mihaela Gherghe, Raluca Papadima et Radu Valeanu

C. Régulation internationale

II. Régulation bancaire

A. Stabilité du marché

A. Régulation européenne

B. Intégrité du marché

Le Livre vert sur les services financiers de détail. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 Anne-­Claire Rouaud

La loi suisse sur le blocage et la restitution des avoirs illicites . . . . . . . . . . 96 Aurélia Rappo

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IV. Régulation intersectorielle

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Sommaire

Les obligations de diligence des intermédiaires financiers dans le cadre de relations d’affaires avec des personnes politiquement exposées ; et la transposition des listes de sanction de l’ONU. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Stephan Stadler

B. Fiscalité indirecte

Perspective canadienne sur l’éducation financière. . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Ivan Tchotourian

C. Fiscalité comparée

La notion d’assurance appliquée aux prestations de services de règlements des sinistres réalisées au nom et pour le compte d’un assureur . . . . 123 Sabrina Le Normand-­Caillere

Paying Taxes 2016: France is on the rise. . . . . 127 Georges Cavalier

V. Fiscalité des services financiers A. Fiscalité directe Liberté d’établissement, secret bancaire et efficacité du contrôle fiscal : une articulation délicate. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Régis Vabres

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Éditorial

Quel contrôle pour le droit souple émis en matière bancaire et financière ?

Pauline Pailler

Professeur à l’Université de Reims

La question du contrôle du droit souple émis par les autorités de régulation en matière de services financiers et, au-­delà, dans toutes les sphères de régulation, constitue un enjeu crucial. Un enjeu dans les différents États membres de l’Union européenne mais également au niveau des institutions européennes. Si les instruments de droit souple répondent aux objectifs de souplesse, de réactivité et d’efficacité, ils sont émis par les autorités de régulation en marge du processus d’élaboration classique de la norme ; pendant longtemps, cette source atypique leur permettait d’échapper aux contrôles classiques mais cette période semble révolue. En France, le Conseil d’État, par deux arrêts importants du 21 mars 2016 concernant les secteurs des services financiers et de la concurrence, a opéré une petite révolution (1). La Haute juridiction administrative française ouvre en effet à l’encontre des actes de droit souple le recours pour excès de pouvoir, jugeant que « les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir (…) lorsqu’ils sont de nature 1. C.E., 21 mars 2016, n° 368082, Société Fairvesta, Dr. sociétés, 2016, comm. 108, note R. Vabres ; R.D.B.F., 2016, note P. Pailler, à paraître ; C.E., 21 mars 2016, n° 390023, Numericable, Contrats, conc. consomm., 2016, comm. 125, note D. Bosco. Adde S. Von Coaster, V. Daumas, « Le Conseil d’État accepte de se saisir d’actes de “droit souple” », Dr. adm., comm. 20 ; L. Dutheillet de Lamothe, G. Odinet, « Un recours souple pour le droit souple », AJDA, 2016, p. 717. 2016/2

à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent ». L’ensemble du droit souple émis par les autorités de régulation peut donc être soumis au contrôle du juge étatique par la voie du recours pour excès de pouvoir. Cette avancée n’est pas négligeable. Le droit européen, qui use également des instruments de droit souple, s’expose aux mêmes débats. La décision du Tribunal de l’Union européenne du 4 mars 2015, Royaume-­Uni contre Banque centrale européenne (BCE), évoque précisément cette question (2). En l’espèce, le Royaume-­Uni reprochait à la BCE d’avoir excédé son pouvoir réglementaire en imposant aux contreparties centrales, dans le cadre de surveillance de l’Eurosystème, la localisation dans la zone euro. La BCE invoquait pour se défendre que l’acte, qui concernait le cadre de surveillance de l’Eurosystème, ne pouvait faire l’objet d’un recours dès lors qu’il était dépourvu d’effet de droit. Le Tribunal juge pourtant le recours recevable sur le fondement de trois critères : la perception qu’avaient ses destinataires de la nature obligatoire de l’acte, la modification de l’ordre juridique existant opérée par l’acte, ainsi que l’intention de la BCE, qui n’accomplit pas ici un acte préparatoire à un acte ultérieur. Une fois ces critères remplis, il s’agit donc d’attraire l’acte de soft law dans la catégorie des actes décisoires afin de reconnaître à leur encontre un recours. Le Conseil d’État français va plus loin en jugeant recevable un tel recours dès lors que l’acte est émis par une autorité de régulation et qu’il produit des effets notables, notamment économiques, ou qu’il a pour objet de modifier le comportement de ses destinataires : il fait le choix du pragmatisme et décide qu’il 2. Trib. UE, 4 mars 2015, Royaume-­ Uni de Grande-­ Bretagne et d’Irlande du Nord c. Banque centrale européenne, aff. T-­496/11, spéc. points 27 à 68, R.D.B.F., 2015, comm. 109, note T. Bonneau ; Europe, 2015, étude 5, note D. Simon.

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Éditorial

Éditorial

n’est plus nécessaire, dans cette configuration, d’apporter la preuve du caractère décisoire de l’acte, qui sera contrôlé à la seule condition que, concrètement, il fasse grief. Au-­delà, dès lors que le recours est admis et que l’illégalité de l’acte est caractérisée (3), se pose la question de l’indemnisation. Un acte de droit souple peut-­il, s’il a fait grief, entraîner la responsabilité de l’autorité de régulation qui l’émet ? Le Conseil d’État français l’écarte en l’espèce dès lors que la légalité de l’acte n’est pas discutée ; cependant, cette question est essentielle. En effet, la seule annulation d’une norme de droit souple peut apparaître très insuffisante, dès lors qu’elle s’apprécie au regard de ses effets et que ses effets se seront par construction déjà produits. Par conséquent, la responsabilité de l’auteur de l’acte s’avère un enjeu d’importance. En droit français, la responsabilité de l’autorité de régulation peut être recherchée, sous réserve toutefois d’apporter la preuve

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Ce qui n’a pas été le cas dans les décisions du Conseil d’État du 21 mars 2016.

d’une faute lourde (4), qui ne pourra que très rarement être établie. Les modalités de mise en œuvre de la responsabilité des autorités de régulation, dont la portée risque de prendre de l’ampleur dans ce contexte d’élargissement du contrôle juridictionnel dont elles font l’objet, suscitent le débat. En France, mais également au-­delà, comme en témoigne la consultation mise en place en février 2016 au Royaume-­Uni par la Financial Conduct Authority, la Bank of England et la Prudential Regulation Authority (5). L’actualité du contrôle juridictionnel du droit souple émis par les autorités de régulation en matière financière devrait être riche dans les années à venir, à l’image du pouvoir qui leur a progressivement été reconnu dans l’élaboration de ce droit. Si le pragmatisme de la régulation implique légitimement un certain pragmatisme du juge, la question est maintenant de savoir quels seront les contours de ce contrôle. 4. Voy. par ex., pour la Commission bancaire, C.E., 30 novembre 2001, n° 219562, Kenichian. 5. « CP 16/6 : Complaints against regulators », www.fca. org.uk/news/consultation-­papers/cp16‑06-­complaints-­ against-­the-­regulators.

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Chroniques



I. Régulation financière Chronique sous la direction de Katrin Deckert

Maître de conférences à l’Université de Paris Ouest La Défense

&

Anastasia Sotiropoulou

Professeur de droit privé à l’Université de Saint-­Étienne

Avec la collaboration de

Jean-­Jerry Anty

&

Mihaela Gherghe

Dr. Adina Onofrei

&

Raluca Papadima

Nicolas Spitz

&

Radu Valeanu

Ysabelle Vuillard

&

Nasser Wahbi

Avocat au barreau de Paris, Spitz & Poulle AARPI

Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Spitz & Poulle AARPI Attorney, Dechert LLP

Avocate, membre du barreau de Bucarest

Avocate, membre des barreaux de Paris, New York et Bucarest Avocat, membre du barreau de Bucarest

Docteur en droit de l’Université Panthéon Assas

Les régulateurs nationaux et européens continuent de procéder, à un rythme de plus en plus soutenu, à l’actualisation, la modernisation et l’adaptation des règles applicables aux marchés financiers et leurs acteurs. En témoignent les cinq contributions de cette chronique. Elles traitent respectivement, d’abord, dans une perspective européenne, le règlement relatif à la transparence des opérations de financement sur titres et la révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers, et ensuite, dans une perspective comparée, le retrait des actionnaires en Roumanie, en France et aux États-­Unis, les nouvelles règles applicables au marketing des produits financiers en Belgique et la réforme du système de régulation financière aux Émirats arabes. 1. Les risques liés aux opérations de financement sur titres et à la réutilisation de garanties (reuse of collateral) sur les marchés financiers ne sont pas nouveaux mais la volonté des autorités de régulation d’encadrer ces activités s’est renforcée à la suite de la crise financière de 2007‑2008, qui a mis en lumière les difficultés systémiques pouvant résulter de ces opérations. Au sein de l’Union européenne, cette volonté s’est traduite par l’adoption du règlement relatif à la transparence des opérations de financement sur titres (SFTR). Élaboré dans le cadre du plan de la Commission européenne sur le « shadow banking », SFTR vise à améliorer la transparence des opérations de financement sur titres et des opérations impliquant la réutilisation de garanties sur les marchés financiers. Cet article offre un aperçu général des principales dispositions de SFTR, aborde ses impacts potentiels pour les acteurs de marché et analyse, enfin, la façon dont SFTR participe à l’amélioration de la transparence sur les marchés financiers. 2. La révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers (directive MIF) a mené à l’adoption d’un nouveau cadre réglementaire (MIF II), pour lequel les mesures d’application sont en train d’être élaborées. Les règles de la MIF II encadrent les nouvelles méthodes et pratiques de négociation, augmentent la transparence de marché et la protection des investisseurs et donnent pouvoir aux autorités de surveillance pour répondre aux défis issus d’une infrastructure de marché plus complexe. 2016/2

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Chroniques

I. Régulation financière

3. La question des droits légaux de retrait des actionnaires n’a pas attiré l’attention particulière de la doctrine ou des professionnels en France. Pourtant, ils sont désormais l’objet de débats enflammés aux États-­Unis comme en Roumanie et sont utilisés de plus en plus fréquemment. Aux États-­Unis, cet engouement résulte du fait que certains fonds d’investissements ont découvert comment exploiter de manière profitable ces droits légaux de retrait. Quant à la Roumanie, la dissolution du marché boursier Rasdaq a eu pour conséquence de rendre applicables ces droits légaux de retrait à des centaines de sociétés. Ce contexte s’avère opportun pour une analyse comparative des droits légaux de retrait des actionnaires en France, en Roumanie et aux États-­Unis. Le choix de ces pays a été effectué non seulement en raison d’une affinité sentimentale mais aussi parce qu’ils représentent des extrêmes par rapport à la France en ce qui concerne la puissance des marchés financiers. 4. La circulaire de la FSMA du 27 octobre 2015 commente de manière détaillée les règles récemment modifiées qui trouvent à s’appliquer au matériel publicitaire utilisé dans le cadre de la commercialisation de produits financiers auprès de clients non professionnels belges. Ces nouvelles règles furent introduites par le dénommé « arrêté royal transversal ». Ces règles s’appliquent au marketing de tout produit financier en Belgique. Tout matériel publicitaire doit satisfaire à un certain nombre d’exigences générales et inclure des informations minimales. Des règles spécifiques concernant les performances passées et futures, les récompenses, notations et comparaisons doivent être respectées. Le commentaire des règles qui s’appliquent spécifiquement aux documents marketing diffusés lors de la commercialisation de parts d’organismes de placement collectif fait l’objet d’une annexe à la circulaire. 5. Dans une région où la régulation devient de plus en plus un élément essentiel de la compétitivité économique, les Émirats arabes unis envisagent de réformer leur système de régulation financière. La philosophie de cette réforme repose sur la mise en place d’un nouveau statut juridique du régulateur financier avec des moyens d’action largement accrus. La régulation entreprise consiste à mettre en place une approche fonctionnelle globale allant de la prévention à la résolution des différends en passant par la répression.

European and national regulators continue, at an increasingly sustained pace, to update, modernize and adapt the rules related to financial markets and their participants, as shown by the five contributions to this chronicle. They deal respectively, first, from a European perspective, with the Regulation on the transparency of securities financing transactions and the revision of the Directive on markets in financial instruments, and second, in a comparative perspective, with the exit rights of shareholders in Romania, France and the USA, the new rules for the marketing of financial products in Belgium, and the reform of the financial regulatory system in the United Arab Emirates: 1. While the risks related to Securities Financing Transactions (SFTs) and the reuse of collateral are not new, the financial crisis of 2007‑2008 highlighted the systemic difficulties that could arise from these transactions and led regulators to impose new rules on these activities. The Securities Financing Transactions Regulation (SFTR) is part of the European Commission action plan on shadow banking. Its main purpose consists in enhancing the transparency of transactions involving the use of SFTs and the reuse of collateral in financial markets. This article provides an overview of the key requirements of the SFTR, discusses its potential impacts for market participants and analyses how the SFTR helps enhance transparency in financial markets. 2. The review of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID) has led to the adoption of a new regulatory framework (MiFID II), for which implementing measures are being elaborated. MiFID II rules encompass the new trading methods and practices, increase market transparency and investor protection, and empower supervisory authorities with regard to the challenges raised by a more complex market infrastructure. 3. Until recently, the topic of legal exit rights had not received much attention in France, in literature or in practice. Legal exit rights are instances where the law provides that a shareholder has a withdrawal right, generally at a fair price to be paid by the company. Now, it is raising passionate debates in the United States and Romania, and a recent and significant increase in the exercise of legal exit rights has been witnessed. In the United States, a phenomenon of “appraisal activism” has emerged, led by specialized and aggressive hedge funds. In Romania, the second most important stock market (Rasdaq) was recently dissolved, which triggered the applicability of legal exit rights to hundreds of public companies. This context invites a comparative analysis of legal exit rights, as a minority shareholder protection, in Romania, France and the United States. These three countries were not only chosen for their sentimental value, but because of how different they are, as compared to France, regarding their capital markets activity. 4. The FSMA’s Circular issued on 27 October 2015 provides detailed final guidance on the recently amended rules governing marketing materials used in connection with the offering of financial products to Belgian non-­professional customers. The new rules were introduced by the so-­called Transversal Royal Decree. The rules apply to the retail marketing of any financial product in Belgium. All marketing materials must satisfy a number of general requirements as well as a number of minimum content requirements. Specific detailed rules regarding the use of historical and future performance data, awards, ratings and comparisons must be complied with. The marketing of units in collective investment funds is subject to an appendix to the Circular. 5. In a region where the regulation becomes more and more an essential element of economic competitiveness, the United Arab Emirates are considering reforming their financial regulation system. The philosophy of this reform is based on the establishment of a new legal status of the financial regulator with more expanded means of action. The regulation undertaken is to establish a functional approach reaching from prevention and dispute resolution to repression.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne

I.A. Régulation européenne An overview of the Securities Financing Transactions Regulation (SFTR): a new regulatory framework to enhance transparency in financial markets

Nicolas Spitz

Jean-­Jerry Anty

Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Spitz & Poulle AARPI

The Regulation on Transparency of Securities Financing Transactions and of Reuse (2015/2365) (“the SFTR” or “the Regulation”) was published in the Official Journal of the European Union (“EU”) on 23 December 2015 and came into force on 12 January 2016, although many key requirements of the Regulation are subject to transitional provisions and will not apply before 2017 or even 2018. The Regulation aims to enhance the transparency of certain activities in financial markets, in particular the use of Securities Financing Transactions (“SFTs”) and reuse of collateral “in order to enable the monitoring and identification of corresponding risks”. (1)

Avocat au barreau de Paris, Spitz & Poulle AARPI

could arise from these types of transactions (4) and led regulators to impose new rules on the use of SFTs and reuse of collateral. (5) The first indication for regulating these types of transactions figured in a policy framework published by the Financial Stability Board (“FSB”) in August 2013, (6) endorsed by G20 leaders in September 2013, which set out several recommendations to address the risks created by securities lending and repo transactions. In line with the FSB recommendations, the European Commission published a communication (7)

4.

SFTs cover a variety of transactions that enable market participants to access secured funding, i.e. to use their securities as collateral to secure financings. In this respect, SFTs encompass different financing transactions involving the temporary exchange of securities as a guarantee for a funding transaction, such as the lending or borrowing of securities, repurchase or reverse repurchase transactions, buy-­sell back or sell-­buy back transactions, or margin lending transactions. (2) Reuse is generally defined as “the use by a receiving counterparty (…) of financial instruments received under a collateral arrangement”. (3) A collateral arrangement comprises the transfer of title of the financial instruments by the collateral provider to the collateral taker and a security interest granted by the collateral provider with a right of use in favour of the collateral taker (in accordance with Article 5 of Directive 2002/47/EC, “the Collateral Directive”).

5.

While the risks related to SFTs and reuse are not new, the financial crisis of 2007‑2008 highlighted the risks that

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Recital 35 of SFTR. See the definition of SFTs under Article 3(11) of the Regulation. Article 3(12) of the Regulation.

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For risks arising from SFTs, see in particular Recital 2 of SFTR: “SFTs allow the build-­up of leverage, pro-­ cyclicality and interconnectedness in the financial markets. In particular, a lack of transparency in the use of SFTs has prevented regulators and supervisors as well as investors from correctly assessing and monitoring the respective bank-­like risks and level of interconnectedness in the financial system in the period preceding and during the financial crisis”. For risks arising from reuse, see in particular Recital 21 of the Regulation: “Reuse of collateral provides liquidity and enables counterparties to reduce funding costs. However, it tends to create complex collateral chains between traditional banking and shadow banking, giving rise to financial stability risks. The lack of transparency on the extent to which financial instruments provided as collateral have been reused and the respective risks in the case of bankruptcy can undermine confidence in counterparties and magnify risks to financial stability”. See Recital 1 of SFTR: the financial crisis “highlighted the need to improve regulation and supervision not only in the traditional banking sector but also in the so-­called ‘shadow-­banking’ sector”. See in particular Strengthening Oversight and Regulation of Shadow Banking: Policy Framework for Addressing Shadow Banking Risks in Securities Lending and Repos. Financial Stability Board (29 August). Communication from the Commission to the Council and the European Parliament, Shadow Banking – Addressing New Sources of Risk in the Financial Sector.

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Chroniques

I. Régulation financière

in September 2013 unfolding its action plan on shadow banking. Regulators define “shadow banking” as “a system of credit intermediation that involves entities (8) and activities (9) outside the regular banking system”. (10) This distinction between shadow banking entities and shadow banking activities is important as it helps our understanding of how the regulator has achieved its goal in increasing transparency on shadow banking. This is done either by regulating the shadow banking activities directly or by imposing rules on shadow banking entities through their relationship with regulated entities (such as credit institutions, insurance undertakings or investments funds managers). (11) The Regulation has been prepared and published as part of this action plan on shadow banking and constitutes, in this regard, an additional framework in a wider series of EU regulatory initiatives on shadow banking. (12) In particular, the Regulation addresses the risks stemming from the use of SFTs and reuse in the following ways: – reporting requirement: firms that engage in SFTs will be required to report these transactions to an approved trade repository; – record keeping requirement: firms that engage in SFTs will be required to keep a record of these transactions; – disclosure to investors in UCITS or AIFs: mana­ gers of Undertakings for Collective Investment in Transferable Securities (“UCITS”) and Alternative Investment Funds (“AIFs”) will have to disclose to their investors their use of SFTs and total return swaps (“TRS”) in their regular reports (annual and half-­ yearly financial statements) and their pre-­ investment documentation; and – restrictions on the right of reuse: the reuse of financial instruments received as collateral will be subject to specific conditions. In particular, the reuse of collateral will require the prior disclosure to the 8.

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12. 10

Shadow banking entities include money market funds, which have deposit-­like funding characteristics and invest in money market instruments with different maturities; hedge funds, which may use leverage to finance their trading positions in securities or financial instruments with differing liquidity profiles; and securitization vehicles, such as asset-­backed securities, which transfer credit risk among different investors. Shadow banking activities include repurchase agreements and securities lending, which are forms of secured financing, and the reuse of collateral for further financing. See FSB report “Shadow Banking System, Scoping the Issues”, 12 April 2011. See Communication from the Commission to the Council and the European Parliament, Shadow Banking – Addressing New Sources of Risk in the Financial Sector, pp. 5 et seq. See in particular the “Main measures in the field of shadow banking” in the Annex to the Communication.

collateral provider of the risks associated with the reuse of collateral and, where applicable, the written consent of the collateral provider. This article provides an overview of the aforementioned key requirements and analyses how SFTR helps enhance transparency in financial markets. Section 1 relates to requirements for increasing transparency of SFTs. Section 2 focuses on the transparency of reuse. Section 3 examines the sanctions for breach of obligations contained in the Regulation.

I.  Transparency of SFTs A.  Definition and scope of the SFTs The Regulation does not provide a definition of what an SFT is but instead sets out a list of financial transactions considered as SFTs. (13) These are: – a repurchase transaction; (14) – securities or commodities lending and a securities or commodities borrowing transactions; (15) – a buy-­sell back transaction or sell-­buy back transaction; (16) and – a margin lending transaction (i.e. “a transaction in which a counterparty extends credit in connection with the purchase, sale, carrying or trading of securities, but not including other loans that are secured by collateral in the form of securities”). Regarding SFTs, the Regulation applies to any: – SFTs concluded by any counterparties, whether they are “financial counterparties” (17) or “non-­financial counterparties”, (18) established in the EU, including all their branches regardless of where the branch is located in the world; and – SFTs entered into by EU branches of non-­ EU counterparties. In this regard, the scope of the application of the Regulation may appear very broad, in particular because of its extraterritorial oversight and the involvement of non-­financial counterparties. For SFTs that are within the scope of the Regulation, the Regulation provides for specific transparency rules which take the 13. 14. 15. 16. 17.

Article 3(11) of the Regulation. Defined under Article 3(9) of the Regulation. Defined under Article 3(7) of the Regulation. Defined under Article 3(8) of the Regulation. “Financial counterparties” are defined under Article 3(3) of the Regulation and include, in particular, the following authorized entities: investment firms, credit institutions, insurance undertakings, UCITS, AIFs, institutions for occupational retirement provision, central counterparties and central securities depositories. 18. Article 3(4) of the Regulation defines a “non-­financial counterparty” as any entity other than a financial counterparty.

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form of a reporting requirement, a record keeping obligation and specific disclosure requirements applicable to UCITS and AIFs.

B.  Reporting requirement

medium enterprise”, (25) the financial counterparty shall be responsible for reporting on behalf of both counterparties. This will limit the administrative burden for small and medium companies if they need to enter into SFTs.

Practical requirements Principle Under the Regulation, all counterparties to SFTs must report the details of SFTs entered into, as well as any modification or termination thereof, to:  (19)

– a trade repository registered in the EU in accordance with Article 5 or a trade repository established outside the EU and recognized in accordance with Article 19 of the Regulation; or – the European Securities and Markets Authority (“ESMA”) (where a trade repository is not available) (the “Reporting Requirement”). However, the European Central Bank, the central banks of the Member States of the EU, bodies in charge of the management of public debt and the Bank for International Settlements (“BIS”) are not subject to the Reporting Requirement. (20) In addition, all counterparties to SFTs entered into with the European Central Bank or the central banks of a Member State are not required to report them. (21) This Reporting Requirement applicable to SFTs (which is considered as essential to the authorities) (22) is very similar to the reporting requirement set out under the European Market Infrastructure Regulation (“EMIR”) (23) with respect to derivatives transactions. The trade repositories are also subject to the same requirements (confidentiality, conflicts of interest, compliance policies, etc.) as set out under EMIR. (24) Similarly to EMIR, both parties to a transaction (whether they are financial or non-­financial counterparties) will have to report any transactions that are within the scope of the Regulation. However, unlike EMIR, the Regulation provides that where a financial counterparty enters into an SFT with a non-­financial counterparty that is a “small and

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Article 4 of the Regulation. See Article 2(2) of the Regulation. See Article 2(3) of the Regulation. See Communication from the Commission to the Council and the European Parliament, Shadow Banking – Addressing New Sources of Risk in the Financial Sector, p. 8: “In order to be able to monitor risks in an effective manner and intervene when necessary, it is essential to collect detailed, reliable and comprehensive data. Authorities must continue in their efforts to supplement and enhance their statistical tools, such as the granularity of their flow of funds data”. 23. Regulation (EU) No. 648/2012 on OTC derivatives, central counterparties and trade repositories. 24. Articles 78 et seq. of EMIR. 2016/2

The minimum information that must be reported are set out under the Regulation, although further details are to be provided by the ESMA which is responsible for developing draft regulatory technical standards stipulating the data to be reported. The ESMA has recently published a Discussion Paper (26) on the draft regulatory technical standards and implementing standards in relation to the Regulation, which sets out the ESMA’s proposals for implementing the reporting framework under the Regulation. (27) Drawing upon its experience in implementing EMIR reporting standards, the ESMA expressly acknowledges that “fully comprehensive and unambiguous rules regarding formats of information for reporting are indispensable to ensure quality and thus the usefulness of the data”. (28) The details reported will include in particular the name of the parties to the SFT (LEI) and, where different, the beneficiary; the principal amount; the currency; the assets used as collateral and their type, quality, and value; the method used to provide collateral; whether collateral is available for reuse; in cases where it is distinguishable from other assets, whether collateral has been reused; any substitution of the collateral; the repurchase rate, lending fee or margin lending rate; haircut; value date; maturity date and first callable date. In practice, the conditions are expected to be very similar to those applicable to the reporting of derivatives contracts under EMIR. (29) In terms of deadline, the report shall be made no later than the working day following the conclusion, modification or termination of the transaction.

25. A non-­financial counterparty which meets two of the following criteria: a turnover not exceeding EUR 40 million, a balance sheet not exceeding EUR 20 million or having less than 250 employees. See Article 4(3) of the Regulation. 26. Discussion paper, Draft RTS and ITS under SFTR, 11 March 2016, ESMA/2016/356 (the “Discussion Paper”). 27. The ESMA’s proposals include, in particular, tables of the fields with the proposed data to be reported, and the registration requirements for Trade Repositories (TRs) which will want to accept reports on SFTs. 28. Paragraph 73 of the Discussion Paper. 29. Recital 10 of the Regulation: “The legal framework laid down by this Regulation should, to the extent possible, be the same as that of Regulation (EU) No. 648/2012 in respect of the reporting of derivative contracts to trade repositories registered for that purpose”.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

In practice, the conditions

of the Reporting Requirement are expected to be very similar to those applicable to the reporting of derivatives

contracts under EMIR.

Importantly and in the same manner as under EMIR, counterparties to an SFT will be permitted to delegate the reporting of the SFTs. (30) The Regulation also provides for a confidentiality waiver in favour of the counterparties that report SFTs. The reporting entities will not be viewed as having infringed any restriction on disclosure of information imposed by contract or by any legislative, regulatory or administrative provision as a result of the reporting of the transactions. (31)

Scope of application in time The Reporting Requirement applies to: – SFTs which are entered into on or after the date of entry into force of the Reporting Requirement; and – SFTs which were entered into before the date of entry into force of the Reporting Requirement, if (i) the remaining maturity of those SFTs on that date exceeds 180 days or (ii) those SFTs have an open maturity and remain outstanding 180 days after that date. The entry into force of the Reporting Requirement will be phased in, with a different phase-­in period applicable to each type of counterparty and with each period starting to run as of the date the relevant regulatory technical standards are adopted by the European Commission, giving the market participants a grace period.

C.  Record keeping obligation The Regulation also provides for a record keeping obligation applicable to counterparties entering into SFTs. (32) Pursuant to this obligation, counterparties to an SFT must keep a record of any SFT that they have entered into, modified or terminated for at least five years following the termination of the transaction (the “Record-­ keeping Obligation”). In practice, this obligation should not be onerous for firms which already have adequate processes in place to keep a record of their transactions. As opposed to the Reporting Requirement, there is no grace period for the Record-­Keeping Obligation which applies on the date where the Regulation enters into force.

D.  Specific disclosure requirements applicable to UCITS and AIFs Under the Regulation, the management company of a UCITS or an AIF is required to inform their investors on their use of SFTs and TRS. (33) This information will need to be disclosed in: – the periodical reports of the funds (i.e. the half-­ yearly and annual reports of UCITS and the AIFs’ annual reports). Here, the information to be provided is extensive and is listed in Section A of the Annex to the Regulation; and – the pre-­investment documentation of the funds (i.e. prospectus of UCITS and disclosure documents of AIFs). In particular, these documents will need to (i) specify the SFTs and TRS which the UCITS investment/management companies and the AIFMs are authorized to use, and (ii) “include a clear statement that those transactions and instruments are used”. (34) The disclosure obligation set out under the first paragraph above will apply from 13 January 2017, while the obligation under the second paragraph will apply from 13 July 2017 (for funds established before 12 January 2016) or from their date of constitution (for funds established after 12 January 2016).

The relevant phase-­in periods will be as follows: – 12 months for investment institutions and banks; – 15 months for central securities depositories; – 18 months for insurers, reinsurers, UCITS, AIFs and pension funds; and – 21 months for non-­financial counterparties. 30. Article 4(2) of the Regulation. 31. Article 4(7) of the Regulation. 12

32. Article 4(4) of the Regulation. 33. A TRS is a derivative contract in which one counterparty transfers the total economic performance of a reference obligation to another counterparty (Article 3(18) of the Regulation). 34. The pre-­contractual documentation to be provided is listed in Section B of the Annex to the Regulation.

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II. Transparency of reuse Under Article 3(12) of the Regulation, a reuse is defined as: “the use by a receiving counterparty, in its own name and on its own account or on the account of another counterparty, including any natural person, of financial instruments received under a collateral arrangement, such use comprising transfer of title or exercise of a right of use (…)”. A collateral arrangement is itself defined as “a title transfer collateral arrangement and security collateral arrangement”. (35) Under the Regulation, a reuse therefore includes the use by a collateral taker of financial instruments: – the ownership of which has been transferred by the collateral provider for the purpose of securing or otherwise covering the performance of relevant financial obligations under the collateral arrangement; and – on which a collateral provider has granted a security right while the full ownership of the financial collateral remains with the collateral provider when the security right is effected. The transparency rules on reuse are set out under Article 15 of the Regulation (36) (the “Reuse Requirements”) and will apply from 13 July 2016. The authorities justify the Reuse Requirements by the fact that a reuse “tends to create complex collateral chains between traditional banking and shadow banking, giving rise to financial stability risks” and that “the lack of transparency on the extent to which financial instruments provided as collateral have been reused and the respective risks in the case of bankruptcy can undermine confidence in counterparties and magnify risks to financial stability”. (37) For these reasons, it is indicated that “reuse should take place only with the express knowledge and consent of the providing counterparty”. (38) Like the Reporting Requirements, the Reuse Requirements apply to any reuse carried out by: – any firm, whether they are financial or non-­financial counterparties, established in the EU, including all their branches regardless of the location of the branch; and – EU branches of non-­EU firms.

viding financial instruments as collateral under a collateral arrangement) is an EU counterparty or an EU branch of a counterparty, even where the counterparty receiving the collateral is established in a third country. Like the Reporting Requirements, the Reuse Requirements have extraterritorial oversight, apply to a very broad range of counterparties and transactions and do not apply to members of the European System of Central Banks, the BIS and other EU public bodies charged with, or intervening in, the management of public debt. (39) However, in terms of collateral arrangements covered, the scope of the Reuse Requirements is broader than that of the requirements applicable to SFTs. Indeed, the Reuse Requirements apply to any collateral received by a counterparty under a collateral arrangement (even where the collateral has not been provided under an SFT as defined under the Regulation but under a derivative contract, for instance). (40)

The Reuse Requirements

apply to any collateral received by a counterparty under a collateral arrangement (even where the collateral has not been provided under an SFT but under a derivative contract, for

instance).

In addition and more generally, the Reuse Requirements apply to any reuse where the collateral provider (pro-

The Reuse Requirements limit the right to reuse financial instruments received as collateral in two notable ways.

35. Article 3(13) of the Regulation. 36. The Regulation explicitly provides that the rules regarding reuse are without prejudice to stricter EU sectoral rules (such as those laid down in or deriving from the UCITS Directive, the AIFMD or MiFID II) or national legislation providing tighter restrictions on reuse thus providing a higher level of protection for providing counterparties (see Article 15(3) of the Regulation). 37. Recital 21 of the Regulation. 38. Recital 22 of the Regulation.

39. Article 2(2) of the Regulation. 40. See the definition of an SFT in Article 3(11) of the Regulation. It is also interesting to note that a transaction may qualify as an SFT even if there is no collateral arrangement involved. This is notably the case for unsecured securities lending transactions. See paragraph 167 of the Discussion Paper: “Since the definition [of ‘securities or commodities lending’] does not refer to collateral, it appears that the scope of the SFTR reporting also covers unsecured securities lending transactions”.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

The first limit imposed on reuse under the Regulation concerns the right to reuse which is subject to at least the two following conditions: – the providing counterparty has been duly informed in writing by the receiving counterparty of the risks and consequences that may be involved in (i) granting consent to a right of use of collateral provided under a security collateral arrangement in accordance with Article 5 of Collateral Directive or (ii) concluding a title transfer collateral arrangement; and – the providing counterparty (i) has granted its prior express consent, as evidenced by a signature, in writing or in a legally equivalent manner, to a security collateral arrangement, or (ii) has expressly agreed to provide collateral by way of a title transfer collateral arrangement. In practice, it would not be difficult for market participants to comply with the requirements under the second point above since the prior consent of the collateral provider may be considered as being given under the master agreements that are generally used for the documentation of SFTs (41) or the collateral arrangements in the case of derivative transactions under a derivatives master agreement. Meeting the requirements set out under the first point above could prove more cumbersome, however, since the collateral provider must be informed “in writing at least” of the risks and consequences that may arise in the event of the default of the collateral receiver. Standard disclosures will likely be developed by the industry in order to help market participants comply with these requirements. The second limit imposed by the Regulation under the Reuse Requirements concerns the exercise of a right of reuse which is also subject to the following conditions: – a counterparty exercising the right of reuse will need to ensure that the reuse is undertaken in accordance with the terms specified in the collateral agreement; and – the financial instruments received as collateral will have to be transferred from the collateral provider’s account. (42)

III. Sanctions In broad terms, non-­ compliance with the obligations contained in the Regulation could give rise to 41. In particular, the Master Repurchase Agreement (MRA), the Global Master Repurchase Agreement (GMRA) or the Master Securities Loan Agreement (MSLA) and the French equivalent master agreements. 42. Where the collateral provider is established in a third country and the account is maintained in the third country and subject to the law of the third country, the exercise of the right of reuse may be evidenced by other appropriate means. 14

administrative, criminal or civil sanctions. Expectedly, the administrative or criminal sanctions on a non-­ compliant counterparty will have to be established by each Member State, with the Regulation setting out the general framework and the minimum administrative sanctions to be imposed.

A.  Administrative sanctions The Regulation requires Member States to introduce effective, proportionate and dissuasive administrative sanctions and other measures, at least in case of breach of the Reporting Requirements, the Record-­Keeping Obligation and the Reuse Requirements. (43) In particular, Member States are required to impose sanctions against the members of the management body of an entity or other individuals responsible for the breach. A minimum set of sanctions and penalties is set out under Article 22(4) of the Regulation. These include in particular pecuniary sanctions of up to at least 10% of turnover for legal persons, withdrawal or suspension of authorisation, order requiring the person responsible for the breach to cease the activities, and temporary bans against persons with managerial responsibilities. Where the infringements are already subject to criminal sanctions in their national law before 13 January 2018, Member States may decide not to implement administrative sanctions or measures but, in that case, must notify their rules to ESMA and the Commission within 18 months of the date of entry into force of the Regulation. Regarding the infringements of the transparency requirements applicable to UCITS and AIFs, the sanctions or other measures applicable under the UCITS Directive (44) and the AIFM Directive (45) shall apply. In terms of procedures and infrastructure, the Regulation will also require procedural change both for competent authorities and impacted firms. Competent authorities will need to establish effective mechanisms for reporting “actual or potential” infringements of the Reporting Requirements, the Record-­ Keeping Obligation and the Reuse Requirements. (46) These mechanisms must include in particular specific procedures for the receipt of reports of infringements (including the establishment of secure communication channels for such reports), appropriate protection for the persons working under an employment contract who report these infringements and protection of personal data reported. (47) 43. Article 22 of the Regulation. 44. Directive 2009/65/EC of 13 July 2009 on the coordination of laws, regulations and administrative provisions relating to UCITS. 45. Directive 2011/61/EU of 8 June 2011 on AIF managers. 46. Article 24(1) of the Regulation. 47. Article 24(2) of the Regulation.

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In terms of procedures

and infrastructure

B.  Civil sanctions

for the reporting of infringements, the Regulation will require procedural change both for competent authorities and impacted firms.

Counterparties will also need to have in place appropriate internal procedures for their employees to report infringements of the Reporting Requirements,

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the Record-­ Keeping Obligation and the Reuse Requirements.  (48)

Regarding the Reporting Requirement, the Regulation expressly indicates that an infringement does not affect the validity of the terms of an SFT or the possibility of the parties to enforce the terms of an SFT. It is also expressly specified that such an infringement does not give rise to compensation rights from a party to an SFT. (49) Regarding the Reuse Requirement, the Regulation does not contain a similar provision but states that the Reuse Requirement “shall not affect national law concerning the validity or effect of a transaction”. (50) This expression is less explicit than the provision regarding the infringement of the Reporting Requirements (set out in the paragraph above) and creates a certain ambiguity that will require further clarification by national legislators. 48. Article 24(3) of the Regulation. 49. Article 22(5) of the Regulation. 50. Article 15(4) of the Regulation.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

MiFID II: the new revolution Dr. Adina Onofrei (1)

Regarded as a “regulatory typhoon” (2), the new framework (MiFID II) draws as much attention as the preceding Markets in Financial Instruments Directive (MiFID) (3). Having repealed the much shorter minimal harmonization “Investment Services Directive” (4), with effect from November 2007, MiFID has introduced the first fully-­fledged EU regulatory regime for financial markets, with a harmonized infrastructure and material rules on market transparency and investor protection. However, it was rapidly overtaken by technological developments and market practices enhancing regulatory gaps. In addition, the need arose to implement the lessons from the crisis of 2008 and to better articulate MiFID provisions with the resulting “regulatory tsunami” (5) (including the Banking Union and ongoing work on the Capital Markets Union). These developments led the European Commission (EC) to launch a full review of MiFID (6) in 2010. The new framework, adopted mid-­2014, establishes “a safer, sounder, more transparent and more responsible financial system and (…) strengthens integration, efficiency and competitiveness of EU financial markets” (7). Interestingly, Level I provisions are split 1.

The views expressed in this article are solely those of the author and do not necessarily reflect the position of the European Commission. Responsibility for the information and views expressed lies entirely with the author. 2. S. Johnson, “Mifid II: Regulatory ‘typhoon’ on course for Europe”, FT, 26.10.2014. 3. Directive 2004/39/EC of the European Parliament and of the Council of 21 April 2004 on markets in financial instruments (…), OJ L 145, 30.4.2004, pp. 1‑44; Commission Directive 2006/73/EC of 10 August 2006 implementing Directive 2004/39/EC (…), OJ L 241, 2.9.2006, pp. 26‑58. Commission Regulation (EC) No. 1287/2006 of 10 August 2006 implementing Directive 2004/39/EC (…), OJ L 241, 2.9.2006, pp. 1‑25. 4. Council Directive 93/22/EEC of 10 May 1993 on investment services in the securities field, OJ L 141, 11.6.1993, pp. 27‑46. 5. P. Muelbert, “Regulierungstsunami im europäischen Kapitalmarktrecht”, ZHR 176, 2012, pp. 369 et seq. 6. EC, Public Consultation: Review of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID), 8.12.2010. The review was more comprehensive than required by MiFID’s clauses. 7. ESMA, Final Report: ESMA’s Technical Advice to the Commission on MiFID II and MiFIR, ESMA/2014/1569, 19.12.2014, p. 10. 16

between a Directive (8) – repealing Directive 2004/39/ EC – and a Regulation (MiFIR) (9) (mainly on market transparency) (10) ensuring higher regulatory convergence. At Level II a Delegated Act has been adopted (11) and work is ongoing, including on the Regulatory and Implementing Technical Standards (RTS; ITS) (12), while the European Securities Markets Agency (ESMA) is to issue guidance at Level III. In light the of implementation challenges, in particular for building the relevant reporting systems, the EC proposed to postpone the application of the new framework (initially scheduled for 3 January 2017) by one year. (13) Directive 2014/65/EU changes the scope of MiFID by slightly modifying the lists of exemptions, (14) financial instruments, investment services and activities, as well as ancillary services. (15) 8. 9.

10. 11.

12.

13.

14.

15.

Directive 2014/65/EU of the European Parliament and of the Council of 15 May 2014 on markets in financial instruments (…), OJ L 173, 12.6.2014, pp. 349‑496. Regulation (EU) No. 600/2014 of the European Parliament and of the Council of 15 May 2014 on markets in financial instruments (…), OJ L 173, 12.6.2014, pp. 84‑148. Correspondance table, Annex IV, Directive 2014/65/EU. Commission Delegated Directive (EU) supplementing Directive 2014/65/EU (…), C(2016) 2031 final, Brussels, 7.4.2016. The text will become final in the absence of objections of the Council and EP within three months. Unlike ITS, RTS are directly applicable and implement not only MiFID II but also MiFIR. Both are prepared by ESMA and endorsed by the EC, while Delegated acts are developed by the EC upon ESMA’s advice. EC, Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council amending Directive 2014/65/EU on markets in financial instruments as regards certain dates (…), COM(2016) 56 final, Brussels, 10.2.2016; EC, Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulation (EU) No. 600/2014 (…), COM(2016) 57 final, Brussels, 10.2.2016. The proposals have triggered a debate on other targeted amendments to MiFID II, including on the pre-­trade transparency waivers for packaged transactions (see M. Feber, Statement: vote on MiFID II (“Quick Fix”), 7.04.2016). The exemptions related to dealing on own account no longer apply to commodities, emission allowances and commodities thereof, though – in order to preserve liquidity – persons providing investment services exclusively in these instruments for the sole purpose of hedging the commercial risk of certain clients may now benefit from national exemptions (subject to analogous requirements and coverage by an investment compensation scheme). See for more details Linklaters, “Revision of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID II)”, Fact Sheet, 3.07.2014, pp. 18 et seq. Section I, Annex A, B, C, Directive 2014/65/EU. Given G20 commitments to abolish exemptions, the list of financial instruments was enlarged to emission allowances and derivatives related to emission allowances,

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This paper focuses in Section I on organizational changes for market actors, in Section II on new market transparency provisions, in Section III on investor protection and in Section IV on additional supervisory powers. Section V concludes.

I.  A more solid & complex infrastructure

MiFID II introduces

structural changes depending on entities’

activities.

1. New trading methods, such as algorithmic (including high-­frequency) trading have led to new organizational requirements for both venues and investment firms (“IFs”). First, for venues, the European Parliament’s (“EP”) proposal of a mandatory 0,5 second freeze (16) on orders was rejected to avoid losing liquidity. (17) Instead, trading venues allowing algorithmic trading or direct electronic access must adopt operational rules to ensure orderly trading. These include: (i) defining order-­to-­ transaction ratios (“OTR”) the breach of which would result in limits or higher fees except for market makers; (ii) trading halts in case of significant price movements in a short period and (iii) exceptional cancellation or correction of transactions. Yet, because “mechanisms to inhibit extreme price movements can impede price discovery (…), trading halts and circuit-­breaker systems should only be seen as a (…) last resort to stabilise markets [and] (…) should be implemented in a and – along MiFID’s line – to commodity derivatives that can be physically settled and are negotiated on an OTF (the operation of which is the only new investment service). The introduction of a definition for derivatives will ensure a uniform application throughout the EU (see on existing disparities: ESMA, EMIR Review Report No. 1: Review on the use of OTC derivatives by non-­ financial counterparties, ESMA/2015/1251, 13 August 2015, points 80 et seq.). Structured deposits are not considered financial instruments, though they fall within the scope of MiFID II. Maintaining securities accounts at the top tier level is no longer an ancillary service. 16. EP, Amendments adopted by the European Parliament on 26 October 2012 (…) (COM(2011) 0656 – C7‑0382/2011 – 2011/0298(COD)), 1st reading, P7_ TA(2012)0406, art. 51, 1 (b). 17. See for a comment: “A bigger bang”, The Economist, 26.04.2014; cfr Marketswiki, “MiFID II” (online). 2016/2

harmonised fashion across trading venues to provide investors with similar (…) safeguards”. (18) Secondly, IFs must notify national competent authorities (“NCAs”) of the use of algorithmic trading, keep records and use effective systems and risk controls. When pursuing a market making strategy, IFs must agree to provide liquidity continuously during part of the venue’s trading hours. IFs granting clients direct electronic access or clearing remain responsible for compliance and must further adopt risk controls and enter into written agreements with suitable clients. 2. Under Directive 2014/65/EU, IFs will be subject to stronger corporate governance, in line with CRD IV, though national corporate structures may diverge. Additional organisational requirements will apply to IFs providing certain services (e.g. safeguarding client assets) or issuing new financial instruments (now subject to an internal approval process). A new regime for third country IFs allows Member States (“MS”) to require these to register branches (in accordance with the criteria set out in MiFID II) for providing services to retail clients (unless at the latters’ exclusive initiative). Unlike under the EC’s proposal, these branches will not benefit from the passport system. For eligible counterparties and professional clients, third country IFs registered with ESMA may provide services without a branch, subject to an equivalence decision by the EC. In the absence of such a decision, MS may still authorise them to operate in their territory, provided they are not treated more favourably than EU firms. (19) 3. MiFID regulated the three types of platforms: two multilateral ones – the regulated markets (“RM”) and the newly recognized multilateral trading facilities (“MTFs”) subject to lighter organizational requirements – as well as a bilateral one, operated by systematic internalisers (“SIs”) matching client orders internally with own positions or other clients’ orders. To place all these platforms on a level playing field, MiFID abolished the trading rules subsisting in some civil law jurisdictions. Consequently, MiFID also tolerates bilateral over-­the-­counter (OTC) trading which, together with “dark pools” (20), is subject to no or very low pre-­ trade transparency, including for shares admitted to trading (the only instruments subject to MiFID’s transparency rules). This lack of transparency distorts price 18. CFA Institute, “Markets in Financial Instruments Directive II”, Policy brief, March 2015, p. 11. 19. On the heavily debated third country regime, see Linklaters, “Revision of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID II)”, op. cit., pp. 9 et seq. 20. Dark pools are (i) trading venues using waivers or (ii) crossing networks not subject to pre-­trade transparency (see EC, Public Consultation (…), p. 9), such as SIs which (given the large definition under MiFID) could potentially bring together not only bilateral but also to some extent de facto multilateral trading interests.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

discovery, liquidity and the level playing field between the different types of venues. To combat dark pools, in particular internal crossing networks, the EC proposed to introduce a new type of venue, an organized trading facility (OTF) (21). The final outcome: (i) clarifies the definition of SIs; (ii) requires SIs to register as MTFs when they are so big as to match orders in shares “on a multilateral basis” (22), and (iii) limits the definition of OTFs to multilateral venues (excluding bilateral trading) where only certain instruments are traded (bonds, structured finance products, emission allowances and derivatives). Pre-­trade transparency applies on OTFs and they are subject to similar organizational rules as MTFs. Just like MTFs, and continuing – as under MiFID – to erode the dividing line between venues and intermediaries, OTFs can be operated by market operators or IFs, but not by SIs, to avoid interaction between different types of venues. Indeed, differently from RM and MTF operators, OTF operators have discretion as to whether, when and how much of clients’ orders to execute (subject to respecting client instructions) (23) and may facilitate negotiation between clients. Except for cleared derivatives, OTFs may engage in matched principal trading with the clients’ consent, but – unlike SIs – are prohibited from otherwise dealing on own account against clients’ orders, except in illiquid sovereign debt for which there is no risk of price deformation. To address dark trading and comply with G20 commitments on derivatives, MiFIR reintroduces a trading obligation. Limited in the EC’s proposal to certain types of exchange-­traded derivatives, this obligation has been extended to trades in quoted and traded shares. (24) However, while relevant derivatives will only be tradable on RMs, MTFs, OTFs or equivalent third country venues, relevant shares will also be tradable by SIs (subject to lower pre-­trade transparency for illiquid shares for which they only publish quotes for their clients). Nevertheless, this obligation moves “a significant part of OTC trading onto [lit and] regulated platforms”. (25) 21. This platform was supposed to be bilateral or multilateral, discretionary or non-­discretionary (EC, Public Consultation (…), p. 9). 22. Art. 23 (2) MiFIR. This should help restore the level playing field between MTFs and SIs. 23. To avoid arbitrariness, this discretion is subject to the application of objective criteria under the control of NCAs. 24. Trades in shares that do not contribute to price discovery (trades which are “non-­systematic, ad-­hoc, irregular and infrequent” or between eligible and/or professional counterparties) are exempted (art. 23 Regulation No. 600/2014). The trading obligation applies only to derivatives declared subject to the clearing obligation under Regulation No. 648/2012 which are sufficiently liquid for transparency not to affect trading (art. 28 Regulation No. 600/2014). ESMA is to maintain a register of these. 25. ICMA, “MiFID II” (online). 18

Directive 2014/65/EU further aligns organizational requirements for MTFs on those of RMs (now subject to stronger corporate governance, but – unlike MTFs – still not operated by IFs), while RMs maintain the admission to trading prerogative. Finally, with the aim of promoting access to finance, Directive 2014/65/EU creates “SME growth markets” in the form of MTFs subject to specific requirements (f.i. at least half of the issuers are SMEs; adapted information). 4. MiFID had introduced both horizontal (between venues) and vertical competition (though free choice of settling systems and cross-­border access to central counterparty (“CCP”), clearing and settlement systems). MiFIR goes one step further in promoting vertical competition by requiring non-­discriminatory and transparent access (including in terms of fees) for trading venues to CCPs and vice-­versa (subject to limitations, linked i.a. to interoperability arrangements and the orderly functioning of the market, or the type of instrument – exchange-­traded derivatives are excluded). MiFIR also introduces, in favor of both CCPs and trading venues, non-­discriminatory access to benchmarks and mandatory benchmark licensing. Third country CCPs and venues may request access to EU CCPs based on an equivalence decision.

II.  Increased market transparency The competition introduced by MiFID between trading venues leads to liquidity fragmentation which could hamper price discovery. To avoid this, MiFID introduced full post-­trade and partial pre-­trade (more limited for SIs) transparency for shares admitted to trading on a RM, albeit with the possibility for delayed publication and waivers.

One of the cornerstones

of MiFID II is increased

market transparency.

MiFIR now extends to all equity instruments admitted to trading the slightly recalibrated MiFID transparency regime for shares. (26) Moreover, article 5 of MiFIR adds volume caps on waivers for liquid equity to avoid distortion of price formation, though “the darkness makes it hard to know when the caps are hit 26. Redefined thresholds for waivers and deferred publication, shorter publication delays, new identifiers.

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(…). More confusingly still, the biggest dark trades need not be counted” (27). MiFIR further introduces pre-­and post-­trade transparency obligations for non-­equity instruments admitted to trading, including for “asset classes and into markets in which” they never existed before, even outside the EU (28). For these, the challenge was to find the right balance between transparency and liquidity, where the former serves to reduce spreads, but also hampers the latter (29). Because non-­equity instruments are more volatile, NCAs (in cooperation with ESMA) may adjust requirements (by withdrawing waivers or temporarily suspending transparency requirements if liquidity falls below certain thresholds). Given the heterogeneity of the markets for non-­equities, requirements are calibrated to the type of trading system, order size, type of instrument (30) and liquidity (31). For liquidity, while reporting times can be longer than for equity, frequent reviews are important, as it “is a function of time, with the (…) majority of turnover taking place (…) after issuance” (32). For transparency rules to improve price discovery and supervision, reliable and comparable data needs to be collected through new IT systems to be “developed or built from scratch” (33) by both supervisors and industry. This leads to business opportunities for the newly created (i) approved publication arrangements (“APAs”) for post-­trade disclosure by IFs; (ii) approved reporting mechanisms (“ARMs”) as an alternative means to trading venues for transaction reporting by IFs to NCAs or to ESMA; and (iii) consolidated tape providers (“CTPs”) that will consolidate pre-­and post-­ trade transparency information into a continuous electronic data stream to be made available to the public “as close to real time as it is technically possible”. (34) “The absence of a consolidated tape has been keenly felt in Europe (…). Consolidated trade data virtually links fragmented markets, (…) lowers search and access costs, and facilitates the (…) measurement of

27. “A bigger bang”, The Economist, op. cit. 28. Marketswiki, “MiFID II”, op. cit. 29. CFA Institute, “Markets in Financial Instruments Directive II”, op. cit., p. 3. 30. F.i. there are exceptions for instruments used for risk hedging and it is possible to waive transparency obligations for derivatives not subject to the trading obligation. 31. Illiquid non-­equities are exempt from post-­and pre-­ trade transparency, including through deferred – and possibly aggregated – publication and waivers. Pre-­ trade waivers are subject to the publication of indicative pre-­trade bid and ask prices (art. 8 MiFIR). 32. CFA Institute, “Markets in Financial Instruments Directive II”, op. cit., p. 10. 33. ICMA, “MiFID II”, op. cit. The supervisors’ Financial Instruments Reference Data System will have to link data feeds between NCAs, ESMA and “around 300 trading venues” across the EU (EC, Proposal for a Directive (…) amending Directive 2014/65/EU (…), p. 3). 34. Art. 65 Directive 2014/65/EU. 2016/2

best execution”. (35) To lower the cost of data, MiFID II requires data to be unbundled, disaggregated (between pre-­and post-­trade) and made available on a reasonable commercial basis.

III. Higher investor protection MiFID provided clients qualifying as eligible counterparties, professional or retail clients with increasing levels of protection. The classification is flexible and can be adapted at clients’ request. MiFID II maintains that distinction but strengthens investor protection by (i) enhancing protection for retail clients in particular, (ii) restricting the category of the least protected clients (36), (iii) extending to all client categories IF’s obligation to act honestly, fairly and professionally and be fair, clear and not misleading; as well as (iv) modifying MiFID’s main investor protection rules: the requirement to act in the best interest of clients (conduct of business), and the obligation to execute orders on terms most favourable to the client (best execution) aimed also at counterbalancing market fragmentation. With regard to conduct of business, MiFID II introduces – very disputed (37) – provisions to (i) enhance client information, in particular about “all costs and associated charges (…) relating to both investment and ancillary services” (38), including monetary or non-­ monetary benefits paid by third parties or persons acting on their behalf (inducements) and (ii) avoid conflicts of interest by prohibiting inducements for independent investment advice providers and portfolio managers, except for minor non-­monetary benefits (including generic, personalised or non-­generic research, the latter only under certain conditions set by the implementing Directive and meant to ensure that there is no conflict of interests) that enhance the quality of the service and are not detrimental to clients’ interests while being disclosed to them. New rules also apply to: the management of conflicts of interest (f.i. on staff remuneration, sale of own products); the suitability test for investment advice and portfolio management (strengthened i.a. through new “suitability statements”); and the exemption from the appropriateness test for execution only or reception 35. CFA Institute, “Markets in Financial Instruments Directive II”, op. cit., p. 5. 36. Municipalities and local public authorities are now classified as retail clients, but may ask for treatment as professional clients (recital 104, Directive 2004/65/EU). 37. See CEPS/IODS/TABB GROUP, Technical Advice delivered by ESMA to the European Commission, Investor Protection topics (…), 1512.2014, pp. 52 et seq. On the importance of the rules of inducements which may “affect wealth management like nothing before” see S. Johnson, “Mifid II: Regulatory ‘typhoon’ on course for Europe”, op. cit. 38. Art. 24 (4) (c) Directive 2004/65/EU.

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19

Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

and transmission of orders (39). In exceptional cases, MS may impose additional (objectively justified and proportionate) requirements. Under MiFID, best execution proves difficult to monitor for clients despite the burden of proof placed on service providers. Suboptimal execution can also negatively impact competition between service providers and venues. MiFID II therefore complements the increased market transparency with general annual reporting obligations for venues (and in respect to instruments admitted to trading, also for SIs) on the quality of execution. MiFID II further requires IFs to publish the top five execution venues per asset class in terms of trading volume. In addition, inducements for routing orders to a particular venue are forbidden if they infringe the provisions on conflicts of interest or inducements. Finally, while the EC dropped its idea (40) of a civil liability principle for IFs across the EU from the final proposal, the new extra-­judicial mechanisms for consumer complaints should help to enforce investor protection rules.

IV. Better supervision MiFID II empowers authorities with regard to the challenges raised by a more complex infrastructure by introducing minimally harmonized lists of infringements, remedies and – since the Lisbon Treaty allowed for it – sanctions (including cease and desist orders and fines of up to 10% of the annual turnover). The list of NCAs’ minimal powers is also extended. In addition to the already existing powers of removal and suspension of trading, NCAs acquire heavily debated position-­ limiting powers which are “uncommon today”, although some NCAs may use trade suspension powers in a similar way (41). Thus, NCAs will be able to fight speculation by imposing limits “on the size of a net position which a person can hold at all times in commodity derivatives” (except for non-­financial entities acting for hedging purposes). (42) Moreover, rather than introducing product approval requirements, MiFID II grants both NCAs and ESMA (or EBA) product intervention powers allowing them to temporarily prohibit or restrict the marketing, distribution or sale 39. The exemption no longer applies to transactions involving loans or credits to clients and to instruments whose risk is difficult to understand (as opposed to certain structured deposits that may now qualify for the exemption) (art. 25 (4) Directive 2004/65/EC). 40. EC, Consultation (…), p. 63. 41. CEPS/IODS/TABB GROUP, Technical Advice (…), p. 71. 42. Art. 57 and 69 MiFID II. Trading venues shall put in place position management tools and positions are to be reported to NCAs. See for a comment: Linklaters, “Revision of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID II)”, op. cit., pp. 8 et seq.; Marketswiki, “MiFID II”, op. cit. 20

of financial instruments (or structured deposits respectively), as well as of selling practices or activities which pose a threat to investor protection, financial stability or the orderly functioning and integrity of the markets. These powers act as “a tool of last recourse” for cases when IFs’ internal product approval processes fail. (43) NCA’s access to information is improved by additional reporting obligations for IFs and new reporting and record keeping requirements for trading venues (including position reporting for commodity derivatives, emission allowances or derivatives thereof). Trading venues and SIs will also provide NCAs with reference data on the instruments’ characteristics. To apply position limits, IFs and trading venues must report positions held by investors in commodity derivatives, emission allowances or derivatives thereof, both to the public in an aggregate manner and to NCAs on a more detailed and frequent basis.

Conclusion MiFID II is a bold attempt to combine traditionally antagonistic objectives, such as venue competition and high market transparency, in order to promote innovation and allow for services to be calibrated to different clients’ expectations. This may explain the assertion that “MiFID II migrates the European regulatory landscape from a principles-­based philosophy toward a more U.S.-­style rules-­based regulatory regime” (44). For the new system to work, MiFID II stakes much on transparency and enhanced supervision, where intermediation remains key, as does investor protection. If it works, MiFID II could become one of the best performing regulatory frameworks for financial markets worldwide, responding to the needs of both market actors and investors.

Bibliography “A bigger bang”, The Economist, 26.04.2014. CEPS/IODS/TABB GROUP, Technical Advice delivered by ESMA to the European Commission, Investor Protection topics, Data Gathering, 15.12.2014, 71 p., www.esma.europa.eu. CFA Institute, “Markets in Financial Instruments Directive II”, Policy brief, March 2015, 13 p. Commission Delegated Directive (EU) supplementing Directive 2014/65/EU of the European Parliament and of the Council with regard to safeguarding of financial instruments and funds belonging to clients, 43. CFA Institute, “Markets in Financial Instruments Directive II”, op. cit., p. 7. 44. Marketswiki, “MiFID II”, op. cit.

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product governance obligations and the rules applicable to the provision or reception of fees, commissions or any monetary or non-­monetary benefits, C(2016) 2031 final, Brussels, 7.4.2016. Commission Directive 2006/73/EC of 10 August 2006 implementing Directive 2004/39/EC of the European Parliament and of the Council as regards organisational requirements and operating conditions for investment firms and defined terms for the purposes of that Directive, OJ L 241, 2.9.2006, pp. 26‑58. Commission Regulation (EC) No. 1287/2006 of 10 August 2006 implementing Directive 2004/39/ EC of the European Parliament and of the Council as regards record-­keeping obligations for investment firms, transaction reporting, market transparency, admission of financial instruments to trading, and defined terms for the purposes of that Directive, OJ L 241, 2.9.2006, pp. 1‑25. Council Directive 93/22/EEC of 10 May 1993 on investment services in the securities field, OJ L 141, 11.6.1993, pp. 27‑46. Directive 2004/39/EC of the European Parliament and of the Council of 21 April 2004 on markets in financial instruments amending Council Directives 85/611/EEC and 93/6/EEC and Directive 2000/12/ EC of the European Parliament and of the Council and repealing Council Directive 93/22/EEC, OJ L 145, 30.4.2004, pp. 1‑44. Directive 2014/65/EU of the European Parliament and of the Council of 15 May 2014 on markets in financial instruments and amending Directive 2002/92/ EC and Directive 2011/61/EU, OJ L 173, 12.6.2014, pp. 349‑496. EC, Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council amending Directive 2014/65/EU on markets in financial instruments as regards certain dates, COM(2016) 56 final, Brussels, 10.2.2016. EC, Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulation

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(EU) No. 600/2014 on markets in financial instruments, Regulation (EU) No. 596/2014 on market abuse and Regulation (EU) No. 909/2014 on improving securities settlement in the European Union and on central securities depositories as regards certain dates, COM(2016) 57 final, Brussels, 10.2.2016. EC, Public Consultation: Review of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID), 8.12.2010, 83 p., http://ec.europa.eu. EP, Amendments adopted by the European Parliament on 26 October 2012 on the proposal for a directive of the European Parliament and of the Council on markets in financial instruments repealing Directive 2004/39/EC of the European Parliament and of the Council (recast) (COM(2011)0656 – C7‑0382/2011 – 2011/0298(COD)), 1st reading, P7_TA(2012)0406. ESMA, EMIR Review Report No. 1: Review on the use of OTC derivatives by non-­financial counterparties, ESMA/2015/1251, 13.08.2015. ESMA, Final Report: ESMA’s Technical Advice to the Commission on MiFID II and MiFIR, ESMA /2014/1569, 19.12.2014, 446 p. M. FEBER, Statement: vote on MiFID II (“Quick Fix”), 7.04.2016, www.markus-­ferber.de. ICMA, “MiFID II”, www.icmagroup.org. S. Johnson, “Mifid II: Regulatory ‘typhoon’ on course for Europe”, FT, 26.10.2014. Linklaters, “Revision of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID II)”, Fact Sheet, 3.07.2014, 23 p., www.linklaters.com. Marketswiki, “MiFID II”, www.marketswiki.com. P. Muelbert, “Regulierungstsunami im europäischen Kapitalmarktrecht”, ZHR 176, 2012, pp. 369 et seq. Regulation (EU) No. 600/2014 of the European Parliament and of the Council of 15 May 2014 on markets in financial instruments and amending Regulation (EU) No. 648/2012, OJ L 173, 12.6.2014, pp. 84‑148.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

I.B. Régulation comparée Belgium: Marketing of Financial Products to Retail Investors: Belgian Financial Services and Markets Authority Issues Guidance on New Rules Ysabelle Vuillard Attorney Dechert LLP

I. Introduction On 27 October 2015, the Belgian Financial Services and Markets Authority (“FSMA”) issued circular FSMA-­ 2015‑16 (the “Circular”) providing detailed final guidance on the recently amended rules governing marketing materials used in connection with the offering of financial products to Belgian retail customers. (1) These new rules were introduced by Royal Decree dated 25 April 2014 as amended by Royal Decree dated 2 June 2015 (as so amended, the “Transversal Royal Decree”). (2) 1.

The text of the FSMA Circular can be found on the following links: Dutch version: www.fsma.be/nl/Supervision/finprod/pubinfoobligations/circmedprak.aspx and French version: www.fsma.be/fr/Supervision/finprod/ pubinfoobligations/circmedprak.aspx. 2. Royal Decree dated 25 April 2014 on information obligations in connection with the marketing of financial products to retail clients (as amended by Royal Decree dated 2 June 2015). The consolidated text of the Transversal Royal Decree can be found on the following links: Dutch version: www.fsma.be/nl/Supervision/finprod/pubinfoobligations/wetteksten/wetgeving. aspx and French version: www.fsma.be/fr/Supervision/ finprod/pubinfoobligations/wetteksten/wetgeving. aspx. See a.o. N. Flamen, H. Van Driessche and H. Seeldrayers, “Koninklijk besluit van 25 April 2014 betreffende bepaalde informatieverplichtingen bij de commercialisering van financiële producten bij niet-­professionele cliënten, de reglementen van de FSMA van 3 April 2014 inzake het risicolabel en het commercialiseringverbod, en diverse wetzwijzigingen in de bevoegdheidsdomeinen van de FSMA”, Forum financier/Rev. banc. fin., 2014/4, p. 273; G. Schaeken Willemaers, “Client protection under Belgian financial law: recent developments in information duties, product intervention and beyond”, R.I.S.F.—­I.R.F.S., 2014/4, pp. 58‑70; D. Willermain, “L’application des 22

The Transversal Royal Decree is part of the so-­called 2013 Twin-­ Peaks II reform package (3) which was enacted for the purpose of harmonizing the marketing rules applicable to all types of financial products, subject to certain exceptions set out below. This new set of rules adds another layer to the Belgian legal framework for the protection of consumers of financial products and services. Their purpose is to provide a set of common and comprehensive rules and procedures to reinforce the protection of retail clients whenever financial products are marketed to them. The new rules entered into force on 12 June 2015, exception being made for advertisements and other marketing documents distributed prior to 12 June 2015, which were temporarily exempt from the new rules. Such previously distributed materials must, however, be amended to comply with the rules of the Transversal Royal Decree, since 1st January 2016. (4) It should be noted that the entry into force of certain provisions of the Transversal Royal Decree relating to the obligation to produce a KID (“key information document/fiche d’information/informativefiche”) containing the key characteristics of the financial product (e.g. costs, guarantees, risks, etc.) has been postponed indefinitely by Royal Decree dated 2 June 2015 amending the Transversal Royal Decree (the “Amending Royal Decree”). Such postponement measure has been adopted in order to avoid potential discrepancies with the upcoming EU PRIIPs regulation and other European initiatives, such as the revision of the Insurance Mediation Directive (also known as “IMD II”). (5) règles relatives aux offres publiques et à la commercialisation d’instruments de placements aux placements privés de titres de sociétés”, R.D.C., 2015, pp. 381‑382. 3. The Twin-­Peaks II package includes (i) the Law dated 30 July 2013 on the strengthening of the protection of consumers of financial products and services, and the powers of the FSMA, and containing various others measures and (ii) the implementing Royal Decrees dated 21 February 2014 and 25 April 2015. 4. As the case maybe, they will need to be (re-­)approved by the FSMA (e.g. factsheets related to UCITS funds). 5. See a.o. B. Toussaint, J.M. Binon, M. Hostens et S. Mortier, “Arrêté royal du 2 juin 2015 modifiant l’arrêté royal du 25 avril 2014 imposant certaines obligations en matière d’information lors de la commer-

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The Circular has been issued by the FSMA in order to clarify certain provisions of the Transversal Royal Decree and to provide answers to various practical questions raised in connection with the implementation of the new marketing rules.

