RISF 2014/2

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Sommaire

Numéro 2014/2 SOMMAIRE

Éditorial La régulation du crowdfunding dans le monde . . . . . 3 ierry B

Dossier : l’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales Introduction – Dette des États et emprunts toxiques des collectivités locales : destins croisés . . . . . . . . . . . 7 Régis B Swap Transactions of Municipalities under German Public and Private Law . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Rüdiger V et Daniel K e Greek PSI and the Litigation Surrounding it. .18 Dimitris T et Iakovos A L’encadrement légal en France des emprunts dits « toxiques » souscrits par les collectivités locales . . 25 Philippe D Après la crise financière : vers une réforme de la réglementation du marché des valeurs mobilières municipales aux États-Unis ? . . . . . . . . . 32 Stéphane R L’encadrement des emprunts souscrits par les mairies au Chili . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Lusitania V C et Juan M D Conseils locaux et produits d’investissement toxiques, décision de la justice australienne concernant le rôle d’une agence de notation . . . . . . 41 Natacha P

Condamnation par la Cour européenne du cumul des sanctions administratives et pénales sur le fondement du principe non bis in idem (CEDH, 2 sect., aff. Grande Stevens et autres c. Italie, 4 mars 2014, n 18640/18) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Pauline P

I.B. Régulation comparée e Hellenic Financial Stability Fund : e State’s agent in a Banking System under Restructuring . . 58 Georgios P La régulation libanaise du crowdfunding . . . . . . . . 64 Fadi N

I.C. Régulation internationale

II. Régulation bancaire II.A. Régulation européenne Réforme structurelle du secteur bancaire – Interdiction, séparation : la Commission prend position . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Anne-Claire R Union bancaire – Mécanisme de résolution unique (MRU) : accord du Conseil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 Geneviève H Crédit immobilier – Harmonisation des contrats de crédit immobilier aux consommateurs . . . . . . . 75 Myriam R Shadow banking system – Système bancaire parallèle : la Commission entend imposer la transparence et le contrôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 Myriam R

II.B. Régulation comparée La régulation des crypto-monnaies et de leurs plates-formes de conversion . . . . . . . . . . 77 Julien D

Chroniques I. Régulation financière

II.C. Régulation internationale

I.A. Régulation européenne C.J.U.E., 22 janvier 2014, aff. C-270/12, Royaume Uni c. Conseil et Parlement européen . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Régis V 2014/2

Vers une coopération renforcée des superviseurs bancaires pour les groupes bancaires internationaux ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Juliette M-M

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Sommaire

Accord entre la France et les États-Unis pour la mise en œuvre de la loi FATCA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Juliette M-M

IV. Régulation intersectorielle

Évolutions contractuelles récentes des conventions de crédit de droit français conçues à partir du contrat-type de la Loan Market Association . . . 85 Amaël B

IV.B. Intégrité du marché

III. Régulation assurantielle

L’encadrement des indices boursiers . . . . . . . . . . . 107 Anne-Dominique M

III.A. Régulation européenne Adoption par le Parlement européen de la proposition de directive Intermédiation en assurance et précisions sur l’encadrement des produits d’investissement assurantiels . . . . . . . 91 Pauline P Les garanties à long terme des assureurs dans la proposition de directive « Omnibus II » adoptée par le Parlement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Pauline P Intermédiation en assurance et règlement extrajudiciaire des litiges : les orientations de l’EIOPA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Pauline P Principe de non-discrimination en matière de calcul des primes et prestations d’assurance : rapport de l’EIOPA sur la mise en œuvre de la décision Test-Achats dans les droits nationaux . . . . . . . . . . . . 95 Jérôme C Conditions d’exercice de la faculté de renoncer au contrat d’assurance-vie : le délai d’exercice de la faculté de renonciation ne court pas tant que l’assuré n’en a pas été informé par l’assureur (C.J.U.E., 19 décembre 2013, C-209/12, Walter Endress c. Allianz Lebensversicherungs AG) . . . . . . . 98 Jérôme C

IV.A. Stabilité du marché

Royaume-Uni : Standard Bank PLC condamnée pour manque de contrôles anti-blanchiment . . . . 106 Anne-Dominique M

New legal frameworks for the transatlantic fight against market abuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Martin H Bitcoin : une « monnaie virtuelle » aux risques réels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Matthieu G

V. Fiscalité des services financiers V.A. Fiscalité directe (libertés au sein du marché intérieur) C.J.U.E., 23 janvier 2014, Commission européenne c. Royaume de Belgique, aff. C-296/12 . . . . . . . . . . . . . 118 Régis V

V.B. Fiscalité indirecte (taxe sur la valeur ajoutée) C.J.U.E., 21 novembre 2013, Dixons Retail plc, aff. C-494/12 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Régis V Com. 13 novembre 2013, n° 12-15361 (question préjudicielle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 Régis V

III.B. Régulation comparée III.C. Régulation internationale

Notices bibliographiques

Association internationale des contrôleurs d’assurance, « Rapport annuel 2012-2013 », janvier 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Adrien T

Margot S, La régulation nancière face à la crise, préf. J.-P. Jouyet, Bruxelles, Bruylant, 2013 . . . . . . 127 Régis V

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Éditorial

LA RÉGULATION DU CROWDFUNDING DANS LE MONDE ierry B Agrégé des facultés de droit Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) Président du conseil scientifique de la R.I.S.F. Né dans les années 2000 aux États-Unis(1), le crowdfunding ou « financement par la foule » est également dénommé « financement participatif ». Nouveau mode de financement de projets par le public, il permet de récolter des fonds – généralement de petits montants – auprès d’un large public et fonctionne le plus souvent via internet(2). Offrant une nouvelle source de financement à un moment où les entreprises ont des difficultés pour en trouver, il est vu avec bienveillance par les autorités(3). Il ne peut toutefois, le plus souvent, fonctionner qu’avec un allégement des contraintes réglementaires et suscite des interrogations quant à la protection des investisseurs. L’allègement des contraintes apparaît nécessaire puisque, via des plates-formes, des fonds sont levés, ce qui 1.

2.

3.

G. L, « Crowdfunding : peut-on raisonnablement être associé avec... la foule ? », J.C.P., 2013, 1709, spéc. n 2. AMF et ACPR, Guide du financement participatif (crowdfunding) à destination des plates-formes et des porteurs de projet, 2013. Cf. projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnance diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises : « au 3° sont prévues des mesures de facilitation du financement participatif, qui permet que des projets spécifiques soient financés par de nombreuses personnes, principalement par l’intermédiaire de sites internet. Le développement de ce nouveau mode de financement permet d’offrir, en particulier aux PME et aux jeunes entreprises innovantes, un outil de financement complémentaire. Des modifications législatives sont nécessaires pour faciliter et encourager son développement, tout en veillant aux impératifs de protection des épargnants ».

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peut contrevenir tant aux règles relatives à l’offre de titres au public qu’au monopole bancaire. Il y a en effet une atteinte à ce monopole si des particuliers, qui ne sont pas par hypothèse autorisés à consentir des crédits, octroient des prêts rémunérés.

Vu avec bienveillance, le crowdfunding suscite des

interrogations et ne peut fonctionner qu’avec un allègement des contraintes réglementaires.

La protection des investisseurs est mise à mal si les plates-formes et leurs gestionnaires ne sont soumis à aucun contrôle et si aucune réglementation n’encadre les professionnels qui contribuent au financement des projets et recommandent aux particuliers de participer aux opérations de crowdfunding. Ceux-ci peuvent d’ailleurs manquer d’informations si les entreprises ou les personnes qui sollicitent leur aide financière ne sont astreintes à aucune exigence de transparence particulière. Ce qui explique que la question de la régulation du financement participatif se pose. Elle se pose d’ailleurs dans de nombreux pays. Notre collègue Fadi Nammour a exposé, dans un article publié dans le présent numéro de la Revue internationale des services financiers, les principes adoptés au Liban par l’arrêté du 11 juin 2013 : un contrôle de la société et de la plate-forme qu’elle gère a été mis place ; des obligations ont été mises à la charge de la société gestionnaire de la plate-forme et des entreprises qui souhaitent financer leurs projets via une opération de crowdfunding. Cette réglementation suit

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Éditorial

Éditorial

celle adoptée aux États-Unis par le JOBS(4) Act en date du 5 avril 2012, qui encadre tant l’activité que les platesformes, des limites ayant été apportées au montant du projet financé et au montant du financement apporté par les particuliers et des obligations en matière d’information ayant été imposées pour assurer la protection des investisseurs(5). En Europe, le Royaume-Uni n’a pas légiféré : les autorités se sont « contentées d’une présentation (enthousiaste au demeurant) de l’activité de crowdfunding assortie d’une simple mise en garde quant au risque de pertes en capital »(6). En revanche, une législation est en préparation en Espagne(7). En France, l’AMF et l’ACPR ont en 2013 publié deux guides de financement participatifs, l’un à destination du public, l’autre à destination des plates-formes et des porteurs de projet(8), ainsi qu’un document intitulé « Un nouveau cadre pour faciliter le développement du financement participatif »(9), qui propose en particulier de créer un statut de conseil en investissement participatif. Et une loi d’habilitation du 2 janvier 2014(10) a autorisé le gouvernement à légiférer par ordonnance afin « de favoriser le développe4. 5.

Jumpstart our business startups Act. J.-M. M, « La régulation du crowdfunding à la française », Rev. dr. banc. fin., juillet-août 2013, Études 19, spéc. n 20. 6. Ibid. 7. AMF, Actualités internationales, n 136, 7 avril 2014, spéc. p. 4. 8. G. L, « Crowdfunding : peut-on raisonnablement être associé avec... la foule ? », article précité, spéc. p. 43. 9. ACPR et AMF, Un nouveau cadre pour faciliter le développement du financement participatif , 30 septembre 2013. 10. Loi n 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises.

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ment du financement participatif dans des conditions sécurisées, notamment en : a) créant un statut de conseiller en investissement propre au financement participatif ainsi que les conditions et obligations qui s’y attachent ; b) adaptant au financement participatif le régime et le périmètre des offres au public de titres financiers par les sociétés qui en bénéficient et en modifiant le régime de ces sociétés en conséquence ; c) étendant au financement participatif les exceptions à l’interdiction en matière d’opérations de crédit prévue à l’article L 511-5 du Code monétaire et financier »(11). Cette approche qui consiste à déroger à un certain nombre de règles n’est pas spécifique à la France. L’allègement réglementaire a été ainsi également mis en œuvre aux États-Unis, le législateur américain ayant apporté « un certain nombre d’exemptions au Securities Act de 1933 en ce qui concerne le régime des offres au public de titres »(12). On serait tenté d’approuver cette approche, puisqu’elle facilite le financement des projets qui autrement, faute d’argent, auraient eu énormément de difficultés à naître et à se développer. Toutefois, le crowdfunding conduit à s’interroger. Est-ce que son développement est la conséquence de l’alourdissement des contraintes imposées au système bancaire et financier ? Par ailleurs est-il si judicieux d’alléger les contraintes réglementaires alors que la crise de 2008 a été favorisée par la titrisation qui a permis aux intermédiaires financiers de satisfaire plus aisément aux contraintes prudentielles auxquelles ils sont soumis ? 11. Article 1, 3°, de la loi précitée. 12. J.-M. M, « La régulation du crowdfunding à la française », article précité, spéc. n 20.

