Émile & Ferdinand 2016/6

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Emile& Ferdinand Gazette

2016/6 | N°20 Bimestriel gratuit

Bureau de dépôt : 3000 Leuven Masspost | P-916169

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Portrait Jean-Pierre Buyle Nouveau président d’AVOCATS.BE

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Droit et culture Emmanuel Pierrat Exposition Les femmes et la justice

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Droit et innovation Jean-François Henrotte reçoit le prix de l’innovation du CCBE 2016

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Rencontre

Ludo Deklerck

Nouveau président de l’IJE

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C oach me if you can ! Anne-Laure Losseau Pourquoi les femmes ne deviennent pas associés ?

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Hommage Alain Berenboom

rend hommage à Roger Lallemand


ÉDITO

les équipes du Groupe Larcier

vous présentent leurs meilleurs vœux pour l’année 2017 !

Chers lecteurs, Chers auteurs, En ce début d’année, Émile & Ferdinand vous a réservé un peu de lecture avec le dernier numéro de 2016.

dans la profession d’avocat. L’occasion également de vous présenter la nouvelle revue gratuite Managing Lawyer.

Tout d’abord, nous aurons le plaisir de vous présenter les portraits de deux nouveaux présidents : Jean-Pierre Buyle pour AVOCATS.BE et Ludo Deklerck au sein de l’Institut des juristes d’entreprise. Ces deux présidents nous parlent de leur vision respective et des enjeux de leur nouvelle fonction.

Roger Lallemand nous a quittés en octobre dernier. Alain Berenboom lui rend hommage en rappelant son rôle dans l’élaboration de la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins du 30 juin 1994.

Côté culture, Émile & Ferdinand vous emmène à Paris découvrir l’exposition « Les femmes et la justice ». Cette exposition, organisée au Musée du Barreau de Paris, nous est présentée par Emmanuel Pierrat. Il nous parle de la naissance de cette exposition, de ses enjeux mais également du combat des femmes pour accéder à l’avocature et la magistrature.

colophon Rédacteur en chef Élisabeth Courtens Secrétaire de rédaction Anne-Laure Bastin Équipe rédactionnelle Anne-Laure Bastin, Élisabeth Courtens, Charlotte Claes et Muriel Devillers Lay-out Julie-Cerise Moers (Cerise.be) © Groupe Larcier s.a. Éditeur responsable Marc-Olivier Lifrange, CEO Groupe Larcier s.a. rue Haute 139 - Loft 6 1000 Bruxelles Les envois destinés à la rédaction sont à adresser par voie électronique à emileetferdinand@larciergroup.com

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Dans la rubrique « Droit et innovation », nous retrouvons Jean-François Henrotte qui s’est vu décerner le prix de l’innovation du CCBE en octobre dernier. Il nous explique l’importance de l’innovation

Pour terminer ce numéro, Anne-Laure Losseau revient avec sa rubrique Coach me if you can ! Dans ce numéro, elle vous expliquera pourquoi les femmes ne deviennent pas associés (ni Président des États-Unis) ! Toutes les équipes du Groupe Larcier se joignent à Émile & Ferdinand pour vous souhaiter une merveilleuse année.

Bienvenue en 2017 pour de nouvelles aventures… L’équipe rédactionnelle d’Émile & Ferdinand


PORTRAIT

Jean-Pierre Buyle,

un nouveau président à la tête d’AVOCATS.BE

Jean-Pierre Buyle, ancien bâtonnier du Barreau de Bruxelles devient le 6e président à la tête de AVOCATS.BE

Le 1er septembre dernier, Jean-Pierre Buyle, ancien bâtonnier du Barreau de Bruxelles, accède à la présidence d’AVOCATS.BE. Il succède à Patrick Henry, devenant ainsi le 6e président de cette institution qui fête cette année ses 15 ans. L’occasion pour Émile & Ferdinand de se pencher sur ce rôle de président et les enjeux de cette fonction. Émile & Ferdinand : Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours professionnel ? Jean-Pierre Buyle : J’aurais voulu être trapéziste. J’ai fait le droit. Licencié en droit (UCL) et licencié spécial en droit économique (ULB) ; 37 ans de barreau et 25 ans d’enseignement à l’ULB ; bâtonnier du Barreau de Bruxelles (2010-2012) ; et aujourd’hui président d’AVOCATS.BE.

Comment envisagez-vous votre rôle de président d’AVOCATS.BE ? C’est un rôle de pacificateur et de moteur. Je suis très attaché à l’union des barreaux. Le désordre et la désunion ne mènent à rien sinon à l’affaiblissement et à l’échec. Le régionalisme, c’est la guerre. Je veillerai au lien indéfectible entre Bruxelles, la

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PORTRAIT

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Wallonie et les communautés germanophone et néerlandophone. Cela implique aussi une cohésion des messages entre AVOCATS.BE et les barreaux locaux.

Face aux difficultés actuelles, aux peurs, aux angoisses, nous devons essayer de les transformer en espoir, en réalisant un projet ambitieux, au départ hors carte. Un barreau qui a peur est un barreau qui se durcit et qui se ferme. Le barreau n’a pas le droit de se replier. Il faut lui apporter une vision et des résultats. D’abord réfléchir, ensuite faire. En 2015, j’ai visité tous les conseils de l’Ordre pour y prendre le pouls et discuter de mes idées. Cette année, nous avons adopté, au conseil d’administration, un vrai programme après avoir entendu chacun des bâtonniers. Avec plusieurs de nos administrateurs, nous avons fait le tour des barreaux en Wallonie et à Bruxelles. Il y a eu un débat démocratique réel et un plan d’action validé en assemblée générale. C’est la première fois de notre histoire que nous procédons de la sorte. AVOCATS.BE n’est pas un machin en dehors de la base. Que du contraire, notre institution est allée à la rencontre des avocats et nous continuerons de le faire. Nous devons expliquer, justifier, écouter, rencontrer les avocats. C’est le « tu dois, donc tu peux », bien connu, qui est au cœur de nos ambitions. Quels sont les grands chantiers pour AVOCATS.BE dans les années à venir ? Notre assemblée générale a approuvé à l’unanimité les dix priorités que lui proposait le conseil d’administration, sans que les unes ou les autres ne soient hiérarchisées entre elles. C’est une boussole, ce sont des lignes de conduite que nous tenterons de suivre. Ce sont des points de fuite marqués par la liberté

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Je veillerai au lien indéfectible entre Bruxelles, la Wallonie et les communautés germanophone et néerlandophone.

de transformer notre profession en la faisant rebondir. Nous voulons démontrer qu’AVOCATS.BE est une plus-value pour les avocats et les justiciables. Garantir l’accès au droit et à la justice pour chacun est un vrai défi. En ces temps de profonde inégalité des citoyens face à la justice, nous devons trouver des solutions pour les classes moyennes. Nous nous battrons pour améliorer le statut de l’assurance protection juridique et pour faciliter le recours aux modes appropriés de règlement de conflits. Nous veillerons à améliorer l’aide juridique en faveur des plus pauvres et des exclus. Nous trouverons de nouvelles sources de financement. Au rang de l’innovation et de la croissance, nous présenterons de nouveaux produits et services : extension du périmètre, renforcement du rôle de l’avocat dans les class actions, introduction de l’acte d’avocat divorce et exécutoire, développement des compliances et des avocats en entreprise… De nouvelles applications informatiques seront au cœur de notre action : l’informatisation de la justice qui est en cours, l’introduction de la carte professionnelle électronique, la rénovation des logiciels de gestion de tous nos barreaux. Nous travaillerons sur le chantier de l’intelligence artificielle au service des avocats. La formation nous préoccupe aussi l’esprit. Ne doit-on pas revoir les conditions

d’accès à la profession et faciliter les formations continues ? Je plaide pour l’organisation d’universités d’été. Nous ne pouvons pas non plus penser l’avenir sans offrir à nos jeunes une réelle participation comme agent de changement et de transformation. Nous devons leur offrir des opportunités, des idéaux et des valeurs et les appeler à s’engager. Le statut du cabinet est en cours de révision pour très vite autoriser le cabinet numérique. Nous pensons pouvoir mettre à la disposition de nos jeunes des pépinières pour les aider à exercer au mieux leur métier. Quels sont les points et les combats qui vous tiennent le plus à cœur ? La défense des valeurs de la profession est une priorité. Nous venons de créer un groupe de réflexion pour défendre le secret professionnel qui est attaqué de toutes parts : écoutes téléphoniques d’avocats non autorisées, perquisitions dans des conditions non souhaitées, saisies de documents d’avocats chez des tiers, projets de loi méprisants à l’égard de la confidentialité des informations transmises par les clients... Nous proposerons une motion au congrès de mai. Un plan d’action s’en suivra.

