Emile & Ferdinand n°7 (2014-5)

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Emile& Ferdinand Gazette du

Octobre 2014 | N°7 Bimestriel gratuit Bureau de dépôt : 3000 Leuven Masspost | P-916169

Actu

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Alain Strowel À propos de l’arrêt Google de la Cour de justice

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Le “droit à l’oubli” : mal nommé, mal défini, mais bienvenu”

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arte blanche C Emmanuel Pierrat Le livre à prix unique version Amazon

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ctu A Alain Bensoussan Le Droit des robots – mythe ou réalité ?

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P ortrait Stéphane Boonen Le nouveau bâtonnier de Bruxelles

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3 questions à … Geoffrey Willems Assistant en méthodologie juridique

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Hommage Joël Hubin nous parle de son ami Michel Dumont

Et aussi

 Les dates à ne pas manquer  Les Minimes exposent

...


ÉDITO

Joyeux anniversaire ,

Émile & Ferdinand! La Gazette du Groupe Larcier vient de fêter sa première année d’existence !

colophon

Coïncidence éditoriale heureuse, puisque cet anniversaire va de pair avec le lancement de la nouvelle version de notre base de données juridique Strada lex. Cette rentrée académique et judiciaire 2014 marque une étape importante de l’aventure numérique dans laquelle le Groupe Larcier s’est lancé depuis plusieurs années. Focus sur les points forts de Strada lex et l’édition multimédia avec Marc-Olivier Lifrange.

Rédacteur en chef Élisabeth Courtens Secrétaire de rédaction Anne-Laure Bastin Équipe rédactionnelle Anne-Laure Bastin, Élisabeth Courtens, Charlotte Claes et Muriel Devillers Lay-out Julie-Cerise Moers (Cerise.be) Dessins Johan De Moor © Groupe Larcier s.a. Éditeur responsable Marc-Olivier Lifrange, directeur général Groupe Larcier s.a. rue des Minimes 39 – 1000 Bruxelles Les envois destinés à la rédaction sont à adresser par voie électronique à emileetferdinand@larciergroup.com

Cette gazette est la vôtre !

Marc-Olivier Lifrange

N’hésitez pas à proposer des articles, à formuler des suggestions, à réagir aux articles publiés et, ainsi, à faire évoluer et faire grandir Émile & Ferdinand. Adressez-nous vos messages à l’adresse suivante :

emileetferdinand@larciergroup.com

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CEO Larcier Group

Comment un groupe d’édition qui rassemble des marques âgées de plus de 175 ans a entrepris le tournant numérique ? Une nécessité de survie ?

Marc-Olivier Lifrange : L’édition est un métier qui, à l’instar de beaucoup d’autres, n’a cessé d’évoluer. Ce qui est remarquable dans le nôtre, c’est la vitesse à laquelle ces changements ont été opérés en à peine vingt ans. Pour répondre à cette question, l’important est de revenir à l’un des fondamentaux de l’édition, à savoir la communication de savoirs. Partant de là, l’édition multimédia est une évidence. Cette entrée dans le numérique, notre Groupe la doit à Christian De Boeck et à Georges Hoyos, lorsqu’ils ont créé il y a plus de quinze ans une filiale informatique, DBIT. Cette filiale se sera concentrée, dans un premier temps, sur la structuration de contenus dont certains


ÉDITO

Nul n’est censé ignorer Strada lex

“J’ai toujours rêvé d’apprendre à faire des avions avec tous ces papiers qui encombrent mon bureau. Grâce à la nouvelle version de Strada lex, j’ai enfin le temps pour ça. ”

étaient alors sur… microfilm ! L’aventure des bases de données a réellement débuté en 2003 par l’acquisition de FiscalNet, créée par Émile Masset. Strada lex sera lancée en 2004, suivie de SocialWeb en 2005 et de ComptAccount en 2007. Le numérique représente aujourd’hui plus du tiers de notre activité. C’est une évolution intéressante sur une si petite période. C’est dans le même esprit de communication de savoirs que le Groupe Larcier a développé il y a maintenant quatre ans une activité de formation. Strada lex intègre plus de 3 millions de documents. Comment cette quantité est-elle organisée et gérée ? L’un des piliers de Strada lex est de refléter la bibliothèque de nos clients. Strada lex intègre les différents ouvrages et revues édités par Larcier, Bruylant et Promoculture-Larcier, mais également ceux de nos partenaires éditeurs, ainsi que les sources officielles des pouvoirs publics. Avec des contenus aussi hétérogènes, l’accès à l’information est vital. C’est pourquoi nous avons récemment fait appel à une société externe pour nous aider à améliorer l’ergonomie de nos bases de données. Nous comptons également sur l’efficacité de notre moteur de recherche pour conduire nos clients aux résultats les plus pertinents. Le cross language, c’est-à-dire la traduction automatique des verbos dans l’autre langue nationale est un exemple parmi d’autres. L’autre grand défi était pour nous l’intégration de l’ensemble de l’offre législative du Groupe Larcier : les Codes Larcier bien entendu, mais également les Codes belges Bruylant, les Codes essentiels et thématiques Larcier, les Codes

Pour la campagne promotionnelle de lancement de la nouvelle version de Strada lex, le Groupe Larcier a fait appel au talent de l'illustrateur italien Ray Oranges, primé cette année à Cannes. en poche Bruylant… Nous devions être en mesure de présenter à l’utilisateur un seul texte législatif dans la liste de résultats le conduisant par des hyperliens aux commentaires et annotations des différents codes. C’est ce que nous appelons la législation multifacettes. Un éditeur classique collabore avec des correcteurs, des metteurs en page, des imprimeurs. Et pour un éditeur de bases de données, quels sont les partenaires privilégiés ? La plupart de nos partenaires « édition sous format imprimé » se retrouvent également impliqués dans l’édition numérique. En effet, il y a un tronc commun entre les deux supports. L’édition numérique nous a permis de poser des liens vers des éditeurs de logiciels (gestion de cabinets d’avocats, d’études notariales ou de dossiers pour juristes d’entreprise), permettant une meilleure intégration entre ces outils métiers et nos contenus.

Sans dévoiler des secrets professionnels, quels sont les prochaines évolutions possibles ? Bien que nous soyons une PME, les innovations du Groupe Larcier sont particulièrement nombreuses depuis dix ans. Strada lex se sera distinguée en étant la première, en Belgique, à accueillir successivement des revues, des monographies et des éditeurs partenaires. FiscalNet, ComptAccount et SocialWeb ont été les premières bases de données belges à être consultables tant sur smartphone que sur tablette. Au-delà de notre souci d’amélioration constante de l’accès à l’information, nous travaillons actuellement sur le lancement de bases de données destinées à d’autres marchés. Nous étudions en parallèle la numérisation de nos séminaires. J’entends par là l’accès en streaming, l’archivage des images et leur recherche via un moteur.

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Actu

Le “droit à l’oubli” mal nommé, mal défini, mais bienvenu À propos de l’arrêt Google de la Cour de justice En mai dernier, la Cour de justice de l’Union européenne rendait un arrêt Google sur le « droit à l’oubli ». Plutôt que d’en faire un commentaire détaillé, Alain Strowel analyse pour nous les enseignements à tirer de l’arrêt et sa mise en œuvre par Google. Risque-t-on un filtrage étendu des contenus en ligne au nom de la protection de la vie privée ?

Alain Strowel Professeur UCLouvain, Université Saint-Louis Bruxelles, Munich IP Law Center – Avocat

Le 13 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne rendait un arrêt Google sur le droit dit « à l’oubli »1. Un droit mal nommé : il ne s’agit en effet pas de taire des informations ou de couper dans des propos, seulement de cesser de les référencer parmi les résultats d’une recherche en ligne. Parler de « droit à l’oubli » évoque l’imposition du silence, donc 1

la censure. Du « droit à l’oubli » aux… oubliettes de l’histoire. On comprend la gêne causée par la consécration inattendue de ce droit par la Cour de justice et les réactions très négatives des médias. Parler de « droit au déréférencement ou au délistage » serait plus correct. Ce droit mal nommé reste, comme on le verra, mal défini, même s’il est bienvenu.