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D L’É              



Introduction Dette des États et emprunts toxiques des collectivités locales : destins croisés

Régis B Agrégé des facultés de droit Professeur de droit public à l’Université de Poitiers

Telle une marée basse qui dévoile les secrets d’un littoral, la crise de l’automne 2008 a révélé les travers d’un système financier vermoulu par des pratiques abusives et des instruments financiers toxiques. Les investisseurs privés n’ont toutefois pas été les seules victimes de cette débâcle qui a également affecté la sphère publique. Victimes directes, certaines autorités locales et régionales, en particulier des municipalités, avaient souscrits des emprunts « structurés »(1), moins pudiquement qualifiés de « toxiques »(2), incorporant des produits dérivés aux prêts, en général des ventes d’option permettant de dégager de la valeur au profit de l’emprunteur et rendant ainsi l’emprunt financièrement plus attractif(3). La volatilité des taux et des devises générées par la crise a transformé ces prêts en bombes à retardement, allant même jusqu’à paralyser financièrement certaines municipalités(4). Victimes par ricochet, les États ont dû se résoudre, en aval, à aggraver leur endettement afin de mettre en œuvre des plans de relance économique et de venir au secours de collectivités territoriales ou d’institutions financières asphyxiées. Certains États ont même été pris en étau entre, d’une part, des opérations de renflouement ou de restructuration d’établissements impliqués dans des emprunts toxiques aux collectivités(5), et d’autre part, le soutien apporté pour le refinancement de ces dernières. À cet 1. 2.

3. 4.

5.

Cour des comptes, La gestion de la dette publique locale, rapport thématique, juillet 2011, p. 41. Sur cette notion d’emprunt « toxique », v. infra, les observations de P. D dans son étude intitulée « L’encadrement légal en France des emprunts dits “toxiques” souscrits par les collectivités locales ». Cour des comptes, op. cit., note 12, p. 41. V. aussi infra, l’étude de S. R, « Après la crise financière : vers une réforme de la réglementation des valeurs mobilières municipales aux États-Unis ». Sauvetage de Dexia par la France, la Belgique et le Luxembourg, de la Royal Bank of Scotland par le Royaume-Uni et de Depfa par l’Allemagne.

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égard, le cas de la France est éloquent. Le gouvernement a institué la Société de financement local (SFIL) en janvier 2013 (détenue par l’État à 75 %) afin de, notamment, refinancer certains prêts souscrits par les collectivités territoriales et les établissements publics de santé(6). Le stock d’emprunts toxiques repris par la SFIL se voyait toutefois menacé, quelques jours après sa création, par un jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février 2013 qui a sanctionné l’omission de la mention du taux effectif global (TEG) dans des contrats de prêts structurés conclus entre Dexia et le département de la Seine-Saint-Denis en substituant le taux légal au taux contractuel(7). La généralisation de cette jurisprudence faisait donc peser un brisque à la fois sur les banques détenant de tels prêts et sur la pérennité du système de refinancement mis en place par l’État, ce dernier en étant devenu une partie prenante. Afin de neutraliser ce risque contentieux, la loi de finances pour 2014 avait intégré un mécanisme de validation rétroactive des contrats de prêts ne mentionnant pas le TEG(8). Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré cette disposition en retenant que la validation, qui s’appliquait à toutes les personnes morales ayant souscrit un emprunt, avait une portée trop large et que les critères retenus n’étaient pas en adéquation avec l’objectif de prévention des conséquences financières d’une généralisation de la jurisprudence nanterroise(9). 6.

7.

8.

9.

« Un nouvel établissement pour le financement des collectivités territoriales et des établissements publics de santé », J.C.P. (Administrations et collectivités territoriales), 2013, n 6, act. 109. T.G.I. Nanterre, 8 février 2013, n 11/03778, n 11/03779 et n 11/03780, Département de la Seine-Saint-Denis c. Société Dexia Crédit Local ; Droit administratif , 2013, n 6, p. 24, note A. B ; Bulletin juridique des collectivités locales, 2013, n 2, p. 125, note X. C. Le paragraphe II de l’article 92 de la loi de finances 2014 disposait en effet : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés les contrats de prêt et les avenants à ces contrats conclus antérieurement à la publication de la présente loi entre un établissement de crédit et une personne morale, en tant que la validité de la stipulation d’intérêts serait contestée par le moyen tiré du défaut de mention du taux effectif global prescrite par l’article L. 313-2 du Code de la consommation […] ». Décision n 2013-685 DC du 29 décembre 2013, Loi de finances pour 2014, §§ 76-79.

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Dossier

L'État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

Outre ses aspects juridiques(10), cet épisode a surtout dénoté la position inconfortable de l’État, et ce tant du point de vue politique, puisqu’il s’agissait d’une loi d’amnistie civile revenant « à blanchir des banques ayant commis une faute »(11), que du point de vue économique, puisqu’il devait ménager des intérêts parfois contradictoires : ceux des établissements financiers faisant face à un risque systémique, ceux des collectivités aux capacités de financement entamées, et les siens propres, puisque devant préserver son niveau d’endettement. Il existe toutefois plus qu’un jeu de vases communicants entre dette d’État et dette des démembrements organiques et territoriaux. Certaines réglementations envisagent de façon conjointe dette nationale et locale, à l’instar de l’Union économique et monétaire qui impose une discipline relative à la dette publique entendue comme celle de l’État et de l’ensemble des administrations publiques ou, plus récemment, du règlement n 462/2013 sur les agences de notation qui prescrit de nouvelles obligations relatives à la « notation souveraine » définie comme l’évaluation de la solvabilité « [d]’un État ou une autorité régionale ou locale d’un État »(12). Aussi, qu’elle soit de nature bancaire ou obligataire, tant la dette de l’État que des collectivités territoriales souscrite auprès de créanciers privés trouve sa source dans un contrat et le processus décisionnel autorisant l’emprunt est gouverné par des règles de droit public(13). Cependant, ces interactions, chevauchements et similarités entre ces deux catégories d’emprunt ne doivent pas éclipser que les problèmes juridiques soulevés dans le cadre des contentieux relatifs aux dettes d’États sont de nature différente de ceux concernant les emprunts toxiques souscrits par les autorités locales. En l’absence de mécanisme multilatéral de gestion ordonnée des problèmes de solvabilité des États, les opé10. J.-L. V et D. D P, « Censure par le Conseil constitutionnel des dispositions de la loi de finances 2014 validant rétroactivement les contrats d’emprunt toxique pour omission ou erreur de TEG : de nouvelles chances pour la négociation », J.C.P. (Administrations et collectivités territoriales), 2014, n 5, pp. 25 et s. V. aussi, des mêmes auteurs, « Emprunt toxique et loi de finances : un gage donné aux banques qui n’éteindra malheureusement pas les contentieux », J.C.P. (Administrations et collectivités territoriales), 2013, n 47, pp. 5 et s. 11. Propos du député M. Charles  C lors de l’examen de la loi de finances pour 2014 (commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, mercredi 6 novembre 2013, compte rendu n 38, www.assemblee-nationale.fr). 12. Article 1(3)(a)(iv) du règlement (UE) n 462/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 modifiant le règlement (CE) n 1060/2009 sur les agences de notation de crédit, J.O.U.E. L 146/1 du 31 mai 2013. 13. En ce qui concerne l’emprunt local, pour la France, v. P. D, op. cit., note 13. Pour l’Allemagne, v. la contribution à ce dossier de R. V et D. K, « Swap Transactions of Municipalities in German Public and Private Law ». 8

rations de restructuration reposent essentiellement sur des processus de participation volontaire des créanciers, lesquels peuvent accepter une diminution de leurs droits (nominal, intérêts, échéances, etc.). Les créanciers récalcitrants qui ne souhaitent pas y prendre part (holdouts) sont dès lors susceptibles de déployer diverses stratégies contentieuses pour la défense de leurs droits, comme en témoignent les recours introduits devant les juridictions américaines dans le sillage du défaut argentin de 2001 et, plus récemment, devant la Cour européenne des droits de l’homme et des tribunaux arbitraux par des porteurs d’obligations grecques à la suite de la décote (haircut) mise en œuvre en 2012(14). Afin de neutraliser ces recours et faciliter les opérations de restructuration, une pratique de marché, qui s’est généralisée pour les émissions internationales d’obligations souveraines à partir de 2003(15), consiste à intégrer des clauses d’action collective (CAC) dans les contrats d’émission afin d’imposer à tous les porteurs les plans de restructuration adoptés à une majorité qualifié des obligataires. À défaut d’une procédure collective internationale, le mécanisme contractuel des CAC permet de mieux administrer les problèmes de solvabilité des États et elles sont d’ailleurs devenues obligatoires pour les États membres de la zone euro par le biais du Traité du 2 février 2012 instituant un Mécanisme européen de stabilité (MES)(16). Les autorités locales bénéficient d’une large autonomie dans leur administration financière qui, outre les règles formelles relatives à la délibération, n’est encadrée que par quelques règles de fond limitant le niveau de leur dette(17). Dans ce contexte, elles ont eu accès à un large éventail d’instruments pour la gestion de leur endette14. Pour un panorama, v. R. B, « L’émergence d’un ordre public de la dette souveraine pour et par le contrat d’emprunt souverain – Quelques réflexions inspirées par une activité très mouvementée », Annuaire français de droit international (2012), 2013, pp. 489 et s. V. aussi la contribution à ce dossier de D. T et I. A, « e Greek PSI and the Litigation Surrounding it ». 15. Si la pratique des CAC dans les émissions obligataires était développée sur le marché londonien depuis la fin du XIX siècle, elle ne l’a été qu’à partir de 2003 sur le marché new-yorkais. Pour des raisons liées au droit des procédures collectives aux États-Unis, le Trust Indenture Act adopté en 1939 interdisait toute réduction des paiements sur le principal ou les intérêts sans le consentement de chaque obligataire (15 USC § 77ppp(b)). Cela a engendré une standardisation des contrats d’émission excluant la présence de CAC qui a également concerné les émissions souveraines, alors que cette règle n’était applicable qu’aux émetteurs privés, la pratique ne s’infléchissant qu’au début des années 2000. 16. Traité MES, article 12.3. 17. À l’instar de la règle d’or budgétaire des collectivités territoriales en France selon laquelle l’endettement ne peut financer que des dépenses d’investissement. Sur ces aspects, v. R. M et M. C, Finances locales, Paris, Dalloz, 2011, p. 165 ; Cour des comptes, op. cit., note 12, p. 23 ; P. D, op. cit., note 13.

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ment. Dans la mesure où les produits souscrits se rapportaient lato sensu au domaine de leur administration financière, il était délicat de les contester sur le fondement de leur caractère hautement risqué(18). Cela a été rappelé dans un récent jugement du 28 janvier 2014 dans une affaire opposant l’EPCI Lille Métropole Communauté urbaine à la Royal Bank of Scotland. En réponse à une demande d’annulation pour violation du principe de spécialité des compétences de la communauté urbaine(19), le tribunal de grande instance de Paris a en effet retenu que « la conclusion des contrats d’échange de taux critiqués ne s’inscrit pas […] dans le cadre d’une activité pour compte propre de spéculation sur instruments dérivés de taux et de change, mais dans le cadre d’une politique de gestion active de la dette de la collectivité […] afin de limiter la charge financière qu’elle supporte » et que, dès lors, « ce sont bien en l’espèce ces motifs d’intérêts général qui ont présidé à la conclusion des contrats »(20).

Les autorités locales bénéficient d’une large autonomie dans leur administration

financière.