Je crois que nous pouvons aussi faire des efforts en matière de probité que ce soit sur le plan de l’utilisation des fonds publics en aide juridique, du maniement des fonds de tiers sur nos comptes carpa ou en matière de respect de la législation anti-blanchiment et anti-terrorisme. Des initiatives seront prises très rapidement.


PORTRAIT

« No more 11 o’clock or midnight walks anymore, ok, because 1. You meet people 2. It gets me in a weird mood 3. You are too beautiful 4. It’s dangerous 5. I don’t trust it 6. It’s useless and 7. I just don’t want it » de Rinus Van de Velde.

Si vous étiez…

… un livre ?

…une œuvre d’art ?

À côté de « Tous les belges sont égaux devant la loi », on devrait inscrire dans la Constitution un autre principe : « Tous les belges sont égaux devant les tribunaux ». On est loin du compte...

Les œuvres complètes de Philippe Jaccottet, le plus grand poète du 21e siècle : « Plus je vieillis et plus je crois en l’ignorance, plus j’ai vécu, moins je possède et moins je règne… le simple rire d’un enfant, comme une grappe de groseilles rouges. »

… une citation ou un adage ?

…un personnage historique célèbre ?

« Étonne-moi »

Napoléon, en ce qu’en rétablissant les barreaux en 1810, il leur assigne trois missions qui restent plus que jamais d’actualité : l’aide juridique, la déontologie et la discipline, la gestion de l’information.

… un texte de loi ?

« No more 11 o’clock or midnight walks anymore, ok, because 1. You meet people 2. It gets me in a weird mood 3. You are too beautiful 4. It’s dangerous 5. I don’t trust it 6. It’s useless and 7. I just don’t want it » de Rinus Van de Velde.

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DROIT ET CULTURE

Exposition

Les femmes et la justice Du 20 octobre 2016 au 28 février 2017, au Musée du Barreau de Paris, se tient l’exposition « Les femmes et la justice ». Pourquoi ce thème ? Quels sont les enjeux de cette exposition ? Comment sont construits cette exposition et le livre publié à l’occasion de celle-ci ? Emmanuel Pierrat, Conservateur du Musée du Barreau de Paris répond aux questions d’Émile & Ferdinand et vous parle de cette exposition. Émile & Ferdinand : Comment vous est venue l’idée de monter cette exposition ? Emmanuel Pierrat : L’exposition

Emmanuel Pierrat Avocat associé, Membre du Conseil National des Barreaux et Conservateur du Musée du Barreau de Paris.

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© David Nivière

est née d’un constat simple : en France, comme en Belgique d’ailleurs, la grande majorité des avocats sont en fait des avocates et les magistrats, des magistrates. On est, en France, à plus de 60% d’avocates. Il en va de même dans la magistrature. C’est pourtant un parcours qui a commencé tardivement : les premières femmes ayant le droit de plaider font leur apparition au début du XXe siècle seulement. En ce qui concerne les premières femmes magistrates en France, c’est seulement à partir du moment où elles ont eu le droit de vote, c’est-à-dire en 1946. C’est très tard…

Il y a donc une accélération phénoménale et très intéressante du nombre d’avocates et de magistrates. Même si, il ne faut pas se le cacher, ces femmes sont toujours, en grande partie aujourd’hui, cantonnées à des rôles hiérarchiquement inférieurs à ceux des hommes. Il y a eu beaucoup de progrès mais il en reste encore à faire. Ce qui m’intéressait, c’était donc de retracer l’histoire de ce combat, qui a commencé il y a un peu plus d’un siècle, pour entrer dans le barreau et puis, ensuite, pour entrer dans la magistrature. Alors que les femmes ont depuis toujours été dans le prétoire. Mais à une seule place : le box des accusés. Il y a une histoire judiciaire des femmes qu’il restait à écrire et à mettre en scène.


DROIT ET CULTURE

Montrer que, contre des idées (encore) reçues, les femmes sont tout à fait aptes à être magistrates et avocates. Ces idées existent malheureusement toujours : encore l’année passée, un avocat au Barreau de Bordeaux, qui s’est présenté aux élections du Conseil de l’Ordre, faisait campagne en disant que les femmes ne pouvaient pas être avocates car elles ne savaient pas bien plaider. Ce genre de discours, sexistes et discriminants, existent malheureusement encore. Cette exposition et ce livre racontent la misogynie très forte du barreau et de la magistrature. Il y a notamment des caricatures qui montrent Jeanne Chauvin, la première avocate française qui entre au Barreau de Paris, qui ne peut pas plaider et qui interrompt en permanence ses plaidoiries pour donner le sein à son enfant. C’est une scène de carte postale ahurissante, d’une méchanceté et d’une violence évidentes. Il a fallu surpasser ses préjugés, cette idée selon laquelle il y avait des « ténors du barreau » mais il ne pouvait pas y avoir de « divas du barreau ». Mais aussi l’idée que la vie de famille ne pouvait être conciliée avec une vie d’avocate, car la femme était uniquement vue comme une mère de famille. Beaucoup de choses qui semblent appartenir à un siècle très moyenâgeux mais qui sont, pour partie, encore prégnantes dans la société actuelle. Nous voulions donc montrer des documents régressifs et sexistes mais, en même temps, montrer aussi les exploits des femmes avocates. Il y a pléthore d’exemples. Nous voulions montrer notamment le combat de Gisèle Halimi, grande avocate toujours inscrite au Barreau de Paris. Elle avait obtenu le droit de plaider lors du procès de Bobigny et

©Musée du Barreau de Paris - cliché Philippe Cluzeau

Quels sont les enjeux de l’exposition ?

Vitrine de l’exposition

défendu cinq femmes jugées pour avoir eu recours à l’avortement aux Pays-Bas alors que l’avortement était encore interdit par la loi française. Elle a triomphé et permis à Simone Veil de faire passer la loi sur l’avortement. Montrer le combat de Jeanne Chauvin, le combat d’Hélène Miropolsky, première femme à plaider aux Assises alors qu’elle défendait des accusés devant un jury exclusivement constitué d’hommes puisque le jury est tiré au sort sur les listes électorales. Montrer Henriette Caillaux qui est accusée d’avoir assassiné de deux coups de révolver le directeur du Figaro suite à la diffamation, dans ce journal, de son époux, le Ministre des Finances. Lors de son jugement, son avocat, Fernand Labori, qui a été l’avocat de Dreyfus et de Zola dans l’affaire « J’accuse », osera plaider que, la femme étant un animal stupide et sans intelligence, elle ne peut avoir prémédité le crime. Elle sera alors acquittée avec des arguments des plus humiliants. Il faut avoir une mémoire de ces combats et de l’ostracisme des gens de robe de l’époque, qui étaient contre l’arrivée des femmes au barreau et dans la magistrature. C’est le grand enjeu de cette exposition.