II.  New regime governing marketing materials related to financial products distributed to retail customers in Belgium A.  General scope of application “Marketing” is defined very broadly as the presentation of a financial product, in any manner, to induce a non-­professional customer or a potential customer to purchase, subscribe, adhere to, accept or sign up for a financial product. The Circular emphasizes that “marketing” (“commercialisation”/“commercialisering”) is to be interpreted broadly. “Advertisement” is defined as any communication specifically aimed at promoting the sale of a financial product, regardless of the channel through which or the way in which it occurs (including for instance, teasers, textos, slides, banners, and marketing on social networks such as Facebook and Twitter). The rules apply not only to advertisements but also to all other documents and notices distributed in the context of the promotion of a financial product. However, corporate action messages, general reputation campaigns for a financial institution or educational brochures are not considered as marketing materials within the meaning of these rules. (6) Corporate notices related to publicly distributed collective investment undertakings (e.g. UCITS) also fall outside the definition of advertisements since their purpose is not to promote the sale of shares of such collective investment undertakings. The “marketing” concept covers both public offers and private placements. There is neither any quantitative criteria, nor any exemption based on the number of the persons. (7) However, the definition does not apply to marketing actions which are addressed to discretionary asset managers acting for the account of non-­professional customers, provided that the manager makes the investment decisions on behalf of its customers. cialisation de produits financiers auprès des clients de détail”, R.D.C., 2015, p. 751. 6. Report made to the King regarding the Transversal Royal Decree (“Rapport au Roi”), Belgian Gazette, 12 June 2014, p. 44.476. 7. D. Willermain, “L’application des règles relatives aux offres publiques et à la commercialisation d’instruments de placements aux placements privés de titres de sociétés”, op. cit., p. 382, No. 14. 2016/2

Chroniques

I.B. Régulation comparée

The ‘marketing’ concept

covers both public offers and private

placements.

In order to be captured by the marketing rules, advertisements and other documents and notices must be distributed by a product “manufacturer”, (8) by an authorized distributor or intermediary or by someone who is acting on their behalf. The term product “manufacturer” is defined as the person which has developed or issued the financial product for marketing by itself or by a third party as further clarified with some examples. Any person which directly or indirectly receives any remuneration or advantage in relation to the marketing of a financial product is deemed to be acting on behalf of the product “manufacturer”, authorized distributor or intermediary. Documents used by independent investment service providers are therefore outside of the applicable scope. “Financial products” are broadly defined and include savings products, investment products as well as certain insurance products (with exemptions for specified pension products). (9)

The concept of

‘non-­professional customer’ includes certain companies, for example, small or medium-­sized

enterprises.

“Non-­professional customers” are defined as any non-­ professional customer under the MiFID regulations. (10) The concept of “non-­professional customer” in this 8. “fabricant”/“fabrikant”. 9. Doc. parl., Chambre, 2012‑2013, No. 53‑2872/001, p. 18. 10. Non-­professional customers are defined in Annex A of the MiFID Royal Decree of 3 June 2007. It includes two categories: (i) the institutional investors and (ii) the

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Chroniques

I. Régulation financière

context is broader than under the Belgian consumer protection laws. (11) It includes certain companies, for example, small or medium-­sized enterprises which are not protected under Belgian consumer laws.

– the potential benefits must not be emphasized without giving a clear and balanced indication of the related risks, limitations and/or conditions;

B. Exemptions

– the information must be presented in such a way that it is comprehensible for a non-­professional customer. (15)

Pursuant to Art. 1, 1st §, alinea 2 of the Transversal Royal Decree, the legislation does not apply: (i) to the marketing of financial products that require an initial investment of at least EUR 100,000 or, in the case of open ended collective investment funds, of EUR 250,000; (12) and (ii) to the marketing of a financial product previously issued, to the extent such marketing takes place in the context of a service which consists exclusively in the receipt and execution of orders (subject to certain further conditions). The Circular also confirms that a resale of financial products between non-­professionals is not subject to such marketing rules.

C.  Requirements regarding the content of marketing materials The Transversal Royal Decree and the Circular set forth detailed rules in line with the MiFID duty to provide clear, fair and complete information to non-­ professional customers. a) All marketing materials (13) must satisfy a number of general requirements such as, but not limited to, the following (Art. 11): – the information may not be inaccurate or misleading; (14)

11.

12.

13. 14.

24

investors who have asked their financial service provider to be treated as professional (opt-­in). Note that a physical person disposing over a large portfolio (over EUR 500,000) could be considered as professional customer under the Transversal Royal Decree while such person would still be considered as a consumer under Belgian consumer protection law. The legislator considers that such investors dispose over other means in order to be correctly informed on the financial products they envisage to acquire (Report made to the King regarding the Transversal Royal Decree (“Rapport au Roi”), Belgian Gazette, 12 June 2014, p. 44.474). Note that these requirements apply regardless of whether the materials are subject to a pre-­approval by the FSMA. The Circular specifies, for example, that the name of the financial product may not be misleading, subjective appreciations (not sustained by an independent external source) should be avoided, risks linked to conversion rates (if any) should be mentioned, etc.

– important elements, declarations or warnings may not be concealed, mitigated or disguised;

The FSMA Circular clarifies these requirements with a number of examples. It also offers further guidance for instance on the choice of the name of a financial product, avoiding the use of ambiguous or misleading terminology, etc.

The name of the financial

product may not be

misleading.

b) Apart from these general requirements, there are number of minimum content requirements, which to some extent depend on the nature of the financial product (Art. 12 to 14). These include, for example, the name of the product, the applicable law, its maturity date, principal risks, minimum subscription amount, reference to the prospectus or the KID, contact details of the Consumer Mediation Service (16) and of the internal complaint service, (17) costs and applicable tax regime, etc. The FSMA has now confirmed in the Circular that these mandatory disclosures must be printed in the same size typeface as the remainder of document. In case of technical impossibility (18) certain exemptions are available. The Circular contains specific guidance as to how to apply these rules when the financial products can be purchased online. c) Finally, specific detailed rules are provided with respect to the use in advertisements of historical and future performance data, awards, ratings and comparisons (Art. 15 to 25). The Circular contains further guidance in this respect. The appendix to the Circular provides additional specific comments regarding the marketing of units of in collective investment funds. 15. If the use of a technical term cannot be avoided, a definition of such term should be provided. 16. The Consumer Mediation Service (“Service de Médiation pour le Consommateur” / “Consumentenombudsdienst”) is operational as from 1st June 2015. 17. I.e. the internal complaint service of the issuer of the marketing material. 18. Resulting from lack of space and/or the kind of information medium used.

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D.  Requirement of prior approval of marketing materials by the FSMA and powers of the FSMA All marketing materials used in the context of a public offering or admission to trading on a regulated market of investment products (within the meaning of the prospectus legislation), or the public offer of UCITS, or in the context of offering of regulated savings accounts, must be pre-­approved by the FSMA. The FSMA’s prior approval must generally also be sought in case of amendments to such materials. The pre-­approval powers of the FSMA currently apply only to marketing materials used in the context of a public offer, or admission to trading on a regulated market, or the public offer of UCITS. There is no change in this regard. According to the Circular, the FSMA must review and approve draft documentation within 5 working days following their submission to the FSMA (15 days in case of marketing materials for UCITS) (Art. 26). The FSMA will be deemed to have rejected the materials if they are not approved within this period. Where the FSMA does not (yet) have authority to require pre-­approval of marketing materials, it may make a post-­distribution review and may use other supervisory tools to block the use of marketing materials which it considers to be a breach of the Transversal Royal Decree. These measures would include (i) issuing an order requiring the manufacturer of the marketing materials to apply the provisions of the legislation, (ii) publishing of the FSMA’s viewpoint regarding a breach of the rules, or (iii) the imposition of a penalty. A marketing action may also be prohibited by way of a cessation order issued by the FSMA followed, if necessary, by a judicial cessation order issued by a competent court of law at the request of the FSMA.

III.  Application of general market practices and consumer protection legislation In addition to the requirements of the Transversal Royal Decree, marketing materials must also comply with the market practices and consumer protection rules contained in Book VI of the Belgian Code of Economic Law, which, as of 31 May 2014, also applies, as a general rule, to the marketing of financial products and services. There are many uncertainties relating to the application in practice of the general market practices and consumer protection rules to financial products and

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services. The Circular addresses and attempts to clarify such areas of uncertainty e.g. regarding joint offers of products and comparative advertising. Insofar as joint offers are concerned, the FSMA considers that a joint offer which is not prohibited by Article VI.81, § 1 of the Code of Economic Law will not be considered as an unfair commercial practice so long as it does not distract the consumer’s attention from the underlying financial product to the jointly offered benefit with a consequent alteration of the consumer’s economic behavior. With respect to comparative advertising, the FSMA draws attention to the fact that pursuant to Article VI.17 of the Code of Economic Law, comparative advertising may not trigger any confusion with the trademark or commercial name of a competitor, take unfair advantage of the notoriety attached to such trademark or commercial name, or cast any discredit upon a competitor’s products.

Conclusion: what has changed and what action is required? As from 12 June 2015, all marketing materials for financial products distributed to retail customers in Belgium must be compliant with the new rules contained in the Transversal Royal Decree. This means that authorized distributors or intermediaries, as well as the product “manufacturer” (e.g. the issuer) marketing its own products (without distributor/intermediary), must ensure that all marketing material complies with the following new rules: – the general requirements (e.g. no inaccurate or misleading information); – the minimum standard content requirements (e.g. applicable law, contact details of the Consumer Mediation Service and of the internal complaint service, costs and applicable tax regime, etc.); – the specific detailed rules (e.g. on the use in advertisements of past and future performance data, awards, ratings and comparisons). Foreign entities conducting activities in Belgium (on a cross-­border basis or through a branch) also fall under the scope of the new rules. In anticipation of the deadline of 1st January 2016, all marketing materials which had been approved by the FSMA prior to 12 June 2015 should now have been reviewed and amended to comply with the new rules and then submitted for (re-­)approval by the FSMA, by no later than 31 December 2015. For instance, this will concern factsheets and any other marketing materials circulated with respect to collective investment undertakings publicly distributed in Belgium and any other marketing material issued in the context of a public offer or admission to trading on a regulated market.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

Vers une nouvelle conception de régulation financière aux Émirats arabes unis – Commentaire du projet de loi relatif à la SCA émiratie Nasser Wahbi Docteur en droit de l’Université Panthéon Assas

La régulation financière au Moyen-­Orient est en plein essor. Pourtant, elle fait rarement l’objet de recherches juridiques approfondies (1). Les Émirats arabes unis (EAU) sont les derniers exemples qui envisagent de réformer leur système de régulation financière en vue de renforcer leur compétitivité dans une région cherchant de nouveaux leviers de croissance au-­delà des hydrocarbures. Le projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 relative à la Securities and Commodities Authority (la SCA émiratie) (2), baptisée désormais la Capital Market Authority (la CMA émiratie), mérite que lui soit consacrée une réflexion particulière (3). Plus de quinze ans après la mise en place de la SCA émiratie, une réforme de son statut institutionnel et fonctionnel devient inéluctable compte tenu du développement des choix retenus à l’échelon régional et à l’échelon mondial. Les motifs présentés par la SCA émiratie pour justifier la nouvelle réforme évoquent, en substance, la nécessité du développement économique, du développement des dispositifs législatifs pour attirer les investissements et le renforcement de protection des droits des investisseurs et d’efficacité des marchés en conformité avec les meilleures pratiques internationales et régionales (4). Le choix de l’approche comparatiste est à cet égard utile pour apprécier l’influence des systèmes juridiques étrangers sur les solutions envisagées par les EAU. La démarche comparative sera donc maintenue pour démontrer l’émergence d’une nouvelle conception de régulation financière dans le pays. La philosophie de la réforme repose sur la mise en place de la future CMA émiratie avec un nouvel élan à deux niveaux : un nouveau positionnement institutionnel (I) et un renforcement de l’arsenal des compétences (II).

1. Voy. N. Wahbi, L’Autorité de régulation des marchés financiers, étude comparative France – Moyen-­Orient, thèse, Université Paris II, 2015, 483 p. 2. Ce projet de loi est mis en consultation publique sur le site Internet de la SCA émiratie depuis le 12 janvier 2016. Voy. www.sca.gov.ae/. 3. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. IV. 4. SCA émiratie, Communiqué de presse, 12 janvier 2016. 26

I. Un nouveau positionnement institutionnel À l’instar de l’actuelle SCA émiratie, la future CMA émiratie sera dotée d’un statut d’ « établissement public » mais avec une indépendance largement renforcée. C’est cette indépendance qui caractérise le positionnement institutionnel de la future CMA émiratie.

A.  Un régulateur financier au statut d’établissement public La reprise du statut d’établissement public pour qualifier la future CMA émiratie trouve son origine historique dans le droit égyptien. Cependant, ce statut est loin d’assurer un positionnement institutionnel satisfaisant.

1.  L’origine égyptienne de la qualification Aux termes de l’article 2 de la loi fédérale n° 2000‑4, la SCA émiratie est conçue comme une « autorité publique rattachée au ministre de l’Économie et du Commerce, et dotée de la personnalité morale et d’une autonomie financière administrative ». Le projet de loi ne semble-­t‑il pas présenter un changement de paradigme. La future CMA émiratie sera toujours positionnée dans le giron de l’Administration. Il s’agit d’une « autorité publique fédérale dotée de la personnalité juridique, d’une autonomie financière et administrative et de la capacité juridique pour exercer toutes les fonctions qui lui permettent d’atteindre ses objectifs » (5). Utilisant le terme d’une « autorité publique » (Haiaa amma), les rédacteurs de la réforme entreprise n’apportent pas un positionnement institutionnel original. On aura compris que ce terme correspond au statut d’établissement public. Pour s’en convaincre, il convient de retourner aux sources de ce terme employé par le droit égyptien. Aux fins de distinguer les types d’établissements publics, le droit égyptien utilise le terme « établissement public » (Mouassassa amma) pour désigner l’établissement public à caractère industriel et commercial. Mais pour indiquer l’établissement 5.

Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 2, al. 1.

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public à caractère administratif, on se sert du terme « autorité publique » (Haiaa amma) (6). Dotée d’un statut d’établissement public, la future CMA émiratie peut-­ elle être considérée comme une formule institutionnelle régulatrice propre aux EAU ? Rien n’est moins sûr. En effet, le droit émirati reprend la summa divisio établissement public administratif / établissement public économique. La qualification de la CMA émiratie d’établissement public correspond aux règles régissant les organismes publics dont les budgets appartiennent au budget général de l’État (7). Dans la même veine, cette qualification est en phase avec la ligne de conduite suivie par quelques pays au Moyen-­Orient, comme c’est la situation en Égypte (8) et à Oman (9). Au demeurant, la fonction de régulation n’apparaît pas en adéquation avec ce statut.

2.  L’inadéquation du choix retenu Le statut d’établissement public est loin de répondre à la spécificité de la fonction de régulation. Les publicistes admettent largement la spécificité de la fonction de régulation (10). Présentée comme une nouvelle fonction administrative dans l’économie ayant pour objet l’institution d’un ordre de marché fondé sur la concurrence, la régulation est une fonction autonome par rapport aux fonctions administratives traditionnelles que sont la police et le service public (11). Autant dire que la particularité du régulateur se justifie par une fonction

6. Cette distinction a été opérée en Égypte par la loi n° 1963‑60 régissant les établissements publics économiques ainsi que la loi n° 1963‑61 relative aux établissements publics administratifs. 7. Voy. Constitution émiratie de 1971, art. 136 ; décision n° 2000‑9 du Conseil des ministres émirati sur la réorganisation du comité de préparation et de révision de l’organigramme des organismes du gouvernement fédéral, art. 3. 8. Ce statut a été d’abord utilisé par le législateur égyptien pour définir la nature juridique de l’ancienne Capital Market Authority égyptienne (loi n° 1992‑95 relative aux marchés de capitaux en Égypte, art. 42) à laquelle a succédé l’actuelle Egyptian Financial Supervisory Authority (EFSA égyptienne) (loi n° 2009‑10 sur la régulation du contrôle sur les marchés financiers et les instruments financiers non bancaires en Égypte, art. 1). Voy. M. Abdel Latif, « La régulation du marché du crédit foncier en Égypte », R.I.D.C., 2008, n° 1, p. 209. 9. Loi n° 1998‑80 relative aux marchés de capitaux à Oman, art. 46‑47. 10. L. Calandri, Recherches sur la notion de régulation en droit administratif français, thèse, coll. Bibliothèque de droit public, t. 259, Paris, LGDJ, 2008, p. 672. 11. R. Rambaud, L’institution juridique de régulation : Recherches sur les rapports entre droit administratif et théorie économique, thèse, coll. Logiques juridiques, Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 486 et s. ; T. Perroud, La fonction contentieuse des autorités de régulation en France et au Royaume-­Uni, thèse, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, Paris, Dalloz, 2013, pp. 512 et s. 2016/2

qui va au-­delà de la simple fonction administrative qu’est la gestion des services publics (12).

La régulation est une

fonction autonome par rapport aux fonctions administratives

traditionnelles.

À partir de là, le Conseil d’État français a reconnu dans son rapport de 2001 sur les Autorités administratives indépendantes que « le statut d’établissement public ne serait pas adapté à une autorité de régulation » (13). Plus précisément, la spécificité du régulateur réside dans sa recherche d’un arbitrage entre les divers intérêts des acteurs (14). Dès lors que l’établissement public est conçu pour gérer un service public, son rôle est plutôt opérationnel. En revanche, le régulateur financier veille à l’encadrement des marchés financiers en tant qu’arbitre sans en être un acteur (15) puisque la thématique de régulation exige une séparation stricte entre l’arbitre et les acteurs (16). Par ailleurs, le statut d’établissement public ne répond pas aux impératifs de régulation qui commandent une formule institutionnelle plus souple et indépendante. La souplesse reconnue à l’établissement public ne 12. Voy. C. Teitgen-­Colly, « Les autorités administratives indépendantes : histoire d’une institution », in A. Colliard et G. Timsit (dir.), Les autorités administratives indépendantes, coll. Les voies du droit, Paris, PUF, 1988, pp. 26‑27 ; J. Chevallier, « Réflexions sur l’institution des autorités administratives indépendantes », JCP G, 1986, 3254. 13. « (…) laquelle n’a pas pour mission de gérer un service public, et qui doit être en mesure d’exercer un certain pouvoir réglementaire, et le cas échéant de prendre des sanctions, à l’égard de personnes ayant la qualité d’opérateurs et non d’usagers d’un service public » (Conseil d’État, « Réflexions sur les autorités administratives indépendantes », Rapport public 2001, coll. EDCE, n° 52, Paris, La Documentation française, 2001, p. 379). 14. J. Chevallier, « Les autorités administratives indépendantes et la régulation des marchés », Justices, n° 1, janvier-­juin 1995, p. 87. 15. A. Jenecourt, « L’adaptation du système administratif aux enjeux de la régulation : l’exemple de l’Autorité des marchés financiers », Banque & Droit, n° 110, novembre-­décembre 2006, p. 17. 16. N. Decoopman, « La nouvelle architecture des autorités financières : le volet institutionnel de la loi de sécurité financière loi n° 2003‑706 du 1er août 2003 », JCP G, n° 42, octobre 2003, I, 169, p. 1821.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


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I. Régulation financière

semble pas être adéquate pour garantir l’indépendance du régulateur à l’égard du pouvoir politique (17). C’est l’indépendance des autorités de régulation qui est le critère principal de distinction avec d’autres personnes publiques ayant pour objectif de gérer des services publics, y compris les agences (18) et les établissements publics. Conscients de cet état de fait, les rédacteurs du projet de loi ont tenté d’atténuer la lourdeur du statut d’établissement public en renforçant l’indépendance de la future CMA émiratie. On aura compris que cette analyse sémantique se trouve dépassée par la réalité institutionnelle entreprise.

B.  Une indépendance renforcée La réforme réserve à la future CMA émiratie une indépendance fonctionnelle vis-­à-­vis du gouvernement. La nouvelle autorité sera soustraite aux règles de rattachement et de la tutelle administrative. Cette autorité personnalisée sera également dotée d’une autonomie administrative et financière beaucoup plus forte.

1.  Un nouveau positionnement vis-­à-­vis de l’exécutif Même si la future CMA émiratie est qualifiée d’établissement public, la réforme marque une rupture remarquable dans son positionnement à l’égard du gouvernement. L’examen des textes énoncés ci-­dessus montre que cette autorité ne sera plus rattachée au ministre de l’Économie. Cet établissement public sera dès lors affranchi des règles de rattachement auxquelles sont soumises les structures administratives traditionnelles. La démarche suivie dénote une originalité tenant incontestablement à la nature juridique de la nouvelle autorité en vue de renforcer son indépendance vis-­ à-­vis de l’exécutif. En cela, la démarche émiratie suit l’approche retenue au Liban consistant à soustraire le régulateur financier des règles de rattachement (19). Cependant, l’exécutif garde un rôle central dans la nomination des dirigeants de la future CMA émiratie. En effet, le ministre de l’Économie, à qui la présidence du conseil d’administration de la CMA émiratie est confiée, maintient son rôle majeur dans la nomination des membres du conseil d’administration de la nouvelle autorité. Ceux-­ci sont ainsi désignés par un décret émanant du Conseil des ministres sur proposition du ministre de l’Économie (20). Cela dit, la réforme apporte 17. F. Melleray, « Une nouvelle crise de la notion d’établissement public : la reconnaissance d’autres personnes publiques spécialisées », AJDA, 2003, p. 717. 18. Conseil d’État, « Les agences : une nouvelle gestion publique ? », Rapport public 2012, vol. 2, coll. EDCE, Paris, La Documentation française, pp. 48 et s. 19. Loi n° 2011‑161 relative aux marchés financiers au Liban, art. 4. 20. Loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 6. 28

des nouveautés en associant le ministre de la Justice dans la nomination des membres exerçant des fonctions de nature contentieuse. D’une part, il est chargé de nommer deux juges à la Commission de résolution des différends, composée de trois membres (21). D’autre part, il prend le soin de désigner, sur proposition du ministre de l’Économie, les agents de la CMA émiratie chargés d’exercer une mission de police judiciaire lors de la constatation des infractions en matière financière (22). Il n’en demeure pas moins que la future CMA émiratie sera soumise à un régime de tutelle structurelle beaucoup plus lâche que celle des instances ministérielles ou spécialisées. En premier lieu, cette autorité disposera d’un pouvoir règlementaire autonome qui échappe à toute forme de contrôle public. À l’exception des règles relatives au fonctionnement de la Commission de règlement des différends fixées par le Conseil des ministres sur proposition de la CMA émiratie, tous les actes règlementaires en matière financière relèvent de la compétence unique de la CMA émiratie. Si le choix prive l’exécutif d’un droit de regard sur les règlements régissant les marchés financiers, il marque une rupture avec le droit actuel qui confie au Conseil des ministres le soin d’homologuer certains règlements (23). En second lieu, la CMA émiratie sera soumise à une obligation d’information vis-­à-­vis du gouvernement par voie d’un rapport semestriel sur le fonctionnement des marchés financiers (24). Or, le projet de loi est muet sur l’obligation de la future CMA émiratie d’établir un rapport sur ses activités au Parlement ou à l’exécutif (25).

2.  Une autonomie renforcée Dotée de la personnalité juridique, la nouvelle autorité recevra une autonomie de nature administrative et financière largement accrue. S’agissant de l’autonomie administrative, de prime abord, le projet de loi met en exergue que les règles du droit commun relatives à la fonction publique ne s’appliquent pas aux agents de la CMA émiratie, celle-­ci étant autorisée à mettre en place un régime particulier pour ses employés (26). À cette fin, cette autorité dispose de services propres dirigés par un président exécutif, assisté par un adjoint ou plus, qui sont désignés par décret sur proposition du conseil d’administration de la CMA émiratie (27). De plus, celle-­ci est débarrassée de la soumission aux dispositions relatives à la gouvernance prévues par le décret-­loi n° 2011‑5 concernant l’organisation des 21. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 60, al. 1. 22. Ibid., art. 44. 23. Loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 4, al. 1. 24. Ibid., art. 12. 25. Il est à rappeler que la SCA émiratie prend le soin dans la pratique de publier chaque année un rapport sur ses activités et sur le fonctionnement des marchés. 26. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 65. 27. Ibid., art. 14.

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conseils d’administration et des organismes publics à caractère fédéral (28).

quelle catégorie de personnes publiques la CMA émiratie pourrait-­elle être assimilée ?

Quant à l’autonomie financière, ensuite, le projet de loi envisage la soumission de la CMA émiratie à un régime particulier de contrôle financier. Selon les termes de l’article 65 du projet de loi, cet organisme est exonéré de se soumettre aux règles relatives au contrôle a priori prévu par la loi fédérale n° 2011‑9 sur la réorganisation de l’Organisme de contrôle des comptes de l’État (équivalent de la Cour des comptes), aux dispositions relatives aux marchés publics et aux appels d’offres et aux règles relatives aux recettes publiques prévues par la loi n° 2011‑8 à propos des règles d’élaboration du budget de l’État et des comptes définitifs. Par là, la spécificité du régime financier de la CMA émiratie par rapport aux organismes administratifs classiques est sans conteste assurée.

La réponse ne s’impose pas avec évidence. Il convient de rappeler qu’une partie de la doctrine n’a pas hésité à faire un parallèle entre le statut de l’Autorité des marchés financiers française (AMF française), qualifiée d’autorité publique indépendante (31), et celui d’établissement public (32). Soustraite des liens de rattachement au gouvernement, l’AMF française constitue, pour un observateur, un « établissement public non rattaché » (33). Dans le même ordre d’idées, un auteur estime que la qualification de l’ancien régulateur financier au Maroc d’établissement public peut créer une nouvelle catégorie de personnes publiques dite « les établissements publics de régulation » (34).

Par ailleurs, le projet de loi envisage une protection juridique de la future CMA émiratie lors de l’exercice de ses missions. Les dispositions de l’article 64 de ce projet exonèrent cet organisme ainsi que ses agents, sauf en cas de mauvaise foi, de toute responsabilité pour les dommages résultant de toute action ou abstention commise à l’occasion de l’exercice de leur mission. Or, cette déresponsabilisation ne passe pas inaperçue. Et pour cause : elle restreint implicitement le droit à l’accès à la justice prévu par les dispositions internes et internationales (29). Au surplus, elle ignore les fondements de la responsabilité de l’Administration de ses agissements surtout lorsque cette responsabilité peut être engagée sur la base d’une faute commise par le régulateur financier (30). Conséquence de cet état de choses, la nouvelle autorité sera dotée d’un positionnement institutionnel original par rapport aux organismes administratifs traditionnels. Or, ce positionnement ne correspond guère aux catégories classiques des personnes publiques. La qualification de la CMA émiratie à la fois d’ « établissement public » et « indépendant », du fait qu’elle soit exonérée des règles de rattachement et de tutelle, présente deux caractères difficilement conciliables. À 28. Toutefois, la future CMA émiratie se doit de s’engager d’exercer ses fonctions dans les limites des principes de gouvernance qu’elle-­même définit avec les meilleurs standards internationaux (ibid., art. 12 et 65). 29. Voy. Constitution émiratie de 1971, art. 4 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, art. 14, al. 1 ; Pacte arabe des droits de l’homme de 1997, art. 9. 30. En règle générale, la jurisprudence émiratie considère que la mise en jeu de la responsabilité administrative nécessite la mise en évidence de trois éléments : faute, dommage et lien de causalité (Cour fédérale suprême des Émirats arabes unis, adm., 28 décembre 2011, pourvoi n° 419). La jurisprudence du Conseil d’État égyptien montre également que la responsabilité non contractuelle du régulateur financier, comme toute autre structure administrative, ne peut être mise en jeu qu’après l’établissement de trois éléments de la responsabilité administrative : faute, dommage et lien de causalité (Cour administrative suprême égyptienne, 30 janvier 2010, pourvois nos 2197, 2238 et 2739/51). 2016/2

Cette analyse si séduisante ne tient, cependant, pas compte de la volonté de la mise en place d’une nouvelle formule institutionnelle chargée de la fonction de régulation. Dans la mesure où les rédacteurs de la réforme aux EAU expriment une volonté d’accorder à la CMA émiratie un statut indépendant irréductible aux organismes administratifs classiques, cette autorité n’est pas un simple prolongement de la catégorie des établissements publics administratifs. Il s’agit d’un organisme d’un nouveau genre faisant désormais partie d’une nouvelle catégorie de personnes publiques spécialisées, celle des autorités de régulation. En cela, la démarche émiratie rime avec les nouveaux choix retenus par la majorité des pays moyen-­orientaux qui tendent de plus en plus à doter le régulateur financier d’un nouveau statut juridique (35). Tenant compte de la nécessité d’un nouveau mode d’intervention publique pour réguler les marchés, le droit égyptien semble également abandonner la qualification de l’EFSA égyptienne d’établissement public suite à la constitutionnalisation de cet organisme (36). L’examen des pouvoirs de la CMA émiratie illustre que celle-­ci est loin d’être rattachée à la conception traditionnelle des organismes administratifs. 31. C. mon. fin., art. L. 621‑1. 32. Un auteur souligne que l’existence d’établissements publics non rattachés à l’État est techniquement susceptible d’exclure la jouissance de l’AMF française d’un statut propre du point du vue du non-­rattachement à l’État par rapport aux établissements publics (M. Degoffe, « Les autorités publiques indépendantes », AJDA, 31 mars 2008, p. 628). 33. P. Quilichini, « Réguler n’est pas juger. Réflexions sur la nature du pouvoir de sanction des autorités de régulation économique », AJDA, 2004, n° 20, p. 1068. 34. N. Yousfi-­Charif, La régulation des marchés financiers au Maroc, thèse, Université Paris 1-­Panthéon-­Sorbonne, 2009, pp. 79 et s. 35. Voy. N. Wahbi, L’Autorité de régulation des marchés financiers, étude comparative France-­ Moyen-­ Orient, op. cit., pp. 397 et s. 36. Outre son inadaptation à la mission de régulation, ce statut devient ipso facto caduc en raison de la constitutionnalisation de l’EFSA égyptienne qui appartient désormais à la catégorie des autorités constitutionnelles indépendantes (Constitution égyptienne de 2014, art. 214).

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I.B. Régulation comparée


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I. Régulation financière

conseil d’administration de la future CMA émiratie se fait doter d’un statut exorbitant du droit commun lui conférant une liberté normative totale (39), qu’il s’agisse des règlements régissant le fonctionnement interne de la CMA émiratie (40) ou des règlements relatifs au fonctionnement des marchés financiers (41).

La CMA émiratie

n’est pas un simple prolongement

de la catégorie des établissements publics. II. Un renforcement des moyens de régulation

Le projet de loi élargit le champ des missions de la future CMA émiratie. Celle-­ci aura, en substance, pour mission d’assurer le bon fonctionnement des marchés financiers afin de garantir l’intégrité des transactions et de servir l’intérêt de l’économie nationale, protéger les intérêts des actionnaires et des investisseurs et développer la sensibilisation du public concernant l’exercice des activités financières (37). La CMA émiratie sera donc impartie d’une mission d’encadrement des marchés en vue de maintenir l’ordre public en veillant à l’épargne publique, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers. Pour mener à bien ces missions de régulation, de contrôle et de supervision des marchés financiers (38), la réforme renforce l’arsenal des compétences de la nouvelle autorité. De la compétence normative à la compétence répressive en passant par la résolution des différends, cette réforme concentre entre les mains de la CMA émiratie des moyens d’action largement accrus.

A.  La régulation par la prévention La réforme entreprise renforce l’action préventive de la CMA émiratie par une nouvelle approche des pouvoirs règlementaires, de contrôle et d’enquête.

1.  Le pouvoir normatif On a vu que la nouvelle autorité disposera d’un pouvoir règlementaire autonome échappant à tout droit de regard réservé à l’exécutif. La lecture des dispositions de l’article 12 du projet de loi montre que le 37. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 3. 38. Ibid., art. 4. 30

Néanmoins, la dévolution à la CMA émiratie d’une compétence normative aussi large soulève des difficultés juridiques. L’observateur ne peut pas s’interdire de constater qu’il est accordé à une autorité administrative un pouvoir d’émettre des règles juridiques générales abstraites et obligatoires au même titre que le législateur. Le constat mérite cependant d’être relativisé non seulement parce que le pouvoir réglementaire est accordé à une autorité créée par le législateur mais aussi parce qu’elle jouit d’une concession législative pour produire des règles de portée générale et abstraite (42). S’ajoute à cela que la jurisprudence française définit des contours limités au pouvoir règlementaire confié aux autorités de régulation. Les Sages du Conseil constitutionnel français confirment à plusieurs reprises que les dispositions de l’article 21 de la Constitution n’interdisent pas d’accorder le pouvoir réglementaire à une autre autorité que le Premier ministre « à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu » (43). Enfin, la compétence normative du régulateur reste sous le contrôle du juge. Il convient à cet égard de rappeler que la Cour fédérale suprême des EAU a censuré un règlement édicté par la SCA émiratie imposant un système d’arbitrage forcé au motif du dépassement des limites de la délégation législative (44). Il n’en reste pas moins que la démarche suivie sur la compétence normative de la CMA émiratie pose d’autres questions concernant la méthode d’élaboration des normes. D’un côté, les dispositions de l’article 12 énoncées ci-­dessus donnent à la CMA émiratie le pouvoir d’édicter plusieurs règlements régissant le fonctionnement des marchés financiers. Or, la simplicité nécessite de s’inspirer de l’approche française qui confère à l’AMF le pouvoir d’émettre un règlement unique, tout en lui donnant la possibilité d’ajouter, éventuellement, de nouvelles règles à cet acte unique. 39. M. Hervieu, Les autorités administratives indépendantes et le renouvellement du droit commun des contrats, thèse, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 118, Paris, Dalloz, 2012, p. 113. 40. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 12. 41. Ibid. 42. Th. Bonneau et F. Drummond, Droit des marchés financiers, 3e éd., coll. Corpus, Droit privé, Paris, Economica, 2010, p. 40. 43. C.C., décision n° 88‑248 du 17 janvier 1989, cons. 15 ; C.C., décision n° 89‑260DC du 28 juillet 1989, cons. 30. 44. Cour fédérale suprême des Émirats arabes unis, com., 28 juillet 2009, pourvoi n° 640, an. 29 ; 26 mai 2009, pourvoi n° 42, an. 2009 ; 18 octobre 2009, pourvoi n° 676, an. 29.

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En parallèle, le projet de loi omet d’identifier les démarches que la CMA émiratie doit suivre pour adopter les nouveaux règlements. Force est de constater que la réforme habilite la CMA émiratie à édicter des règlements sans préciser les procédures de consultation et de concertation avec les acteurs de marché. Ce qui peut constituer, à première vue, un retour en arrière puisque la loi actuelle impose la mise en place de certains règlements après une concertation des marchés (45). En outre, rien n’est inscrit dans le marbre du projet de loi sur les procédés de droit souple, tels que les recommandations, les circulaires et les directives, ce qui permettrait de maintenir un état d’incertitude (46), contrairement à la précision faite par l’AMF française à cet égard (47).

2.  Le pouvoir de contrôle Le projet de loi introduit de larges éclaircissements sur le pouvoir de contrôle de la future CMA émiratie. Aux termes de l’article 41 du projet, celle-­ci se fait accorder un pouvoir de contrôle, d’inspection et de vérification sur les livres, les documents et les données – papier ou électroniques – des organismes placés sous son contrôle. La nouvelle autorité peut également demander à la banque centrale de lui communiquer des données détaillées sur les comptes bancaires objet de suspicion ou d’enquête. En cas de risque systémique élevé touchant l’un des organismes placés sous son contrôle, cette autorité peut, en outre, se coordonner avec les autres autorités de régulation concernées afin d’établir les procédures à appliquer. Les dispositions de l’article suivant étendent le champ de contrôle à toute personne concernée par l’activité de titres financiers en lui imposant l’obligation de communication des documents que la CMA émiratie juge nécessaires et de comparution devant elle pour entendre ses paroles.

45. Le droit émirati impose une concertation et une coordination avec les acteurs de la place financière en ce qui concerne le règlement relatif au fonctionnement du marché, le règlement relatif au fonctionnement des intermédiaires, le règlement concernant la négociation, la compensation, le règlement et la tenue des titres financiers, le règlement concernant l’adhésion au marché, le règlement concernant l’information et la transparence et le règlement d’arbitrage dans les différends découlant de la négociation de titres et de marchandises (loi fédérale n° 2000‑4 relative à la SCA émiratie, art. 4, premièrement, al. 2). 46. La SCA émiratie montre qu’elle fournit des conseils juridiques en matière financière et une interprétation des dispositions législatives et règlementaires. Voy. SCA émiratie, Guide des services, p. 126, document disponible sur le site Internet de la SCA émiratie : www.sca. gov. 47. L’AMF française s’est engagée à préciser sa doctrine en publiant le 7 décembre 2010, un texte ayant pour but de clarifier son champ et son étendue (AMF, Les principes d’organisation et de publication de la doctrine de l’AMF, 7 décembre 2010). 2016/2

3.  Le pouvoir d’enquête Les auteurs du projet de loi renforcent l’arsenal des pouvoirs de la nouvelle autorité en lui attribuant le pouvoir de mener une enquête, une inspection ou une vérification pour déterminer si une personne a commis ou tenté de commettre une violation de l’une des dispositions législatives ou réglementaires en matière financière (48). Durant la procédure, le président exécutif de la CMA émiratie peut décider la suspension de négociation pour chaque investisseur ou client en lien avec la violation pour une période ne dépassant pas trois mois quand il y a de sérieuses raisons de le faire (49). Mais en cas d’absence de réponse par le contrevenant à la demande de la CMA émiratie concernant la procédure d’enquête, cette dernière peut renvoyer l’affaire au tribunal compétent pour prendre les mesures nécessaires (50). L’approche préventive est complétée par le durcissement de l’approche répressive.

B.  La régulation par la répression La réforme redessine le pouvoir de sanction concernant les infractions financières. À la réflexion, les sanctions en la matière sont réparties entre le marché, le régulateur et les tribunaux de droit commun, avec un dénominateur commun : il s’agit de sanctions de nature professionnelle et pécuniaire.

1.  Le pouvoir de sanction du marché Conformément aux dispositions de l’article 24bis, 1, du projet de loi, le marché, c’est-­à-­dire la Bourse concernée, peut imposer l’une des sanctions suivantes en cas de violation de ses règlements internes : l’avertissement, une amende qui ne dépasse pas cent mille dirhams émiratis (maximum 24.511 EUR environ) pour chaque violation, la suspension d’un membre ou d’un adhérent pendant une période ne dépassant pas une semaine ou annuler les opérations objet de la violation mais sans endommager un tiers de bonne foi. Pour toute sanction dépassant ces fourchettes, le marché peut saisir la CMA émiratie (51).

2.  Le pouvoir de sanction du régulateur La réforme confère au conseil d’administration de la CMA émiratie un pouvoir de sanction qui se caractérise par sa dureté. À côté de la possibilité de publication des noms des contrevenants (52), les dispositions de l’article 53 du projet de loi confient au conseil le 48. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 43, al. 1. 49. Ibid., art. 43, al. 3. 50. Ibid., art. 43, al. 1. 51. Ibid., art. 24bis, 1, al. 2. 52. Ibid., art. 53, al. 3.

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I. Régulation financière

soin d’infliger l’une ou plusieurs des sanctions suivantes : l’avertissement, une amende ne dépassant pas le montant de dix millions de dirhams émiratis (2.396.326 EUR environ) en plus d’une amende équivalente à la valeur des profits réalisés ou de la perte évitée, la suspension du contrevenant de négociation pour une période ne dépassant pas un an, la suspension de négociation des titres ou des marchandises liés à la violation pour une période ne dépassant pas un an, la suspension de l’exercice des activités de l’établissement contrevenant ou l’un de ses employés pour une période ne dépassant pas un an, l’annulation de la licence d’un établissement ou l’agrément d’un de ses employés ou l’annulation d’opérations objet de la violation sans endommager un tiers de bonne foi.

d’administration de la future CMA émiratie de déléguer au président de ce même conseil ou au président exécutif de prendre l’une des sanctions mentionnées ci-­dessus. D’où le risque de priver les mis en cause d’une garantie fondamentale dans le fonctionnement des autorités de régulation, celle de la collégialité (57). De surcroît, une telle approche est préjudiciable au conseil d’administration de la CMA émiratie devant régler à la fois des questions courantes ainsi que des affaires contentieuses, ce qui pourrait retarder leur règlement, alors que les organismes de régulation ont été créés en vue d’assurer une intervention rapide et efficace.

La réforme renforce largement la sévérité des sanctions pénales réservées uniquement aux tribunaux de droit commun. Par-­delà les sanctions facultatives laissées à l’entière discrétion du juge pénal (58), les opérations d’exercice d’une activité en matière financière sans autorisation, d’utilisation délibérée de fausses informations dans les documents, les rapports ou les prospectus, les opérations d’initiés, des manipulations de cours ou de la diffusion de fausses informations, sont punies d’un emprisonnement d’au moins un an et d’une amende d’au moins cent mille dirhams et ne dépassant pas trente millions de dirhams (maximum 7.188.980 EUR environ) ou de l’une de ces peines, en plus d’une amende équivalente à la valeur des profits réalisés ou de la perte évitée.

La solution entreprise

n’offre guère les garanties du procès équitable.

La sévérité des sanctions est ainsi évidente que ce soit pour les sanctions pécuniaires ou pour les sanctions professionnelles. Dès lors, la procédure de sanction doit être entourée par des garanties formelles et fonctionnelles. De sorte qu’un seul organe, celui du conseil d’administration, se voit attribuer à la fois des compétences normatives et des compétences répressives, la solution entreprise n’offre guère les garanties du procès équitable pour de nombreuses raisons. D’abord, cette solution méconnaît les impératifs de séparation fonctionnelle au niveau des phases de sanction. La jurisprudence française, suivant la jurisprudence européenne, a progressivement affirmé que le régulateur détenteur d’un pouvoir répressif devrait être à la fois un organisme indépendant (53) et impartial (54), aux sens objectif et subjectif (55). Ensuite, la démarche pose un problème d’émergence d’un système d’ « Administrateur-­Juge » qui prononce des sanctions sur le fondement de ses propres règlements (56). Le constat est d’autant plus remarquable que le projet de loi permet au conseil 53. C.C., décision n° 89‑260DC du 28 juillet 1989, précitée, cons. 9‑10‑11‑12‑13‑14. 54. Dans l’arrêt Procola c. Luxembourg du 28 septembre 1995, la C.E.D.H. a censuré le cumul de fonctions consultatives et contentieuses par le Conseil d’État luxembourgeois (C.E.D.H., 28 septembre 1995, Procola c. Luxembourg, série A, n° 326). 55. C.E.D.H., 21 septembre 1982, Piersack c. Belgique, série A, n° 53 ; 26 octobre 1984, De Cubber c. Belgique, série A, n° 86. 56. S. Thomasset-­Pierre, L’autorité de régulation boursière face aux garanties processuelles fondamentales, thèse, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 393, Paris, LGDJ, 2003, pp. 113 et s. 32

3.  Le pouvoir de sanction des juridictions pénales

Parallèlement, aux termes de l’article 54 du projet de loi, toute autre violation des dispositions législatives et réglementaires en matière financière est susceptible d’être pénalement répréhensible d’emprisonnement d’au moins un an et de cinquante mille dirhams et ne dépassant pas quinze millions de dirhams (maximum 3.612.603 EUR environ) ou de l’une de ces peines, en plus d’une amende équivalente à la valeur des profits réalisés ou de la perte évitée. Or, la généralité de cette disposition prête à discussion car elle court le risque d’élargir la qualification pénale à toute violation des dispositions en vigueur en matière financière. Elle semble donc en contradiction avec le principe de légalité des délits et des peines en raison du manque de définition précise des faits pénalement répréhensibles. Dans un domaine sensible où la lisibilité et la clarté des textes sont des variables essentielles pour assurer la confiance, ce texte pourrait avoir un effet négatif dans la psychologie des investisseurs. Qui 57. Compte tenu de la sensibilité de délégation de la compétence de sanction, le droit français interdit fermement au collège de l’AMF de déléguer à son président ou à un autre membre en son sein le pouvoir de prendre une décision individuelle décidant l’ouverture d’une procédure de sanction (décret n° 2003‑1109 du 21 novembre 2003, art. 10-­I codifié au C. mon. fin., art. R. 621‑9). 58. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 56.

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plus est, le texte laisse présager un possible cumul des sanctions administratives prononcées par la CMA émiratie et des sanctions pénales prononcées par le juge pénal. Le constat est, cependant, à relativiser puisque la mise en mouvement de l’action publique n’est pas automatique mais nécessite une requête préalable de la part du président de la future CMA émiratie (59), ce qui devrait a priori exclure le risque de cumul des poursuites tant que l’engagement de la procédure administrative et de la procédure pénale reste un des privilèges du régulateur financier (60). À ce stade, la question de l’engagement des poursuites pénales en matière financière mérite qu’on s’y arrête. Faire dépendre la mise en mouvement de l’action publique d’une requête préalable du régulateur financier paraît en première analyse louable puisqu’elle permet non seulement d’éviter un éventuel cumul des poursuites mais aussi de favoriser le renvoi de l’affaire au parquet avec un examen technique des infractions constatées. En revanche, cette solution pourrait consister en une aberration juridique car elle prive le parquet, censé représenter la société entière, d’une de ses propres prérogatives. De plus, elle peut être entachée d’un soupçon d’inconstitutionnalité puisqu’elle restreint en creux le droit à l’accès à la justice surtout lorsque le régulateur financier s’abstient d’engager une procédure administrative ou de requérir l’engagement des poursuites pénales (61). Pour cela, on estime qu’il est souhaitable d’accorder au régulateur financier le pouvoir de demander l’engagement de l’action publique sans remettre en cause le rôle du parquet qui doit garder la possibilité d’agir en cas de carence du régulateur (62). Quoi qu’il en soit, l’approche répressive est confortée par la mise en place d’une approche globale en vue de mettre fin aux litiges en matière financière.

C.  La régulation par la résolution des différends Dans la volonté de parvenir à une issue rapide et peu onéreuse des litiges en matière financière, les rédacteurs du projet de loi mettent en place plusieurs méca59. Ibid., art. 58, al. 2. 60. Pour une lecture historique sur cette question, voy. J. Antaly, La protection pénale des opérations de la bourse : étude comparée en droit français, émiratie et égyptien, thèse, Université Paris 1-­Panthéon-­Sorbonne, 2006, 443 p. 61. C’est en substance la réponse présentée par la Commission des lois à l’Assemblée nationale du Koweït à une proposition de loi conditionnant la mise en mouvement de l’action publique par le parquet sur une demande de la Capital Market Authority koweïtienne en vue de réduire le nombre des actions engagées devant la justice (Commission des lois, rapport n° 83, 2014). 62. Cette solution est proche de la solution retenue par le droit libanais (loi n° 2011‑161 sur les marchés financiers au Liban, art. 23, al. 2). 2016/2

nismes alternatifs à la justice étatique classique. Il s’agit tantôt des voies négociées avec le régulateur à travers la transaction pénale, tantôt des procédés consensuels encouragés par le régulateur par voie de conciliation ou d’arbitrage, tantôt à travers la mise en place d’un tribunal spécial dénommé « la Commission de règlements des différends ».

1.  Les modes alternatifs à la procédure répressive La réforme entreprise accorde à la CMA émiratie la possibilité de conclure avec le mis en cause une transaction comme alternative à l’engagement de poursuites pénales. La nouvelle autorité peut entrer en négociation en vue d’une transaction avec le mis en cause dans les délits incriminés par ce projet, à l’exception des délits relatifs aux opérations d’exercice d’une activité financière sans autorisation et ceux relatifs à l’utilisation délibérée de fausses informations dans les documents, les rapports ou les prospectus (63). Si la négociation aboutit, l’accord de transaction a pour effet d’éteindre l’action publique, alors que le sursis de la peine encourue doit être ordonné si l’accord est conclu au cours de son exécution (64). Le mécanisme n’est pas tout à fait nouveau puisque le Code des sociétés a permis à la SCA émiratie de conclure des accords de transaction avec les sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne sur un certain nombre de délits (65). La nouvelle réforme est donc venue pour élargir le champ de transaction en matière financière.

La procédure

de transaction exclut les manquements par les professionnels à leurs obligations.

Cela étant, la solution introduite par le projet de loi n’est pas exempte de critiques. En premier lieu, le périmètre de la procédure de transaction exclut les 63. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 58, al. 1. 64. Ibid. 65. Loi fédérale n° 2015‑2 relative aux sociétés commerciales, J.O. du 31 mars 2015, art. 339 ; règlement n° 2015‑42 du 20 décembre 2015 émanant du conseil d’administration de la SCA émiratie concernant les règles et les procédures relatives à la transaction sur les infractions avec les sociétés anonymes.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

manquements par les professionnels à leurs obligations, contrairement à la situation en France (66). Or, la transaction est analysée comme moyen de régulation ayant tout d’abord pour objectif pédagogique en vue d’améliorer les pratiques des professionnels (67). En second lieu, la réforme ne dit rien sur le rôle des juridictions pénales dans le processus de transaction qui porte, pourtant, sur des délits relevant du champ de leurs propres compétences. Pour pallier cette situation, il convient de laisser au juge pénal le pouvoir d’homologuer les accords de transaction négociés par le régulateur, tout en procédant systématiquement à la publicité des accords pour répondre aux vertus de transparence et de pédagogie (68). Hormis les violations de nature pénale, le projet de loi laisse à la CMA émiratie la faculté de proposer aux parties des mécanismes consensuels pour mettre fin à leur litige.

2.  Les modes alternatifs encouragés par le régulateur financier La fonction de régulation assignée au régulateur financier lui permet l’intervention pour régler à l’amiable les différends opposant les intervenants sur les marchés financiers (69). Dans cet esprit, le projet de loi accorde à la CMA émiratie la faculté de proposer aux investisseurs des voies alternatives de résolution des litiges, soit par des voies consensuelles telles que la conciliation, soit par des voies de nature contractuelle et juridictionnelle, plus précisément l’arbitrage. Tout d’abord, le projet de loi offre aux intervenants aux marchés un système d’arbitrage facultatif, tirant ainsi les enseignements de l’expérience égyptienne où le système d’arbitrage forcé en matière financière a été invalidé par la Cour constitutionnelle suprême égyptienne au motif de la liberté des parties de se référer à l’arbitrage comme moyen alternatif au recours à la justice (70). Il convient à ce titre de rappeler que le droit émirati a renoncé au système d’arbitrage forcé par la décision n° 2008‑35 rendue par la SCA émiratie modifiant l’article 2 du règlement n° 2001‑1 sur l’arbitrage dans les 66. C. mon. fin., art. L621‑14‑1. Il est à rappeler que le projet de loi Sapin 2 étend le champ de composition administrative en France à l’ensemble des manquements relevant de la compétence de l’AMF française, à l’exception des abus de marché (projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, présenté le 31 mars 2016, art. 18). 67. D. Labetoutelle, « Régulation et transaction : quand le gendarme des marchés financiers transige », RJEP, n° 703, décembre 2012, repère 11. 68. P.-­H. Conac, « Composition administrative auprès de l’AMF », Rev. sociétés, 2011, p. 61 ; J.-­Ph. Kovar, « La composition administrative devant l’Autorité des marchés financiers », LPA, 16 décembre 2010, n° 250, p. 18. 69. B. Du Marais, Droit public de la régulation économique, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2004, p. 3. 70. Cour constitutionnelle suprême égyptienne, 13 janvier 2002, aff. n° 55/23. 34

litiges découlant de négociation des titres (71). Mais quel rôle peut jouer la future CMA émiratie dans le processus d’arbitrage ? L’examen du règlement n° 2001‑1 sur l’arbitrage dans les litiges découlant de négociation des titres révèle que le régulateur a pour compétence non seulement d’établir la liste des arbitres, de transmettre les demandes d’arbitrage aux arbitres choisis par les parties et d’assurer le secrétariat, mais également de former la commission d’arbitrage (72). Ensuite, le projet de loi reprend une pratique exercée par la SCA émiratie pour encourager le règlement à l’amiable des différends. Si les dispositions de l’article 59 du projet de loi se contentent d’énoncer le mécanisme de « règlement à l’amiable », la SCA émiratie offre dans la pratique un moyen pour le règlement à l’amiable par la conciliation. Pour ce faire, la SCA émiratie cherche à faire converger les vues entre les parties du litige et à les réconcilier en vue de trouver une solution consensuelle (73). Si le règlement à l’amiable aboutit, l’accord lie les parties puisque le projet de loi lui accorde le caractère d’un titre exécutoire. Les parties peuvent le soumettre, le cas échéant, au juge de l’exécution, ce titre étant revêtu de la force exécutoire (74). En revanche, en cas d’échec de conciliation, l’investisseur lésé peut à ce stade saisir la Commission de résolution des différends.

3.  La Commission de règlement des différends Le projet de loi innove en créant une nouvelle institution, celle de la Commission de règlement des différends. Il envisage la mise en place d’une ou de plusieurs commissions de résolution des différends, chacune est formée par le ministre de la Justice ou le président de l’autorité judiciaire locale selon le cas. La réforme assure l’indépendance de la nouvelle commission autant sur le plan organique que sur le plan fonctionnel. D’une part, la Commission comprend un juge président dont le degré n’est pas moins d’un président du tribunal de première instance, un juge près le tribunal de première instance et un troisième 71. Dans sa jurisprudence du 28 juillet 2009 précitée, la chambre commerciale de la Cour fédérale suprême des Émirats arabes unis a déclaré que « l’arbitrage procède de la libre volonté des opposants qui l’ont choisi et l’exclusion de la voie juridictionnelle, et ne doit en aucune façon être obligatoirement imposé par un tiers [en l’espèce la SCA émiratie] » (Cour fédérale suprême des Émirats arabes unis, com., 28 juillet 2009, pourvoi n° 640 et 18 octobre 2009, pourvoi n° 676, an. 29. 72. Le droit émirati confère au président de la SCA émiratie le pouvoir de former une commission d’arbitrage (règlement n° 2001‑1 sur l’arbitrage dans les litiges découlant de négociation des titres, fixé par le conseil d’administration de la SCA émiratie en date du 5 février 2001, art. 10). 73. SCA émiratie, Guide des services, p. 125, précité. 74. Cour fédérale suprême des Émirats arabes unis, chambre civile, 14 novembre 2012, pourvoi n° 266, an. 2012.

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membre expert en matière financière proposé par le président de la CMA émiratie. D’autre part, le projet de loi émirati confie à la Commission de règlement des différends un bloc de compétences sur le contentieux financier, à l’exclusion du contentieux pénal qui relève encore de la compétence des tribunaux de droit commun. Un contentieux civil d’abord, puisque cette Commission est chargée de statuer sur les différends relatifs à l’exercice des activités financières. Un contentieux administratif ensuite, pour statuer sur les requêtes de sursis ou d’annulation des décisions de la CMA émiratie. Incombe ainsi à la Commission de connaître des recours formés à l’encontre des actes du régulateur, qu’il s’agisse des actes à caractère réglementaire ou des actes à caractère individuel de nature répressive, de contrôle ou d’autorisation (75).

disposent le juge civil et le juge administratif. D’une part, la Commission étant chargée de statuer sur les différends opposant les investisseurs aux opérateurs financiers, elle est censée apporter une solution en cas d’échec du processus de règlement à l’amiable diligenté par la CMA émiratie. À ce titre, le champ de son intervention est calqué sur celui du juge civil puisqu’elle n’est pas une formation chargée de trouver une solution à l’amiable (79) mais de trancher les requêtes en indemnisation. D’autre part, la Commission de règlement des différends est habilitée à sursoir et à annuler les décisions du régulateur financier. En cette qualité, son champ de compétences s’apparente totalement à celui du juge administratif. Une commission habilitée à de tels pouvoirs doit-­elle être qualifiée de commission administrative ?

La nature juridique de cette commission intrigue par sa composition et sa dimension fonctionnelle. À défaut d’une qualification textuelle, on distingue une juridiction d’une administration en se référant à plusieurs critères : matériel, formel et organique. Mais la notion de juridiction est liée principalement à l’existence de deux éléments complémentaires que sont la fonction de juger et les pouvoirs dévolus au juge dans l’exercice de cette fonction (76). La reconnaissance d’un organisme de nature juridictionnelle implique qu’il puisse prendre une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée (77). Qu’est en-­il en l’espèce ?

Il est difficile d’apporter une réponse affirmative. Il semble que les rédacteurs de la réforme entendent donner à cette Commission un statut juridictionnel identique à celui d’un tribunal de première instance aux Émirats arabes unis, qui suivent un système juridictionnel unique. En témoigne le système des voies de recours envisagé : les décisions et les ordonnances rendues par la Commission ne sont susceptibles d’aucun recours sauf devant la cour d’appel compétente dans les 30 jours à compter de la date de notification (80) au même titre que les voies de recours prévues à l’encontre des jugements d’un tribunal de première instance (81). En effet, alors même que le projet de loi ne l’énonce pas, les décisions de la Commission de règlement des différends, qui ne peuvent être remises en cause que par l’exercice d’une voie de recours, ont « la force de vérité légale qui s’attache à l’acte juridictionnel » (82) une fois les délais de recours expirés. La fonction assignée à cette Commission est ainsi une véritable fonction juridictionnelle en ce qu’elle dépasse les contours de la simple fonction contentieuse reconnue habituellement à des commissions administratives (83) qui peuvent, le cas échéant, revenir sur leurs décisions (84).

Outre que la Commission de règlement des différends est composée majoritairement des magistrats, les fonctions qui lui sont dévolues sont de nature purement juridictionnelle. À côté de son habilitation à prendre, le cas échéant, des ordonnances provisoires ou temporaires (78), la Commission de règlement des différends sera dotée de pouvoirs analogues à ceux dont 75. Sachant que le projet de loi exige de former un recours devant le conseil d’administration de la CMA émiratie avant de saisir la Commission de règlement des différends dans deux cas : concernant les décisions en matière de répression prises par le marché ainsi que celles prises par la CMA émiratie en matière d’autorisation de cotation (projet de loi modifiant la loi n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 28bis, 3, et art. 32bis, 1). 76. D. Lohrer, La protection non juridictionnelle des droits fondamentaux en droit constitutionnel comparé. L’exemple de l’ombudsman spécialisé portugais, espagnol et français, thèse, Université de Pau et des pays de l’Adour, 2013, pp. 25 et s. 77. Voy. R. Chapus, « Qu’est-­ ce qu’une juridiction ? La réponse de la jurisprudence administrative », in M. Waline (dir.), Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, Paris, Cujas, 1977, p. 265 ; O. Gohin, « Qu’est-­ce qu’une juridiction pour le juge français ? », Droits, n° 9, 1989, p. 105 ; J.-­M. Auby, « Autorités administratives et autorités juridictionnelles », AJDA, n° spécial, juin 1995, p. 91 ; R. Kovar, « La notion de juridiction en droit européen », in Gouverner, administrer, juger. Liber amicorum Jean Waline, Paris, Dalloz, 2002, p. 607. 78. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 60, al. 2. 2016/2

79. La Cour fédérale suprême des Émirats arabes unis affirme que les commissions de médiation et de conciliation ne sont pas des tribunaux stricto sensu et que leurs décisions ne sont pas par conséquent des jugements (Cour fédérale suprême des Émirats arabes unis, chambre civile, 10 mars 2010, pourvoi n° 213, an. 2009). 80. Projet de loi modifiant la loi fédérale n° 2000‑4 sur la SCA émiratie, art. 60, al. 3. 81. Code fédéral de procédure civile n° 1992‑11 aux Émirats arabes unis, art. 159. 82. « (…) et qui implique que le plaideur ne peut plus soumettre le litige de nouveau à un juge, autrement que par l’exercice des voies de recours ». C’est la définition donnée par la Cour de cassation française (Cass. Fr. civ., 8 juillet 2010, n° 09‑10.955). 83. J. Chevallier, « Fonction contentieuse et fonction juridictionnelle », in Mélanges en l’honneur du professeur Michel Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1973‑1974, pp. 284 et s. 84. Le Conseil d’État français reconnaît dans son arrêt Vernes du 30 juillet 2014 à la Commission des sanctions de l’AMF française un possible réexamen de la

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

La Commission aura

un statut juridictionnel identique à celui d’un tribunal de première

instance.

La nouvelle position envisagée aux EAU révèle à coup sûr une particularité par rapport aux solutions retenues dans la région. Il ne s’agit pas d’une simple commission de recours gracieux constituée au sein du régulateur financier, comme c’est le cas en Égypte et au Qatar (85). Il ne s’agit pas non plus d’un tribunal spécial des marchés financiers institué au sein de l’ordre judiciaire, à l’instar des choix opérés au Liban et au Koweït (86). poursuite d’une sanction imposée en méconnaissance des exigences de la Convention européenne des droits de l’homme (C.E. Fr., ass., 30 juillet 2014, n° 358564, note S. Torck, Dr. sociétés, n° 11, novembre 2014, comm. 169 ; conc. S. von Coester, RFDA, 2014, p. 945. 85. Loi n° 1992‑95 relative aux marchés de capitaux en Égypte, art. 50 ; loi n° 2012‑8 sur la Qatar Financial Markets Authority, art. 37. 86. Loi n° 2011‑161 sur les marchés financiers au Liban, art. 21 ; loi n° 2010‑7 sur la CMA koweïtienne et la régulation de l’activité des titres financiers, art. 108.

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La solution émiratie trouve toutefois un parallèle en Arabie saoudite, qui dispose d’une Commission de règlement des différends relatifs aux titres financiers installée au sein du régulateur financier (87). Mais avec une différence remarquable. Si la Commission de règlement des différends émiratie intervient dans les contentieux civils et administratifs en matière financière, celle d’Arabie saoudite est conçue pour statuer sur tous les contentieux en matière financière qu’il s’agisse de contentieux administratif, de contentieux civil ou de contentieux pénal. En conclusion, on s’aperçoit que la réforme envisagée aux EAU jette les bases d’une nouvelle conception de régulation en matière financière. Les choix envisagés ont été, pour l’essentiel, empruntés des modèles de régulation retenus dans la région, notamment en Égypte et en Arabie saoudite, tout en introduisant des spécificités propres. Sur le plan institutionnel, la CMA émiratie se verra affranchie des règles de rattachement et de tutelle. Sur le plan fonctionnel, les solutions apportées révèlent un attachement à trouver un bon équilibre entre l’approche répressive et l’approche civile. Mais le chemin reste loin de la perfection. D’autres améliorations seront forcément nécessaires en vue de mettre en place des garanties cernant l’exercice par le régulateur financier des pouvoirs normatifs et contentieux. La création d’une commission indépendante à fonction contentieuse au sein du régulateur, d’une part, et l’installation d’un tribunal spécial pour les marchés financiers ayant un bloc de compétences, d’autre part, sont également des choix qui méritent d’être étudiés. 87. Loi n° 2003‑30 relative aux marchés de capitaux en Arabie saoudite, art. 25.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée

Retrait des actionnaires en France, en Roumanie et aux États-­Unis Mihaela Gherghe

Avocate, membre du barreau de Bucarest

Radu Valeanu

Avocat, membre du barreau de Bucarest

Introduction 1. Comme règle générale, les actionnaires (1) d’une société (2) ont la possibilité d’aménager contractuellement leur sortie de la société par le biais de la cession de leurs titres. À ce mécanisme s’ajoutent d’autres dispositifs qui permettent à un actionnaire de quitter la société, notamment divers droits légaux de retrait. À l’origine du droit des sociétés, les actionnaires avaient un droit de veto sur tout événement sociétaire significatif, à travers la règle du vote unanime. Cette conception, trop contraignante pour la vie des sociétés, a progressivement fait place à la règle du vote majoritaire. Afin de compenser les actionnaires pour la perte de leur droit de veto, le législateur leur a donné certains droits de retrait. 2. Par conséquent, les droits légaux de retrait sont les cas où la loi prévoit la possibilité pour un actionnaire de quitter la société et de recevoir un prix équitable 1.

2.

Nous utilisons le terme « actionnaire » pour désigner de manière générale les personnes détenant une participation dans une société, sans distinction selon la forme de la société. Nous utilisons le terme « société » pour désigner une variété de formes sociales dans les trois pays analysés. En France, il s’agit de toutes les sociétés commerciales et des sociétés civiles. En Roumanie, il s’agit des mêmes deux catégories de sociétés (sauf que la Roumanie ne connaît pas la SAS et que les sociétés civiles roumaines, appelées « sociétés simples », n’ont pas la personnalité morale et sont rarement utilisées). Aux États-­Unis, nous visons les corporations et limited liability companies (LLC), à l’exclusion des partnerships.

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Raluca Papadima Avocate, membre des barreaux de Paris, New York et Bucarest

pour ses actions (un « droit de rachat »). Au droit de rachat des actionnaires minoritaires correspond parfois un droit corrélatif d’achat de l’actionnaire majoritaire. En plus et parfois au lieu de droits légaux de retrait, les actionnaires minoritaires bénéficient également de droits contractuels de retrait (3), établis dans les statuts ou dans des pactes d’actionnaires. 3. Nous analysons exclusivement les droits légaux de retrait en France par rapport à la Roumanie et aux États-­Unis. Ces trois pays ont des marchés de capitaux respectivement actifs, faibles et très puissants. Les sociétés cotées (4) sur le marché Euronext Paris, qui sont au nombre de 600, représentent la deuxième capitalisation boursière de l’Union européenne (UE). En Roumanie, en revanche, moins de 100 sociétés sont cotées sur le marché réglementé de la principale bourse nationale, la Bourse de valeurs de Bucarest (BVB). Enfin, les États-­ Unis ont des marchés de capitaux particulièrement actifs, avec presque 2000 sociétés américaines cotées sur la Bourse de New York et 2.500 autres sociétés américaines cotées sur la Bourse Nasdaq. 4. La sélection de ces trois pays nous fournit de surcroît l’occasion de comparer de manière générale la structure des droits légaux de retrait au sein de l’UE et aux États-­Unis. De même, elle permet une réflexion sur les motifs pour lesquels deux États membres de l’UE (la France et la Roumanie), partageant un héritage com3. Ces droits contractuels de retrait de l’actionnaire peuvent inclure (i) le droit, mais non pas l’obligation, dans certaines conditions, de se retirer de la société, par la vente de ses titres à la société ou aux autres actionnaires (proportionnellement à leur participation) à un prix prédéterminé par une formule prévue dans le contrat ou à déterminer par un tiers indépendant (un droit de rachat, la société ou l’actionnaire majoritaire ayant généralement un droit corrélatif d’achat) ou (ii) le droit de vendre une partie proportionnelle de ses titres à un tiers qui acquiert la participation majoritaire dans la société (un droit de tag-­along, l’actionnaire majoritaire ayant généralement un droit corrélatif de drag-­along). 4. Nous utilisons le terme « société cotée » pour désigner toute société dont les titres sont admis sur un marché boursier.

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Chroniques

I. Régulation financière

mun sur plusieurs niveaux (économique, culturel et juridique), arrivent néanmoins à des résultats si différents concernant ces droits légaux de retrait, y compris en ce qui concerne la transposition des dispositions pertinentes de la directive Fusion (5) et de la directive OPA (6). 5. Nous présentons tout d’abord la structure des droits légaux de retrait dans chacun des pays analysés : la France (première partie), la Roumanie (deuxième partie) et les États-­Unis (troisième partie). Nous dégageons ensuite des conclusions comparatives (quatrième partie).