C.J.U.E. , 13 mai 2014, C-131/12 (Google Spain et Google Inc. c. AEPD et Mario Costeja González). Voy. les premières observations qu’E. Cruysmans et moi-même avons publiées : « Un droit à l’oubli face aux moteurs de recherche : droit applicable et responsabilité pour le référencement de données “inadéquates, non pertinentes ou excessives” », J.T., 2014, pp. 457-459. Le présent article reprend certains commentaires que j’avais ébauchés dans ces observations.

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Actu

On reviendra tout d’abord sur l’arrêt qui a propulsé ce « droit à l’oubli » dans l’actualité : plutôt que d’en faire un commentaire détaillé, il s’agira d’en tirer quelques enseignements. Ensuite, on verra ce qu’il faut penser de sa mise en œuvre par Google depuis mai 2014. Risque-t-on un filtrage étendu des contenus en ligne au nom de la protection de la vie privée ?

I. Une consécration forte du « droit à l’oubli » par la Cour de justice L’arrêt Google est un arrêt de principe, mais il doit néanmoins s’apprécier par rapport aux faits de l’espèce. Pour rappel : un ressortissant espagnol, M. Costeja González, se plaint de ce qu’une recherche sur Google à partir de son nom met en évidence deux pages du site du quotidien La Vanguardia parues en 1998, dans lesquelles il est nommément cité. Ces pages annonçaient une adjudication sur saisie immobilière dans le cadre d’une procédure en recouvrement de cotisations sociales. La publication de départ avait été imposée par le ministère espagnol du Travail et des Affaires sociales afin d’assurer la publicité de la vente publique. Dans une requête introduite auprès de l’Agence espagnole de protection des données à l’encontre notamment des sociétés Google établies en Espagne et aux États-Unis, M. Costeja González demande que Google supprime ou occulte ses données personnelles afin qu’elles n’apparaissent plus dans les résultats d’une recherche. Une pondération entre droits fondamentaux. Même s’il interprète des dispositions du droit européen dérivé en matière de données personnelles2, l’arrêt

se fonde avant tout sur une pondération entre droits fondamentaux. L’arrêt réaffirme les droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données personnelles (art. 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) face à la liberté d’expression (art. 11 de la Charte). En cela, l’arrêt Google est conforme à la jurisprudence, connue en droits belge et français des médias3, qui a dégagé le « droit à l’oubli » du droit à la vie privée (notamment de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme). C’est le droit pour une personne ordinaire d’obtenir de la presse, après l’écoulement d’une période de temps, qu’elle ne revienne pas sur des faits judiciaires déjà divulgués impliquant cette personne sans vie publique, sauf si la redivulgation de ces faits présente un intérêt contemporain pour le public. Tous les paramètres pour délimiter ce droit sont importants et se trouvaient réunis dans le cas Google en Espagne : des faits d’ordre judiciaire sont en cause (l’infor-

mation porte sur une adjudication forcée dans le cadre d’une procédure en recouvrement de dette) ; la divulgation initiale des faits dans le quotidien espagnol en ligne est licite (en l’espèce, elle avait même été imposée par une autorité judiciaire) ; il y a bien une redivulgation de l’information : elle se déduit de l’effet du moteur de recherche qui met « en une » des résultats une information qui, sinon, serait « invisible » sur la Toile ; un certain laps de temps (seize années) s’est écoulé entre la publication survenue en 1998 et l’arrêt de la Cour de justice ; les faits (en l’espèce, la vente forcée de biens afin de couvrir les dettes de M. Costeja González) n’ont pas de valeur historique, ils font au contraire partie des informations à valeur réduite et en tout cas éphémère ; la personne qui revendique n’a pas de vie publique et les informations la concernant sont donc dénuées de valeur durable.

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savoir la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard À du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, J.O., no L 281, p. 31. 3 A. STROWEL, « Le droit à l’oubli du condamné : après le moment du compte rendu, vient le temps du silence », in P. GÉRARD, F. OST, M. VAN DE KERCHOVE, L’accélération du temps juridique, Bruxelles, Publications des F.U.S.L., 2000, pp. 737 à 748. 2

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Actu

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Concernant ce dernier paramètre, la Cour souligne que le droit à la protection de la vie privée et le droit à la protection des données personnelles ne prévalent pas « s’il apparaî[t], pour des raisons particulières, telles que le rôle joué par ladite personne dans la vie publique, que l’ingérence dans ses droits fondamentaux est justifiée par l’intérêt prépondérant dudit public à avoir, du fait de cette inclusion, accès à l’information en question » (§ 97). Or M. Costeja González n’a joué aucun rôle public en Espagne. Réinterprétation du « droit à l’oubli » dans le contexte numérique. Le résultat de la pondération faite par la Cour à la lumière des droits fondamentaux est réfléchi à travers l’interprétation du droit dérivé européen, en particulier des articles 2, 12 et 14 de la directive 95/46/ CE précitée. Cette translation de la pondération dans le cadre et les termes du droit des données personnelles (notion de « traitement », « rectification », « responsable du traitement », etc.) n’est pas sans conséquence. Dans un paragraphe clé (§ 92), l’arrêt souligne que le « traitement » de données est incompatible

avec la directive lorsque les informations « sont inadéquates, non pertinentes ou excessives au regard des finalités du traitement ». Cette affirmation suggère que l’arrêt s’applique à d’autres données que des données judiciaires. La condition d’absence de caractère historique des données est aussi soulignée dans ce paragraphe 92. Le même paragraphe 92 ajoute que si la conservation « s’impose à des fins… statistiques ou scientifiques », le droit à rectification doit être tempéré. L’enjeu de cette exception est l’exploitation des Big Data, à savoir les grands ensembles de données dont on peut espérer tirer des informations pertinentes (par exemple, une épidémie de grippe à partir des requêtes des internautes), mais qui posent des questions nouvelles pour les modes traditionnels de gestion et d’analyse de données, notamment vu la variété de ces données. Peut-on parler de censure ? Tout droit de contrôler des informations (qu’il s’agisse du droit sur les informations personnelles, du droit à la réputation, du droit d’auteur, de la protection du secret, etc.) heurte potentiellement la liberté

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d’expression et d’information. Mais les mesures à mettre en œuvre pour faire respecter le « droit à l’oubli numérique », qui devrait être désigné comme un « droit de rectification » de la redivulgation, ou encore un « droit de déréférencement » ou « de délistage », peuvent difficilement être tenues pour de la censure, en tout cas au sens de l’article 25 de la Constitution belge. Et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’information, éventuellement « inadéquate, non pertinente ou excessive » sur la page de résultats, subsiste sur le site de l’éditeur originaire, la Cour de justice ayant bien pris le soin de distinguer la responsabilité du moteur de recherche de celle de l’éditeur. Le contenu demeure donc accessible si on connaît l’adresse web de la page d’origine. Ensuite, il s’agit seulement de supprimer un lien dans les résultats entre une information « inadéquate, non pertinente ou excessive » et une requête réalisée sur le nom d’une personne physique. Autrement dit, l’information sur la page d’origine peut encore être recherchée et trouvée autrement : des requêtes introduites dans le même moteur de recherche à l’aide de mots clés différents du nom de la personne physique peuvent référencer la page d’origine. Seule l’association directe entre la requête sur un individu et le résultat non pertinent est prohibée. C’est bien le classement et la mise en évidence d’une information parmi une liste de résultats sur une requête portant sur un individu qui sont visés : selon la Cour de justice, « en raison du rôle important que jouent internet et les moteurs de recherche dans la société moderne », cet ordonnancement des résultats « démultipli(e) » l’effet d’ingérence dans la vie privée en conférant « aux informations contenues dans une telle liste de résultats un caractère ubiquitaire » (§ 80).