Le sous-titre de l’exposition est « Les avocates, les magistrates et les accusées passent à la barre ». Pourquoi un tel rapprochement ?

Ce sous-titre peut paraître un peu malheureux et ce rapprochement un peu étrange. Il ramène les femmes au rôle d’accusée mais cela me semble important. On ne peut pas comprendre correctement l’arrivée tardive des femmes dans la magistrature et dans l’avocature si on ne révèle pas que les femmes étaient accusées et qu’elles avaient les pires torts. On les accusait en effet de choses dont on n’aurait pas pensé accuser des hommes : la sorcellerie par exemple. On ne peut pas non plus expliquer la place de la femme magistrate et de la femme avocate aujourd’hui sans refaire l’histoire, sans parler du combat pour entrer au barreau et dans la magistrature mais aussi sans se rappeler la place de la femme accusée : la femme parricide, la femme empoisonneuse, la femme ensorceleuse,… Toutes ces figures qui existent et qui sont très fortes. Sans parler de Violette Nozière ou de Marie Besnard. C’est un statut particulier qu’il fallait mentionner. C’est loin d’être la majorité des criminels, alors qu’elles sont majori-

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DROIT ET CULTURE

l’autorisation de prêter serment au Barreau de Paris, alors qu’aucun texte ne l’interdit ou ne spécifie que la profession est réservée aux hommes (il s'agit d'une tradition), on lui refuse. Elle fait donc un procès au Barreau de Paris. Le Conseil de l’Ordre finira par abandonner le procès et l’admettre en voyant que ce refus ne se basait sur rien si ce n’est une disposition qui n’était même pas reprise dans les textes. L’exposition est organisée pour marquer ce combat aussi. L’exposition est richement documentée. Comment s’est déroulé le travail de collecte des documents ?

©Musée du Barreau de Paris

Jeanne Chauvin taires chez les avocats et les magistrats. Mais cela existe et cela explique beaucoup de ce qu’était le monde judiciaire vis-à-vis de l’arrivée des femmes dans le Palais de Justice. Le livre et l’exposition sont donc organisés en trois séquences. Il n’y a malheureusement pas encore assez de femmes magistrates et avocates connues. On connait des noms mais pas assez. Nous avons complété cela avec les femmes accusées pour retracer ce qu’avait été le sort et le rôle des femmes en justice auparavant. Les trois parties ne sont pas égales en taille. Mais on raconte aussi, par exemple, l’arrivée de la première femme bâtonnière au Barreau de Paris,

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Dominique de La Garanderie, élue dans les années 1990. Depuis il y a eu Christiane Féral-Schuhl, qui a été ma bâtonnière et dont je parle beaucoup. Et puis il y a aussi les femmes avocates dont je parle. Par exemple : Hilary Clinton, Michelle Obama, Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en Iran,… Les femmes avocates sont aussi d’exceptionnelles ambassadrices, les sorcières sont devenues d’extraordinaires figures. Il y a donc trois parties car ce sont des ensembles cohérents, qui s’interconnectent. Mais il fallait organiser l’histoire de l’avocature. Le combat pour entrer dans l’avocature ne se fait pas tout seul. Lorsque Jeanne Chauvin demande

Il s’avère qu’au Musée du Barreau de Paris, dont je suis le conservateur, nous avons énormément d’archives qui mettent en scène des femmes avocates, des femmes magistrates et des femmes accusées. Je me suis également aperçu, en posant la question à plusieurs femmes avocates et magistrates d’influence qu’elles avaient des archives. Elles me les ont donc prêtées, voire données. J’ai grandement été aidé notamment par Simone Rozès, Première Présidente de la Cour de cassation, aujourd’hui à la retraite mais qui a été la plus haute magistrate française. Mais aussi par Eva Joly, juge d’instruction et aujourd’hui femme politique, par Gisèle Halimi ou encore Isabelle Coutant-Peyre qui défend des terroristes. Il y a un parti pris qui est de traiter le IXe et le XXe siècle, un petit peu le XVIIIe. On commence par le procès de MarieAntoinette parce que je voulais m’intéresser à la justice moderne. Je ne voulais pas m’intéresser à des procès de femmes du Moyen Âge, car on rentre dans un autre système judiciaire. Je voulais parler de la justice moderne. Et pour moi, la justice moderne démarre avec la Révolution. Où on a d’un seul coup des jurés citoyens. Le livre ne s’ouvre pas sur cela car la première partie concerne les femmes avocates mais l’iconographie est déterminée par la période moderne, c’est-à-dire l’Europe moderne et le IXe et XXe siècle, en considérant qu’on prend comme point de départ 1789. Cela donne une lecture cohérente de l’ensemble. Cela donne aussi des documents qui sont homogènes. Certes, il n’y a pas de photographies au moment de Marie-Antoinette mais il y a déjà des


©Musée du Barreau de Paris - cliché Philippe Cluzeau

DROIT ET CULTURE

La femme avocat

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gravures importantes. Et puis, très vite, apparaissent les photographies. Il fallait montrer que les personnages étaient de chair. L’iconographie est donc très importante. C’est un beau livre dans lequel on retrouve des documents inédits, dans des pochettes. Il y a un très gros travail d’iconographie qui a été réalisé : nous avons été puiser dans nos réserves des éléments inédits, nous avons acheté en vente les choses qui nous manquaient et nous avons demandé à plusieurs femmes sujettes de l’exposition (avocates, magistrates et anciennes détenues) de fouiller dans leurs archives. Le livre et l’exposition sont donc extrêmement documentés. Les femmes ont beaucoup combattu pour accéder au barreau et à la magistrature. Quelles difficultés rencontrent encore aujourd'hui ces femmes ?

Il y en a encore beaucoup. Malgré la place « numérique » occupée actuellement par les femmes, si vous regardez les élections de bâtonniers, de Conseils de l’Ordre, si vous regardez les juridictions, vous vous apercevez que les femmes n’occupent pas les places qu’elles devraient occuper hiérarchiquement. Les

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© Musée du Barreau de Paris

© Musée du Barreau de Paris

© Musée du Barreau de Paris

© DR

© Jean-Claude Bauer

©Musée du Barreau de Paris

Les avocates, les magistrates et les accusées passent à la barre

EXPOSITION

DU 20 OCTOBRE 2016 AU 28 FÉVRIER 2017 À l’occasion de la parution de l’ouvrage éponyme.