Depuis quelques années,

les droits légaux

de retrait sont de plus en plus fréquemment utilisés en Europe et aux États-­Unis, dans un contexte général de croissance de l’activisme

actionnarial.

I. Les droits de retrait en France 6. Le droit français organise plusieurs méthodes d’exclusion des actionnaires mais se préoccupe peu de leur retrait. Par conséquent, la plupart des droits de retrait trouvent leur source au sein de montages contractuels et sont ainsi exclus de notre analyse (7). Il existe un nombre très réduit de droits légaux de 5. Directive 2011/35/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant les fusions des sociétés anonymes, J.O.U.E., n° L110 du 29 avril 2011, pp. 1‑11, avec les modifications ultérieures. 6. Directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition, J.O.U.E., n° L142 du 30 avril 2004, pp. 12‑23, avec les modifications ultérieures. 7. Certains types de sociétés se sont vu accorder la possibilité de stipuler des droits contractuels de retrait. 38

retrait (8) et, paradoxalement, les actionnaires de sociétés cotées bénéficient d’une protection accrue par rapport à ceux de sociétés non cotées. Nous analyserons dans une première partie les droits légaux de retrait en cas d’événements sociétaires extraordinaires, qui visent uniquement, avec quelques exceptions, les sociétés cotées contrôlées (A). Nous traiterons ensuite d’autres droits de retrait prévus par le droit français, qui sont les droits de retrait généraux applicables dans les sociétés civiles et les sociétés à capital variable (B).

A.  Les événements sociétaires extraordinaires 7. Deux catégories d’événements sociétaires extraordinaires donnent naissance à des droits légaux de retrait. La première catégorie vise certaines opérations ou événements spécifiques (1). La deuxième catégorie est liée au dépassement de divers seuils de détention par un actionnaire de contrôle ou un actionnaire significatif (2).

1.  Les droits de retrait déclenchés par certaines opérations ou événements spécifiques 8. (a) Champ d’application. Certaines opérations ou événements spécifiques (9) déclenchent l’obligation d’initier une offre publique de retrait pour les actionnaires contrôlant (10) une société : (i) lorsqu’ils décident du principe de la fusion de la société avec une société qui la contrôle ou avec une autre société contrôlée par celle-­ci (article 236‑6(2) du RGAMF), (ii) lorsqu’ils se proposent de soumettre à l’approbation de l’assemblée générale extraordinaire une ou plusieurs modifications significatives des dispositions statutaires (article 236‑6(1) du RGAMF) et (iii) lorsqu’une SA dont les titres sont admis sur un marché réglementé est transformée en SCA (article 236‑5 du RGAMF). Dans les deux premiers cas, l’obligation de lancer une offre publique de retrait existe seulement si la société C’est particulièrement le cas de la SAS, qui a une nature contractuelle prononcée. 8. Sur le droit de retrait en France, voy. I. Sauget, Le Droit de Retrait de l’Associé, thèse de doctorat, Université Paris X, 1991 ; X. Grosclaude, Les droits des actionnaires dans les opérations de fusion, thèse de doctorat, Université Strasbourg III, 1995 ; E. Georges, Essai de généralisation d’un droit de retrait dans la société anonyme, Paris, LGDJ, 2006 ; X. Fromentin, « Les vertus du droit de retrait », JCP N, 2009, 30 ; H. Guebidiang A. Tchoyi-­Doumbe, La cession de droits sociaux de l’associé minoritaire, thèse de doctorat, Université Auvergne Clermont-­Ferrand I, 2010. 9. L’AMF a été habilitée à adopter ces dispositions par l’article L. 433‑4 du Code monétaire et financier. 10. La notion de contrôle est définie dans l’article L. 233‑3 du Code de commerce.

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est contrôlée et l’obligation appartient à l’actionnaire de contrôle. Dans le troisième cas, l’obligation de lancer une offre publique de retrait appartient soit aux actionnaires contrôlant la société avant le changement de forme sociale, soit aux futurs actionnaires commandités de la SCA. 9. (i) Fusion avec une société affiliée ou autres événements sociétaires extraordinaires. Les situations suivantes sont de nature à déclencher une offre publique de retrait : (α) la fusion d’une société avec la société qui la contrôle ou avec une autre société contrôlée par celle-­ci, (β) la cession ou l’apport à une autre société de la totalité ou du principal des actifs, (γ) la réorientation de l’activité sociale ou (δ) la suppression, pendant plusieurs exercices, de toute rémunération de titres de capital (article 236‑6(2) du RGAMF). 10. La première hypothèse a été prévue parce qu’une fusion avec une société « affiliée » entraîne des situations de conflits d’intérêt inhérents. Les trois dernières hypothèses ont été prévues parce que ces événements ne nécessitent pas un vote des actionnaires, la décision étant prise par le conseil. Pour cette raison, certaines voix au sein du législateur français avaient proposé la révision de ces dispositions, afin d’imposer une offre publique obligatoire (au lieu d’une offre publique de retrait), notamment en cas de cession d’actifs significatifs (11). 11. (α) En ce qui concerne les fusions, le champ d’application est limité aux fusions intra-­groupe (fusions mère-­filiale ou entre sociétés sœurs). 12. (β) En ce qui concerne les cessions d’actifs, la disposition vise la vente « de la totalité ou du principal des actifs », intra-­groupe ou non. Le sens de l’expression « principal des actifs » peut être source de difficultés. Un seuil de 50 % est généralement utilisé. L’AMF tient compte de la valeur nette des actifs vendus par rapport à la valeur nette du total des actifs, ainsi que des résultats financiers que les actifs ont générés (plus précisément le chiffre d’affaires, les revenus réalisés et le profit de la société).

entraîner l’initiation d’une offre publique de retrait (12). Elle ne déclenche pas une offre publique de retrait si elle est la simple conséquence d’un changement de contrôle ou du management de la société. La modification de l’activité sociale entraînant la modification des statuts résulte dans l’application d’une hypothèse distincte d’offre publique de retrait. 14. (δ) En ce qui concerne la suppression des droits pécuniaires (notamment les dividendes), elle doit être prorogée dans le temps, c’est-­à-­dire « pendant plusieurs exercices », afin de déclencher une offre publique de retrait. 15. (ii) Modifications statutaires significatives. Une offre publique de retrait pourrait également être provoquée par une modification statutaire « significative » (article 236‑6(1) du RGAMF). Le terme « significative » est vague et a été source de nombreuses incertitudes. Le RGAMF énumère expressément trois types de modifications comme étant significatives : (α) la modification de la forme sociale, (β) la modification des conditions de cession et de transmission des titres de capital et (γ) la modification des droits qui sont attachés à ces titres. 16. (α) Concernant le changement de la forme sociale, la disposition vise tout type de modification mais comme elle s’applique exclusivement aux sociétés cotées, elle concerne donc uniquement la SA et la SCA. Néanmoins, la transformation d’une SA en SCA est traitée séparément par l’article 236‑5 du RGAMF, dont le contenu est détaillé ci-­après. Par conséquent, à part l’hypothèse rare de transformation d’une SCA en SA, toute autre modification de la forme sociale conduit à une radiation de la cote de la société (ou l’adoption d’une forme sociale étrangère). 17. (β) Concernant la modification des conditions de cession et de transmission des titres de capital, ces situations trouvent rarement à s’appliquer puisque les actions d’une société cotée sont en principe librement négociables.

13. (γ) En ce qui concerne la réorientation de l’activité sociale, elle doit être suffisamment significative pour

18. (γ) Concernant la modification des droits qui sont attachés aux titres, l’insertion d’un plafond au droit de vote ou la suppression du droit de vote double imposé par la loi Florange (13) en 2014 pourrait, en théorie,

11. Les événements ayant suscité ce débat parlementaire ont été l’acquisition du SFR par Altice-­Numéricable ou l’acquisition de la division énergie d’Alstom par General Electric. Voy. C. Schricke et al., Rapport sur les cessions et acquisitions d’actifs significatifs par des sociétés cotées, 19 février 2015, pp. 11‑17. La vente de la partie significative des actifs n’est pas, en l’absence d’une clause contraire, une modification statutaire. Par conséquent, le vote des actionnaires n’est pas requis. Le Code AFEP-­MEDEF sur la gouvernance de l’entreprise prévoit (comme une recommandation applicable exclusivement aux sociétés cotées) un vote des actionnaires dans une telle situation. L’AMF a récemment adopté une position-­recommandation au même effet. Voy. Position-­ recommandation AMF n° 2015‑05 concernant les cessions et les acquisitions d’actifs significatifs, 15 juin 2015.

12. A. Viandier, OPA, OPE et autres offres publiques, 5e éd., Paris, Francis Lefebvre, 2014, par. 2397, p. 460 et par. 2404, p. 463 (citant décision AMF n° 206C1586, 4 août 2006, IPBM ; décision AMF n° 205C0707, 20 avril 2005, Siparex Croissance ; décision CMF n° 203C0811, 27 mai 2003, Bail Investissement ; décision CMF n° 201C0558, 17 mai 2001, Via Banque ; opinion SBF n° 93‑1423, 17 mai 1993, Forinter). 13. Loi n° 2014‑384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle. La loi Florange prévoit, avec effet immédiat et afin de dissuader les prises de contrôle hostiles de sociétés cotées françaises, que les actionnaires détenant des « actions entièrement libérées pour lesquelles il sera justifié d’une inscription nominative, depuis deux ans au moins, au nom du même actionnaire », bénéficieront d’un droit de vote double, sauf disposition statutaire contraire. Par conséquent, plu-

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I.B. Régulation comparée


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I. Régulation financière

lorsqu’elle est « significative », déclencher une offre publique de retrait. Pour autant, la jurisprudence de l’AMF semble indiquer que les modifications raisonnables faites aux droits de vote ne seront pas considérées « significatives » (14). 19. Ces trois modifications énumérées par le RGAMF ne sont pas limitatives. De plus, compte tenu du chevauchement entre les différentes hypothèses prévues à l’article 236‑6 du RGAMF, l’AMF et ses prédécesseurs ont analysé certains événements ou modifications compte tenu de l’article 236‑6 dans son ensemble (15). Par conséquent, d’autres événements ou modifications peuvent générer une offre publique de retrait, par exemple une scission, une fusion de droit commun (par exemple, une fusion dans laquelle une société non cotée est la société absorbante), la dissolution de la société ou la perte d’un certain statut particulier (par exemple, celui d’institution de crédit, de société de crédit-­bail ou de conseil en investissement financier) (16). De la même manière, lors de circonstances particulières, le transfert du siège social (par exemple, à l’étranger) ou la création ou l’annulation des actions de préférence pourrait en théorie déclencher une offre publique de retrait. 20. (iii) Transformation d’une SA en SCA. Bien que la SCA soit rarement utilisée, certaines sociétés cotées (par exemple Castorama, Hermès et Euro Disney) l’utilisent comme technique de défense anti-­OPA. Ainsi, dans le cadre d’une OPA hostile, comme la direction de la société appartient aux commandités, l’acquisition des actions des commanditaires ne confère pas à l’initiateur le contrôle de la société. Toutefois, le simple fait qu’une SCA soit moins susceptible d’être la cible d’une OPA réduit la valeur des actions et, par conséquent, la possibilité pour les actionnaires commanditaires de quitter la société (17). 21. (b) Procédure. La procédure et l’intervention de l’AMF diffèrent légèrement selon que le régime de l’offre publique de retrait est celui de l’article 236‑5 ou de l’article 236‑6 du RGAMF. Certaines exigences générales demeurent toutefois applicables. sieurs sociétés ont inclus comme point à l’ordre du jour de leurs assemblées générales annuelles une modification des statuts pour supprimer ce droit de vote double. 14. Par exemple, la limitation des droits de vote des actionnaires de Danone à 6 % (12 % pour les actionnaires ayant un droit de vote double) n’a pas généré une offre publique de retrait parce que la société était caractérisée par un contrôle dispersé et la mesure avait été prise comme une mesure de protection contre les offres publiques hostiles. Voy. A. Viandier, OPA, OPE et autres offres publiques, 5e éd., op. cit., par. 2395, pp. 459‑460. 15. P.-­Y. Chabert, A. Couret, « Les offres de prises de contrôle », in G. Canivet, D. Martin, N. Molfessis, Les offres publiques d’achat, Paris, LexisNexis, 2009, p. 306. 16. A. Viandier, OPA, OPE et autres offres publiques, 5e éd., op. cit., par. 2397, p. 460. 17. D. Carreau, H. Letreguilly, Offres publiques (OPA, OPE, OPR), coll. Répertoire de droit des sociétés, Paris, Dalloz, 2012, par. 352, pp. 356‑357, pp. 454‑459. 40

22. (i) Événements sociétaires extraordinaires et modifications statutaires significatives. Dans les hypothèses prévues par l’article 236‑6 du RGAMF, l’actionnaire de contrôle doit informer l’AMF sur l’opération envisagée avant le vote de l’assemblée générale. L’AMF décide ensuite si une offre publique de retrait doit être initiée (18). Néanmoins, en pratique, soit l’AMF prononce une décision de dérogation sur la base de l’article 236‑6 du RGAMF, soit l’actionnaire de contrôle lance une offre publique de retrait volontairement. 23. L’AMF effectue son analyse en tenant compte « [des] droits et [des] intérêts des détenteurs de titres de capital ou des détenteurs de droits de vote de la société » (article 236‑6 du RGAMF). Généralement, les critères pris en considération sont : les conséquences de l’opération sur l’activité sociale, l’organisation interne, la gouvernance de la société, la liquidité des titres, la capacité de la société à distribuer des dividendes et les perspectives potentielles de la société (19). Concernant les fusions, l’AMF analyse également le caractère raisonnable de la parité d’échange et le rapport de l’expert indépendant. Quant aux cessions d’actifs (20), si l’AMF considère que les actifs vendus représentent le « principal des actifs », elle analyse ensuite les conséquences de la vente sur les actionnaires en examinant la finalité de la vente, la destination des actifs, la viabilité de la société après la vente ou encore la relation entre les parties contractantes (21). 18. Avant 2008, l’AMF n’avait pas un pouvoir discrétionnaire pour imposer l’initiation d’une offre publique de retrait. Voy. D. Bompoint, « Toutes les offres de retrait ont désormais base légale – Commentaire de l’article 153 de la LME », Bull. Joly Bourse, 2008, p. 360. L’AMF pouvait seulement rendre un avis concernant l’opportunité d’une offre publique de retrait et les actionnaires minoritaires devaient s’adresser au juge pour demander l’initiation de l’offre publique de retrait. Voy., par exemple, CA Paris, 25 juin 1998, Buckel v. Société du Casino municipal de Cannes, Bull. Joly Bourse, 1998, p. 834, comm. A. Couret. 19. A. Viandier, OPA, OPE et autres offres publiques, 5e éd., op. cit., par. 2407, pp. 464‑465. 20. Pour trois exemples dans lesquels les actionnaires de contrôle ont vendu tous les actifs de la société et ont initié une offre publique de retrait (déclarée conforme par l’AMF), voy. décision AMF n° 209C1198, 23 septembre 2009, Jet Multimedia ; décision AMF n° 214C1484, 22 juillet 2014, Carrefour Property Development ; décision AMF n° 214C2672, 18 décembre 2014, Compagnie Foncière Internationale. 21. Voy., par exemple, CA Paris, 3 avril 2001, arrêt La Rochette (approuvant la décision du CMF de ne pas imposer une offre publique de retrait parce que, même si les actifs vendus représentaient plus de deux tiers des actifs immobiliers de la société, ils généraient des revenus irréguliers et étaient soumis à une dépréciation rapide) ; décision AMF n° 208C2236, 12 décembre 2008, César (même si les actifs vendus représentaient approximativement deux tiers des actifs nets et du chiffre d’affaires, la vente n’a pas déclenché une offre publique de retrait, parce qu’elle n’avait pas généré des conséquences préjudiciables pour les actionnaires, étant approuvée par le

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24. (ii) Transformation d’une SA en SCA. L’AMF occupe seulement un rôle secondaire. Une offre publique de retrait « doit » être initiée après le vote de l’assemblée générale (contrairement à l’article 236‑6(1) du RGAMF qui vise toute modification de la forme sociale). Notons aussi que cet élément déclencheur d’une offre publique de retrait est également applicable à des sociétés non contrôlées (22). 25. (iii) Conditions générales. Dans tous les cas, l’offre publique de retrait ne peut contenir aucune condition minimale et doit être libellée à des conditions telles qu’elle puisse être déclarée conforme (afin d’éviter que les actionnaires majoritaires présentent une offre publique qui serait rejetée par l’AMF, leur permettant d’échapper à cette obligation). Comme pour toutes les offres publiques, le prix peut être établi soit en numéraire, soit en actions. Dans ce dernier cas, les actions offertes doivent être suffisamment liquides (23). L’offre est réalisée par achats pendant une période de dix jours de négociation au moins (article 236‑7 du RGAMF). 26. À l’exception des aspects précédemment évoqués, le régime d’une offre publique de retrait suit le régime général applicable à toute offre publique. L’AMF doit analyser l’offre et émettre une déclaration de conformité. L’AMF n’analyse pas le caractère adéquat du prix (article 231‑21‑5 du RGAMF), le prix étant exclusivement établi par les actionnaires de contrôle (24). Toutefois, comme toute offre publique, la note d’inforjuge dans le cadre d’une procédure collective ouverte à l’encontre de la société) ; décision AMF n° 204C1223, 1er octobre 2004, Euro Disney SCA (la vente du principal des actifs d’une société n’a pas déclenché une offre publique de retrait parce que les actifs vendus demeuraient dans la sphère de contrôle de la société) ; décision CMF n° 200C0181, 3 février 2000, Aérospatiale Matra (l’opération n’a pas déclenché une offre publique de retrait lorsque les actionnaires de contrôle ont décidé de dissoudre la société existante et de transférer tous les actifs dans une société nouvelle, tous les actionnaires de la société dissoute recevant des actions dans la nouvelle société). Voy. A. Viandier, OPA, OPE et autres offres publiques, 5e éd., op. cit., par. 2403, pp. 462‑463, par. 2401, pp. 461‑462 et par. 2396, p. 459. 22. Pour quelques illustrations d’offres publiques de retrait initiées conformément à l’article 236‑5 du RGAMF, voy. décision AMF n° 209C0174, 4 février 2009, Patrimoine et Commerce ; décision AMF n° 207C1494, 18 juillet 2007, Altarea ; décision AMF n° 207C0877, 15 mai 2007, OFI Private Equity Capital ; décision AMF n° 205C1281, 20 juillet 2005, Toaux ; décision AMF n° 204C1529, 1er décembre 2004, Foncière des Murs ; décision AMF n° 204C664, 25 mai 2004, Socim. 23. D. Carreau, H. Letreguilly, Offres publiques (OPA, OPE, OPR), op. cit., par. 443, p. 451. 24. Pour un panorama des méthodes d’évaluation dans un contexte d’offre publique de retrait et de retrait obligatoire, voy. M.-­A. Frison-­Roche, M. Nussenbaum, « Les méthodes d’évaluation financière dans les offres publiques de retrait et les retraits obligatoires d’Avenir-­ Havas-­Media à Sogénal », Revue de droit bancaire et de la bourse, 1995, pp. 56‑69, n° 48. Voy. aussi CA Paris, 6 avril 1994 et 19 septembre 1994, arrêts Avenir-­Havas-­ 2016/2

mation doit indiquer « le prix proposé (…) en fonction des critères d’évaluation objectifs usuellement retenus » (article 231‑18(2) du RGAMF), suivant une approche multicritère (25). Finalement, bien que l’existence d’un rapport d’un expert indépendant avec une attestation d’équité soit seulement nécessaire dans certains cas limitativement prévus à l’article 261‑1 du RGAMF (par exemple, en cas de retrait obligatoire ou encore si le conseil de la société cible est teinté d’un conflit d’intérêt), des attestations d’équité sont fréquemment utilisées de manière volontaire.

2.  Les droits de retrait déclenchés par le dépassement de certains seuils de détention 27. Lorsqu’un actionnaire dépasse certains seuils de détention, certains droits légaux de retrait limités deviennent applicables. Un tel seuil est celui de 90 % ou 95 % (auquel cas il s’agit de l’existence d’un contexte de squeeze-­out), qui rend applicables plusieurs mécanismes prévus soit par le RGAMF, soit par le Code de commerce et qui sont accompagnés chacun de droits légaux de retrait spécifiques. Un autre seuil pertinent est celui qui rend applicable, exclusivement aux sociétés cotées, le mécanisme des offres obligatoires, qui représente un droit de retrait indirect. 28. (a) Droits de retrait en contexte de squeeze-­out prévus par le RGAMF. Un actionnaire détenant 95 % d’une société cotée dispose de deux mécanismes pour éliminer les minoritaires et sortir de la cote : (i) l’offre publique de retrait et (ii) le retrait obligatoire. 29. (i) Offres publiques de retrait dans un contexte de squeeze-­out. Lorsqu’un actionnaire détient au moins 95 % des droits de vote d’une société cotée, tout actionnaire minoritaire « peut demander à l’AMF de requérir du ou des actionnaires majoritaires le dépôt d’un projet d’offre publique de retrait » (articles 236‑1 et 236‑2 du RGAMF). Réciproquement, l’actionnaire de contrôle peut déposer auprès de l’AMF un projet d’offre publique de retrait pour les titres non détenus (articles 236‑3 et 236‑4 du RGAMF). Les offres de retrait dans un contexte de squeeze-­out s’appliquent indépendamment de l’événement qui a conduit au franchissement du seuil de 95 % (une fusion, une offre publique, etc.). 30. Le droit de rachat des actionnaires minoritaires est extrêmement limité. L’AMF détient un pouvoir discrétionnaire pour donner suite ou refuser la demande Media, Revue de droit bancaire et de la bourse, 1995, p. 265, comm. M. Germain et M.-­A. Frison-­Roche. 25. L’approche multicritère prend en considération la valeur boursière de la société, la valeur de rentabilité (capitalisation d’un résultat prévisionnel normatif, actualisation de flux de trésorerie prévisionnels, etc.), la valeur patrimoniale (actif net corrigé) et des valeurs analogiques (comparaisons boursières, transactions comparables). Voy. Position-­recommandation AMF n° 2011‑11, 11 juillet 2011.

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I.B. Régulation comparée


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I. Régulation financière

des minoritaires, « au vu notamment des conditions prévalant sur le marché des titres concernés et des éléments d’information apportés par le demandeur » (article 236‑1(2) du RGAMF). Le critère principal utilisé par l’AMF est celui de la liquidité des actions (26). Dans le cas où elle approuve la demande, l’AMF notifie sa décision aux actionnaires de contrôle et impose le lancement d’une offre publique de retrait dans un délai fixé par la décision (article 236‑1(3) du RGAMF). Le régime de l’offre publique de retrait initiée dans un contexte de squeeze-­out est identique à celui applicable aux autres offres publiques de retrait. Rappelons également qu’une offre publique de retrait est presque toujours suivie d’un retrait obligatoire.

Le droit de rachat

des actionnaires minoritaires est extrêmement limité.

31. (ii) Retrait obligatoire. Cette procédure peut être utilisée à l’issue de toute offre publique, y compris une offre publique de retrait (articles 237‑1 et s. du RGAMF) et elle est fréquemment utilisée (à peu près 200 offres publiques ont été suivies d’un retrait obligatoire entre 2005‑2014, soit une moyenne de 20 par an (27)). Elle permet à l’initiateur, moyennant une indemnisation, de se voir attribuer les titres des actionnaires minoritaires dès lors que ces titres ne représentent pas plus de 5 % du capital ou des droits de vote (articles 237‑1 et 237‑14 du RGAMF). Il s’agit donc d’un droit d’achat de l’actionnaire de contrôle, les actionnaires minoritaires n’ayant pas un droit de rachat. 32. Lorsque le retrait obligatoire intervient à l’issue d’une offre publique de retrait, l’actionnaire de contrôle doit procéder à une évaluation des titres de la société « effectuée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d’actifs, tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l’existence de filiales et des perspectives d’activité » (article 237‑2(2) du RGAMF et article L. 433‑4-­II du Code monétaire et financier). Un rapport d’un expert indépendant avec une attestation d’équité est requis (article 261‑1-­II du RGAMF). La jurisprudence a établi que la liste des critères prévus par le RGAMF est simplement illustrative et que d’autres critères peuvent également être utilisés (par exemple, une analyse comparative avec des sociétés 26. M.-­C. Dang Tran, T. Forschbach, Code pratique des sociétés cotées, 2e éd., Paris, Joly, 2011, p. 615. 27. Rapports annuels de l’AMF 2005‑2014, disponibles sur www.amf-­france.org. 42

similaires, une comparaison des prix du marché avant l’offre, la méthode des flux des dividendes ou encore la méthode d’actualisation des flux de trésorerie). De la même manière, certains critères peuvent être écartés au vu de leur pertinence moindre ou inexistante (28). Le prix du retrait obligatoire (« indemnisation » selon la terminologie du RGAMF) doit être au moins égal au prix de l’offre publique de retrait. Il lui est supérieur si des événements susceptibles d’influer sur la valeur des titres concernés sont intervenus depuis la déclaration de conformité de l’offre publique de retrait (article 237‑8 du RGAMF). À l’exception de ces particularités, la procédure est identique à celle applicable à toute offre publique, c’est-­à-­dire l’analyse de l’offre par l’AMF (notamment à l’égard du prix minimum) et la déclaration de conformité le cas échéant. 33. Le mécanisme est similaire lorsque le retrait obligatoire intervient à l’issue d’une offre publique autre qu’une offre publique de retrait. Néanmoins, la condition concernant le prix minimum n’est pas imposée (l’article 237‑14(3) du RGAMF ne renvoyant pas à l’article 237‑8 du RGAMF). De plus, en pratique, l’AMF n’émet pas une déclaration de conformité dans la plupart des cas. En effet, il existe une exception à la délivrance d’une telle déclaration lorsque le retrait obligatoire comporte le règlement en numéraire proposé lors de la dernière offre et que l’une des deux conditions suivantes est remplie : (i) le retrait obligatoire fait suite à une offre publique soumise à la procédure normale (et non pas simplifiée) ou (ii) le retrait obligatoire fait suite à une offre publique pour laquelle l’AMF a disposé d’une évaluation des titres de la société visée et d’un rapport établi par un expert indépendant avec une attestation d’équité (article 237‑16-­I du RGAMF). 34. (iii) Corrélation avec la directive OPA. Ces deux mécanismes (l’offre publique de retrait et le retrait obligatoire) existaient en France avant l’adoption de la directive OPA mais ont été modifiés compte tenu des articles 15 et 16 de la directive OPA. 35. Selon ces dispositions de la directive OPA, si un actionnaire atteint un certain seuil (90 % ou 95 %), il peut requérir, moyennant « un juste prix », que les actionnaires minoritaires lui vendent leurs titres. Réciproquement, les actionnaires minoritaires peuvent demander à l’actionnaire de contrôle le rachat de leurs titres, également à « un juste prix ». Plus spécifiquement, la directive OPA prévoit deux éléments déclencheurs : (i) lorsque l’offrant détient des titres représentant au moins 90 % du capital assorti de droits de vote et 90 % des droits de vote de la société visée (les États membres peuvent toutefois fixer le seuil à 95 %) ou (ii) lorsque, à la suite de l’acceptation de l’offre, il a acquis ou s’est fermement engagé par contrat à acquérir des titres représentant au moins 90 % du capital assorti de droits de vote de la société visée et 90 % des droits de vote faisant l’objet de l’offre. À la suite d’une 28. D. Carreau, H. Letreguilly, Offres publiques (OPA, OPE, OPR), op. cit., par. 507.

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offre volontaire, la contrepartie de l’offre est présumée juste si l’offrant a acquis, par acceptation de l’offre, des titres représentant au moins 90 % du capital assorti de droits de vote faisant l’objet de l’offre. À la suite d’une offre obligatoire, la contrepartie de l’offre est présumée juste. Soulignons enfin que le prix de l’offre publique de retrait est payé par l’initiateur (l’actionnaire de contrôle) et non pas par la société. 36. La directive OPA n’a été que partiellement transposée en France. Les articles 236‑3 et 236‑4 du RGAMF, ainsi que les articles 237‑1 à 237‑19 du RGAMF, transposent l’article 15 de la directive OPA, en accordant à l’actionnaire majoritaire le droit de proposer et puis de demander le retrait des minoritaires. Une disposition symétrique n’existe pas pour les actionnaires minoritaires (comme envisagé par l’article 16 de la directive OPA). Ces derniers ont seulement la possibilité de demander à l’AMF qu’elle impose à l’actionnaire de contrôle d’initier une offre publique de retrait, conformément aux articles 236‑1 et 236‑2 du RGAMF. Or, nous avons déjà précisé que l’AMF détient un pouvoir discrétionnaire à cet égard. 37. (iv) Corrélation avec le mécanisme de radiation. Les mécanismes des offres publiques de retrait et des retraits obligatoires permettent à un actionnaire qui détient 95 % d’une société cotée de procéder à sa radiation. Le droit français a très récemment introduit un mécanisme supplémentaire permettant à un actionnaire qui détient seulement 90 % d’une société de demander la radiation de la cote (29). Dans ce cadre, les minoritaires sont les bénéficiaires d’un droit indirect de retrait car l’une des conditions requises pour la mise en œuvre du mécanisme de radiation concerne, en outre, l’obligation de l’actionnaire de contrôle de s’engager à acheter les actions des minoritaires qui n’ont pas répondu à l’offre publique simplifiée, à un prix égal à celui de l’offre publique simplifiée.

Le Code de commerce

prévoit un mécanisme particulier pour les

fusions squeeze-­out.

38. (b) Droits de retrait en contexte de squeeze-­out prévus par le Code de commerce. Le Code de commerce prévoit un mécanisme particulier pour les fusions squeeze-­out entre une société et sa filiale détenue à 90 %, applicable à la fois aux sociétés cotées et non 29. Article 1.4.2 des Règles de marché d’Euronext, Livre II (Règles particulières applicables aux marchés réglementés français), entré en vigueur le 20 juillet 2015. 2016/2

cotées (i). Il prévoit aussi un mécanisme applicable à certaines sociétés se trouvant en redressement judiciaire, cotées et non cotées, faisant intervenir un droit légal de retrait (ii).

Il prévoit aussi un

mécanisme applicable à certaines sociétés se trouvant en redressement

judiciaire.

39. (i) Fusions squeeze-­out. La directive Fusion organise une protection des actionnaires minoritaires en cas de fusion qui consiste en l’établissement d’un rapport du conseil et d’un rapport d’un commissaire à la fusion afin de déterminer si « le rapport d’échange est équitable et raisonnable », un droit de consultation de certains documents, ainsi que le droit de voter sur la fusion. La directive Fusion précise que les États membres ne doivent pas imposer les rapports et le droit de consultation en cas de fusion entre une société mère et sa filiale détenue à 90 % si trois conditions sont remplies : (a) « les actionnaires minoritaires de la société absorbée peuvent exercer le droit de faire acquérir leurs actions par la société absorbante », (b) « dans ce cas, ils ont le droit d’obtenir une contrepartie correspondant à la valeur de leurs actions » et (c) « en cas de désaccord sur cette contrepartie, celle-­ci doit pouvoir être déterminée par un tribunal ou par une autorité administrative désignée à cet effet par l’État membre » (article 28(1) de la directive Fusion). Du point de vue des actionnaires minoritaires, le droit prévu par la directive Fusion est seulement un quasi-­droit de retrait. D’une part, l’existence de ce droit de retrait dépend exclusivement de la volonté de la société absorbante à ne pas établir les rapports obligatoires. D’autre part, ce droit n’est pas susceptible d’exécution forcée, car en cas de violation, la sanction est simplement la réactivation de l’obligation d’établir les rapports. 40. L’article L. 236‑11‑1 du Code de commerce a transposé ces dispositions de la directive Fusion en droit français. Il prévoit que lorsque la société absorbante détient au moins 90 % des droits de vote des sociétés absorbées, il n’y a pas lieu à l’établissement des rapports du conseil et du commissaire à la fusion si « les actionnaires minoritaires de la société absorbée se sont vu proposer, préalablement à la fusion, le rachat de leurs actions par la société absorbante à un prix correspondant à la valeur de celles-­ci », déterminé (i) pour les sociétés non cotées, dans les conditions prévues à l’article 1843‑4 du Code civil

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

(détaillées ci-­après (30)) ou (ii) pour les sociétés cotées, dans le cadre d’une offre publique initiée conformément aux RGAMF. La convocation ou le vote de l’assemblée générale n’est pas nécessaire au sein de la société absorbante mais reste obligatoire pour la société absorbée (31). 41. Concernant les sociétés non cotées, le projet du traité de fusion prévoit fréquemment que la société absorbante a présenté une offre aux actionnaires minoritaires pour le rachat de leurs titres à un certain prix (ou que la société lancera une telle offre avant la date de réalisation de la fusion), permettant ainsi d’échapper à l’obligation d’établir les rapports. Compte tenu du renvoi à l’article 1843‑4 du Code civil, que nous traitons plus bas, la société absorbée et les actionnaires minoritaires peuvent librement négocier le prix (y compris sur la base d’une expertise volontairement obtenue par la société absorbante, en dehors du domaine de l’article 1843‑4 du Code civil). En cas de contestation d’un des minoritaires, et seulement dans ce cas, un expert sera désigné conformément à l’article 1843‑4 du Code civil. En d’autres termes, une intervention a priori et systématique de l’expert n’est pas nécessaire (32). 42. Quant aux sociétés cotées, l’offre publique envisagée par l’article L. 236‑11‑1 du Code de commerce peut prendre des formes variées, compte tenu des circonstances de l’espèce. Il peut s’agir d’une offre publique de retrait, d’une offre de retrait obligatoire, d’une offre publique simplifiée (régie par les articles 233‑1 et s. du RGAMF) ou de la procédure de radiation de la cote discutée antérieurement. Enfin, pour échapper aux contraintes spécifiques de ces mécanismes, un actionnaire qui détient une filiale à 90 % peut décider d’effectuer le squeeze-­out en utilisant le mécanisme de fusion classique (avec donc l’établissement des rapports). Le choix entre ces différentes options peut aussi dépendre d’autres considérations, par exemple, le fait que le prix d’une fusion peut uniquement être établi en actions alors que le prix d’une offre publique peut être établi soit en numéraire (sans dilution), soit en actions, soit en partie en numéraire et en partie en actions. 43. (ii) Sociétés en redressement judiciaire. Le nouvel article L. 631‑19‑2 du Code de commerce, introduit par la loi Macron en août 2015 (33), prévoit un droit de 30. Voy. infra, section I.B.1. 31. B. Lecourt, « Fusions et scissions de sociétés : transposition en droit français de la directive de “simplification” », Revue des sociétés, 2011, p. 658. 32. Association nationale des sociétés par actions (ANSA), Nouveau régime des fusions après la loi de simplification du 17 mai 2011 : questions diverses, n° 11‑057, 12 octobre 2011, par. 6, pp. 7‑8. L’ANSA a ainsi noté que lorsque seulement certains minoritaires sont en désaccord, la nomination d’un expert conformément à l’article 1843‑4 du Code civil n’invaliderait pas les acceptations précédemment faites par les autres minoritaires. 33. Article 238 de la loi n° 2015‑990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Le champ d’application assez circonstancié a permis à l’article 238 de passer l’examen à la loupe des 44

retrait applicable à certaines sociétés se trouvant en redressement judiciaire, cotées ou non. Ce nouveau droit de retrait n’est pas en relation directe avec le dépassement d’un seuil mais nous le traitons dans cette section parce qu’il est lié à la détention d’une majorité des droits de vote ou d’une minorité de blocage au sein de la société et parce qu’il partage certaines caractéristiques avec les mécanismes qui interviennent dans un contexte de squeeze-­out. 44. Plus précisément, lorsque la cessation d’activité d’une société d’au moins 150 salariés serait de nature à causer un trouble grave à l’économie nationale ou régionale et au bassin d’emploi, et si la modification du capital apparaît comme la seule « solution sérieuse » permettant d’éviter ce trouble et de permettre la poursuite de l’activité, le tribunal peut, parmi d’autres options, ordonner la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital par les actionnaires ayant refusé la modification de capital et qui détiennent, directement ou indirectement, une fraction du capital leur conférant une majorité des droits de vote ou une minorité de blocage dans les assemblées générales de cette société, au profit des personnes qui se sont engagées à exécuter le projet de plan (les cessionnaires). Dans un tel cas, tous les autres actionnaires disposent du droit de se retirer de la société et de demander, simultanément avec la cession forcée de la participation des actionnaires ayant refusé la modification de capital, le rachat de leurs actions par les mêmes cessionnaires. Le prix de la cession est identique pour tous les cédants, que la cession soit forcée ou volontaire. On voit facilement que ce droit de retrait est très similaire à un droit contractuel de tag-­along. 45. Contrairement à l’article L. 236‑11‑1 du Code de commerce, qui prévoit que le prix est déterminé soit dans les conditions prévues à l’article 1843‑4 du Code civil (pour les sociétés non cotées), soit dans le cadre d’une offre publique initiée conformément aux RGAMF (pour les sociétés cotées), l’article L. 631‑19‑2 du Code de commerce n’opère pas une distinction entre ces deux types de société et prévoit de manière générale qu’en l’absence d’accord entre les intéressés sur la valeur des droits des actionnaires cédants, « cette valeur est déterminée à la date la plus proche de la cession par un expert ». Il prévoit ensuite séparément que, s’il s’agit d’une société cotée, le tribunal ne peut statuer sur la demande tendant à la cession qu’après avoir consulté l’AMF et qu’il est fait application des articles L. 433‑1 et s. du Code monétaire et financier (qui régissent le mécanisme des offres publiques en général, y compris les offres publiques de retrait, le retrait obligatoire et les offres obligatoires). Ces dispositions et ce renvoi au droit financier soulèvent de nombreux points d’interrogation et difficultés d’application pratique, sur lesquels ni les tribunaux ni la doctrine n’ont encore eu l’opportunité de se prononcer. Sages le 5 août 2015 (Déc. Cons. constit., n° 2015‑715, 5 août 2015).

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46. Il semble toutefois clair que l’absence de renvoi à l’article 1843‑4 du Code civil (pour les sociétés non cotées) a été délibérée car l’article L. 631‑19‑2 du Code de commerce déroge à l’article 1843‑4 du Code civil en prévoyant que la valeur est déterminée « à la date la plus proche de la cession » alors que des controverses existent sur ce point lorsque l’article 1843‑4 du Code civil est applicable (qui seront discutées en plus de détails ci-­après). En plus, l’article L. 631‑19‑2 du Code de commerce ne prévoit pas la possibilité (qui existe lorsque l’article 1843‑4 du Code civil est applicable) pour les parties de désigner l’expert, car il prévoit dans tous les cas que l’expert est désigné par le tribunal. Enfin, l’article L. 631‑19‑2 du Code de commerce contient des dispositions additionnelles par rapport à l’article 1843‑4 du Code civil. Par exemple, il prévoit que l’expert est tenu de respecter le principe du contradictoire, que le tribunal doit entendre toutes les parties concernées (actionnaires, dirigeants, créanciers ou personnes qui se sont engagées à exécuter le plan). Il prévoit également que le tribunal statue par un seul et même jugement sur la cession et sur la valeur des droits sociaux cédés, après avoir reçu le rapport de l’expert, que l’adoption du plan est subordonnée à une inaliénabilité temporaire des titres acquis par le cessionnaire (pendant la durée du plan) et que le plan est arrêté sous la condition du paiement comptant du prix par le cessionnaire. 47. (c) Offres publiques obligatoires. La directive OPA n’impose pas de lancer une offre publique pour 100 % des titres de capital ou donnant accès au capital ou aux droits de vote mais impose l’initiation d’une offre à un « prix équitable » pour 100 % des titres restants, par les actionnaires significatifs, lorsqu’ils dépassent (individuellement ou de concert) un certain seuil leur conférant le contrôle de la société. Ce seuil est fixé par chaque État membre (article 5(1) et article 5(3) de la directive OPA). Si un actionnaire dépasse ce seuil après avoir lancé une offre volontaire pour 100 % des titres, il est dispensé de l’obligation de lancer une offre publique obligatoire (article 5(2) de la directive OPA), ce qui incite effectivement à lancer des offres portant sur 100 % des titres. Ces dispositions représentent ainsi une mesure de protection pour les actionnaires des sociétés dont le contrôle est dispersé. Le prix équitable dans une offre publique obligatoire est « le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l’offrant (…) pendant une période, déterminée par les États membres, de six mois au minimum à douze mois au maximum précédant l’offre » (article 5(4) de la directive OPA). 48. L’article L. 433‑3 du Code monétaire et financier et les articles 234‑1 et s. du RGAMF ont transposé l’article 5 de la directive OPA en droit français. Conformément à ces dispositions, le seuil qui déclenche l’obligation d’initier une offre publique obligatoire est de 30 % (par rapport à 33,33 % avant 2010). En plus, une offre publique obligatoire doit également être initiée en cas de prise de contrôle rampante, c’est-­à-­dire si un actionnaire, pendant moins de 12 mois consécutifs, augmente sa détention en capital ou en droits 2016/2

de vote d’au moins 1 % (par rapport à 2 % avant la loi Florange de 2014). Cette deuxième hypothèse n’avait pas été envisagée par la directive OPA. Pour le calcul du prix équitable, la France a opté pour un prix calculé sur la base des derniers 12 mois précédant le fait générateur de l’obligation de déposer le projet d’offre (article 234‑6 du RGAMF) et non pas simplement précédant l’offre.

B.  Les autres droits de retrait 49. La seule disposition expresse et générale en droit français concernant un droit légal de retrait figure dans le Code civil, au sein des dispositions applicables uniquement aux sociétés civiles (1). Un droit de retrait général existe aussi dans les sociétés à capital variable (2).

1.  Le droit de retrait dans les sociétés civiles 50. (a) Champ d’application. L’article 1869 du Code civil prévoit un droit de retrait général et très étendu : un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société (i) dans les conditions prévues par les statuts, (ii) après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés ou (iii) pour justes motifs, après autorisation par une décision de justice. Les deux premières hypothèses reflètent des droits de retrait contractuels qui se situent en dehors de notre étude. Concernant la dernière hypothèse, la jurisprudence décide au cas par cas et distingue entre les mésententes portant sur la gérance de la société et les motifs purement personnels. D’une part, la jurisprudence a conclu que le retrait n’est pas justifié par une mésentente concernant la gérance de la société lorsque l’administrateur avait agi en conformité avec l’intérêt social. Il faut noter toutefois que la non-­distribution de dividendes pendant plusieurs années a été considérée comme un motif justifiant le retrait. D’autre part, la jurisprudence est plus souple en ce qui concerne les motifs purement personnels. Les juges s’appuient ainsi sur le principe selon lequel « nul ne peut rester prisonnier de ses titres », considérant ainsi que le retrait est justifié en cas de difficultés financières ou en présence d’une clause de non-­concurrence « manifestement exorbitante » (34). 51. (b) Établissement du prix. L’article 1869 du Code civil précise que « l’associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d’accord amiable, conformément à l’article 1843‑4 [du Code civil] ». Dans les cas où la loi renvoie à l’article 1843‑4 du Code civil (35) pour fixer 34. Pour la jurisprudence concernant le champ d’application de l’article 1869 du Code civil, voy. « Commentaire de l’article 1869 du Code civil », in Code des sociétés, Paris, Dalloz, 2015, p. 192. 35. Voy. A. Couret, L. Cesbron, B. Provost, P. Rosenpick, J.-­C. Sauzey, « Les contestations portant sur la valeur des droits sociaux », Bull. Joly, 2001, p. 1045 ; A. Couret, « L’évolution recente de la jurisprudence rendue

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


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la valeur de droits sociaux (36), cette valeur « est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible » (article 1843‑4(I) du Code civil, premier volet). Cette rédaction, issue d’une révision opérée en 2014, a mis fin à une jurisprudence contradictoire (37). 52. Ainsi, les parties sont libres de négocier entre elles le prix et, en cas de désaccord, elles peuvent s’entendre sur la désignation d’un expert qui réalisera l’évaluation. Le juge intervient pour désigner l’expert seulement lorsque les parties ne sont pas en mesure de se mettre d’accord. L’article 1843‑4 du Code civil assure également une liberté contractuelle absolue au regard de la détermination des critères d’évaluation. Il est prévu que l’expert désigné « est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties » (article 1843‑4 du Code civil, deuxième volet) alors que la jurisprudence antérieure à la révision de 2014 considérait, par exemple, qu’en raison de la nature impérative de l’article, toute clause contractuelle limitant la liberté de l’expert quant à son choix de critères pour la détermination du prix était interdite, même si la limitation figurait dans les statuts (38). Dans la nouvelle rédaction, il ressort clairesur le fondement de l’article 1843‑4 du Code civil », in Mél. B. Bouloc, Paris, Dalloz, 2006, p. 249 ; A. Couret, A. Reygrobellet, « La disponibilité de l’article 1843‑4 du Code civil », Rec. Dalloz, 2014, p. 2005. 36. Dans les cas d’un renvoi exprès à l’article 1843‑4 du Code civil (par exemple, l’article 1869 du Code civil ou l’article L. 236‑11‑1 du Code de commerce), il s’applique comme une disposition impérative. Dans d’autres circonstances, l’article 1843‑4 du Code civil s’applique comme disposition supplétive. Il convient de mentionner également à titre d’exemple deux autres dispositions qui opèrent un renvoi exprès à l’article 1843‑4 du Code civil. La première est l’article L. 221‑12 du Code de commerce qui prévoit que, suite à sa révocation, le gérant associé d’une SNC peut « décider de se retirer de la société en demandant le remboursement de ses droits sociaux, dont la valeur est déterminée conformément à l’article 1843‑4 du Code civil », toute clause contraire à l’article 1843‑4 du Code civil étant réputée non écrite. La deuxième est l’article L. 229‑2(3) du Code de commerce qui prévoit qu’en cas d’opposition à une opération de transfert de siège dans un autre État membre de l’UE par une société européenne, « les actionnaires peuvent obtenir le rachat de leurs actions ». Les conditions dans lesquelles intervient le rachat sont prévues aux articles R. 229‑6 et s. du Code de commerce. En cas de contestations sur le prix offert par la société, l’article R. 229‑8 du Code de commerce dispose qu’il sera fixé selon les modalités prévues à l’article 1843‑4 du Code civil. 37. Ordonnance n° 2014‑863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés ; R. Mortier, « Le nouvel article 1843‑4 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2014‑863 du 31 juillet 2014 », Droit des sociétés, 2014, pp. 13‑18. 38. Cass. com., 5 mai 2009, n° 08‑17465, Rec. Dalloz, 2009, p. 2195, comm. B. Dondero (« seul l’expert détermine 46

ment que l’expert sera lié par toute méthode d’évaluation contractuellement établie dans les statuts ou un pacte d’actionnaires.

L’article 1869

du Code civil prévoit un droit de retrait général et très étendu.

53. L’expert doit établir une date de référence afin de procéder à l’évaluation : son choix peut porter sur le moment correspondant à la date de l’exercice du droit de retrait ou à celle du paiement. Il est possible que l’expert arrive à des résultats considérablement différents en fonction de la date choisie. D’une part, l’exercice d’un droit de retrait pourrait conduire à l’idée que l’associé ne devrait pas subir les risques futurs concernant la valeur de la société compte tenu du fait qu’il a déjà manifesté sa volonté de quitter la société (39). D’autre part, la partie qui exerce le droit de retrait demeure associé jusqu’au paiement effectif de sa créance, lui permettant de bénéficier de tous ses droits pécuniaires et politiques liés à sa qualité d’associé et devrait, par conséquent, être soumis à toute fluctuation dans la valeur de la société (40). Antérieurement à 2010, les première et troisième chambres civiles de la Cour de cassation avaient fait le choix de la date la plus proche de l’exercice du droit de retrait (41). Cependant, en 2010, la chambre commerciale de la Cour de cassation a choisi la date la plus proche du paiement (42), réitérant cette position en 2013 et 2014 (43). 54. Enfin, les parties ne peuvent pas contester la nomination judiciaire de l’expert et les résultats de l’expertise sont définitifs, irrévocables et s’imposent à la fois les critères qu’il juge les plus appropriés pour fixer la valeur des droits »). 39. Voy. J. Moury, « Des ventes et des cessions de droits sociaux à dire de tiers », Revue des sociétés, 1997, p. 445, n° 3. 40. F.-­X. Lucas, « Date d’évaluation des parts de l’associé sortant », Bull. Joly, 2010, p. 661. 41. Cass. 1re civ., 30 octobre 2008, n° 07‑19459 ; Cass. 3e civ., 12 juin 2002, n° 00‑22505. 42. Cass. com., 4 mai 2010, n° 08‑20693 (« en l’absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l’associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits »). 43. Cass. com., 15 janvier 2013, n° 12‑11666 (« l’arrêt rendu le 4 mai 2010 par la Cour de cassation ne constitue ni un revirement, ni même l’expression d’une évolution imprévisible de la jurisprudence ») ; Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13‑17807.

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aux parties et au juge (44). Seule « l’erreur manifeste », telle qu’une erreur de calcul ou une partialité (45), mène le juge à annuler l’expertise. La jurisprudence a par exemple considéré qu’un choix erroné du moment de l’évaluation constitue une erreur manifeste entraînant la nullité de l’expertise (46). 55. Suite au retrait d’un associé (en application de l’article 1869 du Code civil ou en vertu d’une autre disposition), un intérêt légal peut être dû. Le taux actuel de l’intérêt légal, établi semestriellement par arrêté du ministre de l’Économie (47), est 4,54 % si le créancier est une personne physique et 1,01 % si le créancier est une personne morale ou un professionnel.

2.  Le droit de retrait dans les sociétés à capital variable 56. Toute société civile ou commerciale, à l’exclusion d’une SA, peut être organisée en société à capital variable. Dans une telle société, le capital social peut être ajusté au moyen de versements effectués par les associés ou des reprises d’apports consécutives à des retraits d’associés. Les associés peuvent entrer et se retirer de la société aisément. Conformément à l’article L. 231‑6 du Code de commerce, un associé d’une société à capital variable peut se retirer de la société « lorsqu’il le juge convenable ». Le droit de retrait correspond à une réduction du capital social opérée sur les registres comptables, sans aucun autre impact sur la société ou ses associés.

Un associé d’une

société à capital variable peut se retirer de la société ‘lorsqu’il le juge

convenable’.

44. Cass. com., 4 novembre 1987, n° 86‑10027. 45. A. Constantin, « Réforme de l’article 1843‑4 du Code civil par l’ordonnance n° 2014‑863 du 31 juillet 2014 : faut-­il s’en réjouir ou s’en inquiéter ? », RTD com., 2014, p. 633, n° 4. 46. J.-­M. Desaché, B. Dondero, « L’article 1843‑4 du Code civil et la date d’évaluation des droits sociaux », Rec. Dalloz, 2014, p. 2446 ; Cass. com., 4 mai 2010, n° 08‑20.693 ; Cass. com., 13 décembre 2014, n° 93‑11.569. 47. Articles L. 313‑2 et L. 313‑3 du COMOFI. En 2015, le taux a été significativement augmenté par rapport aux années précédentes (0,04 % en 2014 et 2013, 0,71 % en 2012 et 0,38 % en 2011) et le législateur a aussi ajouté la distinction entre les types de créanciers. 2016/2

II. Les droits de retrait en Roumanie 57. Il existe deux principaux types de société en droit roumain : d’une part, les sociétés qui jouissent de la personnalité morale et qui sont soumises à la loi sur les sociétés (LS) (48) et, d’autre part, les sociétés qui ne bénéficient pas de la personnalité morale et qui sont régies par le Code civil roumain. Les sociétés civiles sont rarement utilisées. Le droit roumain confère des droits de retrait suite à la survenance de certains événements sociétaires extraordinaires durant la vie d’une société régie par la LS, cotée ou non cotée (A) et certains autres droits de retrait généraux applicables à la fois aux sociétés régies par la LS et aux sociétés civiles (B).

A.  Les événements sociétaires extraordinaires 58. L’article 134 de la LS prévoit que les actionnaires d’une SA « qui n’ont pas voté en faveur d’une décision de l’assemblée générale peuvent se retirer de la société et demander le rachat de leurs actions par la société ». Ce droit est aussi applicable aux autres sociétés commerciales (régies par la LS), y compris les SARL, mais non pas aux sociétés civiles (49). 59. La LS s’applique en principe tant aux sociétés non cotées qu’aux sociétés cotées. Toutefois, pour ces dernières, la LS ne s’applique que dans la mesure où la loi des marchés financiers (LMF) (50) et les règlements de l’Autorité de surveillance financière (l’ASF), anciennement la Commission nationale des valeurs mobilières, la CNVM) ne contiennent pas des dispositions contraires (51). Or, le droit financier contient justement des dispositions contraires. Par conséquent, à notre avis, l’article 134 de la LS n’est pas applicable aux SA cotées et le champ d’application des droits légaux de retrait en cas d’événements sociétaires extraordinaires est plus étroit pour les sociétés cotées, ce qui ne devrait pas surprendre. Par conséquent, nous analyserons séparément les droits légaux de retrait liés aux événements sociétaires extraordinaires dans les sociétés non cotées (1) et cotées (2).

48. Loi des sociétés commerciales n° 1990‑31, republiée, telle que modifiée et complétée ultérieurement. 49. Article 187 et article 226(a1) de la LS. 50. Loi n° 2004‑297 concernant les marchés financiers, telle que modifiée et complétée ultérieurement. 51. Article 290(4) de la LMF.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

Le champ d’application

des droits légaux de retrait en cas d’événements sociétaires extraordinaires est plus étroit pour les sociétés

cotées.

1.  Les droits de retrait dans les sociétés non cotées 60. (a) Conditions procédurales. Compte tenu de son caractère lacunaire, l’article 134 de la LS soulève plus de questions qu’il n’arrive à en résoudre (52). Le droit de retrait doit être exercé dans un délai de 30 jours à compter soit de l’adoption de la décision de l’assemblée générale qui approuve l’événement sociétaire extraordinaire, soit de la publication de cette décision. Il est exercé par l’envoi d’une déclaration écrite de retrait auprès du siège social de la société. À cette date, l’actionnaire perd les droits rattachés à sa qualité d’actionnaire (les droits politiques et pécuniaires) et devient un créancier social pour un montant égal à la valeur des actions pour lesquelles il a exercé son droit de retrait (53). Le prix est déterminé par un expert enregistré et indépendant, désigné, sur demande du conseil, par le directeur du Registre du commerce (ORC). Toutefois, les actionnaires obtiennent un droit de créance par l’envoi de leur déclaration de retrait dont ils peuvent se prévaloir en justice (y compris si le conseil ne fait pas les démarches nécessaires à la dési52. I. Schiau, M. Ionaş-­Sălăgean, « Retragerea asociaţilor. Certitudini, dileme, soluţii », Revista Română de Drept al Afacerilor, 2014, n° 6, p. 26 ; A. Hinescu, Regimul juridic al fuziunii societăţilor, thèse de doctorat, Université de Bucarest, pp. 189‑198. Voy. aussi L. M. Tec, « Retragerea acţionarului din societatea pe acţiuni de tip închis reglementată de Legea nr. 31/1990 », Pandectele Române, 2009, n° 2, pp. 44‑45 ; S. David, « Commentaire de l’article 134 », in S.-­D. Cărpenaru, S. David, G. Piperea, Legea comentată a societăţilor comerciale, 5e éd., Bucarest, C.H. Beck, 2014, par. 7, p. 451. 53. L. M. Tec, « Retragerea acţionarului din societatea pe acţiuni de tip închis reglementată de Legea nr. 31/1990 », op. cit., p. 32 ; I. Schiau, M. Ionaş-­Sălăgean, « Retragerea asociaţilor. Certitudini, dileme, soluţii », op. cit., p. 29. 48

gnation d’un expert) (54). L’expert doit obligatoirement être membre de l’Association nationale des experts autorisés en Roumanie (ANEVAR). Les actionnaires ne peuvent pas contester la nomination de l’expert, sauf si cette contestation porte sur des considérations concernant l’indépendance de l’expert (55). 61. La législation roumaine est excessivement rigide en imposant que l’expert établisse le prix comme la « valeur moyenne résultant de l’application d’au moins deux méthodes d’évaluation reconnues par la législation en vigueur au moment de la date d’évaluation » (article 134(4) de la LS). Les méthodes d’évaluation reconnues à ce jour par le législateur roumain sont celles établies par l’ANEVAR (56), qui, à son tour, a adopté en intégralité les standards d’évaluation internationaux (IVS). Le standard IVS 250 (valeurs mobilières) prévoit trois approches principales d’évaluation : (i) l’approche par le marché (utilisant le prix des actions de la société dans d’autres transactions ou le prix des actions de sociétés similaires), (ii) l’approche par le revenu (qui représente l’analyse des flux de trésorerie) et (iii) l’approche par le coût (qui calcule la valeur de liquidation de la société comme la différence entre la valeur équitable des actifs et du passif social et qui résulte habituellement en la valeur la plus basse parmi les trois approches). 62. Aucune disposition légale expresse ne permet aux actionnaires (ou à la société) de contester les résultats de l’expertise. Cependant, les parties intéressées peuvent, sur la base des règles de l’ANEVAR, demander le réexamen par un autre expert. Elles peuvent aussi saisir le juge en cas de non-­respect par l’expert des conditions formelles, par exemple si ce dernier n’utilise pas des « méthodes d’évaluation reconnues par la législation en vigueur » (57). Les juges peuvent aussi désigner un expert judiciaire afin d’effectuer une nouvelle évaluation (58).

54. C. Duţescu, Drepturile acţionarilor, 2e éd., Bucarest, C.H. Beck, 2007, p. 621 ; S. David, « Commentaire de l’article 134 », op. cit., par. 6, p. 450 et par. 9, p. 452 ; L. M. Tec, « Retragerea acţionarului din societatea pe acţiuni de tip închis reglementată de Legea nr. 31/1990 », op. cit., p. 33 ; I. Schiau, M. Ionaş-­Sălăgean, « Retragerea asociaţilor. Certitudini, dileme, soluţii », op. cit., p. 28. Voy. contra CA Bucarest, 18 juin 2009, arrêt n° 967, une solution que nous ne partageons pas. 55. S. David, « Commentaire de l’article 134 », op. cit., par. 6, p. 450. 56. Décisions ANEVAR n° 2/2015 et n° 3/2014. 57. S. David, « Commentaire de l’article 134 », op. cit., par. 6, p. 450 ; T. Prescure, « Commentaire de l’article 134 », in I. Schiau, T. Prescure, Legea societatilor comerciale nr. 31/1990. Analize şi comentarii pe articole, Bucharest, Hamangiu, 2009, par. 6. 58. Pour un exemple, voy. ÎCCJ (2e civ.), 25 avril 2013, arrêt n° 1847, Revista Română de Drept al Afacerilor, 2014, n° 7, pp. 117‑126, note G. Maxim.

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Un débat existe dans

la doctrine roumaine sur le point de savoir s’il est possible d’établir conventionnellement

(par négociation) le prix.

63. Depuis longtemps, un débat existe dans la doctrine roumaine (59) sur le point de savoir s’il est possible d’établir conventionnellement (par négociation) le prix correspondant à un droit légal de retrait, écartant ainsi l’intervention de l’expert. À notre avis, le prix peut être établi sans recours à un expert. Plusieurs arguments viennent en support de cette position. Pour en donner quelques exemples : (i) l’établissement du prix par accord entre actionnaires est possible pour la SARL et pour d’autres formes de sociétés régies par la LS, comme il sera discuté ci-­après, (ii) sous le régime de la directive Fusion, qui consacre un quasi-­droit de retrait en cas des fusions dites squeeze-­out, l’accord est possible et tout recours au juge est réservé aux cas de désaccord et (iii) le droit de percevoir le « prix légal » est un droit individuel auquel chaque actionnaire peut renoncer (60). La pratique le confirme aussi (61). 64. L’article 134 de la LS n’établit pas la date d’évaluation ou la date du paiement. À notre avis, la date d’évaluation doit être la date la plus proche du fait générateur du droit de retrait (adoption ou publication 59. Le prix peut être établi par négociation : T. Prescure, « Commentaire de l’article 134 », op. cit., par. 7 et note 169 ; D. Călin, « Retragerea acţionarilor din societăţile comerciale pe acţiuni », Revista Română de Drept al Afacerilor, n° 3/2011, par. 59‑61, pp. 98‑99. Le prix ne peut pas être établi par négociation : S. David, « Commentaire de l’article 134 », op. cit., par. 3, p. 449 et par. 6, p. 450 ; L. M. Tec, « Retragerea acţionarului din societatea pe acţiuni de tip închis reglementată de Legea nr. 31/1990 », op. cit., p. 33. 60. L’article 13 du Code civil roumain prévoit que « la renonciation au droit n’est pas présumée ». 61. D. Călin, « Retragerea acţionarilor din societăţile comerciale pe acţiuni », op. cit., par. 53, p. 95 et par. 59‑61, pp. 98‑99 ; décision ASF, 23 décembre 2013, Cocor Turism SA, n° A/735 (la résolution de l’assemblée générale approuvant l’événement sociétaire extraordinaire avait également approuvé le prix à payer à un actionnaire significatif, déterminé suite à des négociations entre ce dernier et la société, et avait prévu que si d’autres actionnaires exercent leur droit légal de retrait, le prix à payer à ces actionnaires ne pourra être inférieur au prix payé à l’actionnaire significatif). 2016/2

de la décision de l’assemblée générale) et le paiement est seulement dû quand le rapport de l’expert est finalisé (62). Par conséquent, (i) pour la période comprise entre la demande de retrait et la date de finalisation du rapport, la société va payer, en plus du prix établi par l’expert, « des intérêts légaux compensatoires » (1,75 %) et (ii) pour la période comprise entre la finalisation du rapport et le paiement effectif de la créance, la société va payer « des intérêts légaux de retard » (5,75 %) (63). 65. (b) Champ d’application et particularités. L’article 134 de la LS a un champ d’application très étendu et englobe quatre catégories d’événements sociétaires extraordinaires, chacun présentant des particularités : (i) les fusions et les scissions, (ii) la modification de l’activité principale de la société, (iii) le transfert du siège social à l’étranger et (iv) la modification de la forme sociale. 66. (i) Fusions et scissions. Quant aux fusions, les actionnaires des deux sociétés (absorbante et absorbée) bénéficient du droit de retrait, quel que soit le sens de la fusion (64). Par conséquent, la date limite pour l’exercice du droit de retrait est, en théorie, distincte pour les actionnaires de chaque société. Néanmoins, en pratique, les assemblées générales se réunissent le même jour, ce qui réduit cet inconvénient. Le droit de retrait est très large et couvre tout type de fusion, celles soumises au droit commun comme celles soumises aux dispositions spéciales des fusions simplifiées (c’est-­à-­ dire une fusion entre une société mère et sa filiale à 90 %). Par conséquent, ce droit est significativement plus étendu que le quasi-­droit de retrait conféré par la directive Fusion, applicable seulement aux fusions simplifiées. Le droit de retrait « à la roumaine » est toutefois compatible avec la directive Fusion, avec la réserve (précédemment évoquée) que la LS prévoit en premier et non pas en dernier ressort l’établissement du prix par un expert et ne vise pas expressément la libre négociation du prix. 67. Quant aux scissions, les principes généraux gouvernant les fusions sont applicables (65). En plus, les principes généraux applicables aux scissions, y compris 62. I. Schiau, M. Ionaş-­Sălăgean, « Retragerea asociaţilor. Certitudini, dileme, soluţii », op. cit., pp. 30‑31. 63. D. Călin, « Retragerea acţionarilor din societăţile comerciale pe acţiuni », op. cit., par. 55, p. 96 et par. 57, p. 97 ; ordonnance n° 2011‑13 concernant les intérêts légaux compensatoires et de retard pour les obligations pécuniaires et concernant certaines mesures financières et fiscales dans le secteur bancaire (entre professionnels, le taux des intérêts légaux de retard est encore plus élevé, 9.75 %) et www.bnr.ro/Indicatori-­de-­politica-­ monetara-­1744.aspx. 64. C. Duţescu, « Răscumpărarea propriilor acţiuni de către o societate comercială admisă la tranzacţionare pe o piaţă reglementată », Dreptul, 2010, n° 9, p. 86, p. 90. 65. S.-­D. Cărpenaru, « Commentaire de l’article 2462 », in S.-­D. Cărpenaru et al., Legea comentată a societăţilor comerciale, op. cit., par. 4, p. 833.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

l’existence d’un droit légal de retrait, sont également applicables aux apports partiels d’actifs (66). 68. (ii) La modification de l’activité principale. Les hypothèses de modification réelle de l’activité principale sont rares mais le droit légal de retrait a été appliqué même en cas de modification purement administrative de l’activité principale (en 2008‑2010, suite à une modification de la classification des activités de l’économie nationale). 69. (iii) Le transfert du siège social à l’étranger. Seul le transfert du siège social à l’étranger est en mesure de déclencher le droit légal de retrait. 70. (iv) Changement de la forme sociale. La loi ne distingue pas en fonction du caractère avantageux ou non de la nouvelle forme sociale et le droit légal de retrait peut exister même si la nouvelle forme sociale est plus favorable à l’actionnaire. Toutefois, il serait difficile de juger si une forme sociale est, globalement, plus ou moins favorable à chaque actionnaire.