Actu

“ Enfin, les usagers européens peuvent toujours obtenir le résultat associé au nom personnel s’ils utilisent la version américaine du moteur (autrement dit, si la requête à partir d’un nom d’une personne introduite sur google.be, google. fr, etc., ne délivre plus le lien querellé, la requête de recherche sur ce nom peut continuer à fonctionner à partir de la page google.com). En bref : l’arrêt n’affecte pas la source de l’information, qui demeure intacte, ni même la possibilité de la trouver par d’autres requêtes. Mais le lien entre une personne physique et une information (inadéquate, non pertinente ou excessive) est supprimé sur les pages européennes de Google. L’empire du droit sur l’internet. L’arrêt Google est « puissant », car il souligne clairement l’applicabilité d’un droit national au monde apparemment sans frontières de l’internet. Google Inc., quoiqu’établi aux États-Unis, est régi par le droit espagnol en matière de vie privée à travers l’activité de sa filiale espagnole qui vend des espaces publicitaires. En effet, même si l’essentiel du traitement des données est réalisé « par » Google Inc. (et pas par sa filiale espagnole), il l’est « dans le cadre des activités » commerciales de l’établissement se trouvant sur le territoire espagnol, car les activités du moteur de recherche sont « indissociablement liées » à celles de l’établissement qui sert à rentabiliser le service de localisation de l’information (§§ 52 et 56). En décider autrement permettrait de contourner la directive et de porter atteinte à son effet utile (voir le paragraphe 54), et donc à la protection efficace et complète des droits

L’arrêt Google est « puissant », car il souligne clairement l’applicabilité d’un droit national au monde apparemment sans frontières de l’internet. fondamentaux des personnes physiques. La Cour a manifestement voulu réaffirmer l’applicabilité de la loi européenne : ce n’est pas le lieu où les opérations techniques sur les données sont réalisées qui est déterminant, mais le territoire qui est visé par l’activité publicitaire. Ce rattachement par le biais des destinataires d’un service publicitaire, à la fois les annonceurs et leur public, n’est pas nouveau : dans une décision très remarquée impliquant Yahoo !, un juge français avait considéré, en 2000, qu’il devait appliquer la loi française, qui énonçait une interdiction de vendre aux enchères des objets nazis, et non le droit américain – en l’espèce le premier amendement de la Constitution consacrant le free speech –, parce que les pages de Yahoo ! ciblaient le public français4. Beaucoup de savants distinguos sur l’applicabilité du droit au cyberespace tombent comme un jeu de cartes en face d’une évidence : le droit applicable n’est pas déterminé par le lieu où l’opération technique a pu se passer – d’autant que ce lieu peut être déplacé au gré des intérêts – mais par le lieu où un droit doit sortir ses effets au profit de ses destinataires.

II. Une rapide mise en œuvre du « droit à l’oubli » par Google et les autorités en matière de vie privée La vitesse avec laquelle Google a donné suite à l’arrêt de la Cour de justice est

impressionnante. Obsédée par la vitesse, l’entreprise américaine délivre des résultats de recherche en quelques centièmes de seconde. Même efficacité dans l’exécution de l’arrêt (alors qu’il s’agit seulement d’un arrêt sur recours préjudiciel) : dès le 29 mai, moins de trois semaines après l’arrêt interprétatif, Google proposait un formulaire en ligne afin de recueillir les demandes de suppression de résultats de recherche5. La demande doit identifier le requérant et l’adresse (URL6) des liens à supprimer, et indiquer en quoi le lien vers des informations personnelles est « non pertinent, obsolète ou inapproprié » (ces termes renvoyant à l’arrêt Google). Lorsque Google donne suite à une telle demande, la requête sur le nom personnel fait naître un message indiquant que certains résultats peuvent être retirés par application du droit à la protection des données personnelles. Le tour de force de Google tient surtout à l’engagement, à travers l’Europe, d’une solide équipe chargée d’évaluer les très nombreuses demandes de déréférencement, ainsi qu’à la mise en place d’un comité d’experts devant définir les lignes directrices pour le délistage. Même si l’arrêt Google s’inscrit, comme noté ci-dessus, dans le périmètre de la jurisprudence ancienne, il l’étend en proscrivant toute information « inadéquate, non pertinente ou excessive », ce qui, on en conviendra, est très large, voire très vague.

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Selon le tribunal de grande instance de Paris (« à une connexion à son site d’enchères réalisée à partir d’un poste situé en France, elle répond par l’envoi de bandeaux publicitaires rédigés en langue française » (T.G.I. Paris, réf., 20 novembre 2000, LICRA et UEJF c. Yahoo ! Inc. et Yahoo France, disponible notamment sur juriscom.net). 5 Voy. la version en français à l’adresse : https://support.google.com/legal/contact/lr_eudpa?product=websearch . 6 URL ou « Uniform Resource Locator » est le système d’identification des pages web. 4

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Actu

P réserver la qualité de l’information en ligne est assurément l’une des tâches du droit.

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Le 11 octobre 2014, soit cinq mois après l’arrêt, Google publiait son rapport « Transparence des informations7» qui comporte un nouveau chapitre relatif aux demandes de suppression de résultats de recherche fondées sur le « droit à l’oubli ». À cette date, Google a reçu 145.644 demandes de déréférencement à partir des pays européens (et 498.737 URL ou adresses de page internet ont été examinées, la moitié de ces URL ayant été supprimées). C’est en France que le plus grand nombre de demandes ont été introduites (29.090), suivi par l’Allemagne (25.078) et le RoyaumeUni (18.403). Pour la Belgique, 4.465 demandes ont été reçues (demandant la suppression de 15.447 URL dont 48 % ont été effectivement désactivés). Les taux de réussite des demandes varient aussi: en Italie, près des trois quarts des demandes ont été rejetées, seulement un peu plus de la moitié en Allemagne. Si les chiffres sont impressionnants, il faut les relativiser : Google traite plus de six mil-

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lions de demandes de suppression par semaine, rien qu’en droit d’auteur ! Certes, ces demandes pour atteinte au droit d’auteur sont traitées de manière quasi automatique. Saura-t-on « automatiser » le processus comme en droit d’auteur ? Ce n’est pas souhaitable. L’appréciation des conditions du « droit au délistage» appelle un jugement qui ne peut être laissé aux seuls algorithmes. Des problèmes d’accès à l’information (adéquate et pertinente) peuvent se poser. Parmi les demandes acceptées, le rapport de Google cite celle d’une femme (italienne) souhaitant la suppression d’un article vieux de plusieurs décennies sur l’assassinat de son mari et dans lequel son nom apparaissait et celle d’une dame (belge) demandant la suppression d’un lien vers un article relatif à un concours auquel elle avait participé étant mineure. Parmi les demandes rejetées, Google cite celle d’un professionnel des médias voulant faire supprimer quatre liens vers des articles relatifs au contenu embarrassant

qu’il avait publié sur internet ou celle d’une personne sollicitant la suppression d’un lien vers la copie d’un document officiel publié par un organisme public et faisant état d’actes de fraude commis par l’individu. Google a fait preuve d’un jugement de bon sens dans ces cas, mais il est important que les critères du délistage fassent l’objet d’une délibération avec les autorités, Google ne peut être laissé seul « juge de l’oubli ». Une concertation avec les autorités est d’ailleurs en train de se passer : les autorités nationales en matière de vie privée, réunies au sein du Groupe de travail article 29 sur la protection des données personnelles, ont établi un réseau de personnes de contact afin de développer des critères pour le traitement des demandes de délistage8. La qualité de l’information en ligne. L’arrêt Google témoigne de la volonté manifeste de la haute juridiction européenne de rappeler l’empire du droit (à la vie privée) sur l’internet afin de préserver la qualité de l’information et de la communication en ligne9. Faire savoir à tous que quelqu’un a été mauvais payeur il y a plus de dix-huit ans n’est pas pertinent aujourd’hui. Préserver cette qualité de l’information en ligne est assurément l’une des tâches du droit à une époque où des pans entiers de l’économie, mais aussi de multiples expressions de la société civile et de la démocratie (par exemple les mobilisations citoyennes et le pétitionnement en ligne) dépendent pour partie de l’internet.