Renseignements et réservations au 01 44 32 47 48 ou musee@avocatparis.org

Musée du Barreau de Paris

25, rue du Jour 75001 Paris

/ MuseeDuBarreauDeParis

@MuseeduBarreau

Charlotte Corday

supérieurs hiérarchiques sont beaucoup des hommes et pas assez de femmes. Il y a deux choses qui sont marquantes en fait. Premièrement, quand un métier se féminise en Europe occidentale, c’est souvent un métier qui se paupérise. C’est donc un signe inquiétant. Je me réjouis de l’arrivée des femmes au barreau et dans la magistrature mais je m’inquiète aussi de ce que cela signifie. Quand les hommes abandonnent leur poste et laissent les femmes prendre leur place, c’est que le métier rapporte moins, malheureusement. Cela révèle que la justice, française et belge, ne va pas très bien. La deuxième chose marquante et qui me dérange est l’inadéquation entre la proportion de femmes et la représentation hiérarchique. Au Barreau de Paris, on a la chance d’avoir une Vice-Bâtonnière. Et pour la première fois, nous sommes obligés (et c’est une bonne chose) d’organiser des élections paritaires. Nous avions l’espoir, depuis quelques années, que les choses se feraient d’elles-mêmes, qu’il y aurait autant de femmes candidates que d’hommes, qu’il y aurait autant d’élues que d’élus. Mais on s’aperçoit que ce n’est pas le cas. Lorsque j’étais au Conseil de l’Ordre, il y a à peine cinq ans, c’était

L’exposition « Les femmes et la justice » est à découvrir jusqu’au 28 février 2017 au Musée du Barreau de Paris. Renseignements sur : www.avocatparis.org/lesfemmes-et-la-justice-sinvitentau-musee Découvrez également l’ouvrage « Les femmes et la justice », par Emmanuel Pierrat, publié aux Éditions de La Martinière à l’occasion de l’exposition.

une majorité d’hommes. Et quand je siège au Conseil National des Barreaux aujourd’hui, cela va un peu mieux mais ce n’est pas encore représentatif. Nous avons décidé de forcer les choses et d’appeler la parité pour les élections. Et c’est à ce prixlà qu’on pourra espérer être réellement représentatifs et que les femmes auront réellement la place qu’elles méritent. C’est un vrai combat d’aujourd’hui. Ce n’est pas un combat d’hier. Il faut encore le mener actuellement. Ce livre et cette exposition participent de ce combat.


DROIT ET INNOVATION

Jean-François Henrotte

Le 21 octobre dernier, à Paris, Jean-François Henrotte a reçu le prix de l'innovation du CCBE 2016 lors la conférence sur l'innovation et l'avenir de la profession d'avocat. L'objectif de ce prix est d'honorer un avocat, une organisation d'avocats ou un barreau ayant contribué de manière significative au développement ou à l'exercice de la profession d'avocat en Europe. Jean-François Henrotte nous parle de sa vision de l’innovation et nous présente sa nouvelle revue « Managing Lawyer »

reçoit le prix de l’innovation du CCBE 2016 Émile & Ferdinand : Que représente ce prix pour un avocat / un cabinet d’avocats ?

Jean-François Henrotte : Il fait chaud au cœur dès lors qu’il s’agit d’un signe d’amitié de la délégation belge auprès du Conseil des barreaux européens (CCBE) qui a proposé ma candidature aux barreaux membres du CCBE, à mon insu. Il représente également un honneur et un encouragement dans ma démarche d’innovation (au sein de mon cabinet et des ordres), même s’il est évident que je suis loin d’être le seul à m’inscrire dans cette démarche et qu’il est probable que d’autres avocats le méritaient tout autant, sinon plus. C’est cette incitation du CCBE à ce que tous les avocats européens innovent, tout en respectant les valeurs essentielles de la profession, que je trouve la plus intéressante.

L’avocat d’aujourd’hui doit-il innover ? Quels sont les risques s’il ne le fait pas ? Quelle est la situation en Belgique et aussi au niveau des avocats européens ?

Comme le répète inlassablement Patrick Henry, l’État de droit n’est pas un acquis intangible. Il est récent et fragile. Les avocats peuvent disparaître et sont en tout cas de plus en plus inabordables pour la classe moyenne. Certains disent même qu’il n’y a plus qu’une personne de la classe moyenne sur quatre ayant besoin des services d’un avocat qui en consulte effectivement encore un… Ce n’est pas tant qu’à défaut d’innover nous disparaissions qui est préoccupant mais que notre fonction disparaisse. Si nous n’exerçons plus le métier d’avocat, nous pourrons en exercer un autre (même s’il sera certainement moins passionnant). Par contre, qui défendra les plus faibles d’entre nous ? Qui trouvera

Découvrez la remise du prix de l’innovation du CCBE 2016 en vidéo.

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DROIT ET INNOVATION

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux de France, Michel Benichou, Président du CCBE, Jean-François Henrotte, avocat.

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des solutions juridiques permettant la réalisation des projets des entreprises malgré un contexte législatif kafkaïen, si notre profession disparaissait ? Nos systèmes judiciaires ne sont pas sans défaut mais prenons garde. Des systèmes qui résoudraient les conflits en se fondant sur des principes de concurrence ou de surveillance pourraient bien n’avoir qu’un très lointain rapport avec ce que nous appelons la Justice. Et je constate que le nombre de stagiaires qui ont prêté serment cette année au Barreau de Liège ne compensera probablement pas les départs « naturels » de l’année. Pour la première année depuis que je m’intéresse à cette question, le Barreau de Liège sera probablement moins nombreux que l’année antérieure.

Ce sera le cas également dans la plupart des barreaux francophones de Belgique. Une crise de la profession se dessine… Quelle est la plus-value de l’innovation d’un avocat pour le justiciable ?

Un avocat n’exerce pas principalement pour lui (même s’il vit naturellement de son travail) mais pour un client. Lorsqu’il innove, il le fait donc avant tout au bénéfice du justiciable, comme je l’ai rappelé. Il y a bien d’autres métiers plus rentables que l’avocature… Si l’avocat passe de la créativité à l’innovation, s’il passe de la réflexion à la concrétisation, le justiciable en percevra donc les bénéfices. En effet, si la créativité consiste à chercher des idées nouvelles, l’innovation


DROIT ET INNOVATION

Creativity is thinking up new things.

est la mise en place concrète d’une idée dans le monde réel et qui aura peut-être un effet sur les pratiques, habitudes, cultures,… C’est ce que la commission de mon barreau a fait en constatant que la rédaction des contrats de base échappait désormais largement aux avocats. Cela est négatif pour le justiciable qui choisit des contrats inadaptés ou trop génériques pour des raisons financières. Nous avons donc décidé d’offrir gratuitement les versions standards de certains contrats, largement diffusés sur le Net, pour retrouver la possibilité de les personnaliser. Il faut donner pour percevoir encore des

Innovation is doing new things. Andrew Arruda, CEO & Founder of Ross Intelligence

honoraires, qui seront peut-être même plus élevés dès lors qu’ils se rapportent à des prestations de plus haut niveau que la rédaction de base ! C’est encore la démarche que nous avons suivie au sein du cabinet ou de de la commission de mon barreau quand nous avons vu naître la volonté des justiciables de ne plus nécessairement se déplacer pour consulter les prestataires de service, et donc les avocats, et que nous avons mis au point des modules de consultation en ligne, en souscrivant un abonnement de « commerçant » auprès de Visa pour permettre le paiement en ligne de nos prestations… libérales.

C’est enfin ce que nous proposons de faire avec mon groupe de travail d’#Agissons. Les avocats sont trop chers pour la classe moyenne ? Rendons les plus efficaces, « augmentons » les avocats par le big data et l’Intelligence Artificielle (le système « IAsmine »), quel qu’en soit le fournisseur pour autant que nous ne trainions plus car, sinon, nous serons dépassés par des marchands de droits, certes moins éthiques mais surtout plus efficaces que nous ! Si la femme est l’avenir de l’homme, je crois que IAsmine est l’avenir de l’avocat ! #Innovons !

MANAGING LAWYER

Le magazine dédié aux avocats L’avocat d’aujourd’hui se doit d’être un gestionnaire mais n’est pas un agent économique comme les autres, il est avocat, viscéralement non commerçant. Ceci n’est pas un magazine juridique ! Ce nouveau magazine a pour vocation d’aider et faire progresser les avocats dans la gestion des ressources humaines, la gestion financière et la communication.