Le contrôle opéré par le juge ne pouvait être qu’extrêmement restreint, car le principe de libre administration de ces collectivités empêche un examen plus intrusif des choix opérés par l’entité publique(21). Un contrôle plus large qui menacerait ex post la validité de ces contrats affecterait la sécurité juridique des opérations et, par ricochet, ferait peser un risque non négligeable sur le financement des collectivités locales. Compte tenu de la difficulté d’une régulation ex post par le juge, le choix a été fait, par exemple en France, d’encadrer ex ante la liberté contractuelle des collectivités territoriales en matière d’emprunt en précisant les éléments – cette fois dans la réglementation et non dans des instruments de so law(22) – que le contrat 18. V. notamment les observations de R. V et D. K, op. cit., note 23 (« debt and budget management is always in the sphere of activity of a municipality »). 19. CGCT, article L. 5215-19. 20. T.G.I. Paris, 28 janvier 2014, EPCI Lille Métropole Communauté urbaine (LMCU) c. e Royal Bank of Scotland plc (RBS), JurisData n 2014-001056. 21. V. cependant, R. V et D. K, op. cit., note 23, note 20 (à propos de l’affaire LG Dortmund). 22. Nous faisons ici référence à la circulaire du 15 septembre 1992 relative aux contrats de couverture de taux d’intérêt 2014/2

doit comporter, notamment en ce qui concerne la devise et le taux de l’emprunt(23). Ce nouveau dispositif reste toutefois critiqué pour son champ d’application limité(24). Les contentieux ont davantage prospéré sur le terrain du manquement aux obligations de l’intermédiaire financier, en particulier à ses devoirs d’information, de conseil et de mise en garde(25). De telles obligations impliquent en effet de tenir compte du profil du client, donc, pour le prestataire, de s’enquérir des besoins spécifiques des collectivités locales, mais aussi de leur expertise et de leur expérience. Cela peut d’ailleurs poser un problème de « continuité », dans la mesure où l’interlocuteur du prestataire au sein de la collectivité est susceptible de changer et d’avoir, en particulier pour les petites municipalités, une connaissance très variable de ces produits(26). Ce contentieux et le renforcement des obligations des prestataires(27) sont susceptibles d’avoir un effet régulateur sur les pratiques, mais d’autres voies pourraient être explorées afin de discipliner de manière plus substantielle la gestion financière locale. En effet, les produits toxiques souscrits par les collectivités résultent pour l’essentiel de contrats négociés de gré à gré et constituent des opérations qui échappent aux procédures de passation des marchés publics(28). Il est sans doute inapproprié de soumettre l’ensemble des opérations sur instruments financiers au Code des marchés publics, car certaines transactions doivent se réaliser dans un laps de temps très court(29). Cependant, l’exclusion générale en vigueur prive les acteurs locaux d’une procédure permettant d’assurer plus de transparence et de concurrence dans le processus d’endettement local. En ce qui concerne les transactions pour lesquelles le facteur temps est déterminant, l’accès

23. 24.

25.

26. 27. 28.

29.

offerts aux collectivités et aux établissements publics locaux et à la nouvelle circulaire du 25 juin 2010 (abrogeant la précédente) concernant les produits financiers offerts aux collectivités locales et à leurs établissements publics. Sur ces aspects, v. P. D, op. cit., note 13. CGCT, article L. 1611-3-1. Sur ces aspects, v. P. D, op. cit., note 13. V. aussi, S. D, « L’encadrement des conditions d’emprunt », Revue Lamy Collectivités territoriales, 2013, n 93, p. 17. V. par exemple LMCU c. RBS, op. cit., note 31 (relevant que RBS n’avait pas communiqué la valorisation des swaps à la date de leur conclusion alors que cette valorisation était « un élément d’information important et pertinent » et « permet de rétablir la symétrie de l’information entre le prêteur et l’emprunteur »). R. V et D. K, op. cit., note 23. Pour les États-Unis, v. S. R, op. cit., note 15. V. article 3(5) du Code des marchés publics et l’article 16(d) de la directive 2004/18/CE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. Assemblée nationale, « Rapport sur les produits financiers à risque souscrit par les acteurs publics locaux », n 4030, 6 décembre 2011, p. 53.

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Dette des États et emprunts toxiques des collectivités locales : destins croisés


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L'État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

des collectivités aux marchés réglementés devrait être facilité(30). Alors que l’encadrement ex ante de la liberté contractuelle des collectivités territoriales peut in fine

30. P. D, op. cit., note 13 ; S. R, op. cit., note 15.

10

faire peser des contraintes susceptibles de devenir obsolètes du fait de l’innovation financière, il semble que les « marchés publics » et les « marchés réglementés » constituent deux supports efficaces et complémentaires permettant d’améliorer la transparence et la discipline de la gestion financière des autorités locales.

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Swap Transactions of Municipalities under German Public and Private Law

Prof. Dr. Rüdiger V &

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SWAP TRANSACTIONS OF MUNICIPALITIES UNDER GERMAN PUBLIC AND PRIVATE LAW Daniel K

Alfried Krupp-Chair for Civil Law, German and International Business, Corporate Law and is managing director of the Institute for Corporate and Capital Markets Law at Bucerius Law School, Hamburg

Research Assistant at Alfried Krupp-Chair for Civil Law, German and International Business, Corporate Law at Bucerius Law School in Hamburg

This article discusses the legal treatment of complex swap derivatives many German municipalities did conclude before the financial crisis. It covers public and supervisory law and also shows the specific consequences for civil liability claims if the investor is a municipality, starting from the much discussed CMS Ladder Swap decision. The article argues that there are differences, but also many linkages among those areas of law. A short outlook is given on MiFID-II, which comprehends the experiences of municipal investors but leaves many questions open so far.

Cet article a pour objet le traitement légal des contrats de swaps structurés souscrits par de nombreuses municipalités allemandes avant la crise financière. Il en couvre les aspects de droit public et de surveillance et montre aussi les conséquences spécifiques en matière d’actions en responsabilité civile lorsque l’investisseur est une municipalité, en se basant sur la décision très discutée de la Cour fédérale de Justice rendue en matière de « CMS Ladder Swaps ». L’article soutient qu’il existe des différences entre ces domaines du droit, mais que ces derniers connaissent également de nombreux liens entre eux. Un aperçu des perspectives de la MiFID-II est donné, laquelle prend en compte les expériences des investisseurs municipaux tout en laissant de nombreuses questions ouvertes.

I. Introductory Remarks e financial crisis tragedy of 2008 did not solely affect Wall Street, a center stage for finances. In fact, many small and medium German municipalities that were engaged in derivatives lost money. In 2008, in Germany’s largest Bundesland, North-Rhine Westphalia, about 40 % of the municipalities used interest swaps and other derivatives(1) in order to reduce their interest burden. Some suffered substantial losses by those derivatives.(2) Even before the financial crisis, the fact that municipalities were active on financial markets was politically highly controversial. As early as 2006, a major German newspaper headlined “Treasurer in Gambling Euphoria”.(3) e legal treatment of those swaps in German law is threefold : first of all, municipalities have to comply with German municipal law (II). e law relating to national capital markets influenced by European legislation work as a second safeguard for munici1.

2. 3.

ey were also engaged in currency swaps and recently the BVG (Berlin Transport Authority) was sued regarding its taking part in a collateral debt obligation by JP Morgan. L, NVwZ 2012, 12. Der Spiegel, “Kämmerer im Zockerrausch”, 23/2006, 92 ff.

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pal users (III). Both municipal law and national capital market law influence German civil law, which protects investors by giving them the right to sue banks due to a deficient investment advice. e principles of private enforcement – the so called “Bond” jurisdiction – apply to municipalities as well and have recently been refined to handle complex interest swaps in the German Federal Court’s (BGH) decision CMS Ladder Swap(4) (IV). is article analyses the different regimes and focuses on the question whether or not an investment firm may recommend a municipality to acquire complex swaps. e so called CMS Ladder Swap shall be used as an example, as this complex financial instrument was oen used by municipalities and its legal treatment is discussed highly controversial. In general terms, a swap exchanges a fixed rate for a variable rate. e variable rate in a CMS Ladder Swap is calculated by the difference between two interest rates (spread) which is deducted from a predetermined benchmark (strike) and added to the interest rate of the prior period (memory effect). In addition, the swap contains a leverage factor.(5) Finally, this article shall give a outlook in relation to MiFiD-II and MiFiR (V).

4. 5.

BGH, 22 March 2011, XI ZR 33/10, BKR 2011, 231. Cf. L, BKR 2008, 488, 493.

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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

II. Municipal Law e German constitution guarantees municipalities their independance in respect of budgetary matters (Art. 28 (2) Grundgesetz – GG). is independance of decision includes the freedom to engage in any transaction as long as it is necessary for an orderly budget.(6) e municipalities therefore have to respect the safeguards of efficiency and economy defined in their respective municipal codes(7) and which are monitored and enforced by municipal supervisory authorities. e constitution prohibits transactions likely to increase the financial burden of municipalities or bearing a risk disproportionate to the opportunities.(8) If the municipality keeps within the limits of efficiency and economy, Art. 28 (2) GG guarantees a certain leeway. us, there must be a transaction obviously increasing the risk disproportionally to the chances forecasted and the decision making must be considered as unjustifiable before the transaction being forbidden.(9) Moreover, as the municipality acts as financial trustee for its citizens, a financial transaction is only allowed as long as there is a timely and material connection between the derivative and a basic transaction.(10) In other words : the public entity may hedge risks but not speculate. Concerning the engagement of municipalities in financial transactions, such safeguards are summarized as the “municipal speculation prohibition”.(11) Many German federal states (Bundesländer) specifically defined the interpretation of the municipal speculation prohibition regarding derivatives in internal provisions.(12) Such provisions substantiate the municipalities’ discretion in relation to the municipal supervisory authorities, but are not binding laws.(13) Finally, it is essential that the speculation prohibition does not only apply to municipalities but also to public owned companies.(14)

6.

7. 8.

9. 10. 11. 12.

13.

14.

12

M, NVwZ 2007, 1159 ; K, Die Zulässigkeit derivativer Finanzinstrumente in Unternehmen, Banken und Kommunen, 2012, 257. M, NVwZ 2007, 1159, cf. Art. 22 (2) Sent. 1, 61 (2), 74 (2) Bavarian municipal code. L, NVwZ 2012, 12, 14 ; K, Die Zulässigkeit derivativer Finanzinstrumente in Unternehmen, Banken und Kommunen, 2012, 257. L, NVwZ 2012, 12, 14 ; OVG Münster, 26 October 1990,15 A 1099/87, NVwZ-RR 1991, 509. L, NVwZ 2012, 12, 14 ; Z, Finanzderivate, 2013, § 28, Rec., 88 ff. M, NVwZ 2007, 1159 ; L, NVwZ 2012, 12, 14. Derivatives Decrees, for example in Bavaria 1995, BadenWurttemberg 1998, Saarland 1998, Brandenburg 2000, Saxony 2007, Schleswig-Holstein 2012. Municipal Supervisory Authorities are the respective administrative districts (Landkreis) or regional authorities (Regierungspräsidium). M, NVwZ 2007, 1159, 1160 ; Z, Finanzderivate, 2013, § 28, Rec., 123 ff.

e public entity may hedge risks but not

speculate.

e consequences of the breach of a speculation prohibition are unclear. e BGH declared in a very early decision that, when a municipality leaves its official constitutional sphere of activity, a contract thereby becomes null and void.(15) But is this doctrine still valid ? Most academics argue that such an ultra vires doctrine is not rooted in German law.(16) ey claim that the doctrine would have been established in AngloAmerican legal cultures and is applied in such countries consistently.(17) German law does not acknowledge the concept of ultra vires. Furthermore the application of ultra vires would expose both parties to an unbearable risk that would prevent reasonable economic transactions. Ensuring legal certainty is a very strong argument against ultra vires. As a result, it is not surprising that regional courts are divided over its application. Some deemed the doctrine as not applicable as the plaintiff was a state owned company(18), but this constituted a merely formalistic approach. Most regional courts interpreted the constitutional sphere of activity in a very broad sense and ruled that debt and budget management at least was always within the sphere of activity of a municipality.(19) De facto, they rejected the concept of ultra vires.(20) In the end, it is unclear whether or not 15. BGH, 28 February 1956, I ZR 84/54, BGHZ 20, 119, 124 ff. ; confirmed : BGH, 25 January 2006 - VIII ZR 398/03, KommJur 2006, 423 (about property-leasing) ; affirming : M, NVwZ 2007, 1159 ; W and S, NVwZ 2012, 18. 16. L, BKR 2008, 488, 489 ; L, NVwZ 2012, 12, 15 ; J, in S/B/L, Bankrechtshandbuch, 4th ed., 2011, § 114 para. 110d ; diff. : K, Die Zulässigkeit derivativer Finanzinstrumente in Unternehmen, Banken und Kommunen, 2012, 261. 17. For example in a similar case : Hazell v. London Borough of Hammersmith and Fulham [1992] 2 A.C. 1 ; cf. K, Die Zulässigkeit derivativer Finanzinstrumente in Unternehmen, Banken und Kommunen, 2012, 257. 18. LG Würzburg, 31 March 2008, 62 O 661/07, WM 2008, 977 ; OLG Bamberg, 11 May 2009, 4 U 92/08, BKR 2009, 288. 19. OLG Naumburg, 24 March 2005, 2 U 111/04, WM 2005, 1313, LG Wuppertal, 16 July 2008, 3 O 33/08, WM 2008, 1637 ; LG Neuruppin, 5 September 2013, 5 O 88/12, BeckRS 2013, 16652 ; LG Düsseldorf, 6 September 2013, 8 O 20/12 U, BeckRS 2013, 16141. 20. However LG Dortmund, 5 July 2013, 6 O 205/12, NVwZ 2013, 1362 voted for a voidance of a structured interest Swap as it was considered a “pure speculation without any relevance to a basic transaction” at the expense of public budget and therefore contra bones mores (§ 138 (1) BGB).