Voy. le communiqué de presse de l’article 29 Data Protection Working Party, Bruxelles, 18 septembre 2014 (disponible en ligne). Voy. A. STROWEL, Quand Google défie le droit - Plaidoyer pour un internet transparent et de qualité, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 2011.

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Le livre à prix unique version Amazon

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Emmanuel Pierrat Avocat au Barreau de Paris Membre du Conseil de l’Ordre Conservateur du Musée du Barreau de Paris

Le 10 juillet dernier, en France, entrait en vigueur la modification de la loi sur le prix unique du livre. Les libraires en ligne ont tous réagi dans les vingtquatre heures qui ont suivi cette entrée en vigueur. Le développement fulgurant du commerce électronique fait, depuis des années, frémir les partisans du prix unique du livre, qui s’inquiètent de la capacité de résistance d’un dispositif conçu sous le règne de Gutenberg. État de la question avec Emmanuel Pierrat, Avocat au Barreau de Paris.

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Les libraires en ligne ont tous réagi dans les vingt-quatre heures qui ont suivi l’entrée en vigueur, en France, le 10 juillet dernier, de la modification de la loi sur le prix unique du livre. Le nouvel article législatif dispose que « Lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit, sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit ». Or Amazon a écrit à ses clients le jour même de l’entrée en vigueur de la loi que la livraison à domicile restait gratuite pour les abonnés à son programme premium tandis que « nous avons fixé les frais de livraison au minimum autorisé par la loi, soit à seulement 1 centime par commande contenant des livres et expédiée par Amazon »… La bataille ressemble à celle qui a vu la FNAC narguer et tenter de contourner la loi Lang, conçue contre ses rabais massifs, dans les années qui ont suivi son instauration. Il faut rappeler que la loi du 10 août 1981, dite aussi loi Lang (du nom de son géniteur), a imposé un prix unique du livre, avec pour ambition affichée de soutenir les petites et moyennes librairies face au développement des grandes surfaces. Aux termes de l’article 1er de la loi du 10 août 1981, le prix est fixé par l’éditeur ou l’importateur. Tout éditeur, quel qu’il soit, doit s’y conformer. À la suite des multiples violations de la loi,

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“ communautaires ont considéré, en appel, que Les magistrats

les modifications intervenues dans la législation française en 1985 l’ont rendue parfaitement conforme au droit communautaire.

tion fiscale du 30 décembre 1971. Le marquage du prix du livre en euros TTC est obligatoire.

... Emmanuel Pierrat

des sanctions pénales ont dû être aménagées par un décret du 29 mai 1985. En parallèle, la Cour de justice des Communautés européennes a été saisie et a tranché, le 10 janvier 1985, en faveur du principe posé par la loi du 10 août 1981. Plusieurs autres décisions sont venues renforcer cette jurisprudence communautaire. Les magistrats communautaires ont considéré, en appel, que les modifications intervenues dans la législation française en 1985 l’ont rendue parfaitement conforme au droit communautaire. Finalement, seuls quelques aménagements au régime des importations ont été imposés. La loi du 10 août 1981 encadre en apparence fermement le prix du livre sur le territoire français, tout en prévoyant nombre d’aménagements.

Le prix de lancement peut être différent d’un futur prix fixe plus élevé. De même, les souscriptions sont possibles à un prix préférentiel et doivent notamment prendre fin lorsque le livre sort en librairie. Aucune discrimination n’est possible, c’est-àdire que la souscription ne peut pas être réservée à une certaine catégorie d’acheteurs. Selon l’article 5 de la loi, les soldes sont possibles pour les livres édités ou importés depuis plus de deux ans « et dont le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois ». Les ventes avec primes sont autorisées, en vertu de l’article 6 de la loi, si elles sont proposées à tous par l’éditeur ou l’importateur ou si elles se font pour des livres vendus exclusivement par correspondance, courtage ou abonnement. Les importateurs sont également tenus de fixer un prix. Pour les ouvrages en provenance d’un pays membre de l’Union européenne, le prix de vente ne peut être fixé en dessous du prix fixé ou conseillé dans le pays d’origine, déduction faite de « la répercussion sur ce prix d’un avantage obtenu par l’importateur dans le pays d’édition ». Et le prix ne doit en rien être fixé par rapport à celui qui est pratiqué par un autre importateur.

Elle impose aux détaillants de « pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l’éditeur ou l’importateur ». Une brochure du ministère de la Culture donne une liste des entités qui doivent être considérées comme détaillants (des librairies traditionnelles aux clubs, en passant par les points de vente situés dans les gares…). Cette liste désigne, en réalité, « toutes les personnes qui vendent un livre à un consommateur final ».

Plusieurs affaires ont notamment opposé certaines enseignes aux éditeurs et aux syndicats de libraires et d’éditeurs à l’occasion des opérations de réimportations, intitulées « Le livre à prix européen ». D’autres affaires ont opposé l’association des centres distributeurs Leclerc à la Fédération française des syndicats de libraires (FFSL), à la suite de placards publicitaires annonçant des prix inférieurs de 20 à 40 % du prix public. Seules des décisions très isolées ont considéré, à cette occasion, que la loi du 10 août 1981 était contraire aux dispositions communautaires.

La loi du 10 août 1981 s’applique, selon la circulaire du 30 décembre 1981, aux livres tels qu’ils sont définis dans l’instruc-

Les arrêts Leclerc, rendus le 10 janvier 1985 – et suivis des arrêts Cognet, le 23 octobre 1986, Rousseau, le 25 février 1987,

10|Emile & Ferdinand| N°7 | Octobre 2014


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et Verbrugge, le 9 avril 1987 – ont entériné la position des autorités françaises. Depuis cette jurisprudence, les tribunaux français doivent déterminer si la réimportation litigieuse est effectuée dans le but de frauder la loi du 10 août 1981. Les magistrats suprêmes ne voient pas non plus dans une telle prohibition de discrimination en faveur des livres étrangers.

tant les éditeurs étrangers que français qui proposent des livres numériques aux consommateurs situés en France.

Le développement fulgurant du commerce électronique fait, depuis des années, frémir les partisans du prix unique du livre, qui s’inquiètent de la capacité de résistance d’un dispositif conçu sous le règne de Gutenberg et non pour résister aux attaques des géants du commerce électronique. La question a été posée de la force de la loi du 10 août 1981 et de son application à l’internet, qu’il s’agisse de la commande d’ouvrages sur support papier ou du téléchargement des dernières nouveautés.

Pour les professionnels français, le bilan est toujours quelque peu mitigé. Mais éditeurs et libraires restent plutôt favorables à la loi sur le prix unique du livre. Une fronde se dessine occasionnellement à l’occasion des ventes aux entreprises, pour lesquelles ne sont admises que les réductions de 5 % sur le prix public. L’application stricte de la loi du 10 août 1981 détourne du livre des acheteurs potentiels qui se fourniront par défaut ou dépit en chocolats ou en liqueurs pour leurs cadeaux de fin d’année.