Découvrez la revue présentée par Jean-François Henrotte en vidéo. Suivez la revue sur Twitter : @ManagingLawyer

Rédigés par des auteurs soucieux de développer cette vision de l’avocat entrepreneur, les articles sont concis, écrits dans un langage clair, résolument orientés vers la pratique pour répondre au mieux au besoin de la gestion quotidienne de l’entreprise avocat. Trimestrielle et gratuite, la revue propose des conseils inspirants pour les activités de l’avocat-entrepreneur.

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RENCONTRE

Ludo Deklerck,

nouveau Directeur général de l’Institut des juristes d’entreprise Succédant à Anne De Wolf, à la tête de l'Institut depuis 2001, Ludo Deklerck est devenu, en octobre dernier, le nouveau directeur général de l'Institut des juristes d'entreprise. Émile & Ferdinand vous présente son parcours, l’importance de l’Institut mais aussi ses projets pour l’avenir. Émile & Ferdinand : Pouvez-vous vous présenter brièvement ? Quel est votre parcours professionnel ?

Ludo Deklerck : J’étais avocat à Bruxelles depuis 1986, partenaire auprès de plusieurs cabinets nationaux et internationaux tels que la firme IT/IP britannique Bird & Bird et le cabinet d’avocats américain Thompson Hine. J’ai été, en 2015, Head of Legal EU auprès d’une entreprise américaine de biotechnologie en Suisse. Par ailleurs, j’ai été, pendant des années, secrétaire et directeur de la Chambre de Commerce américaine, ancien membre du Conseil de l’ordre néerlandais des avocats du Barreau de Bruxelles. J’ai déjà derrière moi une longue carrière, qui m’a permis d’être en contact avec les différents aspects du métier de juriste en tant que praticien du droit. Ces expériences sont donc d’une grande utilité pour le développement de l’Institut dans le sillage d’Anne De Wolf.

Ludo Deklerck Directeur général de l’Institut des juristes d’entreprise

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Pouvez-vous présenter en quelques mots l’Institut des juristes d’entreprise et son importance ?

L’Institut belge des juristes d’entreprise a été mis en place par la loi du 1er mars 2000, mais en 15 ans, il est devenu l’organisation professionnelle représentative de l’ensemble des juristes d’entreprise

en Belgique. Le titre de juriste d’entreprise est protégé par la loi et peut uniquement être porté par les membres de l’Institut. Le juriste d’entreprise a pour tâche d’attirer l’attention de son employeur sur les dispositions légales et de favoriser une gestion d’entreprise conforme à la législation. Afin qu’il puisse dispenser ses avis en toute liberté, les avis des juristes d’entreprise sont couverts par la confidentialité. Qui dit confidentialité, dit aussi déontologie. L’Institut a élaboré un code de déontologie dont le respect est assuré au travers d’organes disciplinaires, présidés chacun par des magistrats.

Où en est l’Institut en 2016 ?

L’IJE a atteint un stade de maturité, flirtant avec le cap des 2000 membres pour l’année 2016. Le moment est venu d’endosser résolument un nouveau rôle dans lequel le juriste d’entreprise, en sa qualité de membre de l’Institut, occupe, d’une part, une place « frontale et centrale » et, d’autre part, où il peut faire office de porte-parole des membres de l’Institut dans le débat sociétal, amorcer un discours avec le législateur, prendre position en ce qui concerne des avis pertinents pour les membres de l’Institut. Quels sont les nouveaux développements dans la profession ?

La société s’accélère et change autour de nous. De nouveaux modèles d’entreprises émergent grâce aux avancées technologiques. Les gens sont de plus en plus responsabilisés, autonomes et ont lit-


RENCONTRE téralement les connaissances à portée de clavier. Cela a une incidence sur le travail du juriste d’entreprise. Faire des affaires, faire fonctionner une ligne de production, tenir les rênes de l’entreprise... tout cela devient de plus en plus complexe. Il devient de plus en plus difficile d’avoir une vue d’ensemble complète. Mais de nouveaux outils font leur apparition.

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Sources de confiance des juristes d'entreprises Bronnen van vertrouwen voor de bedrijfsjuristen

Legal insight

Quelle valeur ajoutée l’Institut peut-il offrir à ses membres ?

L’Institut bénéficie d’une place unique. D’une part, au travers de ses formations prisées qui continuent de former les juristes d’entreprise de façon qualitative et, d’autre part, en aidant ces mêmes juristes à opérer les bons choix lorsqu’ils doivent faire appel à une aide extérieure. Notre Legal Management Academy connaît un succès retentissant. Nous allons continuer à développer les formations et octroyer un label de qualité à ceux qui en sont venus à bout avec succès. La valeur ajoutée pour l’entreprise, pour l’employeur néophyte, aguerri ou futur, est évidente : une confirmation de la qualité du membre de l’IJE. Le renforcement et la sécurisation de la position du juriste d’entreprise, le respect et l’observation du code de déontologie sont essentiels pour l’Institut et ses membres. Mais nous allons encore plus loin. Une plate-forme de connaissances performante est en préparation, à mille lieues toutefois de l’approche traditionnelle. Écouter les membres, prendre des décisions suite à cette écoute et les mettre en œuvre est essentiel et constitue le nouveau défi. L’IJE se focalise-t-il uniquement sur les juristes d’entreprise ?

Outre la particularité du juriste d’entreprise, nous allons également prêter attention aux collègues directs avec lesquels il présente une affinité particulière au travers de leur formation juridique commune. Par exemple, les nouvelles professions juridiques comme les Compliance Officers, les Data Protection Officers, les paralegals. Nous examinons comment, s'ils possèdent un master ou un bachelier en droit, ils peuvent nous rejoindre en tant que membres affiliés à l’Institut et bénéficier de nos formations. Ces professions font l’objet d’une pression accrue due à la croissance régulière des différents pouvoirs publics, de sorte qu’une

Le Groupe Larcier et l'IJE sont des partenaires de longue date.

gouvernance organisée s’impose et de nouvelles possibilités de carrière s’offrent aux juristes. L’Institut ne peut pas adopter une position stérile en la matière. À nouveau, dans la perspective du membre confronté à cette nouvelle situation, nous allons proposer des outils devant accroître la confiance entre ces fonctions. Enfin, l’Institut entend désormais être présent aussi dans le débat sociétal et nous allons progressivement développer nos connaissances et notre réputation, de façon à devenir un partenaire à part entière, consulté lors des discussions relatives aux possibilités législatives par exemple. Un plan ambitieux qui n’ira pas sans quelques tâtonnements, mais qui est absolument nécessaire si le juriste d’entreprise veut encore pouvoir fonctionner demain et revendiquer sa place en tant que partenaire stratégique du chef d’entreprise.

en constante mutation. Dans un respect mutuel, examiner ensemble les synergies évidentes constitue l’un des avantages qu’offre un partenariat. Il se peut également que d’autres collaborations soient nouées autour des formations à distance. La qualité prime systématiquement au sein du Groupe Larcier et c’est précisément ce que nous voulons offrir à nos membres.

Quelques statistiques Femmes-hommes

+

membres effectifs (Juristes d'entreprise)

3 membres honoraires 42 membres d'honneur 46 membres sympathisants

Quelle est l’importance du partenariat entre l’IJE et le Groupe Larcier ? Où se situe l’importance des initiatives qu’ils développent ?

Le partenariat entre le Groupe Larcier et l’IJE s’est développé naturellement car Larcier est l’éditeur du Cahier du Juriste, des publications dans la série Tendances dans le droit de l’entreprise et des Dossiers pour le juriste d’entreprise. Nous voyons que Larcier suit une évolution réfléchie en accord avec notre vision de ce dont les juristes ont besoin dans ce monde

1941

727

entreprises

58 %

42 % 1941

NéerlandophonesFrancophones

Age 800

61 %

39 %

700

NL

Fr

600 500 Flandre

400

35%

300

Régions BruXELLES

53%

200 100

WalloniE

0 <35 36-45 46-55 >55

12%

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if you can !

