Emile& Ferdinand Gazette
2017/1 | N°21 Bimestriel gratuit
Bureau de dépôt : 3000 Leuven Masspost | P-916169
3 Portrait
Paul Nihoul Nommé juge au Tribunal de l’Union européenne
9 Métiers
Philippe Bouvier Benoit Dejemeppe Parcours d’un magistrat
20 Marketing 22 Hommage juridique
Ben Houdmont Orientez vos efforts de marketing d’abord vers vos clients existants
Caroline Docclo rend hommage à Marc Baltus
15 Droit et
18 Event
culture
Xavier Rousseaux Livre : Les mots de la justice
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Pierre Henry Jo De Meester 15 ans d’AVOCATS.BE
Concours Tentez de gagner 10 exemplaires de l’ouvrage Les mots de la justice
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Actu Yves Kever
La déontologie sous influence ?
ÉDITO
bonne lecture !
Chers lecteurs, Chers auteurs, C’est avec plaisir que nous vous retrouvons pour le premier numéro 2017, dans lequel Émile & Ferdinand vous fera découvrir différents horizons et métiers. Tout d’abord, celui de juge au Tribunal de l’Union européenne, avec un portrait de Paul Nihoul qui nous parle de cette fonction qu’il occupe depuis maintenant 6 mois. L’occasion aussi d’évoquer le Journal de droit européen et sa nouvelle rédactrice en chef. Un autre métier ensuite : celui de magistrat. Émile & Ferdinand a voulu mettre en lumière cette profession, dont la nouvelle génération se doit de résister aux mesures qui pourraient lui faire perdre son âme et son crédit. Philippe Bouvier et Benoit Dejemeppe, deux magistrats de renom, se sont prêtés au jeu et nous livrent leur vision du métier, de LEUR métier.
colophon Rédacteur en chef Élisabeth Courtens Secrétaire de rédaction Anne-Laure Bastin Équipe rédactionnelle Anne-Laure Bastin, Élisabeth Courtens, Charlotte Claes et Muriel Devillers Lay-out Julie-Cerise Moers (Cerise.be) © Groupe Larcier s.a. Éditeur responsable Marc-Olivier Lifrange, CEO Groupe Larcier s.a. rue Haute 139 - Loft 6 1000 Bruxelles Les envois destinés à la rédaction sont à adresser par voie électronique à emileetferdinand@larciergroup.com
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Le 4 mai prochain, la Commission de déontologie des barreaux de Liège - Verviers - Eupen - Huy organisera le colloque « La déontologie contre le droit ? ». En attendant de pouvoir y répondre aux questions que pose la déontologie, Yves Kevers, Président de la Commission de déontologie des barreaux de Liège - Verviers - Eupen - Huy, nous présente ce concept associé spontanément à la profession d’avocat.
Pierre Henry et Jo De Meester nous emmènent à l’anniversaire d’AVOCATS.BE qui s’est tenu le 6 décembre dernier. Compte rendu vivant de cet événement, organisé au Palais des Beaux-Arts ! Dans la rubrique « Marketing juridique », Ben Houdmout, Managing Consultant au sein de KnowToGrow Legal, nous explique pourquoi il faut toujours choisir de concentrer ses efforts de marketing sur les clients existants. Avocat et directeur du Journal de droit fiscal, Marc Baltus nous a quittés en décembre dernier. Caroline Docclo lui rend hommage au nom du comité de rédaction de la Revue. Et enfin… un concours ! Pour commencer cette année en beauté, tentez de remporter votre exemplaire de l’ouvrage Les mots de la justice, paru aux éditions Mardaga. Xavier Rousseaux nous présente cet ouvrage qui a pour objectif de faire connaître des recherches sur une institution méconnue - la justice - aux citoyens.
Belles découvertes… L’équipe rédactionnelle d’Émile & Ferdinand
Cette gazette est la vôtre ! N’hésitez pas à proposer des articles, à formuler des suggestions, à réagir aux articles publiés et, ainsi, à faire évoluer et faire grandir Émile & Ferdinand. Adressez-nous vos messages à l’adresse suivante : emileetferdinand@larciergroup.com
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Paul Nihoul
nommé juge au Tribunal de l’Union européenne
Paul Nihoul
En avril dernier, Paul Nihoul a été nommé juge au Tribunal de l'Union européenne à Luxembourg. Ce spécialiste du droit européen, ancien rédacteur en chef du Journal de droit européen, est entré en fonction le 1er septembre 2016. L’occasion pour Émile & Ferdinand de se pencher sur son parcours et sur les enjeux d’une telle fonction. VOTRE PARCOURS Émile & Ferdinand : Pourquoi avezvous étudié le droit ? Paul Nihoul : Étant enfant, je
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regardais le journal télévisé mais je ne comprenais pas grand-chose. En étudiant le droit, j’acquérais les outils permettant d'accéder à cette compréhension. Par ailleurs, le droit est logique. Il articule des valeurs. Je suis attiré par
ce type de raisonnement. Il me semble qu’il donne une structure à la pensée, et peut-être même à la vie. Vous avez vécu aux États-Unis. Qu’en avez-vous retiré ?
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En Belgique, nous recevons une solide formation. Mais j'aime les grandes étendues. Je pouvais élargir mes horizons en traversant l'Atlantique.
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En tout, j'aurai vécu aux États-Unis près de trois ans. Chacune de ces années a été riche. Dans ce pays, tout est grand. La compassion, comme la recherche du lucre. La culture, autant que la "bad food". Voir cela jour après jour est une aventure qui pousse à réfléchir. Qu'est-ce qui est important pour moi ? Comment vais-je utiliser cette liberté ?
L e droit est logique. Il articule des valeurs. Il me semble qu’il donne une structure à la pensée, et peutêtre même à la vie.
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j'ai appris une langue, écrit un livre et commencé à enseigner. L’avantage, avec les Néerlandais, c’est qu’ils fonctionnent simplement. Ce qui compte, c'est le projet. Cela me convenait parfaitement.
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Vous restez attaché à ce pays ?
Dans mon esprit, ce pays reste notre partenaire dans la liberté. Il faut regarder une carte du monde ! La plupart des zones connaissent l’oppression. Nos deux continents restent l'exception. Du reste, il y a entre nous une filiation. Par l'histoire, nous avons engendré les États-Unis. Aujourd'hui, ce sont eux qui, souvent, nous inspirent. Et ensuite ?
Après un an de service militaire, j'ai été engagé comme référendaire à la Cour de justice. Cette expérience a été fondatrice. Mon premier patron a été le juge belge René Joliet. Avec lui, j'ai appris à analyser un problème. Interdiction de soulever le tapis pour y glisser la poussière ! J’ai aussi appris à écrire. Ce qu’on rédige doit être clair, concis, concret. Je n'étais pas toujours d'accord avec lui. Mais j'ai retenu que, quand on croit en quelque chose, il faut s'engager. Ensuite un quatrième pays : les PaysBas !
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J'ai été contacté par un collègue de Louvain-la-Neuve pour y effectuer ma thèse de doctorat. C'est ensuite seulement que je suis parti pour les Pays-Bas, à l'Université de Groningen. Ce fut une période intense. En deux ans et demi,
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Puis c'est le retour à Louvain-laNeuve…
Oui - et un nouveau défi. Jusqu'alors, je m'intéressais à la concurrence, au choc entre les firmes sur les marchés. Dans ma nouvelle fonction, je devais analyser la situation des consommateurs. Celle de la partie faible dans les transactions. J'ai adoré. Depuis, cette perspective ne me quitte pas. Et le droit institutionnel dans tout cela ?
Mes activités ont toujours été orientées vers le droit européen. Les matières institutionnelles étaient traitées par mon collègue Melchior Wathelet. Nommé Avocat général, Melchior a dû diminuer ses activités à Louvain-laNeuve. Je lui ai alors demandé s’il verrait d’un bon œil que je donne le cours de droit institutionnel européen. C’était à la fin d’un Conseil de faculté. Il m’a enveloppé de son regard et m’a donné, en quelque sorte, sa bénédiction. Je me souviendrai toujours de ce moment. Il a ouvert pour moi un monde nouveau. Pendant ces années, j’ai pu, cours après cours, avec les étudiants, réfléchir à ce que signifie construire l’Europe.
VOTRE FONCTION AU TRIBUNAL DE L’UNION EUROPÉENNE (LUXEMBOURG)
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Que fait cette juridiction ?
Le Tribunal et la Cour font partie de la même organisation. Au fil des années, une forme de "spécialisation" s'est mise en place. Au Tribunal, le contrôle de l'administration européenne. À la Cour, les relations entre le droit national et le droit européen, les arbitrages institutionnels et le dernier mot, sur pourvoi, dans toutes les questions liées à la justice européenne.