C’est ainsi que, dès le 5 juillet 2002, le président du tribunal de grande instance de Versailles examinait, à la demande, une nouvelle fois, d’un syndicat de libraires, le cas d’Amazon. Il était reproché au célèbre cyber-libraire d’origine nord-américaine de proposer « sur les écrans de son site web, à la zone “livres”, au rayon “livres en français”, au coin “bonnes affaires”, des livres à moins 30 %, précisant que ces livres étaient sélectionnés conformément à (la) loi Lang, dans la limite des stocks disponibles ». Le magistrat a d’abord qualifié le site de « magasin virtuel que le consommateur visite au moyen de son ordinateur par une démarche active analogue à celle qui consiste à se rendre à l’intérieur d’un magasin ». Il s’agit donc bien d’un lieu de vente.

P our les professionnels français, le bilan est toujours quelque peu mitigé.

Hormis cette précision (qui ne mange pas de pain), il a surtout relevé que le libraire en ligne n’y plaçait que des livres édités ou importés depuis plus de deux ans et dont le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois. La loi relative au prix du livre numérique, en date du 26 mai 2011, définit le livre numérique en tant qu’« œuvre de l’esprit créée par un ou plusieurs auteurs et qui est à la fois commercialisé sous sa forme numérique et publié sous forme imprimée », ou susceptible de l’être. Et il est désormais obligatoire pour tout éditeur de fixer un prix de vente pour chaque offre commerciale relative à un livre numérique. Cette disposition concerne

Enfin, le Conseil de l’Union européenne a adopté une décision, le 22 septembre 1997, visant à instaurer « un système transfrontière de prix fixes du livre dans les zones linguistiques européennes ». Mais dans le même temps, la Commission a ouvert une enquête, à la suite de la demande d’un éditeur autrichien, sur les conditions de concurrence qui entourent les accords transfrontaliers sur le prix des livres entre l’Allemagne et l’Autriche. Le commissaire européen Karel Van Miert s’est fermement prononcé, le premier, contre les systèmes de prix unique du livre. Cette attaque a été un temps repoussée par les ministres européens de la Culture, mais a finalement été fatale à l’accord transfrontalier. Le 22 mars 2002, la Commission a toutefois enterré « la hache de guerre ». En contrepartie de l’abandon des poursuites, les professionnels allemands du livre se sont engagés à garantir « la liberté des ventes transfrontalières directes de livres allemands à des consommateurs en Allemagne, en particulier sur internet ». Quant à la Cour de justice des Communautés européennes, elle a, le 3 octobre 2000, validé une nouvelle fois le dispositif français. Les magistrats siégeant à Luxembourg ont donné tort à un distributeur français, qui soutenait que la création, le 1er janvier 1993, du « marché intérieur » avait fait perdre sa portée à la jurisprudence antérieure (ayant) admis la compatibilité de la loi française avec le droit communautaire. Ces offensives ne sont sans doute qu’annonciatrices de coups de boutoir de plus en plus fortement assenés par le développement des cyberlibrairies à un système législatif, dont le bienfondé n’est pas à remettre en cause, mais qui, par sa relative ancienneté, est de plus en plus malmené.

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Actu

Le droit des robots, Mythe ou réalité ? Émile & Ferdinand: Depuis plusieurs semaines, les média ont relaté, à plusieurs reprises, le développement prodigieux des robots, cette nouvelle intelligence. Il est vrai que le développement du marché de la robotique, de l’internet des objets et de la virtualisation conduit à l’émergence d’une nouvelle spécialité : le droit des robots. Mais quelle est votre définition du robot ? Alain Bensoussan : On peut parler de trois générations de robots : la première correspondrait à l’ère des simples automates comme les mixeurs ou les machines à café, on les retrouve partout et ils ne présentent pas de caractéristiques qui nécessitent un droit nouveau. La seconde génération est celle des automates avec capteurs, qui peuvent agir par rapport à leur environnement : aspirateurs et tondeuses autonomes… La troisième génération qui, elle, mérite un droit particulier. En plus des capteurs, cette génération de robot possède un autre élément : l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, les robots sont sortis des laboratoires et se retrouvent à la porte de nos domiciles, notamment pour aider les personnes âgées ou encore à la porte des entreprises, pour accueillir les clients. Ils sont aussi dans la rue, comme les voitures autonomes. Ils entrent en interaction avec les hommes. Un robot c’est donc un équipement coopératif avec l’homme, évoluant dans un espace privé ou public, susceptible de prendre une décision autonome dans un environnement interactif. Et cela entraîne de nouvelles responsabilités pour les robots. Des risques d’accidents aussi, quand, par exemple, un robot est au volant d’une voiture ou à la manœuvre dans une cuisine.

Alain Bensoussan Avocat technologue Fondateur du cabinet Alain Bensoussan Avocats Directeur du département Droit des robots au sein du cabinet

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Émile & Ferdinand: Les robots doivent-ils alors obtenir un statut juridique spécifique ? Quel serait-il ? Pourrions-nous appliquer à ces robots le droit des biens ? Alain Bensoussan : Non, car, manifestement, les robots dotés d’une intelligence artificielle n’entrent pas facilement dans cette catégorie. On ne peut pas non plus leur appliquer le droit des animaux, parce que les robots ne sont pas encore dotés d’une sensibilité. Ça ne peut pas être non plus le droit des personnes, aujourd’hui inapproprié. Il faut donc créer un nouveau cadre, un droit des robots, entre le droit des biens et des personnes. Pour accompagner cette nouvelle personnalité juridique, la proposition faite est de conférer une identité aux robots de troisième génération. Nous pourrions, par exemple, utiliser les numéros de sécurité sociale. Aujourd’hui, en France, quand ce numéro débute par ‘1’, il s’agit d’un homme, s’il commence par ‘2’, c’est une femme. L’idée, c’est d’utiliser le ‘3’ pour les robots. Cette prise en compte est essentielle pour la responsabilité, le but étant de pouvoir identifier et mettre en cause la responsabilité des robots. Il faut pouvoir disposer de recours contre les robots et pour cela, il est nécessaire qu’ils aient une personnalité juridique permettant de mettre en jeu une responsabilité quelconque, celles du robot, du fabricant, du fournisseur, de l’utilisateur, du propriétaire. Il s’agit d’un système de responsabilités en cascade. Pour concrétiser “la responsabilité d’un robot”, il faudrait aussi créer un “capital social” et une assurance qui pourraient constituer un fonds, alimenté par exemple par l’industrie de la robotique. Ce nouveau genre « 3 » devrait donc


Actu Les robots gagnent du terrain ! • En mai 1997, l’ordinateur « Deeper Blue » (développé par IBM) bat Garry Kasparov le champion du monde en match singulier à cadence normale de compétition.

engendrer une responsabilité propre, comme à l’égard des personnes morales que sont les entreprises, et que des sanctions pourront être imposées. Le fait que certains robots pourront « » pourrait ainsi entrainer une nouvelle logique où l’erreur ne sera finalement plus humaine. Il y a la question des devoirs mais aussi celle des droits. Comme par exemple le droit à l’intimité. En effet, le robot, dans son interaction avec les personnes âgées ou les robots qui «travaillent» avec des enfants autistes, acquièrent des informations sur leur santé et vie privée. Par exemple, le robot est capable de dire à une personne atteinte de la maladie d›Alzheimer : « ça va être l’anniversaire de votre petit-fils » ou à un enfant autiste : « voilà, ton frère est arrivé », ou à une personne âgée « votre petite-fille est présente ». Et cette intimité-là doit être protégée en protégeant la mémoire du robot. Émile & Ferdinand: Y a-t-il un cadre légal en construction en Europe et ailleurs dans le monde ? Quel peut être le rôle des chartes dans la construction de ce cadre juridique ? Alain Bensoussan : Sans attendre un cadre légal adapté, je propose à mes clients un cadre contractuel définissant les responsabilités en cascade, en mettant le robot au centre du contrat. En France, le ministère du Redressement productif travaille sur un projet de charte éthique non contraignante. D’autres organismes et institutions travaillent depuis des années sur ces thématiques comme la Direction des affaires stratégiques du ministère de la Défense, le Centre de recherche des écoles de SaintCyr Coëtquidan (Crec), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Par ailleurs, la Commission européenne réfléchit à conférer à cette troisième génération de robot une personnalité morale et travaille avec des juristes, des philosophes et des sociologues sur cette thématique juridique et éthique. Enfin, la Corée du Sud travaille depuis plusieurs années sur un projet de charte

• En février 2011, un programme d'intelligence artificielle « Watson » conçu par IBM participe et gagne au jeu télévisé Jeopardy de question-réponse en langage naturel. • En juin 2014, Eugène Gootsman âgé de 13 ans, un programme d’intelligence artificielle, passe le test de Turing selon l’université de Reading et réussit à convaincre 33 % des juges qu’il est humain sur une conversation de 5 minutes.