Pourquoi les femmes ne deviennent pas associés (ni Président des États-Unis) ?

Anne-Laure Losseau Coach professionnelle et de carrière pour avocats et juristes www.aligncoaching.be

Nous pourrions penser le débat dépassé mais les chiffres sont éloquents : les avocates sont toujours confrontées, à l’heure actuelle, au plafond de verre. Pour essayer de comprendre ce phénomène, Anne-Laure Losseau décortique un obstacle, souvent méconnu, à l’avancement de la carrière des femmes dans des fonctions à haut niveau de responsabilités ou comment les stéréotypes de genre induisent un biais dans l’évaluation des femmes au travail. #Agissons: tel était le nom du colloque organisé, en mai 2015, par AVOCATS.BE pour se pencher sur l’avenir de la profession d’avocat. Parmi les 10 ateliers destinés à faire évoluer la profession, j’ai eu le plaisir de participer à celui de « L’avocat au féminin », sous-titré « Les avocates face au plafond de verre ». Un débat que l’on pourrait penser dépassé aujourd’hui. Et pourtant les chiffres sont éloquents : majoritaires en début de stage, les femmes ne représentent plus que 10 % des associés des cabinets et c’est déjà après 5 ou 6 ans de barreau que les femmes les désertent massivement. 1

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Bien entendu, des facteurs multiples, et parfois complexes, président à cette situation. La principale proposition retenue au colloque pour contrecarrer cet exode féminin a été la mise en place de programmes de « Coaching - mentoring networking - tables rondes - échange d’expériences ». Commençons sans plus attendre le travail en examinant un obstacle, souvent méconnu, à l’avancement de la carrière des femmes dans des fonctions à haut niveau de responsabilités : celui des « biais cognitifs de confirmation »1.

Sur base des travaux du Clayman Institute for Gender Research de la Stanford University (Californie).


COACH ME IF YOU CAN !

Nous nous efforcerons, en particulier, de comprendre comment les stéréotypes de genre induisent un biais dans l’évaluation des femmes au travail2. nous étudierons ensuite quelques pistes susceptibles d’alimenter les programmes de « diversité » au sein des cabinets. Un combat d’arrière-garde ?

Les revendications d'égalité hommefemme vous paraissent parfois un combat du passé et les discriminations un cliché un peu surfait ? Prenez donc la mesure de cette expérience, réalisée il y a quelques temps dans le cadre des 2

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recrutements de musiciens dans les orchestres symphoniques américains. Face au constat que seuls 5 % des musiciens de ces orchestres étaient des femmes, et malgré les fortes réticences envers de telles hypothèses, une expérience fut menée afin de déterminer s’il existait au sein de ces organisations un biais défavorable dans les auditions. Le dispositif de l’expérience a consisté à placer un écran opaque entre les membres du jury et le musicien auditionné (plus un tapis pour absorber le bruit des talons hauts !). Les résultats furent saisissants puisque

les auditions « à l’aveugle » permirent d’augmenter la sélection de femmes de plus de 50 %3 ! Depuis lors, la pratique d’auditions avec écran est largement répandue à travers le monde. Cette expérience est particulièrement intéressante parce qu’elle met en lumière la présence de biais (sans l’écran, les femmes ne sont pas vues comme aussi compétentes qu’elles le sont en réalité) tout autant que l’existence de moyens pour les contrer. Car, en effet, le biais n’est rien d’autre qu’une erreur de jugement.

...

L es développements qui suivent sont pour la plupart extraits de la conférence « Advancing Women's Leadership: Blocking Bias at Work », donnée le 22 octobre 2015 à l’Université de Stanford par Shelley Correl, https://www.youtube.com/watch?v=6fudKu8Pxak. C. Goldin et C.Rouse, « Orchestrating Impartiality: The Impact of ‘Blind’ Auditions on Female Musicians », NBER Working Paper, No. 5903, Janvier 1997, http://scholar.harvard.edu/files/goldin/files/orchestrating_impartiality_the_effect_of_blind_auditions_on_female_musicians.pdf.

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COACH ME IF YOU CAN !

...

Biais, stéréotype, cliché et tarte à la crème

Le biais de confirmation, également dénommé biais de confirmation d'hypothèse, désigne le biais cognitif qui consiste à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues ou ses hypothèses (sans considération pour la véracité de ces informations). Examiner les biais implique donc de se pencher sur les hypothèses qui les engendrent, à savoir en l’occurrence les stéréotypes de genre. Les stéréotypes fonctionnent comme des raccourcis cognitifs dans le traitement de l’information4. Quel est le mécanisme à l’œuvre ? En quelques millièmes de seconde, nous catégorisons une personne selon son genre (et selon sa race). C’est universel et nous ne pouvons rien y changer. Lorsque nous plaçons quelqu’un dans une catégorie, nous prévoyons que cette personne correspondra à nos attentes à l’égard de cette catégorie. Ce phénomène est immédiat, inconscient et il se produit indistinctement selon que l’observateur est un homme ou une femme. Les études convergent pour montrer que nous tendons à associer les caractéristiques masculines à l’autorité et au leadership5, tandis que nous

Lorsque nous plaçons quelqu'un dans une catégorie, nous prévoyons que cette personne correspondra à nos attentes à l'égard de cette catégorie. associons les femmes à des traits tels que l’empathie, l’organisation, le sens du détail et des fonctions d’aide ou de support. Dans les représentations les plus communément partagées, les hommes dirigent et les femmes participent/ assistent. Le même phénomène est observable en ce qui concerne les tâches ou domaines d’activités, que nous caractérisons inconsciemment comme « masculines » : les chiffres, la stratégie, la technologie, la négociation, etc. ou comme « féminines » : la santé, la famille, les enfants, le soin aux autres, la mode, l’art, etc. Ces stéréotypes sont importants car ils façonnent notre évaluation des performances des individus : la même prestation nous apparaîtra différemment selon qu’elle est réalisée par une femme ou un homme. C’est ce qu’a démontré l’expérience de l’orchestre. À titre personnel, j’ai en tête l’exemple d’un de mes patrons qui, après m’avoir observée en négociation avec l’administration fiscale (dans le temps où j’étais avocat fiscaliste …), me fit ce commentaire bien intentionné : « Tu t’en es bien sortie, mais les hommes ont toujours plus de fluidité dans l’argumentation ». Bref. L’effet néfaste de ces stéréotypes, en ce qui concerne l’avancement de la carrière des femmes, est que ces associations instantanées et inconscientes vont affec-

ter la façon dont elles sont évaluées professionnellement : au moment de les engager, de leur accorder une promotion, leur attribuer un projet, leur offrir certaines opportunités, et quant au pouvoir d’influence qu’elles se voient attribuer. Et vous n’avez pas encore tout vu…