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Y êtes-vous heureux ?
Passionnément ! Cette expérience est enrichissante pour moi. J’aimerais qu’elle le soit aussi pour d’autres. Par exemple, j’aimerais qu’elle soit utile à mon université, qui soutient ma démarche. Aux collègues d’autres universités, avec qui j’ai de nombreux contacts. À mes étudiants aussi, anciens et nouveaux. Aux personnes que je rencontrerai.
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Quid de Luxembourg ?
À Luxembourg, j’arrive avec un profond sentiment de reconnaissance. Reconnaissance pour tous ceux qui ont rendu possible cette aventure. Reconnaissance aussi pour l’accueil que j’ai reçu. J’ai été accueilli avec énormément de chaleur. En fait, j’ai retrouvé ici un nombre impressionnant de personnes avec qui des liens solides avaient
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LE JOURNAL DE DROIT EUROPEEN Paul Nihoul, c'est une collaboration avec le Groupe Larcier depuis 20 ans. Cette collaboration a commencé avec le lancement du Journal de droit européen. Elle s'est poursuivie par le lancement de la collection Europe(s). Pouvez-vous nous présenter le Journal de droit européen ?
été noués lorsque j’étais référendaire. Il y a notamment le Président de la Cour, Koen Lenaerts, qui était à l’époque juge au Tribunal. Je connais Koen depuis plus de vingt ans. À chaque étape, je me suis tourné vers lui pour un conseil, un appui, un encouragement. Il a toujours été présent. Je me souviens avec émotion du moment où nous nous sommes parlé après ma nomination. Dans ce contexte chaleureux, quelle contribution aimeriez-vous apporter à votre juridiction ?
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Je vais commencer par apprendre mon métier. Observer. Chercher à comprendre. Sans cela, je ne pourrai rien faire d’utile. Mais il y a déjà quelque chose que je peux vous dire. C’est que j'arrive au Tribunal avec un rêve. Nous travaillons ici avec des personnes provenant de tous les pays de l'Union. Les États essaient de construire l’Union. Tentons de le faire entre nous. Alors nous pourrons demander au citoyen de s’engager dans la même aventure. J'arrive aussi à Luxembourg avec une certaine sensibilité. Enseignant, j'étais très attentif aux étudiants : leurs besoins, leurs soucis, leur développement personnel. Comme juge, je suis très sensible à la relation avec le justiciable.
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Une relation en mauvais état ?
Je ne sais pas encore - mais je vois qu’on se plaint d’un "disconnect". Ce terme renvoie à la relation, ou absence de relation, entre ce qu'on appelle les élites et le peuple. Pour ma part, j'appartiens sans doute, par ma fonction, à
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À l’époque, le droit européen était réservé à des spécialistes. En lançant le Journal, nous avons voulu inverser le message. Pour nous, le droit européen concerne tous les juristes. Plutôt qu’une branche particulière, il est une source de normes. Qui produit ses effets dans la plupart des domaines couverts par le droit. Le résultat est clair : tout juriste doit s'informer sur le droit européen - quel que soit le domaine où il est actif : droit civil, droit pénal, droit commercial, droit administratif, etc. Le pari est-il réussi ?
Ce n'est pas à nous de le dire. Mais nous continuons à marteler le message : le droit européen peut vous aider, utilisez-le ! C'est tout bénéfice pour les praticiens, qui y trouvent de nouveaux arguments pour secouer des situations établies. Le profit est énorme, aussi pour le droit européen, qui s'enrichit à chaque application. Au-delà, c'est la construction européenne qui sort renforcée. Si elle veut vivre, l'Europe doit devenir une réalité quotidienne. Le Journal de droit européen connaît une nouvelle rédactrice en chef depuis la fin de l’année 2016. Que devient-il avec votre départ ?
Il se porte très bien, merci ! Blague à part : l’équipe poursuit le chemin. Elle est dirigée par Bénédicte Raevens, en qui j’ai une confiance absolue. Si le Journal est aujourd’hui ce qu’il est, c’est en grande partie grâce à elle. Depuis des années, elle coordonne l’ensemble avec intelligence, doigté et grande conscience professionnelle. On ne peut imaginer un meilleur rédacteur en chef. Et puis, il y a le reste de l’équipe. Cédric Cheneviere, qui devient secrétaire général : un fin connaisseur du droit européen. Les responsables de section, qui œuvrent avec une immense compétence depuis tant d’années. Et les nouveaux.
Bénédicte Raevens, nouvelle rédactrice en chef du Journal de droit européen Les nouveaux ?
Pour nous, il est important de renouveler l’approche sans cesse. Chaque année, nous avons une réunion de refondation où nous analysons chaque aspect du Journal afin de voir comment nous pourrions mieux répondre aux attentes de nos lecteurs. Cela passe par un renouvellement fréquent dans les équipes. « Nous », cela veut-il dire que vous restez présent dans le comité ?
Oui – mais à la place qui m’a été confiée dans l’organisation. Mon rôle n’est plus de diriger, ou inspirer. Il est de soutenir, d’encourager, de suggérer. Personne n’est indispensable, j’en fais l’expérience, je suis ravi de cette nouvelle situation. Et la collection « Europe(s) » ?
Avec la collection, l'idée est de publier des monographies sur la construction européenne. Des manuels, des traités, des actes de colloques. Mais aussi des essais, écrits par des auteurs ayant une certaine expérience et pensant que le moment est venu pour eux de partager leur sagesse. Et ce que nous appelons des « casebooks » - sorte de synthèse entre l’approche très casuistique propre à la culture américaine et la tradition plus cartésienne que nous partageons avec nos amis français.
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C e qui est en jeu, c’est la confiance que peut avoir le citoyen dans la justice
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la première catégorie. Mais je relève aussi de la seconde. Par mes origines, dont je suis fier. Et par les choix que j'ai posés depuis toujours. À titre d’exemple : pour fonder une famille, mon épouse et moi-même nous sommes installés à Schaerbeek, dans un quartier où la diversité est la règle. Diversité sociale, économique, culturelle, religieuse. Dans un tel quartier, il est impossible d'ignorer les préoccupations qui animent la population. Comment traduire cela dans votre métier ?
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Je crois que la justice a besoin d’empathie. Nous devons écouter, et comprendre, le justiciable. Cela ne veut pas dire qu’il faille sans cesse lui donner raison. Notre mission reste d'appliquer la loi, c’est-à-dire les textes adoptés par les représentants des citoyens.
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Concrètement ?
Un aspect que nous devons travailler c’est notre façon d’écrire les arrêts et les ordonnances. Nous devons nous interroger : pour qui écrivons-nous ? La réponse est déroutante. Dans la pratique, nous écrivons pour nos collègues. Ceux qui font partie de la formation de jugement, pour obtenir leur accord. Ceux qui composent la juridiction supérieure, pour éviter un arrêt d’annulation sur pourvoi. Et ceux que nous allons rencontrer dans les confé-
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rences, colloques, séminaires. Pour convaincre ces collègues, nous utilisons le langage que nous partageons avec eux. Mais écrivons-nous pour celles et ceux qui nous saisissent ? Est-il possible de le faire ? Faut-il le faire ? Comme philologue, je suis interpellé par ces questions. Le monde a évolué. Autrefois, la justice impliquait l’autorité. Aujourd’hui, elle demande une certaine proximité. Que devons-nous changer, dans notre façon d’agir, ou d’écrire, pour répondre aux nouvelles attentes ?
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Que devons-nous changer alors ?
Je ne le sais pas encore. Mais cette question me préoccupe. Ce qui est en jeu, c’est la confiance que peut avoir le citoyen dans la justice. C’est aussi l’adhésion de la population au projet européen. Lorsque des justiciables viennent nous voir, cette rencontre est peut-être la seule qu’ils auront avec une institution européenne. Une telle rencontre n’est pas anodine dans leur existence, nous devons veiller à ce qu‘elle soit soignée.
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Le projet européen ?
Personnellement, je vois l’Europe comme un pari. Nous sommes assaillis par des défis : sécurité, environnement, chômage, immigration. Ces défis, nous pouvons tenter de les résoudre en cherchant le meilleur résultat pour nousmêmes au détriment de nos voisins. Ou nous pouvons nous asseoir avec tous
ceux qui sont concernés, et voir ensemble comment obtenir le meilleur résultat – pour tous et pour chacun. Bien sûr, une telle démarche, ce n’est pas simple. Mais y a-t-il une autre voie ? Qui soit viable ? Et qui soit intéressante, sur le plan personnel ? UNE PHRASE POUR LE DIRE En une phrase, pouvez-vous tirer une leçon de votre expérience professionnelle ?