Et si…

VOUS ÉTIEZ UNE LOI ? La loi Informatique et libertés de 1978 VOUS ÉTIEZ UN LIVRE ? Le hasard et la nécessité, de Jacques Monod VOUS ÉTIEZ UNE CITATION OU UN ADAGE ? « À défaut du pardon, laisse venir l’oubli » (Alfred de Musset - dans « Les nuits d’octobre »

VOUS ÉTIEZ UNE ŒUVRE D’ART ? « Guernica », de Picasso VOUS ÉTIEZ UN PERSONNAGE CÉLÈBRE ? Charles de Gaulle éthique des robots. Il y a ainsi de fortes chances que la Corée et son voisin nippon soient les pionniers en la matière. De mon côté, j’ai créé une charte des robots intégrant le statut juridique des robots, avec les devoirs mais aussi avec des droits comme le droit au respect du robot, le droit à la dignité et à l’identification. Émile & Ferdinand: Vous avez créé le réseau Lexing, pourriez-vous nous dire deux mots sur ce réseau ? Quelle est son histoire et quels sont ses objectifs ? Alain Bensoussan : Ce réseau, est le premier réseau international d’avocats dédié au droit des technologies avancées. Ce réseau permet aux entreprises internationales de bénéficier de l’assistance d’avocats dont les compétences en droit des nouvelles technologies sont reconnues dans leurs pays respectifs. Les avocats travaillent selon une démarche commune, l’objectif étant de

donner une solution technico-juridique compatible avec les règles de droit de tous les pays. Le réseau Lexing réunit à l’heure actuelle 22 cabinets d’avocats. Découvrez le Code en vidéo en utilisant le code QR suivant

Alain Bensoussan vient de publier, sous la marque Larcier, le Code informatique, fichiers et libertés. Il s’agit du premier « Code métier » de la nouvelle collection Lexing - Technologies avancées & droit. La collection est dirigée par Alain Bensoussan et Jean-François Henrotte.

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Portrait

Stéphane Boonen,

élu nouveau bâtonnier de Bruxelles, nous partage sa vision du bâtonnat Le 1er septembre dernier, lors de la rentrée judiciaire, Stéphane Boonen est entré en fonction à la tête de l’Ordre francophone du Barreau de Bruxelles, pour un mandat de deux ans. L’avocat succède ainsi au bâtonnier Michel Vlies. L’occasion pour Émile & Ferdinand de se pencher sur le rôle de bâtonnier et les enjeux de la fonction. Émile & Ferdinand: Quel est le rôle du bâtonnier ? Stéphane Boonen : Le rôle du bâtonnier est d’être en même temps le gardien des valeurs de la profession et le chef d’une entreprise.

Être gardien des valeurs, cela implique de veiller fermement au respect de notre indépendance, de notre secret professionnel, de notre dignité, de notre loyauté et de notre probité, mais avec discernement. Il faut donc toujours se poser la question du but recherché par la règle professionnelle pour voir s’il correspond à la réalité actuelle de notre profession. Appliquer une règle, ou au contraire ne pas intervenir alors que l’évidence commande l’inverse, c’est être en décalage par rapport à la réalité. Il appartient au bâtonnier de combler cette différence. Être chef d’une entreprise, c’est être résolument dans une dynamique qui

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doit ouvrir de nouveaux horizons et de nouvelles perspectives économiques aux avocats qui appartiennent au barreau de Bruxelles.

Quelle vision avez-vous de votre bâtonnat ? Ma vision du bâtonnat correspond naturellement au rôle du bâtonnier que je viens de décrire. L’avocat doit défendre la plus-value qu’il représente dans la résolution des conflits en général et dans le débat judiciaire en particulier. C’est cette plus-value qui garantit son avenir. J’entends dès lors permettre aux avocats de développer leurs compétences, par exemple en droit européen, ou d’explorer de nouveaux processus de résolution de conflits par la négociation, la médiation et l’acte d’avocat. Mais le grand projet de cette première année sera l’organisation des premiers états généraux de la justice francophone à Bruxelles qui rassembleront le 12 mai


Portrait

prochain les magistrats, les avocats et les greffiers francophones autour d’une volonté commune d’améliorer le fonctionnement de notre institution judiciaire. L’absence de gouvernance au niveau de la justice doit pousser ses acteurs à prendre eux-mêmes les choses en main. Comment le bureau du bâtonnier peut-il rapprocher la justice et le citoyen ? Si vous posez la question d’un rapprochement, c’est qu’il y a effectivement une distance entre la justice et le citoyen. La justice est lente, chère et difficile à comprendre alors que son but est pourtant de résoudre des litiges vécus au quotidien par les citoyens. Le langage est loin de la réalité des gens et la lenteur empêche une solution, et donc un soulagement rapide de la personne confrontée à un litige. Or lorsque quelqu’un connaît un conflit, sa vie quotidienne en est bouleversée. Nous devons donc ouvrir nos lieux de justice, parler un langage accessible et proposer des processus de résolution de conflit différents et plus adaptés aux attentes des gens. De gros efforts ont déjà été entrepris avec la mise en valeur de la médiation ou la nouvelle organisation du tribunal de la famille, mais nous devons poursuivre notre action.

Le palais de justice de Bruxelles est chargé d’histoire. Correspond-il toujours à la réalité de la justice d’aujourd’hui et aux objectifs d’une justice proche du citoyen ? Le choix du gouvernement quant à réorganiser la justice bruxelloise dans des lieux plus modernes et plus pratiques tout en conservant notre monumental palais de justice pour y laisser certaines hautes juridictions et le barreau est intéressant. Tout en favorisant l’accessibilité des tribunaux, on conserverait en effet ce monument historique bruxellois connu dans le monde entier en y laissant pour partie ce pourquoi il a été construit.

Stéphane Boonen

C’est un honneur d’y venir travailler tous les matins et le choix de lui rendre son état initial voulu par Poelaert est heureux. Lors du démontage des cloisons qui avaient été placées près de l’entrée, on a ainsi vu réapparaître une extraordinaire perspective que l’on avait oubliée. Malheureusement, c’est lent, beaucoup trop lent. La réforme des arrondissements judiciaires est récemment entrée en vigueur. Quelles sont les conséquences pour les avocats bruxellois ? Seule la scission de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles-HalVilvorde concerne les avocats bruxellois. Elle a entraîné la création de juridictions unilingues, ce qui est nouveau à Bruxelles. Malheureusement, la scission s’est mal passée, et certaines juridictions connaissent de gros problèmes d’organisation au niveau des greffes. Il en résulte d’importants retards dans la délivrance des expéditions ou des copies de jugement.

