Droit pénal général - Paradigme

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LICENCE MASTER

Droit pénal  général

MANUEL

CONCOURS

Harald Renout

18e édition

Collection

Paradigme



Droit pénal  général


Dans la collection Paradigme Série Manuels BEAUDET Ch., Introduction générale et historique à l’étude du Droit, 2000 BEAUDET Ch., Institutions, vie politique et faits sociaux de 1789 à 1958, 2000 BONNET V., Droit de la famille, 3e édition, 2011 BRUN-WAUTHIER A.-S., Régimes matrimoniaux et régimes patrimoniaux des couples non mariés, 3e édition, 2013 BRUSORIO-AILLAUD M., Droit des obligations, 4e édition, 2013 BRUSORIO-AILLAUD M., Droit des Personnes et de la Famille, 4e édition, 2013 CACHARD O., Droit international privé, 2e édition, 2013 DRAIN M., Relations internationales, 18e édition, 2013 DUSSART V. et FOILLARD Ph., Finances publiques, 13e édition, 2012 FOILLARD Ph., Droit administratif, 2e édition, 2013 FOILLARD Ph., Droit constitutionnel et institutions politiques, 19e édition, 2013 FOSSIER Th., Droit pénal spécial – Tome 2. Affaires, entreprises et institutions publiques, 2013 FOURMENT F., Procédure pénale, 14e édition, 2013 GARÉ Th., Droit pénal spécial – Tome 1. Personnes et biens, 2e édition, 2013 HÉAS F., Droit du travail, 2012 HOONAKKER Ph., Procédures civiles d’exécution. Voies d’exécution, procédures de distribution, 2e édition, 2012 LESCOT Ch., Organisations européennes : Union européenne, Conseil de l’Europe et autres organisations, 15e édition, 2013 MÉMETEAU G., Droit des biens, 6e édition, 2013 ROEMER F., Contentieux fiscal, 2013 ROUAULT M.-C., Droit administratif et Institutions administratives, 2013 STRICKLER Y., Procédure civile, 4e édition, 2013

Série Méthodes Coll., Réussir son droit, 3e édition, 2009 BRUSORIO-AILLAUD M., Réussir ses TD – Droit des personnes et de la famille, 3e édition, 2013 BRUSORIO-AILLAUD M., Réussir ses TD – Droit des obligations, 2e édition, 2013 FRUCTUS I., Méthodologie de la recherche documentaire juridique, 2013

Série Dictionnaires FOILLARD Ph., Dictionnaire de droit public, 2000 PUIGELIER C., Dictionnaire de droit privé, 1999

Hors collection BOURGEOIS M., La personne objet de contrat, 2005


Manuel

Droit pénal  général

Harald Renout François Fourment

Collection

Paradigme


Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.larcier.com

© Groupe Larcier s.a., 2013

18e édition

Département Larcier Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit. Imprimé en Belgique Dépôt légal : Bibliothèque nationale, Paris : juillet 2013 ISSN 2294-3323 Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2013/0031/282 Isbn 978-2-35020-951-7


AVA N T- P R O P O S

Offrir aux étudiants un ouvrage complet et clair, telle a été notre intention lors de la rédaction de Droit pénal général. L’objectif principal est de faciliter la découverte et l’apprentissage de cette discipline en établissant systématiquement le lien entre théorie et pratique. Chaque règle de droit pénal, chaque concept juridique, est illustré(e) par des exemples, ce qui constitue une aide de premier plan tant pour la compréhension du cours que pour la préparation des travaux dirigés. À la fin de chaque chapitre, une bibliographie permet d’approfondir les différents thèmes abordés. Cet ouvrage tient compte de l’influence grandissante du droit international (notamment la Convention européenne des droits de l’homme et le droit communautaire) sur le droit pénal français. Par une mise en page claire et dynamique, nous avons voulu faciliter la mémorisation des points importants, des notions essentielles, et permettre ainsi l’acquisition d’un raisonnement juridique structuré, indispensable à la réussite d’études juridiques.

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AVANT-PROPOS

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SOMMAIRE

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Avant-propos Introduction PA R T I E I

La norme pénale Chapitre 1 Le principe de légalité des délits et des peines Chapitre 2 Les sources du droit pénal

Chapitre 3 Le contrôle de validité de la norme pénale

Chapitre 4 Le champ d’application de la norme pénale

19 35 45 63

PARTIE II

L’infraction pénale Chapitre 1 Les classifications des infractions

Chapitre 2 L’élément légal : la qualification des faits Chapitre 3 L’élément matériel de l’infraction Chapitre 4 L’élément moral de l’infraction

91 111 119 137

PA R T I E II I

La responsabilité pénale Chapitre 1 Le principe de la responsabilité pénale du fait personnel

Chapitre 2 La responsabilité pénale des personnes morales Chapitre 3 La mise en jeu de la responsabilité pénale

Chapitre 4 Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité

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PARTIE IV

La sanction pénale Chapitre 1 Les sanctions pénales encourues

Chapitre 2 La sanction pénale prononcée Chapitre 3 La sanction pénale exécutée

Chapitre 4 Les causes d’extinction de la sanction Bibliographie générale Index Table des matières LARCIER

241 285 339 377 399 401 407

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INTRODUCTION

Présentation du droit pénal Le droit pénal ou droit criminel est l’une des matières juridiques les plus familières. Chacun sait que le meurtre ou le viol d’une personne, le vol du bien d’autrui ou encore un excès de vitesse en voiture sont interdits, sous peine d’aller en prison ou de se voir infliger une amende. Chacun a une idée, même vague, de ce que recouvrent des notions telles que la légitime défense, la complicité ou la récidive. La matière est également largement médiatisée, la presse, la télévision et la radio relatant régulièrement les procès de personnalités publiques ou de criminels particulièrement odieux. C’est que le droit pénal est le reflet des valeurs de la société, de ses interrogations, et évolue avec elle. SECTION I

Définition du droit pénal § 1.

L’objet du droit pénal

Toute société humaine organise les rapports entre ceux qui la composent en fixant des règles. Toutefois, se contenter d’énoncer des principes n’est pas suffisant : il se trouvera toujours quelqu’un pour enfreindre ces règles. Dès lors, il est nécessaire que la société se défende, en réprimant les personnes qui violent les normes qu’elle fixe. C’est pourquoi les autorités édictent et appliquent des sanctions. Pour répondre aux comportements antisociaux, les réponses étatiques qui existent dans la pratique sont diverses. Les sanctions disciplinaires sont nombreuses. Les autorités administratives sont habilitées à prendre des mesures en cas de violation de règles administratives : retrait d’une autorisation, interdiction professionnelle, expulsion mais aussi amende administrative (ainsi des amendes prononcées par le Conseil de la concurrence ou par le Conseil supérieur de l’audiovisuel). Il existe également des amendes fiscales, douanières et même civiles. Toutefois, pour la majeure partie des infractions, en particulier pour les plus graves, le législateur a organisé un régime répressif autonome, basé sur des juridictions spéciales, une procédure particulière et des sanctions spécifiques. LARCIER

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En pratique, la définition de l’infraction pénale s’effectue d’une manière juridique. Est pénale l’infraction que le législateur ou le pouvoir réglementaire qualifie de pénale. La qualification peut être plus ou moins claire selon les cas. Elle peut ainsi découler de la nature de la sanction. Si la sanction encourue est l’une des peines que le Code pénal permet aux juridictions pénales de prononcer à titre principal (par exemple, la réclusion criminelle ou l’emprisonnement), l’infraction est pénale. À l’inverse, le législateur peut qualifier une sanction, notamment une amende, de fiscale ou douanière. La nature pénale de l’infraction peut également se définir par rapport aux autorités ayant qualité pour la connaître. Si le législateur ou le pouvoir réglementaire donne compétence au système répressif pour poursuivre (par l’intermédiaire du ministère public) et prononcer la sanction (via les tribunaux pénaux), l’infraction est de nature pénale. Au contraire, si le prononcé de la sanction est dévolu à une autorité administrative, par exemple le préfet, l’infraction échappe au droit pénal. Si le législateur n’a pas qualifié l’infraction expressément, la nature de celle-ci se déduit alors d’éléments concordants. Le but du droit pénal est la défense de la société contre les comportements qu’elle interdit, la protection de l’ordre et de la sécurité publics, l’État organisant une réponse spéciale au phénomène criminel. L’objet du droit pénal est l’infraction, le crime au sens large, comportement interdit par les textes et réprimé par une peine. L’infraction, objet du droit pénal, nécessite ainsi deux éléments indissociables, à savoir une incrimination (c’est-à-dire le comportement interdit, le « crime ») et une peine (la sanction). La morale, l’éthique jouent un rôle dans la détermination des règles sociales. Ériger un comportement en infraction, c’est exprimer un jugement de valeur. Mais moralité et droit pénal ne se confondent pas. La morale est une notion subjective, qui varie selon les individus, alors que le droit est objectif car il est le même pour tous. Dès lors, des agissements qui peuvent heurter la morale de certaines personnes ne constituent pas forcément des infractions. Ainsi, l’homosexualité n’est pas réprimée en France, l’adultère ne l’est plus depuis 1975. En résumé, le droit pénal est formé de l’ensemble des règles qui déterminent les infractions, les peines qui leur sont applicables ainsi que les conditions de la responsabilité pénale.

§ 2.

Les fonctions du droit pénal

Le droit pénal a une fonction essentiellement répressive. Toutefois, il joue également un rôle préventif, voire resocialisant.

A) La fonction répressive L’objectif principal du droit pénal est de défendre la société contre les criminels, au sens large du terme. La fonction du droit pénal est, dans ces conditions, avant tout répressive. Le droit pénal sanctionne les personnes qui ont commis des infractions. Il est donc basé sur l’idée de rétribution ou d’expiation : le délinquant doit « payer » pour ce qu’il a fait. Pour compenser le trouble qu’il a causé à l’ordre social et réparer sa faute, il doit subir un châtiment. Parfois la prison, plus souvent le paiement d’une amende. 10

INTRODUCTION

Droit pénal général


Dans ce schéma classique, la peine a alors un caractère afflictif, car elle cause au délinquant une souffrance, de la douleur ou plus simplement du chagrin. Elle a également un caractère infamant, car elle constitue un blâme que la société porte sur le délinquant.

B) La fonction utilitaire Le droit pénal a également un rôle préventif qui est double. À l’égard du délinquant, l’application d’une peine aura pour but de le dissuader de commettre de nouvelles infractions à l’avenir. Surtout, en énonçant clairement les comportements prohibés et en prévoyant l’application de peines en cas de commission de l’infraction, le droit pénal informe les individus, lesquels ayant connaissance des risques encourus, s’interdisent d’agir de la sorte : le droit pénal a donc un rôle de prévention générale, à l’égard de tous. C’est l’effet d’intimidation collective.

C) La fonction resocialisante Le droit pénal peut enfin se fixer l’objectif de réinsérer les délinquants dans la société. Les sanctions sont alors des mesures de reclassement, de réadaptation ou de rééducation. Cet aspect du droit pénal a connu des développements particulièrement importants depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce caractère éducatif est visible dans certaines peines : placement des mineurs délinquants dans une institution spécialisée, stages de citoyenneté, de sensibilisation à la sécurité routière ou de responsabilité parentale, travaux d’intérêt général. Ainsi, un tagueur peut être condamné à nettoyer pendant un certain temps les graffitis portés sur les rames de métro ou sur les murs des stations. Il comprendra de la sorte l’inutilité de son acte mais rendra également les transports publics plus propres et apprendra éventuellement à travailler. Le reclassement peut également être favorisé au stade des poursuites (médiation pénale, composition pénale et alternatives aux poursuites mises en úuvre par le procureur de la République dans le but de réparer les conséquences de l’infraction et de faire l’économie d’un procès pénal), au stade du prononcé de la peine (par exemple, par le recours au sursis) ou au stade de l’exécution de la peine (ainsi du système de la libération conditionnelle). Certaines mesures de resocialisation sont destinées à soigner des individus dangereux en raison de leur état de santé et peuvent alors avoir un caractère médical ou thérapeutique : désintoxication des drogués, soins aux malades mentaux légers, suivi sociojudiciaire prononcé pour les infractions sexuelles graves et qui peut comporter une obligation de soins.

§ 3.

Les caractères du droit pénal

A) Le droit pénal est autonome Le droit pénal a une nature mixte : il comprend des éléments de droit public et des éléments de droit privé. Le droit pénal défend des intérêts divers. Tantôt, il s’agit de défendre des droits des personnes en sanctionnant par exemple l’atteinte au patrimoine LARCIER

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(vol), à la vie (meurtre), à l’intégrité physique (violences), à l’honneur (diffamation). Tantôt, les intérêts protégés ne sont autres que ceux de l’État luimême (espionnage), voire ceux de la société dans son ensemble (pollution de l’environnement). Au stade de la poursuite de l’infraction, c’est l’État, par le biais du ministère public (le parquet) qui intervient principalement, mais les victimes peuvent jouer un rôle, en déclenchant les poursuites par une plainte. Les tribunaux judiciaires, et non administratifs, sont compétents pour appliquer la loi pénale, mais il s’agit toutefois de formations spéciales : tribunaux de police et juridictions de proximité (la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 « relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles », modifiée par la loi n° 2012-1441 du 24 décembre 2012 « relative aux juridictions de proximité », supprime, à compter du 1er janvier 2015, les juridictions de proximité, et confie la compétence pour connaître des contraventions des quatre premières classes au tribunal de police constitué par un juge de proximité et, à défaut, par un juge du tribunal d’instance), tribunaux correctionnels, cours d’assises, chambre des appels correctionnels de la cour d’appel, chambre criminelle de la Cour de cassation. Le droit pénal est surtout caractérisé par son autonomie. S’il sanctionne la violation d’obligations civiles et administratives, les textes sur lesquels il repose et les sanctions qu’il prévoit lui sont propres. Les notions auxquelles le droit criminel a recours sont largement indépendantes de celles utilisées en droit public ou en droit privé : ainsi de la légitime défense, de la complicité, de la récidive, pour ne citer que ces exemples.

B) Le droit pénal est évolutif Le droit pénal est éminemment évolutif, que ce soit au niveau des incriminations ou des peines. S’agissant des incriminations, des infractions sont créées, d’autres au contraire vont sortir du champ du droit pénal, soit pour être supprimées et ne plus être réprimées du tout, soit pour passer dans un autre système punitif qui appliquera ses propres sanctions, par exemple des sanctions administratives. S’agissant des peines, le droit pénal connaît là aussi des évolutions : les peines encourues pour une infraction sont parfois alourdies, parfois allégées. Une contravention peut être transformée en délit, un délit devenir un crime et inversement. Différentes raisons expliquent ces phénomènes de pénalisation ou de dépénalisation. En premier lieu, la conception de l’interdit change avec le temps et avec la société. Ce qui était conçu comme antisocial et réprimé peut être toléré par la suite : par exemple, l’adultère n’est plus pénalement sanctionné en France depuis 1975, le vagabondage et la mendicité ne le sont plus depuis le nouveau Code pénal. À l’inverse, de nouvelles valeurs que la société souhaite protéger apparaissent : la protection de l’environnement, les droits des travailleurs ou des consommateurs. L’évolution porte sur les infractions mais également sur les peines. Les pouvoirs publics peuvent ainsi « jouer » sur le niveau de la sanction pour une infraction déterminée, par exemple en augmentant un taux d’amende ou en le diminuant. Le niveau de peine atteste alors de la gravité de l’infraction. Les autorités peuvent également modifier la nature des peines, les12

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Droit pénal général


quelles peuvent prendre des formes nouvelles jugées plus efficaces, comme le travail d’intérêt général ou l’interdiction du territoire. En deuxième lieu, la prise en compte des droits et libertés fondamentaux de l’homme joue un rôle déterminant. Certaines infractions peuvent apparaître comme violant les droits de l’homme. Ainsi, l’incrimination de l’homosexualité entre adultes consentants a été jugée contraire au droit au respect de la vie privée par la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Dudgeon contre Royaume-Uni du 22 octobre 1981, série A, n° 45 ; voir p. 54). De même, des peines, telles la peine de mort ou les traitements corporels, sont abandonnées car contraires aux valeurs actuelles de notre société. En dernier lieu, le droit pénal évolue parce que la criminalité elle-même évolue et prend des formes nouvelles. Le délinquant peut ainsi utiliser des techniques non envisagées jusque-là. Les fraudes informatiques en sont un exemple parmi tant d’autres. La criminalité prend par ailleurs une dimension internationale. De véritables multinationales du crime, mafieuses, se forment. La réaction de la société prendra donc des formes spécialement adaptées à ce type de criminalité, ce qui explique les législations des États sur le terrorisme ou sur le trafic de stupéfiants. Le droit pénal n’est qu’un instrument au service de l’État. Celui-ci, au même titre qu’il engage une politique économique ou sociale, déploie également une politique criminelle, en définissant ce qu’est le crime et comment il convient de lutter contre lui.

§ 4.

Les branches du droit pénal

Le droit pénal a un vaste objet : l’infraction. Selon l’approche effectuée, on est en présence de différentes matières juridiques ou scientifiques.

A) Le droit pénal de fond Le droit pénal général a pour objet les règles communes aux infractions et aux peines. Il s’agit d’une étude abstraite de principes généraux relatifs à l’incrimination, à la responsabilité pénale, à la peine : le principe de légalité, les éléments constitutifs de l’infraction, la tentative, la complicité, la récidive, les types de peines… Le droit pénal spécial étudie concrètement une à une les principales infractions prévues par le droit français, leurs éléments constitutifs, et les peines qui leur sont applicables : l’escroquerie, le meurtre, le vol, le viol… Le droit pénal spécial peut se subdiviser ensuite en différentes branches, selon le thème ou le domaine étudié : droit pénal de l’environnement, droit pénal économique ou des affaires, droit pénal de la communication, droit pénal de la santé…

B) Le droit pénal de forme La procédure pénale porte sur la poursuite des infractions, les règles de mise en úuvre de la répression. Elle examine l’organisation et les compétences des juridictions pénales, ainsi que le déroulement du procès pénal au sens large, depuis les phases de l’enquête et de l’instruction jusqu’au procès pénal LARCIER

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au sens strict. La procédure pénale porte aujourd’hui une attention particulière aux droits de la défense.

C) Les disciplines criminelles spécialisées Le champ d’investigation est ici plus réduit. Le droit pénal des mineurs comporte des règles spéciales, davantage axées sur la rééducation et la protection. La pénologie a pour objet spécifique l’exécution des peines. Si l’examen porte plus particulièrement sur l’exécution des peines privatives de liberté en milieu carcéral, on parle alors de science pénitentiaire. La criminologie consiste en l’étude des causes de l’infraction, des facteurs du phénomène criminel (en particulier les causes sociales du crime : environnement urbain, familial, professionnel et affectif des délinquants). La criminalistique englobe l’ensemble des procédés scientifiques destinés à constater matériellement les infractions, à en rechercher les auteurs et à prouver leur culpabilité. Ces procédés sont la toxicologie et la médecine légale (par exemple la recherche des causes d’un décès), la police scientifique (procédés utilisés par la police dans le cadre d’une enquête pénale, comme la balistique), l’anthropométrie (destinée à constater l’identité des criminels en fonction de leurs caractéristiques physiques).

D) La dimension internationale du droit pénal Le droit pénal comparé confronte entre eux les systèmes répressifs des États pour en tirer des principes communs et des enseignements. Le droit pénal international règle les questions de conflit de compétence entre les lois et les juridictions pénales des États. Il comprend également les règles de la coopération pénale entre États, comme par exemple celles relatives à l’extradition, qui consiste en la remise d’un individu à l’étranger pour qu’il y soit jugé ou pour qu’il y exécute une condamnation. Le droit international pénal organise la répression par des juridictions pénales internationales de crimes définis par des textes internationaux (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, crime d’agression) : tribunal de Nuremberg établi en 1945 pour juger les criminels de guerre nazis, Tribunal pénal international de La Haye pour juger les crimes commis en ex-Yougoslavie (1993), Tribunal ad hoc d’Arusha pour juger des crimes commis au Rwanda (1994), enfin Cour pénale internationale (traité de Rome du 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002, et loi n° 2010-930 du 9 août 2010 « portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale »).

E) L’extension du champ de recherches La politique criminelle examine l’ensemble des procédés par lesquels l’État, ou même la société dans son ensemble, lutte contre la délinquance, le phénomène criminel. Son champ d’investigation déborde le droit pénal proprement dit. Il porte sur l’infraction, mais également sur la déviance, les comportements antisociaux. Il comprend les sanctions pénales, mais englobe également les réponses civile (par exemple les dommages et intérêts), adminis14

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Droit pénal général


trative (ainsi du retrait d’une autorisation administrative ou des amendes administratives), disciplinaire (comme les jours d’arrêts prononcés dans les armées ou les sanctions prononcées par les ordres professionnels) ou même sociale. La politique criminelle s’intéresse à la répression du phénomène criminel mais également à sa prévention (comme la politique urbaine de l’État ou la prévention routière).

SECTION II

Histoire du droit pénal La compréhension du droit pénal français moderne n’est possible que par la connaissance des principales idées pénales qui l’ont influencé.

§ 1.

L’évolution des idées pénales

Les conceptions que l’on a pu se faire du droit de punir et des sanctions les plus adéquates pour réprimer le crime sont nombreuses. Quatre grands mouvements d’idées ressortent.

A) La philosophie des Lumières En réaction contre l’arbitraire et la cruauté qui caractérisaient le droit pénal de l’Ancien Régime, des hommes se sont élevés au XVIIIe siècle contre les erreurs de justice, la rigueur des peines et les incriminations vicieuses, pour réclamer plus d’égalité et d’humanité dans la répression. De nombreux philosophes et hommes de lettres français ont initié ce mouvement, en particulier Rousseau, Voltaire, Montesquieu. Dans un petit ouvrage, un auteur italien allait résumer ces préoccupations et proposer l’adoption de nouveaux principes constitutifs de droit pénal : il s’agit du Traité des délits et des peines de César de Beccaria, paru en 1764. Quelques principes révolutionnaires découlent de son úuvre. Selon Beccaria, la répression doit être utile. Les comportements érigés en infractions doivent être ceux qui causent effectivement un préjudice à la société. Les peines, en plus de leur objectif classique d’amendement, se voient conférer une fonction d’intimidation, de prévention, pour empêcher a priori la commission de l’infraction ou son renouvellement. Dans ce but, il est donc indispensable que les incriminations et les peines soient fixées par avance et avec certitude. Ainsi est affirmé le principe de légalité, qui permettra de contrer par ailleurs l’arbitraire de la répression : la liste des infractions et le niveau des peines attachées à chaque infraction doivent être fixés à l’avance par un texte écrit, qui ne peut être que la loi, expression de la volonté générale. La loi pénale s’appliquant à tous sans distinction, et les citoyens connaissant à travers elle les infractions et les peines, le principe de légalité concourt donc à l’égalité dans la répression. La loi pénale est la même pour tous. LARCIER

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L’auteur prône enfin une répression plus respectueuse de la personne humaine : la torture et les châtiments corporels doivent être supprimés. La détermination des peines doit être fonction de la gravité de l’infraction.

B) L’école néoclassique La doctrine de l’école néoclassique, énoncée au XIXe siècle par Guizot, Rossi, Jouffroy, Ortolan, se résume dans cette phrase : « punir pas plus qu’il n’est juste, pas plus qu’il n’est utile ». La répression doit être modérée et ne doit tendre qu’à la défense de la société. La doctrine est ainsi résolument utilitariste. À la base de cette doctrine, on trouve la liberté de l’homme : parce qu’il est libre, l’homme est responsable de ses actes. Le fondement de la répression doit être la responsabilité morale de l’individu. Dès lors, les peines prononcées doivent être fonction de la gravité de l’infraction et du degré de culpabilité de son auteur. Au contraire de Beccaria, l’école néoclassique ne prône pas l’égalité dans la fixation de la peine et son application mais une individualisation de la peine, une modulation de celle-ci. Ce pouvoir d’individualiser la peine est confié au juge.

C) L’école positiviste La formulation de la doctrine positiviste est essentiellement le fait d’auteurs italiens, en particulier Lombroso, Ferri et Garofalo. L’originalité de cette approche du phénomène criminel repose sur ses caractères largement scientifique, objectif et surtout déterministe : à l’opposé des doctrines classiques, les positivistes ne pensent pas que l’homme soit un être libre mais considèrent plutôt que certains d’entre eux ont un destin de criminel, qu’ils sont dangereux par nature. Cette dangerosité est due à des causes internes, tenant à la personnalité du délinquant, à l’hérédité, et à des causes externes, le milieu physique et social du délinquant. Il existe à cet égard différents types de criminels : criminels nés, criminels aliénés et criminels d’habitude, reconnaissables à leurs traits physiques et psychologiques. Ces criminels en puissance ayant des caractéristiques communes, il est possible de les identifier scientifiquement et de prendre des mesures de prévention à leur encontre. La société se défend de la sorte contre les individus objectivement dangereux. En revanche, elle fera preuve de tolérance à l’égard des criminels d’occasion et des criminels passionnels. Dans ce schéma, la sanction a dès lors deux caractéristiques : – elle va varier selon le type d’individus auquel elle va s’appliquer, elle est modulée selon la dangerosité de l’individu : les criminels nés ou aliénés sont éliminés de la société par la mort ou l’internement à vie, des condamnations conditionnelles peuvent frapper les délinquants non dangereux, occasionnels ou passionnels ; – elle a un rôle non pas répressif mais préventif, et un caractère médical, thérapeutique prononcé. C’est un traitement. On ne parle alors plus de peine mais de mesure de sûreté. 16

INTRODUCTION

Droit pénal général


D) La doctrine de la défense sociale nouvelle L’objectif assigné au droit pénal de défendre la société par des mesures de sûreté existait déjà dans la doctrine positiviste. Après la Seconde Guerre mondiale, cette notion de défense sociale va connaître de nouveaux développements, par le biais notamment de l’italien Gramatica qui défend l’idée de mesures curatives et préventives à l’encontre des délinquants. En France, son représentant le plus célèbre est Marc Ancel qui publie en 1954 La défense sociale nouvelle. Cette doctrine fait une large place à la prévention ainsi qu’au reclassement et se caractérise par son humanisme. Notamment, partant du constat que la prison est criminogène, elle incite au développement des peines alternatives à l’emprisonnement, celui-ci ne devant être prononcé qu’en dernier recours. Les mesures de défense sociale, en prenant en compte la personnalité du délinquant et son environnement, sont individualisées et largement préventives. Leur objectif majeur est de reclasser, réinsérer le délinquant dans la société. C’est l’idée de resocialisation. L’individualisation de la répression est confiée au juge qui doit disposer d’une large gamme de sanctions, mais elle doit également être étendue à l’application des sanctions, notamment dans le régime pénitentiaire. Ces principales doctrines pénales ont influencé le droit positif français. Ce dernier repose toutefois sur des bases essentiellement classiques, en particulier sur la notion de responsabilité.

§ 2.

L’évolution du droit positif français

Avant que l’État ne s’organise, les réponses au crime étaient le fait de l’individu agressé, de sa famille, du clan ou de la tribu. L’idée dominante était celle de la vengeance, exercée dans un cadre strictement privé. Lorsque l’État a développé son autorité, il a organisé la vengeance, ce qui a donné naissance à la justice privée, c’est-à-dire une justice exercée par la famille, mais selon une procédure établie par l’État. La loi du talion (« åil pour úil, dent pour dent ») a fixé une limite à l’étendue de la vengeance privée, de même que la pratique de l’abandon noxal (la famille de l’agresseur livre celuici à la famille de la victime pour échapper à la vengeance). La composition (versement d’une somme ou de biens) s’est généralisée, avec la fixation de tarifs selon le délit commis. La justice privée a été interdite en certains lieux ou durant certaines périodes, comme pendant la Trêve de Dieu ou la Quarantaine le roi. Progressivement, la répression a été prise en main par l’État. Il a exigé qu’une part de la composition due à la famille de la victime lui soit versée et a défini par ailleurs des crimes publics. L’action est devenue publique, c’est-àdire exercée par l’État. En France, ce mouvement est pleinement achevé au XVIIe siècle. LARCIER

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A) Le droit pénal français jusqu’aux Codes napoléoniens (1810) 1)

L’Ancien Régime

Le droit de l’Ancien Régime était un droit coutumier. Il était fixé par des textes écrits, comme l’ordonnance de 1670 pour la procédure, mais également par des coutumes. Le droit de l’Ancien Régime avait un caractère arbitraire. Le juge disposait d’une grande liberté pour fixer les peines, que ce soit en aggravant ou en adoucissant les peines légales mais aussi en ayant recours à des peines extraordinaires. Par ailleurs, le roi pouvait revenir sur les sentences (lettres de grâce, droit de pardon), voire infliger lui-même des sanctions (lettres de cachet). De plus, la répression était inégale puisqu’elle frappait les individus différemment selon leur rang social. Le droit de l’Ancien Régime avait une forte connotation religieuse et morale. Les incriminations attestent de la présence de considérations religieuses : blasphème, hérésie, sorcellerie, sacrilège. Les peines avaient un objectif expiatoire. Des juridictions ecclésiastiques coexistaient avec les juridictions d’État. Enfin, les sanctions appliquées sous l’Ancien Régime étaient caractérisées par leur cruauté, la souffrance issue de leur application étant destinée à expier le crime : supplice du feu, de la roue, peine de mort encourue dans de nombreux cas, mutilations. Vers la fin de l’Ancien Régime, au XVIIIe siècle, sous l’influence des philosophes du siècle des Lumières et des cahiers de doléances qui reprenaient leurs idées, une légère évolution est perceptible. 2) La Révolution Inspirés des idées des légalistes, notamment celles de Beccaria, et par réaction à l’arbitraire qui caractérisait le droit criminel de l’Ancien Régime, de nouveaux principes constitutifs du droit pénal sont affirmés. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 rompt avec le droit pénal du passé, en énonçant les principes d’égalité des citoyens devant la loi, y compris la loi pénale, de légalité et de non-rétroactivité des délits et des peines, de la nécessité des peines : – article 6 : « La loi est l’expression de la volonté générale… Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse… » ; – article 7 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites… » ; – article 8 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; – article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Du principe de légalité des délits et des peines affirmé à l’article 8 découlent plusieurs conséquences. 18

INTRODUCTION

Droit pénal général


En premier lieu, le droit pénal devient un droit écrit, issu de la loi et non plus de la coutume (loi de police municipale et correctionnelle de 1791, Code pénal de 1791). En deuxième lieu, le droit est déterminé à l’avance, ce qui est un facteur de sécurité juridique. En dernier lieu, les peines sont appliquées rigoureusement, ne laissant place à aucun pouvoir d’individualisation de celles-ci par le juge, simple exécutant qui ne peut prendre en considération ni la personnalité du délinquant, ni les circonstances de l’infraction : le Code pénal de 1791 institue un système de peines fixes. Le droit pénal issu de la Révolution se caractérise également par son humanisme : les cas dans lesquels la peine de mort est encourue sont réduits, les peines cruelles et corporelles sont supprimées, de même que les peines perpétuelles et la confiscation générale (de tous les biens du condamné). En ce qui concerne les incriminations, celles-ci sont plus objectives, destinées à protéger l’ordre public et social plutôt que la morale ou des conceptions religieuses. Ces principes sont réaffirmés dans le Code des délits et des peines de l’An IV, mais leur mise en úuvre aboutit à un échec : paradoxalement, le droit de la révolution est inégalitaire et injuste puisqu’aucune individualisation dans la répression n’est permise. Le droit pénal élaboré sous l’Empire tiendra compte des défauts du droit criminel révolutionnaire.

B) Le droit pénal français sous le Code pénal de 1810 L’Empire a effectué un grand travail de refonte du droit criminel au travers de deux Codes : le Code d’instruction criminelle du 16 décembre 1808, le Code pénal du 20 février 1810, entrés tous deux en vigueur en 1811. Le Code d’instruction criminelle a laissé la place en 1959 au Code de procédure pénale. Quant au Code pénal de 1810, modifié à de nombreuses reprises, il est resté en vigueur jusqu’en 1994. 1) Les principes du Code de 1810 S’il réaffirme le principe de légalité des délits et des peines, il corrige le droit révolutionnaire de deux manières. D’une part, la répression est accentuée par le rétablissement de peines corporelles, de la confiscation générale et des peines perpétuelles. L’objectif utilitaire des peines est clair : il s’agit de dissuader la commission ou le renouvellement de l’infraction. D’autre part, le système des peines fixes est abandonné au profit de l’affirmation d’un pouvoir d’individualisation des peines accordé au juge pénal. Les peines sont définies pour une infraction donnée par un minimum et un maximum. 2) L’évolution du droit pénal français depuis 1810 Dans la première moitié du XIXe siècle, les peines connaissent un adoucissement. La confiscation générale est abolie (Charte de 1814), les châtiments corporels sont supprimés, les cas dans lesquels la peine de mort est encourue sont réduits, le recours aux circonstances atténuantes est étendu (loi du 28 avril 1832), la mort civile (le condamné à une peine perpétuelle était considéré comme juriLARCIER

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diquement mort, de sorte que son mariage était dissous et sa succession ouverte) est abolie (loi du 31 mai 1854). Par ailleurs, une distinction est introduite entre les infractions de droit commun et les infractions politiques, lesquelles subissent un régime particulier (loi du 28 avril 1832). La peine de mort est supprimée en matière politique (Constitution du 4 novembre 1848). À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, sous l’influence des idées positivistes, des mesures de sûreté sont introduites en droit pénal français, comme la relégation (internement des multirécidivistes hors de la métropole) et l’interdiction de séjour (interdiction de fréquenter certains lieux) (loi du 27 mai 1885). De même, l’individualisation des peines est renforcée, par la possibilité de prononcer une libération conditionnelle (loi du 14 août 1885), par l’introduction du sursis au bénéfice du délinquant primaire (loi « Béranger » du 26 mars 1891), par un régime pénal distinct pour les mineurs délinquants (loi du 22 juillet 1912). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les peines se voient conférer une fonction éducative et resocialisante, sous l’influence de la doctrine de la défense sociale nouvelle : mesures en faveur de l’enfance délinquante (ordonnance du 2 février 1945), mesures d’assistance éducative en faveur de l’enfance en danger en dehors de toute infraction (ordonnance du 23 décembre 1958), désintoxication des alcooliques dangereux (loi du 15 avril 1954) et des toxicomanes (loi du 31 décembre 1970). L’individualisation des peines est une nouvelle fois renforcée, par l’introduction de substituts à l’emprisonnement, de l’ajournement et de la dispense de peine, par le développement du mécanisme du sursis et l’adoucissement des conditions d’exécution des peines (loi du 11 juillet 1975), enfin par le développement des alternatives à l’emprisonnement comme le travail d’intérêt général et la peine de jours-amendes (loi du 10 juin 1983). Mais, lorsque le crime atteint une certaine gravité, un régime de sûreté permet d’exclure toute mesure d’individualisation (loi du 22 novembre 1978, loi du 9 septembre 1986 et loi du 1er février 1994). Un mouvement répressif s’est également fait sentir à mesure que l’État a étendu ses fonctions. L’État entend en particulier réprimer de nouvelles formes de délinquance, en créant de nouvelles incriminations, en redéfinissant des infractions existantes ou en alourdissant les peines encourues. Il en est ainsi pour la défense de la sûreté de l’État (décret-loi du 29 juillet 1939), en matière économique (ordonnances du 30 juin 1945), contre le proxénétisme (loi du 11 juillet 1975), contre le terrorisme (loi du 9 septembre 1986). Une importante loi du 2 février 1981 dite « sécurité et liberté » augmente les pouvoirs de police et permet d’accélérer dans certains cas le procès pénal. Parfois, la redéfinition du droit pénal prend la forme d’une dépénalisation, par exemple en matière de banqueroute ou de concurrence en 1985. La protection des droits de la personne humaine prend également une place centrale dans la politique criminelle : protection de la famille, interdiction des discriminations (lois du 29 décembre 1972 et du 11 juillet 1975), protection en matière de traitement informatisé des données à caractère personnel (loi du 6 janvier 1978, dite « informatique et libertés »). Une loi du 9 octobre 1981 abolit la peine de mort. Si le Code pénal lui-même a été modifié à de nombreuses reprises, de nombreux textes pénaux spéciaux ont vu le jour, procédant à un morcellement du droit criminel français. La période contemporaine est à cet égard caractérisée par une inflation législative. C’est pourquoi, il y a une trentaine d’années, la question d’une recodification s’est posée avec une particulière insistance. 20

INTRODUCTION

Droit pénal général


C) Le nouveau Code pénal 1) Pourquoi un nouveau Code pénal ? Le Code pénal de 1810 avait d’abord perdu toute unité, toute cohérence d’ensemble. Les modifications, ajouts et surajouts en avaient fait un instrument particulièrement lourd d’utilisation. Une refonte d’ensemble du Code, texte de référence en matière criminelle, était indispensable. Il fallait rendre le droit pénal davantage accessible. Le Code pénal de 1810 était ensuite incomplet, s’agissant tant des infractions, c’est-à-dire du droit pénal spécial, que des principes du droit pénal général. Les infractions se sont dispersées au fil des réformes entre le Code pénal, des textes législatifs particuliers et d’autres Codes (depuis le Code de la santé publique, le Code de la route… jusqu’au Code minier et au Code de la marine marchande). Le droit pénal spécial était ainsi éclaté, disséminé dans différents textes. Une codification apparaissait nécessaire pour intégrer dans le Code pénal les principales infractions du droit français. Les principes de base du droit pénal général ne se trouvaient pas tous dans le Code pénal, puisque certains se situaient dans le Code de procédure pénale ou dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Le développement de nouvelles formes de criminalité (économique et organisée) nécessitait par ailleurs une nouvelle définition de la politique criminelle, par la création de nouvelles incriminations ou par la révision des peines applicables à certaines infractions. Enfin, une réforme pénale était l’occasion de réaffirmer certaines idées pénales, notamment celles de la défense sociale, en renforçant les principes d’individualisation des peines et de resocialisation du délinquant. 2) Les étapes de l’adoption du nouveau Code pénal La procédure dura une vingtaine d’années. Un décret du 8 novembre 1974 institue officiellement une Commission de révision du Code pénal, composée de professionnels du droit et d’universitaires. Avec le changement de majorité en 1981, la composition de la Commission est modifiée et les projets sont révisés. Un projet de loi portant réforme du Code pénal est déposé devant le Sénat en 1986. La période de cohabitation (1986-1988) empêche l’adoption du projet qui tombe alors en sommeil. La relance a lieu en 1989 à l’initiative du Président de la République, François Mitterrand. En juillet 1992, l’Assemblée nationale et le Sénat adoptent les quatre projets de loi de réforme du Code pénal. Les quatre lois, n° 92-683 à 686, correspondant aux livres I à IV du nouveau Code pénal, sont promulguées le 22 juillet 1992. Une importante loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992, dite loi d’adaptation, aménage les textes et les Codes affectés par la réforme (notamment en modifiant les renvois au Code pénal qu’ils comportent et en supprimant les minima des peines qu’ils édictent) et adopte un livre V, vide, destiné à recevoir les « autres crimes et délits ». La partie réglementaire, c’est-à-dire le livre VI relatif aux contraventions, est adoptée par un décret du 29 mars 1993 portant réforme du Code pénal, puis complétée par un décret du 25 février 1994. LARCIER

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La date d’entrée en vigueur de la réforme, initialement fixée au 1er mars 1993, a été reportée une première fois au 1er septembre 1993 par la loi d’adaptation puis, compte tenu de l’ampleur de la réforme et de la nécessité d’informer les magistrats, reportée une seconde fois au 1er mars 1994 par la loi n° 93913 du 19 juillet 1993. Deux importantes circulaires d’application, explicatives, ont été adoptées le 14 mai 1993 pour la partie législative et le 18 janvier 1994 pour la partie réglementaire. 3) Les caractéristiques du nouveau Code pénal Le nouveau Code pénal se distingue de son prédécesseur tant sur le plan de la forme que sur celui du fond. a) La forme du nouveau Code pénal

Le plan du nouveau Code pénal est clair. Le nouveau Code pénal est composé de sept livres, découpés en titres puis en chapitres, eux-mêmes découpés éventuellement en sections et sous-sections. Le livre Ier est relatif aux principes généraux du droit pénal. C’est la partie générale du Code pénal. Les livres suivants composent la partie spéciale, en ce sens que des infractions y sont définies. Le livre II porte sur les crimes et délits contre les personnes, le livre III sur les crimes et délits contre les biens, le livre IV sur les crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique, le livre V sur les autres crimes et délits. Le livre VI est relatif aux contraventions, et le livre VII aux dispositions applicables dans les TOM et à Mayotte. La numérotation du nouveau Code pénal est caractérisée par sa simplicité. Chaque article comporte quatre ou cinq chiffres, le premier correspondant au livre (de 1 à 7), le second au titre dans ce livre, le troisième au chapitre au sein de ce titre. Ensuite, la numérotation des articles d’un même chapitre se fait par un chiffre croissant situé après un tiret, voire un second tiret lorsqu’un nouvel article est inséré par la suite dans le Code. Ainsi, l’article 133-12 est le 12e article du chapitre III du titre III du livre I. Les articles 225-16-1 à 225-16-3 relatifs au bizutage se situent dans le chapitre V du titre II du livre II. Ils ont été insérés dans le Code après l’article 225-16 par la loi 98-468 du 17 juin 1998. Lorsqu’un article se situe dans la partie réglementaire du nouveau Code pénal, partie qui suit le même plan que celui de la partie législative, il est précédé d’un R (comme Règlement). L’article R. 321-9 se situe ainsi dans le chapitre Ier du titre II du livre III, mais dans sa partie réglementaire. Les définitions du nouveau Code pénal sont plus claires et les termes employés plus explicites, que ce soit dans la partie générale (par exemple, la définition de la démence) ou pour définir des incriminations de droit pénal spécial. Le législateur a ainsi montré son souci de rendre le Code accessible et non équivoque. b) Une codification inachevée

1. L’effort de codification Le nouveau Code pénal reprend bien entendu un grand nombre de principes et d’infractions contenus antérieurement dans le Code de 1810. Il pro22

INTRODUCTION

Droit pénal général


cède à cette occasion à une réécriture (par exemple, l’abus de confiance). Un toilettage a également été effectué, puisque certaines incriminations n’ont pas été reprises. Enfin, par l’adoption d’un nouveau Code pénal, le législateur a également entendu rapatrier dans ce texte des principes de droit pénal général et des infractions définies antérieurement hors du Code pénal de 1810, en procédant le cas échéant à une réécriture du principe, à un aménagement de l’incrimination et à une révision des peines encourues. S’agissant du droit pénal général, certains principes étaient affirmés dans des textes extérieurs au Code pénal. C’est le cas par exemple de principes relatifs à l’application de la loi pénale dans l’espace ou des dispositions relatives à la dispense et à l’ajournement des peines qui se trouvaient auparavant dans le Code de procédure pénale. D’autres principes généraux du droit pénal, affirmés dans le nouveau Code, ne se trouvaient dans aucun texte mais procédaient de la jurisprudence. Le législateur consacre de la sorte l’évolution en cours : ainsi de l’état de nécessité, dont le principe est affirmé à l’article 122-7 du nouveau Code pénal. S’agissant du droit pénal spécial, le mouvement de codification est plus net. Face à l’éclatement des infractions dans divers Codes et textes, le législateur a procédé à un rapatriement de nombreuses infractions dans le nouveau Code. À titre d’exemple, citons le trafic de stupéfiants antérieurement réprimé par le Code de la santé publique, les infractions relatives au traitement automatique de données à caractère personnel reprises de la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978, ou encore la filouterie de taxi, c’est-à-dire le fait de se faire transporter en taxi alors que l’on sait être dans l’impossibilité de payer ou que l’on n’en a pas l’intention, issue d’une loi du 31 mars 1926. Dans le sens inverse, quelques infractions sont sorties du Code pour être insérées dans des textes extérieurs (par exemple la banqueroute). Des tables de correspondance ont été établies par les circulaires du 14 mai 1993 (partie législative) et du 18 janvier 1994 (partie réglementaire) pour permettre de se repérer commodément. 2. L’inachèvement de la codification Toutes les infractions ne sont pas contenues dans le Code pénal. Au contraire, la majorité des infractions figure dans d’autres Codes et dans d’innombrables lois et décrets. Pour ne citer qu’un exemple, les infractions à la circulation routière sont définies dans le Code de la route. Le livre V du Code pénal relatif aux autres crimes et délits devait permettre de poursuivre le mouvement de codification des infractions définies dans des textes extérieurs au Code. Il est pour l’instant relativement vide, puisqu’il ne contient que des infractions en matière d’éthique biomédicale (insérées dans ce livre par une loi du 29 juillet 1994) et celles relatives aux sévices graves et actes de cruauté envers les animaux (deux articles qui, à l’origine, formaient seuls le livre V). Ce livre V devra être complété pour comprendre à terme un grand nombre d’infractions actuellement réprimées dans des textes extérieurs, que ce soit en matière économique, environnementale, de construction et d’urbanisme, de droit du travail. Enfin, la lecture de la partie spéciale du Code pénal est parfois difficile dans la mesure où de nombreuses notions ou formalités restent définies dans des textes extérieurs, le nouveau Code n’ayant procédé au rapatriement que LARCIER

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des infractions. Par exemple, en matière de trafic de stupéfiants, la notion de stupéfiant reste définie dans le Code de la santé publique. c) Les principales nouveautés de fond du nouveau Code pénal

Le nouveau Code pénal n’est en rien révolutionnaire et les grands principes du droit pénal français sont sauvegardés : principes de légalité et de responsabilité, classification tripartite des infractions en crimes, délits et contraventions. Le nouveau Code n’est dans l’ensemble ni plus doux, ni plus sévère que le Code de 1810. Si certaines incriminations sont effectivement nouvelles, d’autres ont disparu : mendicité, vagabondage, relations sexuelles librement consenties entre deux mineurs, avortement de la femme sur elle-même. Si les peines encourues pour certaines infractions ont été aggravées, d’autres ont diminué. En fait, le nouveau Code pénal est le reflet des valeurs de la société actuelle. Le législateur a fait une place particulière au respect de la personne humaine et des droits de l’homme, en créant de nouvelles infractions : crimes contre l’humanité, conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine, harcèlement sexuel, abus frauduleux de l’ignorance d’une personne vulnérable. Le Code a également procédé à une révision des peines, en particulier en supprimant l’emprisonnement en matière de contraventions et en mettant l’accent sur la fonction resocialisante de la peine. Le pouvoir du juge d’individualiser les peines a été accentué : le nouveau Code pénal a créé de nouvelles peines alternatives, a développé le système du jour-amende et celui des travaux d’intérêt général. Surtout, les peines ne comportent plus qu’un maximum. Le minimum des peines ainsi que les circonstances atténuantes ont disparu. Le juge dispose ainsi d’une grande liberté dans la fixation de la peine (la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 a par la suite institué aux articles 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal des peines minimales pour les crimes et délits graves commis en état de récidive, mais le juge peut là encore prononcer, dans les conditions posées par la loi, une peine inférieure aux seuils fixés ; voir page 308). Les formes modernes de la délinquance font l’objet d’une répression accrue, que ce soit en matière de trafic de stupéfiants, d’actes de terrorisme, ou par la prise en compte, en tant que circonstance aggravante, de la bande organisée. Le nouveau Code pénal a également pris en considération l’importance des sociétés dans la vie économique, en introduisant une nouveauté de taille, la responsabilité pénale des personnes morales. Enfin, il a voulu réprimer certains comportements irresponsables, notamment en matière de circulation routière, en instaurant la faute de mise en danger délibérée de la personne d’autrui et le délit de risques causés à autrui.

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INTRODUCTION

Droit pénal général


PARTIE I

La norme pénale C H A PI T R E 1

Le principe de légalité des délits et des peines C H A PI T R E 2

Les sources du droit pénal C H A PI T R E 3

Le contrôle de validité de la norme pénale C H A PI T R E 4

Le champ d’application de la norme pénale

LARCIER

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Le droit criminel français est dominé par le principe de légalité, ce qui signifie que l’ensemble du système répressif doit être organisé par des textes. La première exigence à toute répression est donc celle d’une norme pénale, qui devra obligatoirement revêtir certains caractères. Cette règle peut provenir de diverses autorités. Il conviendra donc de définir les sources du droit pénal. Le droit français connaît également une hiérarchisation des normes. Un texte répressif doit être conforme aux textes et principes qui lui sont supérieurs. La seconde exigence essentielle est donc celle d’une norme valide et, pour garantir cette conformité, des mécanismes juridictionnels de contrôle sont ménagés. Si la norme pénale est valide, elle sera alors apte à produire des effets juridiques. Son champ d’application dans le temps et dans l’espace devra être délimité.

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PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


CHAPITRE 1

Le principe de légalité des délits et des peines Le principe de légalité occupe une place centrale en droit criminel. Le droit pénal doit être légal, autrement dit organisé par des textes, la loi de préférence. Le terme « principe de légalité des délits et des peines » ne doit pas tromper. D’une part, « délit » doit être entendu au sens large d’infraction, le principe étant naturellement applicable aux crimes et aux contraventions. D’autre part, ce principe fondamental ne s’applique pas seulement aux incriminations et aux peines mais également à la procédure pénale. Des textes précis doivent définir les compétences et l’organisation des juridictions pénales, les pouvoirs de la police et du ministère public, les cas autorisés de détention provisoire, les caractères d’un procès équitable, les droits de la défense, les voies de recours. SECTION I

Historique et justifications du principe de légalité Le principe de légalité est caractérisé par sa permanence. Affirmé avec vigueur dès la Révolution française, il n’a cessé depuis de dominer le droit criminel français.

§ 1.

Origine du principe de légalité

L’adage de l’ancien droit selon lequel « les peines sont arbitraires en ce royaume » ne signifiait nullement que toute répression était inique et que les règles criminelles étaient constamment adaptées pour servir des intérêts particuliers. Il existait sous l’Ancien Régime des textes et des coutumes qui organisaient le droit criminel. Cependant, les juges et le roi disposaient d’un pouvoir arbitraire, en ce sens qu’ils pouvaient réprimer même en l’absence de règles écrites ou coutumières, en interprétant extensivement les règles existantes. Si l’on ne peut pas affirmer que le droit était fondamentalement injuste, il était pour le moins incertain. En réaction à la diversité des sources qui caractérisait le droit criminel de l’Ancien Régime et à l’arbitraire dont disposaient les juges et le roi pour fixer les peines, la mise en úuvre en matière criminelle d’un nouveau principe fut réclamée, en particulier par Montesquieu et par Beccaria. Pour ces auteurs, les incriminations et les peines devaient être fixées par la loi, le rôle du juge devant se limiter à appliquer celle-ci. Le principe de légalité pénale a été solennellement proclamé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, dans ses articles 5, 7 LARCIER

Le principe de légalité des délits et des peines CHAPITRE 1

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et surtout 8 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. » Le Code pénal de 1810 énonçait à l’article 4 le même principe dans une formule synthétique : « nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent être punis de peines qui n’étaient pas prononcées par la loi avant qu’ils fussent commis ».

§ 2.

Justifications du principe de légalité

Traditionnellement, trois arguments militent en faveur du principe de légalité criminelle : – le principe de légalité criminelle procède de l’affirmation selon laquelle l’homme possède naturellement des droits. L’homme est libre et, s’il concède une part de cette liberté à la société, cette part doit être clairement et préalablement définie. Le fait que des textes énoncent précisément ce qui est interdit et les sanctions encourues en cas de violation de ces interdits est une garantie pour la liberté des individus, une garantie contre les abus et un facteur de sécurité juridique, car tout comportement non expressément puni par un texte est alors permis. Au delà, le principe de légalité des délits et des peines est l’application au droit criminel du principe général de légalité, fondement de l’État de droit, qui exige que les pouvoirs des autorités publiques soient définis par la loi ; – le principe de légalité criminelle découle du principe de la séparation des pouvoirs. Il appartient au pouvoir législatif, et non aux pouvoirs exécutif et judiciaire, le soin de définir les infractions et les peines. Seul le législateur, représentant le peuple et investi de la légitimité populaire, doit déterminer les infractions et peut par conséquent limiter les libertés individuelles ; – le principe de légalité criminelle est un instrument de politique pénale. En déterminant par avance les comportements pénalement sanctionnés, le droit criminel a une fonction intimidatrice, les individus étant prévenus, au travers de l’ensemble des textes pénaux, de ce qui est interdit et pénalement sanctionné et, par voie de conséquence, de ce qui est autorisé. L’intimidation procède de la certitude de la répression.

§ 3. Affirmations contemporaines et valeur du principe de légalité Le principe de légalité des délits et des peines est affirmé à différents niveaux : par la Constitution, par des traités internationaux ratifiés par la France, par la loi au travers du Code pénal.

A) Valeur constitutionnelle Le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 procédant à un renvoi aux droits garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le principe de légalité qui y figure est donc une règle de valeur constitu28

PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


tionnelle. Le rang constitutionnel du principe de légalité a été confirmé par le Conseil constitutionnel (Cons. constit. 19-20 janvier 1981, loi sécurité et liberté, Rec. p. 15, JCP 1981, II, 19701, note Franck ; Cons. constit. 10-11 octobre 1984, loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, Rec. p. 78).

B) Valeur universelle Les grands textes internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels la France a adhéré se réfèrent également au même principe : Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, Convention européenne des droits de l’homme de 1950, dont l’article 7, paragraphe 1er, dispose que « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».

C) Dans le Code pénal Au niveau législatif, le principe de légalité criminelle est affirmé dans deux articles du Code pénal de 1994, l’article 111-2 posant la règle de manière positive et l’article 111-3 énonçant le principe d’une manière plus classiquement négative : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction est une contravention. » Fondement du droit pénal français, le principe de légalité emporte des conséquences majeures pour l’ensemble des acteurs du système répressif.

SECTION II

Les conséquences du principe de légalité criminelle Appliqué au droit pénal, le principe de légalité signifie avant tout qu’un texte est exigé pour définir en des termes généraux et par avance l’incrimination et la sanction encourue. Le principe de légalité criminelle s’adresse donc en premier lieu au législateur, chargé de la production des textes pénaux. Mais il s’adresse également au juge, appelé à appliquer la loi pénale. Le principe de légalité lui interdit tout rôle créateur et sa fonction interprétative est encadrée par le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, l’un des deux corollaires, avec le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, du principe de légalité. LARCIER

Le principe de légalité des délits et des peines CHAPITRE 1

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§ 1.

L’exigence d’un texte

Le principe de légalité criminelle exige, pour la définition de l’incrimination et de la sanction pénale, non seulement un texte, mais encore un texte précis.

A) Pas d’infraction, pas de peine sans texte Le principe de légalité de la répression s’affirme souvent au travers d’une formule latine : Nullum crimen nulla poena sine lege, pas d’infraction, pas de peine sans texte. Les incriminations et les peines qui leur sont applicables ne peuvent être prévues qu’au travers de textes préexistants et qui posent des règles abstraites et générales. En d’autres termes, toute poursuite doit se fonder sur un texte. Ce texte doit bien entendu être porté à la connaissance des individus, ce qui sera formellement réalisé par sa publication au Journal officiel. Le texte qui définit l’infraction ou qui prévoit les peines doit être en vigueur. Il doit d’ailleurs être pleinement applicable, non seulement le jour de commission des faits, mais également par la suite au stade des poursuites comme du jugement (voir p. 71 et s. pour les règles gouvernant l’application de la loi pénale dans le temps). Un texte abrogé, même postérieurement à la date de commission de l’infraction, ne peut pas valablement servir de fondement à des poursuites ni à une condamnation. S’il existe un doute sur l’existence ou l’étendue de la disposition en cause, ce doute doit profiter à la personne poursuivie. En raison de l’incertitude juridique, la disposition sera écartée (Crim., 16 janvier 2002, Bull. crim. n° 6, au sujet d’un article du Code général des impôts, abrogé en 1970 puis modifié en 1994 par le remplacement d’un membre de phrase). La loi offre les meilleures garanties, puisque les législateurs sont les représentants du peuple. Dans sa version originelle, le principe de légalité interdisait au pouvoir exécutif, à l’administration, de créer des infractions pénales. Comme nous le verrons par la suite, ce dernier aspect du principe de légalité criminelle a été assoupli. Deux sources complémentaires, la loi et le règlement, se partagent la tâche de déterminer les infractions pénales (voir p. 37).

B) L’exigence de précision Le principe de légalité exige également que l’infraction soit définie d’une manière claire et précise. Ainsi, pour la Cour européenne des droits de l’homme, « il résulte du principe de légalité des délits et des peines qu’une infraction doit être clairement définie par la loi, condition qui se trouve remplie lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent la responsabilité pénale » (arrêt du 25 mai 1993, Kokkinakis contre Grèce, série A, n° 260 A ; arrêt du 15 novembre 1996, Cantoni contre France, Rec. 1996-V, n° 20). Les incriminations trop larges violent le principe de légalité au même titre que l’absence de texte, puisqu’aucune garantie n’est ménagée et que la possibilité d’arbitraire demeure entière. L’histoire a connu des exemples de dispositions rédigées de manière tellement générale qu’elles permettaient de poursuivre toute personne ne se situant pas dans la ligne officielle. Ainsi, le Code pénal soviétique de 1926 prévoyait que « les mesures de défense sociale 30

PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


sont applicables aux personnes qui présentent un danger par leurs attaches avec un milieu dangereux ou par leur passé ». Une loi de Vichy du 7 septembre 1941 donnait compétence au Tribunal d’État pour juger tout acte de nature à troubler l’ordre, la paix intérieure, la tranquillité publique « ou d’une manière générale à nuire au peuple français ». Autre exemple, l’article 82 de l’ancien Code pénal punissait « quiconque, en temps de guerre, accomplira sciemment un acte de nature à nuire à la défense nationale non prévu et réprimé par un autre texte ». Ces exemples sont bien entendu extrêmes. Mais le législateur français, lorsqu’il utilise des termes vagues qu’il omet de définir, encourt le même grief d’imprécision. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé, en affirmant que le législateur se devait de « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (Cons. constit., 19 et 20 janvier 1981, loi sécurité et liberté, Rec. p. 15). Des dispositions législatives ont ainsi été censurées par le Conseil constitutionnel sur la base du principe de légalité. Ont ainsi été censurés par le Conseil constitutionnel, une disposition qui punissait d’une amende la violation d’une obligation sans préciser sur qui portait cette obligation (décision n° 84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse, Rec. p. 78), un article punissant « l’administrateur, représentant des créanciers, liquidateur ou commissaire à l’exécution du plan qui se rend coupable de malversation dans l’exercice de sa mission », puisque le législateur n’avait pas défini ce qu’il fallait entendre par le terme « malversation », en l’occurrence trop imprécis (décision n° 84-183 DC, 18 janvier 1985, loi relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, Rec. p. 32), une disposition renvoyant à un arrêté du ministre de l’Intérieur le soin de fixer la liste des associations à but non lucratif à vocation humanitaire exemptées des dispositions relatives à la responsabilité pénale des personnes morales pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France, puisqu’en soumettant à l’appréciation du ministre de l’Intérieur la « vocation humanitaire » des associations, la loi faisait dépendre son champ d’application de décisions administratives (décision n° 98-399 DC, 5 mai 1998, loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, Rec. p. 245), une disposition prévoyant la responsabilité pénale des hébergeurs de sites Internet qui, saisis par un tiers estimant que le contenu qu’ils hébergent est illicite ou leur cause un préjudice, n’ont pas procédé aux « diligences appropriées » (décision n° 2000-433 DC, 27 juillet 2000, loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, Rec. p. 121), des dispositions dérogatoires qui conditionnent le champ d’application de la loi pénale et dont les termes – « travail collaboratif », « interopérabilité » – sont imprécis (décision n° 2006-540 DC, 27 juillet 2006, loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, JO 3 août 2006, p. 11541), des dispositions imprécises relatives aux activités susceptibles de ressortir à l’intelligence économique – « recherche et traitement d’informations sur l’environnement économique, social, commercial, industriel ou financier d’une ou plusieurs personnes physiques ou morales » – et de l’objet justifiant l’atteinte à la liberté d’entreprendre – « se protéger des risques pouvant menacer leur activité, leur patrimoine, leurs actifs immatériels ou leur réputation » (décision n° 2011-625 DC, 10 mars 2011, loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. n° 76), les dispositions de l’article 222-31-1 du code pénal qualifiant d’incestueux les viols et les agressions sexuelles commis « au sein de la famille », sans que soient précisées les personnes qui en sont membres (décision LARCIER

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n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011) et les dispositions de l’article 222-33 du code pénal incriminant le « fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » (« harcèlement sexuel » ; décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012). De son côté, la chambre criminelle pose la même exigence et affirme que « toute infraction doit être définie en des termes clairs et précis pour exclure l’arbitraire et permettre au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l’accusation portée contre lui ». Une disposition réglementaire déterminant une infraction peut donc être écartée si la définition de celle-ci est jugée insuffisamment claire et précise (Crim., 1er février 1990, Bull. crim. n° 56, s’agissant d’un article du Code des communes punissant « toutes infractions » aux dispositions d’un article du même Code, lequel ne définit aucune incrimination ; 24 février 2009, Droit pénal 2009, comm. n° 71, pour une notion contenue dans un texte d’incrimination qu’aucun texte ni usage professionnel ou commercial ne définit). En se basant sur la Convention européenne des droits de l’homme, il est également possible d’écarter l’application d’une disposition législative trop générale et imprécise (Crim., 20 février 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 86, à propos de l’interdiction de publier des photographies, gravures, dessins ou portraits ayant pour objet la reproduction de tout ou partie des circonstances d’un crime ou d’un délit. L’expression « circonstances », foncièrement imprécise, est d’interprétation malaisée ; elle introduit une vaste marge d’appréciation subjective dans la définition de l’élément légal de l’infraction et ne permet pas à celui qui envisage de procéder à la publication d’être certain qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de l’interdit). Toutefois, on ne saurait exiger non plus une définition d’une trop grande rigueur, ce qui aurait pour conséquence non seulement d’alourdir et de multiplier les textes, mais encore de brider le système répressif. Celui-ci doit pouvoir poursuivre et sanctionner des comportements qui s’avèrent divers et évolutifs dans la pratique. Le législateur est de surcroît dans l’impossibilité de prendre en compte toutes les circonstances qui peuvent présider à la commission d’une infraction. Dès lors, l’autorité qui édicte la norme pénale peut recourir à des termes généraux, par exemple pour définir les moyens employés pour commettre l’infraction. Dans ces conditions, l’emploi de termes tels que « par tous moyens » ou « de quelque manière que ce soit » n’est pas en soi contraire au principe de légalité. De la même façon, certains termes sont par nature généraux et il est préférable de ne pas les définir rigoureusement pour laisser au juge la possibilité de s’adapter à l’évolution des conceptions et des mentalités. C’est particulièrement le cas en matière d’infractions sexuelles, politiques et économiques. Le recours à la technique des catégories générales – souvent préférée par le législateur à celle des listes exhaustives – a été avalisé par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt Cantoni contre France du 16 novembre 1996, relatif à la définition générale du médicament donnée par le Code de la santé publique (voir également sur le même sujet, Crim., 11 décembre 1996, Bull. crim. n° 462). La Cour relève en particulier que si l’utilisation de la technique législative des catégories laisse souvent des zones d’ombre aux frontières de la définition, ces doutes ne suffisent pas à rendre la disposition incompatible avec le principe de légalité, à condition que celle-ci se révèle suffisamment claire dans la majorité des cas. La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister et toute personne, spécialement les professionnels habitués à faire preuve d’une grande prudence dans 32

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Droit pénal général


l’exercice de leur métier, peut recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Cependant, si le juge peut interpréter la loi, sa fonction est rigoureusement encadrée par le principe de légalité.

§ 2.

L’encadrement de la fonction du juge pénal

Le principe de légalité criminelle emporte deux conséquences pour le juge répressif. D’une part, il lui est interdit de créer des incriminations et des peines. D’autre part, lorsqu’il est amené à interpréter la loi pénale, il lui incombe de procéder à une interprétation stricte de celle-ci.

A) L’interdiction faite au juge pénal de créer des infractions ou des peines Le juge pénal ne peut pas créer des infractions. Si un fait n’est pas qualifié en droit pénal, c’est-à-dire s’il n’est ni un crime, ni un délit, ni une contravention, aucune peine ne peut être prononcée. Autrement dit, le juge répressif ne peut prononcer de condamnation que si le fait poursuivi constitue une infraction pénale, entre dans les prévisions d’un texte répressif (Crim., 23 juin 1964, Bull. crim. n° 208 : refus par un conducteur d’ouvrir le coffre de son véhicule ; Crim., 12 janvier 1983, Bull. crim. n° 15 ; Crim., 24 novembre 1993, Bull. crim. n° 353, 357, 358 ; Crim., 2 avril 1998, Bull. crim. n° 128 ; Crim., 29 juin 1999, Droit pénal 1999, comm. n° 154 ; Crim., 16 janvier 2001, JCP 2001, IV, 1622 ; Crim., 5 mars 2002, Bull. crim. n° 56 : aucune disposition légale ou réglementaire n’impose au chef d’entreprise de recourir à un autre procédé que l’affichage pour informer le personnel de l’organisation des élections au comité d’entreprise). De plus, si les faits constituent une infraction, le principe de légalité impose au juge de procéder à l’exacte qualification des faits (par exemple, Crim., 13 septembre 2000, Droit pénal 2000, comm. n° 139 : le fait de conduire malgré l’invalidation du permis de conduire résultant de la perte de points ne constitue pas le délit de conduite malgré annulation du permis mais la contravention de conduite sans permis, de sorte que le prononcé d’une peine d’emprisonnement n’est pas possible. Sur la qualification des faits par le juge, voir p. 111). Le juge pénal ne peut pas non plus infliger des peines qui ne sont pas prévues par les textes. En premier lieu, le principe de légalité criminelle empêche bien sûr le juge « d’inventer » une nouvelle peine qui ne serait pas définie dans la nomenclature des peines (Crim., 23 août 1810, Bull. crim. n° 105 : un domestique avait été condamné à partir de la commune parce qu’il avait quitté la maison de son maître). En deuxième lieu, le juge répressif doit se limiter aux peines qui sont attachées à une infraction déterminée et ne peut pas « piocher » dans la nomenclature générale des peines (par exemple, il ne peut plus prononcer une peine d’emprisonnement en matière contraventionnelle ; par exemple, Crim., 6 janvier 1998, Bull. crim. n° 3). Il doit s’en tenir strictement aux peines prévues par le texte applicable. Ainsi, il est interdit au juge pénal de prononcer, en plus d’une peine d’amende, une peine d’emprisonnement dès lors que celle-ci n’est pas prévue par la loi qui réprime l’infraction en cause (Crim., 5 décembre 1956, Bull. crim. n° 815) ou, en plus de l’emprisonnement, une peine d’amende non prévue par le texte applicable (Crim., 18 novembre 1975, Bull. crim. n° 249). De la même manière, le juge ne peut proLARCIER

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noncer une peine complémentaire qui n’est pas prévue par le texte réprimant l’infraction (par exemple, pour l’affichage de la décision de condamnation : Crim., 9 novembre 1993, Bull. crim., n° 332 ; 12 octobre 1999, Droit pénal 2000, comm. n° 32 ; 6 février 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 78 ; pour la suspension du permis de conduire les navires en mer : Crim., 18 septembre 1997, Bull. crim. n° 308 ; pour la suspension du permis de conduire : Crim., 18 mai 1998, Bull. crim. n° 169 ; Crim., 3 juin 1998, Bull. crim. n° 178 ; pour l’interdiction de gérer ou administrer une entreprise : Crim., 5 août 1998, Droit pénal 1999, comm. n° 42 ; pour l’interdiction des droits civiques, civils et de famille : Crim., 12 janvier 2000, Bull. crim. n° 20 ; Crim., 13 avril 2010, Bull. crim. n° 69 ; pour la démolition d’un ouvrage irrégulièrement édifié : Crim., 18 mai 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 127 ; pour l’interdiction d’exercer l’activité d’agent sportif : Crim., 24 janv. 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 55). En dernier lieu, le juge ne peut pas dépasser les limites fixées par la loi. Ainsi, il ne peut pas prononcer une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à celle fixée par la loi (Crim., 19 décembre 1956, Bull. crim. n° 858 ; Crim., 14 janvier 1998, Bull. crim. n° 19 ; Crim., 21 janvier 2003, Bull. crim. n° 14), de même qu’il lui est interdit d’infliger une amende dont le montant dépasse le maximum prévu par la loi ou le règlement (par exemple, Crim., 9 juillet 1985, Bull. crim. n° 263 ; Crim., 8 janvier 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 98, pour une amende proportionnelle ; Crim., 16 décembre 1998, Bull. crim. n° 343 ; Crim., 12 octobre 1999, Bull. crim. n° 215) ou encore une peine complémentaire pour une durée supérieure à celle prévue par le texte applicable (Crim., 19 juin 1979, Bull. crim. n° 216 ; Crim., 28 septembre 1999, Droit pénal 2000, comm. n° 34 ; Crim., 25 octobre 2000, JCP 2001, IV, 1025). Il ne peut pas, sous prétexte que le condamné est en état de récidive, prononcer une peine complémentaire excédant le maximum légal prévu par le texte réprimant le délit reproché, alors que les dispositions relatives à la récidive ne prévoient que l’aggravation des peines d’amende et d’emprisonnement (Crim., 18 janvier 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 56, pour la peine d’interdiction du territoire français). Lorsqu’elle prononce une condamnation assortie du sursis avec mise à l’épreuve, la juridiction ne peut pas non plus imposer des obligations non prévues par l’article 132-45 du Code pénal (Crim., 23 juin 1999, Bull. crim. n° 155 ; voir p. 328).

B) L’interprétation stricte de la loi pénale 1) Définition de la fonction interprétative du juge Interpréter un texte, c’est en rechercher le sens pour en faire une application exacte, correcte. Si le juge disposait d’une grande liberté pour interpréter les textes pénaux, la certitude de la répression serait illusoire, puisqu’il lui serait par exemple possible de condamner une personne pour des comportements qui semblaient a priori échapper à la répression. Le Code pénal soviétique de 1926 prévoyait ainsi que « si un acte socialement dangereux n’est pas expressément prévu par le présent Code, le fondement et les limites de la responsabilité encourue à son sujet sont déterminés conformément aux articles du Code qui prévoient les délits dont la nature s’en rapproche le plus ». De même, une loi de 1935 de l’Allemagne national-socialiste donnait aux juges la possibilité de recourir à « l’instinct sain du peuple » pour interpréter les textes. Le principe de légalité interdit au juge d’étendre, par voie interprétative, les textes à des cas que ceux-ci n’ont pas prévus. Mais les termes de la loi sont souvent généraux. Parfois, le législateur est resté vague, imprécis ou a utilisé des termes susceptibles de plusieurs inter34

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prétations. Parfois encore, le texte comporte des lacunes, des insuffisances, voire même des contradictions. Le juge, amené à appliquer les textes à des cas concrets, doit alors interpréter des notions pour en préciser le sens. L’infraction de vol est-elle constituée en cas de détournement d’électricité ou de l’usage de l’accès internet d’une autre personne ’ La seule lecture du texte applicable est bien souvent insuffisante pour le savoir. Ce sont les tribunaux qui préciseront les termes de la loi. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, « Aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation… La jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible » (arrêt C.R. contre Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A, n° 335 C). 2) La méthode interprétative exclue : l’interprétation analogique L’interprétation analogique, interprétation extensive qui consiste à étendre le texte pénal à des faits non mentionnés par le texte mais voisins de ceux qui y sont mentionnés, est exclue en matière pénale. S’il s’avère qu’un texte ne permet pas de poursuivre certains comportements, le juge ne doit pas réprimer, particulièrement si la loi procède à une énumération limitative (Crim., 15 juin 1992, Bull. crim. n° 235, s’agissant de la chose remise dans l’escroquerie sous l’empire de l’article 405 de l’ancien Code pénal ; CA Rennes, 3 mai 2000, Droit pénal 2000, comm. n° 125 : la filouterie d’hôtel, définie à l’article 313-5 du Code pénal comme le fait par une personne, qui sait être dans l’impossibilité absolue de payer ou qui est déterminée à ne pas payer, de se faire attribuer et d’occuper une chambre d’hôtel, ne s’étend pas aux prestations annexes telles des communications téléphoniques ; Crim., 17 juin 2008, Droit pénal 2008, comm. n° 125 : l’exercice d’un droit de préemption, fût-il abusif, ne saurait constituer le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi et constitutif d’une discrimination au sens de l’article 432-7 du Code pénal ; Ass. Plén., 13 février 2009, Droit pénal 2009, comm. n° 54 : la poursuite de travaux malgré une décision de la juridiction administrative prononçant le sursis à exécution du permis de construire n’est pas constitutive de l’infraction de construction sans permis). Seul le législateur pourra, le cas échéant, modifier la rédaction de l’infraction ou en créer une nouvelle pour pallier cette carence. La Cour de cassation rappelle ainsi parfois au juge répressif qu’il lui est interdit de procéder « par extension, analogie ou induction ». 3) La méthode retenue : l’interprétation stricte de la loi pénale La méthode d’interprétation à laquelle le juge pénal a recours est donc celle de l’interprétation stricte, imposée par l’article 111-4 du Code pénal : « la loi pénale est d’interprétation stricte ». Cette règle de l’interprétation stricte s’applique également aux règlements. LARCIER

Le principe de légalité des délits et des peines CHAPITRE 1

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Cette méthode exclut bien entendu d’étendre des dispositions légales en dehors des situations expressément visées. Mais, si le principe de légalité impose au juge de s’en tenir pour l’essentiel au texte, il ne faut pas non plus que son interprétation donne lieu à des applications paradoxales. La méthode d’interprétation retenue est parfois littérale. Ainsi, le juge ne peut pas prononcer à la fois l’affichage et la diffusion de la décision en répression d’une infraction lorsque la disposition répressive vise l’affichage « ou » la diffusion (Crim., 13 mai 1997, Bull. crim. n° 180 ; Crim., 8 février 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 89). Le juge doit toutefois surmonter les fautes de rédaction. Par exemple, un texte de police des chemins de fer de 1917 qui interdisait « de monter ou de descendre ailleurs que dans les gares et lorsque le train est complètement arrêté » n’a bien sûr pas été interprété comme obligeant les voyageurs à monter dans le train ou à descendre de celui-ci en marche (Crim., 8 mars 1930, D. 1930, 1, 301, note Voirin). De même, les dispositions du Code de la consommation relatives aux opérations publicitaires écrites qui tendent à faire naître l’espérance d’un gain attribué « à chacun des participants » ne s’appliquent pas aux seules loteries promettant un lot à tous les participants (Crim., 1er octobre 1997, Bull. crim. n° 323). L’interprétation stricte est davantage une interprétation téléologique, ce qui signifie que lorsqu’il interprète un texte, le juge pénal doit prendre en considération le but poursuivi par l’autorité qui a édicté la règle, sa motivation, sa volonté (par exemple, Crim., 16 mai 1996, Bull. crim. n° 200 : les porte-loupes sont des lunettes ; Crim., 30 juin 1999, Bull. crim. n° 174 ; Ass. Plén., 29 juin 2001, Bull. crim. n° 165 ; Crim., 25 juin 2002, Bull. crim. n° 144 : le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du Code pénal réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître, dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fútus). Dès lors, interprétation stricte ne signifie pas interprétation restrictive, ce qui consisterait, en cas de doute sur le sens ou la portée d’une règle, à retenir l’interprétation la plus libérale et la plus favorable à la personne poursuivie. L’essentiel est bien l’intention du législateur. Si celui-ci entendait être répressif, le juge pénal est autorisé dans certaines limites à interpréter le texte dans le sens de la répression (par exemple, Crim., 21 novembre 2001, Droit pénal 2002, comm. n° 46 : la déclaration aux organismes de protection sociale étant une formalité obligatoire, la poursuite de l’activité postérieurement à une radiation doit être « assimilée » à l’exercice d’un travail dissimulé ; Crim., 14 novembre 2000, Bull. crim. n° 338 ; 19 mai 2004, Bull. crim. n° 125 et 126 ; 22 septembre 2004, Bull. crim. n° 179 : l’abus de confiance s’applique en cas de détournement d’un bien incorporel, tel que numéro de carte bancaire, connexion internet, informations). En revanche, si le texte est dans son ensemble favorable aux personnes poursuivies, le juge pourra donner une interprétation souple, favorable au prévenu. L’article 64 de l’ancien Code pénal, malgré sa rédaction (« Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action… »), a ainsi été jugé applicable aux contraventions. Le juge ne fait donc que compléter le législateur, il ne s’y substitue pas. Deux exemples permettent de cerner la fonction interprétative du juge : – Il existe des lois imparfaites, qui posent des obligations mais pas de sanctions. En l’absence de celles-ci, le juge répressif est dans l’impossibilité de prononcer une condamnation. 36

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– Il est en revanche possible au juge d’étendre une infraction à des cas non prévus initialement mais qui correspondent à l’évolution de la société et au progrès. Il a ainsi été jugé que l’article R. 412-6 du Code de la route (dont la rédaction remonte à 1961), qui impose à tout conducteur de se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manúuvres qui lui incombent, interdit au conducteur d’un véhicule en mouvement de tenir en mains un appareil téléphonique (Crim., 2 octobre 2001, Bull. crim. n° 196 ; une contravention distincte est dorénavant prévue à l’article R. 412-6-1 du même Code). En fait, l’infraction reste la même et seuls les moyens de la commettre ont changé. SECTION III

Altération du principe de légalité criminelle Le principe de légalité des délits et des peines a connu au XXe siècle une altération d’un triple point de vue : quant au texte, quant à l’incrimination et quant à la peine.

§ 1.

Altération du principe de légalité quant au texte

Originellement, le principe de légalité criminelle était interprété de manière rigoureuse. Seule la loi, expression de la volonté populaire par l’intermédiaire de ses représentants, avait les qualités qui lui permettaient de déterminer les incriminations et fixer les peines. Le législateur avait donc un monopole en matière pénale, ce qui excluait non seulement le pouvoir judiciaire mais encore le pouvoir exécutif. Or, ce dernier a aujourd’hui une large compétence dans la détermination des infractions.

A) L’affirmation d’une compétence réglementaire autonome en matière pénale Une place non négligeable est réservée au pouvoir exécutif pour édicter des normes pénales par voie de règlements. La Constitution de 1958 opère aux articles 34 et 37 un partage de compétences entre la loi et le règlement. L’article 34 énumère les matières entrant dans la compétence du législateur et précise que « la loi fixe les règles concernant (’) la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables », en même temps qu’elle lui attribue compétence pour la procédure pénale et l’amnistie. L’article 37 énonce : « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ». A contrario, cela signifie que l’article 37 de la Constitution réserve la détermination des contraventions et de leurs peines, c’est-àdire des infractions les moins graves et de surcroît largement techniques, au pouvoir réglementaire. La compétence du pouvoir exécutif en matière contraventionnelle a été confirmée par le Conseil d’État dans l’arrêt Société Eky du 12 février 1960 (Rec. p. 101, D. 1960, p. 263, note L’Huillier ; JCP 1960, II, 11629 bis, note Vedel : « il résulte de l’ensemble de LARCIER

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la Constitution et, notamment, des termes […] de l’article 34 que les auteurs de celle-ci ont exclu du domaine [de la loi] la détermination des contraventions et des peines dont elles sont assorties et ont, par conséquent, entendu spécialement déroger sur ce point au principe général énoncé par l’article 8 de la Déclaration des droits »), puis par le Conseil constitutionnel dans une décision du 19 février 1963 (Rec. p. 27, D. 1964, p. 92, note Hamon : « si l’article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer ìles règles concernant […] la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicablesî, la détermination des contraventions et des peines dont celles-ci sont assorties, est de la compétence réglementaire »). Dans la mesure où, à l’époque, les contraventions pouvaient être punies de peines d’emprisonnement allant jusqu’à deux mois (art. 464 et 465 de l’ancien Code pénal) et que la détermination des peines privatives de liberté ne pouvait par nature échapper au pouvoir législatif, le Conseil constitutionnel précisa ultérieurement, dans une décision du 28 novembre 1973 (Rec. p. 45, D. 1974, p. 45), qu’« il résulte des dispositions combinées du préambule, des alinéas 3 et 5 de l’article 34 et de l’article 66 de la Constitution que la détermination des contraventions et des peines qui leur sont applicables est du domaine réglementaire lorsque lesdites peines ne comportent pas de mesure privative de liberté ». La loi n° 93-913 du 19 juillet 1993 a abrogé les dispositions de l’ancien Code pénal prévoyant l’emprisonnement contraventionnel, et celui-ci n’est pas repris dans l’échelle des peines du Code pénal. Le Code pénal est également plus explicite s’agissant du partage de compétences entre le législateur et l’exécutif, puisque l’article 111-2 du Code pénal dispose que : – « La loi détermine les crimes et délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs. – Le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contrevenants. » Le principe de légalité ne signifie donc pas exigence d’une loi au sens strict, formel, technique, mais exigence d’une loi, au sens matériel, c’est-à-dire d’un texte qui peut émaner, selon le cas, du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif. Cette répartition des compétences en matière pénale n’empêche au demeurant pas le pouvoir législatif de créer à l’occasion des contraventions, mais ces écarts sont très rares (par exemple, l’article 23-1 de la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, inséré par la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, punit de l’amende prévue par les contraventions de la 5e classe le fait d’organiser un rassemblement festif à caractère musical dans un lieu non aménagé, autrement dit une « rave party », sans déclaration préalable ou en violation d’une interdiction prononcée par le préfet).

B) La délégation des pouvoirs législatifs au gouvernement Dès la Troisième République, la pratique de la délégation de pouvoirs législatifs au gouvernement par le recours aux décrets-lois s’est développée. Cette pratique a été officialisée sous la Cinquième République, puisque 38

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Droit pénal général


l’article 38 de la Constitution de 1958 permet au législateur d’autoriser le gouvernement à adopter, par voie d’ordonnances, des mesures qui entrent normalement dans le domaine de la loi. Même si une autorisation du Parlement est nécessaire, même si les ordonnances sont ratifiées par celui-ci et même si le recours au procédé reste résiduel en matière pénale, le législateur, par ce procédé, abandonne ses prérogatives ou du moins en perd la maîtrise.

C) L’inflation législative Du fait de leur implication dans de nouveaux domaines techniques, le législateur et le pouvoir réglementaire sont amenés à prévoir de plus en plus de sanctions pénales en cas de violation des règles qu’ils fixent. Il en résulte une inflation législative (au sens large) : les textes de droit pénal sont de plus en plus nombreux, épars et techniques. Les règles sont en outre instables parce que souvent modifiées.

§ 2.

Altération du principe de légalité quant à l’incrimination

Le principe de légalité criminelle a fait l’objet d’une critique majeure, tenant à sa rigidité : le législateur ne peut tout prévoir et une application rigoureuse du principe a pour conséquence l’impossibilité de poursuivre les comportements se situant dans les failles de la loi. D’un point de vue répressif, une certaine généralité des incriminations est parfois utile (voir p.32). Reste que l’assouplissement du principe de légalité est allé parfois un peu trop loin.

A) La technique de « l’article balai » Le principe de légalité est affecté par le recours à des incriminations larges et générales. Dans ce cadre entre la technique de « l’article balai », parfois utilisée pour réprimer par une formulation générale les infractions à tout ou partie d’un texte voire à un ensemble de textes. L’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme sanctionne ainsi de peines délictuelles « l’exécution de travaux ou l’utilisation du sol en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier, II, IV et VI du présent livre, par les règlements pris pour leur application ou par les autorisations délivrées en conformité avec leurs dispositions ». L’article 2 e) du décret n° 63-528 du 25 mai 1963 relatif à certaines infractions en matière de transports ferroviaires et routiers punit d’une contravention de 4e classe les auteurs de « toutes autres infractions non sanctionnées par l’article 25 de la loi du 14 avril 1952 ou par les dispositions du présent décret ». De même, l’article 410 du Code des douanes réprime « toute infraction aux dispositions des lois et règlements que l’administration des douanes est chargée d’appliquer lorsque cette irrégularité n’est pas plus sévèrement réprimée par le présent code ». Difficile d’être plus évasif : au citoyen de disséquer ces textes et de déterminer les obligations non réprimées par ailleurs et qui tombent sous le coup de ces articles généraux ! Le juge répressif, en vertu du principe de légalité criminelle, a parfois refusé de faire application de dispositions aussi générales lorsqu’il s’agissait de LARCIER

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dispositions de nature réglementaire (Crim., 1er février 1990, Bull. crim. n° 56, RSC 1991, p. 556, obs. Vitu). L’effort de codification ou de recodification entrepris ces dernières années a notamment visé à supprimer de telles dispositions.

B) L’incrimination par renvoi La loi se contente souvent de fixer des règles de principe, de déterminer les infractions et renvoie à une réglementation ultérieure édictée par les autorités administratives, laquelle aura pour objectif de préciser les éléments constitutifs des infractions. Ainsi, le Code de la consommation définit des délits relatifs à la conformité des produits et des services, comme ceux de tromperie ou de falsification, renvoie à des décrets en Conseil d’État pour les mesures d’exécution et punit comme contraventions de 3e classe les infractions aux décrets en Conseil d’État (art. L. 214-1 et L. 214-2). Par un phénomène de cascade, la loi renvoie au décret, ce dernier renvoyant à un ou plusieurs arrêtés. En conséquence, pour cerner avec précision une infraction, il est nécessaire de procéder à une lecture globale de plusieurs textes émanant d’autorités différentes. La même technique de l’incrimination par renvoi est utilisée pour sanctionner la violation d’obligations définies dans les textes de droit international (voir p.48 ). Elle a même été utilisée pour réprimer la violation d’obligations résultant d’une convention collective et le Conseil constitutionnel n’a pas considéré qu’une telle pratique enfreignait le principe de légalité. Pour celui-ci, « aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n’interdit au législateur d’ériger en infractions le manquement à des obligations qui ne résultent pas de la loi elle-même » (Cons. constit., 10 novembre 1982, loi relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail, Rec. p. 64).

C) L’incrimination large Le législateur ou le pouvoir réglementaire use parfois de termes généraux pour réprimer certains comportements. Par exemple, l’article R. 413-17 du Code de la route pose le principe que les vitesses maximales autorisées pour la conduite des véhicules à moteur « ne dispensent en aucun cas le conducteur de rester constamment maître de sa vitesse et de régler cette dernière en fonction de l’état de la chaussée, des difficultés de la circulation et des obstacles prévisibles », obligation dont la violation (autrement dit le défaut de maîtrise d’un véhicule automobile) est sanctionnée par une contravention… et qui permet commodément au ministère public, en cas d’homicide ou de blessures causées à la suite d’un accident de la circulation, d’établir la violation d’une obligation de sécurité constitutive d’une imprudence engageant la responsabilité pénale du conducteur. Une difficulté particulière se pose lorsque la loi réprime un état dangereux avant même toute action nuisible : ainsi, la loi, abrogée, du 15 avril 1954 sur les alcooliques dangereux pour autrui ou les articles 269 à 271 de l’ancien Code pénal sur le vagabondage. Ces articles punissaient jusqu’à six mois d’emprisonnement « ceux qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance, et qui n’exercent habituellement ni métier, ni profession ». Des écarts sont donc possibles et il est nécessaire, pour préserver les garanties du principe de légalité, que le législateur définisse précisément les caractéristiques de l’état dangereux. 40

PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


§ 3.

Altération du principe de légalité quant à la peine

A) La technique de la pénalité par référence Par la technique de la pénalité par référence, le législateur incrimine un fait et renvoie aux sanctions posées par une autre disposition pour une autre infraction. Parfois, il renvoie simplement à des sanctions définies dans le même texte, mais à un autre article. Ainsi, l’article L. 121-6 du Code de la consommation punit les pratiques commerciales trompeuses, définies à l’article L. 121-1, des peines prévues à l’article L. 213-1, relatif à la tromperie. Mais parfois, les peines auxquelles le législateur renvoie sont définies dans un autre texte. Par exemple, en matière de mise sur le marché des matières fertilisantes et des supports de culture, l’article L. 255-8 du Code rural punit la violation de certaines interdictions et obligations des peines fixées par les articles L. 213-1 et L. 121-6 du Code de la consommation. Cette technique est susceptible de poser des difficultés lorsque l’article qui prévoit les peines et auquel il est renvoyé est abrogé sans que la disposition qui y renvoie ait fait l’objet d’une modification. Cependant, pour la Cour de cassation, il s’agit moins d’un renvoi à un article qu’aux peines contenues dans celui-ci, le législateur ayant entendu, quant à la répression, assimiler l’infraction qu’il crée aux infractions sanctionnées par le texte auquel il est renvoyé. Dans ces conditions, lorsque les dispositions abrogées sont reprises dans un autre texte, les peines prévues par ce nouveau texte sont applicables à l’infraction prévue par le texte renvoyant aux dispositions abrogées (Crim., 30 juin 1998, Bull. crim. n° 209 ; Crim., 30 juin 1999, Bull. crim. n° 175, pour un renvoi à une disposition de l’ancien Code pénal ayant échappé à la loi d’adaptation).

B) L’individualisation des peines Depuis de nombreuses années, le droit pénal tend vers une individualisation des peines et vers la réinsertion des délinquants. La sanction est appréciée et appliquée avec une grande souplesse, pour prendre en compte la personnalité des délinquants et leur aptitude à se reclasser dans la société. Une comparaison est révélatrice de ce mouvement. Alors qu’en 1791, avait été institué un système de peines fixes ne laissant aucun pouvoir d’appréciation au juge, la peine attachée aujourd’hui à chaque infraction ne comporte qu’un maximum (voir cependant page 308 les peines minimales instaurées par la loi n° 20071198 du 10 août 2007 dans certains cas de récidive). Ce maximum est en outre parfois très élevé. Le maximum de l’amende encourue pour l’infraction d’escroquerie est ainsi de 375 000 euros, montant porté à 750 000 euros en cas de circonstance aggravante et à 1 000 000 euros lorsque l’infraction est commise en bande organisée (art. 313-1 et 313-2 du Code pénal). Si l’infraction a été commise par une personne morale, ces montants passent respectivement à 1 875 000 euros, 3 750 000 euros et 5 000 000 euros. Autant dire que le montant de l’amende est laissé à l’appréciation du juge ! Par ailleurs, le juge pénal dispose de peines alternatives et complémentaires ainsi que de techniques qui lui permettent d’individualiser la peine : sursis, substituts à l’emprisonnement, ajournement et dispense de peine, jour-amende, travail d’intérêt général. Même au stade de l’exécution de la peine, le juge de l’application des peines peut adapter la peine par le recours à divers procédés : libération conditionnelle, réduction de peine, semi-liberté, permission de sortir. LARCIER

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CHAPITRE 2

Les sources du droit pénal La norme pénale doit être écrite. La coutume ne joue donc qu’un rôle marginal en matière pénale et ne saurait en tout état de cause créer des infractions ou des peines, ni les supprimer. La circonstance qu’une infraction ne soit plus poursuivie dans la pratique ne signifie nullement que le texte à l’origine de cette infraction soit implicitement abrogé. À titre exceptionnel, le juge prend parfois en considération les usages, notamment en matière commerciale. Ainsi, en l’absence de texte sur la composition ou la dénomination d’un produit, le juge peut se référer « aux usages loyaux et constants du commerce » (Crim., 5 octobre 1967, Bull. crim. n° 242 ; Crim., 15 mai 2001, Bull. crim. n° 121). Il admet également, jusqu’à un certain point, le droit de correction des parents sur les enfants ou celui des enseignants sur les élèves (Crim., 31 janvier 1995, Bull. crim. n° 38 ; CA Angers, 17 juin 1997, Droit pénal 1998, comm. n° 34 ; Crim., 2 décembre 1998, Bull. crim. n° 327, selon lequel des traitements dégradants ne peuvent constituer des mesures éducatives), ainsi que certaines pratiques religieuses comme la circoncision (mais pas l’excision, qualifiée de violences volontaires ayant entraîné une mutilation : Crim., 20 août 1983, Bull. crim. n° 229 ; Crim., 9 mai 1990, RSC 1991, p. 565). Parfois, la loi renvoie elle-même à la coutume. À titre d’exemple, l’article 1er du décret-loi du 23 octobre 1935 sur le maintien de l’ordre public soumet à déclaration préalable toute manifestation sur la voie publique mais dispense de cette formalité les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux. De même, l’article 521-1 du Code pénal qui réprime les sévices graves et les actes de cruauté envers les animaux prévoit qu’il n’est pas applicable aux courses de taureaux ou aux combats de coqs lorsqu’il peut être établi qu’existe une tradition locale ininterrompue. Dans ce cas, les juges du fond apprécient souverainement l’existence d’une coutume locale et ne sont notamment pas liés par une décision de l’autorité administrative (Crim., 16 septembre 1997, Bull. crim. n° 295). Les usages jouent alors le rôle de fait justificatif, mais uniquement parce que la loi le prévoit (voir p. 225). Les sources écrites du droit pénal sont essentiellement internes, nationales, puisque le droit de punir reste l’un des attributs essentiels de la souveraineté. Les articles 34 et 37 de la Constitution de 1958 ayant procédé à un partage de compétences entre la loi et le règlement, partage confirmé par l’article 111-2 du Code pénal, il existe deux sources internes du droit pénal, complémentaires, la loi gardant une place principale puisqu’elle reste seule compétente pour déterminer les infractions les plus graves (voir p. 37 ). Cette compétence exclusive de la loi et du règlement est particulièrement vraie s’agissant des peines. Toutefois, s’agissant des incriminations, et plus particulièrement des obligations dont la violation est sanctionnée, il convient d’ajouter à ces sources internes les textes internationaux. La règle écrite peut donc revêtir trois formes : la loi, le règlement et les textes de droit international. LARCIER

Les sources du droit pénal CHAPITRE 2

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SECTION I

La loi

Selon la Constitution de 1958, les lois déterminent les crimes et les délits, les peines applicables à leurs auteurs ainsi que la procédure pénale et l’amnistie. À la loi au sens strict sont assimilés divers textes.

§ 1.

La loi au sens strict

La loi au sens technique, étroit, est la loi votée par le Parlement (art. 34 de la Constitution). Il s’agit du texte adopté par le Parlement, ou l’Assemblée nationale seule en cas de conflit avec le Sénat, promulgué par le Président de la République et publié au Journal officiel. La principale « loi » de droit pénal est bien entendu le Code pénal, issu des quatre lois du 22 juillet 1992 et de la loi du 16 décembre 1992, mais de nombreux crimes et délits sont également définis dans les parties législatives d’autres Codes et dans des lois extérieures aux Codes. À côté de la loi votée par le Parlement, on trouve d’autres textes équivalents, bien qu’ils émanent du pouvoir exécutif.

§ 2.

Les textes assimilés aux lois

La plus grande catégorie de ces textes est constituée par les décrets-lois et ordonnances adoptés par le pouvoir exécutif sur délégation du Parlement (procédure utilisée le plus souvent pour accélérer l’adoption des textes). Les décrets-lois constituèrent une pratique répandue sous les Troisième et Quatrième Républiques. L’article 38 de la Constitution de la Cinquième République autorise le recours à ce procédé, les actes adoptés étant appelés des ordonnances : « le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». La délégation de pouvoirs du Parlement au gouvernement est accordée pour une durée limitée et dans un domaine bien précis. À cet effet, le Parlement vote une loi d’habilitation. Avant la fin du délai fixé, il doit ratifier de manière expresse les ordonnances et seule cette ratification en fait des lois à part entière. Jusqu’à cette ratification, il est en particulier possible de contester la validité des ordonnances devant les tribunaux administratifs et judiciaires, comme s’il s’agissait de règlements. Ces ordonnances étant prises par le pouvoir exécutif dans des domaines qui ressortent de la compétence du législateur, elles peuvent donc, le cas échéant, déterminer des crimes et délits, les peines qui leur sont applicables ou modifier des lois ayant créé de telles infractions. À titre d’exemple, citons l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et à la concurrence (aujourd’hui codifiée dans le Code de commerce) ou l’ordonnance du 44

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19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs. Il existe d’autres textes de nature législative mais adoptés par le pouvoir exécutif : – les ordonnances prises en vertu d’une délégation de la Nation, suite à un projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics soumis à référendum en vertu de l’article 11 de la Constitution ; – les décisions à caractère temporaire prises par le Président de la République en vertu de l’article 16 de la Constitution lorsque le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, comme par exemple la décision du 4 mai 1961 modifiant temporairement la procédure applicable à l’instruction des infractions commises lors de la guerre d’Algérie ; – les lois du gouvernement de Vichy de 1940 à 1944 et validées après la guerre, les ordonnances du Gouvernement provisoire de la République française de 1944 à 1945 (par exemple, l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante) ; – les ordonnances prises par les gouvernements provisoires lors de l’institution d’un nouveau régime politique, entre l’adoption de la Constitution et la mise en place des institutions, notamment l’élection du Parlement. En ce qui concerne la Cinquième République, il s’agit des ordonnances prises entre le 4 octobre 1958 et le 4 février 1959 sur le fondement de l’ancien article 92 de la Constitution, comme l’ordonnance du 23 décembre 1958 modifiant le Code pénal. Ces ordonnances sont aisément identifiables à leurs dates. SECTION II

Le règlement Le règlement n’est compétent en matière contraventionnelle que sous certaines limites. Après avoir défini les différents actes réglementaires, il conviendra de préciser le rôle exact dévolu au règlement dans la détermination des infractions et des peines qui leur sont applicables.

§ 1.

Recensement des actes réglementaires

Les règlements sont des actes à caractère général, émanant du pouvoir exécutif. Du fait du partage de compétences entre la loi et le règlement, il existe deux catégories principales de règlements sous la Cinquième République : les règlements d’application, dit encore subordonnés, pris pour l’application d’une loi et soumis à celle-ci ; les règlements autonomes, intervenant dans les matières propres au pouvoir réglementaire et, comme la loi, directement subordonnés à la Constitution. Les actes réglementaires sont hiérarchisés. Au sommet de cette hiérarchie, on trouve les textes pris par le gouvernement : les décrets en Conseil d’État, lorsque celui-ci a été consulté, et les décrets simples. Viennent ensuite les arrêtés, hiérarchiquement inférieurs : interministériels ou ministériels (lorsqu’ils sont LARCIER

Les sources du droit pénal CHAPITRE 2

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adoptés par plusieurs ou un seul ministre), préfectoraux (adoptés par le préfet), municipaux (adoptés par le maire).

§ 2.

Le rôle du règlement en droit pénal

A) La compétence déléguée et résiduelle du règlement en matière criminelle et délictuelle Les règlements subordonnés à la loi interviennent souvent en matière criminelle et délictuelle, non pour déterminer les crimes, les délits et les peines applicables, lesquels restent de la compétence exclusive du législateur, mais pour préciser les éléments de l’infraction déterminée par la loi, sous réserve de respecter cette loi (sur la technique de l’incrimination par renvoi, voir p. 40 ). Il est fréquent que la loi prévoie les sanctions criminelles et délictuelles, pose les règles principales et renvoie au règlement le soin de préciser les détails d’application. Pour déterminer avec précision une infraction, il est bien souvent nécessaire d’avoir recours à une multitude de textes de nature différente : une loi, un décret et un ou plusieurs arrêtés d’application. Par exemple, la loi érige en délit l’exercice d’une activité sans autorisation administrative, mais un décret est nécessaire pour déterminer l’autorité administrative chargée de délivrer cette autorisation et un arrêté énumère ensuite les pièces exigées pour toute demande. L’infraction n’est alors déterminée avec précision que lorsque tous ces textes ont été adoptés. En effet, une personne ne pourra pas se voir reprocher le fait d’avoir exercé cette activité réglementée si ne sont pas préalablement définies l’autorité titulaire du pouvoir d’octroyer les autorisations et la procédure applicable pour effectuer une demande. En revanche, la répartition des compétences opérée par les articles 34 et 37 de la Constitution, en liaison avec le principe de légalité, oblige le législateur à définir de manière précise les crimes et délits qu’il crée, sans renvoyer de façon trop large au pouvoir réglementaire le soin d’en définir les éléments constitutifs (voir p. 31). Par ailleurs, on relèvera que, dans le cas de l’abrogation ou de la modification d’une loi, les arrêtés et règlements d’application revêtent un caractère de permanence qui les fait survivre à la loi dont ils procèdent, tant qu’ils n’ont pas été eux-mêmes abrogés ou qu’ils ne sont pas devenus inconciliables avec la nouvelle législation (Crim., 16 octobre 1958, Bull. crim. n° 635 ; Crim., 16 octobre 1996, Bull. crim. n° 367).

B) La compétence autonome du règlement en matière contraventionnelle Avec les règlements autonomes, le pouvoir réglementaire est compétent de façon exclusive pour déterminer les infractions et les peines applicables en matière contraventionnelle. Toutefois, cette compétence a des limites. D’une part, la catégorie des contraventions est encadrée par la loi ; d’autre part, les contraventions ne peuvent être définies que par des décrets en Conseil d’État. 46

PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


1) L’encadrement de la catégorie des contraventions par la loi S’agissant des peines, la loi encadre la compétence réglementaire, puisque l’article 111-2 du Code pénal prévoit que celle-ci s’exerce « dans les limites et selon les distinctions établies par la loi ». Ceci signifie que c’est la loi qui fixe les catégories d’infractions et donc qui définit la catégorie des contraventions. Mais le législateur est également compétent pour aménager la catégorie des contraventions. La loi a ainsi fixé 5 classes de contraventions et déterminé les peines applicables dans chacune d’elles. Le législateur a la liberté de réaménager les classes des contraventions, d’en créer de nouvelles ou d’en supprimer. Il est compétent pour créer de nouvelles sortes de peines applicables en matière de contravention ou pour supprimer une catégorie de peines. C’est ainsi qu’il a supprimé l’emprisonnement contraventionnel en 1993. La compétence du pouvoir réglementaire se réduit donc à définir les incriminations contraventionnelles et à fixer les peines, dans la limite de la nomenclature légale à sa disposition. Les peines contraventionnelles sont énumérées par la loi à l’article 131-12 du Code pénal et, s’agissant des amendes, l’article 131-13 fixe les montants maximaux pour les différentes classes de contravention (voir p. 252). 2) La détermination des contraventions L’article R. 610-1 du Code pénal dispose que « les contraventions, ainsi que les classes dont elles relèvent, sont déterminées par décrets en Conseil d’État ». Les contraventions ne peuvent donc pas être déterminées par des arrêtés ou même par des décrets simples. La consultation du Conseil d’État est indispensable. L’avis est donné par l’une de ses sections administratives ou par l’Assemblée générale. Cet avis est obligatoire. L’absence de consultation du Conseil d’État constitue un vice affectant la validité de l’acte adopté. Mais si le gouvernement est obligé de consulter le Conseil d’État, il n’est toutefois pas tenu de suivre son avis. Les décrets en Conseil d’État peuvent instituer n’importe quelle contravention et choisir n’importe quelle peine de police prévue dans le Code pénal. Il s’agit donc de la principale source réglementaire de droit pénal. Quant aux autres règlements, c’est-à-dire les décrets simples et les arrêtés, ils ne peuvent que déterminer des incriminations ou préciser des incriminations fixées par un texte supérieur, mais non prévoir les peines applicables. Les sanctions pénales, en cas de violation des décrets simples ou des arrêtés, sont fixées de deux manières. D’une part, il peut s’agir d’un décret en Conseil d’État, ou même d’une loi, qui renvoie à ces textes inférieurs. Par exemple, le décret modifié du 22 mars 1942 (art. 6 et 80-2) punit de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe la violation des arrêtés préfectoraux édictant « les mesures de police destinées à assurer le bon ordre dans les parties des gares et de leurs dépendances accessibles au public ». De même, l’article R. 411-18 du Code de la route punit de l’amende de la quatrième classe la violation des interdictions ou restrictions de circulation qui sont édictées, en vertu du même article, par des arrêtés préfectoraux ou interministériels. LARCIER

Les sources du droit pénal CHAPITRE 2

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D’autre part, les violations des décrets simples et des arrêtés peuvent être sanctionnées par l’article R. 610-5 du Code pénal qui dispose que « la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe ». Mais cet article, qui reprend pour l’essentiel les termes de l’article R. 26-15° de l’ancien Code, n’est applicable : – qu’aux seuls décrets et arrêtés de police, c’est-à-dire à ceux qui ont pour objet le maintien de la sécurité, de la tranquillité ou de la salubrité publiques, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon l’autorité qui a adopté ces mesures de police (Crim., 14 mars 1989, Bull. crim. n° 127). Il ne saurait dès lors sanctionner la violation de règles fiscales ou financières posées par un arrêté ; – seulement lorsque la méconnaissance des interdictions ou obligations prévues par un décret ou un arrêté de police n’est pas sanctionnée par un texte spécial (par exemple, Crim., 1er juillet 1997, Bull. crim. n° 261). SECTION III

Les textes internationaux La place des règles de droit international en droit pénal n’est pas organisée par le Code pénal, mais celles-ci sont amenées à jouer un grand rôle dans la pratique. Ce rôle est double. D’une part, les textes internationaux prescrivent bien souvent des obligations ou posent des interdictions, dont la violation sera pénalement sanctionnée par un texte interne. D’autre part, ils opèrent dans certains domaines d’intérêt commun une harmonisation du droit pénal des États, en leur imposant de prévoir dans leur droit répressif des normes minimales, que ce soit en matière d’incriminations, de peines ou de procédure. Dans tous les cas cependant, du point de vue du droit pénal, les textes internationaux ne se suffisent pas à eux-mêmes et nécessitent le relais national, ne serait-ce que pour déterminer précisément les peines encourues.

§ 1.

La définition d’obligations et d’interdictions

Les normes de droit international (traités, actes unilatéraux d’organisations internationales tels que les règlements communautaires) ont une fonction de plus en plus importante dans la définition des incriminations, des comportements interdits. Concrètement, ces textes vont prescrire des obligations ou poser des interdictions, mais la violation de ces règles ne sera sanctionnée pénalement que si un texte interne le prévoit. Parfois, la règle internationale fait l’objet d’une transposition complète en droit interne, de sorte que le texte interne se suffit à lui-même. Cette réception est parfois obligatoire. Ainsi, la violation d’un embargo international ne sera sanctionnée que si celui-ci a été introduit en droit interne (Crim., 18 mai 1998, Bull. crim. n° 168). Mais, dans d’autres cas, le texte interne qui détermine la sanction se contente de renvoyer aux obligations posées par le texte international. Les exemples sont nombreux. Les principaux textes internationaux auxquels les textes internes renvoient sont des traités ou des règlements de l’Union européenne, 48

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Droit pénal général


actes généraux directement applicables dès leur publication au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE). On peut citer quelques exemples de ces renvois. S’agissant de traités, un exemple caractéristique est fourni par l’article 6 de la loi n° 83-581 du 5 juillet 1983 sur la sauvegarde de la vie humaine en mer, l’habitabilité à bord des navires et la prévention de la pollution, qui érige en délit le fait pour le constructeur, l’armateur, le propriétaire ou le capitaine d’enfreindre les stipulations des conventions internationales suivantes : convention n° 92 de l’Organisation internationale du travail sur le logement des équipages, convention de Londres de 1966 sur les lignes de charge, convention de Londres de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, convention de Londres de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, ainsi que son protocole de 1978. De même, les articles L. 218-10 et suivants du Code de l’environnement, réprimant la pollution de la mer par les hydrocarbures, condamnent la violation de certaines dispositions de la convention de Londres de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires. La loi n° 75-1335 du 31 décembre 1975 et le décret n° 77-1331 du 30 novembre 1977 sanctionnent la violation des prescriptions contenues dans l’accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par route (ADR) et dans le règlement international concernant le transport des marchandises dangereuses par chemin de fer (RID). La violation de règlements de l’Union européenne, directement applicables sans nécessiter de mesures de réception, est également sanctionnée. Ainsi, les articles L. 945-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime punissent des comportements définis par les règlements de l’Union européenne pris au titre de la politique commune de la pêche. De la même manière, le décret n° 86-1130 du 17 octobre 1986 sanctionne la violation des prescriptions énoncées par le règlement n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l’harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route et le règlement CEE n° 382185 du 20 décembre 1985 concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route. L’obligation pour les autorités nationales de prévoir des sanctions pour réprimer la violation des obligations posées par les règlements de l’Union européenne est parfois imposée par ces règlements eux-mêmes et, d’une façon générale, par l’article 4 § 3 du traité sur l’Union européenne qui impose aux États un devoir de coopération loyale. Les États membres disposent, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire pour définir la nature et la sévérité des sanctions applicables en cas d’infraction : ces sanctions peuvent être d’ordre pénal, administratif, professionnel ou autre. De même, le droit de l’Union européenne n’impose pas aux États membres d’introduire dans leur ordre juridique une responsabilité pénale des personnes morales, ni ne leur interdit de définir des cas de responsabilité objective en cas de violation de normes européennes. Cette liberté comporte toutefois certaines limites : les violations du droit de l’Union européenne doivent être sanctionnées dans des conditions de fond et de procédure qui, d’une part, soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d’une nature et d’une importance similaires, d’autre part, confèrent à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif (CJCE, LARCIER

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11 novembre 1981, Casati, Rec. p. 2595 ; 21 septembre 1989, Commission contre Grèce, Rec. p. 2965 ; 10 juillet 1990, Hansen, Rec. I, p. 2911 ; 12 septembre 1996, Galloti, Rec. I, p. 4345).

§ 2.

La définition de normes minimales de droit pénal

Les textes internationaux peuvent aller plus loin dans la définition des infractions, en procédant à une véritable harmonisation du droit des États dans des domaines où ceux-ci ont des intérêts communs et où la criminalité ne connaît pas les frontières : lutte contre le terrorisme, le trafic de stupéfiants, la traite des êtres humains, lutte contre la corruption, faux monnayage, blanchiment, atteintes à l’environnement notamment. Les textes dont il s’agit sont essentiellement adoptés dans le cadre de l’Union européenne, mais pas seulement : les normes minimales que les États ont l’obligation d’introduire dans leur droit interne sont ainsi fixées dans des traités adoptés dans le cadre du Conseil de l’Europe (par exemple, convention du 23 novembre 2001 sur la criminalité dans le cyberespace) ou dans celui des Nations Unies (par exemple, convention des Nations Unies du 15 novembre 2000 contre la criminalité transnationale organisée, dite convention de Palerme). S’agissant de l’Union européenne, la définition de normes minimales est d’abord opérée dans le cadre de la coopération judiciaire en matière pénale (art. 82 à 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Dans ce cadre, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives, peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontières (terrorisme, traite des êtres humains et exploitation sexuelle des femmes et des enfants, trafic illicite de drogues, trafic illicite d’armes, blanchiment d’argent, corruption, contrefaçon de moyens de paiement, criminalité informatique et criminalité organisée ; art. 83 § 1 du TFUE). Cette définition de normes minimales peut également être effectuée dans le cadre des autres politiques de l’Union européenne (par exemple, transports, marché intérieur, santé publique, environnement). La Cour de justice des Communautés européennes a ainsi affirmé que « si, en principe, la législation pénale tout comme les règles de procédure pénale ne relèvent pas de la compétence de la Communauté, il n’en demeure pas moins que le législateur communautaire, lorsque l’application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l’environnement, peut imposer aux États membres l’obligation d’instaurer de telles sanctions pour garantir la pleine effectivité des normes qu’il édicte dans ce domaine ». En revanche, la détermination du type et du niveau des sanctions pénales à appliquer ne relève pas de la compétence de la Communauté (CJCE, 13 septembre 2005, Commission contre Conseil, aff. C-176/03, Rec. I-7879 ; 23 octobre 2007, Commission contre Conseil, aff. C-440-05). Cette faculté est prévue par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui pose le principe que lorsque le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres en matière pénale s’avère indispensable pour assurer la mise en úuvre efficace d’une politique de l’Union dans un domaine ayant fait l’objet de mesures d’harmonisation, des directives 50

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Droit pénal général


peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine concerné (art. 83 § 2 du TFUE). Concernant le droit pénal général, ces différentes normes internationales (traités, règlements et directives de l’Union européenne) peuvent ainsi définir les éléments constitutifs des infractions pénales que les États ont l’obligation d’introduire dans leur droit interne, imposer aux États d’introduire dans leur arsenal répressif certaines peines en répression de ces comportements (par exemple, la confiscation des biens et avoirs, une amende ou une peine privative de liberté d’un montant ou d’une durée minimum, une interdiction professionnelle…), de sanctionner les personnes morales ou encore de réprimer la tentative ou la récidive. En résumé, les textes internationaux peuvent ne pas se limiter à décrire des obligations et des interdictions, en laissant aux États le soin de les sanctionner de la manière qu’ils jugeront la plus appropriée, mais peuvent aller jusqu’à encadrer la fonction pénale des États, en leur imposant d’adopter certaines normes minimales lorsqu’elles s’avèrent nécessaires pour atteindre les buts et objectifs poursuivis.

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CHAPITRE 3

Le contrôle de validité de la norme pénale Les textes qu’on a recensés sont hiérarchisés, selon un ordonnancement précis. Au sommet, trônent les normes supralégislatives que sont la Constitution et les traités internationaux. Ensuite viennent les lois et les règlements autonomes dans leur champ matériel respectif (art. 34 et 37 de la Constitution). En dessous se trouvent les règlements d’application, eux-mêmes hiérarchisés puisque les arrêtés sont soumis aux décrets. Enfin, au bas de l’échelle des normes se situent les actes individuels. Toute norme doit respecter la ou les règles qui lui sont supérieures. Si tel n’est pas le cas, il est possible de contester la régularité d’une norme, sa validité, sa conformité, dans les conditions posées par les textes. Selon les cas, ce contrôle de validité peut intervenir avant l’entrée en vigueur du texte dont la validité est contestée (contrôle de constitutionnalité a priori des lois) ou par la suite (contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois, contrôle de conformité des lois et règlements au droit international et contrôle des actes réglementaires). SECTION I

Le contrôle de constitutionnalité des lois Les articles 61 et 61-1 de la Constitution organisent un contrôle de constitutionnalité des lois, dévolu au Conseil constitutionnel.

§ 1.

L’étendue du contrôle de constitutionnalité

Le Conseil constitutionnel affirme régulièrement que s’il est loisible au législateur de prévoir de nouvelles infractions en déterminant les peines qui leur sont applicables, il lui incombe toutefois d’assurer, ce faisant, la conciliation entre les exigences de l’ordre public et la garantie des droits constitutionnellement protégés. Les règles constitutionnelles que les lois doivent impérativement respecter sont contenues dans le corps de la Constitution de 1958 mais également, depuis la célèbre décision « Liberté d’association » du Conseil du 16 juillet 1971 (Rec. p. 29, JCP 1971, II, 16832), dans les textes visés par le préambule de la Constitution, à savoir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. Ce dernier pose des droits de nature économique et sociale en même temps qu’il renvoie aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Quelques principes de valeur constitutionnelle intéressent directement le droit pénal. Il s’agit d’abord du partage de compétences entre la loi et le règlement LARCIER

Le contrôle de validité de la norme pénale CHAPITRE 3

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organisé par les articles 34 et 37 de la Constitution (Cons. constit., 19 février 1963, Rec. p. 27, D. 1964, p. 92, note Hamon ; Cons. constit., 5 mai 1998, D. 1999, jurisp. p. 209). Surtout, après avoir intégré le préambule de la Constitution dans le bloc de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a conféré un rang constitutionnel à certains principes fondamentaux de droit criminel : – les principes de responsabilité personnelle et de personnalité des peines (Cons. constit., 2 décembre 1976, Rec. p. 39 ; Cons. constit., 16 juin 1999, D. 1999, jurisp. p. 589) ; – le principe d’égalité devant la loi pénale (Cons. constit., 19 décembre 1980, Rec. p. 51 ; Cons. constit., 27 juillet 2006) ; – le principe de légalité (Cons. constit., 19 et 20 janvier 1981, Rec. p. 15) ; – celui de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère (Cons. constit., 30 décembre 1982, Rec. p. 88) ; – les principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines (Cons. constit., 30 décembre 1987, Rec. p. 63 ; Cons. constit., 15 mars 1999, JO 21 mars 1999 ; Cons. constit., 16 juin 1999, D. 1999, jurisp. p. 589 ; Cons. constit., 9 août 2007, JO 11 août 2007) ; – le respect des droits de la défense, le droit à un tribunal indépendant et impartial et à un procès équitable (voir en particulier la décision du 22 janvier 1999 relative au traité portant statut de la Cour pénale internationale, JO 24 janvier 1999, p. 1317) ; – le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de droit pénal des mineurs, qui se traduit par l’atténuation de la responsabilité des mineurs en fonction de l’âge et par la nécessité de rechercher leur relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées (Cons. constit., 29 août 2002, JO 10 septembre 2002 ; Cons. constit., 3 mars 2007, JO 7 mars 2007). Ces principes ont parfois rendu inconstitutionnelles certaines dispositions législatives de nature pénale ou amené le Conseil constitutionnel à formuler des réserves d’interprétation. Toutefois, le contrôle de l’opportunité est exclu, le Conseil constitutionnel se refusant à substituer sa propre appréciation à celle du législateur.

§ 2.

Les modalités du contrôle de constitutionnalité

Le contrôle de constitutionnalité des lois institué à l’origine par la Constitution de la Ve République était doublement limité : d’une part, seules des autorités politiques pouvaient saisir le Conseil constitutionnel ; d’autre part, il s’agissait uniquement d’un contrôle a priori, intervenant avant la promulgation de la loi. La question s’est plusieurs fois posée d’étendre la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel au citoyen – justiciable. Après plusieurs tentatives avortées, la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a finalement procédé à une extension de la procédure de saisine du Conseil constitutionnel en inscrivant dans la Constitution, à côté du contrôle de constitutionnalité a priori (article 61 alinéa 2 de la Constitution), un contrôle a posteriori par la voie d’une question préjudicielle de constitutionnalité (article 61-1 de la Constitution). 54

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Droit pénal général


A) Le contrôle de constitutionnalité a priori des lois Organisé par l’article 61 alinéa 2 de la Constitution, le contrôle de constitutionnalité a priori des lois est ouvert à diverses personnalités politiques. Il s’agit des quatre plus hautes personnalités de l’État, à savoir le Président de la République, le Président du Sénat, celui de l’Assemblée nationale, le Premier ministre et, depuis la réforme constitutionnelle du 29 octobre 1974, soixante députés ou soixante sénateurs. Le simple citoyen ne dispose pas d’un droit de recours dans ce cas. Il s’agit là d’un contrôle a priori, ce qui signifie qu’il intervient et ne peut intervenir qu’avant la promulgation de la loi. Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61 ne peut être promulguée ni mise en application.

B) Le contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois Introduit par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’article 61-1 de la Constitution prévoit que « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation […] ». À l’instar de ce qui existe dans de nombreux États européens, tout justiciable, dans le cadre d’un procès, peut donc demander à la juridiction saisie, au cours de la procédure, de surseoir à statuer et saisir le juge constitutionnel afin qu’il se prononce sur la constitutionnalité de la loi qu’il doit appliquer pour la solution du litige. Pour éviter le risque de l’utilisation du mécanisme à des fins dilatoires, puisque le recours à cette procédure suspend la décision de justice sur le fond, et finalement le risque d’un encombrement du Conseil constitutionnel, l’article 61-1 de la Constitution pose cependant deux limites : d’une part, ce mécanisme ne peut être utilisé que dans le cas d’une atteinte aux « droits et libertés que la Constitution garantit » ; d’autre part, les demandes sont filtrées par les juridictions suprêmes des deux ordres : lorsque à l’occasion d’un litige, une partie estime qu’une disposition législative qui lui est applicable est contraire à des droits fondamentaux garantis par la Constitution, elle peut demander au juge de soulever cette question préjudicielle. Le juge transmet la question soit à la Cour de cassation, soit au Conseil d’État, selon que la juridiction de fond appartient à l’ordre judiciaire ou à l’ordre administratif. La Cour de cassation et le Conseil d’État vérifient alors si la question préjudicielle présente un caractère sérieux ou nouveau et, dans l’affirmative, la transmettent au Conseil constitutionnel. Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur ce fondement est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision (article 62 al. 2 de la Constitution). La déclaration d’inconstitutionnalité vaut non seulement pour l’instance dans le cadre de laquelle la question préjudicielle a été soulevée mais s’impose également à tous les pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Afin de préserver une certaine sécurité juridique, le Conseil constitutionnel peut déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets passés de LARCIER

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la disposition déclarée inconstitutionnelle peuvent être remis en question (par exemple, les voies de droit et délais pour obtenir réparation d’un préjudice). Le nouveau mode de saisine a posteriori du Conseil constitutionnel, également appelé « question prioritaire de constitutionnalité », est entré en vigueur le 1er mars 2010. Le contrôle de constitutionnalité des lois est réservé au Conseil constitutionnel : le juge, administratif ou judiciaire, ne peut procéder de lui-même à un quelconque examen de constitutionnalité et écarter de sa propre autorité une disposition législative au motif qu’elle serait inconstitutionnelle. Cette règle vaut tant pour le juge judiciaire (par exemple, Crim., 2 mai 1990, Bull. crim. n° 164 ; 4 novembre 1998, Droit pénal 1999, comm. n° 43 ; 12 décembre 2007, Droit pénal 2008, comm. n° 34) que pour le juge administratif (CE, 6 novembre 1936, Arrighi, Rec. p. 966). Ces juridictions sont incompétentes en vertu du principe de la séparation des pouvoirs et du fait de l’existence du Conseil constitutionnel. Si une loi est apparemment inconstitutionnelle, le juge ne peut pas l’écarter pour ce seul motif. Seul le recours au mécanisme préjudiciel défini par l’article 61-1 de la Constitution est possible. Reste que certains principes de valeur constitutionnelle sont également affirmés dans des traités internationaux, comme la Convention européenne des droits de l’homme. Or, si les traités sont également supérieurs aux lois, c’est ici le juge ordinaire – judiciaire ou administratif – qui est habilité à faire prévaloir les règles internationales sur une loi contraire. SECTION II

Le contrôle des normes pénales au regard du droit international La Constitution de 1958 pose le principe de la primauté du droit international sur les textes internes et, traditionnellement, c’est au juge national qu’il revient de faire respecter cette primauté. Mais aujourd’hui, certains textes internationaux relatifs aux droits de l’homme offrent la faculté aux justiciables d’introduire un recours devant des instances supranationales. À cet égard, le mécanisme le plus achevé est sans aucun doute celui organisé par la Convention européenne des droits de l’homme.

§ 1.

Le contrôle du juge pénal français

Le juge pénal est compétent pour écarter une disposition législative ou réglementaire incompatible avec un texte international liant la France. En pratique, sont principalement invoqués les normes de droit communautaire et les traités relatifs aux droits de l’homme.

A) L’étendue de la compétence des juges ordinaires L’article 55 de la Constitution de 1958 dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son appli56

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Droit pénal général


cation par l’autre partie ». Le juge pénal a donc l’obligation d’écarter une disposition législative qui s’avérerait contraire à un traité ratifié par la France. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 janvier 1975 (Rec. p. 19, D. 1975, p. 529, note Hamon) rendue à l’occasion de la loi Veil relative à l’interruption volontaire de grossesse, a refusé d’effectuer un contrôle de conformité de la loi à un traité, en l’espèce la Convention européenne des droits de l’homme dont l’article 2 garantit le droit à la vie, et a clairement renvoyé le soin de cet examen aux juridictions ordinaires, judiciaires et administratives. Toutefois, l’assimilation par celles-ci de cette nouvelle compétence ne se réalisa pas sans peine. En effet, le principe de la supériorité des traités sur les lois a pour conséquence que les textes internationaux doivent primer non seulement sur les lois antérieures devenues incompatibles avec les dispositions internationales nouvelles, mais encore sur les lois contraires adoptées postérieurement au traité. La Cour de cassation tira toutes les conséquences de la primauté des traités sur les lois et, dans un arrêt Société des cafés Jacques Vabre du 24 mai 1975 (Ch. mixte, Bull. civ. n° 4 ; D. 1975, p. 497), fit prévaloir un texte international – l’article 95 du traité CEE de 1957 – sur une loi fiscale postérieure. Au contraire, le Conseil d’État fit montre de davantage de réticence. Sa jurisprudence, issue de l’arrêt Syndicat général des semoules de France du 1er mars 1968 (Rec. p. 149 ; D. 1968, p. 285, note ML), fut confirmée en 1979 dans les arrêts UDT et Élections des représentants à l’Assemblée des Communautés. Ainsi, s’il considérait effectivement qu’un traité postérieur à une loi devenue contraire prime sur les dispositions législatives, il refusait de faire prévaloir le texte international sur la loi postérieure, au motif qu’en écartant une telle loi, il méconnaîtrait la volonté du législateur. Cette approche a été abandonnée par l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 (Rec. p. 190 ; Assemblée, RTDE 1989, p. 771, note Isaac ; D. 1990, p. 135, note Sabourin). Par la suite, le Conseil d’État a étendu la primauté des textes internationaux, même antérieurs à une loi contraire, aux règlements communautaires (CE, 24 septembre 1990, Boisdet, Rec. p. 250) et aux directives européennes (CE, 28 février 1992, Arizona Tobacco, Rec. p. 78 ; SA Rothmans International France et SA Philip Morris France, Rec. p. 81). Le juge est compétent pour apprécier la conformité d’une disposition législative à un acte international par la voie de l’exception, à l’occasion d’une affaire particulière dont il a connaissance. Si le moyen tiré de l’incompatibilité de la loi au traité est retenu, le juge écarte alors l’application de la loi, mais sa solution ne vaut que pour l’affaire en cours, c’est-à-dire que la loi ou la disposition législative contraire n’est pas annulée. Enfin, notons qu’un contrôle juridictionnel des traités eux-mêmes est possible. Le Conseil constitutionnel peut ainsi être saisi a priori pour examiner la constitutionnalité d’un traité, sur la base de l’article 54 de la Constitution. Les juges ordinaires ne disposent quant à eux que de pouvoirs réduits, se résumant pour l’essentiel à vérifier l’existence de la ratification et à examiner la régularité du décret de publication. Par ailleurs, les conventions internationales étant « des actes de haute administration qui ne peuvent être interprétés, s’il y a lieu, que par les puissances entre lesquelles elles sont intervenues », le juge pénal, au contraire du juge administratif (CE 29 juin 1990, GISTI, Rec. p. 171), se considère toujours incompétent pour interpréter les traités ordinaires, sauf pour le droit communautaire et la Convention européenne des droits de l’homme (Crim., 4 décembre 1975, Bull. crim. n° 269 ; Crim., 3 juin 1985, Bull. crim. n° 212). En cas de difficulté, l’interprétation des traités relève LARCIER

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donc du ministère des Affaires étrangères, ce qui signifie que le juge pénal doit poser une question aux autorités ministérielles et s’en tenir à l’interprétation ainsi fournie, laquelle s’impose à l’autorité judiciaire (Crim., 7 juin 1988, Bull. crim. n° 257). Cette pratique est extrêmement contestable en matière pénale dès lors que l’interprétation a une conséquence directe sur l’issue du procès pénal en cours ; en effet, cette interprétation est donnée par une autorité administrative, ce qui peut affecter l’indépendance du tribunal et est contraire au principe de la séparation des pouvoirs. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs condamné cette compétence exclusive du ministère des Affaires étrangères pour interpréter les traités dans l’arrêt Beaumartin contre France du 24 novembre 1994 (série A, n° 296 B). En l’espèce, s’agissant d’un renvoi en interprétation auprès des autorités ministérielles effectué par le Conseil d’État, la Cour européenne rappelle que « seul mérite l’appellation de ìtribunalî au sens de l’article 6 § 1 un organe jouissant de la plénitude de juridiction et répondant à une série d’exigences telles l’indépendance à l’égard de l’exécutif comme des parties en cause ». Or, « l’interposition de l’autorité ministérielle, décisive pour l’issue du contentieux juridictionnel, ne se prêtait à aucun recours de la part des intéressés, qui n’avaient d’ailleurs eu aucune possibilité de s’exprimer sur l’utilisation du renvoi préjudiciel et sur le libellé de la question ». Dès lors, « la cause des requérants n’a pas été entendue par un ìtribunalî indépendant et de pleine juridiction » et il y a donc eu sur ce point violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

B) Les principaux textes internationaux invoqués Tous les textes internationaux ne sont pas indistinctement invocables par les justiciables devant le juge pénal. Un particulier ne peut se prévaloir d’un texte international qu’à la condition que ce dernier ait pour objet d’attribuer des droits au bénéfice des individus et qu’il soit suffisamment précis (par exemple, Crim., 18 juin 1997, Bull. crim. n° 244, pour une disposition de la convention relative aux droits de l’enfant de 1990 qui ne crée d’obligations qu’à la charge des États signataires). En pratique, les textes internationaux susceptibles de faire échec à l’application d’une norme pénale sont essentiellement de deux natures : il s’agit du droit communautaire et de certains traités relatifs aux droits de l’homme. 1) Le droit de l’Union européenne • Divers textes forment le droit de l’Union européenne. Il est constitué des traités constitutifs ou « droit originaire », à savoir actuellement le traité sur l’Union européenne, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique, les traités modificatifs (Acte unique européen de 1986, traité de Maastricht de 1992, traité d’Amsterdam de 1997, traité de Nice de 2001, traité de Lisbonne de 2007) et les traités d’adhésion. Le droit de l’Union européenne comprend également et surtout l’ensemble du droit dérivé, c’est-à-dire des actes adoptés par les institutions européennes : pour l’essentiel, les règlements, les directives et les décisions adoptés par les institutions de l’Union européenne. Toutefois, quelques précisions s’imposent. 58

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Les règlements sont des actes à portée générale, obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans tout État membre dès leur publication au Journal officiel de l?Union européenne. Cela signifie qu’ils peuvent imposer des obligations et surtout créer des droits à la charge ou au profit des particuliers, ces derniers pouvant invoquer le règlement sans qu’il soit nécessaire qu’un texte national réceptionne ce règlement en droit interne. En revanche, les directives lient les États (qui sont les destinataires) quant au résultat à atteindre, mais leur laissent le choix des formes et des moyens propres à atteindre ce résultat. À cet effet, une directive fixe toujours un délai dit de transposition. Une directive ne pourra donc jamais être invoquée tant que ce délai n’est pas expiré. À partir de ce moment et en l’absence de transposition, le justiciable ne pourra invoquer une disposition de ladite directive qu’à la seule condition que cette disposition soit claire, précise et inconditionnelle. La disposition est alors d’application directe et peut, le cas échéant, primer sur toute norme interne contraire. Enfin, les décisions sont obligatoires en tous leurs éléments mais ne lient que les destinataires qu’elles désignent. Elles ne peuvent être invoquées, en règle générale, que par leurs destinataires ou des tiers directement lésés par la décision. • Selon la Cour de justice de l’Union européenne, le droit de l’Union européenne est directement applicable en droit interne (CJCE, 5 février 1963, aff. 26/62, Van Gend en Loos, Rec. p. 1 : « Le droit communautaire, indépendant de la législation des États membres, de même qu’il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique ») et surtout prime sur toute règle nationale contraire quelle qu’elle soit (CJCE, 15 juillet 1964, aff. 6/64, Costa contre ENEL, Rec. p. 1141 : « Issu d’une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit »). Cette primauté du droit européen ne procède pas, selon la CJUE, des normes constitutionnelles propres aux États membres – ainsi, de l’article 55 de la Constitution française –, mais de la nature même de l’ordre juridique communautaire. Dans l’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 (aff. 106/77, Rec. p. 609), la Cour de justice a précisé les conséquences du principe de primauté quant au rôle du juge interne : « Le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ». En d’autres termes, les dispositions de l’Union directement applicables peuvent être invoquées devant le juge à l’encontre de toute disposition nationale non conforme, y compris pénale. L’affaire Ratti (CJCE, 5 avril 1979, aff. 148/78, Rec. p. 1629) permet de comprendre cette invocabilité d’exclusion du droit pénal interne. En l’espèce, l’Italie n’avait pas transposé dans les délais une directive relative à la classification, l’emballage et l’étiquetage des solvants. Or, sur la base de son droit interne non adapté, elle avait poursuivi un industriel dont les produits étaient étiquetés… conformément à la directive. La directive, dès lors qu’elle pose des obligations inconditionnelles et suffisamment précises, peut être invoquée et faire échec aux poursuites pénales. En effet, « un État membre ne saurait appliquer sa loi interne – même si elle est assortie de sanctions LARCIER

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pénales – non encore adaptée à une directive, après l’expiration du délai fixé pour sa mise en úuvre, à une personne qui s’est conformée aux dispositions de ladite directive ». Le droit communautaire invoqué devant le juge répressif jouera alors un rôle essentiellement justificatif et fera obstacle à la répression. Ainsi, si une norme nationale, pénalement sanctionnée, est contraire à un texte de l’Union européenne, il ne peut en être fait application et, par voie de conséquence, l’infraction est écartée avec ce texte. En d’autres termes, lorsqu’une réglementation nationale est reconnue contraire au droit de l’Union, infliger des sanctions au titre des infractions à cette réglementation est également incompatible avec le droit de l’Union, quelle que soit d’ailleurs la nature de ces sanctions, pénales ou administratives (CJCE, 20 juin 2002, Radiosistemi, aff. C388/00 et C- 429/00). La règle européenne est invoquée comme moyen de défense, en cas de conflit entre la règle interne et la règle européenne. La même position est retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation : « il appartient au juge répressif d’écarter l’application d’un texte d’incrimination de droit interne lorsque ce dernier méconnaît une disposition du traité des Communautés européennes ou un texte pris pour l’application de celui-ci » (par exemple, Crim., 4 mars 1996, Bull. crim. n° 115 ; Crim., 18 septembre 1997, Bull. crim. n° 305). • Les conséquences du droit de l’Union européenne sur les normes pénales nationales se font de plus en plus sentir puisqu’elles régissent des domaines juridiques toujours plus divers : concurrence, libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux, droit bancaire, droit des assurances, fiscalité, droit social, droit de l’environnement, droit de la consommation pour ne citer que les domaines les plus pénalisés. Le droit de l’Union peut à cet égard avoir des incidences non seulement sur les incriminations, mais également sur les peines (par exemple, CJCE, 19 janvier 1999, aff. C-148/96, Calfa, JCP 1999, II, 10104 : les dispositions européennes relatives à la libre circulation des personnes s’opposent à une réglementation – grecque en l’espèce – qui impose au juge national d’ordonner l’expulsion à vie du territoire des ressortissants des autres États membres reconnus coupables de délits d’acquisition et de détention de stupéfiants pour leur seul usage personnel ; Crim., 24 janvier 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 76 : une disposition qui sanctionne de manière disproportionnée l’omission de procéder à des formalités douanières constitue une entrave à la libre circulation des marchandises, lorsque ces formalités portent sur des marchandises pouvant être importées librement et sans droits de douanes). Les affaires dans lesquelles le juge répressif français a écarté une loi ou un règlement contraire à une norme communautaire sont nombreuses (pour des exemples : Crim., 16 juin 1983, Bull. crim. n° 187 ; D. 1984, p. 43, note Ryziger : interdiction ou limitation de la publicité en faveur des boissons alcoolisées considérées comme discriminatoires, dans la mesure où elles défavorisaient les produits importés des autres États membres par rapport aux produits nationaux et constituaient une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives interdites par le traité CE ; Crim., 17 oct. 1994, Bull. crim. n° 332 : règles du Code de la santé publique subordonnant la mise sur le marché de produits cosmétiques à des conditions autres que celles imposées par la directive d’harmonisation ; Crim., 18 septembre 1997, Bull. crim. n° 305 : réglementation française réservant l’utilisation de la dénomination « Montagne » aux seuls produits fabriqués en France ou à partir de matières premières françaises constituant une discrimination à l’encontre des produits non nationaux, et donc une restriction déguisée aux échanges contraire au 60

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traité ; Crim., 5 février 1998, Bull. crim. n° 48 ; Crim., 16 juin 1999, Droit pénal 1999, comm. n° 152 : infractions à la TVA commises à l’occasion d’une importation en provenance d’un autre État membre et donnant lieu à des sanctions disproportionnées par rapport à celles qui répriment, en régime intérieur, les infractions à la même taxe ; Crim., 23 juin 2004, Droit pénal 2004, comm. n° 125 : incrimination de navigation d’un navire français sans présence à bord d’un capitaine et d’un capitaine en second de nationalité française, contraire au principe de libre circulation des travailleurs et par conséquent inapplicable aux ressortissants communautaires). ï Si, devant le juge répressif, se pose une question d’interprétation ou de validité de la norme de l’Union européenne elle-même, le juge national, conformément à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, a la possibilité – ou l’obligation s’il s’agit de juridictions de dernière instance, dont les décisions sont insusceptibles de recours – de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle en interprétation ou en appréciation de validité de la norme européenne à la Cour de justice de l’Union européenne. On relèvera que le renvoi préjudiciel n’est pas automatique. Si l’acte est clair, le juge national peut lui-même interpréter l’acte ou le déclarer valide. Toutefois, le renvoi s’impose dès lors que se présente un doute raisonnable (CJCE, 6 octobre 1982, aff. 283/82, CILFIT, Rec. p. 3415). Par ailleurs, s’agissant de l’appréciation de validité, aucune juridiction nationale ne peut constater elle-même l’invalidité d’un acte institutionnel européen, compétence réservée à la Cour de justice (CJCE, 22 octobre 1987, aff. 314/85, Foto Frost, Rec. p. 4199). La chambre criminelle a peu usé de ce mécanisme (par exemple, CJCE, 7 mai 1997, aff. jointes C-321/94 à C-324/94, Pistre et autres, Rec. I. p. 2360 ; Crim., 18 septembre 1997, Bull. crim. n° 305). 2) La Convention européenne des droits de l’homme Les traités relatifs à la sauvegarde des droits et libertés fondamentaux de l’homme sont la deuxième catégorie de textes internationaux susceptibles de prévaloir sur les textes internes contraires. Parmi ces traités, deux textes sont primordiaux : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, ratifié par la France en 1980, et surtout la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 et ses protocoles, entrée en vigueur en 1953 et ratifiée par la France le 3 mai 1974. La Convention européenne et certains de ses protocoles énumèrent des droits et libertés fondamentaux, de nature civile et politique : droit à la vie (art. 2), interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants (art. 3), de l’esclavage et des travaux forcés (art. 4), droit à la liberté et à la sûreté (art. 5), droit à un procès équitable et droits de la défense (art. 6), droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8), libertés de pensée, de conscience et de religion (art. 9), d’expression (art. 10), de réunion et d’association (art. 11), droit de propriété (art. 1 du Protocole additionnel n° 1)… La Convention ne traite pas exclusivement de droit pénal. Son objet premier n’est pas le droit pénal, mais les droits de l’homme. Toutefois, ces droits intéressent le droit pénal au premier plan. Certains droits intéressent directement le droit pénal : principes de légalité des délits et des peines, de non-rétroactivité, présomption d’innocence, droit à un procès équitable, droits de la défense. Ils affectent majoritairement la procédure pénale. LARCIER

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D’autres droits affectent indirectement le droit pénal : une peine ou des conditions de détention peuvent constituer une torture ou un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 ; une incrimination peut porter une atteinte injustifiée à un droit garanti, tel le droit au respect de la vie privée ou la liberté d’expression. Ainsi, un État qui érige en infraction pénale les relations homosexuelles entre adultes consentants viole le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 (CEDH, arrêts Dudgeon contre Royaume-Uni du 22 octobre 1981, série A, n° 45 ; Norris contre Irlande du 26 octobre 1988, série A, n° 142 ; Modinos contre Chypre du 22 avril 1993, série A, n° 259 ; comparer avec l’arrêt Laskey, Jaggard et Brown contre Royaume-Uni du 19 février 1997, Rec. 1997-I, n° 29, dans lequel la Cour considère qu’une condamnation pour coups et blessures infligés dans le cadre de pratiques sadomasochistes ne viole pas l’article 8, compte tenu de la marge d’appréciation laissée aux États). À cet égard, la Convention européenne des droits de l’homme non seulement interdit l’adoption de législations pénales portant atteinte aux droits qu’elle garantit, mais impose également aux États l’obligation de prendre des mesures de nature à garantir effectivement la protection de ces droits, par exemple en érigeant en infraction et en poursuivant certains actes commis par les particuliers (par exemple, CEDH, 23 septembre 1998, A. contre RoyaumeUni, à propos de châtiments corporels commis sur un enfant). Le justiciable peut donc invoquer devant le juge pénal français la violation par la loi ou le règlement d’une disposition de la Convention européenne des droits de l’homme. Le juge pénal, s’il juge le grief fondé, écartera alors l’application en l’espèce du texte contraire à la Convention européenne (Crim., 16 janvier 2001, Bull. crim. n° 10 : l’interdiction, générale et absolue, de publier, avant décision judiciaire, toute information relative à des constitutions de partie civile sous peine d’amende est une restriction à la liberté d’expression qui n’est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l’article 10 de la Convention ; Crim., 20 février 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 86 : l’interdiction de publier des photographies, gravures, dessins ou portraits ayant pour objet la reproduction de tout ou partie des « circonstances » d’un crime ou d’un délit est trop générale et imprécise, introduit une vaste marge d’appréciation subjective dans la définition de l’élément légal de l’infraction et, par conséquent, est incompatible avec la Convention ; Crim., 4 septembre 2001, Bull. crim. n° 170 : l’interdiction de publier, diffuser et commenter tout sondage d’opinion dans la semaine précédant un scrutin politique constitue une restriction non nécessaire à la liberté de recevoir et de communiquer des informations et, par conséquent, est contraire à l’article 10 de la Convention). Le recours à ces instruments internationaux permet donc, dans une certaine mesure, au juge répressif de pallier l’interdiction qui lui est faite de procéder à un contrôle de constitutionnalité des lois, les droits fondamentaux garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen se retrouvant dans ces traités.