Vous vous demandez comment les biais nous influencent, chacun, en permanence ? Voici quelques-uns des effets des stéréotypes, tels qu’ils ont été documentés par les études scientifiques. Un premier effet des stéréotypes est qu’ils modifient nos standards d’évaluation des performances des individus, selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme ou, de façon similaire, selon qu’il s’agit d’une personne de race blanche ou de couleur. Lorsque, par exemple, une femme se montre performante dans un domaine généralement associé à la masculinité, ceci bouscule les associations automatiques que nous faisons et nous avons alors tendance à examiner ses accomplissements avec plus d’attention, de minutie, voire de suspicion (et ceci, même dans des situations où nous admirons cette personne)6. Et c’est cette attention renforcée qui peut ouvrir la porte aux biais. Une illustration est à trouver dans une expérience7 qui a consisté à envoyer un CV

ertes nous avons besoin, de façon générale, de tels raccourcis pour pouvoir accomplir rapidement un grand nombre de nos tâches. Cependant lorsque ces stéréotypes concernent des individus, C ils sont susceptibles d’engendrer des résultats indésirables. Un leader étant une personne capable de guider (intelligence logique, stratégie, communication) mais aussi d’influencer (charisme, autorité, leadership) ses collaborateurs vers des objectifs communs (sens de l’action). 6 Un exemple cité est celui de la nomination de Mary Barra au titre de CEO de General Motors, dans un secteur aussi typiquement viril que celui de l’automobile, qui a suscité la curiosité et généré beaucoup de publications sur le parcours qui l'a menée à ce poste, tandis que la nomination d’un homme (blanc) aurait probablement été un « non-événement ». 4

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factice aux facultés de psychologie à travers les États-Unis, l’un sous le nom de Brian Miller, l’autre de Karen Miller, en leur demandant s’ils pourraient envisager d’engager cette personne au titre de jeune chercheur. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 79 % de réponses favorables pour Brian contre 49 % pour Karen (et ceci, que l’évaluateur soit un homme ou une femme). La même expérience fut réalisée avec un profil académique chevronné, présentant davantage de publications et de recon-

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8

naissances académiques, en vue d’obtenir une chaire. Le profil féminin a suscité quatre fois plus de questions et de mises en doute que son homologue masculin : « Je devrais avoir la preuve qu’elle a bien obtenu ces distinctions et rédigé ces publications par elle-même » ou « Il est impossible d’émettre un tel jugement sans disposer d’une évaluation pédagogique ». Notons au passage comment ce dernier critère (les rapports pédagogiques), tout à fait légitime, était appliqué de façon plus sévère pour la candidate féminine.

Une autre étude, réalisée en 2014 dans des cabinets d’avocats d’affaires américains, montre un effet similaire dans un cas de différenciation selon la race8. Signalons que les stéréotypes vont même influencer les critères que nous utilisons pour évaluer les individus. L’expérience suivante le démontre : pour pourvoir un poste de chef de police d’une zone, les recruteurs avaient le choix entre deux candidats se distinguant par le fait que l’un avait plus d’expérience et l’autre une meilleure formation. Selon

...

h. Steinpreis, K. Anders et D. Ritzke, « The impact on the review of curricula vitae of job applicants and tenure candidates. A national empirical study », Sex Roles, vol. 41, Nos. 7/8, 1999, http://www.cos. R gatech.edu/facultyres/Diversity_Studies/Steinpreis_Impact%20of%20gender%20on%20review.pdf. A. Reeves, « Written in Black & White. Exploring Confirmation Bias in Racialized Perceptions of Writing Skills », Yellow papers series, 2014-0404, http://www.nextions.com/wp-content/files_mf/1446822647 2014040114WritteninBlackandWhiteYPS.pdf.

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... que le candidat était un homme ou une femme, les recruteurs justifiaient leur choix, tantôt par la nécessité d’une expérience relevante, tantôt par une meilleure formation, afin de préférer, dans tous les cas… le candidat masculin9 ! De nombreuses recherches ont également mesuré l’impact sur la carrière du fait, non seulement d’être une femme, mais en plus d’être une mère. Outre une pénalité de salaire de 5 à 7 % par enfant pour une mère, comparée à une femme sans enfant exerçant la même fonction, les mères sont vues comme moins investies dans leur travail, et aussi moins compétentes que les autres femmes10 ! Un large éventail de femmes avocates

interrogées au retour de leur congé de maternité déploraient le fait de recevoir du travail d’un niveau d’une assistante juridique (paralegal), ce qui valut à l’une d’entre elles de faire remarquer à son patron : « J’ai eu un bébé, pas une lobotomie ». Et, comme si cela ne suffisait pas, notons que, pour les hommes en revanche, le fait d’être père leur donne un avantage concurrentiel sur les hommes sans enfants. Terminons ce tour d’horizon par une question. Qui n’a pas entendu ce conseil donné aux femmes : « Tu ne te mets pas assez en avant, tu attends que les autres reconnaissent tes réussites alors que c’est à toi de les promouvoir au premier chef » ? Les femmes pourraient-elles renverser les doutes quant à leurs compétences et

contrecarrer les effets des stéréotypes en faisant leur « autopromotion » ? La science a cherché à savoir si ce conseil était vraiment judicieux… et les résultats sont étonnants (ou pas). Les femmes qui font de l’autopromotion sont en effet perçues comme plus compétentes,… mais on ne les apprécie pas ! Et la raison de ce rejet est, vous l’aurez compris, qu’un tel comportement chez une femme enfreint le stéréotype selon lequel elle doit être modeste et non dominante ni assertive. Les femmes se retrouvent en réalité dans un jeu perdant-perdant : soit elles ne font pas d’autopromotion et elles sont perçues comme moins compétentes que leurs homologues masculins, soit elles en font et on ne les engage/promeut toujours pas car on ne les aime pas11 !

. Uhlmann et G. Cohen, « Constructed Criteria Redefining Merit to Justify Discrimination », American Psychological Society, 2005, Volume 1, No 6, p. 474, https://ed.stanford.edu/sites/default/files/ E uhlmann_et_2005.pdf. Sh. Correll, St. Benard, I. Paik, « Getting a Job: Is There a Motherhood Penalty? », American Journal of Sociology, Vol. 112, No. 5 (Mars 2007), pp. 1297-1339. 11 L. Rudman, « Status incongruity and backlash effects: Defending the gender hierarchy motivates prejudice against female leaders », Journal of Experimental Social Psychology, Volume 48, Issue 1, January 2012, Pages 165-179, http://rutgerssocialcognitionlab.weebly.com/uploads/1/3/9/7/13979590/rudman_moss-racusin_phelan__nauts_2012.pdf. 9

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COACH ME IF YOU CAN !

Apprenez à moduler votre image et faites en sorte de ne pas tomber dans les travers dans lesquels l'on vous projette.

Très bien, et que fait-on de tout ceci ?

À ce stade de la lecture, vous êtes en principe parfaitement convaincu(e) de la nécessité de lutter contre ces biais et vous vous demandez comment diable neutraliser leur effet ! Une première solution, à laquelle vous contribuez vous-même à cet instant précis, est la connaissance de ces biais : plus un biais est connu, moins il sera inconscient et automatique. De façon générale, les solutions nécessiteront de prévenir la tendance à utiliser des stéréotypes comme des raccourcis cognitifs, en particulier dans des situations où nous devons traiter un grand nombre d’informations en un temps très limité. Au niveau des organisations, ceci passera, entre autres, par la définition de critères clairs à appliquer et à justifier dans les décisions de recrutement et de promotion. Et en tant qu’ « objets potentiels » de ces stéréotypes, que faire pour les combattre ? D’abord, soyons conscient(e)s que toutes les branches du droit n’induisent pas de stéréotypes défavorables à l’avancement hiérarchique des femmes : citons par exemple… le droit familial, où les femmes associées sont légion.