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Gloups, question difficile. (Réfléchit). Je crois que je dirais ceci : on ne vit pas seul. Ou ceci : seul on ne peut rien faire. Ou encore ceci : il faut tendre la main. Cela fait trois phrases !
C’est vrai, mais elles renvoient à la même idée. Nous dépendons des autres. Je suis heureux de pouvoir exercer ma fonction. Mais cette fonction, je ne la dois pas qu'à moi. Je la dois aux personnes qui m’ont aidé sur ce chemin.
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Quelles personnes ?
Elles sont innombrables ! Ma vie est comme une mosaïque. Il y a beaucoup de carreaux, chacun correspond à un petit coup de pouce. Vous vous sentez redevable ?
Immensément ! Avec ce corollaire bien sûr : comment payer ma dette ? Je le dis sous forme de boutade, mais il y a du vrai dans cette question. Comment alors payer la dette ?
À ce jour, la meilleure manière que j’aie pu imaginer, c’est la suivante : en donnant à chaque rencontre de l’importance, qui que soit la personne concernée. Peut-être apporterai-je alors ma contribution, à la manière d’un petit carreau, dans la mosaïque que représente la vie de chacune de ces personnes …
ACTU
La déontologie sous influence ? Yves KEVERS Président de la Commission de déontologie des barreaux de Liège – Verviers – Eupen – Huy
La déontologie des avocats est-elle aujourd’hui sous influence du droit commun ? Est-elle en passe de se dissoudre dans celui-ci ? Le maintien de son autonomie n’est-il pas le gage de ce qui fonde le statut même de l’avocat ? En attendant de répondre à ces questions lors de la journée d’étude organisée à Liège le 4 mai prochain, Yves Kevers, Président de la Commission de déontologie des barreaux de Liège – Verviers – Eupen – Huy, nous parle de ce concept associé spontanément à la profession d’avocat. S’il est un concept qui semble s’associer spontanément à l’exercice de la profession d’avocat, c’est sans contexte celui de déontologie. Dans son acception la plus courante, la déontologie désigne un corps de règles spécifiques destiné à encadrer et à réguler l’exercice d’une activité d’une profession particulière. Si le concept de déontologie a été historiquement lié à la réglementation de l’exercice de professions libérales, l’intérêt pour cette notion a, plus récemment, gagné la plupart des domaines d’activités économiques et sociales. On peut aujourd’hui trouver, à titre exemplatif, un code de déontologie des entreprises de pompes funèbres, un code de déontologie de l’administration de l’aide à la jeunesse, un code de déontologie des services de police, un code déontologie en milieu social ou encore un code de déontologie de l’association des bureaux de recouvrement. La déontologie de la profession d’avocat, aujourd’hui codifiée à l’initiative des Ordres communautaires, participe de la définition générale puisque ces codes de déontologie contiennent l’ensemble des règles qui encadrent et régulent l’exercice de la
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ACTU
fiant, de la sorte, les règles de comportement spécifiques consacrées par la déontologie.
... profession d’avocat et imposent à ce dernier des normes de comportement. La déontologie de la profession d’avocat est toutefois habituellement pensée, par les avocats eux-mêmes, comme un corps de règles unique, irréductible aux autres déontologies et ce, sans doute dans la mesure où la déontologie des avocats ne se contente pas de leur imposer des obligations ou de formuler des interdits, mais consacre des valeurs qui fondent et justifient la profession elle-même. La déontologie des avocats puise essentiellement son inspiration, et donc son contenu, dans des considérations éthiques, c’est-à-dire dans la conviction que les valeurs morales doivent être respectées et mises en œuvre, non par simple obligation mais parce que ces valeurs morales correspondent au bien d’autrui. Ce lien particulier entre déontologie des avocats et éthique est illustré par l’obligation, essentielle, de l’avocat d’agir dans l’intérêt exclusif de son client (moyennant le respect du droit et l’adoption d’une attitude loyale). Pendant longtemps, les avocats ont cru pouvoir revendiquer une autonomie absolue, leur permettant de fixer librement les droits et obligations des membres de la profession et sous le seul contrôle des autorités ordinales. Ce temps est révolu. Depuis plusieurs dizaines d’années, des forces disparates (droits de l’Homme, liberté fondamentale, droit de la concurrence, protection du consommateur,…) ont œuvré à réduire cette autonomie supposée en cherchant à imposer aux avocats des règles de comportement applicables à tous et en disquali-
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Non sans avoir manifesté à l’origine de fortes réticences à cette évolution, et non sans avoir tenté de combattre son avancée inexorable, les avocats ont revisité leur déontologie et en ont supprimé ou modifié nombre de règles qui pouvaient être qualifiées de corporatistes et qui n’étaient, en tout cas dans leur contenu antérieur, pas directement liées au principe des valeurs essentielles qui fondaient la profession. On peut, en ce sens, dire que la déontologie des avocats a été modernisée. Pour certains, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la profession, cette évolution est insuffisante et la déontologie pourrait continuer à perdre sa substance et perdre toute autonomie par rapport au droit commun, ne subsistant éventuellement qu’à titre d’argument de marketing. La légitimité ou la régularité de la règle déontologique continue à être régulièrement remise en cause auprès des cours et tribunaux à l’initiative d’autorités de contrôle étrangères aux autorités ordinales et disciplinaires. La singularité de la profession d’avocat et la justification de l’existence de règles déontologiques particulières a toutefois été reconnue et consacrée par les plus hautes instances judiciaires (Cours de Justice de l’Union européenne, Cours constitutionnelles belges) en raison, d'une part, du rôle essentiel joué par l’avocat dans l’exercice du pouvoir judiciaire et, d’autre part, dans la mesure où les règles déontologiques garantissent la pérennité de l’indépendance de l’avocat et son intervention dans l’intérêt exclusif de son client. La déontologie des avocats est-elle aujourd’hui sous influence du droit commun ? Est-elle en passe de se dissoudre dans celuici ? Le maintien de son autonomie n’est-il pas le gage de ce qui fonde le statut même de l’avocat ? Ces questions méritent d’être examinées et feront l’objet d’une journée d’étude organisée à Liège, le 4 mai prochain, à laquelle nous vous invitons chaleureusement à participer.
“LA DÉONTOLOGIE CONTRE LE DROIT ?”,
colloque de la Commission de déontologie des barreaux de Liège - Verviers - Eupen - Huy, 4 mai 2017. RENSEIGNEMENTS : http://lettre.barreaudeliege.be/colloque/ INSCRIPTIONS EN LIGNE sur http://bit.ly/2jaWfu4
MÉTIERS
En tant que partenaire privilégié de toutes les professions juridiques, le Groupe Larcier a pour vocation de vous accompagner dans la réussite de vos projets professionnels. Dans ce cadre, Émile & Ferdinand a voulu mettre en lumière la profession de magistrat, dont la nouvelle génération se doit de résister aux mesures qui pourraient lui faire perdre son âme et son crédit. Philippe Bouvier et Benoit Dejemeppe, deux magistrats de renom, se sont prêtés au jeu et nous livrent leur vision du métier, de LEUR métier.
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“ Un auditeur écoute, un auditeur entend…” C’était au restaurant « La Mère Moulin », à Ceyrat, près de Clermont-Ferrant. Nous sommes en 1941. En ces temps troublés, une voix s’élève parmi les convives. Elle est celle de Michel Debré qui, en sa qualité d’auditeur le plus ancien au Conseil d’État de France, accueille ses nouveaux collègues par ces questions : Messieurs les nouveaux promus (…), je vous dois quelques explications. Un auditeur écoute, un auditeur entend… mais que doit-il écouter, que doit-il entendre ?