2.  Les droits de retrait dans les sociétés cotées 71. Les actionnaires des sociétés cotées ont des droits légaux de retrait plus étroits que ceux des sociétés non cotées. 72. (a) Droit de retrait limité en cas de fusion et scission. Lors de l’entrée en vigueur de la LMF en 2004, le droit de retrait prévu par l’article 134 de la LS était limité à trois situations : la modification de l’activité principale, le transfert du siège social et le changement de la forme sociale. Aucun droit de retrait n’était prévu en cas de fusion ou de scission. La LMF n’avait vraisemblablement pas prévu un droit de retrait pour ces situations parce que le législateur ne les considérait pas comme source de difficultés pour un actionnaire d’une société cotée. En effet, ce dernier peut librement vendre ses actions sur le marché. L’article 242 de la LMF a donc prévu un droit de retrait applicable en cas de fusion ou de scission seulement si les actionnaires d’une société cotée reçoivent, lors de l’opération, des actions d’une société non cotée. Par la suite, l’article 134 de la LS a été modifié afin d’ajouter un droit général de retrait applicable en cas de fusion et de scission. 73. Cette dernière modification a soulevé un débat important sur l’étendue des droits de retrait applicables aux actionnaires de sociétés cotées, qui est encore ouvert. À notre avis, que ce soit avant ou après l’expansion des droits de retrait prévus par l’article 134 de la LS, les actionnaires de sociétés cotées avaient et ont toujours un droit de retrait limité à l’hypothèse prévue dans l’article 242 de la LMF, qui n’a été ni expressément ni implicitement abrogé. La majorité de 66. Pour un exemple, voy. D. Călin, « Retragerea acţionarilor din societăţile comerciale pe acţiuni », op. cit., par. 10‑11, pp. 76‑77 (discutant la cession de la division marketing et distribution d’OMV Petrom SA à OMV Petrom Marketing SRL). 50

la doctrine roumaine ne partage pas cette opinion et considère que l’article 134 de la LS s’applique à la fois aux sociétés cotées et non cotées, l’article 242 de la LMF ayant été implicitement abrogé (67). La jurisprudence n’a pas tranché la question, bien au contraire (68). Notre approche résulte d’une perspective éminemment pragmatique. Les actionnaires des sociétés cotées n’ont pas besoin d’un droit de retrait pour les situations non prévues par l’article 242 de la LMF et corrélativement, la situation prévue par l’article 242 de la LMF couvre exactement le cas quand les actionnaires des sociétés cotées ont le plus besoin d’un droit légal de retrait : en cas de sortie de la cote de leur société. 74. La procédure pour l’exercice du droit légal de retrait est prévue aux articles 132 et 133 du règlement CNVM (69), qui dérogent presque intégralement à l’article 134 de la LS et y ajoutent, sauf, à notre avis, en ce qui concerne la méthode de détermination de la valeur des actions (effectuée par un expert, comme la moyenne des valeurs obtenues par deux méthodes d’évaluation). Ces dispositions sont mieux adaptées que celles contenues dans l’article 134 de la LS et le mécanisme est plus efficace. Par exemple, il est prévu que le rapport de l’expert doit être finalisé avant la réunion de l’assemblée générale appelée à statuer sur l’opération, que le prix déterminé par l’expert est inclus dans le projet de traité et que les demandes de retrait doivent être formulées dans un délai de 15 jours ouvrables (et non pas 30 jours comme prévu à l’article 134 de la LS) à compter de la publication du traité (et non pas à compter de l’approbation du traité par l’assemblée générale comme prévu par l’article 134 de la LS). À la réunion de l’assemblée générale appelée à statuer sur l’opération, le conseil doit présenter un rapport sur l’exercice des droits de retrait et leur effet sur l’opération. La société doit payer le prix aux actionnaires sortants dans un délai de sept jours ouvrables à compter de la date de l’assemblée générale (aucun délai de paiement n’étant prévu par l’article 134 de la LS). 75. (b) Droit de retrait en cas de sortie de la cote. Une société cotée peut être radiée suite à une offre publique initiée par 67. Voy., par exemple, S. David, « Commentaire de l’article 134 », op. cit., par. 13, p. 453 ; D. Călin, « Retragerea acţionarilor din societăţile comerciale pe acţiuni », op. cit., par. 12, p. 78 ; C. Duţescu, « Răscumpărarea propriilor acţiuni de către o societate comercială admisă la tranzacţionare pe o piaţă reglementată », op. cit., pp. 90‑91. Pour une opinion contraire, voy. C. Cucu, M. V. Gavriş, C.-­G. Bădoiu, C. Haraga, Legea societăţilor comerciale nr. 31/1990, Bucarest, Hamangiu, 2007, p. 289. 68. Arrêts concluant que les actionnaires des sociétés cotées ont un droit légal de retrait dans tous les cas prévus par l’article 134 de la LS : ÎCCJ (com.), 22 juin 2011, arrêt n° 2443 et ÎCCJ (2e civ.), 20 mai 2014, arrêt n° 1761. Arrêts concluant que les actionnaires des sociétés cotées ont un droit légal de retrait seulement dans le cas prévu par l’article 242 de la LMF : CA Galaţi, 5 octobre 2009, arrêt n° 528 et ÎCCJ (2e civ.), 25 avril 2013, arrêt n° 1847, précité. 69. Règlement n° 2006‑1 du CNVM concernant les émetteurs et l’échange de valeurs mobilières, tel que modifié et complété ultérieurement.

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2016/2


les actionnaires majoritaires ou par un tiers. L’article 87(4) (d) du règlement CNVM, adopté en mars 2006, a créé une méthode supplémentaire de radiation, en prévoyant qu’une assemblée générale extraordinaire peut décider la radiation de la société de la cote, avec la seule condition d’accorder un droit de retrait aux minoritaires. 76. Réalisant les possibilités d’usage abusif de cette faculté, la CNVM a émis une circulaire administrative trois mois plus tard, en juin 2006 (disposition CNVM n° 8/2006). Cette circulaire a suspendu l’application de l’article 87(4)(d) du règlement CNVM et des dispositions procédurales corrélatives, et a mis en place un mécanisme alternatif. Cette circulaire (et donc la suspension) est toujours en vigueur. Le mécanisme alternatif permet à l’assemblée générale extraordinaire de décider de la radiation de la société de la cote, à la condition que les actionnaires bénéficient d’un droit de retrait, mais a ajouté la condition que la société ait une activité boursière très limitée. 77. La jurisprudence avait jugé que la CNVM pouvait créer des droits de retrait non prévus par la LMF (ou la LS) (70). Néanmoins, la procédure de radiation créée par la CNVM (radiation par décision des actionnaires, assortie d’un droit de retrait, par opposition à une offre publique) a été jugée contraire à la loi par certains tribunaux (71). 78. (c) Droit de retrait spécial lié à la dissolution du Rasdaq. En octobre 2015, conformément à la loi n° 2014‑151 (72), le marché secondaire Rasdaq de la principale bourse roumaine, la Bourse de valeurs de Bucarest (BVB), a été dissout. C’était le dénouement d’une controverse prolongée sur le statut légal du Rasdaq, qui n’est ni un marché réglementé ni un système multilatéral de négociation (SMN) selon les définitions européennes (73).

En octobre 2015,

le marché secondaire Rasdaq de la principale bourse roumaine

a été dissout.

70. CA Bucarest, 26 septembre 2007, arrêt n° 2279 (confirmé par ÎCCJ, 18 juin 2008, arrêt n° 2535) ; CA Piteşti, 7 janvier 2009, arrêt n° 1/A-­C ; CA Constanţa, 1er octobre 2008, arrêt n° 151. 71. CA Bucarest, 6 juin 2012, arrêt n° 3807, concernant Uzuc SA Ploieşti. 72. Loi n° 2014‑151 concernant la clarification du régime juridique d’actions échangées sur le marché Rasdaq ou sur le marché hors cote. 73. C.J.U.E. (2e ch.), 22 mars 2012, aff. C-­248/11 (le marché Rasdaq n’est pas un « marché réglementé »). 2016/2

79. Dans un certain délai à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2014‑151, les conseils des sociétés inscrites au Rasdaq avaient l’obligation de convoquer leur assemblée générale afin de décider la cotation sur un autre marché réglementé ou sur un SMN, ou la sortie de la cote. Un droit légal de retrait a été accordé dans quatre situations : (i) lorsque l’assemblée générale a décidé de ne pas poursuivre la cotation sur un autre marché ou sur un SMN, (ii) lorsque l’assemblée générale n’a pu prendre une décision par défaut de quorum ou de majorité, (iii) lorsque l’assemblée générale n’a pas été convoquée dans le délai imparti ou (iv) lorsque l’assemblée générale a décidé de poursuivre la cotation mais l’ASF a rejeté la demande (articles 3, 4 et 7(1) de la loi n° 2014‑151). 80. La loi n° 2014‑151 a prévu que ce droit de retrait était régi par l’article 134 de la LS, à l’exception du fait qu’il devait être exercé dans un délai de 90 jours (article 3(2) de la loi n° 2014‑151), par opposition au délai de 30 jours imposé par l’article 134 de la LS. Le point de départ du délai variait en fonction de l’élément déclencheur. 81. L’ASF a été expressément habilitée à adopter des dispositions d’application de la loi n° 2014‑151 (74), qui ont principalement couvert les failles procédurales de l’article 134 de la LS et ont assuré la célérité de la procédure. Par exemple, le conseil devait demander la désignation d’un expert par l’ORC dans un délai de cinq jours à compter de la réception de la première demande de retrait. L’expert était tenu de finaliser son rapport en 30 jours à compter de sa nomination. En principe, la société devait payer le prix dans un délai de 30 jours à compter de la communication du rapport de l’expert. Les dispositions d’application ont imposé également que les sociétés publient des informations concernant les moments clés de la procédure. 82. La dissolution du marché Rasdaq a donné lieu à un nombre important de cas d’exercice du droit de retrait. Les statistiques finales de l’ASF indiquent que le droit spécial de retrait a été applicable à environ 64 % sur les approximativement 870 sociétés entrant dans le champ d’application de la loi n° 2014‑151 (75). Au moment de la dissolution, seulement environ 29 millions d’euros avaient été payés à 4.419 actionnaires au titre de l’exercice du droit spécial de retrait, ce qui indique que la saga continuera. Pour la plupart des sociétés entrant dans le champ d’application de la loi n° 2014‑151 et pour des raisons variées, les rapports d’évaluation sont ou ont été rejetés à la fois par les actionnaires majoritaires et minoritaires et un nombre significatif d’actionnaires demandent ou ont demandé une réévaluation par un autre expert. De surcroît, l’ANEVAR a entrepris de vérifier tous les rapports issus à l’occasion de l’exercice de ce droit spécial de retrait et d’informer l’ASF quant à leur exactitude (76). 74. Règlement n° 2014‑17 de l’ASF concernant la clarification du régime juridique d’actions échangées sur le marché Rasdaq ou sur le marché hors cote. 75. www.asfromania.ro/informatii-­publice/media/arhiva/ 4774-­rezultatele-­procesului-­de-­restructurare-­a-­pietei-­ rasdaq-­si-­a-­pietei-­valorilor-­mobiliare-­necotate. 76. http://nou.anevar.ro/pagini/pozitia-­oficiala-­asociatiei.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

De son côté, l’ASF a imposé des sanctions pécuniaires ou d’une autre nature (263 décisions de sanction, pour un montant total supérieur à 330.000 euros) (77). Au vu de l’absence de dispositions légales permettant de contester le rapport de l’expert et de la multiplication des litiges liés à la dissolution du marché Rasdaq, une intervention législative serait nécessaire. 83. (d) Droits de retrait dans un contexte de squeeze-­ out. Les articles 206 et 207 de la LMF ont transposé les dispositions de la directive OPA qui ont créé un droit d’achat et de rachat à « un juste prix ». La Roumanie a fait le choix d’augmenter le seuil de détention nécessaire de 90 % à 95 % pour le premier élément déclencheur européen. 84. Les dispositions de la LMF en cette matière ont été mal rédigées et ne sont pas totalement conformes à la directive OPA. Certains aspects ont été résolus par des dispositions réglementaires (78), parfois contra legem, tandis que d’autres perdurent. On notera seulement que si la présomption d’un prix équitable ne s’applique pas et que l’intervention d’un expert est nécessaire, les frais de l’expertise sont payés par l’initiateur de la demande de retrait (79). 85. (e) Offres publiques obligatoires. Les articles 202 à 205 de la LMF ont transposé l’article 5 de la directive OPA. Le seuil qui déclenche l’initiation d’une offre publique obligatoire est de 33 % des droits de vote. La LMF n’impose pas une offre publique obligatoire en cas de prise de contrôle rampante. La Roumanie a choisi de calculer le prix équitable en se référant à une période de 12 mois précédant l’offre publique.

B.  Les autres droits de retrait 86. En addition aux droits de retrait précédemment évoqués (liés à des événements sociétaires extraordinaires), le droit roumain établit certains droits généraux de retrait dans les sociétés commerciales autres que les SA (1) et dans les sociétés civiles (2).

1.  Les droits de retrait dans les sociétés commerciales autres que les SA

nime des autres actionnaires ou (iii) en l’absence de dispositions statutaires ou à défaut de consentement des actionnaires, pour « juste motif » après une procédure judiciaire. Compte tenu de la taille assez réduite des sociétés concernées, les « justes motifs » ne sont pas seulement financiers, mais également des changements fondamentaux affectant la société (par exemple, un changement de contrôle ou un changement dans la structure de la direction) ou encore des motifs purement personnels (par exemple, une mésentente grave conduisant à la paralysie de la société) (80). 88. (b) Détermination du prix. La valeur des actions peut être établie par accord entre les parties ou par un expert désigné soit par les parties, soit par la cour. Contrairement à l’article 134 de la LS, le principe reste ici la détermination amiable du prix et le recours à l’expert est une solution de dernier ressort. Les frais de l’évaluation sont à la charge de la société.

2.  Les droits de retrait dans les sociétés civiles 89. Le Code civil roumain établit certains droits généraux de retrait applicables exclusivement aux sociétés civiles. Les conditions du retrait sont plus favorables si la société civile est constituée pour une durée indéterminée. Ces dispositions sont entrées en vigueur en 2011 et ont été jusqu’à présent rarement, sinon jamais, mises en œuvre. 90. (a) Sociétés civiles constituées pour une période indéterminée. L’article 1926 du Code civil roumain prévoit qu’un associé peut se retirer de la société si deux conditions sont remplies : (i) l’associé doit offrir une notification dans un délai raisonnable et agir de bonne foi et (ii) le retrait ne doit pas causer un dommage imminent à la société. Il n’existe pas de disposition prévoyant l’obligation de la société de payer la valeur de ses parts sociales à l’associé sortant. Néanmoins, cette obligation doit exister, notamment si l’associé a contribué au capital de la société. Les associés peuvent conclure un accord sur la valeur ou elle pourrait être établie par un expert (désigné soit par les associés, soit par le juge) (81).

87. (a) Champ d’application. Conformément à l’article 226 de la LS, un actionnaire peut également se retirer d’une société autre qu’une SA : (i) dans les cas prévus par les statuts, (ii) avec le consentement una-

91. (b) Sociétés civiles constituées pour une période déterminée. L’article 1927 du Code civil roumain prévoit qu’un associé peut se retirer de la société si deux conditions sont remplies : (i) le retrait est fondé sur des « justes motifs » et (ii) la majorité des associés y consent (82). En l’absence d’un tel consentement, l’associé peut saisir le juge, qui pourra alors autoriser le retrait après une

77. Par exemple, voy. décision ASF, 17 août 2015, Technoton SA Iaşi, n° 1933 (notant que l’ANEVAR avait indiqué que le « niveau de crédibilité [du rapport] est zéro », l’ASF a imposé au conseil de demander la nomination d’un nouvel expert par l’ORC afin de préparer un nouveau rapport). 78. Articles 74 et 75 du règlement n° 2006‑1. 79. Article 74(6) du règlement n° 2006‑1 et article 207(3) in fine de la LMF.

80. ÎCCJ (2e civ.), 29 janvier 2014, arrêt n° 262. 81. G. Piperea, « Commentaire de l’art. 1926 », in F.-­ A. Baias, E. Chelaru, R. Constantinovici, I. Macovei, Noul Cod civil. Comentariu pe articole, 2e éd., Bucarest, C.H. Beck, 2012, p. 2090, par. 4. 82. C. M. Niţă, « Commentaire de l’article 1927 », in M. Afrăsinei et al., Noul Cod Civil. Comentarii, doctrină şi jurisprudenţă, Bucarest, Hamangiu, 2012, p. 296, par. 1.

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analyse « des motifs justes et légitimes, de l’opportunité du retrait compte tenu des circonstances et de la bonne foi des parties impliquées ». Dans tous les cas, l’associé est responsable pour les dommages causés à la société par son retrait. Selon nous, cela n’exclut pas l’obligation pour la société de payer la valeur des parts sociales détenues par l’associé sortant. Les associés peuvent se mettre d’accord sur cette valeur ou nommer un expert, par voie amiable ou par saisine du juge.

III. Les droits de retrait aux États-­Unis 92. Deux formes sociales principales existent aux États-­ Unis : les corporations (sociétés de capitaux) et les LLC (sociétés à responsabilité limitée). Le droit des sociétés américain est réglementé, en principe, au niveau de chaque État, à l’exception de certains domaines dans lesquels le législateur fédéral est intervenu (notamment en ce qui concerne les sociétés cotées, en droit des marchés financiers mais aussi en gouvernement d’entreprise et d’autres domaines liés au noyau dur du droit classique des sociétés). Ainsi, chaque État américain dispose de sa propre législation des sociétés. Les lois de l’État de Delaware sont particulièrement importantes étant donné que le Delaware est l’État américain privilégié pour les immatriculations de sociétés (avec plus d’un million de sociétés immatriculées, dont plus de 50 % des sociétés cotées (83)) et, par conséquent, pour les litiges en droit des sociétés. 93. En ce qui concerne les corporations, approximativement la moitié des États américains suivent une loi modèle, le Model Business Corporation Act (MBCA), avec certaines nuances en fonction des États. Néanmoins, certains États importants n’utilisent pas le MBCA (la Californie, le Delaware, le New Jersey, New York et le Texas). La législation de l’État de Delaware concernant les corporations est la Delaware General Corporation Law (DGCL), applicable à la fois aux sociétés cotées et aux sociétés non cotées. 94. En ce qui concerne les LLC, les particularités étatiques sont plus prononcées. Il existe également une loi modèle, l’Uniform Limited Liability Company Act, adoptée seulement par un nombre réduit d’États. Au Delaware, les LLC sont gouvernées par le Delaware Limited Liability Company Act (DLLCA). Les LLC sont des sociétés non cotées. 95. En général, il n’existe pas de droits légaux de retrait applicables aux LLC, dont le caractère contractuel est très prononcé (84). Ainsi, les droits de retrait accordés 83. Voy. http://corp.delaware.gov/aboutagency.shtml ; R. Romano, The Genius of American Corporate Law, Washington, AIE Press, 1993, pp. 14 et s. ; L. A. Bebchuk, A. Cohen, « Firms’ Decisions Where to Incorporate », Journal of Law and Economics, 2003, pp. 389‑391, n° 46. 84. Seulement un nombre réduit d’États américains (par exemple, la Californie, la Floride, le Minnesota et New 2016/2

aux actionnaires des LLC existent, en général, seulement dans la mesure où ils sont prévus dans un pacte d’actionnaires ou un contrat visant une opération particulière. Par exemple, le DLLCA permet la création d’une multitude de droits contractuels de retrait pour les LLC (85).

En général, il n’existe pas

de droits légaux de retrait applicables aux LLC, dont le caractère contractuel est très prononcé.

96. Par conséquent, nous discutons ci-­après uniquement des droits légaux de retrait (appelés « appraisal rights ») applicables aux corporations. Même dans le cas des corporations, la protection des actionnaires est généralement assurée par des mécanismes contractuels. Les droits légaux de retrait dans les corporations existent seulement pour certains événements sociétaires extraordinaires (A) et dans un nombre limité d’autres cas (B).

A.  Les événements sociétaires extraordinaires 97. Nous analysons d’abord les droits légaux de retrait applicables dans les États MBCA (1) et ensuite ceux applicables dans l’État de Delaware, un État non MBCA (2).

1.  Les droits de retrait applicables dans les États MBCA 98. (a) Champ d’application. Un actionnaire est en droit de recevoir un prix équitable correspondant à la valeur de ses titres, en cas des événements sociétaires extraordinaires suivants : (i) une fusion, lorsque l’accord des actionnaires de la société concernée est nécessaire pour l’approbation de la fusion, (ii) un échange d’actions (pour les actionnaires de la société absorbée) ou une cession d’actifs, lorsque l’actionnaire a un droit de vote pour l’approbation de l’échange ou de la cession, (iii) toute modification statutaire, (iv) toute domestication (l’émigration de la société vers une autre juridiction), lorsque l’actionnaire ne reçoit pas dans la nouvelle société des titres similaires, quant aux éléYork) confèrent un droit légal de retrait aux associés de LLC. 85. Section 18‑210 du DLLCA.

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I. Régulation financière

ments essentiels et au pourcentage de droits de vote représentés, à ceux détenus avant l’émigration ou (v) la transformation de la société en une entité à but non lucratif ou une entité non immatriculée (86). 99. Ainsi, selon le MBCA, les actionnaires dont le vote est nécessaire pour l’approbation des événements sociétaires extraordinaires peuvent exercer un vote négatif et auront alors un droit légal de retrait. Pour cette raison, ce sont les actionnaires du vendeur (et non pas de l’acquéreur) qui bénéficient en général de droits légaux de retrait. Dans les États qui imposent un vote des actionnaires (de l’acquéreur) en cas d’émission de nouvelles actions (par exemple, quand l’acquéreur émet des actions représentant plus de 20 % des actions issues avant la nouvelle émission), les actionnaires du vendeur bénéficient également d’un droit légal de retrait. Il convient de souligner à cet égard que ce cas de figure est plus rare car il implique que le prix payé dans la fusion est en actions ou en actions et numéraire, alors qu’aux États-­Unis les fusions avec un prix exclusivement en numéraire sont possibles (87). 100. (b) Exception concernant les sociétés cotées (« market-­out »). Les actionnaires (i) d’une société cotée ou (ii) d’une société détenue par au moins 2000 actionnaires (une « société à détention dispersée ») et une capitalisation boursière d’au moins 20 millions de dollars ne bénéficient pourtant pas du droit légal de retrait (88). En effet, un droit de retrait n’est pas nécessaire si les actionnaires bénéficient d’un marché suffisamment liquide pour vendre leurs titres. Si les actionnaires d’une société cotée ne sont pas d’accord avec une opération envisagée, ils peuvent tout simplement vendre leurs actions en bourse. De plus, le marché répond souvent favorablement à l’annonce d’une opération de prise de contrôle, par une hausse du prix boursier. Pour ce motif, les acquéreurs offrent en général un prix supérieur au prix boursier, afin d’inciter les actionnaires à voter en faveur de l’opération. Ainsi, les actionnaires d’une société cotée qui s’opposent à une prise de contrôle n’ont pas besoin d’un droit de retrait, vu qu’ils disposent d’un marché tant liquide que stimulé. 101. Toutefois, une exception à l’exception existe également, permettant de restaurer des droits légaux de retrait. Les actionnaires d’une société cotée ou d’une société à détention dispersée disposent toutefois d’un droit légal de retrait (i) lorsqu’ils reçoivent dans l’opération autre chose que du numéraire ou des actions d’une société cotée ou d’une société à détention dispersée ou (ii) lorsque l’opération est caractérisée par un conflit d’intérêts (89). 86. Section 13.02(a) du MBCA. 87. Cette possibilité n’existe pas dans l’UE. Conformément aux articles 3 et 4 de la directive Fusion, le prix est établi en actions de la société absorbante et la partie numéraire du prix de la fusion ne peut pas excéder 10 % de la valeur nominale des actions émises. 88. Section 13.02(b)(1) du MBCA. 89. Sections 13.02(b)(3) et 13.02(b)(4) du MBCA. 54

102. (c) Procédure. Les conditions procédurales pour l’exercice des droits de retrait sont assez similaires entre les États MBCA et les États non MBCA. La plupart des États imposent que l’actionnaire qui s’oppose à l’opération : (i) notifie l’exercice de son droit avant le vote des actionnaires sur l’opération, (ii) ne vote pas en faveur de l’opération (certains États imposent que l’actionnaire exerce un vote négatif, tandis que d’autres considèrent que cette condition est remplie même en cas d’abstention) et (iii) exerce son droit de retrait à l’égard de toute sa participation dans la société. Un point essentiel sur lequel les États divergent concerne l’existence d’une obligation pour la société de proposer aux actionnaires sortants le rachat de leurs actions avant le déclenchement de la procédure judiciaire d’évaluation (90).

2.  Les droits de retrait applicables dans l’État de Delaware 103. (a) Champ d’application. La Section 262 du DGCL prévoit que tout actionnaire qui détient des titres à la date de la transmission d’une demande de retrait, qui n’a pas voté en faveur d’une fusion et qui n’a pas exprimé son consentement écrit pour la réalisation d’une fusion a le droit de s’adresser au juge afin d’obtenir la détermination du prix équitable correspondant à ses actions qu’il est en droit de recevoir de la part de la société. Ce type de demande relève de la compétence exclusive de la Court of Chancery.

Le champ d’application

du droit légal de retrait est significativement plus réduit au Delaware par rapport aux États

MBCA.

90. Par exemple, à New York, une société doit faire une offre écrite aux actionnaires qui ont exercé leur droit de retrait, pour une somme en numéraire que la société considère équitable, et joindre à cette offre (i) un acompte de 80 % de la somme proposée et (ii) le bilan comptable ou la déclaration de profit et des pertes de la société. L’offre doit être identique pour tous les actionnaires visés et la société ne peut pas négocier un prix distinct avec des actionnaires distincts. Les procédures judiciaires, y compris la possibilité de conclure des transactions individuelles, sont ouvertes seulement aux actionnaires qui n’acceptent pas l’offre. Voy. Section 623(g) de la New York Business Corporation Law.

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104. Le champ d’application du droit légal de retrait est significativement plus réduit au Delaware par rapport aux États MBCA. Il couvre uniquement les fusions. Notamment, le droit légal de retrait ne couvre pas les cessions d’actifs, une opération fréquemment utilisée comme alternative aux fusions ou cessions d’actions. Nous avons observé que la cession d’actifs déclenche un droit de retrait dans les États MBCA. Cette opération a le même effet dans certains États non MBCA (par exemple, dans l’État de New York (91)). Néanmoins, les sociétés peuvent prévoir dans leurs statuts un droit de retrait pour toute modification statutaire, pour toute fusion (sans distinction selon la modalité d’établissement du prix) ou pour la cession de la totalité ou quasi-­ totalité des actifs de la société. 105. L’existence d’un droit légal de retrait en cas de fusion dépend de l’existence d’un droit de vote des actionnaires. Par conséquent, le droit légal de retrait ne s’applique pas aux fusions statutaires effectuées sur la base des Sections 251(f) et 251(g) du DGCL, parce qu’il n’y a pas de vote des actionnaires. Le DGCL contient toutefois deux hypothèses dans lesquelles il existe un droit de retrait même en absence d’un droit de vote des actionnaires : les fusions second-­step et les fusions squeeze-­out. 106. (i) Fusions second-­step. La Section 251(h) DGCL supprime, si certaines conditions sont remplies, la nécessité d’un vote des actionnaires dans le cas d’une fusion structurée en deux étapes : une première étape consistant en une offre publique sur toutes les actions de la société cible et une deuxième étape consistant en une fusion à la suite de laquelle les actionnaires minoritaires qui n’ont pas répondu favorablement à l’offre de la première étape sont exclus. La société cible doit être une société cotée ou une société à détention dispersée. En plus, le nombre d’actions achetées dans l’offre plus le nombre d’actions déjà détenues par l’acquéreur doit être au moins égal avec celui qui aurait été requis pour l’approbation de la fusion par les actionnaires et le prix doit être identique dans l’offre publique et dans la fusion second-­step. Même si un vote des actionnaires n’est pas nécessaire dans la fusion second-­step, les actionnaires qui n’ont pas vendu leurs titres dans l’offre ont un droit légal de retrait. 107. (ii) Fusions squeeze-­out. La Section 253 du DGCL permet à un actionnaire dont la participation dans une société est d’au moins 90 % de forcer le retrait des actionnaires minoritaires par le biais d’une fusion à l’égard de laquelle les actionnaires minoritaires n’ont pas un droit de vote. Dans de telles situations, un droit légal de retrait est prévu, indépendamment de la façon dont le seuil de 90 % a été franchi (suite à un changement de contrôle, par exemple à l’issue d’une offre publique, ou en dehors d’un tel changement (92)). 91. Section 910(a)(1)(B) de la New York Business Corporation Law. 92. R. Kraakman et al., The Anatomy of Corporate Law. A Comparative and Functional Approach, 2e éd., Oxford, Oxford University Press, 2009, pp. 202‑204 et 263‑265. 2016/2

108. (b) Exception concernant les sociétés cotées. La Section 262(b)(1) du DGCL prévoit une exception market-­out similaire à celle prévue par le MBCA. Les actionnaires d’une société cotée ou d’une société à détention dispersée ne bénéficient pas d’un droit légal de retrait. Le DGCL contient également l’exception à l’exception corrélative, le droit légal de retrait redevenant applicable si les actionnaires reçoivent dans l’opération autre chose que des actions, soit de la société qui survit dans l’opération, soit d’une société cotée ou d’une société à détention dispersée (93). Ainsi, les actionnaires d’une société cotée ou d’une société à détention dispersée bénéficient d’un droit légal de retrait seulement s’ils reçoivent un prix exclusivement en numéraire ou une combinaison entre numéraire et actions (et, dans ce dernier cas, seulement s’ils ne peuvent pas faire le choix entre le numéraire et les actions (94)). Le rétablissement du droit de retrait lorsque le prix ou une partie du prix est en numéraire (situation qui n’existe pas dans les États MBCA) ne semble pas logique, étant entendu que le numéraire est par définition plus liquide que les actions, même les actions d’une société cotée. 109. (c) Procédure. Premièrement, un actionnaire désirant exercer ce droit doit adresser à la société, avant le vote, une demande de retrait. Les actionnaires qui détiennent des actions à la date d’enregistrement (qui est habituellement établie à 60 jours avant l’assemblée générale qui vote sur la fusion), ainsi que les actionnaires qui détiennent des actions après cette date, mais avant la date de l’assemblée générale, peuvent exercer le droit légal de retrait (95). 110. Deuxièmement, l’actionnaire ne doit pas voter en faveur de la fusion (96). Il doit soit voter contre, soit s’abstenir (ou, comme il est fait parfois en pratique, voter en faveur de l’opération avec une partie correspondant à la fraction de ses droits de vote nécessaire à l’approbation de la fusion, et s’abstenir ou voter contre avec le reste des actions). 111. Troisièmement, dans un délai de 120 jours à compter de la date effective de la fusion, l’actionnaire doit demander à la Court of Chancery l’évaluation de ses actions. Il peut également, pendant une période de 93. Section 262(b)(2) du DGCL. 94. Delaware Court of Chancery, 13 octobre 2011, Krieger v. Wesco Financial Corp. ; Delaware Court of Chancery, 23 février 2007, Louisiana Municipal Police Employees’ Retirement System v. Crawford. 95. Delaware Court of Chancery, 2 mai 2007, In re Appraisal of Transkaryotic Therapies, Inc. 96. Il n’est pas toujours possible que l’actionnaire qui exerce son droit légal de retrait démontre qu’aucune de ses actions n’a pas été utilisée pour exprimer un vote favorable pour la fusion. Néanmoins, la jurisprudence a permis la continuation de la procédure judiciaire d’évaluation. Deux arrêts ont récemment reconfirmé cette approche. Voy. Delaware Court of Chancery, 5 janvier 2015, In re Appraisal of Ancestry.com Inc. ; Delaware Court of Chancery, 5 janvier 2015, Merion Capital LP v. BMC Software, Inc.

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I.B. Régulation comparée


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I. Régulation financière

60 jours à compter de la date effective de la fusion, retirer sa demande et accepter le prix proposé dans la fusion. 112. Quatrièmement, l’actionnaire doit continuer à détenir les actions pour lesquelles il a demandé l’évaluation jusqu’à la date effective de la fusion et il est privé, jusqu’à la fin de la procédure d’évaluation, de tous les droits pécuniaires et politiques attachés aux actions. 113. La procédure judiciaire d’évaluation est coûteuse et consiste principalement d’une audience extensive des experts. La cour établit le prix équitable « indépendamment de toute plus-­value générée par la réalisation ou la contemplation de la réalisation de la fusion, augmenté de l’intérêt légal » (97). Ainsi, le prix équitable est déterminé comme si l’opération n’avait jamais été envisagée (exclusion de la valeur des synergies et de la prime de contrôle). La cour dispose d’une marge de manœuvre très étendue et doit prendre en considération pour la détermination du prix « tout facteur pertinent ». La méthode la plus fréquemment utilisée est l’analyse du flux de trésorerie actualisé. L’intérêt légal s’ajoute au prix équitable établi par la cour, pour la période comprise entre la date effective de la fusion et la date effective du paiement. Le taux d’intérêt est « 5 % au-­dessus du taux d’escompte officiel établi par la Réserve fédérale » (98), donc nettement supérieur à celui du marché. 114. Une statistique a montré que le prix équitable déterminé par la cour était supérieur au prix offert dans la fusion dans 77 % des cas (par 61 % en moyenne) (99). Ce résultat est de prime abord assez surprenant (surtout que le prix offert dans la fusion est généralement déjà supérieur au prix du marché) et en conflit avec la théorie des marchés efficaces. Une première justification réside dans le fait que les droits légaux de retrait sont souvent exercés à l’occasion d’opérations teintées par des conflits d’intérêts ou pour lesquelles le processus de vente a été défectueux, auxquelles la théorie des marchés efficaces ne s’applique pas par définition. De surcroît, en 2015, en dépit d’un arrêt de 2010 de la Cour suprême de Delaware (100) qui avait statué que le prix de fusion ne peut pas être pris en considération par la Court of Chancery dans l’établissement du prix équitable même de manière présomptive, la Court of Chancery a considéré dans plusieurs arrêts récents que le prix de fusion était le meilleur élément proba97. Section 262(h) du DGCL. 98. Section 262(h) du DGCL. 99. Fried, Frank, Harris, Shiver & Jacobson LLP, New Activist Weapon – The Rise of Delaware Appraisal Arbitrage: A Survey of Cases and Some Practical Implications, 18 juin 2014, Columbia Law School Blog on Corporations and Capital Markets, http://clsbluesky. law.columbia.edu/2014/07/09/fried-­frank-­discusses-­ delaware-­appraisal-­arbitrage-­as-­a-­new-­activist-­weapon/. Les résultats numériques de cette statistique doivent être pris en considération avec une certaine réserve, parce que la statistique avait porté seulement sur neuf arrêts rendus sur une période de 4,5 ans (de 2010 à juin 2014). 100. Cour suprême Delaware, 29 décembre 2010, Golden Telecom, Inc. v. Global GT LP. 56

toire et la meilleure approximation du prix équitable. Un de ces arrêts a été confirmé par la Cour suprême de Delaware (101). Il convient de noter que le prix de fusion dans tous ces arrêts avait été établi suite à des négociations vigoureuses et dans le cadre d’un processus de vente extensif et qui n’était pas teinté par des conflits d’intérêts. Ces éléments ont permis à la Court of Chancery de retenir le prix de fusion et de rejeter les expertises d’évaluation proposées par les deux parties.

Le prix équitable

déterminé par la cour était supérieur au prix offert dans la fusion dans 77 % des cas (par 61 %

en moyenne).

115. (d) Tendances récentes. En principe, les droits légaux de retrait devraient surtout être utilisés par les actionnaires des sociétés non cotées, parce qu’ils ne disposent pas d’un marché liquide pour vendre leurs actions, mais aussi parce que les actionnaires des sociétés cotées ont des droits légaux de retrait plus limités. Pourtant, en pratique, ce sont les actionnaires des sociétés cotées qui font une utilisation plus fréquente de ce droit. L’explication réside dans le fait que certaines entités (des hedge funds et des investisseurs professionnels) ont récemment découvert et commencé à exploiter les avantages découlant de l’exercice des droits légaux de retrait dans les sociétés cotées. 116. Tout d’abord, nous avons vu que le prix équitable (déterminé par la cour) est souvent considérablement plus élevé que le prix offert dans la fusion. De surcroît, l’intérêt légal s’y ajoute, à un taux nettement supérieur à celui du marché, pour la durée du litige, qui est longue (2‑4 ans). Ensuite, d’un point de vue procédural, le droit de retrait peut être exercé même concernant des actions acquises après l’annonce publique de la fusion, ce qui permet de bénéficier des 101. Delaware Court of Chancery, 1er novembre 2013, Huff Fund Investment Partnership v. CKx, Inc. (confirmé par la Cour suprême Delaware, 12 février 2015, Huff Fund Investment Partnership v. CKx, Inc.) ; Delaware Court of Chancery, 30 janvier 2015, In re Appraisal of Ancestry. com Inc. ; Delaware Court of Chancery, 30 avril 2015, Merlin Partners LP v. AutoInfo, Inc. ; Delaware Court of Chancery, 30 juin 2015, LongPath Capital, LLC v. Ramtron Int’l Corp. ; Delaware Court of Chancery, 21 octobre 2015, Merion Capital LP v. BMC Software, Inc.

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informations que les sociétés doivent mettre à la disposition des actionnaires pour le vote sur la fusion pour estimer si la cour déterminera un prix équitable plus élevé que celui offert (102). Les informations pour les actionnaires concernent le processus de vente et les négociations entre les parties, ainsi que tout rapport, opinion ou évaluation obtenu et en lien avec l’opération. L’obtention d’une évaluation ou d’une attestation d’équité n’est pas obligatoire (ni pour les sociétés cotées ni pour les sociétés non cotées) mais, en pratique, elles sont toujours obtenues à l’occasion d’une opération entre sociétés cotées. 117. Les droits légaux de retrait étaient perçus comme inutiles et soumis à une procédure inefficace (103) et, jusqu’à une époque récente, étaient rarement invoqués. La situation a changé radicalement à partir de 2011. Au Delaware, le pourcentage d’opérations éligibles pour lesquelles la procédure judiciaire d’évaluation a été exercée au moins par un actionnaire a augmenté de 5 % (en 2004) à 17 % (en 2013). L’augmentation (appraisal activism (104)) provient quasi exclusivement de procédures visant des sociétés cotées. Son amplification future est fort probable. Même si, en valeur absolue, le pourcentage de litiges concernant les droits légaux de retrait (17 % en 2013) ne semble pas élevé par rapport au pourcentage de litiges standard concernant les fusions et acquisitions (93 % en 2013 (105)), le phénomène reste inquiétant. Les droits légaux de retrait 102. Règlement 14A (Demande de votes) et Formulaire 14A (Informations à inclure en cas de demande de votes) adoptés par la Securities and Exchange Commission (SEC). 103. B. Manning, « The Shareholder’s Appraisal Remedy: An Essay for Frank Coker », Yale Law Journal, 1962, p. 255, n° 72. 104. Pour plus de détails concernant le développement du appraisal activism aux États-­Unis, voy. C. Korsmo, M. Myers, Appraisal Arbitrage and the Future of Public Company M&A, 14 avril 2014, pp. 14‑17, http://ssrn. com/abstract=2715890 ; R. Papadima, « Appraisal Activism in M&A Deals: Recent Developments in the United States and the EU », European Company Law, 2015, pp. 190‑192, n° 4. 105. M. D. Cain, S. D. Solomon, Takeover Litigation in 2015, 14 janvier 2016, http://ssrn.com/abstract=2715890. Il convient de noter que même si le pourcentage de litiges standard concernant les fusions et acquisitions est resté similaire en 2014 (95 %) par rapport à 2013, il a considérablement baissé en 2015 (88 %). L’explication réside fort probablement dans une série de décisions rendues par les cours de Delaware dans la deuxième moitié de 2015 par lesquelles elles ont rejeté la pratique consistant à mettre fin à un litige uniquement en donnant aux actionnaires plus d’informations dans les documents qui doivent être mis à leur disposition (« disclosure only settlements »). Voy., en dernier lieu, Delaware Court of Chancery, 22 janvier 2016, In re Trulia, Inc. Stockholder Litigation. Ce changement pourrait avoir des conséquences séismiques sur le mode de solution des litiges dans le Delaware. Voy. J. Fisch, S. Griffith, S. Davidoff Solomon, « Confronting the Peppercorn Settlement in Merger Litigation: An Empirical Analysis and a Proposal for Reform », Texas Law Review, 2015, p. 557, n° 93. 2016/2

sont souvent exercés par des fonds d’investissement spécialisés qui détiennent d’importantes ressources financières (106).

Le pourcentage

d’opérations éligibles pour lesquelles la procédure judiciaire d’évaluation a été exercée a augmenté de 5 % (en 2004) à 17 % (en 2013). L’augmentation (appraisal activism) provient quasi exclusivement de procédures visant des

sociétés cotées.

118. L’exercice du droit légal de retrait est certainement une affaire lucrative pour ces fonds mais les résultats sont dévastateurs pour les sociétés cotées, notamment en réduisant la certitude de la réalisation de l’opération (qui, à son tour, rend l’obtention d’un financement plus difficile) ainsi que le prix offert dans la fusion (car l’acquéreur proposera un prix diminué dans la fusion et gardera une somme pour payer ceux qui exercent le droit de retrait). Enfin, les procédures judiciaires d’évaluation transforment les juges de Delaware en experts financiers, sans toutefois qu’ils perçoivent la même rémunération que les banquiers de Wall Street (107). 106. Le plus important est Merion, avec un budget d’un milliard de dollars pour investir exclusivement dans des litiges qui impliquent l’exercice de droits légaux de retrait. Voy. D. Katz, L. McIntosh, « Corporate Governance Update: Shareholder Activism in the M&A Context », New York Law Journal, 27 mars 2014, p. 6, www.wlrk.com/webdocs/wlrknew/WLRKMemos/ WLRK/WLRK.23255.14.pdf. 107. T. Norwitz, Delaware Poised to Embrace Appraisal Arbitrage, 9 mars 2015, Harvard Law School Forum on Corporate Governance and Financial Regulation, http://

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I.B. Régulation comparée


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I. Régulation financière

B.  Les autres droits de retrait

2.  L’absence d’un mécanisme d’offre publique obligatoire

119. Le droit américain prévoit un nombre limité d’autres droits légaux de retrait. En particulier, il n’existe pas de droits de retrait spécifiques en situation de freeze-­out, une expression qui est utilisée par la jurisprudence et la doctrine américaine afin de désigner l’exclusion forcée de tous les actionnaires ou plus généralement à la sortie de la cote (1) ou une procédure d’offre publique obligatoire (2).

123. Le mécanisme des offres publiques obligatoires n’existe pas en droit américain, fédéral ou étatique. Un mécanisme similaire existe seulement dans trois États. Dans ces États, lorsqu’un offrant atteint un certain pourcentage de droits de vote d’une société (20 % en Pennsylvanie, 25 % dans le Maine et 50 % au South Dakota), les autres actionnaires peuvent solliciter qu’il leur rachète leurs actions à un prix équitable (control share cash-­out right).

1. L’absence de droits de retrait spécifiques en situations de freeze-­out 120. L’existence de droits légaux de retrait dépend de l’opération juridique par laquelle s’effectue le freeze-­ out. En général, un des deux mécanismes est utilisé : soit une fusion avec paiement intégral en numéraire, soit une offre publique suivie d’une fusion second-­ step (dans les États qui la prévoient) ou d’une fusion squeeze-­out (admise dans la plupart des États). Bien évidemment, une fusion squeeze-­out peut être réalisée même en l’absence d’une offre publique située en amont, lorsque la condition de seuil de détention (90 %) est remplie. 121. Dans le cas d’une fusion avec paiement intégral en numéraire, les actionnaires auront un droit de retrait selon les règles précédemment analysées applicables à tout type de fusion (y compris en cas de fusion entre sociétés cotées). De plus, l’opération est en principe soumise à un standard d’équité absolue (entire fairness review) tant à l’égard du processus de vente, qu’à l’égard du prix, dont le respect est vérifié par les cours. Dans ces cas, les litiges standards en matière de fusions et acquisitions coexistent souvent avec la procédure de détermination judiciaire du prix équitable suite à l’exercice du droit légal de retrait. 122. Dans le cas d’une offre publique suivie par une fusion second-­step ou squeeze-­out, un droit de retrait n’existe pas dans la première étape (celle de l’offre publique, que les actionnaires sont libres d’accepter ou de refuser) mais, comme précédemment discuté, existe dans la deuxième étape (celle de la fusion). L’opération n’est toutefois pas soumise au standard d’équité absolue si certaines conditions sont remplies. La doctrine critique cette différence de régime entre les deux mécanismes conduisant pourtant au même résultat (108).

blogs.law.harvard.edu/corpgov/2015/03/09/delaware-­ poised-­to-­embrace-­appraisal-­arbitrage/#more-­68815. 108. Voy., pour plus de détails, M. Ventoruzzo, « Freeze-­ Outs: Transcontinental Analysis and Reform Proposals », Virginia Journal of International Law, 2010, pp. 851 et s., n° 50. 58

IV.  Quelques observations comparatives 124. Nous présenterons d’abord certaines tendances et corrélations de nature générale (A), pour nous pencher ensuite sur un certain nombre de points particuliers sensibles (B).

A.  Les constats généraux 125. Premièrement, le champ d’application des droits légaux de retrait dans les sociétés cotées n’est pas lié au pouvoir des marchés financiers. En effet, le champ d’application et l’étendue des droits légaux de retrait dans les sociétés cotées sont similaires au sein des trois pays analysés, alors qu’il existe des différences majeures au regard de la puissance de leurs marchés financiers. Par exemple, les actionnaires des sociétés cotées américaines (notamment celles immatriculées au Delaware) bénéficient d’un nombre plus réduit de droits légaux de retrait que les actionnaires français et roumains (ni même d’un droit indirect de retrait à travers le mécanisme des offres publiques obligatoires), alors que les États-­Unis ont les marchés les plus actifs et liquides. Nous avons également observé, sans surprise, que les actionnaires des sociétés non cotées bénéficient d’un champ très large de droits légaux de retrait par rapport aux actionnaires des sociétés cotées. La France fait exception (injustifiée) à cette règle (109). Nous avons du mal à comprendre la logique du législateur français qui confère toute une série de protections aux actionnaires minoritaires des sociétés cotées, tout en ignorant les actionnaires minoritaires des sociétés non cotées. Or, ce sont ces derniers qui méritent la protection du bras ferme du législateur, vu que dans les sociétés non cotées, c’est la loi du majoritaire qui règne. Les actionnaires des sociétés non cotées ne devraient pas bénéficier d’une palette moins étendue de droits légaux de retrait que les actionnaires des sociétés cotées, puisque ces derniers ont la possibilité de vendre facilement leurs 109. Voy. supra, par. 6 et par. 8.

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actions sur le marché s’ils ne sont pas satisfaits de l’orientation ou de l’administration de la société. 126. Deuxièmement, il existe une divergence majeure entre les trois pays concernant les droits légaux de retrait applicables aux SA par rapport à ceux applicables aux autres formes de sociétés commerciales. En Roumanie, au contraire, il existe des droits légaux de retrait particulièrement vastes pour les SARL. 127. Troisièmement, en ce qui concerne les sociétés civiles (qui n’existent pas aux États-­Unis), la France et la Roumanie prévoient un droit général de retrait pour des justes motifs après une procédure judiciaire. Les dispositions sont très similaires et, par conséquent, la jurisprudence française sera une source utile aux juges roumains dans l’interprétation de ces dispositions, récemment adoptées. La différence est que les sociétés civiles sont rarement utilisées en Roumanie. 128. Notons enfin que, dans les trois pays analysés, le degré d’intervention étatique sur la détermination du prix est significativement plus élevé dans les SA que dans les SARL/LLC et autres types de sociétés (y compris les sociétés civiles). Pour les premières, différents mécanismes conduisent à une méthode rigide de détermination du prix équitable (telle que l’intervention obligatoire d’un expert désigné par l’ORC en Roumanie ou d’un juge aux États-­Unis). Cette rigidité se trouve accentuée dans les sociétés cotées, pour lesquelles le prix équitable est soumis aux rigueurs de la réglementation. Pour les secondes, le prix équitable peut en principe être librement négocié par les parties et l’intervention du juge a un rôle éminemment secondaire (en cas de désaccord entre les parties).

B.  Les constats spécifiques 129. (a) Effet papillon. Dans cette matière, le moindre détail peut avoir un « effet papillon ». Les États-­Unis nous fournissent un bon exemple. Alors que la procédure américaine n’a pas changé au cours des 50 dernières années, les bénéfices de l’exercice des droits légaux de retrait n’ont été que récemment découverts (l’existence d’un taux d’intérêt supérieur à celui du marché, la détermination par la cour d’un prix équitable supérieur à celui offert et l’existence d’avantages informationnels) et cette révélation a généré une croissance dramatique de l’utilisation de droits légaux de retrait depuis 2011. La France et la Roumanie ont des taux d’intérêt légaux similaires à ceux existant aux États-­Unis (et supérieurs au taux du marché), ce qui pourrait, du moins en théorie, résulter dans une expérience similaire à celle américaine. Pour l’éviter, une évaluation globale s’impose.

Chroniques

I.B. Régulation comparée

Dans cette matière,

le moindre détail peut avoir un ‘effet papillon’. Les États-­Unis nous fournissent un bon

exemple.

130. (b) Fusions. La France et les États-­Unis limitent le champ d’application du droit légal de retrait en imposant des conditions relatives à la structure de la société (l’existence d’un actionnaire de contrôle ou d’un contexte de squeeze-­out) ou au type de fusion (un droit de retrait existe seulement si l’approbation des actionnaires est nécessaire ou si le prix ou une partie du prix est en numéraire). Inversement, la Roumanie confère un droit légal de retrait très large, dont les actionnaires peuvent bénéficier sans condition. Pour ce qui est pourtant de l’opération sœur de cession d’actifs significatifs, elle déclenche en principe des droits légaux de retrait dans les trois pays analysés, sauf dans le Delaware, ce qui est critiquable (110). Ces différences concernant le champ d’application du droit légal de retrait ne se justifient pas, même si l’on prend en compte les particularités du droit des sociétés de chaque pays analysé. 131. (c) Experts. La détermination du prix équitable implique souvent l’intervention d’un expert indépendant dans chacun des trois pays. Les définitions légales des notions d’ « expert » et d’ « indépendance » varient d’un pays à l’autre. La France a adopté une vision souple et n’impose pas l’enregistrement des experts auprès d’une certaine autorité mais seulement le respect de certaines conditions d’indépendance et d’expérience professionnelle. La Roumanie a adopté une approche rigide. Elle prévoit que les experts doivent obligatoirement être des membres d’une certaine organisation (l’ANEVAR). En France et aux États-­Unis, les parties et les juges disposent de plus de liberté en ce qui concerne la désignation des experts. 132. Aux États-­Unis, les évaluations sont habituellement réalisées par les banques d’investissement ou par des sociétés d’évaluation. Des personnes qui ne sont pas des experts financiers peuvent témoigner devant les juges dans les litiges d’évaluation. Les procédures judiciaires d’évaluation représentent effectivement une bataille des deux banques d’investissement utilisées par 110. Voy. supra, par. 103 et s.

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Chroniques

I. Régulation financière

chacune des parties, avec les juges assumant également un rôle de banquier, surtout dans les situations (qui sont de plus en plus fréquentes récemment) où les évaluations des deux experts sont rejetées et que les juges refassent eux-­mêmes les calculs, en empruntant des éléments tirés des deux évaluations. 133. En France, l’expert peut être généralement nommé par un accord entre les parties ou, en cas de désaccord, par le juge. Les constatations de l’expert sont obligatoires pour les parties. En Roumanie, à l’exception des cas où les parties peuvent s’accorder afin de désigner un expert, l’expert est nommé par le directeur de l’ORC et les parties disposent seulement d’un droit limité de contester cette nomination, dans les cas où l’expert n’est pas autorisé ou n’est pas indépendant. De plus, aucune disposition législative expresse ne confère aux actionnaires (ou aux sociétés) un droit de contester les résultats de l’évaluation (mais certains juges ont admis ce type de demandes et, parfois, ont désigné un expert judiciaire). 134. (d) Détermination du prix équitable. La méthode de détermination du prix équitable est l’élément central en matière de droits légaux de retrait. L’usage et l’utilité de ces droits pour les actionnaires en dépendent. Les experts ont divers degrés d’autonomie dans le choix et l’application des méthodes d’évaluation dans chacun des trois pays. Un degré plus élevé de liberté semble conférer une meilleure protection des minoritaires. Par exemple, en Roumanie, qui a adopté des dispositions très précises et rigides concernant la détermination du prix (obligatoirement comme la moyenne des valeurs obtenues par l’application d’au moins deux méthodes d’évaluation parmi celles prévues dans l’IVS), les rapports d’évaluation résultent souvent en des prix fantaisistes et sont fréquemment critiqués par les actionnaires. Les méthodes d’évaluation sont de facto identiques dans les trois pays, l’IVS étant un standard bien connu au niveau international. Son application est obligatoire seulement en Roumanie, bien que les mêmes méthodes soient appliquées volontairement par les experts français et américains. Ces méthodes consistent dans l’approche par le marché (utilisant le prix des actions de la société dans d’autres transactions ou le prix des actions de sociétés similaires), l’analyse des flux de trésorerie et le calcul de la valeur de liquidation de la société. Parmi ces méthodes, dans les trois pays, l’analyse des flux de trésorerie a le plus grand poids. 135. En France, les parties sont libres de négocier le prix, à l’exception des situations où la loi impose un certain prix, ce qui est souvent le cas si l’opération

60

concerne des sociétés cotées. Le juge intervient seulement en cas de désaccord. En Roumanie, la possibilité d’établir le prix par négociation entre les actionnaires et la société (en contraste avec une détermination exclusivement par un expert) est controversée (111). Aux États-­Unis, après le commencement du litige concernant l’exercice du droit légal de retrait, les parties sont libres de négocier le prix et de conclure une transaction et font souvent usage de cette faculté. À notre avis, la liberté de négocier le prix présente des avantages pratiques incontestables. Tout d’abord, le risque de litiges est diminué, ainsi que les coûts, car la société évitera de payer les frais d’expert et les frais judiciaires. Ensuite, l’établissement du prix par accord diminue de manière significative la durée de la procédure (qui est longue même aux États-­Unis, pouvant aller à plus de deux ans) et présente également l’avantage de la prévisibilité, ce qui est important surtout en Roumanie où les rapports des experts contiennent souvent des prix fantaisie à cause de la rigidité des règles applicables. 136. Depuis quelques années, les droits légaux de retrait sont de plus en plus fréquemment utilisés en Europe et aux États-­Unis, dans un contexte général de croissance de l’activisme actionnarial. Le moment est donc opportun pour leur réévaluation globale, compte tenu des disparités (généralement injustifiées) que nous avons révélées (112). 137. Enfin, il semble étonnant que la France et la Roumanie, qui ont un droit des sociétés similaire et beaucoup d’autres ressemblances, y compris non juridiques, divergent pourtant tellement sur leur façon d’envisager les droits légaux de retrait. Les divergences constatées ne semblent pas se justifier, a fortiori si l’on se rappelle que certaines réglementations nationales applicables en cette matière ont une source européenne. Les transpositions plus « littérales » de la Roumanie par rapport à celles plus « créatives » de la France en matière d’instruments européens en général n’expliquent ces divergences qu’en partie. Au vu de ces constatations, notre étude pourrait utilement servir aux législateurs français et roumain (et, pourquoi pas, américain) à engager une réflexion sur l’étendue optimale des droits légaux de retrait des actionnaires au sein de chaque type de société (cotée versus non cotée, SARL/LLC versus SA) mais également sur le meilleur endroit pour tracer la frontière entre droits légaux et contractuels de retrait (113). 111. Voy. supra, par. 63 et s. 112. Voy. supra, par. 125‑126, 130, 131 et 133. 113. Cet article a examiné les développements législatifs et jurisprudentiels jusqu’au 1er mars 2016.

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II. Régulation bancaire Chronique sous la direction de Anne-­Claire Rouaud & Agrégée des facultés de droit Professeur à l’Université de Reims Champagne-­Ardenne CEJESCO

Sébastien Adalid Maître de conférences en droit public Université Paris-­Est Créteil

Avec la collaboration de

Marion Chazeau

&

Côme Chombart de Lauwe

Mathieu Combet

&

Julien Martinet

Pr. Alain Kenmogne Simo

&

Igor Krasovskiy

Avocat, Cabinet Jeantet (Paris) Maître de conférences Université Jean Monnet de Saint-­Étienne Membre du CERCRID – UMR 5137 Membre du Réseau universitaire européen « Droit de l’Espace de Liberté, Sécurité et Justice » (GDR CNRS ELSJ n° 3452) Agrégé des facultés de droit Enseignant à l’Université de Yaoundé II Coordonnateur PMBF-­CESAG

Juriste en droit bancaire et financier

Avocat associé, Cabinet Jeantet (Paris) Chargé d’enseignement à l’Université Paris I Panthéon-­Sorbonne

Avocat Counsel, Cabinet Jeantet (Kiev)

Dr. Balázs Kutasi

LL.M., Avocat, Cabinet Jeantet (Budapest)

Au plan européen, l’actualité présentée dans cette chronique concerne principalement les services financiers de détail, tout d’abord avec le Livre vert sur les services financiers de détail par lequel la Commission sollicite la discussion sur l’impact de l’essor du numérique sur ces services et interroge sur les moyens d’améliorer l’offre, la transparence et la concurrence ainsi que de promouvoir la fourniture transfrontière de ces services, dans l’intérêt des consommateurs et des prestataires, et dans la perspective de la construction du marché intérieur. En ce qui concerne la protection des consommateurs, une réflexion est proposée sur le champ d’application du régime du crédit immobilier issu de la directive 2014/17/UE et de l’ordonnance française de transposition du 25 mars 2016, particulièrement sur la question de l’application du régime du crédit immobilier aux personnes morales et notamment aux sociétés civiles immobilières. Une autre question a, elle, été tranchée par la Cour de justice de l’Union européenne, qui a jugé dans une importante décision que les opérations de change effectuées par un établissement de crédit en vertu des clauses d’un prêt en devise ne constituent pas un service d’investissement au regard de la directive MIF 2004/39/CE, ce qui exclut l’application des règles relatives à la protection des investisseurs et notamment de l’obligation d’évaluer le caractère adapté ou approprié du service proposé. Sont également étudiés dans cette chronique, au titre de la régulation internationale, le développement des mesures de gel des avoirs adoptées tant au niveau national qu’au niveau de l’Union européenne, notamment au titre de la politique étrangère et de sécurité commune, et à celui des Nations Unies, et leurs conséquences pour les personnes visées par ces mesures, pour leurs créanciers et pour les établissements dépositaires. Cette chronique présente également les nouveaux textes relatifs à la supervision prudentielle des établissements financiers dans la zone CEMAC, qui étendent les pouvoirs de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) dans ce domaine.

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Chroniques

II. Régulation bancaire

At the european level, this issue focuses mostly on retail financial services, first with the Green Paper adopted by the European Commission on “Retail Financial Services: Better products, more choice, and greater opportunities for consumers and businesses”. With this Green Paper and the following consultation, the Commission has launched a debate on the impact of digitalisation on retail financial services and on how to improve choice, transparency and competition in retail financial services and how to facilitate cross-­border supply of these services, to the benefit both of European consumers and of financial firms, with a view to developing a truly integrated EU market. In the same line, this issue offers a reflexion on the scope of the Mortgage Credit Directive 2014/17/UE and the French implementing law and especially on the question of whether their provisions apply to legal persons such as non-­trading real estate investment companies. Regarding consumer protection, the Court of Justice of the European Union rules in an important judgment that foreign exchange transactions, effected by a credit institution under clauses of a foreign currency denominated loan agreement do not qualify as an investment service or activity under the scope of Directive No. 2004/39/CE on Markets in Financial Instruments (MifiD 1) and therefore the provisions designed to ensure investor protection such as the obligation to assess the suitability or appropriateness of the service to be provided, do not apply. In an international perspective, this issue adresses the impact of assets freeze measures decided by States as well as by the United Nations and the European Union, especially within the framework of the Common Foreign and Security Policy, and their implications for persons who are the subject of these measures but also for their creditors and for credit institutions. From a comparative point of view, this issue also presents the new regulation recently implemented in the Economic and Monetary Community of Central Africa (CEMAC) extending the powers of Central Africa’s banking Commission (COBAC) regarding prudential supervision of financial institutions.

II.A. Régulation européenne Le Livre vert sur les services financiers de détail Anne-­Claire Rouaud Agrégée des facultés de droit Professeur à l’Université de Reims Champagne-­Ardenne CEJESCO

Alors que plusieurs des nombreux textes intéressant les services financiers de détail issus de la vague réglementaire qui a suivi la crise financière et économique de la fin des années 2000 ne sont pas encore applicables dans les États membres (1), la Commission européenne 1.

62

Ainsi, la directive 2014/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base doit être transposée pour le 18 septembre 2016. La directive 2015/2366/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (« DSP 2 ») doit l’être pour le 13 janvier 2018. La directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel devait l’être pour le 21 mars 2016. Voy. égal., pour les produits d’assurance non-­ vie, la directive 2016/97/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, qui

a publié en décembre 2015 un Livre vert sur les services financiers de détail, intitulé « De meilleurs produits, un plus large choix et davantage d’opportunités pour les consommateurs et les entreprises » (2). Ce document et la consultation achevée le 31 mars dernier préfigurent la présentation d’un nouveau plan d’action, annoncée pour l’été 2016. Cette initiative, qui succède à de précédents programmes d’action relatifs aux services financiers en général (avec le Plan d’action pour les services financiers de 1999 (3)), aux services financiers de détail (avec le Livre vert sur les services financiers de détail dans le marché unique de 2007 (4)) ou à certains services financiers (notamment dans le secteur des paiements (5)), est à mettre en perspective notam-

2.

3. 4. 5.

doit être transposée pour le 23 février 2018 ; voy. dossier « Distribution de produits d’assurance », R.I.S.F., 2016/1, pp. 5 et s. COM(2015) 630 final ; A. Tenenbaum, « Droit bancaire et financier international », Banque & droit, n° 165, janvier-­février 2016, p. 62 ; A. Gourio et M. Gillouard, « Le Livre vert sur les services financiers de détail », R.D.B.F., n° 1, 2016, p. 62. Voy. également ABE, Réponse au Livre vert de la Commission sur les services financiers de détail, Communiqué du 21 mars 2016. Communication de la Commission du 11 mai 1999 sur la « Mise en œuvre du cadre d’action pour les services financiers : Plan d’action », COM(1999) 232 final. COM(2007) 226 final. Livre vert, 11 janvier 2012, « Vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par télé-

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ment avec le Plan d’action pour construire l’Union des marchés des capitaux présenté par la Commission en septembre 2015 (6) et la Stratégie pour le marché unique numérique exposée en mai 2015 (7). La Commission y adopte une approche transversale des services financiers de détail, englobant les services de paiement, les comptes, y compris les comptes épargne, les assurances (vie et non-­vie) et les crédits, hypothécaires et autres. L’inclusion des services d’investissement semble plus incertaine (8), et l’on peut regretter que la Commission ne définisse pas expressément ce qu’elle entend par « services financiers de détail » au sens du Livre vert (9). La démarche s’inscrit dans la logique habituelle de protection des consommateurs et de promotion de la concurrence au service de la construction du marché intérieur et prend acte du bouleversement causé dans le secteur des services financiers de détail par l’essor du numérique. Sous le premier angle, la Commission vise à la création « d’un véritable marché européen des services financiers de détail » permettant de créer de nouveaux débouchés commerciaux pour les prestataires, d’élargir les possibilités de choix des consommateurs et de soutenir la croissance de l’économie européenne (10). À cette fin, elle s’intéresse aux services transfrontières, qu’ils le soient ab initio, lorsqu’un service est fourni à un consommateur par un prestataire établi dans un autre État membre, ou qu’un élément d’extranéité soit introduit par la suite, lorsqu’un consommateur s’établit dans un autre État membre après avoir souscrit un service, ce qui renvoie à la problématique de la portabilité des produits financiers. Le Livre vert s’appuie sur un constat, classique, tenant à la concentration des marchés nationaux, à la fragmentation du marché européen et à l’insuffisance de la concurrence (11). La Commission déplore que les consommateurs changent rarement de prestataires phone mobile », COM(2011) 941 final. Livre vert, 18 février 2015, « Construire l’Union des marchés des capitaux », COM(2015) 63 final ; Th. ­Bonneau, « L’Union des marchés de capitaux, un nouveau “château de cartes” ? », R.D.B.F., n° 4, juillet 2015, repère 4. 7. Communication de la Commission du 6 mai 2015 sur la « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe », COM(2015) 192 final. 8. Régis par la directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 (MIF 1) concernant les marchés d’instruments financiers (remplacée par la directive 2014/65/UE (MIF 2) à compter de janvier 2018) et par le règlement PRIPs (règlement 1286/2014/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance, J.O.U.E., n° L352 du 9 septembre 2014, p. 1), qui sera applicable à partir du 31 décembre 2016. 9. Comp. Livre vert sur les services financiers de détail dans le marché unique, précité, p. 4. 10. Livre vert, pp. 2 à 6. 11. Livre vert, 2.1, pp. 6 et s. 6.

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et que l’activité transfrontière soit faible, alors même qu’un Européen sur trois vit dans une région frontalière, que le secteur des services financiers de détail est l’un de ceux dans lesquels les consommateurs sont les moins satisfaits des services qu’ils reçoivent et que des prix différents sont pratiqués sur les marchés nationaux pour des produits identiques ou similaires, que ce soit dans le secteur bancaire ou dans celui des assurances. L’essor du numérique, au cœur des préoccupations de la Commission, pourrait fournir les moyens de réduire cette fragmentation et de stimuler la concurrence. Le second angle d’approche adopté par la Commission tient en effet au fort impact de l’essor du numérique sur les marchés des services financiers de détail (12), dû principalement au développement de technologies innovantes, notamment dans le secteur des paiements, et à l’utilisation croissante des mégadonnées (« Big Data »), qui sont à l’origine de l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs dont les services financiers n’ont pas toujours été le cœur de métier, tels les « Fintech », et qui amènent les prestataires établis, comme les banques, à repenser leurs pratiques et leurs processus et à développer une collaboration avec les entreprises de technologie financière. Les questions soumises à consultation (13) visent dès lors à identifier les obstacles, rencontrés tant par les consommateurs que par les prestataires, et les moyens, notamment numériques, de les surmonter. S’agissant des consommateurs (14), la Commission identifie trois types d’obstacles possibles, tenant à l’insuffisance d’information, au manque de confiance et au manque d’accessibilité des services financiers. Il s’agit par conséquent, en premier lieu, d’assurer aux consommateurs un meilleur accès à l’information, grâce au développement de canaux d’information comme des sites web de comparaison indépendants ou des services de conseils financiers indépendants par internet, et de faciliter le changement de prestataire. On sait que des mesures ont déjà été adoptées en ce sens dans le domaine du crédit hypothécaire (15) et dans celui des comptes de paiement (16), mais il s’agirait d’aller plus loin dans cette voie. Il s’agit, en deuxième lieu, de permettre aux consommateurs de bénéficier des services financiers offerts dans n’importe quel État membre, notamment en adoptant des mesures destinées à empêcher le blocage géographique pratiqué par les prestataires qui fournissent des services en ligne et en facilitant la portabilité des services, notamment des produits d’assurance vie ou d’assurance maladie privée. Il s’agit, enfin, d’identifier les éventuelles mesures à prendre pour assurer aux consommateurs qu’ils bénéficieront d’une protection suffisante quel que soit l’État dans 12. 13. 14. 15.

Livre vert, 2.2, pp. 11 et s. Livre vert, pp. 14 et s. Livre vert, pp. 15 et s. Directive 2014/17/UE précitée, art. 25 relatif au remboursement anticipé. 16. Directive 2014/92/UE précitée, art. 9 à 14 relatifs à la mobilité en matière de comptes de paiement.

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63

Chroniques

II.A. Régulation européenne


Chroniques

II. Régulation bancaire

lequel ils achètent un produit financier de détail, notamment en améliorant la comparabilité et la clarté de l’information, en améliorant les possibilités de recours et en garantissant l’obtention d’une réparation financière adaptée en cas de vente abusive de produits financiers et d’assurance de détail. S’agissant des prestataires(17), la Commission identifie un certain nombre d’obstacles d’ordre à la fois technique et réglementaire, tenant notamment aux coûts opérationnels et de mise en conformité engendrés par la fragmentation des marchés. Différents types de mesures sont envisagés, qui pourraient permettre de pallier ces difficultés tout en assurant la sécurité des opérations et la protection des consommateurs. La conciliation entre l’admission de la signature et de la vérification de l’identité sous forme électronique pour faciliter la conclusion en ligne de conventions avec un prestataire implanté dans un autre État membre, et les exigences de KYC (« know your customer ») imposées par la législation en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux en offre un bon exemple. D’autres pistes sont également envisagées, concernant l’amélioration de l’accès des prestataires aux bases de données dans d’autres États membres pour évaluer la solvabilité des consommateurs, les modalités de services après-­vente ou encore l’opportunité de rapprocher les législations nationales relatives aux procédures d’insolvabilité des personnes physiques et notamment à la mise en œuvre des garanties. 17. Livre vert, pp. 24 et s. 18. COM(2011) 635.