§ 2.

Le contrôle du juge international

A) Le contrôle du juge communautaire Par le biais du recours en manquement des articles 258 à 260 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne possède une compétence contentieuse propre, qui lui permet égale62

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ment de porter un jugement sur les règles législatives et administratives des États membres. Saisie par les États membres et, plus fréquemment, par la Commission européenne, elle se prononce sur le point de savoir si les États ont manqué à leurs obligations communautaires. Bien souvent, la saisine de la Cour a pour objet de faire constater qu’un État a omis de transposer dans les délais impartis une directive européenne et que son droit, y compris le cas échéant son droit pénal, se trouve en contradiction avec les exigences posées par celle-ci (par exemple, CJCE, 13 mars 1997, Commission contre France, Rec. I, p. 1489, JCP 1997, II, 22939, note Clergerie, à propos de l’interdiction de travail de nuit des femmes dans l’industrie, contraire à la directive communautaire sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes au travail). Parfois, le manquement provient de ce que l’État mis en cause n’a pas poursuivi des ressortissants nationaux qui se sont rendus coupables d’infractions, de sorte qu’en ne réprimant pas, l’État « tolère » des comportements qui s’avèrent préjudiciables pour les intérêts de l’Union européenne ou pour ceux des autres États membres. Ainsi, dans un arrêt Commission contre France du 7 décembre 1995, la Cour de justice constate qu’en omettant de poursuivre les responsables d’activités de pêche et d’activités connexes à la pêche sur un stock de poissons, effectuées après les interdictions de pêche édictées par la Commission en 1991 et 1992, la France a manqué à ses obligations (aff. C-52/95, Rec. I, 4458). De même, la Cour de justice a constaté que la France a manqué aux obligations qui découlent des principes de libre circulation des marchandises et de coopération loyale, imposés par le traité de Rome, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires et proportionnées (notamment le déclenchement de poursuites pénales) afin que les actions violentes d’agriculteurs français contre des transporteurs et distributeurs de produits agricoles importés d’autres États membres, n’entravent pas la libre circulation des fruits et légumes (CJCE, 9 décembre 1997, Commission contre France, aff. C-265/95, Rec. I, p. 6959). Au travers de ces recours en manquement, force est de constater que le droit de l’Union européenne ne fait pas seulement échec à l’application de normes pénales nationales incompatibles mais peut, le cas échéant, exiger la répression par les États des comportements contraires à la notion de marché commun. L’État qui a manqué à ses obligations européennes est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour ; dans la plupart des cas, il s’agira de mettre son droit interne en conformité avec les exigences européennes violées (art. 260 § 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Cependant, si l’État ne s’exécute pas, la Cour de justice, saisie par la Commission, peut infliger le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte à l’État défaillant (art. 260 § 2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

B) Le contrôle du juge conventionnel La Convention européenne des droits de l’homme confère à toute personne relevant de la juridiction d’un État partie un droit de requête individuelle. Le système conventionnel de protection des droits de l’homme faisait originellement intervenir trois organes (la Commission et la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe) et imposait à tout État partie de souscrire une déclaration spéciale de reconnaissance du droit de LARCIER

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requête individuelle (effectuée par la France en 1981). Ce système a fait l’objet d’une refonte par le protocole n° 11, entré en vigueur le 1er novembre 1998 : d’une part, le droit de recours individuel est automatique, n’est plus subordonné à une déclaration spéciale ; d’autre part, une Cour européenne unique des droits de l’homme est substituée à la Commission et à la Cour européennes des droits de l’homme. La Cour européenne peut être saisie par un État partie ou par une personne physique ou morale. Toutefois, si le recours étatique est objectif (en ce sens que l’État n’a pas à faire valoir d’intérêt à agir), le recours individuel ne peut être introduit que par une personne ayant la qualité de victime. Le contrôle effectué par la Cour européenne des droits de l’homme est par ailleurs subsidiaire. Il ne joue qu’après épuisement des voies de recours internes. Dans un premier temps, ce sont donc les juges internes qui sont chargés de l’examen de conventionnalité des normes internes. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’individu n’a pas obtenu satisfaction devant les juridictions nationales qu’il peut porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. La procédure internationale comprend plusieurs phases : – la Cour européenne des droits de l’homme (comités de trois juges ou chambres) se prononce dans un premier temps sur la recevabilité de la requête ; – si celle-ci est déclarée recevable, la Cour rapproche les parties pour les amener à conclure un règlement amiable ; – à défaut de règlement amiable de l’affaire, elle se prononce alors sur la question de savoir s’il y a eu violation de la Convention par l’État mis en cause et rend un arrêt ; – un appel est possible dans les trois mois devant la Grande Chambre, pour les affaires soulevant des questions graves relatives à l’interprétation de la Convention ou conduisant à une contradiction avec un arrêt rendu antérieurement par la Cour ; – le suivi de l’exécution des arrêts de la Cour est assuré par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. La Cour européenne, si elle émet un constat de violation de la Convention, peut prononcer une satisfaction équitable, qui consiste généralement dans le versement d’une somme d’argent. L’arrêt de la Cour a un effet relatif, en ce sens qu’il n’est obligatoire que pour les parties en présence et se réduit au cas d’espèce. Ce sera notamment le cas lorsqu’elle se prononce sur la durée déraisonnable d’une détention provisoire ou d’un procès. Mais ses arrêts ont parfois une conséquence plus large, puisqu’au-delà du cas d’espèce dont elle a eu connaissance, c’est bien souvent une disposition nationale qui est viciée. Les justiciables dans la même situation pourront alors invoquer le même grief devant les juges nationaux, qui seront tenus d’écarter l’application de la disposition litigieuse et, en cas de refus des juges nationaux, pourront s’adresser dans les mêmes conditions à la juridiction de Strasbourg. De sorte que seule l’abrogation ou la modification de la disposition litigieuse pourra alors mettre fin à la vague contentieuse née d’un arrêt de la Cour.

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Le réexamen d’une décision pénale à la suite d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, le réexamen d’une décision pénale définitive peut être demandé au bénéfice de toute personne reconnue coupable d’une infraction lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que la condamnation, prononcée en violation des dispositions de la convention ou de ses protocoles, entraîne, par sa nature et sa gravité, des conséquences dommageables pour le condamné auxquelles la satisfaction équitable allouée par la Cour ne pourrait mettre un terme. La demande de réexamen est adressée par le ministre de la Justice, le procureur général près la Cour de cassation ou le con-

damné (ses ayants droit en cas de décès de celui-ci), à une commission composée de sept magistrats de la Cour de cassation. La demande de réexamen doit être formée dans un délai d’un an à compter de l’arrêt de la Cour européenne. Si elle estime la demande justifiée, la commission renvoie l’affaire soit devant la Cour de cassation si le réexamen du pourvoi du condamné est de nature à remédier à la violation constatée, soit devant une juridiction de même ordre et de même degré que celle qui a rendu la décision litigieuse dans les autres cas (articles 626-1 à 626-7 du Code de procédure pénale ; pour une application : Crim., 6 décembre 2001, Bull. crim. n° 255 ; Ass. plén., 13 février 2009, Droit pénal 2009, comm. n° 54).

La France a fait l’objet d’un abondant contentieux devant la Cour de Strasbourg. En matière criminelle, le contentieux a trait en grande majorité à la procédure pénale, plus rarement au droit pénal général (par exemple, CEDH, 23 septembre 1998, Lehideux et Isorni contre France, D. 1999, jurisp. p. 223, note Rolland : une condamnation pénale pour apologie des crimes et délits de collaboration, à la suite de la publication dans Le Monde d’un texte faisant l’éloge de Pétain, est contraire à la liberté d’expression ; 21 janvier 1999, Fressoz et Roire contre France, JCP 1999, II, 10120 : est contraire à la liberté d’expression une condamnation suite à la publication dans la presse de l’avis d’imposition d’un dirigeant d’entreprise ; 3 octobre 2000, Du Roy et Malaurie contre France : la loi interdisant, sous peine d’amende, de publier avant décision judiciaire toute information sur des procédures pénales ouvertes sur plainte avec constitution de partie civile, parce qu’elle est générale et absolue, entrave de manière totale le droit de la presse à informer le public sur des sujets d’intérêt public et constitue une violation de l’article 10 de la Convention qui garantit le droit à la liberté d’expression). SECTION III

Le contrôle des actes administratifs En bas de la hiérarchie des normes, l’acte administratif est soumis à l’ensemble des textes qui lui sont supérieurs : Constitution, traités, lois, mais aussi certains règlements, car les actes administratifs sont eux-mêmes hiérarchisés. Ainsi, un arrêté d’application ne doit pas méconnaître les dispositions d’un décret. Du fait de l’existence de deux ordres de juridictions, la mise en cause de la légalité d’un acte administratif est de la compétence du juge administratif, sous le contrôle suprême du Conseil d’État. Toutefois, les juridictions répressives se sont reconnues compétentes pour statuer sur ces questions lorsqu’elles leur étaient soumises à l’occasion d’un procès en cours ; le Code pénal consacre LARCIER

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cette pratique. La validité d’un acte administratif, individuel ou réglementaire, peut donc être contrôlée par voie d’action ou par voie d’exception. Avant d’analyser chacune des voies ouvertes pour contester la validité d’un acte réglementaire, il importe de définir précisément les différences entre les deux contentieux.

§ 1.

La distinction entre l’action et l’exception

Dans le cadre de l’action, l’objet même du litige est la légalité de l’acte. L’acte est directement attaqué devant le juge administratif (il ne peut d’ailleurs l’être que devant lui) par le biais du recours pour excès de pouvoir, intenté dans un délai de 2 mois à compter de la publication d’un acte administratif réglementaire ou de la notification d’un acte administratif individuel. Si l’acte est effectivement irrégulier, il est annulé erga omnes, à l’égard de tous. Autrement dit, l’arrêt d’annulation a un effet absolu. L’acte est censé n’avoir jamais existé et dès lors, si l’acte définissait une contravention, aucune poursuite n’est valable sur sa base. Avec la voie de l’exception, l’illégalité ou l’inconstitutionnalité du règlement est invoquée devant le juge pénal à l’occasion d’un procès (comme elle peut l’être devant le juge civil ou administratif). L’objet du litige n’est donc pas l’annulation de l’acte, mais la poursuite d’une infraction. Par exemple, poursuivi pour une contravention, le prévenu soulève lors des débats l’illégalité du règlement qui définit cette contravention. L’exception peut donc être soulevée à tout moment, aucun délai n’étant imposé. L’acte administratif, s’il est jugé irrégulier, n’est pas annulé mais simplement écarté des débats. L’arrêt a un effet relatif et ne vaut que pour l’espèce considérée. Dans ces conditions, l’acte reste en vigueur et peut être utilisé pour de nouvelles poursuites. Les règlements administratifs – décrets et arrêtés – et les actes administratifs individuels peuvent être aujourd’hui contestés par ces voies, ainsi que les ordonnances de l’article 38 de la Constitution dont la conformité à la loi d’habilitation pourra notamment être examinée avant leur ratification par le Parlement (pour le recours en excès de pouvoir, CE 24 novembre 1961, Fédération nationale des syndicats de police, Rec. p. 658, D. 1962, p. 424, note Fromont).

§ 2.

Le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif

Le recours pour excès de pouvoir a pour objet l’annulation, par le juge administratif, d’un acte administratif. Selon le cas, le recours est porté devant le Conseil d’État (pour les décrets et les arrêtés réglementaires des ministres notamment) ou les tribunaux administratifs (pour les actes administratifs individuels et les arrêtés préfectoraux ou municipaux). Il doit être dirigé contre un acte administratif faisant grief. Le requérant doit faire valoir un intérêt à agir, c’est-à-dire avoir un intérêt personnel à l’annulation de l’acte. Le recours pour excès de pouvoir doit être exercé dans un délai de deux mois à compter de la publication d’un acte réglementaire ou de la notification d’un acte administratif individuel. Les cas d’ouverture, autrement dit les moyens 66

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susceptibles d’entraîner l’annulation de l’acte sont au nombre de quatre : l’incompétence, lorsque l’acte n’entre pas dans les attributions de l’autorité qui l’a adopté ; le vice de forme, comme le défaut de consultation obligatoire d’une autorité, l’absence de motivation ou le défaut de publicité ; le détournement de pouvoir, lorsque l’autorité, en édictant l’acte, a poursuivi un but différent de celui pour lequel l’acte devait être accompli ; et, enfin, la violation de la loi. Le terme « loi » a ici un sens large : il peut s’agir de la méconnaissance d’un principe général du droit, d’une loi ou d’un texte de droit international auxquels le règlement est soumis, mais le juge administratif est également compétent pour examiner la conformité des règlements autonomes à la Constitution (CE 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs conseils, Rec. p. 394, D. 1959, p. 541, note L’Huillier). L’annulation affecte l’acte dans son ensemble, sauf s’il est divisible. L’acte ne peut plus avoir d’effet car il n’existe plus, et il est même censé n’avoir jamais existé. Au contraire de l’abrogation d’un acte administratif, qui n’a pas de portée rétroactive, l’annulation est rétroactive et tous les effets que l’acte a éventuellement produits doivent être supprimés. Le juge répressif est lié par l’annulation prononcée par le juge administratif et, dans l’hypothèse où les dispositions annulées étaient pénalement sanctionnées, les infractions commises avant l’annulation ne sont donc pas punissables. La Cour de cassation applique strictement cette règle de la rétroactivité de l’annulation, en considérant que l’annulation par la juridiction administrative d’un acte administratif prive de base légale la poursuite engagée pour violation de cet acte (Crim., 21 novembre 2007, Bull. crim. n° 290 ; 3 septembre 2008, Droit pénal 2008, comm. n° 142 : cassation d’un arrêt ayant condamné le prévenu pour conduite d’un véhicule malgré l’invalidation de son permis de conduire résultant de la perte de la totalité des points, alors que le tribunal administratif a ultérieurement annulé les décisions ministérielles portant retrait de points et constatant la perte de validité du permis de conduire ; Crim. 12 mars 2008, Droit pénal 2008, comm. n° 65 : même solution dans le cas de l’annulation par la juridiction administrative de l’arrêté préfectoral enjoignant au prévenu de restituer son permis de conduire en raison de la perte de la totalité des points). Il convient cependant de relever que si l’annulation intervient après une condamnation définitive, il n’est pas possible d’annuler cette dernière par le moyen d’une révision (Crim., 18 févr. 2009, Droit pénal 2009, comm. n° 63). Le principal inconvénient du recours pour excès de pouvoir est qu’il doit être exercé dans un délai relativement bref. Mais le rejet par le juge administratif d’un recours en annulation dirigé contre un acte administratif ne fait pas obstacle à l’accueil d’une exception d’illégalité de cet acte devant les tribunaux répressifs (par exemple, Crim., 4 mars 1986, Bull. crim. n° 89).

§ 3.

L’exception d’illégalité devant le juge répressif

L’étendue de la compétence des juridictions pénales pour apprécier, par la voie de l’exception, la légalité des actes administratifs a été incertaine jusqu’au nouveau Code pénal. Pour le Tribunal des conflits, le juge répressif pouvait, en vertu du principe de plénitude de compétence, interpréter et apprécier la légalité des règlements administratifs lorsque la solution de l’instance pénale dépendait de cette interprétation ou de cette appréciation, qu’ils servent de LARCIER

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fondement à la poursuite ou qu’ils soient invoqués comme moyen de défense. En revanche, le Tribunal des conflits considérait que le juge pénal était incompétent pour apprécier la légalité des actes administratifs individuels, puisqu’écarter un acte individuel reviendrait à l’annuler, alors que le contentieux de l’annulation est réservé aux tribunaux administratifs (Trib. confl. 5 juillet 1951, Avranche et Desmarets, D. 1952, p. 271, note Blaevoet ; JCP 1951, II, 6623, note Homont). La chambre criminelle de la Cour de cassation s’est écartée de cette thèse, puisqu’elle considérait que le juge pénal était compétent pour interpréter et apprécier la légalité des actes administratifs non seulement réglementaires mais aussi individuels, dès lors que ces actes étaient assortis d’une sanction pénale (Crim., 21 décembre 1961, Dame Le Roux, Bull. crim. n° 551, JCP 1962, II, 12680, note Lamarque ; 1er juin 1967, Canivet et Dame Moret, Bull. crim. n° 172, JCP 1968, II, 15505, note Lamarque ; Crim., 30 octobre 1990, Bull. crim. n° 366). Le nouveau Code pénal a mis fin à cette incertitude et confère une large compétence aux tribunaux répressifs pour interpréter et examiner la légalité des actes administratifs par la voie de l’exception. L’article 111-5 du Code pénal dispose en effet que « les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ». Le juge pénal est donc compétent pour interpréter et apprécier la validité de tous les actes administratifs dès lors que cette interprétation ou cette appréciation de validité a une influence sur la solution du litige, autrement dit lorsqu’elle est de nature à mettre en cause l’existence de l’infraction. Cependant, seuls les actes administratifs peuvent faire l’objet d’une exception d’illégalité, à l’exclusion des actes relevant du droit privé (Crim., 30 octobre 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 49, à propos de l’exclusion d’une association intercommunale de chasse, organisme de droit privé). L’acte administratif en question sera souvent celui qui sert de fondement à la répression, par exemple le décret qui détermine une contravention ou un arrêté de police municipale dont la violation est sanctionnée par l’article R. 610-5 du Code pénal. Mais il peut également s’agir d’un acte administratif individuel (par exemple, Crim., 11 février 1998, Bull. crim. n° 56 : dans le cadre de poursuites pour refus de restituer un permis de conduire suspendu, illégalité de la décision du préfet prononçant la suspension ; Crim., 3 juin 1998, Bull. crim. n° 182 : lorsqu’elles sont saisies d’une infraction à un arrêté de reconduite à la frontière, les juridictions répressives doivent apprécier la légalité de cet arrêté). Si la solution du procès en dépend, le juge peut, même d’office (Crim., 7 juin 1995, Bull. crim. n° 208), interpréter l’acte ou en apprécier la légalité avant d’en faire application. En revanche, les juridictions pénales n’ont pas à apprécier la légalité d’un acte administratif lorsque la solution du procès ne dépend pas de cet examen, autrement dit lorsque l’issue du procès est la même que l’acte en cause soit légal ou non. Ainsi, lorsqu’une personne est poursuivie pour l’exercice d’une activité sans avoir respecté les dispositions d’une autorisation administrative qui lui a été délivrée, elle ne saurait contester la validité de cette autorisation, dès lors que l’activité exercée aurait été de toute façon illicite sans cette autorisation (Crim., 1er octobre 2002, Droit pénal 2003, comm. n° 7). Enfin, s’agissant des moyens d’illégalité, le terme « exception d’illégalité » ne doit pas prêter à confusion. 68

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D’une part, les moyens que l’on peut invoquer à l’appui d’une exception d’illégalité sont les mêmes que ceux dont dispose celui qui intente un recours pour excès de pouvoir : incompétence de l’autorité qui a adopté l’acte, vice de forme, détournement de pouvoirs, violation de la loi. Si le juge pénal ne peut porter d’appréciation sur l’opportunité de l’acte, il lui est parfois arrivé d’écarter l’acte entaché d’une erreur manifeste d’appréciation (Crim., 21 octobre 1987, Bull. crim. n° 362, D. 1988, p. 58, note Kehrig). D’autre part, s’agissant de la violation de la loi, toute norme supérieure contraire à l’acte administratif examiné peut être invoquée par le justiciable. Comme le rappelle la circulaire d’application du nouveau Code pénal du 14 mai 1993, le contrôle de légalité s’entend du contrôle de conformité à « l’ensemble des normes juridiques supérieures, sous réserve que ce contrôle ne conduise pas à apprécier la constitutionnalité d’un texte législatif ». Comme dans le contentieux de l’annulation, le contrôle de conformité d’un acte réglementaire peut s’effectuer par rapport à une loi, mais également à un règlement supérieur et aux textes supralégislatifs, Constitution et traités internationaux auxquels la France est partie, voire à un principe général du droit. Si le juge répressif considère que l’acte administratif est effectivement illégal, il en écartera simplement l’application dans le procès en cours, à l’occasion duquel l’exception a été soulevée, mais il ne pourra pas l’annuler erga omnes. L’acte n’étant pas annulé, il pourra servir de base à de nouvelles poursuites. Bien entendu, tout autre justiciable pourra invoquer la même exception d’illégalité. Si l’acte administratif ainsi affecté sert de fondement à la répression, le contentieux qu’il fera naître sera paralysé jusqu’à la mise en conformité de l’acte par l’autorité administrative compétente.

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CHAPITRE 4

Le champ d’application de la norme pénale Le champ d’application de la norme pénale est limité : la loi pénale n’est pas applicable à tous les faits qu’elle incrimine et sanctionne, quelle que soit leur date de commission, ni quel que soit leur lieu de commission. Il est donc nécessaire de définir le champ d’application dans le temps et dans l’espace de la loi pénale. À cet égard, si un nouveau texte répressif produit principalement ses effets pour l’avenir, il est parfois possible, dans certaines conditions, qu’il soit applicable à des faits commis avant son entrée en vigueur. De même, si le texte répressif réprime principalement les faits commis en France, il est des cas où il sera applicable lorsque les faits sont commis à l’étranger. SECTION I

Le champ d’application de la loi pénale dans le temps Les lois, les ordonnances et les décrets sont publiés au Journal officiel de la République française. Cette publication est assurée, le même jour, dans des conditions de nature à garantir leur authenticité, sur papier et sous forme électronique (art. 2 et 3 de l’ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs). Le Journal officiel de la République française est mis à la disposition du public sous forme électronique de manière permanente et gratuite (sur le site : www.legifrance.gouv.fr). Concernant l’entrée en vigueur des lois, ordonnances et décrets, plusieurs situations peuvent se présenter (art. 1er du Code civil, tel que modifié par l’ordonnance du 20 février 2004) : – le texte fixe lui-même sa date d’entrée en vigueur, comme cela a été le cas pour le Code pénal : le texte ne sera applicable qu’à compter de cette date ; – à défaut de précision sur leur date d’entrée en vigueur, les lois, ordonnances et décrets entrent en vigueur le lendemain de leur publication ; – lorsque certaines des dispositions du texte nécessitent pour leur exécution des mesures d’application, l’entrée en vigueur de ces dispositions est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures d’application. En effet, souvent, la définition d’une infraction n’est pas complète avec l’adoption d’un seul texte. Un décret, un ou plusieurs arrêtés d’application sont nécessaires pour que tous les éléments constitutifs de l’infraction soient réunis. Dans ces hypothèses, et en l’absence d’une date d’entrée en vigueur fixée par la loi, on doit attendre l’adoption des textes d’application. En vertu du principe de légalité, l’entrée en vigueur est LARCIER

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suspendue. Notamment, en l’absence des textes d’application, le juge ne peut pas prononcer de condamnations (pour un décret, Crim., 1er juin 1977, Bull. crim. n° 198 ; pour un arrêté, Crim., 23 janvier 1984, Bull. crim. n° 27) ; – enfin, en cas d’urgence, entrent en vigueur dès leur publication les lois dont le décret de promulgation le prescrit et les actes administratifs pour lesquels le Gouvernement l’ordonne par une disposition spéciale. La norme pénale produit ses effets pendant tout le temps durant lequel elle est en vigueur. Elle a donc vocation à réprimer principalement les faits qui sont commis pendant qu’elle est applicable, postérieurement à son entrée en vigueur. Toutefois, du fait de l’intervention d’une loi nouvelle, il peut advenir que les règles qui étaient applicables lors de la commission des faits ne soient pas les mêmes que celles en vigueur lors du jugement de l’infraction ou lors de l’exécution de la condamnation. Il y a alors conflit de lois dans le temps, et il est nécessaire de déterminer quelle loi, l’ancienne ou la nouvelle, est applicable. Longtemps d’origine jurisprudentielle, les règles relatives à l’application dans le temps des lois pénales font désormais l’objet du chapitre II du livre Ier du Code pénal. Les solutions retenues sont différentes selon que les lois pénales sont de fond ou de forme.

§ 1.

Les lois pénales de fond

Ce sont les textes qui déterminent les incriminations et les peines qui leur sont applicables ainsi que les conditions de la responsabilité des délinquants (lois, règlements, mais également textes internationaux ; voir par exemple Crim., 12 décembre 1996, Bull. crim. n° 466 ; Crim., 22 janvier 1997, Bull. crim. n° 30 pour des textes de droit communautaire). L’article 112-1 du Code pénal énonce avec plus de précision que par le passé les principes qui gouvernent l’application dans le temps de la loi pénale de fond : « Sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes. » L’application dans le temps des lois pénales de fond est gouvernée par deux principes d’égale valeur : le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus sévère, le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce. Ces principes sont du reste également affirmés dans les principaux instruments internationaux de protection des droits de l’homme : article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. 72

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Après avoir précisé le contenu et les conséquences de ces deux principes, il conviendra de déterminer dans quelles conditions une nouvelle disposition s’avère plus sévère ou au contraire plus douce que la règle à laquelle elle se substitue.

A) Deux principes d’égale valeur : la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et la rétroactivité de la loi pénale plus douce 1) Fondement Il n’y aurait aucune certitude de la répression, et donc aucune garantie pour les individus, si une loi pénale pouvait s’appliquer à des comportements antérieurs à son entrée en vigueur, c’est-à-dire pouvait rétroagir. Appliquer une loi à des faits antérieurs équivaudrait à réprimer ces faits sur la base d’une loi qui n’existait pas lors de leur commission, au mépris du principe de légalité qui suppose la préexistence de la norme pénale à l’infraction. Le principe de la nonrétroactivité de la loi pénale est donc, au même titre que le principe de légalité criminelle dont il est un corollaire, une garantie pour la liberté des individus. Toutefois, ce principe de non-rétroactivité n’est pas absolu et ne commande pas le champ d’application de toutes les nouvelles normes pénales. En effet, puisqu’il a pour principal but la protection du citoyen, il n’est applicable qu’aux lois plus sévères, soit qu’elles créent une nouvelle infraction, soit qu’elles aggravent sa répression. En revanche, si la loi pénale est moins répressive, favorable aux délinquants, en d’autres termes plus douce, il y a lieu de considérer qu’elle peut rétroagir, c’est-à-dire être applicable à certains faits commis avant son adoption. C’est le principe de la rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus douce ou rétroactivité in mitius, qui signifie que si au moment où un prévenu est jugé, il existe une loi nouvelle qui lui est plus favorable, c’est cette loi plus douce qui doit lui être appliquée (Crim., 1er octobre 1813, Bull. crim. n° 211). 2) Valeur constitutionnelle Énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui est visée dans le préambule de la Constitution de 1958, le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère s’est vu conférer un rang constitutionnel, susceptible de prévaloir sur toute disposition législative contraire (Cons. constit. 9 janvier 1980, Rec. p. 29, D. 1980, p. 249, note Auby ; Cons. constit. 30 décembre 1982, Rec. p. 88 ; Cons. constit. 10 et 11 octobre 1984, Rec. p. 78 ; Cons. constit. 16 juillet 1996, Rec. p. 87). Le Conseil constitutionnel a également conféré au principe de l’application immédiate des lois nouvelles plus douces une valeur constitutionnelle (Cons. constit. 19 et 20 janvier 1981, Rec. p. 15, D. 1982, p. 441, note Dekeuwer, JCP 1981, II, 19701, note Franck). En effet, dans la mesure où l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », le Conseil constitutionnel en déduit que « le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l’empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle plus douce revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne et qui, selon l’appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires ». Dès lors qu’une loi nouvelle intervient pour adoucir la répression d’une infraction, cela signifie que les peines antérieureLARCIER

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ment prévues ne sont plus strictement nécessaires et qu’il y a lieu de faire rétroagir la nouvelle loi. 3) Conséquences a) Conséquences de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère

Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère signifie que la loi pénale nouvelle ne peut réprimer des actes qui n’étaient pas punis ou qui étaient punis moins sévèrement au moment de leur commission. La loi plus sévère s’applique donc exclusivement aux faits commis à partir de sa date d’entrée en vigueur et les faits antérieurs même non définitivement jugés restent régis par la loi ancienne. Lorsque deux lois se succèdent dans le temps pour assurer différemment la répression d’une infraction, celle qui était en vigueur au moment des faits doit recevoir application si ses dispositions sont plus douces. Autrement dit, si la loi nouvelle plus sévère ne rétroagit pas, l’ancien texte n’en continue pas moins de s’appliquer aux faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, car l’infraction reste punissable (par exemple, Crim., 17 septembre 1997, Bull. crim. n° 301). b) Conséquences de la rétroactivité de la loi pénale plus douce

Lorsqu’une loi pénale nouvelle est plus douce, elle s’applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur ou, pour reprendre les termes de l’article 112-1 alinéa 3, aux « infractions n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée ». Le Code reprend une solution jurisprudentielle classique (par exemple, Crim., 25 novembre 1992, Bull. crim. n° 393 : « une loi nouvelle, abrogeant ou modifiant une loi précédente, ne peut remettre en cause les condamnations légalement prononcées et devenues définitives avant la date de sa mise en application »). L’essentiel est qu’une décision de condamnation passée en force de chose jugée, c’est-à-dire définitive, ne soit pas intervenue. Dans ces conditions, la loi nouvelle plus douce, plus favorable au prévenu, s’applique aux faits commis avant son entrée en vigueur, soit que ces faits ne soient pas encore jugés, soit que ces faits aient été jugés en première instance et qu’ils soient soumis à une juridiction d’appel ou même jugés en appel et soumis à la Cour de cassation. La loi nouvelle plus douce s’applique encore si, après cassation, elle intervient alors que les faits doivent être jugés par une nouvelle juridiction. Si un condamné se situe dans les délais de recours, il lui est donc possible de faire appel ou de former un pourvoi pour obtenir l’application de la loi nouvelle. Sont exclues du bénéfice de la loi nouvelle plus douce – comme, bien entendu, de la loi nouvelle plus sévère –, les condamnations définitives au jour de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, c’est-à-dire lorsque les voies de recours ont été épuisées ou lorsque les délais de recours sont expirés. Il est en effet inconcevable de remettre en cause toutes les condamnations prononcées sous l’empire de l’ancienne loi. Cette règle comporte une exception contenue à l’article 112-4 alinéa 2 du Code pénal : « Toutefois, la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale ». En cas de suppression de l’infraction pénale, de dépénalisation, la peine en cours d’exé74

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cution cesse donc d’être appliquée. Cette règle ne joue cependant que si les faits n’ont plus le caractère d’une infraction pénale, ce qui signifie que la peine continue de s’exécuter lorsque les faits demeurent réprimés mais sous une autre qualification. Ainsi, la suppression de l’incrimination de castration n’entraîne pas la libération des personnes condamnées de ce chef dans la mesure où un tel acte reste punissable sous la qualification de violences ou d’actes de barbarie. De même, les faits auparavant réprimés sous la qualification d’abus de blanc-seing restent aujourd’hui punissables sous la qualification de faux (Crim., 18 mai 1994, Bull. crim. n° 187) ou d’abus de confiance (Crim., 21 septembre 1994, Bull. crim. n° 300). Par contre, les infractions de vagabondage et de mendicité ont été supprimées par le Code pénal sans que ces faits puissent être poursuivis sous une autre qualification. Les peines prononcées pour ces infractions ont donc cessé de recevoir exécution, même si les condamnations étaient définitives lors de l’entrée en vigueur du Code. 4) Les exceptions aux principes Diverses dispositions sont soustraites à ces règles. a) Exceptions à la rétroactivité des règles plus douces

Pendant longtemps, la jurisprudence refusait de faire une application rétroactive des textes plus doux intervenant en matière économique ou fiscale, comme par exemple les arrêtés de taxation plus doux, au motif que cette réglementation dépendait de la conjoncture et était amenée à évoluer plus souvent (pour un exemple, Crim., 10 novembre 1970, Bull. crim. n° 293). Les tribunaux ont en partie revu leur position puisqu’ils admettent, en l’absence de dispositions contraires expresses, la rétroactivité des lois plus douces intervenant en matière économique ou fiscale (Crim., 23 février 1987, Bull. crim. n° 87, 88, 89), en matière douanière ou de changes (Crim., 4 janvier 1988, Bull. crim. n° 4, Crim., 29 février 1988, Bull. crim. n° 102), mais les règlements plus doux intervenant dans ces matières et dictés par des motifs circonstanciels demeurent exclus du bénéfice de la rétroactivité. La chambre criminelle de la Cour de cassation affirme régulièrement qu’une loi nouvelle modifiant une incrimination ou les sanctions applicables à une infraction ne trouve à s’appliquer aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés qu’à la condition que cette loi n’ait pas prévu de dispositions expresses contraires (par exemple, Crim., 6 février 1997, Bull. crim. n° 51 ; Crim., 20 mars 1997, Bull. crim. n° 116 ; Crim., 26 mars 1998, Bull. crim. n° 116). Autrement dit, le législateur peut déroger expressément au principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, en considérant implicitement que les peines prévues par la loi ancienne restent strictement et évidemment nécessaires (voir p. 73) pour sanctionner les faits commis pendant qu’elle était en vigueur. De telles dispositions sont toutefois assez rares (par exemple, en matière douanière, art. 110 de la loi du 17 juillet 1992 ; pour une application : Crim., 1er octobre 1998, Bull. crim. n° 245). Le Conseil constitutionnel essaie de théoriser les exceptions à la rétroactivité des règles plus douces. Dans sa décision n° 2010-74 QPC du 3 décembre 2010, il pose le principe suivant lequel « sauf à ce que la répression antérieure plus sévère soit inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s’est substituée, le principe de nécessité des peines implique que la loi pénale plus douce soit LARCIER

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rendue immédiatement applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée » (cons. n° 3, D. 2011, p. 1859, obs. C. Mascala ; AJ Pénal 2011, p. 30, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2011, p. 180, obs. B. de Lamy ; JCP 2011, 100, note E. Dreyer). Le Code de commerce incrimine la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif. De nouvelles modalités de détermination du prix d’achat effectif tendent à abaisser le seuil de revente à perte, tandis que la précédente définition de ce seuil était inhérente à la législation économique antérieure : la loi nouvelle peut écarter l’application immédiate de la loi nouvelle plus douce. b) Exceptions à la non-rétroactivité des lois plus sévères

Les lois interprétatives ont le même champ d’application que la loi interprétée. La loi interprétative rétroagit donc dans la mesure où la nouvelle interprétation s’applique aux faits commis entre l’entrée en vigueur de la loi interprétée et l’entrée en vigueur de la loi interprétative (par exemple, Crim., 12 janvier 2000, Bull. crim. n° 20 : l’obligation, pour un directeur d’établissement scolaire, de dénoncer des atteintes sexuelles dont il a connaissance existait avant la loi du 17 juin 1998 qui, sur ce point, n’a fait que préciser l’obligation de dénonciation des mauvais traitements). Cependant, elle ne saurait rétroagir au-delà de l’entrée en vigueur du texte qu’elle interprète (Crim., 23 janvier 1989, Bull. crim. n° 25 ; Crim., 3 décembre 1990, Bull. crim. n° 412). Dans le même ordre d’idées, le principe de nonrétroactivité ne s’applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle (Crim., 30 janvier 2002, Bull. crim. n° 16). Les lois déclaratives rétroagissent également puisqu’elles se bornent à constater une règle existante. C’est en particulier le cas des lois relatives aux crimes contre l’humanité car, constituant la violation de principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées, il importe peu que ces crimes soient formellement réprimés dans la législation au moment de leur commission. Les lois qui créent ou modifient des peines accessoires (consistant dans diverses interdictions et déchéances qui frappent automatiquement les individus à raison de certaines condamnations sans avoir à être prononcées par le juge répressif ; voir p. 245) sont immédiatement applicables. Une telle mesure frappe donc dès l’entrée en vigueur de la loi qui l’institue la personne antérieurement condamnée (par exemple, Crim., 26 novembre 1997, Bull. crim. n° 404, D. 1998, jurisp. p. 495, note Rebut, à propos de l’incapacité d’exercer la profession d’agent immobilier). Enfin, il en est de même des lois instituant des mesures de sûreté, qui ont pour but de prévenir la récidive et qui reposent, non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité. Sauf cas particulier (mesure privative de liberté renouvelable sans limite et prononcée après une condamnation par une juridiction), une mesure de sûreté ne constitue ni une peine ni une sanction, et peut par conséquent être appliquée aux personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi qui l’institue (Cons. Constit., 8 décembre 2005, JO 13 décembre 2005, à propos du placement sous surveillance électronique mobile et de la surveillance judiciaire ; 21 février 2008, JO 26 février 2008, à propos de la rétention de sûreté ; Crim. 16 décembre 2009, à propos des mesures prévues aux articles 706-135 et 706-136 du Code de procédure pénale, que la chambre de l’instruction peut prononcer à l’égard de l’auteur d’une infraction déclaré irresponsable en raison d’un trouble mental ; voir p. 205). 76

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B) Appréciation du caractère plus doux ou plus sévère de la nouvelle norme pénale Le caractère plus doux ou plus sévère d’une nouvelle disposition peut s’apprécier au regard de l’incrimination, des peines encourues ou encore des conditions dans lesquelles la responsabilité pénale peut être engagée. 1) La loi nouvelle plus douce a) S’agissant des incriminations

Une loi qui supprime une incrimination (sans que celle-ci soit reprise dans un nouveau texte) est bien entendu plus douce. Le fait antérieurement punissable ne l’est plus et, dans ce cas, il y a lieu de faire rétroagir la loi nouvelle (par exemple, pour certaines hypothèses de banqueroute abrogées par la loi du 25 janvier 1985, Crim., 3 février 1986, Bull. crim. n° 41 ; Crim., 21 juin 1993, Bull. crim. n° 217 ; pour la violation du monopole communal des pompes funèbres, supprimé après une période transitoire de cinq ans par une loi du 8 janvier 1993, Crim., 22 janvier 1997, Bull. crim. n° 27 ; Crim., 1er juin 1999, Droit pénal 1999, comm. n° 130 ; pour l’abrogation des dispositions du Code de la santé publique habilitant le ministre à suspendre par arrêté la mise sur le marché des produits cosmétiques présentant un danger pour l’utilisateur et sur la base desquelles avait été adopté l’arrêté dont la violation était reprochée au prévenu, Crim., 9 novembre 1999, Droit pénal 2000, comm. n° 47 ; pour une contravention prévue par un décret et non reprise par le décret qui l’abroge et lui succède, Crim. 15 mai 2007, Droit pénal 2007, comm. n° 119). Dans ces hypothèses, le Code pénal permet également de faire cesser l’exécution des peines antérieurement prononcées (voir p. 74). La loi rétroagit également si elle définit de manière plus restrictive les éléments constitutifs d’une infraction existante, en donne un champ d’application plus restreint par une nouvelle définition (Crim., 24 novembre 1964, Bull. crim. n° 311 ; Crim., 30 novembre 1994, Bull. crim. n° 391 pour le démarchage à domicile, autorisé sous certaines conditions depuis la loi du 3 juin 1994, et non plus interdit ; Crim., 23 janvier 1997, Bull. crim. n° 36). Ainsi, l’article 227-24 du Code pénal, qui réprime la fabrication ou la diffusion de messages à caractère pornographique, a été considéré comme plus doux dans la mesure où il exige que le message soit susceptible d’être vu ou perçu par un mineur, élément non exigé par l’article 283 de l’ancien Code relatif à l’outrage aux bonnes múurs (Crim., 5 avril 1995, Bull. crim. n° 150). Est également plus douce la loi qui supprime une circonstance aggravante (par exemple, Crim., 6 avril 1994, Bull. crim. n° 137, au sujet de la suppression par le nouveau Code pénal de la circonstance aggravante de menaces de mort en cas d’arrestation et séquestration arbitraire) ou qui modifie les éléments constitutifs d’une circonstance aggravante (Crim., 11 décembre 1996, Bull. crim. n° 461, pour l’article 222-24 3° qui exige que la particulière vulnérabilité de la victime d’un viol ait été apparente ou connue de l’auteur des faits). Le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce est applicable aux textes internationaux, notamment ceux de l’Union européenne, qui définissent les éléments constitutifs d’une infraction (Crim., 18 mai 1998, Bull. crim. n° 168 pour la suspension d’un embargo international ; Crim., 26 mars 1998, Bull. crim. n° 116 pour un règlement communautaire libéralisant les échanges avec certains pays tiers ; Crim., 29 mars 2000, JCP 2000, IV, 2040, pour une décision d’un organe créé par une conLARCIER

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vention conclue entre l’Union européenne et un État tiers ; CJCE, 29 octobre 1998, aff. C-230/97, Awoyemi, Rec. I, p. 6781, pour la possibilité pour les États d’appliquer ce principe à une directive européenne, même avant l’expiration du délai de transposition). b) S’agissant des peines encourues

La loi qui supprime une peine est plus douce, qu’il s’agisse d’une peine principale ou complémentaire (Crim., 2 mars 1976, Bull. crim. n° 78 ; Crim., 16 mai 1994, Bull. crim. n° 183). La loi du 19 juillet 1993 ayant abrogé l’emprisonnement contraventionnel, il n’est plus possible, depuis son entrée en vigueur, de prononcer cette peine, même pour des faits commis avant cette date lorsqu’une telle peine était encourue. La loi nouvelle est en effet plus douce (Crim., 7 avril 1994, Bull. crim. n° 141 ; 14 décembre 1994, Bull. crim. n° 412). Est également plus douce, la loi qui allège les sanctions antérieurement encourues pour une infraction, c’est-à-dire qui remplace la peine encourue par une sanction pénale plus faible. La nouvelle qualification d’une infraction suffit parfois pour définir le caractère plus doux de la loi nouvelle. Ainsi, la correctionnalisation légale, qui consiste à substituer des peines correctionnelles aux peines criminelles (c’est-àdire transformer un crime en délit), est une disposition plus douce (Crim., 11 février 1981, Bull. crim. n° 54 ; Crim., 4 février 1981, Bull. crim. n° 48), de même que la contraventionnalisation légale, c’est-à-dire la transformation par la loi d’un délit en contravention (Crim., 16 février 1987, Bull. crim. n° 73 ; Crim., 15 juin 1987, Bull. crim. n° 250). La loi qui modifie la nature de la peine encourue dans le sens d’un assouplissement ou qui diminue la durée ou le montant de la peine encourue pour une infraction, tout en la maintenant sous la même qualification, rétroagit également. Ainsi, la réclusion à perpétuité est plus douce que la peine de mort, abrogée (Crim., 5 novembre 1981, Bull. crim. n° 297). L’interdiction des droits civiques, civils et de famille, édictée par l’article 131-26 du nouveau Code pénal, est moins sévère que la dégradation civique prévue par l’ancien Code pénal qui, en excluant à perpétuité les condamnés de toutes fonctions, emplois ou offices publics et en leur interdisant de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements, les privait de l’exercice de fonctions juridictionnelles et du droit de représenter ou d’assister une partie devant les tribunaux, peines aujourd’hui distinctes (Crim., 15 octobre 1997, Bull. crim. n° 336 ; Crim., 21 janvier 1998, Bull. crim. n° 28 ; Crim., 14 octobre 1998, Bull. crim. n° 263). De même, sont plus doux le remplacement de la réclusion à perpétuité par la réclusion à temps (par exemple, Crim., 15 novembre 1996, Bull. crim. n° 400, pour le crime de meurtre), la diminution de la durée de la peine de réclusion criminelle encourue (Crim., 22 août 1981, Bull. crim. n° 246 ; Crim., 10 novembre 1998, Bull. crim. n° 294 ; Crim., 9 décembre 1998, Bull. crim. n° 338), la diminution de la durée de la peine d’emprisonnement encourue (Crim., 10 mars 1981, Bull. crim. n° 87 ; Crim., 19 septembre 1995, Droit pénal 1996, comm. n° 4), la diminution du montant de la peine d’amende encourue et la diminution de la durée des peines complémentaires (pour l’interdiction temporaire d’exercer une profession commerciale ou industrielle, Ass. plén. 22 novembre 2002, Bull. crim. n° 2). S’agissant des amendes et autres sanctions pécuniaires, le basculement du franc vers l’euro au 1er janvier 2002 a conduit à « adapter » en euros leurs 78

PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


montants jusqu’ici exprimés en francs, pour conserver des chiffres ronds et significatifs. Le principe qui a été retenu pour pratiquer ces adaptations a été celui de la non-aggravation des sanctions pécuniaires, ce qui a conduit à pratiquer systématiquement un arrondissement à la baisse. Cette solution présente l’avantage de permettre l’application immédiate des nouveaux montants au 1er janvier 2002, y compris aux faits commis antérieurement et n’ayant pas fait l’objet d’une décision définitive : les montants en euros étant légèrement inférieurs aux montants qui auraient résulté d’une simple application du taux officiel de conversion, les dispositions nouvelles sont plus douces. c) S’agissant des conditions de la responsabilité

La loi qui crée une cause d’irresponsabilité ou qui supprime une cause de responsabilité est plus douce. Il en est de même de la loi qui définit de manière plus rigoureuse la gravité de la faute, en introduisant des conditions supplémentaires pour que la responsabilité puisse être engagée. Un exemple particulièrement parlant peut être tiré de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. En modifiant l’article 121-3 du Code pénal, elle a procédé à une singulière révision de la définition de la faute d’imprudence et de négligence (sur la faute d’imprudence et de négligence, ainsi que sur les modifications introduites par la loi du 10 juillet 2000, voir p. 143 et s.). Depuis l’entrée en vigueur de ce texte, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. Ces dispositions de la loi du 10 juillet 2000 sont rétroactives : elles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, car elles sont moins sévères que les dispositions anciennes (Crim., 5 septembre 2000, Bull. crim. n° 262 ; 12 décembre 2000, Bull. crim. n° 371 ; 10 janvier 2001, Bull. crim. n° 3 ; 20 mars 2001, Bull. crim. n° 75 ; 15 mai 2001, Bull. crim. n° 123 ; 9 octobre 2001, Bull. crim. n° 204). En effet, lorsque le lien de causalité est indirect, les conditions d’engagement de la responsabilité pénale sont plus restrictives : la loi n’exige plus une faute ordinaire mais soit la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qui ne pouvait être ignoré. Dans ces conditions, pour les personnes poursuivies qui sont la cause indirecte du dommage (et elles seules, car la loi du 10 juillet 2000 n’a pas modifié les conditions de responsabilité de ceux dont la faute a été la cause directe du dommage), la nouvelle rédaction de l’article 1213 du Code pénal est plus favorable, plus douce, car elle exige du juge qu’il constate la réunion de conditions supplémentaires. LARCIER

Le champ d’application de la norme pénale CHAPITRE 4

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2) La loi nouvelle plus sévère Il s’agit ici des hypothèses inverses. a) S’agissant des incriminations

La loi pénale doit être considérée comme plus sévère lorsqu’elle crée une nouvelle incrimination. Des faits, qui n’étaient auparavant pas pénalement réprimés, sont érigés en infraction pénale par un nouveau texte (par exemple, Crim., 8 décembre 1965, Bull. crim. n° 267). De même, est plus sévère la loi qui étend le champ d’application d’une incrimination par une nouvelle définition (ainsi, pour caractériser l’acte de pénétration sexuelle constitutif du viol, l’ajout par la loi du 23 décembre 1980 des mots « de quelque nature qu’il soit… », cette précision ayant pour conséquence d’inclure sous la qualification criminelle des actes qui auparavant n’étaient susceptibles d’être poursuivis que sous une qualification délictuelle ; Crim., 20 janvier 1982, Bull. crim. n° 23, 1er arrêt ; Crim., 21 avril 1982, Bull. crim. n° 99). Dans ce cas, les faits qui auparavant échappaient à l’incrimination ne sauraient tomber sous le coup de la loi nouvelle. Il convient cependant d’être vigilant car le changement introduit par la loi nouvelle peut n’être que terminologique. Dans ce cas, la loi nouvelle n’est pas plus sévère car les faits étaient en réalité déjà réprimés sous la loi ancienne. Le régime applicable à ces textes s’apparente donc à celui des lois interprétatives (pour des exemples, Crim., 14 octobre 1998, Bull. crim. n° 263 : l’article 222-23 du nouveau Code pénal, qui réprime le viol, ajoute le terme « menace » mais il ne s’agit en réalité que d’une forme de la « contrainte », déjà mentionnée sous l’ancien Code pénal ; Crim., 12 janvier 2000, Bull. crim. n° 21 : les délits de « simulation » et de « dissimulation » d’enfant, prévus par l’article 227-13 nouveau du Code pénal, constituent deux aspects des faits de « supposition » d’enfant, qualifiés par l’article 345 ancien du Code pénal). La loi introduisant une nouvelle circonstance aggravante est également plus sévère. Cela ne signifie pas que les faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ne seront pas sanctionnés. Simplement, ils seront qualifiés selon la loi ancienne, c’est-à-dire abstraction faite de la circonstance aggravante qui n’existait pas à l’époque où les faits ont été commis. b) S’agissant des peines encourues

La loi qui attache une nouvelle peine à l’infraction est plus sévère et ne peut rétroagir, par exemple la loi qui ajoute une nouvelle peine complémentaire (Crim., 21 mars 1978, Bull. crim. n° 110 ; Crim., 30 avril 1996, Bull. crim. n° 176 ; Crim., 6 juin 1996, Bull. crim. n° 242 ; Crim., 5 novembre 1998, Bull. crim. n° 289 ; Crim., 21 novembre 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 35). La loi nouvelle qui aggrave la peine encourue pour une infraction est plus sévère et ne peut rétroagir, par exemple lorsque le montant de l’amende ou la durée de la peine privative de liberté sont augmentés (pour le montant de l’amende, Crim., 27 avril 1987, Bull. crim. n° 166 ; pour une peine privative de liberté, Crim., 14 décembre 1994, Bull. crim. n° 414) ou lorsque l’infraction passe dans une catégorie supérieure (Crim., 21 février 1996, Bull. crim. n° 85, pour une contravention devenue un délit dans le nouveau Code pénal ; Crim., 5 septembre 1995, Bull. crim. n° 269, pour un délit devenu crime). 80

PARTIE I La norme pénale

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Le caractère plus doux ou plus sévère des dispositions répressives doit s’apprécier non seulement au regard des peines spécialement attachées à l’infraction considérée, mais également au regard des dispositions générales qui définissent le contenu de certaines peines. Ainsi, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille de l’article 131-26 du Code pénal est plus sévère que les dispositions correspondantes de l’ancien Code, car elle porte en plus sur le droit de représenter ou d’assister une partie devant la justice (Crim., 30 juin 1999, Bull. crim. n° 175). c) S’agissant des conditions de la responsabilité

La loi qui supprime une cause d’irresponsabilité ou qui crée de nouvelles formes de responsabilité est plus sévère, dans la mesure où elle étend l’incrimination à de nouvelles catégories de prévenus. Tel est le cas des dispositions relatives à la responsabilité des personnes morales (voir p. 171), qui ne peuvent s’appliquer à des faits commis avant leur entrée en vigueur : d’abord, puisqu’il s’agit d’une notion inédite du nouveau Code pénal, elles ne peuvent pas concerner des faits commis antérieurement au 1er mars 1994 ; ensuite, dans la mesure où la responsabilité des personnes morales était gouvernée, entre 1994 et 2005, par le principe de spécialité (ce qui signifie qu’il était nécessaire qu’une disposition particulière prévoit cette responsabilité pour l’infraction en cause), une personne morale ne pouvait être condamnée pour des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur des dispositions permettant la mise en úuvre de sa responsabilité pour l’infraction considérée (Crim., 23 février 2000, Bull. crim. n° 85). Enfin, si la responsabilité des personnes morales a été généralisée à toutes les infractions à compter du 31 décembre 2005 (voir p. 177 et s.), celle-ci ne peut être engagée pour des faits antérieurs à cette date que si, au moment des faits, la loi prévoyait expressément cette responsabilité conformément au principe de spécialité applicable à l’époque (Crim. 19 juin 2007, Bull. crim. n° 169). Tel est le cas également de l’article 311-12 du nouveau Code pénal qui, contrairement aux dispositions de l’ancien Code, exclut du bénéfice de l’immunité familiale les soustractions commises par des alliés de même degré. Cet article constitue une loi pénale plus sévère et n’est donc pas applicable aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur (Crim., 14 novembre 2007, Droit pénal 2008, comm. n° 16).

§ 2.

Les lois pénales de forme

Les lois pénales de forme sont relatives à l’organisation judiciaire et à la compétence des tribunaux, à la procédure pénale, aux voies de recours, à l’exécution des peines, à la prescription de l’action publique et des peines. Le principe général est que, dès leur entrée en vigueur, elles sont considérées comme d’application immédiate, même s’agissant d’infractions commises avant leur entrée en vigueur et même si elles peuvent paraître plus sévères que les règles antérieurement en vigueur. LARCIER

Le champ d’application de la norme pénale CHAPITRE 4

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A) Signification de l’application immédiate En principe, la loi nouvelle rétroactive modifie la situation établie sous l’empire d’une loi antérieure et supprime donc les effets des actes déjà accomplis. L’adoption d’une telle solution pour les lois de procédure entraînerait des difficultés insurmontables puisque cela signifierait qu’il faudrait recommencer les procédures depuis le début. La solution retenue pour les lois de forme nouvelles est celle de l’application immédiate : la loi ancienne continue de s’appliquer aux actes accomplis lorsqu’elle était en vigueur, la loi nouvelle s’applique uniquement aux situations en cours. Telle est la signification de l’article 112-4 alinéa 1 du Code pénal qui dispose que « L’application immédiate de la loi nouvelle est sans effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne ». Dès lors, les actes accomplis durant un procès peuvent être régis par deux textes. Jusqu’à l’adoption de la loi nouvelle, la loi ancienne régit les premiers actes effectués. L’adoption d’une loi nouvelle ne remet pas en cause leur validité, mais les actes ultérieurs sont soumis à cette loi nouvelle.

B) Le champ d’application des différentes lois de forme Les règles relatives au champ d’application dans le temps des lois de forme, issues de la jurisprudence, ont pour l’essentiel été reprises dans le nouveau Code pénal. Le principe reste l’application immédiate des lois de forme nouvelles. Ce principe est toutefois assorti d’exceptions pour les lois de forme relatives à l’exécution des peines, de sorte que leur régime est proche de celui applicable aux lois de fond. 1) Les lois de compétence et d’organisation judiciaire (article 112-2 1° du Code pénal) Ces lois sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, à condition qu’un jugement sur le fond n’ait pas été rendu en première instance. La loi qui crée ou supprime une juridiction est ainsi immédiatement applicable à toutes les infractions, même à celles commises antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, pourvu qu’un jugement sur le fond n’ait pas encore été rendu en première instance (par exemple, s’agissant de l’institution d’une cour d’assises composée de magistrats professionnels et compétents pour les affaires de terrorisme, Crim., 7 mai 1987, Bull. crim. n° 186 ; concernant l’institution de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité – HALDE – et la possibilité offerte aux juridictions de l’inviter à présenter des observations sur des faits dont elles sont saisies, Crim., 24 janv. 2007, Bull. crim. 2007, n° 19). Il en est de même si une loi déclasse un crime en délit ou, au contraire, criminalise un délit, de sorte que l’infraction ressort de la compétence d’une autre juridiction pénale : la loi nouvelle est immédiatement applicable même si l’instruction a débuté ou si la juridiction de jugement a été saisie. Par contre, si un jugement sur le fond a été rendu avant l’intervention de la loi nouvelle, la procédure se poursuit selon les règles de compétence et d’organisation judiciaire en vigueur au moment des faits (Crim., 14 novembre 2001, Bull. crim. n° 236). 82

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2) Les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure (article 112-2 2° du Code pénal) Le Code pénal considère que la loi nouvelle intervenant dans ces domaines, comme par exemple une loi modifiant le déroulement de l’instruction ou les conditions de mise en détention provisoire (par exemple, Crim., 19 août 1997, Bull. crim. n° 284), est immédiatement applicable. En d’autres termes, les actes de procédure sont effectués conformément à la loi applicable lors de leur accomplissement. Ainsi, en matière correctionnelle, l’article 132-19 alinéa 2 du Code pénal oblige le juge à motiver spécialement une condamnation à l’emprisonnement sans sursis (c’est-à-dire à donner les raisons d’une telle décision). Règle de procédure, cette obligation est d’application immédiate. Le juge doit donc faire application de cette disposition, même si les faits poursuivis sont antérieurs à l’entrée en vigueur du Code pénal (Crim., 21 juin 1995, Bull. crim. n° 231). Mais les condamnations à l’emprisonnement sans sursis non motivées et rendues avant l’entrée en vigueur du Code restent valables et ne peuvent être annulées, car l’obligation de motivation ne concernant ni la définition des faits, ni la détermination de la peine, la nouvelle règle ne saurait rétroagir (Crim., 3 octobre 1994, Bull. crim. n° 312). 3) Les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines (article 112-2 3° du Code pénal) Les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines (le recouvrement des amendes, les conditions d’exécution des peines privatives de liberté, le sursis, l’ajournement du prononcé de la peine, les permissions de sortir, la libération conditionnelle…) ont été traditionnellement considérées comme immédiatement applicables par la jurisprudence (par exemple s’agissant de la reconduite à la frontière, mesure d’exécution de la peine d’interdiction du territoire français dont elle ne modifie ni la nature ni les effets, Crim., 21 novembre 1984, Bull. crim. n° 364). Cette appréciation n’était toutefois pas exempte de critiques, dans la mesure où les nouvelles dispositions, inconnues du justiciable lors de la commission de l’infraction, peuvent s’avérer grandement préjudiciables pour lui. Ainsi, dans sa décision du 3 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a estimé que la période de sûreté qui empêche un détenu de bénéficier de mesures de faveur et dont la durée était augmentée par la loi soumise à son examen, « bien que relative à l’exécution de la peine, n’en relève pas moins de la décision de la juridiction de jugement qui (…) peut en faire varier la durée en même temps qu’elle se prononce sur la culpabilité du prévenu ou de l’accusé ». Le Conseil constitutionnel a émis une réserve interprétative selon laquelle la disposition litigieuse ne pouvait s’appliquer qu’aux faits commis postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi (Rec. p. 130, loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance). Cette analyse a été confirmée par la Cour européenne des droits de l’homme à propos de la contrainte par corps, mesure d’exécution forcée qui garantit le paiement des créances de l’État, dont les amendes pénales, et qui consiste en l’incarcération du débiteur en cas d’inexécution de la condamnation (voir p. 371). La chambre criminelle de la Cour de cassation considérait LARCIER

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que la contrainte par corps, prononcée par le juge pénal, était une mesure d’exécution de la peine et devait s’appliquer immédiatement aux taux en vigueur le jour de la décision de condamnation (Crim., 8 juillet 1958, Bull. crim. n° 528 ; Crim., 26 juin 1989, Bull. crim. n° 271). Au contraire, pour la Cour européenne des droits de l’homme, la contrainte par corps constitue une peine au sens de la Convention européenne, puisque « prononcée par la juridiction répressive et destinée à exercer un effet dissuasif, la sanction infligée (…) pouvait aboutir à une privation de liberté de caractère punitif » (CEDH, arrêt du 8 juin 1995, Jamil contre France, série A, n° 317 B). En l’espèce, la Cour constate la violation du principe de non-rétroactivité des peines plus sévères garanti à l’article 7 § 1 de la Convention puisque la Cour d’appel de Paris avait appliqué au condamné une loi nouvelle qui portait la durée de la contrainte par corps à deux ans, alors qu’à l’époque des faits, le requérant encourait une telle mesure pour une durée de quatre mois. Le Code pénal a profondément modifié les règles relatives au champ d’application des lois relatives à l’exécution des peines, de sorte que leur régime se rapproche de celui des lois pénales de fond. Ainsi, si l’article 112-2 3° du Code pénal pose le principe de l’application immédiate des lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines, il prévoit cependant que « ces lois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur ». Ces dispositions s’appliquent par exemple aux règles relatives au prononcé des peines pour des infractions en concours (art. 132-4 et 132-5 du Code pénal ; Crim., 26 septembre 1996, Bull. crim. n° 336) ou aux modalités d’exécution de la peine prononcée par la juridiction de jugement, comme le sursis ou les conditions de révocation du sursis (Crim., 12 décembre 1995, Bull. crim. n° 376 ; Crim., 24 octobre 2000, JCP 2001, IV, 1457). Le Conseil constitutionnel, à propos de la surveillance judiciaire créée par la loi du 12 décembre 2005 (voir p. 357), a confirmé ce régime. Il a précisé que le principe de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère ne s’applique qu’aux peines et aux sanctions ayant le caractère d’une punition. S’agissant d’une modalité d’exécution de la peine ne constituant ni une peine, ni une sanction, le législateur peut donc prévoir son application à des personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi (voir en ce sens Crim., 9 avril 2008, Bull. crim. n° 98, à propos du durcissement du régime des crédits de réduction de peine applicables aux récidivistes, immédiatement applicable en vertu d’une disposition législative expresse). Doit cependant être respecté le principe selon lequel la liberté de la personne ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire (Cons. constit., 8 décembre 2005, JO 13 décembre 2005). 4) Les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines (article 112-2 4° du Code pénal) Les lois nouvelles modifiant les délais des prescriptions ou leur point de départ sont sans effet sur les prescriptions déjà acquises lors de leur entrée en vigueur (par exemple, Crim., 3 novembre 1994, Bull. crim. n° 349 ; Crim., 3 septembre 1997, Bull. crim. n° 294). Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, c’est-à-dire lorsque le délai de prescription n’est pas expiré, les lois relatives à la prescription de l’action publique (le délai à l’expiration duquel les poursuites ne sont plus possibles) 84

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et à la prescription des peines (le délai à l’expiration duquel l’exécution d’une peine n’est plus possible) sont immédiatement applicables. Auparavant, cette règle de l’applicabilité immédiate de la loi nouvelle aux prescriptions en cours ne concernait que les lois plus douces, car l’article 1122 4° du Code pénal exceptait le cas des lois qui « auraient pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé ». Depuis la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, toutes les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines sont immédiatement applicables, même si elles instituent un régime plus sévère, par exemple en allongeant le délai de prescription ou en reportant son point de départ (par exemple, Crim., 7 novembre 2007, Droit pénal 2008, comm. n° 27). 5) Les lois relatives aux voies de recours (article 112-3 du Code pénal) Les lois relatives à la nature et aux cas d’ouverture des voies de recours, aux délais dans lesquels elles doivent être exercées et à la qualité des personnes admises à les exercer, s’appliquent aux recours formés contre les décisions prononcées après leur entrée en vigueur. Les voies de recours s’apprécient donc selon la loi en vigueur le jour du jugement contre lequel le recours est formé, même si une nouvelle loi modifie ultérieurement ces possibilités de recours. La seule exception concerne non le droit de recours mais la forme du recours, puisque les recours sont soumis aux règles de forme en vigueur au jour où ils sont exercés. SECTION II

Le champ d’application de la loi pénale dans l’espace Le droit pénal français s’applique bien entendu aux infractions commises sur le territoire français. Mais une infraction peut comporter des éléments d’extranéité, c’est-à-dire que d’autres États vont être concernés : l’attaque d’un fourgon blindé en Italie est préparée depuis la France, un homme d’affaires français est kidnappé lors d’un séjour en Amérique latine, des trafiquants chinois fabriquent des contrefaçons de sacs de luxe d’une célèbre marque française, un étudiant français commet des dégradations sur un campus américain puis rentre en France avant que son forfait ne soit découvert… Les délinquants ne connaissent pas les frontières. La criminalité internationale présente par ailleurs d’importants enjeux économiques et sociaux : trafic de stupéfiants, filières d’immigration clandestine, blanchiment d’argent. Lorsqu’une infraction est commise à l’étranger, le droit pénal français peut-il s’appliquer ’ Si l’ordre social français ne semble pas perturbé outre mesure, l’infraction peut toutefois porter atteinte aux intérêts de l’État, voire à ceux de la communauté internationale dans son ensemble. Pour déterminer le champ d’application spatial du droit pénal, l’utilisation de critères est indispensable. Selon celui que l’on choisit, quatre systèmes sont théoriquement envisageables : – le système de la territorialité : compétence territoriale de la loi pénale Le critère choisi est celui du territoire. Selon ce système, la loi pénale d’un État s’applique aux seules infractions commises sur le territoire de cet État, LARCIER

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quelle que soit la nationalité de l’auteur ou de la victime. Dès lors que l’infraction est commise ou tentée totalement ou en partie sur le territoire national, la loi pénale de cet État est compétente. Par contre, si l’infraction est commise à l’étranger, la loi pénale n’est pas applicable, même si l’auteur ou la victime de l’infraction est un national ou si la nature de l’infraction porte atteinte aux intérêts de l’État ; – le système de la personnalité : compétence personnelle de la loi pénale Le second critère envisageable est celui de la nationalité de l’auteur ou de la victime de l’infraction. La loi pénale applicable sera donc celle de l’État dont l’auteur ou la victime de l’infraction a la nationalité. C’est le principe de la personnalité de la loi pénale : personnalité active s’il est pris en considération la nationalité de l’auteur de l’infraction ; personnalité passive si la nationalité de la victime est déterminante. Si l’on fait jouer ce critère, cela signifie que la loi pénale peut être amenée à s’appliquer à l’étranger, si les personnes impliquées dans l’infraction sont des nationaux. Mais l’utilisation exclusive de ce critère signifie a contrario que si l’infraction met en cause des étrangers, la loi ne s’applique pas, même si l’infraction est commise sur le territoire national ; – le système de la réalité : compétence réelle de la loi pénale Le troisième critère est celui de l’infraction elle-même. La loi pénale s’applique alors, compte tenu des intérêts protégés, quel que soit le lieu de commission de l’infraction, quelle que soit la nationalité des personnes impliquées. L’intérêt d’un tel critère est qu’il tend essentiellement à protéger l’ordre public national. Il a pour objectif de défendre les intérêts essentiels de l’État, par exemple pour lutter contre la fabrication de fausse monnaie. Le système de la réalité apparaît donc ici comme une application du système de personnalité passive, la victime étant finalement l’État lui-même ; – le système de l’universalité : compétence universelle de la loi pénale Quel que soit le lieu de commission de l’infraction, quelle que soit la nationalité de l’auteur de l’infraction, quelle que soit la nature de l’infraction, si le coupable est localisé, il doit être arrêté. L’État de l’arrestation doit alors soit juger l’auteur de l’infraction selon sa propre loi pénale, soit l’extrader : aut dedere aut punire, extrader ou punir. La répression est alors universelle. L’objectif, louable, est de ne laisser aucun refuge aux criminels. En pratique, le système ne concerne que des infractions d’une extrême gravité qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la communauté internationale dans son ensemble. Les règles qui régissent le champ d’application dans l’espace du droit pénal français se trouvent aux articles 113-1 à 113-12 du Code pénal. Les règles de compétence des juridictions pénales françaises et les règles de procédure applicables à l’égard des infractions commises hors du territoire de la République restent quant à elles posées dans le Code de procédure pénale. Son article 689 prévoit en particulier que « les auteurs ou complices d’infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque, conformément aux dispositions du livre Ier du Code pénal ou d’un autre texte législatif, la loi française est applicable, soit lorsqu’une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l’infraction ». 86

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Les compétences juridictionnelle et législative sont donc liées : les juridictions françaises sont compétentes chaque fois que la loi française est applicable (par exemple, Crim., 21 janvier 2009, Droit pénal 2009, Étude n° 7). Et lorsque les juridictions pénales françaises sont compétentes, elles ne peuvent appliquer que la loi française, à l’exclusion du droit pénal étranger, contrairement aux juges civils et commerciaux parfois amenés à appliquer la loi civile ou commerciale étrangère. Comme tous les États, le droit pénal français utilise principalement le système de la territorialité. Toutefois, la loi pénale française peut être applicable pour des infractions commises à l’étranger, puisque des hypothèses de compétences personnelle, réelle et universelle sont ménagées. Les quatre critères sont donc combinés.

§ 1.

L’infraction est commise en France

Le principe de territorialité se déduisait auparavant de l’article 3 alinéa 1 du Code civil : « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent sur le territoire ». Il est désormais clairement posé à l’article 113-2 du Code pénal : « La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. L’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire. » Le territoire français est entendu au sens large. Il en est de même des conditions de la localisation de l’infraction en France et de son rattachement au territoire français.

A) Détermination du territoire français Le territoire de la République est un volume : il comprend des éléments aérien et maritime au même titre qu’un élément terrestre. Par ailleurs, par une fiction juridique, le Code pénal assimile au territoire français les aéronefs (avions) et les navires (bateaux) français. 1) Éléments terrestre, maritime et aérien L’article 113-1 du Code pénal précise que « le territoire de la République inclut les espaces maritime et aérien qui lui sont liés ». Le territoire de la République comprend donc trois éléments. a) L’élément terrestre

Le territoire de la République est constitué : – de la France métropolitaine ; – des départements d’outre-mer (DOM) : Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Mayotte ; – des collectivités d’outre-mer : Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Polynésie française ; – des collectivités à statut particulier : Nouvelle-Calédonie, Terres australes et antarctiques françaises (voir le titre XII de la Constitution). LARCIER

Le champ d’application de la norme pénale CHAPITRE 4

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Ces deux dernières catégories sont toutefois, en vertu de la Constitution, gouvernées par le principe de spécialité législative (l’article 74 alinéa 3 de la Constitution permet des aménagements au principe de spécialité législative). Cela suppose donc qu’une disposition spéciale étende expressément l’application d’un texte pénal donné, en l’aménageant le cas échéant pour prendre en compte les spécificités locales ou en fixant une date d’entrée en vigueur ultérieure. Le nouveau Code pénal est ainsi entré en vigueur dans les COM le 1er mars 1996. b) L’élément maritime

La loi française peut s’appliquer aux infractions commises en mer, même si elles l’ont été à bord ou depuis un navire étranger (sauf les navires militaires étrangers) se situant dans cette zone. Toutefois, il convient de distinguer deux catégories d’espaces maritimes, selon que la loi française s’y applique d’une manière générale ou spéciale. La loi française est applicable d’une façon générale sur les espaces maritimes où l’État français exerce une souveraineté pleine et entière. Il s’agit des eaux intérieures et de la mer territoriale, bande de douze milles marins (22,25 km) à partir des côtes (loi n° 71-1060 du 24 décembre 1971). Au-delà de la mer territoriale, la loi française n’est applicable qu’en vertu de dispositions spéciales. Ce principe traditionnel a été confirmé par l’introduction dans le Code pénal de l’article 113-12 (loi du 26 janvier 1996) qui dispose que « la loi pénale française est applicable aux infractions commises au-delà de la mer territoriale, dès lors que les conventions internationales et la loi le prévoient ». Ces espaces sont d’une part la zone économique exclusive et la zone de protection écologique (jusqu’à 200 milles marins des côtes) sur laquelle la France n’exerce qu’une souveraineté limitée, modulée (essentiellement pour y exploiter les ressources naturelles et préserver le milieu marin), d’autre part la haute mer. La loi pénale française ne s’y applique pas par principe mais uniquement en vertu de dispositions législatives spéciales destinées à protéger les compétences économiques de l’État français ainsi que les intérêts collectifs des États membres de la communauté internationale. C’est le cas des articles L. 218-21 et L. 218-61 du Code de l’environnement pour la pollution en mer par les opérations de rejets ou d’incinération. c) L’élément aérien

L’espace aérien est constitué de l’espace surjacent aux territoires sur lesquels s’exerce la souveraineté de la France. Il s’agit donc de l’espace atmosphérique situé au-dessus du territoire terrestre, des eaux intérieures et de la mer territoriale. La loi pénale française s’applique même lorsqu’une infraction est commise à bord ou à l’encontre des avions étrangers survolant la France. 2) Les navires et aéronefs français Les navires et les aéronefs français sont assimilés au territoire de la République. La loi pénale française est ainsi applicable aux infractions commises à bord des navires battant pavillon français ou à l’encontre de tels navires ou des personnes se trouvant à bord, où qu’ils se trouvent, donc même dans la mer 88

PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


territoriale d’un État étranger ou en haute mer (art. 113-3 du Code pénal). Il en est de même pour les infractions commises à bord des aéronefs immatriculés en France ou à l’encontre de tels aéronefs ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu’ils se trouvent (art. 113-4 du Code pénal). Les articles 113-3 et 113-4 précisent par ailleurs que s’il s’agit de navires de la marine nationale ou d’aéronefs militaires français, la loi pénale française est alors seule applicable à ces infractions. Mais c’est une règle largement répandue : la loi du pavillon ou de l’immatriculation des navires et aéronefs militaires est exclusivement applicable, par respect de la souveraineté des États.

B) La localisation du lieu de commission de l’infraction : le rattachement de l’infraction au territoire français La loi pénale française est applicable à toute infraction commise sur le territoire français. Le critère est facilement applicable dans la plupart des cas. Toutefois, des difficultés peuvent surgir, notamment en matière de criminalité économique. L’infraction peut avoir été préparée dans un État et exécutée dans un autre, les auteurs d’une infraction peuvent avoir des complices à l’étranger… Il n’est pas nécessaire que l’infraction ait été entièrement commise en France pour que la loi pénale française soit applicable. Elle l’est également dès lors que l’infraction est partiellement réalisée en France : le Code pénal exige un lien de rattachement, même indirect, de l’infraction au territoire français. Un cas particulier est en outre envisagé par le Code, celui du complice en France d’une infraction commise à l’étranger. 1) La réalisation partielle de l’infraction en France L’infraction est réputée commise en France dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur le territoire de la République (art. 113-2 alinéa 2 du Code pénal). Cette notion de faits constitutifs correspond à celle « d’acte caractérisant un des éléments constitutifs de l’infraction » antérieurement utilisée dans le Code de procédure pénale. La jurisprudence extensive du lien de rattachement reste donc valable, en dépit de cette différence de rédaction. Ainsi, entraîne l’application de la loi française la réalisation d’une partie des faits en France (Crim., 22 mai 1997, Bull. crim. n° 198, pour la diffusion de bulletins de concours en partie sur le territoire français ; CA Paris, 2 novembre 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 42, pour la publication en France d’une photographie portant atteinte à l’intimité de la vie privée : peu importe que la photographie ait été prise à l’étranger, par un photographe étranger, et concerne des personnes de nationalité étrangère). Pour les infractions qui supposent la réalisation de plusieurs actes matériels, la loi française est applicable si l’un d’eux est effectué en France. Par exemple, dans le cas de l’escroquerie, qui suppose des manúuvres frauduleuses et la remise d’une somme, la loi française est applicable si les manúuvres frauduleuses ont lieu en France (Crim., 11 avril 1988, Bull. crim. n° 144) ou si la remise des fonds est faite sur le territoire national (Crim., 28 novembre 1996, Bull. crim. n° 437). Dans celui de l’abus de confiance, la loi française est applicable si la remise à titre précaire de la chose a lieu en France (par exemple, le prêt d’une somme LARCIER

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d’argent), même si le détournement est commis à l’étranger (Crim., 12 février 1979, Bull. crim. n° 60). La loi française est également applicable en cas de recel à l’étranger d’un bien, dès lors que ce dernier a été dérobé en France (Crim. 26 septembre 2007, Droit pénal 2007, comm. n° 150). La loi française s’applique aussi lorsque des effets ont lieu en France, dès lors que ces effets sont un élément constitutif de l’infraction : lorsqu’une úuvre française est reproduite à l’étranger, l’atteinte portée aux droits de l’auteur a lieu en France (Crim., 2 février 1977, Bull. crim. n° 41 ; Crim., 29 janvier 2002, Bull. crim. n° 13) ; un homicide est commis à l’étranger mais la personne décède en France. Les infractions d’habitude, comme l’exercice illégal d’une profession, qui supposent la répétition d’au moins deux actes identiques, tombent sous le coup de la loi pénale française même si seulement un des actes est effectué en France. Enfin, la loi pénale française est applicable aux infractions continues dès lors que le comportement délictueux se poursuit, même en partie, en France (Crim., 23 février 2000, Bull. crim. n° 83). S’agissant des infractions d’omission, comme la non-assistance à personne en danger, la loi applicable est celle du lieu où l’obligation non exécutée aurait dû être accomplie (Crim., 27 octobre 1966, Bull. crim. n° 244, pour le délit de non-représentation d’enfant). La loi française est également applicable à l’acte de complicité commis à l’étranger d’une infraction principale commise en France, le complice étant en effet assimilé à l’auteur principal (Crim., 30 avril 1908, Bull. crim. n° 171). Si la complicité en France d’une infraction commise à l’étranger s’appuyait sur le même principe, la logique voudrait que la loi applicable au complice soit la loi étrangère, c’est-à-dire la même que celle appliquée à l’auteur principal, si aucun autre système de compétence ne permettait de rendre la loi française applicable. Le Code pénal étend toutefois la compétence de la loi pénale française sur ce point. 2) La complicité en France d’une infraction commise à l’étranger L’article 113-5 du Code pénal pose le principe de l’applicabilité de la loi pénale française « à quiconque s’est rendu coupable sur le territoire de la République, comme complice, d’un crime ou d’un délit commis à l’étranger si le crime ou le délit est puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère et s’il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère ». L’hypothèse est donc la suivante : les auteurs d’une infraction commise à l’étranger avaient un complice en France. Cette disposition ne s’applique que lorsque l’auteur principal de l’infraction ne peut être jugé en France et constitue donc une dérogation au principe selon lequel la loi applicable au complice suit celle applicable à l’auteur principal. Deux conditions sont nécessaires pour que ce complice puisse être poursuivi sur la base du droit français. D’une part, l’infraction doit être punie à la fois par la loi française et la loi étrangère : c’est le principe de la réciprocité législative ou de la double incrimination (mais il doit s’agir nécessairement, selon le texte français, d’un crime ou d’un délit, pas d’une contravention). D’autre part, le fait principal doit avoir été constaté à l’étranger par une décision définitive. La juridiction doit impérativement vérifier que ces deux conditions sont réunies (Crim., 10 février 1999, Bull. crim. n° 15 ; 10 septembre 2008, Droit pénal 2009, comm. n° 5). 90

PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


§ 2.

L’infraction est commise à l’étranger

Selon le principe de territorialité, la loi pénale française ne devrait pas être applicable à l’égard de celui qui commet une infraction à l’étranger. L’ordre social français n’est pas troublé par la réalisation de l’infraction. Toutefois, par le recours aux notions de compétences personnelle, réelle et universelle, la loi française peut trouver à s’appliquer sous certaines conditions.

A) Compétence personnelle La loi pénale française peut s’appliquer lorsque l’infraction est entièrement commise à l’étranger, dès lors que l’auteur ou la victime de l’infraction possède la nationalité française. 1) Compétence personnelle active L’article 113-6 du Code pénal prévoit des cas de compétence personnelle active de la loi pénale française : « La loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République. Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis. » L’intérêt du système de la personnalité active est double : d’une part, il s’agit de lutter contre la dangerosité d’un criminel de nationalité française ; d’autre part, et sauf exception (mandat d’arrêt européen), la France n’extrade pas ses nationaux pour qu’ils soient jugés à l’étranger, de sorte que l’auteur français d’une infraction commise à l’étranger et retournant en France après son méfait ne pourrait pas en pratique être jugé à l’étranger. La première condition est celle de la nationalité de l’auteur de l’infraction. S’il est Français, la loi pénale française est applicable. Le troisième alinéa de l’article 113-6 du Code pénal précise que ces règles valent « lors même que le prévenu aurait acquis la nationalité française postérieurement au fait qui lui est imputé ». La nationalité de l’auteur de l’infraction ne s’apprécie donc pas au moment de la commission de l’infraction, mais au moment de la connaissance de celle-ci ou au moment des poursuites. La loi française est donc compétente dans le cas de la commission à l’étranger d’une infraction par un étranger qui aurait acquis ultérieurement la nationalité française. La seconde condition tient à la nature de l’infraction. L’auteur doit avoir commis, au regard du droit français, un crime ou un délit (pas une simple contravention) et, s’agissant d’un délit, encore faut-il que celui-ci soit également réprimé par la loi pénale du pays dans lequel le délit a été commis, selon le principe de la double incrimination ou de la réciprocité législative (pour des applications, Crim., 5 juin 1996, Bull. crim. n° 239 ; Crim., 12 novembre 1997, Bull. crim. n° 383). La juridiction saisie doit rechercher si – et le cas échéant, constater que – le délit retenu à la charge du prévenu est également puni par la législation en vigueur dans l’État du lieu de sa commission (Crim., 26 mai 2010, Bull. crim. n° 91). Toutefois, ce dernier principe est expressément écarté pour certaines infractions ; ainsi, en matière d’agression et atteinte sexuelle sur un mineur (art. 222-22 et 227-27-1). Dans le cas où ces infractions sont commises à l’étranger par LARCIER

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un français ou une personne résidant habituellement en France, la loi française est applicable même en l’absence de réciprocité législative. Une plainte préalable de la victime, par dérogation à l’article 113-8, n’est pas non plus exigée pour l’exercice des poursuites. Ces dispositions sont destinées à faciliter les poursuites pénales à l’encontre des « touristes sexuels » (loi n° 94-89 du 1er février 1994 et loi n° 98-468 du 17 juin 1998). La même solution a été retenue pour le proxénétisme à l’égard d’un mineur (art. 225-11-2 du Code pénal), pour certains délits relatifs à la mise au point, la fabrication, le stockage et le commerce d’armes et produits chimiques (art. L. 2342-81 du Code de la défense) ou de mines antipersonnel (art. L. 2343-12 du Code de la défense), pour les délits de participation à une activité de mercenaire (art. 436-3 du Code pénal) ou encore le délit de prélèvement de cellules ou de gamètes dans le but de cloner une personne (art. 511-1-1 du Code pénal). Dans le même esprit, la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 « relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme » a ajouté au Code pénal l’article 113-13, aux termes duquel « la loi pénale française s’applique aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme et réprimés par le titre II du livre IV commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français » (D. Brach-Thiel, « Le nouvel article 113-13 du code pénal : contexte et analyse », AJ Pénal 2013, p. 90). 2) Compétence personnelle passive Cette compétence est envisagée par l’article 113-7 du Code pénal : « La loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction. » Peu importe ici la nationalité de l’auteur de l’infraction, seule compte celle de la victime au moment de l’infraction. La victime était-elle alors française ’ Si oui, la loi pénale française est applicable (Crim., 21 janvier 2009, Droit pénal 2009, Étude n° 7). Toutefois, il doit s’agir d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Aucune condition de réciprocité n’est posée, si bien que la loi pénale française est applicable même si les faits, constitutifs d’une infraction en France, ne sont pas incriminés dans le pays de commission de celle-ci, contrairement à ce qui est envisagé dans le cas de la compétence personnelle active. Dès lors, le coupable d’un délit puni d’emprisonnement en France, commis à l’étranger à l’encontre d’un Français, tombe sous le coup de la loi pénale française même si le fait n’est pas incriminé par la législation étrangère. La répression en France des infractions visées aux articles 113-6 et 113-7 du Code pénal est cependant soumise à des conditions particulières, fixées aux articles 113-8 et 113-9. D’une part, la poursuite des délits ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public et doit en principe être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit, ou encore d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où les faits ont été commis. En conséquence, les poursuites ne peuvent pas être engagées à la seule initiative des parties civiles (CA Paris, 30 mai 2002, Droit pénal 2002, comm. n° 132). D’autre part, en vertu du principe non bis in idem, aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite. Cette dernière 92

PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


règle permet cependant de juger à nouveau en France un individu condamné à l’étranger et qui trouverait refuge en France avant d’avoir exécuté la totalité de sa peine, par exemple à la suite d’une évasion, à condition que la peine ne soit prescrite (Crim., 26 octobre 1993, Bull. crim. n° 315 ; 16 octobre 2001, Bull. crim. n° 209). L’hypothèse de la grâce obtenue à l’étranger n’a pas été reprise par le nouveau Code pénal, ceci pour faire échec aux grâces de complaisance, d’opportunité. Le ministère public peut donc engager des poursuites contre un individu gracié à l’étranger. Pour les crimes et délits commis à bord ou à l’encontre des aéronefs non immatriculés en France ou des personnes se trouvant à bord, les règles de compétence personnelle sont applicables. La loi pénale française est applicable si l’auteur ou la victime est de nationalité française. Toutefois, en vertu de l’article 113-11 du Code pénal, la loi pénale française est également applicable, quelle que soit la nationalité de l’auteur ou de la victime, lorsque l’appareil atterrit en France après le crime ou le délit ou lorsque l’avion a été loué sans équipage par une personne qui a le siège principal de son exploitation ou sa résidence permanente en France.

B) Compétence réelle L’article 113-10 du Code pénal pose des hypothèses de compétence réelle de la loi pénale française. La loi pénale française est ainsi applicable à certaines infractions commises à l’étranger par des étrangers, simplement en raison de la nature de l’infraction, les intérêts français étant largement affectés. Ces infractions sont : – les crimes et délits qualifiés d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation et réprimés par le titre Ier du livre IV du Code pénal (art. 410-1 à 414-9 du Code pénal). Selon l’article 410-1, les intérêts de la nation s’entendent « de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ». On trouve notamment dans ce titre les faits d’espionnage, d’attentat et de complot, le mouvement insurrectionnel, l’atteinte au secret de la défense nationale ; – la falsification et la contrefaçon du sceau de l’État, de pièces de monnaie, de billets de banque ou d’effets publics, réprimées par les articles 442-1, 442-2, 442-5, 442-15, 443-1 et 444-1 du Code pénal ; – les crimes et délits commis contre les agents ou les locaux diplomatiques et consulaires français.

C) Compétence universelle Le principe d’une compétence universelle de la loi pénale française est admis par l’article 689-1 du Code de procédure pénale : « En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne LARCIER

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qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles… » Les cas de compétence universelle sont énumérés aux articles 689-2 à 689-11 du Code de procédure pénale. Les juridictions françaises ont une compétence universelle pour juger ces infractions lorsqu’elles sont commises hors du territoire de la République et appliquent alors la loi pénale française qui, le cas échéant, peut également réprimer la tentative. Sous peine de priver de toute portée le principe de la compétence universelle, l’exercice par une juridiction française de la compétence universelle emporte compétence de la loi française, même en présence d’une loi étrangère portant amnistie (Crim., 23 octobre 2002, Bull. crim. n° 195). Les cas de compétence universelle sont tous prévus par des conventions internationales, auxquelles le Code de procédure pénale renvoie, dans des domaines où les intérêts de la communauté internationale sont affectés : – actes de torture : Convention de New York du 10 décembre 1984 (par exemple, pour les actes de tortures commis au Rwanda, Crim., 6 janvier 1998, Bull. crim. n° 2, JCP 1998, II, 10158) ; – actes de terrorisme et financement du terrorisme : Convention de Strasbourg du 27 janvier 1977, Convention de New York du 12 janvier 1998 et Convention de New York du 10 janvier 2000 ; – actes contre les installations nucléaires ou à l’aide de matières nucléaires : Conventions de Vienne et de New York du 3 mars 1980 ; – actes portant atteinte à la sécurité de la navigation maritime et des platesformes fixes situées sur le plateau continental : Convention de Rome du 10 mars 1988 ; – capture illicite d’aéronefs et actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile : Convention de La Haye du 16 décembre 1970 et Convention de Montréal du 23 septembre 1971 ; – actes illicites de violence dans les aéroports servant à l’aviation civile internationale : Convention de Montréal du 24 février 1988 ; – corruption active et passive de fonctionnaire communautaire ou d’un autre État membre de l’Union européenne et infractions portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes : Convention de Bruxelles du 26 mai 1997, Convention de Bruxelles du 26 juillet 1995 et son protocole du 27 septembre 1996 ; – crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (génocide, crimes contre l’humanité, infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, violation des lois ou coutumes de guerre, crime d’agression) : convention portant statut de la Cour pénale internationale du 18 juillet 1998 (art. 689-11 du Code pénal : loi n° 2010-930 du 9 août 2010, portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale).

D) Compétence pour juger l’étranger dont l’extradition a été refusée L’article 113-8-1 du Code pénal, créé par la loi du 9 mars 2004, prévoit enfin un dernier cas de compétence des juridictions françaises, à savoir leur compétence pour juger, en dehors des cas mentionnés aux articles 113-6 et 113-7, les personnes dont l’extradition a été refusée. Appliquant la règle aut 94

PARTIE I La norme pénale

Droit pénal général


dedere, aut judicare (extrader ou juger), il dispose que la loi pénale française est également applicable à tout crime ou à tout délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement commis hors du territoire de la République par un étranger dont l’extradition a été refusée à l’État requérant par les autorités françaises aux motifs, soit que le fait à raison duquel l’extradition avait été demandée est puni d’une peine ou d’une mesure de sûreté contraire à l’ordre public français, soit que la personne réclamée aurait été jugée dans ledit État par un tribunal n’assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense, soit que le fait considéré revêt le caractère d’une infraction politique. L’article 113-8-1 détermine également les modalités de la poursuite : nécessité d’une dénonciation officielle de l’autorité du pays où le fait a été commis et qui avait requis l’extradition et mise en mouvement de l’action publique par le ministère public. L’objet de cette disposition est d’éviter que les auteurs de crimes ou de délits graves, qui ne peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine parce qu’ils encourent la peine de mort ou parce que leur procès risque de ne pas être équitable, demeurent impunis malgré la gravité des faits qu’ils ont commis.

LARCIER

Le champ d’application de la norme pénale CHAPITRE 4

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PARTIE II

L’infraction pénale C H A PI T R E 1

Les classifications des infractions C H A PI T R E 2

L’élément légal : la qualification des faits C H A PI T R E 3

L’élément matériel de l’infraction C H A PI T R E 4

L’élément moral de l’infraction

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Les infractions sont difficilement quantifiables, d’un double point de vue. En premier lieu, il serait hasardeux d’avancer le nombre d’infractions pénales abstraitement posées par les textes, et ce pour diverses raisons : surabondance de textes, généralité des termes de la loi, incrimination par renvoi, répression par le recours à un article balai… Les magistrats eux-mêmes ont besoin d’être informés et disposent à cet effet d’une table (la table NATINF, comme NATure d’INFraction) regroupant les infractions théoriquement prévues par les textes (définition de l’infraction, textes applicables, peines encourues…). Cette table comprend actuellement environ 11 000 fiches en vigueur mais d’une part elle n’est pas exhaustive, d’autre part certaines infractions sont rédigées en termes généraux, sans rendre compte de la diversité des comportements prohibés et pénalement sanctionnés par un même texte. En second lieu, il est impossible de connaître le nombre d’infractions concrètement commises chaque année. Ce nombre apparaît toutefois considérable. En 2010, 2 706 condamnations et compositions ont été prononcées pour des crimes, 650 699 pour des délits, 46 407 pour des contraventions de 5e classe et 353 439 pour des contraventions des quatre premières classes, soit un total de 1 053 251 condamnations et compositions pénales (ministère de la Justice, Les chiffres-clés de la Justice, 2010). À cela, il convient d’ajouter les affaires classées sans suite (par exemple, en cas de recherches infructueuses, de préjudice ou trouble peu important ou lorsque la victime a été désintéressée d’office), celles qui ont fait l’objet de procédures alternatives aux poursuites et les contraventions pour lesquelles l’action publique est éteinte par le paiement de l’amende forfaitaire, comme les « PV » de stationnement. C’est dire si la criminalité, au sens large, est conséquente. Les statistiques relèvent ce qu’il est convenu d’appeler la criminalité apparente. Au-delà se dissimule la criminalité cachée, que nul ne peut véritablement évaluer. La notion d’infraction recouvre une diversité dont il faudra faire état en présentant les principales classifications des infractions. Cependant, toutes les infractions pénales comportent trois éléments constitutifs communs : un élément légal, que nous avons déjà en partie analysé, un élément matériel et un élément moral. La réunion de ces éléments forme l’infraction et le juge répressif ne pourra prononcer une peine qu’après avoir relevé tous les éléments constitutifs de l’infraction qu’il réprime.

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PARTIE II L’infraction pénale

Droit pénal général


CHAPITRE 1

Les classifications des infractions La loi opère des distinctions entre les infractions, en ce sens qu’elle prévoit, pour chaque catégorie juridique d’infractions, un régime particulier, des règles spécifiques. Selon la catégorie dont l’infraction relève, il sera par exemple possible d’appliquer des peines d’une nature différente, une procédure particulière, ou encore des règles distinctes en matière de prescription. Les juridictions compétentes pourront parfois être des tribunaux d’exception ou encore les juridictions de droit commun mais à composition spéciale. Les distinctions sont nombreuses, et certaines seront relevées lors de l’examen des éléments matériel et moral de l’infraction. À ce stade, on retiendra les classifications légales, c’est-à-dire celles auxquelles la loi a attaché des conséquences juridiques précises. Les infractions sont classées selon leur gravité ou selon leur nature particulière. SECTION I

La distinction fondée sur la gravité de l’infraction : la classification tripartite des infractions La classification des infractions pénales en trois catégories a été posée dès 1791 et a été reprise par le Code pénal de 1810, puis par le nouveau Code pénal. Aux termes de l’article 111-1 du Code pénal, premier article du Code, « les infractions pénales sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions ». C’est la distinction tripartite des infractions, distinction fondamentale puisqu’elle emporte de nombreuses conséquences.

§ 1.

Le critère de distinction : la peine

Les infractions sont classées selon leur gravité en crimes, délits et contraventions. Les crimes sont les infractions les plus graves. Les délits sont les infractions intermédiaires. Les contraventions sont les infractions les moins graves. La gravité de l’infraction s’apprécie en fonction de la peine qui la sanctionne. La règle était d’ailleurs inscrite à l’article 1er de l’ancien Code pénal en ces termes : « l’infraction que les lois punissent des peines de police est une contravention. L’infraction que les lois punissent de peines correctionnelles est un délit. L’infraction que les lois punissent d’une peine afflictive ou infamante est un crime. » Pour déterminer la nature d’une infraction, il convient de se reporter à la peine qui lui est attachée. Ainsi, si l’infraction est punie d’une peine criminelle, l’infraction est un crime. LARCIER

Les classifications des infractions CHAPITRE 1

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Pour savoir de quelle catégorie ressort une infraction, il est donc nécessaire de connaître la peine qui y est attachée et de la situer dans l’échelle des peines. Il s’agit de la peine encourue, c’est-à-dire de la peine maximum prévue par la loi ou le règlement, et non de la peine prononcée par le juge, qui dispose d’un large pouvoir quant à la détermination de la sanction. Ainsi, si une cour d’assises décide, eu égard aux circonstances de l’espèce qui lui est soumise et de la personnalité du criminel, de prononcer une peine d’emprisonnement pour une infraction punie par la loi de la réclusion, l’infraction n’en reste pas moins un crime. La gravité de l’infraction est donc appréciée objectivement en fonction de la peine attachée préalablement par la loi ou le règlement à l’infraction. La loi a établi une échelle des peines et distingue les peines criminelles, les peines correctionnelles et les peines contraventionnelles, également appelées peines de police. Pour opérer le classement des infractions en crimes, délits et contraventions, il convient de prendre en considération les peines principales encourues par les personnes physiques et de laisser de côté les peines alternatives ou complémentaires éventuellement encourues. Les peines criminelles encourues à titre principal sont, en vertu de l’article 131-1 du Code pénal, la réclusion criminelle pour les infractions de droit commun et la détention criminelle pour les infractions politiques, à perpétuité ou de 30, 20 ou 15 ans au plus (à propos des infractions politiques, voir p. 105). Les infractions que la loi punit d’une peine d’emprisonnement de 10 ans au plus ou d’une amende supérieure ou égale à 3 750 euros sont, en vertu de l’article 381 du Code de procédure pénale et des articles 131-3 et 131-4 du Code pénal, des délits. Enfin, les contraventions sont les infractions punies à titre principal d’une amende, n’excédant pas 1 500 euros pour les contraventions les plus sévèrement punies, celles de la 5e classe, 3 000 euros en cas de récidive, selon l’article 131-13 du Code pénal. En d’autres termes, si l’infraction est punie de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle, c’est qu’il s’agit d’un crime. Tel est par exemple le cas du viol, puni de quinze ans de réclusion criminelle (art. 222-23 du Code pénal). Si la peine encourue est l’emprisonnement et/ou une amende supérieure ou égale à 3 750 euros, il s’agit d’un délit. Par exemple, la conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique ou en état d’ivresse est un délit, puisque punie d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 4 500 euros (art. L. 234-1 du Code de la route). Enfin, lorsque la peine est une amende inférieure ou égale à 1 500 euros, elle sanctionne une simple contravention. Il y a donc une hiérarchie cohérente. Le crime le moins grave est plus sévèrement puni (15 ans de réclusion criminelle) que le délit le plus grave (10 ans d’emprisonnement). De même, le taux d’amende le plus bas pour un délit (3 750 euros) reste supérieur à celui applicable aux contraventions les plus graves, même en cas de récidive (3 000 euros). La classification des infractions en fonction de leur gravité est cependant relativement théorique et abstraite. En pratique, le juge dispose d’une large liberté pour fixer la peine dans chaque affaire, en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité du délinquant. La loi ne fixe qu’un maximum, de sorte que la peine effectivement prononcée varie, pour une même infraction, selon l’espèce. 100

PARTIE II L’infraction pénale

Droit pénal général


Le phénomène de la correctionnalisation judiciaire permet également au juge de qualifier des agissements constitutifs d’un crime en délit, par exemple en négligeant volontairement une circonstance aggravante. Dans le même ordre d’idées, la correctionnalisation légale qui consiste pour le législateur à faire passer un crime dans la catégorie des délits, n’est pas toujours dictée par le souci de classer l’infraction en fonction de sa gravité réelle mais parfois pour des motifs tout autres. En effet, cette pratique permet paradoxalement une meilleure répression puisque, du fait notamment de la tendance à l’indulgence des jurés d’assises qui prononcent plus facilement des acquittements ou de faibles condamnations, les peines correctionnelles sont théoriquement moindres, mais du moins certaines. La pratique de la correctionnalisation légale ou judiciaire se justifie aussi pour des raisons pratiques, la procédure d’assises étant plus lourde et plus coûteuse à mettre en place.

§ 2.

Les conséquences de la distinction

La classification tripartite des infractions emporte de nombreuses conséquences pour l’application des règles pénales de fond et de procédure. Le régime applicable à chaque catégorie d’infractions est largement spécifique. Certaines conséquences de la distinction ont déjà été abordées lors de l’étude de la norme pénale. Ainsi, l’autorité compétente pour créer, modifier ou supprimer une infraction diffère : la loi est compétente pour la détermination des crimes et des délits alors que le règlement est compétent pour la détermination des contraventions. Ainsi, seule une loi peut modifier, le cas échéant, un crime ou un délit. Par ailleurs, on a déjà relevé que, sous certaines conditions, les tribunaux français sont compétents pour juger l’auteur d’un crime ou d’un délit commis à l’étranger, mais jamais pour juger une contravention commise à l’étranger (voir p. 83 et s.). Les autres conséquences concernent tant l’incrimination et la peine que les règles de procédure.

A) Conséquences quant à l’incrimination Le classement des infractions en crimes, délits ou contraventions emporte des conséquences quant à l’élément moral de l’infraction (voir p. 164). Ainsi, un crime est toujours intentionnel. En vertu de l’article 121-4 2° du Code pénal, la tentative de crime est toujours punissable, alors qu’en matière correctionnelle, la tentative n’est punissable que dans les cas prévus par la loi, c’est-à-dire si la loi qui définit le délit le prévoit expressément. La tentative de contravention n’est, quant à elle, jamais punissable. Le Code pénal pose ensuite le principe que la complicité est toujours punissable s’agissant des crimes et des délits. Pour les contraventions, elle n’est punissable que dans certains cas (art. 121-7, 121-6, R. 610-2 du Code pénal ; voir p. 188). Il convient enfin de relever qu’en droit pénal spécial, le non-obstacle à la commission d’une infraction n’est punissable que pour les crimes et les délits contre l’intégrité corporelle de la personne (art. 223-6 du Code pénal). La non-dénonciation d’une LARCIER

Les classifications des infractions CHAPITRE 1

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infraction aux autorités judiciaires ou administratives n’est punissable que s’il s’agit d’un crime (art. 434-1 du Code pénal).

B) Conséquences quant à la peine Les peines sont bien sûr différentes puisque ce sont elles qui définissent en pratique la catégorie dont relève l’infraction. Les règles relatives au régime de la peine varient également. Le non-cumul des peines est la règle selon laquelle, en cas de concours d’infractions (c’est-à-dire lorsqu’une personne commet une infraction avant d’avoir été définitivement condamnée pour une autre infraction), une seule peine de même nature peut être prononcée, dans la limite du maximum légal le plus élevé. Cette règle est valable pour les crimes et les délits mais ne joue pas pour les peines d’amende contraventionnelle, qui se cumulent entre elles et avec celles prononcées pour des crimes et des délits en concours (art. 132-7 du Code pénal). Les règles relatives à la récidive varient selon la nature de l’infraction. Elles jouent en matière criminelle et correctionnelle et, dans les cas où le règlement le prévoit, pour les contraventions de 5e classe (art. 132-8 à 132-15 du Code pénal). L’octroi du sursis à l’exécution d’une peine et ses effets varient selon la catégorie de l’infraction (art. 132-30 à 132-39 du Code pénal). Les dispenses et ajournements de peines ne sont possibles qu’en matière correctionnelle et, sauf pour l’ajournement avec mise à l’épreuve, en matière contraventionnelle (art. 132-58 du Code pénal). Les inscriptions au casier judiciaire diffèrent puisque, outre les crimes et délits, seules les contraventions de la 5e classe y sont systématiquement inscrites (art. 768 du Code de procédure pénale). Enfin, les délais de prescription de la peine varient. Le délai de prescription de la peine, délai au terme duquel la peine prononcée ne peut plus être exécutée, est en principe de 20 ans pour les crimes, 5 ans pour les délits, 3 ans pour les contraventions (art. 133-2, 133-3, 133-4 du Code pénal).

C) Conséquences quant à la procédure La juridiction compétente n’est pas la même selon la nature de l’infraction. La cour d’assises, en principe composée de neuf jurés et de trois magistrats (douze jurés et trois magistrats en appel), est compétente pour les crimes. Le tribunal correctionnel, composé en principe de trois magistrats, est compétent pour les délits. S’agissant des contraventions, la compétence est partagée entre le tribunal de police et la juridiction de proximité, instituée par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice. En vertu de l’article 521 du Code de procédure pénale, le tribunal de police est exclusivement compétent pour juger les contraventions de la cinquième classe. La juridiction de proximité connaît des contraventions des quatre premières classes (la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 « relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles » supprime, à compter du 1er janvier 2015, les juridictions de proximité, et confie la compétence pour connaître des contraventions des quatre premières classes au tribunal de police constitué par un juge de proximité et, à défaut, par un juge 102

PARTIE II L’infraction pénale

Droit pénal général


du tribunal d’instance), sauf exception prévue par décret en Conseil d’État (il s’agit actuellement, en application de l’article R. 41-11 du Code de procédure pénale, des diffamations et injures non publiques prévues par les articles R. 621-1 à R. 621-4 du Code pénal) ou connexité avec une contravention relevant de la compétence du tribunal de police et poursuivie concomitamment devant cette juridiction. La loi du 10 août 2011 « sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs », sans bouleverser cette répartition, apporte des modifications quant à la composition des juridictions correctionnelles (et de l’application des peines). Aux traditionnels « jurés » de cours d’assises, sont ajoutés les « citoyens assesseurs » dans certaines formations du tribunal correctionnel et de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel (ainsi que du tribunal de l’application des peines et de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel). Pour mémoire, le jugement de certains délits (art. 399-2 du Code de procédure pénale ; par exemple : atteintes à la personne passibles d’une peine d’emprisonnement au moins égale à cinq ans d’emprisonnement, certains vols avec violences…) a relevé de la compétence du « tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne », composé, outre de trois magistrats professionnels, de deux citoyens assesseurs. Les citoyens assesseurs ne délibèraient avec les magistrats professionnels que sur la qualification des faits, la culpabilité du prévenu et la peine. Ces dispositions n’ont été appliquées qu’à titre expérimental du 1er janvier 2012 au 30 avril 2013, dans le ressort de deux cours d’appel. Les règles relatives aux voies de recours sont également différentes. L’appel en matière criminelle est porté devant une autre cour d’assises désignée par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Les cours d’appel sont compétentes pour les recours formés contre les jugements des tribunaux correctionnels et de police. Toutefois, l’appel n’est ouvert pour les contraventions des quatre premières classes qu’en fonction des peines prononcées. L’instruction préparatoire de l’infraction, phase au cours de laquelle les preuves de l’infraction sont rassemblées, est obligatoire pour les crimes, facultative pour les délits et n’est possible pour les contraventions que sur réquisitions du procureur de la République (art. 79 du Code de procédure pénale). Seuls les auteurs de crimes et les auteurs de délits punissables de 3 ans d’emprisonnement au moins peuvent être mis en détention provisoire (art. 143-1 du Code de procédure pénale). L’assignation à résidence avec surveillance électronique peut être ordonnée si la personne mise en examen encourt une peine d’emprisonnement correctionnel d’au moins deux ans ou une peine plus grave (art. 142-5 al. 1 du Code de procédure pénale). La procédure de comparution immédiate ne joue que pour les délits punissables d’une peine d’emprisonnement au moins égale à 2 ans ou à 6 mois en cas de flagrant délit (art. 395 du Code de procédure pénale). Le jugement de certains délits et des contraventions peut s’effectuer par le biais d’une procédure simplifiée sans débat, par la voie de l’ordonnance pénale (art. 495 à 495-6 et 524 à 528-2 du Code de procédure pénale). Pour certaines contraventions, notamment dans le domaine de la circulation routière, la procédure administrative de l’amende forfaitaire peut trouver à s’appliquer (art. 529 à 530-4 du Code de procédure pénale). LARCIER

Les classifications des infractions CHAPITRE 1

103


Enfin, le délai de prescription de l’action publique, délai au terme duquel les poursuites contre l’auteur de l’infraction ne peuvent plus être exercées, est, sauf exception, de 10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits, 1 an pour les contraventions (art. 7, 8, 9 du Code de procédure pénale).

§ 3.

Existence de sous-catégories

La distinction tripartite, majeure, est relative, puisque les infractions se subdivisent en sous-catégories. Les contraventions se divisent ainsi en 5 classes (art. 131-13 du Code pénal). Le régime des contraventions de la 5e classe est proche, sur certains points, de celui des délits : des peines alternatives peuvent être prononcées (art. 131-14 et 131-42 du Code pénal), les règles relatives à la récidive peuvent jouer (art. 132-11 et 132-15 du Code pénal), le sursis peut être prononcé (art. 132-34 du Code pénal). À la différence des quatre premières classes de contraventions, davantage de peines complémentaires peuvent être prononcées pour les contraventions de 5e classe (art. 131-17 du Code pénal) et l’appel est toujours possible (art. 546 du Code de procédure pénale). Certains délits, dont le vol, les violences volontaires, l’usage de stupéfiants, les délits en matière de transports et de circulation routière, de chasse et de pêche, peuvent être jugés par un tribunal correctionnel siégeant à juge unique (art. 398-1 du Code de procédure pénale). Des délits ne sont punis que d’une peine d’amende, d’autres sont punis également de l’emprisonnement et, parmi ceuxci, certains sont punis du maximum, à savoir 10 ans d’emprisonnement. Pour cette dernière sous-catégorie, il est d’ailleurs fait application de règles spécifiques, par exemple en matière de récidive (art. 132-8 et 132-9 du Code pénal) et de période de sûreté automatique (art. 132-23 du Code pénal).

SECTION II

Les distinctions fondées sur la nature de l’infraction Les infractions de droit commun sont celles à l’égard desquelles s’appliquent les règles pénales ordinaires, les règles générales de fond, de compétence et de procédure. Certaines infractions connaissent un régime juridique particulier, dérogatoire au droit commun sur certains points, régime tantôt plus favorable à l’accusé ou au prévenu, tantôt plus sévère pour celui-ci. Ces catégories d’infractions à statut spécial tendent à devenir de plus en plus nombreuses, l’État désirant assurer une parfaite adéquation des instruments pénaux avec ses objectifs de politique criminelle. Entrent dans ce cadre, les infractions économiques, fiscales et douanières, compte tenu des pouvoirs exorbitants dont dispose l’administration en matière de constatation, les délits de presse, dont les auteurs sont traités avec égard pour ne pas froisser le principe de la liberté d’opinion et d’expression et qui se caractérisent notamment par un délai de prescription de l’action publique très bref de 3 mois, ou encore les infractions sexuelles commises contre les mineurs. Les exemples sont nombreux et nous nous contenterons d’examiner 104

PARTIE II L’infraction pénale

Droit pénal général


les catégories suivantes : les infractions politiques, les infractions militaires, les infractions constitutives de la criminalité organisée.

§ 1.

Les infractions politiques

Les infractions politiques sont des crimes et des délits d’une nature particulière.

A) Définition des infractions politiques 1) Absence d’une définition générale des infractions politiques Les textes qui organisent un régime dérogatoire au droit commun pour les infractions politiques précisent parfois leur champ d’application et définissent les infractions qu’il y a lieu de considérer comme politiques. Ainsi, l’article 701 du Code de procédure pénale qui prévoit la compétence d’une juridiction spéciale pour certaines infractions, précise que cette règle dérogatoire est applicable en temps de guerre à l’égard des crimes et des délits contre les intérêts fondamentaux de la nation. Lorsque le texte pénal organise ainsi lui-même son champ d’application, il convient de s’en tenir strictement à ses dispositions. Mais parfois, le texte pénal, tout en conférant un statut spécial aux auteurs d’infractions politiques, omet de définir son champ d’application, c’est-à-dire la notion d’infraction politique ou la liste des infractions auxquelles il est applicable. C’est le cas par exemple lorsque le texte réduit son champ d’application aux « infractions de droit commun », ce qui exclut les infractions politiques sans toutefois les définir. Dès lors, comme il n’existe pas de définition générale de l’infraction politique, il est nécessaire d’avoir recours à un critère qui permette de reconnaître ces infractions et de les distinguer des infractions de droit commun. 2) Le critère légal de l’infraction politique : la peine La première indication partielle est celle de la peine, critère légal de l’infraction politique, puisqu’il existe depuis le Code pénal de 1810 des peines spécifiquement politiques en matière criminelle : il ne subsiste aujourd’hui que la détention criminelle, temporaire ou perpétuelle, peine privative de liberté, mais distincte de la réclusion criminelle. Dès lors que l’infraction est punie de la détention criminelle, on est en présence d’un crime politique, et le régime applicable est alors le régime propre à ces infractions (par exemple le fait d’organiser, de diriger ou de participer à un mouvement insurrectionnel, art. 412-3 à 412-6 du Code pénal). Cependant, la détention criminelle ne sanctionne qu’une dizaine de crimes, pour l’essentiel les crimes constituant des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation (livre IV, titre Ier du Code pénal). En outre, il n’existe pas de peines spécifiques aux délits politiques, qui restent punis de l’emprisonnement et de l’amende. La jurisprudence a toutefois considéré qu’une infraction punie d’une peine de droit commun pouvait encore être rattachée aux infractions politiques. LARCIER

Les classifications des infractions CHAPITRE 1

105


3) Le critère retenu par la jurisprudence : l’objet politique de l’infraction Cette approche utilise un critère objectif, tenant à l’objet de l’infraction. L’infraction, même punie d’une peine de droit commun, est politique si son objet est politique. Tel est le cas si elle porte atteinte à l’ordre politique et constitutionnel, c’est-à-dire à l’organisation et au fonctionnement des institutions publiques et aux droits politiques des citoyens. Constituent des infractions politiques quant à leur objet, les délits constituant des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation (livre IV, titre Ier du Code pénal), la participation délictueuse à un attroupement, en particulier armé, aujourd’hui réprimée aux articles 431-3 à 431-8 du Code pénal (Crim., 23 mars 1971, Bull. crim. n° 102), les délits électoraux, prévus et réprimés par le Code électoral (Crim., 17 février 1972, Bull. crim. n° 67 ; 18 juin 1991, Bull. crim. n° 264 ; 6 août 1996, Droit pénal 1996, comm. n° 272 ; 2 octobre 2001, Bull. crim. n° 197 ; 7 novembre 2001, Droit pénal 2002, comm. n° 19), les infractions à la loi sur la liberté de la presse (Crim., 22 juin 1993, Bull. crim. n° 218 ; 19 février 2002, Droit pénal 2002, comm. n° 94). 4) Le critère exceptionnellement admis : le mobile politique de l’auteur de l’infraction Cette approche use d’un critère subjectif, tenant à l’intention, au mobile de l’auteur de l’infraction. Certaines infractions de droit commun peuvent être commises pour des raisons politiques. Ce sont des infractions complexes. L’exemple le plus classique est celui de l’assassinat d’un chef d’État avec un mobile politique, pour obtenir par exemple un changement de régime. La jurisprudence refuse de prendre en compte les mobiles de l’auteur de l’infraction, mais prend en considération uniquement son objet. Ainsi, les délits complexes restent des délits de droit commun (par exemple, Crim., 20 août 1932, Bull. crim. n° 207, à propos de l’assassinat du Président de la République Paul Doumer ; Crim., 12 mars 1969, Bull. crim. n° 116 pour des violences volontaires sur des agents de la force publique ainsi que des infractions à la législation sur les armes et à des arrêtés d’expulsion ; Crim., 4 février 1971, Bull. crim. n° 41 ; Crim., 7 mars 1972, Bull. crim. n° 85 pour des violences et des dégradations). Cette approche est confirmée par les traités d’extradition qui assimilent l’assassinat d’un chef d’État pour des mobiles politiques à une infraction de droit commun, de sorte que l’auteur de l’infraction peut être extradé, au contraire des auteurs d’infractions politiques (par exemple, art. 3 § 3 de la Convention européenne d?extradition du 13 décembre 1957 : « l’attentat à la vie d’un chef d’État ou d’un membre de sa famille ne sera pas considéré comme une infraction politique »). Parfois, les infractions de droit commun sont commises à l’occasion d’une autre infraction qui est, elle, politique. On parle alors d’infraction connexe. Ainsi, du pillage d’un magasin (infraction de droit commun) pendant une insurrection (infraction politique). Si le mobile du pilleur n’est pas politique, ainsi dans notre exemple s’il ne fait que profiter des troubles pour piller un magasin de prêt-à-porter pour son propre compte, l’infraction est bien entendu de droit commun. Par contre, si le pilleur est déterminé par un mobile politique, ainsi s’il pille une armurerie pour équiper les insurgés et 106

PARTIE II L’infraction pénale

Droit pénal général


appuyer leur mouvement, l’application du critère subjectif tenant au mobile en fait une infraction politique. La jurisprudence considère l’infraction connexe comme une infraction de droit commun et refuse d’appliquer les règles spéciales réservées aux infractions politiques, mais il lui est parfois arrivé d’assimiler un délit connexe à une infraction politique, pour l’application de règles spéciales (Crim., 18 novembre 1959, JCP 1960, II, 11475, note Legal, à propos de condamnations pour tentative d’assassinat et association de malfaiteurs connexes à une insurrection, commise pendant la guerre d’Algérie, « ces infractions présentant dans leur ensemble un caractère politique »).

B) Les conséquences de la distinction Les « ennemis » du roi, du peuple, de la nation, de l’État ont souvent été traités avec une sévérité particulière par les gouvernements, l’intérêt pour l’institution attaquée étant de maîtriser ce délinquant peu ordinaire et de dissuader les imitateurs potentiels. La France a réservé en son temps une rigoureuse répression aux auteurs d’infractions politiques, sous l’Ancien Régime, la Révolution ou pendant la Seconde Guerre mondiale et la décolonisation de l’empire français. Des juridictions d’exception existaient alors pour le jugement de ces infractions. Le sort réservé aujourd’hui aux auteurs d’infractions politiques est globalement plus favorable que celui réservé à l’auteur d’une infraction de droit commun, que ce soit en matière de procédure, de peines ou d’exécution de la sanction pénale. 1) Conséquences quant à la juridiction compétente Il a existé des juridictions d’exception pour le jugement des infractions politiques, comme la Cour de sûreté de l’État de 1963 à 1981. Aujourd’hui, les juridictions de droit commun sont compétentes pour juger des infractions politiques, mais il existe des exceptions. Si l’on met à part la Haute Cour compétente, en vertu des articles 67 et 68 de la Constitution, pour destituer le Président de la République en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat (voir encadré p. 164) et la Cour de justice de la République compétente, en vertu de l’article 68-1 de la Constitution, pour connaître des crimes et délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions, deux cas sont à distinguer, selon que l’infraction politique est commise en temps de guerre ou en temps de paix. Lorsqu’ils sont commis en temps de guerre, les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la nation et les infractions qui leur sont connexes relèvent de la compétence des juridictions des forces armées (art. 701 du Code de procédure pénale). Lorsqu’elles sont commises en temps de paix, les infractions politiques sont en principe jugées par les juridictions de droit commun. Toutefois, les infractions politiques définies aux articles 411-1 à 411-11 et 413-1 à 413-12 du Code pénal, comme la trahison et l’espionnage, et les infractions qui leur sont connexes, commises en temps de paix, relèvent, pour les crimes, d’une cour d’assises composée de 7 magistrats professionnels sans jurés (9 magistrats lorsqu’elle statue en appel) et, pour les délits définis à ces articles, d’un tribunal correctionnel spécialisé en matière militaire (art. 702 al. 2, 697 et 698-6 du Code de procédure pénale). LARCIER

Les classifications des infractions CHAPITRE 1

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2) Conséquences quant à la procédure Les règles de procédure sont, dans l’ensemble, les mêmes que celles applicables au délinquant de droit commun, sauf quelques exceptions. Ainsi, certaines procédures qui se traduisent par une diminution des garanties offertes au prévenu, comme la procédure de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel, sont inapplicables pour les infractions politiques (art. 397-6 du Code de procédure pénale). Le tribunal correctionnel ne peut pas non plus prononcer de mandat de dépôt ou d’arrêt en cas de délit politique (art. 465 al. 1 du Code de procédure pénale). Enfin, l’auteur d’une infraction politique ne saurait être extradé (art. 696-4 2° du Code de procédure pénale et art. 3 § 1 de la Convention européenne d?extradition de 1957). 3) Conséquences quant aux peines Il existe des peines criminelles politiques spécifiques, différentes des peines de droit commun : la détention criminelle à perpétuité ou à temps (art. 131-1 du Code pénal), avec un régime d’incarcération moins sévère que la réclusion criminelle. S’agissant des délits politiques, il n’existe pas de peines politiques spécifiques ; leur auteur encourt donc l’amende et l’emprisonnement, peines correctionnelles de droit commun. Mais, s’agissant de l’emprisonnement, le régime pénitentiaire est plus souple qu’en droit commun puisque les condamnés pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation bénéficient d’un régime spécial de détention qui comprend dans la mesure du possible la séparation avec les autres détenus, le droit de recevoir des visites tous les jours, la possibilité de se réunir entre eux (art. D. 490, D. 493, D. 494 du Code de procédure pénale). Les condamnations politiques n’empêchent pas l’octroi ultérieur d’un sursis simple en cas de nouvelle infraction (art. 132-30 du Code pénal), et ne révoquent pas le sursis antérieurement prononcé pour une infraction de droit commun (art. 132-35 et 132-48 du Code pénal). Par ailleurs, le sursis avec mise à l’épreuve ne peut pas être prononcé en matière politique (art. 132-41 al. 1 du Code pénal). La responsabilité du Président de la République (articles 67 et 68 de la Constitution) L’ancien titre IX de la Constitution, relatif au régime de responsabilité du chef de l’État, a fait l’objet de nombreuses critiques, en raison notamment de son manque de clarté. Il prévoyait que le Président de la République n’était responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison et qu’il était jugé par la Haute Cour de justice. Or, d’une part, la haute trahison n’était pas définie ñ ni les sanctions applicables d’ailleurs ; d’autre part, la Constitution était silencieuse sur la responsabilité éventuelle du chef de l’État pour des actes, détachables de sa fonction, commis antérieurement ou pendant son mandat. Seule la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 sur le traité portant statut de la Cour pénale internationale, Rec. p. 29) et de la Cour de cassation

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PARTIE II L’infraction pénale

(Ass. Plén., 10 octobre 2001, Bull. 2001, n° 11) a pu fournir des éléments de réponse. La commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, présidée par M. Pierre Avril, a été installée en 2002 à l’initiative du président Jacques Chirac. Reprenant les conclusions de son rapport, la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 réforme le titre IX de la Constitution et clarifie le statut du chef de l’État. Les principes fondamentaux sont les suivants : • Le Président de la République est irresponsable pour les actes qui ne sont pas détachables de ses fonctions, c’est-à-dire pour les actes accomplis en sa qualité de chef de l’État. Droit pénal général


• Deux réserves sont posées à cette irresponsabilité pour les actes commis dans l’exercice des fonctions. – La première est la saisine de la Cour pénale internationale pour les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression. – La seconde est la mise en úuvre de la procédure de destitution. L’article 68 de la Constitution prévoit en effet que le Président de la République peut être destitué « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Comme l’ont explicité le rapport de la Commission Avril et les travaux parlementaires, il s’agit de régler le cas d’un acte du Président de la République, de quelque nature qu’il soit, si grave qu’il nécessiterait de poser la question de la continuité de l’État et celle de la stabilité des institutions et qu’il ne serait plus compatible avec le maintien du chef de l’État dans ses fonctions. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. La proposition de réunion de la Haute Cour est adoptée par une des assemblées du Parlement et aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours. La Haute Cour doit statuer dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Les décisions sont prises à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. • Pour les actes n’ayant pas de rapport avec sa fonction, qu’ils soient commis avant ou pendant le mandat présidentiel, le chef de l’État bénéficie d’une inviolabilité temporaire. Durant son mandat, il est protégé contre les mises en cause

§ 2.

dont il pourrait être l’objet de la part des autorités non seulement juridictionnelles mais aussi administratives : en vertu de l’article 67 alinéa 2 de la Constitution, le Président de la République « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu ». Aucune poursuite pénale ni aucun acte pouvant y conduire ne sont donc permis pendant toute la durée du mandat. Cette protection est cependant limitée dans la durée : l’inviolabilité n’est que temporaire. Les procédures à l’encontre du Président peuvent en effet être reprises ou engagées après la fin du mandat présidentiel. L’immunité, liée aux fonctions, ne signifie donc nullement impunité. Les délais de prescription ou de forclusion sont simplement suspendus : comme le prévoit le dernier alinéa de l’article 67, « les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions ». Autrement dit, un mois après le terme de son mandat, le Président redevient un justiciable ordinaire et peut alors être poursuivi pour des actes commis avant le début de son mandat ou durant celui-ci. Sont donc clairement distinguées par les articles 67 et 68 de la Constitution les responsabilités politique et judiciaire, en même temps qu’est réaffirmée la séparation des pouvoirs durant le mandat, puisque le chef de l’État ne peut être jugé par les tribunaux.

Les infractions militaires

Le particularisme de la vie militaire appelle l’application de règles spéciales. Il existe dans le droit des armées de simples fautes disciplinaires à l’égard desquelles s’applique le régime disciplinaire (voir la loi n° 2005-270 du 25 mars 2005 portant statut général des militaires). Mais il existe également, pour les manquements les plus graves, des infractions pénales militaires qui sont soumises, à maints égards, à un régime spécial, organisé par le Code de procédure pénale et surtout par le Code de justice militaire (recodifié par l’ordonnance n° 2006-637 du 1er juin 2006). La tendance est toutefois à un alignement de la justice militaire sur la procédure pénale de droit commun, spécialement en temps de paix (voir notamment la loi du 10 novembre 1999 portant réforme du Code de justice militaire et du Code de procédure pénale). LARCIER

Les classifications des infractions CHAPITRE 1

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A) Définition de l’infraction militaire Les infractions militaires sont de deux types. D’une part, sont militaires les infractions définies dans le titre II du livre III du Code de justice militaire. Elles correspondent pour l’essentiel à des manquements du militaire à ses obligations, comme la désertion ou l’insoumission. L’infraction est ici inconcevable en dehors de la vie militaire. Dans la grande majorité des cas, ces infractions concernent les militaires, mais certaines peuvent être commises par les civils dans un environnement militaire, comme le fait de dépouiller un blessé, un malade ou un mort dans la zone d’opérations d’une force ou formation (art. L. 322-5 du Code de justice militaire) ou la provocation à la désertion (art. L. 321-18 du Code de justice militaire). D’autre part, est militaire l’infraction de droit commun commise par un militaire dans l’exécution de son service, par exemple un vol ou des voies de fait contre un supérieur, les articles L. 121-2 et suivants du Code de justice militaire définissant ce qu’il faut entendre par militaire.

B) Les conséquences de la distinction 1) Conséquences quant à la juridiction compétente La poursuite et le jugement des infractions militaires obéissent à certaines règles particulières. En temps de guerre, sont compétentes les juridictions des forces armées, à savoir les tribunaux territoriaux des forces armées pour les infractions commises en France et les tribunaux militaires aux armées pour les infractions commises à l’étranger (art. L. 1, L. 112-1 à L. 112-36 et L. 122-1 à L. 122-5 du Code de justice militaire). En temps de paix et pour les infractions commises hors du territoire de la République, la justice militaire est rendue par le tribunal aux armées de Paris (en appel, la cour d’appel de Paris), compétent pour les infractions de toute nature commises par les membres des forces armées ou les personnes à leur suite (art. L. 1, L. 3, L. 111-1 à L. 111-18 et L. 121-1 du Code de justice militaire). En temps de paix et pour les infractions commises par les militaires sur le territoire de la République, le principe est celui de la compétence des juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire lorsqu’elles sont commises en service. Pour les délits, il s’agit du tribunal correctionnel spécialisé en matière militaire (art. 697 al. 1 et 2 du Code de procédure pénale). Pour le jugement des crimes militaires et des crimes de droit commun commis par les militaires dans l’exécution de leur service, la cour d’assises est composée de 7 magistrats sans jury en premier ressort et de 9 magistrats sans jury en appel (art. 697 al. 3 et 698-6 du Code de procédure pénale). Par contre, les infractions commises hors service sont jugées par les juridictions de droit commun. 2) Conséquences quant à la procédure La procédure applicable diffère selon que l’on est en présence d’une juridiction de droit commun ou d’un tribunal militaire. Dans le premier cas, c’est-à-dire pour le jugement des infractions commises en temps de paix sur le territoire de la République, la procédure applicable a été alignée sur celle de droit commun par la loi du 10 novembre 1999. 110

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Droit pénal général


Il ne subsiste que quelques particularités (art. 698 à 698-9 du Code de procédure pénale). Dans le second cas, à savoir pour le jugement des infractions commises en temps de guerre et des infractions commises hors de France en temps de paix, la procédure applicable est une procédure spéciale, organisée par le livre II du Code de justice militaire. Par ailleurs, l’extradition n’est pas accordée lorsque le crime ou le délit est une infraction militaire (art. 696-4 8° du Code de procédure pénale ; voir également art. 4 de la Convention européenne d?extradition de 1957). 3) Conséquences quant aux peines Les peines applicables sont celles de droit commun, auxquelles s’ajoutent des peines spécifiques aux infractions militaires, à savoir la destitution et la perte de grade (art. 698-8 du Code de procédure pénale, art. L. 311-3 et suivants du Code de justice militaire). L’infraction militaire ne fait pas obstacle à l’octroi ultérieur d’un sursis pour une infraction de droit commun et ne révoque pas le sursis antérieurement accordé pour une infraction de droit commun (art. L. 265-2 du Code de justice militaire, art. 132-30, 132-35, 132-48 du Code pénal). L’infraction militaire ne compte pas pour la récidive (art. L. 265-3 du Code de justice militaire).

§ 3.