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the BGH would abide by its early decision.(21) A very similar idea that has rarely been considered is the doctrine of “abuse of representation power”. Under German civil law, a contract can become legally void if a representative exceeds his formal duties with evident knowledge of the other party. e law does not require intent of breach on side of the representative, at least in those cases, the power of representation cannot be limited.(22) German municipal codes grant unlimited authority of representation to the head.(23) Although the doctrine has been established in civil law, it can also be applied if the represented body is a public authority.(24) e critical factor is the meaning of “evident knowledge” of the investment advisers. is is difficult to ascertain in general terms and will be a matter of fact in each separate instance. Nonetheless, some general remarks can be made : the boundaries of the speculation prohibition are not rigid but are merely the result of various considerations. As this is a vague concept, evident knowledge will be rare.(25) Moreover, the municipal leeway would be decreased should evidence be assumed too early. Evident knowledge and therefore the declaration of nullity can only be concluded within those boundaries are practically breached.

III. Capital Market Law e duties of investment firms regarding investment advice are laid down in §§ 31 to 31(e) of the German Securities Trading Act (Wertpapierhandelsgesetz – WpHG). ey originate in MiFiD(26) and have been transposed into national law in 2007.(27) ey can be split into duties of research, information and a suitability test. e rules are enforced by the German Financial Market Authority (BaFin). For example, BaFin can impose fines if the adviser either recommends a product without receiving the necessary information and withholds this information, or recommends an unsuitable 21. e appeals in such cases ended with a settlement. Cf. BGH, File No. XI ZR 292/10 ; Previous Court : OLG Frankfurt, 4 August 2010, 23 U 230/08, WM 2010, 1790 ; BGH, File No. XI ZR 367/10 ; Previous Court ; OLG Stuttgart, 27 October 2010, 9 U 148/08, BeckRS 2010, 26420, cf. http ://www.lto.de/recht/nachrichten/n/zinswet ten-deutsche-bank-schliesst-vergleich-mit-kommunen. 22. BGH, 10 April 2006, II ZR 337/05, NJW 2006, 2776 ; BGH, 2 July 2007, II ZR 111/05, NJW 2008, 69, 75. 23. Schilken, in Staudinger, Vor 164 ff BGB, Rc. 31. 24. OLG Naumburg, 24 March 2005, 2 U 111/04, WM 2006, 969 ; Z, Finanzderivative, 2013, § 28 Rn. 67 ff. ; diff. : M, NVwZ 2007, 1159, 1160 f. 25. Z, Finanzderivative, 2013, § 28 Rn. 76 ff. ; L, BKR 2008, 488, 491. 26. Directive 2004/39/EC of the European Parliament and of the Council of 21 April 2004 on markets in financial instruments, 30 April 2004, L 145, 1 (MiFiD). 27. e rules were introduced in the WpHG by Finanzmarktrichtlinie-Umsetzungsgesetz (FRUG), 16 July 2007, BGBl. I, 1330. 2014/2

product or fails to declare that the client is about to engage in an unsuitable transaction.(28) However, the duties differ between professional and non-professional clients. According to MiFiD, national and regional governments are deemed to be professional clients.(29) is lowers the advisers’ research duties as it can be assumed that professional clients have sufficient knowledge of and experience in such transactions.(30) ere is no mention of municipalities. § 31a (2) No. 3 WpHG follows the exact wording of MiFiD and also considers regional governments as professional clients. § 31a (2) Sent. 1 WpHG even likens them to Qualified Institutional Buyers (QIB) who, generally speaking, enjoy an even lower protection level but who are not affected by the duties regarding investment advice.(31) e legislation memorandum of the German implementing act states that § 31a (2) No. 3 WpHG includes municipalities.(32) Nevertheless, the European Commission ruled out the question whether or not municipalities are professional clients, via a Q&A sheet. It considers municipalities as non-professional clients, as they typically do not have the experience and financial exposure compared to regional governments.(33) e Commission highlights this argument with a comparison with other directives, such as the Prospectus Directive, that differentiates word for word between municipalities and regional governments.(34) Many commentators therefore question the compatibility of § 31a (2) No. 3 WpHG with European Law.(35) But as legislative memoranda are not interpreting binding statutes, § 31a (2) No. 3 WpHG should be interpreted according to MiFiD. erefore municipalities should be treated as nonprofessional clients. is is not the predominant view in academic reviews(36) but it was adopted by BaFin in a non-binding memorandum that was sent to investment firms.(37) us, on the basis of current national 28. § 39 (2) No. 16, 16a, 17 WpHG. 29. Annex II Sec. I No. 3 MiFID. 30. § 31 (9) WpHG ; F/F, LKV 2010, 201, 204. 31. R, in : S/Z, KMRK, 2010, § 31b, Rec. 3. 32. Statutory Notes for FRUG, 12 January 2007, BT-Drs. : 16/4028, 66. 33. Question ID 249 on client classification, available at : http ://ec.europa.eu/yqol/index.cfm. 34. Cf. Art. 2 Sec. 1 lit. b), d) Directive 2003/71/EC of the European Parliament and of the Council of 4 November 2003 on the prospectus to be published when securities are offered to the public or admitted to trading and amending Directive 2001/34/EC (Prospectus Directive). 35. B, WM 2008, 1386, 1389, F/F, LKV 2010, 201, 204 ; F, WpHG, § 31a, Rec. 22. 36. K, in S/Z, KMRK, § 31a, “WpHG”, Rec. 12 f. ; B, WM 2008, 1386, 1389 ; diff. : OLG Bamberg, 11 May 2009, 4 U 92/08, BKR 2009, 288, 294 ; F, WpHG, § 31a Rec. 22 ; K, in : A/S, WpHG, § 31a, Rec. 7. 37. Memorandum not publicly available, cf. “Mitteilungen des Städte- und Gemeindebunds NRW”, 9/2010, 155,

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Swap Transactions of Municipalities under German Public and Private Law


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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

law, BaFin treats municipalities as private customers with the highest possible level of protection regarding their knowledge and experience.

IV. Civil Law e protection of investors in Germany is largely based upon private enforcement and especially upon principles developed by the BGH in the famous “Bond” decision.(38) e BGH jurisdiction and the European prudent regulation are both deeply rooted in favor of investors acting rationally as homo oeconomicus. erefore the BGH cast a refined set of duties onto investment firms in order to enable the client to make an informed decision. ose duties can be divided into the duties of an investor-specific advice and investment-specific advice. If the investment firm breaches one of these contractual duties, the client has the right – on the rebuttable assumption that this breach induced the purchase decision – to claim back the entire invested capital plus interest.(39) In the CMS Ladder Swap decision, the BGH also compelled investment firms to disclose initial negative market values of the swap if the investment company advising on the swap also became a contracting party of the swap, which constitutes a serious conflict of interest.(40) Also, in the same ruling, the BGH refined the duties of the investor and the investment-specific advice concerning complex swaps. ese duties shall be discussed in the context of municipalities being clients as below. It must be noted, however, that municipalities and public owned companies were engaged in structured and unstructured swaps and information duties have to be considered in the context of each particular derivative.

A. The duty of investor-specific advice 1. The risk profile of municipalities e duty of investor-specific advice can be described as the adviser’s responsibility to identify the knowledge, risk profile, investment purpose and experience of potential clients.(41) In the context of public entities, the municipalities’ treasurer shall usually negotiate with the adviser. erefore it is possible that such factors differ between the client and the client’s representative, as the former may have personal knowledge or experience or a different attitude towards risks. It begs the question

38. 39. 40. 41.

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available at : http ://www.kommunen-in-nrw.de/informa tion/mitteilungen/lese-pdfs-monatshee/lese-pdfs2010.html ?no_cache=1&cid=885&did=25610 &sechash=7d24d723. BGH, 6 July 1993 (Bond), XI ZR 12/93, NJW 1993, 2433. V, European Capital Market Law, 2013, § 25 Rec. 12. BGH, 22 March 2011, XI ZR 33/10, BKR 2011, 231 ff., Rec. 31. Cf. for similarities to supervisory law : V, European Capital Market Law, 2013, § 25, Rec. 5.

as to what exactly constitutes the point of reference the adviser should rely on and what are the consequences should there be a difference between the client’s position and the client’s representative’s position.

According to the duty of investor-specific advice, the investment firm is obliged to ask for the risk profile and therefore ask about the speculation prohibition which is part of the municipalities risk

profile.

e risk profile of the public entity is largely connected with the speculation prohibition under German public law.(42) e public entity is only allowed to invest if the risks are not out of proportion with the opportunities and if it is linked to a transaction that should be hedged.(43) Usually, if the adviser has examined those factors, he can rely on the answers of the representative. e represented entity is bound by the representative’s statements.(44) is might be different in the case of municipalities. e client’s risk profile is laid down in statutory provisions of German municipal law and administrative internal provisions, so that at the very least, the general speculation prohibition should be known by investment advisers as well. Most of the time, advisers have experience of the relevant internal provisions and are aware of the interpretation by municipal supervisory authorities.(45) e adviser might therefore be required to inform the client about a potential breach of the speculation prohibition : some courts ruled out this 42. OLG Stuttgart, 27 October 2010, 9 U 148/08, BeckRS 2010, 26420. 43. See above II.) Community law. 44. OLG Frankfurt a.M., 4 October 1994, 8 U 102/94, WM 1994, 2106 ; LG Dortmund, 5 July 2013, 6 O 205/12, NVwZ 2013, 1362. 45. Cf. OLG Stuttgart, 27 October 2010, 9 U 148/08, BeckRS 2010, 26420 (in which the investment adviser declared himself as an “expert in municipal budget management”) ; OLG Bamberg, 11 May 2009, 4 U 92/08, BKR 2009, 288.

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question, arguing that investment advisers do not have the function of a municipal supervisory authority and do not have to give any legal advice.(46) e argument can be summed up as follows : “Everybody must know the law”, and therefore there is no duty to inform.(47) But this argument can also be reversed. e adviser’s contractual duties are restricted to find an investment product fitting with the risk profile of its client. According to the duty of investor-specific advice, the investment firm is obliged to ask for the risk profile and therefore ask about the speculation prohibition which is part of the municipalities risk profile. e risk profile is also shaped by information gathered by the adviser from other sources. erefore, the question as to whether or not there is a duty of information seems to be asked the wrong way round. It is not an additional duty but a primary duty of the investment adviser to recommend products that are within the speculation prohibition. If he does otherwise, he breaches his duty of investor-specific advice.(48) Nonetheless, even if the product is within the speculation prohibition, the municipality might be more riskaverse and therefore not suitable for complex swaps. erefore the speculation prohibition marks the limits but does not predetermine the content of the municipalities risk profile.