La Commission revient également sur les obstacles liés aux différences de réglementation entre les États membres en matière de droit des contrats, de protection des données ou de fiscalité, qui seraient source de coûts importants pour les prestataires souhaitant proposer leurs services à des consommateurs dans d’autres États membres, nonobstant l’existence de passeports européens pour nombre de ces prestataires. On retrouve ici des arguments déjà mis en avant à propos de la proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente(18) et l’idée d’un « 29e régime » susceptible d’être proposé sur la base de l’opt-­in afin de surmonter les divergences entre les réglementations nationales. Pour conclure, si certains des constats livrés par la Commission ne semblent guère discutables et si plusieurs des pistes envisagées sont intéressantes, on peut regretter la tonalité parfois assertive des développements et le flou qui subsiste quant à l’origine des « cas concrets portés à l’attention de la Commission »(19) sur lesquels celle-­ci s’appuie pour justifier son propos. Sur le fond, certains obstacles de nature réglementaire peuvent certainement être gommés mais cela suffira-­t‑il à pallier les obstacles linguistiques et culturels et à pousser les consommateurs à « surmonter leur inertie » (sic)(20) ? 19. Livre vert, note 43, p. 15. En ce sens, voy. A. Gourio et M. Gillouard, « Le Livre vert sur les services financiers de détail », op. cit. Voy. également ABE, Réponse au Livre vert, op. cit., spéc. nos 24 à 28. 20. Selon la formule employée par la Commission, Livre vert, p. 47.

Réflexions sur l’application du régime du crédit immobilier aux personnes morales

Côme Chombart de Lauwe

Juriste en droit bancaire et financier

Depuis de nombreuses années, il existe des incertitudes quant au champ d’application des dispositions relatives aux contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation. S’il ne fait aucun doute que les dispositions protectrices relatives au crédit immobilier s’appliquent aux personnes physiques qui n’agissent pas dans le cadre de leur acti64

vité commerciale ou professionnelle, il n’en est pas de même pour les personnes morales de droit privé. Une clarification était espérée par la profession bancaire avec la publication de l’ordonnance n° 2016‑351 du 25 mars 2016 transposant la directive 2014/17/UE instituant un cadre juridique harmonisé à l’échelle européenne pour la distribution du crédit immobilier et du crédit hypothécaire. Le champ d’application de la directive ne vise que les consommateurs et donc les personnes physiques (1). Cependant, cette dernière étant d’harmonisation minimale (2), l’ordonnance de transposition inclut dans le périmètre de la réglementation les crédits consentis à des personnes morales de droit privé lorsqu’ils ne sont pas destinés à financer 1. 2.

Directive 2014/17/UE, art. 4.1. Directive 2014/17/UE, art. 2, cons. 14.

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une activité professionnelle. Toutefois, l’articulation de cette ordonnance avec l’adoption récente de textes modifiant le Code de la consommation en complique l’interprétation et la portée. La question de l’application du crédit immobilier aux sociétés civiles immobilières (SCI) est la principale illustration de cet imbroglio normatif. Personnes morales, elles ne peuvent être des consommateurs (3), ayant une activité purement civile, elles ne seront pas pour autant des professionnels au sens du nouvel article liminaire du Code de la consommation (4) ; pourtant, nous montrerons qu’il est probable que les dispositions très spéciales du crédit immobilier ne s’appliquent pas de manière automatique aux crédits qu’elles souscrivent. Cependant, avant de déterminer les règles permettant d’identifier précisément les différents types de personnes morales de droit privé bénéficiant du régime protecteur du crédit immobilier (II), il est nécessaire d’étudier l’extension de ce dernier aux personnes morales de droit privé prises dans leur ensemble (I).

I. L’extension des règles protectrices du crédit immobilier aux personnes morales de droit privé Avant même l’entrée en vigueur de l’ordonnance relative au crédit immobilier, plusieurs arguments permettent déjà d’inclure les personnes morales dans le champ d’application du crédit immobilier tel qu’il est défini actuellement. En effet, contrairement à ce qui vaut pour le crédit à la consommation (5), les personnes morales ne sont pas expressément exclues de la réglementation en matière de crédit immobilier. Par ailleurs, les dispositions de l’article L. 312‑1 du Code de la consommation ne réalisent aucune distinction entre personnes morales et personnes physiques, définissant comme acquéreur « toute personne qui acquiert, souscrit ou commande au moyen des prêts mentionnés à l’article L. 312‑2 du Code de la consommation » (6). Enfin, l’article L. 312‑3-­2° du Code de la consommation exclut expressément les personnes de droit public du bénéfice des dispositions protectrices en matière de crédit immobilier. Par un raisonnement a contrario, il en résulte que les personnes morales de droit privé sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application. Cette interprétation est renforcée par l’exclusion expresse dans ce même article des crédits consentis aux seules personnes morales de droit privé pour financer leur activité professionnelle. Contrairement à ce qui a pu 3. C. cons., art. liminaire (nouveau). 4. C. cons., art. liminaire (nouveau). 5. C. cons., art. L. 311‑1-­2°. 6. S. Porcheron, « En matière de crédit immobilier, la SCI familiale est-­elle ou non un consommateur ? », AJDI, 2016, p. 137. 2016/2

être écrit (7), il nous semble que la loi Hamon ne remet pas en cause cette analyse. Certes, elle exclut définitivement les personnes morales de la définition des consommateurs mais cela n’a pas d’impact sur le champ d’application du crédit immobilier. En effet, ce dernier relevant d’un régime spécial dérogeant au régime général, il reste inchangé et n’est pas limité au seul consommateur. Cette position est celle consacrée par l’ordonnance du 25 mars puisqu’entrent dans son champ d’application les personnes morales de droit privé agissant à des fins non professionnelles et souscrivant un crédit destiné au financement d’immeubles à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation (8). L’inclusion dans le champ d’application des crédits souscrits par des personnes morales finançant leur activité non professionnelle est toutefois contestée au regard de l’insertion d’un nouveau chapitre premier intitulé « définitions » inscrit au nouveau livre III « Crédit » du Code de la consommation. Ce nouveau chapitre a vocation à s’appliquer aux crédits immobiliers et aux crédits à la consommation. Or, on peut y lire à l’article L. 311‑1 (nouveau) que le consommateur ou l’emprunteur est défini comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » (9). Cela a conduit certains commentateurs à conclure à l’exclusion de toutes les personnes morales du champ des règles protectrices du crédit immobilier (10). Cependant, il est possible de tenir ici le même raisonnement que celui tenu pour la loi Hamon. Les dispositions très spéciales du crédit immobilier dérogeant aux nouvelles définitions relatives aux crédits par un article très explicite ; le doute n’est plus permis, les personnes morales de droit privé entrent bien dans le champ d’application du régime. Le fait que les personnes morales de droit privé relèvent, dans certains cas, du régime du crédit immobilier, sans avoir la qualité de consommateur, n’est pas sans soulever certaines difficultés. Cela impose de distinguer les règles applicables au titre du régime du crédit immobilier (règles très spéciales ratione materiae mais au champ plus large ratione personae, puisqu’elles bénéficient aux personnes morales de droit privé), de celles qui bénéficient uniquement aux consommateurs (règles de portée plus générale ratione materiae mais au champ plus étroit ratione personae) et ne trouvent donc pas à s’appliquer à ces personnes morales. Mais à vrai dire, le même type de difficulté s’est déjà rencontré pour les personnes morales qui, bien que n’entrant pas dans le champ du régime du crédit immobilier, choisissent de 7. G. Raymond, « Crédits immobiliers conclus par les SCI », Contr. Conc. Cons., nos 8‑9, 2015, comm. 213 ; contra N. Mathey, « Crédit immobilier et société civile », R.D.B.F., n° 1, 2016, comm. 8. 8. C. cons., art. L. 313‑1-­3° (nouveau). 9. C. cons., art. L. 311‑1 (nouveau). 10. S. Piedelievre, « Crédits relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation : voici l’ordonnance du 25 mars 2016 », JCP N, n° 14, 2016, act. 486.

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II. Régulation bancaire

s’y soumettre. En effet, si le régime du crédit immobilier est d’ordre public pour les personnes entrant dans son champ d’application (11), la Cour de cassation admet que les prêteurs et emprunteurs qui n’en relèvent pas peuvent s’y soumettre volontairement. Cette soumission conventionnelle doit être non équivoque (12) et les parties doivent s’engager à respecter l’intégralité de la réglementation en la matière (13). S’agissant des personnes morales qui optent pour cette protection, elles ne seront pas pour autant considérées comme des consommateurs au sens de l’article préliminaire du Code de la consommation. Ainsi, une personne morale ayant souscrit à un crédit soumis aux dispositions relatives au crédit immobilier n’a pas pu se prévaloir de la prescription biennale prévue à l’article L. 132‑7 du Code de la consommation, réservée au seul consommateur (14). Un raisonnement identique peut s’appliquer aux personnes morales qui seront désormais soumises au régime du crédit de manière impérative. Cependant, la vraie difficulté n’est pas là. Elle tient à la détermination des personnes morales qui bénéficient du régime de manière automatique.

II. La délicate détermination des personnes morales bénéficiaires des règles protectrices du crédit immobilier Pour déterminer les personnes morales de droit privé soumises au régime protecteur de manière impérative, il est nécessaire de préciser la notion de financement d’une « activité professionnelle ». Le régime actuel, tout comme le nouveau, exclut des dispositions protectrices les crédits « destinés, sous quelque forme que ce soit, à financer une activité professionnelle, notamment celle des personnes physiques ou morales qui, à titre habituel, même accessoire à une autre activité, ou en vertu de leur objet social, procurent, sous quelque forme que ce soit, des immeubles ou fractions d’immeubles, bâtis ou non, achevés ou non, collectifs ou individuels, en propriété ou en jouissance » (15).

ou à usage mixte, le financement de ces biens n’entrant pas dans le cadre de leur activité professionnelle. En revanche, les syndicats de copropriétaires semblent exclus de la plupart des dispositions protectrices du crédit immobilier. En effet, l’article 26‑5 de la loi n° 65‑557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis énumère limitativement les articles du Code de la consommation applicables aux « emprunts » souscrits par ces derniers. Néanmoins, l’ordonnance de transposition n’a pas mis à jour la numérotation des articles. Il est probable cependant que cet oubli soit sans incidence. Le nœud du problème réside dans l’application des dispositions protectrices du Code aux SCI. Certaines juridictions du second degré ont considéré que pour déterminer l’activité professionnelle, il fallait prendre en compte l’activité réelle mais la Cour de cassation ne semble pas disposée à suivre cette analyse. Si l’on tient compte de l’activité réelle, les SCI dites « familiales », c’est-­à-­dire ayant essentiellement une activité patrimoniale, pourraient alors bénéficier du régime protecteur. Ceci à condition de financer l’acquisition de la résidence principale ou secondaire de ses associés, car la jurisprudence a considéré comme professionnels les crédits destinés à financer des habitations à usage locatif ou à financer l’achat d’immeubles pour les revendre (16). Ainsi, dans une affaire récente, une SCI avait acheté un immeuble, sous condition suspensive de l’obtention d’un prêt. Elle avait versé à cette occasion un acompte aux vendeurs. Faute d’obtenir un financement, elle renonça à l’acquisition et les vendeurs l’assignèrent en résolution de la vente et paiement d’indemnités. La SCI se prévalut alors de l’application de l’article L. 312‑16 du Code de la consommation qui permet au bénéficiaire d’un crédit immobilier de récupérer l’intégralité des sommes versées d’avance au vendeur en cas de non-­obtention du crédit.

Entrent donc dans le champ d’application impératif du régime les fondations, les associations, y compris les associations cultuelles, et les congrégations religieuses qui financent grâce à un crédit des biens à usage d’habitation

La question qui se posait était donc de savoir si la SCI pouvait être considérée comme ne finançant pas une activité professionnelle et si elle pouvait, par conséquent, bénéficier des dispositions protectrices du crédit immobilier. La cour d’appel de Paris donne raison à la SCI au motif que « l’acquisition du bien litigieux (qui est désigné comme un pavillon à usage d’habitation dans l’acte de vente) n’avait d’autre finalité qu’un usage familial ; qu’il n’est nullement démontré que l’acquisition litigieuse ait été réalisée dans une finalité professionnelle ou ait été destinée à la location ; qu’il n’est nullement établi, nonobstant son objet social, que la SCI Issay immobilier ait effectivement une activité professionnelle (…) » (17).

11. C. cons., art. L. 313‑17 ; C. cons., art. L. 314‑26 (nouveau). 12. Cass. 1re civ., 1er juin 1999, n° 97‑13.779. 13. Cass. 1re civ., 4 avril 2006, n° 04‑15.813 ; CA Paris, 15 janvier 2009, arrêt SCI D’Après c. Banque populaire Rives de Paris, JurisData, n° 2009‑375603. 14. Cass. 1re civ., 3 février 2016, n° 15‑14.689. 15. C. cons., art. L. 312‑3-­2° ; C. cons., art. L. 313‑2-­2° (nouveau).

16. CA Saint-­Denis de la Réunion, 24 avril 2015, JurisData, n° 2015‑011607 : « L’opération consistant à acheter un ou plusieurs terrains pour le(s) diviser en lots viabilisés à revendre ou à louer revêt nécessairement un caractère professionnel » ; CA Riom, 25 février 2015, JurisData, n° 2015‑007178 ; CA Paris, 20 juin 2013, JurisData, n° 2013‑012911. 17. CA Paris, 15 mai 2014, Pôle 4, chambre 1, n° 12/20822 ; voy. aussi CA Metz, 17 septembre 2013, JurisData,

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Cet arrêt est pourtant cassé par la Cour de cassation, qui juge qu’au « regard de l’objet social de la SCI et de la destination du prêt litigieux, celui-­ci n’entrait pas dans le champ d’application des dispositions du Code de la consommation régissant le crédit immobilier » (18). La Cour de cassation refuse donc de s’attacher à un critère réel. Elle lui préfère un critère formel, celui de l’objet social, auquel s’ajoute un second critère, tenant au lien du prêt avec l’objet social (19). L’adoption d’un critère purement formel est conforme au texte qui pose une alternative : l’activité professionnelle peut se déduire notamment de l’activité habituelle ou de « l’objet social ». L’objet social s’entend ici nécessairement dans un sens abstrait, sinon il se confondrait avec l’activité habituelle. Il semble alors que toutes les SCI pourraient être exclues du champ d’application du crédit immobilier car leur objet social sera toujours de procurer « sous quelque forme que ce soit, des immeubles ou fractions d’immeubles, bâtis ou non, achevés ou non, collectifs ou individuels, en propriété ou en jouissance ». Ensuite, le crédit immobilier visant à procurer un immeuble à une SCI sera toujours en lien direct avec l’objet social. La position de la Cour de cassation doit être saluée car elle est conforme à l’esprit de l’article, inchangé depuis la loi de 1979 (20), qui avait été amendé précisément dans le but d’exclure les SCI du champ d’application des crédits immobiliers (21). Par ailleurs, il n’est pas anormal de considérer que les personnes ayant recours à une SCI pour gérer leur patrimoine n’ont pas besoin de la même protection qu’un consommateur personne physique. Souvent accompagnée d’un conseil, la SCI s’inscrit dans un projet patrimonial afin de profiter d’avantages fiscaux et civils. La décision d’achat d’un immeuble n° 2013‑020023 ; CA Paris, 19 janvier 2012, JurisData, n° 2012‑000611, jugeant que la SCI « n’exerce pas une activité professionnelle dans le domaine de la vente ou de la gestion immobilière nonobstant son objet social ; que le crédit immobilier en cause, qui n’a pas de finalité professionnelle, n’entre pas dans le champ d’exclusion de l’article L. 312‑3-­2° du Code de la consommation » ; CA Aix-­en-­Provence, 23 février 2012, JurisData, n° 2012‑003424. 18. Cass. 1re civ., 14 octobre 2015, n° 14‑24.915 ; voy. aussi Cass. 1re civ., 11 octobre 1994, n° 92‑20563 ; Cass. 1re civ., 18 janvier 2005, n° 03‑16.603. 19. S. Becque-­Ickowicz, « Les SCI hors du champ d’application du droit de la consommation : nouvelles illustrations », Defrénois, n° 4, 2016, p. 171. 20. Loi n° 79‑596 du 13 juillet 1979 en matière de prêts immobiliers dite « loi Scrivener 2 », art. 2. 21. Rapport de M. Pillet au Sénat, n° 376, p. 13, www. senat.fr/rap/1977‑1978/i1977_1978_0376.pdf : « (…) il existe des opérations intermédiaires, situées entre l’activité du professionnel et celle du particulier, notamment toutes celles qui sont réalisées par les sociétés civiles immobilières. Il serait inopportun que ces opérations soient assujetties aux dispositions du projet de loi ; c’est pourquoi, afin qu’aucun doute ne subsiste quant à l’interprétation du texte, un amendement tend à préciser la notion d’activité professionnelle ». 2016/2

est par conséquent nécessairement le fruit d’un acte réfléchi qui ne nécessite pas la même protection qu’un consommateur (22). Or le nouveau régime ne modifie pas la définition de l’activité professionnelle au sens du régime du crédit immobilier : il ne fait qu’inclure expressément dans son champ les personnes morales n’ayant pas une telle activité. Par conséquent, la jurisprudence rendue sous l’empire des textes actuels pourrait continuer à s’appliquer (23). Toutefois, l’introduction dans le Code de la consommation d’un article liminaire (qui remplacera l’article préliminaire à son entrée en vigueur au 1er juillet 2016) par l’ordonnance de recodification (24) semblerait avoir pour effet de renforcer la position de la cour d’appel de Paris. En effet, cet article introduit la définition de « professionnel » et de « non professionnel ». Est professionnel « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole (…) » et non professionnel « toute personne morale qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, libérale ou agricole » (25). Les SCI ayant une activité civile, elles seraient donc nécessairement des non professionnels. Néanmoins, il est à nouveau nécessaire d’articuler le texte général et le texte spécial. Si les professionnels au sens de l’article liminaire seront nécessairement exclus des dispositions protectrices quand ils financeront leur activité professionnelle, l’activité professionnelle est définie plus largement pour l’application des dispositions protectrices du crédit immobilier. Autrement dit, une SCI, non professionnel au sens de l’article liminaire, peut toujours être un professionnel au sens des dispositions sur le crédit immobilier… Finalement, pourrait-­on admettre qu’une SCI ayant un objet social restreint, à savoir de procurer un seul appartement au profit de ses associés, entre dans le champ du régime du crédit immobilier ? En effet, à la lettre de l’article, l’activité professionnelle semble devoir s’exercer sur plusieurs immeubles. Pourtant, pour la Cour de cassation, le nombre d’immeubles importe peu. Elle a ainsi refusé d’appliquer le régime du crédit immobilier à une SCI au motif que « le nombre des immeubles sur lesquels s’exerce cette activité [est] indifférent » (26). Du côté des prêteurs, l’arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2015 pourrait éviter le maintien d’une 22. S. Becque-­Ickowicz, « Les SCI hors du champ d’application du droit de la consommation : nouvelles illustrations », op. cit. 23. Dans le même sens, A. Gourio, « Ordonnance n° 2016‑351 du 25 mars 2016 transposant la directive 2014/17/UE sur le crédit immobilier », JCP E, 2016, act. 290. 24. Ordonnance n° 2016‑301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du Code de la consommation, art. 1. 25. Article liminaire (entré en vigueur au 1er juillet 2016). 26. Cass. 1re civ., 10 février 1993, n° 91‑12.382.

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II.A. Régulation européenne


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II. Régulation bancaire

casuistique trop subtile. La plus grande prudence est cependant de mise pour le juriste de banque qui voudrait exclure tous les crédits accordés aux SCI du champ d’application de la réglementation protectrice. Les sanctions encourues, de nature civile ou pénale, ont été alourdies(27). La décision de la Cour de cassation n’a pas été publiée au Bulletin et il est pro27. Ordonnance n° 2016‑351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation, art. 5.

bable que les cours d’appel résistent à la position de la Cour de cassation. Finalement, l’interprétation du texte que fera la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en charge de rechercher les infractions et manquements sera, elle aussi, déterminante. Pour finir, seule la confirmation de la pérennité de la position de la Cour de cassation par un arrêt de principe, rendu sur le terrain du champ d’application du régime du crédit immobilier, permettrait de trancher définitivement.

De l’encadrement des contrats de prêt en droit de l’Union européenne Mathieu Combet

Maître de conférences Université Jean Monnet de Saint-­Étienne Membre du CERCRID – UMR 5137 Membre du Réseau universitaire européen « Droit de l’Espace de Liberté, Sécurité et Justice » (GDR CNRS ELSJ n° 3452) « L’article 4, paragraphe 1, point 2, de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil, doit être interprété en ce sens que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, ne constituent pas un service ou une activité d’investissement au sens de cette disposition certaines opérations de change, effectuées par un établissement de crédit en vertu de clauses d’un contrat de prêt libellé en devise tel que celui en cause au principal, consistant à fixer le montant du prêt sur la base du cours d’achat de la devise applicable lors du déblocage des fonds et à déterminer les montants des mensualités sur la base du cours de vente de cette devise applicable lors du calcul de chaque mensualité ». C.J.U.E., 3 décembre 2015, Banif Plus Bank, aff. C-­312/14, ECLI:EU:C:2015:794(1) Depuis la « crise des subprimes », la commercialisation de produits bancaires et financiers ne cesse d’être une source de contentieux toujours plus importante, symbole d’une défiance d’une partie de la population 1. « N’est pas spéculateur qui veut… ! », JCP G, 2015, act. 1401, obs. D. Berlin ; « Les opérations de change des contrats de prêt libellé en devise ne constituent pas un service d’investissement », JCP G, n° 6, 8 février 2016, 171, note M. Storck et J. Lasserre Capdevielle ; « Contrats de prêt libellé en devise », Europe, n° 2, février 2016, comm. 70, obs. J. Daniel. 68

et de certains dirigeants à l’égard du système financier. Parmi les produits qui avaient les faveurs de certains consommateurs, figuraient les prêts libellés dans une devise étrangère. Or la crise de la zone euro a eu pour effet de rendre certains crédits libellés dans une devise étrangère, notamment en franc suisse, particulièrement plus coûteux que prévu et a, par conséquent, mis de nombreux emprunteurs dans des situations financières complexes. D’ailleurs, l’article L. 312‑3-­1 du Code monétaire et financier issu de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet

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2013 prohibe la souscription par un particulier d’un prêt dans une devise étrangère à l’Union européenne. L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (ci-­après : « la Cour de justice ») le 3 décembre 2015 est révélateur de ce contentieux grandissant lié à la commercialisation des produits bancaires et financiers au sein du marché intérieur. Cette affaire concerne un couple qui avait conclu avec la Banif Plus Bank un contrat de crédit à la consommation libellé en devise étrangère. Afin d’obtenir un taux d’intérêt plus favorable que celui offert pour les prêts en forint hongrois, ils avaient opté pour un crédit en devise étrangère, s’exposant ainsi au risque d’une appréciation de cette devise par rapport au forint au cours de la période de remboursement. Le contrat contenait des clauses relatives à des flux dits « fictifs » en devise et à des flux dits « réels » en monnaie nationale, en l’occurrence en forints hongrois (HUF). Dans le cadre d’un recours introduit par la banque devant le tribunal local hongrois, le couple a demandé à ce même tribunal de constater que les contrats de crédit en devise étrangère relevaient de la directive sur les marchés d’instruments financiers (2). Ainsi, selon les emprunteurs, l’établissement de crédit aurait dû ­procéder à une évaluation de l’adéquation du produit proposé ou du caractère approprié du service à fournir. Saisie de cette affaire, la Cour suprême hongroise a décidé de sursoir à statuer en saisissant la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. La première question portait sur le point de savoir si le fait de proposer un crédit libellé en devise étrangère pouvait être considéré comme relevant de la notion d’ « instrument financier », au sens des définitions figurant à l’article 4, paragraphe 1, points 2 (services et activités d’investissement) et 17 (instruments financiers), de la directive 2004/39 ainsi qu’à l’annexe I, section C, point 4 (contrats à terme, instruments dérivés), de cette directive. Il revenait également à la Cour de justice de déterminer si l’opération en cause pouvait être considérée comme un service ou une activité d’investissement au sens des définitions figurant à l’article 4, paragraphe 1, point 6 (négociation pour compte propre), de la directive 2004/39 et à l’annexe I, section A, point 3 (négociation pour compte propre), de celle-­ci. Partant, la question se posait à la juridiction de renvoi de savoir si l’établissement financier était tenu de procéder à l’évaluation de l’adéquation prévue à l’article 19, paragraphes 4 et 5, de la directive 2004/39. Enfin, il s’agissait d’établir si le contournement des dispositions de l’article 19, paragraphes 4 et 5, de la directive 2004/39 impliquait, à lui seul, la constatation de la nullité du contrat de prêt conclu entre l’établissement prêteur et les emprunteurs. Si la Cour de justice ne répond qu’aux deux premières questions, réponses qui doivent être approuvées au 2. Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. 2016/2

demeurant, l’intérêt de cette affaire réside dans le fait qu’elle est une nouvelle occasion pour la Cour de se prononcer sur des contrats libellés dans des devises étrangères. En effet, dans l’affaire Kásler de 2014 (3) faisant application de la directive 93/13, la Cour a reconnu que des clauses relatives au cours de change, pour autant qu’elles instaurent une asymétrie entre le cours d’achat de la devise, appliqué lors du déblocage du prêt, et son cours de vente, appliqué pour le calcul des mensualités, pouvaient faire l’objet d’un contrôle quant à leur caractère abusif. Elle a par ailleurs précisé que ces clauses devaient être considérées comme abusives dès lors notamment, que la banque percevait du consommateur une rémunération égale à la différence entre ces cours de change sans qu’elle fournisse en contrepartie un service au consommateur. Faisant œuvre de pédagogie, la Cour de justice estime, s’agissant de prêts libellés en devise étrangère, que ceux­ci ne peuvent pas être qualifiés d’instruments financiers (I) et que l’opération de change qui en découle ne peut être considérée comme étant un service ou une activité d’investissement (II).

I. Le rejet de la qualification d’instrument financier pour les prêts libellés en devise La Cour de justice commence par rappeler que le but de la directive 2004/39 est de protéger les investisseurs (4). Ensuite, elle va établir que la distribution de prêt libellé en devise ne constitue pas un instrument financier visé dans la directive 2004/39 et encore moins un contrat à terme. En effet, ce dernier peut se définir comme étant un type de contrat dérivé par lequel deux parties s’engagent l’une à acheter et l’autre à vendre, à une date ultérieure, un actif appelé « sous-­jacent » à un prix qui est fixé lors de la conclusion du contrat. Ce type de contrat peut être utilisé, notamment, à des fins de couverture des risques ou à des fins spéculatives. L’essentiel dans cet instrument est que le prix ou le taux est fixé à l’avance, et pourra donc être différent du prix, du taux ou de la valeur de l’actif sous-­jacent à l’échéance. Or, un contrat de prêt à la consommation, comme celui dans l’affaire sous commentaire, n’a pas pour objet la vente d’un actif à un prix fixé lors de la conclusion du contrat. Ainsi, la conversion d’une devise constitue une modalité indissociable de l’exécution du contrat. D’ailleurs, la Cour rappelle que dans un contrat de prêt libellé en devise, « il ne saurait être distingué entre le contrat de prêt lui-­même et une opération de vente de devises à terme dès lors que celle-­ci a pour seul objet 3. 4.

C.J.U.E., 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, aff. C-­26/13, ECLI:EU:C:2014:282. Considérant 31 de la directive.

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II. Régulation bancaire

l’exécution des obligations essentielles de ce contrat, à savoir celles de paiement du capital et des échéances » (5). La Cour de justice avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la notion d’instrument financier dans l’affaire Genil 48 et Comercial Hostelera de Grandes Vinos de 2013 (6). Cette affaire portait sur un instrument financier à terme, à savoir un contrat d’échange de taux d’intérêts dit « swap » visant à protéger les clients de banques contre l’évolution de taux d’intérêts variables à laquelle ceux-­ci étaient exposés en raison de la souscription de certains produits financiers auprès de ces banques. La Cour avait dit pour droit que « (…) l’article 19, paragraphe 9, de la directive 2004/39 doit être interprété en ce sens que, d’une part, un service d’investissement n’est proposé dans le cadre d’un produit financier que s’il en fait partie intégrante au moment où ledit produit financier est proposé au client et, d’autre part, les dispositions de la législation de l’Union et les normes communes européennes auxquelles cette disposition fait référence doivent permettre une évaluation des risques des clients et/ou comporter des exigences en matière d’information, qui englobent également le service d’investissement faisant partie intégrante du produit financier en question, pour que ce service ne soit plus soumis aux obligations énoncées audit article 19 ». Or, dans l’affaire sous commentaire, dans un contrat de prêt libellé en devise, la valeur des devises devant être prise en compte pour le calcul des remboursements n’est pas fixée à l’avance dès lors qu’elle est déterminée sur la base du cours de vente de ces devises à la date de l’échéance de chaque mensualité. Ainsi, pour la Cour de justice, un contrat de prêt à la consommation ne saurait être qualifié d’instrument financier. Dès lors, dans le cadre de ses opérations, l’établissement prêteur n’est pas soumis aux obligations prévues à l’article 19 de la directive 2004/39 en matière d’évaluation de l’adéquation ou du caractère approprié du service à fournir (7). Par la suite, la Cour va s’intéresser à l’opération de change qui découle du contrat. Selon elle, l’opération qu’effectue un établissement de crédit dans le cadre de l’exécution d’un contrat de prêt libellé en devise tel que celui en cause au principal ne saurait être qualifié de service d’investissement.

II. L’absence de service ou d’activité d’investissement La Cour de justice commence son analyse en s’attachant à déterminer si des prêts libellés en devise peuvent être qualifiés de « services ou d’activités d’investissement », au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 2, de la directive 2004/39. Il ressort de la directive que les prêts à la consommation libellés en devise ne sont pas mention5. Point 71. 6. C.J.U.E., 30 mai 2013, Genil 48 et Comercial Hostelera de Grandes Vinos, aff. C-­614/11, ECLI:EU:C:2013:344. 7. Point 75. 70

nés dans celle-­ci puisqu’ils constituent des activités de change, ces dernières étant l’accessoire à l’octroi et au remboursement d’un prêt à la consommation libellé en devise. En effet, pour la Cour de justice, de telles opérations se limitent à la conversion des montants du prêt et des mensualités libellées dans une devise sur la base du cours de change d’achat ou de vente de la devise considérée (8). En outre, elle précise que de telles opérations de change n’ont pas d’autres fonctions que de servir de modalités d’exécution des obligations essentielles de paiement du contrat de prêt (9). Comme le rappelle à juste titre l’avocat général Jääskinen dans ses conclusions portant sur cette affaire, ces opérations « sont limitées à la conversion, sur la base du cours de change d’achat ou de vente de la devise considérée, des montants du prêt et des mensualités libellés dans cette devise (monnaie de compte) en monnaie nationale (monnaie de paiement) » (10). Contrairement à la position des emprunteurs, la Cour considère que cette opération ne vise pas à réaliser une « négociation pour compte propre » qui, quant à elle, est visée à la section A, point 3, de l’annexe I de la directive 2004/39 (11). Or, il convient de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 1, point 6, de la directive 2004/39, cette notion vise « le fait de négocier, en engageant ses propres capitaux, un ou plusieurs instruments financiers en vue de conclure des transactions », ce qui n’était pas le cas en l’espèce (12). La Cour ajoute que ces opérations ne peuvent pas être considérées comme des « services auxiliaires », notion circonscrite à l’annexe I, section B, de la directive 2004/39 (13). Il en irait différemment si ces opérations avaient pour finalité de permettre à un investisseur d’effectuer une transaction sur un ou plusieurs instruments financiers. D’ailleurs, des prêts libellés en devise n’ont pas d’autre fonction que d’être une modalité d’exécution des obligations essentielles du paiement du contrat. En effet, ces obligations consistent d’une part, dans la mise à disposition du capital par le prêteur et, d’autre part, dans le remboursement du capital assorti des intérêts par l’emprunteur. Dès lors, il ressort clairement de ces éléments que l’opération en cause ne peut pas être considérée comme ayant pour finalité la réalisation d’un investissement. Le consommateur, en réalisant une telle opération, souhaite obtenir des fonds afin de financer l’achat d’un bien de consommation ou encore la fourniture d’un service. Cette opération ne vise en aucun cas à « gérer un risque de change ou à spéculer sur le taux de change d’une devise » (14).

8. Point 56. 9. Point 57. 10. Concl. av. gén. N. Jääskinen sous C.J.U.E., 17 septembre 2015, ECLI:EU:C:2015:794, point 56. 11. Point 58. 12. Point 60. 13. Point 61. 14. Concl. av. gén. N. Jääskinen sous C.J.U.E., 17 septembre 2015, ECLI:EU:C:2015:794, point 57.

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C’est la raison pour laquelle la Cour de justice considère que la distribution de crédits libellés en devise ne constitue pas un service d’investissement et que ces crédits ne sont pas des instruments financiers. À l’évidence, la directive 2008/48 concernant les contrats de crédit aux consommateurs semblait plus adaptée à la situation en cause puisqu’elle prévoit des obligations d’information concernant des prêts du type de celui en cause en l’espèce. En effet, les informations qui doivent être délivrées comprennent notamment : les conditions régissant l’application du taux débiteur (article 5, paragraphe 1, sous f) ; l’obligation de contracter un ser-

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vice accessoire lié au contrat de crédit, notamment une assurance, lorsque la conclusion d’un contrat concernant ce service est obligatoire pour l’obtention même du crédit ou en application des clauses et conditions commerciales (article 5, paragraphe 1, sous k). Enfin, l’article 8 impose également aux créanciers d’évaluer la solvabilité des consommateurs avant de conclure des contrats avec eux. Ainsi, il découle de ces dispositions que les établissements financiers sont tenus de fournir aux clients des informations concernant les prêts impliquant des obligations ou des opérations libellées en devise et d’évaluer la solvabilité de ces clients.

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II.A. Régulation européenne


Chroniques

II. Régulation bancaire

II.B. Régulation comparée Régulation bancaire dans la CEMAC Pr. Alain Kenmogne Simo

Agrégé des facultés de droit Enseignant à l’Université de Yaoundé II Coordonnateur PMBF-­CESAG Parmi les principes qui gouvernent la réglementation bancaire, on retrouve l’adaptation aux pratiques professionnelles et la conformité aux normes internationales. En vertu de ces principes, les autorités bancaires de la zone CEMAC ont pris deux textes majeurs le 27 mars 2015. Il s’agit : – du règlement n° 01/15/CEMAC/UMAC/COBAC relatif à la supervision des holdings financières et à la surveillance transfrontière ; – et du règlement n° 02/15/CEMAC/UMAC/COBAC modifiant et complétant certaines conditions relatives à l’exercice de la profession bancaire. Les deux textes ci-­dessus accroissent les pouvoirs de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (en abrégé COBAC) en matière de supervision prudentielle (1). Avec l’évolution du temps, le cadre de son activité semblait dépassé, aussi bien en ce qui concerne le dispositif de surveillance prudentielle des établissements (I) qu’en ce qui concerne celui de leur agrément et de la modification de leur situation (II).

I. La supervision des holdings financières et la surveillance transfrontière Le premier texte examiné (le règlement n° 01/15/ CEMAC/UMAC/COBAC) est consacré à la supervision des holdings financières (2) et à la surveillance transfrontière. Il s’agit d’un texte assez succinct qui com1. Aux termes de l’article 1, alinéa 2, de l’Annexe à la Convention d’octobre 1990 qui la crée, la COBAC a, entre autres, pour mission de contrôler les conditions d’exploitation des établissements de crédit et de veiller à la qualité de leur situation financière. 2. Selon ce texte, une holding financière est « une entité qui, quels que soient son statut juridique, sa dénomination et le lieu de son siège social, exerce de manière ultime, directement ou indirectement, un contrôle 72

prend 13 articles (3). Avant de présenter son contenu, il convient au préalable de voir ses raisons d’être. Pour saisir les raisons d’être du nouveau règlement, il faut se reporter à ses différents considérants. Lorsque l’on examine ceux-­ci, on peut y relever : – des considérants qui mettent l’accent sur l’utilité ou la nécessité d’une supervision sur base consolidée ; – des considérants qui sont relatifs à l’absence de pouvoir de la COBAC sur certaines holdings qui contrôlent des établissements de crédit implantés dans la CEMAC ; – des considérants relatifs à l’absence de pouvoir de la COBAC sur les activités menées en dehors de la CEMAC par des établissements de crédit de la zone ; – des considérants relatifs aux risques induits par chacun des cas ci-­dessus. Avec l’internationalisation des activités bancaires à laquelle on assiste depuis quelques décennies, la surveillance sur une base individuelle est devenue insuffisante pour identifier l’ensemble des sources de fragilité de la situation financière des établissements ou de leur réputation lorsqu’ils appartiennent à un groupe. En effet, compte tenu de l’interdépendance (économique) qu’il y a entre les sociétés appartenant à un même groupe (4), la faillite de l’une peut être causée par la défaillance d’une autre. Les autorités de supervision doivent donc avoir une vue d’ensemble de la situation du groupe (5). Selon les recommandations du Comité de Bâle, un des éléments essentiels du contrôle bancaire réside dans la capacité des autorités de surveiller un groupe bancaire sur une base consolidée, en assurant un suivi adéquat et, le cas échéant, en appliquant des normes prudentielles appropriées à tous les aspects des activités menées par le groupe bancaire à l’échelle mondiale. C’est pourquoi l’article 2 du nouveau texte indique que « toute holding financière implantée dans la CEMAC est soumise à la surveillance prudentielle sur base consolidée de la COBAC et doit se conformer au présent règlement ainsi qu’au respect de l’ensemble de la réglementation bancaire applicable ». Par souci d’efficacité et de pragmatisme, le règlement permet néanmoins qu’une holding soit dispensée du respect de

3. 4. 5.

exclusif, un contrôle conjoint ou une influence notable sur un établissement assujetti ». Dont 7 consacrés aux holdings financières et 2 à la surveillance transfrontière. En dépit de leur autonomie juridique. Dans la zone CEMAC, 32 banques sur 52 appartiennent à un groupe bancaire local ou étranger.

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certaines dispositions réglementaires. Toutefois, cela doit être fait de manière formelle par une instruction de la COBAC. Lorsque deux sociétés faisant partie d’un groupe ne sont pas implantées dans la même juridiction (6), il y a un risque qu’elles échappent à la supervision. Dans l’un des considérants du nouveau règlement, on peut lire ceci : « Considérant que nombre d’établissements assujettis à la COBAC sont contrôlés par des entités domiciliées hors de la CEMAC qui ne font pas l’objet de contrôle par une autorité compétente dans leur pays d’origine, situation nuisant gravement aux objectifs d’une surveillance prudentielle ». Des mécanismes doivent être mis en place pour réduire ce risque. C’est ainsi que l’article 3, alinéa 1, du nouveau texte impose à tout établissement de la zone qui est une filiale d’une holding financière implantée hors de la CEMAC d’apporter la preuve que « cette holding financière fait l’objet d’une surveillance prudentielle sur base consolidée par l’autorité de supervision bancaire de son pays d’origine » (7). Si cette preuve n’est pas ou ne peut être apportée, la COBAC devient ipso facto le superviseur sur base consolidée de l’ensemble du groupe (8) et la holding est tenue de se conformer à l’ensemble de la réglementation bancaire de la COBAC, à l’exception des dispositions réglementaires dont elle serait formellement dispensée par la COBAC elle-­même. Par ailleurs, les filiales assujetties sont tenues de fournir à la COBAC toute information relative à cette holding, notamment les informations relatives aux ayants droit économiques finaux de cette holding, à sa situation financière et à sa surveillance prudentielle à l’étranger (9). Lorsqu’une holding financière ne respecte pas ses obligations réglementaires, elle met automatiquement ses filiales en infraction par rapport à la réglementation prudentielle (10). 6.

Ce qui est le cas de bon nombre d’établissements de la zone qui sont généralement des filiales de sociétés étrangères. 7. Si le groupe exerce une activité dans plusieurs pays ou zones, la surveillance sur base consolidée peut être attribuée à l’autorité compétente de l’État ou de la zone où le groupe a la plus grande partie de ses activités bancaires. Les modalités d’attribution d’une telle responsabilité sont alors convenues entre la COBAC et l’organe de supervision du pays ou de la zone concerné. 8. Néanmoins, aux termes de l’article 6, la matérialisation de l’inclusion d’une holding financière dans le périmètre des établissements assujettis doit être faite par une décision de la COBAC notifiée aux autorités monétaires nationales des pays concernés, à la Direction nationale de la BEAC des pays concernés, à la holding concernée et à ses filiales situées dans la CEMAC. La COBAC est d’ailleurs tenue d’établir, de mettre à jour et de publier la liste des holdings financières assujetties. 9. Cette disposition traduit le souci de lutter contre les risques de blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. 10. Cfr article 5. Cette disposition établit une certaine solidarité entre les sociétés du groupe. 2016/2

Le nouveau texte ne règle pas seulement le cas des établissements étrangers qui ouvrent des filiales dans la zone ; il s’intéresse aussi au cas où des établissements de la zone voudraient étendre leurs activités hors de la zone. Selon l’article 9, lorsqu’un établissement assujetti situé dans la CEMAC envisage de créer une filiale en dehors de la CEMAC, d’acquérir au moins un dixième du capital et/ou des droits de vote d’une entité située hors de la CEMAC ou d’acquérir une fraction quelconque du capital et/ou des droits de vote d’une entité qui lui permettrait de détenir au moins un dixième du capital et/ou des droits de vote de ladite entité, il doit obtenir l’autorisation préalable de la COBAC. Cette dernière est habilitée à limiter l’étendue des activités que le groupe consolidé peut mener et les sites sur lesquels il peut les mener, y compris à exiger la fermeture ou la cession d’établissements à l’étranger si elle considère notamment que la sûreté et la solidité de l’établissement et du groupe bancaire sont menacées parce que les activités en question exposent l’établissement ou le groupe bancaire à des risques excessifs ou ne sont pas correctement gérées. Mais la COBAC ne peut le faire qu’après audition des dirigeants de l’établissement et par une décision motivée. En cas de contravention aux nouvelles dispositions, les établissements assujettis et leurs dirigeants sont passibles des sanctions prévues par la réglementation. Si une maison mère n’exécute pas l’injonction ou la sanction infligée par la COBAC, cette dernière peut interdire aux établissements assujettis situés dans la zone la distribution des dividendes à leur groupe et le remboursement des frais et redevance d’assistance technique. Elle peut aussi demander l’éviction des administrateurs représentant la maison mère et interdire la réalisation de certaines opérations avec cette dernière, sans préjudice de l’application aux filiales des sanctions prévues par l’article 15 de l’Annexe à la Convention portant création de la COBAC (11).

II. Le contrôle préalable de la COBAC sur l’exercice de la profession bancaire Le deuxième texte (le règlement n° 02/15/CEMAC/ UMAC/COBAC) modifie et complète les modalités du contrôle préalable que la COBAC exerce sur la profession bancaire. Il concerne les conditions relatives à l’exercice de la profession bancaire et, plus précisément, les conditions d’accès à la profession et la modification de la situation des établissements. Il vient d’être complété par deux règlements de la COBAC qui entrent en vigueur à compter du 1er juillet 2016 : le règlement COBAC R-­2016/01 relatif aux conditions et modalités de délivrance des agréments des établissements de crédit, 11. Ce texte donne la possibilité à la COBAC de nommer un liquidateur à un établissement qui cesse d’être agréé ou qui exerce sans agrément.

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II.B. Régulation comparée


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II. Régulation bancaire

de leurs dirigeants (12) et commissaires aux comptes (13) et le règlement COBAC R-­2016/02 relatif aux modifications de situation des établissements de crédit. La question du contrôle préalable effectué par les autorités bancaires sur l’accès à la profession bancaire et sur la modification de la situation juridique des établissements de crédit présente une grande importance aussi bien sur le plan théorique que sur le plan pratique. En effet, en dépit du principe de la liberté d’entreprendre, on ne devient pas banquier comme on veut et si on veut, ni n’exerce la profession uniquement selon son bon vouloir (14). L’un des traits marquants de cette profession réside assurément dans son caractère (très) réglementé et contrôlé. Théoriquement, le contrôle exercé peut être a priori ou a posteriori, en amont ou en aval. Si les réglementations bancaires recourent généralement aux deux types de contrôle en cours de vie des établissements assujettis (15), c’est le contrôle a priori ou en amont qui est pratiqué pour l’accès à la profession à travers l’exigence d’un agrément préalablement au démarrage des activités de l’établissement. Le nouveau dispositif s’appesantit sur le contrôle exercé par la COBAC préalablement, soit à l’accès, soit à la prise de certaines décisions.

A.  Le contrôle de l’accès à la profession Si le contrôle préalable exercé par les autorités bancaires sur la vie des établissements de crédit a pu donner lieu (et donne même encore lieu) à quelques controverses, celles-­ci n’ont presque jamais porté sur son principe mais sur son étendue ou ses modalités, le principe même du contrôle semblant s’imposer de manière presque naturelle. Pourtant, la question des fondements du contrôle mérite d’autant plus d’être posée que l’on se trouve dans un système libéral. 12. La direction générale des établissements de crédit doit être assurée en permanence par deux personnes physiques au moins agréées (cfr articles 15, alinéa 1, et 16 du règlement n° 02/15). 13. Les opérations des établissements de crédit sont contrôlées en principe par au moins deux commissaires aux comptes titulaires distincts agréés (cfr articles 22, alinéa 1, et 23). Ils peuvent être des personnes physiques ou des personnes morales (cfr article 22, alinéa 3). Pour les établissements dont le total du bilan n’excède pas un certain seuil, l’intervention d’un seul commissaire aux comptes est possible (cfr article 22, alinéa 2). 14. Parlant de la loi bancaire française, Marie-­Anne Frison-­ Roche dit : « Mais dès 1984, malgré le système libéral, le souci de solidité et de supervision est déjà présent (…)  » (M.-­A. Frison-­Roche, « Après la “loi Bancaire”, le droit bancaire au milieu du gué », Banque & Droit, numéro spécial « Les trente ans de la Loi Bancaire », mars 2014). 15. Soumission de certaines décisions à l’autorisation préalable et soumission d’autres à une simple déclaration ou notification. 74

Pour répondre à cette question, une réponse pourrait consister à dire que ce contrôle est effectué parce que les textes l’imposent et l’ont toujours imposé. En effet, qu’il s’agisse des deux Conventions bancaires de 1990 (16) et de 1992 (17) ou des textes postérieurs (18), ils soumettent l’accès de la profession à un contrôle préalable des autorités bancaires. Il convient néanmoins d’aller au-­delà de cette réponse simple, voire simpliste, qui ne donne que le fondement textuel du contrôle pour se demander pourquoi les textes imposent un tel contrôle alors que l’une des principales caractéristiques de l’investissement et de la gestion est la liberté du gestionnaire. Pourquoi les textes privent-­ils l’investisseur ou le gestionnaire de cette liberté dans le domaine bancaire ? Autrement dit, quels sont les fondements logiques (et non plus seulement textuels) du contrôle ? La réponse doit être cherchée dans les spécificités de la profession bancaire. En effet, si presque partout dans le monde, les autorités ont pensé assez tôt à déroger à un principe aussi important que celui de la liberté d’entreprendre (19), cela ne pourrait reposer que sur des raisons particulières à la profession (20). Lorsque l’on analyse les caractéristiques de la profession bancaire, plusieurs raisons peuvent fonder la soumission de son accès et de son exercice à un contrôle préalable des autorités. Parmi ces raisons, nous pouvons relever : – l’importance du système bancaire dans une économie ; – la nécessité de protéger les déposants (21) ; – l’alignement sur les normes internationales (22). Cela dit, ce contrôle prend plusieurs formes : 16. Convention portant création de la COBAC (CPCCOBAC). 17. Convention portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les États de l’Afrique centrale (CPHRBAC). 18. Règlement COBAC R-­93/09. 19. Il convient de signaler que le contrôle préalable qui est exercé dans la profession bancaire ne concerne pas seulement la zone CEMAC. 20. Ce type de contrôle se rencontre dans d’autres professions (comme dans le domaine des assurances). 21. Le passage d’un actionnariat public à un actionnariat privé a rendu davantage nécessaire le contrôle de l’activité bancaire. Voy., de cet avis, Marie-­Anne Frison-­ Roche qui affirme ceci : « parce que les banques n’étaient plus publiques et n’étaient plus contrôlées par l’État-­actionnaire, il fallait mettre en place un système plus élaboré de contrôle des banques. Ainsi, était en germe le système à venir de régulation bancaire, à travers la supervision bancaire et la réglementation bancaire  » (M.-­A. Frison-­Roche, « Après la “loi Bancaire”, le droit bancaire au milieu du gué », op. cit.). 22. Dans le visa du règlement n° 02/15/CEMAC/UMAC/ COBAC, on peut relever ceci : « considérant la nécessité de relever les conditions d’agrément des établissements de crédit au niveau des standards internationaux » et « [c]onsidérant les Recommandations du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire relatives aux critères d’agrément et aux activités autorisées (…) ».

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– agrément de l’établissement, de ses dirigeants et commissaires aux comptes ;

– renforce les exigences de formation pour l’agrément en qualité de dirigeant (26) ;

– autorisation préalable exigée pour les administrateurs ;

– définit la notion de fonction d’encadrement de haut niveau pour l’appréciation de l’expérience professionnelle (27) ;

– contrôle de l’actionnariat. Dans le dispositif en vigueur, il y avait plusieurs insuffisances de nature à nuire à une appréciation objective et efficace des dossiers. Il n’y avait pas vraiment de critère précis pour instruire les demandes d’agrément, ce qui pouvait entraîner une différence de traitement des dossiers. De plus, ce dispositif, qui était essentiellement issu des « conventions bancaires » de 1990 et 1992 et d’un ensemble de règlements de la COBAC de 1993, était devenu un peu obsolète du fait de nouvelles obligations issues de textes postérieurs. C’est ainsi que la composition des dossiers d’agrément ne prenait pas en compte les normes à caractère qualitatif introduites par les règlements de 2005 (règlement relatif à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme) ou de 2008 (règlement relatif à la gouvernance d’entreprise dans les établissements de crédit de la zone)… Par ailleurs, l’identité de l’autorité habilitée à délivrer les extraits de casier judiciaire n’était pas précisée (autorités du pays d’implantation de l’établissement ou autorités du pays du candidat (23)), de même qu’aucune modalité de présentation du curriculum vitae n’était imposée. Or, l’instruction des dossiers se faisait à l’aune de ces nouvelles dispositions alors que les éléments procéduraux conséquents n’étaient pas encore définis.

– habilite explicitement la COBAC à vérifier ou contrôler certains points (cohérence entre la nature des activités projetées et la catégorie d’établissement de crédit sollicitée, adéquation des moyens humains, techniques et financiers envisagés au regard notamment du programme d’activités que le requérant envisage de mettre en œuvre, qualité des actionnaires, des administrateurs, des dirigeants et des commissaires aux comptes, origine des fonds apportés par les promoteurs pour la constitution du capital initial de l’établissement de crédit, capacité des principaux actionnaires à apporter un soutien financier à leur établissement en cas de besoin) ; – instaure un processus d’agrément unique en qualité de commissaires aux comptes d’établissement de crédit (28) ; – prend en compte le cas des sociétés d’expertise comptable en précisant les modalités de traitement de leur agrément (29) ; – étend l’exigence de l’autorisation préalable de la COBAC au retrait d’agrément à l’initiative de l’Autorité monétaire ;

Le nouveau dispositif : – tire les conséquences logiques de l’exigence de la forme juridique de société anonyme (24) ; – interdit aux personnes installées dans des juridictions à haut risque et non coopératives au sens du GAFI de prendre des participations dans un établissement de la zone ; – interdit aux établissements de la zone de détenir des participations dans les établissements implantés dans des juridictions à haut risque et non coopératives ; – donne la possibilité au requérant de l’agrément de transmettre à la COBAC une copie de la demande et du récépissé de dépôt à des fins d’information (25) ; 23. Aujourd’hui, les nouveaux textes précisent qu’il s’agit de l’autorité du pays dont le candidat a la nationalité et de celle de sa résidence (cfr art. 7 du règlement COBAC R-2016/01 cité ci-dessus). Ce texte pourra donner lieu à des difficultés en cas de cumul de nationalités. 24. Suppression de tout ce qui n’est pas compatible avec cette forme, notamment les références aux autres formes juridiques des sociétés. C’est ainsi que par rapport aux personnes sur lesquelles les établissements sont tenus de transmettre des informations à la COBAC, l’article 29 ne parle plus des associés en nom en cas de SNC ou de commandités en cas de SCS. 25. Jusque-­là, il se contentait de formuler sa demande auprès de l’Autorité monétaire nationale et c’est avec la transmission du dossier par celle-­ci à la COBAC que cette dernière était informée. En conséquence, comme aucun 2016/2

26. 27.

28. 29.

délai n’est imparti à l’Autorité monétaire pour transmettre le dossier, si elle ne faisait pas diligence, le dossier pouvait prendre beaucoup de temps avant de connaître une issue. D’autant plus que le délai imparti à la COBAC pour se prononcer ne commence à courir que quand elle a reçu le dossier. La véritable question concerne la portée de cette information : donne-t-elle la possibilité à la COBAC de réclamer la transmission du dossier si après un délai raisonnable celle-ci n’a pas eu lieu ? Peuton imaginer qu’elle puisse aller plus loin et s’adresser au candidat qui l’avait informée en lui envoyant une copie de la demande et du récépissé pour qu’il lui transmette le dossier ? Il faudrait peut-être penser à impartir à l’autorité monétaire nationale un délai pour la transmission du dossier à la COBAC (comme pour la délivrance ou le refus de l’agrément après réception de l’avis de la COBAC d’ailleurs). Cela permettrait d’éviter les pratiques (a-légales) développées par certaines autorités nationales consistant à ne pas transmettre les dossiers qu’elles jugent non conformes alors qu’en disposant sans aucune précision que les dossiers sont transmis par l’autorité monétaire, l’article 14, alinéa 3, de l’Annexe à la Convention de 1992 leur faisait obligation de transmettre les dossiers (cette disposition est reprise aujourd’hui par l’article 8, alinéa 1, du règlement n° 02/15). Passage de la licence au master. Il s’agit de celles qui donnent à leur titulaire le pouvoir de prendre des décisions engageant l’établissement et qui l’habilitent à diriger et orienter les activités de l’entité. La délivrance d’un agrément confère à son bénéficiaire le droit de certifier les comptes de tout établissement agréé dans la zone. Cfr article 23 du règlement COBAC R-2006/01/.

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II.B. Régulation comparée


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II. Régulation bancaire

– allonge la liste des pièces nécessaires pour l’agrément des dirigeants et commissaires aux comptes (certificat d’imposition, certificat de non-­redevance, attestation de non-­faillite ou de non-­sujétion à une procédure collective d’apurement du passif, police d’assurance responsabilité civile professionnelle pour les commissaires aux comptes) ;

– le changement, l’extension ou la restriction du type d’activités autorisées ;

– etc.

– l’augmentation du capital social de l’établissement ;

On peut tout simplement regretter que rien n’ait été dit sur certains aspects qui jusqu’à présent divisent aussi bien au sein de la doctrine que de la profession. C’est le cas, par exemple, de la marge de manœuvre dont dispose l’Autorité monétaire nationale après un avis conforme favorable de la COBAC : est-elle tenue de délivrer l’agrément ou peut-elle refuser de le faire en invoquant des circonstances (ou même un texte national régulièrement pris) qui auraient échappé à la COBAC ? Le problème mériterait d’autant plus d’être abordé qu’après la réception de l’avis de la COBAC, aucun délai n’est imparti à l’autorité monétaire pour délivrer ou refuser l’agrément. Il y a alors lieu de craindre que dans l’hypothèse ci-dessus, certaines autorités monétaires ne se contentent de s’abstenir de délivrer l’agrément, mais sans notifier au requérant un refus (30).

– le changement de contrôle ;

B.  Le contrôle de l’exercice de la profession Il s’agit du contrôle de certaines décisions que l’établissement envisage de prendre. En dehors de la déclaration ou de la notification de certaines situations que l’établissement est tenu de faire après leur survenance (qui n’a pas connu de modification particulière), le contrôle peut être fait par le biais de l’autorisation préalable ou de l’information préalable. Dans le premier cas, l’établissement ne se contente pas d’informer préalablement la COBAC, il doit attendre que celle-­ci autorise l’opération envisagée. Le nouveau texte précise le critère de recours à ce mécanisme, à savoir les modifications significatives de la situation de l’établissement assujetti, c’est-­à-­dire les modifications qui concernent l’un des éléments au vu desquels l’agrément a été accordé à l’établissement (cfr art. 41). Après avoir énoncé et défini le critère, le texte en donne quelques illustrations : 30. À titre de comparaison, dans la zone UEMOA, des délais sont impartis aussi bien pour la transmission du dossier à la commission bancaire que pour la délivrance de l’agrément après réception de l’avis conforme de celle-ci. Dans ce dernier cas, si le délai n’est pas respecté, la commission peut notifier directement l’avis au requérant. Si cette solution est louable en ce sens qu’elle permet de vaincre la résistance de l’autorité nationale, il faudrait quand même se demander ce qu’il adviendrait si demain cette dernière devait être sollicitée pour apporter son concours au redressement de l’établissement agréé dans ces conditions. 76

– la fusion ou la scission de l’établissement ; – la cession du fonds de commerce ; – la cession partielle d’actifs représentant au moins 25 % du total de bilan de l’établissement ;

– la prise, la cession de participations significatives dans le capital de l’établissement ; – l’ouverture de filiale ou de succursale hors de la CEMAC ; – l’ouverture de bureau de représentation, d’information ou de liaison dans un État de la CEMAC ou hors de la CEMAC ; – la prise de participations dans une entité en dehors de la CEMAC. C’est certainement au sujet de ce type de contrôle que des questions pourraient légitimement être posées, notamment par rapport à son périmètre ou son étendue : toutes les décisions citées ci-­dessus méritaient-­ elles de relever du régime de l’autorisation préalable ? Autrement dit, certaines d’entre elles ne pouvaient-­ elles pas ressortir du domaine de la simple notification ou déclaration (31) ? Au fil du temps, la liste des modifications soumises à autorisation varie. Il convient de dire que deux préoccupations sont susceptibles d’être prises en compte pour composer la liste des modifications relevant de l’un ou l’autre régime : souci de préservation de la liberté d’initiative des établissements de crédit et souci de limitation des risques de faillite. La question mériterait d’autant plus d’être posée que les exigences de formation et d’expérience professionnelle pour l’agrément des dirigeants (32) et des administrateurs (33) sont de plus en plus renforcées. Dans ces conditions, il peut paraître légitime de penser qu’avec l’accroissement de leur capacité professionnelle, certaines décisions auraient pu relever du domaine de la 31. Par exemple, toutes les hypothèses d’augmentation de capital méritent-elles de relever de ce régime ? L’augmentation sans ouverture à un tiers et qui ne modifie pas le contrôle de l’établissement ne peut-elle pas être soumise à un régime plus souple ? Il en est de même de l’augmentation par incorporation de réserves ou de primes d’émission. 32. Le nouveau texte fait passer l’exigence de diplôme de la licence au master. 33. Le règlement n° 04/08/CEMAC/UMAC/COBAC relatif au gouvernement d’entreprise dans les établissements de crédit de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale exige que les administrateurs disposent de connaissances suffisantes en matière bancaire et fait obligation aux établissements de leur assurer une formation (voy. art. 4, al. 2, 15 et 31 du règlement) et l’article 25 du règlement COBAC 2016/02 habilite la COBAC à vérifier si les administrateurs désignés « possèdent les compétences requises pour comprendre le fonctionnement de l’établissement assujetti ».

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simple information préalable (l’établissement informant la COBAC et opérant aussitôt la modification sans attendre son autorisation) (34) ou de la simple déclaration ou notification (l’établissement opérant la modification et informant ensuite la COBAC qui, si elle pense que la modification n’est pas judicieuse, a le droit de demander qu’il y soit mis un terme). Quoiqu’il en soit, il convient de signaler que fort sagement les autorités n’ont pas figé la liste de l’article 41 ; celle-­ci est susceptible d’être complétée ou amendée par la COBAC (cfr art. 41, al. 2). Donc, on peut penser qu’avec la sagesse qui la caractérise et à l’expérience de la pratique, la COBAC saura moduler le champ de l’autorisation préalable de manière à préserver une marge d’initiative des établissements assujettis. Mais en attendant, il faudrait attirer l’attention des établissements de crédit et de leurs oragenes sur le risque à opérer des modifications relevant du régime de l’autorisation préalable sans avoir au préalable sollicité cette autorisation. En effet, aux termes de l’article 46, alinéa 1, toute modification de la situation d’un établissement de crédit réalisée en violation de la réglementation en vigueur expose ledit établissement ainsi que ses dirigeants aux sanctions prévues par la réglementation (35). Par ailleurs, la responsabilité du commissaire aux comptes pourra être mise en cause au cas où il n’a pas attiré l’attention de l’établissement sur les risques encourus et les droits de vote relatifs aux actions acquises en violation de la réglementation interdits. Pour éviter que les établissements de crédit ne soient paralysés dans leur volonté d’opérer des modifica34. Voy. infra pour ce système. 35. À ce sujet, l’article 17 du règlement n° 02/14/CEMAC/ UMAC/COBAC relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté permet à la COBAC d’ouvrir la procédure disciplinaire contre un établissement qui « n’a pas respecté les conditions particulières posées ou les engagements pris à l’occasion d’une demande d’agrément ou d’autorisation préalable ».

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tions qui peuvent être nécessaires, un délai est imparti à la COBAC pour se prononcer (il est de 3 mois à compter de la date de réception du dossier complet) et à l’expiration de ce délai, si la COBAC ne s’est pas prononcée, son silence vaut autorisation préalable. Mais lorsque le dossier est incomplet, les demandes d’informations complémentaires suspendent le délai d’instruction du dossier jusqu’à réception des informations sollicitées. En ce qui concerne l’information préalable, il s’agit d’une modalité dans laquelle l’établissement porte la décision envisagée à l’attention de la COBAC avant de la prendre effectivement. Si dans cette modalité, il ne lui est pas demandé d’attendre l’autorisation de la COBAC, il convient de dire que cette dernière, ayant été informée avant, a le droit de demander à l’établissement de renoncer ou de modifier la décision envisagée. C’est le cas, par exemple, en matière de désignation des administrateurs et de renouvellement de leur mandat ou de modification de la structure du conseil d’administration (36). Pour la désignation ou le renouvellement du mandat, la COBAC doit en être informée 15 jours au moins avant la date de la première réunion à laquelle les intéressés prendront part. À partir de là, si elle juge que les personnes pressenties ne remplissent pas les conditions prévues par la réglementation, la COBAC peut s’opposer à leur désignation. S’agissant des sanctions à la non-­information préalable, si elles ne sont pas explicitement indiquées, il convient de dire qu’il s’agirait d’un cas de violation de la réglementation et que, de ce fait, les sanctions applicables en cas de non-­respect de la réglementation pourraient être appliquées (avertissement, blâme, injonction, mise en garde…). 36. Cfr art. 24 du règlement COBAC R-­2016/02 relatif aux modifications de situation des établissements de crédit et art. 12 du règlement n° 04/08/CEMAC/UMAC/ COBAC relatif au gouvernement d’entreprise dans les établissements de crédit de la CEMAC.

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Chroniques

II.B. Régulation comparée


Chroniques

II. Régulation bancaire

II.C. Régulation internationale Le gel des avoirs Julien Martinet

Avocat Associé, Cabinet Jeantet (Paris) Chargé d’enseignement à l’Université Paris I Panthéon-­Sorbonne

Marion Chazeau

&

Avocat, Cabinet Jeantet (Paris)

Avec la collaboration de

Igor Krasovskiy

Avocat Counsel, Cabinet Jeantet (Kiev)

Les sanctions financières contre des États souverains et leurs ressortissants sont devenues des outils de politique étrangère et de sécurité dont le champ d’application s’est étendu ces quinze dernières années (I). Les institutions bancaires et financières qui les exécutent sont au cœur du processus de gel (II). Il est important de préserver les droits des personnes frappées, parfois à tort, par ces mesures (III), mais aussi de leurs créanciers, qui attendent un paiement ou une prestation (IV). Il est proposé ici un bref panorama de la matière, principalement en droit international, européen et français, illustré par quelques points de vue et actualités de droit comparé.

I. Un champ large A.  Origine et évolution Les mesures de gel ont été à l’origine instaurées par la SDN, puis par l’ONU, avec pour objectif la préservation de la paix et de la sécurité internationale (lutte contre le terrorisme ou la prolifération des armes, la répression politique et l’instabilité géopolitique régionale). D’importantes étapes ont été franchies au début des années 1990, puis après les attentats du 11 septembre 2001 et la transposition, par le Conseil de l’Union européenne, de la résolution CSNU 1373(2001) dans l’arsenal législatif communautaire via l’adoption d’une posi78

Dr. Balázs Kutasi

&

LL.M., Avocat, Cabinet Jeantet (Budapest)

tion commune (1) et d’un règlement (2) du 27 décembre 2001 définissant un régime de gel des avoirs terroristes et dressant la liste, actualisée depuis lors au minimum tous les six mois, des personnes et entités visées (3). Le Conseil de l’UE a également transposé en droit européen la résolution CSNU 1267(2001) visant le gel des avoirs d’Al Qaïda, devenue depuis 2016 Al Qaïda/ Daech. L’Union européenne transpose systématiquement les résolutions CSNU, terroristes comme non terroristes, en les complétant (4), le cas échéant, par des mesures « autonomes ». Le gel des avoirs est devenu par la suite et à côté de la lutte contre le terrorisme un instrument de la politique étrangère et de sécurité commune (« PESC ») de l’Union (5) destiné à infléchir la conduite de certains États tiers et des personnes afin de les amener à respecter les principes de paix et de sécurité définis notamment par la Charte des Nations Unies (6). Il a ainsi été appliqué à la Libye ou à la Syrie pour faire cesser l’emploi de la violence à l’encontre de civils et les menaces d’entrave à une transition politique (7), à la Biélorussie ou la Côte 1. 2. 3.

Position commune 2001/931/PESC. Règlement (CE) n° 2580/2001. www.consilium.europa.eu/fr/policies/fight-­a gainst­terrorism/terrorist-­list/. 4. Art. 215 TFUE. 5. Lignes directrices relatives à la mise en œuvre des mesures restrictives (sanctions) 15579/03 – PESC 757. 6. Art. 21 TUE. 7. Décision 2011/137/PESC relative à la situation en Libye.

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d’Ivoire, pour atteinte aux normes électorales internationales (8), à l’Irak, pour son refus de se conformer à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies (9), ou encore à la Corée du Nord en raison de son programme nucléaire, balistique et militaire. La liste de personnes qui accompagne chaque mesure est accessible en version consolidée sur le site Internet du Conseil européen et de l’UE (10). Dans les États membres de l’UE, les règlements européens sont directement applicables et dans toutes leurs dimensions aux personnes (11). Tel n’est pas le cas en revanche des résolutions CSNU qui ne s’imposent qu’aux États et qui doivent donc être transposées. En France, le législateur a intégré dans le Code monétaire et financier un dispositif autonome permettant à l’autorité administrative, en l’occurrence le ministre chargé de l’Économie, seul (12) ou conjointement avec le ministre de l’Intérieur (13), de geler les avoirs de ceux qui participent ou facilitent la commission d’actes de terrorisme ou d’actes sanctionnés ou prohibés par les résolutions de l’ONU ou les règlements de l’UE. Ce dispositif national autonome permet aux autorités françaises d’appliquer immédiatement en droit interne les mesures de gel adoptées par l’ONU sans attendre leur transposition en droit de l’UE par voie de règlement et d’étendre leur application à ceux des territoires d’outre-­mer qui ne sont pas soumis au droit de l’UE (14). Certains pays d’Europe hors UE se sont dotés de dispositifs comparables. Ainsi, l’Ukraine, après le conflit armé déclenché sur son territoire par la Fédération russe, a adopté une loi du 14 août 2014 (15), conférant aux autorités nationales, à savoir le président (16) et le Conseil national de sécurité et de défense (NSDC) (17), le pouvoir d’appliquer des sanctions contre des États, entités et individus étrangers menaçant la sécurité nationale et l’intégrité du territoire ukrainien. Des mesures restrictives ont été prises le 16 septembre 2015. Il s’agit donc d’un dispositif auquel il est recouru de manière croissante.