La criminalité organisée et le terrorisme

Les pouvoirs publics se sont dotés dans un premier temps d’une politique pénale spécifique à l’égard des infractions terroristes, avec la loi du 9 septembre 1986. Ce régime propre aux infractions terroristes, caractérisé notamment par des modalités d’enquête, d’instruction et de jugement, exorbitantes de droit commun (notamment cour d’assises spéciale sans jurés, délais prolongés de garde à vue, durée plus longue des prescriptions), a été par la suite étendu en partie à d’autres infractions, comme le trafic de stupéfiants ou le proxénétisme, de sorte qu’au-delà de la catégorie des infractions terroristes, c’est un régime spécial applicable au crime organisé qui se profilait. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité achève l’évolution en introduisant dans le livre IV du Code de procédure pénale un titre XXV intitulé « De la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées » (art. 706-73 à 706-106). Ce titre comporte de nombreuses règles dérogatoires au droit commun concernant l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement d’une série de crimes et de délits constitutifs de la criminalité organisée (certaines de ces règles dérogatoires sont également applicables à l’enquête, à la poursuite, à l’instruction et au jugement de certains délits à caractère économique ou financier, comme la corruption ou le trafic d’influence : article 706-1-3 du Code de procédure pénale). Les infractions terroristes n’en gardent pas moins leur spécificité, que ce soit quant à leur définition, leur répression ou même leur régime. LARCIER

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A) La criminalité organisée 1) Définition de la criminalité organisée Le Code de procédure pénale ne donne pas de définition générale de la criminalité organisée, mais procède à une énumération des infractions qui entrent dans cette catégorie. D’une manière générale, il rs’agit d’infractions d’une particulière gravité, commises dans la plupart des cas en bande organisée (voir p. 183 pour la définition de la bande organisée) et qui justifient, en raison à la fois de la particulière dangerosité des délinquants ou des criminels, de la complexité des faits et de la difficulté à établir la manifestation de la vérité et l’identification des différents protagonistes, l’application de règles particulières. Deux listes d’infractions sont dressées par les articles 706-73 et 706-74 du Code de procédure pénale. Les infractions visées par l’article 706-73 du Code de procédure pénale caractérisent les formes les plus graves de criminalité et de délinquance organisées, pour lesquelles la loi a prévu la mise en úuvre de multiples moyens d’investigation dérogatoires au droit commun. Il s’agit des infractions suivantes : – crime de meurtre commis en bande organisée (art. 221-4 8° du Code pénal) ; – crime de tortures et actes de barbarie commis en bande organisée (art. 222-4 du Code pénal) ; – crimes et délits de trafic de stupéfiants (art. 222-34 à 222-40 du Code pénal) ; – crimes et délits d’enlèvement et de séquestration commis en bande organisée (art. 224-5-2 du Code pénal) ; – crimes et délits aggravés de traite des êtres humains (art. 225-4-2 à 225-4-7 du Code pénal) ; – crimes et délits aggravés de proxénétisme (art. 225-7 à 225-12 du Code pénal) ; – crime de vol commis en bande organisée (art. 311-9 du Code pénal) ; – crimes aggravés d’extorsion (art. 312-6 et 312-7 du Code pénal) ; – crime de destruction, dégradation et détérioration d’un bien commis en bande organisée (art. 322-8 du Code pénal) ; – crimes en matière de fausse monnaie (art. 442-1 et 442-2 du Code pénal) ; – crimes et délits constituant des actes de terrorisme (art. 421-1 à 421-6 du Code pénal) ; – délits en matière d’armes et de produits explosifs commis en bande organisée (art. L. 2339-2, L. 2339-8, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du Code de la défense) ; – délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France commis en bande organisée (art. L. 622-1 al. 4 du Code de l?entrée et du séjour des étrangers) ; – délits de blanchiment (art. 324-1 et 324-2 du Code pénal) et de recel (art. 321-1 et 321-2 du Code pénal) du produit, des revenus ou des choses provenant de ces infractions ; – délits d’association de malfaiteurs (art. 450-1 du Code pénal), lorsqu’ils ont pour objet la préparation de l’une de ces infractions ; – délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie (art. 321-6-1 du Code pénal), lorsqu’il est en relation avec l’une de ces infractions. Les infractions de l’article 706-74 sont les crimes et délits commis en bande organisée et les délits d’association de malfaiteurs, autres que ceux relevant de l’article 706-73. Seuls, certains moyens spéciaux d’investigation sont 112

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alors applicables (la surveillance par exemple ; voir également l’article 706-1-2 du Code de procédure pénale qui prévoit leur application à l’enquête sur différentes infractions au Code de la propriété intellectuelle lorsqu’elles sont commises en bande organisée). 2) Conséquences de qualification a) Conséquences quant aux juridictions compétentes

Pour la poursuite, l’instruction et le jugement des crimes et délits relevant des articles 706-73 (sauf les infractions de terrorisme, voir ci-après) et 706-74, sont instituées des juridictions interrégionales spécialisées en matière de criminalité organisée. Il ne s’agit pas d’un nouvel ordre de juridiction mais simplement de la spécialisation de certaines juridictions, qui sont dotées d’une compétence interrégionale et bénéficient d’une compétence concurrente de celle des juridictions de droit commun (art. 706-75 à 706-79-1). Le juge d’instruction d’une juridiction de droit commun peut ainsi se dessaisir au profit des juridictions d’instruction interrégionales spécialisées en matière de criminalité organisée dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité. Ces juridictions comprennent une section du parquet et des formations d’instruction et de jugement spécialisées pour connaître de ces crimes et délits et des infractions qui leur sont connexes et leur compétence territoriale est étendue au ressort d’une ou plusieurs cours d’appel. b) Conséquences quant aux pouvoirs d’investigation

Les services en charge des investigations disposent, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, d’instruments procéduraux spécifiques destinés à renforcer l’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée et à faciliter la constatation de ces infractions. • Les personnes contre lesquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de les soupçonner d’avoir commis l’un des crimes et délits entrant dans le champ d’application des articles 706-73 ou 706-74 ou d’acheminer ou transporter des objets, biens ou produits tirés de la commission de ces infractions ou servant à les commettre peuvent faire l’objet d’une surveillance étendue à l’ensemble du territoire national (art. 706-80). • Lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction concernant l’un des crimes ou délits entrant dans le champ d’application de l’article 706-73 le justifient, le procureur de la République ou, après avis de ce magistrat, le juge d’instruction saisi peuvent autoriser qu’il soit procédé, sous leur contrôle respectif, à une opération d’infiltration. L’infiltration consiste, pour un officier ou un agent de police judiciaire spécialement habilité et agissant sous la responsabilité d’un officier de police judiciaire chargé de coordonner l’opération, à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs. L’officier ou l’agent de police judiciaire est à cette fin autorisé à faire usage d’une identité d’emprunt et à commettre si nécessaire certains actes constitutifs d’une infraction, sans pour autant voir sa responsabilité pénale engagée (art. 706-81 à 706-87 ; voir p. 223 et s. sur l’exonération de responsabilité résultant de l’autorisation de la loi). LARCIER

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• En ce qui concerne la garde à vue, si les nécessités de l’enquête ou de l’instruction l’exigent, la garde à vue d’une personne peut, à titre exceptionnel, faire l’objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune ou d’une seule prolongation supplémentaire de quarante-huit heures, soit une garde à vue qui peut durer jusqu’à quatre jours au total. La personne dont la garde à vue est prolongée en application de ces dispositions peut demander à s’entretenir avec un avocat à l’issue de la 48e heure puis de la 72e heure de la mesure (au lieu de la 1re heure et de la 24e heure dans le droit commun). Lorsque l’enquête porte sur une infraction de trafic de stupéfiants ou de terrorisme, l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue de la 72e heure (art. 706-88). • La conduite des perquisitions dans le cadre des enquêtes est facilitée. Par dérogation au droit commun, les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction peuvent ainsi être opérées, sur autorisation d’un juge et à certaines conditions, en dehors des heures prévues par l’article 59, c’est-à-dire de nuit, ou hors de la présence de la personne au domicile de laquelle est faite la perquisition (art. 706-89 à 706-94). • Si les nécessités de l’enquête l’exigent, le juge des libertés et de la détention a la possibilité d’autoriser, à la requête du procureur de la République, l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications pendant une durée maximale d’un mois (art. 706-95), alors que dans le droit commun, les écoutes téléphoniques ne sont possibles que dans le cadre de l’instruction. • Dans le cadre de l’instruction, le Code de procédure pénale permet, pour les infractions relevant de l’article 706-73, la sonorisation et la fixation d’images de certains lieux ou véhicules, pour une période renouvelable de quatre mois, tout en prévoyant un certain nombre de garanties. Le juge d’instruction autorise alors les services d’investigations à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, autrement dit d’utiliser des micros ou des caméras (art. 706-96 à 706-102). c) Conséquences quant aux peines

Les conséquences sont de deux types. D’une part, du fait de l’existence de la circonstance de bande organisée, les peines encourues sont aggravées (voir p. 183). D’autre part, pour certaines des infractions énumérées à l’article 706-73, des exemptions ou diminutions de peines sont accordées au profit des « repentis » qui collaborent avec la justice. Lorsque la loi le prévoit pour le crime ou le délit en question, une exemption de peine est accordée aux personnes qui ont tenté de commettre l’infraction, dès lors qu’ayant averti les autorités administratives ou judiciaires, elles ont évité que celle-ci ne se réalise et permis d’identifier les autres coupables. Une diminution de peine peut être accordée à l’auteur ou au complice de l’infraction qui, en ayant averti les autorités administratives ou judiciaires, a permis de faire cesser les agissements ou d’éviter que l’infraction n’entraîne la mort d’un homme ou l’infirmité permanente et permis, le cas 114

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échéant, d’identifier les autres coupables. La peine est alors réduite de moitié, la réclusion criminelle à perpétuité étant ramenée à 20 ans de réclusion criminelle (art. 132-78 du Code pénal ; voir p. 286 et 300). Le repenti bénéficiaire d’une exemption ou d’une réduction de peine en application de ces dispositions peut être placé sous un régime de protection incluant l’usage d’une identité d’emprunt (art. 706-63-1 du Code de procédure pénale ; voir p. 287).

B) Les infractions terroristes Le terrorisme est un phénomène particulièrement préoccupant pour les autorités publiques. Les entreprises terroristes ont des ramifications internationales, des soutiens logistiques parfois importants, et frappent aveuglément au cúur de la société. Par leur mode de perpétration, les actes terroristes apparaissent particulièrement cruels et iniques et justifient l’application de règles spéciales. Les actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du Code pénal figurent parmi la liste des infractions constitutives de la criminalité organisée de l’article 706-73 du Code de procédure pénale et, à ce titre, les pouvoirs d’investigations dérogatoires au droit commun leur sont applicables. Des règles particulières supplémentaires s’appliquent cependant à cette catégorie d’infractions. 1) Définition des infractions de terrorisme Le législateur n’a pas créé une incrimination unique du terrorisme, mais a énuméré les infractions de droit commun qui deviennent des infractions de terrorisme « lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». La notion d’« entreprise individuelle ou collective » doit s’entendre d’une organisation structurée comme d’un individu seul. L’essentiel est le mobile qui anime l’auteur de l’acte (troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur), mais il n’est pas exigé que le criminel ait des exigences précises. D’une manière générale, la notion d’acte de terrorisme tend à s’élargir. Le terrorisme est en effet de plus en plus organisé en structures ramifiées, alimentées par les trafics d’armes et de stupéfiants. Il s’appuie sur des circuits économiques et financiers complexes et sur les nouvelles technologies de l’information. Schématiquement, on peut dire que le terroriste n’est pas seulement celui qui commet un attentat. Il est également celui qui fournit les moyens matériels et financiers en vue de perpétrer cet attentat. • L’article 421-1 du Code pénal dresse la liste des infractions susceptibles d’être commises dans le but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. On y trouve les atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne, l’enlèvement, la séquestration, le détournement d’avion ou d’un autre moyen de transport, le vol, les extorsions, les destructions, les dégradations, les détériorations, les infractions en matière informatique, les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous, certaines contrefaçons et falsifications des marques de l’autorité publique, la LARCIER

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fabrication ou la détention d’engins meurtriers ou explosifs, la production, la vente, l’importation, l’exportation, l’acquisition, la détention ou le transport illégitime de substances explosives, la détention, le port et le transport d’armes et de munitions des 1re et 4e catégories, la fabrication, la détention, le stockage, l’acquisition, la cession d’armes biologiques ou à base de toxines, les infractions en matière de mise au point, de fabrication, de stockage et d’emploi d’armes chimiques, le recel du produit résultant de l’une de ces infractions, les infractions de blanchiment et les délits d’initié. • À cette liste, s’ajoutent des infractions terroristes autonomes, des incriminations spécifiques. Constituent ainsi des infractions terroristes : – en vertu de l’article 421-2 du Code pénal, toujours s’il est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, le fait d’introduire dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel : il s’agit du terrorisme écologique ou biologique ; – l’association de malfaiteurs, qui se traduit par le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un acte terroriste (art. 421-21 et 421-6 du Code pénal) ou par le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin (art. 421-2-2 du Code pénal) ; – le fait de diriger ou d’organiser le groupement ou l’entente défini à l’article 421-2-1, c’est-à-dire un groupement ou une entente établi en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un acte terroriste (art. 421-5 dernier alinéa et 421-6 du Code pénal). Cette disposition a pour effet de moduler le quantum de la peine encourue selon la responsabilité personnelle de chacun des individus : la direction ou l’organisation du groupement est ainsi plus sévèrement réprimée que la simple participation. Pour l’application des règles de procédure, il convient d’ajouter à ces infractions terroristes les infractions qui leur sont connexes (art. 706-16 du Code de procédure pénale). 2) Conséquences de la qualification Dès lors que les infractions définies ci-dessus sont commises dans le but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation et la terreur, elles deviennent des actes terroristes et certaines règles spéciales s’appliquent. Ces règles concernent les peines encourues, qui sont aggravées, et la procédure pénale applicable, dérogatoire au droit commun. a) Conséquences quant aux juridictions

Le développement du terrorisme ces dernières années a amené le législateur à organiser une procédure à bien des égards spéciale pour les infractions terroristes. Pour éviter l’intimidation des jurés, les crimes terroristes sont de la compétence de la cour d’assises spécialement composée de 7 magistrats en premier 116

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ressort et de 9 magistrats en appel, sans jurés. Les accusés mineurs âgés de 16 ans au moins sont jugés par une cour d’assises des mineurs composée à l’identique, deux des assesseurs étant cependant pris parmi les juges des enfants du ressort de la cour d’appel (art. 706-25 et 698-6 du Code de procédure pénale). Les procédures peuvent être centralisées à Paris (art. 706-17 du Code de procédure pénale). La compétence des juridictions parisiennes, tant pour l’instruction que pour le jugement, est concurrente à celle des éventuelles juridictions de province. Pour des raisons de sécurité et à titre exceptionnel, l’audience peut même avoir lieu dans tout autre lieu du ressort de la cour d’appel de Paris que celui où les juridictions parisiennes tiennent habituellement leurs audiences (art. 706-17-1 du Code de procédure pénale). De la même manière, la loi a prévu une centralisation à Paris de la juridiction de l’application des peines : sont seuls compétents pour prendre les décisions concernant les personnes condamnées pour un acte terroriste, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné, le juge de l’application des peines du tribunal de grande instance de Paris, le tribunal de l’application des peines de Paris et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Paris (art. 706-22-1 du Code de procédure pénale). b) Conséquences quant à la procédure

Outre les pouvoirs d’investigation spéciaux applicables au titre de la criminalité organisée dont les infractions terroristes font partie en application de l’article 706-73, d’autres règles de procédure pénale dérogatoires au droit commun trouvent à s’appliquer. • Dans le but de les protéger contre le risque de menaces ou de représailles, les officiers et agents de police judiciaire affectés dans les services spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme peuvent être nominativement autorisés par le procureur général près la cour d’appel de Paris à procéder aux investigations en s’identifiant par leur numéro d’immatriculation administrative. Ils peuvent également être autorisés à déposer ou à comparaître comme témoins sous ce même numéro (art. 706-24 du Code de procédure pénale). • S’il ressort des premiers éléments de l’enquête ou de la garde à vue ellemême qu’il existe un risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement, le juge des libertés peut, à titre exceptionnel, décider que la garde à vue en cours d’une personne, se fondant sur une infraction terroriste, fera l’objet d’une prolongation supplémentaire de 24 heures, renouvelable une fois. Cette double prolongation s’ajoute aux 96 heures existantes en matière de criminalité organisée, portant la durée totale de la garde à vue à 6 jours. Le gardé à vue peut s’entretenir avec un avocat à l’expiration de la 96e heure et de la 120e heure (art. 706-88 du Code de procédure pénale). • La durée totale de la détention provisoire est dérogatoire au droit commun : elle peut être portée respectivement à deux ans lorsque la personne est poursuivie pour un délit de terrorisme et qu’elle encourt une peine égale à dix ans d’emprisonnement, à trois ans pour l’instruction du délit d’association de malfaiteurs et à quatre ans pour un crime terroriste (art. 145-1, 706-24-3 et 145-2 du Code de procédure pénale). LARCIER

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• Les juridictions françaises sont compétentes pour poursuivre et juger les auteurs et complices d’infractions terroristes commises hors du territoire de la République (art. 689-3 du Code de procédure pénale). • L’action publique se prescrit par 30 ans pour un crime terroriste, au lieu de 10 en droit commun, par 20 ans pour un délit, au lieu de 3 ans en régime normal (art. 706-25-1 du Code de procédure pénale). • Enfin, un fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme – commis soit en France, soit à l’étranger lorsque la victime est française – indemnise les victimes et leurs ayants droit et, par la technique de la subrogation, peut exercer ensuite les recours en responsabilité contre les auteurs de l’infraction (art. L. 126-1, L. 422-1 et R. 422-1 et suivants du Code des assurances). c) Conséquences quant aux peines

Les peines encourues pour les infractions de terrorisme ont été aggravées avec le nouveau Code pénal. La commission d’une infraction de droit commun dans un but terroriste entraîne l’application des peines principales se situant un niveau (ou degré) immédiatement au dessus dans l’échelle des peines. Ainsi, la peine de réclusion de trente ans normalement encourue devient celle de la réclusion à perpétuité. L’emprisonnement est doublé pour tout emprisonnement de trois ans au plus. La période de sûreté est en outre applicable aux crimes et aux délits punis de dix ans d’emprisonnement (art. 421-3 du Code pénal). Les individus coupables d’infractions de terrorisme encourent par ailleurs diverses peines complémentaires (interdiction des droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, interdiction de séjour) dont la durée maximale est augmentée par rapport au droit commun (art. 422-3 du Code pénal). La confiscation de tout ou partie des biens des personnes physiques ou morales reconnues coupables peut également être prononcée (art. 422-6 du Code pénal). Enfin, le délai de prescription de la peine est de 30 ans pour les crimes, alors qu’il est de 20 ans en principe, et de 20 ans pour les délits, contre 5 ans en droit commun (art. 706-25-1 du Code de procédure pénale).

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CHAPITRE 2

L’élément légal : la qualification des faits Le principe de légalité criminelle interdit de réprimer des faits qui ne constituent pas, en vertu d’un texte pénal, une infraction. Cette règle engendre une conséquence incontournable pour les autorités en charge de la répression : face à des faits délictueux, il leur importe de s’assurer que ceux-ci correspondent à une infraction préalablement définie par un texte, autrement dit que ces faits sont pénalement qualifiés. Elles se posent la question de savoir si les faits constituent une infraction puis, dans l’affirmative, quelle infraction l’individu a commis et quels sont, précisément, le texte et le régime applicables. C’est cette opération que l’on nomme la qualification des faits. SECTION I

Les modalités de la qualification § 1.

La qualification s’apprécie au temps de l’action

Pour apprécier l’existence de l’infraction et la qualification pénale à retenir, il faut se placer au temps de l’action, c’est-à-dire au moment où le fait a été commis. Dans ces conditions, l’intervention ultérieure d’événements d’ordre matériel ou juridique modifiant la situation constitutive de l’infraction est sans incidence sur l’existence de l’infraction et sur sa qualification. Le repentir actif de l’auteur des faits, qui consiste à effacer les conséquences dommageables de l’infraction commise (par exemple, en rendant l’objet volé ou en soignant la victime blessée), ne fait pas disparaître l’infraction, de même que la modification de la situation sur le plan juridique. Ainsi, le vol reste constitué, même si l’auteur du vol hérite par la suite des objets dérobés (Crim., 27 février 1836, S. 1836, 1, 1526). De même, si des travaux de construction ont été entrepris sans permis de construire, l’infraction est constituée, même si un permis a été obtenu ultérieurement par l’auteur de l’infraction (Crim., 20 octobre 1981, Bull. crim. n° 257). Le délit d’abandon de famille étant constitué dès lors que le débiteur s’abstient de fournir pendant plus de deux mois l’intégralité des subsides mis à sa charge par une décision judiciaire ou une convention judiciairement homologuée, tout événement ultérieur modifiant les rapports de famille (par exemple, l’annulation de reconnaissance d’un enfant naturel) ou ayant une incidence directe sur l’existence ou l’étendue de l’obligation alimentaire (par exemple, la réduction ultérieure du montant de la pension alimentaire) laisse subsister l’infraction (Crim., 2 mars 1998, Bull. crim. n° 78 ; 4 juin 2008, Droit pénal 2008, comm. n° 121). On peut encore citer les infractions commises, dans le cadre de ses fonctions, par un fonctionnaire ou contre un fonctionnaire (comme la corruption), qui LARCIER

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sont acquises nonobstant l’annulation ultérieure de l’acte de nomination de ce fonctionnaire (Crim., 11 juin 1813, Bull. crim. n° 127 ; Crim., 6 novembre 1896, S. 1898, 1, 57). Lorsqu’une infraction a été commise, le parquet ’ le ministère public ’ est chargé de la poursuivre en retenant une qualification pénale, sous réserve de la possibilité pour la victime de déclencher les poursuites. C’est sous cette qualification que les faits vont être soumis au juge d’instruction, si ce dernier est saisi, puis au juge du fond. Mais ces juges ne sont pas liés par la qualification proposée et peuvent la modifier si elle leur paraît inappropriée.

§ 2.

La requalification des faits par le juge

A) Le principe La juridiction saisie – juridiction d’instruction le cas échéant, juridiction de jugement – peut disqualifier puis requalifier les faits dont elle a connaissance. On dit que les juridictions sont « maîtres de la qualification » car il leur appartient de restituer aux faits poursuivis leur véritable qualification. Cet exercice de requalification est parfois obligatoire, puisque le juge de police et le juge correctionnel, qui ne sont pas liés par la qualification donnée à la prévention, ne peuvent prononcer une décision de relaxe qu’autant qu’ils ont vérifié que les faits dont ils sont saisis ne sont constitutifs d’aucune infraction (pour des exemples, Crim., 31 mai 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 148 et 149). Par exemple, en matière de circulation routière, les textes distinguent nettement la conduite d’un véhicule sans les titres exigés (par exemple, la conduite d’un véhicule sans être titulaire du permis de conduire, qui constitue un délit selon l’article L. 221-2 du Code de la route) et la conduite du véhicule sans avoir à son bord, c’est-à-dire sur soi, les documents justificatifs (ainsi, le fait de ne pas « présenter immédiatement aux agents de l’autorité compétente les autorisations et pièces administratives exigées » pour la conduite d’un véhicule, puni d’une contravention de 1re classe selon l’article R. 233-1 du Code de la route). Le juge, saisi de l’infraction de conduite sans permis, doit donc requalifier les faits s’il s’avère que le conducteur est titulaire du titre mais n’avait pas le document sur lui lors du contrôle routier (pour des exemples tirés de la jurisprudence, Crim., 12 février 1997, Bull. crim. n° 63 : vol requalifié en détournement d’objets saisis ; Crim., 9 novembre 1998, Droit pénal 1999, comm. n° 53 : détournement de biens – infraction intentionnelle – requalifié en négligence par une personne dépositaire de l’autorité publique, les faits matériels étant identiques ; Crim., 31 octobre 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 31 : complicité d’escroquerie requalifiée en faux). On peut avancer trois remarques complémentaires. En premier lieu, si la juridiction, suite à la requalification, se trouve saisie d’une infraction qui excède sa compétence (par exemple, si le tribunal correctionnel constate être en présence d’un crime), elle devra rendre une décision d’incompétence et renvoyer l’affaire devant les autorités judiciaires compétentes. Par contre, elle peut statuer sur des infractions de moindre gravité (par exemple, le tribunal correctionnel reste compétent pour connaître de l’infraction qu’il a requalifiée en contravention). En deuxième lieu, s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition que le prévenu ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée (Crim., 14 février 1991, Bull. crim. n° 74 ; 16 mai 2001, Bull. crim. n° 128 ; 120

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12 septembre 2001, Bull. crim. n° 177 ; 17 octobre 2001, Bull. crim. n° 213 ; 16 octobre 2002, Droit pénal 2003, comm. n° 28 ; 18 sept. 2007, Droit pénal 2007, comm. n° 154). En dernier lieu, le contrôle de la qualification est une question de droit pouvant être soumise à la Cour de cassation (par exemple, Crim., 6 mai 1998, Bull. crim. n° 154).

B) La limite Saisi in rem, c’est-à-dire de faits matériels, le juge, en procédant à une requalification, ne doit pas être amené à viser des faits dont il n’est pas saisi, c’est-à-dire modifier la prévention, à moins que le prévenu ait expressément accepté d’être jugé sur les faits non compris dans la poursuite et ait été en mesure de se défendre (par exemple, Crim., 23 janvier 1995, Bull. crim. n° 28 ; Crim., 5 juin 1996, Bull. crim. n° 238 ; Crim., 18 décembre 1996, Bull. crim. n° 477 ; Crim., 16 septembre 1997, Bull. crim. n° 298 ; Crim., 24 novembre 1998, Bull. crim. n° 315 ; Crim., 22 mars 2000, JCP 2000, IV, 2043 ; Crim., 23 janvier 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 62 ; 2 octobre 2001, Bull. crim. n° 197 ; 17 octobre 2001, Droit pénal 2002, comm. n° 37). À titre d’exemple, à l’occasion du jugement d’un vol, si le juge constate que des violences ont été commises, il ne pourra s’en saisir d’office par le biais d’une requalification. Il ne peut connaître de ces faits que sur réquisition du parquet ou si le prévenu accepte de comparaître volontairement sur ces faits (de même que le juge du fond, saisi in personam, ne peut juger une personne qui n’a pas été citée).

C) Les exceptions Il existe quelques exceptions légales à ce pouvoir du juge de requalifier les faits portés à sa connaissance. D’une part, en vertu de l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, si les poursuites sont engagées sous une qualification prévue par cette loi, il est impossible au juge de requalifier l’infraction de presse, que ce soit en lui substituant une qualification de droit commun (Crim., 6 février 1990, Bull. crim. n° 64) ou même en choisissant une autre qualification prévue par la loi de 1881 (Crim., 26 janvier 1956, Bull. crim. 1956 ; Crim., 4 janvier 1991, Bull. crim. n° 7). D’autre part, en raison des pouvoirs spéciaux de constatation dévolus aux agents chargés de la répression des fraudes, l’article L. 216-4 alinéa 1 du Code de la consommation interdit au juge de substituer une qualification de droit commun à une qualification de fraudes prévues par le Code de la consommation.

§ 3. L’impossibilité de poursuivre les mêmes faits, après jugement, sous une autre qualification Lorsqu’un fait a été définitivement jugé, le principe non bis in idem, affirmé notamment à l’article 4 du protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, exclut que de nouvelles poursuites puissent être exercées contre la même personne non seulement sous la même qualification mais encore sous une autre qualification. L’article 368 du Code de procédure pénale dispose qu’en matière criminelle et dans le cas d’un acquittement par une cour d’assises, « aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des LARCIER

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mêmes faits, même sous une qualification différente » (pour une application, Crim., 1er avril 1998, Bull. crim. n° 123). Dans les autres cas et d’une façon générale, la jurisprudence considère que le principe non bis in idem s’oppose à ce qu’un même fait donne lieu à deux actions pénales distinctes sous des qualifications différentes (Crim., 27 janvier 1955, Bull. crim. n° 67 ; Crim., 3 mars 1959, Bull. crim. n° 143 ; Crim., 8 octobre 1959, Bull. crim. n° 418 ; Crim., 13 décembre 1990, Bull. crim. n° 433 ; Crim., 16 juillet 1997, Bull. crim. n° 274 ; Crim., 3 février 1998, Bull. crim. n° 38). Les premiers juges sont en effet censés avoir envisagé les faits sous toutes les qualifications possibles et avoir retenu la plus adaptée. Dans le même ordre d’idées, si une infraction a été amnistiée, les faits ne peuvent plus être poursuivis, même sur la base d’une qualification non amnistiée (par exemple, Crim., 11 février 1970, Bull. crim. n° 64).

SECTION II

Le choix de la qualification en cas de conflit de textes En principe, le choix de la qualification appropriée ne pose pas de difficulté dans la mesure où chaque incrimination a un domaine qui lui est propre. Mais qualifier pénalement un fait peut être parfois délicat lorsque plusieurs textes peuvent trouver à s’appliquer. Dans la plupart des cas, ce conflit de textes sera aisément résolu puisque les qualifications sont, au-delà des apparences, exclusives les unes des autres. Par contre, il est de rares hypothèses dans lesquelles on est en présence d’un véritable concours de qualifications, appelé concours idéal de qualifications.

§ 1.

Les conflits apparents de qualifications

Lorsque les qualifications en présence sont alternatives ou incompatibles, un seul texte est violé et une seule qualification doit être retenue.

A) Les qualifications alternatives En règle générale, le choix de la qualification ne présente pas de difficulté majeure, dès lors que la loi distingue nettement les infractions dans leurs éléments constitutifs (par exemple, dans l’élément moral ou dans le dommage causé). Les qualifications sont alternatives : en d’autres termes, c’est soit l’une, soit l’autre. Les circonstances de fait détermineront alors le choix de la qualification. Ainsi, si une personne décède à la suite d’un coup de couteau, il faudra choisir entre l’homicide volontaire – le meurtre – qui suppose l’intention de tuer, les violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, lorsque l’auteur du coup mortel n’avait pour intention que de blesser sa victime et l’homicide par imprudence qui exclut toute intention de tuer ou de blesser. Le Code pénal a prévu ici des infractions différentes dans leur élément moral. 122

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Dans d’autres cas, c’est l’élément matériel qui diffère. Ainsi, si le délit de blessures aggravées et le délit de mise en danger délibérée d’autrui comportent tous les deux la même faute, à savoir la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, ils varient quant à leur élément matériel, l’un exigeant un résultat (les blessures), l’autre non, de sorte qu’ils ne peuvent pas se cumuler à l’égard des mêmes personnes (Crim., 11 septembre 2001, Bull. crim. n° 176). Parfois, la loi pénale réprime spécifiquement, en tant que délit distinct, deux infractions commises en même temps, de sorte qu’une infraction devient alors la circonstance aggravante d’une autre infraction. Par exemple, si le viol et les tortures ou actes de barbarie sont deux infractions réprimées indépendamment l’une de l’autre (art. 222-23 et 222-1 du Code pénal), le viol accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie constitue une infraction distincte, réprimée en tant que telle par l’article 222-26 du Code pénal. Face à des faits constitutifs de ce délit, le juge est alors dans l’obligation de retenir la qualification la plus adéquate, à savoir celle correspondant à l’infraction aggravée, la qualification spéciale. Ce n’est là qu’une application du principe non bis in idem : si un même fait ne peut pas entraîner une double déclaration de culpabilité, il ne peut pas non plus être retenu à la fois comme élément constitutif d’une infraction et comme circonstance aggravante d’une autre infraction (voir p. 298).

B) Les qualifications incompatibles Certaines qualifications peuvent apparaître incompatibles dès lors qu’une infraction constitue la suite naturelle d’une première infraction commise. L’intention de l’auteur de l’infraction permet ici de savoir s’il n’a commis qu’une seule infraction ou si, au contraire, deux infractions ont été accomplies. Par exemple, le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui (art. 311-1 du Code pénal). L’objectif du voleur est en général de conserver la chose qu’il a volée. Il serait donc excessif de le poursuivre également pour recel (art. 321-1 du Code pénal : dissimuler, détenir ou transmettre une chose en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit ou encore bénéficier du produit d’un crime ou d’un délit). La jurisprudence exclut ainsi que le recel puisse être retenu à l’encontre de l’auteur d’un vol (par exemple, Crim., 29 juin 1848, Bull. crim. n° 192 ; Crim., 2 décembre 1971, Bull. crim. n° 337 ; Crim., 6 juin 1979, Bull. crim. n° 193). De même, il serait excessif de poursuivre l’auteur de violences volontaires envers une personne pour omission de porter secours à sa victime. Toutefois, l’incompatibilité n’est pas absolue et rien n’empêche le juge de cumuler les deux qualifications, en dépit de leur incompatibilité d’apparence, en considérant qu’il y a alors concours d’infractions. Ainsi, la jurisprudence a parfois retenu à la fois les qualifications de violences volontaires et d’omission de porter secours (par exemple, Crim., 24 juin 1980, Bull. crim. n° 202, pour des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner). L’essentiel semble lié à l’intention de l’auteur des violences. Si les conséquences de son geste ont dépassé ce qu’il escomptait réellement, la double qualification peut être retenue.

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§ 2.

Le concours idéal de qualifications

A) Distinction entre le concours réel d’infractions et le concours idéal de qualifications Il y a concours réel d’infractions lorsqu’une infraction est commise par une personne avant qu’elle ait été définitivement condamnée pour une autre infraction (art. 132-2 du Code pénal). Autrement dit, la personne a commis plusieurs faits qui constituent chacun une infraction, sans que ces faits soient séparés par un jugement définitif. C’est l’hypothèse de l’individu qui commet des violences volontaires avant d’avoir été définitivement condamné pour un vol commis quelques mois auparavant. Parfois, l’intervalle entre les infractions est extrêmement bref. Par exemple, un individu en état d’ivresse sur la voie publique qui profère des injures envers les passants avant de commettre des dégradations (pour un exemple tiré de la jurisprudence, Crim., 8 octobre 1997, Droit pénal 1998, comm. n° 56 : constitue un concours réel d’infraction l’utilisation irrégulière d’une fréquence hertzienne et la destruction de biens appartenant à autrui, en l’espèce des modèles réduits d’avions, qui en est la conséquence). Le principe non bis in idem ne s’oppose pas à une double condamnation puisqu’il y a alors deux infractions (CEDH, 30 juillet 1998, Oliveira contre Suisse pour une condamnation pour violation des prescriptions du Code de la route et une condamnation pour homicide involontaire en cas d’accident de la route ; 14 septembre 1999, Ponsetti et Chesnel contre France pour la condamnation à des sanctions fiscales pour défaut de déclaration d’impôt dans les délais et à des sanctions pénales pour fraude fiscale). Une qualification distincte pourra donc être retenue à l’égard de chacun des faits successifs constitutifs d’une infraction, la seule difficulté étant relative à la détermination de la peine (voir p. 313 et s.). Il y a concours idéal de qualifications lorsqu’un fait unique (et non plusieurs faits successifs) viole plusieurs lois pénales et est alors susceptible de plusieurs qualifications. En d’autres termes, par un comportement unique, un individu commet matériellement et intellectuellement plusieurs infractions. C’est le cas de l’omission de porter secours et du délit de fuite, du viol ou de l’agression sexuelle et de l’outrage public à la pudeur si l’agression ou le viol est commis en public (Crim., 13 janvier 1953, Bull. crim. n° 12), de l’escroquerie et de l’émission d’un chèque sans provision (Crim., 3 mars 1966, Bull. crim. n° 79), de la diffamation et de la propagation de fausses nouvelles (Crim., 5 mai 1966, Bull. crim. n° 139), de l’escroquerie d’une part et de l’abus de blanc-seing et du faux d’autre part (Crim., 26 mai 1976, Bull. crim. n° 181), des injures envers des agents des douanes et de l’outrage à personnes chargées d’une mission de service public (Crim., 16 juillet 1997, Bull. crim. n° 274), du délit d’actes de cruauté envers un animal domestique et de la contravention de destruction volontaire et sans nécessité d’un animal domestique (Crim., 4 février 1998, Bull. crim. n° 46).

B) Régime du concours idéal de qualifications La principale difficulté est de savoir s’il convient de condamner l’auteur du fait matériel unique autant de fois qu’il y a d’infractions ou si, puisqu’il n’a commis qu’un seul fait, il convient de ne retenir qu’une qualification. La jurisprudence considère en règle générale qu’une seule qualification doit être rete124

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nue, mais il est des hypothèses où elle retient la pluralité de qualifications, appliquant alors le régime du concours réel d’infractions (voir p. 313 et s. pour la détermination des peines encourues). 1) Le principe : une seule qualification est retenue En présence d’un concours idéal de qualifications, la jurisprudence considère qu’on ne peut retenir qu’une seule qualification. Le principe non bis in idem interdit en effet de condamner un individu deux fois pour le même fait. La jurisprudence affirme à ce propos qu’« un même fait, autrement qualifié, ne peut entraîner une double déclaration de culpabilité » (par exemple, Crim., 2 avril 1897, Bull. crim. n° 123 ; Crim., 25 février 1921, Bull. crim. n° 99 ; Crim., 17 juin 1948, Bull. crim. n° 163 ; Crim., 26 mars 1974, Bull. crim. n° 129 ; Crim., 26 mai 1976, Bull. crim. n° 181 ; Crim., 4 février 1998, Bull. crim. n° 46). C’est l’infraction passible de la peine la plus élevée qui sera retenue, c’est-àdire « la plus haute qualification pénale » (par exemple, Crim. 16 mai 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 121). Cette règle est d’ailleurs reprise dans certaines dispositions légales (voir par exemple Crim., 30 octobre 1997, Bull. crim. n° 364, pour l?art. 439 du Code des douanes). En présence d’infractions réprimées de la même manière, il conviendra de retenir la qualification la plus adaptée au comportement de l’auteur des faits. En tout état de cause, comme une seule qualification est retenue, une seule condamnation interviendra et seules les peines attachées à la qualification retenue pourront être appliquées, à l’exclusion de celles attachées à la qualification écartée. 2) Les exceptions à la qualification unique Une première exception est admise lorsqu’un acte d’imprudence unique occasionne des atteintes de gravité inégale à l’intégrité physique de différentes victimes, de sorte que, par application des textes, plusieurs qualifications peuvent être retenues : homicide involontaire, blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois, inférieure ou égale à 3 mois, ou blessures involontaires n’ayant entraîné aucune incapacité de travail. Pour garantir à chacune des victimes le droit d’obtenir réparation des préjudices subis, toutes les qualifications peuvent alors être retenues. La seconde exception pose davantage de difficultés. La jurisprudence a en effet considéré qu’il y a non pas concours idéal de qualifications mais concours réel d’infractions lorsqu’il apparaît que plusieurs intentions distinctes animaient l’auteur d’un fait matériel unique, qu’il a porté atteinte à des valeurs sociales différentes et qu’en réalité les intérêts protégés par les incriminations en concours sont de nature différente. Ainsi, se prononçant au sujet d’un individu qui avait lancé une grenade dans un café, blessant des personnes et provoquant des dégâts matériels, fait susceptible d’être qualifié de tentative de destruction d’édifices par explosif et de tentative d’assassinat, la chambre criminelle de la Cour de cassation a constaté que les deux incriminations protégeaient des valeurs sociales différentes (la protection des propriétés et celle des vies humaines) et que les deux crimes se distinguaient par leur élément intentionnel. En conséquence, elle a décidé qu’il ne s’agissait pas d’« un crime unique, dont la poursuite sous deux qualifications différentes serait contraire au vúu de la loi, mais de deux crimes simultanés, commis par le même moyen, mais caractérisés par des intentions LARCIER

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coupables essentiellement différentes » (Crim., 3 mars 1960, Ben Haddadi, Bull. crim. n° 138, RSC 1961, p. 105, obs. Legal). Cette jurisprudence paraît logique : l’élément moral est en effet différent pour chacune des incriminations. Il s’agit certes d’infractions intentionnelles mais qui exigent pour leur constitution un dol spécial (voir p. 146) d’une nature différente (ici, l’intention de tuer et l’intention de détruire). Mais il est vrai qu’en pratique, l’appréciation de la diversité d’intérêts protégés et des éléments constitutifs des infractions en concours est extrêmement délicate. Dans ces conditions, les solutions jurisprudentielles ne sont pas toujours exclusives d’un certain opportunisme. Par exemple, constituent selon la jurisprudence un concours réel d’infractions et non un cumul idéal de qualifications, la conduite en état d’ivresse et l’ivresse publique (Crim., 15 janvier 1958, Bull. crim. n° 60), une contravention au Code de la route et l’homicide ou les blessures involontaires (Crim. 3 mai 1960, Bull. crim. n° 236 ; Crim., 25 mars 1965, Bull. crim. n° 88 ; Crim., 8 mars 1972, Bull. crim. n° 89), le non-respect des règles d’hygiène et de sécurité au travail et l’homicide ou les blessures involontaires (Crim., 21 septembre 1999, Bull. crim. n° 191), la diffamation et la propagation de fausses nouvelles (Crim., 5 mai 1966, Bull. crim. n° 139), la diffamation et la publication d’informations relatives à une constitution de partie civile (Crim., 19 mars 1996, Bull. crim. n° 117), l’escroquerie et la publicité mensongère (Crim., 10 mai 1978, Bull. crim. n° 148), le détournement d’avion et la prise d’otages (Crim., 22 novembre 1983, Bull. crim. n° 308), la corruption de fonctionnaires et l’abus de biens sociaux (Crim., 17 novembre 1986, Bull. crim. n° 342), les violences commises par une personne dépositaire de l’autorité publique et des actes attentatoires à la liberté individuelle (Crim., 21 avril 1998, Bull. crim. n° 140), les délits de diffamation à caractère racial et de contestation de crimes contre l’humanité (Crim., 12 septembre 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 4), le délit douanier d’importation en contrebande et le délit d’importation de marchandises présentées sous une marque contrefaite (Crim., 11 juin 2008, Droit pénal 2008, comm. n° 127).

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Droit pénal général


CHAPITRE 3

L’élément matériel de l’infraction Ni la simple pensée criminelle, ni même l’intention de commettre une infraction ne sont punissables. Cette règle est une garantie essentielle pour les libertés individuelles. Même lorsque la loi semble réprimer, en tant qu’infraction autonome, la résolution criminelle (c’est-à-dire l’intention de commettre des infractions), elle exige une certaine matérialisation de l’intention criminelle, l’extériorisation de celle-ci par un acte matériel. Par exemple, si la loi sanctionne les menaces de commettre un crime ou un délit contre les personnes, même lorsque leur auteur n’avait pas l’intention de les mettre à exécution, elle exige toutefois leur réitération ou leur matérialisation par un écrit, une image ou tout autre objet (art. 222-17 du Code pénal). De même, le complot, défini par la loi comme étant la résolution arrêtée entre plusieurs personnes de commettre un attentat, n’est punissable que si cette résolution est « concrétisée par un ou plusieurs actes matériels » (art. 412-2 du Code pénal). Il en est de même pour l’association de malfaiteurs (art. 450-1 du Code pénal ; pour une application, Crim., 26 mai 1999, Bull. crim. n° 103) ou pour l’embuscade (art. 222-15-1 du Code pénal). En principe, n’est pas non plus punissable le caractère dangereux ou la condition sociale de l’individu, même si cela révèle une potentialité criminelle. La répression du simple état dangereux, dans le but d’empêcher la commission d’une infraction, est rare. Avant le nouveau Code pénal, le vagabondage et la mendicité étaient érigés en infractions. Aujourd’hui, on peut citer le port d’arme interdit (art. L. 2339-9 du Code de la défense), la conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou en état d’ivresse manifeste (art. L. 234-1 du Code de la route), le délit de risques causés à autrui (art. 223-1 du Code pénal). Ce sont des « délits-obstacles », destinés à prévenir la commission d’infractions plus graves et plus dommageables. L’infraction n’est « commise » que lorsqu’un comportement matériel interdit par la loi a été adopté par une personne. Cet élément matériel révèle véritablement l’intention coupable : un geste, des paroles, des écrits, voire une simple attitude. L’infraction est d’abord un fait, une action, un comportement. L’intention criminelle doit s’être extériorisée. C’est le coup de feu ou de couteau dans un homicide, la soustraction de la chose d’autrui dans le vol, le fait de laisser son véhicule à une place où le stationnement est interdit. Ainsi, aux termes de l’article 221-1 du Code pénal, le meurtre est « le fait de donner volontairement la mort à autrui ». L’infraction est révélée par un fait matériel constatable. Deux hypothèses se présentent, selon que l’infraction est réalisée ou simplement tentée.

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SECTION I

L’infraction consommée L’infraction est consommée lorsque l’individu est allé jusqu’au bout de son action et a adopté le comportement prohibé par la loi. Parfois, l’infraction ne sera consommée que par la survenance d’un résultat déterminé, la conséquence préjudiciable de l’acte matériel.

§ 1. Le mode de réalisation de l’infraction Plusieurs distinctions peuvent être opérées : la forme de l’acte varie puisqu’il peut s’agir soit d’une action, soit d’une abstention ; la durée de commission de cet acte peut être brève ou, au contraire, se prolonger dans le temps ; enfin, l’élément matériel exigé par la loi peut être unique ou au contraire multiple.

A) La nature du fait matériel Le fait matériel peut s’analyser comme une action, acte positif qui consiste pour le délinquant à commettre un acte que la loi interdit. On est alors en présence d’une infraction de commission. Le comportement délictuel peut également s’analyser comme une abstention, action négative qui consiste pour le délinquant à ne pas faire un acte que la loi prescrit. Il s’agit alors d’une infraction d’omission. 1) L’infraction de commission Les infractions de commission sont les plus nombreuses. L’infraction d’action ou de commission consiste à exécuter un acte interdit par la loi. Cet acte peut être un geste, comme le fait de tuer ou de blesser en appuyant sur la détente d’un revolver, le fait de voler, en s’emparant de la chose d’autrui. Cet acte peut également consister en une parole ou en un écrit, comme dans la diffamation, les injures ou les menaces. 2) Sort de la commission par omission Le problème se présente ainsi : lorsque la loi incrimine un acte positif, une action engendrant un résultat déterminé, si le même résultat est obtenu par un comportement négatif, une omission, peut-on considérer que l’infraction est réalisée ? En d’autres termes, l’inaction volontaire d’une personne qui aboutit au même résultat dommageable que celui qui aurait été causé par une action est-elle assimilable à cette action ? Par exemple, le meurtre suppose en principe une action : appuyer sur une détente de revolver, asséner un coup mortel… Mais si une personne tombe par inadvertance à l’eau, se noie, et qu’une autre personne assiste à cette scène en s’abstenant volontairement, intentionnellement, de porter secours à la victime, cette abstention est-elle assimilable à l’action ? Doit-on considérer que celui qui s’est ainsi abstenu est coupable d’un meurtre dans les mêmes conditions que s’il avait poussé la victime à l’eau ? 128

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Classiquement, la jurisprudence refuse d’assimiler l’abstention à une action. Un délit de commission ne peut donc pas résulter d’une simple omission, même volontaire. Un exemple fameux est fourni par l’affaire dite de « la séquestrée de Poitiers », dans laquelle des individus avaient laissé sans soins et dans des conditions d’existence déplorables une parente aliénée, dont la santé avait ainsi été compromise. En l’absence de dispositions répressives spécifiques, et malgré le préjudice certain réalisé, la privation de soins n’a pas été assimilée à des coups et blessures volontaires (Poitiers, 20 novembre 1901, S. 1902, 2, p. 305, note Hémard). De même, ne commet pas un vol l’automobiliste qui paie en connaissance de cause une somme inférieure à celle qu’il doit à un pompiste, du fait du fonctionnement défectueux du distributeur d’essence (Crim., 1er juin 1988, Bull. crim. n° 245). Le délit de délaissement d’une personne qui n’est pas en état de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, prévu à l’article 222-3 du Code pénal, suppose aussi un acte positif (Crim., 23 février 2002, Bull. crim. n° 84 ; 13 novembre 2007, Droit pénal 2008, comm. n° 17). Ces solutions peuvent apparaître choquantes mais ne font qu’appliquer le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, corollaire du principe de légalité criminelle. En l’absence de texte spécial, l’abstention n’équivaut pas à l’action. Ce n’est en principe que dans les cas où la loi l’a expressément prévu que l’abstention peut être réprimée. Le législateur a donc été amené à adopter des textes spécifiques pour créer un certain nombre de délits d’omission. 3) L’infraction d’omission Dans l’infraction d’omission, l’élément matériel consiste en une abstention, une inaction. La loi pose une obligation de faire et c’est l’inexécution de cette obligation, c’est-à-dire l’abstention, qui constitue une infraction. Ces infractions tendent à se multiplier. L’exemple le plus représentatif est l’omission de porter secours à une personne en péril, c’est-à-dire le fait, pour une personne, face à un péril menaçant la santé, l’intégrité corporelle ou la vie d’une autre personne, de s’abstenir volontairement de lui porter secours ou de demander secours à un tiers, alors qu’elle pouvait intervenir, sans risque pour elle ou un tiers (art. 223-6 al. 2 du Code pénal). Cette infraction est distincte, par exemple, du meurtre ou des violences volontaires. Comme la plupart des infractions d’omission, aucune conséquence spécifique n’est exigée. L’abstention est sanctionnée indépendamment de son résultat, c’est-à-dire que la personne en péril soit sauvée par d’autres moyens ou qu’elle décède et, dans ce dernier cas, que l’on ait voulu ou non sa mort. Les peines encourues sont dès lors différentes de celles prévues pour un meurtre ou un homicide involontaire. Le meurtre, par exemple, est un crime, puni de 30 ans de réclusion criminelle (art. 221-1 du Code pénal), alors que l’omission de porter secours à une personne en péril est un délit, puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, même si cette omission a pour conséquence la mort de la victime. Du point de vue répressif, laisser mourir n’équivaut pas à tuer et, à résultat égal, la répression de l’omission et de l’action ne sont pas équivalentes. Cependant, alors que le crime de meurtre LARCIER

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n’est consommé qu’en cas de décès de la victime, l’omission de porter secours à une personne en péril est sanctionnée quelles que soient les conséquences de l’abstention. Les obligations d’agir, dont le non-respect entraîne la réalisation d’une infraction, sont diverses. Parmi les principales infractions par omission du Code pénal, on peut citer : – l’abstention de combattre un sinistre dangereux pour la sécurité des personnes (art. 223-7 du Code pénal) ; – le non-obstacle à la commission d’un crime ou d’un délit contre l’intégrité corporelle de la personne (art. 223-6 al. 1 du Code pénal) ; – la non-révélation de crime aux autorités judiciaires ou administratives, dès lors qu’il est encore possible d’en prévenir ou d’en limiter les effets, ou que les auteurs susceptibles de commettre de nouveaux crimes pourraient en être empêchés (art. 434-1 du Code pénal) ; la non-révélation d’un crime constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou d’un acte de terrorisme (art. 434-2 du Code pénal) ; – la non-révélation aux autorités judiciaires ou administratives de mauvais traitements ou de privations à un mineur de 15 ans ou à une personne vulnérable (art. 434-3 du Code pénal) ; – le fait de laisser détruire, détourner, soustraire, reproduire ou divulguer un secret de la défense nationale (art. 413-10 du Code pénal) ; – l’omission de témoigner en faveur d’une personne innocente, en détention provisoire ou jugée pour crime ou délit (art. 434-11 du Code pénal) ; – le défaut d’exécution d’une décision judiciaire imposant le versement d’une pension ou de prestations dues en raison d’obligations familiales (art. 227-3 du Code pénal) ; – le défaut de réponse à une réquisition des autorités judiciaires ou administratives (art. R. 642-1 du Code pénal) ; – l’omission de déclarer la naissance d’un enfant à l’état civil (art. R. 645-4 du Code pénal). Certains domaines constituent le terrain de prédilection des infractions d’omission dans la mesure où de nombreuses prescriptions de sécurité y sont imposées. C’est en particulier le cas pour le droit du travail, la santé publique ou encore la circulation routière. Dans de nombreux domaines, notamment en matière économique et fiscale, la loi impose également d’effectuer des démarches administratives : inscriptions, déclarations, obtention d’autorisations. L’omission d’effectuer ces démarches est parfois pénalement sanctionnée (par exemple, l’omission d’inscription au registre du commerce et des sociétés ou l’absence de déclaration de revenus). Parmi les infractions d’omission, certaines pourraient être véritablement qualifiées d’infractions de commission par omission, dans la mesure où un résultat déterminé est exigé en plus de l’abstention coupable. Il s’agit en particulier de la privation d’aliments ou de soins à un mineur de 15 ans au point de compromettre sa santé (art. 227-15 du Code pénal), punie de 30 ans de réclusion criminelle si les privations ont entraîné la mort de la victime (art. 227-16 du Code pénal). 130

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B) La durée de réalisation de l’infraction Il est possible d’opérer une distinction parmi les infractions en fonction de leur durée de réalisation. 1) Instantanéité de l’élément matériel (infractions instantanées et permanentes) Si l’infraction est consommée en un bref instant, de manière immédiate, elle est instantanée. Tel est le cas du meurtre, du vol, des coups et blessures. L’infraction se réalisant de manière immédiate, peu importe sa durée d’exécution (le meurtre n’est réalisé qu’avec la mort de la victime, même si celle-ci a été « tuée à petit feu »). Peu importe également si les effets de l’infraction se prolongent dans le temps. Un type d’infraction instantanée est constitué par l’infraction permanente, qui crée un résultat matériel durable. Ainsi, en cas de construction d’un bâtiment sans permis de construire, le résultat de l’infraction continue à produire des effets après la réalisation de celle-ci. Les règles applicables à l’infraction permanente sont celles des infractions instantanées, sans qu’il soit nécessaire de s’attarder sur le fait que les conséquences matérielles de l’infraction se prolongent dans le temps. 2) Continuité de l’élément matériel (infractions continues, successives, continuées) Lorsque l’action ou l’omission se prolonge d’une manière uniforme dans le temps, l’infraction est alors continue. C’est, par exemple, le cas du recel, de la séquestration, de l’exercice d’une activité non déclarée ou non autorisée, de l’enregistrement informatique de données nominatives (Crim., 4 mars 1997, Bull. crim. n° 83), de l’hébergement contraire à la dignité (Crim., 11 février 1998, Bull. crim. n° 53), du délit de soustraction de mineur qui se poursuit aussi longtemps que son auteur persévère dans sa volonté de porter atteinte à l’exercice de l’autorité parentale (Crim., 23 février 2000, Bull. crim. n° 83), de la violation de l’interdiction de toute propagande ou publicité en faveur du tabac qui se poursuit tant que le message litigieux reste accessible au public (Crim., 17 janvier 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 41, s?agissant d?une publicité sur un site internet). Lorsque la conduite délictueuse se renouvelle dans le temps, l’infraction est dite successive. À chaque manifestation de l’infraction, la volonté coupable se renouvelle mais l’infraction est alors unique tant qu’une condamnation n’est pas intervenue. Tel est le cas du port illégal de décoration réglementée (art. 433-14 du Code pénal), de l’ouverture illégale d’un débit de boissons ou du délit d’abandon de famille, constitué par le défaut de paiement intégral pendant plus de deux mois d’une prestation compensatoire ordonnée par décision judiciaire et qui se renouvelle à chaque fois que son auteur démontre par son comportement sa volonté de persévérer dans son attitude (Crim., 2 décembre 1998, Bull. crim. n° 362). Dans le même ordre d’idées, si le délit de corruption est une infraction instantanée consommée dès la conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu, il se renouvelle à chaque acte d’exécution du pacte, par exemple à chaque verseLARCIER

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ment effectué par le corrupteur (Crim., 27 octobre 1997, Bull. crim. n° 352 ; Crim., 12 mai 1998, Bull. crim. n° 157 pour le délit d’ingérence ou de prise illégale d’intérêts). Une hypothèse particulière se présente lorsque le même acte, constitutif d’une infraction instantanée, se renouvelle dans le temps dans les mêmes circonstances. Ainsi, si le vol est un délit instantané, il peut également se réaliser par une série d’actes successifs, par exemple dans le cas d’un vol d’eau ou d’électricité par un branchement frauduleux ou dans le cas d’un employé subtilisant régulièrement un peu d’argent de la caisse du magasin où il travaille. Doit-on considérer qu’il y a un seul vol ou une série de vols successifs ? Du fait du but unique poursuivi par leur auteur, et du fait de l’unité du droit violé, l’ensemble des faits est considéré comme une infraction unique, constituée par plusieurs actes répétés. On parle alors de délit collectif par unité de but ou d’infraction continuée et les règles applicables sont celles du délit continu ou successif. 3) Les intérêts de la distinction Les intérêts d’une telle distinction apparaissent sur différents plans. Le délai de prescription de l’action publique part du jour où les faits consommant l’infraction instantanée ont été commis. Par exemple, le faux témoignage est une infraction instantanée, qui est constituée et dont la prescription commence à courir du jour où la déposition mensongère a été faite (Crim., 17 décembre 2002, Bull. crim. n° 234). Les infractions continues et successives se prescrivent à compter du jour où l’activité délictueuse prend fin. Par exemple, pour une séquestration, ce sera le jour de la fin de celle-ci ; pour le recel, le jour où le receleur ne sera plus en possession de l’objet qu’il détenait (par exemple, Crim., 17 mai 1983, Bull. crim. n° 143 ; Crim., 28 mars 1996, Bull. crim. n° 142). Le tribunal compétent en raison du lieu de commission de l’infraction sera nécessairement unique pour les infractions instantanées. Ce sera celui dans le ressort duquel l’infraction a été commise. Pour juger les auteurs d’une infraction continue, différents tribunaux peuvent être compétents, puisque la conduite délictueuse, prolongée dans le temps, peut s’être poursuivie en des lieux différents. La loi applicable à une infraction instantanée sera, sauf loi plus douce intervenant entre la commission de l’infraction et le jugement définitif, celle en vigueur le jour où l’infraction a été commise (Crim., 23 décembre 1925, Bull. crim. n° 359 : l’affichage irrégulier étant une infraction instantanée, les faits d’affichage effectués antérieurement à un arrêté d’interdiction ne sauraient être réprimés ; Crim., 5 septembre 1995, Bull. crim. n° 269 pour l’importation illicite de stupéfiants en bande organisée). S’agissant d’une infraction continue, puisque l’action se prolonge dans le temps, la loi applicable sera celle en vigueur le jour où l’activité délictueuse prend fin, même si cette loi a succédé durant la commission de l’infraction à une loi plus douce. La loi française est applicable, dans le cas d’un délit continu, si l’infraction est en partie commise en France (Crim., 23 février 2000, Bull. crim. n° 83 pour une soustraction de mineur débutant à l’étranger et se poursuivant en France). L’autorité de la chose jugée, règle selon laquelle il n’est pas possible de juger deux fois une personne pour la même infraction, empêche l’engagement de nouvelles poursuites à l’égard de l’infraction instantanée définitivement 132

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jugée, même dans l’hypothèse où l’infraction est permanente, si les effets matériels de l’infraction demeurent après le jugement (Crim., 29 octobre 1963, Bull. crim. n° 296). Par contre, tant que l’activité délictueuse demeure, de nouvelles poursuites sont possibles à l’égard de l’auteur d’une infraction continue ou successive qui se poursuit ou se renouvelle après une première condamnation (Crim., 31 mars 1926, Bull. crim. n° 108 ; Crim., 2 décembre 1998, Bull. crim. n° 362 pour le délit d’abandon de famille résultant du défaut de paiement d’une pension alimentaire ; Crim., 10 avril 1930, Bull. crim. n° 119 pour la non-représentation d’enfant). Un autre intérêt de cette distinction se rencontre sur le terrain de la complicité. Celle-ci n’est en effet pas constituée si, en l’absence d’un accord antérieur à l’infraction, l’aide ou l’assistance est apportée postérieurement à la réalisation de l’infraction (voir p. 192). Dans ces conditions, en présence d’une infraction instantanée entièrement consommée, l’aide apportée ultérieurement ne peut pas être retenue au titre de la complicité (Crim., 4 mai 2000, Bull. crim. n° 178 pour l’évasion par assimilation résultant de la non-réintégration de l’établissement pénitentiaire à l’issue d’une permission de sortir, infraction instantanée et non continue). Enfin, et de la même manière, l’amnistie des infractions continues ne joue pas pour l’activité délictueuse qui se prolonge après l’intervention de la loi d’amnistie (Crim., 26 septembre 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 154 pour une publicité illicite en faveur du tabac).

C) Unicité et pluralité d’actes 1) Les infractions simples, les infractions complexes et les infractions d’habitude L’infraction simple s’oppose aux infractions complexes, en ce sens qu’elle n’est réalisée que par un seul acte, au contraire des infractions complexes qui nécessitent la réalisation de plusieurs actes, soit distincts dans le cas de l’infraction complexe proprement dite, soit identiques dans le cas de l’infraction d’habitude. L’infraction simple est constituée d’un acte matériel unique, qu’il soit instantané ou continu, qu’il soit une action ou une omission. Le vol est, par exemple, constitué par la seule soustraction de la chose d’autrui. À l’inverse, l’infraction complexe nécessite, pour qu’elle soit constituée, plusieurs actes matériels distincts, de nature différente. Ainsi, l’escroquerie exige à la fois des manúuvres frauduleuses et la remise de la chose frauduleusement obtenue (art. 313-1 du Code pénal). Les infractions d’habitude supposent l’accomplissement de plusieurs actes, mais cette fois semblables, identiques. Chacun de ces actes pris isolément ne constitue pas une infraction mais, du fait de leur répétition, constitutive de l’habitude, l’ensemble de ces actes constitue une infraction. C’est le cas, par exemple, de l’exercice illégal de la médecine (art. L. 4161-1 et L. 4161-5 du Code de la santé publique). Pour que l’infraction d’habitude soit réalisée, au moins deux actes semblables sont nécessaires, même à l’égard d’une seule et même personne. LARCIER

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2) Les intérêts de la distinction Les intérêts de la distinction apparaissent sur trois plans. D’abord, plusieurs tribunaux pourront être compétents pour juger l’infraction complexe ou d’habitude, dès lors que les actes ont été accomplis en des lieux différents. Ensuite, le délai de prescription de l’action publique part à compter du jour de la réalisation du dernier acte constitutif de l’infraction complexe ou d’habitude, puisque l’infraction est entièrement réalisée à ce moment, et non à compter du premier acte, et ce quel que soit le délai écoulé entre les différents actes. Enfin, la loi pénale applicable est celle en vigueur le jour du dernier acte constitutif de l’infraction complexe ou d’habitude, même si cette loi, entrée en vigueur postérieurement à l’accomplissement du premier acte, est plus sévère.

§ 2.

Le résultat

Le résultat doit être entendu comme la conséquence dommageable de l’acte matériel commis. Le plus souvent, ce résultat s’analyse comme un préjudice pour la victime de l’infraction : parfois un préjudice matériel, tel un dommage corporel, une infirmité consécutive à des violences, ou un appauvrissement, comme dans le vol ou l’escroquerie ; parfois un préjudice moral, telle l’atteinte à l’honneur, comme dans la diffamation. Ce résultat est parfois exigé par les textes en tant qu’élément constitutif de l’infraction : l’infraction est alors dite matérielle, par opposition aux infractions formelles, réalisées indépendamment d’un résultat.

A) Les infractions matérielles 1) Caractères et détermination du résultat L’expression « infraction matérielle » peut revêtir deux significations. La première, que nous retrouverons lors de l’étude de l’élément moral (voir p. 163), est celle de l’infraction constituée sans que la preuve d’une faute soit exigée. L’acception envisagée ici est fondée sur le résultat, les conséquences de l’acte matériel. Si un résultat dommageable est exigé pour que l’infraction soit consommée, l’infraction est dite matérielle. Le résultat est alors un élément constitutif de l’infraction et l’infraction n’est consommée que par la réalisation du dommage. Ainsi, le meurtre et l’homicide involontaire ne sont constitués qu’au jour du décès de la victime (Crim., 4 novembre 1999, Bull. crim. n° 248, pour une contamination par le virus du SIDA d’origine transfusionnelle). Le délit de pollution des eaux, prévu par l’article L. 216-6 du Code de l’environnement, suppose que les substances jetées, déversées ou écoulées aient entraîné, même provisoirement, des effets nuisibles sur la santé, des dommages à la flore ou à la faune, des modifications du régime normal d’alimentation en eau ou des limitations d’usage des zones de baignade (Crim., 26 février 2002, Bull. crim. n° 45). Parfois, l’ampleur du préjudice, tel que fixé par la loi, détermine les peines applicables à l’auteur des faits. C’est le cas en particulier des violences volon134

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taires et des blessures par imprudence. Le préjudice (décès, infirmité permanente ou mutilation, incapacité totale de travail supérieure ou inférieure à une durée légale) détermine l’infraction commise et les peines encourues (voir tableau p. 85). 2) Lien de causalité entre l’acte et le résultat Lorsqu’un résultat est exigé pour que l’infraction se réalise, il est nécessaire d’établir un lien de causalité entre l’acte matériel et le résultat exigé. Le résultat dommageable doit être la conséquence de l’acte commis et le lien de causalité doit être certain (par exemple, Crim., 20 novembre 1996, Bull. crim. n° 417 : une simple perte de chance de survie ne suffit pas à constituer le délit d’homicide involontaire). Inversement, aucune responsabilité pénale ne peut être retenue si la cause du dommage réside exclusivement dans la faute de la victime ou dans le fait de la nature (force majeure). Une difficulté se présente cependant en cas de causes multiples, lorsque plusieurs facteurs ont contribué à réaliser le dommage. Par exemple, si un passant, heurté par le véhicule d’un conducteur imprudent, décède à l’hôpital, mais qu’il s’avère que le médecin de garde a été négligent, qui doit être poursuivi pour homicide involontaire ? Le conducteur, le médecin, les deux ? Faut-il également les condamner s’il apparaît que la victime a elle-même commis une faute, en traversant la chaussée en dehors d’un passage protégé ? Deux approches principales sont possibles. Selon une première thèse, extensive, celle de l’équivalence des conditions, tous les événements sont considérés comme équivalents dans la réalisation du résultat, car si un seul manquait, le dommage ne se serait pas produit. Chacune des causes peut être retenue à titre isolé. En vertu de la seconde thèse, restrictive, celle de la causalité adéquate, seules sont prises en considération les causes normales du dommage, et non les causes liées à un concours de circonstances. La jurisprudence retient classiquement la thèse de l’équivalence de conditions, c’est-à-dire la conception extensive et sévère, particulièrement lorsqu’elle est en présence d’homicide ou de blessures par imprudence (Crim., 15 février 1956, Bull. crim. n° 163 ; Crim., 10 octobre 1956, Bull. crim. n° 622 ; Crim., 7 février 1973, Bull. crim. n° 72 ; Crim., 13 octobre 1980, Bull. crim. n° 256 ; Crim., 24 janvier 1989, Bull. crim. n° 27 ; Crim., 18 octobre 1995, Bull. crim. n° 314 ; Crim., 14 février 1996, Bull. crim. n° 78). Est dès lors punissable toute personne dont la faute a concouru à la réalisation du dommage. Selon cette jurisprudence, il n’est pas exigé que la faute du prévenu ait été la cause directe ou immédiate ni exclusive du dommage. Dans ces conditions, celui qui, par sa faute personnelle, a été à l’origine du dommage, reste pénalement responsable même s’il n’a pas été la cause exclusive du dommage : la faute concurrente d’un tiers ne saurait l’exonérer, de même que la faute de la victime (Crim., 19 mai 1958, Bull. crim. n° 395 ; Crim., 30 octobre 1995, Droit pénal 1996, comm. n° 78 ; Crim., 30 juin 1998, Bull. crim. n° 210, JCP 1999, II, 10067, note Chevalier ; Crim., 4 août 1998, Bull. crim. n° 223 ; Crim., 23 septembre 1998, RSC 1999, n° 2, chron. p. 321). Par exemple, en matière médicale, les différents membres d’une équipe soignante (voire également le chef de service ou le directeur de l’établissement hospitalier) peuvent être déclarés pénalement responsables d’un homicide involontaire dès lors qu’il peut être retenu une faute à l’encontre de chacun LARCIER

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d’entre eux (par exemple, Crim., 19 février 1997, Bull. crim. n° 67 ; Crim., 26 février 1997, JCP 1997, II, 22889, note Chevallier ; 26 mars 1997, Bull. crim. n° 123 ; Crim., 21 octobre 1998, Bull. crim. n° 270). De plus, la jurisprudence a parfois déclaré responsables plusieurs personnes ayant commis une faute, bien qu’il soit difficile, sinon impossible, d’établir laquelle a été la cause certaine du dommage. Par exemple, dans le cas de deux chasseurs tirant par imprudence en direction d’une autre personne, blessée par un des coups, il n’y a pas de causalité démontrée entre chacune des fautes et le dommage, mais les deux chasseurs sont condamnés. Il en est de même dans les accidents de la circulation impliquant plusieurs automobilistes, sans que l’on puisse savoir quel véhicule a été la cause déterminante de la mort (Crim., 23 mars 1994, Bull. crim. n° 112 ; Crim., 4 novembre 1998, RSC 1999, n° 2, chron. p. 323 ; voir p. 186). Le principe de l’équivalence des conditions a été partiellement remis en cause par la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Celle-ci a en effet introduit à l’article 121-3 du Code pénal un alinéa qui dispose que, pour les infractions non intentionnelles, « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer » (voir p. 154). Pour les infractions non intentionnelles, lorsque le comportement d’origine a été la cause (exclusive ou non) indirecte du dommage, que le lien de causalité n’est pas immédiat mais distant, la responsabilité de son auteur ne pourra être engagée que s’il a commis une faute d’une certaine ampleur. Autrement dit : – lorsque le lien de causalité est direct, toute faute engage la responsabilité de son auteur ; – lorsque le lien de causalité est indirect, seule une faute caractérisée et exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qui ne pouvait être ignoré est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur (ou une faute de mise en danger délibérée de la personne d’autrui, qui, par définition, remplit cette condition). Cette disposition ne concerne cependant que les personnes physiques. Pour les personnes morales, la théorie de l’équivalence des conditions demeure valable (voir p. 157).

B) Les infractions formelles Au contraire des infractions matérielles, les infractions formelles sont punissables indépendamment de leur résultat, c’est-à-dire même si le résultat voulu par l’auteur n’a pas été obtenu. Par exemple, l’empoisonnement d’une personne est réalisé par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort, même si aucun résultat ne se produit, donc même si la personne empoisonnée ne décède pas (art. 221-5 du Code pénal). L’omission de porter secours à une personne est punissable, 136

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même si la personne en péril a été sauvée par d’autres moyens. La publicité mensongère est acquise même si aucun consommateur n’a été induit en erreur (Crim., 30 mai 1989, Bull. crim. n° 226 ; 26 juin 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 143). L’existence d’un préjudice n’est pas non plus un élément constitutif du délit de contrefaçon ou falsification de chèque (Crim., 8 janvier 2003, Bull. crim. n° 4). La propagande ou la publicité en faveur de produits, d’objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort est punie même si aucune personne ne s’est suicidée ou n’a tenté de se suicider par ces moyens. L’exécution de fouilles archéologiques sans autorisation est punissable indépendamment du résultat de la recherche, donc même si aucun objet ou vestige n’est découvert. De même, l’infraction de corruption de fonctionnaire est constituée par le seul fait de « proposer » à celui-ci des offres, des promesses, des dons, des présents ou avantages pour obtenir un service, donc même en l’absence d’acceptation de la proposition (art. 433-1 du Code pénal ; pour une application : Crim., 20 mars 1997, Bull. crim. n° 117). La fabrication de fausse monnaie est punissable même sans émission ou mise en circulation (art. 442-1 du Code pénal). Le délit de harcèlement sexuel est constitué même si aucune relation sexuelle n’est consentie par la victime. Dans la plupart de ces hypothèses, il s’agit en réalité d’actes de tentative que la loi a érigés en délits consommés. Sont à rapprocher les « délits-obstacles » qui consistent en un comportement dangereux que le législateur érige en infraction autonome pour prévenir la commission d’une autre infraction ou la survenance d’une conséquence dommageable, comme la conduite en état alcoolique ou en état d’ivresse (art. L. 234-1 du Code de la route), le port d’arme interdit (art. L. 2339-9 du Code de la défense) ou le délit de risques causés à autrui (art. 223-1 du Code pénal). Ces infractions sont sanctionnées en l’absence de tout résultat préjudiciable (voir également p. 189 pour les actes de provocation érigés en infraction). SECTION II

L’infraction inachevée : la tentative Pour que l’infraction soit punissable, il n’est pas toujours nécessaire que l’acte matériel ait été mené jusqu’à son terme et ait produit le résultat dommageable éventuellement exigé. Mais à partir de quel moment et sous quelles conditions la loi pénale doit-elle intervenir et sanctionner la matérialisation de l’infraction ? Le processus criminel se décompose en plusieurs étapes successives. Dans une phase interne, se succèdent la pensée criminelle, le désir de commettre l’infraction et enfin la résolution criminelle, autrement dit la décision de la mener à bien. Dans une phase externe, interviennent la préparation de l’infraction, par exemple l’étude des lieux ou l’achat d’une arme, puis son exécution ; enfin, éventuellement, un résultat dommageable est produit. Si l’exécution de l’infraction est parfaite, par exemple si la victime d’un meurtre décède, l’infraction est dite consommée. Si, pour un motif quelconque, les agissements criminels sont interrompus avant ce stade, l’infraction est seulement tentée. Mais il importe de définir dans quelles conditions la tentative est pénalement sanctionnée. LARCIER

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§ 1.

Les éléments de la tentative

La tentative est ainsi définie à l’article 121-5 du Code pénal : « La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a pas été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. » Deux conditions sont donc exigées pour que la tentative soit punissable, à savoir un commencement d’exécution et l’absence de désistement volontaire.

A) Le commencement d’exécution 1) La distinction entre l’acte préparatoire et le commencement d’exécution La pensée criminelle, la simple intention de commettre une infraction ne sont pas punissables, même au titre de la tentative. Le commencement d’exécution ne saurait donc être qu’un acte matériel. Toutefois, en pratique, les actes matériels peuvent revêtir deux formes : il peut s’agir d’actes préparatoires ou d’actes d’exécution. Aux termes de l’article 121-5, seuls les actes d’exécution sont susceptibles de constituer la tentative punissable. Les actes préparatoires ne sont donc pas punissables sur le plan de la tentative car, à ce stade, le délinquant pourra toujours renoncer à son entreprise criminelle sans avoir causé de dommages et parce que la preuve de l’intention criminelle au travers d’un acte préparatoire est délicate : un individu peut acheter une arme à feu pour commettre une infraction (et encore ne sera t-il pas aisé de définir laquelle : un meurtre, un vol ?…) mais tout aussi bien pour se suicider, garnir sa collection ou tirer sur des boîtes de conserve ! Cependant, la distinction de l’acte préparatoire du commencement d’exécution est parfois délicate. Deux conceptions sont possibles pour les distinguer. Selon la conception objective, le commencement d’exécution révèle par luimême le délit. Il s’agira donc d’actes qui font partie de l’infraction, soit en tant qu’élément constitutif, soit en tant que circonstance aggravante. Ainsi, dans le cas d’un vol, il s’agira par exemple du fait de poser la main sur l’objet, élément matériel constitutif du vol (art. 311-1 du Code pénal) ou du fait d’entrer dans un lieu par effraction, qui est une circonstance aggravante du vol (art. 311-4 du Code pénal). Selon la conception subjective, le commencement d’exécution révèle l’intention de l’individu de commettre l’infraction. Le critère utilisé est donc psychologique. Il y aura acte d’exécution et pas seulement acte préparatoire, lorsqu’il apparaîtra que le délinquant était résolu à commettre une infraction déterminée et à aller jusqu’au bout, si rien ne l’en avait empêché. Selon la jurisprudence, le commencement d’exécution est caractérisé par « l’acte qui doit avoir pour conséquence directe et immédiate de consommer l’infraction, celle-ci étant entrée dans sa période d’exécution » (Crim., 25 octobre 1962, Bull. crim. n° 292 et 293 ; Crim., 18 août 1973, Bull. crim. n° 339 ; Crim., 3 mai 1974, Bull. crim. n° 157) ou encore par « l’acte qui tend directement au délit avec l’intention de le commettre » (Crim., 5 juillet 1951, Bull. crim. n° 198 ; Crim., 29 décembre 1970, Bull. crim. n° 356 ; Crim., 8 novembre 1972, Bull. crim. n° 331 ; Crim., 2 mai 1974, Bull. crim. n° 156 ; Crim., 11 juin 1975, Bull. crim. n° 150). La jurisprudence exige donc deux éléments, l’un subjectif et l’autre objectif. 138

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L’élément subjectif est constitué par l’intention irrévocable de l’agent de commettre l’infraction. Cela explique en particulier qu’un même acte puisse très bien être considéré tantôt comme non constitutif d’une tentative punissable, tantôt comme un acte d’exécution. L’élément objectif est constitué par la proximité de l’acte d’exécution avec la consommation de l’infraction. S’il n’est pas nécessaire que l’acte soit un élément constitutif de l’infraction ou une circonstance aggravante de celle-ci, il faut cependant qu’il soit en rapport direct avec l’infraction. Le commencement d’exécution est donc forcément constitué d’un acte univoque, qui ne laisse aucun doute sur l’intention de l’auteur de commettre l’infraction. 2) Applications La jurisprudence est bien entendu abondante, et l’on se contentera de rapporter les exemples les plus révélateurs. Constitue par exemple un commencement d’exécution de vol, le fait de s’approcher d’une entreprise avec des instruments d’effraction et d’éprouver la solidité des barreaux d’une fenêtre (Crim., 5 juillet 1951, Bull. crim. n° 198) ; le fait d’attendre des convoyeurs de fonds dans leur tournée et de se poster en embuscade avec véhicules, armes, faux nez, foulards (Crim., 29 décembre 1970, Bull. crim. n° 356) ; le fait, pour des individus armés et encagoulés de s’approcher d’un bureau de poste en se tenant courbés (Crim., 19 juin 1979, Bull. crim. n° 219) ; le fait d’entrer par effraction dans un véhicule en stationnement et de s’installer au volant avant même d’avoir mis le véhicule en marche (Crim., 28 octobre 1959, Bull. crim. n° 455) ; ou encore le fait, dans un magasin libre-service, de dissimuler des objets de valeur dans un baril de lessive (Crim., 3 janvier 1973, Gaz. Pal. 1973, 1, 290). Le fait de s’asseoir en état d’ébriété au volant de sa voiture et de s’efforcer de la mettre en marche pour partir constitue un commencement d’exécution du délit de conduite en état d’ivresse (Crim., 2 février 1961, Bull. crim. n° 71). Constitue un commencement d’exécution d’évasion, le fait pour un détenu de scier un barreau (Crim., 11 juin 1975, Bull. crim. n° 150) et un commencement d’exécution du délit de connivence à évasion la recherche d’un pilote d’hélicoptère acceptant de poser son appareil dans la cour d’une prison (Crim., 3 septembre 1996, Droit pénal 1997, comm. n° 17). Constitue un commencement d’exécution de trafic de stupéfiants, le fait de négocier avec un individu en vue de l’achat de stupéfiants (Crim., 18 août 1973, Bull. crim. n° 339). Constitue un commencement d’agression sexuelle, les manúuvres consistant, par un individu se prétendant médecin, à attirer dans un appartement une jeune femme à la recherche d’un emploi et à lui demander de se déshabiller pour subir un examen médical présenté comme un préalable légal obligatoire à son embauche (Crim., 14 juin 1995, Bull. crim. n° 222). Constitue un commencement d’exécution de tromperie, le fait pour un vendeur d’exposer des véhicules à la vente avec de fausses indications ou avec un compteur kilométrique manipulé (Crim., 5 juin 1984, Bull. crim. n° 212). Constitue une tentative d’empoisonnement, dont on sait qu’il s’agit d’une infraction formelle, le fait de jeter du poison dans un puits (Crim., 5 février 1958, Bull. crim. n° 126). LARCIER

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Constitue un commencement d’exécution d’une escroquerie à l’assurance, le fait de déclarer à l’assureur, en vue d’une indemnité, un incendie ou un accident fictif ou volontairement provoqué (par exemple, Crim., 14 juin 1977, Bull. crim. n° 215 ; Crim., 22 février 1996, Bull. crim. n° 89). Par contre, ne constitue pas un commencement d’exécution d’une escroquerie à l’assurance, la destruction volontaire d’un bien assuré en l’absence d’une demande d’indemnité auprès de l’assureur (Crim., 27 mai 1959, Bull. crim. n° 282 ; Crim., 22 mai 1984, Bull. crim. n° 187).

B) L’absence de désistement volontaire Le commencement d’exécution ne suffit pas pour qu’il y ait tentative punissable. Il faut en outre, aux termes de l’article 121-5 du Code pénal, que l’exécution ait été suspendue ou ait manqué son effet en raison de « circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ». Au contraire, il n’y aura pas tentative punissable lorsque la personne, après un commencement d’exécution, renonce volontairement à accomplir l’acte. Schématiquement, la non-consommation de l’infraction sera indépendante de la volonté du délinquant dans trois hypothèses : du fait de l’intervention d’un événement extérieur (le désistement, l’interruption involontaire), du fait de l’échec de l’action criminelle (l’infraction manquée), du fait de l’impossibilité que l’infraction ne se réalise (l’infraction impossible). 1) Le désistement involontaire L’infraction dont l’exécution est stoppée ne sera pas punissable au titre de la tentative si, d’une part le désistement est antérieur à la consommation de l’infraction et si, d’autre part, ce désistement est volontaire. a) Antériorité du désistement et repentir actif

Le désistement doit intervenir avant que l’infraction n’ait été consommée. En d’autres termes, l’individu doit interrompre son action avant la réalisation de l’infraction. Ce désistement doit donc être distingué du repentir actif, par lequel l’auteur d’une infraction essaie d’en réparer les conséquences. Ce sera, par exemple, restituer la chose que l’on a volée ou les sommes que l’on a escroquées, soigner la personne que l’on a blessée, indemniser la victime ou encore fournir des renseignements postérieurement à une publicité mensongère (Crim., 30 mai 1989, Bull. crim. n° 225). Postérieur à la consommation de l’infraction, le repentir ne produit aucun effet en ce qui concerne les éléments constitutifs de l’infraction et une condamnation reste possible. Les seules conséquences se feront sentir sur le terrain de la peine, puisque, en pratique, le juge prendra en compte le repentir actif pour atténuer celle-ci. La loi prévoit d’ailleurs expressément la possibilité d’une exemption ou d’une diminution de peine pour certaines infractions en cas de repentir actif (par exemple, pour la dénonciation d’actes terroristes – art. 422-1 et 422-2 du Code pénal –, d’un trafic de stupéfiants – art. 222-43 et 222-43-1 du Code pénal –, ou d’une association de malfaiteurs – art. 450-2 du Code pénal ; voir p. 286 et 300). Un intérêt de la distinction entre les infractions matérielles et les infractions formelles apparaît ici. Les infractions matérielles sont celles qui ne sont 140

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consommées que lorsqu’un résultat s’est produit. Ainsi, le meurtre n’est consommé que par la mort de la victime. Pour ces infractions matérielles, le désistement peut intervenir tant que ce résultat n’est pas réalisé. Les infractions formelles sont celles qui sont consommées indépendamment de tout résultat et sont assimilables à des actes de tentative érigés en infraction distincte. Dès lors, le désistement doit intervenir particulièrement tôt. L’empoisonnement étant réalisé par le seul fait d’administrer à quelqu’un des substances pouvant donner la mort (art. 221-5 du Code pénal), et ce quelles que soient les suites de l’administration des substances, si l’auteur d’un empoisonnement donne à la victime un antidote ou appelle les secours, il n’y a pas désistement antérieur à l’achèvement de l’action mais simple repentir actif. L’infraction est en effet déjà consommée. b) Caractère volontaire ou non du désistement

Il n’y a pas tentative punissable lorsque le désistement, autrement dit l’interruption de l’action criminelle, est volontaire, spontané (par exemple, CA Douai, 6 mai 2003, Droit pénal 2003, comm. n° 122 : la tentative d’évasion n’est pas constituée lorsque des détenus, ayant commencé à creuser le béton de leur cellule, viennent avouer leur forfait au surveillant). Il doit résulter de la volonté libre de l’auteur, quel qu’en soit le motif : la peur, le remords, la pitié. Cependant, si le désistement est dû à une cause extérieure, il est alors involontaire et la tentative demeure punissable. Ces événements extérieurs qui interrompent l’action criminelle sont divers. Il peut s’agir de l’arrivée de la police (Crim., 2 février 1961, Bull. crim. n° 71 ; Crim., 27 mars 1968, Bull. crim. n° 107 ; Crim., 23 juillet 1969, Bull. crim. n° 234 ; Crim., 19 juin 1979, Bull. crim. n° 219) ou d’un tiers, de la présence imprévue de personnes sur le lieu où devait se commettre l’infraction (Crim., 5 juillet 1951, Bull. crim. n° 198), d’un mouvement de gardiens dissuadant un détenu de s’évader (Crim., 11 juin 1975, Bull. crim. n° 150), d’un manque de coordination avec les complices (Crim., 7 septembre 1993, Bull. crim. n° 262), ou encore de la résistance et les appels au secours de la victime (Crim., 26 avril 2000, Droit pénal 2000, comm. n° 137). Constitue encore un désistement involontaire… la « déficience momentanée » de l’individu qui entreprend de violer sa victime (Crim., 10 janvier 1996, Bull. crim. n° 14). Parfois, le caractère volontaire ou involontaire du désistement est délicat à déterminer en présence de causes doubles, lorsqu’il est pour partie libre et pour partie déterminé par une cause extérieure. Ainsi, lorsque l’auteur de l’infraction prend peur et décide librement de s’arrêter, mais parce qu’il a entendu ou cru entendre un bruit. En pratique, cette question sera réglée au cas par cas, en recherchant la cause déterminante du désistement. La jurisprudence semble toutefois largement considérer que la tentative reste punissable (par exemple, Crim., 15 mai 1946, Gaz. Pal. 1946, 1, 255, pour un avortement interrompu par son auteur en raison des douleurs de la patiente ; Crim., 3 janvier 1973, Gaz. Pal. 1973, 1, 290, pour le renoncement à commettre un vol du fait de la surveillance des employés du magasin et de l’impossibilité d’avoir l’assistance d’un complice ; Crim., 29 janvier 1985, Bull. crim. n° 47, pour une tentative de viol interrompue à la suite des pleurs de la victime et de bruits dans l’escalier). LARCIER

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2) L’infraction manquée Lorsque l’acte a « manqué son effet… en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur » (art. 121-5 du Code pénal), on est en présence d’une forme de tentative punissable : l’infraction manquée. L’action s’est déroulée dans sa totalité mais le résultat recherché par l’auteur n’a pas pu être atteint, du fait par exemple de sa maladresse. Ainsi, lorsque la personne qui tente de commettre un meurtre manque sa victime ou lorsque cette dernière n’est que blessée. La tentative est alors punissable puisqu’il n’y a pas de doute sur l’intention criminelle de l’auteur. 3) L’infraction impossible L’infraction impossible est celle qui est irréalisable, soit du fait de l’inexistence de l’objet de l’infraction (par exemple le fait de mettre sa main dans une poche vide pour réaliser un vol ou l’hypothèse du meurtre d’un cadavre), soit du fait de l’inefficacité des moyens employés (par exemple, commettre un meurtre avec une arme qui s’avère inoffensive ou avec une arme non chargée). L’infraction ne pouvait de toute façon réussir, le résultat escompté par l’auteur étant impossible à atteindre. Doit-on prendre en compte l’impossibilité de résultat et ne pas sanctionner l’auteur de cette forme de tentative ou, au contraire, doit-on mettre l’accent sur l’intention criminelle qui ne fait pas de doute et dès lors punir l’auteur de l’infraction impossible ? En fait, l’infraction impossible est un type particulier d’infraction manquée puisque, dans un cas comme dans l’autre, il y a eu exécution complète de tous les actes matériels du délit ; si le résultat n’a pas été obtenu, c’est en raison de circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur qui ignorait l’impossibilité matérielle de commettre l’infraction. La seule différence est que dans l’infraction manquée, le résultat aurait très bien pu être atteint, alors que dans l’infraction impossible, il ne pouvait pas être matériellement obtenu. L’infraction impossible doit être considérée comme une tentative punissable, car sont réunis intention coupable, actes matériels d’exécution et absence de désistement volontaire. Parfois, la loi règle elle-même la difficulté du fait des termes de l’incrimination. L’article 317 de l’ancien Code pénal réprimait ainsi l’avortement réalisé sur la femme enceinte « ou supposée enceinte » (notion non reprise dans le nouveau Code pénal). Aux termes de l’article 221-5 du Code pénal, l’empoisonnement est réalisé par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort. Dès lors, il n’y a ni empoisonnement ni tentative d’empoisonnement en cas d’administration de substances inoffensives, même si l’agent avait l’intention de donner la mort. Dans les autres cas, la jurisprudence a une approche subjective car elle met l’accent sur l’intention de nuire et la dangerosité du délinquant. Elle assimile donc le délit impossible au délit tenté. Ont par exemple été réprimées : – la tentative de meurtre à l’aide d’un fusil non chargé ou lorsqu’un coup de fusil a été tiré dans une pièce inoccupée par la personne qui devait être abattue (Crim., 12 avril 1877, S. 1877, I, 329) ; 142

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– la tentative de meurtre alors que la victime était déjà morte, la Cour de cassation précisant qu’il n’importe, pour que soit caractérisée la tentative d’homicide volontaire, que la victime des violences fut déjà décédée, cette circonstance étant indépendante de la volonté de l’auteur, lesdites violences caractérisant un commencement d’exécution (Crim., 16 janvier 1986, Bull. crim. n° 25, affaire Perdereau, D. 1986, p. 265, note Mayer et Gazounaud ; note Pradel) ; – la tentative d’escroquerie à l’assurance par simulation d’un vol ou destruction d’un bien assuré, alors que les clauses de la police d’assurance faisaient obstacle au paiement de l’indemnité (Crim., 7 janvier 1980, Bull. crim. n° 8) ; – la tentative de vol dans une voiture vide (Crim., 14 juin 1961, Bull. crim. n° 299 ; Crim., 23 juillet 1969, Bull. crim. n° 234), dans une chambre d’hôtel vide (Crim., 19 mai 1949, Bull. crim. n° 181). Toutefois, selon la jurisprudence, la répression du délit impossible trouve une limite et il n’y a pas de tentative punissable lorsque l’acte est sans lien réel avec le résultat recherché, comme le fait de vouloir tuer quelqu’un par envoûtement ou avec un jouet d’enfant. De même, le délit « putatif », c’est-à-dire celui qui n’existe que dans l’esprit de l’auteur, n’est pas punissable, en raison de l’absence d’un élément déterminant exigé par le texte d’incrimination. L’agent croit à tort avoir commis un délit compte tenu de l’absence d’un élément exigé par la loi : on a vu qu’il n’y a pas de tentative d’empoisonnement punissable si la substance administrée est inoffensive, la loi exigeant l’emploi d’une substance mortelle. Il n’y a pas recel ni tentative de recel si on conserve une chose que l’on croit provenir d’un crime ou d’un délit alors que tel n’est pas le cas. Il n’y a pas non plus bigamie, ni tentative de bigamie, si un homme contracte un deuxième mariage alors que, sans le savoir, il est veuf. Il n’y a pas vol lorsque l’on « vole » un objet qui, en fait, vous appartient ni viol si l’on croit que son partenaire n’est pas consentant alors qu’il l’est. À plus forte raison, n’est pas punissable l’individu qui croit commettre une infraction alors qu’il a accompli un acte qui n’est pas interdit et pénalement sanctionné par la loi, l’élément légal de l’infraction faisant défaut.

§ 2.

La répression de la tentative

Pour apprécier le degré de répression de la tentative, deux conceptions sont envisageables. La conception objective met l’accent sur le trouble causé à l’ordre social. Ce trouble étant moins grave en cas de tentative que celui occasionné par une infraction consommée, l’infraction tentée ne devrait alors pas être punie, ou être punie moins sévèrement que l’infraction consommée. La conception subjective prend en compte l’intention criminelle et la dangerosité du délinquant, la matérialisation de l’infraction étant secondaire. Cette intention criminelle étant la même que si l’infraction était consommée, et l’infraction n’étant pas consommée simplement du fait de circonstances extérieures, la sanction pénale doit être identique. La conception adoptée par le droit pénal français (art. 121-4 du Code pénal) est une conception intermédiaire. D’une part, en ne réprimant que la tentative des infractions les plus graves, le Code pénal exige un certain trouble social. LARCIER

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D’autre part, en posant le principe que l’auteur de la tentative est réprimé comme l’auteur de l’infraction consommée, le Code sous-entend que l’intention criminelle est l’élément déterminant de la répression.

A) La nature de l’infraction tentée : un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit L’article 121-4 du Code pénal dispose qu’« est auteur de l’infraction la personne qui : « 1° commet les faits incriminés ; « 2° tente de commettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit ». D’une façon générale, la tentative est donc toujours punissable en matière criminelle. Elle n’est punissable en matière délictuelle que dans les cas prévus par la loi, ce qui est en pratique souvent le cas. Par exemple, le vol (art. 311-1 et suivants du Code pénal), puisque l’article 311-13 dispose que « la tentative des délits prévus au présent chapitre est punie des mêmes peines ». Mais en l’absence de disposition expresse, la tentative de délit n’est pas punissable, comme dans le cas de l’abus de confiance, de l’abus de biens sociaux ou de la banqueroute (par exemple, Crim., 7 avril 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 99). Enfin, la tentative de contravention n’est jamais punissable. La loi a donc exclu de punir la tentative pour les infractions les moins graves. De plus, la nature de certaines infractions fait parfois obstacle à la notion de tentative, laquelle suppose la volonté de commettre l’acte. La tentative est donc par principe exclue pour les infractions commises par négligence ou imprudence qui supposent que le résultat n’a pas été recherché. C’est le cas de l’homicide et de l’atteinte à l’intégrité de la personne par imprudence ou négligence (art. 221-6 et 222-19 du Code pénal).

B) La sanction de la tentative punissable D’une façon classique, la tentative est punissable comme l’infraction consommée. C’est le principe de l’assimilation, posé à l’article 121-4 du Code pénal. L’auteur d’une tentative est donc passible des mêmes peines principales et complémentaires que celles encourues en cas de consommation du crime ou du délit. Cette règle, si elle peut paraître choquante de prime abord, s’explique par un souci d’intimidation. L’individu a en outre manifesté la même intention coupable que celui qui serait allé jusqu’au bout, et lui-même aurait exécuté son projet s’il n’avait pas arrêté son action ou manqué son but, par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. L’accent est donc porté sur l’aspect subjectif, la puissance de nuire et l’intention criminelle de l’auteur, plus que sur l’aspect objectif, l’acte matériel proprement dit. En pratique, le juge peut bien entendu modérer la sanction et, en règle générale, il ne prononcera pas la même peine contre l’auteur d’une tentative qu’à l’encontre de l’auteur de l’infraction consommée. 144

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Droit pénal général


CHAPITRE 4

L’élément moral de l’infraction Toute infraction suppose, outre un élément légal et un élément matériel, un élément intellectuel, appelé élément moral et constitué par une faute. Cette faute, commune à toutes les infractions, peut être largement définie comme un manquement à un devoir. Mais la réalité dissimule une hiérarchie des fautes dont fait état l’article 121-3 du Code pénal : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »

SECTION I

Définition des différentes fautes La distinction majeure est celle qui oppose les infractions intentionnelles aux infractions non intentionnelles.

§ 1.

La faute dans les infractions intentionnelles

Le législateur ne donne pas de définition de l’intention, notion pourtant posée à l’article 121-3 alinéa 1er. Lorsqu’il rédige le texte d’une infraction intentionnelle, il use généralement de termes divers, tels que « volontairement », « sciemment », « à dessein », « frauduleusement », « de mauvaise foi », terLARCIER

L’élément moral de l’infraction CHAPITRE 4

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mes qui recouvrent la même notion. Ils mettent l’accent sur le même élément subjectif : l’intention, également appelée le dol.

A) La notion de dol L’intention coupable est caractérisée du seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel de l’infraction (par exemple, Crim., 21 novembre 2001, Bull. crim. n° 243, 2e arrêt ; Crim., 27 novembre 2002, Bull. crim. n° 213). L’intention doit donc être entendue comme l’intention de violer la loi pénale, c’est-à-dire comme la volonté de commettre l’infraction considérée, comme la volonté d’accomplir l’acte constituant l’élément matériel de l’infraction (l’intention pouvant être exigée pour des infractions par commission comme pour des infractions par omission). Elle implique que l’auteur de l’infraction savait que le comportement était interdit par la loi et pénalement sanctionné (par exemple, tuer ou ne pas prendre des mesures contre un sinistre dangereux pour les personnes ; cette connaissance de la loi est présumée) et qu’il ait pourtant volontairement décidé d’adopter ce comportement (commettre l’acte qu’il savait interdit par la loi pénale ou s’abstenir d’accomplir l’acte qu’elle imposait). C’est en connaissance de cause et de plein gré qu’il a violé la loi pénale. On dit parfois que le dol est la volonté tendue vers un but illicite. On oppose au dol général, défini comme la volonté d’accomplir un acte interdit par la loi pénale et qui est le dénominateur commun à toutes les infractions intentionnelles, le dol spécial, lorsque la loi pose comme condition de la constitution de l’infraction l’intention de l’agent de parvenir à un résultat particulier (dans le meurtre, il s’agit de la volonté de tuer ; pour la destruction des biens, la volonté de détruire ; pour l’abandon moral de mineur, la conscience de se soustraire à ses obligations légales : Crim., 21 octobre 1998, Bull. crim. n° 274 ; pour le délit de délaissement de personne incapable de se protéger, la volonté d’abandonner définitivement la victime : Crim., 23 février 2000, JCP 2000, IV, 2006 ; 13 novembre 2007, Droit pénal 2008, comm. n° 17) ou exige de l’agent qu’il soit animé d’un mobile particulier. Dès lors, si l’auteur des faits n’était pas animé de l’intention de causer le résultat posé par la loi, l’infraction intentionnelle n’est pas constituée. C’est par exemple le cas de celui qui frappe mortellement une personne sans vouloir la tuer : n’ayant pas « volontairement » donné la mort à autrui, on ne saurait le condamner pour meurtre (Crim., 23 août 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 151). De même, celui qui ramasse un objet perdu pour le ramener à son véritable propriétaire ne commet pas de vol. Il n’est pas animé de l’intention de s’approprier le bien d’autrui. En présence d’une infraction intentionnelle, la juridiction doit donc constater le caractère délibéré des actes reprochés (par exemple, Crim., 2 juillet 1998, Bull. crim. n° 211, pour l’empoisonnement ; Crim., 6 février 2001, JCP 2001, IV, 1841 ; 6 février 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 73, pour les violences volontaires ; Crim., 8 novembre 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 58, pour le délit de mise en circulation ou de détention de fausse monnaie, qui suppose la connaissance de la contrefaçon ou de la falsification ; Crim., 7 septembre 2004, Droit pénal 2004, comm. n° 180, pour le faux). Toutefois, dans les domaines techniques qui font l’objet de réglementations précises, tels l’urbanisme, le droit de l’environnement ou le droit du travail, cette intention est le plus souvent présumée et se déduit de l’exécution matérielle des faits, la Cour de cassa146

PARTIE II L’infraction pénale

Droit pénal général


tion affirmant que « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention exigée par l’article 121-3 du Code pénal » (par exemple, Crim., 25 mai 1994, Bull. crim. n° 203 ; Crim., 12 juillet 1994, Bull. crim. n° 280 ; Crim., 19 mars 2002, Droit pénal 2002, comm. n° 87 ; Crim., 7 janvier 2003, Bull. crim., n° 1 ; Crim., 28 juin 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 140 ; Crim., 20 janvier 2009, Droit pénal 2009, comm. n° 53). Or, comme nul n’est censé ignorer la loi, il n’est pas possible d’invoquer l’ignorance de celle-ci ou le fait de ne pas avoir procédé aux vérifications nécessaires pour justifier la violation du texte (par exemple, Crim., 30 novembre 1999, Bull. crim. n° 284, pour le délit d’entrave aux fonctions de conseiller des prud’hommes). Dans ces matières, l’intention est dès lors largement présumée.

B) La distinction entre l’intention et les mobiles En règle générale, l’intention criminelle suffit pour réaliser l’élément moral de l’infraction, quels que soient les mobiles qui ont animé son auteur. Toutefois, il arrive que la loi pénale sanctionne spécifiquement celui qui non seulement commet l’infraction volontairement, mais qui, en outre, est animé par certains mobiles. 1) Le principe de l’indifférence des mobiles Les mobiles sont les raisons personnelles qui ont incité l’agent à commettre l’infraction. Ces raisons sont diverses et varient, pour une même infraction, suivant les individus et les circonstances. Ainsi, celui qui commet un meurtre peut être animé par la vengeance, la haine, la jalousie, la colère, la cupidité, le fanatisme politique ou religieux… voire par la compassion, dans le cas de l’euthanasie. Ces mobiles, variables, ne sont pas pris en considération par la loi pénale pour que soit constituée l’infraction intentionnelle qu’est le meurtre. Seule compte l’intention de tuer, élément psychologique nécessaire et suffisant du meurtre, le mobile n’emportant aucune conséquence sur le terrain de la constitution de l’infraction. On dit alors que le mobile est juridiquement indifférent à la répression. Dans ces conditions, dans le silence de la loi, le médecin qui, animé par des considérations morales, met fin aux souffrances d’un patient, n’en commet pas moins un meurtre. Celui qui « prend aux riches pour donner aux pauvres » est coupable d’un vol, de même que le salarié qui photocopie ou emporte des documents de l’entreprise dans le but d’éviter son licenciement ou d’assurer sa défense (Crim., 8 décembre 1998, Bull. crim. n° 336 ; Crim., 16 mars 1999, JCP 1999, II, 10166). Le pharmacien qui refuse de délivrer des médicaments contraceptifs au nom de convictions personnelles reste coupable du refus de vente (Crim., 21 octobre 1998, Bull. crim. n° 273). Et on peut multiplier les exemples, dont certains reviennent périodiquement au-devant de l’actualité : squats de logement par des personnes sans domicile, menaces ou violences commises par les « commandos » anti-IVG, excisions effectuées pour respecter des traditions… Toutefois, en pratique, rien n’empêche le juge pénal de prendre en considération le mobile qui a présidé à la commission d’une infraction lors de la détermination de la peine pour adoucir la répression. Les juges, et spécialement les jurés d’assises, font preuve d’une relative indulgence face à certains mobiles, LARCIER

L’élément moral de l’infraction CHAPITRE 4

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tels ceux qui animent les « criminels passionnels ». Cette indulgence à l’égard de tels mobiles se concrétise parfois par le prononcé de peines symboliques, voire par l’acquittement, ce qui est plus contestable, puisque dès lors qu’est établie l’intention criminelle de l’auteur de l’infraction, sa culpabilité ne fait aucun doute, quels qu’aient été ses mobiles. 2) La prise en compte exceptionnelle du mobile par la loi Le mobile n’est indifférent à la répression que dans le silence de la loi. Exceptionnellement, il arrive que la loi prenne en considération les mobiles immédiats qui ont présidé à la réalisation de l’infraction, soit en tant qu’élément constitutif d’une infraction, soit comme circonstance aggravante d’une infraction. Parfois, la loi érige les mobiles en élément constitutif de l’infraction. On trouve ainsi dans le Code pénal des incriminations qui comportent la référence à l’objectif poursuivi par l’agent. C’est le cas par exemple de l’article 227-12 du Code pénal qui sanctionne celui qui provoque à l’abandon d’un enfant né ou à naître, ainsi que celui qui s’entremet entre une personne souhaitant adopter un enfant et un parent désireux d’abandonner son enfant né ou à naître, « dans un but lucratif ». De même, la participation à une activité de mercenaire est définie par l’article 436-1 du Code pénal par référence aux motivations de l’intéressé, puisqu’elle intervient nécessairement « en vue d’obtenir un avantage personnel ou une rémunération importants ». L’article 314-7 du Code pénal punit le débiteur qui organise sa propre insolvabilité « en vue de se soustraire à l’exécution d’une condamnation de nature patrimoniale prononcée par une juridiction répressive ou, en matière délictuelle, quasi délictuelle ou d’aliments, prononcée par une juridiction civile ». L’article 434-25 du Code pénal réprime le fait de « chercher à jeter le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle » par un acte, des paroles, des écrits ou une image de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance. C’est également le cas de certaines entraves à la saisine de la justice, comme la modification de l’état des lieux d’un crime ou d’un délit ou la destruction, la soustraction, le recel ou l’altération de documents « en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité » (art. 434-4 du Code pénal). Parfois, la loi prend en considération le but poursuivi par l’auteur d’une infraction en tant que circonstance aggravante de celle-ci. Les peines normalement encourues sont alors aggravées dès lors que leur auteur était animé d’un mobile spécifique, décrit par la loi. On a déjà relevé que le mobile terroriste entraînait l’aggravation des peines encourues pour certaines infractions (art. 421-1 et suivants du Code pénal). C’est également le cas du mobile raciste, défini à l’article 132-76 du Code pénal. Les peines encourues pour certains crimes et délits sont en effet aggravées lorsque les infractions sont commises « à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » : ainsi du meurtre (art. 221-4 6° du Code pénal), des tortures et actes de barbarie (art. 222-3 5° bis), des violences (art. 222-8 5° bis, 222-10 5° bis, 222-12 5° bis et 222-13 5° bis), de l’atteinte à l’intégrité d’un cadavre, de la violation ou de la profanation de tombeaux, de sépultures ou de monuments édifiés à la mémoire des 148

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Droit pénal général


morts (art. 225-18) et des actes de destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui (art. 322-2 et 322-8 3°). De même, lorsque l’infraction est commise « à raison de l’orientation sexuelle de la victime », les peines principales attachées au meurtre (art. 221-4 7° du Code pénal), aux tortures et actes de barbarie (art. 222-3 5° ter), aux violences (art. 222-8 5° ter, 222-10 5° ter, 222-12 5° ter et 222-13 5° ter), au viol et aux autres agressions sexuelles (art. 222-24 9° et 222-30 6°) sont aggravées. C’est la circonstance aggravante d’homophobie, définie à l’article 132-77 du Code pénal. Parmi les infractions dont la répression est aggravée par la présence de mobiles particuliers, on peut encore citer les tortures et actes de barbarie « sur un témoin, une victime ou une partie civile, soit pour l’empêcher de dénoncer les faits, de porter plainte ou de déposer en justice, soit en raison de sa dénonciation, de sa plainte ou de sa déposition » (art. 222-3 5° du Code pénal ; voir également art. 322-3 4° – destruction, dégradation, détérioration d’un bien appartenant à autrui – et 434-5 du Code pénal – menaces et actes d’intimidation pour empêcher une victime de porter plainte ou l’inciter à se rétracter) ou encore l’enlèvement et la séquestration d’une personne, « soit pour préparer ou faciliter la commission d’un crime ou d’un délit, soit pour favoriser la fuite ou assurer l’impunité de l’auteur ou du complice d’un crime ou d’un délit, soit pour obtenir l’exécution d’un ordre ou d’une condition, notamment le versement d’une rançon » (art. 2244 du Code pénal).

C) Le dol aggravé : la préméditation La préméditation est, en vertu de l’article 132-72 du Code pénal, le « dessein formé avant l’action de commettre un crime ou un délit déterminé ». En d’autres termes, c’est le fait de concevoir, réfléchir, préparer, calculer, organiser, d’une manière continue et déterminée, l’infraction par avance. Cette circonstance entraîne, dans les cas où la loi le prévoit, l’aggravation des peines encourues. Ainsi, le meurtre, puni de trente ans de réclusion criminelle, se transforme en assassinat puni de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il est commis avec préméditation ou guet-apens (art. 221-3 du Code pénal). Dans les deux cas, l’auteur a l’intention de tuer sa victime, mais alors que dans le meurtre l’intention naît spontanément – on parlera alors de dol simple – (par exemple, à la suite d’une altercation, l’auteur des faits s’empare d’une arme accrochée à un mur et tue son interlocuteur), l’assassinat est « froidement » calculé, mûrement réfléchi et préparé par avance (par exemple, à la suite d’une altercation, la personne rentre chez elle et décide alors de tuer son interlocuteur. Elle achète une arme, met sur pied son projet criminel et l’exécute). On relèvera que l’article 132-72 du Code pénal n’exige pas que la victime soit, par avance, déterminée (Crim., 21 octobre 1998, Bull. crim. n° 269). Dans le même ordre d’idées, la bande organisée (définie par l’article 13271 du Code pénal comme le groupement formé ou l’entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs actes matériels, d’une ou plusieurs infractions) est une circonstance qui entraîne l’aggravation des peines encourues pour un certain nombre d’infractions. Ces circonstances révèlent une dangerosité particulièrement grave qui réclame l’application de sanctions plus lourdes. LARCIER

L’élément moral de l’infraction CHAPITRE 4

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D) Dol déterminé, indéterminé et præterintentionnel Le dol est déterminé lorsque le résultat effectivement obtenu correspond exactement à celui qu’avait désiré l’auteur des faits (par exemple, lorsque quelqu’un veut tuer un autre individu, et le tue effectivement). Mais les situations ne sont pas toujours aussi rectilignes, soit que l’intention de l’auteur d’une infraction est imprécise (par exemple, lorsque la personne veut juste « faire mal » à sa victime), soit que le résultat obtenu dépasse son intention (par exemple, lorsque la personne veut simplement blesser sa victime et la tue). Dans ces deux dernières situations, on parle alors de dol indéterminé et de dol præterintentionnel. 1) Le dol indéterminé Le résultat d’une action délictuelle intentionnelle n’est pas toujours connu par avance de l’agent, soit que le dommage qu’il a l’intention de commettre est imprécis, soit que la victime de ses actes ne soit pas précisément déterminée. Il ne lui est pas possible de concevoir, d’imaginer, donc de vouloir, par avance et de manière précise, le résultat de ses actes. Dans la première hypothèse, l’auteur des faits cherche à causer un résultat dommageable par son action, mais l’intensité ou même la nature de ce résultat n’est pas clairement arrêtée dans son esprit. L’exemple classique est fourni par les violences volontaires, comme un coup de barre de fer, administrées volontairement à une personne. L’auteur des violences a l’intention de blesser sa victime, mais il ne peut pas connaître par avance le préjudice exact qu’il va causer et donc ne peut vouloir de résultat déterminé. Le coup peut aussi bien provoquer une simple ecchymose qu’une blessure grave, voire occasionner une incapacité de travail ou une invalidité permanente. Dans de telles circonstances, l’auteur est alors sanctionné en fonction de la gravité du résultat qui s’est effectivement produit et la peine sera proportionnelle à la gravité du dommage causé, lui faisant ainsi assumer les risques qu’il a créés. Ainsi, s’agissant des violences volontaires, la loi distingue selon qu’elles ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (l’auteur encourt alors 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende – art. 222-9 du Code pénal), une incapacité totale de travail supérieure ou égale à 8 jours (3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende – art. 222-11 du Code pénal) ou une incapacité de travail inférieure à 8 jours (contravention de 5e classe ? art. R. 625-1 du Code pénal). Dans la deuxième hypothèse de dol indéterminé, l’auteur des faits a l’intention d’obtenir un résultat dommageable par son comportement, mais sans connaître par avance sa ou ses victimes. Il n’a donc pas l’intention de commettre ses actes à l’encontre d’une personne déterminée. Ce sera le cas par exemple du terroriste qui pose sa bombe dans un métro ou de l’individu qui installe un piège à feu dans son jardin, avec l’intention de tuer les candidats à un cambriolage. Dans les deux hypothèses, l’indétermination du résultat comme l’indétermination de la victime dans l’esprit de l’agent sont sans effet sur le caractère intentionnel de l’infraction. L’auteur des faits ayant prévu la réalisation du 150

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Droit pénal général


résultat dommageable, il est censé l’avoir voulu et l’infraction reste intentionnelle. On dit que le dol indéterminé est puni comme le dol déterminé. 2) Le dol præterintentionnel Le dol est dit præterintentionnel lorsque le résultat effectivement obtenu va au-delà du résultat que l’auteur des faits avait l’intention de causer. En d’autres termes, l’auteur des faits voulait causer un dommage, mais le dommage causé dépasse celui qu’il avait l’intention de provoquer. Par exemple, un individu frappe volontairement une autre personne dans l’intention de la blesser mais, en fin de compte, la tue. Dans ce cas, la répression doit-elle s’attacher à l’intention (violences volontaires) ou au résultat effectivement obtenu (homicide involontaire) ? L’agent ne doit-il pas assumer les risques qu’il a volontairement créés (homicide volontaire) ? N’y a-t-il pas plutôt place pour une répression intermédiaire ? En fait, même si l’acte qui a provoqué le dommage a été intentionnel, le résultat qui en découle n’a pas été voulu. Dans ces conditions, il n’est pas possible, dans le silence des textes, de considérer l’infraction præterintentionnelle comme une infraction intentionnelle. Toutefois, compte tenu de la gravité des faits et des conséquences produites, la loi prend parfois en considération le dol præterintentionnel et prévoit une répression spécifique. L’exemple le plus caractéristique est constitué par les coups volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, punis par l’article 222-7 du Code pénal de 15 ans de réclusion criminelle, soit plus que si l’auteur des coups volontaires n’avait pas causé le décès de sa victime (10 ans d’emprisonnement en cas de mutilation ou d’infirmité permanente), mais moins que s’il avait eu l’intention de tuer (meurtre, puni de 30 ans de réclusion criminelle). Parfois, le législateur fait preuve d’une plus grande sévérité et punit l’auteur d’une infraction præterintentionnelle comme s’il avait voulu causer le dommage qui est intervenu. Ainsi, la destruction, la dégradation ou la détérioration intentionnelle d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’un incendie, d’une substance explosive ou de tout autre moyen dangereux, punie de 10 ans d’emprisonnement, constitue un crime, puni de la réclusion criminelle à perpétuité, si les faits causent involontairement la mort d’autrui (art. 322-10 du Code pénal). Il en est de même par exemple de l’enlèvement ou de la séquestration suivi de la mort de la victime (art. 224-2 al. 2 du Code pénal) ou du détournement d’avion, de bateau ou de tout autre moyen de transport ayant entraîné la mort d’une ou plusieurs personnes (art. 224-7 du Code pénal).

§ 2.

La faute dans les infractions non intentionnelles

Dans les infractions qui ne supposent pas une intention criminelle, l’élément moral consiste en une simple faute, appelée faute pénale ou encore faute ordinaire. L’agent commet une indiscipline, constitutive d’une infraction pénale. Au contraire de l’infraction intentionnelle, il ne recherche aucun résultat particulier, mais il est indifférent aux valeurs sociales protégées pénalement. LARCIER

L’élément moral de l’infraction CHAPITRE 4

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Cette faute peut prendre trois formes, selon qu’elle est plus ou moins caractérisée : elle peut être de mise en danger délibérée, d’imprudence ou de négligence, ou contraventionnelle. Toutefois, pour bien faire apparaître la spécificité de la faute de mise en danger délibérée par rapport à l’intention et à l’imprudence, c’est cette dernière que l’on analysera en premier.

A) La faute d’imprudence ou de négligence De même qu’il ne définit pas l’intention, le législateur n’a pas pris le soin de définir avec précision la notion de faute d’imprudence ou de négligence posée à l’article 121-3 alinéa 3 du Code pénal, et ce en dépit de deux modifications législatives depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal (loi du 13 mai 1996 et loi du 10 juillet 2000). Toutefois, les termes employés lors de la rédaction de certaines infractions non intentionnelles permettent de renseigner le contenu de la faute pénale. L’article 221-6 du Code pénal, relatif à l’homicide involontaire, parle ainsi de « maladresse », « imprudence », « inattention », « négligence », « manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». La faute dite d’imprudence ou de négligence peut donc prendre des formes variées. Un automobiliste peut causer involontairement la mort d’un autre automobiliste par son inattention (par exemple, s’il n’a pas vu un véhicule ralentir), par sa maladresse (il a mal pris un virage), par son mépris des règles (il commet un excès de vitesse, franchit une ligne continue)… La faute consiste alors à n’avoir pas prévu qu’un dommage pouvait survenir, à avoir été imprévoyant. En ne prenant pas toutes les précautions qui s’imposaient, l’auteur a fait courir un danger aux autres par son imprudence et doit être sanctionné, dès lors qu’un dommage a été causé. Seulement, l’auteur n’a pas voulu, ni parfois même prévu, le résultat dommageable qui est survenu. C’est donc parce que le dommage n’a pas été voulu que l’on parle d’infractions « involontaires » (comme, par exemple, l’homicide « involontaire »). Mais l’acte menant au dommage peut très bien être volontaire. C’est la raison pour laquelle on parle parfois d’imprudence consciente et d’imprudence inconsciente. 1) La nature de la faute d’imprudence Un comportement qui cause involontairement un résultat dommageable ne peut être sanctionné pénalement que si une faute est établie. S’agissant des personnes physiques, cette faute doit être plus ou moins caractérisée selon qu’elle est la cause directe ou indirecte du dommage. a) Formes de la faute

La faute d’imprudence ou de négligence peut prendre deux formes : – la faute pénale peut d’abord résider dans la violation d’un texte, le « manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » auquel l’article 121-3 alinéa 3 du Code pénal fait référence. La notion de loi et règlement est ici strictement entendue (loi, décret, arrêté). La seule violation, délibérée ou non, du texte qui pose l’obligation de prudence et de sécurité (spécialement en matière de droit du tra152

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vail et de circulation routière) constitue une faute d’imprudence ou de négligence, susceptible d’engager la responsabilité pénale de son auteur. Le franchissement d’une ligne continue expose l’automobiliste à une contravention. Mais si la violation de cette prescription entraîne la mort d’autrui, son auteur commet, du fait de la violation d’une obligation de sécurité posée par le Code de la route, un homicide involontaire. Bien entendu, lorsqu’il relève un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, le juge est tenu de préciser la source et la nature de cette obligation (Crim., 18 juin 2002, Bull. crim. n° 138). Il doit impérativement mentionner le texte, ainsi que l’obligation, dont la violation est reprochée ; – en l’absence de tout manquement à une règle de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la faute d’imprudence ou de négligence peut également découler du fait de ne pas se conduire, dans le domaine d’activité considéré, comme un homme normalement prudent et diligent. Par exemple, en matière médicale, l’attitude du prévenu sera appréciée par rapport à un médecin normalement diligent. Dans ces conditions, une erreur de diagnostic ne constitue pas nécessairement une faute : il faut que l’erreur de diagnostic procède d’une négligence, par exemple d’un examen médical incomplet, superficiel ou bâclé. Par contre, si le cas clinique était délicat, complexe, susceptible de plusieurs interprétations, une erreur de diagnostic ne constitue pas une faute (voir par exemple, Crim., 25 septembre 1996, Droit pénal 1997, comm. n° 3 ; Crim., 29 juin 1999, Bull. crim. n° 161). Le juge a longtemps constaté l’existence de l’imprudence ou de la négligence in abstracto, c’est-à-dire par référence au « bon père de famille », à l’attitude qu’aurait normalement adoptée un individu moyen dans les mêmes circonstances, indépendamment des capacités personnelles de l’auteur des faits comme de son expérience. Pour éviter une répression automatique, la loi du 13 mai 1996 a modifié l’article 121-3 du Code pénal en précisant qu’il y a imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité « sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Introduite essentiellement en vue de limiter la responsabilité pénale des élus et des agents publics (le Code général des collectivités territoriales et le statut des fonctionnaires ont été modifiés parallèlement par la loi du 13 mai 1996 pour y intégrer cette règle ; pour une application aux élus locaux, Crim., 3 décembre 1997, Bull. crim. n° 413 ; Crim., 29 juin 1999, Bull. crim. n° 163 ; Crim., 9 novembre 1999, Bull. crim. n° 250), cette précision a une portée plus générale et le juge est tenu d’apprécier la faute d’imprudence de façon plus concrète, en tenant compte de la situation de l’auteur de l’infraction, de ses compétences et de son autorité. En d’autres termes, la faute doit s’apprécier in concreto (pour des applications de cette rédaction en matière médicale, Crim., 19 février 1997, Bull. crim. n° 67 ; 26 février 1997, JCP 1997, II, 22889, note Chevallier ; 26 mars 1997, Bull. crim. n° 123 ; 29 juin 1999, Bull. crim. n° 162 ; 23 octobre 2001, Bull. crim. n° 217 et 218 ; en matière de circulation routière, Crim., 2 avril 1997, Bull. crim. n° 132 ; en matière de sécurité des installations sportives, Crim., 24 juin 1997, Bull. crim. n° 251 ; en matière de mise sur le marché de produits défectueux, Crim., 12 mars 1997, Bull. crim. n° 101 ; en matière de sécurité sur les lieux de travail, Crim., 19 novembre 1996, Bull. LARCIER

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crim. n° 413 ; 17 juin 1997, Bull. crim. n° 237 ; 9 décembre 1997, Bull. crim. n° 419 ; en matière de contrôle technique d’installations, Crim., 21 janvier 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 78). La loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels a légèrement modifié la rédaction de cette obligation pour la présenter d’une façon plus conforme au principe de la présomption d’innocence (« il y a également délit […] s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu… »). La charge de la preuve du caractère fautif du comportement, compte tenu des circonstances de fait, revient donc à l’accusation. b) Gravité de la faute

La loi du 13 mai 1996 n’ayant finalement pas limité de façon satisfaisante la responsabilité des élus locaux pour les délits non intentionnels, une modification de l’article 121-3 du Code pénal a été introduite par la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, destinée à empêcher des condamnations automatiques, systématiques et finalement inéquitables. En exigeant dans certains cas une faute d’une certaine gravité, la rédaction de l’article 121-3 du Code pénal remet en cause deux principes anciens gouvernant la définition de la faute d’imprudence ou de négligence punissable : celui de l’identité des fautes civile et pénale, celui de l’équivalence des conditions (voir p. 157). Le principe de la réforme est de combiner le critère du lien de causalité et celui de l’importance de la faute : lorsque le lien de causalité entre la faute et le dommage est distant, la responsabilité pénale ne peut être retenue que si la faute est importante, caractérisée. Le caractère fautif d’un comportement est donc lié à la prévisibilité plus ou moins grande de ses conséquences dommageables : en cas de lien de causalité directe, toute imprudence, toute négligence ou tout manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement suffisent à établir la faute. Par contre, en cas de causalité indirecte, il est nécessaire de rapporter la preuve d’une faute qualifiée pour que le comportement d’origine puisse être pénalement répréhensible. L’article 121-3 alinéa 4 prévoit en effet que, pour les délits non intentionnels, « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ». Pour les infractions dont l’élément moral est constitué par une faute d’imprudence ou de négligence, il y a lieu d’établir une distinction entre les personnes qui ont directement causé le dommage et celles dont la faute n’en est qu’une cause indirecte. Celui qui a causé indirectement le dommage reste pénalement responsable aux côtés de celui dont la faute est la cause directe du dommage (les responsabilités ne sont pas exclusives l’une de l’autre en cas de pluralité de fautes) mais sa responsabilité pénale ne pourra être retenue que si sa faute revêt une particulière gravité. 154

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L’auteur des faits peut avoir causé indirectement le dommage soit parce qu’il a créé ou contribué à créer par son action la situation qui a permis la réalisation du dommage, soit parce qu’il n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter. Autrement dit, la faute peut résulter aussi bien d’une action positive que d’une abstention, d’une inertie de l’intéressé. Ainsi des dirigeants de société, chefs d’établissements et titulaires de délégation de pouvoirs, lorsqu’ils omettent de prendre les mesures de sécurité qui s’imposent en vue d’éviter les risques professionnels, de fournir les dispositifs de protection adaptés ou d’afficher les indications sur les conditions d’intervention. En cas de lien de causalité indirecte, la faute d’imprudence ou de négligence peut également prendre deux formes : – la faute peut résider dans la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement. C’est la faute de mise en danger délibérée d’autrui (voir p. 159). Par exemple, le responsable des services techniques de la ville qui fait monter un portique dans la précipitation sans aucune mesure de protection contre le risque de chutes, viole de façon manifeste une obligation particulière de sécurité prévue par la loi ou le règlement, en l’espèce le décret relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail dans la fonction publique territoriale (Crim., 3 décembre 2002, Bull. crim. n° 219) ; – en l’absence de toute disposition imposant une obligation particulière de sécurité ou de prudence, la responsabilité pénale peut être engagée en cas de faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qui ne pouvait être ignoré. L’imprudence ou la négligence doit être particulièrement marquée, évidente, intense. Elle doit présenter un risque d’une particulière gravité, en particulier de mort ou de blessures graves. Enfin, les conséquences devaient être prévisibles pour l’auteur des faits, lequel ne pouvait ignorer le risque qu’il a fait courir aux autres. Par exemple, dans le cas des blessures et homicides involontaires, commettent une faute caractérisée l’infirmière qui laisse une élève infirmière administrer une substance dangereuse à un patient, hors de sa présence et sans s’être assurée qu’elle connaissait le mode opératoire (Crim., 26 juin 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 124), l’agent de maîtrise ayant un pouvoir de direction autonome pour la fourniture du matériel, qui refuse en pleine connaissance de cause de fournir aux employés occupés à un travail en hauteur les dispositifs de protection (Crim., 3 décembre 2002, Bull. crim. n° 219), l’instituteur, connaissant la dangerosité de la situation résultant de l’ouverture des fenêtres pour les enfants, qui ne prend pas à leur arrivée dans la classe les mesures de fermeture permettant d’éviter la chute de l’un d’entre eux (Crim., 6 septembre 2005, Droit pénal 2006, comm. n° 3), ou encore le maire d’une commune qui, à la suite d’un précédent accident dans un étang municipal, n’a pas pris les mesures qui s’imposaient pour assurer la sécurité des baigneurs (Crim., 22 janvier 2008, Droit pénal 2008, comm. n° 43). La faute caractérisée s’apprécie in concreto conformément aux dispositions de l’article 121-3 alinéa 3, c’est-à-dire compte tenu, le cas échéant, de la nature des missions ou des fonctions de l’auteur des faits, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. À défaut de pouvoir lui imputer l’une ou l’autre de ces fautes, l’auteur indirect du dommage échappe à toute responsabilité pénale. Les conséquences de LARCIER

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ces notions se sont fait essentiellement sentir, hormis le cas des élus locaux concernés au premier plan par cette réforme (pour des applications à des maires de communes : CA Poitiers, 2 février 2001, JCP 2001, II, 10534 ; Crim., 20 mars 2001, Bull. crim. n° 75, arrêt n° 1 ; 9 octobre 2001, Bull. crim. n° 204 ; 4 juin 2002, Bull. crim. n° 127), dans le domaine médical, au bénéfice des chefs de service et des médecins de garde d’établissements hospitaliers qui ne participent pas directement aux interventions médicales mais étaient auparavant généralement tenus responsables, compte tenu de leurs pouvoirs de direction et d’organisation (Crim., 5 septembre 2000, Bull. crim. n° 262 ; 10 janvier 2001, Bull. crim. n° 3), lorsque des accidents surviennent dans les établissements éducatifs ou à l’occasion de sorties scolaires, au bénéfice des enseignants et des directeurs d’établissement (Crim., 12 décembre 2000, Bull. crim. n° 371 et 18 juin 2002, Bull. crim., n° 139 ; 20 mars 2001, Bull. crim. n° 75, arrêt n° 2 ; 26 novembre 2002, Bull. crim. n° 211 ; 10 décembre 2002, Bull. crim. n° 223) ainsi que, dans une moindre mesure, en matière d’accidents du travail, au bénéfice des entrepreneurs, chefs d’établissements et chefs de chantiers ayant méconnu des prescriptions en matière de sécurité. Bien entendu, lorsque l’auteur des faits est l’auteur direct du dommage, il n’est pas fondé à revendiquer le bénéfice des dispositions introduites par la loi du 10 juillet 2000 et reste responsable dans les conditions de droit commun, c’est-à-dire en cas de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou de faute simple (exemples, pour un médecin, lorsqu’il prend la décision d’intervention et assure la conduite de l’ensemble du processus opératoire : Crim., 29 octobre 2002, Bull. crim. n° 196 ; lorsqu’il néglige de mettre en place une surveillance médicale adaptée : Crim., 13 novembre 2002, Bull. crim. n° 203). Plusieurs précisions doivent être apportées pour rendre compte de l’étendue de la réforme : – les dispositions de la loi du 10 juillet 2000 sont rétroactives. Elles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée ; en effet, elles sont moins sévères que les dispositions anciennes, mais uniquement lorsque le lien de causalité est indirect (Crim., 5 septembre 2000, Bull. crim. n° 262 ; voir p. 71) ; – les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 121-3 sont applicables aux délits dont l’élément moral est constitué par une faute d’imprudence ou de négligence, mais également aux contraventions pour lesquelles le règlement exige cette même faute d’imprudence ou de négligence (art. R. 610-2 al. 1 du Code pénal) : sont par exemple concernées les contraventions d’atteintes involontaires à l’intégrité de la personne prévues par les articles R. 622-1 et R. 625-2 du Code pénal (Crim., 12 décembre 2000, Bull. crim. n° 371) ou d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité d’un animal de l’article R. 653-1 du même Code. Le principe de l’appréciation in concreto de la faute et l’exigence d’une faute de mise en danger délibérée ou d’une faute caractérisée en cas de lien de causalité indirecte avec le dommage s’appliquent donc à toutes les infractions d’imprudence ou de négligence, quelle que soit leur nature, délits ou contraventions (par définition, tous les crimes sont intentionnels) ; – si la réforme trouve en pratique à s’appliquer essentiellement à l’homicide et aux blessures involontaires, elle ne se limite pas à ces infractions. Les principes qu’elle énonce sont susceptibles de s’appliquer à d’autres délits 156

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et contraventions dont l’élément moral est constitué par une faute d’imprudence ou de négligence, comme par exemple les atteintes involontaires aux biens ou les délits de pollution (Crim., 15 mai 2001, Bull. crim. n° 123) ; – l’alinéa 4 de l’article 121-3 du Code pénal, qui exige une faute caractérisée lorsque le lien de causalité entre la faute et le dommage n’est qu’indirect, ne peut logiquement trouver à s’appliquer que pour les infractions qui comportent, en tant qu’élément constitutif, la réalisation d’un dommage, d’un résultat particulier, c’est-à-dire pour les infractions matérielles. La faute caractérisée n’est pas exigée pour les infractions formelles, puisque celles-ci sont constituées indépendamment de leur résultat (sur ces notions d’infractions matérielles et formelles, voir p. 134 et s.). Pour ces infractions formelles, qui n’exigent pas un résultat particulier, une simple faute d’imprudence ou de négligence est toujours susceptible d’engager la responsabilité pénale de celui qui l’a commise. Tel est le cas par exemple de la publicité fausse ou de nature à induire en erreur : « le dommage n’étant pas un élément constitutif du délit de publicité trompeuse, l’infraction, lorsqu’elle est commise par imprudence ou négligence, n’est pas soumise aux dispositions de l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal, issu de la loi du 10 juillet 2000 » (Crim., 26 juin 2001, Bull. crim. n° 160) ; – la réforme opérée par la loi du 10 juillet 2000 ne concerne que les personnes physiques, seules visées par le quatrième alinéa de l’article 121-3 du Code pénal, non les personnes morales. La thèse de l’équivalence des conditions et leur responsabilité en cas de lien de causalité indirect demeurent donc entières pour ces dernières : les personnes morales sont responsables pénalement de toute faute non intentionnelle de leurs organes ou représentants, alors même qu’en l’absence de faute délibérée ou caractérisée au sens de l’article 121-3 alinéa 4, la responsabilité pénale des personnes physiques ne pourrait être recherchée (Crim., 24 octobre 2000, Bull. crim. n° 308). Autrement dit, si le représentant de la personne morale a commis une faute simple (imprudence ou négligence non caractérisée, manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence), il n’est pas responsable pénalement si cette faute est la cause indirecte du dommage mais cette faute est quand même susceptible d’engager la responsabilité pénale de la personne morale lorsqu’elle a été commise pour son compte. En pratique, il y a donc lieu de penser que la responsabilité pénale des personnes morales sera davantage engagée pour les infractions non intentionnelles ; – prenant acte de la dissociation des fautes civile et pénale, la loi du 10 juillet 2000 introduit un nouvel article 4-1 dans le Code de procédure pénale qui dispose que « l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles afin d’obtenir la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1383 du Code civil si l’existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l’article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale si l’existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie ». Une relaxe pour un délit non intentionnel n’exclut donc pas la responsabilité civile et, par conséquent, l’octroi de dommages et intérêts aux victimes, en cas de faute d’imprudence non qualifiée. LARCIER

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Tableau 1 Nature de la faute d’imprudence ou de négligence Infractions matérielles (lorsque le dommage est un élément constitutif de l’infraction)

Infractions formelles (constituées indépendamment du résultat)

Personnes physiques

• Lien de causalité directe - soit manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; - soit faute simple. • Lien de causalité indirecte - soit violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement (faute de mise en danger) ; - soit faute caractérisée.

- soit manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; - soit faute simple.

Personnes morales

- soit manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; - soit faute simple.