2. Identifying the experience and knowledge of municipalities In a complex swap transaction, the investment adviser has to find out whether the swap fits the client’s risk profile by ascertaining his knowledge and experience.(49) is contractual duty is similar to the duty of German capital markets law supervised by BaFin.(50) e factors depend mainly on the financial track record of the client or the client’s representative as long as the representative has gathered this experience while working for the specific client.(51) Regarding public owned companies and municipalities, this leads to the fact that the adviser can rely on that experience when recommending other swaps only if the representative has entered into complex swap transactions for the specific municipal client in the past.(52) In this context, it must be noted that “swaps” can have very different economic functions and 46. OLG Bamberg, 11 May 2009, 4 U 92/08, BKR 2009, 288. 47. L, BKR 2008, 488, 491. 48. OLG Naumburg, 24 March 2005, 2 U 111/04, WM 2006, 969 ; LG Würzburg, 31 March 2008, 62 O 661/07, WM 2008, 977 ; OLG Stuttgart, 27 October 2010, 9 U 148/08, BeckRS 2010, 26420 ; cf. also BGH, 21 March 2006, XI ZR 116/05, that may be interpreted as in both ways. 49. BGH, 22 March 2011, XI ZR 33/10, BKR 2011, 231 ff., Rec. 22. 50. Cf. § 31 Sec. 4 WpHG. 51. BGH, 22 March 2011, XI ZR 33/10, BKR 2011, 231 ff., Rec. 25. 52. BGH, 22 March 2011, XI ZR 33/10, BKR 2011, 231 ff., Rec. 26. ; L, NVwZ 2012, 12, 15 ff. ; cf. L, BKR 2008, 488, 493. 2014/2

complexity. erefore, the taking part in unstructured swaps does not imply that there is sufficient knowledge and experience and more specifically, it does not imply the client’s wish to move into a more speculative position and engage in a structured swap.(53) Nevertheless, earlier decisions of lower courts show how investment advisers can rely on the experience gained in the engagement into another structured swap. In the case of LG Wuppertal(54) the client and its representative had huge experience in the field of swaps and had taken part in many cross-currencyswaps (CCS) for a “professional debt reduction management”. e question was whether or not the experience and knowledge in the field of CCS was valuable regarding a CMS Ladder Swap that was concluded aerwards. e BGH would probably consider in such a case whether or not the swap was structured and whether it was used for hedging or speculating purposes(55) – a convincing approach. And although a CCS hedges different risk to the CMS Ladder Swap, both are structured and both (at least theoretically) are able to hedge a risk. erefore, this level of professionalism shows that the municipality had – within the obvious limits of speculation prohibition – a higher risk attitude. LG Wuppertal came to the same conclusion and deemed that experience in CCS was sufficient for taking part in a CMS Ladder Swap.

3. Identifying the investment purpose of municipalities e speculation prohibition requires under German public law a timely and material link between the derivative and the basic transaction.(56) In comparison, it is not necessary that a swap totally mirrors one transaction ; it can also hedge a portfolio of loans.(57) Interest swaps are especially useful to mitigate the risk of increasing interest burdens regarding variable interest loans.(58) Whether a swap hedges a basic transaction must be ascertained depending on the derivative’s structure. e simplest interest swap exchanges a fixed amount of money and a variable amount following an interest index (most oen 6 month EURIBOR).(59) is swap is without doubt able to fulfil the speculation prohibition if the hedged loan is linked to the same index whilst interest rate risks are lowered.(60) e municipality may also enter into a swap occupying the variable interest position if its loans have a fixed interest rate. 53. BGH, 22 March 2011, XI ZR 33/10, BKR 2011, 231 ff., Rec. 26. 54. LG Wuppertal, 16 July 2008, 3 O 33/08. 55. BGH, 22 March 2011, XI ZR 33/10, BKR 2011, 231 ff., Rec. 26. 56. W/S, NVwZ 2012, 18, 20 f. ; Z, Finanzderivative, 2013, § 28 Rn. 89. 57. W/S, NVwZ 2012, 18, 21. ; Z, Finanzderivative, 2013, § 28 Rn. 34 ff. 58. F/F, LKV 2010, 201. 59. F/F, LKV 2010, 201. 60. W/S, NVwZ 2012, 18, 21.

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Swap Transactions of Municipalities under German Public and Private Law


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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

Although the municipality takes on the risk of changing interest rates, it also hedges interest rate risks as, if market interest is lower than the fixed interest rate, this can be considered as a loss.(61)

As this risk profile is similar for all municipalities, there are good reasons to infer that this type of swap should generally be unavailable for municipalities.

However, there is never a link if the municipality concludes a currency swap or combined currency and interest swap if at the same time there is no currency risk to be hedged.(62) e estimation becomes more difficult if swaps are structured and more elements are added, complicating a swap and specifying the hedged risk. e CMS Ladder Swap for example hedges the risk of a large difference between long term and short term interest rates as opposed to a change of interest rates per se.(63) In other words, it hedges the risk that, should a municipality need to refinance a long term loan by short term loans, the short term interest exceeds the long term interest (inverse trend in interest rates). Nevertheless, pursuant to the above mentioned memory effect, the change of interest rates affects the swap in a delayed reaction. is delay loosens the link between swap and the basic transaction and may even breach the speculation prohibition if the delay is too long.(64) is also begs the question as to whether or not the refinancing of long term loans by short term loans is an “efficient and economical” behavior, although this is not relevant for contractual duties between investment advisers and municipalities. At least one Bundesland therefore reacted and strongly recommends its municipalities not to engage in structured swaps.(65) 61. L, BKR 2008, 488, 493 ; OLG Stuttgart, 27 October 2010, 9 U 148/08, BeckRS 2010, 26420. 62. OLG Naumburg, 24 March 2005, 2 I 111/04, WM 2005, 1313, affirmed by BGH, 21 March 2006, XI ZR 116/05 ; W/S, NVwZ 2012, 18, 21 ; L, BKR 2008, 488, 493. 63. L, BKR 2008, 488, 493 ; OLG Stuttgart, 27 October 2010, 9 U 148/08, BeckRS 2010, 26420. 64. L, BKR 2008, 488, 493. 16

B. The duty of investment-specific advice e duty of investment-specific advice, developed by the BGH in the “Bond” decision can be described as the duty to disclose to the client all the characteristics and risks of the financial instrument. is duty is only fulfilled if the client’s understanding of the complexity and risks of the product is “basically the same” as the investment firm.(66) e BGH ruled that it was not sufficient to describe a risk of unlimited loss as “theoretical”, but rather show that the risk was dependent on the evolution of the spread.(67) It is still unclear, how the condition of a same level understanding can be achieved and whether or not such a burden of proof is in fact achievable. However, these remain evidentiary questions. e complexity of structured swaps raises the question as to whether or not they should generally be unavailable for municipalities. Even if carefully explained, it may be questionable whether or not a treasurer can fully understand the risks associated with the products. And even if he is capable of such understanding, there is the risk that his successors may not. is latest remark however, is irrelevant regarding contractual duties. e “Bond”-principles do not operate with prohibition of product categories for certain groups of clients or individual clients.(68) Nevertheless OLG Stuttgart argued that recommending a CMS Ladder Swap was not compatible with the client’s risk profile, which is shaped by the speculation prohibition. As this risk profile is similar for all municipalities, there are good reasons to infer that this type of swap should generally be unavailable for municipalities.(69) erefore, the enhanced disclosure and information duties established by the BGH in the CMS Ladder Swap decision can be seen as a de facto prohibition for certain swap transactions by municipalities.(70)

V. Conclusion and Outlook to MiFiR and MiFiD-II It must be concluded that, although the treatment of swaps with participation of municipalities under German law is threefold, there are links between those areas of law that shouldn’t been overlooked. e munici65. Department of Interior of Schleswig-Holstein, Derivative Finanzgeschäe, 3 December 2012. 66. BGH, 22 March.2011, XI ZR 33/10, BKR 2011, 231 ff., Rec. 29 ; W/F, KommJur 2012, 1, 3. 67. BGH, 22 March 2011, XI ZR 33/10, BKR 2011, 231 ff., Rec. 29 ; W/F, KommJur 2012, 1, 3. 68. Cf. OLG Koblenz, 14 January 2010, 6 U 170/09, BKR 2010, 197 (“Regarding the knowledge of a professional client (§ 31a Sec. 2 WpHG) the actual knowledge is relevant”). 69. OLG Stuttgart, 27 October 2010, 9 U 148/08, BeckRS 2010, 26420. 70. S, NJW 2011, 1920, 1922.

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pal speculation prohibition determines the duties of investors and investment-specific advice. It may even decide on the validity of the contract. And although supervisory law does not directly affect contractual duties under German law, the duties are very similar. Regarding these special interdependencies in the case of municipal investors, the German civil case law relating to investor protection is still in its infancy. It should also not be forgotten that municipalities invest “people’s money” and this may have an influence on the courts’ decisions.(71) On the other hand, the reprocessing of those activities is far from complete. Spurred by the CMS Ladder Swap decision, municipal supervisory authorities(72) and statutes relating to limitation,(73) many municipalities started to bring actions against investment advisers. At a European level, the upcoming MiFiR(74) and MiFiD-II(75) acknowledge the fact that municipalities 71. Here again, the singular decision of LG Dortmund may be mentioned, cf. Fn. 20. 72. Saxony recommends considering claims, 29 October 2011, Becklink 1015788. 73. Rights expire by limitation in three years, starting at the conclusion of the swap (§ 37a WpHG, effective until 4th August 2009) or the claimant received knowledge of the breach of contract (§§ 195, 199 BGB). 74. Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on markets in financial instruments, 20.10.2011, COM(2011) 652 final (MiFiR-COM). 75. Proposal for a Directive of the European Parliament and of the council on markets in financial instruments re-

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should not be considered as professional clients or even QIBs, as the “financial crisis has shown limits in the ability of non-retail clients to appreciate the risk of their investments.”(76) MiFiD-II will clearly define them as non-professional clients with the option of becoming professional clients if their financial track record, the size of their portfolio or the knowledge of their representatives are sufficient.(77) However MiFiD-II allows different criteria to be adopted by Member States for the identification of municipalities as professional clients.(78) It will be very interesting to see whether the Member States will make use of this chance of goldplating. is practice of exceeding the terms of the directive has become quite rare as most directives nowadays require full harmonization. Finally, it is unclear whether or not the national supervisory authorities will ban certain products for municipalities, using the policy regarding product intervention pursuant to Art. 32 MiFiR. Such an intervention would definitely change the protection of investors in Germany from a private to a more public enforcement approach.

pealing Directive 2004/39/EC of the European Parliament and of the Council, 20.10.2011, COM(2011) 656 final (MiFiD-II-COM). 76. Rec. 67 MiFiD-II-COM. 77. Annex II.1 Sec. 1-5 MiFiD-II-COM. 78. Annex II.1 Sec. 6 MiFiD-II-COM.

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Swap Transactions of Municipalities under German Public and Private Law


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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

THE GREEK PSI AND THE LITIGATION SURROUNDING IT Dr. Dimitris T

&

Managing partner of Tsibanoulis & Partners Law Firm and Legal Advisor of the Bank of Greece, adjunct lecturer at ALBA

Iakovos A Associate with Tsibanoulis & Partners, part-time lecturer in business law at e American College of Greece – Deree

The Greek sovereign debt crisis that erupted soon after the commencement of the global financial meltdown has been haunting the European Economic and Monetary Union, even threatening its very existence, until very recently. A default on the debt issued (or guaranteed) by the Greek government had been considered, in most experts’ assessments, that it would give rise to a sequence of adverse events extending from severe disruptions in the operation of the Eurozone to the continuation of the life of the common currency itself. To prevent any negative developments to that effect the Eurozone leaders laid down an, unprecedented in scale, debt restructuring deal for Greece, the private sector involvement, designed to involve two consecutive steps : first, an invitation to holders of eligible Greek debt to offer their securities in exchange for new ones, of different nominal value and maturity and, second, the retroactive introduction into the terms of the Greek bonds governed by Greek law of collective action clauses so as to enforce the participation of private sector holders into the pre-mentioned swap. This article discusses the modalities of the so called PSI deal and, at a second level, elaborates on recent litigation arising out of legislation and regulations implementing both bailout and bail-in initiatives with regard to the Greek public debt. In relevant court decisions the recognition of the prerogative of the State to define the existence of emergency and accordingly to pass, respectful of the principle of proportionality, any measure necessary to safeguard its limited financial resources, arises as a common feature justifying the constitutionality and eventually legality of such measures.