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Ensuite, les stéréotypes existent, mais ils sont susceptibles d'évoluer ! Je pense, en particulier à des pionniers comme Barack Obama ou Christine Lagarde, qui ont su inventer et imposer un nouveau style et de nouveaux repères, tout en restant, semblerait-il, assez fidèles à eux-mêmes. En connaissant parfaitement les codes, ils ont pu se les approprier. Pourquoi ne pas mettre à profit ces ouvertures et, en tant que femmes, trouver (ou inventer) « sa Christine Lagarde » ? Ceci rejoint en un sens l’idée de la « modélisation » en Programmation Neurolinguistique, qui consiste à observer les comportements de réussite, d'en déterminer les conditions de succès et de les reproduire : cette démarche permet non seulement à l’individu d’accéder plus efficacement à des ressources personnelles encore inexploitées, mais aussi, dans l’optique qui nous occupe, de bénéficier de la « brèche » ouverte par d’autres dans un stéréotype. Enfin, apprenez, mieux que quiconque, à connaître les stéréotypes à l’égard des femmes. Apprenez à moduler votre image, décodez les attentes inconscientes à l’égard des femmes et faites en sorte de ne pas tomber dans les travers dans lesquels l’on vous projette, tels que celui de l’émotivité par exemple. Avez-vous déjà entendu quelqu’un traiter un homme (très) en colère d’« hystérique »12 ? Avez-vous déjà entendu reprocher à un candidat masculin à la présidence des États-Unis d’être « distant et froid », comme cela a été le cas pour Hil-

lary Clinton ? (Bon, OK, pour Nixon, peutêtre. Mais il a gagné !) Pour terminer, si vous voulez aider une femme à avancer dans sa carrière, recommandez-la. Car si les femmes sont moins appréciées lorsqu’elles font leur propre promotion, la promotion est pleinement efficace quand elle provient de tiers. Et ne recommandez pas cette femme pour « son dévouement sans relâche, sa détermination, son enthousiasme, sa persévérance, sa gentillesse, etc. » mais pour « son intelligence, sa vision stratégique, sa capacité de décision, son esprit de synthèse, son habileté à négocier dans les contextes les plus ardus, sa capacité à atteindre et même à dépasser les objectifs et pour son leadership »13. Le langage est, on le sait, le moyen le plus répandu pour transmettre et conserver une culture, mais aussi pour la faire évoluer. Nous pouvons, à notre échelle, transformer les stéréotypes. N’hésitez pas non plus à poursuivre ces réflexions dans des groupes de travail mixtes et proposez des accompagnements de façon indifférenciée aux hommes et aux femmes, sous peine, selon les experts, de « réifier » les biais. Je vous invite à partager cette « bonne parole », pour que les biais ne puissent plus « ne pas être vus » et je vous laisse sur ces quelques mots d’encouragement : "Every moment wasted looking back keeps us from moving forward" (Hillary Clinton).

En dépit du fait que ce terme provient du mot « utérus » en grec, Freud a, avec d’autres, démontré la survenance d’hystéries chez les hommes. Les femmes sont bien plus souvent décrites, même dans un cadre professionnel, à travers leur personnalité davantage que par leurs accomplissements.

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HOMMAGE

Roger Lallemand

et le droit d’auteur Coauteur de la loi sur la dépénalisation de l’avortement en Belgique et impliqué dans de nombreux débats éthiques, Roger Lallemand nous a quittés en octobre dernier. Alain Berenboom rend hommage aux grands combats menés par son confrère. Même bricolée et tripatouillée à plusieurs reprises depuis son adoption - et pas toujours à bon escient -, la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins du 30 juin 1994 restera « la loi Lallemand ».

Alain Berenboom Avocat-professeur émérite de l’ULB, écrivain

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À l’occasion de la disparition de Roger Lallemand en octobre dernier, la presse a rappelé les grands combats qu’il a menés, avec opiniâtreté et efficacité, parfois bien seul, sur des questions éthiques qui, au fond, n’intéressaient pas beaucoup la plupart de ses collègues et qu’il a réussi à faire aboutir, l’avortement (en compagnie de la remarquable sénatrice libérale Lucienne Herman-Michielsens) ou l’euthanasie, ainsi que sa participation à la loi Moureaux-Glinne contre le racisme et l’antisémitisme. Curieusement, elle a omis de rappeler son rôle dans l’élaboration d’une législation restée depuis 1886 dans les placards, et dont les auteurs déploraient depuis des années l’inadéquation face à l’évolution des technologies et des pratiques et les artistes l’absence de toute reconnaissance de leurs droits.

Quand il s’est attaqué à la révision de la vénérable loi de 1886 (après une tentative initiée peu auparavant par G. Mundeleer, secrétaire d’État à la Justice, que la chute du gouvernement avait empêché d’arriver à son terme), Roger Lallemand ne se rendait sans doute pas compte des obstacles qui l’attendaient et des neuf années qu’il faudrait encore avant que « sa » loi ne soit votée (sa proposition initiale a été déposée en 1985). Complexité d’une matière touffue, mal connue de la plupart des juristes, des députés et des sénateurs. Mais aussi les pressions des innombrables lobbies, des fabricants de machines aux sociétés d’auteurs, des producteurs et diffuseurs audiovisuels aux organisateurs de fancy-fair ou encore aux industriels du textile expliquent ce chemin de croix. Les mérites de son initiative sont multiples : il a voulu, comme il l’écrit dans les développements de sa proposition, assurer « une meilleure protection » des auteurs face « à l’industrialisation de la


HOMMAGE

Roger Lallemand

culture et à l’évolution économique et sociale ». Ce qui l’a conduit à introduire dans la loi pour la première fois des régimes de licences légales relativement à la copie privée et à la reprographie ou à organiser les droits des auteurs, des artistes et des producteurs à l’occasion de la câblo-distribution. Il a aussi développé le droit des contrats en y introduisant des clauses impératives au profit des auteurs et défini des règles pour certains contrats particuliers, tels le contrat d’édition et celui de production audiovisuelle. Il a élaboré une série d’exceptions, certaines nouvelles ou dégagées seulement par la jurisprudence, au profit des utilisateurs.

Sa proposition a aussi, et pour la première fois, organisé le statut des sociétés de gestion collective et leur contrôle par l’État. Elle a enfin introduit la reconnaissance des droits voisins au profit des artistes-interprètes, producteurs et radiodiffuseurs, en leur garantissant des droits très proches de ceux des auteurs. Un régime qui n’existait pas jusque-là. Ce texte ambitieux, inspiré des lois française et allemande, a eu le mérite de repenser entièrement le droit d’auteur belge, de le faire évoluer pour le faire coller à son temps (alors qu’il n’avait pas bougé depuis un siècle) en tenant compte des nécessités de la vie économique, notamment en reconnaissant, pour la première fois, le

rôle des différents acteurs de l’économie de la culture ou en introduisant des mécanismes sophistiqués en matière contractuelle. Parfois trop sophistiqués puisque le texte voté par le Sénat a été revu et longuement poli par la Chambre. Mais l’essentiel de sa proposition et de ses avancées se retrouvent dans la loi finalement adoptée (après un nouveau passage par le Sénat, c’était comme ça à l’époque !). Homme de grande culture, amoureux des livres, Roger Lallemand aimait les artistes (et en était le conseil). Il a réussi ainsi à mêler sa passion et son combat politique. Et à faire aboutir l’une et l’autre. C’est plutôt rare en politique.

2016/6|N°20|Emile & Ferdinand|23


MOT DE L'ÉDITEUR “Je m’assieds et laisse entrer dans la salle le florilège de litiges. Tant de versions à écouter, de colères à tempérer, de récits à comprendre puis à juger... Mais toujours en point de mire cet objectif auquel tous aspirent : la paix. Le locataire est-il en droit ? Le bail en règle ? L’expropriation régulière ? Ces affaires sont celles qui font la vie. Je les entends, une main sur le Code, l’autre sur le cœur, pour que chaque décision soit aussi juste qu’humaine. Au cœur de ces histoires, au creux de ces fêlures, au détour de ces parcours et de ces aventures, je trouve toujours une raison qui me pousse à continuer mon formidable métier.”

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