D’autres problèmes sont apparus au niveau du régime linguistique des dossiers pénaux. Les instructions faisant suite à des infractions commises en périphérie

sont en effet ouvertes en néerlandais et il est très difficile d’obtenir un changement de langue, même si le prévenu le demande. Si auparavant il suffisait de traverser le couloir pour confier le dossier à un magistrat de l’autre rôle linguistique, il faut aujourd’hui une décision de la chambre du conseil renvoyant le dossier vers l’autre tribunal. Il en résulte une perte de temps, un encombrement de la chambre du conseil et une nécessité de traduire beaucoup de documents. On constate par ailleurs du côté néerlandophone une certaine réticence à opérer ce changement de langue même lorsque le prévenu le sollicite… Si vous étiez une loi, un livre, une œuvre d’art, un personnage célèbre, une citation ? Il serait présomptueux de vouloir se comparer à un livre, une œuvre d’art ou un personnage célèbre. Alors disons que j’apprécie la loi relative à l’aide juridique pour l’avoir accompagnée depuis si longtemps, les livres que mon épouse lit pour moi, les œuvres d’art qui donnent vie à la matière et les personnages célèbres qui ont plus pris soin des autres que d’eux-mêmes.

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3 questions à …

3

questions

à Geoffrey Willems Au lendemain de la rentrée académique, nous nous sommes intéressés à un cours de méthodologie juridique. Émile & Ferdinand a posé 3 questions à Geoffrey Willems qui assiste, depuis huit ans, le professeur Jean-François van Drooghenbroeck pour le cours de méthodologie dispensé en première année du baccalauréat en droit, à l'U.C.L.. Geoffrey Willems coordonne aussi les exercices pratiques qui sont associés au cours. En quoi consiste aujourd’hui un cours de méthodologie juridique ? Après une présentation sommaire des différentes sources du droit et des différents rapports de synergie qui existent entre elles, il s'agit d’abord essentiellement de familiariser l'étudiant avec les méthodes permettant de trouver la législation, la jurisprudence et la doctrine relatives à une question juridique donnée. À cet égard, l’accent est désormais évidemment mis sur l’utilisation des bases de données juridiques. Ensuite, au regard d’un double impératif de rigueur scientifique et d’honnêteté intellectuelle, les étudiants sont familiarisés avec les règles qui président à la rédaction des références aux sources juridiques. L’apprentissage des « règles d’or » relatives à la manière de présenter ces références permet ainsi à la communauté des juristes belges de pouvoir compter sur une certaine uniformité des pratiques qui est le gage d’un accès aisé aux sources mentionnées dans les textes juridiques. Enfin, le cours sensibilise les étudiants à la nécessité de maîtriser la lecture et la compréhension de la jurisprudence, tant il est vrai que cet exercice demeure, y compris pour les juristes chevronnés, un exercice éminemment délicat. L’accent est à cet égard particulièrement mis sur l’appréhension des arrêts rendus par la Cour de cassation en raison des particularités techniques parfois difficiles à saisir qui les caractérisent.

Geoffrey Willems Assistant et doctorant à la Faculté de droit de l’U.C.L.

Les connaissances théoriques acquises pendant le cours magistral sont mises en pratique par les étudiants dans le cadre de séances de travaux pratiques au cours desquelles, sous la houlette des assistants et dans une salle spécialement équipée, ils sont appelés à s’exercer à la recherche de sources, à leur présentation formelle et à la lecture de la jurisprudence. Dans le même temps, ils réalisent, sous la direction et avec les conseils de leurs assistants respectifs, une toute première étude juridique d’ampleur modeste et dont la qualité détermine dans une large mesure la note obtenue pour le cours.

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3 questions à …

Un étudiant en droit appréhende-t-il différemment une source papier et une source numérique ? En quoi se situe la différence ? Nos étudiants sont confrontés à une multitude de sources et de formats. L’essentiel est qu’ils puissent comprendre que ni les sources au format papier, ni les sources au format informatique ne peuvent prétendre, à elles seules, offrir au juriste l’ensemble des informations et idées qui lui sont nécessaires pour l’appréhension d’une question juridique. Il convient d’utiliser les deux types de sources en complément l’une à l’autre, étant entendu cependant qu’un nombre croissant de contenus sont disponibles à la fois en version papier et en version informatique. À cet égard, nous organisons des visites de la bibliothèque facultaire, qui contient à la fois des rayonnages d’ouvrages et des rangées d’ordinateurs, afin que les étudiants puissent prendre conscience de la diversité des ressources qui s’offrent à eux, de leurs avantages respectifs et de leur complémentarité.

Comment la méthodologie juridique va-t-elle évoluer ? Dans le contexte d’une constante amélioration des performances de l’outil informatique et d’une perpétuelle augmentation de la quantité de données disponibles sur internet, l’un des enjeux fondamentaux est certainement d’apprendre aux étudiants à sélectionner, hiérarchiser et organiser l’information. Alors que l’étudiant d’hier pouvait éventuellement rencontrer des difficultés pour trouver les sources nécessaires à la rédaction de ses travaux, l’étudiant d’aujourd’hui est exposé au risque inverse, celui d’être noyé dans le flux des données qui sont à sa disposition. Notre travail est, dans ce contexte spécifique, d’aiguiser sa capacité à traiter l’information, à la trier pour ne retenir que les sources les plus pertinentes et les plus importantes. Le droit a assurément opéré sa « révolution » informatique et il convient de prendre la mesure des avantages très importants qui en ont résulté pour les juristes. Le bénéfice plein et entier des fruits de cette Geoffrey Willems a collaboré à la rédaction des Leçons de évolution implique toutefois, on ne saurait s’en plaindre, méthodologie juridique le respect de nouvelles exigences et le développement de Jean-François van Drooghenbroeck, François Balot et Geoffrey Willems. Collection des Précis de la Faculté de droit de l’Université nouvelles compétences. catholique de Louvain. Larcier, édition 2009

Retrouvez, dans la collection de la Faculté de droit de l’Université de Liège : Méthodologie juridique – Méthodologie de la recherche documentaire juridique Eric Geerkens, Cécile Nissen, Anne-Lise Sibony et Audrey Zians . Larcier, 5e édition 2014

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Hommage

Hommage à Michel Dumont

Joël Hubin rend hommage à son ami Michel Dumont, à l’occasion de son admission à la retraite. Michel Dumont a été président à la cour du travail de Liège et directeur de la section droit social de la Commission Université-Palais (CUP).

Joël Hubin Conseiller à la cour du travail de Liège

De l’un à l’autre, enfin de l’un à tous les autres… En ces temps-là, si féconds encore, René Manette réunissait à la cour du travail de Liège, en ses locaux de la rue Saint-Gilles, les magistrats, les avocats, et les universitaires invités avec rigueur, mais dans une aimable émulation, pour les travaux réguliers de la section de droit social de la Commission Université-Palais. C’est qu’en ces temps-ci, l’initiative liégeoise ne connaît du temps passé que cette féconde liaison qui noue le passé au futur. Nul passé ne s’est figé, et nul futur ne succombera au hasard. L’un et l’autre ne seraient-ils pas un présent qui nous appartient désormais ? De ces temps-là à ces temps-ci, il n’y eut nulle rupture des ferments choisis, tant pour la Commission, que pour la cour. Il n’est pas fréquent de célébrer le présent ; cela ne se confond pas avec les effusions lénifiantes parfois choisies en pareilles circonstances du départ à la retraite d’un juge. Il y a bien davantage à exprimer, sans trahir la pudeur de Michel Dumont qui s’ac-