Philippe Bouvier Magistrat et enseignant
Le sait-on encore, au temps de Louis XIV, la juridiction du Châtelet de Paris, comptait déjà des auditeurs parmi ses membres. C’est sous Napoléon Bonaparte qu’en 1803, les auditeurs firent leur « joyeuse entrée » au sein de son tout jeune Conseil d’État. Ils étaient là pour s’initier aux choses de l’administration : un auditeur écoute, un auditeur entend…. La légende veut que les conditions d’accès étaient d’ailleurs à la por-
tée d’un grand nombre : écrire le mot « carotte » sans faute faisait de vous un auditeur de première classe, en écrivant « quaraute », une troisième classe était assurée ! Le sait-on aussi, notre Conseil d’État compte des auditeurs en son sein depuis sa création, en 1946. Dès 1832 toutefois, la première proposition de loi visant à instituer un Conseil d’État en Belgique prévoyait déjà de lui en adjoindre. Demeure la question centrale : pour quoi faire ? Ni une école d’initiation aux fonctions publiques, ni même un passage obligé pour être « élevé » au rang de conseiller d’État. Alors ? Magistrat instructeur et amicus curiae, il est tout cela à la fois. Pièce essentielle sur l’échiquier formé par le Conseil d’État, il participe aux activités de la section de législation et assure l’instruction des affaires en section du contentieux. Mais
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encore ? Au vrai, son office varie du tout au tout, selon qu’il l’exerce dans l’une ou l’autre des sections - législation ou contentieux - qui composent le Conseil d’État. Ceci tient à la nature propre des fonctions dédiées à chacune d’entre elles. Conseiller juridique des différents parlements et gouvernements dont notre Royaume ne manque pas, la section de législation est chargée de donner des avis, non contraignants, sur les multiples textes en projet, législatifs et réglementaires, soumis à son analyse juridique. Pour sa part, la section du contentieux connaît des litiges qui opposent le citoyen et l’administration. Elle a le pouvoir de mettre à néant les actes des multiples « autorités administratives » qui parsèment le pays mais encore, entre autres, de « casser » les décisions du Conseil du contentieux des étrangers. Ajoutons aussi que le rayon d’action varie selon les sections. Au contentieux règne en maître le droit constitutionnel et administratif. Le spectre est plus large en législation : il va du droit public au droit privé, pour couvrir finalement toutes les branches du droit. Qui ne pressent déjà que les métiers ne se ressemblent pas… 1
En législation, l’auditeur reçoit les lois, les décrets, les ordonnances, les arrêtés en projet dont le Conseil d’État est saisi. Efficacement secondé par des experts en la matière, il rassemble la documentation nécessaire à la compréhension du texte qui lui est soumis. Il scrute celui-ci jusque dans ses moindres détails, pose à la personne désignée par le demandeur d’avis toutes les questions que son analyse suscite. Et il y en a parfois beaucoup : « ce qui se conçoit bien… ». Il rédige alors un rapport destiné à la chambre, en règle composée de trois conseillers, chargée de donner l’avis. Il rejoint ensuite ceux-ci, le plus souvent dans ce qui fut la salle à manger du Roi-Chevalier et de son épouse, avant que le premier délaisse un temps son cheval pour monter sur le trône. Les nourritures terrestres y ont aujourd’hui fait place à celles de l’esprit. L’avis prend corps. Il naît du dialogue entre le membre de l’auditorat et les conseillers d’État. Bien souvent, l’avis de la section de législation reprend in extenso des passages entiers du rapport, quand ce n’est pas le rapport tout entier. Qui n’y voit la reconnaissance d’un travail bien fait ?!
Contrairement à ce que, parfois, nous disent les médias…
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Au contentieux, c’est une tout autre affaire. Il s’agit d’un procès et le procès est fait à un acte le plus souvent posé dans l’exercice de l’administration active. La légalité de cet acte est contestée. Une requête est introduite et les parties échangent leurs arguments. Tout a lieu jusque-là par écrit. C’est encore par le biais d’un écrit - le rapport de l’auditeur - que ce dernier, tel le Petit Prince, apprivoise le dossier dont il a la charge. Après avoir fait siens les faits de la cause et l’argumentation des parties, il procède à l’examen des moyens invoqués par le requérant, puis il s’engage : l’acte attaqué résiste, ou non, aux critiques de légalité. Son rapport est ensuite soumis à la contradiction des parties. Vient alors l’audience, à l’occasion de laquelle après les plaidoiries, il donne son avis : un dernier coup de projecteur sur l’affaire avant qu’elle ne soit mise en délibéré. À l’audience, l’auditeur ne demande rien1. Il requiert encore moins. Simplement, il dit ce qu’il ferait si la décision lui appartenait. Il ne s’exprime pas non plus au nom de l’auditorat, mais en son nom propre, sans être partie au procès. Son point de vue, pour l’essentiel, ne surprend pas : il est connu depuis la communication de son rapport.
MÉTIERS
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Le traitement du contentieux est à la médecine curative ce que le travail accompli en législation est à la médecine préventive. Ici, il revient à l’auditeur de prévenir les difficultés que la mise en vigueur du texte en projet pourrait entraîner quant à sa cohérence juridique externe et interne. Là, le litige est borné par les parties et, le moyen d’office excepté, l’auditeur ne franchit pas ces limites.
On le voit, l’auditeur affecté au contentieux évolue dans un monde bien différent de celui que fréquente l’auditeur affecté en législation. Ils sont pourtant juristes tous les deux et déambulent dans les mêmes couloirs. Il fut même un temps, certes lointain, où ils exerçaient les deux fonctions dans un même mouvement. Aujourd’hui, ils ont toujours vocation à exercer l’un ou l’autre de ces deux métiers. Occasionnellement, il leur arrive encore de prêter main forte les uns aux autres. Franchir ainsi le Rubicon est cependant devenu chose malaisée. La spécialisation devient la règle : les jurisconsultes ont cédé leur place aux techniciens du droit. Et l’urgence fait le reste même si, sans doute, elle n’est trop régulièrement avérée que dans le chef de la personne pressée qui l’invoque.
L es jurisconsultes ont cédé leur place aux techniciens du droit.
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En législation, les demandes d’avis à donner dans les trente jours forment en pratique la norme. Souvent, elles sont supplantées par des « urgents cinq jours ». Les urgents « soixante jours » ont moins de succès. Quant aux demandes d’avis sollicitées dans un délai laissé à la discrétion du Conseil d’État, l’heure est sans doute venue d’envisager leur conservation dans un musée. Il demeure que, face à l’avalanche épisodique des demandes urgentes, spécialement à l’entame de la période estivale, le Conseil d’État est trop souvent contraint de limiter son examen aux trois points inscrits dans la loi que sont la compétence de l’auteur de l’acte, la question du fondement juridique du projet et l’accomplissement des formalités prescrites. Au contentieux, c’est l’extrême urgence qui le dispute à l’urgence, lesquelles finissent par prendre, plus souvent qu’à leur tour, le pas sur les recours introduits
selon la procédure ordinaire. Alors, les étapes de la procédure se télescopent. S’il lui est encore donné de rédiger un rapport sur l’affaire lorsque l’urgence invoquée tient en « la présence d’un inconvénient d’une certaine gravité », la pression devient maximale lorsque le péril allégué est imminent, au point que ledit « sacrosaint rapport » est alors purement et simplement sacrifié au profit de l’avis donné à l’audience. Préparé à la hâte, mais toujours consciencieusement, l’avis requiert de son auteur autant de présence d’esprit que de maîtrise de son sujet. Ici encore, l’on ne peut qu’épingler les défis relevés au quotidien par les membres du Conseil d’État qui, c’est un euphémisme, sont de surcroît trop souvent entravés dans leur course par des actes de procédure kilométriques… Les pièges de la procédure que les réglementations successives se sont ingéniées à multiplier ne leur facilitent pas la tâche non plus. Non sans un brin de nostalgie, je me remémore
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... ces lignes de feu le Premier référendaire Christian Lambotte, écrites il y a 25 ans : « Les procédures nouvelles ont besoin de l’épreuve du temps, mais on peut penser qu’une refonte mûrie des textes pourra amener plus de clarté et davantage de logique ». Il est trop peu de dire que l’on attend toujours : c’est même le chemin inverse qui a été pris. L’urgence et le droit n’ont nullement vocation à faire bon ménage. Voici également un quart de siècle, Robert Henrion ne soulignait-il pas encore que « le droit est une discipline de raisonnement qui requiert de la rigueur et du temps avant de prendre parti » ! Contre mauvaise fortune, il faut bien faire bon cœur et, quelle que soit leur affectation, les auditeurs du Conseil d’État y mettent assurément du leur pour que leurs travaux permettent de donner une impulsion décisive aux avis donnés et aux arrêts rendus par le Conseil d’État. Dans les deux cas, leur
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premier examen se double de celui des conseillers et, par une sorte de mouvement dialectique, la qualité de l’ouvrage se trouve ainsi le plus souvent préservée. Quant au chef de corps, il lui revient de gérer ce grand ensemble, qu’il s’agisse de l’allocation optimale des ressources dont il dispose, de la distribution équitable des affaires, de l’organisation des travaux. À lui d’écouter, d’encourager, de rassembler, de prévenir les difficultés de tous ordres ou de les surmonter. Il gère la carrière de ses collègues et celle du personnel administratif, autant que leur bien-être, l’œil toujours rivé sur les statistiques pour que le respect du délai raisonnable ne devienne pas un vain mot. La courtoisie, le tact et le sens du consensus l’accompagnent dans ses rapports avec les autres chefs de corps du Conseil d’État. À l’extérieur de l’institution, il en est l’image, où l’entregent à la dignité harmonieusement se mêle.