La crise de la dette souveraine grecque qui s’est déclarée peu de temps après le début de la crise financière mondiale a hanté l’Union économique et monétaire européenne, menaçant même son existence, et ce jusqu’à très récemment. La plupart des experts étaient d’avis qu’un défaut sur la dette émise (ou garantie) par le gouvernement grec donnerait lieu à une série d’événements indésirables allant de graves perturbations dans le fonctionnement de la zone euro jusqu’à une possible remise en cause de la monnaie unique elle-même. Pour éviter ces risques, les dirigeants de la zone euro ont organisé la restructuration de la dette grecque par un accord sans précédent à cette échelle, avec la participation du secteur privé et visant à mettre en place deux étapes consécutives : d’abord, une invitation pour les détenteurs de dette grecque éligible d’offrir leurs titres afin de recevoir en échange de nouveaux titres d’une valeur nominale et d’une maturité différentes ; ensuite, l’introduction rétroactive dans les termes des obligations grecques régies par le droit grec de clauses d’action collective destinées à assurer le respect des détenteurs du secteur privé au « swap » mentionné ci-dessus. Cet article reprend les modalités de l’accord dit « PSI » (Private Sector Involvment) et, dans un second temps, apporte des précisions sur les litiges récents résultant de la législation et des règlements mettant en application les initiatives de « bail-out » et de « bail-in » relatives à la dette publique grecque. Les décisions de justice rendues sur ce point reconnaissent à l’État la possibilité d’établir l’urgence et de prendre en conséquence toute mesure nécessaire, dans le respect du principe de proportionnalité, afin de protéger ses ressources financières limitées. Ce trait commun justifie la constitutionnalité et, finalement, la légalité de ces mesures.

I. Historical background e Eurozone national debt crisis, which immediately followed the global financial meltdown, started in Greece. Between 2009 and 2012 the country faced the most severe economic crisis of its recent history. With a large budget deficit and markets for new financing effectively closed, the Greek state was faced with a disorderly failure : the inability to repay its national debt, due and payable by June 2010. To prevent defaulting – and creating a related systemic risk in the Eurozone – Greece resorted to a combined European and international financial support mechanism, established ad hoc (2-9 May, 2010), following lengthy consultations with both European and international authorities. e Eurozone countries and the 18

IMF, in consultation with national authorities, put together an urgent bail-out and adjustment program and made available €110 billion of funds to help the country meet its obligations, fix the flaws in its economic policy and re-enter the markets as quickly as possible. e strategic orientation of the program focused mainly on the imposition of harsh austerity measures, designed to curb excessive demand and bring about internal depreciation as well as parallel structural reforms to enhance competitiveness and boost productivity. External and internal factors derailed this first economic adjustment program. e policy mixture proved to be inadequate : implementation was asymmetric (harsh austerity measures were fully enforced, while structural reforms lagged significantly behind) and generic faults in the policy design underestimated the fiscal results of a prolonged recession. In other words the program

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backfired.(1) Efforts to consolidate public finances and reduce the deficit led to a harsh recession and, as a result, fiscal revenue fell even further while public debt as a percentage of GDP increased. During two consecutive Summits (11 and 25 March 2011) and further to the ad hoc decision taken during the Summits of 21 July and 26 October 2011 regarding Greece, the Eurozone invited private investors to contribute to a solution in order to resolve the debt viability of Greece through the so called “Private Sector Involvement” or “PSI” program. At the same time, the financially robust States of the Eurozone were called to contribute further to the financing of the Greek economy. is principle of tripartite financing for the restructuring of Greek debt was adopted during the Summit of 26 October 2011. e Greek national debt restructuring included (a) the bail-in leg, carried out through the Greek Government Bonds’ (GGBs) haircut (PSI), that started in February and was completed in March 2012, and (b) the refinancing of Greece through the official route of the EU and the IMF. To this end, a company, the EFSF (later replaced by the ESM), owned by the Eurozone members, was established in Luxembourg.

e GGBs haircut was carried out via a voluntary GGBs exchange, by adoption and activation of Collective Action Clauses (CACs). e exchange was made by an exchange offer for GGBs and bonds guaranteed by the Hellenic Republic.

1.

Structural reforms in labour and product markets, privatisation, and measures to combat tax evasion were either not implemented or implemented with delay and, at the same time, fiscal policy over-relied on tax increases instead of expenditure cuts, while the fiscal multiplier was underestimated.

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e exchange of bonds was determined by Law No. 4050/2012 (the “Greek Bondholder Act”) dated 23 February 2012. is included (a) an invitation by the Hellenic Republic to bondholders for the exchange (swap) of their bonds against new securities, (b) the conditions under which the modification of the terms of the eligible bonds could be adopted by bondholders, including the introduction of CACs, and (c) the terms under which the bonds’ exchange against new securities could be determined and effected. Bonds governed by Greek Law totaled approximately 177 billion Euros and bonds governed by foreign law some 28 billion Euros. e Hellenic Republic’s Invitation Memorandum, promulgated under Law No. 4050/2012, invited bondholders of the designated bonds to tender any and all of them in exchange for new, GDP-linked Bonds, GGBs and PSI Payment Notes, in accordance with the terms and subject to the conditions set out in the Memorandum. Simultaneously, other invitations were launched covering altogether GGBs and titles guaranteed by the Hellenic Republic, but governed by foreign law. For GGBs governed by Greek Law (the “Eligible Titles”), and subject to the modification / swap process, bondholders were called to decide collectively, within the deadline specified by the Invitation Memorandum, on the proposed modification of the Eligible Titles, i.e. on the modification or the addition of terms in respect of one or more eligible titles or the exchange of one or more eligible titles with one or more new titles. Recipients of the Invitation were the bondholders acting through the participants registered with the System for Monitoring Transactions in Securities in book-entry form operated by the Bank of Greece (account providers). e Greek Bondholder Act also provided an optional Collective Action Clause (CAC), to be activated with the bondholders’ consent, in order to restrain the free rider / holdout problem in the restructuring effort. CACs could be activated by a quorum of at least ½ of the aggregate outstanding principal of all Eligible Titles specified in the Invitation (the “Participating Principal”) and a supermajority of at least (2/3) of the Participating Principal. e Act did not impose new terms on the bondholders and an exchange of bonds was not compulsory. Modification was voluntary : the decision for modification and/or exchange rested solely with the bondholders. But the Act provided for the bond loans’ terms to be amended by a qualified majority and a specific quorum : the previous requirement of bondholder unanimity was abandoned. Bondholders of approximately €172 billion principal issued or guaranteed by the Hellenic Republic tendered their bonds for exchange or consented to the proposed amendments in response to the invitations and consent solicitations announced on 24 February 2012. Of the approximately €177 billion of bonds governed by Greek law and subject to the invitation, the Hellenic Republic received tenders for exchange and consents from holders of approximately €152 billion face value 85.8 % of the outstanding face value. Bondholders of 5.3 % of the

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e Greek PSI and the Litigation Surrounding it


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outstanding face value participated in the consent solicitation and opposed the proposed amendments. e Hellenic Republic notified its official sector creditors that, upon confirmation and certification by the Bank of Greece as the process manager, it intended to accept the consents received and to amend the terms of its Greeklaw governed bonds in their entirety, including those not tendered for exchange pursuant to the invitations, in accordance with the terms of the Greek Bondholder Act (Article 1 par. 9 of Law 4050/2012). In view of the above, the Hellenic Republic announced that it had completed the exchange of approximately €177 billion outstanding principal amount of bonds governed by Greek law pursuant to its invitation of 24 February 2012. All bondholders became bound by the proposed amendments pursuant to the Greek Bondholder Act pursuant to the respective Council of Minister’s Act on Friday 9 March 2012, for the acceptance of the consents received by the Hellenic Republic by 9.00 pm CET on 8 March 2012. By paying the consideration set out in the invitations, the Hellenic Republic discharged in full its obligations to the holders of the amended bonds governed by Greek law. We refer below to three significant cases relating to the above measures being challenged before the (Greek) Supreme Administrative Court (“Council of State”), one of which (the second in the series) was also brought before the European Court of Human Rights (ECHR).

II. The decision of the Council of State relating to the Memorandum (Plenary Session, Decision No. 668/2012) e Council of State ruled on constitutional issues regarding Law 3845/2010, by virtue of which the Greek Parliament enacted the “Memorandum of Understanding” as well as the three partial Memoranda,(2) concluded between the Hellenic Republic, on the one hand, and the Member States of the Eurozone, the ECB and the International Monetary Fund (the so called “troika”) on the other hand. e Council of State rejected the application for the annulment of legislative provisions providing for cuts for public sector employees’ wages and benefits, in addition to pension cuts. e decision of the Council of State regarding the Memorandum comprised two parts. e first is related to the issue of its ratification by the Greek Parliament and the second to the constitutionality of 2.

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I.e. a) the “Memorandum of Economic and Financial Policies”, b) the “Memorandum of Understanding on Specific Economic Policy Conditionality” and c) the “Technical Memorandum of Understanding”.

the substantive measures envisaged. First of all, the Council of State held that the Memorandum did not constitute an international agreement, which had been concluded between the Hellenic Republic, on the one hand, and the “troika” on the other hand, and did not fall within the scope of Article 28 (2) of the Constitution, since under the terms of the above law there is no transfer of powers for which, under the Constitution, the Greek State (the government, the legislature and the executive) is the only competent authority for granting powers to institutions of international organizations. As a result, the law should not have been voted by a three-fihs majority of the Parliament : a simple majority would have been sufficient. In the second key part of its decision, the Court assessed the constitutionality of the measures enacted by Laws Nos 3833/2010 and 3845/2010, and considered that the adopted cuts of public sector employees’ wages and benefits in addition to pension cuts, formed part of a wider program of fiscal adjustment and structural reform of the Greek economy. is entire program, in the Court’s view, was intended to address the country’s economic emergency as well as its future fiscal and financial position. e Court held that the imposition of such measures was justified on the grounds that the aim was not merely to remedy the immediate acute budgetary problem, but also to strengthen the country’s financial stability in the long run. e Council of State referred also to case law regarding reductions in salaries and pensions in several States against the same backdrop of economic crisis. In addition, it observed that the applicants had not thoroughly claimed that their situation had deteriorated to such an extent that their very subsistence was at risk. e Court in essence held that the measures were of preeminent public interest ; in particular, it held that they served, in principle, both substantial national public interest and the common interests of the Members of the Eurozone at the same time (given the obligations under EU law to maintain fiscal discipline and to safeguard the eurozone’s stability as a whole). Such measures, by their very nature, had an effect on the levels of public expenditure of the Member States. Given the prevailing circumstances when these measures were adopted, such measures could not be considered as inappropriate or unnecessary, taking into consideration that they would only be subject to marginal judicial review. e Council of State held that the provisions under review were not contrary to Article 1 of the First Additional Protocol nor to the principle of proportionality enshrined in Article 25 (1)(d) of the Constitution. More specifically, the Council of State held that the permanent nature of the cuts in wages and pensions was justified, since the aim of the legislature was not only to cope with the immediate severe financial crisis, but also to establish a sustainable basis for the entire financial apparatus of the State. It was further held that the property right protected by Article 17 of the Constitution was not breached, nor was the protected principle of

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trust, since the right to a given level of wages and pensions was not regulated by any constitutional provision or any other provision, and the potential for differentiation in the level of wages and pensions depending on circumstances was not ruled out. As regards the alleged breach of the principle of equality in respect of the public burdens, the Court held that, in the prevailing circumstances at the time of publication of Law 3845/2010, the imposition of measures cutting the pensions and wages of active employees did not breach the principle of equality enshrined in Article 4(5) of the Constitution, in the context of introducing a resolution for outstanding tax affairs pursuant to Law 3888/2010. e Council of State was further invited to rule on decisions of European Union bodies relating to the ”bailout package” of Greece, as well as on the creation of a European stability mechanism to preserve financial stability in Europe. In its decision, the Council of State cites substantial sections of the text constituting the so-called Greek ”bailout package” but makes no reference to the European Financial Stability Facility and expresses no concern as to whether or not a de facto amendment of the Treaty has occurred as a consequence of the Greek measures and the related establishment of the Fund.(3)

III. The Decision of the European Court of Human Rights in the case of Koufaki and Adedy v. Greece (57665/12 and 57657/12) / Decision 7.5.2013 [Section I] e European Court of Human Rights addressed the issue of a possible breach of Article 1 (1) of Additional Protocol No. 1 of the European Convention on Human Rights relating to the peaceful enjoyment of possessions as a result of the reduction in remuneration, benefits, bonuses and pensions for civil servants. Two applicants challenged the above (under I above) austerity measures enacted by Laws 3845/2010 and 3888/2010 in order to reduce public spending and react in relation to the country’s economic and financial crisis before the ECHR,(4) including reductions in remuneration, benefits, bonuses and pensions of civil servants. e first ap3.