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commode mal des effusions publiques. Puisse sa lecture de cette modeste tentative de traduire le sens de son engagement judiciaire lui témoigner la reconnaissance, l’admiration et l’affection des bénéficiaires de son travail, tels qu’ils furent dans les prétoires et tels qu’ils sont encore pour leurs pratiques quotidiennes. Des souvenirs il en est certes, et c’est bien, sauf que nous ne pouvons échapper à cette sentence : c’était en… déjà ! Il va si vite le temps. Ah oui, cela je vous le rapporterai : c’était le 25 août 2014. La salle des audiences du palais de justice de Namur était vide pour le prononcé des deux derniers arrêts rendus par la treizième chambre que Michel Dumont présidait. Ultimes vacations diligentées par notre président jusqu’au terme de sa longue carrière, juste avant que la nouvelle année judiciaire ne commence. Le temps de deux prononcés et puis la dernière signature pour clore définitivement un engagement judiciaire sans


Hommage

aucune faille, exemplative à tous égards. Pour les habitués de la cour du travail, ces ultimes arrêts sont marqués de notre coutumier signe « + », renseigné en vue de préparer nos sélections jurisprudentielles pour lesquelles Michel œuvrait sans compter, afin de communiquer ce qui devait l’être pour les praticiens du droit social. Lorsque le professeur Jacques Clesse et la secrétaire générale de la CUP Véronique d’Huart organisèrent un hommage sous la forme d’une manifestation centrée sur des questions spéciales de droit social, choisies par celles et ceux qu’il n’a cessé d’accompagner et d’encourager, Michel a bien dû prêter l’oreille à quelques points d’orgue qui se devaient de résonner avec la justesse des tons émus et reconnaissants. Les mots ne sont que ce qu’ils sont… ou plus précisément, nous risquons parfois d’en choisir, avec soin certes, mais en oubliant peut-être qu’un autre eût pu compléter cet exercice impressionniste de refléter au mieux le sens de toute une vie judiciaire. Il n’est pas certain que l’essentiel soit dans les publications, pourtant toutes tenues à portée de main dans nos bureaux. Déjà, le nombre et l’appréciation qualitative des innombrables décisions rendues selon des rythmes judiciaires scrupuleusement respectés par les troisième et treizième chambres de la cour du travail de Liège suffisent à stimuler le travail des spécialistes de toutes les composantes du droit social, mais aussi de ce qu’on pourrait qualifier de droit judiciaire social. Il y a bien davantage à exprimer dans ce que nous avons reçu. Cela tient à une bénéfique intransigeance du devoir accompli pour celles et ceux qui demandent à la justice de réguler par le droit leurs conflits. Que Michel fut intransigeant pour que progresse la promesse du droit et que son application soit tout à la fois rigoureuse et adéquatement sensible, ce n’est

Michel Dumont, à droite, s’adonne à l’une de ses passions que… justice que de l’écrire. Il y a plus encore à percevoir. Le constitutionnaliste français Maurice Hauriou affirmait que « même dans un procès de mur mitoyen sommeille nécessairement toute une métaphysique ». À travers son exemplaire maîtrise du droit social et des techniques judiciaires, toute une philosophie a mûri, nous renseignant sans doute sur l’essentiel judiciaire à garantir en ces temps de réforme de l’organisation judiciaire. Les instances judiciaires mutent, comme les sociétés, et conservent des traces culturelles. Notre patrimoine juridique est centré sur un humanisme fondateur. Il n’est nulle décision rendue par les chambres présidées par Michel Dumont qui négligerait le rôle éminent et reconnu qu’il a assumé dans cette part infime, mais fondamentale, que doivent jouer les juristes dans la construction et la défense des droits de l’homme. La connaissance que l’on a de lui n’est pas de la nature de celle qu’entretiennent les médias.

Pourtant, nul palais, nulle juridiction du travail ne le méconnaît. Le visage calme, la tenue humble, le sourire offert, une voix affirmée, une écriture rigoureuse, tout cela peut-il établir une trace ? Pas seulement. Il a bien davantage encore dans cette perception de la qualité d’écoute et de la serviabilité toujours alerte de Michel. Et puis ce besoin d’être artisan d’amitiés, davantage encore que de collégialité. Après cette trentaine d’années partagées dans nos juridictions du travail liégeoises, j’avais pensé pouvoir dire, le 6 juin 2014, que notre président était un passeur à bien des égards, et notamment pour que « passe » la très remarquable génération nouvelle des praticiens du droit social. Guide eût mieux valu. De vous donc, vers et pour tous les autres. Guide, voilà un mot qui vous sied, qui vous convient et qui s’accorde tellement avec votre bonheur d’arpenter désormais avec les vôtres les contrées pour découvrir les paysages d’où qu’ils soient. D’ici et de là dans vos projets.

Retrouvez, sous la direction de Joël Hubin et Jacques Clesse, dans la collection CUP : Hommage à Michel Dumont – Questions spéciales de droit social L’ouvrage réunit les contributions présentées lors d’une manifestation organisée le 6 juin 2014 en hommage à Michel Dumont. (Éditions Larcier, juin 2014)

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Les Minimes ...

save the dates

... exposent

À découvrir dans les prochains mois :

Marielle Schumacker

Née en 1971, Marielle Schumacker a résidé en France puis en Belgique. Après avoir suivi les cours de l’Académie des Beaux Arts de Namur, elle peint depuis 2007. Son évolution vers l’art abstrait se fait plus marquée à partir de 2009. Elle utilise principalement l’acrylique, avec des techniques mixtes : sable, verre, pierre et pastel gras. La recherche chromatique est au centre de son travail, avec la mise en évidence d’un mouvement dans le relief, d’une profondeur dans ses séries sphériques.

Margit Huy

Margit Huy a suivi pendant de nombreuses années des stages de peinture en Allemagne, en Autriche et aux Ateliers Malou. Elle a travaillé pendant treize ans avec un Professeur et peintre allemand renommé en Provence; depuis 2001 elle travaille avec lui chaque année à la "Thûringer Sommerakademie" (Académie d’été de Thuringe). Pour l’artiste, l’essence de sa peinture est la couleur et la manière dont elle peut l’appliquer, l’associer, la mélanger. La couleur est énergie et émotion. Elle lui permet de créer un espace pictural, un monde qui vit et parle pour lui seul.

Venez découvrir, chaque mois, à la rue des Minimes, une

nouvelle exposition et devenez peut-être le mécène d’un artiste contemporain. Les originaux exposés sont en effet mis en vente. Si vous souhaitez un renseignement, contactez-nous à emileetferdinand@larciergroup.com

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GAZLAR7 ISBN : 978-1-1009-3860-8

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➔ Formations Commission Université Palais (CUP) ➔ Novembre 2014 : Insolvabilité et garanties Liège 14 novembre - Bruxelles 21 novembre - Charleroi 28 novembre ➔ Décembre 2014 : Actualités en droit des assurances Liège 5 décembre - Bruxelles 12 décembre - Charleroi 19 décembre Formation – La conformité en pratique Vendredi 14 novembre 2014 (de 14h à 17h) Bruxelles – Diamant Conference & Business Centre Colloque – Le Code wallon de l’agriculture Organisé par le Master en notariat de l’U.C.L. Mardi 18 novembre 2014 (de 13h30 à 18h30) Louvain-la-Neuve – Auditoire Sud 08 Colloque – La publicité de l’administration – Vingt ans d’application Sous la présidence de David Renders Mardi 18 novembre 2014 (de 14h à 17h30) Bibliothèque royale de Belgique Masterclass T.V.A. – Édition 2014 Journée 1 - Vendredi 21 novembre 2014 (de 9h à 17h30) Journée 2 - Vendredi 28 novembre 2014 (de 9h à 17h30) Journée 3 - Vendredi 5 décembre 2014 (de 9h à 17h30) Wavre – Hôtel Leonardo Infos et inscriptions : Larcier Formation : 0800 39 067 formation@larciergroup.com www.larcier.com (onglet Formations-Colloques)


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