Pour synthétiser, la faute d’imprudence ou de négligence est toujours constituée, soit par un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit, en l’absence de textes, par une faute simple (appréciée in concreto), sauf pour les infractions matérielles commises par les personnes physiques, lorsque ces personnes physiques n’ont pas causé directement le dommage, pour lesquelles la loi exige, pour que leur responsabilité pénale puisse être engagée, soit une faute de mise en danger (la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement), soit une faute caractérisée (également appréciée in concreto). 2) La sanction de la faute d’imprudence La faute d’imprudence ou de négligence ne peut être sanctionnée que si le résultat dommageable, exigé par la loi pour que l’infraction soit constituée, en résulte. S’agissant des atteintes involontaires à la personne, la répression va même dépendre de la gravité du dommage causé, selon que la faute d’imprudence ou de négligence a causé la mort (3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, art. 221-6 al. 1 du Code pénal), une incapacité totale de travail de plus de 3 mois (2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, art. 222-19 al. 1 du Code pénal) ou une incapacité inférieure ou égale à 3 mois (1 500 euros d’amende, art. R. 625-2 du Code pénal). On constate donc que la faute d’imprudence ou de négligence est naturellement réprimée moins sévèrement, à résultat égal, que la faute intentionnelle (voir tableau, p. 82). 3) Critique On peut objecter que la sanction de la faute d’imprudence ou de négligence, constituée soit par un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit par un comportement anorma158

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lement imprudent ou négligent, est dans une certaine mesure aléatoire, en particulier dans le cas de l’homicide ou des blessures involontaires, puisque le hasard joue un rôle certain dans la survenance du dommage et la détermination de sa gravité. Le franchissement d’une ligne continue ne constitue qu’une contravention en l’absence de dommage, mais si cette faute cause la mort du conducteur d’un véhicule survenant en face, il y a alors homicide involontaire et les peines sont autrement plus lourdes. Par ailleurs, il est excessif de sanctionner des mêmes peines le conducteur qui commet un homicide involontaire par simple inadvertance ou inattention (par exemple, s’il n’a pas vu un panneau « Stop » ou a été momentanément distrait par un passager) et celui qui commet le même délit à la suite d’un comportement particulièrement inconscient et dangereux (par exemple, s’il entreprend, à la suite d’un pari, de prendre une autoroute à contresens ou part en vacances et conduit 15 heures d’affilée sans prendre de repos). Le Code pénal a répondu à cette critique en réprimant spécifiquement des infractions dont l’élément moral est constitué d’une faute de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

B) La faute de mise en danger délibérée de la personne d’autrui Avec cette notion de mise en danger délibérée de la personne d’autrui, on se trouve aux frontières de l’intention et de l’imprudence. 1) La notion de dol éventuel Dans l’infraction intentionnelle, l’élément moral est constitué par la volonté de commettre un acte interdit et d’atteindre un résultat illicite. Une difficulté se présente toutefois lorsque l’agent adopte volontairement un comportement dangereux et occasionne un résultat dommageable qu’il n’avait pas l’intention de causer, mais qu’il avait envisagé ou aurait dû envisager comme possible. Autrement dit, le délinquant a volontairement, délibérément, pris un risque, en espérant qu’aucun dommage ne serait provoqué. On parle alors de dol éventuel, d’imprudence consciente ou encore de faute lourde d’imprudence. C’est le cas de l’entrepreneur en bâtiment qui fait monter ses ouvriers sur un échafaudage tout en sachant que celui-ci n’est pas conforme aux normes de sécurité et peut s’effondrer, de l’automobiliste qui effectue, sans visibilité, un dépassement au sommet d’une côte, d’un individu qui jette volontairement par la fenêtre d’un immeuble de lourds objets sans se soucier s’il y a des passants. Dans ces hypothèses, si un « accident » survient et que, par la faute qu’il a commise, l’agent tue ou blesse des tiers, est-on en présence d’une infraction intentionnelle (homicide ou violences volontaires) ou au contraire d’une infraction par imprudence ou négligence (homicide ou blessures involontaires) ? En l’absence de tout résultat dommageable, comment doit-on réprimer ces agissements ? De tels comportements, fondés sur l’idée de risque, révèlent en fait chez leurs auteurs une indifférence à l’égard de la vie et de l’intégrité de la personne, donc une certaine dangerosité. Le droit pénal se devait d’organiser une réponse LARCIER

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adéquate à ces types de comportements, ce que fait le nouveau Code pénal en surmontant les imperfections de la solution antérieure. 2) La solution adoptée sous l’ancien Code pénal Avant l’adoption du nouveau Code pénal, la solution retenue apparaissait doublement choquante. D’une part, en cas de dommage, la jurisprudence, en l’absence de dispositions spéciales, assimilait le dol éventuel à une faute d’imprudence ou de négligence. N’ayant pas recherché le résultat produit, l’agent ne pouvait pas être sanctionné comme l’auteur d’une faute intentionnelle. Mais, faute d’un régime répressif spécial, il encourait les mêmes peines que l’auteur d’une simple inattention ayant amené au même résultat. D’autre part, en l’absence de dommage, seule une contravention, dans le meilleur des cas, pouvait être retenue à l’encontre du fautif : infraction au Code de la route, à la réglementation sur la sécurité du travail… sans se soucier outre mesure du risque que l’auteur des faits faisait courir aux tiers. L’effet dissuasif du droit pénal était sur ce point faible. Influencé par certaines législations étrangères réprimant le dol éventuel, par le nombre des victimes de la route (environ 10 000 morts par an dans les années 1990) et celui des accidentés du travail, le législateur a réagi en créant la faute de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. 3) La solution moderne adoptée par le Code pénal Il ressort de l’article 121-3 alinéa 2 du Code pénal que « lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ». Le Code admet l’existence d’une faute de mise en danger délibérée de la personne, consacrant de la sorte la notion de dol éventuel. a) La nature de la faute de mise en danger délibérée

La faute de mise en danger délibérée est définie par le Code pénal comme « la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement » (par exemple, les articles 221-6 et 222-19 du Code pénal, tels que modifiés par la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels qui a aligné la définition de l’élément moral de l’ensemble des infractions de mise en danger sur celle initialement retenue pour le seul délit de risques causés à autrui). Plusieurs conditions doivent donc être réunies pour que la faute soit constituée : – la faute est constituée d’abord par la violation d’une législation ou d’une réglementation (au sens strict) comportant des prescriptions de sécurité ou de prudence, comme les textes régissant la sécurité sur les lieux de travail ou la circulation automobile (par exemple, les dispositions du Code de la route qui imposent à tout conducteur de maintenir son véhicule près du bord droit de la chaussée, Crim., 12 novembre 1997, Bull. crim. n° 384 ; celles qui définissent les conditions dans lesquelles doit être effectué un dépassement, Crim., 160

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11 mars 1998, Bull. crim. n° 99 ; Crim., 23 juin 1999, Bull. crim. n° 154 ; celles relatives à l’arrêt ou au stationnement gênant sur une voie rapide, Crim., 22 juin 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 159). Par conséquent, en l’absence d’un texte déterminant un comportement interdit de façon objective, il n’est pas possible de recourir à cette notion et de retenir une faute de mise en danger délibérée (par exemple, CA Grenoble, 19 février 1999, JCP 1999, II, 10171 ; D. 1999, jurisp. p. 480 : pratiquer le ski audessus de son niveau de compétence) ; – il doit s’agir ensuite d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence, c’est-à-dire précise, ce qui interdit au juge de se baser sur des prescriptions trop générales (Crim., 25 juin 1996, Bull. crim. n° 274 ; Crim., 17 septembre 2002, Droit pénal 2003, comm. n° 19) ; – enfin, la violation de cette obligation doit être manifestement délibérée, c’est-à-dire intentionnelle. Seules les éventuelles conséquences du manquement ne sont pas voulues. Le terme « manifestement » a un effet d’insistance : il ne doit y avoir, compte tenu des circonstances de fait, aucun doute sur le caractère intentionnel, volontaire, de la violation. Cette intention sera par exemple caractérisée par le renouvellement de la transgression (Crim., 12 novembre 1997, Bull. crim. n° 384, pour une succession d’infractions au Code de la route) ou par la multiplicité des avertissements portés à la connaissance de l’auteur du délit (Crim., 9 mars 1999, Bull. crim. n° 34, pour des pratiquants expérimentés ayant skié sur une piste barrée par une corde et signalée par des panneaux d’interdiction réglementaires, malgré le risque maximum d’avalanche signalé et la mise en garde du conducteur du télésiège). b) La sanction de la faute de mise en danger délibérée

Compte tenu du caractère répréhensible de ce type de comportement, il est nécessaire de réprimer leurs auteurs non seulement lorsqu’un dommage intervient, mais encore indépendamment de tout dommage. Deux cas sont donc à distinguer, selon que la faute de mise en danger délibérée a provoqué ou non un dommage. 1. En cas de survenance d’un dommage Le Code pénal prévoit que les peines encourues pour certaines infractions non intentionnelles sont aggravées dès lors que la faute n’est pas une simple faute d’imprudence ou de négligence, mais une faute de mise en danger délibérée de la personne d’autrui (voir tableau, p. 82). Cette faute caractérisée constitue alors une circonstance aggravante de quelques infractions normalement commises par imprudence ou négligence. La mesure de la sanction dépend là encore de la gravité du dommage occasionné, selon qu’il s’agit d’un homicide involontaire (art. 221-6 al. 2 du Code pénal), d’une incapacité totale de travail de plus de 3 mois (art. 222-19 al. 2 du Code pénal), d’une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 3 mois (art. 222-20 du Code pénal), d’une atteinte à l’intégrité d’autrui sans qu’il en résulte d’incapacité de travail (art. R. 625-3 du Code pénal) ou encore de la destruction, dégradation ou détérioration involontaire d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’une explosion ou d’un incendie (art. 322-5 al. 2 du Code pénal). On relèvera cependant qu’avec la réforme opérée par la loi du 10 juillet 2000, la faute de mise en danger délibérée peut également être exigée pour LARCIER

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d’autres infractions involontaires lorsque le lien de causalité entre la faute et le dommage n’est qu’indirect (voir p. 154 et s.). 2. En l’absence de dommage : le délit de risques causés à autrui Une des innovations les plus remarquables du nouveau Code pénal réside sans aucun doute dans la création, à l’article 223-1 du Code pénal, du délit de risques causés à autrui. Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». L’individu qui adopte volontairement un comportement particulièrement dangereux pour la vie et l’intégrité de la personne humaine est donc sanctionné indépendamment de tout dommage. L’élément matériel du délit est constitué par le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves, même si ce risque est minime (par exemple, la surcharge d’un navire en mer entraîne le risque, en cas d’avarie, d’incendie ou de collision, de ne pas disposer pour tous les passagers d’engins de sauvetage garantissant la sauvegarde de leur vie : Crim., 11 février 1998, Bull. crim. n° 57, JCP 1998, II, 10084, note Coche). Le juge doit cependant impérativement préciser les circonstances de fait caractérisant ce risque (Crim., 3 avril 2001, Bull. crim. n° 90 : dans le cas de la circulation en motoneige sur des pistes de ski, ce sera par exemple la configuration des lieux, la manière de conduire du prévenu, la vitesse de l’engin, l’encombrement des pistes, les évolutions des skieurs). Le manquement doit ensuite être la cause directe et immédiate du risque auquel a été exposé autrui. Il appartient dès lors au juge de caractériser un lien direct et immédiat entre la violation des prescriptions législatives ou réglementaires et le risque auquel ont été exposés les tiers (Crim., 16 février 1999, Bull. crim. n° 24, D. 2000, jurisp. p. 9, pour la violation dans une usine de règles de sécurité prévues par le Code du travail). Enfin, s’agissant de l’élément moral du délit de risque causé à autrui, la Cour de cassation a précisé que « l’élément intentionnel de l’infraction résulte du caractère manifestement délibéré de la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement » (Crim., 9 mars 1999, Bull. crim. n° 34, D. 2000, jurisp. p. 81). Cependant, si la juridiction doit établir le caractère manifestement délibéré de la violation (Crim., 16 octobre 2007, Droit pénal 2008, comm. n° 3), elle n’est pas tenue de constater que l’auteur du délit a eu connaissance de la nature du risque effectivement causé par son manquement (Crim., 16 février 1999, Bull. crim. n° 24, D. 2000, jurisp. p. 9). Autrement dit, il n’est pas exigé que l’auteur du manquement ait eu conscience des risques qu’il a fait courir aux tiers, encore moins qu’il les ait voulus. Le risque créé et le lien de causalité entre le manquement délibéré et ce risque sont donc évalués objectivement, sans référence à la connaissance que pouvait en avoir l’auteur du délit. L’objectif premier du législateur, à travers cette incrimination, est de prévenir les accidents de la circulation routière et les accidents du travail. Il s’agit donc d’un délit-obstacle. Si la circulation routière constitue le domaine de prédilection de l’article 223-1 du Code pénal, le délit de risques causés à autrui a fait l’objet d’applications variées (divagation d’animaux sur la voie publique ; surcharge de navire ; méconnaissance des prescriptions du Code de l’urbanisme par un exploitant de camping ; ski malgré le signalement d’un risque maximum d’avalanche). 162

PARTIE II L’infraction pénale

Droit pénal général


Tableau 2 Répression des atteintes à la vie ou à l’intégrité de la personne en fonction de la gravité de la faute Faute intentionnelle

Faute de mise en danger délibérée

Faute d’imprudence ou de négligence

• Homicide volontaire (article 221-1 du Code pénal) Crime 30 ans de réclusion criminelle • Violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-7 du Code pénal) Crime 15 ans de réclusion criminelle

• Homicide involontaire par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité et de prudence (article 221-6 al. 2 du Code pénal) Délit 5 ans d’emprisonnement 75 000 euros d’amende

• Homicide involontaire (article 221-6 al. 1 du Code pénal) Délit 3 ans d’emprisonnement 45 000 euros d’amende

• Violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-9 du Code pénal) Délit 10 ans d’emprisonnement 150 000 euros d’amende • Violences volontaires ayant entraîné une ITT > 8 jours (article 222-11 du Code pénal) Délit 3 ans d’emprisonnement 45 000 euros d’amende • Violences volontaires ayant entraîné une ITT ≤ 8 jours (article R. 625-1 du Code pénal) Contravention de 5e classe 1 500 euros d’amende

• Blessures involontaires ayant entraîné une ITT > 3 mois (article 222-19 al. 2 du Code pénal) Délit 3 ans d’emprisonnement 45 000 euros d’amende • Blessures involontaires ayant entraîné une ITT ? 3 mois (article 222-20 du Code pénal) Délit 1 an d’emprisonnement 15 000 euros d’amende

• Blessures involontaires ayant entraîné une ITT > 3 mois (article 222-19 al. 1 du Code pénal) Délit 2 ans d’emprisonnement 30 000 euros d’amende • Blessures involontaires ayant entraîné une ITT ≤ 3 mois (article R. 625-2 du Code pénal) Contravention de 5e classe 1 500 euros d’amende

• Violences volontaires n’ayant entraîné aucune ITT (article R. 624-1 du Code pénal) Contravention de 4e classe 750 euros d’amende

• Blessures involontaires : aucune ITT (article R. 625-3 du Code pénal) Contravention de 5e classe 1 500 euros d’amende

• Blessures involontaires : aucune ITT (article R. 622-1 al. 1 du Code pénal) Contravention de 2e classe 150 euros d’amende

On remarquera simplement qu’il y a une exception à la règle selon laquelle la répression est d’autant plus lourde que la faute est répréhensible : en l’absence d’ITT chez la victime, les violences volontaires sont moins sévèrement réprimées que les blessures involontaires commises par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence !

C) La faute contraventionnelle La dernière catégorie de faute non intentionnelle est constituée par la faute contraventionnelle. Cette faute consiste en la simple violation d’une prescription légale ou réglementaire, d’une règle de discipline sociale, indépendamment de la survenance d’un dommage. La simple violation ou transgression de la règle suffit, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve d’une intention, d’une impruLARCIER

L’élément moral de l’infraction CHAPITRE 4

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dence ou d’une négligence. Ces infractions sont parfois appelées « infractions matérielles » (dans une seconde acception, différente de celle que l’on a vue lors de l’examen de l’élément matériel p. 134), car la faute est constituée dès que le fait interdit par la loi est commis, dès qu’il est matériellement constaté (voir par exemple Crim., 28 avril 1977, Bull. crim. n° 148, D. 1978, I, p. 149, note Rassat, JCP 1978, II, 18931, note Delmas-Marty pour le délit de pollution des cours d’eaux ; Crim., 16 novembre 1987, Bull. crim. n° 408 pour une réglementation économique). La simple commission des faits prohibés, un stationnement irrégulier par exemple, permet de relever la faute de l’agent. La répression est dès lors quasiment automatique. La bonne foi, c’est-à-dire l’absence d’intention de violer la loi, ou le fait que l’agent ait agi avec prudence et diligence sont des considérations indifférentes à la répression. Celui-ci ne pourra dégager sa responsabilité qu’en apportant la preuve de la contrainte ou de la force majeure (par exemple Crim., 28 juillet 1881, Bull. crim. n° 186 ; Crim., 8 novembre 1951, Bull. crim. n° 288). SECTION II

Domaines respectifs des différentes fautes au regard de la classification tripartite des infractions L’article 121-3 dispose dans son premier alinéa qu’« il n’y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre ». L’intention est l’élément moral de la totalité des crimes, de la majorité des délits et de quelques contraventions. a) Les crimes sont toujours intentionnels

Un crime est nécessairement une infraction intentionnelle. En effet, les peines applicables étant les plus sévères, elles ne peuvent sanctionner que des comportements particulièrement dangereux caractérisés par l’intention de commettre les faits incriminés. L’élément moral de tout crime est donc constitué par l’intention. Une des conséquences de cette règle, affirmée dans le Code pénal, est qu’il n’existe plus, comme c’était parfois le cas dans l’ancien Code pénal, de crimes non intentionnels. Ces crimes ont été soit abrogés, soit correctionnalisés, c’està-dire qu’ils sont devenus des délits. b) Les délits sont intentionnels ou, lorsque la loi le prévoit, d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée

Les délits sont en principe des infractions intentionnelles, ainsi qu’il ressort de l’alinéa 1er de l’article 121-3 du Code pénal. Toutefois, les alinéas 2 et 3 du même article disposent que, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ou de faute d’imprudence ou de négligence. Ces délits d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée tendent à se multiplier. Les peines applicables aux délits sont certes élevées, ce qui explique que le délit soit en principe une infraction intentionnelle et, qu’en pratique, la majorité des délits soit intentionnelle. Cependant, le développement du machinisme et l’accroissement de la circulation automobile ont incité à réprimer plus sévère164

PARTIE II L’infraction pénale

Droit pénal général


ment les fautes d’imprudence, de négligence et aujourd’hui de mise en danger délibérée, lorsqu’elles portent atteinte, ou sont susceptibles de porter atteinte (comme dans le délit de risques causés à autrui) à des valeurs essentielles protégées, comme le respect de la vie et de l’intégrité des personnes. La règle posée à l’article 121-3 du Code pénal selon laquelle, sauf disposition contraire prévoyant une faute d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée, un délit est une infraction intentionnelle, a eu pour effet de supprimer la catégorie, créée par la jurisprudence, des délits matériels, également appelés « délits contraventionnels », constitués par la seule commission matérielle des faits. Ces délits, au demeurant fort nombreux, réprimaient des comportements dans des domaines divers comme la chasse, les eaux et forêts, l’environnement, les transports, l’urbanisme, les douanes, le droit du travail ou encore les contributions indirectes. Compte tenu des peines parfois sévères encourues, la présomption de la faute déduite de la commission matérielle des faits heurtait le principe de la présomption d’innocence, posée à l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme, si elle n’a pas expressément condamné le recours aux présomptions, a rappelé que « l’article 6 commande aux États contractants d’enserrer dans des limites raisonnables, prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense, les présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans leurs lois répressives » (CEDH, arrêt du 7 octobre 1988, Salabiaku contre France, série A, n° 141 A ; arrêt du 25 septembre 1992, Pham Hoang contre France, série A, n° 243). La règle posée à l’article 121-3 du Code pénal imposait de rappeler solennellement la suppression du caractère matériel de certains délits extérieurs au Code, ce qui fut réalisé par la loi d’adaptation du 16 décembre 1992. Son article 339 dispose que « tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l’entrée en vigueur de la présente loi demeurent constitués en cas d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément ». Il n’existe en principe plus de délit matériel (pour des applications de cette modification, voir Crim., 14 décembre 1994, Bull. crim. n° 415 ; Crim., 26 octobre 1999, Bull. crim. n° 233 à propos de la publicité fausse ou de nature à induire en erreur ; Crim., 25 octobre 1995, Bull. crim. n° 322, pour le délit de pollution de rivière ; Crim., 20 février 1997, Bull. crim. n° 73, pour les infractions douanières ; Crim., 2 octobre 1997, Droit pénal 1998, comm. n° 38, pour l’importation en contrebande de stupéfiants ; Crim., 11 février 1998, Bull. crim. n° 58, pour le délit de publicité illicite en faveur du tabac ; Crim., 1er mars 2000, Droit pénal 2000, comm. n° 104, pour l’exploitation non autorisée d’une installation classée pour la protection de l’environnement). c) Les contraventions sont constituées par une simple faute contraventionnelle ou, lorsque la loi le prévoit, par une faute intentionnelle, d’imprudence ou de négligence, ou de mise en danger délibérée

L’élément moral de l’immense majorité des contraventions est constitué par une simple faute contraventionnelle. La commission matérielle des faits permet alors de constituer l’infraction. Toutefois, le règlement requiert parfois un élément intellectuel plus conséquent. Il s’agira parfois d’une faute intentionnelle (comme par exemple l’article R. 625-1 du Code pénal qui réprime de LARCIER

L’élément moral de l’infraction CHAPITRE 4

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l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe les violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail d’une durée inférieure ou égale à 8 jours). Parfois, la faute consistera en une imprudence ou une négligence (cas de l’article R. 625-2 du Code pénal qui érige en contravention de 5e classe les atteintes involontaires à l’intégrité de la personne ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à 3 mois, ou encore de l’article R. 622-1 qui punit d’une contravention de 2e classe ces atteintes sans qu’il en résulte d’incapacité totale de travail) ou en une mise en danger délibérée de la personne d’autrui (ainsi de l’article R. 625-3 du Code pénal qui sanctionne d’une amende de la contravention de 5e classe les atteintes, par un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, à l’intégrité d’autrui sans qu’il en résulte d’incapacité de travail). En conclusion, on relèvera qu’en cas de silence du texte d’incrimination sur la nature de la faute et ainsi qu’il ressort de la combinaison des articles 121-3 du Code pénal et 339 de la loi d’adaptation : – un crime est intentionnel ; – un délit contenu dans le Code pénal ou issu d’une loi postérieure à celuici est intentionnel ; – un délit contenu dans une loi extérieure et antérieure au Code pénal est constitué en cas d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée ; – une contravention est constituée par la seule commission matérielle des faits. Ces règles créent parfois des bizarreries juridiques, par exemple le délit de récidive de grand excès de vitesse : un excès de vitesse supérieur à 50 km/h au-dessus de la limite maximale est une contravention de 5e classe, constituée par une simple faute contraventionnelle. Par contre, si la même infraction est commise dans le délai d’un an à compter de la date à laquelle cette condamnation est devenue définitive, l’infraction est un délit (art. L. 413-1 du Code de la route). Pour le Conseil constitutionnel, « en l’absence de précision sur l’élément moral (…) il appartiendra au juge de faire application des dispositions générales de l’article 121-3 du Code pénal aux termes desquelles il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » (Cons. constit. 16 juin 1999, JO 16 juin 1999, p. 9018). Cette prescription n’a pas été suivie par la Cour de cassation, puisqu’elle considère que la règle, posée à l’article 537 du Code de procédure pénale, selon laquelle les procès-verbaux dressés par les officiers et agents de police judiciaire font foi jusqu’à preuve contraire des contraventions qu’ils constatent, trouve également à s’appliquer lorsque les faits n’acquièrent un caractère délictuel qu’en raison de l’état de récidive dans lequel ils ont été commis (Crim. 13 juin 2007, Droit pénal 2007, comm. n° 132). En conséquence, si les peines sont de nature délictuelle, la faute demeure contraventionnelle.

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PARTIE II L’infraction pénale

Droit pénal général


PARTIE III

La responsabilité pénale C H A PI T R E 1

Le principe de la responsabilité pénale du fait personnel C H A PI T R E 2

La responsabilité pénale des personnes morales C H A PI T R E 3

La mise en jeu de la responsabilité pénale C H A PI T R E 4

Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité

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Le droit pénal français part du postulat que les hommes, libres et conscients, doivent répondre de leurs actes. L’infraction matériellement commise doit ensuite être imputée à la personne ou aux personnes qui ont participé à sa réalisation. Il est donc nécessaire de déterminer ceux qui doivent être déclarés pénalement responsables de l’infraction commise ou tentée et contre qui doit s’orienter la répression. La détermination de la personne responsable de l’infraction obéit à des règles précises : seul celui qui a personnellement participé à la commission de l’infraction peut voir sa responsabilité pénale engagée ; seules les personnes physiques et, depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, les personnes morales, peuvent être déclarées pénalement responsables ; elles ne peuvent l’être que si elles ont participé à l’infraction en qualité soit d’auteur, soit de complice ; enfin, certaines circonstances constituent, sous certaines conditions, des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité.

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PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


CHAPITRE 1

Le principe de la responsabilité pénale du fait personnel Affirmé depuis longtemps en droit pénal français, le principe de la responsabilité personnelle connaît toutefois une nuance puisque les dirigeants peuvent être, sous certaines conditions, déclarés pénalement responsables du fait de leurs préposés. SECTION I

Exposé du principe Le droit pénal français prévoit que seule la personne qui a commis une infraction – en qualité d’auteur ou de complice – peut d’une part être déclarée pénalement responsable et, d’autre part, subir les peines prononcées à son encontre. Ce sont les principes de la responsabilité personnelle et de la personnalité des peines.

§ 1.

Affirmation de la responsabilité personnelle

Le principe de la responsabilité personnelle est un des principes fondamentaux du droit pénal français. Bien qu’il n’ait été posé expressément dans aucun texte, la Cour de cassation a toujours affirmé sans équivoque que « la responsabilité pénale ne peut résulter que d’un fait personnel » (Crim., 16 décembre 1948, Bull. crim. n° 291) ou que « nul n’est passible de peines qu’à raison de son fait personnel » (Crim., 28 février 1956, JCP 1956, II, 9304, note De Lestang). Il s’agit d’un principe de valeur constitutionnelle puisque, pour le Conseil constitutionnel, il résulte des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que « nul n’est punissable que de son propre fait » (Cons. constit. 16 juin 1999, JO 19 juin 1999). Le Code pénal a entendu réaffirmer solennellement le caractère personnel de la responsabilité pénale puisque, en vertu de l’article 121-1 du Code pénal, « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». Pour les juges du fond, cela implique l’obligation, avant de déclarer responsable un individu, de constater sa participation personnelle à l’infraction (par exemple, Crim., 3 mars 1933, Bull. crim. n° 49 ; Crim., 20 mars 1997, D. 1999, jurisp. p. 28 pour un abus de biens sociaux et un abus de pouvoirs ; Crim., 8 octobre 1997, Droit pénal 1998, comm. n° 19 pour le délit d’opposition à des travaux publics commis à l’occasion d’une manifestation ; Crim., 11 mai 1999, Bull. crim. n° 93 ; 17 décembre 2002, Bull. crim. n° 227 ; 19 novembre 2003, Droit pénal 2004, comm. n° 32 : une décision prise par un organe collégial d’une commune ne peut être LARCIER

Le principe de la responsabilité pénale du fait personnel CHAPITRE 1

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imputée à ceux des conseillers municipaux ayant exprimé un vote favorable, car la décision litigieuse est censée émaner de la commune, personne morale, et non de ses membres ; le maire ne peut être condamné que s’il est possible d’établir un acte personnel distinct du vote).

§ 2.

Signification de la responsabilité personnelle

Un individu ne peut être déclaré pénalement responsable qu’en raison de sa participation personnelle à la commission d’une infraction. A contrario, celui qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation d’une infraction – en tant qu’auteur ou en tant que complice – ne peut en répondre pénalement ni être condamné. Négativement, ce principe interdit de recourir à deux techniques de mise en úuvre de la responsabilité pénale. D’une part, le principe de responsabilité personnelle interdit toute responsabilité pénale collective, comme le droit plus ancien en a connu. En effet, avant la naissance de la justice publique, la réaction pénale était dirigée non seulement contre celui qui avait enfreint les règles en vigueur mais également contre le groupe auquel il appartenait, c’est-à-dire sa famille, sa tribu ou son clan. Ce type de responsabilité a très vite été proscrit : le principe de responsabilité personnelle interdit de condamner tous les membres d’un groupe pour la seule circonstance qu’une infraction a été commise par l’un d’entre eux. D’autre part, le principe de la responsabilité du fait personnel interdit toute responsabilité pénale du fait d’autrui qui consisterait à condamner un individu pour l’infraction commise, dans ses éléments matériel et moral, par un autre. Le droit civil connaît une technique qui permet, par exemple, aux parents, commettants et maîtres d’être tenus de réparer les dommages causés respectivement par leurs enfants, leurs préposés et leurs domestiques. Au contraire, la responsabilité pénale ayant un caractère personnel, il importe que toute personne déclarée pénalement responsable se voie reprocher une faute (par exemple, Crim., 5 juin 1996, Bull. crim. n° 234 ; 9 octobre 1996, Droit pénal 1997, comm. n° 24 ; 16 janvier 2007, Bull. crim. n° 8). Ce principe concerne aussi bien les personnes physiques que les personnes morales. Si la société qui a commis les infractions est absorbée, elle perd son existence juridique et, par conséquent, il n’est pas possible de condamner la société absorbante (Crim., 20 juin 2000, Bull. crim. n° 237 ; 14 octobre 2003, Bull. crim. n° 189). Cette règle n’interdit cependant pas de recourir à des présomptions légales de responsabilité. Ainsi, en matière de circulation routière, dans la mesure où ces infractions sont généralement constatées en l’absence du conducteur ou au moyen d’appareils de contrôle automatique, le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule est « responsable pécuniairement » des infractions à la réglementation sur le stationnement des véhicules ou sur l’acquittement des péages (art. L. 121-2 du Code de la route) et « redevable pécuniairement de l’amende encourue » pour les contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées, sur les signalisations imposant l’arrêt des véhicules, sur le respect des distances de sécurité et sur l’usage des voies et chaussées réservées à certaines catégories de véhicules (« voies de bus »), à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu’il n’apporte tous les éléments permettant d’établir qu’il n’est pas l’auteur vérita170

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


ble de l’infraction (art. L. 121-3 du Code de la route ; la Cour de cassation considère cependant qu’il ne s’agit pas d’une présomption de culpabilité et que la personne déclarée redevable n’est pas responsable pénalement de l’infraction : Crim. 3 mai 2007 ; 31 mai 2007, Droit pénal 2007, comm. n° 138). De même, selon l’article 419 du Code des douanes, les marchandises sont réputées avoir été importées en contrebande à défaut de justification de leur origine ou de présentation de certains documents. Le recours à des présomptions n’a pas été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que les présomptions de fait ou de droit ne sont pas contraires à la présomption d’innocence, à condition qu’elles soient enserrées dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense (CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku contre France). De son côté, le Conseil constitutionnel a estimé qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomptions de culpabilité en matière répressive. Toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas un caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité (Cons. constit. 16 juin 1999, JO 19 juin 1999).

SECTION II

La responsabilité pénale des dirigeants Il y a lieu de parler de responsabilité du fait d’autrui lorsqu’une personne voit sa responsabilité pénale engagée – et peut donc faire l’objet d’une condamnation pénale – à cause de l’activité délictuelle d’un tiers, et ce malgré le fait qu’elle n’a pas matériellement et intellectuellement commis elle-même l’infraction. La stricte application du principe de la responsabilité personnelle devrait s’opposer à réprimer une personne pour des actes commis par un autre. Toutefois, la loi et la jurisprudence prévoient, dans certaines hypothèses, que les chefs d’entreprise (appelés commettants) puissent être pénalement responsables du fait des infractions commises par leurs salariés (appelés préposés). Ainsi, le chef d’une industrie peut être condamné pour le délit de pollution des eaux matériellement commis par un de ses employés, de même que le patron d’une entreprise de transport de marchandises pour les infractions sur les temps de conduite que commettraient les conducteurs qu’il emploie ou un dirigeant pour le recours à un travailleur clandestin recruté par un subordonné qu’il était censé contrôler. La chambre criminelle de la Cour de cassation a affirmé, à l’occasion de la mise en úuvre de cette technique d’imputation de la responsabilité pénale, que « si en principe nul n’est passible de peines qu’à raison de son fait personnel, la responsabilité pénale peut cependant naître du fait d’autrui » (par exemple, Crim., 28 février 1956, JCP 1956, II, 9304). Est-ce à dire que le principe de la responsabilité pénale du fait personnel est foncièrement méconnu par les tribunaux, au mépris de l’article 121-1 du Code pénal ? En réalité, l’employeur est généralement condamné en raison de sa faute personnelle. LARCIER

Le principe de la responsabilité pénale du fait personnel CHAPITRE 1

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§ 1.

Domaine de la responsabilité des dirigeants

Les cas de responsabilité du fait d’autrui concernent presque uniquement le monde de l’entreprise. Parfois, cette responsabilité est directement prévue dans le texte d’incrimination, c’est-à-dire par une disposition expresse. Parfois, elle provient de la jurisprudence.

A) Principales dispositions prévoyant la responsabilité pénale des chefs d’entreprise Dans de nombreux domaines d’activités, la loi pénale prévoit expressément la responsabilité pénale des chefs d’entreprise : hygiène et sécurité au travail (art. L. 4741-1 du Code du travail), réglementation sociale dans les entreprises de transport (art. 3 bis de l’ordonnance n° 58-1310 du 23 décembre 1958), législation en matière de sécurité sociale (art. R. 244-4 du Code de la Sécurité sociale), pratiques commerciales trompeuses (art. L. 121-5 du Code de la consommation), urbanisme (art. L. 480-4 du Code de l’urbanisme), accès des mineurs aux salles de cinéma (décret n° 92-445 du 15 mai 1992), protection de l’environnement (par exemple art. L. 541-48 du Code de l’environnement pour ce qui est de l’élimination des déchets). La loi institue même parfois un régime particulier de responsabilité « en cascade ». Ainsi, sont responsables des infractions commises par voie de presse, dans l’ordre : les directeurs de publications ou éditeurs ; à défaut, les auteurs ; à défaut des auteurs, les imprimeurs ; à défaut des imprimeurs, les vendeurs, distributeurs et afficheurs (art. 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). Lorsque ces infractions sont commises par un moyen de communication au public par voie électronique, sont responsables le directeur de la publication, à défaut l’auteur, à défaut le producteur (art. 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 ; voir par exemple Crim. 8 décembre 1998, Bull. crim. n° 355 : à défaut de poursuites contre l’auteur d’un message illicite sur un service télématique, responsabilité du producteur du service). En l’absence de dispositions textuelles expresses permettant de faire peser la responsabilité pénale sur le dirigeant, la jurisprudence fait parfois jouer les mécanismes de la responsabilité du fait d’autrui.

B) Extension jurisprudentielle de la responsabilité pénale des dirigeants La jurisprudence a admis la responsabilité pénale des dirigeants du fait de leurs préposés dans de nombreux cas où le texte pénal applicable ne comportait pourtant aucune mention explicite d’un tel transfert de responsabilité. Les tribunaux, en particulier la chambre criminelle de la Cour de cassation, ont donc élaboré une véritable théorie de la responsabilité pénale des chefs d’entreprise du fait de leurs salariés, la généralisant à l’ensemble des secteurs d’activité dans lesquels l’entreprise est impliquée. Il a ainsi été affirmé que « si en principe nul n’est passible de peines qu’à raison de son fait personnel la responsabilité pénale peut cependant naître du fait d’autrui dans les cas exceptionnels où certaines obligations légales imposent le devoir d’exercer une action directe sur les faits d’un auxiliaire ou d’un subordonné… notamment, dans les industries soumises à des règlements édictés dans un intérêt de salubrité ou de sûreté publiques, la responsabilité pénale remonte essentiellement 172

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


aux chefs d’entreprises, à qui sont personnellement imposés les conditions et le mode d’exploitation de leur industrie » (Crim., 28 février 1956, JCP 1956, II, 9304, note De Lestang).

§ 2.

Justification de la responsabilité pénale des dirigeants

Il est souvent affirmé que la responsabilité pénale des dirigeants du fait de leurs préposés ne déroge en rien au caractère personnel de la responsabilité pénale, affirmé à l’article 121-1 du Code pénal. En effet, il pèse sur les dirigeants un devoir général de contrôle ou de surveillance, l’obligation de faire respecter, dans la gestion et la direction quotidienne de leur entreprise, l’ensemble de la législation et de la réglementation applicables. Le fait qu’un salarié ne respecte pas les prescriptions imposées par ces textes revient alors à imputer une faute au chef d’entreprise qui a, en quelque sorte, perdu la maîtrise de la structure qu’il dirige. C’est donc une faute personnelle d’imprudence ou de négligence qui est reprochée au dirigeant. En raison de ses fonctions et en vertu de ses pouvoirs, il doit personnellement veiller au bon fonctionnement de l’entreprise et prendre les mesures qui s’imposaient pour que la réglementation à laquelle est soumise l’entreprise soit respectée en toutes circonstances. L’infraction engageant la responsabilité pénale du chef d’entreprise consiste dans la violation d’une prescription à la législation ou à la réglementation auxquelles l’entreprise et son dirigeant sont soumis : soit la législation et la réglementation spéciales applicables à l’activité considérée (par exemple, celles auxquelles sont soumis une entreprise de transport routier, un supermarché ou une auto-école), soit la législation et la réglementation générales applicables à toutes les entreprises, indépendamment de leur secteur d’activité (droit du travail – en particulier réglementation sur l’hygiène et la sécurité au travail, droit de la Sécurité sociale, droit fiscal, protection de l’environnement). Dès lors, la simple constatation que des infractions à cette réglementation ont été commises par des personnes placées sous son autorité entraîne une présomption de faute d’imprudence ou de négligence à la charge du dirigeant et sa propre responsabilité pénale est alors engagée. Ainsi, pour schématiser, on peut considérer que commet une faute susceptible d’engager sa responsabilité le chef d’entreprise ou le chef de chantier titulaire d’une délégation qui ne met pas des dispositifs de protection à disposition de ses ouvriers ou ne fait pas tout le nécessaire – en usant par exemple de son pouvoir disciplinaire – pour s’assurer que ces dispositifs sont effectivement utilisés par les employés. Il est alors responsable de l’infraction matériellement commise par un salarié, mais en raison de sa faute personnelle. Il pourra être allégué par le dirigeant qu’il ne pouvait contrôler pratiquement l’ensemble des activités de l’entreprise, compte tenu de sa taille, du nombre de salariés ou de la diversité de ses activités. Toutefois, même dans ce cas, on présume qu’une faute a été commise par le dirigeant puisqu’il lui incombait alors de déléguer ses pouvoirs. Par contre, il n’y a pas lieu de condamner le dirigeant s’il s’acquitte de ses obligations en informant les salariés du contenu de la réglementation, en donnant les instructions pour la respecter, en organisant le travail en conséquence, LARCIER

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173


en s’assurant du respect effectif de cette réglementation et si, en définitive, la violation de la réglementation est due à la seule faute des salariés. Certains textes, comme l’article L. 4741-1 du Code du travail en matière d’hygiène et de sécurité du travail, exigent d’ailleurs expressément une faute personnelle du chef d’entreprise pour engager sa responsabilité pénale et, la plupart du temps, les tribunaux constatent effectivement la carence du dirigeant ainsi que sa faute personnelle d’imprudence ou de négligence, appliquant alors les règles classiques relatives à la responsabilité pénale. La faute a ainsi pu résider dans l’omission de donner des consignes précises aux travailleurs et de mettre à leur disposition le matériel et les équipements de sécurité nécessaires (Crim., 10 juin 1980, Bull. crim. n° 184), dans l’omission de procéder à la désignation d’une personne compétente pour surveiller un appareil dangereux (Crim., 25 janvier 1983, Bull. crim. n° 33), dans l’omission de prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre d’un chauffeur routier ayant irrégulièrement manipulé à plusieurs reprises sur son véhicule de travail un appareil d’enregistrement des vitesses (Crim., 4 juin 1991, Bull. crim. n° 238) et, d’une façon plus générale, dans l’omission d’informer les salariés du contenu de la réglementation, de leur donner les instructions nécessaires pour la respecter et de s’assurer de sa constante application. Cette jurisprudence est particulièrement nette en matière d’homicide ou de blessures involontaires lorsque le dirigeant a, par exemple, laissé un ouvrier inexpérimenté utiliser du matériel dangereux sans avoir au préalable donné de directives précises (Crim., 18 octobre 1977, Bull. crim. n° 305), omis d’intervenir pour que les dispositifs de sécurité soient effectivement utilisés (Crim., 4 octobre 1978, Bull. crim. n° 257), omis de mettre en place un dispositif de protection ou un système de sécurité efficace (Crim., 8 avril 1967, Bull. crim. n° 111 ; Crim., 28 octobre 1986, Bull. crim. n° 311 ; Crim., 30 juin 1998, Bull. crim. n° 210), la circonstance que ce système est coûteux et long à mettre en place étant inopérante (Crim., 4 janvier 1984, Bull. crim. n° 5), omis, avant de partir en congés annuels, de définir un mode opératoire pour l’exécution d’une manúuvre exceptionnelle et laissé les travaux à des intérimaires (Crim., 17 juin 1997, Bull. crim. n° 237), omis d’établir un plan de prévention avant le commencement de travaux (Crim., 12 mai 1998, Bull. crim. n° 159 ; 4 août 1998, Bull. crim. n° 223) ou encore fourni un dispositif de protection non conforme (Crim., 16 septembre 1997, Bull. crim. n° 299). Inversement, les tribunaux jugent logiquement que le dirigeant n’est pas responsable si la violation de la prescription législative ou réglementaire est due à la faute exclusive de la victime ou d’un salarié. Ainsi, lorsque la victime avait la qualification et les connaissances qui lui permettaient de prévenir la survenance de l’accident et disposait du matériel adéquat (Crim., 3 mai 1978, Bull. crim. n° 136), lorsque la victime, face à une difficulté inattendue, n’a pas utilisé un dispositif d’alerte et a pris l’initiative de se placer dans la position qui lui fut fatale (Crim., 23 janvier 1979, Bull. crim. n° 31), lorsque l’accident provient d’une faute de la victime qui a conduit, sans y être habilitée, un chariot élévateur, malgré des observations verbales, des consignes écrites affichées, et en échappant au contrôle des surveillants (Crim., 14 mars 1979, Bull. crim. n° 109), lorsque le PDG de la société est en congé et que l’accident provient de l’exécution, par un salarié, d’une tâche non prévue et effectuée à la seule initiative d’un contremaître, pourtant dépourvu d’une délégation de pouvoirs (Crim., 20 septembre 1980, Bull. crim. n° 237), lorsqu’un ouvrier disposant d’une expérience professionnelle de vingt ans avait à sa disposition tous les dispositifs de protection 174

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Droit pénal général


nécessaires et a causé le dommage en contrevenant aux ordres reçus (Crim., 14 octobre 1986, Bull. crim. n° 288), lorsque le salarié procède à un changement d’affectation de sa seule initiative et à l’insu de l’employeur (Crim., 23 octobre 1990, Bull. crim. n° 354). Dans toutes ces affaires, il ne peut être démontré aucune faute personnelle à l’encontre du chef d’entreprise.

§ 3. Condition de la responsabilité pénale des chefs d’entreprise : l’absence de délégation de pouvoirs Lorsque la loi contient une disposition expresse qui désigne le dirigeant comme le responsable pénal des infractions commises, elle use de termes divers, tels que l’employeur, le dirigeant de droit ou de fait ou encore la personne en charge de la direction, de la gestion ou de l’administration de l’entreprise. En réalité, au-delà de ces termes, c’est la personne qui exerce effectivement le pouvoir de gestion et de direction de l’entreprise qui est visée : gérant de SARL, président du conseil d’administration d’une SA (Crim., 23 juillet 1996, Bull. crim. n° 301 ; Crim., 29 avril 1998, JCP 1999, II, 10021 ; Crim., 17 octobre 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 22), président du directoire d’une SA (Crim., 21 juin 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 116), directeurs généraux d’une SA, qui disposent à l’égard des tiers des mêmes pouvoirs que le président (Crim., 6 mai 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 147), président d’une association, dirigeant de fait (par exemple, Crim., 10 mars 1998, Bull. crim. n° 94), président du conseil d’administration d’une coopérative agricole (Crim., 28 juin 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 126). En pratique, seule la preuve d’une délégation de pouvoirs à un subordonné, dans le domaine d’activité où l’infraction a été commise, pourra exonérer le chef d’entreprise. Il devra donc démontrer qu’un autre que lui était en charge de faire respecter, dans le domaine d’activité considéré, la réglementation générale et spéciale en vigueur : il devra prouver qu’il a effectué une délégation de pouvoirs au profit d’un membre du personnel (par exemple, un chef de chantier ou un chef de service), c’est-à-dire transféré à celui-ci une partie de ses pouvoirs de contrôle et de surveillance. La responsabilité pénale pèsera alors sur le délégataire. Toutefois, la délégation de pouvoirs n’exonère le dirigeant que si elle s’accompagne de certaines conditions de nature à la rendre pertinente et efficace.

A) Conditions d’une délégation valable En premier lieu, la délégation n’est valable que si elle est objectivement justifiée, c’est-à-dire si, compte tenu de la taille de l’entreprise et du nombre de salariés, le dirigeant ne pouvait pas assurer effectivement lui-même le contrôle et la surveillance de l’ensemble des activités de la société. En deuxième lieu, la délégation doit être explicite, certaine et dépourvue d’ambiguïté : une délégation totale (c’est-à-dire de l’ensemble des pouvoirs du dirigeant), une délégation des mêmes pouvoirs à plusieurs salariés (hypothèse de la codélégation) (par exemple, Crim., 2 octobre 1979, Bull. crim. n° 267 ; Crim., 6 juin 1989, Bull. crim. n° 243) ou une délégation écrite intervenue le jour même où l’infraction est constatée (Crim., 10 juin 1980, Bull. crim. n° 184) ne satisfont pas à cette exigence. La délégation doit avoir été consentie par la personne qui l’invoque : un dirigeant ne peut pas LARCIER

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s’exonérer de la responsabilité pénale qu’il encourt de par ses fonctions en invoquant une délégation de pouvoir accordée par un autre dirigeant (Crim., 26 juin 2001, Bull. crim. n° 160). En dernier lieu et surtout, la délégation de pouvoirs doit être accordée à une personne « pourvue de la compétence ainsi que de l’autorité nécessaires pour veiller efficacement à l’observation de la loi » (par exemple, Crim., 28 juin 1902, Bull. crim. n° 237 ; Crim., 21 février 1968, Bull. crim. n° 57 ; Crim., 28 janvier 1973, Bull. crim. n° 25 ; Crim., 22 mai 1973, Bull. crim. n° 230 ; Crim., 23 janvier 1975, Bull. crim. n° 30 ; Crim., 18 octobre 1977, Bull. crim. n° 305 ; Crim., 27 février 1979, Bull. crim. n° 88 ; Crim., 17 novembre 1987, Bull. crim. n° 416 ; Crim., 10 septembre 2002, Bull. crim. n° 160 ; Crim. 4 sept. 2007, Droit pénal 2007, comm. n° 153 ; Crim. 8 décembre 2009). Cela signifie que le délégataire doit avoir la capacité, la compétence et la qualification pour assurer efficacement les fonctions qui lui sont conférées (qualification attestée essentiellement par l’expérience professionnelle). Par ailleurs, le délégataire doit pouvoir faire respecter en pratique la réglementation dans le secteur d’activité dont il a la charge : pour ce faire, il doit disposer du pouvoir disciplinaire, d’une autonomie et des moyens matériels et financiers propres à lui permettre de remplir efficacement ses fonctions.

B) Domaine de la délégation La jurisprudence admet la délégation de pouvoirs sauf si la législation ou la réglementation l’exclut d’une façon expresse (Crim., 11 mars 1993, Bull. crim. n° 112 ; Crim., 7 novembre 1994, Bull. crim. n° 354 ; Crim., 29 avril 1998, JCP 1999, II, 10021 : « sauf si la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires »). De même, les mesures qui relèvent du pouvoir de direction propre au chef d’entreprise sont insusceptibles de délégation. Il existe donc des domaines où la délégation de pouvoirs n’exonère pas le chef d’entreprise de sa responsabilité (par exemple, Crim., 3 mars 1998, Bull. crim. n° 81, pour la consultation du comité d’entreprise ; 15 mai 2007, Bull. crim. n° 126, pour l’entrave au fonctionnement du comité d’entreprise ; 6 novembre 2007, Bull. crim. n° 266, pour l’entrave au renouvellement des membres de la délégation unique du personnel).

C) Effets d’une délégation valable Une délégation valable emporte un transfert de la responsabilité pénale sur la personne du délégataire. Celui-ci étant investi de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour faire assurer le respect de la réglementation, il est substitué au chef d’entreprise dans les pouvoirs qui lui sont délégués. Si une infraction est commise par un salarié de l’entreprise placé sous son autorité, c’est lui que l’on présume alors avoir commis la faute d’imprudence ou de négligence l’amenant à répondre de l’infraction commise (par exemple, Crim., 17 juin 1997, Bull. crim. n° 237 ; Crim., 14 octobre 1997, Bull. crim. n° 334). En tout état de cause, les juges ne sauraient, en présence d’une délégation, condamner à la fois le dirigeant et le délégataire pour l’infraction commise par un préposé (Crim., 14 février 1973, Bull. crim. n° 81 ; Crim., 23 janvier 1975, Bull. crim. n° 30 ; Crim., 14 mars 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 74). Le chef d’entreprise qui a valablement transféré ses 176

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


fonctions est exonéré de toute responsabilité pénale (Crim., 6 mai 1996, 1re espèce, Droit pénal 1996, comm. n° 261 ; 6 mars 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 75). Bien entendu, la délégation ne joue aucun rôle exonératoire en dehors de son domaine et il appartient aux tribunaux de s’assurer que la délégation s’étend au secteur d’activité dans le cadre duquel l’infraction a été commise (par exemple, Crim., 7 novembre 1994, Bull. crim. n° 354). Le chef d’entreprise reste responsable des infractions commises par les salariés dans les services où il conserve la plénitude de ses pouvoirs. De même, le dirigeant n’est exonéré qu’à la condition de n’avoir pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction. S’il a participé à l’opération constitutive de l’infraction, la délégation de pouvoirs qu’il a consentie est inopérante (par exemple, Crim., 6 février 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 78 ; Crim., 17 septembre 2002, Droit pénal 2003, comm. n° 9). Par ailleurs, rien n’interdit au délégataire, en accord avec le chef d’entreprise, de transférer tout ou partie de ses pouvoirs à un autre salarié doté de la compétence et de l’autorité nécessaires. Les subdélégations sont donc admises par la jurisprudence (par exemple, Crim., 8 février 1983, Bull. crim. n° 48 ; 14 février 1991, Bull. crim. n° 79) et le subdélégataire est alors responsable des infractions commises par les employés.

LARCIER

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CHAPITRE 2

La responsabilité pénale des personnes morales Jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, seules les personnes physiques (les êtres humains) pouvaient être déclarées pénalement responsables. Il n’en a pas toujours été ainsi : sous l’Antiquité et au Moyen Âge, des tribunaux avaient, à l’occasion, jugé des animaux, voire des objets. De même, l’ancien droit permettait, dans une ordonnance de 1670, de sanctionner pénalement les communautés, bourgs et villages. Toutefois, à partir de la Révolution et sous l’empire du Code pénal de 1810, on a admis que le droit pénal ne concernait, et ne pouvait concerner, que les personnes physiques, les personnes morales (comme les sociétés, les associations, les syndicats ou les communes) ne pouvant être pénalement sanctionnées. La Cour de cassation affirmait régulièrement que « toute peine est personnelle, sauf les exceptions spécialement prévues par la loi ; elle ne peut donc être prononcée contre un être moral… lequel peut seulement être déclaré civilement responsable » (par exemple, Crim., 10 janvier 1929, Bull. crim. n° 14 ; Crim., 6 juillet 1954, Bull. crim. n° 250) ou encore qu’« il est de principe qu’une personne morale ne peut encourir une responsabilité pénale ; il n’en saurait être autrement qu’en vertu d’une disposition particulière de la loi » (Crim., 17 mai 1930, Bull. crim. n° 154 ; Crim., 27 avril 1955, Bull. crim. n° 210 ; Crim., 6 février 1975, Bull. crim. n° 43). Dans ces conditions et sauf rares exceptions, il n’était possible d’engager la responsabilité que des dirigeants ou des représentants de ces personnes morales (par exemple, Crim., 28 novembre 1973, Bull. crim. n° 440 ; 11 juin 1974, Bull. crim. n° 212 ; 6 février 1975, Bull. crim. n° 43). En instituant la responsabilité pénale des personnes morales, le Code pénal a rompu avec les principes classiques. SECTION I

Pourquoi admettre la responsabilité pénale des personnes morales ? Diverses considérations ont amené le législateur à admettre largement la responsabilité pénale des êtres moraux.

§ 1. D’un point de vue théorique, il est possible de sanctionner une personne morale en raison de sa propre activité criminelle À vrai dire, les arguments avancés depuis longtemps pour rejeter la possibilité d’une responsabilité pénale propre aux personnes morales ne tiennent pas. LARCIER

La responsabilité pénale des personnes morales CHAPITRE 2

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Il a été longtemps affirmé que la personnalité morale est une fiction juridique. Créée par des hommes et dirigée par des hommes, la personne morale n’aurait pas de volonté propre et ne saurait commettre personnellement de faute ; si infraction il y a, il conviendrait alors de sanctionner ceux qui se trouvent à la tête de l’entité. Toutefois, cette approche est inexacte : dans la mesure où les décisions sont prises le plus souvent par les organes sociaux, la personne morale a une volonté collective propre, née certes de la rencontre de volontés individuelles mais pouvant différer de la volonté de chacun des membres du groupement. S’il est vrai que certaines sanctions pénales, au premier rang desquelles les peines privatives de liberté, sont inapplicables aux personnes morales, d’autres sanctions peuvent les frapper efficacement, comme l’amende, la fermeture d’établissement ou la dissolution. Cette solution est apparue profondément injuste puisqu’à travers la personne morale, les dirigeants et même les employés seraient indistinctement frappés, quel que soit leur rôle, de sorte qu’il en résulterait une atteinte au principe de la personnalité des peines. Cependant, on observera que la sanction porte sur les droits et le patrimoine propres à l’entité et qu’une sanction pénale a toujours, à y regarder de plus près, une incidence dommageable indirecte sur des tiers (par exemple sur la famille d’un condamné).

§ 2.

D’un point de vue pratique, de nombreuses infractions sont commises par les personnes morales

L’objet social d’une personne morale, notamment d’une société, n’est certes pas la commission d’une infraction. Toutefois, en pratique, la personne morale est susceptible de commettre de nombreuses infractions soit parce qu’elle n’est en fait qu’un écran (ainsi d’une entreprise mafieuse), soit à l’occasion de l’exercice de ses activités (ainsi de la mise sur le marché de produits défectueux susceptibles de tuer ou de blesser involontairement). La réalité est qu’un nombre de plus en plus important d’infractions sont commises par les entreprises : en matière économique et commerciale mais aussi en droit du travail, en droit fiscal ou encore en matière de protection de la santé publique ou de l’environnement. Ces infractions doivent être d’autant plus efficacement réprimées que les moyens économiques et financiers mis en úuvre par une société sont souvent plus importants que ceux dont dispose un individu et que les conséquences de leurs actions sont autrement plus graves. Or, la répression d’avant le nouveau Code pénal était soit insuffisante lorsqu’un simple subalterne était condamné – les véritables responsabilités n’étant pas établies –, soit injuste lorsque le chef d’entreprise était sanctionné par le recours au mécanisme de la responsabilité des dirigeants du fait des préposés – la responsabilité pénale du dirigeant, présumée, n’étant pas toujours certaine et portant atteinte au principe de responsabilité personnelle. D’ailleurs, l’introduction dans le nouveau Code pénal de la responsabilité pénale des personnes morales a été présentée comme un moyen d’infléchir la jurisprudence sur la responsabilité pénale des dirigeants du fait des salariés et de ne retenir celle-ci qu’en cas de faute personnelle. Un premier bilan de l’application des dispositions du nouveau Code pénal concernant la responsa180

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


bilité pénale des personnes morales a montré que cet objectif a été atteint : dans près des deux tiers des décisions analysées (qui portaient essentiellement sur des infractions non intentionnelles), seule la personne morale a été condamnée (circulaire du 26 janvier 1998, JCP 1998, III, 20035).

§ 3. En réalité, les personnes morales faisaient déjà l’objet d’une répression Si la responsabilité pénale des personnes morales n’était pas reconnue avant le nouveau Code pénal, on peut toutefois remarquer que quelques exceptions étaient admises et que, dans certains domaines, de lourdes sanctions administratives frappaient déjà les sociétés.

A) Admission exceptionnelle de la responsabilité pénale des personnes morales Dans quelques hypothèses, la loi ou le juge imposaient à la personne morale de payer les amendes prononcées à l’encontre des dirigeants. De plus, la loi permettait parfois de déclarer la personne morale pénalement responsable d’une infraction (ainsi de l’ordonnance du 30 mai 1945 relative à la répression des infractions à la réglementation des changes ou de l’ordonnance du 30 juin 1945, abrogée, relative aux prix). Toutefois, il s’agissait là de cas exceptionnels, à l’inverse des sanctions administratives qui frappent les sociétés.

B) Sanctions administratives à l’encontre des personnes morales Les personnes morales encourent une responsabilité civile. Surtout, le droit administratif permet d’infliger des sanctions, en particulier des amendes, à l’encontre de sociétés méconnaissant des prescriptions législatives et réglementaires. C’est le cas par exemple en matière de concurrence (ententes prohibées et abus de position dominante) ou d’audiovisuel. Ces amendes administratives sont prononcées par des autorités administratives indépendantes, comme le Conseil de la concurrence ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel, et peuvent parfois être extrêmement lourdes. Dès lors, par symétrie, il est apparu que rien n’empêchait de permettre au juge pénal de sanctionner les personnes morales coupables de violations de la loi pénale, les compétences dévolues aux autorités administratives pouvant d’ailleurs apparaître comme un palliatif à l’irresponsabilité pénale des personnes morales. À l’instar de plusieurs États étrangers, comme le Royaume-Uni, les PaysBas, les États-Unis ou le Canada, la France a donc finalement admis la responsabilité pénale des personnes morales. Il s’agit sans nul doute de l’une des principales innovations du nouveau Code pénal. Cette responsabilité est prévue par l’article 121-2 du Code pénal qui dispose : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. LARCIER

La responsabilité pénale des personnes morales CHAPITRE 2

181


Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3. » Il ressort de cette disposition que, d’une part, le champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales n’est pas général et que, d’autre part, la mise en úuvre de cette responsabilité répond à certaines conditions particulières. SECTION II

Le domaine de la responsabilité pénale des personnes morales Le champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales est doublement limité : quant aux personnes morales pénalement responsables et quant aux infractions pour lesquelles cette responsabilité peut être engagée.

§ 1.

Les personnes morales pénalement responsables

L’article 121-2 du Code pénal ne permet d’engager la responsabilité pénale que des institutions dotées de la personnalité morale, c’est-à-dire celles titulaires de droits et d’obligations en vertu de la loi, amenées à la vie juridique par la loi. A contrario, il est donc impossible qu’un groupement ne disposant pas de la personnalité morale puisse être déclaré pénalement responsable. Par exemple, c’est le cas d’une société de fait, d’une société en participation (art. 1871 et 1873 du Code civil) ou encore d’une association non déclarée. Seuls leurs responsables personnes physiques pourront faire l’objet d’une condamnation. Ceci énoncé, toutes les personnes morales, hormis l’État, peuvent voir leur responsabilité pénale engagée, qu’elles soient à but lucratif ou désintéressées, françaises ou étrangères. Toutefois, il convient de distinguer les personnes morales de droit public de celles de droit privé car, si la responsabilité pénale des secondes est largement admise, celle des premières comprend d’importantes limites.

A) Les personnes morales de droit privé La responsabilité pénale des personnes morales ne souffre aucune exception s’agissant des personnes morales de droit privé. Que leur but soit lucratif (comme dans le cas d’une société commerciale) ou non lucratif (dans le cas d’une association), quel que soit leur objet, elles peuvent être déclarées pénalement responsables : les sociétés commerciales (SA, SARL…), les sociétés civiles, les groupements d’intérêt économique, mais aussi les associations déclarées (la déclaration étant une condition à l’octroi de la personnalité 182

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


morale), les syndicats, les partis politiques, les institutions représentatives du personnel (comme les comités d’entreprise), les fondations, les congrégations religieuses ou les syndicats de copropriétaires.

B) Les personnes morales de droit public Au contraire des personnes morales de droit privé, la responsabilité pénale n’est pas encourue indistinctement par toutes les personnes morales de droit public. À cet égard, ces dernières peuvent être classées en trois catégories : l’État, les collectivités territoriales et les autres personnes morales de droit public. L’État est expressément exclu des dispositions de l’article 121-2 du Code pénal. Il est pénalement irresponsable en tant que personne morale. Seuls ses agents peuvent, le cas échéant, être pénalement responsables (par exemple s’ils dépassent le cadre de leurs prérogatives). On justifie cette exclusion par le fait que l’État disposant du droit de punir, il ne peut se sanctionner lui-même ; de plus, il est nécessaire de préserver le principe de la séparation des ordres administratif et judiciaire. Par ailleurs, appliquer des sanctions pénales à l’État serait illusoire (la dissolution est naturellement inconcevable et l’amende revient à ponctionner le budget public pour lui reverser ensuite le montant prélevé). Toutefois, il a été fort justement noté que l’État exerce des activités diverses dont certaines relèvent d’un pouvoir de gestion identique à celui dont disposent les autres collectivités publiques. Or, celles-ci peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à l’occasion de ces activités. C’est dire si l’immunité pénale de l’État tient pour une grande part à la notion de souveraineté. Les autres collectivités publiques, c’est-à-dire les collectivités territoriales que sont les communes, les départements et les régions, ainsi que leurs groupements, comme les syndicats de communes ou les communautés urbaines, sont pénalement responsables dans des conditions restrictives. En effet, l’article 121-2 alinéa 2 réduit cette responsabilité aux « infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public ». La délégation de service public est définie par la loi comme le contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service (art. L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales tel que modifié par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001). Cette définition a été reprise à son compte par la jurisprudence, qui considère qu’est susceptible de faire l’objet d’une convention de délégation de service public toute activité ayant pour objet la gestion d’un tel service lorsque, au regard de la nature de celui-ci et en l’absence de dispositions légales ou réglementaires contraires, elle peut être confiée, par la collectivité territoriale, à un délégataire public ou privé rémunéré, pour une part substantielle, en fonction des résultats de l’exploitation (Crim., 3 avril 2002, Bull. crim. n° 77). Les activités susceptibles de faire l’objet d’une délégation de service public et d’engager, le cas échéant, la responsabilité pénale des collectivités territoriales, sont donc celles qui ne mettent pas en úuvre des prérogatives de puissance publique (l’imperium) mais relèvent du pouvoir de gestion des collectivités : transport public, distribution d’eau, gestion d’un musée, exploitation d’un théâtre (Crim., 3 avril 2002, Bull. crim. n° 77). Ces activités LARCIER

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peuvent être gérées directement par la collectivité territoriale en régie ou déléguées à une entreprise privée. Si la collectivité territoriale décide de gérer ellemême ces services en régie et commet une infraction à l’occasion de ces activités, elle pourra être déclarée pénalement responsable et condamnée par les juridictions répressives (comme la personne morale privée aurait été condamnée si la commune lui avait délégué la gestion de ces services). En revanche, les collectivités territoriales et leurs groupements sont irresponsables pénalement lorsqu’ils commettent des infractions à l’occasion d’activités mettant en úuvre des prérogatives de puissance publique, puisque ces activités ne sauraient faire l’objet d’une délégation à une personne privée. Il en est ainsi du maintien de l’ordre et de la sécurité publique, de la tenue de l’état civil ou encore du service de l’enseignement public qui n’est pas, par nature, susceptible de faire l’objet de conventions de délégation de service public (Crim., 12 décembre 2000, Bull. crim. n° 371, à propos de l’exécution du service public communal d’animation des classes de découverte suivies par les enfants des écoles pendant le temps scolaire ; Crim., 11 décembre 2001, Bull. crim. n° 265, à propos de l’obligation de mettre les machines affectées à l’enseignement technique en conformité avec les prescriptions relatives à la sécurité des équipements de travail). Par conséquent, en cas d’accidents, seuls les personnels et dirigeants de la collectivité publique pourront, le cas échéant, faire l’objet de poursuites. Enfin, les autres personnes morales de droit public, parmi lesquelles les établissements publics, les sociétés d’économie mixte (par exemple, Crim., 9 novembre 1999, Bull. crim. n° 252, pour une société d’économie mixte concessionnaire de l’exploitation du domaine skiable d’une station de sports d’hiver) et les entreprises nationalisées, sont pénalement responsables d’une manière générale, comme des personnes morales de droit privé, si elles commettent des infractions à l’occasion de leurs activités. Dans la pratique, la plupart des décisions retenant la responsabilité pénale de personnes morales portent sur des personnes morales de droit privé, plus particulièrement sur des sociétés commerciales. Sur les cent premières condamnations prononcées en matière délictuelle et inscrites au casier judiciaire, seules six ont concerné des personnes morales de droit public (circulaire du 26 janvier 1998, JCP 1998, III, 20035).

C) Les personnes morales étrangères Dans le silence de l’article 121-2 du Code pénal, il y a lieu de considérer que les personnes morales étrangères encourent également une responsabilité pénale, sous réserve que la loi pénale française puisse être applicable (voir p. 77 et s.). Par exemple, une société étrangère coupable d’escroquerie en France pourra être poursuivie et condamnée par les tribunaux répressifs français, même si des difficultés pratiques peuvent survenir si celle-ci n’a aucune attache (comme une filiale ou un établissement) sur le territoire français (en particulier, on ne voit pas comment une personne morale pourrait être extradée). Une coopération internationale étroite pour l’exécution des sanctions pénales prononcées contre les personnes morales est souhaitable. Par ailleurs, les termes de l’article 121-2 du Code pénal permettent d’exclure les États et collectivités publiques étrangers (du moins, pour ces dernières, en dehors des services publics pouvant être délégués) du champ 184

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d’application du droit pénal français. Or, loin d’être un cas d’école, des infractions parfois extrêmement graves et préjudiciables peuvent être commises par des institutions publiques étrangères, que ce soit en qualité d’auteur (par exemple, un État peut très bien fabriquer de la fausse monnaie française pour se doter de devises) ou de complice (ainsi, un État peut commanditer et fournir des moyens matériels et financiers à des individus pour commettre un acte de terrorisme sur le territoire français). Toutefois, en pratique, les principes de souveraineté et d’égalité des États composant la communauté internationale enjoignent de n’appliquer que les règles du droit international public relatives au règlement des différends et à la responsabilité internationale.

§ 2.

Les infractions pour lesquelles les personnes morales peuvent être pénalement responsables

À l’origine, le législateur de 1994 n’a pas posé une responsabilité générale encourue par les personnes morales pour toutes les infractions contenues dans le Code pénal, les Codes spéciaux ou les lois extérieures. En ce qui concerne les infractions susceptibles d’engager la responsabilité pénale des personnes morales, cette dernière était gouvernée par le principe de spécialité : elle ne pouvait être engagée que si une disposition textuelle le prévoyait expressément pour l’infraction considérée. Telle était la signification de l’article 121-2 du Code pénal quand il précisait que les personnes morales n’étaient pénalement responsables que « dans les cas prévus par la loi ou le règlement ». Il convenait alors de se reporter au texte pénal incriminant l’agissement : envisageait-il que les personnes morales puissent être déclarées pénalement responsables pour cette infraction ? Si aucune disposition ne le prévoyait expressément, une personne morale ne pouvait être condamnée pour cette infraction (par exemple, Crim., 30 octobre 1995, Bull. crim. n° 33 ; CA Paris, 5 mars 1999, D. 1999, IR, p. 122 ; Crim., 1er sept. 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 171). Par ailleurs, en application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, une personne morale ne pouvait être condamnée pour des faits commis avant l’entrée en vigueur du texte qui posait la responsabilité des personnes morales pour l’infraction en cause (Crim., 23 février 2000, Bull. crim. n° 85 ; voir p. 73). De multiples dispositions ont cependant envisagé la responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions qu’elles visaient. La liste de ces infractions a été progressivement étendue, au gré des modifications législatives et réglementaires, sans qu’une logique d’ensemble soit d’ailleurs véritablement suivie. En fin de compte, la responsabilité pénale des personnes morales était loin d’être résiduelle et était prévue pour de nombreuses infractions, dans une grande variété de domaines, y compris par les textes extérieurs au Code pénal : protection des consommateurs et sécurité des produits, protection de la santé publique, environnement, conditions d’exercice des activités commerciales, propriété intellectuelle, droit du travail, urbanisme… Ce faisant, le principe de spécialité a vite perdu de son sens, compte tenu de l’extension continue des cas dans lesquels la responsabilité pénale des perLARCIER

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sonnes morales était envisagée. Par ailleurs, dans la mesure où cette responsabilité est engagée par des personnes physiques agissant pour le compte de la personne morale, il n’y a pas, d’un point de vue théorique, d’infraction qui ne puisse pas être commise par une personne morale. C’est pourquoi la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (loi Perben II) a procédé à la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales et a supprimé le principe de spécialité (en abrogeant, au premier alinéa de l’article 121-2 du Code pénal, les mots : « et dans les cas prévus par la loi ou le règlement »). En conséquence, la responsabilité des personnes morales peut en principe être engagée pour n’importe quelle infraction (sous réserve, pour les faits commis antérieurement à cette date, du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ; voir p. 73). Elle n’est écartée que pour les crimes et délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, un régime spécifique de responsabilité étant d’ores et déjà organisé (selon un schéma de responsabilité en cascade ; voir p. 179).

SECTION III

Conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales Les personnes morales sont, d’une façon générale, pénalement responsables dans les mêmes conditions que les personnes physiques. Elles sont pénalement responsables pour une infraction consommée comme pour une infraction simplement tentée, pour une infraction intentionnelle comme pour une infraction non intentionnelle, enfin en qualité d’auteur ou en qualité de complice. L’article 121-2 du Code pénal procède à cet effet à un renvoi aux dispositions relatives à la complicité (art. 121-6 et 121-7 du Code pénal). Il est apparu cependant indispensable d’adapter les règles classiques du droit pénal aux particularités des personnes morales. Cela s’est traduit en premier lieu par l’établissement de règles de procédure pénale spécifiques, introduites dans le Code de procédure pénale (notamment aux art. 706-41 à 706-46 du Code de procédure pénale) par la loi d’adaptation du 16 décembre 1992. Il n’est pas question de détailler ici ces règles qui relèvent de la procédure pénale et non du droit pénal général. On relèvera simplement que la personne morale est normalement représentée en justice par l’intermédiaire de son représentant légal ou d’une personne bénéficiant d’une délégation de pouvoir. Lorsque des poursuites pour les mêmes faits ou des faits connexes sont également engagées à l’encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir le président du tribunal de grande instance aux fins de désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale. En deuxième lieu, les peines propres aux personnes physiques étant parfois impossibles à appliquer aux personnes morales (par exemple, les peines 186

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privatives de liberté), des peines spécifiques aux personnes morales ont été édictées (voir p. 254 et s.). En dernier lieu, les règles de fond relatives à la responsabilité pénale ont également fait l’objet d’aménagements. La personne morale étant une fiction juridique, elle ne peut réaliser ellemême et de façon autonome les éléments matériel et intellectuel de l’infraction : un intermédiaire – une ou plusieurs personnes physiques – est indispensable. C’est la raison pour laquelle l’article 121-2 du Code pénal pose le principe que les personnes morales sont pénalement responsables « des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Deux conditions sont donc exigées à la mise en úuvre de la répression à l’égard d’une personne morale : que l’infraction ait été commise par l’intermédiaire de ses organes ou de ses représentants, que l’infraction ait été commise pour son compte.

§ 1. Les personnes morales ne sont responsables que par l’intermédiaire de leurs organes ou représentants La personne morale n’est pénalement responsable que si une faute peut être imputée à ses organes ou ses représentants. En effet, ce n’est que par l’intermédiaire de ceux-ci, et donc finalement de personnes physiques, que la personne morale exprime sa propre volonté. Autrement dit, ce sont leurs décisions – ou leur inaction – qui sont seules susceptibles d’engager la responsabilité pénale de la personne morale. Cette faute doit nécessairement être rapportée, et les organes ou représentants fautifs doivent, en principe, être clairement identifiés avant toute condamnation (Crim., 18 janvier 2000, Bull. crim. n° 28 ; 23 mai 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 128 ; 1er avril 2008, Droit pénal 2008, comm. n° 140). Cependant, il n’est pas nécessaire de préciser l’identité de l’auteur des manquements constitutifs de l’infraction lorsqu’il apparaît que celle-ci n’a pu être commise, pour le compte de la personne morale, « que » par ses organes ou représentants (Crim. 20 juin 2006, Bull. crim. n° 188 ; 26 juin 2007, Droit pénal 2007, comm. n° 135 ; 25 juin 2008, Droit pénal 2008, comm. n° 140 : les infractions s’inscrivent dans le cadre d’une politique commerciale ; 28 janvier 2009, Droit pénal 2009, comm. n° 48), ou « nécessairement » par eux (Crim., 15 février 2011, Droit pénal 2011, comm. 62 : blessures subies par un agent SNCF par suite des insuffisances du plan de prévention des risques).

A) La faute Pour les infractions non intentionnelles, la faute sera une négligence, une imprudence ou un manquement à une obligation de sécurité commis par les organes ou représentants de la personne morale (par exemple, Crim., 1er décembre 1998, Bull. crim. n° 325 : défaut de diligence du président de la société qui aurait dû veiller à la mise en place d’un dispositif de protection et a ainsi violé la réglementation sur la sécurité au travail ; Crim., 14 décembre 1999, Bull. crim. n° 306 : manquement du délégataire de pouvoirs à son obligation de mettre à la disposition des travailleurs un instrument de travail approprié). La loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels n’a pas affecté les conditions d’engagement de la responsabilité LARCIER

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des personnes morales pour ces infractions ; en effet, la réforme introduite dans la définition de la faute d’imprudence ou de négligence ne concerne que les personnes physiques (voir p. 146 et s.). Pour les personnes morales, il n’y a donc pas lieu de distinguer selon que la faute est la cause directe ou indirecte du dommage. Toute imprudence, toute négligence, tout manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement est susceptible d’engager la responsabilité pénale de la personne morale, même si cette faute n’a causé qu’indirectement le dommage (Crim., 24 octobre 2000, Bull. crim. n° 308). Pour les infractions intentionnelles, il est nécessaire d’établir l’existence de l’intention coupable chez la personne physique qui agit pour le compte de la personne morale. La Cour de cassation a rappelé cette exigence à l’occasion d’une affaire concernant une personne morale poursuivie pour usage de fausses attestations, en déclarant qu’il appartenait de rechercher si l’organe de la personne morale avait eu « personnellement connaissance » de l’inexactitude des faits relatés dans les attestations et si l’élément intentionnel du délit était caractérisé, même s’il n’est pas nécessaire que l’organe ou le représentant ait été personnellement déclaré coupable des faits reprochés (Crim., 2 décembre 1997, Bull. crim. n° 408 ; JCP 1998, II, 10023). Il n’est donc pas exigé que la personne morale ait commis une faute distincte de celle reprochée à son organe ou à son représentant (Crim., 26 juin 2001, Bull. crim. n° 161). Sa responsabilité pénale s’analyse comme une responsabilité par « représentation » (CA Lyon, 3 juin 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 118 et 5 mai 1999, Droit pénal 1999, comm. n° 119).

B) Les organes et représentants Les organes (institution collégiale) et représentants (personnes physiques) dont il est question dans le Code pénal sont d’abord ceux à qui la loi ou les statuts du groupement ont conféré des fonctions de direction, d’administration, de gestion ou de contrôle et qui sont dès lors habilités légalement ou statutairement à prendre des décisions susceptibles d’engager la personne morale. En d’autres termes, ils sont aptes à agir au nom de la personne morale : assemblée générale et président d’une association, conseil d’administration, directoire, conseil de surveillance, gérant, PDG mais également administrateur ou liquidateur judiciaire d’une société, conseil municipal et maire d’une commune, pour ne citer que ces exemples. Il pourra également s’agir de l’organe ou du représentant de fait, à partir du moment où les prérogatives qu’il détient lui ont été octroyées par les organes ou représentants légaux de l’entité. Enfin, le représentant de la personne morale, au sens de l’article 121-2 du Code pénal, pourra être la personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exécution de sa mission, ayant reçu une délégation de pouvoirs de la part des organes de la personne morale ou une subdélégation de pouvoirs. La responsabilité de la personne morale sera alors engagée dès lors que les prescriptions légales ou réglementaires auront été enfreintes, pour son compte, par le délégataire ou le subdélégataire (Crim., 9 novembre 1999, Bull. crim. n° 252 ; 14 décembre 1999, Bull. crim. n° 306 ; 30 mai 2000, Bull. crim. n° 206 ; 26 juin 2001, Bull. crim. n° 161). A également la qualité de représentant, au sens de l’article 121-2 du Code pénal, la personne qui représente une société devant une juridiction (Crim., 21 mars 2000, Bull. crim. n° 128). 188

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Par contre, en l’absence d’une délégation régulière les autorisant à exercer certaines fonctions de direction ou d’administration, les préposés, par exemple les salariés d’une société, les employés d’une collectivité publique, les membres d’une association ou d’un syndicat, ne pourront pas engager la responsabilité pénale de la personne morale à raison des infractions qu’ils peuvent commettre, même si c’est pour le compte du groupement (sauf si leurs agissements découlent d’une décision ou d’un ordre de l’organe ou du représentant de la personne morale ; voir par exemple, CA Caen, 17 décembre 1997, Droit pénal 1998, comm. n° 82 : condamnation d’une association écologiste pour des faits commis par des militants agissant en son nom, à la suite d’une manifestation organisée par ses responsables). La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que le fait d’un salarié n’engage la responsabilité pénale d’une personne morale que si les juges du fond peuvent constater l’existence effective d’une délégation de pouvoirs et s’expliquer sur son statut et ses attributions (Crim., 11 octobre 2011, n° 10-87.212 ; Bull. crim., n° 202 ; Gaz. Pal. 14 janv. 2012, note E. Dreyer ; D. 2011, p. 2841, note N. Rials ; JCP G 2011, 1385, note J.-H. Robert ; JCP G 2012, 299, obs. J.-F. Cesaro ; Dr pénal 2011, comm. 149, note M. Véron ; AJP Pénal 2012, p. 35, note B. Bouloc).

§ 2. Les personnes morales ne sont responsables pénalement que des infractions commises pour leur compte Les agissements délictueux des organes et représentants de la personne morale ne suffisent pas à engager la responsabilité pénale de la personne morale. Encore faut-il que ces agissements aient été commis pour le compte de la personne morale, c’est-à-dire dans son intérêt. Cet intérêt peut bien entendu résider dans un profit économique, certain ou éventuel, ou dans la réalisation d’une économie pour le groupement. Par exemple, ce sera le cas d’une escroquerie visant à vendre des produits miracles, du vol chez un concurrent de documents sur la méthode de fabrication d’un produit compétitif ou d’un acte de pollution afin d’éviter d’investir dans de coûteux équipements, du recours aux services d’un entrepreneur clandestin pour terminer des chantiers importants (Crim., 7 juillet 1998, Bull. crim. n° 216). Toutefois, l’intérêt de la personne morale ne doit pas être strictement entendu. En effet, de nombreuses infractions pour lesquelles la responsabilité pénale de la personne morale est envisagée ne procureront en pratique aucun avantage, même indirect, au groupement. De plus, lorsqu’il s’agit d’infractions non intentionnelles, comme les atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité des personnes, il serait extrêmement réducteur de n’admettre la responsabilité pénale des personnes morales que lorsqu’elles en tirent un avantage. En définitive, la responsabilité pénale de la personne morale pourra être engagée dès lors que l’infraction est commise par un organe ou un représentant de celle-ci agissant dans le cadre de ses fonctions, au nom de la personne morale, dans la direction ou l’administration de celle-ci. En revanche, la responsabilité pénale de la personne morale ne saurait être engagée pour les infractions commises par son représentant si celui-ci agit, même dans le cadre de ses attributions, dans son intérêt personnel ou dans celui d’un tiers (par exemple, pour détourner des fonds). Seul ce représentant de la personne morale, en qualité de personne physique, pourra être déclaré pénalement responsable. LARCIER

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§ 3.

Sort de la responsabilité pénale des personnes physiques

L’article 121-2 alinéa 3 du Code pénal dispose que « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 ». Cette disposition prend tout son intérêt dès lors que l’on sait que la responsabilité pénale de la personne morale n’est concevable qu’à travers des décisions ou des actions d’individus composant ses organes ou la représentant : les dirigeants restent-ils pénalement responsables à titre personnel lorsqu’ils commettent une infraction pour le compte de la personne morale, dès lors que celleci est condamnée ? La réponse est affirmative : le dirigeant peut être déclaré coauteur dès qu’il réunit les éléments matériel et intellectuel de l’infraction. Les responsabilités se cumulent puisque ce n’est que par le biais des agissements du dirigeant que la responsabilité pénale de la personne morale est engagée. Cette règle est particulièrement vraie pour les infractions intentionnelles, lesquelles supposent chez leur auteur l’intention de commettre les faits incriminés. Toutefois, en pratique, c’est au ministère public, en vertu du principe de l’opportunité des poursuites, qu’il revient de décider contre qui engager une procédure : personne morale, dirigeant ou les deux. S’agissant des infractions non intentionnelles, plus particulièrement des homicides et des blessures involontaires commis à l’occasion des activités du groupe, il y a lieu de prendre également en compte la réforme introduite par la loi du 10 juillet 2000 dans la définition de la faute d’imprudence et de négligence. En ce qui concerne les personnes physiques, lorsque le lien de causalité entre la faute et le dommage est indirect, la responsabilité pénale de l’intéressé ne peut être engagée que s’il peut être rapporté une faute de mise en danger délibérée ou une faute caractérisée (voir p. 146 et s.). Les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales restant inchangées, cela signifie qu’une faute simple commise par le représentant de la personne morale et qui n’est qu’une cause indirecte du dommage n’engage pas la responsabilité pénale personnelle du représentant mais peut très bien engager celle de la personne morale, dès lors que l’infraction a été commise pour son compte : les personnes morales sont responsables pénalement de toute faute non intentionnelle de leurs organes ou représentants, alors même qu’en l’absence de faute délibérée ou caractérisée au sens de l’article 121-3 alinéa 4, la responsabilité pénale des personnes physiques ne pourrait être recherchée (Crim., 24 octobre 2000, Bull. crim. n° 308). Ceci confirme, si besoin était, que la responsabilité pénale du représentant, a fortiori sa condamnation, n’est pas un préalable ou une condition posée à la responsabilité pénale de la personne morale. En conclusion, on peut dire que si, dans une certaine mesure, l’article 121-2 du Code pénal a été institué pour infléchir la jurisprudence sur la responsabilité pénale des commettants du fait d’autrui (les motifs du projet de loi portant révision du Code pénal présentaient l’institution comme devant faire « disparaître la présomption de responsabilité pénale qui pèse en fait sur les dirigeants d’entreprise, à propos d’infractions dont ils ignorent parfois l’existence »), il n’a pas pour objet de déresponsabiliser les dirigeants d’entreprise et les chefs d’établissements. Simplement, un dirigeant ne pourra être condamné aux côtés de la personne morale que si une faute personnelle engageant sa responsabilité lui est imputable, dans les conditions de droit commun. 190

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CHAPITRE 3

La mise en jeu de la responsabilité pénale Si l’infraction est souvent le fait d’un seul individu, elle peut également être commise en groupe. Lorsque plusieurs personnes, physiques ou morales, ont participé à la réalisation de l’infraction, à des titres et à des degrés divers, on est alors en présence d’une infraction dite collective, susceptible de revêtir différentes formes. Tout d’abord, il peut advenir que l’infraction soit commise matériellement et intellectuellement par plusieurs personnes sans qu’il y ait eu entre elles d’entente préalable. On parle alors souvent de « crime des foules », commis soudainement, par un groupe d’individus. C’est l’hypothèse de supporters survoltés qui, lors d’une rencontre de football, commettent en groupe des dégradations et des violences ou de membres d’une association qui, à la sortie d’un palais de justice et à l’annonce d’un verdict d’acquittement, profèrent des injures et des menaces à l’encontre de la personne acquittée et de ses avocats. L’infraction collective peut également résulter d’une entente préalable, plus ou moins durable. Les participants à l’infraction se sont alors délibérément regroupés dans le dessein d’accomplir des actes interdits par la loi. Comment le droit pénal appréhende-t-il la pluralité de participants ? Sauf disposition spécifique, chaque participant voit sa responsabilité pénale engagée à titre personnel, en raison des actes qu’il a personnellement commis, soit en qualité d’auteur ou de coauteur, soit en qualité de complice (voir par exemple Crim., 8 octobre 1997, Droit pénal 1998, comm. n° 19 pour l’obstacle à la construction d’une autoroute). Toutefois, l’activité criminelle à plusieurs présente une dangerosité accrue et apparaît beaucoup plus répréhensible que si l’infraction avait été commise par un élément isolé. C’est la raison pour laquelle une répression spécifique est parfois aménagée à l’encontre des personnes agissant en groupe, par le biais de deux méthodes principales. D’une part, pour certaines infractions, la loi prévoit que la pluralité de participants est une cause d’aggravation de la peine encourue. Cette circonstance aggravante peut résulter de la commission de l’infraction en réunion, plus précisément lorsqu’elle est commise « par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ». C’est le cas des violences volontaires ou encore du viol, puni de 20 ans de réclusion criminelle, au lieu de 15 ans, lorsqu’il est commis en réunion (art. 222-24 6° du Code pénal). La circonstance d’aggravation de la répression peut également résider dans la commission de l’infraction en bande organisée, définie par l’article 132-71 du Code pénal comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions ». Ainsi de l’importation ou l’exportation illicites de stupéfiants : on passe de 10 ans d’emprisonnement à 30 ans de réclusion criminelle si cette infraction est commise en LARCIER

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bande organisée (art. 222-36 al. 2 du Code pénal). Dans toutes ces hypothèses, les peines encourues sont aggravées en raison de la pluralité de participants. D’autre part, compte tenu du fait qu’il convient de prévenir la réalisation des infractions les plus graves et de sanctionner les groupements criminels avant qu’ils n’agissent, la loi pénale sanctionne en tant que délit autonome, indépendamment de toute infraction, la participation à une association de malfaiteurs, définie à l’article 450-1 du Code pénal « comme tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis de cinq ans d’emprisonnement ». Ces précisions posées, il convient d’examiner les formes de participation à une infraction entraînant une responsabilité pénale, de déterminer à partir de quel degré de participation une personne peut être pénalement sanctionnée. Le Code pénal prévoit qu’un individu peut voir sa responsabilité pénale engagée de deux manières : soit parce qu’il est l’auteur d’une infraction, soit parce qu’il en est le complice. SECTION I

L’auteur de l’infraction Après avoir défini ce que recouvre exactement la notion d’auteur de l’infraction, il faudra préciser que, dans certaines hypothèses d’infractions collectives, plusieurs personnes peuvent être déclarées auteurs de l’infraction : ils sont alors coauteurs.

§ 1.

Définition de l’auteur

L’auteur d’une infraction est celui qui commet personnellement ou tente de commettre si la tentative est réprimée, dans les conditions prévues par le texte d’incrimination, des actes interdits et pénalement sanctionnés. En d’autres termes, il réunit les éléments matériel et intellectuel exigés par la loi pour que l’infraction soit constituée. Il s’agit donc d’une approche objective qui dépend en réalité du texte d’incrimination définissant dans quelles conditions les agissements sont prohibés. Dans la plupart des infractions, il s’agira d’un auteur matériel, celui-ci commettant matériellement des faits interdits. Parfois, il s’agira d’un auteur dit intellectuel ou moral, le « cerveau » en quelque sorte, lorsque le comportement interdit par le texte d’incrimination réside dans le fait de donner des ordres ou des instructions à un tiers en vue de l’accomplissement d’un acte. Ainsi, le génocide est défini par l’article 211-1 du Code pénal comme « le fait, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l’encontre de membres de ce groupe » un des actes ensuite énumérés. De la même manière, l’article 434-35 du Code pénal réprime le fait de remettre ou de faire parvenir à un détenu des sommes d’argent, des correspondances ou des objets dans des conditions irrégulières. 192

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


En matière de pollution marine, est puni non seulement le capitaine ou responsable à bord d’un navire ou d’une plate-forme effectuant des rejets en mer d’hydrocarbures, de substances liquides nuisibles ou d’ordures, mais encore le propriétaire ou l’exploitant qui aura donné l’ordre de commettre l’infraction (art. L. 218-20 du Code de l’environnement). Il en est de même pour les opérations interdites d’immersion ou d’incinération en mer de déchets : les peines sont alors portées au double (art. L. 218-50 et L. 218-65 du Code de l’environnement). En effet, la loi réprime parfois plus sévèrement l’auteur intellectuel de l’infraction que ses auteurs matériels, compte tenu de la particulière dangerosité du « cerveau » de l’entreprise criminelle. Celui qui dirige ou organise un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants (art. 222-34 du Code pénal), un mouvement insurrectionnel (art. 412-6 du Code pénal), un groupe de combat (art. 431-16 et 431-17 du Code pénal) ou un groupement ayant pour objet le recrutement, l’emploi, la rémunération, l’équipement ou l’instruction militaire de mercenaires (art. 436-2 du Code pénal) est ainsi sanctionné plus lourdement que les simples participants à ces trafics, mouvements ou groupements. En raison de la nature de certaines infractions, la jurisprudence assimile parfois l’auteur intellectuel à l’auteur de l’infraction, mais sans que les textes le lui permettent expressément. Il a été ainsi jugé que celui qui coopère sciemment à la fabrication d’un faux en relatant des faits inexacts commettait un faux au même titre que celui qui a personnellement fabriqué l’écrit (Crim., 4 janvier 1966, Bull. crim. n° 2 ; 3 juin 2004, Droit pénal 2004, comm. n° 144).

§ 2.

La coaction

Dans certains cas, les individus ayant participé à l’infraction aux côtés de l’auteur principal des faits pourront voir leur responsabilité pénale engagée en tant que complices lorsqu’ils n’ont pas personnellement commis les faits décrits par la loi. Cependant, lorsque leur participation va au-delà de la simple complicité, il y a lieu de les considérer comme des auteurs. On qualifie alors les différents protagonistes de coauteurs. On est en présence de coauteurs lorsque chacune des personnes a personnellement commis les éléments matériel et intellectuel pénalement sanctionnés par un texte. Ce sera le cas – pour caricaturer à l’extrême – de deux individus entrant dans une maison pour y commettre un vol et ressortant de celle-ci en portant tous les deux un canapé. Pour des raisons d’opportunité, il est vrai que la jurisprudence a parfois considéré comme coauteur celui qui n’était juridiquement qu’un complice : ainsi, il a été jugé que celui qui fait le guet pendant que l’auteur d’un vol agit est lui-même un coauteur (par exemple, Crim., 19 novembre 1943, Bull. crim. n° 129 ; 7 décembre 1954, Bull. crim. n° 375). Par ailleurs, la pluralité de participants peut parfois constituer en soi un élément constitutif de l’infraction. On est alors en présence d’infractions collectives par nature puisque la présence de plusieurs participants est nécessaire, ceux-ci étant alors tous considérés comme des coauteurs. C’est le cas du crime contre l’humanité (art. 211-1 du Code pénal), du complot (art. 412-2 du Code pénal), de la participation à un mouvement insurrectionnel (art. 412-3 et suivants du Code pénal), de la participation à un attroupement (art. 431-3 et suivants du Code pénal), de la participation à une manifestation illicite (art. 431-9 et suivants du Code pénal), de la participation à un LARCIER

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groupe de combat (art. 431-13 et suivants du Code pénal) ou encore de la participation à une association de malfaiteurs (art. 450-1 du Code pénal). Il est parfois délicat, sinon impossible, de déterminer avec précision le rôle exact joué par chaque participant d’une infraction collective. Les tribunaux qualifient alors de coauteurs l’ensemble des membres du groupe ayant participé à l’action délictuelle collective, sans qu’il soit nécessaire de préciser leur part respective de responsabilité. Cette jurisprudence est particulièrement nette en matière de violences collectives volontaires : si plusieurs individus ont commis ces violences, tous sont qualifiés de coauteurs, quelle que soit leur part respective dans la réalisation du dommage (en d’autres termes, tous seront condamnés même si certains ont frappé plus fort que d’autres et causé effectivement le dommage). Seule compte alors la participation active à l’action commune : lorsque des blessures ont été faites volontairement par plusieurs personnes au cours d’une scène unique de violences, l’infraction peut être appréciée dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire de préciser la nature des coups portés par chacun des prévenus à chacune des victimes (par exemple, Crim., 23 mars 1953, Bull. crim. n° 103 ; Crim., 14 décembre 1955, Bull. crim. n° 566 ; Crim., 19 novembre 1958, Bull. crim. n° 681 ; Crim., 13 juin 1972, Bull. crim. n° 195). Il en est de même pour les infractions non intentionnelles, particulièrement pour l’homicide et les blessures par imprudence, lorsqu’il n’est pas possible de déterminer la part individuelle de chacun des participants dans une action commune et lequel d’entre eux est la cause directe du dommage occasionné. Ainsi, il a été jugé que devaient être déclarés coauteurs deux personnes ayant tiré successivement et avec la même arme des coups de feu en direction de la victime, même si celle-ci n’a été touchée que par une seule balle (Crim., 19 mai 1978, Bull. crim. n° 158). Ils ont en effet participé ensemble à une action dangereuse et créé par leur commune imprudence un risque grave (également Crim., 12 octobre 1961, Bull. crim. n° 399 : jet de pierres ; Crim., 7 mars 1968, Bull. crim. n° 81 : jet de clous à la fronde). SECTION II

La complicité En présence d’une infraction commise à plusieurs, certaines personnes ont pu participer de manière partielle ou indirecte à la commission de l’infraction. Ne réunissant pas les éléments matériel et moral de l’infraction, il n’est pas possible de les qualifier de coauteurs. Toutefois, dès que certaines conditions sont réunies, il est possible de sanctionner la personne qui se contente de s’associer, de participer à une infraction commise par un autre individu, l’auteur principal. Son action entre alors dans le cadre de la complicité, régie par les articles 121-6 et 121-7 du Code pénal.

§ 1.

Les conditions de la complicité

Le complice est défini à l’article 121-7 du Code pénal comme « la personne qui sciemment, par aide ou assistance, a facilité la préparation ou la consommation [de l’infraction] » ou « qui par don, promesse, menace, ordre, abus 194

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre ». De cette définition ressortent trois conditions : la complicité n’est punissable qu’en présence, d’abord d’un fait principal punissable, ensuite d’un acte matériel de complicité entrant dans les catégories décrites par la loi, enfin d’une participation intentionnelle.

A) Le fait principal doit être punissable Le système retenu par le droit français pour réprimer les actes de complicité est celui de la criminalité d’emprunt. L’acte du complice n’est pas punissable en tant que tel, en tant que délit distinct. Il n’a pas de criminalité propre mais prend son caractère pénal par rapport au fait principal auquel il se rattache, à l’infraction commise par l’auteur. L’acte de complicité « emprunte » sa criminalité aux faits délictueux de l’auteur principal. Les mêmes qualifications et les mêmes peines lui seront applicables. Dans ces conditions, la première exigence propre à toute complicité punissable est que le fait principal auquel elle se rattache soit lui-même punissable ; a contrario, il n’y a pas de complicité si le fait principal n’est pas punissable. Cela implique, d’une part que le fait principal constitue au regard des textes une infraction, d’autre part que les faits principaux ainsi incriminés aient été commis ou tentés, ce qui n’est pas sans engendrer parfois des solutions contestables. 1) Le fait principal doit avoir été érigé par la loi ou le règlement en infraction pénale S’il apparaît que les faits commis à titre principal ne constituent pas une infraction pénale, celui qui s’est associé à ces faits n’est pas punissable. Avant de sanctionner le complice, les juges du fond doivent donc constater les éléments du fait principal punissable (par exemple, Crim., 12 février 1898, Bull. crim. n° 63 ; Crim., 30 octobre 1914, Bull. crim. n° 418 ; Crim., 27 juin 1967, Bull. crim. n° 190 ; 13 novembre 1973, Bull. crim. n° 414 ; 1er décembre 1987, Bull. crim. n° 438 ; Crim., 25 juin 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 145). Celui qui provoque ou aide à commettre des actes qui ne constituent pas au regard de la loi une infraction pénale ne saurait être un complice au sens de l’article 121-7 du Code pénal. Cette solution est conforme au principe de la criminalité d’emprunt mais peut paraître choquante dans certains cas. L’exemple classique est fourni par la provocation ou l’aide au suicide. Le suicide ou la tentative de suicide n’étant pas punissable en droit français, celui qui aide une personne à se suicider (par exemple, en lui donnant le poison, l’arme, la corde, ou simplement des conseils ou instructions pour réaliser son dessein) ou qui incite une ou plusieurs personnes à attenter à leur vie n’est pas punissable sur le terrain de la complicité. De même, la mendicité ne constituant plus une infraction depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, il ne saurait y avoir de complicité de mendicité. La même solution vaut pour la prostitution, qui n’est pas punissable en tant que telle. Toutefois, dans ces hypothèses, la loi est intervenue pour ériger en tant qu’infraction distincte l’aide, l’assistance ou l’acte de provocation, non punissable sur le terrain de la complicité, mais qui apparaît particulièrement dangereux ou contraire à l’ordre ou à la moralité publics. On peut à cet égard LARCIER

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195


mentionner la provocation au suicide (art. 223-13 et 223-14 du Code pénal), la provocation d’un mineur à la consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques (art. 227-19 du Code pénal), le proxénétisme (art. 225-5 et suivants du Code pénal) et l’exploitation de la mendicité (art. 225-12-5 à 225-12-7 du Code pénal). 2) Nature de l’infraction principale Il ressort de la rédaction de l’article 121-7 du Code pénal que les actes de complicité sont en principe punissables si le fait principal est un crime ou un délit (sauf pour certains délits d’imprudence ou de négligence non consciente dans lesquels la notion de complicité n’a pas sa place). S’agissant des contraventions, la jurisprudence considérait que la complicité de contravention n’était pas punissable, sauf si elle était expressément prévue par la loi (par exemple, Crim., 26 décembre 1857, Bull. crim. n° 415 ; Crim., 13 avril 1861, Bull. crim. n° 83). L’article 121-7 revoit le régime de la complicité de contravention pour l’admettre d’une façon plus large, distinguant la complicité par aide ou assistance de la complicité par instigation. S’agissant de la complicité par aide ou assistance, l’article 121-7 alinéa 1, en mentionnant expressément le complice « d’un crime ou d’un délit », pose le principe que la complicité par aide ou assistance d’une contravention n’est généralement pas punissable. Elle ne l’est que si le règlement en dispose autrement, c’est-à-dire incrimine expressément l’aide ou assistance pour la contravention déterminée. C’est le cas en particulier des bruits ou tapages injurieux ou nocturnes (art. R. 623-2 du Code pénal), des violences n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail (art. R. 624-1 du Code pénal) ou une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours (art. R. 625-1 du Code pénal), ou encore de la destruction, la dégradation ou la détérioration volontaires d’un bien appartenant à autrui et dont il n’est résulté qu’un dommage léger (art. R. 635-1 du Code pénal). Par contre, en vertu de l’article 121-7 alinéa 2, qui emploie le terme général d’« infraction », la complicité de contravention par instigation, c’est-à-dire par provocation ou instructions, est punissable d’une façon générale. Il n’est donc pas nécessaire que le règlement en dispose expressément. Les règles concernant la répression du complice d’une contravention par instigation sont les mêmes que pour les crimes ou délits, en vertu de l’article R. 610-2 alinéa 2 qui dispose que « Le complice d’une contravention au sens du second alinéa de l’article 121-7 est puni conformément à l’article 121-6 ». 3) Le fait principal doit avoir été commis ou tenté L’acte de complicité n’est punissable que si le fait principal, incriminé par la loi ou le règlement, auquel il est associé est lui-même punissable, c’est-àdire s’il a été entièrement consommé ou, dans les cas prévus par la loi, simplement tenté. En d’autres termes, la provocation ou l’aide à la commission d’une infraction n’est pas punissable sur le terrain de la complicité si l’infraction n’est pas commise. Cette règle comporte une double signification. D’une part et positivement, on sait que la tentative de crime et, dans les cas prévus par la loi, de délit peut être réprimée. Dans ces conditions, le complice d’une tentative punissable est lui-même punissable (par exemple, Crim., 23 mai 196

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1973, Bull. crim. n° 236 ; 4 juin 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 142 ; 12 décembre 2007, Droit pénal 2008, comm. n° 28). Autrement dit, la complicité de tentative est punissable. D’autre part et négativement, en l’absence d’infraction principale punissable, le complice n’est pas punissable, quelle qu’ait été la gravité de ses agissements. S’il y a eu désistement volontaire de celui qui devait commettre à titre principal les faits ou si ses agissements n’ont pas dépassé le stade des actes préparatoires, celui qui entendait s’associer à la commission de l’infraction n’est pas punissable (par exemple, Crim., 6 décembre 1816, Bull. crim. n° 85). On dit alors que la tentative de complicité n’est pas punissable (mais le terme tentative de complicité, largement usité, est ici impropre : il devrait être utilisé strictement à l’hypothèse dans laquelle un individu tente, sans y parvenir, d’apporter une aide à la commission d’une infraction ; voir par exemple, Crim., 23 mars 1978, Bull. crim. n° 116). Cette règle, là encore conforme au système de la criminalité d’emprunt, apparaît toutefois choquante. Ainsi, il a été jugé que l’individu qui recrute un tueur à gages pour commettre un meurtre ne saurait être punissable sur le terrain de la complicité dès lors que le tueur a renoncé à exécuter sa tâche (Crim., 25 octobre 1962, Bull. crim. n° 292 et 293, D. 1963, p. 221, note Bouzat ; cette lacune a été comblée par la loi AJEC du 9 mars 2004, qui a créé une infraction spécifique à l’article 2215-1 du code pénal ; voir ci-après). La provocation non suivie d’effet ne peut pas constituer un acte de complicité et n’est pas punissable lorsqu’elle n’est pas prévue par un texte formel. Ce n’est donc que dans les cas prévus par la loi, en vertu d’un texte spécial, que certains actes de complicité peuvent être sanctionnés, même s’ils n’ont pas été suivis d’effet. La loi réprime ainsi parfois en tant qu’infraction distincte la fourniture de moyens ou l’aide, comme la fourniture de moyens abortifs (art. L. 2222-4 et L. 5135-1 du Code de la santé publique) ou la fourniture à un détenu d’un moyen pour s’évader (art. 434-32 du Code pénal), et ce même en l’absence d’infraction principale punissable. La loi réprime plus souvent, compte tenu de la gravité des infractions auxquelles elle appelle, la provocation même non suivie d’effet, à titre d’infraction distincte : provocation d’un mineur à faire un usage illicite de stupéfiants, à transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants ou à commettre un crime ou un délit (art. 227-18, 227-18-1 et 227-21 du Code pénal), provocation au trafic ou à la consommation de stupéfiants (art. L. 3421-4 du Code de la santé publique), provocation au dopage sportif (art. L. 3633-3 du Code de la santé publique), provocation, par voie de presse ou tout moyen de communication audiovisuelle, à commettre certaines infractions (art. 24 de la loi du 29 juillet 1881), provocation à l’insoumission (art. 129 du Code du service national), provocation à la désertion (art. L. 321-18 du Code de justice militaire), provocation à la trahison ou à l’espionnage (art. 411-11 du Code pénal), provocation à s’armer contre l’autorité de l’État ou une partie de la population (art. 412-8 du Code pénal), provocation à un attroupement armé (art. 431-6 du Code pénal), provocation à la rébellion (art. 433-10 du Code pénal), provocation ou incitation à commettre des infractions à l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques (art. L. 2342-61 du Code de la défense). Est également puni de manière autonome le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette un assassinat ou un empoisonnement, lorsque ce crime n’a été ni commis, ni tenté (art. 221-5-1 du Code pénal). LARCIER

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4) Conséquences de l’impunité de l’auteur principal sur la responsabilité du complice Bien entendu, la personne poursuivie pour complicité d’une infraction n’est pas punissable s’il s’avère qu’en définitive les faits principaux n’étaient pas établis (Crim., 14 avril 1999, Bull. crim. n° 81). La relaxe de l’auteur principal devant une autre juridiction étant de nature à exclure la culpabilité d’une personne condamnée pour complicité, si la décision de condamnation du complice est passée en force de chose jugée, un recours en révision est recevable (Comm. révision, 16 novembre 1998, JCP 1999, II, 10118). Mais même si le fait principal constitue une infraction et a été commis ou tenté, le complice ne sera pas punissable si le fait principal ne peut pas être objectivement sanctionné pour diverses raisons, l’acte de complicité étant rattaché à ce fait principal. Ainsi, le complice doit bénéficier des causes objectives d’irresponsabilité reconnues à l’égard de l’auteur qui font disparaître le caractère répréhensible de l’infraction, comme la légitime défense ou l’ordre de la loi (par exemple, Crim., 17 février 1981, Bull. crim. n° 63). De la même manière, le complice n’est plus punissable si le fait principal ne peut être poursuivi en raison de la prescription de l’action publique, si aucune poursuite n’a été engagée à son encontre (Crim., 26 juin 1873, Bull. crim. n° 175 ; Crim., 29 décembre 1882, Bull. crim. n° 294) ou si l’auteur du fait principal a bénéficié d’une amnistie à caractère réel, c’est-à-dire liée à la nature de l’infraction. Par contre, la règle selon laquelle la complicité n’est punissable que si le fait principal est lui-même punissable ne signifie nullement que le complice ne peut être condamné que si l’auteur principal est lui-même effectivement puni. Si l’auteur principal n’est pas puni en raison de circonstances personnelles, le complice reste pénalement responsable. Ainsi, si l’auteur principal est inconnu, en fuite, décédé, s’il a bénéficié d’une amnistie à caractère personnel ou d’une grâce, s’il a été déclaré irresponsable à raison de sa démence ou de sa minorité au moment des faits, s’il est relaxé pour défaut d’intention coupable ou encore si aucune poursuite n’est engagée à son encontre pour des raisons d’opportunité, le complice reste punissable du moment que le fait principal est objectivement punissable (par exemple, Crim., 20 octobre 1949, Bull. crim. n° 291 ; 18 novembre 1976, Bull. crim. n° 332 ; 28 mai 1990, Bull. crim. n° 214 ; 8 janvier 1991, Bull. crim. n° 15 ; 19 février 2002, Bull. crim. n° 35 ; 8 janvier 2003, Bull. crim. n° 5). En résumé, le complice reste punissable si l’absence de condamnation de l’auteur du fait principal est fondée sur une cause subjective.

B) Un acte matériel de complicité L’article 121-7 du Code pénal dispose que le complice est celui qui « par aide ou assistance, a facilité la préparation ou la consommation » d’une infraction ou qui « par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre ». Pour être punissable, l’acte matériel de complicité doit nécessairement prendre une des deux formes de participation à l’infraction mentionnées à l’article 121-7 du Code pénal : soit une aide ou une assistance, soit une instigation. Dans le cas contraire, on est en présence d’un comparse dont la responsabilité pénale ne peut être engagée. 198

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1) La complicité par aide ou assistance a) Formes de la complicité par aide ou assistance

La complicité par aide ou assistance, parfois appelée complicité par collaboration, est la première des formes de complicité punissable. Le complice qui apporte son aide ou son assistance facilite la préparation ou la consommation de l’infraction par des actes de collaboration antérieurs à la commission de l’infraction ou concomitants à celle-ci. Ce type de complicité englobe d’abord la fourniture de moyens, même si ce cas n’est plus expressément mentionné, contrairement à ce que posait l’article 60 de l’ancien Code pénal. Ces moyens sont divers : par exemple, la remise d’une arme (Crim., 17 mai 1962, Bull. crim. n° 200), d’un véhicule afin de faciliter la réalisation d’un vol (Crim., 6 décembre 1967, Bull. crim. n° 311), de fausses factures (Crim., 21 novembre 1930, Bull. crim. n° 274), de faux certificats (Crim., 6 août 1924, Bull. crim. n° 321), de la fourniture d’un compte en banque en vue de la réalisation d’une fraude fiscale (Crim., 24 novembre 1986, Bull. crim. n° 352), d’une liste de clients potentiels en vue de commettre une escroquerie (Crim., 11 juin 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 142), mais aussi du prêt d’une voiture à un individu manifestement ivre (il y a alors complicité de conduite en état d’ivresse). La fourniture de moyens s’entend également de la fourniture d’une habitation permettant à des malfaiteurs de réaliser leur activité criminelle (Crim., 12 décembre 1956, Bull. crim. n° 830 : est complice d’un avortement illégal celui qui accepte qu’il soit pratiqué à son domicile). Sont également constitutifs d’un acte de complicité par aide ou assistance la neutralisation de la victime d’un viol ou de violences pour l’empêcher de se débattre (Crim., 3 septembre 1996, Droit pénal 1997, comm. n° 4), le guet durant un cambriolage (mais la jurisprudence considère parfois le guetteur comme un coauteur du vol), la mise en rapport d’une femme désirant se faire illégalement avorter avec une personne susceptible de pratiquer cet avortement illégal (Crim., 26 novembre 1943, Bull. crim. n° 131), le fait de distraire l’attention de quelqu’un afin de faciliter les actes de l’auteur principal, de frapper à la porte de la victime et de la fermer à clé après l’entrée des auteurs de l’assassinat (Crim., 21 janvier 1962, Bull. crim. n° 68), de téléphoner à la victime pour l’amener à se déplacer, de conforter les mensonges employés par un individu pour réaliser une escroquerie (Crim., 24 juillet 1961, Bull. crim. n° 352), de trafiquer un compteur électrique pour permettre le raccordement irrégulier d’un ami (Crim., 2 novembre 1945, Bull. crim. n° 108), de recruter des personnes non diplômées pour constituer, au sein d’un club de vacances, une équipe d’animateurs sportifs (Crim., 7 octobre 1998, Bull. crim. n° 249 : complicité d’exercice illégal de la profession d’animateur sportif), ou encore – pour être sordide – le fait de jouer de la musique pour étouffer les cris de la victime. En pratique, une question délicate est de savoir si l’acte de complicité par aide ou assistance doit nécessairement être constitué par un acte positif. La réponse est négative : l’employé de banque qui omet délibérément de fermer à clef un coffre pour faciliter l’accès à son contenu par des cambrioleurs est un complice du vol s’il y a eu entente préalable avec les auteurs de l’infraction (par exemple, Crim., 14 janvier 1921, Bull. crim. n° 22, pour un groupe de grévistes déclarés coauteurs qui assistent, après concertation, aux menaces proférées par l’un d’eux contre un non-gréviste ; Crim., 27 octobre 1971, Bull. crim. n° 284 où un inspecteur des douanes avait, avant la commission de l’infraction, donné sa promesse de ne pas s’opposer aux délits projetés ; Crim., 28 janvier 1981, Bull. crim. n° 41). LARCIER

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Par contre, un doute demeure lorsqu’un ou plusieurs individus assistent à la commission d’une infraction et s’abstiennent d’intervenir pour empêcher sa réalisation. Tout dépend alors du rôle effectif tenu par ces « spectateurs ». S’il apparaît qu’ils ne jouent aucun rôle dans la commission de l’infraction et ne font qu’y assister sans intervenir, en d’autres termes s’ils sont « neutres », ils ne peuvent être considérés en principe comme complices de l’auteur de l’infraction dans la mesure où ils n’ont eu aucun rôle actif. Ainsi, s’agissant de témoins passifs de violences (Crim., 30 novembre 1810, Bull. crim. n° 154 ; Crim., 22 juillet 1897, Bull. crim. n° 255 ; Crim., 26 octobre 1912, Bull. crim. n° 516) ou d’assesseurs d’un bureau de vote témoins d’une fraude électorale (Crim., 9 mai 1885, Bull. crim. n° 141). Cependant, l’omission d’agir est parfois réprimée en tant que délit distinct dans les cas prévus par la loi. Elle est dans ce cas constitutive d’une infraction autonome. Par exemple, l’omission de porter secours à une personne en péril (personne agressée…) est réprimée par l’article 223-6 du Code pénal. En revanche, si les personnes qui assistent à l’infraction soutiennent et encouragent par leur présence l’auteur de l’infraction – hypothèse dite de l’abstention participative –, la jurisprudence les considère alors comme des complices, voire dans certains cas comme des coauteurs, puisqu’ils ne sont plus de simples « spectateurs ». Ainsi d’individus qui assistent volontairement à des violences et qui, par leur présence, facilitent leur commission en dissuadant les tiers d’intervenir ou en créant un surnombre (Crim., 20 janvier 1992, Droit pénal 1992, comm. n° 194), de l’amant qui assiste à l’avortement illégal de sa maîtresse et la soutient moralement (Crim., 5 novembre 1941, S. 1942, I, p. 89, note Bouzat). Pour écarter tout doute dans la répression des phénomènes d’happy slapping – qui consiste à filmer, notamment au moyen d’un téléphone portable, des actes de violences pour les diffuser ensuite sur internet, le législateur a posé une présomption de complicité à l’égard de celui qui filme. Est ainsi constitutif d’un acte de complicité des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, le fait d’enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions (article 222-33-2 du Code pénal). Par ailleurs, est parfois considéré comme complice celui qui assiste passivement à l’infraction alors qu’en raison de ses fonctions, il aurait dû intervenir soit pour la prévenir, soit pour y mettre fin. C’est le cas du patron d’un café qui laisse ses clients commettre un tapage nocturne ou injurieux (Crim., 8 juillet 1949, Bull. crim. n° 237 ; 17 février 1988, Bull. crim. n° 80), de l’expert-comptable qui ne vérifie pas la comptabilité de l’un de ses clients commettant une fraude fiscale (Crim., 15 janvier 1979, Bull. crim. n° 21) ou du directeur d’une école dentaire qui laisse exercer habituellement des élèves non titulaires du diplôme d’État dans les locaux de l’école et avec le matériel de celle-ci (Crim., 10 avril 1964, Bull. crim. n° 105). b) L’aide ou l’assistance doit être antérieure ou concomitante à la réalisation de l’infraction ou, si elle est postérieure, résulter d’une entente préalable

Pour être punissable sur le terrain de la complicité, l’acte de collaboration doit soit intervenir avant ou pendant la commission de l’infraction (condition par définition remplie si la complicité prend la forme d’une instigation), soit, s’il est postérieur à la réalisation de l’infraction, résulter d’une promesse ou d’un accord antérieur à l’infraction afin d’aider l’auteur ou les auteurs principaux. Ce sera le cas de la personne qui s’est mise d’accord avec les auteurs d’un vol pour les attendre au volant d’un véhicule afin de permettre leur fuite (par 200

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exemple, Crim., 30 avril 1963, Bull. crim. n° 157 ; Crim., 8 novembre 1972, Bull. crim. n° 329 ; Crim., 11 juillet 1994, Bull. crim. n° 274) ou d’un administrateur judiciaire qui, en accord avec le président du tribunal de commerce qui l’a désigné, fait pression sur l’entreprise qu’il administre pour qu’elle s’approvisionne auprès d’une société dont le président du tribunal de commerce est le gérant (Crim., 1er décembre 1998, Droit pénal 1999, comm. n° 80 : complicité du délit de prise illégale d’intérêts). Par contre, en l’absence d’une entente préalable entre les différents acteurs, une aide ou une assistance intervenant après la réalisation de l’infraction n’est pas constitutive de complicité (par exemple, Crim., 31 décembre 1920, Bull. crim. n° 518 : chargement des objets volés dans un véhicule ; Crim., 23 juillet 1927, Bull. crim. n° 186 : prêt d’une balance pour peser le produit d’un vol ; Crim., 15 janvier 1948, Bull. crim. n° 10 : personne surprenant des voleurs dans leur action et acceptant de garder le silence moyennant une part du butin ; Crim., 4 mai 2000, Bull. crim. n° 178 : aide apportée à un détenu en fuite qui n’a pas réintégré l’établissement pénitentiaire à l’issue d’une permission de sortir ; Crim., 6 septembre 2000, Droit pénal 2000, comm. n° 138 : expertcomptable retranscrivant fidèlement dans les écritures comptables d’une société des opérations réalisées par le responsable de l’entreprise et constitutives d’un abus de biens sociaux). En cas d’aide ou d’assistance postérieure à la commission de l’infraction, toute la difficulté réside dans la preuve de l’existence de l’accord antérieur. Cependant, certains actes de collaboration postérieurs à la réalisation d’une infraction sont parfois réprimés spécifiquement par la loi d’une manière autonome et distincte. L’auteur des faits ne commet pas alors un acte de complicité mais une infraction distincte dont il est l’auteur principal : c’est le cas en particulier du recel de chose provenant d’un crime ou d’un délit (art. 321-1 et suivants du Code pénal), du recel de criminels (art. 434-6 du Code pénal), de l’entrave à l’action de la justice (art. 434-7-1 et suivants du Code pénal). 2) La complicité par instigation En vertu de l’alinéa 2 de l’article 121-7, le complice par instigation est celui qui provoque à une infraction par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir ou donne des instructions pour la commettre. L’instigateur est celui qui est à l’origine de l’infraction soit parce qu’il la provoque, soit parce qu’il fournit des instructions pour la commettre. a) La provocation

La complicité par provocation est le fait d’inciter, d’inspirer une personne à commettre une infraction. Le provocateur est donc l’auteur moral de l’infraction. Toutefois, si le texte d’incrimination n’en fait pas un auteur à part entière, il reste juridiquement un simple complice de celui qui a commis matériellement les faits. Certaines conditions sont exigées pour que la provocation constitue un acte de complicité : d’une part elle doit se réaliser par le biais de l’un des moyens énumérés par l’article 121-7 alinéa 2, d’autre part elle doit être personnelle et directe. 1. Les moyens de la provocation Aux termes de l’article 121-7 alinéa 2 du Code pénal, la provocation doit avoir été effectuée par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouLARCIER

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voir. La mise en úuvre de l’un de ces moyens est indispensable pour caractériser la provocation punissable : un don (par exemple, la remise d’une somme d’argent, Crim., 19 février 1963, Bull. crim. n° 82), une promesse (ainsi, la promesse d’une rémunération après exécution : Crim., 30 janvier 1962, Bull. crim. n° 70), une menace (par exemple, une menace de licenciement à l’encontre d’un employé en vue d’obtenir de lui un faux témoignage : Crim., 24 juillet 1958, Bull. crim. n° 573), un ordre ou un abus d’autorité ou de pouvoir (par exemple, est complice du délit de mise en danger délibérée d’autrui la personne qui, à l’arrière d’un véhicule et en l’absence de visibilité, donne l’ordre à son chauffeur de griller un feu rouge à une intersection, malgré la forte densité de circulation : Crim., 6 juin 2000, Bull. crim. n° 213). Toutefois, il n’y a ordre ou abus de pouvoir que si celui-ci provient d’une personne disposant d’une réelle autorité, que cette autorité soit légale ou simplement morale. En d’autres termes, il doit exister un lien de subordination entre celui qui commet l’infraction et celui qui ordonne de la commettre (par exemple, Crim., 24 novembre 1953, Bull. crim. n° 304 ; 29 mars 1971, Bull. crim. n° 112 ; 10 janvier 1973, Bull. crim. n° 14), comme c’est le cas des parents à l’égard des enfants, des employeurs vis-à-vis des salariés ou des officiers de l’armée concernant les appelés. En effet, l’ordre provenant d’une personne qui n’exerce en droit ou en fait aucune autorité sur la personne qui commet l’infraction n’est pas une provocation au sens de l’article 121-7 (par exemple, Crim., 21 septembre 1994, Bull. crim. n° 302, s’agissant, pour un refus d’obtempérer, du passager d’un véhicule qui dit au conducteur « fonce, voilà les flics » : aucun des modes de complicité punissable n’est caractérisé). Des conseils vagues ne constituent pas une provocation punissable au titre de la complicité (par exemple, CA Rouen, 12 février 1887, Gaz. Pal. 1887, vol. I, p. 357, pour le fait d’exhorter un individu à tuer quelqu’un, sans autre précision ; Crim., 13 janvier 1954, D. 1954, p. 128 pour le simple conseil donné à une femme enceinte d’avorter). 2. La provocation doit être personnelle et directe La provocation n’est punissable que si elle est d’une part personnelle, c’està-dire adressée à une personne déterminée et pas simplement publique (par exemple à la cantonade ou à un public de lecteurs ou d’auditeurs), d’autre part directe, c’est-à-dire que son objet doit être la commission d’une infraction, non l’incitation à la haine. Toutefois, si la provocation à la haine ne saurait rendre son auteur complice des crimes et des délits commis par son public, elle est réprimée spécifiquement en tant que délit distinct (art. 24 al. 6 et 7 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). b) Les instructions

Les instructions sont des renseignements ou indications destinés à faciliter la réalisation de l’infraction : donner aux voleurs l’adresse d’un logement à cambrioler, des renseignements sur les habitudes d’une personne à assassiner ou dont le logement doit faire l’objet d’un cambriolage (Crim., 31 janvier 1974, Bull. crim. n° 50), recruter des hommes de main et organiser une expédition punitive (Crim., 18 avril 1991, Droit pénal 1991, comm. n° 220), recruter un individu pour exercer des menaces (Crim., 4 juin 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 142), fournir à un détenu un plan d’évasion et de neutralisation des gardiens (Crim., 23 mai 1973, Bull. crim. n° 236) ou renseigner un témoin sur la façon de réaliser son faux témoignage (Crim., 19 novembre 1957, Bull. crim. n° 747). 202

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Il n’y a cependant complicité par instructions que si les renseignements fournis sont clairs, précis et présentent effectivement une utilité pour l’auteur principal, ce qui exclut les indications vagues (par exemple, Crim., 24 décembre 1942, S. 1944, I, 7 : conseil donné à une femme enceinte d’avorter au moyen d’« injections », sans plus de précisions ; Crim., 21 septembre 1994, Bull. crim. n° 302). 3) Lien entre l’acte de complicité et l’infraction principale Un lien de rattachement doit nécessairement exister entre l’acte de complicité et l’acte principal punissable : l’acte de complicité doit tendre à la réalisation par l’auteur principal des actes délictueux. Toutefois, on est amené à s’interroger sur la consistance de ce lien. Par exemple, l’individu qui aide, par la fourniture d’instruments ou de renseignements, un complice à commettre ses actes de complicité doit-il luimême être considéré comme un complice de l’auteur principal ? Celui qui provoque une personne pour amener une troisième personne à commettre une infraction est-elle punissable ? En d’autres termes, la complicité de complicité est-elle punissable comme la complicité elle-même ? Si l’article 121-7 du Code pénal exige un lien entre l’acte de complicité et le fait principal punissable, il ne précise pas si ce lien doit être nécessairement direct. Ainsi, l’aide ou l’assistance doit seulement avoir « facilité » la préparation ou la consommation de l’infraction. Dans ces conditions, les tribunaux admettent de sanctionner le complice du complice (Crim., 10 octobre 1988, Bull. crim. n° 333 ; 30 mai 1989, Bull. crim. n° 222, RSC 1990, p. 325, obs. Vitu, s’agissant d’instructions données à un tiers en vue du recrutement d’individus pour commettre un incendie ; Crim., 15 décembre 2004, JCP 2005, II, 10050 : l’aide ou l’assistance apportée en connaissance de cause à l’auteur de l’escroquerie, « même par l’intermédiaire d’un autre complice », constitue la complicité incriminée par l’article 121-7 du Code pénal). La complicité indirecte (ou complicité de complicité) est donc réprimée, pour autant que l’aide ait été apportée en connaissance de cause. Par ailleurs, un acte de complicité est punissable même s’il n’a procuré aucune aide directe à l’auteur principal pour commettre son infraction : ainsi s’il utilise des moyens différents de ceux fournis par le complice ou n’utilise pas les instructions données par celui-ci (Crim., 31 janvier 1974, Bull. crim. n° 50 : contrairement à ce qui était initialement prévu par le complice, l’auteur principal avait préféré électrocuter sa victime plutôt que l’étrangler). En d’autres termes, la complicité inefficace reste punissable. Il suffit que les moyens aient pu servir à la commission de l’infraction et aient été fournis dans l’intention de faciliter sa réalisation.

C) Le caractère intentionnel de la participation du complice La collaboration à la préparation ou à la réalisation d’une infraction n’est constitutive d’un acte de complicité que si elle a été intentionnelle. Autrement dit, l’intention est l’élément moral de la complicité. LARCIER

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1) Définition de l’intention dans l’acte de complicité Le participant à une infraction est considéré comme complice punissable si sa participation a été intentionnelle, c’est-à-dire s’il a eu d’une part connaissance que les actes de l’auteur principal constituaient une infraction pénalement sanctionnée, d’autre part la volonté de s’associer néanmoins à celle-ci. Bref, il a volontairement collaboré dans le but de favoriser la commission de l’infraction (Crim., 26 novembre 1974, Bull. crim. n° 349 ; 15 février 1982, Bull. crim. n° 50). Ainsi, la complicité par aide ou assistance n’est punissable que si cette aide a été apportée sciemment à l’auteur principal dans les faits qui ont facilité la préparation ou la consommation de l’infraction (par exemple, Crim., 19 juin 2001, Bull. crim. n° 148). Le fait de fournir de bonne foi à un individu une aide ou une assistance que celui-ci utilisera pour commettre une infraction n’est donc pas punissable dès lors que l’auteur de l’aide ignorait les desseins délictueux de son destinataire (par exemple, le routier qui transporte des marchandises illicites placées dans son camion à son insu ; celui qui informe un individu que son voisin est en vacances à l’étranger alors que, ainsi renseigné, celui-ci va commettre un cambriolage ; la personne qui prête un fusil de chasse pour chasser, lequel servira à tuer). La connaissance ultérieure de ce caractère délictueux est sans effet. L’intention doit exister au moment de la collaboration. Toutefois, exiger d’une façon générale que l’acte de complicité ne soit punissable que s’il est intentionnel ne signifie pas que l’on ne puisse pas, le cas échéant, être déclaré complice d’une infraction non intentionnelle, telle un délit d’imprudence ou de négligence. La complicité est notamment envisageable en cas d’imprudence consciente, délibérée, notamment dans les hypothèses de mise en danger délibérée de la personne d’autrui (par exemple, fournir en connaissance de cause un véhicule à une personne dépourvue du permis de conduire pour faire un « rodéo » en centre-ville). La jurisprudence ne s’embarrasse toutefois pas de ces subtilités et considère logiquement comme coauteur celui qui a assisté l’auteur matériel d’une infraction non intentionnelle, dans la mesure où il a lui-même commis une faute d’imprudence ou de négligence (par exemple, Crim., 12 avril 1930, Bull. crim. n° 124 : est coauteur de l’homicide ou des blessures involontaires celui qui avait laissé en connaissance de cause son véhicule à une personne sans permis ; Crim., 24 octobre 1956, Bull. crim. n° 675 : même solution pour le chef d’une entreprise de transport qui avait ordonné à un conducteur d’exécuter un service malgré un trajet long et un véhicule non conforme). 2) Solutions en cas de discordance entre l’intention du complice et l’infraction commise par l’auteur principal Les règles relatives à l’emprunt de criminalité s’appliquent sans difficulté lorsque l’auteur principal commet effectivement l’infraction à laquelle le complice entendait s’associer par ses actes. Toutefois, si l’infraction finalement commise par l’auteur ne correspond pas à l’infraction que le complice avait l’intention de voir réalisée, en particulier si elle est plus grave que l’infraction envisagée par le complice, peut-on, par application du système de la criminalité d’emprunt, punir le complice pour l’infraction commise ? La réponse à 204

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cette question dépend du degré de discordance entre l’infraction voulue par le complice et l’infraction commise par l’auteur. Si la discordance est partielle, le complice reste punissable. C’est le cas si seuls les moyens matériels devant permettre la réalisation de l’infraction ne correspondent pas à ceux projetés, imaginés par le complice (par exemple, Crim., 31 janvier 1974, Bull. crim. n° 50 : la victime a été électrocutée au lieu d’avoir été étranglée comme initialement prévu). Il en est de même si l’infraction commise est finalement assortie de circonstances aggravantes réelles, c’est-à-dire relatives à l’infraction, même si le complice ne les a pas voulues, par exemple, un vol avec escalade ou effraction dans une maison habitée, un vol accompagné de violences (Crim., 26 janvier 1954, Bull. crim. n° 32 ; Crim., 26 mars 1957, Bull. crim. n° 288 ; Crim., 19 juin 1984, Bull. crim. n° 231 ; 8 novembre 1989, Bull. crim. n° 407 ; Crim., 21 mai 1996, Bull. crim. n° 206). Enfin, dans le même ordre d’idées, si l’intention du complice n’est pas précise mais indéterminée (par exemple, un individu remet de l’argent à une autre personne et la charge de la venger), il est punissable quelle que soit l’infraction finalement commise par l’auteur principal (Crim., 28 octobre 1965, JCP 1966, II, 14524 ; Crim., 21 mai 1996, Bull. crim. n° 206). En résumé, le complice est responsable des circonstances aggravantes liées à l’infraction, même celles qu’il n’avait pas envisagées. Lorsque, au contraire, la discordance est totale, complète, c’est-à-dire si l’auteur principal commet une infraction qui ne correspond pas du tout à celle à laquelle le complice voulait s’associer, ce dernier n’est pas punissable. Un exemple tiré de la jurisprudence permettra de saisir cette irresponsabilité : il a ainsi été jugé, dans une célèbre affaire, que le créancier qui remet à un individu des armes pour qu’il impressionne son débiteur ne saurait être considéré comme complice du meurtre que le tiers a commis de sa propre volonté et sans aucune pression extérieure sur le concierge de l’immeuble, après s’être querellé avec lui (Crim., 13 janvier 1955, affaire Nicolaï, Bull. crim. n° 34, D. 1955, p. 291, note Chavanne ; RSC 1955, p. 513, obs. Legal ; également Crim., 10 mars 1977, Bull. crim. n° 91).

§ 2.

Répression de la complicité

A) Principe : le complice est puni « comme auteur » de l’infraction La complicité étant une forme de participation à une infraction, il est logique que le complice encourt les peines attachées à l’infraction à laquelle il s’est volontairement associé. C’est le sens principal qu’il faut donner à l’article 121-6 du Code pénal, lequel dispose que « sera puni comme auteur le complice de l’infraction ». L’auteur principal et le complice sont donc placés sur le même plan : le complice est considéré, juridiquement, comme auteur de l’infraction. Il est assimilé à un auteur, et à ce titre, encourt les peines principales et complémentaires que le texte de pénalité attache à l’infraction. Le complice est sanctionné comme s’il avait lui-même commis matériellement le fait principal punissable. Cette assimilation du complice à l’auteur de l’infraction ne concerne bien sûr que les peines encourues, et non les peines prononcées : le juge n’est pas tenu de prononcer les mêmes peines à l’encontre de l’auteur et du complice (par exemple, Crim., 15 avril 1961, Bull. crim. n° 203). En vertu de son pouvoir d’individualisation (voir p. 285), le juge sanctionnera les différents participants à l’infraction en fonction du rôle effectivement joué par chacun. Si le complice n’a eu qu’un LARCIER

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rôle secondaire, il sera généralement puni moins sévèrement que l’auteur principal des faits. À l’inverse, le juge peut très bien décider de sanctionner plus lourdement le complice, notamment le complice par provocation, en raison de sa place centrale dans la conception de l’infraction ou des bénéfices qu’il a pu en retirer.

B) Difficultés d’application du principe Les circonstances aggravantes réelles ou objectives, c’est-à-dire les circonstances de fait qui modifient la nature de l’infraction, s’appliquent au complice (par exemple, un vol commis avec une arme ou avec effraction). Ce dernier encourt les peines aggravées même s’il n’a pas voulu que l’infraction soit assortie de ces circonstances. Il lui appartenait en effet de prévoir toutes les qualifications que l’acte était susceptible de revêtir, toutes les circonstances de fait dont ce dernier pouvait être accompagné. Au contraire, les circonstances purement personnelles ou subjectives, autrement dit celles qui ne concernent que la personne de l’auteur sans modifier la nature de l’infraction, comme sa qualité de récidiviste ou sa minorité, ne s’étendent pas au complice. Reste le problème principal lié aux circonstances dites mixtes qui modifient la nature de l’infraction mais tiennent à la personne de l’auteur de l’infraction, comme les liens familiaux avec la victime (par exemple, violences commises par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un PACS, agression sexuelle commise par un ascendant) ou ses fonctions professionnelles (par exemple, vol commis par une personne dépositaire de l’autorité publique). Ces circonstances peuvent constituer, selon les cas, un élément constitutif de l’infraction ou une circonstance aggravante. Le problème est double : Que décider lorsque l’auteur principal est revêtu de cette qualité particulière mais pas le complice ? Inversement, que décider si le complice a une qualité que l’auteur principal n’a pas et qui entraînerait l’aggravation des sanctions s’il avait commis lui-même l’infraction ? • Que décider lorsque l’auteur principal est revêtu d’une qualité personnelle que le complice ne possède pas ? La difficulté réside dans le fait que le complice participe à une infraction qu’il n’aurait pas pu commettre lui-même. Le complice d’une infraction constituée ou aggravée au motif que son auteur est un fonctionnaire est-il punissable au même titre que l’auteur principal alors même qu’il ne serait pas lui-même fonctionnaire ? Sous l’ancien Code pénal s’appliquait le système de l’emprunt de pénalité. Les complices étaient alors punis « de la même peine que les auteurs mêmes » de l’infraction (art. 59 de l’ancien Code pénal). En vertu de ce principe, la jurisprudence antérieure au nouveau Code pénal considérait que ces circonstances aggravantes étaient applicables au complice puisque celui-ci devait être puni « de la même peine » que l’auteur (par exemple, Crim., 23 mars 1843, Bull. crim. n° 66 ; 24 mars 1853, Bull. crim. n° 110 pour l’application au complice de l’aggravation de peine attachée au parricide ; Crim., 4 septembre 1976, Bull. crim. n° 272 ; Crim., 2 février 1994, Bull. crim. n° 50 pour la circonstance aggravante de préméditation). On a pu croire que cette solution serait remise en cause avec l’article 121-6 du Code pénal, lequel comporte une formulation sensiblement différente de celle de l’article 59 de l’ancien Code pénal : le complice de l’infraction est en effet 206

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puni « comme auteur ». L’hypothèse a été avancée que le complice devait être dorénavant puni des seules peines applicables s’il avait lui-même commis l’infraction, indépendamment des circonstances personnelles attachées à l’auteur principal (voir à cet égard la circulaire d’application du nouveau Code pénal). Il n’en est rien. En effet, lorsque, parmi ses éléments constitutifs, une infraction contient une fonction ou une qualité particulière (par exemple, la qualité de fonctionnaire), le complice qui n’en est pas revêtu, au contraire de l’auteur principal des faits, reste cependant punissable (Crim., 20 mars 1997, D. 1999, jurisp. p. 28 ; 15 mai 1997, Droit pénal 1997, comm. n° 131 ; 2 mai 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 115). La même solution s’applique lorsque cette fonction ou cette qualité constitue une simple circonstance aggravante de l’infraction. La Cour de cassation affirme sans ambiguïté que « sont applicables au complice les circonstances aggravantes liées à la qualité de l’auteur principal » (Crim., 7 septembre 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 167). • Que décider lorsque le complice possède une qualité dont n’est pas revêtu l’auteur principal et qui entraînerait l’aggravation des sanctions s’il avait commis lui-même l’infraction ? Un exemple classique est fourni par un meurtre commis avec la complicité du fils ou de la fille de la victime. Sous l’ancien Code pénal, l’auteur principal de l’infraction encourrait les peines du meurtre simple et, du fait de l’emprunt de pénalité, le complice également. Toutefois, s’il avait commis lui-même le meurtre, il aurait commis un meurtre aggravé, à savoir un meurtre commis sur un ascendant. La jurisprudence antérieure au nouveau Code pénal, appliquant strictement le principe de l’emprunt de pénalité, refusait de faire jouer la circonstance aggravante (par exemple, Crim., 23 mars 1827, Bull. crim. n° 63 : le fonctionnaire complice d’un faux en écriture n’encourt pas les peines aggravées dues à la qualité si l’auteur principal n’est pas un fonctionnaire). La solution dépend finalement du sens que l’on donne aux termes « puni comme auteur » qui figurent à l’article 121-6 du Code pénal. Si « comme auteur » signifie « comme l’auteur », il s’agit ni plus ni moins de la continuation du principe de l’emprunt de pénalité en vigueur sous l’ancien Code pénal et les solutions antérieures demeurent valables. Si, par contre, on donne aux termes « comme auteur » le sens « comme s’il était l’auteur de l’infraction », c’est-à-dire comme s’il avait lui-même commis les faits incriminés, les solutions antérieures sont renversées : le complice encourt les peines aggravées s’il possède une qualité que l’auteur principal n’a pas, mais inversement, il ne serait plus possible de faire jouer l’aggravation des sanctions à l’égard du complice dans l’hypothèse où celui-ci ne posséderait pas la même qualité de l’auteur principal. Or, on a vu que cette solution n’a pas été retenue par la jurisprudence, de sorte que l’on peut légitimement penser que le système de l’emprunt de pénalité reste applicable. Dans la pratique, la question est largement éludée, les juridictions pénales retenant opportunément une conception très large de la notion de coaction.

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CHAPITRE 4

Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité Le seul fait qu’une infraction ait été matériellement commise n’engage pas automatiquement la responsabilité de son auteur. Il faut d’une part que ce dernier ait disposé de son libre arbitre, qu’il ait compris et voulu son acte (imputabilité), d’autre part qu’il ait commis une faute (culpabilité). Sous ces conditions, la responsabilité pénale de l’auteur des faits sera pleinement engagée. Le Code pénal (art. 122-1 à 122-8) a procédé à une redéfinition des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité, tout en légalisant des créations jurisprudentielles comme l’état de nécessité et en admettant une nouvelle cause d’irresponsabilité, l’erreur de droit. Le Code n’opère aucune distinction entre ces différentes causes qu’il regroupe dans un chapitre intitulé « des causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité ». Pour chacune d’elles, il se contente de déclarer que la personne qui en bénéficie « n’est pas pénalement responsable ». Toutefois, ces causes sont classiquement réparties en deux catégories : les causes de non-imputabilité et les faits justificatifs. Les causes de non-imputabilité ou causes subjectives d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité, sont des circonstances propres à la personne de l’auteur des faits. Elles affectent ses facultés intellectuelles ou son libre arbitre, atteignent sa faculté de comprendre et de vouloir l’acte (circonstances personnelles). Ces causes n’empêchent pas l’infraction de se constituer mais empêchent par contre d’imputer toute faute à la charge de son auteur puisque celui-ci ne disposait pas de son libre arbitre. Il sera déclaré pénalement irresponsable (parfois, sa responsabilité pénale sera simplement atténuée si le libre arbitre était altéré sans être supprimé) mais sa responsabilité civile demeurera. Ces causes de non-imputabilité étant propres à l’auteur des faits, les éventuels coauteurs et complices ne pourront en bénéficier et restent pénalement responsables. Il s’agit du trouble psychique ou neuropsychique, de la contrainte, de l’erreur de droit et de la minorité. Les faits justificatifs ou causes objectives d’irresponsabilité sont des circonstances extérieures à la personne de l’auteur de l’infraction (circonstances réelles). En présence de ces circonstances, l’acte commis perd son caractère d’infraction. Bien que le fait entre dans le champ d’application d’une incrimination, il n’y a pas d’infraction car l’acte est justifié. L’auteur n’encourt alors aucune responsabilité pénale (et, le plus souvent, civile) à raison de son acte et il en est de même de ses éventuels coauteurs ou complices. Il s’agit de l’ordre ou de l’autorisation de la loi ou du commandement de l’autorité légitime, de la légitime défense et de l’état de nécessité – le consentement de la victime n’étant pas un fait justificatif. LARCIER

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SECTION I

Les causes de non-imputabilité L’auteur d’une infraction n’est pénalement responsable que s’il jouissait, au moment des faits, de facultés intellectuelles normales, pour comprendre le caractère répréhensible de l’acte qu’il a commis, et de son libre arbitre, pour le vouloir. Or, il advient que la conscience fasse défaut (trouble psychique ou neuropsychique, défaut de discernement d’un mineur) ou que la volonté soit entravée (contrainte, erreur de droit). Dans ces conditions, l’infraction ne peut être mise à la charge de son auteur, faute d’élément moral.