Un G.O…… Au crépuscule d’un parcours long de bientôt quinze années, l’idée plus que jamais me taraude qu’il n’est vraiment un « gentil organisateur », telle est bien sa destinée, que s’il allie au quotidien le sens de l’anticipation à ceux de la communication et de la conciliation, et parfois même à celui de l’abnégation. Le chef de corps idéal n’existe pas, bien sûr. Pour autant, n’est pas primus inter pares qui veut ! Il ne le devient qu’à la condition que ses pairs lui fassent l’honneur de lui reconnaître cet état. Tout est question de confiance ! Je termine par où j’ai commencé : l’auditeur et ses fondamentaux. Un auditeur écoute, un auditeur entend… quel que soit le métier qu’au sein du Conseil d’État il exerce. Mais il fait bien plus qu’écouter et entendre. C’est, à la vérité, toujours de l’accomplissement d’une mission d’éclaireur avisé qu’il s’agit, dans une « splendide indépendance ».
Un parcours de magistrat
Benoit Dejemeppe Conseiller à la Cour de cassation
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Pour commencer, quelques lieux communs : rien n’est écrit, on ne sait jamais ce que sera demain, « ce n’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme ». Un peu de chance, un peu de malchance, les gens qu’on croise, ceux avec qui l’on marche, un peu de curiosité et de volonté aussi. Aux jeunes auxquels l’âge permet de donner un conseil à défaut d’avoir donné l’exemple, je dirais que les étapes d’un parcours professionnel ne s’accumulent pas selon le modèle de la ligne claire comme le tracé d’une autoroute. Avec le recul, on mesure mieux que, si l’adolescence est l’époque effervescente de tous les possibles, la
rencontre d’adultes créatifs permet d’ouvrir des horizons, de nous élever parfois au-dessus de nous-mêmes, de tracer des jalons d’une aventure dont le dernier acte, lui non plus, n’est pas écrit. À vrai dire, je ne savais pas trop comment m’orienter à la fin du secondaire sinon que l’exemple du barreau m’intéressait. Cinq ans plus tard, me voici en toge au palais avec l’enthousiasme des jeunes qui voulaient défendre une certaine idée de la justice, ancrée dans le respect des droits de l’Homme. Le passage par la profession d’avocat constitue une formation incomparable en termes de débrouillar-
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dise, de contacts humains, de recherches juridiques, d’apprentissage de la gestion des conflits, de joies en cas de succès et de confrontations à l’échec. C’est aussi un dur métier de combat où, comme il n’en a pas le monopole d’ailleurs, la confraternité peut n’être que le déguisement de la concurrence. À la fin du stage, l’occasion de tenter la magistrature m’a été donnée. Voyant l’intérêt que je portais à la chose publique, des futurs collègues m’avaient encouragé à rejoindre le parquet de Bruxelles. Si chaque nouveau projet est aussi en soi une naissance, la perspective de donner un tour nouveau à cet engagement professionnel portait en elle la volonté de regarder l’avenir comme une promesse de participation plus active à la marche d’une entreprise au service de l’intérêt général, mais qui ne fonctionne pas dans un univers aseptisé, imperméable à la confrontation avec le monde extérieur.
On croit parfois que le parquet n’a qu’un rôle répressif et que les membres du ministère public sont chargés d’envoyer en prison tous ceux qui ont marché de travers. Rien n’est plus faux mais les ap-
Q uel métier exaltant que celui-là, pratiqué dans un esprit d’équipe et qui permet de s’accomplir dans des domaines les plus divers. parences peuvent être trompeuses pour l’homme de la rue. Il y a longtemps que la société n’attribue plus au parquet le rôle d’une machine de guerre. S’il porte toujours l’accusation, le procureur a également une autre mission capitale, celle d’intervenir pour proposer au juge une solution de justice. Un procès a pour raison d’être de contribuer à la paix entre les hommes et non à la victoire des uns et à la défaite des autres. Par ailleurs, il exerce aussi, quand c’est possible, un rôle de médiation. Au parquet, les dossiers se traitent par dizaines de milliers. L’ampleur de la tâche, les lourdes responsabilités, les horaires chargés ne sont pas des légendes. Mais il faut aussi souligner l’intérêt du travail, sa diversité, les nombreux contacts avec l’extérieur que la profession implique, que ce soit avec les services de police, les avocats, les médecins, les experts, les intervenants sociaux, les administrations
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ou encore les responsables politiques. Quel métier exaltant que celui-là, pratiqué dans un esprit d’équipe et qui permet de s’accomplir dans des domaines les plus divers, comme la politique de la jeunesse, la lutte contre le grand banditisme, la criminalité économique et financière, ou encore la délinquance urbaine, pour ne citer que quelques exemples. Certes, il y a là comme partout des ronds-de-cuir. Mais celles et ceux qui ont à cœur de donner le meilleur d’eux-mêmes à travers les bons et les mauvais moments, et qui veillent à l’équilibre entre l’autorité et l’altérité, y font l’expérience d’une réelle utilité sociale. Il en a été de même de la fonction de juge d’instruction, pratiquée en un temps où l’on n’imaginait pas encore qu’elle serait un jour un job périmé. Il faut reconnaître que cette fonction repose sur une ambiguïté : le juge d’instruction a une double
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Dans ces temps où l’on se focalise surtout sur le coût de la justice, le défi de la nouvelle génération de magistrats est de résister aux mesures qui pourraient lui faire perdre son âme et finir par la discréditer.
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casquette, il est à la fois un arbitre (un juge) et un acteur (un enquêteur). Tantôt il rend des ordonnances juridictionnelles et se comporte comme un arbitre, tantôt il est acteur et mène des investigations, recueillant des preuves soit directement, soit via des policiers qui agissent à sa demande. Il joue alors un rôle analogue à celui joué par le ministère public au stade de l’enquête, mais armé de pouvoirs plus importants par rapport à l’exercice des libertés publiques (p. ex., le mandat d’arrêt, la perquisition, les écoutes téléphoniques). Comment peut-il rester impartial dans ses décisions ? Le juge d’instruction peut-il survivre à une telle contradiction ? Par ailleurs, la confiance des citoyens dans la justice est tributaire de l’impartialité avec laquelle elle est rendue. Si l’on supprime le juge d’instruction, il faudra revoir l’organisation du parquet pour compenser la disparition de cette garantie. À l’entame de l’an 1989 et pendant quelque quatorze années, j’ai également exercé la fonction de procureur du Roi. Par tempérament, les activités qui mêlent initiative, gestion et animation m’intéressent. Ainsi, la direction du parquet a impliqué, notamment, la mise en place de quelques projets innovants et une dé-
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termination à motiver les collaborateurs pour contribuer à conduire l’évolution tant dans l’ordre interne qu’en matière de relations externes. Par exemple, le souci d’intégrer la victime dans le procès pénal, la formation permanente des magistrats, la communication publique, la participation aux premiers jalons pour un espace judiciaire européen (on était dans les années 90…). Aujourd’hui, plus aucune réalité n’échappe au monde des nombres et au contrôle des algorithmes. Tout se dit en chiffres, mais pourquoi ? Il ne s'agit pas seulement de produire davantage, dans de meilleures conditions et plus vite. La quantité ne peut se substituer à la qualité tandis que la mauvaise monnaie chasse toujours la bonne. Tout en pratiquant les méthodes d'efficacité, il faut fixer l’aiguille de la boussole sur ce qui est l'essentiel de la justice, sans quoi elle ne serait plus qu'un corps inanimé : la décision indépendante et la réflexion personnelle, constamment réinventée. Il serait ici déplacé de surévaluer la place incarnée par le magistrat dirigeant pour accomplir cette tâche. Mais en stimulant la démocratie interne, la volonté d’agréger les collègues permet sans doute de faire quelques pas dans cette direc-
tion. Dans ces temps où l’on se focalise surtout sur le coût de la justice, le défi de la nouvelle génération de magistrats est de résister aux mesures qui pourraient lui faire perdre son âme et finir par la discréditer, pour se fixer sur un horizon qui, lui, n’a pas de prix. Au regard de ces activités, celles de la Cour de cassation, où je siège dans la chambre pénale depuis 2003, paraissent plus monacales et, en apparence du moins, assez détachées du réel. Vue par le petit bout de la lorgnette, la cassation pourrait ressembler à un gaspillage raffiné de l’intelligence ou, pire encore, à une fabrique de clones par des juges performants mais qui n’ont que des antécédents à la place du cerveau. Gardons-nous de la caricature. Il est vrai que dire le droit implique de se soustraire à la contamination d'éléments extérieurs et qu’ayant pour mission de veiller à l’exacte application de la loi par le juge, la Cour de cassation ne connaît pas le fond des affaires. Pourtant, elle n’a jamais été une juridiction d’entérinement, et ses magistrats, qui doivent veiller à l’équité des procédures, n’ont pas pour vocation d’être des tabellions. Dans un monde bousculé, ils sont les garants des vertus fondamentales du pouvoir judiciaire : son indépendance, sa quête de justice, sa recherche aussi de la pacification des conflits par le droit. L’examen de la solution d’un pourvoi, les discussions avec les membres du parquet et les référendaires, en particulier lorsque le terrain de l’interprétation de la loi est encore en friche, l’écriture d’un projet d’arrêt avec, le cas échéant, l’une ou l’autre alternative, la délibération collégiale (en règle, cinq juges) et la remise en cause qu’elle peut produire, la rédaction de la version finale de la décision, dont il faut avoir conscience qu’elle peut influencer la solution d’autres litiges, tout cela constitue une tâche passionnante, même si elle n’est guère spectaculaire. C’est une école de modestie où la formation permanente ne trouve son terme qu’avec la mise à la retraite.