4.

. A, “e decision of the Plenary Council of State for the Memorandum of Understanding – A European affair without European approach,” To Syntagma, Issue 1 of 2012. Previously judged before the Greek Council of State by the above mentioned Decision No. 668/2012, which rejected several arguments based on the alleged breach of the principle of proportionality by the disputed measures, considering that the salary and pension reductions were not purely provisional measures.

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plicant, Loanna Koufaki, applied to Court in order to have her pay-slip reduction from EUR 2,435.83 to EUR 1,885.79 annulled ; the second applicant – the Civil Service Trade Union Confederation – sought judicial review due to the detrimental effect of the measures on the financial situation of its members.

e European Court of Human Rights addressed the issue of a possible breach of Article  () of Additional Protocol No. .

e European Court of Human Rights considered that the reduction of the first applicant’s salary was not such that it would cause difficulties of subsistence as envisaged under the provisions of Article 1 of Additional Protocol No. 1. Within the framework of particular economic hardship in which the above occurred, the interference at issue could not be considered to have placed an excessive burden on the applicant. As regards the second applicant, the removal of the thirteenth and fourteenth months’ pensions had been offset by a oneoff bonus. Substitute grounds alone did not render the disputed legislation unjustified. So long as the legislature did not overstep the limits of its margin of appreciation, it was not for the Court to say whether they had chosen the best means of addressing the problem or whether they could have used their powers differently. erefore, the European Court of Human Rights rejected the petition as inadmissible (manifestly illfounded).

IV. Legal proceedings regarding the Greek PSI program before the Greek Council of State On 22 March 2013, the Council of State discussed in plenary session 28 petitions of minority bondholders requesting the annulment of the decision of the Council of Ministers for the enactment of the Private Sector Involvement (PSI) program, i.e. the Council of Ministers’ decision for the approval of the Greek Government Bonds’ (GGBs) swap, implementing also the applica-

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e Greek PSI and the Litigation Surrounding it


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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

tion of CACs and the Bank of Greece Act confirming the results of the GGBs’ holders voting process. e 28 petitioners were individuals (Greek and foreign bondholders), public legal entities and Social Security Funds, private companies, suppliers of the Greek State (notably pharmaceutical companies) as well as former employees of Olympic Airways, who received GGBs as a “compensation” within the meaning of labor law, aer the termination of their employment contracts during the privatization of the national airline. As mentioned above, the exchange of bonds governed by Greek Law was affected by Law No. 4050/2012 (the “Greek Bondholder Act”), enacted on 23 February 2012. is Law stipulated (a) an Invitation from the Hellenic Republic to the bondholders in respect of the exchange (swap) of their bonds for new securities, (b) the conditions under which the modification of the terms of the eligible bonds could be adopted by the bondholders, including the introduction of CACs, and (c) the terms under which the bonds’ exchange for new securities could be decided and implemented. Upon the Hellenic Republic’s invitation, bondholders of the designated bonds were invited to tender any and all of them in exchange for new, GDP-linked Bonds, GGBs and PSI Payment Notes in accordance with the terms and subject to the conditions set out in the Invitation Memorandum. Simultaneously, other invitations were launched covering, together, GGBs and securities guaranteed by the Hellenic Republic but governed by foreign law. Concerning GGBs governed by Greek Law (the “Eligible Titles”), being subject to the modification / swap process, the Bondholders were called to decide collectively, within the deadline specified by the Invitation, on the proposed modification of the Eligible Titles, i.e. on the change or the addition of terms to one or more eligible titles or the exchange of one or more eligible titles with one or more new titles. Recipients of the Invitation were the bondholders acting through the participants registered with the System for Monitoring Transactions in Securities in book-entry form operated by the Bank of Greece (account providers). e main legal reason put forth for the annulment was the breach, by virtue of the Greek Bondholders Act introducing the Collective Action Clauses (CACs), of : (1) individual rights under the Greek Constitution and, explicitly, infringement of the right to property, the principle of equality, the justified reliance on a fair public sector, the proportionality principle and the freedom of contract ; (2) individual rights arising from the European Convention of Human Rights (ECHR) and the EU Charter of Fundamental Rights (EUCFR) ; (3) ill-use of discretionary power (in conjunction with the breach of the principle of equality). e Court decision for some of the petitions has only recently been published and is presented in the paragraphs hereunder. With respect to the jurisdictional grounds of appeal presented to the Court, the first issue raised was the disputed competence of the Council of State. e basic arguments were the private – as opposed to the ad22

ministrative – legal nature of the acts being challenged, namely the fact that the Hellenic Republic as GGB issuer was no different from any other corporate issuer in distress, and was not in the exercise of its public power, and the role of the Bank of Greece, which acted in the whole PSI process as a treasurer (fiscus)(5) (as any other private sector CSD) and not as an authority (imperium) exercising public power (BoG received orders of participation to the PSI program, ownership percentages calculated and confirmed, initial bonds erased from the accounts of its System and New Bonds registered). As to the petitioners’ argument regarding the breach of freedom of contract and the breach of economic freedom, the question is in this instance whether or not the CACs’ activation should be regarded as a measure of state intervention or as a recovery measure in the context of the restructuring procedures. e bondholders’ arguments were the illegal intervention by the legislator by the retroactive insertion of CACs in pre-existing contracts (bonds) without the consent of the bondholders and the CACs changing the terms of pre-existing contracts retrospectively. e counter arguments were the non-retroactive imposition of CACs and their voluntary nature. e exchange of old bonds for new bonds was not compulsory since the holders of Eligible Titles were invited to tender any and all Eligible Titles in exchange of New Titles. e bondholders voted for the modification of the bonds’ terms through the insertion of CACs ; they decided to accept the majority rule and exchange the old bonds for new bonds in accordance with the majority principle. CACs were necessary and, from this point of view, in conformity with the proportionality principle (sensu stricto), in the context of coping with the free rider/holdout and challenges of moral issues. e CACs therefore updated old-fashioned loan schemes and framed possible speculative actions. In that sense, it has been argued that, without CACs, the bondholders would have had to pay a higher price. As to the petitioners’ argument regarding the infringement of the right to property in breach of a) the principles of the Constitution, demanding full compensation in a Court ruling, and of b) the Human Rights Convention, the submissions were as follows : a) No deprivation of property as a result of a public act occurred, other than a change of GGB’s terms contractuallly upon the Bondholders’ qualified majority decision to change the structure of the contractual relationship of the bondholders with the issuer as well as the bonds’ terms. b) e fact that the haircut was not harmful for the bondholders’ interests, given the slightly slim 5.

D. T, Constitutional Law, Fundamental Rights, Athens-komotini 1988, 178 : “e term ‘fiscus’, which in latin means public purse, reflects the managerial activity of the state and constitutes the first legal concept on which have been founded the procedural and substantial requirements for the civil liability of the monarch within the field of transactional activities.”

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chances of the issuer fulfilling its obligations without such restructuring and, also, the fact that, in case of a restructuring failure, the bondholders would probably lose most (if not all) of the value of their bonds, especially in the likely event of a Greek “bankruptcy” or exit from the Eurozone. c) New Bonds delivered to the bondholders constituted adequate, prompt and effective compensation because the property of the bondholders had not been reduced or unfairly reduced: new bonds had, in essence, at least the same market value as the old ones on the day when the exchange took place, as well as a better rating. d) e valuation method and procedure was reasonable, since the respective decision was taken by the supermajority of bondholders and, thus, had to be considered fair, taking into account the circumstances. e) Bondholders’ interests were protected, considering the consequences of a possible disorderly insolvency on the value of the old bonds.

of the European Union, in the form of monetary policy conduct within the Eurozone. By contrast, the investments of other bondholders were profit driven. ere was, thus, an essential difference between the rationale behind the Eurosystem’s GGBs purchases in the secondary market and those of the other bondholders, which justified different treatment.

a) e exclusion of Treasury bonds of a duration of six and three months was essential, since these titles constitute money market instruments and are intended to cover short-term cash needs for the issuer. ey differ in qualitative terms, as to their maturity, from the other titles with a maturity of over one year, which are identified as capital market instruments. is differentiation is reflected in secondary EU law, in relation to the risk level of titles depending on their duration. Furthermore, the exclusion of treasury bills from the exchange program was necessary for practical reasons : their inclusion in the exchange program would have meant that nobody would acquire treasury bills of three or six months length in the last six months prior to the restructuring of the public debt, announced as an option in July 2012. As a result, the public would have been unable to cover short-term needs. It is, moreover, an international practice for short-term money market instruments, such as treasury bills, to be excluded from restructuring programs. b) It was also argued that the separate treatment of GGBs held by Eurosystem NCBs was justified by the very purpose of GGBs’ acquisition by the Eurosystem : serving the public interest and fulfilling the objectives 2014/2

State in its decision /, published on March  and addressing some of the petitions for

erefore, the counter arguments were that PSI and CACs procedure were fully balanced and justified taking into account the pre-eminent public interest involved, prevailing over individual rights to property. A further petitioner’s argument was the breach of the principle of equality, since the Greek Government excluded from the PSI the Treasury Bills and, indirectly, provided different treatment for GGBs held by the Eurosystem ; the invitation to bondholders as regards the exchange of bonds did not include bonds held by the ECB and the National Central Banks, since those bonds were previously substituted by other bond series. e Greek State and the Bank of Greece argued as follows on these points :

e Greek Council of

the annulment of the PSI, upheld the legality of the program.

e Greek Council of State in its decision 1116/2014, published on March 31 and addressing some of the petitions for the annulment of the PSI, upheld the legality of the program. e decision of almost one hundred pages long, reaches a number of conclusions in support of the program, which, among its other peripheral judgments, are as follows : a) An investment in national debt by means of acquisition of government issued bond titles shall not be seen as different from any other investment in third parties’ risk since, above all, it constitutes a legal relationship based on the provision of credit. In this respect, upon truly unforeseen and extraordinary events that completely destroy a government’s capacity to repay its debts, a right to re-negotiate such government’s debt, based on the “rebus sic standibus” principle (or “things standing thus”) which sets boundaries to the general principle of law “pacta sunt servanda” (or “agreements must be kept”) shall not be excluded. is thought is further supported by the ECB opinion of 17 February 2012 regarding the terms of securities issued or guaranteed by the Greek State,(6) which confirms that even financially robust states rejected as early as 2002 for the state to be a debtor of the whole and complete creditworthiness of the state. us, in light of the financial tsunami threatening the Greek economy prior to the ap6.

See https ://www.ecb.europa.eu/ecb/legal/pdf/en_con_ 2012_12_f_sign.pdf.