8.

Position 2006/276/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certains fonctionnaires de Biélorussie. 9. Résolution CSNU 1483(2003) relative à l’Irak. 10. www.consilium.europa.eu/fr/home/. 11. Art. 288 TFUE. 12. Art. L. 562‑1 du Code monétaire et financier (CMF). 13. Art. L. 562‑2 du CMF. 14. Art. 198 TUE. 15. Law of Ukraine « On Sanctions » du 14 août 2014. 16. Décret du président ukrainien n° 549/2015 du 16 septembre 2015. 17. Décision du Conseil national de sécurité et de défense « On Application of individual Special Economic and Other Restrictive Measures (Sanctions) » du 2 septembre 2015, modifiée le 17 septembre 2015. 2016/2

B.  Définition du gel et sort des avoirs Le gel des avoirs est défini par l’objectif recherché : il doit, en substance, empêcher le mouvement ou l’usage de toutes catégories d’avoirs, notamment financiers. Quant aux moyens de ce gel, on comprend que les banques et institutions financières, dépositaires et gestionnaires de ces actifs, en sont les principaux opérateurs. Le gel prend fin par une décision de levée de la mesure, qui rend les actifs à nouveau disponibles pour leur propriétaire, sauf dans le cas irakien, où les fonds ont vocation à être transférés par les États aux « mécanismes successeurs du fonds de développement pour l’Irak », et dans celui des régimes d’ « avoirs mal acquis » (ex. : Tunisie, Égypte), où les avoirs doivent être restitués au gouvernement légitime à l’issue d’une procédure judiciaire.

II. La mise en œuvre par les établissements bancaires et financiers du gel des avoirs A. Identification et blocage des comptes Ceux qui détiennent les avoirs des personnes listées doivent, « sans délai », les geler et fournir aux autorités compétentes de leur pays, en France la Direction générale du Trésor, en Ukraine la Banque nationale d’Ukraine, toute information concernant l’état des comptes gelés et coopérer avec elles pour la vérification des informations fournies, sans préjudice des règles applicables en matière de secret professionnel. L’identification des personnes ciblées peut s’avérer difficile. Leur état civil n’est pas toujours défini précisément sur les listes onusiennes ou européennes et l’orthographe peut varier dans les 24 langues officielles de l’UE et dans la transcription qui en est faite dans les documents officiels présentés par les intéressés aux banques pour l’ouverture de leur compte. Le fait qu’une personne fasse l’objet d’une mesure restrictive, y compris de gel des avoirs, n’impose pas nécessairement à l’organisme financier de procéder à une déclaration de soupçon à Tracfin. Le profil de la relation d’affaires doit toutefois être réévalué au regard de cette mesure et l’établissement financier doit adapter son niveau de vigilance en conséquence. Les banques doivent aussi se doter « de dispositifs adaptés à leurs activités permettant de détecter toute opération au bénéfice d’une personne ou d’une entité faisant l’objet d’une mesure de gel des fonds, instru-

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Chroniques

II.C. Régulation internationale


Chroniques

II. Régulation bancaire

ments financiers et ressources économiques » (18), dont elles restent responsables même en cas d’externalisation de la prestation (19). Si le gel interdit en principe tout usage ou transfert des actifs concernés, les opérations portées au crédit du compte sont en revanche autorisées, qu’il s’agisse des intérêts produits ou de paiements reçus de tiers. Les sommes sont bien sûr gelées et les opérations portées à la connaissance de l’autorité compétente.

B.  Les sanctions encourues Le non-­respect des textes relatifs au gel des avoirs est sanctionné par l’amende. La Banque nationale de Hongrie a ainsi été condamnée à de lourdes amendes pour avoir ouvert des comptes bancaires à des clients de Guinée-­Bissau, sous sanctions internationales (20). En France, l’amende est « égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction » (21), et portée au quintuple pour les personnes morales déclarées pénalement responsables, sans préjudice des sanctions additionnelles de l’article 131‑39 du Code pénal telles la dissolution, l’interdiction d’exercice et la fermeture définitive de l’établissement, étant précisé que les banques sont également exposées à des sanctions disciplinaires et/ou financières (22) en cas de manquement à leurs obligations. Elles bénéficient néanmoins d’un régime de responsabilité allégé dans l’exécution de leurs obligations, lorsqu’elles ont agi de bonne foi, vis-­à-­vis des personnes dont elles bloquent les avoirs et de leurs créanciers (23) qui pourraient chercher à diriger contre elles des réclamations.

18. Art. 47 de l’arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services d’investissement soumises au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel. 19. Décision de l’ACP du 27 novembre 2012, n° 2011-03. 20. Décision de la Banque nationale de Hongrie du 15 septembre 2014 (décision n° H-­JÉ-­I-­B-­474/2014)  ; application des articles 183‑198 de l’Acte CCXXXVII de 2013 portant sur les institutions de crédit et les entreprises financières. 21. Art. 459 du Code des douanes. 22. Art. L. 612‑39 du CMF. 23. Art. 85 de la loi n° 2013‑672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires. 80

III. Les droits de la personne dont les avoirs sont gelés A.  Droit à l’information Afin de préserver l’efficacité de la mesure de gel, aucune information préalable n’est délivrée à celui contre lequel elle est mise en œuvre (24). Une fois adoptée par le Conseil de l’UE, la mesure doit être portée à la connaissance de l’intéressé « aussi rapidement que possible » (25) par une notification individuelle à chaque fois que cela est possible (26). À défaut, l’information sera assurée par la publication d’un avis au Journal officiel (27). Par ailleurs, le Conseil de l’UE a l’obligation de motiver les raisons qui l’ont conduit à adopter des mesures restrictives individuelles (28), de façon claire et non équivoque, en portant à la connaissance de la personne les éléments de fait et de droit ayant justifié la mise en place d’une mesure de gel (29). Cette obligation doit permettre à l’intéressé de pouvoir contester le bien-­ fondé et la régularité de la décision de gel et au juge de l’Union d’exercer le cas échéant son contrôle sur la légalité de l’acte querellé (30). Enfin, la personne dont les fonds sont gelés doit être informée des cas de dérogation et de dégel applicables (31), ainsi que de l’existence et des modalités des voies de recours.

B.  Droit au recours En droit français, un recours gracieux peut être effectué devant l’autorité administrative ayant pris la décision de gel et un recours contentieux devant le juge administratif, qui peut être saisi en référé (procédure accélérée) ou au fond. En droit européen, le recours gracieux est effectué devant le Conseil de l’UE et le recours contentieux en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne (C.J.U.E.) dans un délai de deux mois à compter soit de la date de publication de l’acte mis en cause (32), soit de sa notification au requérant, soit du jour où ce dernier en a eu 24. T.U.E., 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, aff. T-­383/11. 25. C.J.U.E., 16 septembre 2011, Bank Melli Iran c. Conseil de l’UE, aff. C-­548/09 P. 26. T.U.E., 16 juillet 2014, Hassan c. Conseil de l’UE, aff. T-­572/11. 27. Ex. : art. 46.3. du règlement n° 267/2012 relatif à l’Iran. 28. Principe rappelé par l’article 296 TFUE. 29. T.U.E., 14 octobre 2009, Bank Melli Iran c. Conseil, aff. T-­390/08, Rec., p. II-­3967, point 81. 30. C.J.U.E., 15 novembre 2012, Conseil c. Bamba, aff. C-­417/11 P, Rec., ECLI:EU:C:2012:718, point 49. 31. Code de bonne conduite. 32. C.J.U.E., 23 avril 2013, Laurent Gbagbo et autres c. Conseil de l’UE, aff. C-­478/11 P à C-­482/11 P.

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connaissance (33). S’agissant de l’ONU, les demandes de retrait des listes se forment auprès du Service du secrétariat des organes subsidiaires du Conseil de sécurité. L’introduction d’un recours gracieux ou contentieux à l’encontre d’une décision de gel ne suspend pas les effets de la mesure (34). En cas d’annulation de la décision du Conseil de l’UE, notamment en raison d’un vice de procédure lors de l’adoption de la mesure de gel, tel le défaut de motivation, le retrait de la liste de gel intervient 60 jours après le prononcé de la décision juridictionnelle afin de permettre au Conseil la réinscription de la personne sur une base juridique conforme au droit. À titre exceptionnel, la Cour peut décider de l’annulation immédiate de la mesure de gel. Dans certains pays, comme en Ukraine, la législation interne ne prévoit pas expressément de voie de recours aux personnes concernées par la mesure de gel. La C.E.D.H. a pu retenir en 2013 à l’égard de la Suisse, qu’il avait été manqué au droit à un procès équitable de la personne inscrite pour ne l’avoir pas mise en mesure de contester la décision de l’ONU (35).

C. Immunités L’immunité des ambassades et banques centrales les préserve des saisies qui pourraient être pratiquées contre elles (36) mais elle ne les protège pas en revanche des mesures de gel dont elles peuvent faire et font régulièrement l’objet.

D.  Droit de propriété La C.J.U.E. reconnaît le droit de propriété comme un principe général du droit communautaire (37) mais considère qu’il n’est pas une prérogative absolue et que des restrictions peuvent y être apportées, à condition qu’elles répondent à des « objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti » (38). De la même façon, il n’y a pas atteinte 33. Art. 263 TFUE. 34. Ex. : art. 278 TFUE pour la C.J.U.E. 35. C.E.D.H., 26 novembre 2013, aff. AL Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse, n° 346(2013). 36. Cass. 1re civ., 28 septembre 2011, n° 19‑72.057, Bull. civ., n° 53, sauf s’il est prouvé que l’usage ou la provenance des avoirs n’est pas conforme à la mission protégée par l’immunité. 37. Défini aux articles 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme. 38. C.J.U.E., 3 septembre 2008, Yassin Abdullah Kadi et Al Barakaat International Foundation c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés euro2016/2

au droit de propriété des individus qui sont atteints par une mesure de gel au titre des « sanctions » visant à ce qu’un État se conforme aux exigences du droit international, la C.J.U.E. estimant que « l’importance des objectifs poursuivis » justifie « des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris ceux qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation » (39) et ce, d’autant que la sanction n’impose en général qu’une indisponibilité temporaire et que des voies de recours sont ouvertes. Selon la jurisprudence, ces mesures de gel globales ne portent pas une atteinte injustifiée aux droits des personnes listées dans la mesure où l’intérêt protégé est un intérêt général et que des voies de recours sont ouvertes, d’abord amiables, auprès des banques en cas par exemple d’homonymie, puis administratives, auprès du Trésor, et enfin contentieuses, devant les juridictions administratives.

E. Aménagements de la mesure de gel La mesure de gel peut enfin faire l’objet d’aménagements, car elle ne doit pas avoir pour conséquence d’exposer la personne dont les avoirs sont gelés, ou un membre de sa famille, à un traitement inhumain ou dégradant, ni la priver de soins, de nourriture ou d’assistance. Le guide de bonne conduite du Trésor précise ainsi que les établissements financiers mettant en œuvre la mesure de gel peuvent valablement payer, outre les honoraires des avocats assurant à la personne visée une défense réelle et effective, les dépenses de base, notamment les loyers, remboursements d’emprunts, primes d’assurances et mutuelles, les dépenses liées à la santé, les impôts, à condition que ces paiements s’inscrivent dans une continuité historique et que la somme soit remise directement par la banque au créancier. En outre, des dérogations permettent aux autorités compétentes des États membres d’autoriser, selon les modalités qu’elles estiment nécessaires, l’utilisation des fonds gelés (40). Elles pourront ainsi autoriser la poursuite d’activité d’une personne morale frappée par une mesure de gel sous réserve que l’activité soit conforme à l’ordre public international et aux principes de la PESC.

IV. Les droits des créanciers Les textes distinguent généralement les créances nées avant la mesure de gel, dont le titulaire peut demander à l’autorité compétente, en France le Trésor, et sous péennes, aff. C-­402/05P et C-­415/05P ; C.J.U.E., 12 mai 2005, Regione autonoma Friuli-­Venezia Giulia et ERSA. 39. C.J.U.E., 30 juillet 1996, Bosphorus Hava Yollari Zurizm ve Ticaret c. Ministre des transports et de l’énergie, aff. C-­84/95. 40. Ex. : art. 5, § 2, du règlement n° 2580/2001.

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Chroniques

II.C. Régulation internationale


Chroniques

II. Régulation bancaire

certaines conditions (41), le paiement sur les fonds gelés, et les créances nées postérieurement à la mesure de gel, contractées avec une entité dont les avoirs étaient déjà gelés et pour lesquelles, en principe, aucune demande de paiement ne sera recevable. Les saisies d’actifs gelés, lorsqu’elles ne sont pas interdites par les textes, peuvent, en France, être utiles au créancier afin de prendre rang dans l’attente de la levée du gel ou de l’instruction de la demande de déblocage en sa faveur qu’il a pu formuler auprès du Trésor (42). Dans l’intervalle, néanmoins, les avoirs demeurent « indisponibles » par l’effet de la mesure de gel et la saisie est ainsi dépourvue d’effet attributif (43). Les mesures de gel sont également susceptibles d’impacter les rapports contractuels. Il est généralement admis que la convention conclue avant la mesure de gel frappant l’un des cocontractants devra en principe être résiliée si la mesure est définitive, son exécution pouvant être suspendue si le gel est temporaire. En Hongrie, un comité d’arbitrage a ainsi considéré que les sanctions imposées par les Nations Unies à la Yougoslavie constituaient des cas de force majeure 41. Art. R. 562‑4 et R. 562‑5 du CMF. 42. TGI Paris (JEX), 20 décembre 1995. 43. CA Paris, 25 juin 2015, n° 14/10825.

82

déchargeant le vendeur de son obligation de payer les marchandises pendant la période de l’embargo (44). Le juge hongrois a également récemment retenu qu’une mesure de gel pouvait affecter les contrats accessoires ou liés, alors même qu’aucune des parties contractantes n’est soumise à ces sanctions, et décidé que les contre-­ garanties entre institutions financières ne peuvent pas être exécutées si le bénéficiaire de celles-­ci, situé à la fin de la chaîne de garanties, est sous sanctions (45).

Conclusion Le développement des mesures de gel comme instrument de la politique de sécurité commune pourrait être le prélude à une augmentation des contentieux en Europe. En Hongrie, ce phénomène devrait être significatif à la suite notamment des mesures imposées à la Russie, dont les dommages à l’économie hongroise sont évalués à près de 3,9 milliards d’euros (46). 44. Sentence arbitrale de la Cour d’arbitration de Budapest, 10 décembre 1996, aff. n° VB 96074. 45. Arrêt partiel de la Cour métropolitaine de Budapest, 19 novembre 2015, n° 29.G.41.612/2015/20. 46. Estimation publiée par le ministère de l’Économie nationale d’Hongrie.

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III. Régulation assurantielle Chronique sous la direction de Pauline Pailler

Professeur de droit privé à l’Université de Reims

Avec la collaboration de

José Gabriel Assis de Almeida

&

Mickael Viglino

Miguel Montiel

&

Rafael Ibarra Garza

Professeur à l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro

Avocat auprès de la Cour suprême de Panama Doctorant/Chargé d’enseignement à l’Université Panthéon Assas

Avocat

Doyen du Département de Droit de l’Universidad de Monterrey Chercheur national du SNI (CONACYT) Of Counsel du cabinet Leal-­Isla & Horváth, S.C

L’Amérique centrale et l’Amérique du Sud sont à l’honneur. Au Brésil, c’est le statut particulier et simplifié des réassureurs étrangers qui nous intéressera. Au Panama, dans le contexte particulier des Panama Papers, plusieurs législations destinées à l’encadrement des opérations d’assurance se trouvent renforcées. C’est enfin, au Mexique, la question de la liquidation des sociétés d’assurance en raison de la révocation de leur agrément qui sera traitée.

Central and South America are the leading subjects of this chronicle. In Brasil, we will focus on the specific and simplified status of the foreign reinsurers. In Panama, in the context of the Panama Papers, several legislations aim at reinforcing the legal framework concerning the insurance regulation. Finally, in Mexico, we will adress the question of the liquidation of the insurance institutions following the termination of their insurance license.

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Chroniques

III. Régulation assurantielle

III.B. Régulation comparée Le marché brésilien de la réassurance face aux acteurs étrangers

José Gabriel Assis de Almeida

Professeur à l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro

Le thème choisi pour cette première chronique de droit brésilien concerne les relations que le Brésil entretient avec les acteurs étrangers de la réassurance. Plus précisément, sera proposé un panorama des règles applicables aux réassureurs étrangers tentés par le marché brésilien. Contrairement aux assureurs, les réassureurs étrangers sont plutôt bienvenus au Brésil. Cela mérite d’être relevé dans une économie protectionniste comme l’est l’économie brésilienne. Cette situation, conforme à la pratique internationale (1), s’est encore confirmée en août 2015, avec un élargissement de la liberté laissée aux assureurs nationaux de s’adresser à des réassureurs étrangers.

Contrairement aux

assureurs, les réassureurs étrangers sont plutôt bienvenus au Brésil.

En matière d’assurances, la réglementation brésilienne – en particulier la loi complémentaire n° 126/2007 – circonscrit rigoureusement la possibilité pour les personnes résidant ou ayant leur siège au Brésil de contracter une assurance à l’étranger. Sont le mono1.

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Voy. notamment, W. Antonio Polido, « Sistemas Jurídicos: Codificação Específica do Contrato de Seguro. Da Necessidade ou não da Positivação de Microssistema para o Direito Securitario Brasileiro », Doutrinas Essenciais Obrigações e Contratos, vol. 6, juin 2011, p. 843. En particulier : « Les opérations de réassurance (…) sont pratiquées dans le monde entier sur des bases contractuelles extrêmement libres, quasiment sans législation ou codification ».

Mickael Viglino Avocat

pole des assureurs nationaux ou ayant un établissement permanent au Brésil, d’une part, les assurances obligatoires (2) et, d’autre part, les assurances non obligatoires contractées par des personnes domiciliées au Brésil pour couvrir des risques au Brésil (3). Les compagnies d’assurance nationales jouissent donc d’un monopole très large. Exceptionnellement, il est possible de contracter à l’étranger la couverture de risques susceptibles de se produire au Brésil ou pour lesquels il n’existe pas d’offre nationale, ou en application d’accords internationaux (4). En dehors de ces situations, le contrat d’assurance contracté à l’étranger est tout simplement nul. Pour échapper à ces limitations, les sociétés d’assurance étrangères peuvent opter pour ouvrir au Brésil un établissement permanent. Dans ce cas, le principe est celui de la réciprocité. Une compagnie d’assurance étrangère peut s’installer si elle remplit les conditions qui sont imposées aux compagnies d’assurance brésiliennes désirant s’installer dans son pays d’origine, et sera soumise aux mêmes interdictions et restrictions que celles réservées aux sociétés brésiliennes par son pays d’origine (5). Les réassureurs étrangers bénéficient d’un statut particulier (I) qui, s’il est plutôt simplifié, soulève encore quelques interrogations (II).

I. Le statut du réassureur étranger L’Instituto de Resseguros do Brasil est créé en 1939 pour prendre en charge le monopole d’État de la réassu2. Celles-­ci sont énumérées par le décret-­loi n° 73/66, art. 20. 3. Loi complémentaire (LCP) n° 126/2007, art. 19. 4. Ibid., art. 20. 5. Décret-­loi n° 73/66, art. 32, X.

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rance. Devenu IRB-­Brasil RE, il perd son monopole en 1996 après amendement de la Constitution fédérale (6). Cette évolution est véritablement actée en 2007 avec la promulgation de la loi complémentaire n° 126/2007, qui prévoit la possibilité pour des sociétés étrangères d’exercer leur activité au Brésil sous certaines conditions. En 2015, les règles sont encore assouplies en faveur des sociétés étrangères (7).

A.  Réassureurs admis et réassureurs éventuels La loi prévoit trois statuts différents pour les sociétés autorisées à réaliser des opérations de réassurance et de rétrocession (8) : (i) les réassureurs locaux, dont le siège est au Brésil ; (ii) les réassureurs admis, dont le siège est à l’étranger mais qui disposent d’un établissement au Brésil ; et (iii) les réassureurs éventuels, dont le siège est à l’étranger et qui n’ont pas d’établissement au Brésil. L’octroi de l’un de ces statuts dépend du respect d’exigences légales propres à chacun d’eux et, dans tous les cas, d’un enregistrement préalable auprès de la Superintendência de Seguros Privados – SUSEP, le régulateur du marché des assurances. L’octroi du statut de réassureur admis est soumis aux conditions suivantes (9) : (i) soumettre une déclaration de son organe de régulation national attestant qu’elle est dûment constituée et exerce son activité depuis plus de cinq ans ; qu’elle est en situation régulière et en possession des autorisations nécessaires pour conclure des contrats de réassurance nationaux et internationaux dans les branches dans lesquelles elle entend intervenir au Brésil ; et que sa législation autorise les mouvements de fonds en devises pour l’exécution de ses obligations à l’étranger ; (ii) justifier de capitaux propres au moins équivalents à 100 millions de dollars (USD) et d’une note de solvabilité minimale attribuée par une agence de notation indépendante (10) ; (iii) désigner un fondé de pouvoir, personne physique domiciliée au Brésil, et ouvrir un compte bancaire en devise lié à la SUSEP présentant un solde créditeur équivalent à au moins 5 millions de dollars (ou 1 million pour celles n’intervenant que sur le secteur des personnes) ; (iv) présenter les bilan et compte de résultats correspondant au dernier exercice clos, accompagnés du rapport des auditeurs indépendants ; 6. 7. 8. 9. 10.

Amendement constitutionnel (EM) n° 13/1996. Résolution CNSP n° 325/2015. LCP n° 126/2007, art. 4. Circulaire SUSEP n° 527/2016. Standard & Poors (BBB-­), Fitch (BBB-­), Moody’s (Baa3) ou AM Best (B+).

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(v) ouvrir un établissement au Brésil, après autorisation de la SUSEP, avec un représentant permanent soumis aux mêmes empêchements et responsabilités que les administrateurs de réassureurs locaux (11). Ces informations doivent être actualisées auprès de la SUSEP, qui peut à tout moment suspendre ou annuler l’autorisation délivrée au réassureur en cas de non-­ respect des conditions légales et réglementaires. L’octroi du statut de réassureur éventuel est, quant à lui, soumis aux mêmes conditions et formalités que celui de réassureur admis, à trois importants détails près (12). Il n’a pas d’établissement au Brésil, échappant ainsi à toutes les obligations correspondantes, et n’est pas tenu d’ouvrir un compte-­garantie au Brésil. En contrepartie, il doit présenter des garanties plus élevées que le réassureur admis : justifier de capitaux propres au moins équivalents à 150 millions de dollars et répondre à des exigences supérieures en termes de solvabilité (13). Le statut de réassureur éventuel est fermé aux sociétés dont le siège est situé dans un paradis fiscal, lesquelles ne pourront alors opter que pour le statut de réassureur admis. Sont considérés comme paradis fiscaux les pays qui imposent les revenus à un taux inférieur à 20 % et ceux qui pratiquent le secret quant à la composition du capital social et titularité du contrôle des personnes morales (14).

B.  Un régime simplifié Réassureurs locaux et étrangers relèvent de régimes différents. Si les premiers bénéficient d’une quote-­part minimale obligatoire des opérations de réassurance réalisées au Brésil, ils doivent prendre en charge tous les coûts réglementaires de l’activité. Inversement, les seconds ne jouissent pas de cette garantie minimum d’activité mais ont des obligations réglementaires extrêmement réduites. Ainsi, il y a un certain équilibre entre les droits et les obligations liés à chaque statut. L’avantage réservé aux opérateurs locaux s’amenuise cependant progressivement. Ainsi, ils bénéficiaient jusqu’en 2010 d’un droit de priorité sur 60 % des primes cédées. En janvier 2010, cette préférence nationale est passée à 40 % (15). Plus récemment, une résolution du Conseil national des assurances privées (CNSP) de 2015 est venue restreindre drastiquement cette garan11. Celui-­ci peut cumuler ces fonctions avec celles de fondé de pouvoir du réassureur étranger. 12. Circulaire SUSEP n° 527/2016. 13. Standard & Poors (BBB), Fitch (BBB), Moody’s (Baa2) ou AM Best (B++). 14. Recette fédérale du Brésil, Instruction normative n° 1037/2010. Ce règlement propose une liste exhaustive des pays considérés comme paradis fiscaux. 15. Résolution CNSP n° 168/2007, art. 15, rédaction originale.

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tie : le seuil de 40 % des primes ne s’appliquera plus que jusqu’au 31 décembre 2016. Il s’abaissera à 30 % au 1er janvier 2017, 25 % au 1er janvier 2018, 20 % au 1er janvier 2019 et finalement 15 % au 1er janvier 2020. Ainsi, entre 2007 et 2020, le pré carré des réassureurs locaux passera donc de 60 % à seulement 15 % des primes cédées. Sur la même période, il n’est prévu aucune simplification ou limitation des obligations réglementaires de ces derniers, à savoir le respect de l’ensemble de la réglementation applicable à la réassurance (16). Ceci comprend notamment les dispositions du décret-­loi n° 73/66 sur le système national d’assurances privées et les opérations d’assurance et de réassurance ; les règles du CNSP et de la SUSEP en matière de constitution, d’autorisation de fonctionnement, de capital minimum et couverture de risque (17), de changement de contrôle et de nomination des mandataires sociaux ; et les lignes directrices du Conseil monétaire national (CMN) en matière d’affectation des ressources et réserves. Or, symétriquement, le régulateur brésilien ne s’attache pas à savoir si les règles de compliance des pays d’origine des réassureurs étrangers sont d’un niveau équivalent aux exigences imposées aux réassureurs locaux. Une déclaration de conformité du régulateur national suffit, quel que soit le niveau d’exigence de la réglementation. Ainsi, le Brésil semble de plus en plus favorable aux sociétés étrangères.

Une déclaration de

conformité du régulateur national suffit, quel que soit le niveau

d’exigence.

Les réassureurs étrangers sont dispensés, au Brésil, d’une grande partie des obligations réglementaires et bénéficient donc de faibles coûts opérationnels. Une fois passé avec succès la phase d’autorisation de la SUSEP, les obligations sont en effet minimales. Ceci est encore plus vrai pour les réassureurs éventuels qui échappent aux coûts d’ouverture et de fonctionnement d’un établissement au Brésil. Cette situation n’est sans doute pas étrangère à la compo­sition actuelle du secteur de la réassurance. Malgré l’avantage laissé aux réassureurs locaux, les sociétés étrangères sont bien implantées et disposent 16. Ibid., chap. III, section I. 17. En particulier, résolution CNSP n° 321/2015. 86

d’une part non négligeable du marché. Ainsi, parmi les réassureurs enregistrés auprès de la SUSEP, 16 sont des réassureurs locaux, 37 des réassureurs admis et 76 des réassureurs éventuels, ce qui témoigne de la préférence du marché pour ce dernier statut (18). Lloyds, opérateur admis, réalise le deuxième chiffre d’affaires le plus important du secteur, seulement derrière l’opérateur national historique, IRB-­Brasil RE (19). C’est donc un statut intéressant pour les sociétés étrangères et, encore une fois, une situation étonnante dans un pays qui tend systématiquement à privilégier ses acteurs nationaux.

II.  Quelques incertitudes persistantes Du fait de l’ouverture relativement récente du marché de la réassurance à la concurrence étrangère, certaines incertitudes subsistent quant au régime applicable. C’est en particulier le cas en matière de droit applicable et de fiscalité.

A.  Clause arbitrale et élection droit étranger Contrairement à de nombreux pays, le droit international privé brésilien ne repose pas sur le principe d’autonomie de la volonté mais sur des règles de rattachement d’ordre public. En l’absence de dispositions légales dérogatoires, les obligations sont régies par le droit du pays où elles ont été constituées, les obligations contractuelles étant réputées constituées au domicile de l’auteur de l’offre de contracter (20). En l’occurrence, il s’agit donc a fortiori du droit du siège du réassuré, soit le droit brésilien, peu important le risque couvert (21). L’élection d’un autre droit national par les parties est nulle et sans effet aux yeux des juridictions brésiliennes. Un tribunal étranger pourrait, le cas échéant, se reconnaître compétent et appliquer un autre droit, par exemple celui choisi par les parties. Cependant, une décision rendue dans ces conditions ne recevrait 18. Voy. www.susep.gov.br/menu/informacoes-­ao-­publico/ mercado-­s upervisonado/entidades-­s upervisionadas (dernier accès le 11.03.2016). 19. G. Palheiro Mendes de Almeida, « Introdução ao Mercado Brasileiro de Resseguros para Estrangeiros ao Exemplo de Porto Rico », RDSEG – Revista de Direito do Seguro da AINDA Brasil, n° 3/2015. 20. Décret-­loi n° 4.657/42 (loi d’introduction aux normes du droit brésilien), art. 9. 21. P. Luiz de Toledo Piza, Notas sobre o direito brasileiro em matéria de contratação de seguros no exterior, www. ibds.com.br/artigos/NotasSobreODireitoBrasileiroEmMateriaDeContratacaoDeSegurosN.pdf (dernier accès le 04.03.2016).

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certainement pas l’exequatur du Superior Tribunal de Justiça, limitant grandement son effet utile. Du point de vue de la compétence juridictionnelle, les litiges relatifs aux contrats de réassurance sont, depuis une Résolution du CNSP de 2007, soumis à un régime dual (22). En l’absence de clause d’arbitrage, le litige devra être soumis aux juridictions brésiliennes qui appliqueront le droit brésilien (23). Cette règle s’impose quel que soit le statut du réassureur et présente des inconvénients non négligeables, en particulier en termes de célérité et de compétence limitée des magistrats en la matière. Il est fort probable que face à un litige concernant un contrat de réassurance entre une société brésilienne et une société étrangère, le magistrat s’en remette à un expert qu’il nommera sans l’intervention des parties et aux conclusions duquel il ne sera pas tenu (24). La compétence exclusive des tribunaux brésiliens en l’absence de clause d’arbitrage est juridiquement contestable du point de vue du droit brésilien. En effet, le nouveau Code de procédure civile, norme plus récente et hiérarchiquement supérieure à la résolution du CNSP, prévoit une compétence concurrente (et non exclusive) des autorités judiciaires brésiliennes lorsque le défendeur est domicilié au Brésil, lorsque l’obligation doit être accomplie au Brésil et lorsque le fondement de l’action s’est réalisé au Brésil (25). Dans ces hypothèses, si la compétence des tribunaux brésiliens n’est plus contestable une fois l’action en justice intentée devant ceux-­ci, la compétence de juridictions étrangères est parfaitement défendable sur le fondement du Code de procédure civile brésilien (26). La saisine des juridictions étrangères permettra l’application d’un droit autre que le droit brésilien mais la décision ainsi obtenue devra recevoir l’exequatur du Superior Tribunal de Justiça pour être exécutoire au Brésil. Pour toutes ces raisons, l’on ne saurait que trop recommander aux parties d’opter systématiquement pour l’arbitrage. Dans ce cas, la résolution CNSP 22. Résolution CNSP n° 168/2007. 23. Ibid., art. 38. 24. Voy. sur ce point, L. Felipe Conde, « A Resolução de Conflitos na Nova Regulação de Resseguros Brasileira », Doutrinas Essenciais Arbitragem e Mediação, vol. 4, septembre 2014, p. 1211. 25. Loi n° 13.105/2015, art. 21 et 23. Le nouveau Code de procédure civile est entré en vigueur le 17 mars 2016 ; le Code applicable jusqu’alors prévoyait les mêmes règles de compétence (loi n° 5.869/73, art. 88 et 89). 26. Il est de jurisprudence constante du Superior Tribunal de Justiça (STJ) que la compétence concurrente de l’article 88 du Code de procédure civile est d’ordre public. Les parties peuvent donc désigner les tribunaux d’un État étranger mais ne peuvent exclure la compétence des tribunaux brésiliens si ceux-­ci venaient à être saisis, ce qui s’analyserait comme une violation de souveraineté. Cette vision large de la souveraineté nationale réduit grandement l’effet des clauses d’élection de juridiction. Voy. notamment STJ, Recurso Ordinário 114/ DF, Rapporteur Raul Araújo, jugement du 2 juin 2015. 2016/2

n° 168/2007 prévoit expressément la possibilité pour les parties de s’en remettre à un droit étranger. Cette option présente un double avantage : pouvoir désigner des arbitres expérimentés et choisir les règles qui s’appliqueront au contrat. La clause d’arbitrage doit être expresse et prévoir que le siège de l’arbitrage est au Brésil. En effet, les sentences arbitrales étrangères – c’est-­à-­dire prononcées à l’étranger – doivent être homologuées par le Superior Tribunal de Justiça pour être exécutoires au Brésil (27), alors que celles prononcées au Brésil – même par des arbitres étrangers faisant application d’un droit étranger – sont directement exécutoires, sans autre formalité.

B.  Traitement fiscal Pour les réassureurs admis et éventuels, l’envoi à l’étranger des fonds correspondants aux primes de réassurance et de rétrocession est imposé au titre de l’impôt sur les revenus prélevé à la source – IRRF, pour son acronyme en portugais – au taux de 25 %, sur une assiette correspondant à 8 % des revenus considérés. L’application de ce taux de 25 % réservé aux revenus issus de la prestation de services, confirmé par la Recette fédérale du Brésil en 2013 (28), est fortement contestée par le secteur qui plaide – à raison, selon les auteurs de la présente contribution – pour l’application du taux de 15 % applicable aux revenus d’autre nature. Les réassureurs admis et éventuels peuvent contester en justice l’application de ce taux sur le fondement de la qualification juridique erronée de la nature du revenu. Dans ce cas, les sommes correspondant au montant de l’impôt seront déposées sur un compte séquestre jusqu’à ce qu’une décision intervienne sur le fond. La possibilité d’une imposition au taux de 15 % ne bénéficie cependant pas aux sociétés dont le siège est situé dans un paradis fiscal, qui sont automatiquement soumises au taux de 25 % – ici encore, appliqué sur l’assiette de 8 % des revenus. Un débat équivalent existe en matière de PIS/Cofins – Importation, contributions sociales prélevées sur les recettes des entreprises. Une loi de 2004 a étendu leur incidence aux importateurs de biens ou services et qualifié la cession de primes de réassurance à l’étranger à une importation de service, les soumettant à un taux de 15 % (29). Le secteur s’est encore une fois élevé contre cette mesure, qui étend le PIS/Cofins – Importation aux primes de réassurance par le biais d’une qualification erronée de l’activité, à l’encontre du principe d’interprétation stricte de la loi fiscale. 27. Loi n° 9.307/96, art. 34 et 35. 28. Recette fédérale du Brésil, Solution de consultation n° 167 du 28 août 2013. 29. Loi n° 10.865/2004, art. 7.

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La pacification de ces questions sera sans nul doute un élément déterminant dans la poursuite du développement du secteur brésilien de la réassurance.

Conclusion Malgré ces quelques réserves finales, en particulier sur le plan fiscal, nous retiendrons de cet exposé que le Brésil fait montre d’une particulière bienveillance vis-­ à-­ vis des réassureurs étrangers, certainement pour compenser une offre domestique encore insuffisante. Alors que par le passé, l’État brésilien comblait l’absence d’acteur national sur un marché par la constitution de monopoles publics, il le fait à présent par une ouverture réglementée aux acteurs étrangers. Ainsi, de la fin du monopole d’IRB Brasil RE et de l’accueil de réassureurs étrangers, même sans établis-

sement au Brésil, évolution en accord avec la pratique internationale. Cette bienveillance n’est cependant pas de mise pour les réassureurs étrangers dont le siège est situé dans un paradis fiscal, lesquels, notamment, ne peuvent opter pour le statut de réassureur éventuel, sont imposés au titre de l’IRRF au taux de 25 % et se voient automatiquement appliquer les règles des prix de transfert dans leurs relations avec des tiers, indépendamment de l’existence d’une relation capitalistique. Cette limite de leur marge de manœuvre représente un désavantage certain par rapport à leurs concurrents. Ainsi, il s’avère que la distinction la plus pertinente entre réassureurs étrangers autorisés à conduire leur activité au Brésil ne réside peut-­être pas dans le choix de leur statut, admis ou éventuel, mais dans le fait d’avoir ou non leur siège dans un paradis fiscal, les seconds bénéficiant de règles beaucoup plus clémentes.

Actualités du droit panaméen Miguel Montiel

Avocat auprès de la Cour suprême de Panama Doctorant/Chargé d’enseignement à l’Université Panthéon Assas Depuis notre dernière chronique dans cette revue, la matière assurantielle a fait l’objet de développements dont on peut se demander si l’apparition n’a été favorisée, au moins en partie, par les révélations de l’ICIJ dans ce qu’il a été convenu d’appeler les Panama Papers. L’on se souviendra qu’au centre de ce scandale se trouve le droit des sociétés panaméen, montré au fil des révélations comme encore instrumentalisable pour la mise en place de montages financiers favorisant l’évasion fiscale, voire le blanchiment de capitaux illicites. L’onde de choc s’en est fait sentir immédiatement dans le pays, à telle enseigne qu’elle précipita la décision du gouvernement panaméen de se mettre plus en accord avec les demandes des pays membres de l’OCDE. Pourtant l’on aurait tort de croire que les efforts n’ont débuté qu’à partir de ces révélations. Pour ne se référer qu’à la matière assurantielle, depuis plus d’une décennie le pays avance progressivement vers plus de transparence, de coopération fiscale et de lutte contre le blanchiment de capitaux illicites. Les points d’actualité que nous souhaitons remarquer ici représentent, pour partie, des pierres dans l’édifice de la transparence en matière d’assurances, certes encore 88

perfectible, mais moins chancelant aujourd’hui qu’hier. Deux axes retiendront notre attention. Ils concernent, d’une part, le gouvernement d’entreprise en matière assurantielle (I) ; d’autre part, le développement des procédures d’exécution de la loi n° 12 du 3 avril 2012 encadrant l’activité assurantielle (II).

I. Le développement du gouvernement d’entreprise en matière assurantielle Le concept de gouvernement d’entreprise renvoie à l’ensemble de normes internes à l’entreprise, sur sa structure et ses pratiques, qui définissent le fonctionnement de ses organes dans le but de prévenir les conflits d’agence qui peuvent surgir, préservant donc les intérêts des parties prenantes (1). Dans la perspective panaméenne, l’encouragement de ce gobierno corporativo s’explique de surcroît par le souhait de son emploi dans la promotion de la transparence et la lutte contre le blanchiment de capitaux illicites, tel que le préconise l’IAIS dans ses principes de base. C’est dans cette direction que deux séries d’événements récents doivent être soulignés. D’abord, l’exigence de mise en conformité des manuels internes sur la lutte contre le blanchiment de capitaux illicites et 1.

J.-­Ph. Dom, « Le gouvernement d’entreprise, technique d’anticipation des risques », Droit des sociétés, nos 8‑9, août 2012, spéc. § 1.

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le financement du terrorisme (1) ; ensuite, la mise en place de standards généraux en matière de gobierno corporativo (2). 1. La mise en conformité de manuels internes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux illicites. Le gendarme des assurances au Panama, la Superintendencia de seguros y reaseguros (la Superintendencia), est investie par les lois n° 12 du 3 avril 2012 et n° 23 du 27 avril 2015, concernant l’activité assurantielle et la lutte contre le blanchiment de capitaux illicites respectivement, de la compétence pour adopter des mesures aptes à assurer le respect des dispositions législatives en matière de lutte contre ces fléaux. C’est dans ce contexte que l’accord n° 3 du 27 juillet 2015 fut adopté par la Superintendencia, disposant l’obligation pour les compagnies d’assurances de se doter de manuels de prévention conformes aux principes exposés dans le même accord n° 3. Nourri de l’expérience fournie par la réglementation précédente en la matière, la résolution n° CTS 08 du 29 octobre 2008, l’accord n° 3 définit clairement le standard minimum que doivent respecter lesdites compagnies dans la confection de leurs manuels internes, suivant par là une approche de la supervision fondée sur les risques (2). Plus à même de prendre en charge les objectifs poursuivis par la régulation en la matière, cette approche tend à se concentrer sur une supervision tant rétrospective que prospective insistant sur la mise en place de mécanismes de gestion et de contrôle interne. L’article 3 de l’accord n° 3 dispose ainsi que la Superintendencia devra conduire la supervision suivant une approche basée sur les risques, de sorte qu’elle établira la méthodologie que devront suivre les sujets obligés… pour qu’ils puissent adopter et mettre en œuvre les processus d’identification, d’évaluation et de prise en charge des risques (3) liés au blanchiment de capitaux illicites. C’est plus précisément l’article 13 de cet accord qui prévoit l’obligation d’adopter des manuels internes de prévention, ainsi que leur contenu minimum. Cependant, puisque l’effort d’adaptation impliquait sans aucun doute des coûts importants pour les compagnies de la place, un délai de mise en conformité avait été aménagé. L’article 61 de l’accord avait donc prévu un délai de 90 jours à partir de l’entrée en vigueur de l’accord. Ce délai ayant échu le 9 décembre 2015, la Superintendencia a sommé, par le biais d’une résolution du 8 janvier 2016 (4), tous les sujets concernés de produire ledit manuel et de le lui adresser au plus tard le 12 janvier 2016. À partir de cette date, les 2. International Association of Insurance Supervisors, Insurance Core Principles, mis à jour en novembre 2015, spéc. p. 93 (disponible sur le site www.iaisweb.org). Le principe 9 préconise l’emploi du risk-­based approach pour la supervision. 3. Cette traduction ainsi que les autres sont libres. 4. Résolution (Circular) n° SSRP-­OAL-­007‑2016 de janvier 2016, Superintendencia de Seguros y Reaseguros de Panama. Toutes les résolutions de la Superintendencia sont disponibles sur le site www.superseguros.gob.pa. 2016/2

compagnies ne s’y étant pas conformé se trouvent en infraction. 2. La mise en place de standards généraux sur le gouvernement d’entreprise. La Superintendencia poursuit également son travail de développement réglementaire du cadre législatif par la confection d’un projet d’accord sur les dispositions du gouvernement d’entreprise. Il tend pour l’essentiel vers le durcissement des exigences minimales requises pour ce gobierno corporativo. Comme nous l’évoquions, la résolution n° CTS 08 du 29 octobre 2008 avait déjà prévu certaines exigences en termes de gouvernement d’entreprise pour les compagnies surveillées. Le projet d’accord de 2016, que la Superintendencia soumet à un processus de consultation publique (5), se situe dans la lignée des efforts poursuivis afin de se conformer aux meilleures pratiques internationales et au renforcement de la lutte contre le blanchiment de capitaux. L’initiative est, à n’en pas douter, largement encouragée par la pression internationale qu’a subie le gouvernement suite aux révélations des Panama Papers. Sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans les détails de ce qui se trouve encore au stade de la proposition, il suffit pour mesurer l’importance de ce futur accord d’attirer l’attention sur son article 4 établissant des exigences minimales pour un bon gouvernement d’entreprise. Le projet d’accord envisage, par exemple, l’obligation d’établir de manière claire les valeurs corporatives, les objectifs stratégiques, les codes de conduite et les autres standards sur le comportement approprié de l’entreprise. Ou encore, il établit l’obligation de prévoir dans la structure de la compagnie des comités d’appui, parmi lesquels l’on trouve le comité de risque et conformité dont l’une des fonctions réside dans l’approbation et la surveillance de l’application des manuels internes sur la prévention du blanchiment de capitaux. L’adoption de cet accord ouvre des perspectives importantes non seulement en termes de conformité avec les objectifs de la politique législative panaméenne à propos de la lutte contre le blanchiment de capitaux mais également contentieuse. En effet, un tel gouvernement d’entreprise, notamment par l’établissement clair des valeurs de l’entreprise et des codes de conduites, peut avoir pour effet d’accroître le levier des consommateurs en assurances en leur permettant d’exiger de l’assureur un comportement conforme aux normes ainsi adoptées. La situation ne serait pas sans rappeler le contentieux sur le fondement du droit de la consommation qui a pu se développer aux États-­Unis au sujet de violations aux codes de conduites volontairement adoptées par d’importantes multinationales américaines. Il s’agirait alors d’un pas, dans le domaine assurantiel, vers la constitutionnalisation des codes privés (6). Il serait 5. Résolution (Circular) n° SSRP-­OAL-­031‑2016 du 26 avril 2016 rappelant le processus de consultation publique à laquelle est soumis le projet d’accord sur les dispositions en matière de gouvernement d’entreprise. 6. Voy., dans cette perspective, impliquant la multinationale Nike, l’arrêt de la Cour suprême de Californie :

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III. Régulation assurantielle

d’autant plus plausible de le concevoir ainsi en droit panaméen que son droit de la consommation prévoit la possibilité d’introduire des actions de classe (7).

II. Le développement des mécanismes d’exécution dans la législation assurantielle Davantage éloigné des révélations de l’ICIJ, l’autre aspect de l’actualité panaméenne qu’il convient d’évoquer rapidement concerne les procédures d’exécution prévues par la loi n° 12 de 2012. Cette loi prévoit deux séries de mécanismes par le truchement desquels le législateur a cherché à garantir l’effectivité de ses dispositions. Deux développements récents sont donc à remarquer à propos de la réglementation de la compétence d’exécution qui est accordée au bénéfice de la Superintendencia, d’une part (1) ; à propos des procédures collectives de redressement et de mise à l’écart des compagnies d’assurance, d’autre part (2). 1. Le développement de la compétence d’exécution de la Superintendencia. La loi n° 12 de 2012 entretient le privilège dont jouissent certaines autorités indépendantes du droit panaméen. Son article 7 dispose que, pour le développement de ses fonctions, la Superintendencia bénéficiera d’une compétence d’exécution (jurisdicción coactiva). Pour l’essentiel, cette compétence lui permet de se faire payer les montants des sanctions imposées aux sujets surveillés par le biais d’une procédure ultra-­expéditive se déroulant auprès d’un juge spécial de la Superintendencia et soumise, à défaut d’une loi spéciale, aux articles 1777 à 1785 du Code de procédure civile panaméen (Codigo judicial) (8). La Superintendencia a, dans ce contexte, décidé de soumettre également à une consultation publique un projet d’accord réglementaire concernant ces procédures de paiement exécutif (9). À ce propos, l’on notera que l’article 20, 19°, de la loi n° 12 de 2012 investit le Comité de direction de la Superintendencia de la compétence afin de réglementer la loi mais seulement pour ce qui a trait aux aspects techniques de celle-­ci. Il faut donc conclure que cette assise juridique restreint la marge de Mark Kasky c. Nike, Inc., 27 Cal 4th 939, 45 P 3d 243, 119 Cal Rptr 2d 296 (2002). Voy., sur cet arrêt et l’ensemble de la question, H. Muir Watt, « Private International Law Beyond the Schism », Transnational Legal Theory, 2011, pp. 347‑427, spéc. pp. 416‑417. 7. Loi n° 45 du 31 octobre 2007 sur la protection du consommateur, la défense de la concurrence et autres dispositions, spéc. art. 129. 8. Loi n° 12 de 2012, art. 305. 9. Résolution (Circular) n° SSRP-­OAL-­023‑2016 de la Superintendencia du 3 mars 2016. 90

manœuvre de la Superintendencia dans son initiative d’encadrement réglementaire, puisque comme nous l’évoquions, il ne peut s’agir que des points techniques. Dès lors, il nous semble qu’il sera important dans ce processus de confection de l’accord sur la procédure d’exécution de non seulement se conformer aux dispositions de la loi n° 12 de 2012 mais également aux dispositions, applicables à titre subsidiaire, du Code de procédure civile susmentionné. 2. Les procédures collectives prévues par la loi n° 12 de 2012. Le dernier aspect de l’actualité assurantielle que nous évoquerons ici concerne une illustration concrète de la mise en œuvre des procédures collectives spéciales prévues par la loi n° 12, dont la particularité essentielle réside dans le fait qu’elles ne se déroulent pas auprès d’un juge, mais sous le contrôle de la Superintendencia. Il n’est évidemment pas ici l’endroit pour s’étendre sur les différents mécanismes ainsi mis en place par le législateur panaméen. Il suffira d’en présenter un aperçu général. Aussi peut-­on remarquer que sont regroupés sous un même chapitre des mécanismes de redressement et de mise à l’écart de compagnies d’assurance, se déroulant sous le contrôle de la Superintendencia : la liquidation volontaire (10), la régularisation (11), la prise de contrôle administratif et opérationnel (12), et enfin, la liquidation forcée (13). Nous laisserons de côté la liquidation volontaire afin d’observer rapidement certains traits des autres mécanismes dont le point commun se trouve dans le fait qu’ils ont pour origine une déficience dans le bon fonctionnement de la compagnie d’assurance qui conduit à l’intervention de la Superintendencia. Aussi doit-­on noter qu’alors que dans la régularisation, le placement de l’assureur dans une situation de dessaisissement n’est qu’une éventualité exceptionnelle décidée par la Superintendencia, dans le contrôle administratif et opérationnel et dans la liquidation forcée, les organes de la procédure s’occupent des activités et du patrimoine de l’assureur dans le but de remplir les objectifs que leur assigne la loi n° 12. Ces objectifs tendent au redressement de la compagnie lorsque celui est encore possible et à son évincement du circuit économique lorsque son activité n’est plus viable. L’on constate ainsi que par exemple, l’administrateur provisoire dans la procédure de contrôle administratif et opérationnel peut décider de la suspension ou la limitation du paiement de toutes les obligations de la compagnie d’assurance durant la période du contrôle (14), et que les organes de la liquidation forcée peuvent en décider de même non seulement pour la compagnie d’assurance mais également au sujet des dettes de la masse des créanciers selon 10. 11. 12. 13. 14.

Loi n° 12 de 2012, art. 78 à 84. Loi n° 12 de 2012, art. 85 à 92. Loi n° 12 de 2012, art. 93 à 102. Loi n° 12 de 2012, art. 112 à 139. Loi n° 12 de 2012, art. 97.

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la disponibilité des actifs et sans restriction temporelle (15). Par ailleurs, les organes de direction de cette dernière procédure peuvent exercer tout autre acte que la Superintendencia a préalablement autorisé. Quant à la résolution des contrats en cours, il faut noter que l’article 130 de la loi n° 12 de 2012 prévoit que l’organe de direction de la procédure peut décider de la résolution des contrats de location, de services, administratifs et opérationnels, y compris les clauses compromissoires insérées dans lesdits contrats, ayant été célébrés par la compagnie d’assurances. La Superintendencia a eu récemment l’occasion de voir appliquer la panoplie de mécanismes collectifs susmentionnés dans une affaire concernant une importante compagnie d’assurances réalisant des activités au Panama (16). Ceci a été également l’occasion de voir la solution à laquelle peut aboutir l’interprétation des dispositions de la loi n° 12 concernant les pouvoirs des organes de direction nommés par la Superintendencia, notamment pour ce qui a trait à la liquidation forcée. En l’espèce, d’abord placée sous la procédure de régularisation, dans l’espoir d’un redressement qui s’est par la suite révélé infructueux, la compagnie d’assurance fut mise par la Superintendencia sous contrôle administratif et opérationnel avant qu’elle ne décide que la seule issue possible pour l’entreprise était la liquidation forcée. L’on peut constater, à l’égard de cette procédure, les pouvoirs très importants qui sont accordés aux organes de la liquidation forcée par l’article 124 de la loi n° 12 de 2012 pour la vente des actifs de l’entreprise. En l’espèce, le Conseil de liquidation de la compagnie d’assurance établit, par le biais d’une résolution de janvier 2016, l’ensemble des règles et

procédures à suivre pour la vente ordonnée des actifs de l’entreprise (17). Si nous ne trouvons rien à redire vis-­à-­vis de cette résolution sur les aspects purement techniques du déroulement de la vente des actifs dans la procédure de liquidation forcée, l’on ne peut pas en dire autant d’autres décisions du Conseil de liquidation en l’espèce, notamment en ce qui concerne le pouvoir que s’arroge ledit organe à propos de la continuation des contrats en cours. L’on note ainsi que par une résolution précédente du 17 novembre 2015, ledit Conseil de liquidation avait décidé de terminer tous les contrats d’assurance et cautions en cours dans lesquels participait la compagnie d’assurance à la date du 30 octobre 2015, exception faite des contrats d’assurance vie (18). Or, au-­delà de la fragilisation des droits des assurés touchés par cette interprétation des pouvoirs des conseils de liquidation dans le cadre des procédures de liquidation forcée, conseils qui auraient alors le loisir de terminer les contrats d’assurance à partir de la résolution d’ouverture de la liquidation, il nous semble que c’est l’assise juridique de tels pouvoirs qui prête à débat. En effet, quoi qu’il puisse en être dit, nous ne trouvons aucune disposition dans la loi n° 12 qui conforte une telle interprétation du Conseil de liquidation. Ce, puisque ni la disposition de la loi n° 12 qui est explicitement citée par le Conseil de liquidation pour déterminer ses pouvoirs, soit l’article 124 déjà mentionné, ni l’article 130 auquel nous aurions pu également penser pour le régime de la résolution des contrats en cours, ne nous paraissent soutenir cette lecture. Il faudra attendre que la jurisprudence se prononce sur ce sujet pour fixer l’interprétation à retenir.

15. Loi n° 12 de 2012, art. 124. 16. Voy., sur les différentes étapes de l’affaire Seguros Constitucion S.A., le communiqué de presse de la Superintendencia du 5 août 2015 (disponible sur le site www. superseguros.gob.pa).

17. Voy. résolution n° 01‑2016 du Conseil de liquidation de Seguros Constitucion S.A. du 26 janvier 2016. 18. Résolution n° 1‑2015 du 17 novembre 2015, citée dans la résolution n° 2‑2015 du 18 novembre 2015 (disponible à l’adresse http://segurosconstitucion.com.pa/ index.php/comunicados/item/132-­aviso3).

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III.B. Régulation comparée


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III. Régulation assurantielle

La liquidation légale des institutions d’assurance au Mexique Rafael Ibarra Garza Doyen du Département de Droit de l’Universidad de Monterrey Chercheur national du SNI (CONACYT) Of Counsel du cabinet Leal-­Isla & Horváth, S.C rafael.ibarra@udem.edu et ribagar@hotmail.com

L’institution d’assurance est définie comme la société anonyme ayant pour objet social et étant autorisée à proposer des contrats d’assurances de personnes et de dommages (1). En tant que sociétés, les institutions d’assurance peuvent arriver à terme ; dans ce cas, il faudra les liquider. La loi mexicaine prévoit et régule cette liquidation, en particulier dans le cas de la révocation de l’agrément (2). Puisque l’agrément est une condition nécessaire pour agir en tant qu’agent d’assurance (3), si les institutions d’assurance voient leur agrément révoqué, elles ne peuvent plus remplir leur objet social et doivent donc mettre un terme à leur activité, ce qui implique nécessairement leur liquidation (4). Deux types de liquidations sont possibles : une liquidation légale et une liquidation conventionnelle. Seule la première sera étudiée ici (5). La mise en œuvre d’une procédure de liquidation légale implique le paiement des créanciers, notamment des assurés (II) ; ainsi, la récupération de la valeur maximale des actifs de l’institution est aussi une finalité de ces types de procédures (I) (6).

I. La réalisation des actifs Pour pouvoir payer les dettes de l’institution d’assurance, il faut d’abord réaliser les actifs. Par voie de conséquence, il s’agit d’une des fonctions principales du liquidateur. Ainsi, il doit exiger des débiteurs de la société d’assurance paiement, il doit vendre ses actifs et céder les portefeuilles de contrats d’assurance (7). Quant à la vente des actifs, le liquidateur doit les vendre dans les meilleures conditions possibles ; cela implique notamment d’obtenir le plus grand profit possible (si nécessaire, le liquidateur peut avoir recours à des intermédiaires (8)). Ainsi, le liquidateur doit prendre en considération non seulement le prix de vente mais aussi les coûts d’administration des biens à vendre (9). Les ventes doivent être en conformité avec les pratiques commerciales et doivent être réalisées de la manière la plus objective et transparente possible (10). Par voie de conséquence, la vente doit être faite aux enchères publiques (11) (l’enchère se déroulera entre le dixième et cent quatre-­vingtième jour à dater de la publication de l’appel aux enchères (12)) et les personnes qui sont en situation de conflit d’intérêts ont l’interdiction de participer aux enchères (tel est le cas par exemple des membres de la famille du liquidateur) (13). Si, en règle générale, le liquidateur est obligé de vendre les biens aux enchères publiques, il existe des exceptions à cette règle. D’abord, la loi prévoit la possibilité que certains biens soient vendus en dehors de toute procédure d’enchères publiques ; c’est le cas par exemple des biens qui doivent être vendus immédiatement (14). Une autre exception existe quand le coût d’administration, de conservation, de garde et de vente serait supérieur aux bénéfices qui peuvent être obtenus de leur vente ; dans ce cas, le liquidateur peut demander la destruction des biens ou les donner (15). 7.

Section XVI de l’article 2 et 25 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas ; lettre c), section VIII de l’article premier du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 2. L’autre hypothèse est la faillite de l’institution d’assurance (voy. articles 446 et s. de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas). 3. Article 93 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas et article 9 du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 4. Sur la révocation de l’agrément comme condition préalable de la liquidation légale, voy. l’article 443 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 5. Pour la liquidation conventionnelle, voy. les articles 443 et s. de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 6. Article 393 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 1.

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8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15.

Sections I, II et III de l’article 401 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. Troisième paragraphe de l’article 412 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. Article 411 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. Article 412 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. Sur la procédure des enchères, voy. l’article 416 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. Article 413 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. Sur les conditions de la publication, voy. l’article 415 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. Article 418 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. Article 420 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. Article 421 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas.

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Quant à la cession des portefeuilles de contrats d’assurance, la cession doit être réalisée dans les trente jours de la notification de la révocation de l’agrément, sinon les contrats d’assurance doivent être résiliés (16). La loi prévoit l’ordre dans lequel les portefeuilles doivent être cédés. Le liquidateur doit commencer par céder les portefeuilles de contrats d’assurance vie ; ensuite, il doit continuer avec les portefeuilles des autres types de contrats d’assurance ; en troisième et quatrième lieux (respectivement) nous trouvons les réassurances des deux catégories précédentes (17). En outre, les institutions d’assurance sont obligées de constituer des fonds (via des opérations de fiducie) pour garantir l’exécution des obligations nées des contrats d’assurance (18). Ces fonds doivent être aussi cédés. Il y a deux possibilités : soit les fonds sont cédés avec le portefeuille de contrats d’assurance (c’est le cas quand le fonds a été constitué pour garantir l’exécution de contrats appartenant au portefeuille cédé) (19) ; soit le liquidateur les cède indépendamment (c’est ainsi le cas quand les fonds subsistent après la cession des portefeuilles de contrats d’assurance) (20).

II. L’apurement du passif Le règlement des créanciers peut se faire seulement avec les biens appartenant à l’institution d’assurance ; ainsi, un bien qui serait entre ses mains du fait d’un contrat de fiducie, de mandat, de commission ou d’administration ne peut pas être réalisé pour payer des créanciers (21).

Après ce délai, le liquidateur aura à son tour trente jours pour élaborer une liste définitive avec les corrections pertinentes (24). La liste définitive sera présentée à la Commission nationale d’assurance et cautions qui, à son tour, la publiera (25). Une fois la liste définitive publiée, les créanciers peuvent demander paiement au liquidateur ; les créanciers auraient cent quatre-­vingt jours à compter de la publication de la liste définitive pour lui en demander le paiement. Après ce délai, le liquidateur va constituer une fiducie avec l’argent restant ; la fiducie aurait comme finalité le paiement des créanciers. Une fois constituée la fiducie, les créanciers auront cinq ans pour demander paiement au fiduciaire ; après ce délai, les droits des créanciers seront prescrits (26). Puisqu’il existe plusieurs créanciers, il faut organiser leur paiement, ce qui implique bien évidemment un classement qui est le suivant : les créanciers de contrats d’assurances vie, les créanciers des autres types de contrats d’assurance, les fonds qui garantissent l’exécution des obligations nées des contrats d’assurance (seulement quand l’institution d’assurance doit encore faire des contributions au fond), les créanciers de contrats de réassurance vie, les créanciers des autres types de contrats de réassurance, les créanciers avec des privilèges, les travailleurs, les créanciers fiscaux, les créances dérivées des autres obligations qui ne sont pas mentionnées dans ce classement, les créances dérivées des obligations subordonnées non convertibles et les créances dérivées du financement des contrats de réassurance financière (27).

Quant aux biens qui appartiennent à l’institution d’assurance, ils vont être utilisés pour payer ses dettes. Mais avant de régler les créanciers, il faut d’abord les identifier ; pour cela, le liquidateur devra réaliser une procédure de reconnaissance de créances. Le liquidateur devra constituer une liste provisionnelle des créanciers avec le montant et le classement de la créance (22). Cette liste sera publiée et les créanciers ont un délai de trente jours (dès la publication) pour demander au liquidateur de modifier la liste provisionnelle (23).

Puisque le classement est un ordre de paiement, le liquidateur devra calculer les quotas de paiement par classe (28) et réserver les sommes nécessaires au paiement de chaque classe de créanciers (29). Dans le cas d’insuffisance d’actifs, on respecte le principe d’égalité entre les créanciers (30) ; le prix des biens du débiteur est distribué entre tous les créanciers qui supportent « une part égale dans la perte commune ». Enfin, dans l’hypothèse où, après le paiement de tous les créanciers, il y aurait encore de l’argent, il serait distribué parmi les associés (31).

16. Article 432 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 17. Troisième paragraphe de l’article 432 et sections I, II, V et VI de l’article 436 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 18. Article 274 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 19. Article 435 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 20. Troisième paragraphe de l’article 432 et section IV de l’article 436 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 21. Article 404 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 22. Section I de l’article 433 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 23. Section II de l’article 443 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas.

24. Section III de l’article 443 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 25. Section IV de l’article 443 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 26. Sections VI et VII de l’article 443 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 27. Article 436 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 28. Section V de l’article 432 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 29. Article 436 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 30. Article 436 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas. 31. Avant-dernier paragraphe de l’article 436 de la Ley de Instituciones de Seguros y Fianzas.

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III.B. Régulation comparée


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III. Régulation assurantielle

Conclusion En conclusion, la révocation de l’agrément a comme effet la liquidation des institutions d’assurance. La procédure de liquidation est réalisée par le liquidateur et un de ses objets est le paiement des créanciers de l’institu-

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tion liquidée. Pour régler les créanciers, il faut d’abord réaliser les actifs de l’institution pour ensuite payer les créanciers. La réalisation des actifs oblige le liquidateur à exiger paiement aux débiteurs, vendre les biens et céder les portefeuilles de contrats d’assurance. L’apurement du passif implique la reconnaissance des créanciers pour ensuite les payer en conformité au classement.

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IV. Régulation intersectorielle Chronique sous la direction de Anne-­Dominique Merville

Maître de conférences, HDR Directrice du Master 2 Droit pénal financier Université de Cergy-­Pontoise

Avec la collaboration de

Aurélia Rappo

Avocate, Pétremand & Rappo, Lausanne, Suisse

&

Stephan Stadler

Licencié en droit CAS Forensics Expert à l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers FINMA

Ivan Tchotourian

Professeur de droit des affaires Codirecteur du Centre d’études en droit économique (CÉDÉ), Faculté de droit, Université Laval

Une approche intersectorielle de la régulation en matière financière est désormais la règle : les différents domaines de la banque, de l’assurance et des activités de marchés sont de moins en moins hermétiques les uns par rapport aux autres, ce qui a une incidence croissante sur les règles qui leur sont applicables. Trouvant leurs sources dans de nombreux horizons juridiques et professionnels, ces règles constituent un vaste ensemble de normes de régulation, dont la règlementation n’est que l’un des aspects. Ceci se retrouve aussi bien au sein de l’Union européenne que dans divers pays comme le Canada et la Suisse. Cross-­sector based approach of financial regulation has become the norm: the various banking, insurance, and market activities are less and less hermetic from each other, which has an increasing impact on rules applicable to them. Those rules stem from diverse legal and professional sources, of which “pure” regulation is only one aspect. It’s the case in EU or throught the world (Canada, Switzerland).

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Chroniques

IV. Régulation intersectorielle

IV.B. Intégrité du marché La loi suisse sur le blocage et la restitution des avoirs illicites(1)

Aurélia Rappo

Avocate, Pétremand & Rappo, Lausanne, Suisse

I.  Contexte général La place financière suisse n’a pas toujours véhiculé la meilleure des réputations. Elle fut souvent associée à un havre d’accueil pour les avoirs illicites attirés par la protection du secret bancaire. Si cette vision n’était pas dénuée de fondement, certains seront aujourd’hui étonnés de constater l’évolution rapide des mentalités. La législation suisse a considérablement évolué, en particulier dans le domaine du blocage et de la restitution des avoirs de « potentats ». Une révolution en profondeur a été accomplie pour épurer et assainir l’activité bancaire, au point que la Suisse peut s’enorgueillir de disposer d’une des législations les plus avant-­gardistes en matière de lutte contre les avoirs illicites de potentats. Ce virage n’est pourtant pas si récent. En 1986, la chute du dictateur philippin Ferdinand Marcos constitua une première pour les autorités helvétiques. En quelques heures, le Conseil fédéral prit l’initiative de geler les avoirs de ce régime auprès des établissements suisses. À l’issue de cette procédure, l’État des Philippines obtint la restitution de 685 millions de dollars américains. Les cas se sont ensuite succédé avec le blocage des fonds Duvalier en 1986, Salinas en 1995, Mobutu en 1997, Lazarenko en 1998, Abacha et Kazakhs en 1999. En 2011, le blocage et la restitution des avoirs illicites prirent une nouvelle ampleur avec les événements dits du Printemps arabe. À peine les présidents Ben Ali (2) et 1. Cet article fait suite à la conférence donnée lors du colloque de l’ILCE des 9 et 10 septembre 2015 portant sur l’effectivité de la lutte contre les avoirs illicites des potentats, colloque organisé avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). 2. Ordonnance du 19 janvier 2011 instituant des mesures à l’encontre de certaines personnes originaires de la Tunisie, RS 946.231.175.8. 96

Moubarak (3) furent-­ils déchus, que le Conseil fédéral réagit en ordonnant le blocage des fonds. Il en fut de même pour les actifs de Kadhafi. Les autorités suisses ont réagi avant même que l’ONU ne prononçât de sanctions. En février 2014, à nouveau, le gouvernement helvétique est intervenu immédiatement en prononçant le blocage des avoirs de l’ancien président ukrainien et de son entourage. Au cours des dernières décennies, la Suisse a acquis une large expérience dans ce domaine, au point qu’elle fait figure de modèle et de source d’inspiration pour de nombreuses places financières étrangères. Le système législatif suisse de lutte contre la criminalité financière repose sur plusieurs piliers. D’abord, la loi sur le blanchiment d’argent et les dispositions du Code pénal (4) obligent depuis de nombreuses années les intermédiaires financiers à identifier leur cocontractant, ainsi que l’ayant droit économique des avoirs, puis à clarifier l’arrière-­plan économique des transactions afin de prévenir tout cas de blanchiment d’argent. En présence d’une personne politiquement exposée, la relation est réputée présenter un risque accru, ce qui implique pour l’intermédiaire financier une obligation particulière de diligence, ainsi qu’un devoir accru d’identification (5). Aussitôt que naît le soupçon d’un cas de blanchiment et d’une origine criminelle des fonds, l’intermédiaire financier doit immédiatement informer le bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) et bloquer les avoirs (6). Les autorités de poursuites pénales pourront alors mener leurs investigations, sachant que le secret bancaire n’a jamais été opposable dans le cadre de procédures pénales. Enfin, la Suisse est partie à de nombreuses conventions et traités en matière d’entraide judiciaire internationale (7), qui constituent la base légale pour fournir une assistance aux États étrangers en matière pénale, tant en 3. 4.