DROIT ET CULTURE
Les mots
de la justice
CONCOURS Tentez de gagner
10 exemplaires
de l’ouvrage Les mots de la justice
en envoyant un e-mail à emileetferdinand@larciergroup.com Les 10 premières personnes à avoir envoyé un e-mail recevront 1 exemplaire de l’ouvrage.
Publié aux éditions Mardaga, l’ouvrage Les mots de la justice a pour objectif de faire connaître des recherches sur une institution méconnue - la justice - aux citoyens. Il donne à lire, et à voir, des recherches inédites dans une perspective alliant passé et présent. Xavier Rousseaux, membre du comité éditorial, nous parle de cet ouvrage et répond aux questions d’Émile & Ferdinand. Émile & Ferdinand : Comment vous est venue l’idée de réaliser cet ouvrage ?
“ Xavier Rousseaux Directeur de recherche FRS-FNRS, Coordinateur du PAI Justice & Populations
Xavier Rousseaux : Comme souvent, un projet d’ouvrage naît d’un constat de carence. En 2004, quelques universitaires constatent la faible intégration des recherches menées sur la fonction judiciaire, pourtant une des fonctions les plus importantes de l’État. En 2007, ils décident de monter un réseau de recherche interdisciplinaire sur la justice belge. Il s’agissait d’étudier la justice de manière scientifique comme un phénomène social, économique, politique ou culturel. La Belgique disposait alors de programmes de recherche modèles : les Pôles d’attraction interuniversitaires (PAI), soutenus par BELSPO. Ils permettaient à des équipes issues des universités francophones, des universités néerlandophones, d’universités étrangères et des établissements scientifiques fédéraux de
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Les mots de la justice, Éditions Mardaga, ISBN : 9782804703950, 25,00 €
coopérer au-delà des frontières institutionnelles. Sept équipes belges, françaises et néerlandaises se sont engagées dans un projet de cinq ans sur Justice & Société. Fort du succès de l’expérience, le réseau a été renouvelé pour cinq ans supplémentaires avec quatorze partenaires belges, français et allemands sur Justice & Populations.
dites dans une perspective alliant passé et présent. De plus, ces recherches ont été menées de manière interdisciplinaire : juristes, criminologues, historiens, sociologues et historiens de l’art ont interrogé dame Justice dans leur langage spécifique. Il a ensuite fallu traduire cette interdisciplinarité en des mots accessibles à tous.
Plusieurs dizaines de chercheurs se sont livrés à des investigations de fond, sous forme de thèses de doctorat et de projets postdoctoraux. Dix ans plus tard, chercheurs et promoteurs ont souhaité communiquer les résultats des travaux menés sous la forme d’une Encyclopédie de la justice belge, parue en 2015 (www.bejust.be). À côté de cette présentation destinée à des spécialistes, il apparut utile de communiquer aux publics intéressés une version attractive des questions abordées par les chercheurs à propos d’un pilier de notre démocratie.
Le réseau PAI a bénéficié d’un financement public ; il était logique qu’il délivre en retour un apport à la société et au public le plus large. Le livre s’adresse ainsi à tous ceux qui fréquentent régulièrement ou occasionnellement un palais de justice, un commissariat, une prison : justiciables, personnel de la justice, défenseurs, chroniqueurs… Mais aussi, plus largement, à tout citoyen intéressé par la question ou simplement amateur de beaux livres. L’idée était celle d’un « coffee table book », destiné à être feuilleté et vu, autant que lu. Dans cette optique de large diffusion, les promoteurs ont été attentifs à ce que le livre soit proposé à un prix abordable. Six grands thèmes ont été retenus : les valeurs portées par la justice en démocratie (transparence, indépendance, etc.), les acteurs (juges, ministère public mais aussi greffiers, huissiers, assistants de justice, experts, etc.), les parcours et procédures (plainte, dénonciation, méthodes d’enquête, etc.), les actes et leurs conséquences (correctionnalisation, peines alternatives, récidive, etc.), les évolutions de la justice au
Pourriez-vous nous présenter son contenu en quelques mots ? À qui est-il destiné ?
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L’objectif des promoteurs est de faire connaître des recherches sur une institution méconnue - la justice aux citoyens. Il ne s’agissait pas de résumer des informations existantes, mais de donner à lire et à voir des recherches iné-
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I l apparut utile de
cours du temps (guerres, langues, abolition de la peine de mort, internationalisation, etc.) et les représentations (architecture, symboles, médiatisation, etc.) qui nourrissent notre imaginaire et parsèment notre environnement. Chaque thème regroupe une série de mots et se ferme sur un dossier plus approfondi (droits de l’Homme, acteurs méconnus, temps judiciaire, etc.). Comment s’est passé le travail d’écriture ?
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Plus qu’un ouvrage collectif, ce livre a été conçu à partir d’une approche collaborative. Des ateliers participatifs entre chercheurs et promoteurs ont permis de faire émerger la structure générale de l’ouvrage, née d’échanges constructifs entre les différents contributeurs. Ces échanges ont aussi favorisé l’émergence de collaborations interdisciplinaires et intercommunautaires. Certains articles sont d’ailleurs écrits à plusieurs mains, unissant ainsi des savoirs et des points de vue complémentaires. Une sélection de mots s’est dégagée des discussions. Spécialistes chevronnés, mais surtout jeunes chercheurs, ont été chargé de résumer en quelques lignes les significations du mot. Ce sont ainsi non moins de septante auteurs qui ont pris la plume ; au noyau de chercheurs du PAI sont venus s’ajouter d’autres chercheurs ou praticiens, associés de près ou de loin au projet, et partageant cette même volonté de diffuser leurs connaissances. Il leur était demandé de construire un texte d’une page à partir d’objets, de témoignages ou d’images qui illustrent les liens entre la justice et la société. L’iconographie était donc conçue comme le point de départ des contributions et non comme leur illustration. Un soin tout particulier a donc été accordé au choix des images destinées à illustrer les textes, afin de mettre en lumière la diversité des acteurs et des lieux de justice belges. Le patrimoine judiciaire, qu’il soit archivistique ou monumental est encore largement méconnu et méritait d’être davantage valorisé. Plusieurs photographes renommés ont travaillé à aiguiser notre regard sur les traces laissées par la justice dans notre environnement. La collection « Les mots de… » offrait un cadre rêvé pour mettre en valeur ce kaléidoscope judiciaire. La mise en page claire et agréable permet au lecteur de « picorer » l’information grâce à plusieurs niveaux de textes : des chapitres, des dossiers thématiques, de nombreuses illustrations légendées, des anecdotes encadrées et, bien entendu, des mots à explorer. Les mots renvoient, en outre, les uns aux autres, pour permettre une lecture transversale. Un comité de pilotage, composé de nombreux experts, a participé activement à la relecture des textes, en vue de les rendre accessibles à tous, sans toutefois ne rien céder à la rigueur scientifique. Défi supplémentaire, les textes ont été rédigés et traduits en français ou en néerlandais par des chercheurs issus de toutes
communiquer aux publics intéressés une version attractive des questions abordées par les chercheurs à propos d’un pilier de notre démocratie.
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les communautés du pays, grâce à un partenariat entre les éditions Mardaga et Snoeck. Quels sont les enjeux de cet ouvrage ?