§ 1.

Le trouble psychique ou neuropsychique

Au Moyen Âge, les criminels atteints d’une maladie mentale étaient punis de la même manière que les criminels sains d’esprit, voire plus sévèrement, puisqu’on pensait qu’ils étaient possédés par le démon. Le Code pénal de 1810, fondé sur l’idée de responsabilité, c’est-à-dire l’aptitude à répondre de ses actes, déclarait les criminels et délinquants malades mentaux irresponsables pénalement puisqu’ils n’avaient ni la volonté ni la conscience d’accomplir un acte interdit. Le principe était posé en ces termes à l’article 64 du Code pénal de 1810 : « il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action. » De nombreuses critiques ont été avancées à l’encontre de cet article : il ne visait pas les contraventions, ne parlait que de la démence, forme restrictive de maladie mentale, sans se prononcer sur les autres troubles mentaux, notamment ceux qui altèrent la capacité de comprendre la réalité sans abolir totalement le discernement. La jurisprudence remédia assez rapidement à ces lacunes d’ordre textuel en retenant cette cause d’irresponsabilité en matière de contravention et en l’étendant à l’ensemble des troubles mentaux. Le Code pénal légalise cette évolution au travers de son article 122-1 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. »

A) Définition du trouble psychique ou neuropsychique Le législateur a pris en compte l’évolution de la psychiatrie moderne pour substituer au terme de démence le terme de trouble psychique ou neuropsychique. Toutefois, la jurisprudence avait déjà admis, sous l’empire du Code pénal de 1810, que tous les troubles mentaux pouvaient constituer une cause d’irresponsabilité. La formulation n’apporte donc rien de nouveau, sinon une modernisation d’ordre terminologique. Les problèmes demeurent cependant 210

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puisqu’à côté du trouble psychique ou neuropsychique, on trouve des états voisins à l’égard desquels aucune solution ferme n’est arrêtée. Sont visées par l’article 122-1 du Code pénal toutes les formes de troubles mentaux ayant une conséquence destructrice sur les facultés intellectuelles des personnes qui en sont affectées, ces troubles les empêchant généralement de comprendre la portée de leurs actes, voire de les vouloir dans le cas de pulsions irrépressibles. Peu importe à cet égard l’origine du trouble, qu’il soit congénital ou dû à l’âge avancé, à un accident ou à la maladie. Sont donc concernés les déments au sens strict, les aliénés, les débiles (étant noté que les débiles légers entrent dans le champ d’application de l’alinéa 2 de l’article 122-1), les crétins, idiots et imbéciles (au sens médical du terme), les épileptiques (Crim., 14 décembre 1982, Gaz. Pal. 1983, I, 178), les hystériques, les paralytiques généraux, les psychotiques (schizophrènes, paranoïaques, maniaco-dépressifs), les névrosés. Ce trouble peut être aussi bien général (atteignant toutes les facultés mentales) que spécialisé, comme c’est le cas des individus atteint d’un délire de persécution, des kleptomanes, des pyromanes ou encore, bien que les victimes, leurs familles et l’opinion publique exigent généralement un procès et une répression exemplaires, des pervers sexuels. Ce trouble peut être aussi bien continu qu’intermittent (se manifestant à intervalles réguliers ou à la suite de circonstances précises), irréversible que curable. Le trouble psychique ou neuropsychique doit être prouvé. Il n’est jamais présumé, même si le délinquant est un incapable majeur placé en tutelle ou interné dans un asile d’aliénés. L’appréciation du trouble mental est une question de fait qu’il appartient aux juges du fond de trancher, la Cour de cassation n’exerçant aucun contrôle sur cette question. Dans la pratique, le juge d’instruction ou la juridiction répressive aura recours à une expertise psychiatrique pour déterminer l’existence du trouble mental. Les experts médicaux rendront un avis sur le point de savoir si le prévenu était atteint d’un trouble mental au moment des faits, cet avis ne liant pas le juge (par exemple, Crim., 6 juin 1979, Bull. crim. n° 194).

B) Conditions d’admission du trouble mental sur le terrain de la responsabilité 1) Effets du trouble mental sur le discernement ou le contrôle des actes Aux termes de l’article 122-1 du Code pénal, le trouble mental n’emporte de conséquences sur le terrain de la responsabilité que s’il a aboli le discernement ou le contrôle des actes de l’auteur de l’infraction ou s’il a altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes. Par discernement, on entend la faculté de comprendre la portée de ses actes, la conscience de commettre un acte répréhensible. Par contrôle des actes, le Code pénal entend la capacité de vouloir les actes commis. Dès lors que le trouble a eu un effet destructeur sur la conscience ou sur la volonté, la responsabilité pénale est écartée ou amenuisée (sans qu’il soit nécessaire d’ailleurs qu’à la fois le discernement et la volonté soient atteints). C’est la raison pour laquelle des troubles obsessionnels spécialisés, tels la kleptomanie ou la pyromanie, doivent être admis dès lors que le trouble mental est en relation avec l’infraction commise (ainsi devrait-on LARCIER

Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité CHAPITRE 4

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admettre une atténuation de la répression pour un kleptomane qui commet un vol par suite d’une pulsion irrépressible). La question s’est posée de savoir si certains troubles passagers, appelés états voisins du trouble mental, pouvaient abolir ou altérer le discernement et constituer une cause d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité. Il semble que l’on puisse faire application des dispositions de l’article 122-1, ces troubles pouvant en certaines circonstances abolir ou altérer les facultés de discernement. Le premier état voisin du trouble mental est le somnambulisme. Le somnambule doit être considéré comme irresponsable s’il commet des infractions pendant son sommeil. S’agissant de l’hypnose (ou somnambulisme artificiellement provoqué), il semble là encore que l’irresponsabilité doive jouer (mais la responsabilité de l’hypnotiseur peut être éventuellement retenue au titre de la complicité s’il s’avère qu’il a donné à la personne sous hypnose l’ordre ou les instructions pour commettre l’infraction). Reste le cas des intoxications dues à l’absorption d’alcool, à l’administration de substances médicamenteuses ou à la consommation de stupéfiants. L’effet de ces différentes substances sur le discernement ou le contrôle des actes est certain. D’une part, la consommation en trop grande quantité de ces produits peut momentanément altérer les facultés mentales, voire les abolir. D’autre part, l’état de dépendance peut provoquer de véritables crises altérant le discernement ou entravant le contrôle des actes et amenant à la commission d’infractions. La principale difficulté à retenir l’intoxication comme cause d’atténuation de la responsabilité provient du fait que cette intoxication est presque toujours volontaire. Peut-on admettre l’atténuation de responsabilité dès lors que l’individu s’est mis délibérément dans un état qui a altéré ses facultés mentales ? La réponse est évidemment négative lorsqu’un criminel s’est volontairement enivré en vue de la commission de l’infraction, pour se donner du « cúur à l’ouvrage », si l’on peut dire. Par ailleurs, pour protéger la santé publique en même temps que la sécurité, les pouvoirs publics ont incriminé l’usage de stupéfiants (art. L. 3421-1 du Code de la santé publique), l’ivresse publique (art. R. 3353-1 du Code de la santé publique) ainsi que la conduite d’un véhicule en état d’ivresse ou sous l’empire d’un état alcoolique (art. L. 234-1 du Code de la route). De plus, lorsque la conduite en état alcoolique est à l’origine d’un homicide ou de blessures involontaires, les peines normalement encourues sont sensiblement aggravées par rapport aux conditions de droit commun (art. L. 221-6-1, L. 222-19-1 et L. 222-20-1 du Code pénal). Enfin, dans certaines circonstances, l’absorption d’alcool ou de stupéfiants peut relever de la faute d’imprudence ou de négligence, voire de la faute de mise en danger délibérée (par exemple, un ouvrier chargé de surveiller un appareil dangereux qui boirait avant son service ou le conducteur d’un véhicule qui prendrait des stupéfiants pendant qu’il conduit). Mais en dehors de ces cas, l’admission d’un trouble mental dû à une intoxication n’est a priori pas exclue pour les infractions intentionnelles. En définitive, il s’agit d’une question de fait laissée à l’appréciation des juges (par exemple, Crim., 14 novembre 1924, Bull. crim. n° 381 ; 22 septembre 1999, Bull. crim. n° 197). 212

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


2) Existence du trouble mental au moment des faits Le trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré le discernement ou le contrôle des actes n’a d’effet sur le terrain de la responsabilité pénale que s’il a existé au moment de la commission de l’infraction, appréciation extrêmement délicate s’agissant de troubles mentaux intermittents. Le trouble mental antérieur ou postérieur à la commission des faits n’a aucun effet sur le terrain de la responsabilité. Si le trouble mental abolissant le discernement intervient après l’infraction et avant jugement définitif, l’action publique est suspendue jusqu’à ce que le malade mental recouvre ses facultés (Crim. 11 juillet 2007, Droit pénal 2007, comm. n° 128). Le trouble mental intervenant après le jugement de condamnation ne met pas fin à l’exécution des peines. Toutefois, lorsqu’une personne détenue est atteinte de troubles mentaux, elle doit faire l’objet d’une hospitalisation, avec ou sans son consentement, dans un établissement de santé, au sein d’une unité spécialement aménagée (art. L. 3214-1 et suivants du Code de la santé publique).

C) Effets du trouble mental sur la responsabilité En droit civil, « celui qui a causé un dommage à autrui, alors qu’il était sous l’emprise d’un trouble mental, n’en est pas moins obligé à réparation » (art. 489-2 du Code civil). En d’autres termes, le dément (au sens large du terme) reste, malgré son état, civilement responsable. En droit pénal, il est depuis longtemps admis que l’aliéné ne saurait être – en totalité ou en partie – responsable de ses actes. En vertu de l’article 122-1 du Code pénal, le trouble mental est soit une cause d’irresponsabilité (si ce trouble a aboli le discernement ou le contrôle des actes), soit une cause d’atténuation de la responsabilité (s’il a simplement altéré le discernement ou entravé le contrôle des actes). Le malade mental délinquant sort alors du champ pénal pour être pris en charge, si son état le justifie, par les autorités administratives et médicales. 1) Irresponsabilité pénale si le trouble mental a aboli le discernement ou le contrôle des actes En présence d’un trouble ayant aboli le discernement ou le contrôle des actes au moment des faits, le délinquant ne peut faire l’objet d’une condamnation. En conséquence, l’autorité judiciaire (juge d’instruction, chambre de l’instruction, tribunal correctionnel, cour d’assises) prononcera l’irresponsabilité pénale, par une ordonnance, un arrêt ou un jugement selon le cas. Cette décision met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire. Par contre, l’infraction reste établie et les éventuels complices et coauteurs de l’aliéné pourront être poursuivis et condamnés à raison de leurs faits personnels. En d’autres termes, la démence ne supprime pas l’infraction et ne bénéficie qu’à la personne atteinte du trouble mental. Est-ce à dire que l’aliéné étant irresponsable, il est remis en liberté, même s’il a commis un crime particulièrement odieux et qu’il s’avère dangereux pour la société ? La réponse est bien entendu négative : irresponsabilité pénale ne signifie pas démission de la société. LARCIER

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D’une part, les autorités judiciaires peuvent, si elles estiment que l’état mental d’une personne qui a bénéficié d’une déclaration d’irresponsabilité pénale en application des dispositions de l’article 122-1 du Code pénal nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l’ordre public, en aviser immédiatement le préfet (art. L. 3213-7 du Code de la santé publique). Celuici pourra prendre toutes les mesures qu’il estime nécessaires, y compris, le cas échéant, une hospitalisation d’office dans un établissement psychiatrique, dans les conditions du droit commun (c’est-à-dire selon les mêmes procédures que pour un aliéné non-délinquant). L’autorité administrative est donc compétente pour décider de l’internement du malade mental mais elle n’est en théorie liée ni par la décision du juge répressif concluant à l’irresponsabilité pénale, ni par la circonstance qu’une infraction a été commise par l’aliéné. D’autre part, depuis la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale, la chambre de l’instruction ou la juridiction de jugement qui prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, a la faculté d’ordonner, par décision motivée, l’hospitalisation d’office de la personne. Il doit avoir été préalablement établi par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la procédure, que les troubles mentaux de l’intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public (art. 706-135 du Code de procédure pénale). La chambre de l’instruction ou la juridiction de jugement peut également ordonner d’autres mesures de sûreté, pendant une durée qu’elle fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement : interdiction d’entrer en relation avec la victime de l’infraction ou certaines personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs, spécialement désignées ; interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné ; interdiction de détenir ou de porter une arme ; interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole spécialement désignée, dans l’exercice de laquelle ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs ; suspension du permis de conduire ; annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis. Ces interdictions sont prononcées après une expertise psychiatrique et ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est susceptible de faire l’objet. La personne qui fait l’objet d’une de ces interdictions peut demander au juge des libertés et de la détention d’ordonner sa modification ou sa levée (art. 706-136 et 706-137 du Code de procédure pénale). 2) Atténuation de la responsabilité pénale si le trouble a altéré le discernement ou entravé le contrôle des actes L’article 64 de l’ancien Code pénal instituait un système de tout ou rien : soit le prévenu était reconnu dément et il était totalement irresponsable, soit il ne l’était pas et devait être jugé dans les conditions de droit commun, même s’il était atteint de troubles mentaux partiels. Pour remédier à cette situation, une circulaire du 12 décembre 1905 recommandait d’octroyer le bénéfice des circonstances atténuantes à l’anormal mental, de sorte qu’il se voyait appliquer une peine moindre que s’il avait joui de toutes ses facultés intellectuelles. La responsabilité atténuée de l’anormal mental est désormais consacrée par 214

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l’alinéa 2 de l’article 122-1 du Code pénal, lequel prévoit que la juridiction tient compte du trouble mental ayant simplement altéré le discernement ou entravé le contrôle des actes lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. On formulera toutefois deux remarques. D’une part, le juge est invité à prendre en compte le trouble non seulement lorsqu’il détermine la peine (ce qui se traduira par une peine atténuée) mais également lorsqu’il en fixe le régime. Par exemple, il pourra très bien prononcer une peine assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, cette dernière pouvant résider dans le suivi d’un traitement thérapeutique adapté. D’autre part, rien n’oblige le juge à prononcer des peines atténuées (Crim., 31 mars 1999, Bull. crim. n° 66 ; Crim., 20 octobre 1999, Bull. crim. n° 228 : « les dispositions de l’article 122-1 alinéa 2 ne prévoient pas une cause légale de diminution de peine »). Au contraire, on note une tendance à la répression accrue de certains criminels affectés d’un trouble mental, comme les criminels sexuels (la loi du 1er février 1994 a, par exemple, institué à l’égard des auteurs d’infractions sexuelles une peine privative de liberté incompressible [voir p. 336], et prévu qu’ils puissent l’exécuter dans des établissements pénitentiaires spécialement adaptés à un traitement et à un suivi psychologique).

§ 2.

La contrainte

Comme le trouble mental, la contrainte est une cause subjective d’irresponsabilité (ces deux causes d’irresponsabilité figuraient d’ailleurs à l’article 64 de l’ancien Code pénal). Cependant, alors que le trouble psychique ou neuropsychique abolit ou altère le discernement, la contrainte abolit la volonté. Le libre arbitre est annihilé : contraint, l’auteur de l’infraction n’a pas pu adopter un comportement différent de celui qu’il a adopté. Si la contrainte a obligé celui sur qui elle s’est exercée à commettre l’infraction, il peut s’en prévaloir et ne sera pas déclaré pénalement responsable. L’article 122-2 du Code pénal dispose en effet que : « N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister. » C’est ce que l’on appelle la force majeure (les tribunaux répressifs utilisant d’ailleurs parfois ce terme), également admise en droit civil comme cause d’irresponsabilité. Si l’origine de la contrainte importe peu, elle doit toutefois être irrésistible et imprévisible, caractères appréciés rigoureusement par la jurisprudence.

A) Origines de la contrainte La contrainte peut être physique (en s’exerçant sur le corps) ou morale (en s’exerçant sur la volonté). Toutefois, dans ce second cas, elle n’est cause d’irresponsabilité que si elle est externe à l’auteur de l’infraction. 1) La contrainte physique La contrainte physique suppose la présence de forces, externes ou internes à la personne de l’auteur de l’infraction, qui agissent sur ses mouvements et qu’il lui est impossible de maîtriser. LARCIER

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Cette force peut être extérieure à la personne de l’auteur de l’infraction. La contrainte peut d’abord résulter des forces de la nature, comme une tempête ou des pluies torrentielles (Crim., 28 février 1861, Bull. crim. n° 46 ; Crim., 28 juillet 1881, Bull. crim. n° 186). Ainsi, le conducteur d’un véhicule, auteur d’un homicide ou de blessures involontaires suite à un accident de la route, est irresponsable pénalement s’il s’avère qu’il a glissé sur une plaque de verglas apparue subitement (Crim., 27 février 1958, Bull. crim. n° 205 ; Crim., 12 mars 1959, Bull. crim. n° 176 ; Crim., 11 avril 1970, Bull. crim. n° 117 ; Crim., 18 décembre 1978, Bull. crim. n° 357). La contrainte physique externe peut également résulter du fait d’un tiers. L’individu déshabillé de force en public n’est pas responsable de l’infraction d’exhibition sexuelle, de même que le coureur cycliste, enfermé dans un peloton, n’est pas responsable de l’homicide involontaire qu’il a commis en renversant un policier (Crim., 5 janvier 1957, Bull. crim. n° 17). Le militaire qui ne peut rejoindre sa caserne à temps du fait d’une grève inopinée n’est pas responsable de désertion. La contrainte peut enfin résulter du fait du prince, c’est-à-dire de l’autorité publique. La contrainte physique peut également résulter d’une cause interne, tenant à la personne de l’auteur de l’infraction. Ce peut être une grande fatigue due à la maladie qui plonge le voyageur d’un train dans le sommeil, de telle sorte qu’il ne peut descendre à sa gare de destination et prolonge son parcours sans titre de transport (Crim., 19 octobre 1922, Bull. crim. n° 318), une affection cardiaque obligeant à cesser toute activité rémunérée, sans que celui qui en est atteint puisse être condamné pour abandon de famille (Crim., 24 avril 1937, DH 1937, p. 429) ou encore le malaise brutal et imprévisible provoquant la perte de contrôle du véhicule à l’origine d’un accident de la circulation routière (Crim., 15 nov. 2005, Bull. crim. n° 295). 2) La contrainte morale La contrainte morale s’exerce sur la volonté de l’agent. Elle pourra l’exonérer si elle provient d’une cause externe (en pratique, par le biais des menaces d’un tiers) mais pas si elle trouve son origine dans la personne de l’agent. La contrainte morale externe est constituée par une pression extérieure sur la volonté de l’agent, le déterminant à commettre une infraction qu’il ne souhaite pas voir se réaliser. Ainsi, des menaces, notamment de mort, d’un tiers, dirigées contre l’auteur des faits, contre des proches voire contre des tiers (par exemple des otages), pourront constituer une cause d’exonération. Par exemple, la contrainte a été reconnue à l’égard d’un soldat allemand qui avait obéi à l’ordre de ses chefs militaires dans la mesure où il n’avait aucune liberté d’action (Crim., 29 décembre 1948, Bull. crim. n° 299) ou d’un individu menacé de mort qui avait hébergé une quarantaine de rebelles armés et ainsi commis un recel de malfaiteurs (Crim., 26 février 1959, Bull. crim. n° 139). En tout état de cause, cette menace doit être illégitime, ce qui n’est pas le cas de la crainte inspiré par les chefs d’entreprise aux salariés (Crim., 21 décembre 1901, Bull. crim. n° 332 ; Crim., 22 juin 1976, Bull. crim. n° 229). La question s’est posée de savoir si la provocation policière (par exemple, des agents de police se font passer pour des consommateurs de stupéfiants) pouvait être retenue au titre de la contrainte. En fait, dans la mesure où la provocation ne détermine pas la commission de l’infraction mais a, au contraire, pour objet de la constater, elle ne saurait, sauf manúuvres d’une ampleur exceptionnelle, être une cause d’irresponsabilité (Crim., 2 mars 1971, Bull. crim. n° 71 ; Crim., 16 mars 1972, Bull. crim. n° 108 ; également Crim., 27 janvier 1944, Bull. crim. n° 31 pour le trafic 216

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d’or). Tout au plus, le juge peut prendre en compte cette circonstance pour modérer la sanction. Par contre, la contrainte morale interne (telle la passion, la haine, la colère, les convictions politiques, philosophiques ou religieuses) n’est jamais une cause d’irresponsabilité (sauf si l’on est en présence d’un trouble mental). La personne, révoltée contre une décision qu’elle estime injuste et qui profère des menaces et des injures, reste entièrement responsable (Crim., 11 avril 1908, Bull. crim. n° 161). Il en est de même pour l’individu que la passion du jeu pousse à émettre des chèques sans provision au casino (Crim., 27 novembre 1926, Bull. crim. n° 282), l’appelé qui déserte pour des considérations philosophiques ou la femme trompée qui tue son mari. Cependant, en pratique, les juges ne répugneront pas à atténuer la répression et les cours d’assises à acquitter les criminels passionnels.

B) Caractères de la contrainte La contrainte n’exonère l’auteur de l’acte que dans des conditions extrêmement rigoureuses : la jurisprudence estime en effet qu’elle « ne peut résulter que d’un événement indépendant de la volonté humaine et que celle-ci n’a pu ni prévoir ni conjurer » (Crim., 29 janvier 1921, Bull. crim. n° 52 ; Crim., 10 février 1960, Bull. crim. n° 79 ; Crim., 8 juillet 1971, Bull. crim. n° 222 ; Crim., 8 mai 1974, Bull. crim. n° 165) ou encore qu’elle ne « peut résulter que d’un événement imprévisible et insurmontable qui place l’auteur de l’infraction dans l’impossibilité absolue de se conformer à la loi » (par exemple, Cass. crim., 15 nov. 2006, Droit pénal 2007, comm. 16 ; JCP 2007, II.10062, comm. J.-Y. Maréchal). En d’autres termes, la contrainte doit être irrésistible et imprévisible. 1) Irrésistibilité de la contrainte Le libre arbitre de l’auteur de l’infraction doit avoir été totalement supprimé par un événement extérieur ou personnel. L’agent doit avoir été dans l’impossibilité absolue de résister à cette force et d’adopter un autre comportement que celui qui l’a amené à commettre l’infraction. Ainsi, pour reprendre un exemple classique, un étranger expulsé de France et appréhendé sur le territoire national en violation de l’arrêté d’expulsion ne pourra échapper à une condamnation que s’il rapporte la preuve qu’il a essuyé un refus d’entrée non seulement dans les pays limitrophes à la France et dans son pays d’origine, mais encore dans tous les pays de la planète (Crim., 8 février 1936, DP 1936, I, p. 44, note Donnedieu de Vabres ; solution reprise aux art. L. 513-4 et L. 523-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers). L’irrésistibilité de la contrainte morale externe est tout aussi rigoureusement appréciée. La contrainte a ainsi été refusée à un propriétaire ayant hébergé des bandits qui le menaçaient (Crim., 28 décembre 1900, Bull. crim. n° 391 ; pour une solution contraire, voir Crim., 26 février 1959, Bull. crim. n° 139) ou à un otage incité à commettre une infraction en raison des menaces pesant sur d’autres personnes capturées (Crim., 20 avril 1934, Bull. crim. n° 81). Cette sévérité des juges, contestable, résulte de ce que l’irrésistibilité est appréciée in abstracto, c’est-à-dire d’une manière objective, et non in concreto, en tenant compte des circonstances de fait et des possibilités effectives de l’auteur de l’infraction de résister à la contrainte. LARCIER

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2) Imprévisibilité de la contrainte La contrainte est exclusive de toute faute de l’auteur de l’infraction. Si, par une faute antérieure, il a été à l’origine de la contrainte, il ne saurait se prévaloir des dispositions de l’article 122-2 du Code pénal. Tel est le cas du marin déserteur qui ne peut regagner son navire puisque, appréhendé en état d’ivresse, il avait été placé en garde à vue (Crim., 29 janvier 1921, Bull. crim. n° 52, S. 1922, I, p. 185, note Roux ; également Crim., 6 mai 1970, Bull. crim. n° 154) ou encore d’un individu négligent qui se fait remettre des biens et se les fait voler, de sorte qu’il ne peut remplir ses obligations (Crim., 6 novembre 1947, Bull. crim. n° 215). N’ayant pas pris les précautions nécessaires pour empêcher la survenance de l’événement, il ne peut se prévaloir de la contrainte pour s’exonérer de sa responsabilité. Il en est de même de la personne impliquée dans un accident de la circulation et poursuivie pour homicide ou blessures involontaires, lorsque l’accident provient d’une défaillance mécanique de son véhicule due à un défaut d’entretien (Crim., 8 juillet 1971, Bull. crim. n° 222) ou encore si le véhicule a glissé sur une flaque d’eau alors que son conducteur aurait dû ralentir, compte tenu des conditions météorologiques (Crim., 14 octobre 1975, Bull. crim. n° 215). On objectera que cette condition, qui fait appel à la notion de dol éventuel, a pour conséquence de condamner parfois pour une infraction intentionnelle l’individu qui n’a commis qu’une faute d’imprudence ou de négligence. C’est regrettable puisque l’élément moral n’est, en tout état de cause, pas constitué. L’individu à qui l’on prête un objet et qui ne peut le rendre parce qu’on le lui a volé ne peut se voir reprocher, même s’il a été négligent, un abus de confiance, lequel suppose l’intention de détourner la chose remise.

§ 3.

L’erreur de droit

L’erreur sur une règle de droit (sur son existence ou sur sa portée) n’était classiquement jamais admise par les tribunaux. En d’autres termes, elle ne constituait pas une cause d’irresponsabilité pénale. Absente du Code pénal de 1810, l’erreur sur le droit est désormais admise, dans des conditions restrictives, par l’article 122-3 du Code pénal.

A) Justification classique de la non-admission de l’erreur de droit Selon une règle générale non écrite du droit français, « nul n’est censé ignorer la loi ». Les textes faisant l’objet d’une publication (pour les lois et règlements, au Journal officiel), chaque individu soumis au droit français est présumé s’être informé sur son contenu et, s’agissant du droit répressif, savoir ce qui interdit et pénalement sanctionné. Il s’agit d’une présomption irréfragable, nul ne pouvant exciper de son ignorance du droit pour échapper à la répression. Ce principe a été affirmé à de nombreuses reprises par la Cour de cassation qui refusait d’admettre l’erreur de droit sur le terrain de la responsabilité (Crim., 8 février 1966, Bull. crim. n° 36 : l’erreur de droit ne constitue « ni un fait justificatif ni une excuse admis par la loi » ; Crim., 16 mars 1972, Bull. crim. n° 110 : « l’ignorance alléguée du caractère punissable du fait délictueux ne saurait être une cause de justification » ; Crim., 24 juillet 1974, Bull. crim. n° 267 : « l’erreur de droit ne saurait être accueillie comme moyen de défense »). Il a ainsi été jugé qu’un chef d’entre218

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Droit pénal général


prise qui avait omis de soumettre un salarié à une visite médicale obligatoire ne pouvait se retrancher derrière le fait qu’il avait été induit en erreur par un mémento pratique (Crim., 7 février 1979, Bull. crim. n° 57). Ce n’est qu’exceptionnellement que l’erreur de droit était admise (Crim., 9 octobre 1958, D. 1959, p. 68, pour une entrave au fonctionnement d’un comité d’entreprise, en raison de textes prêtant à confusion et d’un avis envoyé par écrit par le ministère du travail). Toutefois, l’exclusion aveugle de l’erreur de droit emportait des conséquences difficilement admissibles. Elle s’appliquait avec la même force aux nationaux comme aux étrangers, aux hommes cultivés comme aux analphabètes, aux infractions naturelles (meurtre, viol…) comme aux infractions aux législations et réglementations techniques. Compte tenu de l’inflation de textes législatifs et réglementaires, de plus en plus techniques et complexes, il devenait illusoire d’exiger d’un individu qu’il ait connaissance de toutes les normes applicables. Même les professionnels s’y perdent, les ministères recourant facilement aux circulaires pour expliquer à leurs agents la réglementation applicable. Or, la Cour européenne des droits de l’homme exige que la loi, au sens de la Convention, c’est-à-dire au sens de « norme » en général, ne doit pas seulement être formelle mais doit avoir certaines qualités, à savoir être accessible et prévisible (arrêts Kruslin et Huvig contre France du 24 avril 1990, série A, n° 176 A et B). Quelques solutions jurisprudentielles attestent du caractère excessif du principe de l’exclusion de l’erreur de droit. Un horticulteur s’était renseigné auprès des autorités municipales pour savoir s’il devait être titulaire d’une autorisation administrative pour mettre en place des serres. Après avoir reçu une réponse négative, il effectue les travaux… et il s’avère qu’un permis de construire était nécessaire : cet horticulteur est donc condamné pour construction sans permis de construire (Crim., 26 février 1964, Bull. crim. n° 71 ; également Crim., 2 mars 1976, Bull. crim. n° 78 ; Crim., 4 mars 1986, Bull. crim. n° 87). Pour éviter ces solutions extrêmes, et à l’instar de ce qui existe dans des législations ou jurisprudences étrangères (comme en Allemagne ou en Belgique), l’erreur de droit a été admise par le Code pénal comme une nouvelle cause d’irresponsabilité.

B) Conditions d’admission de l’erreur de droit L’article 122-3 du Code pénal dispose : « N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte ». C’est à la personne poursuivie d’invoquer l’erreur de droit, les juges du fond ne pouvant la soulever d’office (Crim., 15 novembre 1995, Bull. crim. n° 350 ; Crim., 23 mars 1999, Droit pénal 1999, chron. n° 27). Trois conditions sont posées : – il doit s’agir d’abord d’une erreur sur le droit, l’auteur de l’infraction ignorant l’existence d’une règle de droit ou procédant légitimement à une interprétation erronée de celle-ci. La circulaire d’application du nouveau Code pénal a ainsi cité l’exemple du défaut de publicité de la norme juridique (absence de publication des lois et des règlements au Journal officiel ou absence d’affichage d’un arrêté). Toutefois, l’article 122-3 du Code pénal n’apporte ici rien de nouveau puisque le principe de légalité interdit de LARCIER

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sanctionner la violation d’une obligation qui n’aurait pas été portée à la connaissance des personnes. Par contre, il est vraisemblable que l’erreur de droit pourra résulter d’une information erronée fournie par l’administration (circulaire, loi interprétative ou réponse ministérielle à une question parlementaire) ; – celui qui se prévaut de l’erreur de droit doit avoir cru pouvoir légitimement accomplir l’acte, c’est-à-dire avoir pensé avec raison que l’acte était légal. Il doit cependant être de bonne foi : les responsables d’une société ne sauraient se prévaloir de lettres de responsables municipaux les autorisant à ériger une structure et à la maintenir pendant un certain temps sur un hippodrome pour se dispenser de solliciter l’octroi d’un permis de construire (Crim., 12 sept. 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 150 et 155). Il semble notamment que l’erreur de droit est différemment appréciée selon qu’elle est invoquée par un professionnel, en principe informé ou devant l’être, ou par un simple particulier (voir par exemple Crim., 10 avril 1997, Bull. crim. n° 140 : le doute sur la licéité d’une publicité en faveur du tabac devait conduire un professionnel de bonne foi à s’abstenir de participer à une campagne dont le Comité national contre le tabagisme dénonçait le caractère illicite ; Crim., 10 avril 2002, Droit pénal 2002, comm. n° 105 : l’intéressé, compte tenu de l’exercice de longue date de fonctions électives et de son expérience dans la passation de marchés publics, n’a pu ignorer qu’il commettait un manquement à la législation) ; – l’erreur de droit n’est admise que si elle est invincible, insurmontable, autrement dit si elle ne pouvait pas être évitée par l’auteur de l’infraction. Celui-ci ne pourra donc être déclaré irresponsable que s’il apporte la preuve qu’il n’avait pas d’autres moyens utiles de se renseigner sur la législation applicable. Ce principe ne permet pas de justifier l’ignorance de la loi, de faire échec au principe selon lequel nul n’est censé ignorer la loi. L’auteur de l’infraction qui n’a pas mis en úuvre tous les moyens pour éviter de commettre l’erreur ne peut donc pas utilement s’en prévaloir. Elle ne saurait bénéficier aux personnes qui avaient la possibilité de se renseigner et de consulter l’administration compétente. Ainsi, l’erreur de droit ne peut être utilement invoquée s’il était possible de recourir aux conseils de personnes qualifiées, de professionnels, et notamment de juristes, pour être éclairé sur la portée des textes applicables (Crim., 5 mars 1997, Bull. crim. n° 84 pour une consultation auprès de l’inspection du travail en matière de durée maximale du travail ; Crim., 19 mars 1997, Bull. crim. n° 115, pour la portée d’une autorisation d’urbanisme commercial ; Crim., 15 octobre 2002, Droit pénal 2003, comm. n° 23, à propos de la commercialisation en grande surface d’un médicament dont la vente est réservée aux pharmaciens). Il ne saurait y avoir non plus erreur de droit sur la portée d’un jugement dès lors qu’il était possible au prévenu d’introduire un recours en interprétation d’un jugement. N’est donc pas une erreur de droit invincible l’erreur « relative au sens ou à la portée d’une décision judiciaire susceptible d’être interprétée par le juge » (Crim., 11 octobre 1995, Bull. crim. n° 301, D. 1996, p. 469, obs. Muller). Une personne poursuivie pour avoir obtenu frauduleusement son permis de conduire ne peut utilement invoquer l’erreur portant sur les modalités d’exécution 220

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de deux mesures successives d’annulation du permis, dans la mesure où cette erreur aurait pu être évitée par une requête adressée à la juridiction de jugement sur le fondement de l’article 710 du Code de procédure pénale (Crim., 17 février 1998, Bull. crim. n° 60). L’erreur de droit est également écartée lorsque le prévenu pouvait consulter l’administration (Crim., 17 février 1998, Bull. crim. n° 60). L’erreur de droit ne s’apprécie donc pas subjectivement, compte tenu des connaissances juridiques de la personne poursuivie. À l’image de l’approche retenue en matière de contrainte, les tribunaux optent pour une conception objective et au demeurant très restrictive de l’erreur de droit. La question s’est posée de savoir si l’erreur de droit pouvait être admise dans le cas d’une divergence de jurisprudence. En effet, en cas de soustraction par photocopies de documents appartenant à l’entreprise par un salarié, dans le but de produire ceux-ci devant les juridictions prud’homales dans le cadre de l’instance l’opposant à son employeur, la chambre criminelle de la Cour de cassation a longtemps considéré que de tels agissements étaient constitutifs de vol, quel qu’en soit le mobile, alors que la chambre sociale de la même Cour reconnaît le droit pour un salarié de produire en justice, en vue d’assurer sa défense dans le procès qui l’oppose à son employeur devant le juge prud’homal, les documents de l’entreprise dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions. L’erreur de droit, fondée sur cette divergence de jurisprudence, a parfois été retenue (par exemple, CA Paris, 9 novembre 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 57). La Cour de cassation a tranché la question en jugeant que l’erreur de droit n’était, dans ce cas, pas invincible, sous-entendant que la divergence de jurisprudence n’en était pas une, et qu’il convenait de rechercher si les documents soustraits étaient strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense, auquel cas le vol n’est pas constitué (Crim., 11 mai 2004, Bull. crim. n° 113). En définitive, l’erreur de droit est admise de façon exceptionnelle. Par exemple, a été jugé irresponsable le gérant d’une entreprise de transport poursuivi pour infraction à la durée de travail de ses salariés, alors qu’il n’avait fait qu’appliquer les clauses d’un accord professionnel élaboré sous l’égide d’un médiateur désigné par le gouvernement et faisant référence au Code du travail, mais dont les stipulations étaient finalement moins favorables pour les travailleurs que les prescriptions légales et donc contraires à celles-ci : l’erreur invoquée résultait en l’espèce d’une information erronée fournie par l’administration, représentée aux négociations préalables à la signature de l’accord illicite (Crim., 4 novembre 1998, JCP 1999, II, 10208). En a également bénéficié le prévenu, poursuivi pour conduite d’un véhicule malgré l’annulation de son permis de conduire, qui s’était fait remettre par un agent de police judiciaire une attestation selon laquelle sa situation administrative était régulière et qu’il était autorisé à conduire avec son permis international, même s’il est avéré que cette attestation lui a été remise par erreur (Crim., 11 mai 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 109 ; JCP 2006, II 10207).

§ 4.

La minorité

Sur le terrain de la responsabilité pénale, l’âge est-il une cause d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité ? L’âge avancé n’est pas une cause d’irresponsabilité, sauf s’il est la cause d’un trouble mental. S’agissant de la resLARCIER

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ponsabilité de l’enfant ou de l’adolescent qui commet matériellement une infraction, il convient de se placer sur le terrain du discernement et de déterminer si le mineur délinquant était capable de comprendre la portée de son acte, de savoir qu’il s’agissait d’un acte répréhensible, interdit. Le Code pénal de 1810 fixait la majorité pénale à 16 ans et imposait aux juridictions répressives de déterminer si le mineur délinquant avait agi ou non avec discernement. En cas de réponse affirmative, le mineur bénéficiait de l’excuse atténuante de minorité et la sanction était diminuée. Dans la négative, le mineur était reconnu irresponsable mais le juge pouvait prononcer des mesures éducatives. Le régime des mineurs a ensuite profondément évolué : mise en place d’établissements pour mineurs, les colonies pénitentiaires (1850), possibilité offerte au juge de confier la garde du mineur délinquant à un parent, une personne ou une institution digne de confiance (1898), élévation de la minorité pénale à 18 ans (1906), suppression de la question du discernement pour les mineurs de moins de 13 ans, mise en place de juridictions spéciales pour mineurs et introduction de la liberté surveillée (1912). Le statut pénal du mineur délinquant est fixé par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, modifiée à de multiples reprises (en dernier lieu par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et la loi du 10 août 2011 « sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs »).

A) La responsabilité pénale du mineur : la question du discernement Il était parfois affirmé que le fait que le mineur doive en principe faire l’objet de mesures éducatives entraînait une présomption d’irresponsabilité : présomption irréfragable (insusceptible de preuve contraire) pour les mineurs de moins de 13 ans qui ne pouvaient jamais être condamnés à une peine mais étaient seulement justiciables de mesures d’éducation, présomption simple pour les mineurs de 13 à 18 ans qui pouvaient parfois exécuter une véritable peine. Mais cette conclusion était en réalité erronée. En 1956, la Cour de cassation a expressément rétabli la question du discernement. Dans cette affaire, un enfant de six ans avait blessé un camarade et était poursuivi pour blessures involontaires. Le jugement, tout en ayant constaté l’absence d’éveil et de raison suffisants chez l’enfant, avait ordonné la remise de celui-ci à la famille. La Cour de cassation a cassé ce jugement et affirmé que « si les articles 1er et 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 posent le principe de l’irresponsabilité pénale du mineur, abstraction faite du discernement de l’intéressé, et déterminent les juridictions compétentes pour statuer lorsqu’un fait qualifié de crime ou délit est imputé à des mineurs de 18 ans et pour prendre à l’égard de ces mineurs des mesures de redressement appropriées (…) encore faut-il, conformément aux principes généraux du droit, que le mineur dont la participation à l’acte matériel à lui reprochée est établie, ait compris et voulu cet acte (…) Toute infraction même non intentionnelle, sup222

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pose en effet que son auteur ait agi avec intelligence et volonté » (Crim., 13 décembre 1956, affaire Laboube, Bull. crim. n° 840, D. 1957, p. 349, note Patin). L’article 122-8 alinéa 1 du Code pénal, tel que modifié par la loi du 9 septembre 2002, confirme cette solution, puisqu’il dispose sans ambiguïté : « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dont ils peuvent faire l’objet. » Cela signifie donc que les juridictions pour mineurs ne peuvent prononcer de mesures, même simplement éducatives, que si le mineur a eu la capacité de comprendre son acte. Le mineur comparaît devant un juge qui se prononce sur sa responsabilité compte tenu de sa capacité de discernement. Si le mineur est jugé non doté de discernement, parce ce qu’incapable de comprendre la portée de ses actes, il est pénalement irresponsable, de sorte qu’aucune condamnation, même à une mesure éducative, ne pourra intervenir (si sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger, le juge civil pourra cependant prendre des mesures spécifiques au titre de l’assistance éducative). Si le mineur délinquant est capable de discernement, il est reconnu pénalement responsable. Simplement, compte tenu de son jeune âge, le mineur délinquant reconnu pénalement responsable échappe en principe aux sanctions pénales classiques pour relever de mesures spécifiques, les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation. La confusion à cet égard provient du fait que ces mesures sont proches de celles que le juge des enfants, statuant en matière civile au titre de l’assistance éducative, est habilité à prononcer à l’égard des mineurs en danger (art. 375 et suivants du Code civil). Pour résumer, si la majorité pénale est fixée en France à 18 ans, la loi ne fixe pas l’âge de la minorité pénale (âge en dessous duquel l’enfant est présumé ne pas avoir la capacité de comprendre qu’il enfreint la loi pénale et, par conséquent, est nécessairement pénalement irresponsable). La responsabilité pénale du mineur étant liée à sa capacité de discernement, cet âge sera variable, dépendant essentiellement de la maturité et de la personnalité du mineur, ainsi que des circonstances de commission de l’infraction.

B) Les mesures, sanctions et peines applicables au mineur pénalement responsable Quelles mesures appliquer au mineur délinquant reconnu coupable d’avoir commis une infraction ? D’un côté, on ne saurait soumettre les mineurs aux règles générales du droit pénal. Le mineur doit bénéficier d’une protection adaptée et se voir appliquer des mesures spéciales. En effet, appliquer des sanctions pénales traditionnelles se révélerait, dans une large mesure, illusoire. En particulier, une peine privative de liberté aurait l’effet inverse à celui escompté : loin de corriger le mineur délinquant, elle aurait un effet corrupteur compte tenu de la promiscuité avec d’autres détenus. La délinquance juvénile appelle donc l’application de règles spécifiques, s’agissant tant des mesures et sanctions proLARCIER

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noncées, qui auront un caractère largement éducatif, que des tribunaux compétents ou de la procédure. Pour cette raison, le droit pénal des mineurs est constitué d’un ensemble de règles spéciales destinées à assurer la protection du mineur. L’article 122-8 alinéa 1 du Code pénal résume ainsi la solution adoptée dès l’origine par l’ordonnance du 2 février 1945 : « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, dans des conditions fixées par une loi particulière qui détermine les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dont ils peuvent faire l’objet. » D’un autre côté, les mineurs délinquants sont de plus en plus nombreux et peuvent commettre des infractions d’une certaine gravité (violences, trafic de stupéfiants, dégradations…). Pour se prémunir efficacement, la société a alors parfois intérêt à mettre en úuvre une répression pénale classique. C’est pourquoi l’article 122-8 alinéa 2 prévoit que la loi « détermine également les sanctions éducatives qui peuvent être prononcées à l’encontre des mineurs de dix à dix-huit ans ainsi que les peines auxquelles peuvent être condamnés les mineurs de treize à dix-huit ans, en tenant compte de l’atténuation de responsabilité dont ils bénéficient en raison de leur âge. » S’agissant des mesures et sanctions qui peuvent être prononcées à l’encontre des mineurs pénalement responsables, la loi établit donc une distinction en fonction de l’âge, cet âge devant s’apprécier au jour de la commission de l’infraction (Crim., 11 juin 1969, Bull. crim. n° 195 ; Crim., 3 septembre 1985, Bull. crim. n° 283). Le Conseil constitutionnel a repris à son compte ce subtil équilibre entre mesures éducatives et sanctions répressives. Dans sa décision du 29 août 2002 rendue à propos de la loi du 9 septembre 2002 (JO 10 septembre 2002, p. 14953), il a mis en évidence l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs, ayant à ce titre une valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1946 et qui se traduit par l’atténuation de la responsabilité des mineurs, la primauté de l’éducatif sur le répressif et la spécialisation des juridictions ou des procédures concernant les mineurs (« l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du XXe siècle »). Dans le même temps, le Conseil constitutionnel a cependant reconnu que la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives. Il relève qu’en particulier, les dispositions originelles de l’ordonnance du 2 février 1945 n’écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n’excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention. Dans sa décision du 10 mars 2011 rendue sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite loi « Loppsi 2 », le Conseil constitutionnel a jugé que des peines minimales ne 224

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peuvent être applicables aux mineurs qui n’ont jamais été condamnés pour crime ou délit (décision n° 2011-625 DC, cons. n° 26 et 27). La loi du 10 août 2011 « sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs » introduit dans l’ordonnance du 2 février 1945 (art. 5-1) une disposition générale selon laquelle une enquête de personnalité doit être réalisée avant toute décision prononçant une mesure éducative, une sanction éducative ou une peine à l’encontre d’un mineur pénalement responsable d’un crime ou d’un délit. Cette enquête doit permettre à la juridiction pour mineur d’avoir une connaissance suffisante de la personnalité du mineur et de sa situation sociale et familiale. L’ensemble des éléments relatifs à la personnalité d’un mineur recueillis au cours des procédures dont il fait l’objet est versé dans un « dossier unique de personnalité », placé sous le contrôle du procureur de la République et du juge des enfants qui connaissent habituellement de la situation de ce mineur (art. 5-2 de l’ordonnance). 1) Les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation La juridiction pour mineurs (juge des enfants, tribunal pour enfants, tribunal correctionnel pour mineurs [Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice a annoncé la suppression de cette juridiction], cour d’assises des mineurs) aura en principe recours aux mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation prévues par l’ordonnance du 2 février 1945. Le juge des enfants recueille, par toute mesure d’investigation, des renseignements relatifs à la personnalité et à l’environnement social et familial du mineur. Les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation sont l’admonestation, la remise de l’enfant à ses parents, son tuteur, à la personne qui en avait la garde ou à une personne digne de confiance, le placement dans une institution ou un établissement éducatif ou médical spécialisé (institution ou établissement public ou privé, d’éducation ou de formation professionnelle ; établissement médical ou médico-pédagogique habilité ; internat approprié aux mineurs délinquants d’âge scolaire ou institution publique d’éducation surveillée ou d’éducation corrective), la remise au service de l’assistance à l’enfance, la mise sous protection judiciaire, l’activité de jour, enfin le placement sous le régime de la liberté surveillée. S’il prononce cette dernière mesure, le tribunal désigne alors un délégué à la liberté surveillée, chargé d’assurer la rééducation du mineur, de le surveiller et d’adresser au juge des enfants un rapport en cas de mauvaise conduite, de péril moral du mineur, d’entraves systématiques à l’exercice de la surveillance, ainsi que dans le cas où une modification de placement ou de garde lui paraîtra utile. Ces mesures sont prononcées pour une durée fixée par la décision, mais ne peuvent se prolonger au-delà de la majorité. Les mesures de protection, d’assistance, de surveillance, d’éducation ordonnées à l’égard d’un mineur peuvent en principe être révisées à tout moment. On relèvera que la plupart de ces mesures peuvent également être prononcées avant le jugement pour permettre l’observation de la personnalité du mineur (par exemple, la liberté surveillée). Elles peuvent également être imposées par le juge des enfants, postérieurement à la condamnation, au titre d’un aménagement de peine (art. 20-10 de l’ordonnance du 2 février 1945). Par ailleurs, des mesuLARCIER

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res similaires peuvent être prononcées par le juge des enfants, statuant en matière civile, à l’égard des mineurs dont la santé, la sécurité ou la moralité est en danger, indépendamment de la commission d’une infraction (art. 375 et suivants du Code civil). 2) Les sanctions éducatives La loi du 9 septembre 2002 a créé une catégorie de sanctions, les sanctions éducatives qui peuvent être prononcées à l’encontre des mineurs de 10 à 18 ans (art. 122-8 du Code pénal et art. 2 al. 2 de l’ordonnance du 2 février 1945). Ces sanctions éducatives ont un double objet : d’une part, en ce qui concerne les mineurs de 13 à 18 ans, apporter une réponse mieux adaptée aux faits commis et à la personnalité des mineurs lorsque les mesures éducatives apparaissent insuffisantes et que le prononcé d’une peine constituerait une sanction trop sévère. Elles constituent donc pour eux un niveau intermédiaire entre les mesures éducatives et les peines (elles ne peuvent d’ailleurs être prononcées en même temps qu’une peine ou qu’une mesure éducative) ; d’autre part, en ce qui concerne les mineurs de 10 à 13 ans qui ne pouvaient jusqu’à maintenant faire l’objet que de mesures éducatives, répondre de manière plus efficace aux actes commis par ces derniers, notamment lorsqu’ils ont déjà été poursuivis et ont déjà fait l’objet d’admonestation, de remise à parent ou d’autres mesures éducatives et qu’il est nécessaire d’apporter une réponse judiciaire plus ferme (circulaire du 7 novembre 2002). La loi énumère onze sanctions éducatives (art. 15-1 de l’ordonnance du 2 février 1945) : – la confiscation d’un objet détenu ou appartenant au mineur et ayant servi à la commission de l’infraction ou qui en est le produit : par exemple, une arme ou encore un cyclomoteur lorsque le délit aura été commis à l’aide de ce moyen ; – l’interdiction de paraître, pour une durée qui ne saurait excéder un an, dans le ou les lieux dans lesquels l’infraction a été commise et qui sont désignés par la juridiction, à l’exception des lieux dans lesquels le mineur réside habituellement : par exemple, le commerce dans lequel le mineur aura commis des vols, le cinéma dans lequel il aura commis des dégradations, l’établissement scolaire dans lequel il aura commis des infractions si le mineur a été transféré dans un autre établissement ; – l’interdiction, pour une durée qui ne saurait excéder un an, de rencontrer ou de recevoir la ou les victimes de l’infraction désignées par la juridiction ou d’entrer en relation avec elles ; – l’interdiction, pour une durée qui ne saurait excéder un an, de rencontrer ou de recevoir le ou les coauteurs ou complices éventuels désignés par la juridiction ou d’entrer en relation avec eux ; – une mesure d’aide ou de réparation. Possible avant l’engagement des poursuites ou avant condamnation, elle peut aussi être prononcée par la juridiction pour mineurs à titre de sanction ; – l’obligation de suivre un stage de formation civique, d’une durée qui ne peut excéder un mois, ayant pour objet de rappeler au mineur les obligations résultant de la loi ; 226

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– le placement pour une durée de trois mois maximum, renouvelable une fois, sans excéder un mois pour les mineurs de dix à treize ans, dans une institution ou un établissement public ou privé d’éducation habilité permettant la mise en úuvre d’un travail psychologique, éducatif et social portant sur les faits commis et situé en dehors du lieu de résidence habituel ; – l’exécution de travaux scolaires ; – l’avertissement solennel ; – le placement dans un établissement scolaire doté d’un internat pour une durée correspondant à une année scolaire avec autorisation pour le mineur de rentrer dans sa famille lors des fins de semaine et des vacances scolaires ; – enfin, l’interdiction pour le mineur d’aller et venir sur la voie publique entre vingt-trois heures et six heures sans être accompagné de l’un de ses parents ou du titulaire de l’autorité parentale, pour une durée de trois mois maximum, renouvelable une fois. Ces diverses sanctions apparaissent, de par leur contenu, comme des sanctions que les parents du mineur délinquant auraient pu mettre en ’uvre euxmêmes, mais qui sont prononcées par l’autorité judiciaire par substitution à une autorité parentale défaillante. Les sanctions éducatives sont prononcées par décision motivée. Comme pour les peines, elles ne peuvent être prononcées que « lorsque les circonstances et la personnalité du mineur l’exigent » (art. 2 al. 2 de l’ordonnance du 2 février 1945). Le Conseil constitutionnel a précisé que les sanctions éducatives devaient respecter le principe de proportionnalité des peines, ce qui impliquait notamment que ces sanctions devaient naturellement prendre en compte les obligations familiales et scolaires des intéressés. La juridiction pour mineurs désigne le service de la protection judiciaire de la jeunesse ou le service habilité chargé de veiller à la bonne exécution de la sanction. Ce service fera rapport au juge des enfants de l’exécution de la sanction éducative. En cas de non-respect par le mineur des sanctions éducatives prononcées, le tribunal des enfants, saisi par le procureur de la République, pourra prononcer à son égard une mesure de placement dans un établissement spécialisé. 3) Les peines Si le tribunal pour enfants, le tribunal correctionnel pour mineurs (Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice a annoncé la suppression de cette juridiction) et la cour d’assises des mineurs sont invités à prononcer en priorité des mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation, ils peuvent cependant, lorsque les circonstances et la personnalité des mineurs l’exigent, prononcer une peine à l’encontre des mineurs de 13 à 18 ans. Le prononcé d’une peine à l’encontre d’un mineur ne dépend donc pas de la responsabilité pénale du mineur, mais essentiellement de la personnalité du jeune délinquant, une peine apparaissant plus adaptée pour neutraliser le mineur et prévenir la récidive (Crim., 1er février 1951, Bull. crim. n° 40 : l’examen de la nécessité de prononcer une peine porte non sur les éléments constitutifs de l’infraction, mais sur l’individu lui-même). Cette possibilité de prononcer une peine à l’encontre d’un mineur de plus de 13 ans est cependant limitée. LARCIER

Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité CHAPITRE 4

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Tableau 3 Mesures, sanctions éducatives et peines applicables aux mineurs Mineurs de moins de 10 ans

Mineurs de 10 à 13 ans

Mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation Sanctions éducatives de l’article 15-1 de l’ordonnance du 2 février 1945

Peines

Mineurs de 13 à 16 ans

Mineurs de 16 à 18 ans

OUI

NON

(lorsque les circonstances et la personnalité des mineurs l’exigent) OUI

NON

(lorsque les circonstances et la personnalité des mineurs l’exigent) OUI avec limitation de la durée de la peine privative de liberté et du montant de l’amende, sauf : 1) compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur (décision spécialement motivée) ou 2) en cas de récidive de certains crimes ou délits (crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne, délit de violences volontaires, délit d’agression sexuelle, délit commis avec la circonstance aggravante de violences) – Travail d’intérêt général : NON

OUI

Peines exclues : interdiction du territoire français, jour-amende, interdiction des droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale, interdiction de séjour, fermeture d’établissement, exclusion des marchés publics , affichage ou diffusion de la condamnation

D’abord, la juridiction pour mineurs est dans l’obligation de tenir compte de l’atténuation de la responsabilité pénale résultant de la minorité. Cela signifie qu’en principe, elle doit modérer la sanction et garder à l’esprit que l’objectif de la sanction pénale doit être le relèvement du mineur. Par ailleurs, en matière correctionnelle, le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnels pour mineurs ne peut prononcer une peine d’emprisonnement, avec ou sans sursis, qu’après avoir spécialement motivé le choix de cette peine (art. 2 al. 2 et 3 de l’ordonnance du 2 février 1945). 228

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


Ensuite, la loi a limité les peines susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’un mineur délinquant. L’ordonnance de 1945 prévoit ainsi que certaines peines, généralement encourues à titre complémentaire ou alternatif, ne peuvent jamais être prononcées à l’encontre d’un mineur : interdiction du territoire français, jour-amende, interdiction des droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale, interdiction de séjour, fermeture d’établissement, exclusion des marchés publics et affichage ou de diffusion de la condamnation (art. 20-4 de l’ordonnance du 2 février 1945). Les règles relatives à la période de sûreté leur sont également inapplicables (voir p. 336 et p. 365), et aucune interdiction, déchéance ou incapacité ne peut résulter de plein droit d’une condamnation pénale prononcée à l’encontre d’un mineur (sur les peines accessoires, voir p. 245). L’exécution d’un travail d’intérêt général, à titre de peine ou comme modalité d’exécution d’un sursis, ne peut être décidée que pour les mineurs de 16 à 18 ans. Les travaux d’intérêt général doivent en outre être adaptés aux mineurs et présenter un caractère formateur ou de nature à favoriser l’insertion sociale des jeunes condamnés (art. 20-5 de l’ordonnance du 2 février 1945). Enfin la peine principale sera en principe diminuée en application des articles 20-2 et 20-3 de l’ordonnance de 1945. Cette réduction légale de la peine principale encourue interdit au tribunal pour enfants, au tribunal correctionnel pour mineurs (Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice a annoncé la suppression de cette juridiction) et à la cour d’assises des mineurs de prononcer à l’encontre des mineurs âgés de plus de 13 ans une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue (ou une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle si la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité) ou une peine d’amende d’un montant supérieur à la moitié de l’amende encourue et en toute hypothèse supérieur à 7 500 euros. La diminution de moitié de la peine encourue s’applique également aux peines minimales de privation de liberté prévues par les articles 132-18, 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal en cas de récidive. Si les mineurs de 13 à 16 ans bénéficient toujours et automatiquement de cette réduction de peine, les mineurs de 16 à 18 ans peuvent se la voir refuser. Deux dérogations sont en effet prévues : d’une part, le tribunal pour enfants, le tribunal correctionnel pour mineurs ou la cour d’assises des mineurs peuvent décider qu’il n’y a pas lieu de faire bénéficier de ces dispositions le mineur de plus de 16 ans, soit compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur, soit parce qu’il y a récidive de certains crimes ou de certains délits (crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne, délit de violences volontaires, délit d’agression sexuelle, délit commis avec la circonstance aggravante de violences). En matière correctionnelle, cette décision ne peut être prise par le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs que par une motivation spéciale, sauf si elle est justifiée par l’état de récidive légale. Pour mémoire, le tribunal correctionnel pour mineurs, introduit par la loi du 10 août 2011 « sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs » est exclusivement compétent lorsque le délit est puni d’une peine égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement et qu’il a été commis en état de récidive légale par un mineur âgé de plus de seize ans (Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice a annoncé la suppression de cette juridiction). LARCIER

Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité CHAPITRE 4

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D’autre part, depuis la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007, si le mineur de plus de 16 ans se trouve une nouvelle fois en état de récidive légale pour l’une de ces infractions, autrement dit, en cas de multirécidive, l’atténuation de la peine ne s’appliquera pas et sera écartée, sauf si la cour d’assises des mineurs ou, par une décision spécialement motivée, le tribunal pour enfants, en décide autrement. La loi du 10 août 2011 « sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs » ajoute la possibilité, pour le tribunal pour enfants et le tribunal correctionnel pour mineurs, de cumuler une sanction éducative avec une peine d’amende, de travail d’intérêt général ou d’emprisonnement avec sursis. Quant à la loi du 26 décembre 2011 « visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants », elle permet au procureur de la République, au titre d’une composition pénale, ou à la juridiction pour mineurs, soit en accompagnement d’une décision d’ajournement du prononcé d’une mesure éducative, d’une sanction éducative ou d’une peine, soit comme obligation du sursis avec mise à l’épreuve, de prescrire l’accomplissement d’un contrat de service en établissement public d’insertion de la défense. Le mineur doit être âgé de plus de seize ans ; l’accord du mineur et des titulaires de l’autorité parentale doit être donné en présence d’un avocat. Lorsque cette obligation est prescrite dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve, son inobservation peut entraîner la révocation du sursis et la mise à exécution de la peine d’emprisonnement.

SECTION II

Les faits justificatifs Les faits justificatifs sont l’ordre ou l’autorisation de la loi, le commandement de l’autorité légitime, la légitime défense et l’état de nécessité. Souvent présentées comme supprimant l’élément injuste de l’infraction, ces circonstances suppriment la culpabilité de l’auteur de l’infraction. Par contre, le consentement de la victime n’est pas un fait justificatif.

§ 1. L’ordre de la loi, l’autorisation de la loi et le commandement de l’autorité légitime L’article 122-4 du Code pénal énonce que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires », ni celle « qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ». Il convient donc de distinguer, comme le fait l’article 122-4, l’ordre ou l’autorisation de la loi ou du règlement, du commandement de l’autorité légitime. 230

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


A) L’ordre ou l’autorisation de la loi ou du règlement De même que la loi et le règlement interdisent certains comportements sous peine de sanctions pénales, la loi et le règlement peuvent prévoir des exceptions au texte d’incrimination. Ces exceptions peuvent revêtir deux formes : le texte peut obliger son destinataire à effectuer un acte entrant dans le champ d’application d’une incrimination ou simplement lui permettre d’effectuer cet acte (il a alors une possibilité de choix). Ainsi, l’article 226-14 du Code pénal dispose que l’article 226-13 du même Code, qui réprime la violation du secret professionnel, « n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret ». Dès lors, enjoint ou permis par la loi ou le règlement, l’acte perd alors son caractère d’infraction. Il est justifié. Cette cause d’irresponsabilité pénale s’étend aux fautes involontaires commises au cours de l’exécution de l’acte prescrit ou autorisé par la loi ou le règlement (Crim., 5 janvier 2000, JCP 2000, IV, 2010 : gendarme tirant en direction d’un véhicule pour l’immobiliser et blessant mortellement son conducteur). La dérogation est parfois expresse, le texte renvoyant à une infraction déterminée (par exemple à l’article 225-3 du Code pénal pour les discriminations), parfois implicite (par exemple pour une mise en détention provisoire régulière ou une opération chirurgicale à fins thérapeutiques). 1) L’injonction de la loi ou du règlement On est apparemment en présence de deux obligations contraires. En réalité, le pouvoir législatif ou réglementaire a simplement prévu une exception à l’incrimination. L’impunité est souvent accordée aux agents de l’autorité publique agissant dans le cadre de leurs prérogatives. Ainsi, l’arrestation régulière d’un individu par l’autorité publique compétente ne constitue pas l’infraction d’arrestation illégale, pas plus que l’exécution d’une peine privative de liberté n’est une séquestration arbitraire. Il en est de même pour une perquisition régulièrement ordonnée qui ne constitue pas une violation de domicile, une saisie qui n’est pas un vol ou des écoutes téléphoniques opérées par des officiers de police judiciaire commis rogatoirement par le juge d’instruction qui ne peuvent être considérées comme une atteinte à l’intimité de la vie privée. Toutefois, on n’est en présence d’un fait justificatif qu’à la condition que les conditions posées par la loi à l’exercice de ces pouvoirs soient respectées (par exemple, Crim., 1er décembre 1955, Bull. crim. n° 535 ; Crim., 19 octobre 1994, Droit pénal 1995, comm. n° 36 pour des agents publics intervenant régulièrement mais en usant de violences inutiles et non justifiées ; Crim., 30 avril 1996, Bull. crim. n° 178 ; Crim., 18 février 2003, Bull. crim. n° 41). Parfois, l’ordre de la loi s’impose également aux simples particuliers. Ainsi, le directeur de publication du Journal officiel, tenu de publier les déclarations d’association, ne saurait être condamné pour diffamation à raison de celles-ci (Crim., 17 février 1981, Bull. crim. n° 63). L’obligation de porter secours à personne en péril ou celle de combattre un sinistre dangereux pour les personnes (art. 223-6 al. 2 et 2237 du Code pénal) impose d’intervenir, au besoin en commettant une infraction si cette dernière s’avère nécessaire pour respecter l’ordre de la loi : par exemple, pénétrer dans une habitation pour chercher de l’aide, sans qu’il y ait violation LARCIER

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de domicile. L’intervention trouvant une justification légale, l’ordre de la loi peut être invoqué. Toutefois, dans ces hypothèses, l’ordre de la loi joue un rôle exonératoire pour autant que les agissements de l’agent n’ont pas dépassé ce qui était nécessaire pour répondre aux exigences de la loi. Reste ainsi punissable pour blessures involontaires la personne qui casse le bras d’un enfant menaçant un de ses camarades avec une pierre (CA Alger, 9 novembre 1953, D. 1954, p. 369, note Pageaud) ou l’individu qui invoque l’obligation de porter secours à personne en péril pour justifier l’exercice illégal de la médecine, alors qu’il tient un véritable cabinet médical et fournit à ses patients prescriptions et médicaments (Crim., 2 juillet 1975, Bull. crim. n° 173). 2) La permission de la loi ou du règlement De même qu’un texte peut obliger une personne à effectuer un acte ayant la nature d’une infraction, un texte peut autoriser une personne à commettre un tel acte sans qu’aucune infraction, au-delà des apparences, ne soit commise. Un exemple caractéristique est fourni par les articles 706-81 à 706-87 du Code de procédure pénale, issus de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et qui étendent des règles auparavant applicables en matière de trafic de stupéfiants. Ces dispositions autorisent, dans le but de constater des infractions et d’en appréhender les auteurs, les opérations d’infiltration en matière de criminalité organisée : lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction concernant l’un des crimes ou délits entrant dans le champ d’application de l’article 706-73 (voir p. 103) le justifient, le procureur de la République ou, après avis de ce magistrat, le juge d’instruction saisi peuvent autoriser qu’il soit procédé, sous leur contrôle respectif, à une opération d’infiltration. L’infiltration consiste, pour un officier ou un agent de police judiciaire spécialement habilité et agissant sous la responsabilité d’un officier de police judiciaire chargé de coordonner l’opération, à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs. Au besoin, ces agents et officiers peuvent être autorisés à faire usage d’une identité d’emprunt. Les actes, que les officiers ou les agents de police judiciaire infiltrés sont autorisés à commettre sans voir leur responsabilité pénale engagée, sont limitativement énumérés par l’article 706-82 : – acquérir, détenir, transporter, livrer ou délivrer des substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions ou servant à la commission de ces infractions ; – utiliser ou mettre à disposition des personnes se livrant à ces infractions des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication. Puisque les opérations d’infiltration mobilisent bien souvent des personnes qui ne sont pas des officiers ou des agents de police judiciaire (par exemple un entrepreneur mettant à disposition de la police un entrepôt dans lequel des stupéfiants seraient stockés), ces personnes bénéficient également de l’exonération de responsabilité pénale. 232

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


L’autorisation est délivrée par écrit et doit être spécialement motivée. Elle mentionne la ou les infractions qui justifient le recours à cette procédure, l’identité de l’officier de police judiciaire sous la responsabilité duquel se déroule l’opération et fixe la durée de l’opération d’infiltration, qui ne peut pas excéder quatre mois (renouvelable une fois si l’agent infiltré ne peut cesser son opération dans des conditions assurant sa sécurité). Cette autorisation judiciaire est prévue par la loi pour exempter les fonctionnaires de leur responsabilité à raison de leur participation à des infractions à la criminalité ou la délinquance organisée (Crim., 1er avril 1998, Bull. crim. n° 124 ; Crim., 30 avril 1998, Bull. crim. n° 147 ; Crim., 24 février 1999, D. 1999, jurisp. p. 460, pour le trafic de stupéfiants). Des dispositions identiques sont prévues à l’article 67 bis du Code des douanes, aux fins de constater les infractions douanières d’importation, d’exportation ou de détention de produits stupéfiants, de contrebande de tabacs manufacturés, d’alcool et spiritueux et de contrefaçon de marque. De la même manière, tout particulier peut, en application de l’article 73 du Code de procédure pénale, appréhender l’auteur d’un crime flagrant ou d’un délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement et le conduire devant l’officier de police judiciaire sans être l’auteur d’une arrestation illégale. Cet article ne saurait toutefois justifier des violences infligées à la personne arrêtée, dès lors qu’elles ne sont pas nécessaires et proportionnées aux conditions de l’arrestation (Crim., 1er octobre 1979, Bull. crim. n° 263 ; Crim., 13 avril 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 117) ni de la garder pendant plusieurs heures avant d’aviser l’officier de police judiciaire (Crim., 16 février 1988, Bull. crim. n° 75). L’article 226-13 du Code pénal réprimant la violation du secret professionnel n’est pas applicable à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur ou à une personne vulnérable, au médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu’il a constatés dans l’exercice de sa profession et qui permettent de présumer que des violences ont été commises, enfin aux professionnels de la santé ou de l’action sociale qui informent le préfet du caractère dangereux des personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une (art. 226-14 du Code pénal). Inversement, les articles 434-1 et 434-3 du Code pénal, tout en incriminant la non-dénonciation de crime ou de mauvais traitements, privations ou atteintes sexuelles infligés à un mineur de 15 ans ou à une personne vulnérable, prévoient que les personnes astreintes au secret (par exemple, un médecin ou une assistante sociale) sont exemptées de ces dispositions sauf lorsque la loi en dispose autrement (Crim., 8 octobre 1997, Bull. crim. n° 329). Dans le même ordre d’idées, l’obligation de témoigner en justice n’est valable que sous réserve des règles relatives au secret professionnel ; il a ainsi été jugé qu’une assistante sociale ne pouvait être condamnée pour refus de témoigner dès lors que les faits dont elle a eu connaissance étaient couverts par le secret professionnel (Crim., 14 février 1978, Bull. crim. n° 56 ; Crim., 8 avril 1998, Bull. crim. n° 138, pour un médecin dispensé de déposer en justice). Plus généralement, la profession médicale étant autorisée et réglementée par la loi, le médecin ou le chirurgien qui effectue un acte dans un intérêt thérapeutique est irresponsable pour les infractions éventuellement commises : LARCIER

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une piqûre ou une intervention chirurgicale ne sont pas des violences volontaires, de même qu’une auscultation des parties intimes du patient n’est pas une agression sexuelle punissable. De même, dans les sports, notamment de combat, les violences et blessures ne sont pas punissables. Toutefois, tous ces actes ne sont justifiés que si les règles de l’art, édictées par les institutions représentatives habilitées par le législateur (fédérations, ordres professionnels…), sont pleinement respectées (par exemple pour un acte chirurgical, CA Aix, 23 avril 1990, Gaz. Pal. 1990, II, 575, note Doucet ; en matière de sports, Crim., 24 janvier 1956, Bull. crim. n° 92 et Crim., 16 octobre 1984, Bull. crim. n° 303 pour des violences dues à une méconnaissance des règles du jeu ; Crim., 8 juin 1994, Droit pénal 1994, comm. n° 230 pour un tacle régulier). 3) Cas ne constituant pas une autorisation de la loi La coutume autorise parfois à déroger à une obligation pénalement sanctionnée mais seulement lorsque la loi y renvoie, comme c’est le cas de l’article 521-1 du Code pénal qui prévoit que les dispositions réprimant les sévices graves ou les actes de cruauté envers les animaux ne sont pas applicables aux courses de taureaux ou aux combats de coqs lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être établie (par exemple, Crim., 8 juin 1994, Bull. crim. n° 225). À défaut de loi ou de règlement prévoyant la dérogation, la coutume et les usages ne sont pas un fait justificatif de l’infraction commise (par exemple, Crim., 5 janvier 1973, Bull. crim. n° 7 pour une rétention non prévue par la loi ; Crim., 10 août 1983, Bull. crim. n° 229 ; Crim., 9 mai 1990, Droit pénal 1990, comm. n° 291 pour l’excision). S’il est vrai que le ministère public s’abstient de poursuivre lorsque les faits ne sont pas graves et que la coutume est certaine, il s’agit en fait d’une tolérance, juridiquement indifférente, et non d’un fait justificatif. La possession d’une autorisation administrative ne constitue pas non plus un fait justificatif. Hors le cas où l’absence d’une pièce administrative est un élément constitutif de l’infraction (construction sans permis de construire, conduite d’un véhicule sans permis de conduire, exercice d’une profession réglementée sans les diplômes ou les autorisations nécessaires…), l’existence d’autorisations administratives est indifférente à la répression. L’infraction est constituée indépendamment d’une quelconque autorisation administrative préalable. Ainsi, en vertu de l’article L. 5121-8 du Code de la santé publique, le fabricant d’un médicament reste responsable des infractions découlant de la fabrication de son produit, même si l’administration lui a délivré une autorisation de mise sur le marché. L’autorisation d’exploiter en salle une úuvre cinématographique ou de poser des affiches cinématographiques sur la voie publique n’empêche pas des poursuites et une condamnation pour infractions aux múurs (Crim., 1er juin 1965, Bull. crim. n° 148 ; Crim., 26 juin 1974, Bull. crim. n° 241). De même, la tolérance de l’administration à l’égard de pratiques constitutives d’une infraction ne saurait être considérée comme autorisant et justifiant la commission des faits. La circonstance que des faits identiques n’ont pas fait l’objet de sanctions administratives ou de poursuites judiciaires pendant un certain temps n’interdit pas de condamner leur auteur (par exemple Crim., 24 novembre 1955, Bull. crim. n° 522 ; 12 mars 1975, Bull. crim. n° 76 ; 20 février 1989, Bull. crim. n° 83). Il en est de même si la tolérance administrative prend sa source non dans une simple pratique 234

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mais dans un texte, comme une circulaire ministérielle ou un avis écrit d’un représentant du ministère concerné (Crim., 20 février 1979, Bull. crim. n° 75 : une circulaire ministérielle recommandant une tolérance dans les contrôles des transporteurs routiers n’équivaut pas à une dérogation à la réglementation constitutive d’un droit ; Crim., 28 octobre 1986, Bull. crim. n° 311 ; Crim., 11 mai 1992, Bull. crim. n° 183 ; Crim., 12 octobre 1993, Bull. crim. n° 285).

B) Le commandement de l’autorité légitime Un acte perd également tout caractère d’infraction s’il est ordonné, non par un texte, mais par une autorité publique. Ainsi, le militaire qui tue un ennemi durant une guerre n’est pas responsable de l’homicide commis, l’automobiliste qui brûle un feu rouge parce qu’un agent de la circulation lui en a donné l’ordre ne commet pas de contravention. Tout subordonné doit obéir aux ordres intimés par l’autorité supérieure, le refus d’obéissance faisant l’objet de sanctions, le plus souvent disciplinaires, parfois pénales (ainsi dans les armées). La liberté de choix du subordonné est ainsi largement altérée. C’est la raison pour laquelle, lorsque l’autorité ordonne de commettre des actes ayant la nature d’une infraction, le destinataire de l’ordre est justifié, donc irresponsable pénalement. C’est ce que l’on appelle le commandement de l’autorité légitime, fait justificatif reconnu par l’article 122-4 du Code pénal à côté de l’ordre et de l’autorisation de la loi. Toutefois, la responsabilité de l’auteur de l’acte n’est effacée que si l’autorité à l’origine du commandement est légitime et si l’ordre n’est pas manifestement illégal. 1) La légitimité de l’autorité Le commandement n’est un fait justificatif que s’il émane d’une autorité légitime. Par ce terme, l’article 122-4 du Code pénal vise une autorité publique, que ce soit une autorité administrative, judiciaire ou militaire. Par contre, l’exécution de l’ordre émanant d’une autorité privée, même s’il existe un lien réel de subordination, n’est pas une cause d’irresponsabilité. Ainsi de l’ordre d’un supérieur hiérarchique donné à un salarié (Crim., 4 mai 1961, Bull. crim. n° 236 ; Crim., 4 octobre 1989, Bull. crim. n° 338 ; Crim., 13 mars 1997, Bull. crim. n° 107 ; Crim., 26 juin 2002, Bull. crim. n° 148) ou de l’ordre intimé par un parent à son enfant (Crim., 28 avril 1866, Bull. crim. n° 125). 2) L’absence d’une illégalité manifeste de l’ordre Un subordonné doit-il en toutes circonstances obéir à l’autorité supérieure, même si celle-ci agit en dehors de sa compétence ou que l’ordre paraît violer une règle de droit supérieure ? Le subordonné qui exécute un ordre illégal reste-t-il irresponsable si son action entre dans le champ d’application d’une incrimination ? Trois solutions sont théoriquement envisageables. On pourrait considérer que le subordonné n’a pas à s’interroger sur la légalité de l’ordre qui lui est donné et doit toujours obéir aux ordres sous peine d’être condamné pour refus d’obéissance. En contrepartie, l’acte sera toujours justifié et son auteur sera exonéré. Mais cette solution, l’obéissance passive ou aveugle, n’est guère satisfaisante puisqu’elle inciterait les supérieurs à dépasser LARCIER

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le cadre de leurs compétences et ne permettrait pas de prévenir la réalisation de l’infraction, le subordonné n’ayant pas la possibilité de s’opposer à l’ordre qui lui est donné. À l’inverse, on pourrait envisager que le subordonné doive toujours apprécier la validité de l’ordre qui lui est donné et s’opposer à exécuter celui-ci s’il paraît illégal. C’est la théorie dite des baïonnettes intelligentes ou de l’obéissance raisonnée. L’auteur d’une infraction commise en exécution d’un ordre illégal reste pénalement responsable. Toutefois, là encore, les difficultés pratiques sont insurmontables, le subordonné n’ayant pas toujours la culture juridique appropriée pour juger de la légalité des ordres. D’où une troisième approche, adoptée par le Code pénal, qui consiste à distinguer selon que l’illégalité est manifeste ou non : il incombe au subordonné de refuser d’exécuter l’ordre manifestement illégal et si tel est le cas, il ne saurait être condamné pour refus d’obéissance. Par contre, s’il obéit à un ordre manifestement illégal, il est responsable pénalement de l’infraction commise (Crim., 22 mai 1959, Bull. crim. n° 264 ; Crim., 25 février 1998, Droit pénal 1998, comm. n° 94). Enfin, s’il exécute un ordre qui n’apparaît pas manifestement illégal, il est couvert par le commandement de l’autorité légitime et est pénalement irresponsable. Cette conception se retrouve dans d’autres textes plus spécifiques (par exemple, le Code de déontologie de la police nationale ou le statut général des militaires). La difficulté pour le subordonné sera alors de reconnaître l’ordre manifestement illégal, d’autant plus que s’il invoque à tort l’illégalité de l’ordre pour ne pas l’exécuter, il pourra être disciplinairement, voire pénalement, sanctionné pour refus d’obéissance. À vrai dire, l’appréciation du caractère manifestement illégal ou non de l’ordre dépend pour une large part des compétences, de l’expérience du subordonné, ainsi que de sa place dans la hiérarchie. À ce titre, un officier ou un haut fonctionnaire a davantage d’obligations qu’un simple appelé ou qu’un particulier requis par l’autorité publique. La détermination du caractère manifestement illégal de l’ordre est une question de fait et, pour une large part, subjective. Toutefois, certains ordres, par exemple ceux ayant pour objet une violation caractérisée des libertés fondamentales comme le droit à la vie ou à l’intégrité des personnes, seront toujours manifestement illégaux (ainsi de l’ordre donné par un supérieur à des fonctionnaires de police ou à des militaires de torturer ou d’exécuter une personne). Dans l’admission de l’ordre de la loi ou du commandement de l’autorité légitime comme fait justificatif, il y a difficulté lorsque les lois en vigueur et les autorités compétentes sont celles d’un régime totalitaire (ou du moins illégitime). La question s’est bien entendu posée à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Si certains actes ont pu être justifiés dès lors que leur auteur n’avait fait qu’obéir aux ordres, le commandement de l’autorité ne peut en aucune façon constituer un fait justificatif des actes constitutifs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, tout au plus une circonstance atténuante (ordonnance du 28 août 1944 et statut du Tribunal de Nuremberg ; art. 213-4 du Code pénal : l’auteur ou le complice d’un crime contre l’humanité « ne peut être exonéré de sa responsabilité du seul fait qu’il a accompli un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ou un acte commandé par l’autorité légitime »). 236

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Droit pénal général


§ 2.

La légitime défense

S’il n’est en principe pas possible de se faire justice soi-même, il serait profondément injuste de ne pas autoriser un individu à se défendre contre une agression, d’une part parce qu’il est naturel qu’une personne puisse réagir face à une menace pour prévenir la survenance d’un dommage (dans certains cas, elle n’a pas le choix), d’autre part parce que l’agression révèle la carence des pouvoirs publics à protéger les individus. La légitime défense, définie comme la commission d’une infraction en riposte à une atteinte injustifiée, est un fait justificatif reconnu depuis longtemps. Elle fait disparaître non seulement la responsabilité pénale de la personne qui répond à l’attaque injuste, mais également sa responsabilité civile vis-à-vis de l’agresseur (Crim., 17 mai 1900, Bull. crim. n° 185 ; Crim., 31 mai 1972, Bull. crim. n° 184 ; Crim., 13 décembre 1989, Bull. crim. n° 478). Énoncée aux articles 122-5 et 122-6 du Code pénal, la légitime défense obéit à des règles précises, destinées à prévenir les excès.

A) Les conditions de la légitime défense L’article 122-5 du Code pénal dispose que : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction. » Dans les deux cas, la légitime défense suppose une attaque à laquelle répond un acte de défense ayant la nature d’une infraction. 1) L’atteinte a) Nature de l’atteinte

La légitime défense est admise pour faire cesser une agression contre une personne ou une atteinte aux biens (art. 122-5 du Code pénal). • La légitime défense des personnes est admise, que l’agression porte sur la personne de l’auteur de la défense ou sur celle d’autrui. Une personne peut donc être justifiée si elle intervient pour défendre un tiers agressé (par exemple, trib. corr. Lyon, 16 octobre 1973, JCP 1974, II, 17812, note Bouzat, RSC 1975, p. 406, obs. Larguier ; Crim., 19 juillet 1989, Droit pénal 1990, comm. n° 49). En quoi consiste l’agression ? L’agression se traduit le plus souvent par un danger physique menaçant l’intégrité de la personne, sans toutefois nécessairement consister en un danger de mort (Crim., 22 mai 1959, Bull. crim. n° 268 ; Crim., 19 juin 1990, Bull. crim. n° 250). La jurisprudence a parfois admis la légitime défense en réaction à une attaque se traduisant en un danger moral (trib. pol. Valence, 19 mai 1960, S. 1960, p. 270, note Hugueney, qui justifie une gifle donnée par une mère à une jeune femme qui LARCIER

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cherchait à débaucher son fils de 16 ans). Cependant, la légitime défense n’est admissible qu’en présence d’une atteinte d’une certaine gravité et difficilement réparable, ce qui n’est pas le cas par exemple d’une atteinte à l’honneur et à la considération de la personne (Crim., 24 novembre 1899, Bull. crim. n° 333). L’agression sera dans la majorité des cas une agression physique, mais elle peut également prendre la forme d’une agression verbale, comme des menaces ou des insultes (Crim., 18 juin 2002, Droit pénal 2002, comm. n° 134). • Si la légitime défense des biens ne figurait pas dans le Code pénal de 1810, la jurisprudence l’a toutefois admise (Req. 25 mars 1902, S. 1903, I, p. 5, note Lyon-Caen : la chambre des requêtes déclarait civilement irresponsable le propriétaire d’un étang qui avait piégé son terrain et causé des blessures à un voleur qui s’y était introduit). La défense contre une atteinte aux biens (en particulier la réaction face à un vol) est donc légitime, même s’il est vrai que la distinction entre atteinte contre une personne et atteinte contre un bien est parfois malaisée (un individu peut pénétrer de nuit dans l’appartement d’une jeune femme aussi bien pour commettre un vol qu’une agression sexuelle et rien ne dit qu’un voleur surpris dans ses agissements n’use pas de violences pour pouvoir s’échapper). L’article 122-5 alinéa 2 consacre cette jurisprudence et admet la légitime défense des biens de manière expresse. Toutefois, cet article ne justifie la légitime défense que pour interrompre « un crime ou délit contre un bien ». Aucune infraction contre l’auteur d’une contravention visant un bien (par exemple des dégradations légères) ne saurait être justifiée par la légitime défense (pour une illustration : CA Toulouse, 24 janvier 2002, Droit pénal 2002, comm. n° 52). b) Caractères de l’atteinte

• Il ressort tout d’abord de l’article 122-5 alinéa 1 que la défense n’est légitime que si l’atteinte est injuste. En d’autres termes, l’attaque doit être illégale, contraire au droit. En pratique, elle consistera donc en une infraction pénale : par exemple une tentative de meurtre, des violences, une menace contre les personnes, une agression sexuelle. A contrario, il n’y a pas légitime défense si un agresseur réagit à son tour à une légitime défense (l’atteinte provenant de la première riposte étant justifiée) ou si un individu réagit par la force à un acte licite, par exemple à une arrestation régulière par les forces de police (Crim., 9 février 1972, Bull. crim. n° 54), à l’intervention d’un simple particulier dans le cadre de l’article 73 du Code de procédure pénale (Crim., 1er octobre 1979, Bull. crim. n° 263) ou à une saisie régulière. S’agissant des interventions de l’autorité publique, la réaction ne sera légitimée qu’en cas d’illégalité manifeste, comme des violences (par exemple, Crim., 20 octobre 1993, Droit pénal 1994, comm. n° 34 pour un coup de bombe lacrymogène justifié à l’encontre d’un huissier commettant une violation de domicile et une séquestration), et non contre tout acte illégal puisque les actes de l’autorité publique sont présumés réguliers (Crim., 22 mai 1959, Bull. crim. n° 263 ; Crim., 9 février 1972, Bull. crim. n° 54). • Par ailleurs, l’attaque doit créer un danger sinon certain, du moins fortement probable, mais non simplement éventuel (par exemple, Crim., 7 décembre 1971, Bull. crim. n° 338 : n’est pas justifié le propriétaire d’un terrain qui, après une altercation avec un promeneur menaçant, le frappe en l’absence de violences de la part de ce dernier). En réalité, l’appréciation de la probabilité de l’agression est 238

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parfois délicate, l’auteur de l’acte de défense réagissant souvent par peur, à des fins de prévention. Que décider si l’auteur de l’acte de défense a en fait mal interprété les circonstances qui se sont présentées (par exemple, une dame, se faisant aborder la nuit dans une rue non éclairée par un homme à la mine patibulaire et à la démarche suspecte, lui assène un coup de parapluie et l’éborgne, pensant se faire agresser, alors que l’homme voulait en réalité demander son chemin) ? C’est l’hypothèse de l’atteinte putative, c’est-à-dire imaginaire, qui n’existe que dans l’esprit de celui qui a réagi. Tout dépend en fait des circonstances qui ont amené l’individu à interpréter la réalité d’une manière erronée. Si le danger se base sur des éléments concrets et a pu apparaître objectivement vraisemblable (une autre personne dans la même situation aurait certainement interprété les faits de la même manière), la légitime défense peut être admise. Par contre, elle ne le sera pas si le danger apparaît totalement imaginaire et ne s’appuie sur aucun élément extérieur véritablement convaincant. 2) L’acte de défense a) Nature de la riposte

Alors que l’article 328 du Code pénal de 1810 ne mentionnait que l’homicide, les blessures et les coups, l’article 122-5 du Code pénal emploie le terme général d’« acte ». À vrai dire, les tribunaux n’avaient pas limité l’admission de la légitime défense aux seuls homicides et violences, en pratique les ripostes les plus courantes, mais l’avaient également admis pour justifier d’autres infractions, comme des menaces. En pratique, la nature de la riposte est étroitement liée à la gravité de l’atteinte, c’est-à-dire à la question de la proportionnalité, question de fait laissée à l’appréciation des juges du fond. Toutefois, il est évident que certaines infractions, comme des tortures et actes de barbaries ou un viol, ne sauraient en aucun cas être justifiées par la légitime défense. S’agissant de la défense des biens, quelle que soit la gravité de l’atteinte à la propriété, la réaction ne saurait jamais consister, en vertu du deuxième alinéa de l’article 122-5, en un homicide volontaire : est illégitime le fait d’abattre un cambrioleur comme le fait de placer sur sa propriété un piège automatique destiné à tuer. Par ailleurs, une jurisprudence classique considère la légitime défense inconciliable avec les infractions involontaires, notamment l’homicide ou les blessures involontaires : la personne agressée qui repousse son assaillant d’un geste brutal, de telle sorte que celui-ci tombe et se blesse ou se tue reste pénalement responsable (Crim., 16 février 1967, Bull. crim. n° 70, affaire Cousinet, JCP 1967, II, 15034, note Combaldieu, RSC 1967, p. 659, obs. Levasseur, p. 854, obs. Legal ; également Crim., 28 novembre 1991, Bull. crim. n° 446 pour une personne qui tente d’empêcher un individu d’entrer chez elle et lui coince involontairement les doigts dans la porte). Cette jurisprudence a été vivement contestée, au motif qu’elle opérait une confusion entre l’acte de défense et le résultat dommageable. Certes, le résultat dommageable n’a pas été voulu par l’agressé, mais l’acte de défense adopté en réaction à l’attaque injuste est volontaire et, du moment qu’il est nécessaire et proportionné, il ne saurait constituer une faute. Au contraire, le dommage semble plutôt provenir d’une faute de l’agresseur qui aurait dû prévoir les risques qu’il encourait en agissant d’une manière illicite. Pour apprécier s’il y a légitime LARCIER

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défense ou non, ce n’est pas le résultat qu’il faut prendre en considération mais bien l’acte de défense lui-même qui doit être, aux termes de l’article 122-5 alinéa 1, « commandé par la nécessité de la légitime défense ». La différence de rédaction avec l’article 328 de l’ancien Code pénal (« … lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité […] de la légitime défense ») permet de penser que ces solutions seront abandonnées. b) Caractères de la riposte

Les conditions de la légitime défense sont appréciées beaucoup plus rigoureusement s’agissant de la défense d’un bien que s’agissant de la défense d’une personne. La consécration de la légitime défense des biens répond certes au souci légitime des propriétaires de défendre leurs biens mais la défense du droit de propriété ne saurait se traduire en une trop grande atteinte à l’intégrité de la personne de l’agresseur. • La riposte à l’agression doit d’abord être concomitante à l’atteinte, en d’autres termes immédiate (selon les termes de l’article 122-5, elle doit intervenir « dans le même temps » que l’atteinte à la personne ou « interrompre l’exécution » de l’atteinte aux biens). Si le danger a cessé (par exemple si l’agresseur, intimidé par une arme, lève les bras ou prend la fuite), l’intervention ne se justifie plus et si une infraction est alors commise, elle n’est plus justifiée (par exemple, Crim., 16 octobre 1979, D. 1980, IR, 522 pour un individu qui se rue sans nécessité sur ses agresseurs alors qu’ils avaient pris la fuite et avaient été interpellés par la police ; Crim., 20 octobre 1993, Droit pénal 1993, comm. n° 34 pour l’usage d’une arme à feu sur l’agresseur alors qu’il avait arrêté son action et levé les bras en l’air ; Crim., 7 décembre 1999, Bull. crim. n° 292 : n’a pas agi en état de légitime défense la personne qui, après avoir tenté d’appréhender sous la menace de son fusil de chasse deux individus qui s’étaient introduits par escalade sur son terrain clôturé pour y cueillir des champignons, les arrête dans leur fuite en tirant sur eux plusieurs coups de feu, les frappe à coups de crosse et de gourdin puis les attache à un arbre avant de les livrer à la gendarmerie). Il ne s’agit plus de légitime défense mais d’un acte de pure vengeance, qui ne saurait être justifié. Cette notion d’immédiateté de la riposte ne semble pas interdire à elle seule une défense préméditée par l’usage de pièges automatiques pour la défense de la propriété. Cependant, la jurisprudence, estimant les autres conditions de la légitime défense non réunies, considère toujours le propriétaire ayant usé d’un piège à feu soit comme l’auteur d’un homicide ou de violences volontaires (par exemple, CA Reims, 9 novembre 1978, JCP 1979, II, 19046, note Bouzat), soit comme l’auteur d’un homicide ou de blessures involontaires (trib. corr. Aix, 21 avril 1969, RSC 1970, p. 97, obs. Levasseur). • L’acte de défense doit ensuite être « commandé par la nécessité actuelle de la légitime défense », c’est-à-dire être nécessaire à la sauvegarde de l’intérêt menacé. En d’autres termes, la réaction immédiate à l’agression doit être la seule solution pour conjurer l’attaque, l’urgence de la situation empêchant raisonnablement toute autre mesure utile, comme le recours aux forces de police ou la fuite. La condition de la nécessité de la défense contre une atteinte à un bien est appréciée de manière encore plus rigoureuse puisque la riposte doit en effet être, en vertu de l’article 122-5 alinéa 2 du Code pénal, « strictement 240

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nécessaire ». Cette précision signifie vraisemblablement que la réponse à une atteinte aux biens doit être précédée de mises en garde. • Enfin, la réponse à l’infraction doit être proportionnée, la réaction à une atteinte à la propriété ne pouvant jamais consister en un homicide volontaire. La question de la proportionnalité de la riposte est une question de fait laissée à l’appréciation des juges du fond. Par exemple, il a été jugé qu’une agression verbale violente pouvait justifier une riposte physique légère (Crim., 18 juin 2002, Droit pénal 2002, comm. n° 134 ; en l’espèce un léger coup de pied donné par un professeur à une élève en riposte à des insultes grossières et blessantes). La légitime défense est cependant moins facilement admise lorsque l’agression a lieu dans un lieu public (Crim., 21 novembre 1961, Bull. crim. n° 474 ; Crim., 6 décembre 1995, Droit pénal 1996, comm. n° 98).

B) La preuve de la légitime défense Comme tout fait justificatif, c’est en principe à la personne poursuivie de prouver qu’elle a agi en état de légitime défense. Toutefois, l’article 122-6 du Code pénal, reprenant en cela la règle prévue à l’article 329 de l’ancien Code pénal, prévoit deux exceptions à cette règle, puisqu’« est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte : – « 1° pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité » ; – « 2° pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence ». Dans ces deux situations, une fois les faits matériels établis, on présume qu’il s’agit d’une atteinte injustifiée et que la défense est légitime. Toutefois, des excès sont apparus sous l’empire de l’ancien Code pénal, lorsque la personne victime de la riposte était en réalité un amant venu rejoindre de nuit sa maîtresse. C’est la raison pour laquelle, après avoir affirmé qu’il s’agissait d’une présomption irréfragable, c’est-à-dire insusceptible de preuve contraire, la jurisprudence considère aujourd’hui qu’il s’agit d’une présomption simple : il est donc possible au ministère public ou à la victime de rapporter la preuve que le propriétaire, dans les situations mentionnées à l’article 122-6, n’a pas agi en état de légitime défense, par exemple en établissant qu’il n’y avait pas d’atteinte injustifiée et certaine ou que la riposte a été postérieure à l’atteinte, non nécessaire ou disproportionnée (Crim., 19 février 1959, Bull. crim. n° 121, JCP 1959, II, 11112, note Bouzat ; Crim., 20 décembre 1983, Bull. crim. n° 350 ; Crim., 12 octobre 1993, Droit pénal 1994, comm. n° 35).

§ 3.

État de nécessité

En tant que cause d’irresponsabilité, l’état de nécessité n’était pas prévu d’une façon générale par le Code pénal de 1810, lequel ne contenait que quelques références spéciales à cette notion dans des incriminations particulières (ainsi de l’article R. 40 9° qui réprimait d’une contravention de 5e classe le fait de tuer un animal « sans nécessité » ; également l’avortement pour un motif thérapeutique, c’est-à-dire pour sauver la femme enceinte menacée par la grossesse). Toutefois, l’état de nécessité a très vite été admis par la jurisprudence, d’abord en l’assimilant à la contrainte morale, puis en tant que cause autoLARCIER

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nome d’irresponsabilité pénale (Crim., 25 juin 1958, D. 1958, p. 693, note MRMP ; RSC 1959, p. 111, obs. Legal). L’article 122-7 du Code pénal consacre cette jurisprudence en admettant que « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

A) Définition L’état de nécessité est la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur menacé par un danger actuel ou imminent, est amenée à commettre une infraction. La personne en état de nécessité se trouve confrontée à un dilemme : soit ne pas agir, mais subir le dommage, parce que le comportement à adopter constitue nécessairement une infraction, soit agir pour juguler le danger mais commettre à cette fin une infraction. Il s’agit donc d’un conflit d’intérêts, de valeurs : d’une part l’intérêt menacé par le péril, d’autre part l’intérêt protégé par l’incrimination, la personne en état de nécessité devant faire un choix. L’équité appelle à ne pas sanctionner celui qui commet une infraction pour éviter qu’un dommage plus grave ne survienne. Ce sera le cas d’un conducteur qui franchit une ligne continue, donc commet une infraction au Code de la route, afin d’éviter d’écraser un piéton imprudent (trib. pol. Avesnes-sur-Helpe, 12 décembre 1964, Gaz. Pal. 1965, I, 91), de la mère de famille qui vole du pain pour ne pas laisser son enfant mourir de faim (trib. correct. Château-Thierry, 4 mars 1898 et CA Amiens, 22 avril 1898, affaire Ménard, S. 1899, II, p. 1, note Roux ; comparer avec CA Poitiers, 11 avril 1997, JCP 1997, II, 22933, note Olive ; D. 1997, jurisp., p. 512 : l’état de nécessité n’a pas été retenu car, d’une part, les difficultés financières invoquées par la prévenue étaient insuffisantes pour caractériser un danger réel et imminent menaçant la santé de ses enfants. D’autre part, la commission de trois vols successifs de quantités importantes de viandes et de charcuterie ne constituait pas un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne menacée), ou encore du médecin appelé en urgence qui stationne en double file pour secourir un malade. L’état de nécessité ne doit pas être confondu avec la contrainte, notamment la contrainte morale. Même si certaines situations ne laissent pratiquement aucune marge de manúuvre à la personne en état de nécessité, compte tenu de la disproportion des intérêts en présence (écraser un passant ou franchir une ligne continue ; laisser mourir son enfant ou voler du pain), l’état de nécessité laisse un choix entre deux options alors que la contrainte oblige à commettre une infraction, la force étant irrésistible. Fondé sur des considérations objectives, l’état de nécessité est, comme la légitime défense qui est une forme d’état de nécessité, un fait justificatif. Celui qui commet une infraction en état de nécessité, autrement dit qui commet une infraction nécessaire, n’est pas pénalement responsable. Par contre, sa responsabilité civile demeure puisqu’au contraire de la légitime défense, la personne éventuellement lésée par l’infraction commise n’est pas à l’origine du péril. 242

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


B) Conditions de l’admission de l’état de nécessité sur le terrain de la responsabilité pénale Les conditions de l’admission de l’état de nécessité tiennent à la fois du danger (qui doit être actuel ou imminent) et de la réponse au péril (qui doit être nécessaire et proportionnée), constitutive d’une infraction. 1) Un danger actuel ou imminent La nature du danger est indifférente : celui-ci peut aussi bien menacer l’auteur des faits qu’un tiers ou un bien. Bien évidemment, ce danger peut être physique, menaçant de porter atteinte à la vie ou l’intégrité des personnes (par exemple, trib. correct. Colmar, 27 avril 1956, D. 1956, p. 500 : la menace sur la santé de ses enfants due à des conditions d’habitation insalubres justifie une construction sans permis de construire), matériel, menaçant de détruire ou de détériorer des biens (par exemple, un incendie peut justifier une violation de domicile pour chercher du secours). Ce danger peut également être moral, comme dans le cas du naturiste qui vole des vêtements pour éviter de se montrer nu et de choquer les esprits ou d’un homme qui pénètre chez sa femme dont il est séparé pour soustraire son enfant à la vie de débauche menée par la mère, dangereuse pour la santé mentale de l’enfant (CA Colmar, 6 décembre 1957, D. 1958, p. 357, note Bouzat). Cependant, le danger doit être réel, ce qui exclut le danger putatif, c’està-dire qui n’existe que dans l’esprit de l’auteur des faits. L’essentiel est que le péril soit actuel ou au moins imminent, c’est-à-dire présent ou inévitable. Cela exclut donc le danger simplement éventuel (Crim., 27 décembre 1961, Bull. crim. n° 563 ; Crim., 21 novembre 1974, Bull. crim. n° 345 ; Crim., 1er juin 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 121 et 130). Ainsi, des squatters ne sauraient invoquer efficacement l’état de nécessité pour justifier la violation de domicile commise (trib. corr. Nantes, 12 novembre 1956, D. 1957, p. 30 ; CA Rennes, 27 février 1957, D. 1957, p. 338, note Bouzat ; contra : trib. grande instance de Paris, 28 novembre 2000, D. 2001, IR, p. 45), ni les « faucheurs volontaires » pour justifier la destruction de plantations de maïs génétiquement modifié (Crim., 7 février 2007). La jurisprudence a en outre posé une exigence supplémentaire, à savoir que le danger ne doit pas provenir d’une faute antérieure de l’auteur des faits. C’est ainsi qu’a été déclaré responsable le conducteur d’un camion qui, bloqué sur une voie de chemin de fer, avait défoncé le passage à niveau pour éviter la collision avec un train, au motif que, par sa faute, il avait créé lui-même l’état de nécessité (Rennes, 12 avril 1954, S. 1954, II, p. 185, note Bouzat). Si l’article 122-7 du Code pénal ne pose pas cette exigence, il semble que la jurisprudence ait entendu la maintenir (Crim., 22 septembre 1999, Bull. crim. n° 193 : le prévenu ne saurait prétendre avoir agi en état de nécessité dès lors qu’il s’est volontairement placé dans la situation de devoir commettre une infraction en cas de survenance prévisible du danger). 2) Une réponse nécessaire et proportionnée L’acte constitutif de l’infraction doit être « nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien » menacé. En d’autres termes, il doit ressortir des circonstances que la commission de l’infraction était le meilleur moyen, voire l’unique moyen, pour conjurer le danger. Pour ne citer qu’un exemple, s’il a été admis LARCIER

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que la détention, par une personne gravement malade et souffrante, de pieds et pousses de cannabis était justifiée au titre de l’état de nécessité, c’est uniquement dans la mesure où ceux-ci étaient nécessaires à la confection de tisanes, qui apparaissaient comme les seuls moyens de calmer ses douleurs, les autres médicaments proposés étant de nature à endommager ses reins (CA Papeete, 27 juin 2002, Droit pénal 2003, comm. n° 3). Enfin, l’admission de l’état de nécessité est subordonnée à la preuve que la réponse était proportionnée à la gravité de la menace. L’intérêt sacrifié doit être de moindre valeur, voire d’égale valeur, que l’intérêt sauvegardé (Crim., 25 juin 1958, Bull. crim. n° 499). Les conséquences de la réponse ne doivent donc pas être plus graves que celles qui auraient résulté du péril. Il est certain que cette condition est remplie lorsque, pour éviter d’écraser un piéton, un conducteur franchit une ligne continue (trib. pol. Avesnes-sur-Helpe, 12 décembre 1964, Gaz. Pal. 1965, I, 91). De même, la nécessité de ravitailler un village justifie la mise en circulation d’un camion qui n’a pas été présenté à la visite technique (trib. correct. Coutances, 22 octobre 1968, D. 1970, p. 139, note Guigue). Au contraire, la sauvegarde d’intérêts professionnels n’autorise pas la commission d’une infraction (Crim., 21 janvier 1959, Bull. crim. n° 60 : stationnement irrégulier d’un camion pour décharger les marchandises ; Crim., 11 février 1986, Bull. crim. n° 54 : contrefaçon d’articles pour éviter une rupture de stock) ni, pour un entrepreneur, le fait de prétendre que la violation de la réglementation sociale était dictée par la nécessité de ne pas licencier des ouvriers.

§ 4.

Le problème du consentement de la victime

A) Cas dans lesquels le consentement empêche la constitution de l’infraction Le consentement de la victime empêche la constitution de l’infraction dans deux hypothèses : soit sur la base de l’autorisation de la loi, qui prévoit une exception à l’incrimination, soit parce que l’absence de consentement de la victime est un élément constitutif de l’infraction. • Dans certains domaines, l’accord de la « victime » joue un rôle exonératoire, non en vertu d’un quelconque principe général, mais en vertu de la permission de la loi. C’est le cas dans les sports de combat ou pour les actes médicaux et chirurgicaux. C’est également le cas en matière de divulgation d’un secret professionnel, l’article 226-14 2° du Code pénal autorisant le médecin, « avec l’accord de la victime » (sauf lorsqu’elle est un mineur ou lorsqu’elle n’est pas en mesure de se protéger), à porter à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu’il a constatés dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences ont été commises. Le consentement de la victime apparaît alors comme une condition posée à la validité de la permission légale. Ce consentement doit parfois être donné sous une forme particulière pour être recevable, comme en matière de recherches biomédicales (art. L. 1122-1-1 du Code de la santé publique : consentement en principe donné par écrit) ou de prélèvements d’organes sur une personne vivante (art. L. 1231-1 du Code de la santé publique : consentement exprimé normalement devant le président du tribunal de grande instance ou le magistrat désigné par lui). 244

PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


• L’absence de consentement de la victime est parfois un élément constitutif de l’infraction lorsque celle-ci porte sur un bien ou un droit dont la victime a la libre disposition. C’est alors le fait de s’approprier ce bien ou de porter atteinte à ce droit, contre le gré de la victime, en usant par exemple de manúuvres ou de violences, qui constitue l’infraction. Dans ces hypothèses, l’infraction n’est pas constituée si la personne a consenti à l’acte : il n’y a pas de violation de domicile si l’on admet une personne chez soi, pas de vol si l’on donne de plein gré un bien, pas de viol si l’on consent aux rapports sexuels. Toutefois, ce consentement n’a de valeur que s’il réunit certaines conditions : il doit tout d’abord être antérieur ou concomitant à l’acte. Le consentement a posteriori n’est qu’un pardon et l’infraction reste constituée. Surtout, le consentement doit être libre et éclairé : c’est certes volontairement qu’une personne escroquée remet une somme d’argent, un bien, ou consent un service à l’escroc, mais parce qu’elle a été trompée par des manúuvres frauduleuses. Dans ces conditions, son geste n’a pas été libre mais déterminé par l’escroc. Dans le même ordre d’idées, on relèvera que le législateur n’attache parfois expressément aucune conséquence au consentement émanant de personnes particulièrement vulnérables : c’est ainsi que l’article 227-25 du Code pénal incrimine le fait, par un majeur, d’exercer « sans violence, contrainte, menace ni surprise » une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de 15 ans. Le consentement du mineur est présumé irréfragablement non libre et non éclairé : il est donc indifférent à la répression.

B) L’exclusion du consentement de la victime de la catégorie des faits justificatifs D’une manière générale, le droit pénal ayant pour objet la sauvegarde de l’ordre public et la défense des intérêts collectifs, la circonstance que la victime de l’infraction a consentie à l’acte ne saurait effacer son caractère répréhensible et paralyser l’action publique. Le consentement de la victime n’est donc pas un fait justificatif pour l’auteur de l’infraction. Pour les infractions où l’absence de consentement n’est pas un élément constitutif de l’infraction, l’accord de la victime n’entraîne aucune conséquence : par exemple, les infractions au repos dominical des salariés restent constituées même en cas d’accord de ceux-ci pour travailler le dimanche. De même, le médecin qui pratique une intervention chirurgicale non justifiée par un motif thérapeutique ou la personne non diplômée qui pratique une telle opération se rend coupable du délit de blessures volontaires, même si le patient a consenti à l’opération (Crim., 1er juillet 1937, affaire des stérilisés de Bordeaux, Bull. crim. n° 139, S. 1938, I, p. 193, note Tortat : soucieux de juguler la croissance de la population mondiale, des individus s’étaient fait stériliser par une personne non diplômée). La même solution prévaut en cas d’opération chirurgicale pratiquée sur un transsexuel afin de réaliser un changement de sexe (Crim., 30 mai 1991, Bull. crim. n° 232). L’accord de la victime n’exonère pas non plus l’auteur d’un meurtre. Le « vainqueur » d’un duel commet un meurtre en cas de décès de la victime ou une tentative de meurtre si elle n’est que simplement blessée (Ch. réun. 15 décembre 1837, S. 1838, I, p. 6). LARCIER

Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité CHAPITRE 4

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Se pose également ici la question de la légalité de l’euthanasie, définie comme le fait pour un médecin, à la demande de l’intéressé ou de ses proches lorsque celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté, de donner volontairement la mort à une personne atteinte d’une maladie incurable, afin de mettre fin à ses souffrances, soit par un geste actif, comme l’injection d’une substance létale (on parle alors d’euthanasie active), soit par l’arrêt des soins (euthanasie passive). Le Code de la santé publique, depuis la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, prévoit la possibilité pour une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, de demander de limiter ou d’arrêter tout traitement. L’euthanasie passive est donc reconnue par le droit français dans une certaine mesure. Par contre, le meurtre sur demande reste punissable. En l’absence de réglementation spéciale de l’euthanasie active, on applique le principe général qui veut que le consentement de la victime, à supposer qu’il soit libre, n’efface pas le caractère criminel de l’acte et ne supprime pas la responsabilité pénale du médecin. Certains États, notamment les Pays-Bas, ont légalisé l’euthanasie, l’encadrant de conditions draconiennes, comme par exemple une demande réitérée du malade et une pluralité d’avis médicaux sur son incurabilité. Sans entrer dans le débat de savoir si une réglementation serait préférable à l’absence de loi, on relèvera simplement que d’un point de vue juridique, la légalisation de l’euthanasie active serait un cas de permission de la loi autorisant à mettre fin à la vie d’un individu sans qu’il y ait meurtre punissable, dès lors que les conditions légales, notamment le consentement libre et éclairé du malade, seraient réunies.

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PARTIE III La responsabilité pénale

Droit pénal général


PARTIE IV

La sanction pénale C H A PI T R E 1

Les sanctions pénales encourues C H A PI T R E 2

La sanction pénale prononcée C H A PI T R E 3

La sanction pénale exécutée C H A PI T R E 4

Les causes d’extinction de la sanction

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Le droit pénal appelle l’application d’une sanction à l’encontre de la personne déclarée pénalement responsable. Le principe de légalité de peines interdisant au juge d’avoir recours à des sanctions qui ne seraient pas prévues par la loi, il convient tout d’abord d’étudier l’ensemble des peines mises à sa disposition par la loi, l’arsenal répressif français en quelque sorte. Toutefois, il n’y a adéquation ni entre la peine encourue par l’individu et la peine prononcée par le juge, ni entre cette dernière et la peine exécutée. L’évolution tend à cet égard vers une individualisation de la peine, vers un aménagement de celle-ci lors de son prononcé et lors de son exécution, ce que nous verrons ensuite. Enfin, le propos s’achèvera par l’analyse des diverses causes d’extinction des peines.

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PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


CHAPITRE 1

Les sanctions pénales encourues Avant d’envisager les peines mises à la disposition du juge répressif par la loi, il convient de définir la notion de peine.

SECTION I

Peines et notions voisines Définie comme la mesure dont le prononcé est confié au juge pénal pour sanctionner l’auteur d’une infraction, la peine se distingue des sanctions non pénales, des mesures de sûreté et des peines dites accessoires.

§ 1.

Peines et sanctions non pénales

Il n’existe pas de peine par nature. Un même type de sanction peut être mis par la loi entre les mains du juge répressif comme dans celles des autorités administratives ou disciplinaires. Toutefois, l’évolution juridique tend à soumettre l’ensemble des mesures à caractère punitif à un ensemble de règles communes.

A) Les sanctions extra-pénales La violation d’une obligation peut donner lieu à une multitude de réponses dont le caractère répressif est plus ou moins accentué. À côté de la réparation civile accordée à la victime et du règlement des litiges par des procédés de type transactionnel (comme la médiation), on trouve des sanctions disciplinaires, administratives et pénales. Le législateur et le pouvoir réglementaire, en définissant leur politique criminelle, décident à quelles autorités il y a lieu de confier la répression des comportements antisociaux. Le pouvoir de sanction dévolu à l’autorité administrative est loin d’être négligeable. L’administration des douanes, celle des impôts, certaines autorités administratives indépendantes comme le Conseil de la concurrence, le Conseil supérieur de l’audiovisuel ou l’Autorité des marchés financiers, peuvent prononcer dans le champ de leurs compétences des sanctions pécuniaires d’un montant parfois très élevé. De même, le pouvoir administratif, souvent le préfet, est compétent pour prononcer des mesures d’une nature similaire, voire identique, aux mesures mises à la disposition du juge répressif. Il en est ainsi de la fermeture d’établissement (par exemple, art. L. 3332-15 et L. 3332-16 du Code de la santé publique pour les débits de boissons et les restaurants, art. L. 514-1 et suivants du Code de l’environnement pour les installations classées pour la protection de l’environnement) ou de la suspension du permis de conduire (art. L. 224-2 et L. 224-7 du Code de la route). LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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B) La soumission des sanctions à un droit commun Il est risqué de confier au pouvoir administratif la charge de réprimer certains comportements : par cette technique qui vise à accélérer la prise de décision, il ne faudrait pas que les garanties juridiques essentielles offertes aux individus soient méconnues et les sanctions soustraites au contrôle du pouvoir judiciaire. Pour cette raison, une véritable théorie de la sanction, qu’elle soit pénale ou administrative ou même disciplinaire, s’est développée, essentiellement à l’instigation du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Pour ces organes, la peine n’est pas seulement formelle (est pénale la sanction que le pouvoir législatif ou administratif qualifie de pénale et confie aux tribunaux répressifs le soin de prononcer) mais également matérielle : toute mesure ayant le caractère d’une punition est une sanction et, compte tenu de cette nature, elle est soumise à un ensemble de principes supérieurs destinés à protéger les droits des individus, quelle que soit l’autorité qui la prononce. Ainsi, le Conseil constitutionnel, tout en ayant admis que des sanctions pouvaient être prononcées par des autorités administratives, soumet celles-ci, au même titre que les sanctions pénales proprement dites, à un ensemble de principes de valeur constitutionnelle : principe de légalité, principe de nonrétroactivité, principes de nécessité, de proportionnalité et de non-cumul des peines (Cons. constit., 30 décembre 1997 relative à la loi de finances pour 1998, Rec. p. 333, à propos d’amendes fiscales ; 27 juillet 2000 sur la loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, JO 2 août 2000, à propos d’une sanction ordonnée par le conseil supérieur de l’audiovisuel et revêtant un caractère automatique), principe du respect des droits de la défense. Le Conseil constitutionnel a notamment affirmé que « ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire » (Cons. constit., 30 décembre 1987 relative à la loi de finances pour 1988, Rec. p. 63, à propos d’une amende fiscale ; 17 janvier 1989, Rec. p. 18, s’agissant des pouvoirs dévolus au Conseil supérieur de l’audiovisuel). Ces garanties s’étendent également au régime des mesures de sûreté qui assortissent les condamnations pénales (Cons. constit. 15 mars 1999, JO 21 mars 1999 ; 21 février 2008, JO 26 février 2008). Le Conseil constitutionnel a qualifié de mesure ayant le caractère d’une punition l’amende civile d’un maximum de 2 millions d’euros que l’Autorité des marchés financiers put prononcer contre un fournisseur auteur de pratiques commerciales abusives à l’égard d’un distributeur (décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011 [déséquilibre significatif dans les relations commerciales]) ; il a au contraire dénié ce caractère punitif à l’incapacité et à l’interdiction d’exploiter un débit de boissons de toute personne condamnée pour un crime ou pour le délit de proxénétisme ou un délit assimilé, ainsi qu’à toute personne condamnée à une peine d’au moins un mois d’emprisonnement pour certains délits (décision n° 2011-132 QPC du 20 mai 2011, cette incapacité et interdiction ayant pour objet d’empêcher que l’exploitation d’un débit de boissons soit confiée à des personnes qui ne présentent pas les garanties de moralité suffisantes requises pour exercer cette profession) ou à l’obligation solidaire des dirigeants d’une société au paiement d’une amende fiscale (décision n° 2010-90 QPC du 21 janvier 2011, parce que le dirigeant qui 250

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


s’est acquitté du paiement de l’amende fiscale dispose d’une action récursoire contre tout autre dirigeant tenu solidairement). La Cour européenne des droits de l’homme procède de même. Elle considère que, pour appliquer l’article 6 de la Convention européenne qui garantit le droit à un procès équitable « en matière pénale », les indications fournies par le droit interne (caractère pénal, administratif ou disciplinaire de la mesure) n’ont qu’une valeur relative ; en effet, les États pourraient décider d’appliquer ou non les garanties offertes par la Convention en qualifiant une infraction de disciplinaire ou d’administrative plutôt que de pénale. La « matière pénale » étant une notion conventionnelle autonome, il convient au contraire de s’attacher au caractère général de la norme et au but préventif et répressif de la sanction pour déterminer la nature, pénale ou non, de la mesure soumise à son appréciation (CEDH, arrêt du 8 juin 1976, Engel et autres contre Pays-Bas, série A, n° 22 ; arrêt du 21 février 1984, Oztürk contre Allemagne, série A, n° 73 ; arrêt du 27 août 1991, Demicoli contre Malte, série A, n° 210 ; arrêt du 23 septembre 1998, Malige contre France, JCP 1999, II, 10086, à propos du retrait de points du permis de conduire ; arrêt du 26 septembre 2000, Guisset contre France, à propos de la Cour de discipline budgétaire et financière). Les mêmes considérations permettent à la Cour de justice de l’Union européenne de soumettre les institutions européennes (notamment la Commission lorsqu’elle est amenée à prononcer des amendes en matière de concurrence), ainsi que les États membres dans l’exercice de leurs compétences d’exécution du droit de l’Union européenne, à un certain nombre de principes généraux de droit, parmi lesquels le droit au respect de la vie privée (CJCE, 26 juin 1980, National Panasonic, aff. 136/79, Rec. p. 2033), le droit à un procès équitable (CJCE, 29 octobre 1980, Landeweyck, aff. 209 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125) et le principe de non-rétroactivité en matière pénale (CJCE, 10 juillet 1984, Kent Kirk, aff. 63/83, Rec. p. 2689). L’évolution juridique tend donc en ce domaine vers ce que l’on a appelé un « droit commun de la sanction », constitué pour l’essentiel d’un ensemble de garanties au bénéfice de l’individu, qui déborde le cadre du droit pénal tel que défini par le législateur.

§ 2.

Les mesures de sûreté

La peine est, avec l’incrimination, la deuxième composante de toute infraction. Elle s’analyse traditionnellement comme le châtiment infligé à l’auteur de l’infraction en raison de sa faute. Tournée vers le passé, elle a essentiellement une fonction rétributive. L’auteur de l’infraction doit « payer » pour compenser le trouble social qu’il a causé. La peine a dès lors un caractère principalement afflictif, en causant chagrin, douleur ou honte chez celui qu’elle frappe. La peine est donc d’abord une punition. La peine n’a bien évidemment pas cette seule fonction. Elle a un rôle préventif, tant à l’égard des individus que la menace de la peine intimide (prévention collective), qu’à l’égard du délinquant qui la subit, en dissuadant ce dernier de commettre de nouvelles infractions à l’avenir (prévention individuelle). Aujourd’hui, elle a également, et de plus en plus, un objectif de resocialisation, de rééducation du délinquant. LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

251


La mesure de sûreté, héritée des idées positivistes (voir p. 8), a pour objectif de protéger la société et de prévenir la survenance d’infractions en neutralisant, en surveillant ou en traitant les individus dangereux, en principe indépendamment de la commission d’une infraction (ante delictum) : internement des aliénés dangereux pour autrui, cures de désintoxication pour alcooliques et toxicomanes, castration ou traitement médico-psychologique des pervers sexuels. Parce qu’elle se fonde non sur une infraction, donc une faute identifiable, mais sur un état dangereux, sujet à variation, la mesure de sûreté a en théorie un régime particulier, différent de celui de la peine. D’une part, la mesure de sûreté a le plus souvent une durée indéterminée, prenant fin lorsque l’état dangereux a cessé et que le traitement a produit ses effets. D’autre part, elle est révisable, le juge qui procède à un suivi de l’intéressé bénéficiant de la faculté d’adapter le traitement en fonction des progrès réalisés par l’individu soigné ou d’y substituer une autre mesure. Le Code pénal parle essentiellement de peines (le titre III du livre premier est intitulé « Des peines »). Le droit français comporte cependant de véritables mesures de sûreté, dont la finalité est la réinsertion de l’individu en même temps que sa neutralisation. Il en est ainsi du placement sous surveillance électronique mobile (art. 131-36-9 du Code pénal ; voir p. 282), de la surveillance judiciaire (art. 723-29 du Code de procédure pénale ; voir p. 368) ou encore des traitements médicalisés applicables aux toxicomanes : si l’usage de stupéfiants est une infraction, punie par l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique d’un an emprisonnement et de 3 750 euros d’amende, le Code de la santé publique envisage la possibilité, pour le procureur de la République ou la juridiction de jugement, d’enjoindre la personne ayant fait un usage illicite de stupéfiants de se soumettre à une mesure d’injonction thérapeutique prenant la forme d’une mesure de soins ou de surveillance médicale (art. L. 3423-1 à L. 3425-2 du Code de la santé publique). Il en est de même de la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté, créées par la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 (articles 706-53-13 à 706-53-22 du Code de procédure pénale) : la rétention de sûreté est une mesure, renouvelable d’année en année sans limite, qui permet de retenir dans un centre fermé, après l’exécution de leur peine, les auteurs de crimes particulièrement odieux présentant un risque particulièrement élevé de récidive à leur libération. Ce placement est réalisé en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel il leur est proposé, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure. La rétention de sûreté concerne les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour les crimes d’assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d’enlèvement ou de séquestration commis soit sur une victime mineure, soit sur une victime majeure avec une circonstance aggravante, soit en récidive. Les auteurs de ces crimes ne peuvent faire l’objet de cette mesure, à titre exceptionnel, que s’il est établi, à l’issue d’un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l’exécution de leur peine, qu’ils présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive en raison d’un trouble grave de la personnalité. La mesure ne peut être prononcée que si la cour d’assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l’objet à la fin de sa peine d’un réexamen de sa situation en vue d’une éventuelle réten252

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


tion de sûreté. Quant à la surveillance de sûreté, elle comprend des obligations identiques à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire (voir p. 369), en particulier une injonction de soins et le placement sous surveillance électronique mobile.

§ 3.

Les peines accessoires

Les peines accessoires sont des sanctions qui résultent de plein droit de la condamnation. Elles s’ajoutent automatiquement aux peines principales (elles se rapprochent, par cet aspect, des peines complémentaires obligatoires) mais sans que le juge ait à les prononcer expressément. Elles s’appliquent du seul fait que la condamnation est intervenue, sans avoir à être visées dans la décision de condamnation. Les peines accessoires ne sont pas attachées à une infraction déterminée comme les peines principales et complémentaires. Elles sont posées dans des textes spéciaux extérieurs au Code pénal, à travers des dispositions très générales qui visent une série d’infractions, voire des catégories d’infractions. Dans la plupart des cas, elles revêtent la forme d’interdictions et d’incapacités professionnelles applicables automatiquement à certains condamnés. Tous les textes régissant des professions réglementées connaissent de telles dispositions. Pour ne citer qu’un exemple, l’article L. 363-2 du Code de l’éducation prévoit que nul ne peut enseigner, animer, entraîner ou encadrer contre rémunération une activité physique ou sportive… s’il a fait l’objet d’une condamnation pour crime ou pour certains délits (violences, agressions sexuelles, trafic de stupéfiants et dopage notamment). On a pu penser que cette catégorie de peines serait remise en cause par le Code pénal dont l’article 132-17 alinéa 1 dispose qu’« aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l’a expressément prononcée ». En principe, l’auteur de l’infraction ne devrait donc subir que les peines que le juge a prononcé à son encontre dans la décision de condamnation. En réalité, cette règle ne concerne que les peines principales, complémentaires et alternatives, et non les sanctions accessoires. En effet, pour la Cour de cassation, les articles 13217 et 132-24 du Code pénal n’ont pas aboli la possibilité, pour le législateur, de prévoir des « sanctions » accessoires à des condamnations pénales (Crim., 18 janvier 1995, Droit pénal 1995, comm. n° 145 ; Crim., 14 mars 1996, Droit pénal 1996, comm. n° 220 ; Crim., 26 novembre 1997, Bull. crim. n° 404). La catégorie des sanctions accessoires comporte cependant deux limites : – d’une part, les mineurs ne sont pas concernés par ces sanctions. L’article 20-6 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, introduit par la loi d’adaptation du 16 décembre 1992, pose le principe qu’« aucune interdiction, déchéance ou incapacité ne peut résulter de plein droit d’une condamnation prononcée à l’encontre d’un mineur » ; – d’autre part, aucune sanction accessoire ne peut en principe porter sur l’exercice d’un droit civique, civil ou de famille. Cette règle résulte de l’article 132-21 alinéa 1 du Code pénal relatif à l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, qui précise que cette peine ne peut, nonobsLARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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tant toute disposition contraire, résulter de plein droit d’une condamnation pénale. L’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille devrait donc nécessairement résulter d’une peine complémentaire et être expressément prononcée par le juge. La loi d’adaptation du 16 décembre 1992, tirant les conséquences de cette règle, a effectivement abrogé les dispositions du Code électoral qui prévoyait l’incapacité électorale à titre accessoire pour certains condamnés. Cependant, la loi du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique a rétabli cette incapacité à l’article L. 7 du Code électoral, réduisant à peu de chose les bonnes intentions manifestées à l’occasion de la réforme du Code pénal. De même, la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence a rétabli l’incapacité d’être juré pour les personnes dont le bulletin n° 1 du casier judiciaire mentionne une condamnation pour crime ou une condamnation pour délit à une peine d’au moins 6 mois d’emprisonnement (art. 256 du Code de procédure pénale). Les peines accessoires posent, par leur généralité et par leur automaticité, un réel problème au regard du principe de personnalisation des peines, qui veut que celles-ci soient fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur (voir p. 293). Le Conseil constitutionnel a ainsi invalidé une disposition de la loi relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises qui instituait une incapacité d’exercer une fonction publique élective d’une durée en principe au moins égale à cinq ans, applicable de plein droit à toute personne à l’égard de laquelle a été prononcée la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une entreprise ou une personne morale, ou la liquidation judiciaire, sans que le juge qui décide de ces mesures ait à prononcer expressément cette incapacité. Pour le Conseil, le principe de nécessité des peines implique que l’incapacité d’exercer une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à l’espèce. (Cons. Constit., 15 mars 1999, JO 21 mars 1999 ; Droit pénal 1999, comm. n° 68). La rigueur des sanctions accessoires, applicables automatiquement, est atténuée par la possibilité offerte au condamné d’en demander à tout moment le relèvement (art. 132-21 du Code pénal et 702-1 du Code de procédure pénale ; voir p. 389). Le Conseil constitutionnel a toutefois déclaré contraire au principe constitutionnel d’individualisation des peines l’article L. 7 du Code électoral portant peine privative de l’exercice du droit de suffrage attachée de plein droit à diverses condamnations pénales, même si l’intéressé pouvait être, en tout ou partie, y compris immédiatement, relevé de cette incapacité (décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 ; sur ce sujet, voir : L. Leturmy, « Constitutionnalité des peines accessoires et des peines complémentaires obligatoires », AJ Pénal 2011, p. 280). Ces notions étant précisées, il convient d’étudier les sanctions pénales mises à disposition des juridictions répressives françaises pour sanctionner l’auteur d’une infraction.

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PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


SECTION II

Les peines mises à la disposition du juge Avant d’examiner l’échelle des peines du Code pénal, il convient de préciser la manière dont celles-ci peuvent être prononcées par le juge.

§ 1. Peines principales, alternatives, et complémentaires Cette distinction technique se base sur la manière dont les peines peuvent être prononcées par la juridiction répressive. Certaines règles altèrent la distinction, de sorte que l’on peut parfois s’interroger sur sa pertinence. À cet égard, le Code pénal ne parle plus que de peines ou de peines complémentaires et ne définit pas toujours avec précision la nature de chacune des peines qu’il envisage. Toutefois, la distinction subsiste en pratique.

A) Les peines principales La peine principale est la peine nécessairement attachée à une infraction. En d’autres termes, toute infraction doit être sanctionnée par au moins une peine principale. Pour mémoire, les peines principales encourues par les personnes physiques permettent de déterminer la nature criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle de l’infraction. Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, les peines principales pour les personnes physiques sont la réclusion criminelle et la détention criminelle en matière criminelle, l’emprisonnement et l’amende en matière correctionnelle, l’amende en matière contraventionnelle.

B) Les peines alternatives Les peines alternatives ne sont en principe pas prévues par le texte qui réprime l’infraction mais seulement par des dispositions générales ; le juge peut les substituer (d’où leur dénomination antérieure de peines de substitution) à une ou plusieurs peines principales. Introduites en 1975, elles avaient pour objectif de lutter contre les courtes peines d’emprisonnement. Dans certaines hypothèses, elles peuvent aujourd’hui remplacer une peine d’amende. Les peines alternatives pour les personnes physiques sont, en matière correctionnelle, la peine de jours-amendes, le travail d’intérêt général, le stage de citoyenneté, ainsi que les peines privatives ou restrictives de droits énumérées à l’article 131-6 du Code pénal (par exemple, la suspension ou l’annulation du permis de conduire). En matière contraventionnelle, mais uniquement pour les contraventions de 5e classe, elles comprennent les peines privatives ou restrictives de droits de l’article 131-14. Une des nouveautés introduites par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité est de permettre au tribunal correctionnel, lorsqu’il prononce une peine alternative (stage de citoyenneté, peines privatives ou restrictives de droits, travail d’intérêt général), de fixer d’emblée la durée maximum de l’emprisonnement ou le montant maximum LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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de l’amende dont le juge de l’application des peines pourra ordonner la mise à exécution en tout ou partie si le condamné ne respecte pas les obligations ou interdictions résultant de la ou des peines prononcées (art. 131-9 al. 2 du Code pénal ; voir p. 355).

C) Les peines complémentaires Les peines complémentaires peuvent s’ajouter aux peines principales et sont spécialement prévues par le texte qui réprime l’infraction. Certaines peines complémentaires, notamment les confiscations, sont obligatoires (le juge est alors tenu de les prononcer) mais la plupart sont facultatives (le juge est alors libre de les prononcer ou non). Le Conseil constitutionnel accepte les peines complémentaires obligatoires, dans la mesure où le juge n’est pas privé du pouvoir d’individualiser la peine, en en faisant varier l’intensité et la durée, notamment (décision n° 2010-40 QPC du 29 septembre 2010 : annulation du permis de conduire ; décision n° 2010-41 QPC du 29 septembre 2010 : publication du jugement de condamnation ; contra : décision n° 2010-72/75/82 QPC du 10 décembre 2010 : publication et affichage du jugement de condamnation en matière de fraude fiscale dans des conditions ne laissant au juge presqu’aucun pouvoir d’individualisation). En matière criminelle et délictuelle, les peines complémentaires sont énumérées à l’article 131-10 du Code pénal, en matière de contraventions aux articles 131-16 et 131-17 (voir également l’art. 131-43 du Code pénal pour les personnes morales). Toutefois, pour les crimes et les délits, l’article 131-10 du Code pénal ne pose qu’une liste imprécise de peines complémentaires. En ces matières, la loi établit au cas par cas les peines complémentaires qui sont en pratique d’une grande variété (par exemple, le Code de la Sécurité sociale prévoit l’exclusion des services des assurances sociales en cas de fausses déclarations tendant à obtenir des prestations indues ; en vertu de l’article 42-11 de la loi du 16 juillet 1984, la peine complémentaire d’interdiction de pénétrer ou de se rendre aux abords d’une enceinte où se déroule une manifestation sportive peut être prononcée pour certaines infractions, notamment les violences et dégradations, commises à l’intérieur ou aux abords d’une telle enceinte ; la loi du 17 juin 1998 a introduit en droit français l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs et le suivi sociojudiciaire, applicables pour certaines infractions sexuelles ou de mise en péril des mineurs ; la loi du 6 janvier 1999, relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux, la peine complémentaire d’interdiction de détenir un animal en cas de sévices ou d’actes de cruauté sur un animal : article 521-1 du Code pénal). Beaucoup de peines complémentaires ont le même objet que les peines alternatives mais, à la différence de celles-ci, elles doivent être nécessairement prévues par le texte qui sanctionne l’infraction : le juge ne peut pas puiser dans la nomenclature des peines des mesures complémentaires (voir cependant la confiscation qui, en application de l’article 131-21 alinéa 1 du Code pénal, est également encourue « de plein droit » pour les crimes et pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an, ainsi que la peine de sanction-réparation qui peut être prononcée à la place ou « en même temps » que la peine principale). Les peines complémentaires ont vocation à compléter les peines principales, souvent pour prévenir la commission de nouvelles infractions. Toutefois, 256

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


le juge a la possibilité de prononcer ces peines complémentaires à la place des peines principales encourues. Cette faculté est envisagée à l’article 131-11 du Code pénal pour les délits et à l’article 131-18 pour les contraventions (voir également l’article 131-44 s’agissant des personnes morales). Lorsqu’un délit ou une contravention est puni d’une ou de plusieurs peines complémentaires, « la juridiction peut ne prononcer que la peine complémentaire ou l’une ou plusieurs des peines complémentaires encourues à titre de peine principale ». En matière correctionnelle, le suivi sociojudiciaire peut également être ordonné comme peine principale (art. 131-36-7 du Code pénal). Les peines complémentaires peuvent donc aujourd’hui, au choix du juge, compléter ou remplacer une peine principale. En matière correctionnelle, comme pour les peines alternatives, la juridiction peut, lorsqu’elle prononce une peine complémentaire à titre principal, fixer la durée maximum de l’emprisonnement ou le montant maximum de l’amende dont le juge de l’application des peines pourra ordonner la mise à exécution en tout ou partie en cas de violation par le condamné des obligations ou interdictions résultant des peines prononcées (art. 131-11 al. 2 du Code pénal ; voir p. 355).

§ 2.

L’échelle des peines

Le Code pénal a établi une échelle des peines (ou plutôt deux : une pour les personnes physiques, une pour les personnes morales) en précisant la nature et, s’il y avait lieu, la durée ou le montant des peines. Il prévoit à quelle catégorie d’infractions ces différentes peines s’appliquent et à quel titre elles peuvent être prononcées. Deux précisions sont toutefois nécessaires. D’une part, le principe de légalité des peines impose au législateur et au pouvoir réglementaire de prévoir dans les textes des sanctions déterminées pour réprimer chaque infraction : il s’agira d’une ou plusieurs peines principales et, le cas échéant, d’une ou plusieurs peines complémentaires. Par ailleurs, la juridiction peut prononcer des peines alternatives dès lors qu’elles sont prévues dans les dispositions générales. L’échelle générale des peines est donc à elle seule insuffisante pour connaître les peines encourues pour une infraction précise. D’autre part, la loi pouvant déroger à la loi, le législateur peut toujours réprimer un crime ou un délit, à titre principal ou complémentaire, par des sanctions qui soit dans leur nature, soit dans leur taux ne figurent pas dans l’échelle des peines du Code pénal (l’hypothèse se présente effectivement de temps à autre pour les peines complémentaires et même pour les peines principales ; voir p. 259 pour l’emprisonnement délictuel). Par contre, en vertu de la supériorité des lois sur les règlements et en application de l’article 111-2 du Code pénal qui prévoit que le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contrevenants, un règlement ne saurait prévoir de peines principales ou complémentaires autres que celles que la loi présente dans les dispositions générales du Code. LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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A) Les peines applicables aux personnes physiques Le Code pénal distingue les peines criminelles, correctionnelles et contraventionnelles (ou de police), ce qui est logique puisque la classification tripartite des infractions repose sur les peines principales encourues (voir p. 91 et suiv.). Il n’existe toutefois pas un type de peines spécifique à chaque catégorie d’infraction. Ainsi, la privation de liberté est une peine commune aux crimes et aux délits, l’amende est prévue pour pouvoir sanctionner toutes les infractions. Pour chaque catégorie d’infractions, on distinguera les peines principales, alternatives et complémentaires. 1) Les peines criminelles applicables aux personnes physiques Dans un souci d’humanisation et compte tenu de leur désuétude, le Code pénal a supprimé certaines peines auparavant encourues en matière criminelle par les personnes physiques, comme le bannissement, la dégradation civique ou l’incapacité de donner et de recevoir à titre gratuit. a) Peines principales

Les peines principales encourues en matière criminelle sont des peines privatives de liberté. Comme le Code de 1810, le nouveau Code pénal distingue la réclusion criminelle, applicable aux crimes de droit commun, de la détention criminelle, encourue pour les crimes politiques (voir p. 97). L’échelle est établie à l’article 131-1 du Code pénal : – – – –

réclusion ou détention criminelle à perpétuité ; réclusion ou détention criminelle de 30 ans au plus ; réclusion ou détention criminelle de 20 ans au plus ; réclusion ou détention criminelle de 15 ans au plus.