5. 6. 7.

Ordonnance du 2 février 2011 instituant des mesures à l’encontre de certaines personnes originaires de la République arabe d’Égypte, RS 946.231.132.1. Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier (LBA) du 10 octobre 1997, RS 955.0 ; art. 305bis et 305ter du Code pénal suisse (CP) du 21 décembre 1937, RS 311.0. Art. 2a, al. 1, litt. a, 6, al. 3 et 4, LBA. Art. 9 et 10 LBA et 305ter CP. Voy. notamment la loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale (EIMP) du 20 mars 1981, RS 351.1.

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phase d’investigation qu’au stade de la confiscation des avoirs illicites. Or ce dispositif est dénué de toute efficacité si l’État étranger est incapable de mener des procédures pénales et de solliciter valablement l’entraide judiciaire internationale auprès des autorités suisses. Lorsque l’État étranger est déstructuré, qu’il est noyauté par des potentats ou qu’il ne dispose d’aucun indice permettant d’orienter les investigations, l’entraide internationale n’est d’aucun secours. Lors des événements du Printemps arabe et de l’Ukraine, le Conseil fédéral a ordonné le blocage des avoirs en se prévalant d’une disposition constitutionnelle. L’article 184, alinéa 3, de la Constitution fédérale suisse permet au gouvernement de rendre des ordonnances ou de prendre des décisions lorsque « la sauvegarde des intérêts du pays l’exige ». Il faut admettre que cette base légale est assez ténue. La démarche pouvait prêter le flanc à la critique sous l’angle des exigences d’un État de droit. Le 1er octobre 2010, la Suisse a adopté une première loi mais qui se limite à réglementer la restitution des avoirs illicites, non leur blocage (8). Le législateur a rapidement compris la nécessité de promouvoir une loi au sens formel qui traite non seulement la restitution mais aussi le blocage et la confiscation des fonds de potentats. Dans ce contexte, la Suisse a adopté en 2015 une nouvelle loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger (LVP) (9). Cette loi contribue à lutter contre les avoirs illicites en agissant sur trois fronts, à savoir : – le blocage préventif à titre conservatoire des valeurs patrimoniales des personnes politiquement exposées (PPE) ; – la mise en œuvre de mesures destinées à soutenir l’État d’origine permettant de rapidement clarifier au plan judiciaire la provenance des valeurs patrimoniales ; – la possibilité de procéder à une confiscation judiciaire des avoirs en Suisse, lorsque l’entraide judiciaire n’a pas abouti en raison des défaillances de l’État étranger. La nouvelle loi a pour objectif de réunir en un seul et unique acte toutes les dispositions régissant le blocage préventif des avoirs, leur confiscation judiciaire et leur restitution aux États concernés. Ce projet, publié fin décembre 2015, est soumis à référendum. Le Conseil 8. 9.

Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées (LRAI) du 1er octobre 2010, RS 196.1. Loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger (LVP) du 18 décembre 2015, selon le message du Conseil fédéral du 21 mai 2014, FF 2014, p. 5121. Ce projet de loi a été débattu au Conseil national le 10 juin 2015, puis au Conseil des États le 24 septembre 2015.

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fédéral devra préciser la date d’entrée en vigueur une fois que le délai référendaire aura expiré, soit après le 9 avril 2016. La LRAI sera alors abrogée.

II.  Objet et champ d’application de la LVP Le but et le champ d’application de la loi sont définis à son article 1. La LVP règle le blocage, la confiscation et la restitution de valeurs patrimoniales de personnes politiquement exposées à l’étranger ou de leurs proches lorsqu’on peut supposer que ces valeurs ont été acquises par des actes de corruption, de gestion déloyale ou par d’autres crimes. La notion de « personnes politiquement exposées à l’étranger » (PPE) constitue un concept déterminant pour délimiter le champ d’application de la loi. L’article 2, littera a, LVP définit comme telles toutes personnes qui sont ou ont été chargées de fonctions publiques dirigeantes à l’étranger, en particulier les chefs d’État ou de gouvernement, politiciens de haut rang au niveau national, hauts fonctionnaires de l’administration, de la justice, de l’armée et des partis au niveau national, organes suprêmes d’entreprises étatiques d’importance nationale. La liste n’est volontairement pas exhaustive. La qualité de PPE n’est pas limitée dans le temps, de sorte que la fin d’un mandat politique n’a pas pour effet de perdre la qualité de PPE. Le législateur a renoncé à introduire une notion de durée afin qu’il y ait une cohérence avec les recommandations révisées du GAFI de 2012. Une PPE sera toujours une personne physique. En revanche, la loi exclut les PPE chargées de fonctions publiques en Suisse, ainsi que les dirigeants d’organisations internationales, intergouvernementales ou de nature associative, telles que des fédérations. Les « proches » sont définis à l’article 2, littera b), LVP comme toutes personnes physiques qui, de manière reconnaissable, sont proches des PPE pour des raisons familiales, personnelles ou pour des raisons d’affaires. L’objectif du législateur est de prévenir le transfert de valeurs patrimoniales au sein de la famille des potentats, de leur entourage ou dans leur cercle d’affaires. Seules les personnes physiques sont concernées, les personnes morales ayant été volontairement exclues de la définition. Les fonds souverains, à savoir les fonds d’investissement détenus ou contrôlés par un État, ont également été écartés. La raison tient au fait que les fonds souverains appartiennent à l’État et non à des individus. La destitution d’un potentat n’entraîne donc aucune conséquence sur la propriété du fond qui continue d’appartenir à l’État. Le législateur a tenté de définir la notion de « valeurs patrimoniales ». Selon l’article 2, littera c, LVP, il s’agit de tous biens de quelque nature que ce soit, matériels ou immatériels, mobiliers ou immobiliers. Peuvent être l’objet d’une confiscation tous les avantages éco-

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nomiques, pour autant qu’ils soient situés en Suisse, sur lesquels la PPE ou ses proches exercent un pouvoir de disposition. Volontairement, il s’agit d’un concept très large.

III. Le blocage des valeurs patrimoniales La nouvelle loi institue aux articles 3 et 4 deux catégories de blocage. Ils se différencient par l’objectif visé et le stade auquel ils interviennent. Le premier cas de blocage est celui en vue de l’entraide (art. 3 LVP). Il se produira généralement à un stade très avancé, par exemple au moment où un régime est renversé ou lorsque la destitution paraît imminente. Le but visé consiste à bloquer les avoirs afin d’éviter qu’ils ne soient retirés ou transférés à l’étranger. Le second cas de blocage est régi par l’article 4 LVP. Il s’applique aux cas où l’État d’origine a essuyé un échec dans le cadre de sa demande d’entraide inhérent à sa situation de défaillance. Le blocage intervient afin d’aider l’État à obtenir la restitution des avoirs dans le cadre d’une procédure de confiscation ultérieure qui se déroulera devant les autorités administratives suisses.

A.  Le blocage en vue de l’entraide (art. 3 LVP) L’article 3 LVP permet au Conseil fédéral d’ordonner un blocage préventif de valeurs patrimoniales en Suisse afin de soutenir une éventuelle coopération dans le cadre de l’entraide judiciaire avec l’État d’origine. Sont visés les avoirs sur lesquels des PPE exercent un pouvoir de disposition (al. 1, litt. a), dont elles ou leurs proches sont les ayants droit économiques (al. 1, litt. b) ou qui appartiennent à des personnes morales au travers desquelles les PPE ou leurs proches exercent un pouvoir de disposition ou qu’ils en sont les ayants droit économiques (al. 1, litt. c). Exerce un pouvoir de disposition celui qui en détient la maîtrise effective, par quoi il faut entendre la volonté de posséder les biens dans le sens le plus large possible (10). En d’autres termes, même si la PPE est un actionnaire minoritaire de la société propriétaire des avoirs, la mesure de blocage peut se justifier si ce dernier exerce un pouvoir de contrôle, notamment par l’intermédiaire d’autres actionnaires de la structure qui ont la qualité de proches. Pour que le blocage puisse être ordonné, les conditions suivantes doivent être cumulativement remplies (art. 3, al. 2, LVP) : a) le gouvernement ou certains membres du gouvernement de l’État d’origine ont perdu le pouvoir ou un changement de pouvoir paraît inexorable (litt. a) ;

b) le degré de corruption dans l’État d’origine est notoirement élevé (litt. b) ; c) il apparaît vraisemblable que les valeurs patrimoniales ont été acquises par des actes de corruption ou de gestion déloyale ou par d’autres crimes (litt. c) ; d) la sauvegarde des intérêts de la Suisse exige le blocage de ces valeurs (litt. d). L’objectif est de permettre au Conseil fédéral d’intervenir le plus rapidement possible. Ainsi, la loi permet d’ordonner le blocage avant même la chute du gouvernement en place, notamment lorsqu’une période de confusion précède l’accession d’un nouveau régime. Par contre, la destitution doit apparaître comme inéluctable, notion qui est loin d’être claire. Concernant l’origine illicite des valeurs, il n’est pas nécessaire de démontrer la culpabilité de la PPE ni de présenter des preuves strictes. En effet, le blocage n’est qu’une mesure conservatoire. Par nature, elle est préalable à l’enquête qui élucidera ces questions. La dernière condition requise fait référence à la sauvegarde des intérêts de la Suisse. Celle-­ci s’apprécie en fonction des considérations politiques du moment. Elles dépendent des relations internationales que la Suisse entend privilégier, de sa politique étrangère, du risque de réputation et des prises de position adoptées par les autres places financières. Une préoccupation des acteurs financiers suisses était d’éviter que la Suisse agisse seule, raison pour laquelle le législateur a introduit à l’article 3, alinéa 3, LVP, l’obligation pour le Conseil fédéral de concerter son action avec celle des principaux États partenaires. Il s’agit d’éviter de faire cavalier seul. En pratique, ce type de blocage vise le cercle le plus large possible de personnes, ainsi qu’un nombre indéterminé de valeurs. Il sera donc généralement opéré sous la forme d’une ordonnance du Conseil fédéral à laquelle sera annexée la liste des noms de PPE dont les valeurs patrimoniales sont concernées. Les personnes physiques ou morales identifiées sur ces listes auront la possibilité de déposer une requête motivée afin d’obtenir la radiation de leur nom (art. 20 LVP). Cette demande doit être présentée au Département fédéral des Affaires étrangères qui statuera en application de la loi fédérale sur la procédure administrative. Cette décision du Département pourra faire l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif fédéral, puis en dernier ressort devant le Tribunal fédéral. En revanche, les ordonnances de blocage rendues par le Conseil fédéral ne sont pas, en soi, des actes pouvant faire l’objet de recours judiciaires (art. 21, al. 3, LVP). Le blocage est une mesure conservatoire qui offre la possibilité à l’État d’origine d’ouvrir les enquêtes pénales, puis de présenter une éventuelle demande d’entraide judiciaire à la Suisse, voire une mesure de saisie provisoire fondée sur l’article 18 EIMP.

10. Message du Conseil fédéral, FF 2014, p. 5153. 98

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B.  Le blocage en vue de la confiscation (art. 4 LVP) L’article 4 LVP institue une seconde mesure de blocage qui est fondamentalement différente de la mesure préventive de l’article 3 LVP. Cette hypothèse vise le cas où l’entraide judiciaire présentée à des fins de restitution s’est heurtée à un échec, notamment en raison de la défaillance de l’État requérant. L’entraide étant ainsi impossible, il s’agit d’éviter la libération des avoirs et leur disparition. Le législateur a ainsi introduit la possibilité d’un blocage par la voie d’une procédure administrative devant les autorités judiciaires suisses. Une fois le blocage prononcé, une procédure de confiscation pourra être initiée (11). La décision de blocage est prise par le Conseil fédéral au cas par cas, pour autant que les conditions suivantes soient remplies : a) les valeurs patrimoniales ont fait l’objet d’une mesure provisoire de saisie dans le cadre d’une procédure d’entraide judiciaire internationale en matière pénale ouverte à la demande de l’État d’origine (litt. a) ; b) l’État d’origine n’est pas en mesure de répondre aux exigences de la procédure d’entraide judiciaire du fait de l’effondrement de la totalité ou d’une partie substantielle de son appareil judiciaire ou de son dysfonctionnement (litt. b) ; c) la sauvegarde des intérêts de la Suisse exige le blocage de ces valeurs patrimoniales (litt. c). Le concept de situation de défaillance (« failed states ») s’inspire de l’article 17, alinéa 3, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il n’est pas question de porter un jugement sur la situation générale d’un pays mais d’évaluer concrètement sa capacité d’agir dans le cadre d’une demande d’entraide spécifique. Il s’agit de déterminer si cet État dispose des moyens, de la volonté et des ressources adéquates pour conduire une procédure pénale qui réponde aux exigences de la loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale (12). Lorsque l’entraide est exclue parce que l’État requérant ne répond pas aux standards minima requis en matière de respect des droits de l’homme, le blocage sera néanmoins possible (art. 4, al. 3, LVP). Il est fait référence tant aux principes institués par la C.E.D.H. que par le Pacte II de l’ONU relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966. Cette disposition constitue une innovation qui a fait l’objet de nombreuses critiques car elle crée une voie ouverte permettant de contourner les exigences posées par la procédure d’entraide. Le législateur s’explique en faisant valoir que, bien souvent, les États requérants n’ont pas encore pu adapter leur législation aux principes d’un État de droit. Imposer cette exigence contribuerait à rendre lettre morte la nouvelle loi et à avantager les potentats qui 11. FF 2014, 5121, p. 5156. 12. FF 2014, 5121, pp. 5157‑5158. 2016/2

ont précisément créé des institutions qui ne respectent pas les standards requis en matière de protection des droits de l’homme (13). La décision de blocage rendue en vertu de l’article 4 LVP pourra faire l’objet d’un recours au Tribunal administratif fédéral, puis devant le Tribunal fédéral (art. 21 LVP). En revanche, le recours n’aura pas d’effet suspensif (art. 21, al. 2, LVP), à défaut de quoi la procédure serait vidée de toute substance.

C.  La durée du blocage (art. 6 LVP) La durée du blocage variera selon la nature de la mesure. Lorsque le blocage est ordonné en vue de l’entraide judiciaire (art. 3 LVP), sa durée initiale sera au maximum de quatre ans. Sur décision du Conseil fédéral, la mesure pourra être renouvelée sur une base annuelle, mais au maximum pour dix ans, à condition que l’État d’origine ait manifesté sa volonté de coopérer (art. 6, al. 1, LVP). En revanche, dans le cadre d’un blocage en vue de la confiscation (art. 4 LVP), les valeurs patrimoniales resteront bloquées jusqu’à l’entrée en force de la décision de confiscation. Si aucune action en confiscation n’est ouverte dans un délai de dix ans à compter de l’entrée en force du blocage, il sera caduc et les valeurs seront libérées.

IV. La confiscation des valeurs patrimoniales (art. 14 LVP) Les dispositions de la LVP concernant la confiscation des valeurs patrimoniales reprennent très largement la loi du 1er octobre 2010 sur la restitution des avoirs illicites (LRAI), qui sera abrogée lors de l’entrée en vigueur de la LVP. Le présent développement se contentera donc de mettre en lumière les nouveautés qui seront introduites par la LVP. Normalement, l’État d’origine procèdera par la voie de l’entraide internationale pénale afin d’obtenir la restitution des avoirs illicites. L’expérience a toutefois démontré que les États en situation de défaillance se heurtent souvent à des échecs. Tel est notamment le cas lorsque la procédure pénale interne n’aboutit à aucun jugement condamnant la PPE, souvent par défaut de preuves. Dans le cadre de l’affaire Duvalier/Haïti, la procédure menaçait d’échouer. À l’issue d’une longue procédure, le Tribunal administratif fédéral a ordonné le 24 septembre 2013 (14) en application de la LRAI la confiscation des avoirs de Jean-­Claude Duvalier, 13. FF 2014, 5121, p. 5158. 14. ATFA du 24 septembre 2013, C-­2528/2011.

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ouvrant ainsi la voie à leur restitution en faveur de l’État haïtien. La LVP étend les possibilités de confiscation notamment lorsque l’État requérant ne peut pas agir par la voie de l’entraide au motif que ses institutions ne répondent pas aux critères de respect des droits de l’homme. Pour les motifs déjà exposés plus haut, cette nouvelle a suscité de nombreuses critiques qui n’ont finalement pas été retenues. La procédure de confiscation est initiée par le Conseil fédéral qui charge le Département fédéral des Finances d’introduire une demande de confiscation des valeurs patrimoniales auprès du Tribunal administratif fédéral. Ledit tribunal instruira la cause d’office (art. 44, al. 2, LTAF). Les ayants droit des valeurs litigieuses pourront procéder et tenter de démontrer que les fonds ont une origine licite. En revanche, les associations et les organisations non gouvernementales n’ont pas la qualité pour agir et ne seront pas parties à la procédure. La confiscation est subordonnée à trois conditions cumulatives : a) les valeurs patrimoniales sont soumises au pouvoir de disposition d’une PPE à l’étranger, d’un proche ou elles en sont les ayants droit économiques ; b) l’origine de ces valeurs est illicite ; c) le Conseil fédéral aura préalablement bloqué ces avoirs en prévision de la confiscation selon l’article 4 LVP. Si ces conditions sont remplies, le Tribunal administratif fédéral est tenu de prononcer la confiscation, qui entraîne un transfert de propriété des avoirs à la Confédération en vue de leur restitution. Cette décision pourra être contestée selon les règles générales de la procédure fédérale (art. 21 LVP). La prescription de l’action pénale ou de la peine ne constitue pas un obstacle à la confiscation (art. 14, al. 3, LVP). La preuve de l’origine illicite des valeurs est facilitée par une présomption légale consacrée à l’article 15 LVP. Cette disposition ne constitue pas une innovation, car elle figurait déjà à l’article 6 LRAI. Le but de la loi est de rétablir un certain équilibre, partant du constat que nombre de procédures avortent car l’État d’origine est incapable de démontrer les faits pertinents ou d’apporter des moyens de preuves suffisants. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une exception de taille aux principes fondamentaux de la présomption d’innocence. La Suisse s’en défend en faisant valoir qu’en droit pénal, le renversement du fardeau de la preuve n’est pas impossible en soi (15) et qu’il est autorisé par l’article 31, ch. 8, CNUCC (16). La présomption d’illicéité s’applique lorsque les deux conditions suivantes sont cumulativement remplies (art. 15, al. 1, LVP) :

15. Voy. par exemple les articles 72 et 260ter CP ; ATF 131 II 169 cons. 9.1 (fonds Abacha). 16. FF 2014, 5121, p. 5180 ; Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) entrée en vigueur le 14 décembre 2005. 100

a) un accroissement exorbitant est survenu dans le patrimoine de la personne exerçant le pouvoir de disposition pendant la période durant laquelle la PPE a exercé sa fonction publique. L’article 15, alinéa 2, LVP précise qu’un accroissement est réputé exorbitant lorsqu’une disproportion importante survient et qu’elle ne s’explique pas par l’expérience générale de la vie, le contexte du pays et les revenus légitimes de son ayant droit. À dessein, la loi dispose que l’exercice de la fonction publique n’est pas la cause stricte de l’accroissement de valeur mais il suffit qu’il l’ait facilité ; b) le degré de corruption dans l’État d’origine ou de la PPE est notoirement élevé durant la période où celle-­ci a exercé sa fonction publique. Il suffit, selon le Message du Conseil fédéral, qu’un certain nombre d’indices issus de sources crédibles le confirment, tels que des rapports d’organisations nationales, internationales, non gouvernementales ou d’autres sources publiques telles que des médias ou autres organismes actifs dans la lutte contre la corruption (17). Si l’ayant droit parvient à rendre vraisemblable, à un degré prépondérant, que l’acquisition des valeurs est intervenue par des moyens licites, la présomption sera renversée (art. 15, al. 3, LVP).

V. La restitution des avoirs Depuis l’affaire des fonds Marcos qui a débuté en 1986, la Suisse dispose d’une longue expérience en matière de restitution d’avoirs illicites. Depuis lors, la Suisse est intervenue dans de nombreux cas, soit en réponse à une demande d’entraide du pays d’origine, soit en lien avec une procédure pénale suisse. Une préoccupation majeure du législateur est de veiller à ce que les fonds contribuent aux populations dans les États concernés, à l’amélioration de leur niveau de vie (art. 17, litt. a, LVP), ainsi qu’à renforcer l’État de droit et à lutter contre l’impunité (art. 17, litt. b, LVP). Tous les principes fondamentaux qui régissent la restitution des avoirs figuraient déjà dans la LRAI. À cet égard, la LVP n’introduit pas de modifications majeures. L’article 18 LVP pose comme condition que la restitution des avoirs s’effectue par le financement de programmes d’intérêt public. Si possible, le Conseil fédéral définira les modalités de restitution en accord avec l’État d’origine (art. 18, al. 2, LVP). Le suivi du processus ne sera pas forcément de la compétence de la Confédération mais il pourra être délégué à une organisation internationale ou à des organisations non gouvernementales locales, lesquelles seront autant que possible associées (art. 18, al. 3 et 4, LVP).

17. FF 2014, 5121, p. 5181.

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VI. Les mesures de soutien Partant du constat que les potentats réalisent et dissimulent leurs avoirs au moyen de mécanismes financiers et de structures complexes, le législateur suisse a voulu offrir des mesures de soutien aux États d’origine. En effet, sans assistance, ceux-­ci parviennent rarement à faire aboutir leurs enquêtes et à réunir les éléments de preuve. Lorsque ces États sont confrontés à des bouleversements politiques, l’appareil judiciaire est d’autant moins efficace, ce qui profite aux potentats. La confiscation et la restitution des avoirs illicites n’ont de sens que si la Suisse peut parallèlement offrir aux États d’origine une aide ciblée. Il s’agit de mesures potestatives, en ce sens que les États étrangers ne peuvent pas contraindre la Suisse à agir (art. 11 LVP). Les articles 11 et s. LVP instituent deux types de mesures, à savoir : a) une assistance technique (art. 12 LVP) ; et b) la transmission d’informations à l’État d’origine (art. 13 LVP). Par assistance technique, on entend des aides à la formation, la dispense de conseils juridiques, l’organisation de conférences, des rencontres bilatérales ou multilatérales ou le détachement d’experts dans l’État d’origine (art. 12, al. 2, LVP). La liste n’est pas exhaustive et d’autres mesures peuvent intervenir telles que la prise en charge d’honoraires d’avocats spécialisés. Des institutions spécialisées telles que ICAR peuvent être mises à contribution. La communication d’informations à l’État d’origine est une mesure controversée. En effet, l’article 13 LVP autorise le Bureau de communication (MROS) à transmettre à son homologue étranger dans l’État d’origine toutes informations, y compris bancaires. Ces renseignements permettront ensuite à l’État d’origine de préparer sa demande d’entraide ou de compléter une demande insuffisamment étayée. Il s’agit de résoudre les cas où la Suisse est contrainte de refuser l’entraide judiciaire parce que l’État requérant, par manque d’expérience ou de connaissance, se heurte à une décision d’irrecevabilité ou de refus d’entrer en matière. Cette disposition constitue une innovation importante qui s’est heurtée à de nombreuses objections. D’aucuns lui reprochent de contourner les voies juridiques de

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l’entraide judiciaire et de favoriser les pays qui ne respectent pas les principes d’un État de droit. De plus, l’article 67a EIMP permettait déjà la transmission spontanée à l’État d’origine non seulement d’informations, mais aussi de moyens de preuves. Pour cette raison, le législateur a dû introduire des restrictions. La transmission d’informations ne s’appliquera pas si l’État d’origine est dans une situation de défaillance (art. 13, al. 3, litt. a, LVP) ou si la vie ou l’intégrité corporelle des personnes concernées devait s’en trouver menacée (art. 13, al. 3, litt. b, LVP). L’information sera transmise sous forme de rapports (art. 13, al. 4, LVP). Enfin, la Suisse aura toujours un libre pouvoir d’appréciation et ne pourra nullement être forcée de coopérer. Il est à espérer que les autorités sauront prévenir les abus.

Conclusion Sur le principe, la LVP répond à des objectifs louables. Non seulement elle apporte enfin une base légale claire, contrairement à l’article 184, alinéa 3, Cst. sur lequel le Conseil fédéral se fondait jusqu’alors pour rendre ses ordonnances de blocage. Ensuite, elle se présente comme un texte cohérent qui règle aussi bien le blocage, la confiscation que la restitution des avoirs illicites et les mesures de soutien que la Confédération est en droit d’apporter aux États d’origine. Sur le fond, la LVP constitue un dispositif de relais ou de substitution lorsque l’entraide internationale en matière pénale échoue ou se révèle impossible pour des États déstructurés. Or la crainte d’une dérive est tout autant légitime. En effet, rien ne permet d’affirmer que les nouveaux représentants du pouvoir méritent une plus grande confiance que ceux qui ont été destitués. Les événements géopolitiques récents devraient nous inciter à la plus grande prudence. Un changement brutal de régime peut s’accompagner de dérives antidémocratiques ou d’injustices confinant les règlements de comptes entre factions rivales, auxquelles la Suisse ne doit pas porter assistance. Il conviendra donc d’agir avec la plus grande précaution et d’éviter toute précipitation lorsque l’État d’origine n’offre aucune garantie d’un État de droit et qu’il est fait appel à la LVP pour contourner les règles sur l’entraide pénale.

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Les obligations de diligence des intermédiaires financiers dans le cadre de relations d’affaires avec des personnes politiquement exposées ; et la transposition des listes de sanction de l’ONU(1)

Stephan Stadler

Licencié en droit CAS Forensics Expert à l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers FINMA

Introduction Sur la place financière, l’introduction de nouveaux principes en relation avec les valeurs patrimoniales à la suite de diverses affaires impliquant des personnes politiquement exposées (PPE) a eu lieu depuis 1986. Dès 1998, la Suisse a été le premier pays à imposer des règles concrètes aux banques en la matière. À la suite de l’affaire Marcos (ancien président des Philippines) en 1986, elle a imposé que l’admission de relations d’affaires avec des PEP soit décidée par la direction des banques à son plus haut niveau. Après l’opération « Mani Pulite » menée contre le système de corruption de la mafia, en 1993, la Commission fédérale des banques (CFB) a posé le principe que les personnes acceptant de l’argent issu de la corruption n’offraient pas la garantie d’une activité irréprochable. À la suite de l’affaire Mobutu (ancien président du Zaïre) en 1998, la CDB a été modifiée (2). La CDB prévoyait explicitement qu’il était interdit d’accepter des valeurs patrimoniales d’origine illégale et que les directives internes devaient définir la politique de l’entreprise en ce qui concerne les PEP. À la suite de l’affaire Abacha (ancien président du Nigeria) en 1998, dix-­neuf enquêtes et trois révisions extraordinaires ont été effectuées dans des banques. Dès lors, les banques ont été tenues de considérer ce type de relations d’affaires comme comportant des risques accrus et, pour leurs clarifications approfondies, de ne pas se fier uniquement aux déclarations du cocontractant. À la suite de la procédure pénale ouverte en 2000 contre Montesinos (PPE péruvienne), la CFB a soumis cinq banques à des vérifications. Dans l’une d’entre elles, elle a constaté des manquements aux 1. Cet article fait suite à la conférence donnée lors du colloque de l’ILCE des 9 et 10 septembre 2015 portant sur l’effectivité de la lutte contre les avoirs illicites des potentats, colloque organisé avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). 2. Aperçu de la jurisprudence de la Commission de surveillance (Convention relative à l’obligation de diligence des banques) pour la période 1998‑2001, www.swissbanking.org/fr/ak-­taetigkeitsbericht-­98‑01-­d.pdf. 102

obligations de diligence ; sa décision a été publiée et stipulait que le directeur n’offrait pas la garantie d’une activité irréprochable. Dans toutes les banques impliquées, les organes de révision ont été chargés d’effectuer une révision extraordinaire au titre de l’exercice 2002. Il a été décidé notamment qu’à l’ouverture d’une relation d’affaires, les banques avaient l’obligation de prendre contact personnellement avec le cocontractant. À la suite de l’entrée en vigueur de l’ordonnance sur le blanchiment d’argent, la CFB a contrôlé l’application des obligations de diligence que ce texte prescrivait. La nouvelle ordonnance sur le blanchiment d’argent de la CFB (OBA-­CFB) est entrée en vigueur le 1er juillet 2003. Elle exige que toutes les banques s’investissent dans la prévention du blanchiment en adoptant systématiquement une approche axée sur les risques. Outre l’obligation de soumettre toute relation d’affaires aux règles d’identification prévues par la Convention de diligence des banques (CDB 03), les banques devaient faire preuve d’une diligence accrue à l’égard des relations et des transactions à risques accrus comme avec les PPE étrangères. Pour ces dernières, les banques doivent non seulement recueillir les informations requises pour tout client mais aussi effectuer des clarifications complémentaires concernant par exemple l’origine des fonds et l’arrière-­plan économique d’une relation d’affaires ou d’une transaction. La mise en œuvre de cette approche axée sur les risques est complexe tant du point de vue organisationnel que technique. Les banques doivent en effet définir des critères d’identification des relations et des transactions comportant des risques accrus, et mettre en œuvre un système informatique de surveillance des transactions. Elles doivent ensuite adapter leurs processus et leurs systèmes de contrôle internes pour garantir une surveillance adaptée aux risques. Enfin, l’ordonnance comprend une série d’exigences qui tiennent compte des normes internationales, dont les 40 recommandations et les 9 recommandations spéciales du GAFI ou encore les principes du Comité de Bâle sur le devoir de diligence des banques. L’approche axée sur les risques devait permettre aux banques d’adapter leur dispositif de lutte contre le blanchiment à leur activité, aux particularités de celle-­ci et aux risques spécifiques qu’elles rencontrent. Pour s’assurer que les banques procèdent à une mise en œuvre adéquate de l’OBA-­CFB au regard de leurs risques, la CFB a réalisé déjà en 2003 un premier contrôle sur ce point. Toutes les banques étaient tenues de remettre pour la fin septembre 2003 à la CFB leur concept de mise en œuvre défini en fonction de

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leur propre analyse des risques, ainsi que leur calendrier. Pour l’exercice 2004, l’OBA-­CFB exigeait que les sociétés de révision établissent dans le cadre de leur rapport annuel un compte rendu spécial sur l’adéquation de la mise en œuvre par les banques de l’ordonnance. Au total, ce contrôle approfondi a concerné 405 banques, 450 banques Raiffeisen et 69 négociants en valeurs mobilières, soit environ 26,5 millions de relations d’affaires. Cette révision systématique, approfondie et globale a été effectuée auprès de 900 banques, négociants en valeurs mobilières et directions de fonds ; a porté sur 26,5 millions de relations d’affaires au titre de l’exercice 2004. Les résultats ont fait l’objet d’un rapport publié en 2005 (3). Le 12 décembre 2014, le Parlement a adopté la loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du GAFI révisées en 2012. La loi révisée prévoit une extension de la définition des personnes politiquement exposées (PPE) dans le cadre de la LBA révisée (loi sur le blanchiment d’argent, LBA du 10 octobre 1997, RS 955.0) (4).

I. La définition des PPE et l’approche risque Jusqu’au 31 décembre 2015, l’ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent (OBA-­FINMA, RS 955.033.0) (5)4 contenait la définition légale des PPE. Après la transposition des 40 recommandations du GAFI révisées lors de la séance plénière du GAFI en février 2012, la définition légale des PPE a été introduite dans l’article 2a de loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA, RS 955.0) qui est entré en vigueur le 1er janvier 2016.

Art. 2a LBA « 1 Sont réputées personnes politiquement exposées au sens de la présente loi : a. les personnes qui sont ou ont été chargées de fonctions publiques dirigeantes à l’étranger, en particulier les chefs d’État ou de gouvernement, les politiciens de haut rang au niveau national, les hauts fonctionnaires de l’administration, de la justice, de l’armée ou des partis au niveau national, les organes suprêmes d’entreprises étatiques d’importance nationale (personnes politiquement exposées à l’étranger) ; b. les personnes qui sont ou ont été chargées de fonctions publiques dirigeantes au niveau national en Suisse dans la politique, l’administration, l’armée ou 3. www.finma.ch/FinmaArchiv/ebk/f/archiv/2005/200510 12/051012_02_f.pdf. 4. www.admin.ch/opc/fr/classified-­compilation/19970427/ index.html. 5. www.admin.ch/opc/fr/classified-­compilation/20143112/ index.html. 2016/2

la justice, ainsi que les membres du conseil d’administration ou de la direction d’entreprises étatiques d’importance nationale (personnes politiquement exposées en Suisse) ; c. les personnes qui sont ou ont été chargées de fonctions dirigeantes dans des organisations inter-­ gouvernementales ou au sein de fédérations sportives internationales, en particulier les secrétaires généraux, les directeurs, les sous-directeurs, les membres du conseil d’administration, ou les personnes exerçant d’autres fonctions équivalentes (personnes politiquement exposées au sein d’organisations internationales). 2 Sont réputées proches de personnes politiquement exposées les personnes physiques qui, de manière reconnaissable, sont proches des personnes au sens de l’al. 1 pour des raisons familiales, personnelles ou relevant de relations d’affaires ». Concernant les nouvelles catégories de PPE, c’est-­à-­dire les PPE au niveau national et les PPE des organisations internationales, il faut relever qu’en Suisse la catégorie des PPE nationales ne comprend que des personnes à haut niveau. L’évaluation du profil de risque est établie sur la base de l’ensemble de la relation avec le client. La personne du client ne constitue pas automatiquement un risque accru. Dans la pratique, une grande partie des instituts financiers avaient déjà introduit depuis longtemps le statut de PPE national comme facteur de risque. Pour la catégorie des PPE d’organisations internationales, la définition n’englobe que des personnes à haut niveau (membres de la direction ou du conseil d’administration). Par organisations internationales, on comprend uniquement des sujets de droit international ou organisations interétatiques selon l’interprétation de l’OCDE. L’évaluation du risque suit les mêmes principes que pour les PPE nationales. Malheureusement, les nouvelles dispositions n’assimilent plus les personnes morales dont la PPE est bénéficiaire économique ou qui est utilisée comme véhicule de transactions, aux proches d’une PPE. La FINMA a critiqué cette modification, car beaucoup de PPE utilisent des sociétés de domicile pour dissimuler la provenance des valeurs patrimoniales. La notion de « proches » n’est pas limitée aux personnes physiques. L’ordonnance de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers sur la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme (ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent, OBA-­FINMA) du 8 décembre 2010 avait assimilé aux PPE les entreprises et les personnes qui, de manière reconnaissable, sont proches de ces personnes pour des raisons familiales ou personnelles ou pour des raisons d’affaires.

Art. 2a, al. 4, LBA « Les personnes politiquement exposées en Suisse ne sont plus considérées comme politiquement exposées au sens de la présente loi 18 mois après qu’elles

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ont cessé d’exercer leur fonction. Les obligations de diligence générales des intermédiaires financiers restent réservées ». Cette disposition introduit un délai de prescription pour le statut des PPE nationales qui ont l’obligation de signaler leurs intérêts. Basé sur le fait que les activités et les fonctions des PPE nationales sont en général connues, la prescription du statut de PPE s’avère être justifiée (6). Pour les membres du Parlement suisse par exemple, l’article 11, alinéa 1, de la loi du 13 décembre 2002 sur l’Assemblée fédérale (loi sur le Parlement, LParl) prévoit que lors de l’entrée en fonction et au début de chaque année civile, tout député doit indiquer par écrit au bureau : – ses activités professionnelles ; – les fonctions qu’il occupe au sein d’organes de direction, de surveillance, de conseil ou autres dans des sociétés, établissements ou fondations suisses ou étrangers, de droit privé ou de droit public ; – les fonctions de conseil ou d’expert qu’il exerce pour le compte de services de la Confédération ; – les fonctions permanentes de direction ou de conseil qu’il exerce pour le compte de groupes d’intérêts suisses ou étrangers ; – les fonctions qu’il exerce au sein de commissions ou d’autres organes de la Confédération. Les services du Parlement établissent un registre public des indications fournies par les députés. Tout député dont les intérêts personnels sont directement concernés par un objet en délibération est tenu de le signaler lorsqu’il s’exprime sur cet objet au conseil ou en commission.

La recommandation révisée 12 du GAFI (PPE nationales et d’organisations internationales) « Les institutions financières devraient être obligées de prendre des mesures raisonnables pour déterminer si un client ou bénéficiaire effectif est une PPE nationale ou une personne qui exerce ou a exercé une fonction importante au sein de ou pour le compte d’une organisation internationale. Lorsque les relations d’affaires avec de telles personnes présentent un risque plus élevé, les institutions financières devraient être obligées d’appliquer les mesures 6.

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www.admin.ch/opc/fr/federal-­gazette/2014/585.pdf. Message concernant la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) révisées en 2012 du 13 décembre 2013, ch. 1.2.3.2. : « Contrairement aux PPE étrangères, et conformément à la recommandation 12 du GAFI, les PPE nationales et les PPE d’organisations internationales ne doivent pas nécessairement être classées dans les relations d’affaires comportant des risques accrus ».

des points (b), (c) et (d). Les obligations applicables à tous les types de PPE devraient également s’appliquer aux membres de la famille de ces PPE et aux personnes qui leur sont étroitement associées ». Les obligations de diligence selon la recommandation 12 du GAFI et sa note interprétative révisées constituent le standard international minimal pour ce qui concerne les obligations de diligence en relation avec les valeurs patrimoniales de PEP. Or il ressort du rapport publié en 2009 par la Banque mondiale que 104 juridictions n’appliquent pas ou n’appliquent que partiellement la recommandation 6 du GAFI. Seuls 16 % des pays ont été jugés conformes ou largement conformes en ce qui concerne les PEP. La Suisse fait partie de cette minorité.

Glossaire du GAFI Les recommandations du GAFI contiennent un glossaire qui définit les PPE selon le texte suivant : « L’expression personnes politiquement exposées (PPE) étrangères désigne les personnes qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions publiques dans un pays étranger, par exemple, les chefs d’État et de gouvernement, les politiciens de haut rang, les hauts responsables au sein des pouvoirs publics, les magistrats et militaires de haut rang, les dirigeants d’entreprise publique et les hauts responsables de partis politiques. L’expression PPE nationales désigne les personnes physiques qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions publiques dans le pays, par exemple, les chefs d’État et de gouvernement, les politiciens de haut rang, les hauts responsables au sein des pouvoirs publics, les magistrats et militaires de haut rang, les dirigeants d’entreprise publique et les hauts responsables de partis politiques. Les personnes qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions au sein de ou pour le compte d’une organisation internationale désignent les membres de la haute direction, c’est-­à dire les directeurs, les directeurs adjoints et les membres du conseil d’administration et toutes les personnes exerçant des fonctions équivalentes. La notion de PPE ne couvre pas les personnes de rang moyen ou inférieur relevant des catégories ci-­dessus ». La Suisse a ajouté une catégorie supplémentaire de PPE dans l’article 2, alinéa 1, lettre c, LBA qui est celle des « personnes qui sont ou ont été chargées de fonctions dirigeantes dans des organisations inter-­ gouvernementales ou au sein de fédérations sportives internationales ». Cette dernière catégorie a été introduite par les Chambres fédérales suite aux accusations de corruption contre la FIFA.

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La Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) Cette Convention (7), ouverte aux signatures en 2003 à Merida (Mexique), est entrée en force le 14 décembre 2005. Le 10 décembre 2003, la Suisse a signé cette Convention sans réserve et l’a ratifiée le 24 septembre 2009. Outre la prévention de la corruption, elle réglemente la coopération internationale et l’assistance technique aux pays en développement et aux pays émergents. Lors de la 4e conférence des États parties à Marrakech, en octobre 2011, la CNUCC a été élargie par de nouvelles résolutions, notamment concernant la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite. L’article 2 de la Convention définit les différentes catégories de PPE comme suit : « Aux fins de la présente Convention : a) On entend par “agent public” : i) toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire d’un État Partie, qu’elle ait été nommée ou élue, à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit rémunérée ou non rémunérée, et quel que soit son niveau hiérarchique ; ii) toute autre personne qui exerce une fonction publique, y compris pour un organisme public ou une entreprise publique, ou qui fournit un service public, tels que ces termes sont définis dans le droit interne de l’État Partie et appliqués dans la branche pertinente du droit de cet État ; iii) toute autre personne définie comme “agent public” dans le droit interne d’un État Partie. (…) on peut entendre par “agent public” toute personne qui exerce une fonction publique ou qui fournit un service public tels que ces termes sont définis dans le droit interne de l’État Partie et appliqués dans la branche pertinente du droit de cet État ; b) On entend par “agent public étranger” toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire d’un pays étranger, qu’elle ait été nommée ou élue ; et toute personne qui exerce une fonction publique pour un pays étranger, y compris pour un organisme public ou une entreprise publique ; c) On entend par “fonctionnaire d’une organisation internationale publique” un fonctionnaire international ou toute personne autorisée par une telle organisation à agir en son nom ». On retrouve la base pour toutes les catégories de PPE qui sont définies dans la LBA révisée dans la CNUCC. La Convention a été ratifiée par les Chambres fédérales le 20 mars 2009 et est entrée en vigueur le 24 octobre de la même année.

7. www.unodc.org/documents/treaties/UNCAC/Publications/Convention/08‑50027_F.pdf. 2016/2

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IV.B. Intégrité du marché

Ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent (OBA-­FINMA) du 3 juin 2015 entrée en vigueur le 1er janvier 2016 L’ordonnance prévoit que lorsque les clients ou les ayants droit économiques d’intermédiaires financiers sont des PPE étrangères, ces relations d’affaires sont à considérer comme des relations à risque accru (art. 13, al. 3, let. a, OBA-­FINMA). La direction à son plus haut niveau ou l’un de ses membres au moins décide de l’admission et, tous les ans, de la poursuite des relations d’affaires. Lors de la présence d’au moins un critère supplémentaire de risque, les relations d’affaires avec des PPE nationales, des PPE d’organisations internationales ou des PPE de fédérations sportives internationales constituent des relations d’affaires à risque accru (art. 13, al. 4, OBA-­FINMA).

Clarifications complémentaires en cas de risques accrus – Article 15, alinéa 2, OBA-­FINMA « 2 Selon les circonstances, il y a lieu d’établir notamment : a. si le cocontractant est l’ayant droit économique des valeurs patrimoniales remises ; b. l’origine des valeurs patrimoniales remises ; c. à quelle fin les valeurs patrimoniales prélevées sont utilisées ; d. l’arrière-­plan économique des versements entrant importants et si ceux-­ci sont plausibles ; e. l’origine de la fortune du cocontractant et de l’ayant droit économique de l’entreprise ou des valeurs patrimoniales ; f. l’activité professionnelle ou commerciale exercée par le cocontractant et l’ayant droit économique de l’entreprise ou des valeurs patrimoniales ; g. si le cocontractant, le détenteur du contrôle ou l’ayant droit économique des valeurs patrimoniales sont des personnes politiquement exposées ».

Responsabilité de la direction à son plus haut niveau en cas de risques accrus – Article 19 OBA-­FINMA « 1 La direction à son plus haut niveau ou l’un de ses membres au moins décide : a. de l’admission de relations d’affaires comportant des risques accrus selon l’art. 13, al. 3 et 4, let. a à c, et, tous les ans, de la poursuite des relations d’affaires selon l’art. 13, al. 3, let. a et b, et 4, let. a à c ; b. de la mise en œuvre, de la surveillance et de l’évaluation des contrôles réguliers portant sur

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toutes les relations d’affaires comportant des risques accrus. 2 Les intermédiaires financiers ayant une activité de gestion de fortune très importante et des structures comportant de nombreux niveaux hiérarchiques peuvent déléguer cette responsabilité à la direction d’une unité d’affaires ».

II. La notion de « potentat » Dictionnaire Larousse – Souverain absolu d’un grand État. – Personne disposant d’un pouvoir important en raison de sa richesse et qui en use de façon despotique.

American Heritage® Dictionary of the English Language – A person who possesses great power or authority, esp. a ruler or monarch.

Message relatif à la loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite du 21 mai 2014 (FF 5126) (8) « (…) sont visés par le terme de “potentat” les dirigeants étrangers qui abusent de leur pouvoir pour s’approprier des valeurs patrimoniales par des actes de corruption ou d’autres crimes et les détourner ensuite vers des places financières étrangères. (…) Le projet de loi ci-­joint n’est pas destiné à s’appliquer indistinctement à toutes les PPE : les différentes mesures qu’il prévoit ne pourront en effet être actionnées que lorsque le Conseil fédéral aura ordonné un blocage préventif d’avoir en vertu de l’art. 3 à l’égard d’un pays donné. Cet article règle le blocage administratif de valeurs patrimoniales lorsqu’un renversement politique est imminent ou vient de se produire, dans le but énoncé à l’al. 1 de soutenir une éventuelle coopération avec l’État d’origine dans le cadre de l’entraide judiciaire ». On peut donc conclure que tous les potentats sont des PPE mais toutes les PPE ne sont pas des potentats et la loi ne vise que les PPE dont les valeurs patrimoniales ont été l’objet d’un blocage préventif. 8. www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/attachments/34978.pdf. 106

Sanctions financières La mise en œuvre de sanctions internationales qui reposent sur des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies visant certains États ainsi que des personnes morales et physiques de certains États est régie par la loi fédérale sur l’application de sanctions internationales (loi sur les embargos, LEmb) du 22 mars 2002 (9). Les mesures coercitives édictées sont mentionnées dans des ordonnances distinctes. Les ordonnances relatives à des sanctions sont mises en œuvre par le Secrétariat d’État à l’Économie (SECO). Le Conseil fédéral peut prendre unilatéralement des mesures de blocage. La mise en œuvre des ordonnances correspondantes relève de la compétence du Département fédéral des Affaires étrangères DFAE (Direction du droit international public). Du 1er janvier 2009 jusqu’au 4 mars 2016, la FINMA a publié 182 listes. La FINMA publie sur son site Internet les sanctions financières et les mesures de blocage et elle informe les intermédiaires financiers de toute nouveauté via son service MyFINMA (10). La FINMA contrôle le respect des obligations de diligence résultant des dispositions sur le blanchiment d’argent. Si, dans le cadre des audits ou de toute autre manière, il apparaît que les dispositions sur le blanchiment d’argent n’ont pas été respectées, la FINMA veille à ce que les établissements concernés fassent le nécessaire à l’avenir pour s’y conformer. En outre, elle contrôle les mesures prises. Dans les cas graves, elle peut ordonner des mesures supplémentaires, voire prendre des sanctions.

III.  Mesures dans le cadre du Printemps arabe et nouvelle législation et la loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite du 21 mai 2014 (FF 5126) Le régime du chef d’État tunisien Ben Ali a été renversé le 14 janvier 2011. En vertu de l’article 184, alinéa 3, de la Constitution fédérale, le gouvernement suisse a adopté cinq jours plus tard une ordonnance de blocage. Dans le cas de l’Égypte, l’ordonnance de blocage est entrée en vigueur après le retrait de Moubarak le 11 février 2011. Du fait des événements en Libye, le Conseil fédéral a adopté une ordonnance de blocage le 24 février 2011. 9.

www.admin.ch/opc/fr/classified-­compilation/20000358/ index.html. 10. www.finma.ch/fr/documentation/sanctions-­internationales-­ et-­lutte-­contre-­le-­terrorisme/sanctions-­internationales-­et-­ mesures-­de-­blocage-­unilatérales/#Order=4.

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Inspection auprès des banques qui ont communiqué des relations d’affaires Les banques qui entretenaient des relations d’affaires avec des personnes listées dans le cadre des ordonnances de blocage ont dû fournir les documents relatifs à l’ouverture des comptes, la correspondance avec les clients, les notes internes, les relevés des mouvements de compte, les détails de certaines transactions, la documentation sur les clarifications particulières, sur le processus d’acceptation et sur les éventuelles communications auprès du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) ainsi que les directives internes. Dans certains cas, les obligations de clarification susmentionnées n’ont pas été suffisamment respectées ; même si des clarifications ont presque systématiquement eu lieu, elles ne l’ont pas toujours été avec l’intensité requise. Certaines clarifications ont porté uniquement sur le propre risque de réputation et à peine sur le risque de blanchiment d’argent. Les clarifications doivent être adéquates par rapport au risque. Sur les 29 relations clients avec des PEP au total, 22 relations ont été identifiées comme telles. Sept n’ont pas été reconnues comme des relations PEP, ou alors les personnes ont été identifiées comme des PEP mais pas traitées en conséquence. Une banque avait donné une définition interne des PEP trop restrictive. Trois banques n’ont procédé qu’à une recherche « exact-­match » lors de l’ouverture de la relation client, alors qu’une recherche phonétique, éventuellement complétée par une recherche sur l’Internet, aurait été appropriée. Dans deux cas, les relations client n’ont intentionnellement pas été traitées ni comme des relations PEP ni comme des relations à risques accrus,

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en dépit du fait qu’elles avaient bien été identifiées comme telles.

Nouvelle législation En mars 2011, les Chambres fédérales ont adopté une motion obligeant le Conseil fédéral à créer une base légale formelle pour prononcer de tels blocages de valeurs patrimoniales. Sur cette base, le Conseil fédéral a donné mandat au DFAE de préparer le projet de loi correspondant. Un avant-­projet de loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite liées à des personnes politiquement exposées (LBRV) a ensuite été mis en consultation en mai 2013. Le texte définitif de la loi a été publié le 18 décembre 2015 et la loi devrait entrer en vigueur après le délai référendaire vers la fin du premier semestre 2016. La loi réglemente le blocage, la confiscation et la restitution d’avoirs de potentats. Elle est destinée à s’appliquer à des situations où des personnalités dirigeantes qui se sont enrichies indûment en s’appropriant des valeurs patrimoniales par l’accomplissement d’actes de corruption ou d’autres crimes, puis en détournant les fonds vers d’autres places financières. La loi comprend des dispositions permettant le blocage préventif de valeurs patrimoniales de personnes politiquement exposées à des fins conservatoires. Elle fixe les conditions auxquelles les avoirs de potentats peuvent faire l’objet d’une confiscation judiciaire dans le cadre d’une procédure relevant du droit administratif, ainsi que les principes selon lesquels des avoirs confisqués sont restitués aux États d’origine. Enfin, elle prévoit des mesures d’assistance destinées à soutenir l’État d’origine dans ses efforts visant à obtenir la restitution de valeurs patrimoniales d’origine illicite.

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Perspective canadienne sur l’éducation financière Ivan Tchotourian Professeur de droit des affaires Codirecteur du Centre d’études en droit économique (CÉDÉ), Faculté de droit, Université Laval

Perçue actuellement comme une stratégie centrale pour renforcer la protection des investisseurs (2), la littératie financière fait l’objet d’un intérêt croissant. De nombreux pays mettent en place des programmes pour la promouvoir (3). Une étude récente de l’Organisation 1.

Certains développements exposés dans le cadre de cet article sont extraits de l’étude suivante : I. Tchotourian, « Littératie financière : une solution efficace pour la protection des personnes aînées ? », Revue générale de droit, vol. 46 (2016), p. 155. Cette étude a été réalisée grâce au soutien financier de l’AMF. 2. L’Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières (OICV ou IOSCO) l’a rappelé récemment : IOSCO, « Strategic Framework for Investor Education and Financial Literacy », octobre 2014, p. 4. 3. A. Lusardi et O. S. Mitchell, « Financial Literacy around the World: an Overview », Journal of Pension Economics and Finance, vol. 10:4 (octobre 2011), p. 497. Des États tels que la Nouvelle-­Zélande, l’Australie, le Royaume-­Uni et les États-­Unis ont ainsi pris des initiatives visant à améliorer les connaissances financières de leurs ressortissants dès le milieu des années 2000 (S. Schwartz, « The Canadian Task Force on Financial Literacy: Consulting Without Listening », Can. Bus. L.J., vol. 51 (2011), p. 340). Dans un pays de tradition civiliste comme la France, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a formé dès 2004 une commission consultative qui a recommandé en 2005 la création d’un institut de formation des épargnants et qui a donné naissance en 2006 à l’Institut pour l’éducation financière du public (IEFP). Dans son plan stratégique du 29 juin 2009, l’AMF a rappelé la nécessité d’améliorer l’éducation financière des individus. Au niveau européen, la Commission européenne a adopté en décembre 2007 une communication sur l’éducation financière. L’importance de l’éducation financière ressort également du Livre blanc de la Commission européenne sur la politique des services financiers (C.E., Livre blanc – politique des services financiers 2005‑2010, COM(200) 0629 final) et de son Livre vert sur les services financiers de détail (C.E., Livre vert sur les services financiers de détail dans le marché unique, COM(2007) 226 final). En 2008, la Commission a décidé de créer un groupe d’experts en éducation financière (EGFE) chargé d’apporter sa contribution au partage et à l’encouragement des meilleures pratiques en matière d’éducation financière et d’appuyer la Commission dans son action dans le domaine de l’éducation financière. Le Conseil de l’UE (UE, Conseil de l’Union européenne – Affaires économiques et financières, Communiqué de 108

(1)

de coopération et de développement économiques (OCDE) confirme cette remarque et atteste de la mise en place d’un nombre croissant de stratégies nationales sur l’éducation financière tant dans les pays en voie de développement que dans les pays développés (4). Le Canada n’a pas échappé au phénomène de littératie financière comme l’illustre la publication de la stratégie de littératie financière des aînés en juin 2014 (5), du rapport émanant du Groupe de travail sur la littératie financière en décembre 2010 (6), ainsi que les multiples initiatives des autorités para­gouvernementales telles que l’Autorité des marchés financiers au Québec (AMF) et des institutions financières, auxquelles s’ajoutent celles d’acteurs n’appartenant pas au secteur financier et demeurant indépendants du gouvernement.

Le Canada n’a pas

échappé au phénomène de littératie financière.

Dans la suite de nos propos, nous définirons la littératie financière en constatant la diversité qui caractérise cette notion dans les sources qui y font référence et en proposant un éclairage sur la charge sémantique presse 9171/07 (Presse 97), [8 mai 2007], Bruxelles) et le Parlement européen (PE, Résolution du Parlement européen du 18 novembre 2008 sur la protection des consommateurs : amélioration de l’éducation et de la sensibilisation des consommateurs en matière de finances et de crédit (2007/2288(INI)), P6_TA(2008)0539, [18 novembre 2008], Strasbourg) s’inscrivent en droite ligne en accordant une importance non négligeable à la littératie financière et en poussant les États membres à redoubler d’efforts pour mettre en place les recommandations de la Commission notamment en établissant une plateforme nationale de coopération des parties prenantes, en intégrant l’éducation financière dans le parcours scolaire des enfants et en adaptant les instruments en ce domaine aux sujets concernés. 4. A. Grifoni et F.-­A. Messy, « Current Status of National Strategies for Financial Education: A Comparative Analysis and Relevant Practices », in OECD Finance, Insurance and Private Pensions, Document de travail n° 16, 2012, p. 6. 5. ACFC, « Renforcer la littératie financière des aînés », juin 2014, en ligne www.fcac-­acfc.gc.ca/Fra/litteratieFinanciere/litteratieCanada/strategie/Documents/aines-­ litteratie-­financiere-­consult.pdf. 6. Task Force on Financial Literacy, « Canadians and Their Money: Building a brighter financial future – Report of Recommendations on Financial Literacy », décembre 2010.

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entourant cette expression. Ensuite, nous exposerons la position canadienne en matière de littératie financière en nous concentrant sur les initiatives fédérales et provinciales, et en démontrant le dynamisme qui caractérise actuellement l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC). Cette partie de notre étude sera l’occasion de détailler les stratégies en éducation financière publiées en 2014 et 2015. Par ailleurs, nous nous interrogerons sur le bien-­fondé et la légitimité d’une politique de protection des investisseurs (notamment lorsqu’il s’agit de personnes aînées) bâtie sur une philosophie de type littératie financière. Si la littératie financière doit faire face à ses propres contradictions, il n’en demeure pas moins qu’elle est l’un des instruments de protection des investisseurs. Enfin, quelques mots conclusifs termineront nos propos et mettront en lumière nos doutes sur la pertinence de transformer les investisseurs en « conso-­acteurs ».

I.  Retour sur la notion de littératie financière A.  Un puzzle sémantique L’analyse comparative menée par l’OCDE relativement aux stratégies nationales de littératie financière (7), ainsi que la mise en perspective des travaux émanant d’initiatives publiques ou privées couplées aux études théoriques et de terrain du même domaine (8), démontrent que le vocabulaire n’est pas unique et que la définition même de la littératie financière est sujette à de multiples propositions. Ces sources font référence à des notions aussi variées que : une forme spécifique de connaissance ; la capacité ou la compétence à utiliser cette connaissance ; la connaissance perçue ; le bon comportement financier ; l’habilité à communiquer sur des concepts financiers ; l’aptitude à gérer ses finances personnelles ; la capacité de faire des calculs ; la compréhension que les investisseurs ordinaires ont des principes de marché, de ses instruments, de son organisation et de sa régulation ; la confiance dans une planification efficace susceptible de répondre aux besoins futurs ; ou encore les expériences financières (9). Finalement, « [t]he term can encompass concepts ranging from financial awareness and knowledge, including of financial products, institu7. A. Grifoni et F.-­A. Messy, « Current Status of National Strategies for Financial Education: A Comparative Analysis and Relevant Practices », op. cit., p. 6. 8. Voy. l’étude suivante : A. Hung, A. M. Parker et J. Yoong, « Defining and Measuring Financial Literacy », RAND Document de travail WR-­708, 2009. 9. Présentant certaines de ces définitions et les travaux y étant attachés, voy. D. L. Remund, « Financial Literacy Explicated: The Case for a Clearer Definition in an Increasingly Complex Economy », J. Consumer Affairs, vol. 44:2 (2010), pp. 279 et s. 2016/2

tions, and concepts ; financial skills, such as the ability to calculate compound interest payments ; and financial capability more generally, in terms of money management and financial planning. In practice, however, these notions frequently overlap » (10). En 2005, l’OCDE s’était penchée sur la question de l’éducation financière et de la sensibilisation au travers de recommandations définissant des principes et des bonnes pratiques en ce domaine (11). L’éducation financière a été vue comme le processus par lequel des consommateurs et/ou des investisseurs : – améliorent leur connaissance des produits, concepts et risques financiers ; – acquièrent au moyen d’une information, d’un enseignement ou d’un conseil objectif, les compétences et la confiance nécessaires pour devenir plus sensibles aux risques et opportunités en matière financière ; font des choix raisonnés, en toute connaissance de cause ; savent où trouver une assistance financière ; et prennent d’autres initiatives efficaces pour améliorer leur bien-­être financier (12). La littératie financière est au final un concept large : « […] ability and confidence to effectively apply or use knowledge related to personal finance concepts and products » (13) (c’est-à-dire une capacité de définir des objectifs financiers, une aptitude à budgéter et à gérer les fonds de trésorerie du ménage, une compétence pour gérer les dettes, les économies et les investissements orientées autour d’un but commun). Ce but est que davantage de personnes puissent être capables de prendre des décisions susceptibles d’améliorer leur bien-­être financier (14). Faisant référence à l’idée de mesure qu’implique la notion même de littératie financière, la proposition de définition de la littératie financière faite par David L. Remund est sur ce point très pertinente : « A measure of the degree to which one understands key financial concepts and possesses the ability and confidence to manage personal finances through appropriate, short-­term decision-­making and sound, long-­range financial planning, while mindful of life events and changing economic conditions. » (15) 10. B. Zia et L. Xu, « Financial Literacy Around the World: An Overview of the Evidence with Practical Suggestions for the Way Forward », World Bank Policy Research Document de travail n° 6107, 2012, p. 2. 11. OECD, Recommendation on Principles and Good Practices for Financial Education and Awareness, 2005, en ligne www.oecd.org/daf/fin/financial-­education/35108560. pdf. 12. En ce sens, voy. le site de l’éducation financière, en ligne sur Wikipédia https://fr.wikipedia.org/ wiki/%C3%89ducation_financi%C3%A8re. 13. S. J. Huston, « Measuring Financial Literacy », J. Consumer Affairs, vol. 44:2 (2010), p. 307. 14. A. O’Connell, « Evaluating the Effectiveness of Financial Education Programmes », OECD J, vol. 3:17 (2009), p. 13. 15. D. L. Remund, « Financial Literacy Explicated: The Case for a Clearer Definition in an Increasingly Complex Economy », op. cit., p. 284.

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Chroniques

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IV. Régulation intersectorielle

B.  Approche canadienne Au Canada, a été constitué en 2009 par le ministre des Finances un Groupe de travail sur la littératie financière qui a fourni des avis et des recommandations sur une stratégie nationale visant à consolider la littératie financière des Canadiens. Le Groupe de travail s’est déplacé aux quatre coins du pays pour rencontrer les intervenants, écouter ce qu’ils avaient à dire sur la littératie financière et tirer des leçons de leur expérience. Le Groupe de travail a publié un rapport final (16) qu’il a présenté au ministre des Finances en 2011. Selon le rapport final issu des travaux de ce groupe, la littératie financière est le fait de disposer des connaissances, des compétences et de la confiance en soi nécessaires pour prendre des décisions financières responsables (17). Bien qu’elle s’inscrive dans le droit fil de ce qui se fait à l’heure actuelle, cette définition fait l’objet de sérieuses réserves, notamment sur son caractère trop vague (18).

Selon le rapport final issu

des travaux de ce groupe, la littératie financière est le fait de disposer des connaissances, des compétences et de la confiance en soi nécessaires pour prendre des décisions financières

responsables.

16. Groupe de travail sur la littératie financière, « Les Canadiens et leur argent : Pour bâtir un avenir financier plus prometteur », en ligne www.financialliteracyincanada. com/report/rapport-­tdm-­fra.html. 17. Voy. le site du Groupe de travail, www.financialliteracyincanada.com/definition_fr.html. 18. M. A. Waldron, « Unanswered Questions about Canada’s Financial Literacy Strategy: A Comment on the Report of the Federal Task Force », Can Bus LJ, vol. 51 (2011), p. 368. 110

II.  Initiatives canadiennes récentes en matière de littératie financière « La littératie financière est une priorité de notre gouvernement » avait déclaré l’ancien ministre canadien des Finances, l’honorable Kevin Sorenson (19). Une nouvelle stratégie a ainsi été adoptée en juin 2015. Cette stratégie veut inciter les gouvernements, l’industrie, le système d’éducation et l’ensemble des Canadiens à s’engager à promouvoir la littératie financière. Elle vise à accroître le bien-­être financier des Canadiens en leur donnant les moyens de gérer leur argent et leurs dettes judicieusement ; de planifier et épargner pour l’avenir ; et de prévenir la fraude et l’exploitation financière, et s’en protéger. Malgré la publication de cette stratégie, il a fallu toutefois attendre 2010 pour que le Canada produise un premier rapport sur l’état des lieux de l’éducation financière des Canadiens. Mais en réalité, c’est au début des années 2000 qu’il faut remonter pour trouver une accélération des initiatives fédérales en matière de littératie financière avec la création de l’Agence de la consommation en matière fnancière du Canada (ACFC). Au Canada, l’ACFC et de multiples initiatives provinciales d’autorités ou d’organisations privées (20) font avancer la littératie financière en plaçant les investisseurs au centre de la problématique.

A.  Échelon fédéral 1.  Dynamisme de l’ACFC Dès 2001, le Canada s’est doté de l’ACFC placée sous la tutelle du ministre des Finances. Ayant pour mission de protéger et d’éduquer les consommateurs de services financiers, cette agence a mis en place divers programmes pour améliorer la disponibilité, la clarté et l’accessibilité de l’information et s’est investie dans le domaine de la littératie financière comme l’atteste la gestion des travaux qu’elle a réalisés en 2009 dans le cadre du Groupe de travail sur la littératie financière du Canada pour conseiller une stratégie au ministre 19. ACFC, « Stratégie nationale pour la littératie financière – Compte sur moi, Canada », 2015, en ligne www.fcac-­ acfc.gc.ca/Fra/litteratieFinanciere/litteratieCanada/strategie/Documents/StrategieNationalePourlaLitteratieFinanciereCompteSurMoiCanada.pdf, p. 2. 20. Un des rapports remis au Groupe de travail pour moderniser le droit des valeurs mobilières au Canada a mis en lumière la multitude d’acteurs : C. Cakebread, « Investor Education in Canada: Towards A Better Framework », recherche préparée par le Task Force to Modernize Securities Legislation in Canada, 2 août 2006, p. 362. Parmi ces acteurs, figurent les institutions financières (par le biais notamment de l’Association des banquiers canadiens) et des organismes communautaires comme la Fondation canadienne d’éducation économique.

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des Finances, stratégie qui a été adoptée le 9 juin 2015. Reconnaissant la nécessité d’améliorer les connaissances financières et la prise de décision des consommateurs, le gouvernement du Canada avait élargi deux ans auparavant le mandat de l’ACFC pour y inclure officiellement la littératie financière.

Eu égard à ces initiatives fédérales touchant la littératie financière, les aînés ont été reconnus comme groupe prioritaire et ont été l’objet de la première étape vers l’élaboration d’une stratégie nationale destinée à l’ensemble des Canadiens.

L’ACFC développe ses activités au travers de plusieurs canaux :

2.  Préoccupation autour des aînés

– elle dirige et coordonne la mise en œuvre de la stratégie nationale en matière de littératie financière (21) ; – elle tient des conférences annuelles nationales sur la littératie financière ; – elle élabore des programmes et documents éducatifs pour aider les Canadiens à accroître leurs compétences et leurs connaissances dans le domaine de la gestion budgétaire et des finances personnelles (22) ; – elle développe des activités promotionnelles comme le Mois de littératie financière qui a lieu chaque année en novembre (23).

Les aînés ont été

reconnus comme groupe prioritaire et ont été l’objet de la première étape vers l’élaboration d’une stratégie nationale destinée à l’ensemble des

Canadiens.