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Aujourd’hui, la fonction de justice dans une société complexe comme l’est la Belgique fait l’objet de jugements sans nuance, mais rarement fondés sur des études scientifiques. Il existe peu de travaux réalisés dans une perspective interdisciplinaire. Le premier enjeu de ce livre est de renouveler nos connaissances, voire de les établir pour certains domaines. Un deuxième est de les communiquer sous une forme accessible. Le troisième objectif est de contribuer, par ce petit livre, au débat sur la place de la justice dans la société. Il est frappant de voir comment l’évocation de la justice entraîne un débat immédiatement guidé par l’émotion ou la moralisation, le recours aux slogans et aux accusations. Or ce débat touche aux équilibres fondamentaux entre pouvoirs dans une démocratie. Un tel ouvrage est un manifeste de chercheurs et praticiens critiques, qui veulent défendre une honnêteté intellectuelle, souvent battue en brèche par les « petites phrases » assassines. La justice imprime profondément notre imaginaire, elle régule nos conduites et peut modifier nos destins. Elle garantit l’équilibre entre nos désirs de liberté et nos besoins de sécurité. Parfois, elle est amenée à corriger les dérives du passé. Dans une société démocratique, son fonctionnement prétend à l’indépendance envers tout pouvoir et au service des citoyens. À ces derniers de ne pas perdre de vue ces fonctions fondamentales, assurant à la fois la discussion démocratique et la paix publique dans une société en rapide évolution. C’est à cultiver et à éclairer ce débat d’idées et de pratiques qu’est invité le lecteur des Mots de la justice.
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EVENT
“La Boum” des avocats
avec Jean-Pierre & Dominique
Ce 6 décembre, les enfants du divorce de l’Ordre national des avocats organisaient leur boum d’anniversaire : 15 ans ! Compte rendu de cet événement, organisé au Palais des Beaux-Arts, par Pierre Henry et Jo De Meester.
« L'adolescence : une transition, une crise ou un changement ? » (M. TABORDA-SIMOES) Les faux jumeaux Jean-Pierre & Dominique ont entrepris de nous l’expliquer avec psychologie, tout en présentant l’ouvrage remarquable de 368 pages édité pour l’occasion #Advocaat-Avocat. Une transition ?
Je dirais même plus « la bonne décision » martèle d’emblée Dominique en soulignant la satisfaction générale à cet égard et surtout la source d’inspiration et de créativité qui en a jailli.
Pierre Henry Bâtonnier du Barreau de Verviers
Jean-Pierre surenchérit en précisant que cette séparation fut l’occasion pour les deux Ordres de se voir confier par l’État une mission tout à fait particulière « qui dépasse les intérêts égoïstes de ses membres » : prendre toute initiative et mesure utile pour défendre les justiciables, donnant ainsi aux Ordres « un rôle de gardien de l’administration de la Justice ». Cette transition maintient cependant l’indépendance de chacun des Ordres, lesquels font partie du pouvoir judiciaire, sans que ce rattachement ne s’accompagne d’une dépendance à son égard !
Jo De Meester Avocat au Barreau d'Anvers, membre de son CO et de l'AG de l'OVB
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Une crise ?
Notre monde est en constante évolution, poursuit Dominique, et les services juridiques n’échappent pas à la règle. Leurs utilisateurs exigent de la rapidité, de
l’efficacité, de la compétence pour un coût réduit. L’avocature est concurrencée et Dominique nous prédit une « révolution drastique ». Selon Jean-Pierre, nous sommes également à « l’intersection de plusieurs failles » ; le modèle économique de la profession s’est profondément modifié et son avenir paraît fragilisé face au nouvel environnement qui est le sien. On peut donc bien parler de crise… Un changement ?
C’est bien, selon Dominique, la seconde étape qui doit suivre la première, celle de la séparation. Comme dans tout divorce… Se basant sur nos valeurs fondamentales que sont l’indépendance et le secret professionnel, notre profession doit se repositionner dans le monde des services juridiques comme unique en son genre. Dépoussiérée, et en-dehors de tout tabou, elle doit s’inscrire d’urgence dans l’évolution économique de notre société et s’imposer un contrôle de qualité, s’ouvrir à la multidisciplinarité et au capital de tiers, s’investir dans la formation permanente et bien plus encore… Il souligne que la digitalisation qui est en cours est cruciale pour notre avenir et qu’il faut s’y consacrer largement.
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Jean-Pierre est également favorable au développement de l’intelligence artificielle, au bénéfice de tous les avocats. Il revendique l’innovation et la croissance par l’acte d’avocat diversifié, par une meilleure place de l’avocature dans les class action, par l’extension du périmètre à d’autres activités. Ensemble, ils martèlent : « le conseil est notre avenir » ; « réveillons-nous ! »… Comme des vrais jumeaux ? Suit alors la distribution du livre #Advocaat-Avocat qui rappelle d’abord, par l’intermédiaire des historiens Bart (Coppein) & Jérôme (de Brouwer), que l’Ordre national est bien davantage qu’un simple prédécesseur, il est « le lieu d’expression des préoccupations des avocats belges - néerlandophones, francophones et germanophones - au cours d’une période de mutations fondamentales qui apparaît comme un « pivot » de l’évolution de la profession ».
Ce qui traverse l’histoire des Ordres, c’est un phénomène de rassemblement qui paraît devoir être mis en avant, ainsi que les modes d’action que ce rassemblement permet pour peut-être influer sur le cours de l’évolution de la profession. Le fil rouge selon ces historiens : celui de la nécessité de se rassembler pour envisager une certaine homogénéisation de la profession d’avocat, et pour réfléchir et agir ensemble face à l’évolution d’un environnement socio-économique qui, de décennie en décennie, renvoie à l’héritage des acteurs concernés par les défis du présent. L’ouvrage, enrichi de témoignages et d’illustrations, met aussi en perspective les points de fuites de demain, « de quoi nourrir la réflexion sur l’avenir… » Pour conclure, il nous est rappelé que la fusion des arrondissements judiciaires, l’augmentation significative du nombre d’avocats, l’évolution des attentes des
L e modèle économique de la profession s’est profondément modifié et son avenir paraît fragilisé face au nouvel environnement qui est le sien.
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clients à l’égard des avocats, la nécessité d’assurer l’accès à la Justice pour tous les citoyens et, « last but not least », l’informatisation du système judiciaire, et d’une manière plus générale l’ensemble des défis que les avocats doivent relever pour assurer la survie de la profession dans l’avenir, conduisent les Ordres à entamer une réflexion approfondie sur la profession, mais aussi sur eux-mêmes. Ce débat fondamental passera inévitablement par la question du partage des responsabilités entre les barreaux locaux et les Ordres communautaires, et par la question de la mise en commun des moyens mis en œuvre, dans l’intérêt tant des avocats que des justiciables.
dence la faiblesse (numéraire) des francophones présents, ce qui est un peu regrettable et regretté… Avec le « quart d’heure américain » qui met en évidence la minorité féminine (tout aussi numéraire), ce qui est également regrettable et regretté ! Nous quittons la magnifique Rotonde Bertouille du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en rêvant encore à une profession d’avocat « en plein boum ». Découvrez la présentation de l’ouvrage en vidéo.
Cette recherche d’une action plus efficace conduira peut-être un jour à la transformation de chacun des deux ordres en un « Ordre des Avocats Francophones et Germanophones » et en un « Orde van Vlaamse Advocaten » ! Mais la réception se termine déjà… En toute convivialité, avec de sympathiques dédicaces, qui mettent en évi-
#Advocaat – Avocat, sous la direction de Jean-Pierre Buyle et Dominique Matthys, Éditions Larcier, 368 p., 75,00 €
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MARKETING JURIDIQUE
Orientez vos efforts de marketing d’abord vers vos clients existants Les moyens sont toujours limités. Si vous vous sentez obligé de choisir comment dépenser votre argent marketing et votre temps, soit à la prospection de nouveaux clients, soit au maintien des relations avec vos clients existants, choisissez toujours cette deuxième option. Explications et conseils pratiques avec Ben Houdmont, Managing Consultant au sein de KnowToGrow Legal.
Ben Houdmont Managing Consultant KnowToGrow Legal www.knowtogrow.be
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Pourquoi la communication marketing avec les clients existants est-elle tellement importante ?