Cette échelle n’interdit pas au juge de prononcer une peine d’une durée inférieure. Toutefois, l’article 131-1 du Code pénal précise que la durée de la peine de réclusion ou de la détention criminelle à temps est de 10 ans au moins. Si une peine privative de liberté d’une durée inférieure devait être prononcée pour un crime compte tenu des circonstances de l’espèce, il s’agira alors nécessairement d’une peine d’emprisonnement (Crim., 19 avril 2000, JCP 2000, IV, 2894 ; Crim., 18 décembre 2002, Bull. crim. n° 236 ; voir p. 311). b) Peines complémentaires

En vertu de l’article 131-2 du Code pénal, la réclusion ou la détention criminelles ne sont pas exclusives d’une peine d’amende ainsi que d’une ou plusieurs peines complémentaires prévues à l’article 131-10 du Code pénal, article commun aux crimes et aux délits. S’agissant de l’amende, le législateur ne précise pas qu’il s’agit d’une peine complémentaire en matière criminelle. En théorie, il pourrait très bien sanctionner une infraction à titre principal uniquement d’une peine d’amende et préciser que cette infraction est un crime (l’amende ne déterminant pas à elle seule la nature criminelle de l’infraction). Toutefois, une telle solution ne serait guère réaliste et mettrait à mal les règles établissant une hiérarchie entre les 258

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


infractions en fonction des peines qui leur sont attachées. En matière criminelle, l’amende est toujours prévue en plus de la réclusion ou de la détention criminelle, de sorte qu’en pratique elle est utilisée comme peine complémentaire. Les peines complémentaires de l’article 131-10 emportent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit, injonction de soins ou obligation de faire, immobilisation ou confiscation d’un objet, confiscation d’un animal, fermeture d’un établissement, affichage ou diffusion de la décision prononcée. Elles sont donc déterminées précisément par la loi pour chaque infraction, le législateur étant libre d’en imaginer d’autres. Il n’est pas possible aux cours d’assises de prononcer une ou plusieurs de ces peines complémentaires à titre de peine principale pour sanctionner un crime, l’article 131-11 ne faisant référence qu’aux délits. 2) Les peines correctionnelles applicables aux personnes physiques Les peines correctionnelles encourues par les personnes physiques sont énumérées à l’article 131-3 du Code pénal. a) Peines principales

Les peines principales sont : – l’emprisonnement, peine privative de liberté. L’article 131-4 du Code pénal crée une échelle des peines d’emprisonnement qui comprend 8 degrés : au plus 10 ans, au plus 7 ans, au plus 5 ans, au plus 3 ans, au plus 2 ans, au plus 1 an, au plus 6 mois et au plus 2 mois. Cependant, rien n’empêche le législateur de fixer une durée maximale spécifique pour réprimer une infraction déterminée. Ainsi, la loi du 24 janvier 1997 instituant une prestation spécifique dépendance pour les personnes âgées dépendantes, codifiée dans le Code de l’action sociale et des familles, punit certaines infractions d’une peine d’emprisonnement de 3 mois. De même, l’article L. 413-1 du Code de la route punit de la même peine le délit de récidive de grand excès de vitesse, créé par la loi du 18 juin 1999 ; – l’amende. En vertu de l’article 381 du Code de procédure pénale, le montant minimum de l’amende correctionnelle est de 3 750 euros. Aucune limite maximale n’est par contre fixée. L’amende peut donc parfois atteindre un montant très élevé (par exemple, 7 500 000 euros pour certaines infractions de trafic de stupéfiants). b) Peines alternatives

Peuvent remplacer les peines correctionnelles principales, même si elles ne sont pas prévues dans la loi réprimant le délit : • la peine de jours-amendes, à la place de l’amende, si le délit est puni d’une peine d’emprisonnement (art. 131-5 et 131-9 al. 3 du Code pénal) ; • le travail d’intérêt général, pour une durée de 20 à 210 heures, lorsque le délit est puni d’une peine d’emprisonnement, à la place de cette dernière (art. 131-8 al. 1 et 131-9 al. 1 du Code pénal) ; LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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• les peines privatives ou restrictives de droits prévues à l’article 131-6 du Code pénal, à la place de l’emprisonnement lorsque le délit est puni d’une peine d’emprisonnement ou à la place de l’amende pour les délits punis seulement d’une peine d’amende (art. 131-6, 131-7 et 131-9 al. 1 du Code pénal). Ces peines sont : – la suspension, pour une durée de cinq ans au plus, du permis de conduire ; – l’interdiction de conduire certains véhicules pendant une durée de cinq ans au plus ; – l’annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant cinq ans au plus ; – la confiscation d’un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ; – l’immobilisation, pour une durée d’un an au plus, d’un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ; – l’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ; – la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ; – le retrait du permis de chasser avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant cinq ans au plus ; – l’interdiction pour une durée de cinq ans au plus d’émettre des chèques et d’utiliser des cartes de paiement ; – la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ; – l’interdiction pour une durée de cinq ans au plus d’exercer une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l’infraction ; – l’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de paraître dans certains lieux ou catégories de lieux déterminés par la juridiction et dans lesquels l’infraction a été commise ; – l’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de fréquenter certains condamnés spécialement désignés par la juridiction, notamment les auteurs ou complices de l’infraction ; – l’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, d’entrer en relation avec certaines personnes spécialement désignées par la juridiction, notamment la victime de l’infraction. • le stage de citoyenneté, que la juridiction peut prescrire à la place de l’emprisonnement lorsque le délit est puni de cette peine (art. 131-5-1 du Code pénal) ; • la sanction-réparation, introduite par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et qui consiste dans l’obligation pour le condamné de procéder à l’indemnisation du préjudice de la victime. Elle peut être utilisée au choix à titre alternatif ou complémentaire : lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place ou en même temps que la peine d’emprisonnement, la peine de sanction-réparation. Il en est de même lorsqu’un délit est puni à titre de peine principale d’une seule peine d’amende (art. 131-8-1 du Code pénal). 260

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


c) Peines complémentaires

Un délit peut également être puni de peines complémentaires selon les indications fournies par l’article 131-10 du Code pénal. Nécessairement énoncées par la disposition législative réprimant le délit, les peines complémentaires dépendent de l’imagination (ou du manque d’imagination…) du législateur. En pratique, elles sont diversifiées et adaptées à l’infraction à réprimer. En matière correctionnelle, elles peuvent être prononcées en plus des peines principales encourues ou seules à titre principal, à la place des peines principales (art. 131-11 du Code pénal). 3) Les peines contraventionnelles applicables aux personnes physiques Les peines contraventionnelles sont énumérées à l’article 131-12 du Code pénal. Il n’existe plus de peine d’emprisonnement (loi du 19 juillet 1993 et Code pénal, voir p. 30) ni de peine d’affichage (art. 1er du décret du 29 mars 1993, applicable au 1er mars 1994) en matière contraventionnelle. a) Peine principale

En matière contraventionnelle, la peine principale est l’amende dont le montant maximum, fixé par l’article 131-13 du Code pénal, varie selon la classe de la contravention : – – – – –

38 euros au plus pour les contraventions de la 1re classe ; 150 euros au plus pour les contraventions de la 2e classe ; 450 euros au plus pour les contraventions de la 3e classe ; 750 euros au plus pour les contraventions de la 4e classe ; 1 500 euros au plus pour les contraventions de la 5e classe, montant pouvant être porté à 3 000 euros si le règlement envisage la récidive (hors les cas où la loi prévoit que la récidive de la contravention constitue un délit). b) Peines alternatives

En matière contraventionnelle, il n’existe de peines alternatives que pour les contraventions de la 5e classe. Il s’agit d’abord des peines privatives ou restrictives de droits prévues à l’article 131-14 du Code pénal, qui peuvent être prononcées à la place de l’amende (art. 131-14 et 131-15 al. 1 du Code pénal). La liste est moins étendue que celle des peines alternatives privatives ou restrictives de droits prévues en matière correctionnelle et les durées pour lesquelles elles peuvent être prononcées sont plus réduites. Ces peines sont : – la suspension, pour une durée d’un an au plus, du permis de conduire ; – l’immobilisation, pour une durée de six mois au plus, d’un ou de plusieurs véhicules appartenant au condamné ; – la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ; – le retrait du permis de chasser, avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant un an au plus ; – l’interdiction, pour une durée d’un an au plus, d’émettre des chèques et d’utiliser des cartes de paiement ; LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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– la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit. Pour toutes les contraventions de la cinquième classe, la juridiction peut aussi prononcer à la place mais également en même temps que la peine d’amende la peine de sanction-réparation (art. 131-15-1 du Code pénal). c) Peines complémentaires

Des peines complémentaires peuvent également être prononcées en matière contraventionnelle, à condition que le règlement qui réprime la contravention le prévoie expressément. Toutefois, contrairement à la démarche adoptée pour définir les peines complémentaires criminelles et correctionnelles, le Code procède ici à une énumération détaillée et précise : le pouvoir réglementaire ne peut donc pas prévoir des peines complémentaires différentes de celles mises à sa disposition par les articles 131-16 et 131-17 du Code pénal. Ces peines sont : • Quelle que soit la classe de contravention (art. 131-16 du Code pénal) : – la suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire ; – l’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de trois ans au plus, une arme soumise à autorisation ; – la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ; – le retrait du permis de chasser, avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus ; – la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ; – l’interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur, y compris ceux pour la conduite desquels le permis de conduire n’est pas exigé, pour une durée de trois ans au plus ; – l’obligation d’accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière ; – l’obligation d’accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de citoyenneté ; – l’obligation d’accomplir, à ses frais, un stage de responsabilité parentale ; – la confiscation de l’animal ayant été utilisé pour commettre l’infraction ou à l’encontre duquel l’infraction a été commise ; – l’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de détenir un animal. • En outre, mais uniquement pour les contraventions de 5e classe (art. 131-17 du Code pénal) : – l’interdiction, pour une durée de 3 ans au plus, d’émettre des chèques ; – la peine de travail d’intérêt général, pour une durée de 20 à 120 heures. – Toutefois, cette règle ne signifie pas que les peines complémentaires différentes, prévues par des réglementations extérieures et antérieures au nouveau Code pénal, ont été abrogées à compter du 1er mars 1994. Il subsiste donc des peines complémentaires contraventionnelles spéciales, que le juge peut prononcer pour sanctionner certaines infractions (Crim., 16 décembre 1998, Bull. crim. n° 343 : affichage et publication de la condamnation ; Crim., 1er juin 1999, Bull. crim. n° 115 : retrait du permis de chasser pour une durée de 5 ans). 262

PARTIE IV La sanction pénale

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Dès lors qu’une ou plusieurs de ces peines complémentaires sont prévues par le règlement qui réprime la contravention, le juge peut les prononcer soit en plus de l’amende, soit à titre principal, en substitution à l’amende (art. 131-18 du Code pénal).

B) Les peines applicables aux personnes morales Du fait de la particularité des personnes morales, de la fonction nécessairement différente des peines pour ces personnes ainsi que de l’impossibilité d’appliquer à leur encontre des peines privatives de liberté, le législateur a été amené à mettre en place un arsenal répressif adapté aux personnes morales. Celui-ci est détaillé aux articles 131-37 à 131-49 du Code pénal. Deux remarques peuvent d’ores et déjà être faites. En premier lieu, la majorité de ces peines est également applicable aux personnes physiques. Ne sont spécifiques aux personnes morales que la dissolution et le placement sous surveillance judiciaire. En second lieu, la classification tripartite des infractions dépendant des peines encourues à titre principal par les personnes physiques, il n’était pas nécessaire de distinguer entre chaque catégorie d’infractions. Sauf exception, le Code pénal n’opère une distinction qu’entre, d’une part, les peines criminelles et correctionnelles, d’autre part, les peines contraventionnelles. 1) Les peines criminelles et correctionnelles applicables aux personnes morales S’agissant des peines criminelles et correctionnelles applicables aux personnes morales, il n’est pas prévu de peines alternatives – hormis le cas bien particulier de la sanction-réparation – mais seulement des peines principales et complémentaires. Cela emporte une conséquence intéressante pour le juge : il ne pourra prononcer à l’encontre d’une personne morale reconnue coupable d’une infraction que les peines qui sont spécialement attachées à cette infraction par le texte réprimant. a) Peines principales

En matière criminelle et correctionnelle, les peines encourues par les personnes morales à titre principal sont énumérées à l’article 131-37 du Code pénal. Le législateur reste toutefois libre de prévoir, pour une ou plusieurs infractions déterminées, des peines principales qui n’y seraient pas citées. C’est ainsi qu’il a prévu la confiscation de tout ou partie des biens de la personne morale reconnue responsable pénalement de crimes contre l’humanité (art. 213-3 du Code pénal), confiscation nullement envisagée dans les dispositions générales du Code à propos des personnes morales. Les peines principales pour les personnes morales sont l’amende, les peines mentionnées à l’article 131-39 du Code pénal ainsi que la sanction-réparation. • L’article 131-38 du Code pénal fixe le taux maximum de l’amende au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques pour l’infraction en question. Il y a donc lieu de multiplier par 5 le montant maximum de l’amende encourue par les personnes physiques pour connaître celui encouru par les personnes morales. Par exemple, pour un vol simple, les personnes physiLARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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ques encourent une amende de 45 000 euros (art. 311-3 du Code pénal). Pour les personnes morales, le montant de l’amende est alors porté à 225 000 euros. Le montant ainsi déterminé est parfois impressionnant : il est par exemple de 37 500 000 euros en cas de trafic de stupéfiants. Bien sûr, le juge n’est pas tenu de prononcer ce maximum. Comme une amende est rarement encourue par les personnes physiques en matière criminelle, empêchant par-là même de faire jouer la règle du quintuple, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, en même temps qu’elle généralise, à compter du 31 décembre 2005, la responsabilité pénale des personnes morales (voir p. 177), complète l’article 131-38 du Code pénal pour fixer à un million d’euros le montant de l’amende encourue par une personne morale lorsqu’il s’agit d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue par la loi. • Les peines énumérées à l’article 131-39 du Code pénal sont : – la dissolution. Cette mesure est connue du droit civil et commercial ; transposée en droit pénal, elle se présente comme la peine de mort propre aux personnes morales. La personne morale contre laquelle la dissolution est prononcée est renvoyée devant le tribunal compétent (civil ou commercial selon sa nature) pour qu’il soit procédé à sa liquidation (art. 131-45 du Code pénal). Pour des motifs d’ordre constitutionnel, elle est inapplicable aux personnes morales de droit public ainsi qu’aux partis ou groupements politiques, aux syndicats professionnels et aux institutions représentatives du personnel. En pratique, la dissolution n’est prévue que pour des infractions d’une certaine gravité. En outre, elle n’est applicable que dans certaines circonstances : soit lorsque la personne morale a été créée pour commettre les faits incriminés, soit lorsqu’elle a été simplement détournée de son objet pour commettre ces faits. Dans cette seconde hypothèse, la dissolution n’est possible que si l’on est en présence soit d’un crime, soit d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’au moins 3 ans pour les personnes physiques. Il s’agit donc d’une mesure exceptionnelle répondant à des comportements exceptionnellement graves. À côté de la dissolution pénale, il convient de mentionner la dissolution civile prévue par l’article 1er de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ; – l’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de 5 ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. Cette interdiction peut porter soit sur l’activité dans l’exercice de laquelle ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit sur toute autre activité professionnelle ou sociale définie par la loi qui réprime l’infraction (art. 131-48 al. 1 et 131-28 du Code pénal) ; – le placement sous surveillance judiciaire pour une durée de 5 ans au plus, sauf pour les personnes morales de droit public, les partis ou groupements politiques et les syndicats professionnels (les institutions représentatives du personnel n’étant ici pas exclues, contrairement à ce qui est prévu pour la dissolution). Cette peine qui s’apparente davantage à un ajournement de la décision, comporte la désignation d’un mandataire 264

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


de justice choisi parmi les personnes mentionnées à l’article R. 131-52 du Code pénal. La mission de ce mandataire, précisée par le juge, consistera à surveiller l’activité de l’entreprise dans l’exercice de laquelle ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise. Le mandataire rend compte tous les 6 mois de l’accomplissement de sa mission au juge de l’application des peines. Ce dernier peut saisir la juridiction pénale pour qu’elle relève la personne morale de la mesure de placement ou, inversement, pour qu’elle prononce une nouvelle peine (une véritable peine, serait-on tenté de dire) (art. 131-46 du Code pénal) ; – la fermeture définitive ou pour une durée de 5 ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés. Cette peine emporte l’interdiction d’exercer dans l’établissement fermé, l’activité à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise (art. 131-48 al. 2 et 131-33 du Code pénal) ; – l’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de 5 ans au plus. Cette exclusion emporte l’interdiction de participer, directement ou indirectement, à tout marché conclu par l’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics, ainsi que par les entreprises concédées ou contrôlées par l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements (art. 131-48 al. 3 et 131-34 du Code pénal) ; – l’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de 5 ans au plus, de faire appel public à l’épargne. Cette sanction interdit, pour le placement de titres quels qu’ils soient, d’avoir recours tant à des établissements de crédit, établissements financiers ou sociétés de bourse, qu’à des procédés quelconques de publicité (art. 131-47 du Code pénal). Cette sanction ne concerne par définition qu’un nombre restreint de personnes morales, parmi lesquelles les sociétés par actions ; – l’interdiction, pour une durée de 5 ans au plus, d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement. Cette interdiction impose à la personne morale condamnée de restituer au banquier qui les avait délivrées les formules en sa possession ou en celles de ses mandataires (art. 131-48 al. 4 et 131-19 du Code pénal. Bizarrement, aucun renvoi n’est effectué à l’article 131-20 qui impose la restitution au banquier des cartes de paiement) ; – la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ; – l’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ; – la confiscation de l’animal ayant été utilisé pour commettre l’infraction ou à l’encontre duquel l’infraction a été commise ; – l’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de détenir un animal. • En matière correctionnelle, les personnes morales encourent également la peine de sanction-réparation, qui consiste dans l’obligation de procéder à l’indemnisation du préjudice de la victime. Cette peine peut être prononcée par la juridiction à la place ou en même temps que l’amende encourue par la personne morale (art. 131-39-1 du Code pénal). LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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b) Peines complémentaires

Dans les dispositions générales du Code pénal, il n’existe pas une liste de peines complémentaires applicables aux personnes morales en matière criminelle et correctionnelle. Cette omission n’interdit pas au législateur de prévoir des peines complémentaires dans les textes pénaux spéciaux mais lui laisse au contraire une entière liberté. De telles peines complémentaires sont toutefois relativement rares. Par exemple, le retrait définitif de la licence de débit de boissons ou de restaurant est ainsi prévu pour le trafic de stupéfiants (art. 222-50 du Code pénal). 2) Les peines contraventionnelles applicables aux personnes morales Les peines contraventionnelles encourues par les personnes morales sont énoncées à l’article 131-40 du Code pénal. Conformément à la supériorité des lois sur les règlements et à la règle posée à l’article 112-2 alinéa 2 du Code pénal, le pouvoir réglementaire ne peut prévoir d’autres peines que celles qui y sont mentionnées. a) Peine principale

La peine principale est en principe l’amende, son montant maximum étant égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par le règlement qui réprime l’infraction (art. 131-41 du Code pénal). Par exemple, le montant maximum de l’amende encourue par une personne morale pour une contravention de 5e classe est de 7 500 euros et de 15 000 euros si le règlement réprime la récidive. b) Peines alternatives

Pour les contraventions de la 5e classe, l’amende peut être remplacée par une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de droits prévues à l’article 131-42 du Code pénal (interdiction, pour une durée d’un an au plus, d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement et confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à servir à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit). Pour ces mêmes contraventions de la cinquième classe, la juridiction peut prononcer à la place ou en même temps que l’amende encourue par la personne morale la peine de sanction-réparation (art. 131-44-1 du Code pénal). c) Peines complémentaires

En application de l’article 131-43 du Code pénal, le règlement qui réprime la contravention peut prévoir : – quelle que soit la classe de la contravention, la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit, la confiscation de l’animal ayant été utilisé pour commettre l’infraction ou à l’encontre duquel l’infraction a été commise et l’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de détenir un animal ; – pour les contraventions de 5e classe uniquement, la peine complémentaire d’interdiction, pour une durée de 3 ans au plus, d’émettre des chèques. 266

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


Ces peines peuvent être prononcées en complément d’une peine principale mais également seules, à titre principal (art. 131-44 du Code pénal).

SECTION III

Contenu des peines La peine privative de liberté occupait une place centrale dans l’arsenal répressif du Code pénal de 1810. Les sanctions pénales se sont depuis lors diversifiées pour offrir au juge la possibilité d’individualiser la répression en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité des prévenus. Ce mouvement est confirmé par le nouveau Code pénal qui précise par ailleurs le contenu des peines les plus utilisées. Les sanctions pénales sont susceptibles d’atteindre le délinquant de différentes manières : le priver de sa liberté d’aller et venir ou seulement limiter celle-ci, affecter son patrimoine, ses droits ou sa réputation, lui imposer des prestations déterminées. Cependant, conformément aux principes fondamentaux, il n’existe plus en droit français de peines portant atteinte à l’intégrité corporelle ou à la vie du condamné.

§ 1.

Disparition des peines portant atteinte à l’intégrité corporelle ou à la vie

Le droit français a connu, que ce soit sous l’Ancien Régime, la Révolution ou l’Empire, des peines d’une extrême cruauté. Elles ont progressivement disparu, surtout dans la première moitié du XIXe siècle. La peine de mort a subsisté dans l’arsenal des peines jusqu’en 1981.

A) Les peines corporelles Les peines corporelles sont celles qui frappent l’individu dans son corps. Ces peines, caractérisées par leur cruauté, étaient légion sous l’Ancien Régime (par exemple, carcan, pilori, marquage au fer, fouet, mutilations diverses). Le Code pénal de 1810 en avait conservé quelques-unes, dont l’amputation du poing de l’auteur d’un parricide avant son exécution capitale ; ces peines ont cependant été rapidement supprimées, notamment par une loi du 28 avril 1832. Il n’existe plus de peines corporelles en droit pénal français et il ne saurait en être autrement, compte tenu de principes constitutionnels, notamment le principe de nécessité des peines posé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée au bloc de constitutionnalité, et internationaux, notamment l’interdiction des traitements inhumains et dégradants posée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, même si, de temps à autre, des voix s’élèvent pour réclamer telle ou telle sanction corporelle, comme la castration des délinquants sexuels. LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

267


B) La peine de mort La peine de mort avait été supprimée pour les infractions politiques par l’article 5 de la Constitution de 1848, puis rétablie par la suite en cette matière. Cependant, on y avait de moins en moins recours : en droit, elle n’était encourue que pour un nombre de plus en plus restreint d’infractions ; en fait, elle était de moins en moins prononcée et encore moins exécutée, les condamnés à mort bénéficiant d’une grâce du chef de l’État. Finalement, la peine de mort a été abolie en France par une loi du 9 octobre 1981 et remplacée, en ce qui concerne les infractions pour lesquelles elle était encourue, par la réclusion ou la détention criminelle à perpétuité. Le débat sur l’opportunité de son rétablissement pour certains crimes particulièrement odieux revient régulièrement. L’opinion publique, comme les politiques, reste divisée sur la question. De plus, elle demeure en vigueur et est effectivement appliquée dans certains États démocratiques, notamment dans la plus grande partie des États-Unis. Force est cependant de constater que la peine de mort recule dans le monde et que son abolition apparaît irréversible en France. D’une part, l’interdiction de la peine de mort est posée par de nombreux instruments internationaux auxquels la France est partie et qui ont, en vertu de l’article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle des lois. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, la peine de mort est d’abord incompatible avec la Convention européenne des droits de l’homme : la peine capitale, non en tant que telle mais du fait de la période d’attente relativement longue qui précède sa mise à exécution, est à l’origine d’un « syndrome du couloir de la mort » qui enfreint l’article 3 de la Convention prohibant les traitements inhumains (CEDH, 7 juillet 1989, Soering contre Royaume-Uni, série A, n° 161, à propos d’une décision d’extradition d’un individu vers les États-Unis, à des fins de jugement, où il encourait la peine de mort pour le crime dont il était accusé). L’abolition de la peine de mort est ensuite posée par le protocole additionnel n° 6 de la Convention européenne des droits de l’homme concernant l’abolition de la peine de mort du 28 avril 1983. Celui-ci énonce que « La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté » (art. 1er) et ne prévoit d’exceptions que « pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre » (art. 2). Enfin, allant plus loin, le protocole n° 13 du 3 mai 2002 à la Convention européenne des droits de l’homme abolit la peine de mort en toutes circonstances, donc y compris en temps de guerre et de danger imminent de guerre. Sur le plan universel, la peine de mort est proscrite par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, ratifié par la France le 29 janvier 1981, qui affirme le caractère inhérent du droit à la vie et interdit la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort et adopté à New York, le 15 décembre 1989. D’autre part, l’interdiction de la peine de mort est désormais inscrite dans la Constitution. La loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 a en effet créé un article 66-1 qui prévoit que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». L’interdiction de la peine de mort apparaît comme une valeur 268

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


fondamentale et intangible de la société française, applicable en toutes circonstances, y compris en cas d’utilisation de l’article 16 de la Constitution.

§ 2.

Les peines portant atteinte à la liberté d’aller et venir

Certaines peines ont pour objet de priver le condamné de la liberté d’aller et venir, d’autres simplement de la limiter.

A) Les peines privatives de liberté Les peines privatives de liberté consistent en l’incarcération du condamné pour une durée déterminée ou illimitée et sous un régime particulier. Il est important de noter que la privation de liberté n’est pas exclusivement une sanction pénale. La garde à vue, à la suite d’une interpellation, ou la détention provisoire, durant l’instruction préparatoire et avant jugement, ne sont pas des peines mais intéressent la procédure pénale. De même, ne sont pas des peines les mesures privatives de liberté prononcées par les autorités administratives, comme la rétention administrative des étrangers avant expulsion ou le placement des malades mentaux en établissement spécialisé. Toutefois, dans tous ces cas, la privation de liberté s’accompagne nécessairement de garanties destinées à éviter les abus et sauvegarder la liberté individuelle, notamment un recours devant l’autorité judiciaire. La liberté étant, avec la vie, un des biens les plus sacrés de l’homme, la privation de liberté a longtemps été la peine majeure du système répressif français. Si son effet intimidant est certain, ses inconvénients ne le sont pas moins, notamment sur le terrain de la récidive. En mettant les détenus en contact, la prison présente l’effet pervers d’être criminogène. Cette constatation a appelé deux séries de mesures. D’une part, pour éviter le prononcé de courtes peines d’emprisonnement, le législateur a mis à la disposition du juge un large éventail de peines, notamment des peines alternatives à l’emprisonnement (peines privatives de droits, suspension du permis de conduire, interdiction d’exercer une activité professionnelle, travail d’intérêt général…) et de techniques judiciaires pour suspendre son exécution si l’emprisonnement était prononcé (par exemple, les différentes formes de sursis). D’autre part, pour éviter que le détenu ne devienne un laissé pour compte, des mesures effectives d’éducation et de resocialisation ont été prévues pour accompagner la privation de liberté lorsqu’elle était prononcée et exécutée : semi-liberté, libération conditionnelle mais aussi humanisation des conditions carcérales. La peine privative de liberté reste celle encourue pour les infractions les plus graves (la totalité des crimes et la grande majorité des délits). En matière criminelle, la peine privative de liberté est soit la réclusion criminelle pour les infractions de droit commun, soit la détention criminelle pour les infractions politiques, selon l’échelle fixée à l’article 131-1 du Code pénal. En matière correctionnelle, la peine privative de liberté est l’emprisonnement, selon l’échelle fixée à l’article 131-4 du Code pénal. L’emprisonnement ne saurait excéder 10 ans, ce qui correspond à la durée minimum de la réclusion ou de LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

269


la détention criminelle. En dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l’article 132-19-1 du Code pénal (peines plancher, voir p. 316), une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate. Dans ce cas, la peine d’emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une mesure d’aménagement : semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique, fractionnement (art. 132-24 al. 3 du Code pénal). Enfin, il convient de rappeler qu’il n’existe plus de peine privative de liberté en matière contraventionnelle. L’emprisonnement contraventionnel qui, à la veille de son abrogation, pouvait atteindre deux mois a été supprimé par la loi du 19 juillet 1993 et n’a pas été repris par le Code pénal.

B) Les peines restrictives de liberté Les peines restrictives de liberté limitent la liberté d’aller et venir du condamné sans la supprimer complètement, en lui interdisant de pouvoir se rendre dans certains endroits. Comme la privation de liberté, les mesures restrictives de liberté ne constituent pas nécessairement des peines. Il en est ainsi de l’expulsion administrative d’un étranger, de l’assignation administrative à résidence ou de certaines obligations assortissant un sursis avec mise à l’épreuve. Le bannissement, peine criminelle qui emportait transport hors du territoire de la République française d’un citoyen français et interdiction de résider en France pour une durée de 5 à 10 ans, a été supprimé avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal. Du reste, cette peine qui n’était plus appliquée était contraire à l’article 3 du Protocole additionnel n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme, entré en vigueur à l’égard de la France le 3 mai 1974. Ce texte pose le principe que nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l’État dont il est le ressortissant, ni privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant. Les principales peines restrictives de liberté sont l’interdiction de séjour, l’interdiction du territoire français et l’interdiction de quitter la France. 1) L’interdiction de séjour L’interdiction de séjour est une peine qui emporte « défense de paraître dans certains lieux déterminés par la juridiction » et s’accompagne de mesures de surveillance et d’assistance (art. 131-31 al. 1 du Code pénal). Elle est encourue à titre complémentaire en matière criminelle et correctionnelle, pour une durée maximale de 10 ans en cas de condamnation pour crime, pour une durée maximale de 5 ans en cas de condamnation pour délit (art. 131-31 al. 2 du Code pénal). L’interdiction de séjour ne peut être prononcée à l’égard des mineurs (art. 20-4 de l’ordonnance du 2 février 1945) et cesse lorsque le condamné atteint l’âge de 65 ans (art. 131-32 al. 3 du Code pénal). 270

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


Autrefois attribuée au ministre de l’Intérieur, la compétence pour fixer la liste des localités et lieux interdits ainsi que les mesures de surveillance et d’assistance est, depuis le nouveau Code pénal, dévolue à la juridiction répressive. Le juge de l’application des peines peut ensuite modifier la liste des lieux interdits ou les mesures d’accompagnement (art. 131-31 al. 1 du Code pénal). Principalement destinée à prévenir la commission de nouvelles infractions, l’interdiction de séjour a donc un caractère préventif accentué. Les localités et les lieux qu’il est interdit au condamné de fréquenter seront en général ceux où il a commis l’infraction, où réside la victime de son forfait ou ceux où les risques de rechute sont grands. L’interdiction de séjour s’accompagne, en outre, de mesures de surveillance qui consisteront pour le condamné à se présenter périodiquement à certains services ou autorités désignés par la décision de condamnation, à informer le juge de l’application des peines de tout déplacement au-delà de limites déterminées, à répondre aux convocations des autorités ou personnes désignées par le juge et à informer le juge de l’application des peines de tout changement de résidence (art. 762-1 et 762-2 du Code de procédure pénale). Elle s’accompagne également de mesures d’assistance ayant pour objet de faciliter le reclassement social du condamné (art. 762-3 du Code de procédure pénale). 2) L’interdiction du territoire français L’interdiction du territoire français est l’interdiction faite à un étranger de résider ou séjourner sur le sol français. L’interdiction du territoire français d’un étranger, peine restrictive de liberté prononcée par le juge pénal, ne doit pas être confondue avec l’expulsion d’un étranger du territoire français, mesure administrative prononcée par arrêté du ministre de l’Intérieur (théoriquement indépendamment de toute infraction) si la présence de l’étranger sur le territoire français « constitue une menace grave pour l’ordre public » (art. L. 521-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers). L’interdiction du territoire français est une peine complémentaire en matière criminelle ou correctionnelle. Elle peut être prononcée à titre définitif ou pour une durée de 10 ans au plus et entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant après expiration de sa peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle, l’application de l’interdiction du territoire accompagnant une peine privative étant suspendue pendant le délai d’exécution de la peine (art. 131-30 du Code pénal). Ce type de mesures peut poser un problème de compatibilité avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel garantit le droit au respect de la vie privée et familiale et, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, interdit l’expulsion des étrangers intégrés (CEDH, arrêt du 21 juin 1988, Berrehab contre Pays-Bas, série A, n° 138 ; arrêt du 18 février 1991, Moustaquim contre Belgique, série A, n° 193 ; arrêt du 26 mars 1992, Beldjoudi contre France, série A, n° 234 A ; arrêts relatifs à des décisions administratives d’expulsion). Pour cette raison, le législateur a cherché à plusieurs reprises (en dernier lieu, par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité) à mettre fin aux situations les plus injustes régulièrement dénoncées sous les termes de « double peine » (qui se définit comme le fait, pour les étrangers qui commettent une infraction sur le territoire national, de faire LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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l’objet, en plus d’une peine de prison, d’une mesure d’éloignement qui prend la forme, soit d’une interdiction du territoire français prononcée par le juge pénal, soit d’une mesure d’expulsion prononcée par l’autorité administrative) et à trouver un équilibre satisfaisant entre les impératifs que sont la préservation de l’ordre public et le respect de la vie privée et familiale. En conséquence, certains étrangers, en raison du lien particulièrement fort qui les rattache à la France, bénéficient d’une protection en matière d’interdiction du territoire français. Trois catégories peuvent à cet égard être distinguées, le juge, lorsqu’il entend prononcer la peine, étant tenu de rechercher si les prévenus se trouvent ou non dans l’une des situations (Cass. crim., 4 oct. 2006, Droit pénal 2007, comm. n° 17) : • Certains étrangers bénéficient d’une protection relative. Il s’agit d’étrangers qui ont des liens avec la France sans que l’on puisse considérer qu’ils y ont construit toute leur vie personnelle. Dans ce cas, l’interdiction du territoire doit faire l’objet d’une motivation spéciale en application de l’article 13130-1 du Code pénal. En matière correctionnelle, le tribunal ne peut en effet prononcer l’interdiction du territoire français que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l’infraction et de la situation personnelle et familiale de l’étranger lorsqu’est en cause : – un étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; – un étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné sa condamnation, que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; – un étranger qui justifie par tous moyens qu’il réside habituellement en France depuis plus de quinze ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention étudiant ; – un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention étudiant ; – un étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %. Lorsqu’il prononce la peine d’interdiction du territoire français à l’encontre d’un étranger relevant de ces catégories, le juge ne peut pas justifier son choix au regard de la seule gravité des faits (Crim., 11 janvier 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 59). Il lui revient de rechercher si la mesure respecte un juste équilibre entre d’une part, le droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé et d’autre part, les impératifs de sûreté publique et de prévention des infractions pénales prévus par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par parallélisme, cette obligation de motivation spéciale s’impose également au juge lorsqu’il se prononce sur une requête en relèvement d’une interdiction du territoire français (Crim., 28 février 2001, Bull. crim. n° 55 ; 13 mars 2001, Bull. crim. n° 63 ; sur le relèvement, voir p. 389). 272

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


• D’autres étrangers bénéficient d’une protection quasi absolue contre les mesures d’éloignement, dans la mesure où celles-ci peuvent s’apparenter, en ce qui les concerne, à un véritable bannissement ou provoquer l’éclatement de familles stables. En vertu de l’article 131-30-2 du Code pénal, la peine d’interdiction du territoire français ne peut pas être prononcée lorsqu’est en cause : – un étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ; – un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; – un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins quatre ans avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné sa condamnation et que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage ou, sous les mêmes conditions, avec un ressortissant étranger résidant en France habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ; – un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; – un étranger qui réside en France sous couvert du titre de séjour prévu par le 11° de l’article L. 313-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers, c’est-à-dire délivré à un étranger dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. Un nombre réduit d’exceptions est toutefois prévu, fonction de la gravité de l’infraction et parce qu’elles sont de nature à relativiser la force du lien qui unit l’étranger concerné à la France : d’une part, le bénéfice de la protection n’est pas accordé à l’étranger marié à un ressortissant français ou à un ressortissant étranger résidant en France depuis au plus l’âge de treize ans ou parent d’un enfant français mineur, lorsque les faits à l’origine de la condamnation ont été commis à l’encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale ; d’autre part, ces dispositions ne sont pas applicables aux atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, aux actes de terrorisme, aux infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous et aux infractions en matière de fausse monnaie. • Enfin, l’interdiction du territoire français n’est pas applicable aux mineurs, qui bénéficient par conséquent d’une protection absolue (art. 20-4 de l’ordonnance du 2 février 1945). Au regard du droit de l’Union européenne, lequel permet de déroger au principe de libre circulation des travailleurs sur le territoire de l’Union pour des motifs de sauvegarde de l’ordre public, la Cour de justice de l’Union euroLARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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péenne a estimé que l’expulsion ou l’éloignement du territoire ne pouvait pas être ordonné à la suite d’une condamnation pénale, dans un but de dissuasion à l’égard d’autres étrangers, de prévention collective. Une telle mesure ne peut se fonder que sur le comportement personnel de l’intéressé, qui doit donner concrètement lieu à penser qu’il commettra d’autres infractions graves de nature à troubler l’ordre public dans l’État membre d’accueil (CJCE, 26 février 1975, Bonsignore, aff. 67/74, Rec. p. 297 ; 27 octobre 1977, Bouchereau, aff. 30/77, Rec. p. 1999 ; 10 février 2000, Nazli, aff. C340/97). Par conséquent, une sanction obligatoire qui consiste dans l’expulsion d’étrangers coupables de délits d’acquisition et de détention de stupéfiants pour seul usage personnel est contraire aux dispositions communautaires relatives à la libre circulation des personnes, dès lors qu’elle frappe des ressortissants d’autres États membres (CJCE, 19 janvier 1999, aff. C-348/96, Calfa, JCP 1999, II, 10104, à propos d’une législation grecque). 3) L’interdiction de quitter le territoire de la République française Cette peine qui apparaît comme la peine inverse de celle de l’interdiction du territoire français, oblige le condamné à demeurer en France, en lui interdisant de se rendre à l’étranger. Elle est encourue à titre complémentaire pour une durée de 5 ans au plus pour quelques infractions, comme les agressions sexuelles commises sur des mineurs et le trafic de stupéfiants (art. 222-47 al. 2 du Code pénal), le proxénétisme (art. 225-20 6° du Code pénal), l’ensemble des atteintes aux mineurs et à la famille prévues par le Code pénal (art. 227-29 4° du Code pénal) ou encore l’emploi habituel de mineurs à la mendicité (art. L. 4741-8 du Code du travail). Cette peine succède au retrait du passeport, peine encourue sous l’empire de l’ancien Code pénal pour certaines infractions. Toutefois, aucune disposition générale du Code pénal ne réglemente son régime d’exécution ni ne prévoit de mesures de surveillance ou d’accompagnement.

§ 3.

Les peines portant atteinte au patrimoine

Certaines peines sont dites patrimoniales dans la mesure où elles atteignent le condamné dans son patrimoine. Elles consistent soit dans l’obligation à la charge du condamné de payer à l’État une somme d’argent (amende et joursamendes), soit dans l’obligation d’indemniser la victime (sanction-réparation), soit dans l’obligation à la charge du condamné de remettre à l’État tout ou partie de son patrimoine ou un ou plusieurs biens déterminés (confiscation).

A) L’amende L’amende est la peine qui oblige le condamné à payer à l’État une somme d’argent. C’est donc une sanction pécuniaire. L’amende doit être distinguée des dommages et intérêts de nature civile versés à la victime de l’infraction à titre de réparation du préjudice subi. Elle doit également être distinguée de sanctions pécuniaires qui ne sont pas des peines, comme les amendes administratives prononcées par les autorités administratives indépendantes (Conseil de la concurrence, Conseil supérieur de l’audiovisuel, Autorité des marchés financiers) ou les amendes fiscales et doua274

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


nières qui, bien que parfois prononcées par le juge répressif, ne suivent pas le même régime que l’amende pénale. L’amende présente en tant que peine d’indéniables avantages. Elle est proportionnable, réparable en cas d’erreur judiciaire… et rapporte à l’État un bénéfice financier, au lieu de ponctionner les finances publiques comme le fait l’emprisonnement. Toutefois, elle présente également des inconvénients : celui d’affecter non seulement le condamné mais également sa famille, privée ainsi d’une partie des revenus du condamné ; celui d’être inégale, puisque l’amende affecte différemment les délinquants selon leur fortune et leurs revenus personnels. Pour ces différentes raisons, l’article 132-24 du Code pénal précise que, dans les limites déterminées par la loi, le montant de l’amende est fixé par le juge en tenant compte des circonstances de l’infraction ainsi que des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction. Cette disposition ne lui impose toutefois pas de motiver spécialement sa décision à cet égard (Crim., 22 octobre 1998, Bull. crim. n° 276 ; 22 octobre 2008, Droit pénal 2009, comm. n° 1). S’agissant de son domaine, on rappellera que l’amende est une peine principale en matière correctionnelle et contraventionnelle et qu’elle peut même être prévue par la loi en matière criminelle. S’agissant de son montant, aucune limite maximale n’est imposée en matière criminelle. En matière correctionnelle, aucune limite supérieure n’est posée. Le montant de l’amende encourue ne saurait par contre être inférieur à 3 750 euros (art. 329 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992). En matière contraventionnelle, le montant maximum de l’amende varie selon la classe de la contravention (art. 131-13 du Code pénal). On rappellera également que pour les personnes morales, le montant maximum de l’amende est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction. Le législateur qui décide de prévoir une amende pour réprimer une infraction fixe en règle générale une somme maximale précise dans le texte réprimant. Toutefois, pour certaines infractions, la loi établit une amende proportionnelle, par référence à un élément déterminé, par exemple l’objet de l’infraction ou le profit réalisé par le délinquant. Ainsi, si le recel est normalement puni, outre d’une peine d’emprisonnement, d’une amende de 375 000 euros en cas de recel simple et de 750 000 euros en cas de recel aggravé, la loi prévoit que ces peines d’amendes « peuvent être élevées au-delà de 375 000 euros jusqu’à la moitié de la valeur des biens recelés » (art. 321-3 du Code pénal). De même, la construction sans permis de construire est punie d’une amende dont le maximum est soit de 300 000 euros, soit de 6 000 euros par mètre carré de construction irrégulière (art. L. 480-4 du Code de l’urbanisme). Les délits fiscaux et douaniers, réprimés par le Code général des impôts et le Code des douanes, sont fréquemment sanctionnés par des amendes proportionnelles, par référence au montant de la fraude ou des objets, biens et valeurs sur lesquels a porté la fraude.

B) La peine de jours-amendes La peine de jours-amendes a été introduite en droit français par une loi du 10 juin 1983. Cette sanction pécuniaire crée à la charge du condamné, chaque jour pendant une période déterminée, une dette au profit de l’État, le montant LARCIER

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global étant exigible à l’expiration du délai correspondant au nombre de joursamendes fixé par le juge (art. 131-25 al. 1 du Code pénal). Autrement dit, le condamné « économise » chaque jour une somme déterminée pendant une certaine période et verse le tout à l’État à la fin de cette période. La différence est nette avec l’amende simple, exigible dès l’instant où le jugement de condamnation est exécutoire. La peine de jours-amendes peut être prononcée en matière correctionnelle comme peine alternative à l’amende lorsque le délit est punissable d’une peine d’emprisonnement (art. 131-5 et 131-9 al. 3 du Code pénal). Lorsqu’elle prononce la peine de jours-amendes, la juridiction fixe à la fois le nombre de jours-amendes (en tenant compte des circonstances de l’infraction) qui ne saurait toutefois excéder 360, ainsi que le montant de la contribution journalière (en tenant compte des ressources et des charges du prévenu) qui ne saurait excéder 1 000 euros (art. 131-5 du Code pénal). Le défaut total ou partiel du paiement de ce montant entraîne l’incarcération du condamné pour une durée qui correspond au nombre de jours-amendes impayés (art. 131-25 al. 2 du Code pénal).

C) La sanction-réparation La sanction-réparation consiste dans l’obligation pour le condamné de procéder, dans le délai et selon les modalités fixés par la juridiction, à l’indemnisation du préjudice de la victime. Avec l’accord de la victime et du prévenu, la réparation peut être exécutée en nature. Elle peut alors consister dans la remise en état d’un bien endommagé à l’occasion de la commission de l’infraction ; cette remise en état est réalisée par le condamné lui-même ou par un professionnel qu’il choisit et dont il rémunère l’intervention. L’exécution de la réparation est constatée par le procureur de la République ou son délégué. La sanction-réparation peut toujours être prononcée en matière correctionnelle à la place ou en même temps que la peine d’emprisonnement lorsque le délit est puni d’une peine d’emprisonnement ou à la place ou en même temps que la peine d’amende lorsque le délit est puni à titre de peine principale d’une seule peine d’amende (art. 131-8-1 du Code pénal). Elle peut également être prononcée à la place ou en même temps que l’amende pour toutes les contraventions de la 5e classe (art. 131-15-1 du Code pénal ; voir également en ce qui concerne les personnes morales, les articles 131-39-1 et 131-44-1 du Code pénal). Lorsqu’elle prononce la peine de sanction-réparation, la juridiction fixe la durée maximum de l’emprisonnement (qui ne peut excéder six mois) ou le montant maximum de l’amende (qui ne peut excéder 15 000 euros en matière correctionnelle ni 1 500 euros pour les contraventions de la 5e classe), dont le juge de l’application des peines pourra ordonner la mise à exécution en tout ou partie si le condamné ne respecte pas l’obligation de réparation. Le président de la juridiction en avertit le condamné après le prononcé de la décision. 276

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D) La confiscation Énumérée parmi les peines privatives ou restrictives de droits par le Code pénal, la confiscation est en réalité une peine affectant le patrimoine du condamné. Elle s’analyse en effet comme la dépossession, par l’État et à son profit, de l’ensemble des biens ou d’un objet particulier appartenant au condamné. Elle peut donc être générale ou spéciale. La confiscation générale qui consiste pour l’État à déposséder le condamné de tout ou partie de son patrimoine, porte atteinte au principe de la personnalité des peines en affectant également la famille du condamné. C’est la raison pour laquelle elle a été supprimée en tant que peine générale par une loi de 1832. Elle est aujourd’hui une peine exceptionnelle prévue dans certaines dispositions spéciales, en tant que peine complémentaire pour quelques infractions, comme les crimes contre l’humanité (art. 213-1 4° et 213-3 2° du Code pénal), le trafic de stupéfiants (art. 222-49 al. 2 du Code pénal), la traite des êtres humains et le proxénétisme (art. 225-25 du Code pénal), le blanchiment (art. 324-7 12° du Code pénal), la fausse monnaie (art. 442-16 du Code pénal) ou les actes de terrorisme (art. 422-6 du Code pénal). La confiscation spéciale, plus largement encourue, consiste pour l’État à déposséder le condamné d’un ou plusieurs objets déterminés, sachant que lorsque la chose confisquée n’a pas été saisie ou ne peut être représentée (par exemple si elle a disparu), la confiscation est ordonnée en valeur. La chose confisquée est alors dévolue à l’État qui pourra la vendre. Des dispositions spéciales peuvent également prévoir la destruction de la chose confisquée, par exemple une chose dangereuse ou nuisible, ou son attribution à une personne ou une institution déterminée (art. 131-21 al. 8 et 9 du Code pénal ; voir également l’art. 131-21-1 pour la confiscation d’un animal). Pour les personnes physiques, la confiscation spéciale est soit une peine alternative pour les délits et les contraventions de la 5e classe, soit une peine complémentaire en matière criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle. La peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement mais également de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an. Toutefois, par respect de la liberté d’expression, ces confiscations ne peuvent jamais être prononcées en matière de délit de presse (art. 131-21 al. 1, 131-6 10° et 13114 6° du Code pénal). La confiscation porte : – sur les biens qui sont l’objet de l’infraction, par exemple l’arme portée sans autorisation, les objets contrefaits, l’objet volé. Les biens qui sont susceptibles d’être restitués à la victime ne sont pas confisqués ; – sur tous les biens ayant servi à commettre l’infraction ou qui étaient destinés à la commettre, c’est-à-dire qui constituent l’instrument de l’infraction, par exemple l’arme dans l’homicide volontaire, les filets de pêche ou les bateaux utilisés pour capturer illégalement des poissons ; – sur tous les biens qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction, par exemple les sommes d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants ou les biens achetés avec cet argent. S’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeuLARCIER

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bles, quelle qu’en soit la nature, appartenant au condamné, lorsque celuici n’a pu en justifier l’origine. Autrement dit, l’origine occulte des biens est présumée (art. 131-21 al. 2, 3 et 5 du Code pénal). En dehors de ces hypothèses, la confiscation peut porter sur tout bien meuble ou immeuble défini par la loi ou le règlement réprimant l’infraction (art. 131-21 al. 4 du Code pénal), même si l’objet n’a aucun lien avec l’infraction réalisée. Les dispositions générales du Code pénal mentionnent notamment, à titre de peines alternatives, la confiscation d’un ou plusieurs véhicules appartenant au condamné, la confiscation d’une ou plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition. Les dispositions pénales spéciales envisagent également des peines complémentaires portant confiscation d’un objet précis pour réprimer une infraction déterminée. Ainsi, l’article 225-22 3° du Code pénal envisage la confiscation du fonds de commerce pour une infraction assimilée au proxénétisme. Si la confiscation est en principe facultative (le juge ayant la liberté de prononcer ou non cette peine), elle est obligatoire dans deux hypothèses : – d’une part, la confiscation est obligatoire « pour les objets qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement, ou dont la détention est illicite » (art. 131-21 al. 7 du Code pénal). En présence d’objets de la sorte, la juridiction est tenue d’en ordonner la confiscation même si cette peine n’a été prévue qu’à titre facultatif par le texte réprimant ; – d’autre part, la confiscation est obligatoire lorsque la loi en dispose ainsi. En matière d’atteinte à la vie privée, c’est le cas des appareils non autorisés, conçus pour intercepter des correspondances émises ou reçues par la voie des télécommunications ou pour capter des conversations privées et dont il est fait un commerce ou une publicité (art. 226-31 5° du Code pénal). En matière de fausse monnaie, il en est de même pour les pièces de monnaie et les billets de banque contrefaits ou falsifiées, les matières et instruments destinés à servir à leur fabrication, les objets, imprimés ou formules qui présenteraient avec des pièces de monnaie ou billets de banque une ressemblance de nature à faciliter leur acceptation (art. 442-13 al. 2 et 4 du Code pénal). En principe, la confiscation ne porte que sur les objets dont le condamné est propriétaire (par exemple, Crim., 13 avril 1999, Bull. crim. n° 74 : véhicule ayant servi à commettre le délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier d’étrangers en France, qui avait été prêté de bonne foi par son propriétaire à l’auteur de l’infraction). Il ne saurait en être autrement qu’en présence soit d’objets qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement ou dont la détention est illicite (art. 131-21 al. 7 du Code pénal), soit d’exceptions expressément posées par la loi. Ainsi, en matière de trafic de stupéfiants, l’article 222-49 du Code pénal impose la confiscation des installations, matériels et biens ayant servi à commettre l’infraction et du produit de l’infraction « à quelque personne qu’ils appartiennent (…) dès lors que leur propriétaire ne pouvait en ignorer l’origine ou l’utilisation frauduleuse ». De même, l’article L. 2342-80 du Code de la défense impose, pour les infractions à la législation sur les armes chimiques, la confiscation des armes chimiques et produits chimiques « à quelque personne qu’ils appartiennent et en quelque lieu qu’ils se trouvent ». 278

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


§ 4.

Les peines portant obligation de faire

Ces peines sont intéressantes dans la mesure où elles demandent au condamné la réalisation d’une prestation particulière, d’une obligation positive. Les obligations de faire sont diverses. En tant que peine, l’obligation de faire peut prendre quatre formes principales : exécuter un travail au profit de la collectivité, faire cesser le trouble causé par l’infraction, se soumettre à des mesures de surveillance et suivre un traitement médical, enfin, accomplir un stage.

A) Le travail d’intérêt général Le travail d’intérêt général est une peine qui consiste pour le condamné à effectuer un travail non rémunéré au profit soit d’une personne morale de droit public soit d’une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, ou d’une association habilitées (art. 131-8 al. 1 du Code pénal). Nous verrons ultérieurement (p. 338) que le travail d’intérêt général n’est pas nécessairement une peine mais peut également accompagner un sursis. Introduit en droit français par une loi du 10 juin 1983, le travail d’intérêt général a pour vocation principale d’éviter le prononcé d’une peine d’emprisonnement de courte durée qui peut avoir des effets contraires à ceux escomptés. Cette peine apparaît en quelque sorte comme un instrument de resocialisation par le travail. L’article R. 131-19 du Code pénal oblige d’ailleurs le juge de l’application des peines à fixer la liste des travaux « en tenant compte (…) des perspectives d’insertion sociale ou professionnelle qu’ils offrent aux condamnés ». S’agissant des mineurs de 16 à 18 ans à l’égard desquels cette mesure peut s’appliquer, l’article 20-5 de l’ordonnance du 2 février 1945 prévoit que les travaux devront être adaptés aux mineurs et présenter un caractère réformateur ou de nature à favoriser l’insertion sociale des jeunes condamnés. La prestation effectuée par le « tigiste » au profit d’une personne morale de droit public, par exemple une collectivité locale, ou d’une association habilitée revêt le plus souvent un caractère social. Il s’agira par exemple de débroussailler un bois, nettoyer des plages ou un parc, effacer des graffitis, des tags ou les conséquences d’actes de vandalisme sur des équipements publics, assister des personnes âgées ou malades, mais aussi d’effectuer des taches de manutention ou de secrétariat dans l’institution hôte. Lorsque la personne a été condamnée pour un délit prévu par le Code de la route, pour un délit d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne commises à l’occasion de la conduite d’un véhicule ou pour délit de fuite, elle accomplit de préférence la peine de travail d’intérêt général dans un établissement spécialisé dans l’accueil des blessés de la route (art. 131-22 al. 3 du Code pénal). Cette activité, non rémunérée, n’empêche bien entendu pas le condamné d’exercer parallèlement une activité professionnelle. Le travail d’intérêt général est soit une peine alternative à l’emprisonnement (art. 131-8 al. 1 et 131-9 al. 1 du Code pénal), soit une peine complémentaire pour les contraventions de la 5e classe (art. 131-17 al. 2 du Code pénal). Exceptionnellement et lorsque la loi le prévoit, il s’agit également d’une peine complémentaire pour certains délits comme la conduite d’un véhicule en état d’ivresse, sous l’empire d’un état alcoolique ou sous l’influence de substances ou plantes classées LARCIER

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comme stupéfiants (art. L. 234-2 et L. 235-1 du Code de la route). La loi en a même fait une peine principale pour les auteurs de « tags » (art. 322-1 à 322-3 du Code pénal). Le travail d’intérêt général est prononcé par le juge pour une durée de 20 à 210 heures pour un délit, de 20 à 120 heures pour une contravention de la 5e classe. La juridiction fixe également le délai durant lequel le travail d’intérêt général devra être accompli, ce délai ne pouvant excéder un maximum de 18 mois (art. 131-22 al. 1 du Code pénal). Durant cette période, le condamné doit satisfaire à diverses mesures de contrôle, comme répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du travailleur social désigné ou recevoir les visites de ce dernier (art. 131-22 al. 4 et 132-55 du Code pénal). Condition essentielle, le travail d’intérêt général ne peut être prononcé par le juge que si le prévenu est présent à l’audience et que s’il est expressément accepté par l’intéressé (art. 131-8 al. 2 du Code pénal). Le prévenu a donc le droit de refuser d’exécuter un travail d’intérêt général, particularisme qui s’explique d’une part parce que l’on ne voit pas très bien comment le condamné pourrait effectuer son travail s’il y met de la mauvaise volonté, d’autre part par le fait que certains textes internationaux, auxquels la France est partie, interdisent le travail forcé et obligatoire. C’est notamment le cas de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme qui ne prévoit de dérogation en matière pénale que pour le travail requis d’une personne en détention ou en liberté conditionnelle.

B) Obligations ayant pour objet de faire cesser le trouble causé par l’infraction Des obligations de cette nature peuvent accompagner un ajournement (dans le cadre de l’ajournement avec injonction, voir p. 298 ) ou un sursis (dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve, voir p. 334). Pour certaines infractions, la loi autorise le juge à ordonner au condamné de cesser l’infraction ou de réparer ses conséquences dommageables, le plus souvent dans le délai déterminé par lui et sous astreinte, c’est-à-dire sous la menace de payer une somme précise par jour de retard dans l’exécution de la prestation. À titre d’exemple, les articles L. 480-5 à L. 480-9 du Code de l’urbanisme confèrent au juge, en cas de construction irrégulière, la possibilité d’imposer au condamné de procéder à la démolition de celle-ci, de mettre les lieux ou la construction en conformité avec la réglementation en vigueur ou encore de remettre les lieux en leur état antérieur. Pour la Cour de cassation, la mise en conformité des lieux ou des ouvrages, la démolition de ces derniers ou la réaffectation du sol constituent des mesures à caractère réel destinées à faire cesser une situation illicite, et non des sanctions pénales. Cette nature explique leur régime particulier. À titre d’exemple, ces mesures ne peuvent pas être prononcées à titre principal en application de l’article 13111 du Code pénal car elles ne constituent pas des peines complémentaires (Crim., 8 juin 1989, Bull. crim. n° 248 ; 20 mars 2001, Bull. crim. n° 73 ; 2 octobre 2007, Droit pénal 2007, comm. n° 162 ; 30 octobre 2007, Droit pénal 2008, comm. n° 4). 280

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C) Le suivi sociojudiciaire Une mesure originale a été introduite en droit pénal français par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles et à la protection des mineurs : le suivi sociojudiciaire (art. 131-36-1 à 131-36-8 du Code pénal ; art. 763-1 à 763-9 et R. 61 et suivants du Code de procédure pénale ; art. L. 3711-1 et suivants et R. 3711-1 et suivants du Code de la santé publique). 1) Conditions du prononcé du suivi Même si son régime juridique peut paraître ambigu, le suivi sociojudiciaire est une peine complémentaire (la loi modifie d’ailleurs l’article 131-10 du Code pénal relatif aux peines complémentaires applicables en matière criminelle et délictuelle pour y inclure l’injonction de soins et l’obligation de faire). L’objectif de cette mesure est de traiter et neutraliser les individus auteurs de crimes et délits particulièrement odieux et de prévenir la récidive. Elle est actuellement attachée au meurtre et à l’assassinat (art. 221-9-1 du Code pénal), aux tortures et actes de barbarie, au viol et aux autres agressions sexuelles, aux violences commises soit par le conjoint, le concubin, l’ancien conjoint ou l’ancien concubin de la victime, soit sur un mineur de quinze ans par un ascendant ou par toute autre personne ayant autorité (art. 222-48-1 du Code pénal), aux infractions de mise en péril des mineurs (art. 227-31 du Code pénal), aux crimes d’enlèvement et de séquestration (art. 224-10 du Code pénal), aux infractions de destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes, ce qui vise en particulier les auteurs d’incendies de forêt (art. 322-18 du Code pénal). Le suivi sociojudiciaire et les mesures de contrôle qu’il implique, ne s’appliquent donc pas exclusivement aux crimes présentant un caractère sexuel. La durée maximale du suivi est : – de dix ans en cas de condamnation pour délit. Cette durée peut toutefois être portée à vingt ans par décision spécialement motivée de la juridiction de jugement ; – de vingt ans en cas de condamnation pour crime. Lorsqu’il s’agit d’un crime puni de trente ans de réclusion criminelle, cette durée est de trente ans. Enfin, lorsqu’il s’agit d’un crime puni de la réclusion criminelle à perpétuité, la cour d’assises peut décider que le suivi sociojudiciaire s’appliquera sans limitation de durée, le tribunal de l’application des peines pouvant néanmoins y mettre fin à l’issue d’une période de trente ans (art. 131-36-1 al. 2 du Code pénal). Le suivi peut être ordonné : – soit à titre complémentaire, en plus de la peine privative de liberté. Cette dernière est alors exécutée dans un établissement pénitentiaire qui permet un suivi médical et psychologique adapté. Le suivi sociojudiciaire est suspendu en cas de détention et s’applique, sauf éventuellement pour le traitement médical qui peut être entrepris immédiatement avec l’accord du LARCIER

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condamné, à compter du jour où la privation de liberté prend fin. Dans ce cas, la mesure permet d’assister, de surveiller et de soigner le condamné à sa sortie de l’établissement pénitentiaire pour prévenir la récidive. Compte tenu des obligations imposées dans le cadre du suivi, ce dernier ne peut pas être prononcé en même temps qu’un emprisonnement assorti, en tout ou en partie, d’un sursis avec mise à l’épreuve (art. 131-36-6 du Code pénal) ; – soit à titre principal à la place de l’emprisonnement, mais uniquement en matière correctionnelle (art. 131-36-7 du Code pénal). 2) Contenu du suivi Le suivi sociojudiciaire emporte obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines, à des mesures de surveillance et d’assistance, que celui-ci peut modifier ou compléter (art. 763-3, al. 1 du Code de procédure pénale). Pour cette raison, une personne ne peut être soumise en même temps aux obligations d’un suivi sociojudiciaire et à celles d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’une libération conditionnelle (art. R. 61-6 du Code de procédure pénale). Le suivi sociojudiciaire peut également comprendre le placement sous surveillance électronique mobile et une obligation de soins. • Les mesures de surveillance sont les mesures de contrôle et les obligations supplémentaires prévues respectivement par les articles 132-44 et 13245 du Code pénal dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve (voir p. 336). Les premières sont automatiquement applicables ; les secondes peuvent être imposées par la juridiction de condamnation ou le juge de l’application des peines (art. 131-36-2 du Code pénal). • Les mesures d’assistance sont destinées à soutenir les efforts du condamné en vue de sa réinsertion sociale (art. 131-36-3 du Code pénal). • Le suivi sociojudiciaire peut également comprendre, à titre de mesure de sûreté, le placement sous surveillance électronique mobile (art. 131-36-9 à 131-16-13 du Code pénal et 763-10 à 763-14 du Code de procédure pénale ; le placement sous surveillance électronique mobile peut également être décidé dans le cadre de la surveillance judiciaire ou d’une libération conditionnelle, voir respectivement p. 369 et p. 372 ; il peut également être ordonné avant jugement en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, si les obligations du contrôle judiciaire se révèlent insuffisantes). Ce dispositif, créé par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, impose au condamné le port à sa sortie de prison d’un bracelet électronique mobile ayant recours à la technologie du GPS, permettant ainsi sa localisation à distance, en tout lieu et à toute heure. Il constitue donc un moyen de contrôle et de surveillance des condamnés les plus dangereux. Il s’agit par conséquent d’une mesure de sûreté, et non d’une alternative à l’incarcération. Le placement sous surveillance électronique mobile est soumis à plusieurs conditions : – il est subordonné au prononcé du suivi sociojudiciaire, donc limité aux infractions pour lesquelles la loi a expressément prévu la possibilité pour la juridiction de jugement de décider un suivi sociojudiciaire ; 282

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– il ne peut être ordonné qu’à l’encontre d’une personne condamnée à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à sept ans. Cela signifie que le dispositif est réservé aux délinquants lourdement condamnés, c’est-à-dire les plus dangereux ; – il ne peut être ordonné qu’à l’encontre d’une personne majeure : il n’est pas autorisé pour les mineurs ; – il n’est applicable qu’aux personnes dont une expertise médicale a constaté la dangerosité, lorsque cette mesure apparaît indispensable pour prévenir la récidive à compter du jour où la privation de liberté prend fin ; – il suppose le consentement de l’intéressé. Le refus de cette mesure ou le manquement aux obligations qu’elle comporte est sanctionné par une peine d’emprisonnement dont la durée est fixée lors du prononcé du suivi sociojudiciaire par la juridiction de jugement (voir ci-après). La décision de placement sous surveillance électronique mobile relève d’abord de la juridiction de jugement et est soumise à des obligations procédurales spécifiques. Lorsqu’il est ordonné par le tribunal correctionnel, le placement doit faire l’objet d’une décision spécialement motivée. Lorsqu’il est ordonné par la cour d’assises, il est décidé dans les conditions de majorité prévues par l’article 362 du Code de procédure pénale pour le prononcé du maximum de la peine, à savoir la majorité de huit voix sur douze en première instance et la majorité de dix voix sur quinze en appel. Cependant, même si la juridiction de jugement n’a pas prononcé le placement sous surveillance électronique mobile, le juge de l’application des peines pourra néanmoins l’ordonner au cours du suivi sociojudiciaire, après avoir évalué la dangerosité du condamné (art. 763-3 al. 4 du Code de procédure pénale). Le dispositif emporte l’obligation pour le condamné de porter un émetteur permettant « à tout moment » de déterminer à distance sa localisation sur l’ensemble du territoire national. Il est installé sur le condamné au plus tard une semaine avant sa libération et mis en œuvre, pour prévenir la récidive, « à compter du jour où la privation de liberté prend fin ». L’exécution de la mesure incombe au juge de l’application des peines. Il lui revient d’abord d’évaluer la dangerosité de l’intéressé : un an au moins avant la date prévue de sa libération, la personne condamnée au placement sous surveillance électronique mobile fait l’objet d’un examen destiné à évaluer sa dangerosité et à mesurer le risque de commission d’une nouvelle infraction. Cette décision est prise par le juge de l’application des peines dans les conditions fixées à l’article 712-6 du Code de procédure pénale, c’est-à-dire à l’issue d’un débat contradictoire, tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l’application des peines entend les réquisitions du ministère public, les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat. L’évaluation de la dangerosité de la personne peut donc intervenir à deux stades : d’abord avant la décision de placement sous surveillance électronique mobile par la juridiction de jugement sous la forme d’une expertise médicale ; ensuite avant la décision du juge de l’application des peines sous la forme d’un examen destiné à évaluer la dangerosité de l’intéressé et le risque de récidive. Au vu de ce dernier examen, le juge de l’application des peines détermine, selon les mêmes modalités (débat contradictoire), la durée pendant laquelle le condamné sera effectivement placé sous surveillance électronique mobile, LARCIER

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c’est-à-dire astreint au port du bracelet électronique. Cette durée ne peut excéder deux ans, renouvelable une fois en matière délictuelle et deux fois en matière criminelle. Six mois avant l’expiration du délai fixé, le juge de l’application des peines statue sur l’éventuelle prolongation du placement sous surveillance électronique mobile. À défaut de prolongation, il est mis fin immédiatement au placement. Par ailleurs, pendant la durée du placement, le juge de l’application des peines peut, d’office, sur réquisition du procureur de la République ou à la demande du condamné, modifier, compléter, voire supprimer les obligations liées au placement. On relèvera par ailleurs que le contrôle à distance de la localisation du condamné fait l’objet d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, mis en œuvre conformément aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Dans le cadre des recherches relatives à une procédure concernant un crime ou un délit, les officiers de police judiciaire spécialement habilités à cette fin seront autorisés à consulter les données figurant dans ce traitement. • Sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à un suivi sociojudiciaire est soumise à une injonction de soins après expertise médicale établissant qu’elle peut être traitée. Le traitement peut également avoir lieu à la libération, sauf décision contraire du juge de l’application des peines (art. 763-3, al. 3 du Code de procédure pénale). Aucun traitement ne peut cependant être entrepris sans le consentement de l’intéressé mais, en cas de refus, l’emprisonnement assortissant le suivi pourra être mis à exécution (art. 131-36-4 du Code pénal). Les soins sont dispensés au condamné par un médecin traitant ou un psychologue traitant, sous le contrôle d’un médecin coordonnateur désigné par le juge de l’application des peines. Le médecin traitant peut prescrire tout traitement indiqué pour le soin du condamné, y compris des médicaments inhibiteurs de libido (art. L. 3711-1 à L. 3711-4-1 du Code de la santé publique). • Enfin, si la personne a été condamnée à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l’un des crimes mentionnés à l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale, le juge de l’application des peines peut également prononcer une obligation d’assignation à domicile, emportant pour l’intéressé l’interdiction de s’absenter de son domicile, ou de tout autre lieu désigné par le juge, en dehors des périodes fixées par ce dernier. Une des originalités du suivi sociojudiciaire est que le juge, en même temps qu’il prononce la mesure, fixe dans sa décision de condamnation la durée maximale de l’emprisonnement encouru par le condamné en cas d’inobservation des obligations qui lui sont imposées. Celle-ci ne peut excéder 3 ans en cas de condamnation pour délit et 7 ans en cas de condamnation pour crime (art. 131-361, al. 3 du Code pénal). En cas d’inobservation des obligations ou de l’injonction de soins par le condamné, le juge de l’application des peines peut, d’office ou sur réquisition du procureur de la République, ordonner, par décision motivée et à l’issue d’un débat contradictoire, l’exécution de tout ou partie de l’emprisonnement fixé par le juge de condamnation (art. 763-5 du Code de procédure pénale). Autrement dit, le suivi sociojudiciaire est assorti d’un emprisonnement virtuellement applicable qui pèse sur les épaules du condamné pour l’astrein284

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dre à respecter les obligations du suivi, notamment à se soumettre au traitement médical. L’originalité de ce système tient à ce que la durée de l’emprisonnement est fixée a priori par le juge de condamnation. Le suivi sociojudiciaire a une nature juridique particulière. La mesure a été présentée comme une peine complémentaire par le législateur mais elle emprunte de nombreux aspects au régime du sursis avec mise à l’épreuve (mesures de surveillance et d’assistance, emprisonnement dont la durée est fixée par le juge de condamnation et qui frappe le condamné en cas d’inexécution des obligations imposées, contrôle exercé par le juge de l’application des peines). En réalité, compte tenu de la mauvaise réputation du sursis auprès de l’opinion publique (qui l’assimile à une mesure de clémence) et du fait qu’il est traditionnellement réservé aux peines d’emprisonnement de courte durée (voir p. 363 et s.), le législateur a entendu, pour les délits et crimes sexuels commis à l’encontre de mineurs, présenter le suivi sociojudiciaire comme une véritable peine qui, en cas d’inexécution, entraîne un emprisonnement s’ajoutant, le cas échéant, à la réclusion ou à l’emprisonnement prononcé par le juge de condamnation.

D) L’obligation d’accomplir un stage L’intérêt de ces stages est de rappeler à l’auteur de l’infraction des règles élémentaires de savoir vivre et de prévenir la réitération des comportements dangereux ou inciviques. Ils ont donc un caractère éducatif prononcé. 1) Le stage de sensibilisation à la sécurité routière L’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière a été créée par la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière. Le stage peut être imposé, en cas d’infraction commise à l’occasion de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur, par le juge dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve (voir p. 334) ou par le procureur de la République au titre des alternatives aux poursuites ou d’une composition pénale. L’obligation d’accomplir un stage constitue également une peine complémentaire encourue pour un certain nombre de délits ou de contraventions commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule. Lorsqu’elle est prononcée à titre de peine complémentaire, l’obligation d’accomplir le stage de sensibilisation à la sécurité routière est exécutée aux frais du condamné dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la condamnation est définitive. L’accomplissement du stage donne lieu à la remise au condamné d’une attestation que celui-ci adresse au procureur de la République (art. 131-35-1 du Code pénal). Le stage est dispensé sur quelques jours par des personnes agréées, qui dispensent un enseignement portant sur les facteurs généraux de l’insécurité routière et un ou plusieurs enseignements spécialisés dont l’objet est d’approfondir l’analyse de situations ou de facteurs générateurs d’accidents de la route. La formation peut inclure un entretien avec un psychologue et un enseignement pratique de conduite. Les frais de stage, à la charge du condamné, ne peuvent excéder le montant maximum de l’amende encourue pour les contraventions de la 3e classe, soit 450 euros (art. R. 131-11-1 du Code pénal, qui renvoie aux art. R. 2235 à R. 223-13 du Code de la route). LARCIER

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2) Le stage de citoyenneté Cette peine a été créée par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Elle revêt une double nature : – d’une part, il s’agit d’une peine alternative, que la juridiction de jugement peut substituer à l’emprisonnement en application de l’article 131-5-1 du Code pénal : lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut, à la place de l’emprisonnement, prescrire que le condamné devra accomplir un stage de citoyenneté. Le stage a pour objet de lui rappeler les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société. La juridiction précise si ce stage, dont le coût ne peut excéder celui des amendes contraventionnelles de la 3e classe, soit 450 euros, doit être effectué aux frais du condamné. La peine ne peut toutefois pas être prononcée contre le prévenu qui la refuse ou n’est pas présent à l’audience. En vertu de l’article 20-4-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, les dispositions de l’article 131-5-1 du Code pénal relatives à la peine de stage de citoyenneté sont applicables aux mineurs de treize à dix-huit ans. Le contenu du stage est alors adapté à l’âge du condamné. La juridiction ne peut cependant ordonner que ce stage soit effectué aux frais du mineur ; – d’autre part, le stage de citoyenneté est une peine complémentaire en matière délictuelle et en matière contraventionnelle (art. 131-16 8° du Code pénal pour les contraventions). Par ailleurs, l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté peut également être proposée par le procureur de la République dans le cadre d’une composition pénale (art. 41-2 du Code de procédure pénale) ou imposée dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve, par la juridiction de condamnation ou le juge de l’application des peines (art. 132-45 18° du Code pénal). L’objet, la durée, l’organisation et le déroulement de la peine de stage de citoyenneté sont précisés aux articles R. 131-35 à R. 131-44 du Code pénal. La durée du stage est fixée par la juridiction en tenant compte, pour le condamné majeur de ses obligations familiales, sociales ou professionnelles, pour le condamné mineur de ses obligations scolaires et de sa situation familiale. Elle ne peut excéder un mois et la durée journalière de formation effective ne peut excéder six heures. Le stage de citoyenneté est organisé en sessions collectives, continues ou discontinues, composées d’un ou plusieurs modules de formation adaptés à la personnalité des condamnés et à la nature de l’infraction commise. Une attestation de fin de stage est délivrée au condamné, qui l’adresse à la personne ou au service chargé d’en contrôler la mise en œuvre. 3) Le stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants et le stage de responsabilité parentale Ces deux stages sont issus de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et constituent là encore des peines complémentaires attachées spécialement à certaines infractions. 286

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Ils doivent être exécutés dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la condamnation est définitive et donnent lieu à la remise d’une attestation que le condamné adresse au procureur de la République. La juridiction précise si le stage est exécuté aux frais du condamné.

§ 5.

Les peines portant atteintes aux droits

Les peines portant atteintes aux droits, regroupées par le Code pénal sous le vocable de « peines privatives et restrictives de droits », privent le condamné de certaines prérogatives ou limitent l’exercice de celles-ci. Elles ont un caractère largement préventif et, en règle générale, ont un lien avec l’infraction commise, constituant en cela des mesures destinées à éviter la commission de nouvelles infractions. Elles n’ont cependant d’utilité et d’efficacité que si le délinquant possède ces droits (la suspension du permis de conduire est inapplicable à celui qui en est dépourvu) et les exerce effectivement dans la vie courante (la privation du droit de vote importe peu à un abstentionniste). À l’inverse, elles peuvent parfois avoir un effet pervers (l’interdit professionnel qui ne retrouve pas un autre travail pourra être tenté par des activités illégales). Elles sont surtout d’une grande variété. Le Code pénal fixe le régime d’un certain nombre d’entre elles. Le législateur est toutefois libre d’imaginer d’autres peines privatives ou restrictives de droits que celles mentionnées dans les dispositions générales du Code pénal (compte tenu notamment de la généralité de l’article 131-10 du Code pénal qui mentionne, pour les crimes et délits, des peines complémentaires emportant « interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit »). Le droit pénal spécial comporte donc certaines peines spécifiques. Ainsi, l’article 18 de la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité prévoit l’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique pour les auteurs de violences ou de destructions, dégradations et détériorations particulièrement graves commises lors d’une manifestation. Ces peines portent principalement sur le droit d’exercer une activité économique, les droits civiques, civils et de famille, le droit de conduire un véhicule automobile, le droit d’émettre des chèques ou d’utiliser une carte de paiement.

A) Les privations ou restrictions du droit d’exercer une activité professionnelle Un certain nombre de peines empêchent le condamné (personnes physiques, sauf les mineurs, ou personnes morales) d’exercer certaines activités professionnelles, définitivement ou pendant une durée déterminée. Le pouvoir administratif est souvent habilité à prononcer des sanctions similaires voire identiques, comme la suspension ou le retrait d’une autorisation professionnelle ou la fermeture d’établissement. LARCIER

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1) Les interdictions professionnelles Les interdictions professionnelles sont souvent prévues par les textes, en particulier en matière économique. Deux variantes sont envisagées dans les dispositions générales du Code pénal : l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale et l’interdiction d’exercer des fonctions publiques. Ces interdictions sont inapplicables aux mandats électifs ou aux responsabilités syndicales ainsi qu’en matière de délit de presse. À titre complémentaire, elles sont encourues à titre définitif ou pour une durée maximale de 5 ans (art. 131-27 du Code pénal ; rien n’empêche cependant le législateur de prévoir une durée plus longue : ainsi de l’art. L. 653-11 al. 1 du Code de commerce, issu de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, qui fixe la durée de la faillite personnelle et de l’interdiction de gérer une entreprise commerciale, industrielle, artisanale, agricole et toute personne morale à 15 ans maximum ; voir Cass. crim., 8 nov. 2006, Droit pénal 2007, comm. n° 9). L’interdiction d’exercer des fonctions publiques s’adresse avant tout aux fonctionnaires auteurs d’infractions (par exemple, art. 432-17 du Code pénal pour les infractions portant atteinte à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique). L’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale peut être prononcée en matière correctionnelle à titre de peine alternative mais uniquement si les facilités que procurait l’activité ont été sciemment utilisées par l’intéressé pour préparer ou commettre l’infraction (art. 131-6 11° du Code pénal). À titre complémentaire, l’interdiction peut porter soit sur l’activité dans l’exercice de laquelle ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, soit sur toute activité professionnelle ou sociale définie par la loi qui réprime l’infraction (art. 131-28 du Code pénal). Les exemples d’application de ce dernier cas sont nombreux et variés. Il s’agira par exemple de l’interdiction d’exercer une activité de nature médicale ou paramédicale en matière d’interruption illégale de grossesse (art. 223-19 du Code pénal), d’exploiter un établissement ouvert au public ou utilisé par le public ou d’y être employé (par exemple, art. 225-20 du Code pénal), d’exercer certaines fonctions, énumérées par le juge, dans une entreprise ou une ou plusieurs catégories d’entreprises (art. L. 4741-5 al. 2, L. 4741-10 al. 2, L. 4741-14 al. 2 du Code du travail pour la récidive d’infractions à l’hygiène et à la sécurité du travail). Enfin, on rappellera que la plupart des peines accessoires ont pour objet d’interdire à certains condamnés l’accès à une profession ou son exercice. 2) La fermeture d’établissement La fermeture d’établissement est une mesure prononcée par le juge pénal à titre de peine mais également parfois par les autorités administratives à titre de mesure de police. L’établissement, généralement celui qui a servi à commettre l’infraction, est alors fermé, le législateur prévoyant dans certains cas le maintien de la rémunération du personnel durant la fermeture. Cette peine est à l’évidence une peine patrimoniale, privant le condamné des revenus qu’il pouvait tirer de l’exploitation de l’établissement. C’est également une peine affectant le droit d’exercer une activité professionnelle puisqu’elle emporte interdiction d’exercer dans l’établissement l’activité à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise (art. 131-33 du Code pénal). 288

PARTIE IV La sanction pénale

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Prononcée à titre de peine complémentaire en matière criminelle et correctionnelle lorsque la loi le prévoit, pour une durée définitive ou temporaire, cette peine, généralement destinée à éviter la commission de nouvelles infractions dans l’exploitation de l’établissement, a un but préventif prononcé. La nature de l’établissement faisant l’objet de la fermeture varie selon l’infraction. Par exemple, en matière de trafic de stupéfiants, il s’agit de l’établissement ouvert au public ou utilisé par le public dans lequel a été commis le trafic (art. 222-50 2° du Code pénal), en matière de proxénétisme, l’établissement utilisé en vue de la prostitution (art. 225-22 2° du Code pénal), en matière d’escroquerie, l’établissement ayant servi à commettre les faits (art. 313-7 3° du Code pénal) ou encore, en matière de droit du travail, l’établissement qui n’a pas été rendu conforme aux règles de sécurité et de salubrité (art. L. 4741-12 al. 2 du Code du travail). 3) L’exclusion des marchés publics L’exclusion des marchés publics est envisagée par le Code pénal en tant que peine applicable aux personnes morales, à titre complémentaire ou principal, pour une durée de 5 ans au plus (art. 131-39 5° du Code pénal). Elle emporte interdiction de participer, directement ou indirectement, à tout marché conclu par l’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics, ainsi que par les entreprises concédées ou contrôlées par l’État ou par les collectivités territoriales ou leurs groupements (art. 131-34 du Code pénal), limitant ainsi les possibilités de travail, donc de revenus, de l’entreprise. Cette peine est parfois prévue par la loi à titre complémentaire pour les personnes physiques.

B) La privation de droits civiques, civils et de famille Le droit a toujours apprécié les peines privatives de droits politiques, civils et de famille, qui permettaient l’exclusion du condamné de la vie civile et de la société. Dans l’ancien Code pénal, figuraient ainsi : – la mort civile qui entraînait la dissolution du mariage du condamné et l’ouverture de sa succession, peine supprimée en 1854 et remplacée par l’incapacité de disposer et de recevoir à titre gratuit qui interdisait au condamné de donner des biens ou d’en recevoir soit par donation, soit par testament ; – l’interdiction légale qui interdisait au condamné de gérer son patrimoine et de percevoir des revenus, celui-ci se voyant assister d’un tuteur durant l’exécution de la peine ; – la dégradation civique qui privait le condamné de ses droits civiques et politiques (droit de vote et d’éligibilité, droit de témoigner en justice ou d’être juré…) et de certains droits familiaux (exercer une tutelle ou une curatelle…). Toutes ces peines ont été abrogées avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal. En remplacement de la dégradation civique, ce dernier n’envisage plus que l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, peine complémentaire en matière criminelle pour une durée de 10 ans au plus et, en matière correctionnelle, pour une durée de 5 ans au plus (art. 131-26 al. 2 du Code LARCIER

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pénal). En principe, elle doit impérativement être expressément prononcée par le juge car elle ne peut, nonobstant toute disposition contraire, résulter de plein droit d’une condamnation pénale (art. 132-21 al. 1 du Code pénal, voir toutefois l’art. L. 7 du Code électoral, p. 254). Elle est inapplicable aux mineurs (art. 20-4 de l’ordonnance du 2 février 1945). Le juge peut décider d’aménager la teneur de la peine et ne priver le condamné que de certains droits. La privation porte alors sur tout ou partie des droits suivants : droit de vote, droit d’éligibilité (l’interdiction de l’un de ces droits emportant incapacité d’exercer une fonction publique), droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, droit de représenter ou d’assister une partie devant la justice, droit de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples déclarations, droit d’être tuteur ou curateur, sauf éventuellement de ses propres enfants (art. 131-26 du Code pénal).

C) Les peines affectant l’usage d’un véhicule automobile La conduite d’un véhicule automobile apparaissant comme un droit de plus en plus précieux chez les hommes, il est apparu opportun de concevoir des peines atteignant ce droit. L’atteinte à ce droit est parfois indirecte avec l’immobilisation ou la confiscation du véhicule, parfois partielle, avec l’interdiction de conduire certains véhicules, plus généralement directe et totale avec la suspension ou l’annulation du permis de conduire. La sanction est applicable même si l’infraction pour laquelle elle est prononcée est sans rapport avec la conduite d’un véhicule. Les peines affectant l’usage d’un véhicule automobile sont donc largement encourues, y compris dans les textes extérieurs au Code de la route, en premier lieu dans le Code pénal. La suspension du permis de conduire est soit une peine alternative (art. 131-6 1° pour 5 ans au plus pour les délits et 131-14 1° pour un an au plus pour les contraventions de la 5e classe), soit une peine complémentaire (art. 131-10 pour les délits et les crimes où elle est toujours envisageable et 131-16 1° pour 3 ans au plus pour les contraventions). Le juge a la possibilité de limiter la suspension de la conduite en dehors de l’activité professionnelle. Dans ce cas, la juridiction définit dans sa décision la nature de cette activité et fixe les conditions de lieu et de temps auxquelles l’usage du droit de conduire est subordonné. Il est ensuite délivré au condamné, en échange de son permis et pour la durée d’exécution de la peine, un certificat (parfois appelé permis blanc) qui précise entre autres l’activité professionnelle, les parcours et les périodes pour lesquels la conduite est autorisée. La faculté de limiter la suspension à la conduite en dehors de l’activité professionnelle est toutefois expressément exclue pour certaines infractions (ce qui est le cas notamment du délit de fuite, de la conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou du délit de récidive de grand excès de vitesse). L’annulation ou retrait du permis de conduire est soit une peine alternative (art. 131-6 3° pour les délits), soit une peine complémentaire (art. 131-10 pour les délits et les crimes où elle est toujours envisageable), parfois même obligatoire (art. L. 234-13 et L. 235-4 du Code de la route, en cas de récidive de conduite en état d’ivresse ou sous l’empire d’un état alcoolique ou de récidive de conduite sous l’influence de substances ou de plantes classées comme stupéfiants). Elle emporte interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant un certain temps (l’article 131-6 3° fixant, pour ce qui le concerne, une durée maximale de 5 ans). Il n’est pas exigé que le prévenu ait été titulaire du permis à la date de la commission de l’infraction motivant la suspension ou l’annulation. Il suffit 290

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qu’il en ait obtenu depuis lors la délivrance (Crim., 24 janvier 1963, Bull. crim. n° 45). Pour les délits punis par le Code de la route, lorsque le conducteur n’est pas titulaire du permis de conduire, la suspension ou l’annulation du permis de conduire est remplacée pour la même durée par l’interdiction d’obtenir la délivrance du permis de conduire (art. L. 224-12 du Code de la route). La suspension du permis de conduire ne doit pas être confondue, d’une part avec la suspension administrative du permis de conduire, prononcée par le préfet pour une durée maximale de 6 mois en principe (art. L. 224-2 et L. 224-7 et suivants du Code de la route) et dont la durée s’impute éventuellement sur la durée de la suspension judiciaire, d’autre part avec l’institution du permis à points, introduite par une loi du 10 juillet 1989 aux articles L. 223-1 et suivants du Code de la route. Bien que les retraits de points soient liés à la commission d’infractions pénales en rapport avec la circulation automobile (le nombre de points est même diminué de plein droit, c’est-à-dire automatiquement, en fonction d’un barème préétabli), ils ne constituent pas une peine mais une sanction autonome de nature administrative (Crim., 6 juillet 1993, Bull. crim. n° 240 ; Crim., 11 juillet 1994, Bull. crim. n° 271 ; CE, 27 septembre 1999, Rouxel ; voir toutefois CEDH, 23 septembre 1998, Malige contre France, JCP 1999, II, 10086).

D) L’interdiction d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement Ces peines sont encourues pour des durées variables soit à titre de peine alternative (pour une durée de 5 ans au plus pour les délits et d’un an au plus pour les contraventions), soit à titre de peine complémentaire (pour une durée de 5 ans au plus pour les crimes et délits, de 3 ans au plus pour les contraventions de la 5e classe et uniquement pour les chèques). L’interdiction d’émettre des chèques ne porte pas sur ceux qui permettent de retirer des fonds ou sont certifiés. Pour le condamné, ces peines emportent injonction d’avoir à restituer au banquier qui les avait délivrées les formules et les cartes en sa possession ou en la possession de ses mandataires (art. 131-19 al. 1 et 131-20 al. 1 du Code pénal).

§ 6.

Les peines portant atteinte à la réputation

Les peines morales qui portent atteinte à l’honneur du condamné en jetant le discrédit sur lui, sont aujourd’hui réduites : il ne reste que la publicité de la décision de condamnation, c’est-à-dire son affichage ou sa diffusion aux frais du condamné, dans la limite du maximum de l’amende encourue (la peine est donc à l’évidence également pécuniaire), peine complémentaire en matière criminelle et correctionnelle (art. 131-10 du Code pénal). Cette sanction n’est pas applicable aux mineurs (art. 20-4 de l’ordonnance du 2 février 1945). La peine d’affichage de la décision de condamnation s’exécute dans les lieux fixés par la juridiction et pour la durée précisée par elle, sans pouvoir excéder en principe une durée maximale de deux mois. La diffusion de la décision de condamnation est faite par le Journal officiel de la République française, par une ou plusieurs publications de presse (définie comme un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de public et paraissant à des intervalles LARCIER

Les sanctions pénales encourues CHAPITRE 1

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réguliers : Crim., 6 mars 2001, Droit pénal 2001, comm. n° 83) ou, de manière exceptionnelle, par un ou plusieurs services de communication audiovisuelle. Les publications ou services de communication désignés par la juridiction sont obligés de procéder à la diffusion. Le juge a également le choix quant au contenu de l’affichage ou de la diffusion : décision intégrale, extrait de celle-ci ou communiqué informant le public des motifs et du dispositif de la décision, dans les termes fixés par la juridiction. Toutefois, le nom de la victime ne peut être cité qu’avec son accord ou avec celui de son représentant ou de ses ayants droit (art. 131-35 du Code pénal). Le juge ne peut cependant pas, sur le fondement de l’article 131-35 du Code pénal, prononcer cumulativement l’affichage et la publication de la décision, ces mesures étant séparées par la conjonction « ou » (Crim., 13 mai 1997, Bull. crim. n° 180).

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CHAPITRE 2

La sanction pénale prononcée Après avoir constaté la culpabilité de l’auteur de l’infraction, le juge va devoir déterminer la peine que celui-ci devra subir. Les peines théoriquement encourues pour une infraction déterminée sont concrètement appliquées par le juge au délinquant reconnu coupable de cette infraction. Une infraction est envisagée par le texte qui la définit et la réprime d’une manière abstraite. Derrière celle-ci se dissimulent des réalités personnelles et circonstancielles diverses qu’il faut prendre en compte dans le prononcé de la sanction. En d’autres termes, la peine prononcée doit être adaptée, dans sa nature, son taux, son régime d’exécution, aux circonstances qui ont présidé à la commission de l’infraction et à la personnalité de son auteur. C’est pourquoi, pour une même infraction, la peine prononcée varie selon le cas d’espèce, la peine encourue n’étant qu’une indication de la répression du comportement incriminé. Parfois, la loi impose elle-même une adaptation de la pénalité compte tenu de la personnalité de l’auteur de l’infraction, de son comportement, des circonstances de l’infraction (diminution, aggravation, exemption de la peine). On parle alors de l’individualisation ou personnalisation légale de la peine. La loi ne peut cependant envisager la variété des situations concrètes et déterminer leurs effets sur le terrain de la répression. Même précisées par la loi, les peines ne peuvent être appliquées uniformément. La réelle adaptation de la peine aux circonstances de l’infraction et, surtout, à la personnalité du prévenu, est effectuée par la juridiction de jugement. C’est ce que l’on appelle l’individualisation ou personnalisation judiciaire de la peine. Le juge prononce la ou les peines qu’il considère être adaptées au condamné et prend en compte pour cela tous les éléments le concernant figurant à la procédure et soumis aux débats contradictoires (par exemple, Crim., 2 juillet 1998, Bull. crim. n° 213, pour des antécédents administratifs et fiscaux). Ce pouvoir doit nécessairement trouver des limites, être encadré par la loi pour ne pas confiner à l’arbitraire (voir en ce sens, Cons. constit., décision des 19 et 20 janvier 1981, loi sécurité et liberté, Rec. p. 15 : « Si la législation française a fait une place importante à l’individualisation des peines, elle ne lui a jamais conféré le caractère d’un principe unique et absolu prévalant de façon nécessaire et dans tous les cas sur les autres principes de la répression pénale »). Le pouvoir d’individualisation judiciaire ne peut s’exercer que dans les limites fixées par la loi. En particulier, le juge doit s’en tenir aux peines mises à sa disposition et respecter les maximums ou les fourchettes fixés par le législateur, conformément au principe de légalité des peines qui s’impose à lui (voir p. 25). Le pouvoir d’individualisation du juge n’a cessé de grandir, prenant encore une nouvelle dimension avec le nouveau Code pénal. À cet égard, le juge disLARCIER

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pose d’un nombre de plus en plus important de peines d’une grande variété ainsi que de techniques lui permettant d’aménager l’exécution de la peine. L’individualisation légale et judiciaire de la peine intervient aux différentes étapes de la détermination de la sanction : nécessité de prononcer une sanction, choix de la nature des peines à prononcer, détermination, le cas échéant, du taux de ces peines (durée, montant), détermination éventuelle des modalités d’exécution des peines.

SECTION I

La sanction pénale inutile Bien que l’auteur de l’infraction soit pleinement pénalement responsable, la loi impose ou permet au juge de ne pas prononcer de peine lorsque certaines conditions sont réunies.

§ 1.

Les obstacles légaux au prononcé d’une sanction : les causes légales d’exemption de peine

Après avoir déclaré le prévenu pénalement responsable de l’infraction qui lui est reprochée (il convient donc bien de distinguer ces circonstances des causes d’irresponsabilité) et statué, s’il y a lieu, sur l’action civile, le juge répressif peut se trouver dans l’impossibilité de prononcer une sanction pénale dès lors que certaines conditions posées par la loi sont réunies. Il devra alors exempter de peine le coupable. Les causes légales d’exemption de peine (excuses absolutoires sous l’ancien Code pénal) sont des causes spéciales d’exemption, prévues par la loi non d’une façon générale pour toutes les infractions ou une catégorie d’infractions mais attachées à des infractions déterminées, le juge ne pouvant y avoir recours en dehors de ces cas. Déjà prévu pour quelques infractions (terrorisme, association de malfaiteurs, actes de trahison et espionnage, évasion, fausse monnaie notamment), le mécanisme de l’exemption de peine a été systématisé par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, en même temps que celle-ci a défini, sur le modèle d’expériences étrangères (en particulier l’exemple italien des « collaborateurs de justice »), un véritable statut du repenti. Le premier alinéa de l’article 132-78 du Code pénal prévoit que « la personne qui a tenté de commettre un crime ou un délit est, dans les cas prévus par la loi, exempte de peine si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et, le cas échéant, d’identifier les autres auteurs ou complices ». On rappellera que la tentative est constituée, en application des dispositions de l’article 121-5 du Code pénal, dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. 294

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Deux conditions cumulatives sont posées : les déclarations de l’intéressé doivent non seulement permettre d’empêcher que l’infraction soit commise, mais aussi permettre l’identification des autres auteurs ou complices s’il y en a. Il ne suffit donc pas que la personne ayant tenté de commettre le crime ou le délit en avertisse les autorités pour qu’elle soit exemptée de peine : une certaine « qualité » de l’information est exigée. Par ailleurs, aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations du repenti. Cette introduction, au sein des dispositions générales du Code pénal, du principe de l’exemption de peine au profit du « repenti » ne supprime cependant pas le caractère partiel des dispositions en la matière, puisque l’exemption de peine n’est possible que dans les cas prévus par la loi, c’est-à-dire pour les seules infractions pour lesquelles la loi a prévu que ces dispositions peuvent jouer. Autrement dit, l’exemption ou la diminution de peine n’est pas générale mais doit être spécialement attachée à une infraction. La plupart des causes d’exemption de peine ont été instituées pour lutter contre la criminalité organisée : l’exemption de peine est ainsi prévue par la loi pour l’assassinat et l’empoisonnement (art. 221-5-3 du Code pénal), les tortures et actes de barbarie (art. 222-62 du Code pénal), le trafic de stupéfiants (art. 222-43-1 du Code pénal), l’enlèvement et la séquestration (art. 224-5-1 du Code pénal), le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport (art. 224-8-1 du Code pénal), la traite des êtres humains (art. 225-4-9 du Code pénal), le proxénétisme (art. 225-11-1 du Code pénal), le vol et l’extorsion en bande organisée (art. 311-9-1 et 312-6-1 du Code pénal). Lorsque la dénonciation intervient, non pas au stade de la tentative, mais pendant ou après la commission de l’infraction, le dénonciateur bénéficie, sous certaines conditions, d’une diminution de plein de droit de la peine encourue (voir p. 308). Le repenti peut également bénéficier d’un mécanisme de réduction exceptionnelle de peine lorsque la dénonciation intervient après condamnation (art. 721-3 du Code de procédure pénale, voir p. 366). La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a prévu des mesures particulières de protection en faveur des repentis, compte tenu des risques de représailles que leurs familles et euxmêmes encourent. L’objectif est d’inciter les individus qui ont participé à la préparation d’une infraction, qui en ont commis une ou qui ont eu connaissance d’éléments permettant d’empêcher la commission d’une autre infraction, à communiquer ces informations aux autorités administratives ou judiciaires. Ce véritable « statut du repenti » a pour objet de garantir sa sécurité (et donc de favoriser la collaboration en prévenant les représailles dont il pourrait faire l’objet) et sa réinsertion (afin d’éviter la récidive). Le régime de protection en faveur des personnes bénéficiant d’une exemption ou d’une réduction de peine pour avoir, en application des dispositions de l’article 132-78 du Code pénal, permis d’éviter la réalisation d’une infraction, de faire cesser ou d’atténuer le dommage causé par une infraction, ou d’en identifier les coauteurs ou complices, est organisé par l’article 706-63-1 du Code de procédure pénale. Ce statut du repenti, également applicable aux membres de sa famille et à ses proches, comporte deux volets : – la possibilité de se voir conférer une identité d’emprunt : en cas de nécessité, les repentis peuvent être autorisés, par ordonnance motivée rendue LARCIER

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par le président du tribunal de grande instance, à faire usage d’une identité d’emprunt ; – des mesures de protection et de réinsertion, établies, sur réquisitions du procureur de la République, par une commission nationale. Celle-ci fixera les obligations que doit respecter la personne et assurera le suivi des mesures de protection et de réinsertion, qu’elle pourra modifier ou auxquelles elle pourra mettre fin à tout moment. En vue de prévenir les erreurs judiciaires, une exemption de peine est également prévue au bénéfice de celui qui, connaissant la preuve de l’innocence d’une personne placée en détention provisoire ou jugée pour crime ou délit, se sera abstenu d’en apporter aussitôt le témoignage mais l’apportera tardivement et spontanément (art. 434-11 du Code pénal). Il en est de même pour l’auteur d’un faux témoignage qui se sera rétracté spontanément avant la décision mettant fin à la procédure (art. 434-13 du Code pénal). On rappellera par ailleurs que le jeune âge fait aussi obstacle au prononcé d’une sanction pénale, cette fois d’une manière générale, les mineurs délinquants de moins de 13 ans ne pouvant jamais se voir appliquer de peines mais seulement des mesures éducatives.

§ 2. L’opportunité laissée au juge de prononcer une sanction : ajournement et dispense de peine Après avoir déclaré le prévenu pénalement responsable de l’infraction commise, statué, s’il y a lieu sur l’action civile, et ordonné, le cas échéant, la confiscation des objets dangereux ou nuisibles, la juridiction peut soit ajourner le prononcé de la peine, soit dispenser le prévenu (personne physique ou morale) de toute peine. Cette faculté est laissée au juge s’il apparaît que les conséquences dommageables de l’infraction, pour les éventuelles victimes et pour la société, ont été effacées ou sont en voie de l’être. La juridiction peut ordonner l’ajournement ou la dispense de peine en matière correctionnelle et, sauf pour l’ajournement avec mise à l’épreuve, en matière contraventionnelle, quelles que soient les peines encourues (art. 132-58 du Code pénal). Ces techniques ne sont donc pas applicables en matière criminelle.

A) Le report du prononcé de la sanction : l’ajournement L’ajournement est le procédé qui permet à la juridiction de reporter à une date ultérieure, fixée par elle, la décision sur la peine. L’ajournement de la peine est soit simple, soit assorti d’obligations spécifiques. La décision finale sera conditionnée par le comportement du prévenu entre-temps. La menace du prononcé d’une peine à l’audience de renvoi incitera le coupable à faire les efforts pour se reclasser et à effacer les conséquences de son acte. Pour cette raison, l’ajournement est souvent un préalable à une dispense de peine. 296

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1) L’ajournement simple (articles 132-60 à 132-62 du Code pénal) L’ajournement peut être ordonné « lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est en voie d’être acquis, que le dommage causé est en voie d’être réparé et que le trouble résultant de l’infraction va cesser » et si le prévenu (le représentant de la personne morale si le prévenu est une personne morale) est présent à l’audience. L’ajournement est cependant une simple faculté et la juridiction qui le prononce n’a pas à motiver sa décision au regard de ces conditions d’application (Crim., 18 mai 2004, Bull. crim. n° 122). Le juge reporte sa décision sur la peine et fixe la date à laquelle elle sera rendue. À l’audience de renvoi, la juridiction pourra soit accorder une dispense de peine, soit prononcer une peine, voire ordonner un nouvel ajournement, sous réserve que la décision sur la peine intervienne au plus tard un an après le premier ajournement. 2) L’ajournement avec mise à l’épreuve (articles 132-63 à 132-65 du Code pénal) Ordonné dans les mêmes conditions que l’ajournement simple mais applicable uniquement en matière correctionnelle et à l’égard des personnes physiques, l’ajournement avec mise à l’épreuve permet au juge de reporter sa décision sur la peine en imposant une mise à l’épreuve pendant la durée qu’elle fixe (appelé délai d’épreuve), celle-ci ne pouvant être supérieure à un an. Le régime de la mise à l’épreuve organisé aux articles 132-43 à 132-46 du Code pénal (relatifs au sursis avec mise à l’épreuve) s’applique. Durant le délai d’épreuve, le coupable est soumis à un certain nombre de mesures de contrôle obligatoires (par exemple, répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du travailleur social désigné, prévenir ce dernier de ses changements d’emplois, de résidence et de certains de ses déplacements), à certaines obligations particulières éventuellement imposées par le juge (voir la liste établie à l’article 132-45 du Code pénal) et bénéficie de mesures d’aide destinées à favoriser son reclassement social. Pendant cette période, le prévenu est placé sous le contrôle du juge de l’application des peines, qui peut aménager, modifier ou supprimer les obligations particulières imposées au prévenu ou en prévoir de nouvelles (art. 747-3 du Code de procédure pénale). À l’audience de renvoi, au vu de la conduite du coupable au cours du délai d’épreuve et notamment du respect ou non des mesures de contrôle et des obligations imposées, le juge peut accorder une dispense de peine, prononcer une sanction pénale ou, éventuellement, ajourner une nouvelle fois la décision sur la peine, sous réserve que cette décision intervienne au plus tard un an à compter du premier ajournement. Si le prévenu ne se soumet pas aux mesures de contrôle et d’aide ou aux obligations particulières imposées, le juge de l’application des peines peut saisir le tribunal avant l’expiration du délai d’épreuve afin qu’il soit statué sur la peine (art. 747-3 al. 3 du Code de procédure pénale). Inversement, avec l’accord du procureur de la République, le juge de l’application des peines peut, trente jours avant l’audience de renvoi, prononcer lui-même la dispense de peine, à l’issue d’un débat contradictoire (art. 132-65 al. 1er du Code pénal). LARCIER

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3) L’ajournement avec injonction (articles 132-66 à 132-70 du Code pénal) Ce type d’ajournement, généralisé par le Code pénal, est prévu lorsque l’infraction consiste dans un manquement à des obligations légales ou réglementaires déterminées, notamment à l’occasion de l’exercice d’activités industrielles ou commerciales. La juridiction ordonne l’ajournement de la décision sur la peine à une date ultérieure, dans la limite d’un an. À la différence de l’ajournement simple et de l’ajournement avec mise à l’épreuve, l’ajournement avec injonction n’a pas à être prononcé en la présence du prévenu et n’est pas renouvelable. La juridiction enjoint au prévenu de se conformer aux prescriptions légales ou réglementaires qui ont été méconnues (par exemple, injonction de mettre en conformité une installation avec la réglementation). Elle fixe un délai au prévenu pour s’acquitter de ses obligations, délai qui peut être inférieur au délai d’ajournement. Si la loi ou le règlement le prévoit, la juridiction peut assortir l’injonction d’une astreinte, c’est-à-dire imposer le paiement d’une somme par jour de retard dans l’exécution de l’obligation. Le juge de l’application des peines est chargé de s’assurer de l’exécution des prescriptions imposées (art. 747-4 du Code de procédure pénale). À l’audience de renvoi, la juridiction pourra dispenser le coupable de peine si les prescriptions ont été exécutées mais reste libre, si elle l’estime nécessaire, de prononcer une peine. Si les obligations n’ont pas été exécutées ou l’ont été avec retard, la juridiction liquide l’astreinte s’il y a lieu et prononce les peines prévues par la loi ou le règlement. Elle peut en outre, si la loi ou le règlement lui en offre la possibilité, ordonner l’exécution d’office des prescriptions méconnues aux frais du condamné. La mise en œuvre de l’ajournement avec injonction, tel qu’il est organisé par le Code pénal, n’est possible que « dans les cas prévus par les lois et les règlements qui répriment des manquements à des obligations déterminées ». Il doit donc avoir été expressément prévu pour l’infraction dont la juridiction est saisie (par exemple, art. L. 226-11 du Code de l’environnement pour ce qui est de l’infraction de pollution atmosphérique, malgré mise en demeure, par une entreprise industrielle, commerciale, agricole ou de services). Un mécanisme similaire, mais sans renvoi au Code pénal, est également organisé dans quelques textes (par exemple, art. L. 216-9 du Code de l’environnement pour des infractions de pollution des eaux ; art. L. 133-1 du Code du patrimoine pour la soustraction volontaire à l’obligation de dépôt légal).

B) La dispense de peine (article 132-59 du Code pénal) Après avoir déclaré le prévenu coupable et statué, s’il y a lieu, sur l’action civile, la juridiction a la faculté de dispenser le prévenu de peine, c’est-à-dire de ne pas lui infliger de peine, lorsqu’il apparaît que son reclassement est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé. Éventuellement, la dispense de peine est accordée après un ou plusieurs ajournements si, à l’époque, ces conditions étaient seulement en voie d’être réunies. L’existence de ces conditions cumulatives est appréciée par la juridic298

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tion au jour où elle statue mais la juridiction n’a pas à motiver expressément sa décision au regard de ces conditions (Crim., 20 nov. 1985, Bull. crim. n° 368 ; 9 juill. 1991, Bull. crim. n° 293). La dispense de peine s’étend aux peines accessoires, c’est-à-dire aux interdictions, déchéances ou incapacités de quelque nature qu’elles soient qui résulteraient de plein droit d’une condamnation (art. 469-1 al. 2 du Code de procédure pénale). La seule mesure qui pourra, le cas échéant, être prononcée en raison de son caractère réel et de sa fonction préventive, est la confiscation des objets dangereux ou nuisibles, expressément exclue des règles relatives à la dispense de peine. SECTION II

La détermination par le juge de la sanction à prononcer S’il apparaît au juge qu’il est nécessaire d’infliger une peine à l’auteur de l’infraction, celui-ci statue en fonction des peines mises à sa disposition par la loi : peines principales et complémentaires prévues par le texte qui réprime l’infraction, peines alternatives prévues par des dispositions générales et qu’il peut substituer aux peines principales. Conformément à son pouvoir d’individualisation, le juge prononcera la ou les sanctions qui lui paraîtront adaptées aux circonstances de l’espèce. Il devra fixer la nature de la peine et, le cas échéant, son taux, c’est-à-dire sa durée ou son montant. Diverses contraintes légales orientent toutefois le juge dans la détermination de la sanction.

§ 1.

Limite générale à l’individualisation de la peine par le juge

A) Critères du choix de la sanction L’article 132-24 du Code pénal pose le principe que « dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur » et que « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Le choix de la peine par le juge doit donc obéir à cinq considérations : la protection de la société, la punition du condamné, la prise en compte des intérêts de la victime, la réinsertion du condamné et la lutte contre la récidive. Conciliation pour le moins délicate et toute en subtilité, que les circonstances de l’infraction et la personnalité de son auteur permettront au juge d’opérer. Par ailleurs, « lorsque la juridiction prononce une peine d’amende, elle détermine son montant en tenant compte des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction ». Enfin, en matière correctionnelle, en dehors de l’hypothèse des peines plancher prévues par l’article 132-19-1 du Code pénal en cas de récidive (voir p. 316), une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée LARCIER

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qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate. Dans ce cas, la peine d’emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une mesure d’aménagement : semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique, fractionnement. On rapprochera de l’article 132-24 du Code pénal l’article 2 alinéa 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, permettant aux juridictions pour mineurs de prononcer, soit une sanction éducative (pour les mineurs âgés de plus de 10 ans), soit une peine (pour les mineurs âgés de plus de 13 ans) « lorsque les circonstances et la personnalité des mineurs l’exigent ». Les motifs d’indulgence ou de sévérité sont divers, les effets à leur conférer sur le terrain de la répression étant laissés à l’appréciation du juge. Ces raisons seront en général liées à la gravité des faits, au trouble causé à l’ordre social, aux circonstances de l’infraction ainsi qu’à la personnalité de son auteur. Ainsi, il pourra être indulgent face à une infraction seulement tentée ou face à des mobiles honorables, même si ces derniers sont juridiquement indifférents à la répression. La personnalité du délinquant est également déterminante pour le choix des peines alternatives et complémentaires. La Cour de cassation considère toutefois que ces dispositions n’imposent pas au juge du fond de motiver le choix de la sanction. Elle affirme ainsi qu’en l’absence de règle contraire expresse, « la détermination de la peine par les juges dans les limites prévues par la loi relève d’une faculté dont ils ne doivent aucun compte et à laquelle l’article 132-24 du Code pénal n’a apporté aucune restriction » ou encore qu’« aucune disposition légale n’impose au juge de motiver le choix d’une peine autre que l’emprisonnement sans sursis » (Crim., 6 mars 1997, Bull. crim. n° 94 pour l’interdiction du territoire français ; Crim., 1er juillet 1997, Bull. crim. n° 262 pour le montant de la peine de jours-amendes ; Crim., 15 octobre 1997, Bull. crim. n° 339 pour la mesure de démolition d’un ouvrage ; Crim., 16 décembre 1997, Bull. crim. n° 428 ; 31 janvier 2007, Bull. crim. n° 26 pour l’interdiction des droits civiques, civils ou de famille ; Crim., 29 janvier 1998, Bull. crim. n° 37 pour la période de sûreté ; Crim., 22 octobre 1998, Bull. crim. n° 276 pour le montant de l’amende ; Crim. 19 octobre 2004, Bull. crim. n° 246 pour l’interdiction professionnelle). Les règles posées à l’article 132-24 ont finalement une fonction essentiellement incitative et n’imposent au juge qu’une simple obligation morale de recourir aux divers éléments de la cause dans la fixation de la peine. On peut critiquer cette approche, compte tenu du large pouvoir d’individualisation dont dispose le juge répressif et du besoin de transparence dans l’administration de la justice. Seul le choix de certaines peines doit faire l’objet d’une motivation, en vertu de dispositions spéciales.

B) Motivation spéciale de certains choix Des dispositions imposent expressément au juge de motiver le choix de certaines peines (voir p. 271 pour l’interdiction du territoire français). D’abord, en matière correctionnelle et sauf si la personne est en état de récidive légale, le juge répressif ne pourra prononcer une peine d’emprisonnement ferme, 300

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c’est-à-dire sans sursis, qu’après avoir spécialement motivé ce choix (art. 132-19 al. 2 du Code pénal). L’obligation de motivation impose au juge de justifier in concreto son choix au moyen des circonstances de la commission de l’infraction ou de la personnalité de son auteur (par exemple, sa profession : Crim., 21 novembre 1996, Bull. crim. n° 420 ; les profits tirés d’un important trafic de stupéfiants et l’atteinte portée par les faits à l’ordre et à la santé publique : Crim., 29 janvier 1998, Bull. crim. n° 37 ; la circonstance que le prévenu ne semble pas avoir conscience de la gravité de ses actes : Crim., 24 juin 1998, Bull. crim. n° 206 ; ses antécédents et ses précédentes condamnations : Crim., 19 janvier 1999, Droit pénal 1999, comm. n° 99 ; 8 février 2000, JCP 2000, IV, 1994 ; le rôle central de l’intéressé, la durée de l’activité illicite et le nombre de victimes : Crim., 4 avril 2002, Bull. crim. n° 78 ; les éléments de fait ayant entouré la commission de l’infraction, en l’espèce un contexte de violence, lors même que ceux-ci n’avaient pas été retenus comme circonstance aggravante dans l’acte de poursuite : Crim., 26 février 2008, Bull. crim. n° 52). Elle lui interdit notamment le recours à des formules générales et impersonnelles, à des considérations tirées exclusivement de la gravité de l’infraction (Crim., 25 janvier 1996, Bull. crim. n° 52 ; Crim., 27 novembre 1996, Bull. crim. n° 433) ou au seul fait que le prévenu ne reconnaisse pas sa culpabilité, dès lors que tout prévenu a le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (Crim., 1er octobre 2008, Droit pénal 2009, comm. n° 4) . La motivation porte sur la décision de prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis, non sur la durée de l’emprisonnement ferme (Crim., 19 décembre 1996, Bull. crim. n° 482 ; Crim., 19 mai 1999, Bull. crim. n° 102). Surtout, depuis la loi « pénitentiaire » du 24 novembre 2009, en dehors des condamnations en récidive, une peine d’emprisonnement ferme ne peut être prononcée « qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ». Et encore, « dans ce cas, la peine d’emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle », faire l’objet d’une mesure d’aménagement de peine (art. 132-24, al. 3, du Code pénal ; H. Hasnaoui, « De la motivation spéciale des peines d’emprisonnement ferme après la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 : précisions sur une petite révolution », Dr pénal 2011, étude 22). C’est au regard de ces éléments que les juges doivent caractériser la nécessité de la peine d’emprisonnement ferme (contra : Crim., 10 novembre 2010, Droit pénal 2011, comm. n° 5 : inadéquation des motifs pris de la perversité d’un comportement ancien et de l’absence de culpabilisation du prévenu). Ensuite, pour les mineurs délinquants, cette obligation de motivation spéciale est imposée au tribunal pour enfants ou au tribunal correctionnel pour mineurs (Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice a annoncé la suppression de cette juridiction) lorsqu’il prononce une peine d’emprisonnement, avec ou sans sursis (art. 2 al. 3 de l’ordonnance du 2 février 1945), lorsque, compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur, il prend la décision de ne pas faire bénéficier le mineur âgé de plus de 16 ans de l’atténuation de la peine ou lorsqu’il décide d’en faire bénéficier le mineur âgé de plus de 16 ans multirécidiviste (art. 20-2 al. 6 et 7 de l’ordonnance du 2 février 1945). Enfin, en matière de récidive, depuis la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007, qui institue des peines minimales de privation de liberté, le juge correctionnel, s’il conserve son pouvoir d’individualisation de la peine, ne peut prononcer une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure au seuil minimal fixé ou une peine autre que l’emprisonnement que par une décision spécialement motivée (art. 132-19-1 du Code pénal ; voir p. 316). LARCIER

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§ 2. Détermination de la nature de la sanction (principes gouvernant le cumul des peines) Le juge dispose d’une grande liberté quant au choix de la sanction. L’article 132-17 alinéa 2 du Code pénal prévoit ainsi que « la juridiction peut ne prononcer que l’une des peines encourues pour l’infraction dont elle est saisie ». Cette règle vaut aussi bien pour les peines principales (si une peine privative de liberté et une peine d’amende sont encourues, le juge pourra ne prononcer que l’une ou l’autre de ces peines) que pour les peines complémentaires qu’il est possible, sauf en matière criminelle, de prononcer à titre principal. Enfin, le juge peut substituer une peine alternative aux peines principales prévues par le texte réprimant l’infraction. Il peut également, s’il l’estime nécessaire, prononcer plusieurs peines. Toutefois, son choix connaît certaines limites. Il est d’abord limité par des considérations tenant à la nature de la peine : par exemple, si le coupable est Français, il ne pourra pas prononcer la peine d’interdiction du territoire français. Si le coupable n’est pas titulaire du permis de chasser, il ne pourra pas prononcer son retrait (voir cependant l’article L. 224-12 du Code de la route qui permet au juge, saisi de certaines infractions commises lors de la conduite d’un véhicule, de prononcer, si le conducteur n’est pas titulaire du permis de conduire, l’interdiction d’obtenir la délivrance du permis de conduire pendant un certain temps, à la place de la suspension ou de l’annulation du permis). De même, le bon sens exclut de pouvoir prononcer (lorsqu’elles sont encourues) à la fois la suspension du permis de conduire et le retrait de celui-ci ou la confiscation à la fois en nature et en valeur de l’objet de l’infraction (Crim., 1er octobre 1998, Droit pénal 1999, comm. n° 57). Son choix est ensuite limité pour certains délinquants. Si, comme il en a la possibilité, le juge décide d’infliger une sanction pénale à un mineur délinquant de 13 à 18 ans, il ne pourra pas prononcer un certain nombre de sanctions, inapplicables aux mineurs (art. 20-4 de l’ordonnance du 2 février 1945 : interdiction du territoire français, peine de jours-amendes, interdiction des droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer une fonction publique ou d’exercer une activité professionnelle ou sociale, interdiction de séjour, fermeture d’établissement, exclusion des marchés publics, affichage et diffusion de la décision de condamnation). Il ne peut pas non plus proposer de travail d’intérêt général aux mineurs de moins de 16 ans (art. 20-5 al. 1 de l’ordonnance du 2 février 1945). Enfin, la loi interdit au juge répressif de prononcer certaines peines cumulativement. Les règles relatives au cumul et au non-cumul des peines doivent être explicitées.

A) Peines pouvant être prononcées à l’égard des personnes physiques Il convient de distinguer selon qu’il s’agit d’un crime, d’un délit ou d’une contravention. 1) Règles applicables aux crimes En matière criminelle, la cour d’assises peut prononcer, si elles sont prévues par la loi réprimant le crime et dans les limites fixées par celle-ci, une ou plu302

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sieurs peines principales (réclusion ou détention criminelle et/ou amende) assorties, si la loi en prévoit, d’une ou de plusieurs peines complémentaires (art. 131-2 du Code pénal). Toutefois, sauf disposition contraire, il n’est pas possible en matière criminelle de prononcer une peine complémentaire à titre principal, compte tenu des termes de l’article 131-11 du Code pénal qui limite cette faculté en matière correctionnelle (voir également l’article 131-36-7 du Code pénal pour le suivi sociojudiciaire). Tableau 4 Cumul des peines en matière correctionnelle (personnes physiques) Peine prononcée par le juge :

peut être cumulée avec :

ne peut pas être cumulée avec :

Emprisonnement

• Amende ou jours-amendes ; • Peines complémentaires 1.

• Peine alternative à l’emprisonnement : travail d’intérêt général, peine privative ou restrictive de droits de l’article 131-6, stage de citoyenneté.

Amende

• Emprisonnement ou peine alternative à l’emprisonnement ; • Peines complémentaires.

• Jours-amendes ; • Peine privative ou restrictive de droits de l’article 131-6 lorsque seule l’amende est encourue à titre principal.

Jours-amendes

• Emprisonnement ou peine alternative à l’emprisonnement ; • Peines complémentaires.

• Amende ; • Peine privative ou restrictive de droits de l’article 131-6 lorsque seule l’amende est encourue à titre principal.

Travail d’intérêt général

• Amende ou jours-amendes ; • Peines complémentaires.

• Emprisonnement ou une autre peine alternative à l’emprisonnement.

• Amende ou jours-amendes, lorsque le délit est puni d’une peine Peines privatives d’emprisonnement ; ou restrictives de droits de l’article 131-6 • Peines complémentaires (cumulables entre elles) dès lors que les peines ne sont pas incompatibles entre elles.

• Emprisonnement ou une autre peine alternative à l’emprisonnement ; • Amende ou jours-amendes, lorsque seule l’amende est encourue à titre principal.

1. Le suivi sociojudiciaire ne peut être ordonné en même temps qu’un emprisonnement assorti, en tout ou partie, du sursis avec mise à l’épreuve. NB : En matière correctionnelle, la juridiction peut prononcer la sanction-réparation à la place ou en même temps que la peine d’emprisonnement ou que la peine d’amende.

2) Règles applicables aux délits L’article 131-9 du Code pénal présente un certain nombre de cumuls de peines interdits en matière correctionnelle. Les règles relatives au cumul et au non-cumul des peines peuvent être schématiquement résumées de la sorte : le juge peut cumuler les peines principales entre elles (emprisonnement et LARCIER

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amende) ainsi qu’avec les peines complémentaires si le texte réprimant le délit en prévoit. Par contre, il ne peut cumuler les peines principales avec des peines alternatives, lesquelles, par définition, ont vocation à se substituer à cellesci (mais il peut prononcer l’emprisonnement avec la peine de jours-amendes car elle a vocation à se substituer à l’amende ou cumuler l’amende avec les peines alternatives à l’emprisonnement). De même, il ne peut cumuler entre elles des peines alternatives, c’est-à-dire prononcer plusieurs peines de substitution. Par exemple, lorsqu’une peine d’emprisonnement est encourue et que le juge correctionnel décide de la prononcer, il pourra la prononcer seule ou la cumuler avec l’amende ou la peine de jours-amendes, ainsi qu’avec une ou plusieurs peines complémentaires dès lors que de telles peines sont prévues par le texte réprimant. Il peut également cumuler l’emprisonnement avec le suivi sociojudiciaire, sauf s’il entend prononcer un emprisonnement assorti du sursis avec mise à l’épreuve, puisque les mesures de surveillance sont les mêmes (art. 131-36-6 du Code pénal). Par contre, l’emprisonnement ne peut se cumuler avec les peines prononcées à titre alternatif, c’est-à-dire les peines privatives ou restrictives de droits de l’article 131-6 du Code pénal (par exemple, Crim., 10 mai 2000, Droit pénal 2001, comm. n° 10), le stage de citoyenneté ou le travail d’intérêt général. Si l’emprisonnement est encouru et que le juge correctionnel décide de ne pas le prononcer, il pourra à titre principal opter pour l’amende (dès lors qu’elle est prévue par la loi réprimant le délit) ou la peine de jours-amendes, une peine alternative à l’emprisonnement (travail d’intérêt général, stage de citoyenneté, peines alternatives privatives ou restrictives de droits de l’article 131-6), ou une ou plusieurs peines complémentaires prévues par la loi (art. 131-11 du Code pénal), y compris le suivi sociojudiciaire (art. 131-36-7 du Code pénal). Dans les cas où le délit n’est pas puni à titre principal d’une peine d’emprisonnement mais seulement d’une amende, le juge correctionnel pourra soit prononcer l’amende, soit y substituer la peine de jours-amendes ou une ou plusieurs des peines alternatives privatives ou restrictives de droits de l’article 131-6 du Code pénal, soit encore prononcer, à titre principal, une ou plusieurs peines complémentaires prévues par la loi réprimant le délit (art. 131-11 du Code pénal ; voir également art. 131-36-7 pour le suivi sociojudiciaire). Par ailleurs, les peines alternatives prononcées à la place des peines principales peuvent se cumuler avec les peines complémentaires prévues par le texte qui réprime l’infraction. Toutefois, dans la mesure où le contenu des peines complémentaires est parfois identique ou similaire aux peines alternatives privatives ou restrictives de droits de l’article 131-6 du Code pénal (par exemple, suspension du permis de conduire, interdiction professionnelle), le principe de leur cumul peut trouver des limites. Enfin, dans l’hypothèse où le juge prononce à titre principal une ou plusieurs peines complémentaires prévues par le texte réprimant l’infraction, comme l’article 131-11 du Code pénal lui en donne la possibilité, il ne pourra alors prononcer cumulativement aucune peine principale, ni aucune peine alternative. 304

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3) Règles applicables aux contraventions Le juge de police peut prononcer soit l’amende, soit une ou plusieurs peines alternatives privatives ou restrictives de droits de l’article 131-14 du Code pénal, sans pouvoir les cumuler (art. 131-15 du Code pénal), assorties le cas échéant d’une ou plusieurs des peines complémentaires prévues par le règlement. Comme en matière correctionnelle, le juge de police peut prononcer seulement une ou plusieurs de ces peines complémentaires à titre principal, sans pouvoir alors les cumuler avec l’amende ou une peine alternative (art. 131-18 du Code pénal).

B) Peines pouvant être prononcées à l’égard des personnes morales La situation est plus simple s’agissant des peines que le juge répressif peut prononcer à l’encontre des personnes morales. En matière criminelle et correctionnelle, le juge peut prononcer, lorsque la loi le prévoit, l’amende et les peines de l’article 131-39 du Code pénal, isolément ou cumulativement. Si la loi prévoit des peines complémentaires, elles ne pourront être prononcées qu’en supplément, non à la place des peines principales. Pour les contraventions, le juge de police pourra prononcer l’amende et, si elles sont mentionnées dans le texte réprimant l’infraction, une ou plusieurs peines complémentaires en plus de l’amende ou à la place de celle-ci, à titre principal (art. 131-43 et 131-44 du Code pénal). Deux peines alternatives peuvent en outre être prononcées à la place de l’amende pour les contraventions de 5e classe (art. 131-42 du Code pénal).

§ 3.

Détermination du taux (durée ou montant) de la sanction

Pour la plupart des peines, en tout cas pour les principales d’entre elles (peines privatives de liberté, amende), le juge est amené à déterminer le taux, le quantum de la peine, c’est-à-dire sa durée ou son montant, dans les limites fixées par la loi ou le règlement. Conformément à son pouvoir d’individualisation, il dispose d’une grande liberté. Toutefois, la loi impose parfois une diminution ou une aggravation de la sanction.

A) Les contraintes légales : causes légales d’aggravation ou de diminution de la peine encourue Il existe deux sortes de causes légales d’aggravation ou de diminution de la peine. Certaines sont spéciales, en ce sens qu’elles sont attachées par la loi à certaines infractions déterminées. D’autres sont générales, entraînant une aggravation ou une diminution pour un ensemble d’infractions. LARCIER

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1) Les circonstances aggravantes Parmi les circonstances aggravantes, l’une est générale, la récidive. Liée à la pluralité d’infractions, elle sera étudiée ultérieurement. Les circonstances aggravantes spéciales sont des circonstances attachées par les textes à certaines infractions et qui entraînent de plein droit, automatiquement, l’augmentation de la peine encourue. Autrement dit, le législateur attache une peine à une infraction et prévoit une répression accrue, spéciale, si l’infraction est commise dans les circonstances qu’il énonce. Les circonstances aggravantes spéciales sont variées. Elles peuvent avoir trait à la qualité de la victime (par exemple sa profession, son âge – mineurs – ou sa vulnérabilité), à la qualité de l’auteur (par exemple, sa profession), à ses rapports avec la victime (sa qualité de conjoint, de concubin ou de partenaire lié par un PACS, d’ascendant ou de descendant), aux moyens matériels ou aux techniques employés par l’auteur de l’infraction (par exemple, l’emploi d’une arme ou, en matière de viol, d’agression sexuelle, de proxénétisme et de corruption de mineur, l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de télécommunication pour se mettre en contact avec la victime), au but poursuivi par celui-ci (c’est la question du mobile : voir p. 140), au moment ou au lieu où est commise l’infraction (de nuit, dans une habitation, à l’intérieur d’un établissement scolaire ou éducatif ou à l’occasion des entrées ou sorties des élèves…), aux conséquences de l’infraction (par exemple, la mort d’hommes) ou encore à la pluralité d’auteurs et de complices (réunion, bande organisée). Conformément au principe non bis in idem (pas deux fois sur la même chose), le juge ne peut toutefois pas retenir un même fait comme constitutif de deux circonstances aggravantes (par exemple, Crim., 4 février 1998, Bull. crim. n° 44 pour la minorité de la victime et sa particulière vulnérabilité en raison de son âge). De même, il ne peut pas retenir un même fait à la fois comme élément constitutif d’une infraction et comme circonstance aggravante d’une autre infraction (Crim., 6 janvier 1999, Bull. crim. n° 6, pour des violences ; Crim., 20 février 2002, Bull. crim. n° 38 : la mort de la victime ne pouvait être retenue à la fois comme constitutive de l’assassinat et comme circonstance aggravante de la séquestration). Certaines circonstances aggravantes sont subjectives ou personnelles car liées à la personne de l’auteur de l’infraction (par exemple, la qualité de conjoint, de concubin ou de partenaire lié par un PACS), d’autres sont objectives ou réelles car liées aux conditions matérielles de réalisation de l’infraction (par exemple, les violences, les actes de tortures et de barbarie, l’effraction). Ces dernières circonstances s’appliquent aux éventuels complices (voir p. 197 et s.). Quelques circonstances, attachées par le législateur à certaines infractions, sont définies ou explicitées dans les dispositions générales du Code pénal : bande organisée (art. 132-71 du Code pénal), guet-apens (art. 132-71-1), préméditation (art. 132-72), effraction (art. 132-73), escalade (art. 132-74), arme (art. 132-75), mobile raciste (art. 132-76), homophobie (art. 132-77), utilisation d’un moyen de cryptologie (art. 13279), qualité de conjoint, de concubin ou de partenaire lié par un PACS (art. 132-80). Enfin, certaines circonstances aggravantes, prises isolément, constituent ellesmêmes des infractions (violences, tortures et actes de barbarie par exemple). Le législateur réprime alors spécialement la commission de plusieurs infrac306

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Droit pénal général


tions successives dans la même action (par exemple, un viol précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie, art. 222-26 du Code pénal). Ces circonstances sont dites spéciales dans la mesure où elles sont attachées par la loi à une infraction déterminée. Par exemple, les articles 311-4 à 311-11 du Code pénal aggravent la répression du vol, puni normalement d’un emprisonnement de 3 ans et de 45 000 euros d’amende, s’il est commis en certaines circonstances (on parle alors de vol aggravé ou encore qualifié). L’article 311-4 du Code pénal énumère ainsi 9 circonstances qui, prises isolément, sont susceptibles de porter la répression du vol à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Les peines sont portées à 7 ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsque le vol est commis dans deux de ces circonstances et à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque trois de ces circonstances sont réunies (par exemple, en réunion, dans un véhicule de transport collectif de voyageurs, accompagné de violences). Le cumul de circonstances aggravantes est donc parfois spécialement réprimé par la loi (voir également art. 222-12 et 222-13 du Code pénal pour les violences volontaires). Enfin, il faut relever que certaines circonstances ont pour effet de modifier la qualification de l’infraction : ainsi, le vol qui est un délit devient un crime lorsqu’il est précédé, accompagné ou suivi de violences sur autrui ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, lorsqu’il est commis avec usage, menace ou port d’une arme, en bande organisée ou encore lorsqu’il est précédé, accompagné ou suivi de violences ayant entraîné la mort ou de tortures ou d’actes de barbarie (art. 311-7 à 311-10 du Code pénal). C’est dire si l’existence de circonstances aggravantes est appréciée dès le début de la procédure pour déterminer la qualification exacte des faits et les règles (notamment de compétence et de procédure) applicables. Ces circonstances sont des éléments constitutifs de l’infraction aggravée. Toutefois, il convient de bien les distinguer des éléments constitutifs de l’infraction simple. L’absence des circonstances aggravantes spéciales empêche seulement l’application de sanctions aggravées, pas une condamnation. 2) Les causes légales de diminution de peine Ces causes définies limitativement par la loi entraînent une réduction de la peine encourue. Une seule de ces causes est générale puisqu’elle entraîne une diminution de la peine quelle que soit l’infraction commise : la minorité. a) La minorité

Quand le tribunal pour enfants, le tribunal correctionnel pour mineurs (Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice a annoncé la suppression de cette juridiction) ou la cour d’assises des mineurs décide de prononcer une peine, comme il en a la possibilité, à l’encontre d’un mineur délinquant de 13 à 18 ans, celui-ci bénéficie de plein droit d’une diminution de la peine encourue, parfois encore appelée excuse atténuante de minorité (art. 20-2 et 20-3 de l’ordonnance du 2 février 1945 ; voir p. 219). La durée de la peine privative de liberté (réclusion criminelle ou emprisonnement) à temps est alors réduite de moitié, une peine de réclusion de 20 ans étant substituée à la réclusion criminelle à perpétuité si elle est encouLARCIER

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rue. La juridiction pour mineurs ne peut pas non plus prononcer une peine d’amende d’un montant supérieur à la moitié de l’amende encourue ou excédant 7 500 euros. La diminution de moitié de la peine encourue s’applique également aux peines minimales prévues en cas de récidive. Cette diminution de peine est obligatoirement appliquée aux mineurs de 13 à 16 ans. Pour les mineurs de 16 à 18 ans, elle peut être écartée par le tribunal pour enfants, le tribunal correctionnel pour mineurs ou la cour d’assises des mineurs, lorsque les circonstances de l’espèce et la personnalité du mineur le justifient ou en cas de récidive de certains crimes ou de certains délits (crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne, délit de violences volontaires, délit d’agression sexuelle, délit commis avec la circonstance aggravante de violences). En cas de multirécidive de ces infractions, l’atténuation de peine ne s’applique pas, sauf si la cour d’assises des mineurs, le tribunal correctionnel pour mineurs ou le tribunal pour enfants, par une décision spécialement motivée, en décide autrement. b) Les causes spéciales de diminution de peine

La loi a prévu une diminution de la peine encourue lorsque certaines conditions sont réunies, sur le modèle des causes légales d’exemption de peine (voir p. 294). Cependant, à la différence de l’exemption de peine, qui ne peut jouer qu’au stade de la tentative, l’atténuation de peine concerne les auteurs de certains crimes ou délits. Le mécanisme intervient donc après la commission de l’infraction (mais avant condamnation ; si la dénonciation intervient après la condamnation, le condamné peut bénéficier d’une réduction exceptionnelle de peine en application de l’article 721-3 du Code de procédure pénale ; voir p. 366). Comme pour l’exemption de peine, la diminution de la peine ne vaut que pour les causes expressément prévues par la loi et exclusivement pour les infractions auxquelles elles sont attachées : dans les cas prévus par la loi, la durée de la peine privative de liberté encourue par une personne ayant commis un crime ou un délit est réduite si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis soit de faire cesser l’infraction (dans le cas d’une infraction continue), soit d’éviter qu’elle produise un dommage, généralement la mort d’homme ou l’infirmité permanente (dans le cas d’une infraction déjà commise mais dont toutes les conséquences ne se sont pas encore produites), soit d’identifier les autres auteurs ou complices (conditions ici alternatives, la dénonciation des coauteurs ou complices étant suffisante). Ces dispositions sont également applicables lorsque la dénonciation porte sur une infraction connexe de même nature que le crime ou le délit pour lequel l’intéressé est poursuivi. Aucune condamnation ne peut être cependant prononcée sur le seul fondement de ces déclarations (art. 132-78 al. 2 à 4 du Code pénal). La personne bénéficiant d’une réduction de peine en application des dispositions de l’article 132-78 du Code pénal bénéficie du régime de protection organisé par l’article 706-63-1 du Code de procédure pénale (voir p. 295). Une telle diminution de peine est ainsi prévue pour l’empoisonnement (art. 221-5-3 du Code pénal), les tortures et actes de barbarie (art. 222-6-2 du Code pénal), le trafic de stupéfiants (art. 222-43 du Code pénal), l’enlèvement et la séquestration (art. 224-5-1 du Code pénal), le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de 308

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transport (art. 224-8-1 du Code pénal), la traite des êtres humains (art. 225-4-9 du Code pénal), le proxénétisme (art. 225-11-1 du Code pénal), le vol et l’extorsion en bande organisée (art. 311-9-1 et 312-6-1 du Code pénal), l’intelligence avec une puissance étrangère et la direction ou l’organisation de mouvement insurrectionnel (art. 414-4 du Code pénal), les infractions terroristes (art. 422-2 du Code pénal), la fausse monnaie (art. 442-10 du Code pénal), les infractions à la législation sur les armes biologiques ou à base de toxines (art. L. 2341-6 du Code de la défense), sur les armes chimiques (art. L. 2342-76 du Code de la défense), sur les explosifs (art. L. 2353-4 et L. 2353-9 du Code de la défense), ainsi que certains délits à la législation sur les matériels de guerre, armes ou munitions de défense (art. L. 2339-13 du Code de la défense). S’agissant de l’étendue de la diminution de la peine, la peine privative de liberté encourue par le dénonciateur est réduite de moitié. Lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, celle-ci est ramenée à vingt ans de réclusion criminelle. On rapprochera de ces dispositions celles des articles 224-1, 224-3 et 224-4 du Code pénal qui prévoient, pour les infractions d’enlèvement, de séquestration arbitraire et de prise d’otage, des peines plus réduites lorsque le ou les auteurs de l’infraction ont libéré volontairement la victime avant le septième jour, sans l’avoir torturée ou mutilée. En revanche, le Code pénal ne reprend pas l’excuse de provocation, cause d’atténuation antérieurement prévue par le Code de 1810 pour le meurtre et les coups et blessures, les effets à donner à cette circonstance étant désormais laissés à l’appréciation du juge dans le cadre de son pouvoir général d’individualiser la peine.