21. ACFC, Plan stratégique 2014‑2019, en ligne www. fcac-­acfc.gc.ca/Fra/auSujet/planification/Documents/ strategicplan-­planstrategique-­fra.pdf, pp. 5 et s. Voy. aussi la rubrique « Message de la Commissaire : créer une dynamique », in ACFC, Rapport sur les plans et les priorités 2015‑2018, (2015), en ligne www.fcac-­acfc.gc.ca/ Fra/auSujet/planification/Documents/rpp2015‑2018. pdf, p. 1. 22. Voy. les programmes éducatifs sur le site de l’ACFC, www.fcac-­acfc.gc.ca/Fra/ressources/programmesEducatifs/Pages/home-­accueil.aspx. 23. À ces canaux d’intervention présentés ci-­dessous, il faudrait ajouter la base de données canadienne sur la littératie financière et le questionnaire d’autoévaluation qui ont mis à la disposition des Canadiens plus d’outils et de ressources sur le site Internet de l’ACFC. 2016/2

Les personnes aînées ne sont pas délaissées dans la perspective canadienne, à la différence d’un certain nombre de pays qui n’ont pas encore publié de stratégie nationale prenant en compte spécifiquement cette partie de la population (24). La littératie financière s’inscrit dans le cadre des mesures de prévention contre la maltraitance matérielle ou financière qui a fait l’objet au Québec de l’adoption en juin 2010 du Plan d’action gouvernemental contre la maltraitance envers les personnes aînées ayant pour objet de favoriser le bien-­être des personnes aînées à travers la création de moyens de prévention, de dépistage et d’intervention dans les situations de maltraitance à leur égard (25). L’une des premières étapes de la « Stratégie nationale pour la littératie financière – Compte sur moi, Canada » a donc été la publication d’une stratégie pour renforcer la littératie financière des aînés actuels et futurs (26). Cette stratégie adoptée en juin 2014 propose un plan directeur visant à accroître les connaissances, les compétences et la confiance dont les aînés ont besoin pour prendre des décisions financières responsables (27). La stratégie à l’intention des aînés établit quatre buts qui sont les suivants : – amener davantage de Canadiens à se préparer financièrement pour leur vie d’aînés (but 1) ; – donner aux aînés les moyens de planifier et de gérer leurs affaires financières (but 2) ;

24. Les pays européens qui ont une préoccupation vis-­à-­vis des aînés sont le Danemark, l’Allemagne et la Suède. Aux États-­ Unis, le Consumer Financial Protection Bureau et la Federal Deposit Insurance Corporation ont élaboré le programme « Money Smart for Older Adults – Prevent Financial Exploitation » qui comprend un guide du participant et un module de formation pour les instructeurs. Le gouvernement américain a également créé un site Internet sur le thème de la retraite. En Australie, le National Information Centre on Retirement Investments (organisme indépendant financé par le gouvernement national) offre des outils sur son site Internet pour aider les personnes à planifier leur retraite et à accéder à de l’information objective sur la retraite, les placements et la planification financière. 25. Gouvernement du Québec, ministère de la Famille et des Aînés, Plan d’action gouvernemental pour lutter contre la maltraitance envers les personnes aînées 2010‑2015, pp. 54 à 57. 26. ACFC, « Renforcer la littératie financière des aînés », juin 2014, en ligne www.fcac-­acfc.gc.ca/Fra/litteratieFinanciere/litteratieCanada/strategie/Documents/aines-­ litteratie-­financiere-­consult.pdf. 27. Ibid., p. 11.

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– mieux faire comprendre les prestations publiques pour les aînés et en améliorer l’accès (but 3) ; – offrir des outils supplémentaires pour lutter contre l’exploitation financière des aînés (but 4). Ainsi, la stratégie tente de répondre à un certain nombre de problèmes qui expliquent l’émergence de la littératie financière depuis une dizaine d’années (place du privé dans les retraites, recherche de décisions financièrement responsables) tout en se focalisant sur certaines difficultés propres aux personnes aînées (telles que les situations d’exploitation financière).

B.  Échelon provincial Sur le plan provincial, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a récemment adopté la stratégie québécoise en éducation financière (28). Son « Plan d’action 2015‑2018 » s’inspire des recommandations des membres du Comité consultatif en éducation financière et du Réseau québécois de l’éducation financière. Il propose des actions prioritaires pour l’exercice 2015‑2018 selon deux volets : le volet Concertation et le volet Santé financière.

C.  Logique commune À la suite de son survol des diverses initiatives en matière d’information et de formation, Caroline Cakebread conclut que les efforts en matière d’amélioration des compétences financières au Canada portent très majoritairement sur les investisseurs (29). Cette chercheuse a observé que l’information et la formation étaient considérées comme les éléments principaux en matière de protection des investisseurs (30) et qu’il existait un volume important de ressources mises à leur disposition par les organismes de réglementation et par divers autres organismes qui opéraient au niveau canadien (31). Ces ressources étaient d’ailleurs dédiées aussi bien à l’information qu’à la formation des investisseurs. En 2011, les professeurs Carpentier et Suret ont confirmé cette opinion sur la situation canadienne et relevé que : « Les ACVM ont financé quatre études davantage ciblées vers les investisseurs. La première, réalisée en 2006, [a été] intitulée “indice ACVM des investisseurs”. L’objectif [a été] de connaître la proportion des Canadiens faisant des placements, d’évaluer 28. AMF, « Stratégie québécoise en éducation financière », 2015. 29. C. Cakebread, « Investor Education in Canada: Towards A Better Framework », op. cit., p. 354. 30. Ibid., p. 366. 31. C. Cakebread, « Is Financial Education in Canada Working? – Research and Recommended best Practices for Evaluating Financial Education Programs », mai 2009, étude préparée pour l’ACFC. 112

leur niveau de compétence financière, d’évaluer leur connaissance en matière d’autorité en valeurs mobilières et en matière de fraude financière. Une mise à jour de cette étude [a été] rendue publique en 2009. Un autre travail, effectué en 2007, [a visé] à comprendre les conséquences sociales de la fraude financière, outre le préjudice financier subi. En 2008, la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-­Britannique [a effectué] […] des graduate outcomes survey auprès d’étudiants finissants du secondaire et auprès de futurs retraités pour comprendre leur comportement d’investissement. En 2010, les ACVM [ont rendu] publique une enquête portant sur la retraite et les placements. Par ailleurs, les commissions de valeurs mobilières ont développé de nombreux programmes et documents d’information […]. Au Québec, l’AMF a pris des mesures pour que la distribution de produits et services financiers soit plus aisément compréhensible par les investisseurs. Elle a notamment fait réaliser des études portant sur la clarté et la pertinence de l’information disponible au moment de la souscription des organismes de placement collectif et des fonds distincts. » (32)

Les efforts en matière

d’amélioration des compétences financières au Canada portent très majoritairement sur les

investisseurs.

III. Opportunité d’une politique de littératie financière La maltraitance envers les aînés (dont l’exploitation financière est une facette) a toujours existé. Les chercheurs Teaster et al. le rappellent en ces termes : « […] elders have been mistreated throughout history » (33). 32. C. Carpentier et J.-­M. Suret, « Connaissance financière et rationalité des investisseurs : une étude canadienne », 1er septembre 2011, p. 7. 33. P. B. Teaster, T. Wangmo et G. J. Anetzberger, « A Glass Half Full: The Dubious History of Elder Abuse Policy », Journal of Elder Abuse & Neglect, vol. 22:1‑2

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Cette observation ne justifie pas pour autant une inaction ou un silence coupable. Il faut aujourd’hui apporter une réponse, et ce, en raison de la conjonction de plusieurs facteurs : le vieillissement de la population des pays industrialisés, la richesse détenue par une partie des aînés et le déclin progressif de leurs capacités cognitives les rendant davantage vulnérables à des comportements frauduleux et plus difficilement au fait des évolutions des marchés et des produits. Au Canada, ce sujet a une grande actualité puisqu’un rapport de mars 2013 de la Fédération internationale du vieillissement a constaté une augmentation des cas d’exploitation financière de certaines catégories d’aînés (34). Or le développement de la littératie financière est une des stratégies (35) ayant pour objet de diminuer l’incidence de l’exploitation financière des aînés en les amenant à être mieux informés et mieux à même de connaître ce qu’est une telle exploitation, les facteurs de risques et les comportements à adopter pour éviter l’apparition d’une telle situation (36). Dans un rapport de 2013 préparé pour l’International Federation on Ageing, le Canadian Centre for Elder Law (37) avait déjà fait part de son intérêt pour la littératie financière au travers des recommandations émanant des groupes de travail qui avaient travaillé sur l’exploitation des aînés. Le choix d’une politique législative construite autour d’un renforcement de la littératie financière fait cependant l’objet de réserves auxquelles n’échappent pas les stratégies mises en place par l’ACFC et l’AMF (38).

(2010), p. 7 ; X., « Protecting older Americans: A history of Federal Action on Elder Abuse, Neglect, and Exploitation », Journal of Elder Abuse & Neglect, vol. 14:2‑3 (2002), p. 9. 34. Fédération internationale du vieillissement, « Financial Abuse of Seniors Meeting », rapport sommaire, 26 mars 2013. Pour une étude récente, voy. aussi M.-­H. Dufour, « Définitions et manifestations du phénomène de l’exploitation financière des personnes âgées », RGD, vol. 44:2 (2014), p. 235. 35. Sh. Reeves et J. Wysong, « Strategies to Adress Financial Abuse », Journal of Elder Abuse & Neglect, vol. 22:3 (2010), p. 329. 36. M. Beaulieu, R. Leboeuf et R. Crête, « La maltraitance matérielle ou financière des personnes aînées : un état des connaissances », in R. Crête et al. (dir.), L’exploitation financière des personnes aînées : prévention, résolution et sanction, Cowansville, éditions Yvon Blais, 2014, pp. 47 et s. 37. Canadian Centre for Elder Law, « Financial Abuse of Seniors: An Overview of Key Legal Issues and Concepts », étude primaire préparée pour la Fédération internationale du vieillissement, mars 2013, p. 14. 38. Pour une critique émise dans un des rapports commandés par le Groupe de travail sur la littératie financière, voy. J. Buckland, « Money Management on a Shoestring – A Critical Literature Review of Financial Literacy & Low-­income People », recherche préparée pour le Task Force on Financial Literacy, 9 février 2011. 2016/2

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IV.B. Intégrité du marché

Le choix d’une politique

législative construite autour d’un renforcement de la littératie financière fait cependant l’objet de réserves auxquelles n’échappent pas les stratégies mises en place par l’ACFC et l’AMF. A.  Quel rôle pour la réglementation ?

La littératie financière correspond à de la self regulation. Aussi, une des critiques les plus virulentes faites à l’encontre de la littératie financière est le choix de politique législative qu’elle sous-­entend, à savoir une vision libérale faisant peu de place à des réglementations contraignantes. Pourtant, la littératie financière ne saurait remplacer la régulation. Au Québec, dans les documents de sa stratégie d’éducation financière 2015‑2018, l’AMF note que l’éducation financière n’est pas la solution miracle aux carences observées dans la société québécoise : « Sans être le remède à tous les maux financiers, l’éducation financière constitue un complément important à l’encadrement des marchés et à la protection des consommateurs. Elle ne peut se substituer à une réglementation juste et efficace, mais peut être un facteur favorisant une plus grande participation des consommateurs dans les marchés financiers, et ce, aussi bien en termes d’inclusion socioéconomique que d’enrichissement de leur patrimoine financier » (39) (nous soulignons). La littératie et l’éducation financières peuvent compléter mais ne pourront jamais remplacer d’autres aspects d’une politique financière efficace, tels que la protection des consommateurs et la réglementation des institutions financières. Même informé, l’investisseur-­consommateur se trouve en position de 39. AMF, « Stratégie québécoise en éducation financière », op. cit., p. 8.

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faiblesse (40). En ce sens, l’OICV a souligné dans son rapport de 2014 que le rôle des régulateurs est central et que le besoin de régulation ne disparaît pas du fait de la littératie financière : « […] investor education and financial literacy programs will not completely eliminate the need for regulatory intervention in order to achieve desired outcomes for investors » (41).

L’éducation financière

n’est pas la solution miracle aux carences observées dans la société

québécoise.

Dans le plan directeur proposé pour renforcer la littératie financière des aînés au niveau fédéral, il est frappant de constater que peu de place est réservée au renforcement de la réglementation, si ce n’est le modeste encouragement fait aux conseillers financiers de se servir d’une information et de formulaires clairs, transparents et faciles à utiliser pour expliquer des sujets financiers aux aînés (42) ou la volonté de modifier la loi pour permettre au personnel des institutions financières de signaler les cas présumés d’exploitation financière (43). Le « Plan d’action économique de 2015 » (44) propose néanmoins de modifier la Loi sur les banques (45) afin de renforcer et de moderniser le cadre de protection des consommateurs de produits et services financiers du Canada (46). Dans cette optique, il est prévu d’élargir les exigences générales selon lesquelles les institutions 40. R. Crête, M. Lacoursière et C. Duclos, « La rationalité du particularisme juridique des rapports de confiance dans les services de placement », in Courtiers et conseillers financiers : encadrement des services de placement, Cowansville, éditions Yvon Blais, 2011, pp. 235 et s. 41. IOSCO, « Strategic Framework for Investor Education and Financial Literacy », op. cit., pp. 6 et s. 42. ACFC, « Renforcer la littératie financière des aînés », juin 2014, en ligne www.fcac-­acfc.gc.ca/Fra/litteratieFinanciere/litteratieCanada/strategie/Documents/aines-­ litteratie-­financiere-­consult.pdf, p. 14. 43. Ibid., p. 17. 44. Ministère des Finances du Canada, « Plan d’action 2015 – Un leadership fort : un budget équilibré et un plan axé sur des impôts bas pour favoriser l’emploi, la croissance et la sécurité », Ottawa, 21 avril 2015. 45. Loi sur les banques, LC 1991 c 46. 46. Ministère des Finances du Canada, « Plan d’action 2015 – Un leadership fort : un budget équilibré et un plan axé sur des impôts bas pour favoriser l’emploi, la croissance et la sécurité », op. cit., pp. 276 et s. 114

financières doivent divulguer l’information dans un langage simple et clair et accroître l’utilisation d’encadrés informatifs dans les documents d’information portant sur les produits et services financiers et, parallèlement, augmenter le nombre d’interdictions de certaines pratiques commerciales, y compris les situations de vente agressive, et des périodes de réflexion plus longues pour un plus grand éventail de produits.

B.  Place des avis et des conseils La littératie financière est une nécessité pour permettre aux consommateurs de négocier en toute connaissance de cause avec leurs conseillers commerciaux. Mais encore faut-­il veiller à la qualification des conseillers financiers, ainsi qu’à leur mode de rémunération, sans quoi un biais fort les incite à vendre des produits financiers sans se soucier suffisamment de la pertinence, pour le client comme pour l’institution bancaire, d’un montage financier. L’importance du lien de confiance dans la relation entre les clients et les prestataires de services financiers (47) place les clients dans une situation de dépendance et de vulnérabilité (48). En d’autres mots, cette situation laisse la place à un risque d’opportunisme (49). Pour éviter cet écueil et répondre à ce risque, les réglementations ne devraient pas négliger un renforcement des obligations d’information et de conseil des intermédiaires de marché à l’égard des investisseurs-­ consommateurs (50). Plusieurs auteurs insistent sur l’importance qui doit être donnée à l’information et au conseil et dénoncent la focalisation sur la seule littératie financière (51). Au Canada, cette importance accor47. M. Naccarato, « La juridicité de la confiance dans le contexte des services de conseils financiers et de gestion de portefeuille », in Courtiers et conseillers financiers : encadrement des services de placement, op. cit., pp. 190 et s. 48. R. Crête, M. Lacoursière et C. Duclos, « La rationalité du particularisme juridique des rapports de confiance dans les services de placement », op. cit., pp. 235 et s. 49. Ibid., pp. 241 et s. 50. Pour un exposé des obligations pesant sur les intermédiaires, voy. S. Bonfils, Le droit des obligations dans l’intermédiation financière, Paris, LGDJ, 2005. 51. R. J. Shiller, Finance and the Good Society, Princeton et Oxford, Princeton University Press, 2012, p. 84 ; M. A. Waldron, « Unanswered Questions about Canada’s Financial Literacy Strategy: A Comment on the Report of the Federal Task Force », op. cit., p. 377 ; L. E. Willis, « Evidence and Ideology in Assessing the Effectiveness of Financial Literacy Education », San Diego L. Rev., vol. 46 (2009), p. 432 ; J. Kozup et J. M. Hogarth, « Financial Literacy, Public Policy and Consumers’ Self-­Protection – More Questions, Fewer Answers, Editorial Prelude », J Consumer Affairs, vol. 42:2 (2008), pp. 132 et s. ; L. Parrish et L. Servon, « Policy Options to Improve Financial Education: Equipping Families for their Financial Futurues », Washington (DC), Asset Building Program,

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dée aux conseils et aux avis a été soulignée dans une enquête de l’Ontario Securities Commission auprès de 1 500 personnes âgées de plus de 50 ans. Cette enquête réalisée en 2015 révèle que 90 % des répondants estiment qu’un conseil financier est utile lorsqu’approche le temps de la retraite (52). À nouveau, le plan proposé pour renforcer la littératie financière des aînés se montre peu disert sur le sujet de l’information ou du conseil qui relève des devoirs des conseillers financiers ou des institutions financières lato sensu. Ce silence est à contraster avec ce qui avait été exprimé par les répondants à propos des méthodes à privilégier pour améliorer la littératie financière chez les aînés, puisqu’il était suggéré de fournir de meilleurs conseils au sujet de la procuration (53) et des conseils financiers personnels impartiaux aux étapes importantes de la vie (54). Quant au « Plan d’action économique de 2015 » (55), il n’évoque rien en ce domaine malgré sa volonté affichée de « Protéger les consommateurs et renforcer le secteur financier du Canada ».

C. Limites inhérentes à la littératie financière Une critique supplémentaire tient dans la contestation de la logique sur laquelle repose la littératie financière voulant que la détention de capacités et du savoir nécessaires pour une bonne gestion financière entraînerait des décisions rationnelles (56). Toutefois, cette logique se heurte à des obstacles que la théorie économique comportementale a mis en lumière (57). Dans les docuNew America Foundation, juin 2006 ; G. Amromin, I. Ben-­David, S. Agarwal, S. Chomsisengphet et D. D. Evanoff, « Financial Literacy and The Effectiveness of Financial Education and Counseling: A Review of the Literature », document non daté, en ligne www. google.ca/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&c d=5&cad=rja&uact=8&ved=0CD8QFjAEahUKEwiVve PP3qbIAhXJHT4KHe0YDyM&url=https%3A%2F%2F www.chicagofed.org%2F~%2Fmedia%2Fothers%2Freg ion%2Fforeclosure-­resource-­center%2Fmore-­financial-­ literacy-­pdf.pdf&usg=AFQjCNElpl3PKJ6gsDcBnXmM bHh9__j5aw&bvm=bv.104317490, d.cWw, p. 27. 52. Ontario Securities Commission, Investor Education, « How? When? What’s my plan? Retirement Ramp­Up  », juin 2015. 53. Le Conseil stratégique, « Recherche sur l’opinion publique pour renforcer la littératie financière chez les aînés – Rapport final », préparé pour l’ACFC, 25 juin 2014, p. 45. 54. Ibid., p. 49. 55. Ministère des Finances du Canada, « Plan d’action 2015 – Un leadership fort : un budget équilibré et un plan axé sur des impôts bas pour favoriser l’emploi, la croissance et la Sécurité », op. cit., pp. 276 et s. 56. M. Altman, « Behavioural Economics Perspectives, Implications for Policy and Financial Literacy », 1er décembre 2011, p. 4. 57. L. E. Willis, « Evidence and Ideology in Assessing the Effectiveness of Financial Literacy Education », 2016/2

ments de sa stratégie d’éducation financière 2015‑2018, l’AMF souligne qu’un « […] consommateur, même doté d’un haut niveau de connaissances financières, est soumis à l’appel de l’offre abondante de crédit et de produits et services financiers et de l’irrationalité dans ses choix et ses comportements » (58) (nous soulignons). En premier lieu, l’évolution rapide des marchés et des produits financiers conduit à rendre les informations diffusées au travers des politiques de littératie financière très vite obsolètes et incomplètes (59). En deuxième lieu, la rationalité à la base des comportements financiers dont font preuve les investisseurs n’est pas toujours présente comme l’établissent des recherches alliant connaissances en psychologie et en théorie financière (behavioral finance) (60). Contrairement à ce que soutient cette théorie (61), l’hypothèse de rationalité servant à définir les individus est illusoire (62), à l’instar de ce qu’a relevé le compte rendu de la conférence ACFC-­OCDE sur la littératie financière en 2011 (63). En troisième lieu, l’existence de biais et d’erreurs exacerbés par le vieillissement dans la prise de décision ne doit pas être négligée (64). Ces biais sont des préjugés

op. cit., p. 415 ; L. E. Willis, « Against Financial Literacy Education », Iowa L. Rev., vol. 94:1 (2008), p. 197 ; D. de Meza, B. Irlenbusch et D. Reyniers, « Financial Capability: A Behavioral Economics Perspective – Consumer Research Report No. 69 », Financial Services Authority, juillet 2008 ; T. Williams, « Empowerment of Whom and for What? Financial Literacy Education and the New Regulation of Consumer Financial Services », Law & Policy, vol. 29:2 (2007), p. 226. 58. AMF, « Stratégie québécoise en éducation financière », op. cit., p. 8. 59. L. E. Willis, « Evidence and Ideology in Assessing the Effectiveness of Financial Literacy Education », op. cit., p. 430 ; L. E. Willis, « Against Financial Literacy Education », op. cit., p. 217 ; Financial Literacy and Education Commission, « The National Strategy for Financial Literacy: Taking Ownership of the Future », 2006, p. vii. 60. Pour une revue de littérature de ces recherches, voy. IOSCO, « Strategic Framework for Investor Education and Financial Literacy », op. cit., pp. 27 et s. (annexe 3). Pour un article fondateur, voy. H. A. Simon, « A Behavioral Model of Rational Choice », The Quarterly Journal of Economics, vol. 69:1 (février 1955), p. 99. 61. I. Omisore, M. Yusuf et N. Christopher, « The Modern Portfolio Theory as an Investment Decision Tool », Journal of Accounting and Taxation, vol. 4:2 (2012), p. 19. 62. Au sein d’une riche littérature, voy. H. A. Simon, « Rationality as a Process and as a Product of Thought », American Economic Review, vol. 70 (1978), p. 1 et la bibliographie citée par E. MacKaay et S. Rousseau, L’Analyse économique du droit, Montréal, Thémis, 2008, pp. 29 et s., par. 106 et s. 63. ACFC, « L’avenir de l’éducation financière », compte rendu de la Conférence ACFC-­OCDE sur la littératie financière 2011, pp. 31 et s. 64. M. A. Waldron, « Unanswered Questions about Canada’s Financial Literacy Strategy: A Comment on the Report of the Federal Task Force », op. cit., p. 366.

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IV. Régulation intersectorielle

et des éléments psychologiques qui heurtent la prise de décision et qui induisent les individus en erreur (65). Dans le rapport de l’ACFC « Collaborer pour améliorer la littératie financière » (66), Josh Wright indique que : « Nous sommes tous contents d’avoir des choix, mais souvent nous n’aimons pas choisir. Plus nous avons de choix et plus nous avons de la difficulté à prendre des décisions, et alors nous les reportons ou nous ne prenons pas de décisions ou nous prenons de mauvaises décisions » (nous soulignons). Dans son rapport de 2015, l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) a insisté sur le fait que fournir des informations n’était pas la meilleure voie pour influencer les attitudes et le comportement de l’investisseur et qu’il convenait de recourir à des outils de prise de décisions innovants (67).

Conclusion La littératie financière est un instrument de régulation et un choix politique qui est porteur de belles perspectives (68), encore plus lorsqu’il est couplé avec d’autres instruments tels que le plain language (69). En 65. L. E. Willis, « Against Financial Literacy Education », op. cit., pp. 226 et s. (et les nombreuses références citées par cet auteur). Voy. les travaux fondateurs suivants : A. Tversky et D. Kahneman, « The Framing of Decisions and the Psychology of Choice », Science, vol. 211:4481n (30 janvier 1981), p. 453 ; A. Tversky et D. Kahneman, « Judgment under Uncertainty: Heuristics and Biases », Science – New Series, vol. 185:4157 (1974), p. 1124. Voy. également la présentation de ces biais par l’OICV à l’annexe 2 dans IOSCO, « Strategic Framework for Investor Education and Financial Literacy », op. cit., pp. 22 et s. 66. ACFC, « Collaborer pour améliorer la littératie financière : Faits saillants de la conférence nationale sur la littératie financière de 2014 », p. 10. 67. IOSCO, « Sound Practices for Investment Risk Education », septembre 2015, p. 48. 68. B. Marx, P. Micoleau-­Marcel et G. Sarlat, « Promouvoir l’éducation financière du public », Revue d’économie financière, vol. 98/99 (août 2010), p. 249 ; A. Petitjean, « L’éducation économique et financière : une question d’intérêt général qui doit dépasser l’approche partisane, consumériste ou mercantile », Revue d’économie financière, vol. 98/99 (août 2010), p. 165. 69. Committee of European Securities Regulators (CESR), CESR’s guide to clear language and layout for the Key Investor Information document, Paris, CESR/10‑1320, 20 décembre 2010 ; US Securities and Exchange Commission (SEC), A Plain English Handbook – How to create clear SEC disclosure documents, Washington DC, août 1998. Faisant l’objet d’un grand intérêt depuis quelques années au Canada, aux États-­Unis et en Europe, le langage simple poursuit deux objectifs : écrire de telle manière que le public ne soit pas éloigné par le vocabulaire peu familier et pompeux et la construction complexe et partager l’information complexe de manière claire. 116

apportant des connaissances et en dotant les individus d’une compréhension plus grande du fonctionnement des marchés et des produits commercialisés, la littératie financière contribue à la prise de décisions financières plus responsables. Malgré les critiques qui l’entourent (son efficacité discutée, sa logique intrinsèque contestable, son contenu incertain), la littératie financière ne doit pas être négligée et les recherches en cette matière doivent être intensifiées pour l’améliorer, ainsi que le rôle en ce domaine de l’État et des organisations gouvernementales et paragouvernementales qui demeure crucial. La littératie financière produit des résultats et constitue un moyen d’encadrer les marchés en évitant que les consommateurs se trouvent piégés par des produits financiers qu’ils ne comprennent pas. Mais la littératie financière va plus loin comme l’a parfaitement mis en lumière l’AMF française : la bonne compréhension du système économique et financier par les épargnants et les investisseurs constitue un enjeu stratégique majeur pour restaurer leur confiance à long terme dans les marchés financiers (70).

Malgré les critiques qui

l’entourent (son efficacité discutée, sa logique intrinsèque contestable, son contenu incertain), la littératie financière ne doit pas être négligée.

Cette attraction pour la littératie financière ne doit pas occulter plusieurs critiques. Parmi celles-­ci, figure le fait que la littératie financière est porteuse d’un risque : le risque d’occulter le rapport de confiance entre un intermédiaire et son client que les tribunaux canadiens ont consacré (71). En effet, au Québec et au Canada, un auteur a récemment établi que, dans le domaine des services financiers, un fil conducteur émerge qui se manifeste par une intensification des obligations imposées aux intermédiaires financiers 70. AMF, « La commercialisation des produits financiers : les nouvelles relations avec la clientèle », Revue mensuelle de l’AMF, vol. 31 (décembre 2006), p. 35. 71. R. Crête, « Les manifestations du particularisme juridique des rapports de confiance dans les services de placement », in Courtiers et conseillers financiers : encadrement des services de placement, op. cit., p. 321.

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et par une diminution corrélative des obligations des consommateurs(72). Dans l’affaire canadienne Laflamme, la Cour suprême a reconnu que l’esprit de confiance se reflétait dans l’intensité des obligations qui incombaient au gestionnaire, laquelle était d’autant plus forte que le mandant était vulnérable, profane, dépendant du mandataire et que le mandat était important. « Ainsi, les exigences de loyauté, fidélité et diligence du gestionnaire à l’égard de son client [sont] d’autant plus sévères. »(73) Démontrant la diminution des obligations du client, le juge Jean-­Pierre Senécal a écrit dans l’affaire Markanian que : « […] l’existence d’un tel lien de confiance n’est pas sans impliquer une diminution corrélative, protégée par le droit, de la vigilance qui est attendue du client »(74). Il faut donc être prudent sur la littératie financière. Cette orientation doit venir hausser la protection des investisseurs (notamment lorsqu’ils sont des aînés) mais elle ne doit à aucun prix remettre en cause le particularisme juridique des rapports de confiance qui existent dans les services de placement.

Chroniques

IV.B. Intégrité du marché

Il faut donc être

prudent sur la littératie financière. Cette orientation doit venir hausser la protection des investisseurs (notamment lorsqu’ils sont des aînés) mais elle ne doit à aucun prix remettre en cause le particularisme juridique des rapports de confiance

72. Ibid., p. 279. 73. Laflamme c. Prudential-­Bache Commodities Canada Ltd., 2000 CSC 26, [2001] 1 R.C.S. 638, para. 28. 74. Markarian c. Marchés mondiaux CIBC inc., 2006 QCCS 3314, para. 492, [2006] J.Q. n° 5467, [2006] R.J.Q. 2851.

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qui existent dans les services de placement.

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V. Fiscalité des services financiers Chronique sous la direction de Régis Vabres

Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne Franche Comté CREDIMI – UMR 6295 CNRS

&

Georges Cavalier Maître de conférences HDR à l’Université de Lyon III

Avec la contribution de

Sabrina Le Normand-­Caillere

Maître de conférences à l’Université d’Orléans Co-­directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité

La Cour de justice de l’Union européenne est parfois impuissante face à l’absence d’harmonisation en matière fiscale. Dans une récente décision, elle a décidé qu’une succursale d’une banque allemande, établie en Autriche, était tenue de respecter la législation fiscale de son État d’origine, même s’il est en contradiction avec l’État membre d’accueil. Le pouvoir créateur de la Cour est plus tangible en matière de TVA où elle confirme sa jurisprudence en matière d’opérations d’assurance. Enfin, la 13e édition du rapport Doing Business publié en 2016 montre que la France est parvenue à baisser le taux moyen d’imposition pesant sur les entreprises grâce au crédit d’impôt pour l’emploi et la compétitivité.

Sometimes the Court of Justice of the European Union (ECJ) is powerless against the lack of tax harmonization. Recently, the Court decided that a German credit institution which has opened a branch in Austria must comply the legislation of the Member State of origin, even if it conflicts with the law of the host Member State. The creative role of the ECJ is more obvious in relation to VAT in which the concept of insurance has been the subject of a constant settled case-­law. Finally, the 13th edition of the Doing Business report (2016) shows that the corporate taxation on profits is lower than last year in France due to the tax credit to boost competitiveness and employment (“CICE”).

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

V.A. Fiscalité directe Liberté d’établissement, secret bancaire et efficacité du contrôle fiscal : une articulation délicate Note sous C.J.U.E., 14 avril 2016, Sparkasse Allgäu, aff. C-­522/14

Régis Vabres

Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne Franche Comté CREDIMI – UMR 6295 CNRS

La liberté d’établissement

ne garantit pas des réglementations fiscales

équivalentes.

Dans le secteur bancaire, l’exercice de la liberté d’établissement est garanti par l’article 49 TFUE mais également par les dispositions de la directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil qui constitue le texte pilier en ce domaine. Précisément, l’article 16 de la directive prévoit que les États membres d’accueil ne peuvent exiger un agrément ou un capital de dotation pour les succursales d’établissement de crédit agréées dans d’autres États membres. En d’autres termes, l’établissement de crédit agréé dans un État peut créer librement une succursale dans un autre État membre, sans que ce dernier n’ait le pouvoir de subordonner cette création à une quelconque autorisation. L’État membre d’accueil dispose néanmoins du pouvoir d’imposer aux succursales certaines conditions d’activités, pour des raisons d’intérêt général. Cette exception dite d’intérêt général a toujours été une source d’interrogations car elle est susceptible d’engendrer une restriction à la liberté d’établissement. En outre et surtout, cette exception met en exergue la situation pour le moins complexe des succursales établies dans un autre État membre que celui du siège de l’établissement bancaire. Dénuée de la personnalité morale, les succursales sont nécessairement soumises à la législation de l’État membre d’origine qui s’applique à l’établissement de crédit agréé en tant que tel. Mais elles sont également tenues de respecter les dispositions applicables dans l’État membre d’accueil et qui poursuivent un but 120

d’intérêt général. L’application cumulative de deux systèmes juridiques différents peut conduire à une véritable impasse lorsque les obligations découlant d’un système contredisent celles imposées en vertu d’un autre. L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (C.J.U.E.) le 14 avril dernier illustre toutes les difficultés en la matière. En l’espèce, la banque allemande Sparkasse Allgaü a créé une succursale en Autriche. Conformément à la législation adoptée en Allemagne, l’autorité fiscale compétente a demandé à la banque Sparkasse Allgaü des informations concernant les clients de sa succursale autrichienne. En particulier, l’autorité souhaitait connaître les actifs détenus par des clients résidant en Allemagne et cela, afin d’opérer un contrôle sur les droits de succession et de donation dus en raison du décès des personnes concernées. Cette demande d’informations, relativement classique dans le cadre d’un contrôle fiscal, s’est heurtée à un refus de la banque interrogée. Celle-­ci a fait valoir que la législation autrichienne sur le secret bancaire, passible de sanctions pénales, s’opposait à la communication de telles informations. S’en est suivi un contentieux qui a conduit la juridiction nationale à poser une question préjudicielle à la C.J.U.E. En l’occurrence, la Cour est interrogée sur le point de savoir si une législation nationale imposant aux établissements de crédit ayant leur siège social dans cet État membre de déclarer aux autorités nationales les actifs déposés ou gérés auprès de leurs succursales établies dans un autre État membre, en cas de décès du propriétaire de ces actifs résidant dans le premier État membre, est conforme à la liberté d’établissement lorsque le second État membre ne prévoit pas d’obligation de déclaration comparable et que les établissements de crédit y sont soumis à un secret bancaire protégé par des sanctions pénales. En substance, la juridiction de renvoi se demande si l’obligation imposée aux établissements de crédit n’a pas pour effet de les dissuader d’exercer par l’intermédiaire d’une succursale en Autriche. Menant un raisonnement quelque peu différent de l’avocat général, la C.J.U.E. décide que l’article 49 TFUE ne s’oppose pas à une telle législation. Mieux, la Cour considère que la législation allemande en cause n’établit aucune restriction à la liberté d’établissement et qu’au regard des dispositions applicables à l’espèce, les États membres étaient libres d’établir des obliga-

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tions permettant d’assurer l’efficacité de leurs contrôles fiscaux. Au moment où la Commission européenne annonce un paquet fiscal comportant une série de mesures visant notamment à renforcer les obligations de transparence pesant sur les entreprises, tout en étant à l’origine de la directive sur le secret des affaires, l’arrêt commenté invite à réfléchir sur la délicate articulation entre la liberté d’établissement, le secret bancaire et les mesures de police fiscale. Non sans un certain paradoxe, le contenu de cet arrêt tend à démontrer une absence totale d’articulation des dispositions nationales (I) et la nécessité de mettre en place celle-­ci au niveau européen (II).

I. L’absence d’articulation des dispositions nationales L’arrêt commenté permet de mettre en évidence la spécificité de l’activité bancaire. Dans la mesure où il s’agit d’une activité réglementée, pour ne pas dire sur-­réglementée, il est important de comprendre que la succursale est un mode privilégié d’implantation d’une activité dans un autre État membre, notamment parce que la création d’une filiale implique de respecter l’ensemble de la réglementation locale mais également d’obtenir un agrément spécifique pour celle-­ci, ce qui engendre nécessairement un coût de conformité beaucoup plus élevé que la création d’une succursale. Néanmoins, en privilégiant l’implantation de succursales, les établissements de crédit opérant une activité hors de l’État membre d’origine sont tenus de mettre en œuvre la réglementation de cet État, lorsque son champ d’application s’étend aux succursales étrangères, mais également de se conformer aux règles de l’État membre d’accueil, notamment ce qui concerne la commercialisation de services bancaires. Ce cumul de règles à appliquer, à l’image de l’arrêt commenté, provoque lui aussi des coûts de conformité non négligeables, au point que l’on peut se demander si cela ne constitue pas un frein à la liberté d’établissement. L’un des enjeux de l’arrêt commenté se situe précisément ici. N’y a t-­il pas une atteinte à la liberté d’établissement lorsque le législateur allemand impose à toutes les succursales des établissements de crédit allemands une obligation déclarative à des fins fiscales ? On pourrait légitimement le penser dans la mesure où les succursales des banques allemandes installées en Autriche se trouvent ainsi soumises à une obligation qui ne pèse pas sur les établissements de crédit autrichiens. La loi allemande, plus stricte que la loi autrichienne, constitue finalement une contrainte pour les entreprises relevant de sa juridiction et les place dans une situation défavorable vis-­à-­vis de la concurrence des entreprises autrichiennes. Sauf qu’il n’est pas certain que le secret bancaire soit toujours (!) un argu2016/2

ment commercial de premier choix. En outre et surtout, si la législation allemande devait être écartée en raison d’une législation autrichienne non compatible, la liberté d’établissement conduirait à un nivellement par le bas. En effet, s’il fallait écarter toutes les dispositions nationales qui n’auraient pas d’équivalent dans l’État membre d’accueil, cela conduirait à favoriser les États ayant les politiques les plus laxistes, sans compter que cela conduirait à créer une discrimination entre les succursales bancaires établies dans un État où la législation est équivalente à l’État membre d’origine et celles établies dans un État plus clément. Fort logiquement, la C.J.U.E. rappelle dans sa décision que « le seul fait qu’une obligation de déclaration, telle que celle en cause au principal, ne soit pas prévue par le droit autrichien ne saurait conduire à exclure que la République fédérale d’Allemagne puisse établir une telle obligation. Il ressort, en effet, de la jurisprudence de la Cour que la liberté d’établissement ne saurait être comprise en ce sens qu’un État membre soit obligé d’établir ses règles fiscales et, en particulier, une obligation de déclaration telle que celle en cause au principal, en fonction de celles d’un autre État membre, afin de garantir, dans toutes les situations, que toute disparité découlant des réglementations nationales soit effacée » (1). Au fond, le juge n’impose aucunement aux États membres que leurs réglementations fiscales soient similaires lorsqu’aucun texte européen ne leur impose directement. La liberté d’établissement protège les entreprises contre les restrictions injustifiées et les mesures discriminatoires. Elle ne leur garantit des réglementations fiscales équivalentes. Dans un cadre non harmonisé, les divergences nationales sont inévitables. Trois remarques supplémentaires peuvent être formulées. En premier lieu, la Cour prend soin de préciser dans son arrêt que les mesures en cause ne portent pas atteinte à la liberté d’établissement parce qu’elles s’appliquent sans distinction à toutes les succursales. Il va de soi que si la mesure était seulement imposée aux succursales établies à l’étranger, elle aurait par nature un caractère discriminatoire. En deuxième lieu, l’obligation instaurée par la législation allemande est de nature déclarative. Il s’agit donc d’une formalité peu contraignante par rapport à une autorisation préalable. En troisième et dernier lieu, même si la Cour ne l’exprime pas clairement, sa décision conduit à ce que la succursale en cause encourt potentiellement des sanctions pénales pour non-­respect du secret bancaire en vertu du droit autrichien. La conséquence concrète de l’arrêt est sans appel : la succursale est soumise aux deux législations. C’est un risque classique en cas d’activité économique réalisée à l’étranger. C’est un risque qui est amené à se réduire au regard des changements opérés depuis l’époque des faits. 1.

Voy. déjà C.J.C.E., 6 décembre 2007, Colombus Container Services, aff. C-­298/05, ECLI:EU:C:2007:754, R.J.C., 2008/2, p. 131, obs. A. Raynouard.

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Chroniques

V.A. Fiscalité directe


Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

II. La nécessaire articulation au niveau européen Dans l’arrêt commenté, la C.J.U.E. précise qu’ « en l’état du droit de l’Union à la date des faits en cause dans l’affaire au principal et en l’absence de toute mesure d’harmonisation en matière d’échange d’informations pour les besoins des contrôles fiscaux, les États membres étaient libres d’imposer aux établissements de crédit nationaux une obligation telle que celle en cause au principal, en ce qui concerne leurs succursales opérant à l’étranger, visant à assurer l’efficacité des contrôles fiscaux ». En d’autres termes, à l’époque des faits, chaque État était libre de fixer les règles qu’il jugeait nécessaire pour assurer l’efficacité de ses contrôles fiscaux. Une telle liberté laissée aux États ne pouvait conduire qu’à des solutions peu satisfaisantes, à l’image de l’arrêt commenté. Une articulation était donc nécessaire, soit par la voie de conventions internationales, soit par la voie du droit de l’Union européenne. Justement, depuis l’époque des faits, le cadre juridique a quelque peu évolué. En particulier, la directive 2011/16 du 15 février 2011 relative à l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal a profondément remanié la coopération administrative en matière fiscale (2). En particulier, l’article 18, alinéa 1, de cette directive prévoit que « si des informations sont demandées par un État membre conformément à la présente directive, l’État membre requis met en œuvre son dispositif de collecte de renseignements afin d’obtenir les informations demandées, même si ces dernières ne lui sont pas nécessaires pour ses propres besoins fiscaux ». Mieux, la combinaison des articles 17, § 4, et 18, § 2, conduit à ce que le refus de transmission des informations par un État ne peut être fondé sur le fait que « ces informations sont détenues par une banque ». Autrement dit, à rebours de la solution retenue dans l’arrêt commenté, faute de cadre juridique le prévoyant à l’époque, il ressort assez nettement de la directive 2011/16 que le secret bancaire ne peut plus 2. H. Hamadi, « Le renouvellement de l’assistance administrative en matière fiscale au sein de l’Union européenne », Cahiers de droit de l’entreprise, n° 2, mars 2011, dossier 11.

122

être opposé par l’autorité d’un État en cas de demande d’informations formulée par un autre État. Une version révisée de la directive a été adoptée en 2014 (3). Cette évolution va plus loin encore et prévoit cette fois un échange automatique des informations, abandonnant ainsi dans certaines hypothèses la nécessité pour l’autorité fiscale d’un État de formuler une demande préalable pour obtenir des renseignements. Cet échange a été étendu en 2015 aux décisions prises en matière de prix de transfert (4). Ce faisant, l’objectif de cette réforme est de mettre en place une véritable circulation des informations fiscales en Europe entre les autorités compétentes, rejoignant en cela la démarche suivie dans le cadre de l’OCDE (5). Finalement, l’instauration et le renforcement de la coopération administrative en Europe montre, à l’image de l’arrêt commenté, que l’efficacité du contrôle fiscal est devenue un objectif prioritaire pour les institutions européennes. En faisant prévaloir celui-­ci sur la liberté d’établissement, la C.J.U.E. n’a fait que s’associer à un puissant mouvement de fond en Europe, la directive sur le secret des affaires étant quelque peu un OVNI au milieu de la multiplication des obligations de transparence (6). 3.

4.

5.

6.

Directive 2014/107/UE du Conseil du 9 décembre 2014 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal, J.O.U.E., n° L359 du 16 décembre 2014, p. 1 ; T. Granier et A. Cadet, « Échange d’informations et contrôle des comptes financiers : attention aux nouvelles règles », Option Finance, 8 février 2016, p. 20. Directive (UE) 2015/2376 du Conseil du 8 décembre 2015 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal, J.O.U.E., n° L332 du 18 décembre 2015. Accord multilatéral sur l’échange automatique d’informations relatives aux comptes financiers, accord fondé sur l’article 6 de la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Voy. le site www.oecd.org. Directive sur la protection des savoir-­faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, non encore publiée ; R. Vabres, Quelle articulation avec les exigences comptables, fiscales et financières ?, Colloque Le secret des affaires, Sénat, avril 2016, à paraître.

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Chroniques

V.B. Fiscalité indirecte (taxe sur la valeur ajoutée)

V.B. Fiscalité indirecte (taxe sur la valeur ajoutée) La notion d’assurance appliquée aux prestations de services de règlements des sinistres réalisées au nom et pour le compte d’un assureur Commentaire de la décision de la C.J.U.E., 17 mars 2016, Aspiro SA, Aff. C-­40/15

Sabrina Le Normand-­Caillere Maître de conférences à l’Université d’Orléans Co-­directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité

Les nombreuses exonérations de TVA prévues par la directive génèrent toujours un contentieux abondant en raison de l’interprétation des termes utilisés pour délimiter les activités exonérées. L’exonération prévue en matière d’assurance illustre cette difficulté. Lors d’une décision du 16 juillet 2015 (1), la Cour de justice de l’Union européenne avait d’ores et déjà précisé la notion d’opération d’assurance exonérée de TVA au sens de la sixième directive. Avec cet arrêt du 17 mars 2016, la Cour affine sa jurisprudence en matière de prestations de services de règlements des sinistres fournis au nom et pour le compte d’un assureur. Assujettie à la TVA, une société polonaise a fourni, au nom et pour le compte d’une entreprise d’assurance, l’ensemble des services relatifs aux règlements des sinistres. Plus précisément, la société a réceptionné les déclarations de sinistres et a réalisé des recherches à cet effet. Elle a ainsi pris contact avec l’assuré, avec lequel elle n’a entretenu aucune relation contractuelle et établi, le cas échéant, des rapports d’expertise et les procès-­verbaux de sinistre. Après examen des pièces, elle a en outre effectué le traitement du dommage et statué sur les demandes. La société polonaise était également en charge des procédures récursoires et des plaintes dirigées contre le traitement du dommage, tout en réalisant diverses autres tâches administratives et techniques se rattachant à ces dernières 1.

C.J.U.E. (5e ch.), 16 juillet 2015, DGFiP c. Mapfre asistencia compania internacional de seguros y reaseguros SA et Mapfre warranty SpA, aff. C-­584/13, Dr. fisc., 2015, nos 43‑44, comm., note I. Rault-­Brochen, B. Mermillon et É. Van Daele.

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activités. Pour toutes ces missions, la société a été rémunérée selon un taux forfaitaire au regard du type de sinistre. La société polonaise a formé une demande de rescrit fiscal auprès du ministre des Finances pour savoir si les missions qu’elle a accomplies sont exonérées de TVA. Selon elle, les opérations réalisées au nom et pour le compte d’une entreprise d’assurance, sur le fondement d’un mandat, constitueraient des opérations d’assurance au sens du droit polonais. Elles seraient ainsi assimilées à une prestation de service unique de nature complexe et partant, pourraient prétendre au bénéfice de l’exonération prévue à cet effet. Lors de son rescrit du 31 août 2012, le ministre des Finances a validé partiellement cette analyse. Pour lui, le règlement au fond des dossiers des sinistres, comprenant notamment l’analyse de la documentation pertinente et la décision collective à la couverture du sinistre, s’apparenterait à une opération d’assurance. En revanche, toutes les autres opérations réalisées par la société ne pourraient prétendre au bénéfice de l’exonération au regard de leur nature technique et administrative mais également de leur possible réalisation dans le cadre d’activités autres que les opérations d’assurance. Le tribunal administratif polonais a accueilli le recours de la société et partant, a annulé le rescrit considérant que le législateur avait étendu l’exonération au-­delà de ce que prévoit la directive TVA. Le ministre des Finances s’est dès lors pourvu en cassation contre le jugement. Saisie du litige, la Cour suprême administrative polonaise a décidé de surseoir à statuer afin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle. Les juges européens ont ainsi dû rechercher si l’article 135, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que les services de règlement des sinistres fournis au nom et pour le compte d’un assureur par un tiers, sans lien contractuel avec l’assuré, relève de l’exonération prévue en matière d’assurance.

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

Lors de son arrêt du 17 mars 2016, la Cour de justice de l’Union européenne répond par la négative. Selon les juges européens, les services de règlement de sinistres fournis par un tiers au nom et pour le compte d’un assureur ne relèvent pas de l’exonération par l’article 135, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA. Après avoir statué sur la recevabilité de la question préjudicielle, la Cour rappelle que les exonérations prévues à l’article 135, paragraphe 1, de la directive TVA sont d’interprétation stricte. Sur le fond du dossier, la Cour procède en deux temps. Dans un premier temps, la Cour de justice de l’Union européenne examine si une activité de règlement des sinistres consiste à réaliser des opérations d’assurance. Selon une jurisprudence établie, ces dernières se caractérisent par le fait que l’assureur se charge, contre le paiement d’une prime, de procurer à l’assuré la prestation convenue lors de la conclusion du contrat en cas de réalisation du risque couvert. Selon la Cour, les opérations d’assurance ne visent pas uniquement les prestations réalisées par les assureurs eux-­mêmes mais inclut également les assujettis non assureurs mais qui, dans le cadre d’une assurance collective, procurent à ses clients une telle couverture. Pour caractériser une « opération d’assurance » au sens de la directive TVA, encore faut-­il caractériser une relation contractuelle entre le prestataire de services d’assurance et l’assuré. Or, en l’espèce, la Cour relève que la société ne s’est pas elle-­même engagée envers l’assuré à garantir à celui­ci la couverture d’un risque et n’est nullement liée à l’assuré par des relations contractuelles. Bien que le service de règlement des sinistrés constitue un élément essentiel de l’opération d’assurance, ce service fourni à l’assureur ne saurait ainsi constituer une opération d’assurance au sens de l’article 135, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA. La décision de la Cour de justice de l’Union européenne apparaît classique et dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure. En l’absence de définition de la notion « d’assurance » par la directive TVA, la Cour a dû s’y atteler. Il ressort de la jurisprudence européenne (2) que celle-­ci se trouve caractérisée par deux 2.

124

C.J.U.E. (3e ch.), 17 janvier 2013, BGZ Leasing sp. z.o.o., aff. C-­224/11, Dr., 2013, n° 4, act. 53 ; C.J.C.E. (5e ch.), 20 novembre 2003, Taksatorringen, aff. C-­8/01, Rec. C.J.C.E., 2003, I, p. 13711 ; Dr., 2004, n° 5, comm. 191, note M. Guichard et W. Stemmer ; R.J.F., 2004/2, n° 208 ; C.J.C.E. (4e ch.), 22 octobre 2009, Swiss Re Germany Holding GmbH, aff. C-­ 242/08, Dr. fisc., 2009, nos 44‑45, act. 332 ; R.J.F., 2010, n° 91 ; C.J.C.E. (1re ch.), 8 mars 2001, Försäkring-­saktiebolaget Skandia, aff. C-­240/99, Dr. fisc., 2001, n° 12, act. 100063 ; R.J.F., 2001/6, n° 892 ; Banque & droit, 2001, n° 75, p. 58, note C. Acard ; C.J.C.E. (6e ch.), 25 février 1999, Card Protection Plan Ltd (CPP) c. Commissioners of Customs & Excise, aff. C-­349/96, Rec. C.J.C.E., 1999, I, p. 973 ; Dr., 1999, nos 15‑16, act. 100138 ; R.J.F., 1999/4, n° 522 ; C.J.U.E. (5e ch.), 16 juillet 2015, DGFiP c. Mapfre asistencia compania internacional de seguros y reaseguros SA et Mapfre warranty SpA, aff. C-­584/13, Dr. fisc., 2015,

critères. D’une part, par son contenu, lequel se trouve défini par l’existence d’une rémunération, d’une prestation de service en nature ou en argent et enfin d’un événement incertain. Ces critères ont également été repris tout récemment par la Cour de cassation (3). Comme le souligne l’avocat général dans ses conclusions, ce qui est déterminant pour la qualification d’opération d’assurance, « est le fait d’assumer un risque contre rémunération ». Cet élément conditionne, d’autre part, le second critère de la qualification d’assurance, à savoir l’existence d’une relation contractuelle entre le prestataire du service d’assurance et l’assuré. Comme l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne, ces conditions faisaient en l’espèce défaut. La société polonaise ne s’était pas elle-­même engagée à garantir à l’assuré une couverture d’assurance par la conclusion d’un contrat pour couvrir les risques.

La décision de la Cour

de justice de l’Union européenne apparaît classique et dans la droite ligne de sa jurisprudence

antérieure.

La Cour de justice de l’Union européenne rejette également un possible alignement de traitement des opérations d’assurance sur celui des services financiers. L’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive TVA exonère en effet de TVA la gestion des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Lors de deux décisions, l’une du 4 mai 2006 (4) et l’autre du 7 mars 2013 (5), la Cour a jugé, s’agissant des prestations de services déléguées par une société de gestion à un tiers, que lorsque la gestion d’OPCVM se décompose, en divers services distincts, ces derniers sont susceptibles de bénéficier de l’exonération de TVA à condition qu’ils forment un ensemble distinct, apprécié de façon globale, ayant pour effet de remplir les fonctions spécifiques et essentielles de la gestion nos 43‑44, comm., note I. Rault-­Brochen, B. Mermillon et É. Van Daele. 3. Cass. com., 24 novembre 2015, Sté Mapfre warranty spa, n° 12‑15.419, Dr., 2015, n° 49, act. 671. 4. C.J.U.E. (3e ch.), 4 mai 2006, Abbey National plc, aff. C-­169/04, Dr. fisc., 2002, n° 13, comm. 278 ; R.J.F., 2001/6, n° 894. 5. C.J.U.E. (1re ch.), 7 mars 2013, GfBk Gesellschaft für Börsenkommunikation mbH, aff. C-­275/11, Dr. fisc., 2002, n° 13, comm. 278, R. Béra et S. Vansteenkiste.

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d’OPCVM. Cette analogie ne saurait prospérer selon les juges européens en raison d’une différence de rédaction entre l’article 135, paragraphe 1, sous a), ne visant que les seules opérations d’assurance proprement dites et l’article 135, paragraphe 1, sous d) et f), de la directive TVA limité aux opérations « concernant » ou « portant sur » des opérations bancaires déterminées. La lettre de ce texte témoigne ainsi qu’une opération d’assurance ne peut être décomposée en services distincts. Cette décision de la Cour demeure néanmoins en contradiction avec une proposition de directive de la Commission (6), laquelle avait pour finalité que les principes dégagés par la Cour, s’agissant du traitement fiscal des activités externalisées dans le domaine de certains services financiers, s’appliquent également aux opérations d’assurance. Non adoptée, cette proposition n’est pas opposable aux juges européens dans leur interprétation de la directive TVA.

La Cour de justice de

l’Union européenne rejette également un possible alignement de traitement des opérations d’assurance sur celui des

services financiers.

Dans un second temps, la Cour de justice de l’Union européenne vient préciser si les prestations de services réalisées par la société polonaise étaient exonérées en raison du fait qu’il s’agit de prestations de services afférentes à des opérations d’assurance effectuées par des courtiers et des intermédiaires d’assurance.

Un dénombrement

des activités exercées par les entreprises

d’assurance. 6.

COM(2007) 747 final. Cette proposition de directive a été présentée par la Commission le 28 novembre 2007.

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S’il ne fait aucun doute qu’il s’agit de prestations de services afférentes à des opérations d’assurance, en revanche, il en va différemment de l’utilisation d’une prestation de service réalisée par un courtier ou un intermédiaire d’assurance. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne se devait de rechercher si l’activité de prestataire de service consistant à régler des sinistres au nom et pour le compte d’un assureur peut être considérée comme étant effectuée par de tels courtiers ou intermédiaires. Le fait que la société n’ait pas la qualité de courtier ou d’intermédiaire en assurance n’est pas déterminant. Selon la Cour, il convient de se référer au contenu même des activités. Pour ce faire, deux conditions sont requises. La première exige que le prestataire soit en relation avec l’assureur et avec l’assuré. En l’espèce, cette condition était remplie par la société. La seconde exige que l’activité recouvre des aspects essentiels de la fonction d’intermédiation d’assurance, tels que la recherche de prospect ou encore la mise en relation de ceux-­ci avec l’assureur. Selon la Cour, ces activités doivent être liées à la nature même du métier de courtier ou d’intermédiaire d’assurance, lequel consiste en la recherche de clients et la mise en relation de ceux-­ci avec l’assureur et ce, afin de conclure des contrats d’assurance. Lorsqu’il s’agit d’un sous-­traitant, ce dernier doit également participer à la conclusion du contrat. Or, selon la Cour, l’activité consistant à régler des sinistres au nom et pour le compte d’un assureur, comme en l’espèce, n’est aucunement liée à la recherche de prospects et à la mise en relation de ces derniers avec l’assureur en vue de la conclusion de contrats d’assurance. En conséquence, cette activité n’est pas exonérée de TVA. Pour la Cour, ce service de règlement de sinistre fourni par la société doit s’analyser comme constituant non pas des prestations de services réalisées par l’intermédiaire d’assurance mais davantage comme un dénombrement des activités exercées par les entreprises d’assurance. Cette décision reprend substantiellement l’arrêt Arthur Andersen du 3 mars 2005 (7). La Cour confirme ainsi son interprétation très stricte des dispositions d’exonération en matière d’assurance. Comme le soulignaient déjà certains auteurs, cette décision peut toutefois surprendre compte tenu de ses conséquences. Elle aboutirait à une double taxation des conventions d’assurance avec l’application de la taxe sur les assurances (8). Cette décision prend également le contre-­pied de la position actuelle du Conseil d’État. Lors d’un arrêt du 7 janvier 2000 (9), les hauts magistrats avaient jugé qu’est exonérée de TVA la prestation consistant dans la gestion administrative et contentieuse du sinistre effectuée par un intermédiaire français pour le compte d’un assureur étranger en exécution d’un mandat. Cette interprétation extensive des dispositions d’exonération reposait principalement sur la jurisprudence de la Cour de 7. C.J.C.E., 3 mars 2005, Arthur Andersen, aff. C-­472/03. 8. M. Guinchard et W. Stemmer, « Assurances : le dommage TVA », Dr. fisc., 2005, n° 29, étude 28. 9. C.E., 7 janvier 2000, n° 201021, SA EA-­Iard.

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Chroniques

V.B. Fiscalité indirecte (taxe sur la valeur ajoutée)


Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

justice des Communautés européennes, notamment sur l’arrêt SDC du 5 juin 1997 (10), et du Conseil d’État en matière d’exonération de TVA des opérations bancaires et financières. À l’époque, le Commissaire au gouvernement avait déjà souligné que la solution retenue par le Conseil d’État pourrait être fragilisée en 10. C.J.C.E. (5e ch.), 5 juin 1997, Sparekassernes Datacenter (SDC), aff. C-­2/95, Rec. C.J.C.E., 1997, I, p. 3017 ; Europe, 1997, comm. 295 ; R.J.F., 1997/8‑9, n° 871.

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raison d’une part, de la conception de la notion d’opération d’assurance retenue dans l’arrêt Skandia (11) et, d’autre part, en raison de la solution stricte retenue par le juge communautaire. Une évolution de la jurisprudence du Conseil d’État semble désormais s’imposer au regard de cette nouvelle décision de la Cour de justice de l’Union européenne. 11. C.J.C.E., 8 mars 2001, Skandia, aff. C-­240/99.

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Chroniques

V.C. Fiscalité comparée

V.C. Fiscalité comparée Paying Taxes 2016: France is on the rise Georges Cavalier Maître de conférences HDR Centre d’études et de recherches financières et fiscales University of Lyon

France ranks 87th among

the 189 economies, with an average effective tax rate lower than last year.

The 13th edition of the Doing Business report (2016) has been recently released by the World Bank. This report compares 189 jurisdictions through assessments of regulations’ impact on business activities. (1) Although one of the world’s most influential policy publications, (2) French academics – sometimes in the English language (3) – most often simply discussed the methodology of the report. (4) It originally collected 1. Doing Business 2016, Measuring Regulatory Quality and Efficiency, The World Bank Group, 238 p.; for the French version, see Mesure de la qualité et de l’efficience du cadre réglementaire, 59 p. 2. It received over 7,000 media citations within just 3 weeks of its publications, and 31.4 million twitter accounts were reached within that same time period. The Doing Business website (www.doingbusiness.org) had over 1 million page views and nearly 60,000 downloads within 3 weeks after the report’s launch. 3. See e.g., G. Cavalier, T. Straub, “Mergers and Acquisitions Comparative Economic Analysis of Laws: France vs. USA”, Journal of Civil Law Studies, 2009, pp. 147‑181; G. Cavalier, T. Straub, “Comparing Civil Law and Common Law Systems for Mergers and Acquisitions – An Economic Analysis”, US-­China Law Review, février 2010, pp. 1‑13. 4. G. Cavalier, T. Straub, “Les fusions-­acquisitions et l’analyse économique du droit : approche comparée France-­États-­Unis”, Recueil Dalloz, 2010, p. 2718; more recently, see A. Rocher, L. He, “À propos du rapport 2016/2

quantitative data. As pointed out by academics, quantity is not quality. (5) Therefore, a major revision exercise of the methodology started last year, including improvements enhancing the relevance and the depth of the indicators, in order to capture different dimensions of quality. The report also underlines its own limitations: standardized case scenarios covering only a few regulatory constraints. Therefore, not all of the many aspects of the business environment are captured. Corruption or skills of the workforce, for instance, both of which matter to firms and investors, are outside the scope of the report. Still, the advantage of the use of standardized fact patterns is that it makes the methodology transparent and the data comparable across economies. These data reveal the main regulatory constraints affecting domestic small and medium-­size enterprises throughout their life cycle, from starting a business, dealing with construction permits, getting credit, protecting minority investors, enforcing contracts, to paying taxes. (6) This last indicator is so crucial to economies that it was also published as a special report. (7) This article first discusses the Paying Taxes report (2016) methodology, and then analyzes the results, for France specifically.

I. Discussing the Methodology The Paying Taxes methodology is unique in comparative tax law and international taxation. Indeed, in the BEPS context, it becomes increasingly important to have a sound theoretical foundation for the renewed Doing Business 2012 : comparaison n’est pas raison”, JCP E, 2012, n° 1262; E. Serrurier, Déclin, résistance et perspectives du droit français dans la compétition juridique mondiale, J.D.I., 2015, No. 4, var. 5. 5. See G. Cavalier, T. Straub, “Les fusions-­acquisitions et l’analyse économique du droit : approche comparée France-­États-­Unis”, op. cit., § 7. 6. These are just examples taken out of the 11 indicators. 7. It is the 10th Paying Taxes report, as the paying taxes indicator only appears in 2006 edition of the Doing Business report. The Paying Taxes 2016 is related to the calendar year ended 31 December 2014 and follows the Doing Business methodology.

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

international tax system. (8) To that extant, the Paying Taxes report offers useful information for tax policies development, and the ability to study the ways companies are subject to tax all over the world. The Paying Taxes report provides unequaled ability to make tax comparisons, and procures insight on informal economies, helping Governments to shape a more efficient tax system. The Paying Taxes report (2016) gauges the effective tax rate that the standardized case study firm pays in its second year of operation, based on the tax laws in force in 2014. (9) Therefore, the research is based on the following hypothesis and methodology. First, it is assumed that a firm starts to carry out general industrial or commercial activities in the economy’s largest business city on January 1st, 2013. This fictitious firm employs 60 people and does not participate in foreign trade. (10) Paying Taxes measures all taxes and contributions that apply to this fictitious firm and have an impact in its financial statements. This assumption includes the profit or corporate income tax, social contributions and labor taxes paid by the employer, property taxes, property transfer taxes, dividend tax, capital gains tax, financial transaction tax, waste collection taxes, vehicle and road taxes and other small taxes or fees. (11) The number of times the firm pays taxes and contributions is also taken into account for each specific taxes or contributions multiplied by the frequency of payment (advance payments as well as regular payments). Second, the methodology followed by the Paying Taxes sub-­indicators comprises three measures: (i) the costs of all taxes borne by the fictitious company (the Total Tax Rate), (ii) the time required to comply with tax obligations, and (iii) the number of tax payments made. The core purpose of the Paying Taxes indicators remains unchanged and still measures the administrative and financial burden for firms of complying with tax obligations. However this year, the World Bank is expanding the analysis conducted by looking at the post-­filing process, through a pilot study of procedures relating to value added tax refunds, tax audits and tax appeals. While these indicators are not part of the Paying Taxes sub-­indicators set, they are being considered for inclusion in future years. Indeed, some comments expressed regrets regarding the absence of reliable data on the VAT system. (12) When businesses incur VAT that is not refunded or that could be reclaimed only with long delays and large compliance costs, the 8. See G. Cavalier, “Les recommandations BEPS de septembre 2014 : un aboutissement ou un commencement (first part) ?”, R.I.S.F., 2014/4, pp. 124 et seq., and “Les recommandations BEPS de septembre 2014 : un aboutissement ou un commencement (second part) ?”, R.I.S.F., 2015/1, pp. 126 et seq. 9. See already A. Rocher, “Le monde de la fiscalité selon le rapport Paying Taxes 2014”, JCP E, 2014, para. 1297. 10. The World Bank, Paying Taxes 2016, p. 101. 11. Ibid., p. 100. 12. A. Rocher, “Le monde de la fiscalité selon le rapport Paying Taxes 2014”, op. cit. 128

principles of neutrality and efficiency, pillars of the VAT system, are undermined and alter the nature of VAT by making it in part a tax on production. Lastly, and regarding the past decade, Paying Taxes 2013 implemented for the first time the “distance to the frontier” measure. This new measure is designed to address issues complementing the ease of paying taxes rankings. This measure, belonging the economy’s area, aims at express the dynamic level of domestic regulations recording progress achieved between 2005 and 2014 and showing the gap between each economy’s performance and the best performance on each indicator. Based on the above described methodology, the results of the Paying Taxes 2016 report are analyzed below.

II.  Analyzing the Results The results can be shortly analyzed two ways: first globally, the result of the 2016 Paying Taxes report shows that the world average effective tax rate equals 40.8% of the commercial profits. Firms make 25.6 payments per year for taxes, and would spend 261 hours to comply with tax regulation (2 hours less than last year). Electronic filing for tax compliance is one of the greatest advances in tax payment systems. Spain, for instance, implemented a comprehensive tax reform program in 2014 to streamline and simplify tax compliance: a new way of submitting tax returns online and retrieving historical data electronically was launched. (13) Secondly, turning to the specific case of France, it ranks 87th among the 189 economies, with an average effective tax rate lower than last year. (14) France has moved up 8 ranks. The main reason is the benefit of the tax credit to boost competitiveness and employment (“CICE” is the French acronym). The CICE has been introduced to enhance the competitiveness of businesses in France. It is used to boost investment, research, innovation, training, employment and the exploration of new markets, and to help firms recover their working capital. The CICE, which is open to all companies that are assessed on their actual earnings and are subject to corporation or income tax, amounts for FY14 to 6% of the total wages of employees earning less than 2.5 times the French minimum wage (SMIC), excluding employer contributions. In regard to taxes on wages, France however stands low in the ranking. But since these levies on wages are tax-­deductible for corporate income tax purposes, the French effective tax rate on commercial profits alone is a competitive tax rate for European standards. (15) This 13. See Doing Business 2016, Measuring Regulatory Quality and Efficiency, The World Bank Group, p. 43. 14. 62.8%. The number of payments is 8 and 137 hours to fill in tax forms. 15. French corporate income tax amounts to EUR 34 billion, as compared to the EUR 1.000 billion of social

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being said, the taxes on wages represent 85% of the total effective tax rate average of medium sized firms. This last element alone largely explains why France is ranked second-to-last in Europe, just behind Italy. Putting this Paying Taxes report in perspective with the 19th Annual Global CEO survey (16) shows consistency and coherence between the areas covered by the first and CEO’s concerns about threats to business growth and tax levy: see F. Piliu, “L’impôt sur les sociétés est-­il si élevé en France ?”, newspaper La Tribune, May 11, 2016. 16. 2016 CEO Survey, Redefining business success in a changing world.

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listed in the second one. Indeed, 71% of the CEOs are concerned about the Government’s response to fiscal deficit and debt burden to their organization’s growth prospects while the increase of tax burden has been cited by 69% of CEOs. (17) Tax concerns are then the fifth and sixth among their top concerns. Specifically by region, over-­regulation is the top concern for CEOs in Western Europe (cited by 81%) while their North American peers are most worried about an increasing tax burden (84%). (18) Comparative taxation is definitely on the rise, and France will hopefully follow this trend. 17. Ibid., p. 7. 18. Ibid., p. 34.

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Chroniques

V.C. Fiscalité comparée



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