Faire un nouveau client coûte 5 à 9 fois plus cher que d’obtenir du travail supplémentaire chez un client existant. Attirer de nouveaux clients nécessite du temps, de l’argent et parfois même un peu de chance. Différentes analyses révèlent que lorsque vous envoyez, par exemple, une newsletter par e-mail, le pourcentage d’ouverture de cet e-mail est sensiblement plus élevé chez les clients existants que chez les non-clients. C’est logique : vous avez en effet déjà créé une relation de confiance avec vos clients qui vous identifient et vous accordent immédiatement un certain crédit. Leur attention se porte donc automatiquement sur votre message. Chez un prospect inconnu, votre message risque, par contre, de se fondre dans la masse des nouveaux messages reçus. Vous devez en faire plus pour sortir du lot. De plus, les efforts marketing ciblant une clientèle existante ont un double effet : 1. Vos clients existants seront plus enclins à faire appel à vous pour de nouvelles demandes ; 2. Vos clients auront davantage tendance à vous recommander et vous ferez donc de nouveaux clients. Top of mind
« Top of mind » signifie qu’un client pensera spontanément à vous dès qu’il sera confronté à un problème juridique. Vous aurez chaque mois ou chaque semaine la possibilité de prouver votre valeur en tant qu’avocat à des clients pour lesquels vous travaillez souvent. Par contre, ceux pour lesquels vous travaillez moins régulièrement seront plus sensibles aux offres de vos concurrents. La communication marketing vous permet de surmonter ces périodes transitoires. Vous continuerez donc à être « top of mind » et ils continueront à venir chez vous avec leurs nouvelles questions. Davantage de recommandations
Les recommandations et références sont essentielles dans le secteur juridique. Vos clients ou contacts existants repré-
MARKETING JURIDIQUE
sentent l’un des canaux les plus efficaces pour attirer de nouveaux clients. Quand la communication marketing est mise en œuvre de manière professionnelle, il s’agit là d’un canal efficace qui met en exergue votre valeur ajoutée. La somme des expériences positives que vos clients auront eues avec vous, y compris la communication, les amènera à vous recommander plus facilement.
Comment organiser une bonne communication marketing vers les clients existants ? Développez vos relations client de manière ciblée
Obtenir de nouvelles missions de la part d’un client existant dépend de la relation que vous instaurez avec lui. Les clients ont divers besoins, mais ils ne les expriment pas forcément. Les avocats qui parviennent à comprendre et à anticiper ces besoins non exprimés acquièrent plus facilement la confiance de leurs clients. Les clés pour y parvenir sont : la connaissance du client, la proactivité, une facturation transparente et honnête, des compétences reconnues et des relations de travail cordiales. Autant d’éléments à intégrer dans votre communication marketing. Faites-en sorte que votre client vous considère comme le partenaire de sa réussite : essayez de comprendre ses activités aussi bien que lui, souciez-vous sincèrement de son bien-être, identifiez les (nouveaux) concurrents et les nouvelles perspectives. Cherchez des méthodes permettant de limiter les risques. Avez-vous une introduction chez un client potentiel ? Pouvezvous lui conseiller un sous-traitant ? Si vous lui avez rendu service de quelque manière que ce soit, vous pouvez être certain que le client se souviendra de vous. Déployez des actions marketing pertinentes
En votre qualité d’avocat, vous êtes soumis à des règles déontologiques. Vos clients n’apprécieraient pas, en effet, que votre marketing soit agressif. La clé d’un bon marketing réside dans un bon équilibre entre la régularité de votre communication et la pertinence : si vous lui envoyez des informations pertinentes et utiles, votre client vous trouvera rarement dérangeant.
Rendez-vous sur www.knowtogrow.be
Pour y parvenir, mettez-vous dans la peau de votre client. Quels sont ses problèmes et comment pouvez-vous y remédier ? Poussez votre réflexion plus loin que les questions et solutions d’ordre juridique. Pensez « en ligne » également pour vos clients existants
Pour le commun des mortels, la majorité des recherches sur Internet commence par Google. Même lorsqu’on recherche des informations sur des partenaires existants. Même lorsqu’un client cherche, par exemple, votre adresse ou votre numéro de téléphone, il y a de fortes chances qu’il saisisse le nom de votre cabinet sur Google. Même si vous n’utilisez pas votre site web pour le recrutement de nouveaux clients, votre site est toujours le « hub » auquel toute communication et toute action marketing doivent être liées. Une carte de visite ou brochure de présentation électronique, dans lesquelles vos partenaires doivent immédiatement vous reconnaître et doivent trouver la confirmation de leur confiance en vous.
Conclusion Du temps et du budget marketing dépensés à la consolidation des relations avec vos clients existants vous apporteront du travail supplémentaire de leur part. Et, en même temps, vous favoriserez le bouche-à-oreille et les recommandations : la méthode la moins onéreuse pour attirer de nouveaux clients.
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HOMMAGE
Hommage à
Marc Baltus
Avocat et directeur du Journal de droit fiscal (J.D.F.), Me Marc Baltus nous a quittés en décembre dernier. Caroline Docclo lui rend hommage au nom du comité de rédaction du J.D.F.
C’était plaisir d’entendre Marc Baltus dicter ses brouillons lisibles par lui seul, en faisant les cent pas dans son bureau, de le voir se diriger, dictaphone en main, vers la bibliothèque pour y vérifier la page de la Pasicrisie à laquelle était publié un arrêt de la Cour de cassation dont il avait cité la date de mémoire et sans hésitation. Ensuite, il ciselait son texte, le polissait. Il avait l’assurance de ceux qui connaissent les fondements du droit. Il avait une telle manière de les agencer que chacun ne voyait que des évidences dans ses démonstrations. Il lui fallait peu de mots pour convaincre. Ses étudiants de l’École supérieure des sciences fiscales et ceux de l’École nationale de fiscalité s’en souviennent. Il avait le souci des droits des contribuables. C’est pour cela qu’il était devenu maître dans l’art le plus difficile de la fiscalité : la procédure.
Caroline Docclo Avocat, membre du comité de rédaction du Journal de droit fiscal
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C’était merveille de lire ses conclusions et ses pourvois en cassation. Il y mettait toute sa science et sa clairvoyance au service de l’équité. Pour cela, parmi ses nombreux adversaires, il n’a eu aucun ennemi. C’était un bonheur de l’entendre dire « Gagné ! », comme s’il était récompensé par les décisions qui lui étaient adressées.
HOMMAGE
On lui doit l’arrêt que la Cour de cassation a rendu, chambres réunies, le 22 novembre 2013 (publié avec une note d’observations de John Kirkpatrick, J.D.F., 2013, p. 321) et, avec celui-ci, l’entame d’un revirement de jurisprudence qui se poursuivra dans les arrêts de la Cour des 11 septembre 2014 (J.D.F., 2015, p. 163), 4 et 12 juin 2015. Le 26 décembre 2016, Me Marc Baltus était inscrit sous le numéro 4 au tableau du Barreau de Bruxelles. Il était aussi un auteur engagé. Ainsi, la thèse qu’il a défendue dans son étude « La base imposable des cotisations établies sur le résultat d’opérations spéculatives mais sortant du cadre de la gestion normale du patrimoine privé » (J.D.F., 2004, p. 198) a été adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 21 novembre 2013 et a été élevée au rang de « Baltus-doctrine » par les fiscalistes néerlandophones. Le Journal pratique de droit fiscal et financier (devenu J.D.F. en 1974) publiait, pour la première fois en 1952, une étude cosignée par son fondateur, Carlo de Mey, et Marc Baltus. Depuis, Marc Baltus (alias M.B.) a perfusé en continu ses réflexions dans les pages de ce Journal, en les écrivant ou en dirigeant la rédaction.
Marc Baltus
Les autres revues nous l’ont envié. Il n’y a pas longtemps, le Tijdschrift voor Fiscaal recht publiait à nouveau son étude cosignée par Henri Depret, « La preuve du montant des revenus imposables », parue dans le Journal pratique de droit fiscal et financier de 1956, p. 177 (T.F.R., 2016, p. 314). Il a donné à notre Journal son style classique et pourtant moderne. Il lui a conservé sa couverture bleue et il a livré à ses abonnés des notes intemporelles, comme « L’étendue du droit de réclamation contre des cotisations supplémentaires » (J.P.D.F., 1960, p. 66).
Comme il l’écrivait en 1997, « depuis la fondation du Journal, la qualité scientifique des études et notes publiées a toujours été son objectif premier (parfois, malheureusement, au détriment de la régularité de la publication !). Ces septante années ont ainsi vu paraître le fruit de centaines de collaborations de haut niveau dont il s’est toujours enorgueilli de bénéficier. Pour cela nous avons à cœur de conserver les traditions du passé » (J.D.F., 1997, p. 5). Le Journal est orphelin depuis le 26 décembre 2016.
Cet hommage est également publié dans le dernier numéro du Journal de droit fiscal.
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