B) Latitude du juge dans le choix du taux de la peine La plupart des peines attachées à une infraction sont susceptibles de gradation dans leur durée ou dans leur montant (sauf quelques peines, comme la confiscation). En l’absence d’une cause légale d’exemption de peine et s’il estime devoir prononcer une peine, le juge dispose d’une grande latitude pour adapter et moduler la peine encourue dans la limite du maximum légal, déterminé après avoir fait jouer, le cas échéant, les causes légales d’aggravation ou de diminution de la peine. En matière criminelle, quelques limites supplémentaires sont toutefois imposées aux cours d’assises lorsqu’elles prononcent une peine privative de liberté. Par ailleurs, la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite loi « Loppsi 2 », introduit dans certains cas la peine d’emprisonnement plancher hors toute récidive. 1) Limite générale au choix du taux de la peine : le maximum légal Sous l’ancien Code pénal, les peines privatives de liberté et les amendes attachées à une infraction comportaient un maximum et un minimum. Le juge fixait en principe la peine dans cette fourchette mais, par le recours aux circonstances atténuantes, il pouvait également descendre en dessous du minimum fixé. Généralisées au XXe siècle à toutes les infractions et au bénéfice de tous les délinquants, les LARCIER

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circonstances atténuantes étaient laissées à l’appréciation du juge. Celui-ci prenait en compte les circonstances les plus diverses, tenant tant aux conditions matérielles de commission de l’infraction qu’à la personne de l’auteur de l’infraction (maladie, âge, mobiles, repentir, situation sociale et professionnelle…). Le Code pénal a supprimé la mention des minima attachés aux peines ainsi que la technique des circonstances atténuantes qui ne présentait dès lors plus d’intérêt. S’agissant des textes antérieurs au Code pénal (et, par définition, extérieurs à celui-ci), les mentions relatives aux minima des peines privatives de liberté ou des peines d’amende ont été supprimées par l’article 322 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992. Les textes qui répriment les infractions par des peines susceptibles de graduation ne fixent qu’un maximum. Dans la limite du maximum fixé, le juge a toute liberté pour fixer le montant ou la durée de la peine. Ce principe est expressément rappelé pour l’emprisonnement correctionnel et pour la peine d’amende (art. 132-19 al. 1 et 132-20 du Code pénal). La peine ne comportant plus qu’un maximum, le juge peut donc descendre très bas et ne prononcer qu’une peine symbolique. Il existe toutefois des exceptions à ce principe : – d’abord, les amendes fiscales et douanières proportionnelles, qui ont le double caractère de sanctions pénales et de réparations civiles, sont exclues de cette prescription, de sorte que les dispositions du Code des douanes et du Code général des impôts qui fixent un minimum en dessous duquel le tribunal ne peut aller (par exemple, le tiers de la valeur de la marchandise sur laquelle a porté la fraude) restent applicables (voir par exemple, Crim., 29 mai 1997, Bull. crim. n° 213 ; Crim., 31 mars 1999, Bull. crim. n° 67) ; – ensuite, lorsque la procédure de l’amende forfaitaire est applicable (voir p. 380) et que l’auteur de la contravention présente une requête, une protestation ou une réclamation, la juridiction de proximité (la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 « relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles » supprime, à compter du 1er janvier 2015, les juridictions de proximité, et confie la compétence pour connaître des contraventions des quatre premières classes au tribunal de police constitué par un juge de proximité et, à défaut, par un juge du tribunal d’instance), en cas de condamnation, ne peut pas prononcer une amende d’un montant inférieur à celui des amendes qui auraient été dues si l’intéressé n’avait pas formulé de contestation (art. 530-1 du Code de procédure pénale ; Crim., 16 juin 1999, Bull. crim. n° 138 ; Crim., 20 octobre 1999, Bull. crim. n° 229 ; Crim., 4 avril 2002, Droit pénal 2002, chron. n° 39) ; – lorsque la juridiction d’appel statue sur le seul appel de la personne condamnée, elle ne peut aggraver les peines prononcées en première instance (art. 515 al. 2 et 380-3 du Code de procédure pénale) ; – enfin, la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 a instauré aux articles 132-181 et 132-19-1 du Code pénal des peines minimales, également appelées peines-plancher, pour les crimes et les délits graves commis en état de récidive légale. Cependant, la juridiction peut toujours décider de prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci (en cas de première récidive) ou si l’intéressé présente des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion (en cas de multirécidive ; voir p. 316). 310

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2) Limites spéciales imposées en matière criminelle pour les peines privatives de liberté En matière criminelle, l’article 132-18 du Code pénal rappelle qu’il est possible aux cours d’assises de prononcer des peines de réclusion ou de détention criminelle d’une durée inférieure à celle encourue, voire une peine d’emprisonnement. Toutefois, le législateur a posé des limites à cette liberté. a) Limites supérieures

En matière criminelle, le maximum de la peine privative de liberté ne peut être prononcé qu’à la majorité de 6 voix au moins des membres de la cour d’assises (8 voix en appel). Lorsque cette majorité n’est pas obtenue et que, par voie de conséquence, il sera prononcé une peine d’une durée inférieure au maximum encouru, il ne pourra pas être prononcé de peine de réclusion criminelle supérieure à 30 ans lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, ni de peine de réclusion criminelle supérieure à 20 ans lorsque la peine encourue est de 30 ans de réclusion criminelle (art. 362 al. 2 du Code de procédure pénale ; voir pour une application, Crim., 8 janvier 1997, Bull. crim. n° 4), ce qui correspond d’ailleurs, dans les deux hypothèses, à la peine immédiatement inférieure dans l’échelle des peines criminelles de l’article 131-1 du Code pénal. b) Limites inférieures

L’article 132-18 du Code pénal établit également des limites inférieures, en dessous desquelles il n’est pas possible de descendre. Lorsque le crime est puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, elles ne peuvent prononcer une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure à deux ans. Lorsque le crime est puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à temps, elles ne peuvent prononcer une peine d’emprisonnement inférieure à un an. Cependant, dans la mesure où il n’est pas imposé aux cours d’assises de prononcer nécessairement des peines privatives de liberté, cette contrainte est relative. 3) Introduction de peines d’emprisonnement minimales en matière délictuelle hors toute récidive La loi du 14 mars 2011 « Loppsi 2 » insère dans le Code pénal un article 132-19-2 qui prévoit de nouveaux cas de peines plancher. Pour les délits de violences volontaires contre les personnes, aggravées à raison de leurs conséquences sur la victime, de la qualité de celle-ci ou de celle de l’auteur, du mode opératoire ou du lieu de commission de l’infraction, la peine minimale d’emprisonnement est fixée à dix-huit mois, si le délit est puni de sept ans d’emprisonnement et à deux ans, si le délit est puni de dix ans d’emprisonnement. Les peines plancher ne sont donc plus réservées aux seules infractions commises en état de récidive (voir infra 316). Dans sa décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que cette disposition ne méconnaissait pas les principes de nécessité et d’individualisation des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration de 1789 (cons. n° 22 à 25). D’une part, ce mécanisme de peines minimales ne concerne que des délits d’une certaine gravité ; il n’est donc pas disproportionné. D’autre part, il reste loisible à la LARCIER

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juridiction de prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure ou une autre peine que l’emprisonnement en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou de ses garanties d’insertion ou de réinsertion.

SECTION III

Règles particulières en cas de pluralité d’infractions Le renouvellement de la commission d’une infraction est chose courante : près d’un tiers des condamnés sont des récidivistes. De nombreux individus sont des délinquants d’habitude. La commission successive de plusieurs infractions, révélant une dangerosité accentuée de leur auteur, appelle dans certains cas une répression spécifique. Le système français établit une distinction selon que, dans le laps de temps qui sépare les deux infractions, l’intéressé a été définitivement condamné ou non pour la première infraction commise. Lorsqu’il a été définitivement condamné pour la première infraction avant d’avoir commis la seconde et lorsque la peine qui lui a été infligée pour la première infraction a été exécutée ou lorsque celle-ci est prescrite, la loi aggrave le plus souvent la répression. En effet, le délinquant qui aura subi la peine prononcée pour la première infraction, apparaît particulièrement dangereux puisque l’exécution de la peine ne l’a nullement amendé. On parle alors de récidive. On notera que le terme récidive recouvre une notion juridique précise : il n’y a récidive que dans les cas où la loi prévoit expressément une aggravation des peines encourues. En dehors de ces cas, on use du terme de réitération. La seconde infraction est alors jugée indépendamment de la première. Par contre, si la première infraction n’a pas fait l’objet d’une condamnation définitive lorsque l’intéressé commet sa deuxième infraction, il y a concours réel d’infractions. Le prévenu ou le condamné bénéficie alors de règles de faveur : les peines ne peuvent pas se cumuler au-delà de certaines limites. On affirme généralement que cette faveur lui est accordée pour la raison qu’il n’a pas encore fait l’objet d’« une mise en garde solennelle » et que la pluralité d’infractions est alors moins condamnable. Il s’agit en réalité davantage d’une règle pratique qui évite, en cas de pluralité d’infractions, un cumul illimité des peines et l’inconvénient d’atteindre un quantum de peine irréaliste (par exemple, 100 ou 150 ans de privation de liberté).

§ 1.

La récidive

La récidive est le fait pour une personne, déjà condamnée définitivement pour une première infraction, de commettre une autre infraction. La récidive suppose donc d’une part la commission d’une première infraction suivie d’une condamnation pénale définitive (ou premier terme de la récidive), d’autre part 312

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la commission, postérieurement à cette condamnation, d’une nouvelle infraction (ou second terme de la récidive). Dans les cas et les conditions prévus par la loi, la récidive emporte aggravation de la peine encourue. La récidive est une cause générale d’aggravation de la peine car non attachée spécifiquement par la loi ou le règlement à une infraction déterminée. La loi n’a toutefois pas prévu une règle unique mais des cas particuliers de récidive. En dehors de ces cas, il n’y a pas de récidive au sens juridique du terme (pour une approche générale et critique, voir : V. Tellier-Cayrol, « La récidive : de quelques paradoxes et incohérences », AJ Pénal 2012, p. 64). À côté des cas de récidive applicables aux personnes physiques, le Code pénal a créé des cas de récidive pour les personnes morales. Par ailleurs, il ne prévoit plus de récidive pour les contraventions des quatre premières classes. L’état de récidive légale peut être relevé d’office par la juridiction de jugement même lorsqu’il n’est pas mentionné dans l’acte de poursuites. Cependant, pour respecter les droits de la défense, il est exigé que la personne poursuivie en soit informée au cours de l’audience et qu’elle ait été mise en mesure d’être assistée d’un avocat et de faire valoir ses observations (art. 132-16-5 du Code pénal ; Crim. 16 janvier 2008, Bull. crim. n° 11 ; Crim., 17 février 2010, Bull. crim. n° 33).

A) Cas de récidive organisés par le Code pénal Quatre questions doivent être impérativement résolues par la loi : la nature de la première infraction ayant fait l’objet de la condamnation définitive ; la nature de la seconde infraction ; la durée du délai dans lequel la seconde infraction doit être commise pour entraîner l’aggravation de la répression et le point de départ de ce délai ; enfin, la portée de l’aggravation de la sanction si les conditions de la récidive sont réunies. 1) Premier terme de la récidive Le premier terme de la récidive est constitué par une infraction ayant fait l’objet d’une condamnation définitive. Il y a lieu de préciser à la fois la nature de l’infraction et la teneur de la condamnation. a) Nature de l’infraction

Il peut toujours y avoir récidive de crime ou de délit. Le Code pénal se contente de viser une catégorie d’infractions, en précisant généralement une limite (par exemple, délit « puni de 10 ans d’emprisonnement »). Il s’agit des peines encourues pour l’infraction précédente, non des peines prononcées contre le récidiviste ou des peines exécutées par celui-ci. S’agissant des contraventions, la récidive ne saurait jouer que pour des contraventions de 5e classe. Il n’y a pas de récidive pour les contraventions des quatre premières classes. Par ailleurs, une condition supplémentaire est posée par les dispositions générales du Code : il n’y a de récidive de contraventions de 5e classe que si le règlement réprimant l’infraction la prévoit expressément. En matière criminelle ou correctionnelle, les règles du Code pénal s’appliquent sans que la loi ait à en prévoir spécialement l’application. LARCIER

La sanction pénale prononcée CHAPITRE 2

313


b) Teneur de la condamnation

L’infraction constituant le premier terme de la récidive doit avoir été l’objet d’une condamnation définitive. Plusieurs conditions sont posées pour que cette condamnation puisse être retenue au titre de la récidive : – la condamnation doit avoir été prononcée soit par une juridiction française, soit par une juridiction d’un autre État membre de l’Union européenne. Selon une jurisprudence de la Cour de cassation, seules les condamnations prononcées par une juridiction française pouvaient être prises en compte pour relever l’état de récidive. Cette position se fondait sur le principe de territorialité de la loi pénale (Crim., 7 novembre 1968, Bull. crim. n° 290). La loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, puis celle du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle, ont remis partiellement en cause ce principe. En vertu de l’article 132-23-1 du Code pénal, « pour l’application du Code pénal et du Code de procédure pénale, les condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un État membre de l’Union européenne sont prises en compte dans les mêmes conditions que les condamnations prononcées par les juridictions pénales françaises et produisent les mêmes effets juridiques que ces condamnations ». La connaissance des décisions rendues par les tribunaux des autres États membres de l’Union européenne est rendue possible par l’interconnexion des casiers judiciaires nationaux (voir p. 321) ; – il doit s’agir d’une condamnation à une peine. Ne sont donc pas prises en considération les décisions qui prononcent un ajournement du prononcé de la peine, une dispense de peine ou une exemption de peine, de même que les condamnations à des sanctions non pénales, comme les mesures éducatives à l’égard des mineurs délinquants ou les amendes fiscales ou douanières ; – la condamnation doit être devenue définitive, c’est-à-dire être passée en force de chose jugée. Cela signifie que si la condamnation émane d’une juridiction de première instance, le délai d’appel doit être expiré ; – la condamnation ne doit pas avoir été effacée. L’amnistie ou l’expiration du délai d’épreuve d’un sursis empêchent ainsi de prendre en compte la condamnation (par exemple, Crim., 23 mars 1982, Bull. crim. n° 84 ; Crim., 20 février 1989, Bull. crim. n° 81). 2) Second terme de la récidive Deux systèmes sont concevables pour que la récidive soit constituée. Dans un premier schéma, il est possible de considérer que n’importe quelle nouvelle infraction, ou du moins type d’infraction (par exemple un crime ou un délit), quelle que soit sa nature, suffit à constituer la récidive et à aggraver les peines encourues. C’est le système de la récidive générale qui peut parfois apparaître contestable, lorsque les infractions sont espacées entre elles dans le temps et d’une nature totalement différente, en particulier si l’une d’elles est une infraction non intentionnelle. Dans un second schéma, la récidive n’est constituée que lorsque la nature de la seconde infraction commise est déterminée, en pratique si elle est identique ou du moins assimilable à la première infraction ayant fait l’objet d’une condamnation définitive. La récidive est alors dite spéciale. Le Code pénal envisage les deux hypothèses. 314

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


Pour les cas de récidive les plus graves, c’est-à-dire ceux dont le premier terme est un crime ou un délit puni de 10 ans d’emprisonnement (ou de 100 000 euros d’amende lorsque le récidiviste est une personne morale), la loi adopte le système de la récidive générale en prévoyant l’aggravation de la sanction quelle que soit l’infraction constituant le second terme de la récidive, pourvu qu’il s’agisse d’un crime ou d’un délit puni d’un emprisonnement supérieur à un an (au moins 15 000 euros d’amende en ce qui concerne les personnes morales). Pour les cas de récidive les moins graves, la loi exige pour que la peine soit aggravée soit la commission de la même infraction (pour la récidive de contravention de la 5e classe), soit la commission d’une infraction identique ou assimilée (pour la récidive de délit). À cette fin, la loi assimile des infractions entre elles. Ainsi, sont considérés au regard de la récidive comme une même infraction, le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie et l’abus de confiance (art. 132-16 du Code pénal), les délits d’agression sexuelle et d’atteintes sexuelles (art. 132-16-1 du Code pénal), certains délits commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule (art. 132-16-2 du Code pénal), les délits de traite des êtres humains et de proxénétisme (art. 132-16-3 du Code pénal), les délits de violences volontaires aux personnes ainsi que tout délit commis avec la circonstance aggravante de violences, par exemple un vol avec violences (art. 132-16-4 du Code pénal), ou encore diverses infractions à l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi d’armes chimiques (art. L. 2342-73 du Code de la défense). De même, l’article 321-5 du Code pénal assimile au regard de la récidive, le recel à l’infraction dont provient le bien recelé. 3) Délai de commission de la seconde infraction La loi doit fixer le délai dans lequel doit intervenir la seconde infraction pour que la récidive soit constituée, ainsi que le point de départ de ce délai. À cet égard, la récidive peut être perpétuelle si elle est constituée quel que soit le délai qui s’est écoulé depuis la première condamnation, ou temporaire lorsque la loi ne prévoit l’aggravation des peines encourues que si la seconde infraction intervient dans un délai déterminé. En pratique, le délai dans lequel la seconde infraction doit intervenir après la condamnation définitive est variable. La récidive est perpétuelle pour les cas de récidive les plus graves, aucun délai entre les deux termes n’étant posé. Elle est temporaire dans les autres cas, un délai (de 10 ans, 5 ans ou 1 an) étant fixé par la loi. Ce délai court à partir de l’expiration de la peine lorsqu’elle a été exécutée ou de la prescription de la peine antérieurement prononcée. 4) Étendue de l’aggravation des peines Les conséquences de l’état de récidive sur les peines encourues sont de deux types. D’une part, de façon classique, la récidive emporte une augmentation du maximum légal encouru. D’autre part, depuis la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, des peines minimales de privation de liberté sont fixées par la loi dans certains cas de récidive. LARCIER

La sanction pénale prononcée CHAPITRE 2

315


a) Augmentation du maximum légal encouru

La récidive a pour conséquence une aggravation des peines encourues pour la seconde infraction. La portée de cette aggravation varie selon les infractions commises. Elle se traduira dans la plupart des cas (sauf pour un crime puni de 20 à 30 ans de réclusion ou de détention criminelle, qui est puni de la réclusion ou de la détention criminelle à perpétuité s’il est commis après un crime ou un délit puni de 10 ans d’emprisonnement) par un doublement du montant ou de la durée de la ou des peines principales encourues pour la seconde infraction (réclusion pour les crimes, emprisonnement et amende pour les délits, amende pour les contraventions de la 5e classe). Cette même règle s’applique pour les personnes morales. La loi prévoit qu’en cas de récidive, le taux maximum de l’amende applicable à la personne morale est égal à 10 fois celui prévu par le texte qui réprime l’infraction en ce qui concerne les personnes physiques. Il s’agit donc d’un simple doublement de l’amende normalement encourue par la personne morale, égal au quintuple du montant prévu par le texte qui réprime l’infraction en ce qui concerne les personnes physiques. La loi prévoit en outre, pour les cas de récidive les plus graves, l’application des peines de l’article 131-39 du Code pénal. Seules les peines principales sont cependant aggravées. Sauf les rares cas où la loi en dispose autrement, le maximum des peines complémentaires ou alternatives reste inchangé, le juge ne pouvant aller au-delà du maximum légal encouru (Crim., 18 janvier 2006, Droit pénal 2006, comm. n° 56, pour la peine d’interdiction du territoire français). Dans tous les cas de récidive, seules les peines encourues sont aggravées. Le juge n’est bien entendu pas tenu d’appliquer ces maximums calculés en fonction de la récidive. Il n’est pas non plus tenu de prononcer des peines plus lourdes que celles qu’il aurait prononcées si l’intéressé n’était pas un récidiviste. Son pouvoir d’individualiser la sanction reste intact. Seul le plafond qu’il ne peut dépasser est rehaussé. Par contre, la loi a instauré des peines minimales pour les cas de récidive les plus graves. b) Instauration de peines minimales de privation de liberté

Dans le but de combattre la récidive, notamment celle qui concerne les infractions violentes, et d’en renforcer la répression effective, la loi n° 20071198 du 10 août 2007 a instauré des peines minimales de privation de liberté, communément appelées peines-plancher (la loi du 14 mars 2011 « Loppsi 2 » a introduit des peines plancher hors toute récidive ; voir supra 311). Cependant, pour respecter les principes constitutionnels de nécessité et d’individualisation des peines, le législateur a laissé au juge la possibilité de ne pas retenir ces peines minimales au regard des circonstances d’espèce. La loi du 10 août 2007 a institué des peines minimales de privation de liberté applicables dès la première récidive pour l’ensemble des crimes et pour les délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement. Pour les crimes commis en état de récidive légale, la peine d’emprisonnement, de réclusion ou de détention ne peut être inférieure aux seuils suivants (article 132-18-1 du Code pénal) : – cinq ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention (exemple : viol) ; 316

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


– sept ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention (exemples : tortures sur mineur de quinze ans ; organisation de groupement terroriste) ; – dix ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention (exemples : meurtre ; trafic international de stupéfiants en bande organisée) ; – quinze ans, si le crime est puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité (exemple : assassinat). Pour les délits commis en état de récidive légale, la peine minimale d’emprisonnement est fixée à (article 132-19-1 du Code pénal) : – un an, si le délit est puni de trois ans d’emprisonnement (exemple : vol simple) ; – deux ans, si le délit est puni de cinq ans d’emprisonnement (exemples : vol avec violence légère ; cession illicite de stupéfiants en vue de la consommation personnelle) ; – trois ans, si le délit est puni de sept ans d’emprisonnement (exemple : vol avec violence et en réunion) ; – quatre ans, si le délit est puni de dix ans d’emprisonnement (exemples : vol avec violence et en réunion, dans un transport collectif ; trafic de stupéfiants). Ces dispositions sont applicables aux majeurs comme aux mineurs. Toutefois, pour ces derniers, la peine minimale encourue est diminuée de moitié conformément au principe d’atténuation de la responsabilité des mineurs âgés de plus de 13 ans (article 20-2 alinéa 1 de l’ordonnance du 2 février 1945). L’instauration de peines fixes ou minimales automatiques étant contraire aux principes constitutionnels de nécessité et d’individualisation des peines, la loi a laissé au juge la faculté de prononcer une peine privative de liberté inférieure aux seuils fixés par les articles 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal. Ces dispositions prévoient en effet que la juridiction peut prononcer une peine privative de liberté pour une durée inférieure au seuil minimal – ou en matière correctionnelle, une peine autre que l’emprisonnement (amende ; travail d’intérêt général ; peine alternative…) – en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci. Pour les crimes et pour les délits d’une particulière gravité (violences volontaires ; délit commis avec la circonstance aggravante de violences, comme le vol avec violences ; agression ou atteinte sexuelle ; délit puni de dix ans d’emprisonnement) commis une nouvelle fois en récidive, la dérogation n’est possible que si l’accusé ou le prévenu présente des garanties « exceptionnelles » d’insertion ou de réinsertion. En matière correctionnelle, la juridiction se prononce dans tous les cas par une décision spécialement motivée (Crim., 16 décembre 2008, Droit pénal 2009, comm. n° 31). Les peines minimales posées par les articles 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal ne sont donc pas des peines automatiques et le juge peut aller en dessous des seuils imposés, dans les conditions prévues par la loi. En conséquence, le Conseil constitutionnel a jugé que les principes de nécessité et d’individualisation des peines n’étaient pas remis en cause par ces dispositions (Cons. constit., 9 août 2007, JO 10 août 2007). LARCIER

La sanction pénale prononcée CHAPITRE 2

317


Lorsque les circonstances de l’infraction ou la personnalité de l’auteur le justifient, le président de la juridiction avertit le condamné, lors du prononcé de la peine, des conséquences qu’entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale (article 132-20-1 du Code pénal). 5) Synthèse des cas de récidive prévus par le Code pénal Les cas de récidive prévus par le Code pénal et l’aggravation des peines qui en découle sont synthétisés dans les tableaux ci-après. Tableau 5 Cas de récidive pour les personnes physiques (articles 132-8 à 132-11 du Code pénal) Premier terme de la récidive

Second terme de la récidive

1re infraction (après condamnation définitive)

2nde infraction

Crime puni de 20 ou 30 ans de réclusion ou de détention criminelle

Crime ou délit puni de 10 ans d’emprisonnement (article 132-8 et 132-9 du Code pénal)

Contravention de 5e classe, dans les cas où le règlement le prévoit (article 13211 du Code pénal)

dans lequel doit intervenir cette 2nde infraction à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine

Aucun (récidive perpétuelle)

Crime puni de 15 ans de réclusion ou de détention criminelle Délit puni de 10 ans d’emprisonnement Délit puni d’une peine d’emprisonnement de plus d’un an et de moins de 10 ans

Délit (article 132-10 du Code pénal)

Délai

Délit identique ou assimilé (récidive spéciale)

identique (récidive spéciale)

pour la 2nde infraction par l’effet de la récidive

• Réclusion ou détention criminelle à perpétuité

• Réclusion ou détention criminelle de 30 ans

• Le maximum des peines 10 ans

d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé

• Le maximum 5 ans

des peines d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé

• Le maximum des peines 5 ans 1 an

Contravention de 5e

Sanction 1 encourue

classe 3 ans

d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé

• 3 000 euros d’amende • Peines délictuelles (dans les cas où la loi le prévoit)

1. Les peines minimales prévues par les articles 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal sont applicables en cas de récidive de crime et de délit puni d’au moins 3 ans d’emprisonnement (loi 2007-1198 du 10 août 2007 ; voir développement 316).

318

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


Tableau 6 Cas de récidive pour les personnes morales (articles 132-12 à 132-15 du Code pénal) Premier terme de la récidive

Second terme de la récidive

1re infraction (après condamnation définitive)

2nde infraction

Sanction encourue

Délai dans lequel doit intervenir cette 2nde infraction

pour la 2nde infraction par l’effet de la récidive

Aucun (récidive perpétuelle)

• Amende encourue par les personnes physiques multipliée par 10 ; • Peines de l’article 131-39 du Code pénal

10 ans

• Amende encourue par les personnes physiques multipliée par 10 ; • Peines de l’article 131-39 du Code pénal

Délit puni pour les personnes physiques d’au moins 15 000 euros d’amende

5 ans

• Amende encourue par les personnes physiques multipliée par 10 ; • Peines de l’article 131-39 du Code pénal

Délit (article 132-14 du Code pénal)

Délit identique ou assimilé

5 ans

• Amende encourue par les personnes physiques multipliée par 10

Contravention de 5e classe, dans les cas où le règlement le prévoit (article 132-15 du Code pénal)

Contravention de 5e classe identique

1 an

• Amende encourue par les personnes physiques multipliée par 10 (c’est-à-dire 15 000 euros)

Crime Crime ou délit puni en ce qui concerne les personnes physiques de 100 000 euros d’amende (article 132-12 et 132-13 du Code pénal)

Délit puni pour les personnes physiques de 100 000 euros d’amende

B) Cas spéciaux de récidive Certains cas spéciaux de récidive, prévus dans des textes extérieurs au Code pénal, envisagent un régime spécifique selon diverses modalités. Parfois, il s’agit d’une véritable dérogation aux règles générales du Code pénal. Ainsi, pour certaines infractions, il arrive que des dispositions spéciales excluent l’application de la récidive alors que les règles générales auraient aggravé les peines encourues. C’est le cas pour quelques infractions en matière de presse, notamment pour la diffamation envers un particulier (art. 63 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). Dans d’autres hypothèses, c’est l’étendue de l’aggravation qui est dérogatoire au droit commun. Ainsi, il est des cas où la loi prévoit que la récidive de contravention constitue un délit, comme par exemLARCIER

La sanction pénale prononcée CHAPITRE 2

319


ple en matière routière pour le dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h (art. L. 413-1 du Code de la route : délit de récidive de grand excès de vitesse). Dans les cas où la loi prévoit que la récidive d’une contravention de la 5e classe constitue un délit, le délai dans lequel la seconde infraction doit intervenir pour que la récidive soit constituée est porté à trois ans (art. 132-11 al. 2 du Code pénal). Parfois, la loi spéciale aménage simplement la portée de la récidive, en prévoyant l’application de peines complémentaires supplémentaires en cas de récidive. Par exemple, en cas de récidive de conduite d’un véhicule en état alcoolique ou de récidive de conduite sous l’influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants, le prévenu encourt à titre complémentaire la confiscation ou l’immobilisation pendant une durée d’un an au plus de son véhicule ainsi que l’annulation de plein droit de son permis de conduire (art. L. 234-12 I, L. 234-13 et L. 235-4 du Code de la route). De même, en cas de récidive du délit de publicité ou de propagande irrégulière en faveur du tabac, le tribunal peut interdire la vente des produits qui ont fait l’objet de l’opération illégale (art. L. 3512-2 du Code de la santé publique).

C) Preuve de la récidive La récidive implique l’identification du délinquant, en particulier lorsque celui-ci dissimule sa véritable identité, et la détermination de son passé criminel. L’identification du délinquant sera réalisée par le recours à diverses techniques, notamment l’anthropométrie (étude des mensurations) et la dactyloscopie (empreintes digitales), et du recoupement des informations ainsi obtenues avec celles répertoriées par le service de l’identité judiciaire. Quant à l’identification des personnes morales, elle s’effectue au moyen du répertoire national des entreprises et des établissements. Pour établir la preuve des antécédents judiciaires du prévenu, les autorités judiciaires auront recours au casier judiciaire national automatisé, véritable « mémoire » des condamnations pénales. Informatisé et tenu à Nantes, le casier judiciaire contient les décisions de condamnations pénales pour crime, délit et contravention de la 5e classe prononcées par les juridictions pénales, même celles prononcées avec sursis. Il comporte également, à d’autres fins que celle de pouvoir faire jouer la récidive, d’autres décisions : déclarations de culpabilité assorties d’une dispense de peine ou d’un ajournement du prononcé de la peine ; condamnations pour les contraventions des quatre premières classes, dès lors qu’a été prise, à titre principal ou complémentaire, une mesure d’interdiction, de déchéance ou d’incapacité ; décisions prononçant des mesures éducatives à l’égard des mineurs délinquants ; décisions disciplinaires prononcées par l’autorité judiciaire ou par une autorité administrative lorsqu’elles entraînent ou édictent des incapacités ; jugements prononçant une liquidation judiciaire ou la faillite personnelle ; jugements prononçant la déchéance de l’autorité parentale ; arrêtés d’expulsion pris contre les étrangers ; certaines condamnations étrangères ; les compositions pénales ; les jugements ou arrêts de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, lorsqu’une hospitalisation d’office a été ordonnée ou lorsqu’une ou plusieurs mesures de sûreté ont été prononcées (art. 768 du Code de procédure pénale). 320

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


Les fiches du casier judiciaire comportent, en outre, de nombreuses mentions relatives à l’exécution ou à l’extinction de la peine : grâce, réductions de peine, libération conditionnelle, réhabilitations… (art. 769 al. 1 du Code de procédure pénale). La communication des fiches du casier judiciaire se réalise sous la forme d’extraits, appelés bulletins. Le bulletin n° 1, délivré uniquement aux magistrats, est un relevé intégral des fiches de l’intéressé. Le bulletin n° 2, délivré à certaines administrations, est une version légèrement épurée. Enfin, le bulletin n° 3, le plus réduit, est délivré uniquement à la personne qu’il concerne (ou, pour un mineur ou un majeur sous tutelle, son représentant légal) et à sa demande. Les personnes morales pouvant faire l’objet de condamnations pénales, un casier judiciaire des personnes morales a été créé. Celui-ci répertorie pour l’essentiel les condamnations pénales pour crimes, délits et contraventions de la 5e classe ; les condamnations pour les contraventions des quatre premières classes dès lors qu’a été prise, à titre principal ou complémentaire, une mesure d’interdiction, de déchéance ou d’incapacité (art. 768-1 du Code de procédure pénale). Il mentionne en outre un certain nombre de mesures relatives à l’exécution ou à l’extinction de la sanction. L’article 132-23-1 du Code pénal pose le principe que « pour l’application du Code pénal et du Code de procédure pénale, les condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un État membre de l’Union européenne sont prises en compte dans les mêmes conditions que les condamnations prononcées par les juridictions pénales françaises et produisent les mêmes effets juridiques que ces condamnations ». Les condamnations des juridictions pénales d’un État membre de l’Union européenne ont les mêmes effets que les condamnations prononcées par les juridictions pénales françaises : cela vaut non seulement en matière de récidive, mais également dans d’autres domaines comme par exemple pour l’octroi ou la révocation d’un sursis, pour la révocation d’une libération conditionnelle ou encore en matière de réhabilitation. L’article 132-23-2 du Code pénal précise que « pour l’appréciation des effets juridiques des condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un État membre de l’Union européenne, la qualification des faits est déterminée par rapport aux incriminations définies par la loi française et sont prises en compte les peines équivalentes aux peines prévues par la loi française. » Ces dispositions sont mises en pratique par le biais d’une interconnexion des casiers judiciaires nationaux.

§ 2.

Le concours réel d’infractions

« Il y a concours d’infractions lorsqu’une infraction est commise par une personne avant que celle-ci ait été définitivement condamnée pour une autre infraction » (art. 132-2 du Code pénal). Cette notion se distingue de celle de concours idéal de qualifications qui suppose un fait unique susceptible de plusieurs qualifications pénales (voir p. 116). Elle se distingue également de la récidive puisque si plusieurs infractions ont été commises successivement, la première infraction n’a pas fait l’objet, dans le cadre du concours réel, d’une condamnation définitive. LARCIER

La sanction pénale prononcée CHAPITRE 2

321


S’agissant des peines applicables, divers systèmes sont concevables. On pourrait envisager de sanctionner chaque infraction indépendamment des autres et de cumuler ensuite les peines ainsi prononcées. Il serait même possible, sur le modèle de la récidive, d’aggraver en outre les peines de la dernière infraction commise. Toutefois, si aucune limite n’est posée, la solution peut amener, pour les peines de même nature et en particulier pour les peines privatives de liberté, à un total excessivement élevé (par exemple plusieurs centaines d’années). Pour éviter cet effet pervers, le droit français rejette le système du cumul des peines. Pour des raisons pratiques, il convient de distinguer, comme le fait le Code pénal, selon que les infractions en concours font l’objet d’une même poursuite ou de poursuites séparées (les infractions étant alors jugées séparément). Dans le premier cas, le problème se résoudra au stade du prononcé des sanctions par le juge ; dans le second, au stade de l’exécution des peines. Pour schématiser, le Code pénal adopte un système de cumul plafonné. Les peines se prononcent ou s’exécutent cumulativement dès lors qu’elles sont de nature différente. Par contre, celles de même nature ne pourront être prononcées (en cas d’unité de poursuites) ou exécutées (en cas de pluralités de poursuites) que jusqu’à concurrence du maximum légal le plus élevé. Avant d’examiner ce système, il convient de définir les notions essentielles que sont « les peines de même nature » et « le maximum légal le plus élevé ».

A) Définition des notions de base 1) Les peines de même nature Les peines de même nature sont celles qui ont le même contenu et le même effet. L’article 132-5 alinéa 1 du Code pénal énonce ainsi que les peines privatives de liberté sont de même nature. Au-delà de cet exemple, il s’agira par exemple des peines d’amende, de suspension du permis de conduire, d’interdiction professionnelle, de travail d’intérêt général… Lorsque de telles peines sont attachées à plusieurs infractions en concours, elles ne pourront être prononcées ou exécutées que dans la limite du maximum légal le plus élevé. 2) Le maximum légal le plus élevé Pour déterminer celui-ci, il faut examiner les textes réprimant les différentes infractions en concours. Si des peines de même nature sont encourues pour plusieurs de ces infractions (par exemple, des peines privatives de liberté), il convient d’examiner les montants ou les durées maximaux encourus pour chacune d’entre elles, pour ne retenir que le maximum encouru le plus élevé. Par exemple, pour les peines privatives de liberté, si l’on prend trois infractions en concours, punies chacune d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale respective de 1 an, 3 ans et 7 ans, le maximum légal le plus élevé est 7 ans. Si le texte réprimant l’infraction ne précise pas la durée ou le montant de la peine, il faudra se reporter aux dispositions générales du Code pénal. Ainsi, le maximum légal du montant de la peine de jours-amendes est de 1 000 euros par jour pendant 360 jours (art. 131-5 du Code pénal). Le maximum d’heures pouvant 322

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


être prononcées au titre du travail d’intérêt général est de 210 heures (art. 131-8 du Code pénal). Ce maximum légal est établi, le cas échéant, après avoir fait jouer les causes légales d’aggravation ou de diminution de peine. L’article 132-5 alinéa 2 du Code pénal précise par ailleurs que pour déterminer ce maximum, il est tenu compte de l’état de récidive (en effet, si les infractions en présence sont bien en concours, les peines encourues pour l’une ou plusieurs d’entre elles peuvent être aggravées par l’effet de la récidive : par exemple, un individu a été condamné pour recel et a purgé sa peine. Deux ans après sa sortie de prison, il commet un autre recel – récidive – puis une agression sexuelle ; ces deux dernières infractions sont alors en concours). Pour l’application des règles qui suivent et dans le but d’éviter un cumul illimité des peines privatives de liberté, l’article 132-5 alinéa 3 du Code pénal précise par ailleurs que lorsque la réclusion criminelle à perpétuité est encourue pour une ou plusieurs des infractions en concours et qu’elle n’a pas été prononcée, le maximum légal est alors fixé – fictivement – à 30 ans de réclusion criminelle.

B) Règles applicables en cas de poursuite unique Si les infractions en concours font l’objet d’une procédure unique, la juridiction de jugement, après avoir constaté la culpabilité du prévenu pour les différentes infractions, ne prononcera pas toujours une peine spécifique pour chacune d’elle. L’article 132-3 alinéa 1 du Code pénal pose les principes suivants : « chacune des peines encourues peut être prononcée. Toutefois, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu’une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé. » Le nouveau Code pénal se démarque ainsi explicitement du système déduit par la jurisprudence de l’ancien Code pénal. On rappellera, pour bien marquer l’originalité de la règle exposée à l’article 132-3 alinéa 1, qu’en vertu de celle-ci les peines principales formaient un tout indivisible. Il convenait alors de déterminer l’infraction la plus sévèrement sanctionnée, ce qui était fait le plus souvent en fonction des maxima légaux des peines privatives de liberté. À partir de là, seules les peines principales attachées à l’infraction la plus sévèrement réprimée pouvaient être prononcées. 1) Les peines de nature différente peuvent être prononcées cumulativement Dans l’hypothèse où plusieurs peines de nature différente sont encourues, toutes les peines pourront être prononcées, quelles que soient les infractions auxquelles elles sont attachées. Par exemple, un individu commet une première infraction punie d’une peine d’emprisonnement, d’une peine d’amende et, à titre complémentaire, de la suspension pour une durée de cinq ans au plus du permis de conduire. Il commet ensuite une seconde infraction en concours punie d’une peine d’emprisonnement et, à titre complémentaire, de la peine d’affichage ou de diffusion de la décision de condamnation. Le juge, saisi de ces infractions à l’occasion d’une même poursuite, pourra prononcer une peine d’emprisonneLARCIER

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ment, une peine d’amende, une suspension du permis de conduire et une peine d’affichage de la décision, même si ces peines ne sont pas encourues pour chacune des infractions en concours et même si l’une de ces peines est encourue au titre de l’infraction qui est, globalement, la moins sévèrement sanctionnée (en pratique, l’infraction dont le maximum légal de l’emprisonnement est le moins élevé). 2) Une seule peine de même nature peut être prononcée dans la limite du maximum légal le plus élevé Dans l’hypothèse où plusieurs peines de même nature sont encourues pour les diverses infractions en concours, la juridiction ne pourra prononcer qu’une seule peine de cette nature et devra se limiter au maximum légal le plus élevé (voir par exemple, Crim., 29 mai 1996, Bull. crim. n° 220 ; Crim., 5 décembre 1996, Bull. crim. n° 454). Par exemple, en présence de deux infractions en concours, la première punie de 5 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, la seconde punie de 15 ans de réclusion criminelle et de 75 000 euros d’amende, le juge qui décide de prononcer une peine privative de liberté et une amende pour les infractions en concours ne pourra pas dépasser le maximum le plus élevé de chacune de ces peines, à savoir 15 ans pour la privation de liberté, maximum en présence le plus élevé pour une peine privative de liberté et attaché à la seconde infraction (et non pas 15 ans plus 5 ans, soit 20 ans) et 150 000 euros d’amende, maximum en présence le plus élevé pour l’amende et attaché à la première infraction (et non 150 000 euros plus 75 000 euros, soit 225 000 euros). On notera que toutes les autres peines privatives de liberté se confondent avec une peine privative de liberté perpétuelle prononcée (art. 132-5 al. 1 du Code pénal). Par ailleurs, lorsque la réclusion criminelle à perpétuité est encourue et que le juge n’entend pas la prononcer, le maximum légal est alors fixé à 30 ans (art. 132-5 al. 3 du Code pénal). Toutefois, la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne censure pas les juges du fond qui prononcent plusieurs peines de même nature dès lors que leur total n’excède pas le maximum légal de la peine la plus élevée qui est encourue (Crim., 13 septembre 2005, Bull. crim. n° 224 ; Crim., 2 mars 2010, Bull. crim., n° 44). 3) La peine prononcée est réputée commune aux diverses infractions en concours Lorsque des peines de même nature sont encourues pour plusieurs des infractions en concours, la peine prononcée, dans la limite du maximum légal le plus élevé, est alors réputée commune aux différentes infractions pour lesquelles elle est encourue, dans la limite du maximum légal applicable à chacune d’entre elles (art. 132-3 al. 2 du Code pénal). Fictivement, la règle peut ainsi être présentée : il y a plusieurs peines dans celle prononcée et ces différentes peines s’exécutent en même temps. Dès lors, si la condamnation n’est plus justifiée pour l’une des infractions en concours (par exemple, si la décision est partiellement révisée) ou si la peine devait cesser de recevoir exécution pour l’une des infractions (par exem324

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ple, si une loi nouvelle abroge l’une des infractions en concours, de sorte que la condamnation pour celle-ci doit cesser de recevoir application, conformément à la règle posée à l’art. 112-4 al. 2 du Code pénal), la peine commune aux infractions en concours continue de s’appliquer, sous réserve de ne pas dépasser le maximum légal le plus élevé des infractions restantes. Cette disposition offre surtout un intérêt pratique si la condamnation ou l’exécution de la sanction n’est plus justifiée pour l’infraction qui comporte le maximum légal le plus élevé, posé comme limite lors du prononcé de la peine. Par exemple, dans l’hypothèse où une peine de 7 ans d’emprisonnement a été prononcée pour deux infractions en concours punies respectivement de 10 ans d’emprisonnement et de 5 ans d’emprisonnement et que la première infraction est abrogée par l’effet d’une loi nouvelle, la peine privative de liberté est exécutée à concurrence de 5 ans, le nouveau maximum légal. Bien entendu, si l’individu a déjà purgé 6 ans, il sera libéré.

C) Règles applicables en cas de poursuites séparées Si les infractions en concours font l’objet de poursuites séparées (des juridictions différentes vont alors se prononcer sur chacune des infractions ou la même juridiction jugera les infractions mais successivement, de sorte que plusieurs condamnations vont de toute façon intervenir – ce sera le cas en particulier lorsque les infractions sont commises en des lieux différents ou lorsqu’elles n’ont aucun lien), la solution du cumul ou du non-cumul se résout au stade de l’exécution des diverses peines prononcées. L’article 132-4 du Code pénal pose le principe que « les peines prononcées s’exécutent cumulativement dans la limite du maximum légal le plus élevé. Toutefois, la confusion totale ou partielle des peines de même nature peut être ordonnée ». 1) Les peines de même nature se cumulent dans la limite du maximum légal le plus élevé Toutes les peines de nature différente sont exécutées cumulativement (par exemple, un emprisonnement, une amende, une suspension du permis de conduire…), quelle que soit l’infraction pour laquelle elles ont été prononcées. S’il y a lieu d’exécuter des peines de même nature, prononcées pour différentes infractions en concours, on applique la règle du cumul plafonné. Ces peines se cumulent, sous réserve de ne pas dépasser le maximum légal en présence le plus élevé. Prenons par exemple un individu condamné successivement à 3 ans d’emprisonnement et 90 000 euros d’amende pour avoir provoqué directement un mineur à faire un usage illicite de stupéfiants (délit puni de 5 ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende maximum) puis à 4 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour chantage (infraction punie de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende maximum). Les peines de même nature (emprisonnement, amende) se cumulent mais dans la limite du maximum légal encouru le plus élevé pour chacune d’elles, soit 5 ans d’emprisonnement, maximum légal encouru le plus élevé (et non 3 ans plus 4 ans, soit 7 ans) et 100 000 euros d’amende, maximum légal encouru le plus LARCIER

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élevé (et non 90 000 euros plus 45 000 euros, soit 135 000 euros). Le cumul des peines de même nature est donc plafonné au maximum légal le plus élevé. On rappellera par ailleurs les dispositions de l’article 132-5 alinéas 1 et 3 du Code pénal : si la réclusion criminelle à perpétuité a été prononcée, toutes les autres peines privatives de liberté se confondent en elle ; lorsque la réclusion criminelle à perpétuité est encourue pour l’une ou plusieurs des infractions en concours et qu’elle n’a pas été prononcée, le maximum légal est alors fixé à 30 ans de réclusion criminelle, pour éviter un cumul illimité. Autrement dit, dans ce cas, les peines privatives de liberté ne peuvent, par leur cumul, excéder 30 ans (Crim., 12 février 2003, Bull. crim. n° 38). 2) La faculté offerte au juge d’ordonner la confusion des peines de même nature La règle du cumul plafonné des peines de même nature est atténuée par la possibilité qu’a le juge d’ordonner la confusion de ces peines. La peine la plus forte absorbe, en totalité ou en partie, la ou les peines les moins fortes, le condamné exécutant alors une peine plus réduite que celle qui aurait résulté d’un cumul dans la limite du maximum légal le plus élevé. La confusion peut être totale ou partielle. D’une part, le juge peut, par exemple en présence de trois peines de même nature, ordonner la confusion de l’ensemble de ces peines comme il peut ne l’ordonner que pour deux d’entre elles. D’autre part, il peut ordonner la confusion, avec une peine de même nature, de la totalité ou seulement d’une partie d’une peine. Par exemple, en présence de peines d’emprisonnement de 5 ans et de 3 ans, il peut ordonner une confusion totale des peines, de sorte que le condamné aura à purger 5 ans (la peine de 3 ans étant entièrement confondue avec la peine la plus forte) mais également une confusion partielle, par exemple en n’ordonnant que la confusion des deux tiers de la peine de 3 ans d’emprisonnement (soit 2 ans – il reste alors 1 an), de sorte que le condamné aura à purger 6 ans (5 + 1). La confusion peut être ordonnée à la demande du condamné soit par la dernière juridiction de jugement appelée à statuer, lorsqu’elle prononce la condamnation (art. 132-4 du Code pénal), soit ultérieurement, une fois les différentes condamnations devenues définitives, par une des juridictions ayant prononcé les peines visées par la requête (art. 710 du Code de procédure pénale ; si cette juridiction est une cour d’assises, il s’agira de la chambre de l’instruction dans le ressort de laquelle cette cour a siégé). 3) Les peines confondues conservent leur existence propre Lorsque la confusion des peines de même nature est ordonnée, les différentes peines confondues sont alors réputées s’exécuter en même temps, simultanément. Toutefois, la confusion n’enlève pas aux différentes peines leur existence propre. Les peines confondues les moins fortes peuvent, par exemple, être prises en compte au titre de la récidive (Crim., 30 septembre 1997, Bull. crim. n° 315). Par ailleurs, si la peine la plus forte, dans laquelle ont été confondues des peines moins fortes, disparaît (par exemple si une loi nouvelle abroge l’infraction 326

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pour laquelle elle a été prononcée), la confusion disparaît et les peines confondues avec la peine la plus forte doivent être alors exécutées, dans la limite du nouveau maximum légal encouru le plus élevé. Toutefois, le relèvement intervenu après confusion s’applique à la peine résultant de la confusion (art. 132-6 al. 2 du Code pénal) et si le juge de l’application des peines accorde une réduction de peine, sa durée est imputée sur la peine à subir après confusion (art. 132-6 al. 3 du Code pénal).

D) Exceptions aux règles générales Le système du non-cumul des peines de même nature ne saurait s’appliquer qu’aux sanctions pénales. Échappent à la règle du non-cumul des peines, les sanctions administratives, les sanctions disciplinaires (Crim., 27 mars 1997, Bull. crim. n° 128), les amendes et pénalités douanières ou fiscales, qui possèdent, en raison de leur caractère mixte, répressif et indemnitaire, une nature propre (Crim., 29 juillet 1970, Bull. crim. n° 251 ; 20 juin 1996, Bull. crim. n° 268 ; 6 novembre 1997, Bull. crim. n° 379, JCP 1998, II, 10087, note Cliquennois ; 11 décembre 1997, Droit pénal 1998, comm. n° 55 ; 4 juin 1998, Bull. crim. n° 186 ; 10 novembre 1999, Droit pénal 2000, comm. n° 46) ou encore la contrainte judiciaire (anciennement contrainte par corps), mesure d’exécution visant à assurer le recouvrement de l’amende (Crim., 29 mai 1997, Bull. crim. n° 212 ; 16 septembre 1997, Bull. crim. n° 297), même si certaines de ces mesures sont prononcées par le juge répressif. En conséquence, elles se cumulent entre elles ainsi qu’avec les sanctions pénales (par exemple, Crim., 2 octobre 1975, Bull. crim. n° 201 ; 12 décembre 1983, Bull. crim. n° 337 ; 2 octobre 1997, Droit pénal 1998, comm. n° 38). Cette règle semble toutefois avoir été en partie remise en cause par le Conseil constitutionnel qui a déclaré que « lorsqu’une sanction administrative est susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » et « qu’il appartient aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence » (Cons. constit. 30 décembre 1997, Rec. p. 333). Surtout, au sein des sanctions pénales, les amendes contraventionnelles sont exclues des règles du non-cumul. Par ailleurs, certains concours d’infractions sont résolus spécialement par la loi qui préfère les soumettre à un autre régime. 1) Cumul des amendes contraventionnelles Le Code pénal de 1810 n’ayant mentionné, à propos du non-cumul des peines en cas de concours réel d’infractions, que les crimes et les délits, la jurisprudence en a conclu que les contraventions étaient exclues de ces règles (par exemple Crim., 5 novembre 1958, Bull. crim. n° 668). L’article 132-7 du Code pénal reprend cette règle, en énonçant que par dérogation aux règles sur le non-cumul, « les peines d’amende pour contraventions se cumulent entre elles et avec celles encourues ou prononcées pour des crimes ou délits en concours ». En cas de concours de contraventions, le juge de police peut donc prononcer sans aucune limite autant d’amendes qu’il y a de contraventions (par exemple, Crim., 13 février 1979, Bull. crim. n° 65 : en matière de fraudes, autant d’amendes que d’emballages irrégulièrement étiquetés, soit en l’espèce 972 amendes prononcées ; Crim., 23 octobre 1997, Droit pénal 1998, comm. n° 32 : autant de contraventions que d’antiquités exposées ou stockées sans numéro d’ordre ; Crim., 25 novembre 1997, LARCIER

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Bull. crim. n° 401 : en matière d’infractions au repos hebdomadaire ou dominical, autant d’amendes que de salariés illégalement employés ; Crim., 6 janvier 1998, Bull. crim. n° 4 : autant d’amendes que d’animaux soustraits au dépistage de la brucellose, de la leucose et de la tuberculose bovines). Les amendes contraventionnelles se cumulent en outre avec l’amende prononcée pour un crime ou un délit en concours. Par exemple, pour un accident de la route, l’amende prononcée pour ne s’être pas arrêté à un stop se cumule avec l’amende prononcée pour l’infraction de blessures involontaires qui en est résultée en cas de collision avec un autre véhicule. 2) Règles spéciales pour certains concours d’infractions Le législateur adopte parfois des solutions spéciales pour régler la question de la peine applicable en cas de concours réel d’infractions. D’une part, dans certains cas, la loi érige en infraction autonome deux infractions commises en concours et prévoit alors des peines spéciales aggravées. C’est l’hypothèse de l’infraction qui constitue une circonstance aggravante d’une autre infraction (voir p. 306 et s.). D’autre part, la loi exclut expressément de certains concours l’application du système général organisé par les articles 132-2 à 132-5 du Code pénal et y substitue le principe du cumul des peines de même nature. Ainsi, les peines prononcées à l’encontre d’un détenu auteur d’une rébellion ou d’une évasion se cumulent, sans possibilité de confusion, avec celles que le détenu subissait ou celles prononcées pour l’infraction à raison de laquelle il était détenu (art. 433-9 et 434-31 du Code pénal). Il en est de même des peines prononcées pour le délit d’usurpation du nom d’un tiers dans des circonstances ayant déterminé ou ayant pu déterminer contre celui-ci des poursuites, avec les peines prononcées pour l’infraction à l’occasion de laquelle l’usurpation a été commise (art. 434-23 al. 2 du Code pénal). C’est également le cas des peines prononcées pour le délit d’organisation frauduleuse de l’insolvabilité en vue de se soustraire à une obligation pécuniaire, avec les peines pécuniaires résultant d’une condamnation pénale, auxquelles l’intéressé a voulu se soustraire (art. 314-8 al. 2 du Code pénal). Quelques textes extérieurs au Code pénal prévoient une solution similaire (par exemple, art. 706-47-2 et 706-56 du Code de procédure pénale pour le refus de se soumettre au dépistage d’une maladie sexuellement transmissible ou à un prélèvement biologique destiné à permettre l’analyse d’identification de l’empreinte génétique).

§ 3.

La réitération

La notion de réitération d’infraction se déduit, a contrario, des notions de récidive légale et de concours d’infractions qui sont, pour leur part, définis dans le Code pénal. Il y a récidive légale lorsque, après avoir subi une première condamnation pénale définitive, le délinquant commet une nouvelle infraction qui entraîne l’aggravation de la peine encourue. À la différence de la récidive, le concours réel d’infractions suppose que plusieurs infractions aient été commises par un même délinquant sans qu’aucun jugement de condamnation définitif ne soit encore intervenu. Dans cette hypothèse, l’auteur de ces infractions multiples 328

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ne subira qu’une seule peine : celle qui frappe l’infraction la plus sévèrement réprimée par la loi. Par déduction, il y a réitération d’infractions pénales lorsqu’une personne a déjà été condamnée définitivement pour un crime ou un délit et qu’elle commet une nouvelle infraction sans que les conditions de la récidive légale ne soient remplies, c’est-à-dire dans un cas où la loi n’a pas prévu l’aggravation des peines encourues : tel est le cas par exemple d’un délinquant, condamné définitivement pour un délit puni d’une peine inférieure à dix ans d’emprisonnement, qui commet une nouvelle infraction qui n’est pas la même que la précédente ou qui n’est pas assimilée à la première au sens du Code pénal ou qui commet une nouvelle infraction au-delà du délai de cinq ans après l’expiration ou de la prescription de la peine prononcée pour la première infraction. Dans ce cas, la réitération n’entraîne ni l’aggravation des peines (récidive), ni la possibilité de recourir à la confusion de celles-ci (concours d’infractions). Ces règles sont posées à l’article 132-16-7 du Code pénal, introduit par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive et qui définit à droit constant la notion de réitération et son régime juridique : « Il y a réitération d’infractions pénales lorsqu’une personne a déjà été condamnée définitivement pour un crime ou un délit et commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale. Les peines prononcées pour l’infraction commise en réitération se cumulent sans limitation de quantum et sans possibilité de confusion avec les peines définitivement prononcées lors de la condamnation précédente. » SECTION IV

Personnalisation de l’exécution de la sanction par la juridiction de jugement Le juge a la possibilité, grâce aux sursis, de conditionner l’exécution d’une ou de plusieurs des peines qu’il prononce au comportement ultérieur du condamné. S’il prononce une peine, le juge ne décide pas seulement de sa nature et de son taux mais est également habilité à préciser, dans certaines limites, ses modalités d’exécution (principalement définies après la décision de condamnation, au stade de l’exécution, ces modalités seront examinées principalement dans le chapitre suivant). Enfin, le juge peut même décider du moment de l’exécution de certaines sanctions, voire dispenser immédiatement le condamné d’exécuter certaines peines.

§ 1.

La suspension conditionnelle de l’exécution de la sanction : les sursis

A) Présentation de la technique du sursis Le sursis est une suspension conditionnelle de l’exécution de la peine. L’exécution ou non de la sanction affectée d’un sursis va alors dépendre de la conduite du condamné durant un certain temps fixé par le juge, appelé délai d’épreuve. LARCIER

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Il existe trois types de sursis : le sursis simple, le sursis avec mise à l’épreuve (ou sursis probatoire) et le sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général. Dans ces deux derniers cas, le sursis s’accompagne d’obligations particulières et de mesures de contrôle durant le délai d’épreuve. Le sursis simple est également applicable aux peines prononcées à l’encontre des personnes morales. Dès qu’une peine est assortie du sursis, son exécution est suspendue pendant le délai d’épreuve. Si la conduite du condamné est jugée satisfaisante à l’issue du délai d’épreuve, le condamné sera définitivement dispensé d’exécuter la sanction et la condamnation prononcée sera considérée comme non avenue, c’est-à-dire réputée n’avoir jamais existé. À l’inverse, si le condamné commet une nouvelle infraction durant ce délai ou n’exécute pas les obligations qui lui sont éventuellement imposées, l’exécution de la peine pourra être prononcée. Le sursis apparaît donc comme une chance donnée au condamné de se racheter, un répit. C’est un instrument de réinsertion sociale particulièrement fort, la perspective d’exécuter la sanction étant une menace très intimidante. Lorsqu’il accompagne une peine d’emprisonnement, le sursis évite par ailleurs les effets pervers de la prison. Lorsqu’il accorde un sursis, le président de la juridiction doit avertir le condamné (personne physique ou représentant de la personne morale), s’il est présent à l’audience, du caractère conditionnel de la décision et des conséquences qu’entraînerait pour lui une nouvelle condamnation pour une infraction commise dans le délai d’épreuve (art. 132-29 al. 2, 132-40 al. 2 et 132-56 du Code pénal). La technique comporte d’évidentes similitudes avec celle de l’ajournement. Le sursis et l’ajournement comportent tous deux un délai d’épreuve et parfois certaines obligations. Cependant, le sursis emporte suspension de l’exécution de la peine prononcée alors que l’ajournement est un report du prononcé de la peine par le juge. Le juge répressif n’est jamais tenu d’accorder un sursis. S’il décide de l’accorder, il est libre de choisir le type de sursis qui lui apparaît le plus approprié. La seule limite à cette liberté est posée en matière d’emprisonnement délictuel, l’article 132-19 alinéa 2 du Code pénal imposant au juge de motiver spécialement le choix d’une peine d’emprisonnement ferme, autrement dit de motiver son refus d’octroyer un sursis, lorsque la personne n’est pas en état de récidive. Quel que soit le type de sursis accordé, il ne s’étend pas aux incapacités, interdictions et déchéances résultant de plein droit de la condamnation, c’està-dire aux peines accessoires (art. 736 al. 2, 746 al. 2, 747-1 du Code de procédure pénale). Les règles suivantes sont valables sous réserve que la loi réprimant une infraction déterminée n’ait pas prévu de règles particulières. À titre d’exemple, l’article L. 234-2 du Code de la route exclut la possibilité d’accorder un sursis à l’exécution de la peine de suspension du permis de conduire lorsqu’elle est prononcée pour sanctionner une conduite en état d’ivresse ou sous l’empire d’un état alcoolique. 330

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B) Le sursis simple (articles 132-29 à 132-39 du Code pénal) Introduit par la loi Béranger du 26 mars 1891 sous l’influence des idées positivistes pour éviter de sanctionner les délinquants primaires, le sursis simple reste le plus fréquemment utilisé. Ce sursis n’est assorti d’aucune obligation spéciale, si ce n’est celle de ne pas commettre une infraction durant le délai d’épreuve. Le Code pénal étend, tout en l’aménageant, le bénéfice du sursis simple aux personnes morales. Le sursis simple, à l’origine institué pour éviter l’exécution d’une peine d’emprisonnement, peut aujourd’hui assortir d’autres sanctions. 1) Conditions pour accorder le sursis simple a) Peines susceptibles d’être assorties du sursis simple

Le sursis simple, applicable en matière criminelle, correctionnelle et contraventionnelle, peut bénéficier aux personnes physiques comme aux personnes morales. Toutefois, il ne peut être utilisé que pour certaines peines. 1. Personnes physiques En matière criminelle et correctionnelle, le sursis simple peut assortir les peines suivantes (art. 132-31 du Code pénal) : l’emprisonnement, prononcé pour une durée de 5 ans au plus ; l’amende ; la peine de jours-amendes ; les peines alternatives, privatives ou restrictives de droits, de l’article 131-6, à l’exception de la confiscation ; – les peines complémentaires de l’article 131-10, à l’exception de la confiscation, de la fermeture d’établissement et de l’affichage de la décision de condamnation, du fait de leur caractère essentiellement préventif. – – – –

Le sursis simple ne peut donc jamais assortir une peine de réclusion criminelle. En matière contraventionnelle, le sursis simple peut assortir les peines suivantes (art. 132-34 al. 1 du Code pénal) : – l’amende, mais uniquement pour les contraventions de la 5e classe ; – les peines alternatives, privatives et restrictives de droits, de l’article 13114 du Code pénal, à l’exception de la confiscation ; – certaines peines complémentaires : la suspension du permis de conduire, l’interdiction de porter ou de détenir une arme soumise à autorisation, le retrait du permis de chasser, ainsi que l’interdiction d’émettre des chèques prévue pour les contraventions de 5e classe. 2. Personnes morales En matière criminelle et correctionnelle, les peines suivantes peuvent être assorties du sursis (art. 132-32 du Code pénal) : – l’amende ; LARCIER

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– certaines des peines complémentaires de l’article 131-39 du Code pénal : interdiction d’exercer une ou plusieurs activités professionnelles, exclusion des marchés publics, interdiction de faire appel public à l’épargne et interdiction d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement – mais pas la dissolution. En matière contraventionnelle, sont concernées (art. 132-34 al. 2 du Code pénal) : – l’amende, mais uniquement pour les contraventions de la 5e classe ; – la peine d’interdiction d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement, qu’elle soit prononcée à titre alternatif ou complémentaire. Le sursis peut être total (attaché à toute la peine) ou seulement partiel (attaché à une partie de la peine). Toutefois, le sursis partiel ne peut être prononcé que pour les peines d’amende, de jours-amendes ou d’emprisonnement. En cas de sursis partiel, la partie de la peine non affectée du sursis est bien entendu exécutée. Lorsqu’une peine d’emprisonnement est assortie d’un sursis partiel, le délai d’épreuve est suspendu durant l’exécution de la partie ferme de l’emprisonnement. b) Condamnés pouvant bénéficier du sursis simple

L’octroi du sursis simple est subordonné au passé pénal du prévenu. La technique est donc conçue pour bénéficier en priorité aux délinquants primaires. Le juge ne peut accorder le sursis à l’exécution de la sanction que si le condamné, personne physique ou morale, n’a pas fait l’objet de certaines condamnations pénales au cours des 5 années précédant les faits. Les condamnations prononcées pour des infractions politiques ou militaires ne sont pas prises en considération. 1. Personnes physiques En matière criminelle et correctionnelle, la peine d’emprisonnement de 5 ans au plus ne pourra être assortie du sursis que si l’intéressé n’a pas été condamné, dans les 5 années précédant les faits, pour crime ou délit de droit commun, à une peine de réclusion criminelle ou d’emprisonnement, même avec sursis (art. 132-30 al. 1 du Code pénal). Toutefois, le juge n’est pas obligé de prononcer l’emprisonnement. S’il considère qu’une peine d’emprisonnement ferme est excessive, il pourra prononcer une autre peine principale, une peine alternative à l’emprisonnement ou même une peine complémentaire à titre principal. S’agissant des peines autres que l’emprisonnement, elles pourront être assorties du sursis si l’intéressé n’a pas été condamné, dans les 5 ans précédant les faits, à une peine de quelque nature que ce soit, privative de liberté ou autre (art. 132-31 al. 2 du Code pénal). En matière contraventionnelle, le bénéfice du sursis ne pourra pas être accordé si le prévenu a été condamné, au cours des 5 années précédant les faits, pour crime ou délit de droit commun, à une peine de réclusion ou d’emprisonnement (art. 132-33 al. 1 du Code pénal). 2. Personnes morales En matière criminelle ou correctionnelle, le sursis ne peut être accordé que si la personne morale n’a pas été condamnée, dans les 5 années précédant les 332

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faits, pour crime ou délit de droit commun, à une amende d’un montant supérieur à 60 000 euros (art. 132-30 al. 2 du Code pénal). En matière contraventionnelle, la personne morale ne doit pas avoir été condamnée, dans les mêmes conditions, à une amende d’un montant supérieur à 15 000 euros (art. 132-33 al. 2 du Code pénal). 2) Conditions de la révocation du sursis simple La non-exécution de la sanction est conditionnelle. Le sort de la peine assortie du sursis dépend en effet de la conduite de l’intéressé durant le délai d’épreuve. Ce délai d’épreuve est fixé à 5 ans en matière criminelle et correctionnelle, à 2 ans en matière contraventionnelle (art. 132-35 et 132-37 du Code pénal), et commence à courir à compter du jour où la condamnation est devenue définitive. Le condamné, s’il est présent, est averti par le président de la juridiction des conséquences qu’entraînerait une nouvelle condamnation. a) Les causes de révocation du sursis

Si le condamné commet une infraction emportant révocation du sursis durant le délai d’épreuve, il devra subir la peine. Au contraire, s’il ne commet pas une telle infraction, la condamnation sera alors réputée non avenue, c’està-dire n’avoir jamais existé. Présomption d’innocence oblige, le sursis ne sera pas révoqué par la seule commission de l’infraction mais par la condamnation ultérieure du bénéficiaire du sursis (y compris une condamnation par une juridiction pénale d’un autre État membre de l’Union européenne ; voir p. 321). La révocation du sursis peut donc intervenir des mois ou des années après l’expiration du délai d’épreuve, pourvu que l’infraction ait été commise au cours de celui-ci (par exemple, Crim., 10 décembre 1996, Bull. crim. n° 459). La révocation du sursis tient à la nature de l’infraction commise durant le délai d’épreuve et parfois aux peines qui seront prononcées pour cette infraction : en matière criminelle et correctionnelle, lorsque la peine assortie du sursis est l’emprisonnement (par hypothèse, uniquement pour les personnes physiques), le sursis est révoqué par une nouvelle condamnation à une peine de réclusion criminelle ou d’emprisonnement pour un crime ou un délit commis pendant le délai d’épreuve (art. 132-36 al. 1 du Code pénal). Lorsque la peine assortie du sursis est une peine autre que l’emprisonnement (personnes physiques et morales), le sursis est révoqué par une nouvelle condamnation à une peine quelconque pour un crime ou un délit de droit commun commis pendant le délai d’épreuve (art. 132-36 al. 1 et 2 du Code pénal). Si la condamnation assortie du sursis concerne une contravention, le sursis est révoqué par une nouvelle condamnation à une peine quelconque pour un crime, un délit de droit commun ou une contravention de 5e classe (art. 13237 du Code pénal). Dans toutes ces hypothèses, la nouvelle condamnation n’emporte révocation du sursis antérieurement accordé que dans la mesure où elle n’est pas elle-même assortie d’un sursis. LARCIER

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b) Caractère facultatif de la révocation

Si l’intéressé est de nouveau condamné pour une infraction commise durant le délai d’épreuve dans les conditions que l’on vient de fixer, le sursis sera en principe révoqué. La peine assortie du sursis est alors exécutée, sans qu’elle puisse se confondre avec la peine de même nature prononcée par la juridiction pour l’infraction commise durant le délai d’épreuve (art. 132-38 al. 1 du Code pénal). Toutefois, la révocation du sursis n’est pas automatique. La juridiction qui se prononce sur la nouvelle infraction commise pendant le délai d’épreuve peut, par décision spéciale et motivée, dire que la condamnation qu’elle prononce n’entraîne pas la révocation du sursis antérieurement accordé ou n’entraîne qu’une révocation partielle, dans les limites qu’elle détermine (art. 132-38 al. 2 du Code pénal). Si la juridiction n’a pas expressément statué sur la dispense de révocation, le condamné conserve la faculté de demander ultérieurement à la juridiction le bénéfice de cette mesure (art. 735 du Code de procédure pénale). 3) Effets de l’absence de révocation du sursis simple Si le sursis n’est pas révoqué dans les conditions que l’on a précisées (commission d’une infraction dans le délai d’épreuve, suivie d’une condamnation emportant révocation), la condamnation assortie du sursis est réputée non avenue à l’issue du délai d’épreuve (art. 132-35 du Code pénal). Si la peine était assortie d’un sursis partiel, la condamnation est réputée non avenue pour toute la peine, même si la partie ferme de la peine n’a pas été exécutée. Toutefois, la peine de jours-amendes ou la partie de l’amende non assortie du sursis reste due en toute hypothèse (art. 132-39 du Code pénal). Les incapacités, interdictions et déchéances résultant de plein droit de la condamnation, c’est-à-dire les peines accessoires, cessent de recevoir exécution (art. 736 al. 3 du Code de procédure pénale). La condamnation est alors considérée comme n’ayant été jamais prononcée. En particulier, elle ne pourra pas faire obstacle à l’octroi d’un nouveau sursis si une nouvelle infraction est commise après l’expiration du délai d’épreuve et elle ne pourra pas être prise en compte pour faire jouer les règles de la récidive.

C) Le sursis avec mise à l’épreuve (articles 132-40 à 132-53 du Code pénal) Créé par le Code de procédure pénale en 1958, le sursis avec mise à l’épreuve, également appelé sursis probatoire ou probation, est un sursis assorti de mesures d’assistance et de surveillance durant la suspension de la peine. 1) Conditions pour accorder le sursis avec mise à l’épreuve a) Peines susceptibles d’être assorties du sursis avec mise à l’épreuve

Le domaine d’application du sursis avec mise à l’épreuve est plus réduit que celui du sursis simple. 334

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Le sursis avec mise à l’épreuve n’est applicable qu’aux condamnations à une peine d’emprisonnement prononcée pour une durée de 5 ans au plus pour crime ou délit de droit commun. Lorsque la personne est en état de récidive légale, il est applicable aux condamnations à l’emprisonnement prononcées pour une durée de 10 ans au plus (art. 132-41 al. 1 du Code pénal ; Crim., 10 juillet 1996, Bull. crim. n° 292 ; 31 mars 1999, Bull. crim. n° 68). Par hypothèse, il n’est donc applicable qu’aux personnes physiques. Dans la mesure où les mêmes obligations s’appliquent, le juge ne peut ordonner un suivi sociojudiciaire en même temps qu’une peine d’emprisonnement assortie du sursis avec mise à l’épreuve (art. 131-36-6 du Code pénal). Le juge peut décider un sursis partiel, pour une partie de l’emprisonnement qu’il détermine. Cette partie ne peut toutefois excéder cinq ans d’emprisonnement (art. 132-42 al. 2 du Code pénal). b) Condamnés pouvant bénéficier d’un sursis avec mise à l’épreuve

Pendant longtemps, et contrairement au sursis simple, aucune limite relative au passé pénal du délinquant n’était posée pour l’octroi du sursis avec mise à l’épreuve : le juge pouvait donc recourir à cette technique même si le condamné avait déjà fait l’objet d’une ou plusieurs condamnations pénales antérieures. Cette règle reste exacte dans une large mesure. La raison en est que le sursis avec mise à l’épreuve est une mesure garantissant le contrôle et le suivi des condamnés et favorisant leur réinsertion. Cependant, on pouvait réellement s’interroger sur la pertinence à prononcer cette mesure à l’égard d’un individu en ayant déjà bénéficié plusieurs fois, et partant sur son efficacité en ce qui le concerne. C’est pourquoi la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales a complété l’article 132-41 du Code pénal pour limiter, dans certains cas, le nombre de sursis avec mise à l’épreuve pouvant être prononcé à l’égard d’une même personne : – d’une part, la juridiction pénale ne peut prononcer le sursis avec mise à l’épreuve à l’encontre d’une personne ayant déjà fait l’objet de deux condamnations assorties du sursis avec mise à l’épreuve pour des délits identiques ou assimilés au sens des articles 132-16 à 132-16-4 et se trouvant en état de récidive légale ; – d’autre part, lorsqu’il s’agit soit d’un crime, soit d’un délit de violences volontaires, d’un délit d’agressions ou d’atteintes sexuelles ou d’un délit commis avec la circonstance aggravante de violences, la juridiction ne peut prononcer le sursis avec mise à l’épreuve à l’encontre d’une personne ayant déjà fait l’objet d’une condamnation assortie du sursis avec mise à l’épreuve pour des infractions identiques ou assimilées et se trouvant en état de récidive légale (par exemple, Crim., 16 décembre 2008, Droit pénal 2009, comm. n° 46). Autrement dit, le nombre de sursis avec mise à l’épreuve pouvant être prononcé par les juridictions à l’encontre des récidivistes qui sont véritablement « spécialisés » dans une certaine forme de délinquance est limité à deux, voire, pour certaines infractions (crime, violences volontaires et délits sexuels) à un seul. Toutefois, cette limitation n’est pas applicable lorsque le sursis avec mise à l’épreuve ne porte que sur une partie de la peine d’emprisonnement. Le juge LARCIER

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conserve donc toujours la faculté de prononcer un sursis avec mise à l’épreuve partiel, quel que soit le passé pénal du prévenu, puisque cette mesure alterne détention et mise à l’épreuve et peut constituer une modalité efficace de la prévention de la récidive en accompagnant le condamné à sa sortie de détention. 2) Régime de la mise à l’épreuve Contrairement au sursis simple, le délai d’épreuve n’est pas uniforme. La juridiction fixe sa durée, étant entendu que ce délai d’épreuve ne saurait être inférieur à 12 mois ni supérieur à 3 ans. Lorsque la personne est en état de récidive légale, ce délai peut être porté à 5 ans. Il peut même être porté à 7 ans lorsque la personne se trouve à nouveau en état de récidive légale (art. 132-42 al. 1 du Code pénal). Le délai d’épreuve ainsi fixé n’est cependant pas immuable. Il est toujours possible au juge de l’application des peines, chargé du contrôle du condamné, à partir du moment où au moins un an s’est écoulé depuis le prononcé du sursis, de mettre fin à l’épreuve avant son terme (art. 744 du Code de procédure pénale) ou, au contraire, en cas d’incident, de prolonger le délai d’épreuve, pourvu que sa durée totale n’excède pas 3 ans (art. 742 et 743 du Code de procédure pénale ; Crim., 16 mars 1999, Bull. crim. n° 41). Le sursis avec mise à l’épreuve s’accompagne de mesures de contrôle, de mesures d’aide et, éventuellement, d’obligations particulières précisées par la juridiction ou ultérieurement par le juge de l’application des peines. Diverses mesures de contrôle s’appliquent automatiquement. Il s’agit de l’obligation de répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du travailleur social désigné par ce dernier, de l’obligation de recevoir les visites du travailleur social et de lui communiquer certains renseignements et documents, de l’obligation de le prévenir des changements d’emploi, de résidence ainsi que de toute absence de plus de 15 jours, enfin de l’obligation d’obtenir une autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout déplacement à l’étranger ou changement d’emploi ou de résidence de nature à mettre obstacle à l’exécution de ses obligations (art. 132-44 du Code pénal). Des mesures d’aides à caractère social et, s’il y a lieu, matérielles, sont mises en œuvre pour seconder les efforts du condamné en vue de son reclassement (art. 132-46 du Code pénal). La juridiction qui prononce le sursis peut enfin imposer diverses obligations supplémentaires au probationnaire, comme l’obligation d’exercer une activité professionnelle, de suivre un enseignement ou une formation professionnelle, de se soumettre à un traitement médical, même sous le régime de l’hospitalisation, de réparer les dommages causés par l’infraction, de s’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes, d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière, d’accomplir un stage de citoyenneté, de s’abstenir de paraître en tout lieu spécialement désigné (le juge ne peut cependant, sans méconnaître le principe de territorialité de la loi pénale, viser des lieux situés hors du territoire français : Crim., 29 octobre 1998, Bull. crim. n° 283) ou de fréquenter les débits de boissons… (la liste complète des obligations qui peuvent être imposées figure à l’article 132-45 du Code pénal). En pratique, le prononcé de ces obligations dépend de la personnalité du condamné et des circonstances de l’infraction. 336

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S’agissant des mineurs de 13 à 18 ans, qui peuvent être condamnés à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, la juridiction de jugement peut, si la personnalité du mineur le justifie, assortir cette peine de mesures éducatives particulières (placement dans un établissement spécialisé ou sous le régime de la liberté surveillée), ces mesures pouvant être modifiées pendant toute la durée de l’exécution de la peine par le juge des enfants. Le non-respect des obligations imposées peut entraîner la révocation du sursis et la mise à exécution de la peine d’emprisonnement ou le placement en centre éducatif fermé (art. 20-10 de l’ordonnance du 2 février 1945). La juridiction de jugement peut notamment décider de placer le mineur dans un centre éducatif fermé. Les centres éducatifs fermés, institués par la loi du 9 septembre 2002, sont des établissements publics ou des établissements privés habilités dans lesquels les mineurs sont placés en application d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’un placement à l’extérieur, ou à la suite d’une libération conditionnelle. Au sein de ces centres, les mineurs font l’objet de mesures de surveillance et de contrôle permettant d’assurer un suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté à leur personnalité. La violation des obligations auxquelles le mineur est astreint, notamment la sortie non autorisée du centre, peut entraîner, selon le cas, le placement en détention provisoire – si le placement dans le centre est ordonné dans le cadre d’un contrôle judiciaire – ou l’emprisonnement du mineur – dans le cas du sursis ou de la libération conditionnelle (art. 33 de l’ordonnance du 2 février 1945). Conformément au principe de légalité, la juridiction de condamnation ne peut toutefois pas imposer des obligations autres que celles prévues par l’article 132-45 du Code pénal (Crim., 23 juin 1999, Bull. crim. n° 155 : obligation de se conformer aux décisions de justice exécutoires réglant les modalités d’exercice de l’autorité parentale). Le juge de l’application des peines (juge des enfants pour les mineurs de 13 à 18 ans) détermine les modalités d’exécution des obligations imposées par la juridiction et contrôle le bon déroulement de l’épreuve et la conduite du probationnaire. Il peut notamment modifier à tout moment les obligations particulières imposées par la juridiction au probationnaire ou en imposer si celle-ci n’en a pas prononcé (art. 739 et 740 du Code de procédure pénale). 3) Conditions de révocation du sursis avec mise à l’épreuve Le président de la juridiction, après le prononcé de l’emprisonnement assorti du sursis avec mise à l’épreuve, notifie au condamné, s’il est présent, les obligations à respecter durant le sursis et l’avertit des conséquences qu’entraînerait une condamnation ou un manquement à ces obligations. a) Causes de révocation

Les causes de révocation du sursis avec mise à l’épreuve sont de deux types. La première cause de révocation possible est une condamnation à une peine de réclusion criminelle ou d’emprisonnement sans sursis pour un crime ou un délit de droit commun commis pendant le délai d’épreuve (art. 132-48 al. 1 du Code pénal). La révocation est dans ce cas prononcée par la juridiction de jugement. LARCIER

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La seconde cause de révocation du sursis avec mise à l’épreuve tient à divers incidents survenus dans le délai d’épreuve : inexécution par le probationnaire des mesures de contrôle ou des obligations particulières qui lui sont imposées ; condamnation pour une infraction quelconque commise durant le délai d’épreuve et à l’occasion de laquelle la révocation n’a pas été prononcée (art. 13247 al. 2 du Code pénal et 742 du Code de procédure pénale). La compétence pour révoquer le sursis en totalité ou en partie revient alors au juge de l’application des peines. Saisi de tels incidents, le juge de l’application des peines peut toutefois se limiter à prolonger le délai d’épreuve, dans la limite totale de 3 ans (il ne peut toutefois pas prononcer une révocation partielle du sursis et prolonger en même temps le délai d’épreuve : Crim., 16 mars 1999, Bull. crim. n° 41). Le juge de l’application des peines peut prolonger le délai d’épreuve ou révoquer le sursis même lorsque le délai d’épreuve fixé par la juridiction de jugement a expiré, dès lors que le motif de la prolongation du délai ou de la révocation du sursis s’est produit pendant le délai d’épreuve. b) Caractère facultatif de la révocation

Quelle que soit la cause de la révocation, cette dernière doit être expressément ordonnée. Le juge peut en outre ne décider qu’une révocation partielle du sursis antérieurement accordé, pour une partie de la peine qu’il détermine (art. 132-48 du Code pénal). Dans ce cas, le régime de la mise à l’épreuve se poursuit pour la partie du sursis non révoquée (art. 132-49 al. 2 du Code pénal). 4) Effets de l’absence de révocation Les conséquences de l’absence de révocation du sursis avec mise à l’épreuve sont sensiblement les mêmes que pour le sursis simple. Toutefois, diverses règles de faveur ont été ménagées. Notamment, un an à compter du jour où la condamnation est devenue définitive et avant même l’expiration du délai d’épreuve, le juge de l’application des peines, s’il estime le reclassement acquis, peut mettre fin au délai d’épreuve et déclarer la condamnation non avenue (art. 744 du Code de procédure pénale). Les diverses mesures et obligations cessent bien entendu de s’appliquer dès l’expiration du délai d’épreuve ou même avant si la condamnation est déclarée non avenue par anticipation. À l’égard des mineurs, les compétences pour révoquer, en totalité ou en partie, le sursis, prolonger le délai d’épreuve ou déclarer non avenue la condamnation, sont exercées par le juge des enfants. Ce transfert de compétences s’opère également en matière de sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général.

D) Le sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général (articles 132-54 à 132-57 du Code pénal) Tout en créant le travail d’intérêt général, la loi du 10 juin 1983 prévoit qu’il peut assortir un sursis. Le travail d’intérêt général n’est donc pas nécessairement une peine (voir p. 279 ), il peut être également une variante du sursis avec mise à l’épreuve. 338

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1) Conditions de l’octroi du sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général Comme pour le sursis avec mise à l’épreuve, le sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général ne peut assortir qu’une peine d’emprisonnement d’une durée de 5 ans au plus, prononcée pour un crime ou un délit de droit commun. Le juge n’a toutefois pas la possibilité de prononcer un sursis partiel, contrairement à ce qui est prévu pour les deux autres types de sursis (art. 132-56 du Code pénal). Aucune condition relative au passé pénal du condamné n’est non plus posée à l’octroi de ce sursis. Ce type de sursis ne peut être prononcé qu’en présence de l’intéressé et uniquement avec son accord, comme lorsque la juridiction prononce le travail d’intérêt général à titre de sanction (art. 132-54 al. 3 du Code pénal). Il peut s’appliquer aux mineurs de 16 à 18 ans, sous réserve que les travaux soient adaptés aux mineurs et présentent un caractère réformateur ou de nature à favoriser l’insertion sociale des jeunes condamnés (art. 20-5 de l’ordonnance du 2 février 1945). Par ailleurs, lorsqu’une condamnation pour un délit de droit commun comportant une peine d’emprisonnement ferme de 6 mois au plus a été prononcée (ou une peine d’emprisonnement ayant fait l’objet d’un sursis partiel, lorsque la partie ferme de la peine est inférieure ou égale à six mois ou une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à six mois résultant de la révocation d’un sursis) et que cette condamnation n’est plus susceptible de faire l’objet d’une voie de recours par le condamné, le juge de l’application des peines peut ordonner qu’il sera sursis à l’exécution de cette peine et que le condamné accomplira avec son accord un travail d’intérêt général (art. 132-57 du Code pénal). 2) Régime de la mise à l’épreuve L’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général est assimilée, aux termes de l’article 132-56 du Code pénal, à une obligation particulière. Le juge fixe la durée du travail d’intérêt général entre 20 et 210 heures à effectuer durant le délai qu’il détermine, dans la limite de 18 mois. Le délai ainsi fixé constitue le délai d’épreuve (art. 132-56 du Code pénal). Les modalités d’application sont identiques à celles du travail d’intérêt général prononcé à titre de peine (art. 132-54 al. 4 du Code pénal). Par ailleurs, l’obligation d’accomplir le travail d’intérêt général s’accompagne nécessairement de mesures de contrôle, similaires à celles imposées lors d’un sursis avec mise à l’épreuve, notamment l’obligation de répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du travailleur social désigné, ainsi que d’obligations particulières éventuellement imposées par le juge, comme en matière de sursis avec mise à l’épreuve, et dont il précise la durée dans la limite de 18 mois. L’exécution du travail d’intérêt général avant la fin du délai d’épreuve ne met pas fin à ces obligations particulières (art. 132-54 al. 2 et 132-55 du Code pénal). Pour les mineurs de 16 à 18 ans, la peine peut être assortie d’une mesure de protection, d’assistance, de surveillance ou d’éducation ou d’un placement dans un centre éducatif fermé (art. 20-10 de l’ordonnance du 2 février 1945). LARCIER

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3) Conditions de révocation du sursis Les causes de révocation du sursis sont les mêmes qu’en matière de sursis avec mise à l’épreuve. Il peut donc s’agir soit d’une condamnation pour une infraction commise pendant le délai d’épreuve (compétence de la juridiction de jugement), soit d’un incident particulier, auquel il convient d’ajouter l’inexécution du travail d’intérêt général imposé (compétence du juge de l’application des peines). La révocation peut alors intervenir même avant l’expiration du délai fixé pour l’exécution du travail d’intérêt général. 4) Effets de l’absence de révocation Sous réserve qu’aucune infraction ne soit commise et qu’aucun incident n’intervienne, la condamnation assortie du sursis est réputée non avenue dès que le travail d’intérêt général est accompli dans sa totalité, même si le délai fixé pour son accomplissement n’est pas complètement écoulé (art. 132-54 dernier alinéa du Code pénal). Cependant, dans le cas où la juridiction de condamnation a imposé au condamné, pour une durée maximum de 18 mois, tout ou partie des obligations prévues à l’article 132-45 du Code pénal, comme par exemple l’interdiction de rencontrer la victime, l’exécution du travail d’intérêt général avant la fin de ce délai ne met pas fin à ces obligations particulières (art. 132-54 al. 2 du Code pénal). Elles perdurent donc au-delà de l’accomplissement du travail d’intérêt général, et la condamnation ne sera considérée comme non avenue qu’à l’expiration du délai d’épreuve et si aucun incident (inexécution des obligations, nouvelle infraction) ne survient pendant celui-ci. Contrairement au sursis avec mise à l’épreuve, la condamnation ne peut pas être déclarée non avenue par anticipation avant l’accomplissement du travail d’intérêt général dans sa totalité, au motif que le reclassement du condamné serait acquis (art. 747-1 4° du Code de procédure pénale). En revanche, en cas d’exécution partielle d’un travail d’intérêt général, le juge de l’application des peines peut ordonner la conversion de la partie non exécutée en jours-amendes (art. 132-57 dernier al. du Code pénal).

§ 2.

La détermination par le juge du moment de l’exécution de la sanction

L’exécution de la peine prononcée a lieu lorsque la décision est devenue définitive, c’est-à-dire insusceptible de voies de recours (art. 708 al. 1 du Code de procédure pénale). Toutefois, sous certaines conditions, le juge a parfois la possibilité d’ordonner l’exécution immédiate de certaines peines, parfois leur exécution par fractions, parfois encore de dispenser purement et simplement le condamné de les subir.

A) L’exécution par provision Le juge a la possibilité d’ordonner l’exécution par provision, c’est-à-dire immédiate, de certaines peines, nonobstant toute voie de recours. Ainsi, en matière correctionnelle, si la peine prononcée est au moins d’une année d’emprisonnement sans sursis, le tribunal peut, par décision spéciale et 340

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motivée, lorsque les éléments de l’espèce justifient une mesure particulière de sûreté, décerner mandat de dépôt ou d’arrêt contre le prévenu (art. 465 du Code de procédure pénale). S’il est saisi dans le cadre de la comparution immédiate ou lorsque les faits sont commis en état de récidive légale, le tribunal peut décider du placement ou du maintien en détention quelle que soit la durée de la peine d’emprisonnement prononcée (art. 397-4 et 465-1 al. 1 du Code de procédure pénale). Le tribunal a même l’obligation, sauf s’il en décide autrement par une décision spécialement motivée, de délivrer un mandat de dépôt à l’audience, quel que soit le quantum de la peine prononcée, lorsqu’il s’agit d’une récidive d’agression ou d’atteintes sexuelles ou d’une récidive de délits de violences volontaires ou commis avec la circonstance aggravante de violences (art. 465-1 al. 2 du Code de procédure pénale). De même, toujours en matière correctionnelle, peuvent être déclarées exécutoires par provision la peine de jours-amendes, les peines alternatives, privatives ou restrictives de droits, de l’article 131-6 du Code pénal, le travail d’intérêt général, les éventuelles peines complémentaires prononcées, ainsi que les modes de personnalisation des peines comme la semi-liberté, le placement à l’extérieur, le placement sous surveillance électronique et les différents sursis (art. 471 al. 4 du Code de procédure pénale). De nombreuses dispositions spéciales prévoient également cette possibilité (par exemple, l’art. L. 224-13 du Code de la route pour la suspension ou l’annulation du permis de conduire, ainsi que l’interdiction de délivrance d’un permis de conduire, prononcée à titre complémentaire ; l’art. 22 de l’ordonnance du 2 février 1945, pour les décisions du juge des enfants et du tribunal pour enfants). La mesure prend alors effet à compter du jour où le prévenu en a eu légalement connaissance.

B) Le fractionnement (articles 132-27 et 132-28 du Code pénal) À l’occasion du prononcé de la peine, la juridiction de jugement peut prononcer le fractionnement « pour motif d’ordre médical, familial, professionnel ou social » qui empêcherait l’exécution normale de la peine. La mesure est possible en matière contraventionnelle et correctionnelle (jamais en matière criminelle) et ne peut concerner que les peines suivantes : emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à deux ans, ou si la personne est en état de récidive légale, inférieure ou égale à un an, amende (dans ce cas même à l’égard des personnes morales), peine de jours-amendes et suspension du permis de conduire (sauf en cas de délits ou de contraventions pour lesquels la loi ou le règlement prévoit que cette peine ne peut pas être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle ; voir p. 290). La mesure implique l’exécution de la peine par fractions (par exemple, le paiement de l’amende ou l’exécution de l’emprisonnement en plusieurs fois). Le juge précise dans sa décision les périodes d’exécution de la sanction. S’agissant de l’emprisonnement, aucune des fractions ne peut être inférieure à deux jours. La période totale d’exécution de la peine ne peut excéder trois ans ou, pour l’emprisonnement, quatre ans. Le fractionnement peut être modifié au cours de l’exécution de la peine. Lorsqu’il n’a pas été ordonné par la juridiction de jugement, il peut être décidé à ce stade pour les mêmes motifs par le juge de l’application des peines (voir p. 354). LARCIER

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C) Le relèvement immédiat (article 132-21 alinéa 2 du Code pénal) Dès le prononcé de la condamnation, la juridiction de jugement peut, à la demande du condamné, relever celui-ci de tout ou partie des interdictions, déchéances et incapacités résultant de plein droit de la condamnation pénale, c’est-à-dire des peines accessoires. Celles-ci ne seront alors pas appliquées. On relèvera au passage la nuance ainsi apportée à l’article 132-17 alinéa 1 du Code pénal : « aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l’a expressément prononcée »… sauf les peines accessoires qui sont appliquées si la juridiction n’en a pas expressément exclu l’application. Les interdictions, déchéances et incapacités peuvent également faire l’objet d’un relèvement après le jugement de condamnation, non seulement lorsqu’elles résultent de plein droit de la condamnation mais également lorsqu’elles ont été prononcées par la juridiction de jugement à titre complémentaire (voir p. 355).

§ 3. La détermination par le juge des modalités d’exécution de la sanction Lorsqu’il est amené à prononcer certaines peines, le juge répressif est souvent invité à déterminer les conditions d’exécution de celles-ci. Par exemple, lorsqu’il prononce l’interdiction de séjour, il précise les lieux qu’il est interdit au condamné de fréquenter et les mesures d’accompagnement qui s’imposent à lui (voir p. 271). Le Code pénal lui permet également de déterminer le régime d’exécution des peines privatives de liberté d’une certaine durée. Avec la possibilité de prononcer l’exécution de la peine sous le régime de la semi-liberté ou sous celui du placement à l’extérieur ou de prononcer un placement sous surveillance électronique, il peut adoucir le régime d’exécution ; avec la période de sûreté, il peut l’aggraver. Cet aménagement de peine est parfois presque imposé. Ainsi, l’article 13224 alinéa 3 du Code pénal prescrit qu’en matière correctionnelle, hors le cas des peines plancher prévues en cas de récidive (voir p. 316), une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate. Dans ce cas, la peine d’emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une mesure d’aménagement comme la semi-liberté, le placement à l’extérieur, le placement sous surveillance électronique ou le fractionnement.

A) La semi-liberté et le placement à l’extérieur (articles 132-25 et 132-26 du Code pénal) L’exécution d’une peine d’emprisonnement sous le régime de la semi-liberté ou sous celui du placement à l’extérieur peut être accordée par le juge de l’application des peines à l’égard des condamnés en fin de peine (voir p. 364). 342

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


La semi-liberté et le placement à l’extérieur peuvent également être décidés ab initio par le tribunal correctionnel lorsqu’il prononce une peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée inférieure ou égale à deux ans, ou, en cas de récidive légale, inférieure ou égale à un an. Ces dispositions sont également applicables en cas de prononcé d’un emprisonnement partiellement assorti du sursis ou du sursis avec mise à l’épreuve, lorsque la partie ferme de la peine est inférieure ou égale à deux ans, ou, si la personne est en état de récidive légale, inférieure ou égale à un an. La semi-liberté ou le placement à l’extérieur peut bénéficier au condamné qui justifie de l’exercice d’une activité professionnelle, même temporaire, du suivi d’un stage ou de son assiduité à un enseignement, à une formation professionnelle ou à la recherche d’un emploi, de sa participation essentielle à la vie de sa famille, de la nécessité de suivre un traitement médical ou encore de l’existence d’efforts sérieux de réadaptation sociale résultant de son implication durable dans tout autre projet caractérisé d’insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive (art. 132-25 du Code pénal). Le condamné placé sous le régime de la semi-liberté peut sortir de l’établissement pénitentiaire (sans que l’exécution de la peine d’emprisonnement soit suspendue), sans surveillance particulière, durant le temps nécessaire à l’accomplissement des obligations pour lesquelles le régime de la semi-liberté lui a été accordé (par exemple, pour se rendre à son lieu de travail si la semiliberté lui a été accordée pour permettre l’exercice d’une activité professionnelle). Le condamné est astreint à rejoindre l’établissement pénitentiaire et à y demeurer lorsque sa présence à l’extérieur de celui-ci n’est plus nécessaire à l’exécution de ses obligations, par exemple la nuit ou les jours de congé. Le condamné admis au bénéfice du placement à l’extérieur est quant à lui astreint, sous le contrôle de l’administration, à effectuer des activités en dehors de l’établissement pénitentiaire. La juridiction de jugement, lorsqu’elle décide de placer le condamné sous le régime de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur, peut en outre soumettre l’intéressé aux mesures prévues par les articles 132-43 à 132-46 du Code pénal, c’est-à-dire aux obligations et interdictions applicables en matière de sursis avec mise à l’épreuve. Le juge de l’application des peines est chargé de contrôler le respect de l’exécution de la semi-liberté et du placement à l’extérieur. Il en fixe les modalités, notamment les horaires et, s’il y a lieu, des obligations particulières. Si les conditions qui ont permis au tribunal de décider que la peine serait subie sous le régime de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur ne sont plus remplies, si le condamné ne satisfait pas aux obligations qui lui sont imposées ou s’il fait preuve de mauvaise conduite, le bénéfice de la mesure peut être retiré par le juge de l’application des peines, par jugement susceptible d’appel pris à l’issue d’un débat contradictoire. Si la personnalité du condamné ou les moyens disponibles le justifient, le juge de l’application des peines peut également, selon les mêmes modalités, substituer la mesure de semi-liberté à la mesure de placement à l’extérieur et inversement, ou substituer à l’une de ces mesures un placement sous surveillance électronique (art. 723-2 du Code de procédure pénale). LARCIER

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B) Le placement sous surveillance électronique (article 132-26-1 du Code pénal) L’article 132-26-1 du Code pénal permet à la juridiction de condamnation de recourir ab initio au placement sous surveillance électronique : lorsque la juridiction de jugement prononce une peine égale ou inférieure à deux ans d’emprisonnement, ou, pour une personne en état de récidive légale, une peine égale ou inférieure à un an, elle peut décider à l’égard du condamné qui justifie soit de l’exercice d’une activité professionnelle, même temporaire, du suivi d’un stage ou de son assiduité à un enseignement, à une formation professionnelle ou à la recherche d’un emploi, soit de sa participation essentielle à la vie de sa famille, soit de la nécessité de suivre un traitement médical, soit de l’existence d’efforts sérieux de réadaptation sociale résultant de son implication durable dans tout autre projet caractérisé d’insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive, que la peine d’emprisonnement sera exécutée en tout ou partie sous le régime du placement sous surveillance électronique. Ces dispositions sont également applicables en cas de prononcé d’un emprisonnement partiellement assorti du sursis ou du sursis avec mise à l’épreuve, lorsque la partie ferme de la peine est inférieure ou égale à deux ans, ou, si la personne est en état de récidive légale, inférieure ou égale à un an. La décision de placement sous surveillance électronique ne peut être prise qu’avec l’accord du prévenu. S’il s’agit d’un mineur non émancipé, cette décision ne peut être prise qu’avec l’accord des titulaires de l’exercice de l’autorité parentale. Le placement sous surveillance électronique emporte, pour le condamné, interdiction de s’absenter de son domicile ou de tout autre lieu désigné par le juge de l’application des peines en dehors des périodes fixées par celui-ci (art. 132-26-2 du Code pénal ; voir p. 373 pour une description complète de la mesure). La juridiction de jugement peut également soumettre le condamné admis au bénéfice du placement sous surveillance électronique aux mesures prévues par les articles 132-43 à 132-46 du Code pénal, c’est-à-dire aux mesures et obligations du sursis avec mise à l’épreuve (art. 132-26-3 du Code pénal). Le pouvoir de fixer les modalités d’exécution du placement sous surveillance électronique, celui de le révoquer en cas d’inobservation des interdictions ou obligations auxquelles est assujetti le condamné, ainsi que celui d’y substituer une autre mesure est confié au juge de l’application des peines : lorsqu’il a été fait application des dispositions de l’article 132-26-1 du Code pénal, le juge de l’application des peines fixe les modalités d’exécution du placement sous surveillance électronique par une ordonnance non susceptible de recours dans un délai maximum de quatre mois à compter de la date à laquelle la condamnation est exécutoire. Si les conditions qui ont permis au tribunal de décider que la peine serait subie sous le régime du placement sous surveillance électronique ne sont plus remplies, si le condamné ne satisfait pas aux interdictions ou obligations qui lui sont imposées, s’il fait preuve de mauvaise conduite, s’il refuse une modification nécessaire des conditions d’exécution ou s’il en fait la demande, le bénéfice du placement sous surveillance électronique peut être retiré par le juge de l’application des peines par une décision prise après débat contradictoire. Si la personnalité du condamné ou les moyens disponibles le justifient, le juge de l’application des peines peut également, selon 344

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


les mêmes modalités, substituer à la mesure de placement sous surveillance électronique une mesure de semi-liberté ou de placement à l’extérieur (art. 723-71 du Code de procédure pénale).

C) La période de sûreté (article 132-23 du Code pénal) Dans le cadre de son pouvoir d’individualisation, le juge répressif peut également être tenté d’aggraver la répression du fait du caractère particulièrement odieux du crime et de la dangerosité de son auteur. À cette fin, il peut décider, dans le cas où il prononce une peine privative de liberté, que la peine s’exécutera sous le régime particulièrement rigoureux de la période de sûreté. La période de sûreté est la partie de la peine privative de liberté pendant laquelle aucune mesure de faveur réduisant la durée de la peine prononcée ou permettant la sortie du condamné de l’établissement pénitentiaire ne peut être accordée : suspension ou fractionnement de la peine, placement à l’extérieur, permissions de sortir, semi-liberté, libération conditionnelle sont, dans ce cas, impossibles. La période de sûreté est une institution soit obligatoire, lorsque la loi le prévoit, soit facultative, laissée alors à l’appréciation du juge. Elle sera plus amplement décrite dans le chapitre suivant, relatif à l’exécution de la sanction (voir p. 376). On relèvera cependant que le juge peut prononcer une période de sûreté (facultative) pour les peines privatives de liberté d’une durée supérieure à 5 ans prononcées sans sursis, quelle que soit l’infraction commise, pour une durée qu’il détermine, dans la limite des deux tiers de la peine prononcée ou de 22 ans s’il s’agit de la réclusion criminelle à perpétuité. Lorsque la période de sûreté est obligatoire, il peut réduire la durée légale de celle-ci mais également, par décision spéciale, l’augmenter.

LARCIER

La sanction pénale prononcée CHAPITRE 2

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CHAPITRE 3

La sanction pénale exécutée L’article 707 du Code de procédure pénale pose les principes généraux de l’application des peines : – les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais ; – l’exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l’insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ; – à cette fin, les peines sont aménagées avant leur mise à exécution ou en cours d’exécution si la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ou leur évolution le permettent. Ainsi, pour les peines privatives de liberté, l’individualisation doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire, c’est-à-dire éviter les sorties « sèches » de prison, dont la nocivité en matière de récidive n’est plus à démontrer. La loi du 9 mars 2004 a sensiblement modifié le droit de l’application des peines. Pour l’essentiel, ses dispositions, entrées en vigueur le 1er janvier 2005 pour ce qui concerne l’exécution des peines, ont eu pour objet de permettre la mise à exécution effective des peines prononcées, d’accentuer la juridictionnalisation des décisions prises en matière d’exécution (juridictionnalisation déjà initiée par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes) et de permettre un suivi judiciaire du condamné. Lorsque la juridiction de jugement n’a pas décidé l’exécution immédiate des sanctions qu’elle prononce (voir p. 340), les peines sont mises à exécution à partir du moment où la condamnation est définitive, c’est-à-dire lorsqu’aucun recours n’est plus ouvert. En effet, l’exercice d’un recours suspend en principe l’exécution de la sanction. Le régime d’exécution de certaines peines a déjà fait l’objet de développements lors de l’étude de leur contenu (interdiction de séjour, travail d’intérêt général, confiscation, suspension et annulation du permis de conduire par exemple). Après un aperçu général des règles relatives à l’exécution des sanctions pénales, on se contentera d’examiner plus précisément l’exécution des principales peines : les peines privatives de liberté et l’amende. LARCIER

La sanction pénale exécutée CHAPITRE 3

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SECTION I

Aperçu général § 1.

Les autorités en charge de l’exécution des peines

De multiples institutions sont appelées à intervenir pour l’exécution des peines. Le partage de compétences est particulièrement affirmé entre le ministère public et les juridictions de l’application des peines, dont les impératifs (exécution des sentences pénales et maintien de la sécurité publique d’une part, réinsertion sociale des condamnés d’autre part) sont parfois opposés. Selon la nature de la sanction, d’autres institutions peuvent intervenir : administration pénitentiaire pour les peines privatives de liberté, percepteur pour les amendes et les confiscations, ministère de l’intérieur pour certaines peines complémentaires ou accessoires comme les incapacités professionnelles ou les fermetures d’établissement.

A) Le ministère public L’autorité chargée de poursuivre l’exécution de la condamnation pénale est le ministère public, c’est-à-dire les magistrats du parquet (art. 707-1 al. 1er du Code de procédure pénale). Celui-ci peut requérir l’assistance de la force publique pour assurer l’exécution de la peine (art. 709 du Code de procédure pénale). Il dispose d’un droit d’appel contre les décisions du juge et du tribunal de l’application des peines accordant des mesures de faveur aux condamnés (art. 712 -11 du Code de procédure pénale).

B) Les juridictions de l’application des peines La multiplication des instruments permettant d’individualiser l’exécution des peines, spécialement l’exécution des peines privatives de liberté, a nécessité de confier à l’autorité judiciaire le pouvoir de décider de ces mesures et la compétence pour en assurer le suivi. Une institution spéciale a été créée à cette fin : le juge de l’application des peines (JAP), dont les fonctions n’ont cessé de croître. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité achève le mouvement de juridictionnalisation du droit de l’application des peines, en même temps qu’elle simplifie l’architecture d’ensemble qui faisait coexister plusieurs juridictions spécialisées (juridiction régionale de la libération conditionnelle, juridiction nationale de la libération conditionnelle). La réforme est la suivante : – le juge de l’application des peines constitue la juridiction de droit commun compétente en matière d’application des peines ; – la juridiction régionale de la libération conditionnelle se transforme en tribunal de l’application des peines, compétent en matière de libération conditionnelle mais également en matière de réexamen des mesures de sûreté ; – les décisions prises par le juge de l’application des peines et le tribunal de l’application des peines, juridictions de premier degré, peuvent être frap348

PARTIE IV La sanction pénale

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pées d’appel. Cet appel est porté, selon les hypothèses, devant la chambre de l’application des peines de la cour d’appel ou devant son seul président ; – ces décisions peuvent ensuite faire l’objet d’un pourvoi en cassation. En conséquence, la juridiction nationale de la libération conditionnelle est supprimée. Cette organisation est déterminée par les articles 712-1 à 712-23 du Code de procédure pénale. 1) Composition et compétence des juridictions de l’application des peines Selon l’article 712-1 du Code de procédure pénale, le juge de l’application des peines et le tribunal de l’application des peines constituent les juridictions de l’application des peines du premier degré qui sont chargées, dans les conditions prévues par la loi, de fixer les principales modalités de l’exécution des peines privatives de liberté ou de certaines peines restrictives de liberté, en orientant et en contrôlant les conditions de leur application. La loi du 10 août 2011 « sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs » (voir p. 95) a introduit des dispositions relatives à la participation des citoyens aux décisions en matière d’application des peines. Dans certains contentieux (art. 712-13-1, 720-4-1 et 730-1 du Code de procédure pénale ; par exemple : libération conditionnelle lorsque la peine prononcée est d’une durée supérieure à cinq ans), deux citoyens assesseurs complétaient le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel. Ces dispositions n’ont été appliquées qu’à titre expérimental du 1er janvier 2012 au 30 avril 2013, dans le ressort de deux cours d’appel. a) Le juge de l’application des peines

L’institution du juge de l’application des peines a été créée en 1959 par le Code de procédure pénale, en même temps que le sursis avec mise à l’épreuve. Le juge de l’application des peines est désigné par décret après avis du Conseil supérieur de la magistrature. Il est choisi parmi les magistrats du siège de chaque tribunal de grande instance (art. 712-2 du Code de procédure pénale). La compétence territoriale du JAP s’étend au ressort du tribunal de grande instance dont il relève, en particulier aux établissements pénitentiaires qui s’y trouvent (art. 712-10 du Code de procédure pénale). La loi du 9 mars 2004 a fait du juge de l’application des peines un véritable juge du contrôle de l’application des peines, autorisé à s’assurer de l’exécution des mesures mais aussi, le cas échéant, à les révoquer (alors que le droit antérieur réservait à la juridiction qui a prononcé la condamnation la compétence pour révoquer certaines mesures, comme le sursis avec mise à l’épreuve ou l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général, ce qui constituait indéniablement une lourdeur qui participait de l’inexécution des peines). • Le JAP détient de nombreuses prérogatives, tant à l’égard des condamnés en milieu fermé, c’est-à-dire incarcérés, qu’à celui des condamnés en milieu ouvert. LARCIER

La sanction pénale exécutée CHAPITRE 3

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En milieu pénitentiaire, le juge de l’application des peines a pour fonction principale de déterminer les modalités du « traitement pénitentiaire » (c’est-àdire d’accorder la plupart des mesures de reclassement) pour tous les condamnés détenus dans les établissements pénitentiaires de son ressort. Il est ainsi compétent pour décider des placements à l’extérieur, de la semi-liberté, des réductions de peines, du fractionnement et de la suspension de l’exécution de la peine, des autorisations de sortie sous escorte, des permissions de sortir ainsi que du placement sous surveillance électronique et, dans certains cas, de la libération conditionnelle, domaine dans lequel il partage ses compétences avec le tribunal de l’application des peines. Le juge de l’application des peines dispose ensuite d’un grand nombre de compétences à l’égard des condamnés en milieu ouvert, autrement dit en liberté. Il assure d’abord le contrôle de l’exécution de certaines peines non privatives de liberté comportant des obligations particulières. Il assure ainsi la surveillance des condamnés à l’interdiction de séjour, et à ce titre peut modifier la liste des lieux qu’il est interdit au condamné de fréquenter ainsi que les mesures d’accompagnement de la peine. Il définit les modalités d’exécution de la peine de travail d’intérêt général, notamment la nature du travail à effectuer et les horaires de travail, et est habilité à suspendre le délai pendant lequel le travail doit être exécuté. Il peut, dans les conditions prévues par la loi, substituer certaines peines ou mesures à d’autres, notamment une peine de jours-amendes au travail d’intérêt général ou à un sursis TIG (art. 733-1 et 747-1-1 du Code de procédure pénale) ou un sursis TIG ou une peine de jours-amendes à une peine d’emprisonnement ferme de six mois au plus (art. 132-57 du Code pénal). Il est compétent, en cas d’inexécution des peines alternatives, par exemple d’un travail d’intérêt général, pour ordonner la mise à exécution de tout ou partie de l’emprisonnement ou de l’amende préalablement fixés par la juridiction de jugement (art. 1319 et 131-11 du Code pénal). Il encadre les personnes condamnées au suivi sociojudiciaire en complétant ou modifiant les obligations imposées et en prononçant au besoin une obligation de soins dont il s’assure du respect. Il a, dans ce cadre, la compétence, en cas d’inobservation des obligations imposées, d’ordonner la mise à exécution de tout ou partie de l’emprisonnement dont la durée a été fixée par la juridiction de jugement (voir p. 284). Le juge de l’application des peines est également chargé du suivi des probationnaires, dans le cadre des sursis avec mise à l’épreuve ou des sursis avec obligation d’accomplir un travail d’intérêt général (voir p. 334 et s.). Il détermine en particulier les obligations à la charge des condamnés et veille à leur exécution. En cas d’inexécution de ces obligations, il peut prolonger le délai d’épreuve ou même révoquer le sursis. Des prérogatives similaires lui sont dévolues pour le suivi des condamnés bénéficiant d’une libération conditionnelle ou placés sous surveillance électronique. Pour accomplir ses fonctions, le juge de l’application des peines est assisté par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, institué auprès de chaque établissement pénitentiaire et composé de travailleurs sociaux. • L’article 712-4 du Code de procédure pénale dispose que les mesures relevant de la compétence du juge de l’application des peines sont accordées, modifiées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par ordonnance ou jugement motivé de ce magistrat agissant d’office, sur la demande du condamné ou 350

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sur réquisition du procureur de la République selon les distinctions prévues aux articles 712-5 et 712-6. Deux catégories peuvent être distinguées : – les décisions prises par ordonnances, sans débat contradictoire (art. 712-5 du Code de procédure pénale). Il s’agit des réductions de peine, des autorisations de sortie sous escorte et des permissions de sortir. Pour l’octroi de ces mesures, le juge de l’application des peines est assisté par la commission de l’application des peines, au rôle consultatif, qu’il préside et qui comprend de droit le procureur de la République et le chef de l’établissement pénitentiaire, ainsi que des membres du personnel de direction, un chef de service pénitentiaire, un membre du personnel de surveillance et des travailleurs sociaux ; – les jugements rendus, après avis du représentant de l’administration pénitentiaire, à l’issue d’un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel le juge de l’application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat. Ils concernent les mesures de placement à l’extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle ne relevant pas de la compétence du tribunal de l’application des peines, ainsi que les décisions du juge de l’application des peines concernant les peines de suivi sociojudiciaire, d’interdiction de séjour, de travail d’intérêt général, d’emprisonnement avec sursis assorti de la mise à l’épreuve ou de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général et les mesures d’ajournement du prononcé de la peine avec mise à l’épreuve. Le juge de l’application des peines peut toutefois, avec l’accord du procureur de la République et celui du condamné ou de son avocat, octroyer l’une de ces mesures sans procéder à un débat contradictoire. Dans les cas complexes, le juge de l’application des peines peut également décider, d’office ou à la demande du condamné ou du ministère public, de renvoyer le jugement de l’affaire devant le tribunal de l’application des peines (art. 712-6 du Code de procédure pénale). On relèvera que les décisions modifiant ou refusant de modifier les mesures mentionnées à l’article 712-6 du Code de procédure pénale ou les obligations résultant de ces mesures ou de celles ordonnées par le tribunal de l’application des peines sont prises par ordonnance motivée du juge de l’application des peines, sauf si le procureur de la République demande qu’elles fassent l’objet d’un jugement pris après débat contradictoire. Pour l’exécution d’une mesure de semiliberté, de placement à l’extérieur ou de placement sous surveillance électronique ou pour l’exécution de permissions de sortir, le juge de l’application des peines peut également, dans sa décision, autoriser le chef d’établissement ou le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation ou, s’agissant des mineurs, le directeur régional de la protection judiciaire de la jeunesse, à modifier les horaires d’entrée ou de sortie du condamné de l’établissement pénitentiaire, ou de sa présence en un lieu déterminé, lorsqu’il s’agit de modifications favorables au condamné ne touchant pas à l’équilibre de la mesure (art. 712-8 du Code de procédure pénale). b) Le tribunal de l’application des peines

Il est établi dans le ressort de chaque cour d’appel un ou plusieurs tribunaux de l’application des peines dont la compétence territoriale, corresponLARCIER

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dant à celle d’un ou plusieurs tribunaux de grande instance du ressort, est fixée par décret. Le tribunal de l’application des peines est composé d’un président et de deux assesseurs désignés par le premier président de la cour d’appel parmi les juges de l’application des peines du ressort de la cour (art. 712-3 du Code de procédure pénale). Les mesures relevant du tribunal de l’application des peines sont accordées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par jugement motivé du tribunal saisi sur la demande du condamné, sur réquisitions du procureur de la République ou à l’initiative du juge de l’application des peines dont relève le condamné. Ces mesures sont le relèvement de la période de sûreté, la libération conditionnelle des personnes condamnées à une peine de plus de dix ans ou dont le reliquat est supérieur à trois ans et la suspension de peine pour raisons médicales lorsque la peine est supérieure à dix ans ou lorsque la peine restant à subir est supérieure à trois ans . Ces jugements sont rendus, après avis du représentant de l’administration pénitentiaire, à l’issue d’un débat contradictoire tenu en chambre du conseil, au cours duquel la juridiction entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat (si le condamné est détenu, ce débat peut se tenir dans l’établissement pénitentiaire) (art. 712-7 du Code de procédure pénale). Le tribunal de l’application des peines peut également décider, dans les mêmes conditions, des mesures relevant normalement du juge de l’application des peines, sur renvoi de celui-ci (art. 712-6 al. 3 du Code de procédure pénale). 2) Recours ouverts contre les décisions des juridictions de l’application des peines Les décisions du juge de l’application des peines et du tribunal de l’application des peines peuvent être attaquées par la voie de l’appel par le condamné, par le procureur de la République ou par le procureur général (art. 712-11 du Code de procédure pénale). Cependant, les modalités de l’appel diffèrent selon la nature de la décision et la juridiction qui l’a prise : – en ce qui concerne les ordonnances prises par le juge de l’application des peines sans débat contradictoire en application des dispositions de l’article 712-5 (réductions de peine, autorisations de sortie sous escorte et permissions de sortir) et de l’article 712-8 (modification des mesures), l’appel doit être formé dans le délai de 24 heures suivant la notification de la décision. L’appel est porté devant le président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel, qui statue par ordonnance motivée au vu des observations écrites du parquet et de celles du condamné ou de son avocat (art. 712-12 du Code de procédure pénale) ; – en revanche, les jugements du juge de l’application des peines (pris en application de l’art. 712-6) et ceux du tribunal de l’application des peines (en application de l’art. 712-7) peuvent être contestés dans les dix jours suivant leur notification et sont examinés par la chambre de l’application des peines de la cour d’appel, qui statue par arrêt motivé après un débat contradictoire au cours duquel sont entendues les réquisitions du ministère public et les observations de l’avocat du condamné. Si elle confirme un jugement ayant refusé 352

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


d’accorder une des mesures mentionnées aux articles 712-6 ou 712-7, la chambre peut fixer un délai pendant lequel toute nouvelle demande tendant à l’octroi de la même mesure sera irrecevable. Ce délai ne peut excéder ni le tiers du temps de détention restant à subir, ni trois années (art. 71213 du Code de procédure pénale). L’article 712-14 dispose que les décisions du juge de l’application des peines et du tribunal de l’application des peines sont exécutoires par provision. Toutefois, lorsque l’appel du ministère public est formé dans les 24 heures, il suspend l’exécution de la décision jusqu’à ce que la chambre de l’application des peines de la cour d’appel, ou son président, ait statué. L’affaire doit être examinée au plus tard dans les deux mois suivant l’appel, faute de quoi celuici est non avenu. Enfin, les ordonnances du président de la chambre de l’application des peines et les arrêts de cette dernière peuvent faire l’objet, dans les cinq jours de leur notification, d’un pourvoi en cassation qui n’est pas suspensif (art. 712-15 du Code de procédure pénale). 3) Dispositions concernant les mineurs En cas de condamnation prononcée par une juridiction spécialisée pour mineurs, le juge des enfants exerce les fonctions dévolues au juge de l’application des peines, jusqu’à ce que la personne condamnée ait atteint l’âge de vingt et un ans. Deux limites à cette compétence sont posées : – lorsque le condamné a atteint l’âge de dix-huit ans au jour du jugement, le juge des enfants n’est compétent que si la juridiction spécialisée le décide par décision spéciale ; – en raison de la personnalité du mineur ou de la durée de la peine prononcée, le juge des enfants peut se dessaisir au profit du juge de l’application des peines lorsque le condamné a atteint l’âge de dix-huit ans. Pour la préparation de l’exécution, la mise en œuvre et le suivi des condamnations, le juge des enfants désigne s’il y a lieu un service de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), chargé de veiller au respect des obligations imposées au condamné. Le juge des enfants peut également désigner à cette même fin le service pénitentiaire d’insertion et de probation lorsque le condamné a atteint l’âge de dix-huit ans. Le tribunal pour enfants exerce quant à lui les attributions dévolues au tribunal de l’application des peines et la chambre spéciale des mineurs les attributions dévolues à la chambre de l’application des peines (art. 20-9 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante).

§ 2.

Personnalisation de la sanction en cours d’exécution

La personnalisation de la peine n’est pas seulement décidée au stade du prononcé de la sanction mais est également organisée tout au long de son exécution. Diverses mesures de faveur peuvent bénéficier aux condamnés, compte LARCIER

La sanction pénale exécutée CHAPITRE 3

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tenu en particulier de leur personnalité et des efforts qu’ils fournissent en vue de leur reclassement social. La plupart de ces mesures sont destinées à aménager les peines privatives de liberté (voir p. 360 ). Cependant, certaines mesures de faveur peuvent également intervenir pour modifier, voire supprimer, les peines non privatives de liberté à exécuter.

A) La grâce présidentielle Par l’exercice de son droit de grâce, le Président de la République peut dispenser le condamné d’exécuter tout ou partie de sa peine, et ce quelle qu’en soit sa nature, privative de liberté ou non (voir p. 388 ). Il peut notamment décider une commutation de peine, c’est-à-dire substituer une peine à une autre (par exemple une peine d’emprisonnement à une peine de réclusion criminelle) ou accorder une remise de peine, c’est-à-dire diminuer la durée de la peine à exécuter.

B) La suspension et le fractionnement La suspension ou le fractionnement peut être décidé en faveur des condamnés à des peines d’emprisonnement de courte durée (voir p. 363 ). Une telle mesure ne se réduit cependant pas à l’emprisonnement. Une suspension ou un fractionnement peut en effet intervenir au cours de l’exécution de la sanction pour toutes les peines de police et toutes les peines correctionnelles non privatives de liberté (art. 708 du Code de procédure pénale). La mesure est alors ordonnée pour les mêmes motifs, à savoir pour motifs graves d’ordre médical, familial, professionnel ou social. La compétence pour décider de cette mesure dépend de la durée pendant laquelle l’exécution de la sanction sera suspendue. Lorsque l’exécution de la peine non privative de liberté est suspendue pour au moins 3 mois, la décision relève du tribunal correctionnel, du tribunal de police ou de la juridiction de proximité (la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 « relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles » supprime, à compter du 1er janvier 2015, les juridictions de proximité, et confie la compétence pour connaître des contraventions des quatre premières classes au tribunal de police constitué par un juge de proximité et, à défaut, par un juge du tribunal d’instance) statuant en chambre du conseil, sur proposition du ministère public. Si l’exécution de la peine non privative de liberté est suspendue pendant moins de 3 mois, la décision est prise par le ministère public. Le fractionnement ordonné par la juridiction de jugement, en application de l’article 132-28 du Code pénal (voir p. 341), d’une peine d’amende, de jours-amendes ou de suspension de permis de conduire peut également être modifié dans les mêmes conditions. Par ailleurs, des dispositions spéciales prévoient parfois une procédure spécifique pour décider la suspension de la peine. C’est le cas de l’article 13122 du Code pénal qui permet au juge de l’application des peines de suspendre le délai d’exécution du travail d’intérêt général pour motif grave d’ordre médical, familial, professionnel ou social. 354

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C) Le relèvement On a vu que le relèvement de tout ou partie des interdictions, déchéances et incapacités résultant de plein droit de la condamnation pénale était possible au stade du prononcé de la sanction, par la juridiction de jugement (voir p. 342 ). En cours d’exécution de la peine, le condamné peut également demander à être relevé des incapacités, interdictions et déchéances qui le frappent, non seulement celles qui résulteraient de peines accessoires mais également de celles prononcées à titre complémentaire (dans ce dernier cas, à l’expiration d’un délai de 6 mois à compter de la décision de condamnation). La demande est portée devant la juridiction qui a prononcé la condamnation ou devant la chambre de l’instruction si celle-ci émanait d’une cour d’assises. Le relèvement peut alors porter sur la totalité de ces peines mais également être partiel, c’est-à-dire ne porter que sur certaines de ces peines ou réduire la durée de la sanction (art. 702-1 du Code de procédure pénale). Par ailleurs, lorsqu’elles se prononcent sur l’octroi d’une mesure d’aménagement de peines prévues aux articles 712-6 et 712-7 du Code de procédure pénale (placement à l’extérieur, semi-liberté, fractionnement et suspension des peines, placement sous surveillance électronique, libération conditionnelle), les juridictions de l’application des peines (juge de l’application des peines et tribunal de l’application des peines) peuvent relever le condamné, en tout ou partie, d’une interdiction d’exercer une profession ou une activité professionnelle résultant de plein droit d’une condamnation pénale ou prononcée à titre de peine complémentaire (art. 712-22 du Code de procédure pénale).

§ 3.

Sanction de l’inexécution de la peine

Le fait de se soustraire à l’exécution d’une sanction pénale constitue généralement une infraction. Mis à part le cas de l’évasion (à laquelle sont assimilés divers faits, comme celui, pour un détenu placé sous surveillance électronique, de neutraliser le procédé permettant de le détecter à distance) et de l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité en vue de se soustraire au paiement de l’amende, les infractions sont les suivantes : lorsque la juridiction a ordonné l’affichage de la décision de condamnation, le fait de supprimer, dissimuler ou lacérer les affiches, est puni à titre principal de 6 mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende, la juridiction étant en outre tenue d’ordonner à nouveau l’exécution de l’affichage aux frais du condamné (art. 434-39 du Code pénal). Pour un interdit de séjour, les faits suivants sont des infractions punies de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende : paraître dans un lieu interdit ou se soustraire aux mesures de surveillance qui lui sont imposées (art. 434-38), la violation de l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale (art. 434-40), la violation des obligations et interdictions résultant des peines de suspension ou d’annulation du permis de conduire, d’interdiction de conduire certains véhicules, d’interdiction de paraître dans certains lieux ou de rencontrer certaines personnes, d’obligation d’accomplir un stage, d’interdiction de détenir ou de porter une arme, de retrait du permis de chasser, d’interdiction de détenir un animal, d’interdiction d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement, de fermeture d’établissement, d’exclusion des marchés LARCIER

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publics, le fait de détruire, détourner un véhicule immobilisé ou une arme, un véhicule, tout autre objet ou un animal confisqués, le fait de refuser de remettre un permis suspendu, annulé ou retiré ou de remettre un objet ou un animal confisqué (art. 434-41) ou encore la violation des obligations résultant de la peine de travail d’intérêt général (art. 434-42). La violation par une personne physique des peines de l’article 131-39 du Code pénal prononcées contre une personne morale, est également réprimée. De telles condamnations ne sauraient d’ailleurs dispenser l’intéressé de l’exécution des sanctions dont les obligations ont été violées (voir Crim., 7 janvier 1997, Bull. crim. n° 1, JCP 1997, II, 22878, note Salvage, pour le travail d’intérêt général). De plus, en cas d’incident et notamment d’inexécution des obligations particulières accompagnant certaines peines (comme l’interdiction de séjour), l’autorité chargée d’assurer le contrôle et la surveillance du condamné peut prendre des mesures tendant au renforcement du régime d’exécution de la sanction. Pour garantir plus efficacement l’exécution des peines alternatives et pour faire l’économie d’un nouveau procès en cas d’inexécution, par le condamné, de ses obligations, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité accorde à la juridiction de condamnation le pouvoir de fixer d’emblée la durée maximum de l’emprisonnement ou le montant maximum de l’amende encourus par le condamné s’il ne respecte pas les obligations ou interdictions résultant de la ou des peines prononcées. Cette faculté est prévue lorsque le tribunal correctionnel prononce à titre de peine alternative le stage de citoyenneté, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté de l’article 131-6 ou un travail d’intérêt général (art. 131-9 al. 2 du Code pénal) ou lorsqu’en application de l’article 131-11 du Code pénal, il prononce une ou plusieurs peines complémentaires à titre de peine principale (art. 131-11 al. 2 du Code pénal). Le président de la juridiction en avertit le condamné après le prononcé de la décision, ce qui a un effet dissuasif, le condamné étant immédiatement informé des risques encourus en cas d’inexécution de la peine. La durée de l’emprisonnement et le montant de l’amende ainsi fixés ne peuvent cependant excéder les peines encourues pour le délit pour lequel la condamnation est prononcée ni celles prévues par l’article 434-41 du Code pénal (qui n’est alors pas applicable). En cas d’inexécution par le condamné des obligations ou interdictions résultant des peines prononcées à son encontre, la mise à exécution, en tout ou partie, de l’emprisonnement et de l’amende préalablement fixés par la juridiction de condamnation est ordonnée par le juge de l’application des peines. Des dispositions du même type s’appliquent en matière de suivi sociojudiciaire (voir p. 284) et pour la peine de sanction-réparation (voir p. 276). SECTION II

L’exécution des peines privatives de liberté Les peines privatives de liberté sont la réclusion criminelle ou la détention criminelle à perpétuité ou à temps et l’emprisonnement. La durée des mesures privatives de liberté subies par le condamné à raison des mêmes faits avant le 356

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prononcé de la peine est imputée sur la durée de celle-ci. C’est par exemple le cas de la détention provisoire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique avant jugement. Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions (art. 1er de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009). Ce « sens » de la peine privative de liberté se retrouve aussi bien dans l’organisation du régime carcérale qu’au travers des mesures d’individualisation de l’exécution de la sanction.

§ 1.

Le régime pénitentiaire

Le régime des peines privatives de liberté ne dépend pas de la nature criminelle ou correctionnelle de la peine mais de sa durée ainsi que de la personnalité du condamné. Ce régime s’uniformise. Ainsi, le traitement spécial réservé aux condamnés politiques est aujourd’hui résiduel (voir p. 100). Le régime pénitentiaire est davantage déterminé par la personne du condamné que par l’infraction pour laquelle il a été condamné.

A) Le lieu d’incarcération Réclusion criminelle, détention criminelle et emprisonnement sont des peines qui entraînent avant tout l’incarcération du condamné dans un établissement adapté. 1) Les établissements pénitentiaires Le Code de procédure pénale distingue diverses catégories d’établissements pénitentiaires. Le placement dans ces établissements dépend du motif de détention (détention provisoire ou condamnation pénale) et, pour les condamnés, de la durée de la peine qu’ils ont à subir ou qu’il leur reste à subir. Le premier critère distingue les maisons d’arrêt des établissements pour peines. • Les maisons d’arrêt sont en principe destinées aux personnes placées en détention provisoire. Toutefois, « à titre exceptionnel », les condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à deux ans, ainsi que ceux auxquels il reste à subir une peine d’une durée inférieure à un an, peuvent y être affectés. Un quartier distinct leur est dans ce cas réservé. Peuvent également être maintenues en maison d’arrêt les personnes condamnées auxquelles il reste à subir une peine d’une durée supérieure à deux ans lorsqu’elles bénéficient d’un aménagement de peine ou sont susceptibles d’en bénéficier rapidement (art. 717 al. 2 et D. 70 al. 2 du Code de procédure pénale). • Les établissements pour peines, dans lesquels sont reçus les condamnés définitifs, sont les maisons centrales, les centres de détention, les centres de semi-liberté et les centres pour peines aménagées (art. D. 70 à D. 72-1 du Code de procédure pénale). LARCIER

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Les maisons centrales comportent une organisation et un régime de sécurité renforcé dont les modalités doivent également permettre de préserver et de développer les possibilités de réinsertion sociale des condamnés. Les centres de détention, les centres de semi-liberté et les centres pour peines aménagées connaissent un régime principalement orienté vers la réinsertion sociale et la préparation à la sortie des condamnés. Le régime des centres de détention comporte des particularités concernant les permissions de sortir, la correspondance avec l’extérieur et les activités collectives (art. D. 97 du Code de procédure pénale). Celui des centres pour peines aménagées repose sur des actions d’insertion organisées à l’intérieur et à l’extérieur de ces établissements (art. D. 97-1 du Code de procédure pénale). Les centres pénitentiaires regroupent des quartiers distincts pouvant appartenir aux différentes catégories d’établissements pénitentiaires. Ces quartiers sont alors dénommés en fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent (quartier maison centrale, quartier centre de détention, quartier de semiliberté, quartier pour peines aménagées, quartier maison d’arrêt). Le régime carcéral pose irrémédiablement le problème de la surpopulation carcérale. Au 1er juillet 2008, on dénombrait 68 151 détenus, dont environ un tiers de prévenus, pour 50 806 places mises en service (ministère de la Justice, Les chiffres clés de la Justice, octobre 2008). 2) Critères et procédure de l’affectation L’affectation d’un condamné, qui consiste à déterminer dans quel établissement ce dernier doit exécuter sa peine, s’effectue compte tenu de sa personnalité, de son sexe, de son âge, de ses antécédents, de sa catégorie pénale, de son état de santé physique et mentale et de ses possibilités de réinsertion sociale (art. 717-1 al. 2 et D. 74 du Code de procédure pénale). Certains condamnés, notamment ceux auteurs de crimes ou délits à caractère sexuel, exécutent leur peine dans un établissement pénitentiaire permettant d’assurer un suivi médical et psychologique adapté. Ils peuvent se voir proposer de suivre un traitement pendant la durée de leur détention ou, en cas de troubles psychologiques, faire l’objet d’une prise en charge adaptée, le cas échéant en hospitalisation (art. 717-1 A et 717-1 du Code de procédure pénale). Le ministre de la Justice (administration centrale des services pénitentiaires) est exclusivement compétent pour les affectations dans les maisons centrales ainsi que pour décider de l’affectation des condamnés à une ou plusieurs peines dont la durée totale est supérieure ou égale à dix ans et dont la durée de l’incarcération restant à subir au moment où leur condamnation ou la dernière de leurs condamnations est devenue définitive est supérieure à cinq ans, des condamnés à raison d’actes de terrorisme ainsi que des condamnés ayant fait l’objet d’une inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés. L’affectation des autres condamnés dans les centres de détention, les centres de semi-liberté, les centres pour peines aménagées et les maisons d’arrêt est décidée par le directeur régional des services pénitentiaires. Le juge de l’application des peines est consulté, sauf urgence, avant toute décision d’affectation (art. D. 80 du Code de procédure pénale). 358

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B) La vie carcérale La vie carcérale est organisée en fonction d’un ensemble d’objectifs parfois contradictoires : d’un côté favoriser l’amendement du condamné, garantir la sécurité et assurer la discipline, de l’autre assurer le reclassement du condamné, humaniser les conditions de détention et respecter la personne du condamné. La prison implique la privation de liberté mais postule également la réinsertion sociale du condamné. 1) Régime de détention Plusieurs systèmes de détention ont été mis en pratique selon les époques et les pays : un emprisonnement en commun de jour et de nuit ; un emprisonnement cellulaire, c’est-à-dire individuel, de jour et de nuit ; un isolement cellulaire de nuit et en commun de jour (système mixte dit d’Auburn, du nom de la prison où il fut introduit pour la première fois) ; enfin un système progressif, depuis un isolement cellulaire complet à une libération par étapes en passant par un emprisonnement en commun. Dans les maisons d’arrêt, les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés en cellule individuelle (art. 716 du Code de procédure pénale). Les condamnés sont soumis dans les maisons d’arrêt à l’emprisonnement individuel du jour et de nuit, et dans les établissements pour peines, à l’isolement de nuit seulement (art. 717-2 du Code de procédure pénale). Toutefois, il peut être dérogé à ces règles si les intéressés en font la demande, si leur personnalité justifie que, dans leur intérêt, ils ne soient pas laissés seuls ou en raison des nécessités d’organisation du travail. Jusqu’au 25 novembre 2014, il peut encore être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application (art. 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009). Des dispositions réglementaires fixent le régime disciplinaire des personnes détenues placées en détention provisoire ou exécutant une peine privative de liberté : contenu des fautes disciplinaires, sanctions disciplinaires encourues selon le degré de gravité des fautes commises, composition de la commission disciplinaire, procédure applicable. 2) Droits du détenu Le condamné est traité de telle façon que sa dignité soit préservée. Le droit, pour tout prisonnier, à des conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine est au demeurant imposé par diverses conventions internationales, notamment par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 26 octobre 2000, Kudla contre Pologne). Le maintien en détention dans des conditions contraires à la dignité humaine est par exemple susceptible de constituer un traitement inhumain et dégradant (CEDH, 14 novembre 2002, Mouisel contre France : absence de prise en charge de l’état de santé d’un détenu atteint d’un cancer). Les droits et devoirs des personnes détenues sont pour l’essentiel explicités aux articles 22 à 61 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Le détenu LARCIER

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a le droit au respect de sa dignité et son intégrité physique, notamment par une réglementation précise des fouilles, le droit de communiquer librement avec son avocat, le droit à la liberté d’opinion, de conscience et de religion, celui d’élire domicile auprès de l’établissement pour l’exercice de ses droits civiques, prétendre au bénéfice de droits sociaux et faciliter ses démarches administratives, le droit de maintenir des relations avec les membres de sa famille par les visites, permissions de sortir, unités de vie familiale et parloirs familiaux, le droit de téléphoner, le droit d’envoyer et de recevoir des correspondances écrites, le droit d’accéder à l’information, le droit à l’hygiène et à la santé. La réinsertion sociale du condamné est également recherchée. L’article 27 de la loi pénitentiaire prévoit en particulier que toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation dès lors qu’elle a pour finalité la réinsertion de l’intéressé et est adaptée à son âge, à ses capacités, à son handicap et à sa personnalité. Cette « obligation d’activité » peut consister dans les activités sportives et culturelles proposées par le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Lorsque la personne condamnée ne maîtrise pas les enseignements fondamentaux, l’activité consiste par priorité en l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Lorsqu’elle ne maîtrise pas la langue française, l’activité consiste par priorité en son apprentissage. Enfin, cette activité peut résider dans un travail ou une formation professionnelle. Longtemps une obligation et un outil pour obtenir l’amendement du condamné, le travail carcéral a aujourd’hui davantage pour finalité la réinsertion du détenu… en même temps que son occupation. Le travail pénitentiaire est effectué soit dans l’établissement, soit à l’extérieur de celui-ci, sous surveillance, dans le cadre du placement à l’extérieur. Ce travail est réalisé pour l’État ou pour le compte d’un concessionnaire. Les revenus que le condamné retire de son travail sont repartis sur plusieurs postes. Jusqu’à 200 euros, ils sont considérés comme ayant un caractère alimentaire et reviennent au détenu. Au-delà, une partie est affectée à l’indemnisation des parties civiles et créanciers d’aliments et 10 % à la constitution du pécule de libération. Le condamné dispose librement du reste, une autorisation spéciale étant toutefois nécessaire pour effectuer des virements à l’extérieur de l’établissement. Le produit du travail des détenus ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire (art. 717-3, D. 111 et D. 320 à D. 320-3 du Code de procédure pénale).

§ 2.

Individualisation de la peine privative de liberté pendant son exécution

L’exécution d’une peine privative de liberté doit être orientée vers la réinsertion sociale du condamné. À cette fin, l’exécution de la peine est susceptible de faire l’objet de multiples aménagements dont la décision relève en grande partie du juge de l’application des peines (mais pas seulement, car certains d’entre eux, comme la semi-liberté, le placement à l’extérieur ou le placement sous surveillance électronique, peuvent être décidés dès le stade du jugement par la 360

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juridiction de condamnation ; voir p. 342 et s.). Ces aménagements dépendent pour la plupart de la conduite du condamné et des efforts qu’il fournit en vue de sa réinsertion. La caractéristique commune à ces différentes mesures d’individualisation est qu’elles permettent au condamné, en cours d’exécution de la peine, de sortir de prison temporairement, voire définitivement. La perspective de pouvoir bénéficier de ces faveurs amènera le condamné à bien se conduire et à effectuer les efforts nécessaires pour réintégrer la société. Il convient de noter cependant que, préalablement à toute décision entraînant la cessation temporaire ou définitive de l’incarcération d’une personne condamnée à une peine privative de liberté avant la date d’échéance de cette peine, les juridictions de l’application des peines doivent prendre en considération les intérêts de la victime ou de la partie civile au regard des conséquences pour celle-ci de cette décision. S’il existe un risque que le condamné puisse se trouver en présence de la victime ou de la partie civile et qu’au regard de la nature des faits ou de la personnalité de l’intéressé il apparaît qu’une telle rencontre paraît devoir être évitée, les juridictions de l’application des peines assortissent toute décision entraînant la cessation temporaire ou définitive de l’incarcération d’une interdiction d’entrer en relation avec la victime ou la partie civile et, le cas échéant, de paraître à proximité de son domicile et de son lieu de travail (art. 71216-1 et 712-16-2 du Code de procédure pénale). Eu égard à leur objet, la plupart de ces aménagements de peine (semiliberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique, fractionnement et suspension de peines, libération conditionnelle, conversion en travail d’intérêt général prévue à l’article 132-57 du Code pénal) sont destinés à bénéficier, en priorité et dans la mesure du possible, à certains condamnés. La loi du 9 mars 2004, puis celle du 24 novembre 2009, ont institué à cet effet des procédures simplifiées d’aménagement des peines, permettant l’examen systématique par le juge de l’application des peines de la situation des personnes condamnées à de courtes peines d’emprisonnement, qu’elles soient libres ou incarcérées, afin d’en déterminer les modalités d’exécution. D’une part, pour éviter l’effet corrupteur et désocialisant de la prison, sont convoquées devant le juge d’application des peines les personnes non incarcérées, condamnées à une peine inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement ou pour lesquelles la durée de la détention restant à subir est inférieure ou égale à deux ans (durées de deux ans réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale ; art. 723-15 à 723-18 du Code de procédure pénale). D’autre part, pour permettre la réinsertion et prévenir la récidive, est examinée la situation des détenus en fin de peine, à savoir ceux condamnés à une ou des peines d’emprisonnement dont le cumul est inférieur ou égal à deux ans ou condamnées à une ou des peines d’emprisonnement dont le cumul est inférieur ou égal à cinq ans et dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à deux ans (durées de deux ans réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale ; art. 723-19 à 723-27 du Code de procédure pénale). Ces mesures sont diverses mais peuvent être regroupées en deux catégories. Les unes ont pour objet de permettre la sortie temporaire du condamné de l’établissement pénitentiaire durant l’exécution de la peine, sans affecter la durée totale de la peine prononcée ; d’autres ont pour but de réduire la durée de la peine privative de liberté à subir, en permettant un retour anticipé à la LARCIER

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liberté. Toutefois, aucune de ces mesures de faveur, à l’exception de l’autorisation de sortie sous escorte, ne peut intervenir pendant la période de sûreté.

A) Mesures permettant la sortie temporaire de l’établissement pénitentiaire Il s’agit de l’autorisation de sortie sous escorte, des permissions de sortir, du placement à l’extérieur, de la suspension et du fractionnement de la peine et de la semi-liberté. 1) Les autorisations de sortie sous escorte Elles sont accordées dans des circonstances exceptionnelles, comme les funérailles de proches parents. Elles peuvent être délivrées même pendant la période de sûreté. Le détenu est accompagné de surveillants durant toute la durée de la sortie de l’établissement. 2) Les permissions de sortir Les permissions de sortir, accordées par le juge de l’application des peines, permettent au condamné de s’absenter de l’établissement pour une durée précise. Le temps passé à l’extérieur de l’établissement s’impute sur la durée de la peine à subir. Autrement dit, l’exécution de la peine n’est pas suspendue, contrairement à ce qui se passe pour la suspension ou le fractionnement de l’exécution de la peine. Les permissions sont accordées au condamné pour préparer sa réinsertion professionnelle ou sociale, maintenir ses liens familiaux ou lui permettre d’accomplir une obligation exigeant sa présence (art. 723-3 du Code de procédure pénale). Le condamné ne fait l’objet d’aucune surveillance durant son absence de l’établissement mais la permission de sortir peut être assortie d’obligations particulières, comme ne pas paraître en certains lieux (art. 723-4 du Code de procédure pénale). Il existe différents types de permissions de sortir dont les conditions d’attribution et la durée, de 1 à 10 jours, varient selon leur objet (art. D. 142 à D. 147 du Code de procédure pénale). 3) Le placement à l’extérieur Le condamné admis au bénéfice du placement à l’extérieur est astreint, sous le contrôle de l’administration, à exercer des activités en dehors de l’établissement pénitentiaire (art. 723 al. 1 du Code de procédure pénale) : travail, stage, recherche d’emploi, suivi d’un enseignement ou d’une formation professionnelle, suivi d’un traitement médical notamment. Le placement à l’extérieur peut être avec ou sans surveillance. a) Le placement à l’extérieur sous surveillance

Les condamnés peuvent être employés en dehors d’un établissement pénitentiaire à des travaux contrôlés par l’administration, c’est-à-dire pour le compte d’une personne publique ou d’un concessionnaire. Ce travail des détenus à l’extérieur s’effectue sous la surveillance du personnel pénitentiaire. À la 362

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fin de chaque journée de travail, les détenus sont en principe réintégrés à l’établissement pénitentiaire. L’autorisation de travail à l’extérieur est accordée par le juge de l’application des peines. Peuvent être employés à des travaux à l’extérieur les détenus ayant à subir une durée d’incarcération inférieure ou égale à 5 ans et n’ayant pas été condamnés antérieurement à une peine privative de liberté supérieure à 6 mois, les détenus remplissant les conditions de délai requises pour être proposés au bénéfice de la liberté conditionnelle ou pour être admis à la semiliberté, ainsi que les condamnés pouvant faire l’objet d’un placement extérieur sans surveillance. Seuls peuvent être désignés les détenus qui présentent des garanties suffisantes pour la sécurité et l’ordre public, notamment au regard de leur personnalité, de leurs antécédents, de leur conduite en détention et des gages de réinsertion dont ils ont fait preuve (art. D. 126 à D. 135 du Code de procédure pénale). b) Le placement à l’extérieur sans surveillance

Le décret 98-1099 du 8 décembre 1998 relatif à l’organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires a prévu la possibilité d’autoriser un placement à l’extérieur sans être soumis à la surveillance continue du personnel pénitentiaire, en vue d’effectuer un travail, de suivre un enseignement, un stage, un emploi temporaire, une formation professionnelle ou de faire l’objet d’une prise en charge sanitaire. Peuvent bénéficier de cette mesure les condamnés dont la peine à subir ou restant à subir n’excède pas deux ans (un an pour les condamnés en état de récidive légale) et, à titre probatoire, les condamnés admis au bénéfice de la libération conditionnelle (art. 723-1 et D. 136 du Code de procédure pénale). Le juge de l’application des peines détermine les conditions d’exécution de la mesure et peut subordonner l’octroi ou le maintien de la mesure au respect d’une ou plusieurs obligations ou interdictions prévues par les articles 132-44 et 132-45 du Code pénal en matière de sursis avec mise à l’épreuve (art. 723-4 du Code de procédure pénale). 4) La suspension et le fractionnement • La suspension provisoire ou le fractionnement d’une peine d’emprisonnement peut d’abord être décidé(e) au stade de l’exécution « pour motif d’ordre médical, familial, professionnel ou social ». Cette mesure ne peut cependant être accordée qu’en matière correctionnelle et uniquement lorsqu’il reste à subir par la personne condamnée une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à deux ans (art. 720-1 du Code de procédure pénale). La suspension ou le fractionnement ne peut excéder une durée totale de quatre ans et, en cas de fractionnement, aucune des fractions ne peut être inférieure à deux jours. Les mesures de fractionnement ou de suspension sont accordées, ajournées, refusées, retirées ou révoquées par le juge de l’application des peines à l’issue d’un débat contradictoire. Le juge de l’application des peines peut soumettre le condamné à une ou plusieurs des obligations ou interdictions prévues par les articles 132-44 et 132-45 du Code pénal en matière de sursis avec mise à l’épreuve (voir p. 336). • Sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée en faveur des condamnés atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement LARCIER

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incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux (art. 720-1-1 du Code de procédure pénale). Pour la première de ces situations, la pathologie dont souffre le condamné doit nécessairement engager le pronostic vital à court terme (Crim., 28 septembre 2005, Droit pénal 2005, comm. n° 183). La suspension peut être décidée quelle que soit la nature (correctionnelle ou criminelle) ou la durée de la peine restant à purger. Aucune condition tenant à la nature des infractions sanctionnées ou à l’existence d’un risque de trouble à l’ordre public n’est posée par la loi, de sorte que la mesure peut bénéficier à n’importe quel détenu malade (Crim., 12 février 2003, Bull. crim. n° 37, concernant un détenu condamné pour complicité de crimes contre l’humanité). Il faut cependant que deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné se trouve dans l’une de ces situations et que le risque de renouvellement de l’infraction soit écarté. En cas d’urgence cependant, lorsque le pronostic vital est engagé, la suspension peut être ordonnée au vu d’un simple certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu. Cette suspension est décidée : – par le juge de l’application des peines lorsque la peine privative de liberté prononcée est d’une durée inférieure ou égale à dix ans ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans ; – par le tribunal de l’application des peines dans les autres cas. Le condamné peut être soumis à une ou plusieurs des obligations ou interdictions prévues par les articles 132-44 et 132-45 du Code pénal en matière de sursis avec mise à l’épreuve (voir p. 336). Compte tenu de sa vocation humanitaire, une telle suspension est prononcée pour une durée indéterminée. Le juge de l’application des peines peut cependant à tout moment ordonner une expertise médicale et ordonner qu’il soit mis fin à la suspension si les conditions de celle-ci ne sont plus remplies, si les obligations imposées ne sont pas respectées, ou s’il existe à nouveau un risque grave de renouvellement de l’infraction. En matière criminelle, l’expertise médicale destinée à vérifier que les conditions de la suspension sont toujours remplies doit intervenir tous les six mois. 5) La semi-liberté La semi-liberté peut être décidée par le juge lors du prononcé de la peine (voir p. 342). Elle peut également être accordée par le juge de l’application des peines, en cours d’exécution de la peine, pour les mêmes raisons, à savoir l’exercice d’une activité professionnelle, l’assiduité à un enseignement ou une formation professionnelle, la participation essentielle à la vie de famille ou la nécessité de subir un traitement médical. Ce régime peut bénéficier aux condamnés dont la durée de la peine à subir ou restant à subir est inférieure ou égale à deux ans, ou, si le condamné est en état de récidive légale, inférieure ou égale à un an. Le juge de l’application des peines peut également subordonner une libération conditionnelle à l’exécution, à titre probatoire, d’une mesure de semi-liberté (art. 723-1 du Code de procédure pénale). 364

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Le juge de l’application des peines fixe les horaires du condamné qui pourra se rendre la journée, sans surveillance, dans les lieux où il est appelé par les obligations ayant justifié le prononcé de la semi-liberté (par exemple son travail). Il est astreint à rejoindre et à demeurer dans l’établissement pénitentiaire (centre ou quartier de semi-liberté) lorsque sa présence à l’extérieur de l’établissement n’est pas nécessaire pour l’exécution de ses obligations. La semi-liberté peut être assortie d’obligations particulières, à savoir celles prévues en matière de sursis avec mise à l’épreuve : par exemple, s’abstenir de paraître dans certains lieux, suivre un enseignement ou une formation professionnelle, se soumettre à un traitement médical, ne pas fréquenter les débits de boissons, s’abstenir de fréquenter certaines personnes… (art. 723-4 du Code de procédure pénale). Le juge de l’application des peines contrôle l’exécution des obligations. En cas de non-exécution de celles-ci ou de mauvaise conduite, le bénéfice de la semi-liberté peut être retiré.

B) Mesures permettant un retour anticipé à la liberté Mis à part le droit de grâce, la durée totale de la peine privative de liberté à subir par le condamné pourra être diminuée par le recours à deux techniques : les réductions de peines et la libération conditionnelle. Par ailleurs, avec le placement sous surveillance électronique, la peine privative de liberté peut être exécutée en dehors de l’établissement pénitentiaire et notamment à domicile. 1) Les réductions de peine Les réductions de peine sont accordées par le juge de l’application des peines, après avis de la commission d’application des peines. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (AJEC) a sensiblement réformé, à compter du 1er janvier 2005, le régime des réductions de peine. Ces dernières sont de trois types. a) Les réductions de peine ordinaires

Les réductions de peine ordinaires sont traditionnellement accordées par le juge de l’application des peines pour bonne conduite. La loi AJEC du 9 mars 2004 a innové en instaurant un véritable mécanisme de crédit de réduction de peine : les réductions de peine ordinaires, accordées lorsque le condamné a un bon comportement en détention, font l’objet d’un crédit de peine et sont précomptées au moment de l’incarcération et de la mise à exécution de la peine. À cette fin, l’article 721 du Code de procédure pénale prévoit que chaque condamné bénéficie d’un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes et, pour une peine de moins d’un an ou pour la partie de peine inférieure à une année pleine, de sept jours par mois. Ce crédit de réduction de peine est réduit pour les condamnés en état de récidive légale : il est alors calculé à hauteur de deux mois la première année, d’un mois pour les années suivantes et, pour une peine de moins d’un an ou pour la partie de peine inférieure à une année pleine, de cinq jours par mois. La date à partir de laquelle une libération conditionnelle peut être accordée au conLARCIER

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damné récidiviste reste cependant fixée par référence à un crédit de réduction de peine de droit commun. En cas de mauvaise conduite du condamné en détention, ou si celui-ci refuse de suivre le traitement médical qui lui est proposé, le juge de l’application des peines peut ordonner le retrait de tout ou partie de cette réduction de peine. Sa décision est prise dans les conditions prévues à l’article 712-5 (ordonnance prise sans débat contradictoire). L’article 721 du Code de procédure pénale instaure également un mécanisme de sursis des réductions de peine accordées au condamné libéré de façon anticipée : en cas de nouvelle condamnation à une peine privative de liberté pour un crime ou un délit commis par le condamné après sa libération pendant une période égale à la durée de la réduction accordée, la juridiction de jugement peut ordonner le retrait de tout ou partie de cette réduction de peine et la mise à exécution de l’emprisonnement correspondant (qui n’est pas confondu avec celui résultant de la nouvelle condamnation, c’est-à-dire qu’il s’y ajoute). Une personne condamnée à une peine d’emprisonnement ferme devra donc des comptes à la justice pendant toute la durée de cette peine, quand bien même elle aurait bénéficié de réductions de peine. Lors de sa mise sous écrou, le condamné est informé par le greffe pénitentiaire d’une part de la date prévisible de sa libération compte tenu de son crédit de réduction de peine, d’autre part des possibilités de retrait, en cas de mauvaise conduite ou de commission d’une nouvelle infraction après sa libération, de tout ou partie de cette réduction. Cette dernière information lui est à nouveau communiquée au moment de sa libération. Ce système a l’avantage de la simplicité : il permet d’évaluer immédiatement la durée prévisible de la peine pour envisager les modalités de son exécution. En outre, il est beaucoup plus pédagogique : en cas d’incident disciplinaire justifiant un retrait de réduction de peine, le condamné pourra se voir sanctionner par un recul de sa date prévisible de sortie et l’intéressé est informé « des règles du jeu » dès le début de l’exécution de sa peine. b) Les réductions de peine supplémentaires

Les réductions de peine supplémentaires, prévues à l’article 721-1 du Code de procédure pénale, sont accordées, quelle que soit la durée de l’incarcération déjà subie, aux détenus qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment en passant avec succès un examen scolaire, universitaire ou professionnel traduisant l’acquisition de connaissances nouvelles, en justifiant de progrès réels dans le cadre d’un enseignement ou d’une formation, en suivant une thérapie destinée à limiter les risques de récidive ou en s’efforçant d’indemniser leurs victimes. La durée de ces réductions supplémentaires varie selon le passé pénal du condamné : lorsque le détenu n’est pas en état de récidive légale, elle ne peut excéder trois mois par année d’incarcération ou sept jours par mois lorsque la durée d’emprisonnement restant à subir est inférieure à une année ; ces limites sont respectivement ramenées à deux mois par année d’incarcération et quatre jours par mois si le condamné est récidiviste. Lorsque la personne a été condamnée pour les crimes ou délits, commis sur un mineur, de meurtre ou assassinat, torture ou actes de barbarie, viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle, la réduction ne peut excéder deux 366

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mois par an ou quatre jours par mois ou, en cas de récidive légale, un mois par an ou deux jours par mois, dès lors qu’elle refuse les soins qui lui ont été proposés. Il s’agit de signifier clairement aux détenus que plus leur comportement sera vertueux et tendra vers la réinsertion et l’indemnisation des victimes, plus ils sortiront de détention rapidement. La réduction est prononcée en une seule fois si l’incarcération est inférieure à une année et par fraction annuelle dans le cas contraire. c) La réduction de peine exceptionnelle en faveur des repentis

L’article 721-3 du Code de procédure pénale prévoit qu’une réduction de peine exceptionnelle peut être accordée aux condamnés dont les déclarations faites à l’autorité administrative ou judiciaire antérieurement ou postérieurement à leur condamnation ont permis de faire cesser ou d’éviter la commission d’une infraction mentionnée aux articles 706-73 et 706-74 (voir p. 103 et s.). Le condamné peut bénéficier de ces dispositions quel que soit le moment auquel il a fait ses déclarations : – il peut avoir fait ses déclarations avant d’être condamné, mais soit les circonstances de cette dénonciation ne réunissaient pas les critères lui permettant de bénéficier des dispositions de l’article 132-78 du Code pénal (exemption de peine ou diminution de la peine encourue ; voir p. 294 et 308), soit les investigations nécessaires à la vérification de la véracité de ses déclarations ne pouvaient être réalisées avant sa comparution devant la juridiction de jugement ; – il peut avoir fait ses déclarations après avoir été condamné, soit par remords sur des infractions dont il avait connaissance avant d’être incarcéré, soit en donnant des informations dont il a eu connaissance postérieurement à son incarcération. Toutefois, les déclarations de l’intéressé doivent nécessairement, pour qu’il puisse bénéficier de la réduction de peine exceptionnelle, avoir trait à l’une des infractions constitutives de la criminalité organisée mentionnées aux articles 706-73 et 706-74 du Code de procédure pénale. Les déclarations doivent avoir pour effet soit de faire cesser l’infraction (dans le cas d’une infraction continue ou d’une infraction dont le résultat n’est pas encore totalement réalisé), soit d’éviter la commission d’une infraction (lorsque l’infraction en est encore au stade de la préparation ou de la tentative). La réduction de peine accordée peut aller jusqu’au tiers de la peine prononcée pour les condamnés à temps. Pour les condamnés à la réclusion criminelle à la perpétuité, la réduction peut aller jusqu’à cinq ans du temps d’épreuve de quinze années prévu pour accorder le bénéfice de la libération conditionnelle à l’intéressé. Ces réductions exceptionnelles sont accordées par le tribunal de l’application des peines. d) La prise en compte des droits des victimes

L’article 721-2 du Code de procédure pénale prévoit que le condamné ayant bénéficié d’une ou plusieurs réductions de peines peut être soumis après sa libération à certaines obligations ou interdictions décidées par le juge de l’application des peines et destinées à assurer la sécurité et les droits des LARCIER

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victimes : le juge de l’application des peines peut, selon les modalités prévues par l’article 712-6 (après débat contradictoire), ordonner que le condamné ayant bénéficié d’une ou plusieurs des réductions de peines prévues par les articles 721 et 721-1 soit soumis après sa libération à l’interdiction de recevoir la partie civile ou la victime, de la rencontrer ou d’entrer en relation avec elle de quelque façon que ce soit, pendant une durée qui ne peut excéder le total des réductions de peines dont il a bénéficié. Cette décision est prise préalablement à la libération du condamné, le cas échéant en même temps que lui est accordée la dernière réduction de peine. Cette interdiction peut être accompagnée de l’obligation d’indemniser la partie civile. En cas d’inobservation par le condamné des obligations et interdictions qui lui ont été imposées, le juge de l’application des peines peut, selon les modalités prévues par l’article 712-6, retirer tout ou partie de la durée des réductions de peine dont il a bénéficié et ordonner sa réincarcération. e) La surveillance judiciaire des personnes dangereuses

Pour éviter la sortie sèche de prison et contrôler dès leur libération les personnes considérées comme dangereuses et susceptibles de récidiver, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales a institué, à titre de mesure de sûreté, une « surveillance judiciaire » des auteurs de certains crimes ou délits pour une durée au plus égale à celle des réductions de peine dont ils ont bénéficié (art. 723-29 à 723-39 du Code de procédure pénale). Ce dispositif est rétroactif, en ce sens qu’il est applicable aux personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Dans sa décision du 8 décembre 2005, le Conseil constitutionnel a validé cette rétroactivité, estimant que la surveillance judiciaire constituait une modalité d’exécution de la peine reposant, non sur la culpabilité du condamné, mais sur sa dangerosité et ayant pour seul but de prévenir la récidive et partant ne constituait ni une peine ni une sanction (Cons. constit., 8 décembre 2005, JO 13 décembre 2005). Ce dispositif est strictement encadré : – la surveillance judiciaire n’est susceptible de s’appliquer qu’aux personnes condamnées à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à sept ans et pour un crime ou un délit pour lequel le suivi sociojudiciaire est encouru : atteintes volontaires à la vie, actes de tortures et de barbarie, viols et autres agressions sexuelles, enlèvement et séquestration, corruption de mineurs et atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans, destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes (voir p. 281) ; – la décision est prise, avant la date prévue pour la libération du condamné, par le tribunal de l’application des peines sur réquisitions du procureur de la République ; – la dangerosité du condamné, le risque de récidive et la possibilité d’un traitement médical doivent être constatés par une expertise médicale ; – enfin, la durée de la surveillance ne peut excéder la durée correspondant au crédit de réduction de peine et aux réductions de peines supplémentaires dont l’intéressé a pu bénéficier et qui n’ont pas fait l’objet d’un retrait. 368

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Le condamné sous surveillance judiciaire peut alors être soumis : – aux obligations du sursis avec mise à l’épreuve (établir sa résidence dans un lieu déterminé, s’abstenir de paraître en tout lieu spécialement désigné, ne pas fréquenter des débits de boisson, ne pas fréquenter certains condamnés…) ; – au placement sous surveillance électronique mobile (voir p. 282) ; – si la personne a été condamnée à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l’un des crimes mentionnés à l’article 706-53-13 du Code de procédure pénale, à l’obligation d’assignation à domicile, emportant pour l’intéressé l’interdiction de s’absenter de son domicile ou de tout autre lieu désigné par le juge en dehors des périodes fixées par celui-ci ; – sauf décision contraire du juge de l’application des peines, le condamné placé sous surveillance judiciaire est soumis à une injonction de soins s’il est établi, après une expertise médicale, qu’il est susceptible de faire l’objet d’un traitement ; – à l’interdiction de recevoir la partie civile ou la victime, de la rencontrer ou d’entrer en relation avec elle prévue par l’article 721-2 du Code de procédure pénale (art. D. 147-38 du même Code). La décision de placement précise les obligations auxquelles le condamné est tenu, ainsi que la durée de celles-ci. Le condamné placé sous surveillance judiciaire fait également l’objet de mesures d’assistance et de contrôle destinées à faciliter et à vérifier sa réinsertion. Les mesures et obligations auxquelles le condamné est astreint sont mises en œuvre par le juge de l’application des peines assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation, et, le cas échéant, avec le concours des organismes habilités à cet effet. Le condamné est averti que l’injonction de soins et le placement sous surveillance électronique mobile ne peuvent être mis en œuvre sans son consentement, mais que, s’il refuse, tout ou partie de la durée des réductions de peine dont il a bénéficié pourra lui être retiré. À tout moment, le juge de l’application des peines peut modifier par ordonnance motivée les obligations auxquelles le condamné est astreint. Si la réinsertion du condamné paraît acquise, il peut, par jugement rendu à l’issue d’un débat contradictoire, mettre fin à ces obligations. Inversement, si le comportement ou la personnalité du condamné le justifient, il peut, par jugement rendu contradictoirement avec présence obligatoire d’un avocat, décider de prolonger la durée de ces obligations dans la limite de la durée des réductions de peine dont il a bénéficié. En cas d’inobservation par le condamné des obligations et interdictions qui lui ont été imposées, le juge de l’application des peines peut, à l’issue d’un débat contradictoire, retirer tout ou partie des réductions de peine dont il a bénéficié et ordonner sa réincarcération. La surveillance judiciaire n’est pas applicable aux personnes condamnées à un suivi sociojudiciaire ou bénéficiant d’une libération conditionnelle : ces deux autres mesures relèvent en effet de régimes juridiques distincts. LARCIER

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2) La libération conditionnelle Introduite en France par une loi du 14 août 1885, l’institution de la libération conditionnelle permet de libérer le condamné à une peine privative de liberté avant l’expiration de sa peine, pour bonne conduite et en vue de son reclassement social. Toutefois, la libération n’est acquise qu’à la condition que le condamné libéré maintienne sa bonne conduite pendant un certain temps et au moins jusqu’à la date d’expiration de la peine. C’est en cela que la libération est « conditionnelle ». Le fondement de cette mesure est que le condamné s’étant amélioré plus rapidement que prévu, son maintien en détention n’est plus nécessaire. Au contraire, une libération anticipée assortie de diverses obligations particulières tend à sa réinsertion ainsi qu’à la prévention de la récidive. a) Conditions de la libération conditionnelle

La libération conditionnelle s’applique à toutes les peines privatives de liberté, quelles que soient leur nature ou leur durée (art. 729 du Code de procédure pénale). Trois conditions sont posées pour l’octroi d’une libération conditionnelle. • En premier lieu, pour bénéficier de cette mesure, le condamné doit avoir subi une partie de la peine à exécuter, appelée temps d’épreuve, compte tenu le cas échéant des réductions de peines et d’une éventuelle grâce. En cas de peine privative de liberté à temps, le temps d’épreuve est fixé à la moitié de cette peine : le condamné ne peut bénéficier d’une libération conditionnelle que si la durée de la peine accomplie est au moins égale à la durée de la peine restant à subir. Lorsque le condamné est en état de récidive, le temps d’épreuve est porté aux deux tiers de la peine. Le temps d’épreuve ne saurait toutefois excéder 15 ans ou, si le condamné est en état de récidive, 20 ans. Lorsque la peine exécutée est une peine de réclusion criminelle à perpétuité, la durée de la peine qui doit être accomplie avant qu’une libération conditionnelle puisse intervenir est de 18 ans ou, si le condamné est en état de récidive, de 22 ans. Des réductions de ce temps d’épreuve peuvent cependant être accordées, dans la limite d’un mois par année d’incarcération ou de 20 jours en cas de récidive légale (art. 729-1 du Code de procédure pénale). Ce temps d’épreuve n’est pas exigé pour les condamnés âgés de plus de 70 ans dont l’insertion ou la réinsertion est assurée, sauf en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction ou si la libération est susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public (art. 729 al. 11 du Code de procédure pénale). La libération conditionnelle peut également être accordée, sans condition de délai, pour tout condamné (sauf les personnes condamnées pour un crime ou un délit commis sur un mineur ou pour une infraction commise en état de récidive légale) à une peine privative de liberté inférieure ou égale à 4 ans ou pour laquelle la durée de la peine restant à subir est inférieure ou égale à 4 ans, lorsque ce condamné exerce l’autorité parentale sur un enfant de moins de 10 ans ayant chez ce parent sa résidence habituelle (art. 729-3 du Code de procédure pénale). • En second lieu, une libération conditionnelle ne peut bénéficier qu’aux condamnés manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale et qui justifient soit de l’exercice d’une activité professionnelle, d’un stage ou d’un emploi temporaire ou de leur assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle, 370

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soit de leur participation essentielle à la vie de leur famille, soit de la nécessité de suivre un traitement médical, soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes, soit enfin de leur implication dans tout autre projet sérieux d’insertion ou de réinsertion (article 729 al. 2 à 7 du Code de procédure pénale). Lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi sociojudiciaire est encouru (voir p. 281), la libération conditionnelle ne peut lui être accordée si elle refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé ou si elle ne s’engage pas à suivre ce traitement après sa libération (art. 729 al. 10 du Code de procédure pénale). Au moins une fois par an, et même en l’absence de demande de la part des intéressés, le juge de l’application des peines examine en temps utile la situation des condamnés ayant vocation à la libération conditionnelle pour que ces derniers puissent être éventuellement admis au bénéfice de la mesure. Les perspectives de réinsertion sont examinées en fonction de la situation personnelle, familiale et sociale du condamné. Le service pénitentiaire d’insertion et de probation du lieu où le condamné souhaite établir sa résidence peut recueillir si besoin des informations complémentaires (art. D. 523 du Code de procédure pénale). • Enfin, le condamné, informé des conditions assortissant sa libération, a la faculté de refuser son admission à la libération conditionnelle. En effet, les mesures de contrôle et les obligations particulières qui accompagnent la libération ne peuvent s’appliquer sans son consentement (art. D. 531 du Code de procédure pénale). Toutefois, lorsqu’une mesure d’interdiction du territoire français, de reconduite à la frontière, d’expulsion ou d’extradition a été prise contre un étranger accomplissant une peine privative de liberté, sa libération conditionnelle, subordonnée à la condition que cette mesure soit exécutée, peut être décidée sans son consentement (art. 729-2 du Code de procédure pénale). b) Modalités procédurales

L’autorité compétente pour prononcer une libération conditionnelle diffère selon la peine prononcée ou restant à subir (art. 730 du Code de procédure pénale). Auparavant partagée entre le juge de l’application des peines et le ministre de la Justice, puis entre le juge de l’application des peines et les juridictions régionales de la libération conditionnelle créées par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence, cette compétence est répartie depuis le 1er janvier 2005 entre le juge de l’application des peines et le tribunal de l’application des peines. Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d’une durée inférieure ou égale à 10 ans ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à 3 ans, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l’application des peines. Dans les autres cas, la libération conditionnelle est accordée par le tribunal de l’application des peines (art. 730 du Code de procédure pénale). Le tribunal de l’application des peines peut toutefois se contenter de fixer deux dates et laisser au juge de l’application des peines le soin de fixer, entre ces deux dates, le moment précis où la libération du condamné interviendra (art. 732 al. 1er du Code de procédure pénale). Les mesures sont accordées, ajournées, refusées ou révoquées par jugement motivé du juge ou du tribunal de l’application des peines à l’issue d’un débat contradictoire. LARCIER

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Le juge de l’application des peines peut subordonner la libération conditionnelle d’un condamné à l’exécution, à titre probatoire, d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur ou de placement sous surveillance électronique, pour une durée n’excédant pas un an. Cette mesure peut être exécutée un an avant la fin du temps d’épreuve (articles 723-1 alinéa 2 et 723-7 alinéa 2 du Code de procédure pénale). En cas de condamnation assortie d’une période de sûreté d’une durée supérieure à 15 ans, aucune libération conditionnelle ne peut être accordée (par définition, après la période de sûreté) avant que le condamné ait été placé sous le régime de la semi-liberté ou du placement sous surveillance électronique pour une durée d’un à trois ans (art. 720-5 du Code de procédure pénale). Enfin, la personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ne peut bénéficier d’une libération conditionnelle qu’après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, rendu à la suite d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité réalisée dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues et assortie d’une expertise médicale. S’il s’agit d’un crime pour lequel le suivi sociojudiciaire est encouru, cette expertise est réalisée par deux experts qui se prononcent sur l’opportunité, dans le cadre d’une injonction de soins, du recours à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido (art. 729 al. 10 du Code de procédure pénale). c) Régime de la liberté conditionnelle

L’octroi de la libération conditionnelle dispense le condamné de subir le reste de sa peine privative de liberté. Concernant uniquement celle-ci, elle n’a aucun effet sur les autres peines, en particulier sur les peines accessoires et les peines complémentaires éventuellement prononcées. Durant la période de liberté conditionnelle, le condamné est soumis, sur le modèle du sursis avec mise à l’épreuve, à un ensemble de mesures de contrôle et d’assistance ainsi que d’obligations particulières destinées à faciliter et à vérifier sa réinsertion et à prévenir la récidive (art. 731 et D. 528 à D. 539 du Code de procédure pénale). La personne faisant l’objet d’une libération conditionnelle peut également être soumise aux obligations du suivi sociojudiciaire, si elle a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure était encourue. Sauf décision contraire du juge de l’application des peines ou du tribunal de l’application des peines, cette personne est soumise à une injonction de soins s’il est établi, après expertise, qu’elle est susceptible de faire l’objet d’un traitement. Elle peut également être placée sous surveillance électronique mobile (art. 731-1 du Code de procédure pénale ; voir p. 282). La nature et la durée des mesures d’accompagnement sont fixées par l’autorité qui prononce la libération conditionnelle. Ces obligations peuvent être modifiées par le juge de l’application des peines ou le tribunal de l’application des peines sur proposition du juge de l’application des peines, dans les mêmes conditions que celles applicables au prononcé de la libération conditionnelle (art. 732 al. 4 du Code de procédure pénale). La durée d’application des mesures d’assistance et de contrôle ne peut, pour les peines privatives de liberté à temps, être inférieure à la durée de la partie de la peine non subie au moment de la libération. Autrement dit, le condamné est soumis à ces mesures au moins jusqu’à la date à laquelle la peine en 372

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cours d’exécution aurait en principe pris fin. En outre, la période de contrôle ne peut pas dépasser cette date de plus d’un an. En toute hypothèse, la durée totale des mesures de contrôle et d’assistance ne saurait excéder 10 ans. Lorsque la peine en cours d’exécution est une peine perpétuelle, la durée d’application des diverses mesures d’accompagnement ne peut être inférieure à 5 ans, ni supérieure à 10 ans (art. 732 al. 2 et 3 du Code de procédure pénale). d) Causes et procédure de révocation

La non-exécution de la peine privative de liberté restant à subir au moment de la sortie de prison dépend de la conduite du condamné durant le délai fixé par la décision de libération conditionnelle (art. 733 du Code de procédure pénale). En cas de nouvelle condamnation (y compris par une juridiction pénale d’un autre État membre de l’Union européenne ; voir p. 321), d’inconduite notoire ou d’inobservation des mesures et obligations particulières imposées, la libération conditionnelle peut être révoquée. En cas d’urgence, le libéré conditionnel peut être provisoirement arrêté. La décision de révocation est prise selon les cas par le tribunal ou le juge de l’application des peines, dans les mêmes formes que pour la décision d’octroi. La révocation n’est cependant jamais automatique. Elle doit être nécessairement prononcée. La révocation de la libération conditionnelle entraînera la réincarcération du condamné qui devra subir, selon les dispositions de la décision de révocation, tout ou partie de la peine qui restait à exécuter lorsqu’il a été libéré. Si la révocation n’est pas intervenue avant l’expiration du délai fixé dans la décision de libération conditionnelle, la libération du condamné est alors définitive. La peine privative de liberté est réputée avoir été exécutée depuis le jour de la libération conditionnelle. Cependant, l’expiration de la période de liberté conditionnelle sans décision de révocation n’a aucune conséquence sur la condamnation elle-même, contrairement à la solution retenue en matière de sursis. Cela signifie notamment qu’elle pourra, le cas échéant, constituer le premier terme de la récidive, empêcher l’octroi d’un sursis, et que les peines accessoires qui découlent de plein droit de la condamnation continuent de s’appliquer. 3) Le placement sous surveillance électronique Le placement sous surveillance électronique a été introduit en droit français par une loi du 19 décembre 1997 (art. 132-26-1 à 132-26-3 du Code pénal ; art. 723-7 à 723-13-1 du Code de procédure pénale ; sur le placement sous surveillance électronique mobile, voir p. 282). Ce mode d’exécution des peines privatives de liberté s’inspire de ce qui a cours dans certains pays étrangers. Son objectif est de lutter contre la surpopulation carcérale et de permettre une resocialisation des condamnés. Il permet au condamné de purger sa peine « à la maison », sous une constante surveillance (il peut également être décidé avec l’accord de l’intéressé, avant jugement, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté). a) Conditions du placement sous surveillance électronique

Le placement sous surveillance électronique peut être décidé, dès le stade du jugement, par la juridiction de condamnation (art. 132-26-1 à 132-26-3 du Code pénal, LARCIER

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introduits par la loi du 9 mars 2004 ; voir p. 373). Lorsqu’il n’est pas prononcé à ce stade, le juge de l’application des peines peut prévoir par la suite, sur son initiative, à la demande du procureur de la République ou à la demande du condamné, que la peine s’exécutera sous le régime du placement sous surveillance électronique (art. 723-7 du Code de procédure pénale). Deux conditions sont toutefois posées : – un tel placement n’est possible qu’en cas de condamnation à une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n’excède pas deux ans ou lorsqu’il reste à subir par le condamné une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée n’excède pas deux ans. Ces durées de deux ans sont réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale. Le système du placement sous surveillance électronique est applicable aux mineurs (art. 20-8 de l’ordonnance du 2 février 1945). Le placement sous surveillance électronique peut également être décidé à titre probatoire de la libération conditionnelle, pour une durée n’excédant pas un an ; – le juge de l’application des peines ne peut prononcer cette mesure qu’après avoir recueilli le consentement du condamné, donné en présence de son avocat. Cette dernière condition vise à garantir le respect de la dignité et de la vie privée du condamné, compte tenu de l’obligation de porter durant tout le placement un dispositif électronique comportant un émetteur. Pour le placement sous surveillance électronique d’un mineur non émancipé, l’accord du titulaire de l’exercice de l’autorité parentale doit être également obtenu. Enfin, l’accord du maître des lieux doit être recueilli lorsque le lieu désigné par le juge de l’application des peines n’est pas le domicile du condamné ou un lieu public. Par ailleurs, l’article 723-28 du Code de procédure pénale prévoit que le placement sous surveillance électronique est une modalité d’exécution des fins de peines d’emprisonnement en l’absence de tout aménagement de peine : pour les peines d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, lorsqu’aucune mesure d’aménagement n’a été ordonnée six mois avant la date d’expiration de la peine, toute personne condamnée à laquelle il reste quatre mois d’emprisonnement à subir ou, pour les peines inférieures ou égales à six mois, à laquelle il reste les deux tiers de la peine à subir, exécute le reliquat de sa peine selon les modalités du placement sous surveillance électronique sauf en cas d’impossibilité matérielle, de refus de l’intéressé, d’incompatibilité entre sa personnalité et la nature de la mesure ou de risque de récidive. Le placement est alors mis en œuvre par le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation, sous l’autorité du procureur de la République qui peut fixer des mesures de contrôle et obligations auxquelles la personne condamnée devra se soumettre. En l’absence de décision de placement, la personne condamnée peut saisir le juge de l’application des peines pour qu’il statue par jugement après débat contradictoire. b) Régime du placement sous surveillance électronique

La mise sous surveillance électronique emporte plusieurs conséquences. En premier lieu, le condamné a interdiction de s’absenter de son domicile ou de tout autre lieu désigné par le juge de l’application des peines en dehors des périodes fixées par celui-ci. Pour fixer ces lieux et périodes, le juge de 374

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l’application des peines doit tenir compte de l’exercice d’une activité professionnelle par le condamné, du suivi d’un enseignement ou d’une formation, d’un stage ou emploi temporaire, de sa participation à la vie de famille et de la prescription d’un traitement médical. Le placement sous surveillance électronique emporte également pour le condamné l’obligation de répondre aux convocations de toute autorité publique désignée par le juge de l’application des peines. L’emploi du temps du condamné est donc, sinon fixé par avance, du moins fortement encadré. Le juge de l’application peut, à tout moment, modifier les conditions d’exécution du placement, c’est-à-dire les lieux et périodes définies dans sa décision. En deuxième lieu, le contrôle de l’exécution de la mesure de placement est assuré au moyen d’un procédé homologué par le ministère de la Justice, permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du condamné dans le lieu désigné par le juge de l’application des peines pour chaque période fixée. Ce procédé implique pour le condamné l’obligation de porter, pendant toute la durée du placement, un bracelet comportant un émetteur. Cet émetteur transmet des signaux à un récepteur placé au lieu d’assignation, qui à son tour envoie, par l’intermédiaire d’une ligne téléphonique, à un centre de surveillance, des messages relatifs au fonctionnement du dispositif et à la présence de l’intéressé sur le lieu d’assignation. Le bracelet, dont la pose est assurée par le personnel de l’administration pénitentiaire, est conçu de façon à ne pas pouvoir être enlevé par la personne sans que soit émis un signal d’alarme (art. 723-8 et R. 57-11 du Code de procédure pénale). En troisième lieu, les agents de l’administration pénitentiaire, au cours des périodes fixées dans la décision de placement, peuvent également se rendre sur le lieu de l’assignation afin de rencontrer le condamné. Ils ne peuvent toutefois pas pénétrer au domicile de la personne chez qui le contrôle est effectué sans l’accord de celle-ci. Sans réponse du condamné, son absence est présumée et rapport en est fait au juge de l’application des peines. De leur côté, les services de police et de gendarmerie ont toujours la possibilité de constater l’absence irrégulière du condamné et d’en faire rapport du juge de l’application des peines. En dernier lieu, le condamné sous surveillance électronique est placé sous le contrôle du juge de l’application des peines. Ce dernier peut également, en vertu de l’article 723-10 du Code de procédure pénale, soumettre le condamné aux mesures de contrôle, aux obligations particulières et aux mesures d’aides prévues dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve (mesures et obligations énumérées par les articles 132-43 à 132-46 du Code pénal ; voir p. 336). Il peut, comme en matière de sursis, modifier à tout moment ces mesures. c) Causes de retrait de la décision de placement sous surveillance électronique

Le juge de l’application des peines peut, par jugement rendu à l’issue d’un débat contradictoire et susceptible d’appel, retirer la décision de placement sous surveillance électronique : – en cas d’inobservation de l’interdiction de s’absenter ou de l’obligation de répondre aux convocations ; – en cas d’inconduite notoire ; LARCIER

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– en cas d’inobservation des mesures de contrôle ou des obligations particulières imposées ; – en cas de nouvelle condamnation ; – en cas de refus par le condamné d’une modification des conditions d’exécution ; – ou encore à la demande du condamné lui-même. En cas de retrait, le condamné subit, selon les dispositions de la décision de retrait, tout ou partie de la durée de la peine qu’il lui restait à accomplir au jour de son placement sous surveillance électronique, après déduction du temps pendant lequel il a été placé sous surveillance électronique (art. 723-13 du Code de procédure pénale). Par ailleurs, constituent des infractions punies de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende le fait de se soustraire à une décision de placement sous surveillance électronique, ainsi que le fait, par tout condamné placé sous surveillance électronique, de neutraliser par quelque moyen que ce soit le procédé permettant de détecter à distance sa présence ou son absence (art. 43429 2° et 4° du Code pénal).

C) La période de sûreté L’individualisation des peines au stade de leur exécution est souvent perçue par une partie de l’opinion publique comme révoltante lorsqu’elle a pour conséquence une sortie du condamné de l’établissement pénitentiaire sans surveillance rapprochée ou lorsqu’elle a pour conséquence une libération avant la date normale d’expiration de la peine, spécialement lorsque le condamné a été l’auteur d’une infraction particulièrement grave. Une défiance se fait jour à l’encontre du juge de l’application des peines, dont les pouvoirs sont parfois considérés comme étant exorbitants. Pour rétablir une certaine certitude de la peine prononcée, pour protéger la société des grands criminels et répondre aux attentes de l’opinion publique, l’institution de la période de sûreté a été introduite dans notre droit en 1978. Elle a fait depuis l’objet de nombreuses modifications, notamment par la loi du 1er février 1994 et celle du 9 mars 2004. La période de sûreté est une partie de la peine privative de liberté durant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucune mesure de faveur tendant à réduire la durée de la peine ou permettre sa sortie de prison, à savoir la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l’extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté, la libération conditionnelle. Des réductions de peines peuvent être accordées pendant la période de sûreté mais elles ne sont imputables que sur la partie de la peine excédant sa durée (art. 132-23 du Code pénal). Le bénéfice de certaines de ces mesures étant soumis à l’exigence d’avoir subi une partie de la peine (par exemple, le délai d’épreuve, d’une durée maximale de 15 ans, pour la libération conditionnelle), la période de sûreté a dans ce cas essentiellement pour effet de repousser la date d’intervention de ces mesures. La période de sûreté n’est à l’évidence pas seulement un aménagement du régime d’exécution de la peine qui en est affectée. L’institution est hautement symbolique et son objectif résolument sécuritaire. La peine affectée d’une période de sûreté est davantage une peine à part entière. C’est la raison pour 376

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laquelle une telle institution se voit appliquer les règles protectrices propres aux lois de pénalité, comme le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle plus sévère. La période de sûreté est parfois facultative, laissée alors à l’appréciation de la juridiction de jugement, parfois obligatoire, c’est-à-dire automatique. Elle est en toute hypothèse inapplicable aux mineurs (art. 20-2 al. 3 de l’ordonnance du 2 février 1945). 1) La période de sûreté facultative a) Infractions concernées

Lorsque la loi ne prévoit pas l’application d’une période de sûreté obligatoire, la juridiction de condamnation a la possibilité, dès qu’elle prononce une peine privative de liberté supérieure à 5 ans sans sursis, de l’assortir d’une période de sûreté, quelle que soit l’infraction commise. b) Durée de la période de sûreté facultative

La juridiction fixe en toute liberté la durée de la période de sûreté, dans la limite des deux tiers de la peine prononcée ou de 22 ans si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité. 2) La période de sûreté obligatoire a) Infractions concernées

La période de sûreté est obligatoire lorsque deux conditions sont réunies, l’une tenant à l’infraction jugée, l’autre à la durée de la peine privative de liberté prononcée. • La période de sûreté obligatoire n’est applicable que dans la mesure où le texte réprimant une infraction en a prévu l’application. Ces dispositions spéciales concernent des infractions d’une particulière gravité, notamment les crimes contre l’humanité (art. 211-1 à 212-3 du Code pénal), les meurtres aggravés et l’empoisonnement (art. 221-2 à 221-5 du Code pénal), les tortures et actes de barbarie (art. 222-1 à 222-6 du Code pénal), certaines violences aggravées (art. 222-8, 222-10, 222-14, 222-14-1 et 222-15 du Code pénal), le viol ayant entraîné la mort ou le viol commis avec tortures ou actes de barbarie (art. 222-25 et 222-26 du Code pénal), le trafic de stupéfiants (art. 222-34 à 222-39 du Code pénal), le détournement d’un moyen de transport collectif (art. 224-6 et 224-7 du Code pénal), le proxénétisme aggravé (art. 225-7 à 225-10 du Code pénal), certains vols aggravés (art. 311-6 à 311-10 du Code pénal), les destructions aggravées commises par incendie ou explosif (art. 322-8 à 322-10 du Code pénal), les infractions terroristes (art. 421-3 à 421-6 du Code pénal), la fausse monnaie (art. 442-1 et 442-2 du Code pénal), diverses infractions à l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques (art. L. 2342-57 à L. 2342-60 du Code de la défense). • Pour toutes ces infractions déterminées par la loi, la période de sûreté est applicable automatiquement dès que la juridiction de jugement prononce une peine privative de liberté sans sursis, d’une durée égale ou supérieure à 10 ans. LARCIER

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b) Durée de la période de sûreté obligatoire

La durée de la période de sûreté est en principe égale à la moitié de la durée de la peine privative de liberté prononcée ou de 18 ans si la peine prononcée est la réclusion criminelle à perpétuité. La période de sûreté étant de droit, la juridiction n’est pas tenue de la prononcer expressément (Crim., 10 mars 1992, Bull. crim. n° 107). Toutefois, lors du prononcé de la sanction, la juridiction de condamnation a la faculté de réduire la période de sûreté obligatoire, sans être tenue par une durée minimale, ou au contraire d’augmenter celle-ci par décision spéciale, dans la limite des deux tiers de la peine prononcée ou de 22 ans si elle prononce la réclusion criminelle à perpétuité (art. 132-23 al. 2 du Code pénal). Par ailleurs, en cas de meurtre ou d’assassinat d’un mineur de 15 ans précédé ou accompagné d’un viol ou de tortures ou d’actes de barbarie et en cas de meurtre et d’assassinat commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions (art. 221-3 et 221-4 du Code pénal), la période de sûreté peut être portée, par décision spéciale de la cour d’assises, jusqu’à 30 ans, voire être perpétuelle si la peine prononcée est la réclusion criminelle à perpétuité. Autrement dit, la cour d’assises a la possibilité de décider, pour ces crimes, qu’aucune mesure de faveur permettant une remise en liberté temporaire ou définitive ne pourra être accordée au condamné pendant toute la durée de la peine privative de liberté qu’elle prononce, que celle-ci soit une réclusion criminelle à temps ou une réclusion criminelle à perpétuité. On parle alors de peine incompressible. Toutefois, le législateur a ménagé la possibilité de modifier par la suite la période de sûreté, quelle que soit sa durée et quelle que soit sa nature, facultative ou obligatoire, maintenant ainsi certaine une individualisation de la peine. Dans sa décision du 10 mars 2011 rendue sur la loi « Loppsi 2 » (n° 2011-625 DC), le Conseil constitutionnel, appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution de l’extension de la peine incompressible à l’auteur d’un meurtre ou d’un assassinat sur une personne dépositaire de l’autorité publique, a jugé que la faculté ouverte au ministère public et au condamné par l’article 720-4 du Code de procédure pénale de saisir le tribunal de l’application des peines d’une demande d’aménagement de peine après une incarcération d’une durée au moins égale à trente ans, rendait ce dispositif compatible avec le principe de nécessité des peines. 3) Révision de la période de sûreté en cours d’exécution Qu’elle soit applicable de plein droit ou décidée par la juridiction de jugement, la période de sûreté n’est pas immuable et peut faire l’objet de modifications ultérieures, voire d’une suppression, suivant deux modalités : une grâce présidentielle ou une décision judiciaire. a) La grâce présidentielle

La première modalité est l’intervention d’un décret de grâce qui peut soit mettre fin à l’exécution de la peine et, par voie de conséquence, à la période de sûreté, soit décider d’une commutation ou d’une réduction de peine. Dans ce dernier cas, l’article 720-2 alinéa 2 du Code de procédure pénale prévoit que, sauf si le décret 378

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de grâce en dispose autrement, la période de sûreté est ramenée à la moitié de la peine résultant de la commutation ou de la remise de peine. En cas de commutation d’une peine perpétuelle affectée d’une période de sûreté elle-même perpétuelle (c’est-à-dire d’une peine perpétuelle incompressible), la période de sûreté est ramenée à la totalité de la durée de la peine résultant de la mesure de grâce. b) La décision judiciaire

La seconde possibilité de modifier ou de supprimer la période de sûreté est offerte par l’article 720-4 du Code de procédure pénale. Quelle que soit la durée de la période de sûreté, lorsque le condamné présente « des gages sérieux de réadaptation sociale », le tribunal de l’application des peines peut décider, « à titre exceptionnel », qu’il soit mis fin à la période de sûreté ou que sa durée soit réduite et par conséquent que des aménagements de peine soient prononcés. La procédure est cependant strictement encadrée compte tenu de la dangerosité de ces criminels : – lorsque le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale, le tribunal de l’application des peines peut, à titre exceptionnel, décider qu’il soit mis fin à la période de sûreté prévue par l’article 132-23 du Code pénal ou que sa durée soit réduite. Aucune condition relative à la durée de la peine subie n’est posée ; – par contre, lorsque la cour d’assises a porté la durée de la période de sûreté à trente ans en application des dispositions du dernier alinéa des articles 221-3 et 221-4 du Code pénal, le tribunal de l’application des peines ne peut réduire la durée de la période de sûreté ou y mettre fin qu’après que le condamné a subi une incarcération d’une durée au moins égale à vingt ans ; – enfin, s’agissant de la peine perpétuelle incompressible, une procédure spéciale est prévue : lorsque la cour d’assises a expressément prévu qu’aucune mesure d’aménagement de peine ne pourrait être accordée au condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le tribunal de l’application des peines ne peut accorder l’une de ces mesures que si le condamné a subi une incarcération d’une durée au moins égale à trente ans et qu’après une expertise psychiatrique réalisée par un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation qui se prononcent sur l’état de dangerosité du condamné. En toute hypothèse et par dérogation aux règles générales, le tribunal de l’application des peines peut prononcer des mesures d’assistance et de contrôle sans limitation dans le temps. SECTION III

L’exécution de l’amende L’amende oblige le condamné à verser une somme d’argent déterminée à l’État. L’article 707-1 du Code de procédure pénale prévoit que le paiement du montant de l’amende « doit toujours être recherché » et que le défaut total ou parLARCIER

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tiel du paiement de ce montant peut entraîner l’incarcération du condamné selon les conditions prévues par la loi.

§ 1.

Les modalités de recouvrement

Le montant de l’amende est en principe payé en une fois. Toutefois, le fractionnement peut être décidé, sur une période totale de 3 ans au plus, lors du prononcé de la peine ou ultérieurement, pour des motifs graves d’ordre médical, familial, professionnel ou social. Les poursuites pour le recouvrement des amendes sont assurées par le percepteur, au nom du procureur de la République (art. 707-1 al. 2 du Code de procédure pénale). Afin d’accélérer le recouvrement des amendes, différents mécanismes ont toutefois été institués. • La loi du 9 mars 2004 a introduit, aux articles 707-2 à 707-4 du Code de procédure pénale, un mécanisme de réduction forfaitaire du montant de l’amende en cas de paiement volontaire dans le délai d’un mois par le condamné : en matière correctionnelle ou de police, toute personne condamnée à une peine d’amende, quel qu’en soit son montant, peut s’acquitter de son montant dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle le jugement a été prononcé. Lorsque le condamné règle le montant de l’amende dans ce délai, le montant de l’amende est diminué de 20 % sans que cette diminution puisse excéder 1 500 euros (ce plafond a pour objet de préserver les finances publiques). Lorsque le tribunal prononce une condamnation à une peine d’amende, le président avise le condamné de ces dispositions. Il l’informe que le paiement de l’amende ne fait pas obstacle à l’exercice des voies de recours. En effet, dans le cas où une voie de recours est exercée contre les dispositions pénales de la décision, il est procédé, sur demande de l’intéressé, à la restitution des sommes versées. Bénéficie également de cette réduction le condamné qui a été autorisé, en raison d’une situation financière délicate, à s’acquitter du paiement du montant de l’amende en plusieurs versements étalés dans le temps, dans des délais et selon des modalités déterminés par les services compétents du Trésor public. • Le recouvrement de certaines amendes contraventionnelles fait l’objet d’une procédure spéciale. Pour les contraventions au Code de la route, à la réglementation des transports par route, au Code des assurances en ce qui concerne l’assurance obligatoire des véhicules terrestres à moteur, en matière de protection de l’environnement et en matière de protection ou de contrôle des animaux domestiques et des animaux sauvages, apprivoisés ou tenus en captivité, notamment, le système de l’amende forfaitaire s’applique. Cette procédure offre la possibilité au contrevenant d’éviter des poursuites pénales par le paiement d’une somme fixée à l’avance, permettant par là même d’accélérer le recouvrement des amendes et d’éviter l’engorgement des juridictions de proximité (la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 « relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles » supprime, à compter du 1er janvier 2015, les juridictions de proximité, et con380

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fie la compétence pour connaître des contraventions des quatre premières classes au tribunal de police constitué par un juge de proximité et, à défaut, par un juge du tribunal d’instance). Le contrevenant a la faculté de s’acquitter d’un forfait soit entre les mains de l’agent verbalisateur au moment de la constatation de l’infraction, soit dans les 45 jours qui suivent, en joignant à la carte de paiement délivrée par l’agent verbalisateur un timbre fiscal ou un chèque ou en utilisant un moyen de paiement à distance. Le paiement immédiat ou dans les 45 jours de l’amende éteint l’action publique. À défaut de paiement de l’amende forfaitaire dans le délai de 45 jours, l’amende forfaitaire est majorée de plein droit et recouvrée au profit du Trésor public. Si le contrevenant conteste la réalité de la contravention, il doit porter une réclamation motivée auprès du ministère public. Ce dernier peut alors, soit renoncer à l’exercice des poursuites, soit saisir la juridiction de proximité. En cas de condamnation par la juridiction de proximité, l’amende prononcée ne peut être inférieure à l’amende forfaitaire majorée. Ce système s’applique également, avec quelques adaptations, à certaines contraventions à la police des services publics des transports publics de personnes, avec possibilité d’une transaction entre l’exploitant et le contrevenant (art. 529 et suivants et R. 48-1 et suivants du Code de procédure pénale).

§ 2.

Les garanties de recouvrement

De nombreuses procédures permettent de garantir le recouvrement de l’amende en cas de défaut de paiement par le condamné. Indépendamment de la mise en œuvre de ces garanties, le fait d’organiser frauduleusement son insolvabilité en vue de se soustraire au paiement de l’amende est une infraction punie de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (art. 314-7 du Code pénal).

A) Aperçu des diverses garanties de recouvrement Afin de garantir le paiement de l’amende dans l’hypothèse où elle serait prononcée, certaines mesures sont décidées avant que la juridiction de jugement ne rende une condamnation. Ainsi, dans le cadre du contrôle judiciaire ordonné par le juge d’instruction à l’égard d’une personne mise en examen, un cautionnement peut être imposé en vue notamment de garantir le paiement des amendes (art. 138 11° et 142 du Code de procédure pénale). En matière de criminalité et de délinquance organisées, des mesures conservatoires sur les biens de la personne mise en examen peuvent être ordonnées afin de garantir le paiement des amendes encourues (art. 706-103 du Code de procédure pénale). Pour le recouvrement de l’amende prononcée, l’État dispose également de voies d’exécution sur les biens. Comme tout créancier, l’État peut faire saisir les biens du condamné, les vendre aux enchères et se payer sur la somme ainsi obtenue. Le Trésor public peut également recourir à l’hypothèque judiciaire ou légale qui garantit les créances nées d’un jugement. Il dispose par ailleurs d’un privilège général sur les meubles et immeubles du condamné qui lui permet de se faire payer avant les autres créanciers y compris, le cas échéant, la victime de l’infraction. Lors du prononcé de la condamnation, lorsqu’une infraction ou des infractions, rattachées entre elles par des liens d’indivisibilité ou de connexité, LARCIER

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ont été commises par plusieurs personnes, la juridiction de jugement a la faculté de déclarer la solidarité pour le paiement des différentes amendes prononcées (par exemple, Crim., 22 octobre 1997, Bull. crim. n° 345 pour des violences volontaires commises en réunion). Toutefois, une telle mesure est soumise à certaines conditions : elle n’est pas de droit et ne peut s’appliquer que si le juge prend à cet effet une décision spécialement motivée ; elle ne joue que pour les crimes, les délits et les contraventions de la 5e classe ; elle n’est permise que si les coauteurs et complices sont insolvables (art. 375-2 al. 2, 480-1 al. 2 et 543 al. 2 du Code de procédure pénale). Le condamné est alors tenu de régler le montant de toutes les amendes et dispose de la possibilité de se retourner ensuite contre les coauteurs et complices pour récupérer le montant des amendes qu’il a payé à leur place… recours la plupart du temps illusoire, la solidarité ayant été ordonnée justement parce que ceux-ci sont insolvables.

B) La contrainte judiciaire Le recouvrement des amendes est également assuré par la contrainte judiciaire, anciennement contrainte par corps, qui consiste en l’incarcération du débiteur récalcitrant en établissement pénitentiaire, dans le quartier destiné à cet effet, pour l’amener à payer l’amende. Le débiteur n’est remis en liberté avant le terme de la contrainte judiciaire que s’il s’acquitte d’une partie de l’amende ou fournit la preuve de son insolvabilité. La contrainte par corps a été abolie en matière civile et commerciale en 1867. Elle subsiste au seul bénéfice du Trésor public et est destinée à garantir le recouvrement des créances de l’État n’ayant pas le caractère d’une réparation civile : amendes pénales, amendes fiscales et impôts. L’incarcération du débiteur n’était cependant pas considérée par la loi et les tribunaux comme une sanction pénale, encore moins comme une peine de remplacement à l’amende impayée. Pour la Cour de cassation, il s’agissait d’une voie d’exécution, d’une mesure à caractère pénal prévue par la loi pour garantir l’exécution des condamnations pécuniaires, des sanctions fiscales et des droits fraudés. N’étant pas une peine, la contrainte par corps n’était pas soumise au régime juridique de cette dernière (Crim., 25 juillet 1991, Bull. crim. n° 307 ; 29 mai 1997, Bull. crim. n° 152 ; 16 septembre 1997, Bull. crim. n° 297 pour les règles sur le non-cumul des peines ; 29 janvier 2003, Bull. crim. n° 20 pour la non-application des dispositions sur les réductions de peine). Par ailleurs, son exécution ne dispense pas le condamné du paiement de l’amende (art. 761-1 du Code de procédure pénale). Cette vision a toutefois été remise en cause par la Cour européenne des droits de l’homme qui, saisie de l’application rétroactive d’une disposition législative allongeant la durée de la contrainte par corps, a considéré, eu égard au but et au régime de la mesure, que la contrainte par corps constituait « une peine » au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, et constaté la violation par l’État français de l’article 7 § 1 de la Convention prohibant d’infliger une peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise (CEDH, arrêt du 8 juin 1995, Jamil contre France, série A, n° 317 B). En conséquence de cette requalification, la Cour ayant estimé que cette mesure était une peine qui ne pouvait être ordonnée que par un juge, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité 382

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(AJEC) a introduit une procédure, dénommée « contrainte judiciaire », entièrement placée sous le contrôle du juge de l’application des peines. Ce régime est fixé par les articles 749 et suivants du Code de procédure pénale. En cas d’inexécution volontaire d’une ou plusieurs condamnations à une peine d’amende prononcées en matière criminelle ou en matière correctionnelle pour un délit puni d’une peine d’emprisonnement, y compris en cas d’inexécution volontaire de condamnations à des amendes fiscales ou douanières, le juge de l’application des peines peut ordonner une contrainte judiciaire consistant en un emprisonnement dont la durée est fixée par ce magistrat dans la limite d’un maximum fixé par la loi en fonction du montant de l’amende ou de leur montant cumulé (art. 749). La durée maximum de l’incarcération qui peut être prononcée est fonction du montant impayé de l’amende (art. 750 du Code de procédure pénale). Elle est de : – vingt jours lorsque l’amende est au moins égale à 2 000 euros sans excéder 4 000 euros ; – un mois lorsque l’amende est supérieure à 4 000 euros sans excéder 8 000 euros ; – deux mois lorsque l’amende est supérieure à 8 000 euros sans excéder 15 000 euros ; – trois mois lorsque l’amende est supérieure à 15 000 euros. Pour certaines infractions liées au trafic de stupéfiants et pour les infractions douanières connexes, la durée de la privation de liberté peut même atteindre un an lorsque le montant de l’amende est supérieur à 100 000 euros (art. 706-31 dernier alinéa du Code de procédure pénale). Comme la contrainte par corps auparavant, la contrainte judiciaire ne peut pas être prononcée contre les personnes mineures au moment des faits, contre les personnes âgées d’au moins 65 ans au moment de la condamnation ni contre les condamnés qui, par tout moyen, justifient de leur insolvabilité. Elle ne peut être non plus exercée simultanément contre le mari et la femme, même pour le recouvrement de sommes afférentes à des condamnations différentes (art. 751 à 753). Les dispositions procédurales sont fixées par l’article 754 : la contrainte judiciaire ne peut être exercée que cinq jours après un commandement fait au condamné à la requête de la partie poursuivante. Au vu de l’exploit de signification du commandement, si ce dernier date de moins d’un an, et sur la demande du Trésor, le procureur de la République peut requérir le juge de l’application des peines de prononcer la contrainte judiciaire dans les conditions prévues par l’article 712-6 (après débat contradictoire). Ce magistrat peut à cette fin délivrer les mandats prévus par l’article 712-17 (mandats d’amener et d’arrêt). La décision du juge de l’application des peines, qui est exécutoire par provision, peut faire l’objet d’un appel. Le juge de l’application des peines peut décider d’accorder des délais de paiement au condamné si la situation personnelle de ce dernier le justifie, en ajournant sa décision pour une durée qui ne saurait excéder six mois. Comme auparavant, les individus contre lesquels la contrainte a été prononcée peuvent en prévenir ou en faire cesser les effets soit en payant ou consignant une somme suffisante pour éteindre leur dette, soit en fournissant une caution reconnue bonne et valable. Le condamné qui a subi une contrainte n’est LARCIER

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pas libéré du montant des condamnations pour lesquelles elle a été exercée. Autrement dit, il reste redevable de l’amende (art. 759 et 761-1). On rapprochera de ces dispositions celles de l’article 131-25 du Code pénal qui prévoient que le non-paiement de tout ou partie des jours-amendes à l’expiration du délai fixé entraîne l’incarcération du condamné pour une durée correspondant au nombre de jours-amendes impayés.

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PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


CHAPITRE 4

Les causes d’extinction de la sanction La peine prononcée par la juridiction de jugement s’éteint en principe par son exécution complète. Cependant, la condamnation dont procède la peine demeure et produit des effets juridiques. Elle reste inscrite au casier judiciaire : par exemple, en cas de nouvelle infraction, elle pourra être un obstacle à l’octroi du sursis et constituer éventuellement le premier terme de la récidive. La peine peut également disparaître par la survenance d’autres événements. L’article 133-1 du Code pénal en recense un certain nombre, tout en décrivant leurs effets. Ces causes d’extinction de la peine peuvent être regroupées en deux catégories : – d’une part, certains événements éteignent uniquement la peine, sans affecter la condamnation ; – d’autre part, la condamnation elle-même peut disparaître, entraînant de la sorte, si elle n’a pas encore été mise à exécution ou si elle était en cours d’exécution, l’extinction prématurée de la peine. SECTION I

Les causes d’extinction de la peine laissant subsister la condamnation Certaines causes d’extinction sont spéciales car attachées à une peine en particulier. Ainsi, l’interdiction de séjour cesse de plein droit lorsque le condamné atteint l’âge de 65 ans (art. 131-32 du Code pénal). D’autres causes d’extinction de la peine sont générales, susceptibles de s’appliquer à un ensemble de peines. Ainsi, en vertu de l’article 112-4 du Code pénal, la peine cesse de recevoir exécution lorsqu’une loi nouvelle, postérieure au jugement, abroge l’infraction pour laquelle elle a été prononcée, de sorte que les faits n’ont plus le caractère d’une infraction pénale. La peine cesse également d’être exécutée en cas de décès du condamné, de prescription, de grâce ou de relèvement.

§ 1.

Le décès du condamné

L’article 133-1 du Code pénal dispose que le décès du condamné empêche ou arrête l’exécution de la peine. S’agissant des personnes morales condamnées, il s’agit de leur dissolution mais celle prononcée par la juridiction pénale est naturellement exclue, puisqu’il s’agit alors d’une peine qui doit être mise à exécution. Cette règle générale se justifie par le principe de la personnalité des peines. Les peines étant prononcées à l’encontre d’une personne en raison de sa faute personnelle et de sa responsabilité propre, elle seule peut subir ces peines. Il LARCIER

Les causes d’extinction de la sanction CHAPITRE 4

385


n’est pas possible de poursuivre leur exécution à l’égard de tiers. Toutefois, les peines d’amende et de confiscation peuvent être exécutées après le décès du condamné. Dans la mesure où le patrimoine du condamné est transmis, avec les dettes, aux héritiers, ceux-ci seront tenus de payer le montant des amendes ou de remettre les choses confisquées. La solution se justifie ainsi : si les amendes avaient été payées par le condamné de son vivant et les objets confisqués remis, le patrimoine transmis aurait été moindre.

§ 2.

La prescription de la peine

La prescription de la peine est l’extinction de la sanction non mise à exécution à l’expiration d’un certain délai à compter du jour où la condamnation est définitive. Cette règle se justifie par le fait que le temps a effacé le trouble social causé par l’infraction, fait disparaître des esprits le souvenir de la condamnation. Par ailleurs, il est également souvent avancé que le condamné, durant le délai de prescription de la peine, d’une part a été amené à bien se conduire pour ne pas attirer l’attention sur lui (de sorte que l’on pense qu’il est reclassé), d’autre part, rongé par le tourment et l’inquiétude d’avoir à subir la sanction, s’est nécessairement amendé durant ce délai. La prescription de la peine ne doit pas être confondue avec la prescription de l’action publique. Cette dernière, constituée par l’écoulement d’un délai depuis la commission de l’infraction, empêche l’exercice des poursuites (voir p. 95).

A) Domaine de la prescription En principe, toutes les peines, quelle que soit leur nature, peuvent se prescrire. Toutefois, certaines peines privatives de droits, par exemple une interdiction professionnelle ou l’interdiction de voter, sont en pratique immédiatement applicables, sans nécessiter d’actes d’exécution. Les peines peuvent généralement se prescrire quelle que soit l’infraction pour laquelle elles sont prononcées. Toutefois, la loi a prévu que les peines sont imprescriptibles lorsqu’elles sont prononcées pour certaines infractions. C’est le cas des peines prononcées pour crimes contre l’humanité (art. 213-5 du Code pénal).

B) Délais de prescription 1) Durée du délai de prescription Le délai de prescription des peines est en principe de 20 ans lorsqu’elles ont été prononcées pour un crime (art. 133-2 du Code pénal), de 5 ans pour un délit (art. 133-3 du Code pénal) et de 3 ans pour une contravention (art. 133-4 du Code pénal). Pour certaines infractions, des dispositions spéciales prévoient des délais de prescription dérogatoires au droit commun. Ainsi, les peines prononcées pour des actes de terrorisme ou des infractions de trafic de stupéfiants se prescrivent par 30 ans s’il s’agit de crimes, 20 ans s’il s’agit de délits (art. 706-25-1 et 706-31 du Code de procédure pénale). Le délai de prescription applicable dépend de la nature de l’infraction (crime, délit ou contravention), non de la peine prononcée. Une peine d’empri386

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sonnement prononcée par une cour d’assises pour un crime se prescrit ainsi par 20 ans. 2) Point de départ du délai de prescription En principe, le point de départ du délai de prescription de la peine est le jour où la condamnation est définitive, c’est-à-dire lorsqu’elle n’est plus susceptible de voies de recours. Mais il existe des cas particuliers : par exemple lorsque la condamnation prononçant la peine était initialement affectée d’un sursis et que celui-ci a été ultérieurement révoqué, le délai de prescription part du jour où la décision qui révoque le sursis est définitive. Par ailleurs, des dispositions spéciales prévoient un point de départ particulier. Ainsi, la prescription des peines prononcées pour désertion ou insoumission ne commence à courir qu’à partir du jour où le condamné atteint l’âge le dispensant de satisfaire à toute obligation militaire (art. L. 267-2 du Code de justice militaire). 3) Suspension et interruption du délai de prescription L’écoulement du délai de prescription de la peine peut être stoppé par certains événements. Selon l’effet de l’événement, on distingue la suspension du délai de prescription de l’interruption de celui-ci. Le délai de prescription est suspendu par un événement empêchant de mettre à exécution la peine. Il pourra s’agir d’un obstacle de droit (par exemple une grâce conditionnelle) ou d’un obstacle de fait (par exemple une guerre ou la démence du condamné). Le délai de prescription reprend son cours si l’événement suspensif disparaît, le temps écoulé avant la suspension étant pris en compte. Le délai de prescription de la peine est interrompu par l’accomplissement d’un acte d’exécution : par exemple, une saisie pour la peine d’amende, l’arrestation du condamné et son incarcération pour une peine privative de liberté. L’acte interruptif fait disparaître le temps écoulé avant l’interruption. Un nouveau délai de prescription doit alors courir. Ainsi, quand un condamné à une peine privative de liberté en fuite est incarcéré puis s’évade, un nouveau délai de prescription court à compter du jour de son évasion.

C) Effets de la prescription À l’expiration du délai de prescription, la peine ne peut plus être mise à exécution. La peine prescrite est réputée avoir été exécutée par le condamné. En matière criminelle, il existe une spécificité : la substitution d’une autre peine à la peine prescrite. En effet, en cas de prescription d’une peine prononcée pour un crime, le condamné est soumis de plein droit à l’interdiction de séjour à vie dans le département où demeure la victime ou ses héritiers directs (art. 763 du Code de procédure pénale). Par contre, la prescription n’a pas d’effet sur la condamnation, celle-ci restant inscrite au casier. Cette condamnation pourra éventuellement empêcher l’octroi d’un sursis ultérieur ou permettre de faire jouer les règles de la récidive. Si elle emporte de plein droit des interdictions, déchéances et incapacités, notamment à titre définitif, ces peines accessoires continuent de LARCIER

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s’appliquer. Par ailleurs, les obligations de nature civile résultant de la condamnation (dommages et intérêts) se prescrivent selon les règles du Code civil (art. 133-6 du Code pénal).

§ 3.

La grâce

La grâce est une faveur discrétionnaire par laquelle le chef de l’État dispense un condamné de subir tout ou partie de sa peine. Le droit de grâce était à l’origine une prérogative royale. Supprimé au lendemain de la révolution (1791), puis rapidement rétabli (Constitution de l’an X), il a été constamment maintenu depuis. C’est un pouvoir traditionnel des chefs d’État qui, aujourd’hui, est détenu en France par le Président de la République. En vertu de l’article 17 de la Constitution, « le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel ». Le droit de grâce était traditionnellement individuel ou collectif. La grâce collective consistait à accorder la remise d’un quantum de peine à des personnes condamnées à une peine privative de liberté. À l’inverse des grâces individuelles, qui concernent tous types de peine, les grâces collectives ne concernaient que les peines privatives de liberté et bénéficiaient à un groupe de condamnés remplissant certaines conditions. Elles étaient généralement accordées à l’occasion d’un événement national (par exemple, le 14 juillet). Or, cette pratique a pu être critiquée : d’une part, la grâce collective entrait en contradiction avec l’objectif d’individualisation des peines puisqu’elle profitait indifféremment à tous les condamnés ; d’autre part, la grâce collective était détournée de sa finalité première et était devenue un simple outil de gestion de la surpopulation carcérale. Pour mettre fin à cette dérive, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a modifié l’article 17 de la Constitution en limitant explicitement le pouvoir de grâce du Président de la République aux seules grâces individuelles. Il est donc ramené à sa fonction originelle, c’est-à-dire une mesure de pardon social accordée à titre exceptionnel par le chef de l’État. Le recours à des mesures de grâces collectives n’est donc plus possible.

A) Conditions de la grâce Tous les condamnés peuvent faire l’objet d’une grâce. La grâce est susceptible de s’appliquer à toutes les peines. Toutefois, elle ne peut concerner qu’une peine prononcée par une juridiction judiciaire, non une sanction disciplinaire, fiscale ou administrative ou des réparations civiles comme les dommages et intérêts. La grâce suppose une condamnation définitive, c’est-à-dire qui ne soit pas susceptible de voies de recours. Enfin, la condamnation doit être exécutoire. Par exemple, la grâce ne peut pas intervenir si la peine a été exécutée, est prescrite ou si un sursis est en cours. Les motifs qui justifient une grâce sont divers. En règle générale, la grâce est accordée pour tenir compte de la bonne conduite du condamné, de sa maladie ou de son âge. Parfois, le Président de la République redresse ce qui 388

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


apparaît être une erreur judiciaire ou simplement corrige la sévérité de la loi ou du juge… à l’encontre du principe de la séparation des pouvoirs.

B) Procédure de la grâce La grâce est accordée à la suite d’un recours en grâce, c’est-à-dire d’une demande du condamné, de l’un de ses proches, de son avocat, d’une association mais également du ministère public. Toutefois, la grâce peut être accordée d’office. Le condamné ne peut alors renoncer à en bénéficier. Le recours en grâce est adressé au Président de la République. La demande est instruite par le bureau des grâces du ministre de la Justice (art. R. 133-1 du Code pénal). Divers avis sont sollicités, par exemple celui du président de la juridiction de jugement et celui du juge de l’application des peines. Il est notamment examiné si une autre mesure d’individualisation de la peine ne peut intervenir (par exemple une libération conditionnelle ou des réductions de peine). La grâce est accordée par un décret du Président de la République, notifié à l’intéressé. Le chef de l’État est juge de l’opportunité d’accorder une grâce et, s’il l’accorde, de sa portée. Le condamné ne dispose d’aucun recours contre le décret.

C) Effets de la grâce La grâce emporte dispense d’exécuter la peine (art. 133-7 du Code pénal) mais son effet dépend en réalité de son étendue. La grâce peut consister en une remise complète de la peine (de sorte que celle-ci cesse d’être exécutée), en une remise partielle de la peine (qui a pour objet de réduire le montant ou la durée de la peine) ou en une substitution d’une peine moins sévère à la peine prononcée par le juge (par exemple une réclusion à temps à la place de la réclusion à perpétuité). On parle alors de commutation de peine. Les peines non visées par le décret de grâce continuent d’être exécutées dans leur totalité. En outre, la grâce ne fait pas obstacle au droit, pour la victime, d’obtenir réparation du préjudice causé par l’infraction (art. 133-8 du Code pénal). La grâce peut imposer des conditions particulières. Par exemple, l’absence de nouvelle condamnation pendant un certain temps ou l’obligation d’indemniser la victime de l’infraction. La grâce est alors conditionnelle, l’inexécution des obligations imposées emportant sa révocation. À la différence de l’amnistie, la grâce ne fait pas disparaître la condamnation. Cette dernière reste inscrite au casier judiciaire, est susceptible de faire obstacle à l’octroi d’un sursis en cas de nouvelle condamnation, peut constituer le premier terme de la récidive et les interdictions, déchéances et incapacités résultant de plein droit de la condamnation continuent de s’appliquer.

§ 4.

Le relèvement

Le relèvement permet au juge de déclarer inapplicables au condamné certaines interdictions, déchéances ou incapacités, soit qu’elles résultent de plein droit de la condamnation pénale, soit qu’elles aient été prononcées à titre complémentaire. Il peut intervenir au moment du prononcé de la décision de condamnation ou ultérieurement. Toutefois, le relèvement des interdictions, LARCIER

Les causes d’extinction de la sanction CHAPITRE 4

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déchéances et incapacités doit toujours être demandé par le condamné. Il n’est jamais prononcé d’office.

A) Le relèvement instantané Le relèvement peut être demandé immédiatement pour toute interdiction, déchéance ou incapacité quelconque résultant de plein droit d’une condamnation pénale, autrement dit pour toute peine accessoire (art. 132-21 du Code pénal). La juridiction prononce alors le relèvement de tout ou partie des peines accessoires en même temps que le jugement de condamnation.

B) Le relèvement différé Après la décision de condamnation, le condamné conserve la possibilité de demander à être relevé des incapacités, déchéances, interdictions ou mesures de publication qui le frappent. Il peut alors s’agir non seulement des peines accessoires mais encore des peines complémentaires (art. 702-1 du Code de procédure pénale). La justification de cette faculté d’être relevé des peines complémentaires tient au fait que, prononcées à titre préventif compte tenu d’un état dangereux, elles peuvent ne plus s’avérer nécessaires dès que la dangerosité a cessé ou s’est amenuisée. Le relèvement sera donc prononcé en fonction de la conduite du condamné depuis la condamnation. Toutefois, seules les peines prononcées à titre complémentaire peuvent faire l’objet d’un relèvement, non les peines complémentaires prononcées à titre principal, en substitution aux peines principales normalement encourues. Par ailleurs, la jurisprudence exclut du relèvement les mesures présentant un caractère réel, comme par exemple une mesure de démolition. La requête est portée devant la juridiction qui a prononcé la condamnation, devant la dernière juridiction qui a statué si le condamné fait l’objet de plusieurs condamnations, enfin devant la chambre de l’instruction si la condamnation a été rendue par une cour d’assises. La demande de relèvement peut être présentée sans délai lorsqu’elle porte sur une peine accessoire. Par contre, lorsque la demande tend au relèvement d’une peine complémentaire, elle ne peut être formée qu’après l’expiration d’un délai de 6 mois à compter de la décision de condamnation. En cas de rejet de la requête, toute nouvelle demande ne peut alors être introduite qu’à l’expiration d’un nouveau délai de 6 mois. Il en est de même des demandes ultérieures. Les juridictions de l’application des peines (juge de l’application des peines et tribunal de l’application des peines) peuvent également relever le condamné, en tout ou partie, d’une interdiction résultant de plein droit d’une condamnation pénale ou prononcée à titre de peine complémentaire, d’exercer une profession ou une activité professionnelle, lorsqu’elles se prononcent sur l’octroi d’une des mesures d’aménagement de peines prévues aux articles 712-6 et 712-7 du Code de procédure pénale : placement à l’extérieur, semi-liberté, fractionnement et suspension des peines, placement sous surveillance électronique, libération conditionnelle (art. 712-22 du Code de procédure pénale). 390

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C) Effets du relèvement Le relèvement est une compétence discrétionnaire de la juridiction, laquelle reste libre de ne pas l’accorder. Elle peut également moduler le relèvement, c’est-à-dire prononcer un relèvement partiel. La juridiction pourra ne prononcer le relèvement que de certaines des peines qui font l’objet de la requête. Elle pourra également se contenter de réduire la durée de l’interdiction, de la déchéance ou de l’incapacité. Lorsque la demande de relèvement est relative à la peine de suspension du permis de conduire, le juge a la faculté de limiter cette suspension à la conduite en dehors de l’activité professionnelle. Lorsque le juge prononce le relèvement total d’une peine, elle cesse d’être applicable. Le relèvement n’a aucun effet sur les peines non visées par la juridiction, qui continuent de s’appliquer. La condamnation subsiste et reste inscrite au casier judiciaire (la décision de relèvement y est d’ailleurs mentionnée, en application de l’art. 703 al. 5 du Code de procédure pénale). La condamnation peut donc constituer le premier terme de la récidive et empêcher l’octroi ultérieur d’un sursis. SECTION II

Les causes d’extinction de la condamnation Si l’on met à part le cas de la condamnation avec sursis devenue non avenue à l’issue du délai d’épreuve, dispensant alors définitivement le condamné de subir les peines prononcées à son encontre, on peut mentionner deux causes d’extinction de la condamnation : l’amnistie et la réhabilitation.

§ 1.

L’amnistie

L’amnistie est une mesure législative tendant à supprimer le caractère d’infraction de certains actes. L’amnistie relève du pouvoir législatif en vertu de l’article 34 de la Constitution. Initialement, les lois d’amnistie intervenaient à l’issue de troubles politiques et tendaient à la réconciliation nationale. Aujourd’hui, elles concernent le plus souvent les infractions de droit commun et d’autres motifs sont pris en considération : nécessité de désengorger les prétoires, de remédier temporairement à la surpopulation carcérale, de faire un geste symbolique à l’occasion d’un événement, en particulier l’élection du Président de la République.

A) Domaine de l’amnistie Chaque loi d’amnistie fixe elle-même son champ d’application. Elle mentionne d’abord la date qui doit être prise en compte pour faire jouer ses effets : seules les infractions commises avant la date en question seront amnistiées. Par exemple, la loi du 6 août 2002 portant amnistie s’applique exclusivement aux faits commis antérieurement au 17 mai 2002, date du début du mandat du Président de la République. LARCIER

Les causes d’extinction de la sanction CHAPITRE 4

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La loi d’amnistie précise ensuite les infractions qui font l’objet de l’amnistie, suivant diverses modalités. L’amnistie peut ainsi intervenir en raison de la nature de l’infraction (par exemple, les contraventions de police, les délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse), en raison des circonstances de la commission de l’infraction (par exemple, les délits commis à l’occasion de conflits du travail), en raison de la nature de la peine prononcée (par exemple, les délits qui ont été ou seront punis de la peine de travail d’intérêt général, ceux qui ont été ou seront punis d’une peine d’amende ou de jours-amendes) ou encore en raison du quantum de la peine prononcée (par exemple, les délits qui ont été ou seront punis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à 3 mois sans sursis). Dans tous ces cas, l’amnistie est de droit : les infractions sont automatiquement amnistiées, dès la publication de la loi, dès lors que les conditions posées par celle-ci sont réunies. L’amnistie peut également être octroyée en raison de la qualité de l’auteur de l’infraction (par exemple, les infractions commises par les personnes âgées de moins de 21 ans au moment de la commission de l’infraction, les déportés ou résistants, les personnes qui se sont distinguées d’une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, scientifique ou économique). L’amnistie est alors accordée par mesure individuelle, c’est-à-dire accordée par décret du Président de la République à la suite d’une demande de l’intéressé formée dans le délai fixé par la loi d’amnistie (généralement un an suivant la promulgation de la loi d’amnistie ou suivant la condamnation définitive si celle-ci intervient postérieurement). Les lois d’amnistie comportent cependant des limites. D’une part, l’amnistie est dans certains cas conditionnelle, lorsque des obligations particulières sont imposées aux délinquants pour qu’ils puissent en bénéficier (par exemple, présentation volontaire du déserteur dans le délai imparti ou paiement préalable des peines d’amende prononcées). D’autre part, la loi d’amnistie exclut certaines infractions de son champ d’application (par exemple, les infractions portant atteinte à l’autorité de l’État ou de l’administration, celles relevant de la délinquance ou de la criminalité organisée ou violente, celles relevant de la matière économique ou financière, celles portant atteinte à la dignité de la personne, au droit de la personnalité ou à la famille, celles relevant du droit de l’environnement ou encore celles portant atteinte à l’intégrité de la personne ou mettant celle-ci en danger). Lorsqu’une infraction figure dans la liste des exclusions, l’amnistie de droit (en raison, soit de la nature ou des circonstances de commission de l’infraction, soit du quantum ou de la nature de la peine prononcée) comme l’amnistie par mesure individuelle ne peuvent alors plus jouer.

B) Effets de l’amnistie Rétroactivement, les faits amnistiés ne constituent plus des infractions pénales en vertu de l’intervention du législateur. Une distinction doit cependant être faite selon qu’une condamnation définitive est intervenue ou non avant la loi d’amnistie. 392

PARTIE IV La sanction pénale

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1) Effets de l’amnistie en l’absence de condamnation définitive Si les agissements amnistiés n’ont pas encore fait l’objet de poursuites ou si celles-ci sont en cours, l’amnistie emporte extinction de l’action publique. Le juge doit constater l’extinction de l’action publique et ne peut prononcer ni déclaration de culpabilité, ni sanctions (par exemple, Crim., 9 décembre 1997, Bull. crim. n° 419). Par ailleurs, cette règle s’oppose à ce que des faits amnistiés puissent recevoir en appel une qualification autre que celle qui leur avait été antérieurement donnée par la prévention et qui a été retenue dans le jugement constatant l’extinction de l’action publique (Crim., 6 mars 1997, Bull. crim. n° 91). Toutefois, lorsque l’amnistie intervient en raison de la nature de la peine ou du quantum de la peine, les poursuites doivent être exercées et il faudra attendre la décision définitive de condamnation pour savoir si les faits doivent être amnistiés (par exemple, Crim., 9 décembre 1997, Bull. crim. n° 419). L’amnistie dépend alors du juge puisque ce sont les sanctions qu’il prononcera qui seront déterminantes. 2) Effets de l’amnistie en présence d’une condamnation définitive Si une condamnation définitive a été rendue pour des faits amnistiés, elle est considérée comme non avenue. En vertu de l’article 133-9 du Code pénal, « l’amnistie efface les condamnations prononcées ». a) La condamnation est effacée

La condamnation étant effacée, elle est retirée du casier judiciaire et n’est conservée que dans les minutes (actes authentiques) des jugements, arrêts et décisions (art. 133-11 du Code pénal). En cas de nouvelle infraction, elle ne saurait constituer le premier terme de la récidive (par exemple, Crim., 5 juin 1996, Bull. crim. n° 232) ou empêcher l’octroi d’un sursis. Mieux, lorsque la condamnation amnistiée avait provoqué la révocation d’un sursis antérieurement accordé, le sursis révoqué est rétabli (art. 133-9 du Code pénal). Pour le juge, cette règle emporte interdiction de se déterminer en fonction d’une condamnation amnistiée pour prononcer une peine pour une nouvelle infraction, même au titre de la motivation (Crim., 6 mai 1997, Bull. crim. n° 176). Il est par ailleurs interdit à toute personne ayant connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, de condamnations pénales effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque (art. 133-11 du Code pénal). La même interdiction est généralement posée dans les lois d’amnistie, sous peine de sanctions pénales. b) Les peines ne peuvent plus être exécutées

Les peines prononcées à raison d’un fait amnistié ne peuvent plus être mises à exécution. Cette règle concerne en principe toutes les peines, qu’elles aient été prononcées à titre principal, complémentaire ou alternatif, ou qu’elles résultent de droit de la condamnation (sous réserve des dispositions particulières propres à chaque loi d’amnistie). Ainsi, si une peine privative de liberté est en cours d’exécution, le condamné est libéré. L’amende éventuellement prononcée n’est plus due. LARCIER

Les causes d’extinction de la sanction CHAPITRE 4

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Dans le silence de la loi d’amnistie, la jurisprudence considérait toutefois que les « mesures de police et de sécurité publique » (entendons les sanctions ayant le caractère de mesures de sûreté) comme une interdiction professionnelle, le retrait ou la suspension du permis de conduire ou une fermeture d’établissement, restaient applicables. Pour contrer cette jurisprudence, le législateur a pris soin de préciser les mesures qui ne sont pas remises par l’amnistie (par exemple, interdiction du territoire français, interdiction de séjour, interdiction des droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale, mesures de démolition, de mise en conformité et de remise en état des lieux, confiscation d’une arme), signifiant implicitement que la loi d’amnistie entraîne la remise de toutes les autres mesures ou peines résultant d’une condamnation amnistiée. Les peines qui ont été exécutées avant l’adoption de la loi d’amnistie ne sont toutefois pas affectées. L’amnistie ne donne pas lieu à restitution (art. 133-9 du Code pénal), ce qui signifie en particulier que les amendes acquittées ne feront pas l’objet d’un remboursement et qu’aucune indemnité ne sera accordée à raison des peines antérieurement subies (par exemple à raison de l’incarcération subie pour le fait amnistié). Par ailleurs, l’amnistie ne préjudicie pas aux tiers (art. 133-10 du Code pénal). Les dommages et intérêts restent donc dus et, s’ils n’ont pas encore été accordés à la victime, l’action civile en vue d’obtenir la réparation du préjudice causé par les faits demeure possible. En outre, la publication ordonnée à titre de réparation peut être exécutée (art. 133-11 du Code pénal).

§ 2.

La réhabilitation

La réhabilitation est l’effacement de la condamnation pour bonne conduite et, en principe, au terme d’un certain délai. Toute personne condamnée par un tribunal français à une peine criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle, peut être réhabilitée (art. 782 du Code de procédure pénale). L’institution est d’abord symbolique, la société rétablissant le condamné dans sa dignité. Elle permet également de mettre fin aux interdictions, déchéances et incapacités résultant de plein droit de la condamnation, pour ne plus faire obstacle à la réinsertion du condamné. Deux procédures de réhabilitation sont organisées par la loi : la réhabilitation peut résulter d’une décision judiciaire ou être acquise de plein droit, automatiquement, du fait de l’écoulement d’un certain délai. Comme les personnes physiques, les personnes morales peuvent être réhabilitées.

A) Réhabilitation judiciaire 1) Conditions de la réhabilitation judiciaire La réhabilitation ne peut être ordonnée par décision judiciaire d’une part que si les peines ont été exécutées et les dommages et intérêts payés, d’autre part qu’à la suite d’une demande du condamné introduite au terme d’un certain délai. Toutefois, lorsque le condamné a rendu des services éminents au pays depuis l’infraction, la demande n’est soumise à aucune condition de 394

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


temps, d’exécution de la peine ou de paiement de l’amende et des dommages et intérêts (art. 789 du Code de procédure pénale). La réhabilitation suppose que les peines principales prononcées par la juridiction de condamnation ne puissent plus être mises à exécution. Elles doivent donc avoir été exécutées, prescrites ou le condamné doit avoir été gracié. Dans le cas d’une condamnation avec sursis, elles sont réputées subies à l’issue du délai d’épreuve (Crim., 17 février 1998, Bull. crim. n° 62 ; Crim., 9 novembre 1998, Bull. crim. n° 292). En outre et sauf prescription, le condamné doit également justifier du paiement des dommages et intérêts ou de la remise qui lui en a été faite (art. 788 du Code de procédure pénale). La réhabilitation judiciaire ne peut ensuite être demandée qu’à l’expiration d’un délai fixé à 5 ans pour les condamnés à une peine criminelle, 3 ans pour les condamnés à une peine correctionnelle et 1 an pour les condamnés à une peine contraventionnelle à compter du jour où la condamnation est considérée comme exécutée, prescrite ou réputée subie (art. 786 du Code de procédure pénale). Le délai pour introduire la demande est toutefois porté à 10 ans en matière criminelle pour les récidivistes, les condamnés qui ont déjà été réhabilités ou dont la peine a été prescrite, à 6 ans en matière correctionnelle pour les récidivistes, les condamnés déjà réhabilités ou dont la peine a été prescrite (art. 787 du Code de procédure pénale). Pour les personnes morales, la demande ne peut être introduite qu’à l’expiration d’un délai de 2 ans à compter de l’expiration de la sanction (art. 799 du Code de procédure pénale). 2) Procédure de la réhabilitation judiciaire La réhabilitation judiciaire suppose une demande en justice du condamné ou de son représentant légal s’il est interdit. En cas de décès du condamné, la demande peut être introduite, dans le délai d’une année à compter du décès, par son conjoint, ses ascendants ou descendants (art. 785 du Code de procédure pénale). La demande en réhabilitation est adressée au procureur de la République (art. 790 du Code de procédure pénale). Il est procédé à une enquête visant à déterminer le comportement du condamné depuis sa condamnation. L’avis du juge de l’application des peines est notamment sollicité (art. 791 du Code de procédure pénale) puis la chambre de l’instruction est saisie. Celle-ci est libre d’accorder la réhabilitation ou de la refuser. Toutefois, elle doit essentiellement fonder sa décision sur la conduite du demandeur depuis sa condamnation, ainsi qu’à titre subsidiaire sur la gravité des faits et leurs conséquences. En cas de rejet de la demande régulièrement introduite, une nouvelle demande ne peut être formée avant l’expiration d’un délai de deux ans (art. 797 du Code de procédure pénale). Lorsque le condamné est une personne morale, la demande est introduite par le représentant légal. En cas de rejet de la demande de réhabilitation, le délai pour former une nouvelle demande est ramené à un an.

B) Réhabilitation légale La réhabilitation légale est acquise de plein droit à l’expiration d’un certain délai, sans qu’une procédure ne soit mise en ’uvre. Là encore, elle ne peut intervenir que si la peine a été exécutée, prescrite ou encore si le condamné a été LARCIER

Les causes d’extinction de la sanction CHAPITRE 4

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gracié, la remise gracieuse d’une peine équivalant à son exécution (art. 133-17 du Code pénal). La réhabilitation est acquise si le condamné n’a pas fait l’objet d’une nouvelle condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle durant ce délai (condamnation prononcée par une juridiction pénale française ou, à compter du 1er avril 2012, par une juridiction pénale d’un État membre de l’Union européenne ; voir p. 321 et l’article 133-16-1 du code pénal pour la détermination des délais à l’expiration desquels sont réhabilitées les condamnations françaises antérieures aux condamnations prononcées par une juridiction pénale d’un État membre de l’Union). Le délai est fixé à 3 ans pour la condamnation à l’amende ou à la peine de jours-amendes, à compter du jour du paiement de l’amende ou du montant global des jours-amendes, de l’expiration de la contrainte judiciaire ou du délai de l’incarcération prévu à l’article 131-25 en cas de défaut de paiement du montant des jours-amendes ou à compter de l’accomplissement de la prescription. Il est de 5 ans pour une condamnation unique à un emprisonnement n’excédant pas un an ou à une peine autre qu’une peine privative de liberté, une amende ou une peine de jours-amendes, à compter de l’exécution de la peine ou de l’accomplissement de la prescription. Il est de 10 ans pour une condamnation unique à un emprisonnement supérieur à un an ou en cas de condamnations multiples à l’emprisonnement dont le total ne dépasse pas 5 ans, à compter de l’expiration de la peine subie ou de l’accomplissement de la prescription (art. 133-13 du Code pénal). Mais la réhabilitation ne produit ses effets qu’à l’issue d’un délai de 40 ans lorsqu’a été prononcée, comme peine complémentaire, une interdiction, incapacité ou déchéance à titre définitif. A contrario, la réhabilitation de plein droit est exclue en cas de condamnations multiples à l’emprisonnement dont le total excède 5 ans ou en cas de condamnation à la peine de réclusion criminelle ou de détention criminelle. Pour les personnes morales, ce délai est fixé à 5 ans à compter du paiement de l’amende, de l’exécution de la peine ou de l’accomplissement de la prescription. La réhabilitation n’est pas possible en cas de dissolution (art. 133-14 du Code pénal). Dans tous les cas, les délais sont doublés lorsque la personne a été condamnée pour des faits commis en état de récidive (disposition introduite par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et applicable aux seuls faits commis postérieurement à la date de publication de cette loi). Par ailleurs, lorsqu’il s’agit d’une condamnation assortie du sursis, les délais de réhabilitation courent à compter de la date à laquelle la condamnation est non avenue.

C) Effets de la réhabilitation La réhabilitation efface la condamnation (art. 133-1 al. 3 du Code pénal). Les bulletins n° 2 et n° 3 du casier judiciaire ne mentionnent plus la condamnation. Il est également fait interdiction à toute personne ayant eu connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, d’une condamnation effacée par la réhabilitation, 396

PARTIE IV La sanction pénale

Droit pénal général


d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque, sauf dans les minutes des jugements, arrêts et décisions. En cas de nouvelle infraction, la condamnation effacée ne peut empêcher l’octroi d’un sursis. Par contre, la réhabilitation n’interdit pas la prise en compte de la condamnation, par les autorités judiciaires, en cas de nouvelles poursuites, pour l’application des règles sur la récidive légale. La condamnation demeure donc inscrite au bulletin n° 1. Cependant, la juridiction qui prononce la réhabilitation (dans le cas d’une réhabilitation judiciaire) ou la chambre de l’instruction saisie d’une demande en ce sens par l’intéressé (dans le cas d’une réhabilitation légale) peut ordonner que la condamnation soit retirée du casier judiciaire et ne soit pas non plus mentionnée au bulletin n° 1 (art. 798 al. 2 et 798-1 du Code de procédure pénale ; dispositions issues de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et applicables à compter du 7 mars 2008). Enfin, la réhabilitation fait disparaître les peines accessoires, c’est-à-dire toutes les interdictions, déchéances et incapacités, notamment professionnelles, qui continuaient de s’appliquer de plein droit du seul fait de la condamnation (art. 133-16 du Code pénal).

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Les causes d’extinction de la sanction CHAPITRE 4

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BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE Ouvrages de droit pénal général — Bernardini (R.), Droit criminel, Vol. 1 : Eléments préliminaires, Vol. 2 : L’infraction et la responsabilité, Larcier, coll. Masters-droit — Bonfils (Ph.), Vergès (É.), Travaux dirigés de droit pénal et de procédure pénale, Litec, coll. Objectif Droit ñ Travaux dirigés — Bouloc (B.), Droit pénal général, Dalloz, coll. Précis — Conte (Ph.) et Maistre de Chambon (P.), Droit pénal général, Armand Colin — Desportes (F.) et Le Gunehec (F.), Droit pénal général, Économica, coll. CorpusDroit privé — Dreyer (E.), Droit pénal général, Litec, coll. Manuel — Garé (Th.), Ginestet (C.), Droit pénal et procédure pénale, Dalloz, coll. Hypercours — Jacopin (S.), Droit pénal général, coll. Bréal, Grand Amphi — Kolb (P.), Leturmy (L.), Droit pénal général, Lextenso, Gualino, coll. Manuels — Kolb (P.), Leturmy (L.), Droit pénal général, Lextenso, Gualino, coll. Mémentos LMD — Larguier (J.), Conte (Ph.), Maistre de Chambon (P.) Droit pénal général, Dalloz, coll. Mémento — Leroy (J.), Droit pénal général, LGDJ, coll. Manuel — Mayaud (Y.), Droit pénal général, PUF, coll. Droit fondamental — Merle (R.) et Vitu (A.), Traité de droit criminel, Tome 1 : Problèmes généraux de la science criminelle – Droit pénal général, Cujas — Paulin (C.), Droit pénal général, Litec, coll. Objectif Droit ñ Cours — Pin (X.), Droit pénal général, Dalloz, coll. Cours — Pradel (J.), Droit pénal général, Cujas — Pradel (J.), Varinard (A.), Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, coll. Grands arrêts — Rassat (M. L.), Droit pénal général, Ellipses — Robert (J.-H.), Droit pénal général, PUF, collection Thémis — Salvage (Ph.), Droit pénal général, Presses universitaires de Grenoble — Soyer (J. C.), Droit pénal et procédure pénale, LGDJ, coll. Manuel

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399



INDEX A Acte préparatoire 138 Affichage de la condamnation 291 Aide ou assistance 199 Ajournement - avec injonction 298 - avec mise à l’épreuve 297 - définition 296 - simple 297 Aliénation (Voir Trouble psychique ou neuropsychique) Amende 258, 259, 261, 274 - forfaitaire 103, 310, 380 - personnes morales 263, 266 - proportionnelle 275 - recouvrement 380 Amende administrative (Voir Sanctions extra-pénales) Amnistie 391 Ancel, Marc 17 Ancien Régime 18, 27 Annulation du permis de conduire 290 Application de la loi pénale - dans l’espace 85 - dans le temps 71, 132, 134 Application immédiate 82 Appréciation de validité des actes administratifs (Voir Exception d’illégalité) Arrêté 45, 47 Association de malfaiteurs 116, 192 Astreinte 280, 298 Auteur 192 Autonomie (du droit pénal) 12 Autorisation - de la loi 230, 232 - de sortie sous escorte 362 Autorité administrative indépendante 249 Autorité de la chose jugée (Voir Non bis in idem)

B Bande organisée 112, 149, 191 LARCIER

Conseil constitutionnel 29, 31, 38, 40, 57, 73, 83, 171, 250, 254 C - article 54 de la Constitution 57 Casier judiciaire 320 - article 61 de la Constitution Causalité adéquate 135 53 Cautionnement 381 Consentement de la victime Centre 244 - de détention 358 Contrainte 215 - de semi-liberté 358 - judiciaire 382 - éducatif fermé 337 - par corps 83, 382 - pénitentiaire 358 Contravention - pour peines aménagées 358 - définition 99, 104 Chambre de l’application des - élément moral 165 - peines 261 peines de la cour d’appel Contravention (peines) (Voir 352 Peines) Chèques 291 Circonstance aggravante 123, Contrôle de constitutionnalité (Voir Conseil 148, 306 constitutionnel) Circonstances atténuantes 309 Classification des infractions 99 Convention européenne des droits de l’homme 13, 29, Coaction 193 30, 32, 35, 61, 63, 72, 83, Code de justice militaire 109 165, 171, 250, 267, 268, Code pénal 271, 280, 359 - ancien 19 Correctionnalisation 78, 101 - nouveau 21 Cour Collectivités d’outre-mer 87 - de justice de l’Union euroCommandement de l’autorité péenne 62, 251 légitime 230, 235 - de justice des Communautés Commencement d’exécution européennes 61 - européenne des droits de 138 l’homme 63 Commission Cour d’assises 102 - infraction de 128 - spécialement composée 107, - par omission 128 110, 116 Comparution immédiate 103, Cour de justice de la 108 République 107 Complicité 90, 194 Coutume 43, 234 - de complicité 203 Crime - de tentative 197 - définition 99 - indirecte 203 - élément moral 164 - inefficace 203 - peines 258 Concours Crime (peines) (Voir Peines) - idéal de qualifications 124 Criminalistique 14 - réel d’infractions 124, 312, Criminalité organisée 112 321 Criminologie 14 Confiscation 277 Culpabilité 209 Conflit de lois dans le temps Cumul des peines 302 72 - en cas de concours d’infractions 322 Confusion des peines 326 Bannissement 270 Beccaria, César de 15, 27

INDEX

401


D Décès du condamné 385 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 18, 27, 53, 73, 267 Décret - en Conseil d’État 45, 47 - simple 45, 47 Décret-loi 38, 44 Défense sociale nouvelle 17 Dégradation civique 289 Délégation de pouvoirs 175, 188 Délit - définition 99 - élément moral 164 - obstacle 127, 137, 162 - peines 259 Délit (peines) (Voir Peines) Démence (Voir Trouble psychique ou neuropsychique) Départements d’outre-mer 87 Désistement 140 Destitution 109 Détention - criminelle 100, 105, 108, 258, 269, 311 - provisoire 103, 117 Diffusion de la condamnation 291 Diminution de peine (Voir Réduction de peine) Directive de l’Union européenne 59 Dispense de peine 114, 294, 298 Dissolution 264 Dol 146 - aggravé 149 - déterminé 150 - præterintentionnel 151 Droit de l’Union européenne 49, 58, 63, 251 Droit international - pénal 14 - primauté 56 - rôle dans la définition des infractions 48 Droit pénal - comparé 14 - définition 9 - général 13

402

INDEX

- international 14 - spécial 13

E Eaux intérieures 88 Emprisonnement 100, 259, 269 Enregistrement de communications 114 Entrée en vigueur des lois et règlements 71 Équivalence des conditions 135 Erreur de droit 218 Établissements pénitentiaires 357 État de nécessité 241 Euro(s) 78 Euthanasie 246 Exception 66 - d’illégalité 67 - non-conformité à un texte international 57 Exclusion des marchés publics 289 Exécution - des peines 347 - par provision 340 Exemption de peine (Voir Dispense de peine) Expulsion 271 Extinction - de la condamnation 391 - de la peine 385 Extradition 94, 106, 108, 111

F Fait justificatif 209, 230 Faute 145 - caractérisée 136, 155, 190 - d’un tiers 135, 174 - de la victime 135, 174 - personnes morales 187 Fermeture d’établissement 249, 288 Fixation d’images 114 Fonds de garantie 118 Force majeure (Voir Contrainte) Fourniture de moyens 199 Fractionnement 341, 354, 363

G Garde à vue 114 Grâce 354, 378, 388 Guet-apens 306

H Haute Cour 109 Haute mer 88 Hiérarchie des normes 53

I Imprescriptibilité 386 Imprudence 152, 173 Imputabilité 209 In rem (saisine) 121 Incapacité professionnelle 253 Incrimination 39 - par renvoi 40 Incrimination 10 Individualisation de la peine 24, 41, 293, 299, 329, 353, 360 Infiltration 113, 232 Inflation législative 39 Infraction - collective 191 - complexe 133 - connexe 106 - consommée 128, 137 - continue 131 - continuée 131 - d’habitude 133 - de presse 104, 121, 172 - formelle 136, 141 - impossible 142 - instantanée 131 - intentionnelle 145 - manquée 142 - matérielle 134 - militaire 109 - non intentionnelle 151 - permanente 131 - politique 105 - simple 133 - successive 131 Infraction 10 Injonction 298 - ajournement 298 - de soins 284, 372 Instigation 201 Instruction préparatoire 103 Instructions 202 Intention 146 Droit pénal général


- dans la complicité 204 - dans la tentative 138 Interception de communications 114 Interconnexion des casiers judiciaires nationaux 321 Interdiction - d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement 291 - de quitter le territoire de la République française 274 - de séjour 270 - des droits civiques, civils et de famille 253, 289 - du territoire français 271 - légale 289 - professionnelle 253, 288 Interprétation - analogique 35 - des actes administratifs 68 - des traités 57 - littérale 36 - stricte de la loi pénale 34 - téléologique 36 Irresponsabilité (causes d’) 209

J Journal officiel 71 Jours-amendes 275 Juge - de l’application des peines 349, 360 - des enfants 353 - unique (tribunal correctionnel siégeant à) 104 Juridiction - de l’application des peines 348 - de proximité 102 - des forces armées 107, 110 - interrégionales 113

L Légalité (principe de) 27 Légitime défense 237 Libération conditionnelle 370 Lien de causalité 135 Loi 37, 44 - d’adaptation 21, 165 - d’amnistie 391 - déclarative 76 - imparfaite 36 LARCIER

- interprétative 76 Loi plus douce (Voir Rétroactivité de la loi pénale plus douce) Lumières (philosophie des) 15

M Maison - centrale 358 - d’arrêt 357 Mer territoriale 88 Mesures - de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation 225 - de sûreté 76, 214, 251 Militaire (Voir Infraction militaire) Mineurs - peines 223, 307 - responsabilité 221 Ministère public 120, 348 Minorité (Voir Mineurs) Mise à l’épreuve - ajournement 297 - sursis 334 Mise en danger délibérée de la personne d’autrui 159 Mobile politique 106 Mobiles 147 Mort civile 289 Motivation 300

N NATINF 98 Négligence 173 Néoclassiques 16 Non bis in idem 121, 124, 132 Non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère 72 Nullum crimen nulla poena sine lege 30

O Obligation de faire - infractions 129 - peines 279 Omission (infraction d’) 129 Ordonnance - article 38 de la Constitution 39, 44 - article 92 de la Constitution 45

- pénale 103 Ordre - de la loi 230 - manifestement illégal 235

P Parquet (Voir Ministère public) Peine - de mort 268 - incompressible 378, 379 Peines - accessoires 76, 253 - contraventionnelles 100 - corporelles 267 - correctionnelles 100 - criminelles 100 - cumul 302 - définition 249, 251 - échelle des 257 - personnes morales 263 - plancher 310, 316 - privatives ou restrictives de droits 287 - restrictives de liberté 270 Peines alternatives - définition 255 - en matière contraventionnelle 261 - en matière correctionnelle 259 - personnes morales 266 Peines complémentaires - définition 256 - en matière contraventionnelle 262 - en matière correctionnelle 261 - en matière criminelle 258 - personnes morales 266 Peines principales - définition 255 - en matière contraventionnelle 261 - en matière correctionnelle 259 - en matière criminelle 258 - personnes morales 263, 266 Peines privatives de liberté - définition 269 - régime d’exécution 356 Pénalité par référence 41 Pénologie 14 INDEX

403


Période de sûreté 83, 345, 376 Permis - à points 291 - de conduire 290 Permission - de la loi (Voir Autorisation de la loi) - de sortir 362 Perquisition 114 Personnalisation de la peine (Voir Individualisation de la peine) Personnalité (compétence personnelle de la loi pénale) 86, 91 Placement - à l’extérieur 342 - à l’extérieur sans surveillance 363 - à l’extérieur sous surveillance 362 - sous surveillance électronique 344, 373 - sous surveillance électronique mobile 282, 369, 372 Politique (Voir Infraction politique) Politique criminelle 14 Positivistes 16 Prescription - de l’action publique 84, 104, 118, 132, 134 - de la peine 84, 102, 118, 386 Président de la République (responsabilité du) 108 Présomptions légales de responsabilité 170 Presse (Voir Infraction de presse) Principe - de spécialité 185 Principe de légalité (Voir Légalité) Principes généraux de droit de l’Union européenne 251 Privilège général 381 Procédure pénale 13 Provocation 201 - non suivie d’effet 197 Publication des lois et règlements 71

404

INDEX

Q Qualification des faits 33, 119

R Réalité (compétence réelle de la loi pénale) 86, 93 Récidive 312 Réciprocité législative 90, 91 Réclusion criminelle 100, 258, 269, 311 Reconduite à la frontière 271 Recours - en manquement 62 - pour excès de pouvoir 66 Réduction de peine 114 - à exécuter 365 - encourue 307 - mineurs 229 Régime pénitentiaire 357 Règlement 37, 45 - autonome 45, 46 - d’application 45 - de l’Union européenne 49, 59 Réhabilitation 394 Relèvement 342, 355, 389 Renvoi préjudiciel 61 Repenti(s) 295, 367 Repentir actif 140 Requalification 120 Responsabilité - collective 170 - des dirigeants 171, 180 - des personnes morales 179 - du fait d’autrui 170 - personnelle 169, 191 Résultat 134 Rétention de sûreté 252 Retraits de points 291 Rétroactivité - de la loi pénale plus douce 72 - in mitius 73 Réunion 191 Révolution française 18 Risques causés à autrui 162

S Sanction-réparation 260, 262, 265, 266, 276 Sanctions

- éducatives 226 - extra-pénales 181, 249, 327 - pénales (Voir Peines) Semi-liberté 342, 364 Séparation des pouvoirs 28, 58 Solidarité 382 Sonorisation 114 Sources du droit pénal 43 Spécialité (Voir Principe de spécialité) Stage - de citoyenneté 286 - de formation civique 226 - de responsabilité parentale 286 - de sensibilisation à la sécurité routière 285 - de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants 286 Suivi sociojudiciaire 281 Sursis - assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général 338 - avec mise à l’épreuve 334 - définition 329 - simple 331 Surveillance de sûreté 253 Surveillance électronique (Voir Placement sous surveillance électronique) Surveillance électronique mobile (Voir Placement sous surveillance électronique mobile) Surveillance judiciaire 368 - personnes morales 264 Suspension - de la peine 354, 363 - du permis de conduire 249, 290

T Tentative 137 - de complicité 197 Territoire français 87 Droit pénal général


Territorialité (compétence territoriale de la loi pénale) 85, 87 Terrorisme 115 Tolérance administrative 234 Traités internationaux 49 Travail carcéral 360 Travail d’intérêt général (TIG) - peine 279 - sursis 339

LARCIER

Tribunal - correctionnel 102 - de l’application des peines 351 - de police 102 - pour enfants 353 Tribunal aux armées 110 Trouble psychique ou neuropsychique 210

U Universalité (compétence universelle de la loi pénale) 86, 93 Utilitaristes 16

Z Zone économique exclusive 88

INDEX

405



TA B L E D E S M A T I È R E S

AVANT-PROPOS

5

INTRODUCTION

9

Définition du droit pénal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’objet du droit pénal Les fonctions du droit pénal La fonction répressive La fonction utilitaire La fonction resocialisante Les caractères du droit pénal Le droit pénal est autonome Le droit pénal est évolutif Les branches du droit pénal Le droit pénal de fond Le droit pénal de forme Les disciplines criminelles spécialisées La dimension internationale du droit pénal L’extension du champ de recherches

Section I §1 §2 A B C §3 A B §4 A B C D E

Histoire du droit pénal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’évolution des idées pénales La philosophie des Lumières L’école néoclassique L’école positiviste La doctrine de la défense sociale nouvelle L’évolution du droit positif français Le droit pénal français jusqu’aux Codes napoléoniens (1810) Le droit pénal français sous le Code pénal de 1810 Le nouveau Code pénal

9 9 10 10 11 11 11 11 12 13 13 13 14 14 14

Section II

15

§1

15 15 16 16 17

A B C D §2 A B C

17 18 19 21

PARTIE I

La norme pénale CHAPITRE 1

Le principe de légalité des délits et des peines

27

Historique et justifications du principe de légalité . . . . . . . . . . . . . . . . Origine du principe de légalité Justifications du principe de légalité Affirmations contemporaines et valeur du principe de légalité Valeur constitutionnelle

Section I

27

§1

27

§2 §3 A LARCIER

28 28 28

TABLE DES MATIÈRES

407


Valeur universelle Dans le Code pénal

29 29

S e c ti o n I I

Les conséquences du principe de légalité criminelle . . . . . . . . . . . . . . L’exigence d’un texte Pas d’infraction, pas de peine sans texte L’exigence de précision L’encadrement de la fonction du juge pénal L’interdiction faite au juge pénal de créer des infractions ou des peines L’interprétation stricte de la loi pénale

29

§1

30

Altération du principe de légalité criminelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Altération du principe de légalité quant au texte L’affirmation d’une compétence réglementaire autonome en matière pénale La délégation des pouvoirs législatifs au gouvernement L’inflation législative Altération du principe de légalité quant à l’incrimination La technique de « l’article balai » L’incrimination par renvoi L’incrimination large Altération du principe de légalité quant à la peine La technique de la pénalité par référence L’individualisation des peines

37

B C

A B §2 A B

S e c ti o n I I I §1 A B C §2 A B C §3 A B

30 30 33 33 34 37 37 38 39 39 39 40 40 41 41 41

C H A PI T R E 1

Les sources du droit pénal

43

La loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La loi au sens strict Les textes assimilés aux lois

S e c ti o n I

44

§1

44

§2

Le règlement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Recensement des actes réglementaires Le rôle du règlement en droit pénal La compétence déléguée et résiduelle du règlement en matière criminelle et délictuelle La compétence autonome du règlement en matière contraventionnelle

44

S e c ti o n I I

45

§1

45

§2 A B

Les textes internationaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La définition d’obligations et d’interdictions La définition de normes minimales de droit pénal

S e c ti o n I I I §1 §2

46 46 46 48 48 50

C H A PI T R E 1

Le contrôle de validité de la norme pénale Le contrôle de constitutionnalité des lois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’étendue du contrôle de constitutionnalité Les modalités du contrôle de constitutionnalité Le contrôle de constitutionnalité a priori des lois Le contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois

S e c ti o n I

53

§1

53

§2 A B

408

53

Le contrôle des normes pénales au regard du droit international. . . . . Le contrôle du juge pénal français

54 55 55

S e c ti o n I I

56

§1

56

TABLE DES MATIÈRES

Droit pénal général


A B §2 A B

L’étendue de la compétence des juges ordinaires Les principaux textes internationaux invoqués

56

Le contrôle du juge international Le contrôle du juge communautaire Le contrôle du juge conventionnel

62

Le contrôle des actes administratifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La distinction entre l’action et l’exception Le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif L’exception d’illégalité devant le juge répressif

65

58 62 63

Section III §1 §2 §3

66 66 67

CHAPITRE 1

Le champ d’application de la norme pénale

71

Section I

Le champ d’application de la loi pénale dans le temps . . . . . . . . . . . . Les lois pénales de fond Deux principes d’égale valeur : la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et la rétroactivité de la loi pénale plus douce Appréciation du caractère plus doux ou plus sévère de la nouvelle norme pénale Les lois pénales de forme Signification de l’application immédiate Le champ d’application des différentes lois de forme

71

§1

72

Section II

85

§1

Le champ d’application de la loi pénale dans l’espace. . . . . . . . . . . . . L’infraction est commise en France Détermination du territoire français La localisation du lieu de commission de l’infraction : le rattachement de l’infraction au territoire français L’infraction est commise à l’étranger Compétence personnelle Compétence réelle Compétence universelle Compétence pour juger l’étranger dont l’extradition a été refusée

87

A B §2 A B

A B §2 A B C D

73 77 81 82 82

87 89 91 91 93 93 94

PA R T I E I I

L’infraction pénale CHAPITRE 1

Les classifications des infractions La distinction fondée sur la gravité de l’infraction : la classification tripartite des infractions Le critère de distinction : la peine Les conséquences de la distinction Conséquences quant à l’incrimination Conséquences quant à la peine Conséquences quant à la procédure Existence de sous-catégories

99

Section I §1 §2 A B C §3 LARCIER

99 99 101 101 102 102 104 TABLE DES MATIÈRES

409


Les distinctions fondées sur la nature de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . Les infractions politiques Définition des infractions politiques Les conséquences de la distinction Les infractions militaires Définition de l’infraction militaire Les conséquences de la distinction La criminalité organisée et le terrorisme La criminalité organisée Les infractions terroristes

S e c ti o n I I

104

§1

105

A B §2 A B §3 A B

105 107 109 110 110 111 112 115

C H A PI T R E 1

L’élément légal : la qualification des faits

119

Les modalités de la qualification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La qualification s’apprécie au temps de l’action La requalification des faits par le juge Le principe La limite Les exceptions L’impossibilité de poursuivre les mêmes faits, après jugement, sous une autre qualification

S e c ti o n I

119

§1

119

§2 A B C §3

Le choix de la qualification en cas de conflit de textes. . . . . . . . . . . . . Les conflits apparents de qualifications Les qualifications alternatives Les qualifications incompatibles Le concours idéal de qualifications Distinction entre le concours réel d’infractions et le concours idéal de qualifications Régime du concours idéal de qualifications

120 120 121 121 121

S e c ti o n I I

122

§1

122

A B §2 A B

122 123 124 124 124

C H A PI T R E 1

L’élément matériel de l’infraction

S e c ti o n I

L’infraction consommée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le mode de réalisation de l’infraction La nature du fait matériel La durée de réalisation de l’infraction Unicité et pluralité d’actes Le résultat Les infractions matérielles Les infractions formelles

128

§1

128

S e c ti o n I I

137

§1

L’infraction inachevée : la tentative. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les éléments de la tentative Le commencement d’exécution L’absence de désistement volontaire La répression de la tentative La nature de l’infraction tentée : un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit La sanction de la tentative punissable

138

A B C §2 A B

A B §2 A B

410

127

TABLE DES MATIÈRES

128 131 133 134 134 136

138 140 143 144 144

Droit pénal général


CHAPITRE 1

L’élément moral de l’infraction

145

Définition des différentes fautes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La faute dans les infractions intentionnelles La notion de dol La distinction entre l’intention et les mobiles Le dol aggravé : la préméditation Dol déterminé, indéterminé et præterintentionnel La faute dans les infractions non intentionnelles La faute d’imprudence ou de négligence La faute de mise en danger délibérée de la personne d’autrui La faute contraventionnelle

Section I

145

§1

145 146 147 149 150

A B C D §2 A B C

Section II

Domaines respectifs des différentes fautes au regard de la classification tripartite des infractions

151 152 159 163 164

PARTIE III

La responsabilité pénale CHAPITRE 1

Le principe de la responsabilité pénale du fait personnel

169

Exposé du principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Affirmation de la responsabilité personnelle Signification de la responsabilité personnelle

Section I

169

§1

169

§2

La responsabilité pénale des dirigeants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Domaine de la responsabilité des dirigeants Principales dispositions prévoyant la responsabilité pénale des chefs d’entreprise Extension jurisprudentielle de la responsabilité pénale des dirigeants Justification de la responsabilité pénale des dirigeants Condition de la responsabilité pénale des chefs d’entreprise : l’absence de délégation de pouvoirs Conditions d’une délégation valable Domaine de la délégation Effets d’une délégation valable

170

Section II

171

§1

172 172 172

A B §2 §3 A B C

173 175 175 176 176

CHAPITRE 1

La responsabilité pénale des personnes morales

179

Pourquoi admettre la responsabilité pénale des personnes morales ? D’un point de vue théorique, il est possible de sanctionner une personne morale en raison de sa propre activité criminelle D’un point de vue pratique, de nombreuses infractions sont commises par les personnes morales En réalité, les personnes morales faisaient déjà l’objet d’une répression Admission exceptionnelle de la responsabilité pénale des personnes morales Sanctions administratives à l’encontre des personnes morales

Section I §1 §2 §3 A B LARCIER

179 179 180 181 181 181

TABLE DES MATIÈRES

411


Le domaine de la responsabilité pénale des personnes morales Les personnes morales pénalement responsables Les personnes morales de droit privé Les personnes morales de droit public Les personnes morales étrangères Les infractions pour lesquelles les personnes morales peuvent être pénalement responsables

S e c ti o n I I §1 A B C §2

Conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales Les personnes morales ne sont responsables que par l’intermédiaire de leurs organes ou représentants La faute Les organes et représentants Les personnes morales ne sont responsables pénalement que des infractions commises pour leur compte Sort de la responsabilité pénale des personnes physiques

182 182 182 183 184 185

S e c ti o n I I I §1 A B §2 §3

186 187 187 188 189 190

C H A PI T R E 1

La mise en jeu de la responsabilité pénale

191

L’auteur de l’infraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Définition de l’auteur La coaction

S e c ti o n I

192

§1

192

§2

La complicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les conditions de la complicité Le fait principal doit être punissable Un acte matériel de complicité Le caractère intentionnel de la participation du complice Répression de la complicité Principe : le complice est puni « comme auteur » de l’infraction Difficultés d’application du principe

193

S e c ti o n I I

194

§1

194 195 198 203

A B C §2 A B

205 205 206

C H A PI T R E 1

Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité

S e c ti o n I

210

§1

210 210 211 213

A B C §2 A B §3 A B §4

412

Les causes de non-imputabilité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le trouble psychique ou neuropsychique Définition du trouble psychique ou neuropsychique Conditions d’admission du trouble mental sur le terrain de la responsabilité Effets du trouble mental sur la responsabilité La contrainte Origines de la contrainte Caractères de la contrainte L’erreur de droit Justification classique de la non-admission de l’erreur de droit Conditions d’admission de l’erreur de droit La minorité

209

TABLE DES MATIÈRES

215 215 217 218 218 219 221

Droit pénal général


A B

La responsabilité pénale du mineur : la question du discernement Les mesures, sanctions et peines applicables au mineur pénalement responsable

222 223

Les faits justificatifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’ordre de la loi, l’autorisation de la loi et le commandement de l’autorité légitime L’ordre ou l’autorisation de la loi ou du règlement Le commandement de l’autorité légitime La légitime défense Les conditions de la légitime défense La preuve de la légitime défense État de nécessité Définition Conditions de l’admission de l’état de nécessité sur le terrain de la responsabilité pénale Le problème du consentement de la victime Cas dans lesquels le consentement empêche la constitution de l’infraction L’exclusion du consentement de la victime de la catégorie des faits justificatifs

230

Section II §1 A B §2 A B §3 A B §4 A B

230 231 235 237 237 241 241 242 243 244 244 245

PARTIE IV

La sanction pénale CHAPITRE 1

Les sanctions pénales encourues

249

Peines et notions voisines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Peines et sanctions non pénales Les sanctions extra-pénales La soumission des sanctions à un droit commun Les mesures de sûreté Les peines accessoires

Section I

249

§1

249 249 250

A B §2 §3

Les peines mises à la disposition du juge. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Peines principales, alternatives, et complémentaires Les peines principales Les peines alternatives Les peines complémentaires L’échelle des peines Les peines applicables aux personnes physiques Les peines applicables aux personnes morales

251 253

Section II

255

§1

255

A B C §2 A B

Contenu des peines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Disparition des peines portant atteinte à l’intégrité corporelle ou à la vie Les peines corporelles La peine de mort Les peines portant atteinte à la liberté d’aller et venir Les peines privatives de liberté Les peines restrictives de liberté Les peines portant atteinte au patrimoine L’amende

Section III §1 A B §2 A B §3 A LARCIER

255 255 256 257 258 263 267 267 267 268 269 269 270 274 274

TABLE DES MATIÈRES

413


B C D §4 A B C D §5 A B C D §6

La peine de jours-amendes La sanction-réparation La confiscation

275 276 277

Les peines portant obligation de faire Le travail d’intérêt général Obligations ayant pour objet de faire cesser le trouble causé par l’infraction Le suivi sociojudiciaire L’obligation d’accomplir un stage Les peines portant atteintes aux droits Les privations ou restrictions du droit d’exercer une activité professionnelle La privation de droits civiques, civils et de famille Les peines affectant l’usage d’un véhicule automobile L’interdiction d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement Les peines portant atteinte à la réputation

279 279 280 281 285 287 287 289 290 291 291

C H A PI T R E 1

La sanction pénale prononcée

293

La sanction pénale inutile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les obstacles légaux au prononcé d’une sanction : les causes légales d’exemption de peine § 2 L’opportunité laissée au juge de prononcer une sanction : ajournement et dispense de peine A Le report du prononcé de la sanction : l’ajournement B La dispense de peine (article 132-59 du Code pénal) S e c ti o n I I La détermination par le juge de la sanction à prononcer . . . . . . . . . . . § 1 Limite générale à l’individualisation de la peine par le juge A Critères du choix de la sanction B Motivation spéciale de certains choix § 2 Détermination de la nature de la sanction (principes gouvernant le cumul des peines) A Peines pouvant être prononcées à l’égard des personnes physiques B Peines pouvant être prononcées à l’égard des personnes morales § 3 Détermination du taux (durée ou montant) de la sanction A Les contraintes légales : causes légales d’aggravation ou de diminution de la peine encourue B Latitude du juge dans le choix du taux de la peine S e c ti o n I I I Règles particulières en cas de pluralité d’infractions . . . . . . . . . . . . . . § 1 La récidive A Cas de récidive organisés par le Code pénal B Cas spéciaux de récidive C Preuve de la récidive § 2 Le concours réel d’infractions A Définition des notions de base B Règles applicables en cas de poursuite unique C Règles applicables en cas de poursuites séparées D Exceptions aux règles générales § 3 La réitération

294

S e c ti o n I §1

414

TABLE DES MATIÈRES

294 296 296 298 299 299 299 300 302 302 305 305 305 309 312 312 313 319 320 321 322 323 325 327 328

Droit pénal général


Personnalisation de l’exécution de la sanction par la juridiction de jugement La suspension conditionnelle de l’exécution de la sanction : les sursis Présentation de la technique du sursis Le sursis simple (articles 132-29 à 132-39 du Code pénal) Le sursis avec mise à l’épreuve (articles 132-40 à 132-53 du Code pénal) Le sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général (articles 132-54 à 132-57 du Code pénal) La détermination par le juge du moment de l’exécution de la sanction L’exécution par provision Le fractionnement (articles 132-27 et 132-28 du Code pénal) Le relèvement immédiat (article 132-21 alinéa 2 du Code pénal) La détermination par le jugedes modalités d’exécution de la sanction La semi-liberté et le placement à l’extérieur (articles 132-25 et 132-26 du Code pénal) Le placement sous surveillance électronique (article 132-26-1 du Code pénal) La période de sûreté (article 132-23 du Code pénal)

Section IV §1 A B C D §2 A B C §3 A B C

329 329 329 331 334 338 340 340 341 342 342 342 344 345

CHAPITRE 1

La sanction pénale exécutée

347

Aperçu général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les autorités en charge de l’exécution des peines Le ministère public Les juridictions de l’application des peines Personnalisation de la sanction en cours d’exécution La grâce présidentielle La suspension et le fractionnement Le relèvement Sanction de l’inexécution de la peine

Section I

348

§1

348 348 348

A B §2 A B C §3

L’exécution des peines privatives de liberté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le régime pénitentiaire A Le lieu d’incarcération B La vie carcérale § 2 Individualisation de la peine privative de liberté pendant son exécution A Mesures permettant la sortie temporaire de l’établissement pénitentiaire B Mesures permettant un retour anticipé à la liberté C La période de sûreté S e c t i o n I I I L’exécution de l’amende . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 1 Les modalités de recouvrement § 2 Les garanties de recouvrement A Aperçu des diverses garanties de recouvrement B La contrainte judiciaire

353 354 354 355 355

Section II

356

§1

357 357 359 360 362 365 376 379 380 381 381 382

CHAPITRE 1

Les causes d’extinction de la sanction Les causes d’extinction de la peine laissant subsister la condamnation Le décès du condamné

385

Section I §1 LARCIER

385 385 TABLE DES MATIÈRES

415


La prescription de la peine Domaine de la prescription B Délais de prescription C Effets de la prescription § 3 La grâce A Conditions de la grâce B Procédure de la grâce C Effets de la grâce § 4 Le relèvement A Le relèvement instantané B Le relèvement différé C Effets du relèvement S e c ti o n I I Les causes d’extinction de la condamnation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 1 L’amnistie A Domaine de l’amnistie B Effets de l’amnistie § 2 La réhabilitation A Réhabilitation judiciaire B Réhabilitation légale C Effets de la réhabilitation D Ouvrages de droit pénal général

386 386 386 387

Bibliographie générale

399

Index

401

§2

A

416

TABLE DES MATIÈRES

388 388 389 389 389 390 390 391 391 391 391 392 394 394 395 396 399

Droit pénal général


L’application des textes est illustrée par des exemples, avec les références jurisprudentielles les plus récentes. L’index facilite recherches et vérifications.

Droit pénal général

Clair et précis, ce manuel prend en compte l’influence du droit international (Convention européenne des droits de l’homme, droit de l’Union européenne, etc.) et du droit constitutionnel.

La norme pénale L’infraction pénale La responsabilité pénale La sanction pénale

À jour en mars 2013 avec :

• l’arrêté du 18 mars 2013 mettant fin à l’expérimentation des tribunaux correctionnels dans leur formation citoyenne ;

• la loi du 24 décembre 2012 relative aux juridictions de proximité ; • loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ;

• la loi du 27 mars 2012 « de programmation relative à l’exécution des peines » ;

• la loi du 26 décembre 2011 visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants ;

• la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles ;

la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs ;

• les grandes décisions QPC rendues par le Conseil constitutionnel et

• les arrêts importants prononcés par la chambre criminelle de la

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MANUEL

DROPENGENE ISBN 978-2-35020-951-7

18 e édition

Cour de cassation.


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