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e Greek PSI and the Litigation Surrounding it


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plication of the PSI and within the framework of the above mentioned arguments, the Greek Bondholders Act and the PSI cannot specifically be found as contravening Articles 5 and 25(1) of the Greek Constitution (free development of one’s personality and proportionality principle respectively) or generally the legal principles deriving from the Greek Constitution, the EU Law and the ECHR as the claimants have argued. b) e decision of the Greek Council of State also deals in an obiter dictum with the fact that the Bank of Greece Central Securities Depository is an indirect securities’ holding system where only the participating financial institutions are registered and not the end-investors. It highlights such holding patterns’ characteristics and assesses the legal relationship between the end-investors and the issuer of the securities (i.e. the Greek State) as regards the rights attributed through the GGBs as intermediated dematerialised securities to the bondholders, in order for them to assess whether a possible breach of overarching rights does exist, caused by ministerial decisions and the Greek Bondholders Act. In this respect the court accepts that the negation, in the context of the PSI proceedings, of any direct contractual relationship between the Greek State and the BoG on the one hand and the end-investors as bondholders on the other hand does not contravene any constitutional or international law overarching principles ; the court, thus, negates any liability of the Greek State as to the proceedings applied on the cancellation and exchange of the GGBs. e court’s argumentation on this specific issue does not seem to be grounded to a thorough extent, as it tends to overlook legal developments in this specific field, notwithstanding that the Council of State does not actually reach an erroneous conclusion. c) Pursuant to Articles 5 (1), 17 (1) and 25 (1) of the Greek Constitution, in case of imperative public necessity, any limitation of contractual property rights is permissible provided that it is deemed necessary under specific circumstances, adequate in the public interest whose fulfillment needs to be served and which must be compliant with the principle of proportionality. In addition, pursuant to the first additional protocol of the ECHR, under extraordinary circumstances, rea-

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sons of public interest may justify public intervention and the decrease of private property provided that such intervention in not contrary to the principle of proportionality. Moreover, public authorities themselves are generally competent to judge whether or not such public intervention is necessary and proportionate to the aim to be achieved, while their discretionary powers are rather large. In the case of the PSI the cancellation of the GGBs and their substitution for new securities, although severe and harsh in nature, cannot be deemed inadequate or disproportionate as, in their absence, the most likely result would have been a Greek default and the total collapse of the Greek economy, which in turns would have had unpredictable repercussions and undoubtedly would have jeopardized the fulfillment of all the investors’ rights as far as the Greek public debt was concerned. d) e principle of equality does not mean that the Greek State should reserve a special treatment for some categories of its creditors on the basis of personal features and other subjective data and especially for individuals with limited financial resources and life expectancy (sic), who perceive their own transactional attitude as being one of a depositor and not an investor. On the contrary, said principle, as applied in the relations between multiple creditors with the same debtor (pari passu principle) imposes the finding of a solution for all creditors “on an equal footing” (sic), so as to allow, where default will indeed incur, the pro rata repayment of all creditors. Hence, in accordance with the principle of equality (Article 4 par. 1 of the Greek Constitution) individuals are not entitled to any privileged treatment vis à vis the rest of the creditors of the Greek State no matter how small the amount of the GGBs they hold. e above judgment by the Greek Council of State, apart from its judges ruling in favor of the constitutionality of the Greek Bondholders Act, was given by a strong minority judgment by seven out of the twenty eight judges of the Court who found the Act as being contrary to the Greek constitution and the ECHR, in essence accepting the arguments projected by the claimants and their counsels.

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L'encadrement légal en France des emprunts dits « toxiques » souscrits par les collectivités locales

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L’ENCADREMENT LÉGAL EN FRANCE DES EMPRUNTS DITS « TOXIQUES » SOUSCRITS PAR LES COLLECTIVITÉS LOCALES

Philippe D* Legal Head of Structured Finance & Debt European Investment Fund

L’encadrement légal de la conclusion de produits structurés par les collectivités territoriales françaises est un phénomène récent, l’État ayant pendant longtemps hésité à intervenir par le biais d’instruments juridiques contraignants en raison du principe de libre administration des collectivités locales. Malgré les apports de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires et financières du  juillet , de nombreuses questions restent en suspens, de sorte que l’on est en droit de penser que cette évolution n’est peut-être pas achevée.

Until recently, the use of structured products by French local public entities was regulated exclusively through soft law instruments, the Central Government being weary of interfering with the sacrosanct principle of freedom of administration of local public entities. Despite all its merits, the Law of  July  leaves a number of questions unanswered and it is not unreasonable to believe that further legislation will be required.

Les collectivités territoriales françaises ont appris à leurs dépens le coût de la liberté. Depuis les lois Deferre de 1982(1) jusqu’à la loi de séparation et de régulation des activités bancaires et financières du 26 juillet 2013 (dite SRAB)(2), elles pouvaient en effet recourir à l’emprunt dans les conditions du droit commun. Aujourd’hui, soit un peu plus de trente ans après les lois de décentralisation, l’encours de prêts toxiques souscrit par les collectivités territoriales françaises est estimé à un montant compris entre dix et vingt milliards d’euros(3). *

1.

2.

3.

Les opinions exprimées dans cet exposé sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du Fonds Européen d’Investissement. Loi n 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ; loi n 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État ; loi n 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État. J.O., 27 juillet 2013, L.P.A., 2013, n spéc. sous la dir. de J. L C et J. M ; « Amendements curatifs pour emprunts toxiques », J.C.P. Adm., 2013, act., p. 271. Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale du 6 décembre 2011 sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux, présidé par M. Claude Bartolone, chiffre l’encours à 18,8 milliards d’euros soit 10 690 prêts structurés recensés. Ce montant reste difficile à évaluer en raison d’une utilisation souvent impropre de la terminologie de « prêts toxiques » pour caractériser les prêts accordés aux collec-

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Si la crise de la dette des collectivités locales ne semble pas constitutive d’un risque systémique mettant en péril le fonctionnement des services publics locaux dans l’ensemble du pays, elle est d’une ampleur suffisante pour que l’État ait cherché à encadrer davantage le recours à l’emprunt par ces collectivités locales(4). Cette intervention s’est faite schématiquement en deux phases, dont la première est caractérisée par l’utilisation d’instruments juridiques peu contraignants alors que la seconde voit l’État intervenir pour encadrer juridiquement l’utilisation des prêts structurés. En définitive, nous le verrons, l’évolution n’est sans doute pas achevée. Il reste que toute tentative de réglementation en la matière est un exercice délicat, d’une part, car celleci doit se faire dans le respect du principe à valeur constitutionnelle de liberté contractuelle des collectivités locales(5), d’autre part, car les restrictions posées à

4.

5.

tivités locales. Par ailleurs, les collectivités locales ont été touchées de façon très inégale. V. P. A et P. D, « e French local entities’ debt crisis – For a Renewed Approach to Local Public Finance », R.T.D.F., n 2, 2013, p. 4. Cet article ne traite pas des mesures dont l’objet est de solder le stock des prêts existants, celles qui ont pour objet de mettre fin aux contentieux qui se sont multipliés ces dernières années ou encore celles qui ont pour objet de créer des structures alternatives de financement. V. C. const., 30 novembre 2006, n 2006-543 DC, Jurisdata n 2006-400116. La liberté contractuelle des collectivités locales repose sur la libre administration des collectivités territoriales, issue de l’article 72, alinéa 2, de la Constitution, et rappelée à l’article L. 111-1 du Code général des collectivités locales.

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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

la liberté d’emprunt des collectivités locales risquent de restreindre leur accès au financement bancaire(6).

C’est ce caractère hybride entre prêt et instrument financier qui n’a cessé de rendre problématique l’appréhension des prêts structurés par la

pellation de prêts toxiques. Le terme prêt structuré, qui couvre les instruments décrits plus haut sans égard à leur degré de nocivité pour les collectivités locales, est utilisé ci-après(8).

I. Les limites de l’encadrement par voie de soft law Les lois de décentralisation ont mis fin à un régime de tutelle de l’État s’agissant des prêts de collectivités locales(9). Le régime de liberté de principe ainsi établi ne connaît dès lors que de rares restrictions, au nombre desquelles la « règle d’or » selon laquelle les recettes d’emprunt doivent être affectées à la couverture des dépenses d’investissement et non à celles de fonctionnement(10).

réglementation en vigueur.

À titre liminaire, une remarque terminologique s’impose à propos de ce que l’on appelle communément les « emprunts toxiques ». Ces produits sont en réalité des prêts structurés combinant à l’intérieur d’un même instrument un prêt et un produit dérivé (généralement une option). Comme nous le verrons, c’est ce caractère hybride entre prêt et instrument financier qui n’a cessé de rendre problématique l’appréhension des prêts structurés par la réglementation en vigueur. En tout état de cause, l’intégration d’un ou plusieurs produits dérivés dans le prêt permet une réduction du coût du financement (souvent dans les premières années du prêt) en échange d’une prise de risque accrue par la collectivité locale(7). Or ces prêts n’ont pas tous la même nocivité pour les collectivités locales. Seuls les plus risqués (par exemple ceux qui intègrent un effet de levier ou ceux adossés à des indices exotiques) méritent en réalité l’ap6.

7.

26

Le contexte n’est en effet pas favorable aux collectivités locales. La disparition de la banque Dexia, qui détenait 42 % du marché des prêts aux collectivités locales, a conduit à une raréfaction de leur financement. La création d’une nouvelle banque publique des collectivités locales (communiqué de presse de la Commission du 28 décembre 2012, IP/12/1447), la Société de financement local (SFIL), dont le capital est partagé entre l’État (75 %), la Caisse des dépôts et consignation (20 %) et la Banque Postale (5 %) devrait en partie combler cette disparition. Notons également que les nouvelles règles prudentielles issues de la réglementation Bâle III (telles que transposées par CRD IV) ont pour effet de rendre moins attractif pour les banques le financement des collectivités locales. En schématisant, la collectivité locale « vend » une option et le coût du prêt est diminué du montant de la prime de l’option.

A. La circulaire de 1992 Les difficultés rencontrées par certaines collectivités locales anglaises(11) conduisent à l’édiction de la circulaire de 1992(12), laquelle régit la conclusion de produits dérivés par des collectivités locales et constitue la première tentative d’encadrement des produits financiers complexes conclus par des entités publiques. Se référant à la liberté donnée aux collectivités territoriales en ma8.

Pour une description des principaux produits structurés utilisés, v. par exemple, « Rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale du 6 décembre 2011 sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux », présidé par M. Claude Bartolone, www.assemblee-nationale.fr, p. 14. 9. Avant les lois de décentralisation, les prêts étaient très majoritairement octroyés au travers d’organismes de financement publics. Une approbation préfectorale était requise afin de contracter un emprunt auprès d’organismes privés ou lorsque le taux d’intérêt et la durée dépassaient certains seuils fixés par décret. V. J.-C. M, « Analyse du cadre légal de la dette des collectivités locales depuis la décentralisation », Revue Lamy des collectivités territoriales, mars 2010, p. 67. 10. CGCT, articles L. 2331-8, L. 3332-3, L. 4331-3 et L. 5211-26. D’autres règles particulières – telles que par exemple la règle de l’équilibre, l’obligation de dépôt des fonds libres au Trésor et la règle selon laquelle le remboursement en capital des annuités d’emprunt à échoir au cours d’un exercice ne saurait être réalisé par les produits de nouveaux emprunts – s’appliquent sans remettre en cause le principe de liberté de l’emprunt. Sur l’ensemble de la question, L. L, « Emprunts locaux », J.Cl. Administratif, fasc. 127-50. 11. Notamment celles de Fulham and Hammersmith, S. F, Derivatives : Law & Practice, Sweet & Maxwell, 2-030 à 2-032. 12. Circulaire n NOR/INT/B/92/00260/C du 15 septembre 1992 relative aux contrats de couverture du risque de taux offerts offerts aux collectivités et établissements publics locaux.

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tière d’emprunt, la circulaire pose une liberté de principe, celle de la conclusion de produits dérivés. Elle rappelle néanmoins deux principes cardinaux, à savoir que les collectivités locales ne peuvent conclure de produits dérivés qu’à des fins de couverture(13) et qu’elles doivent satisfaire à l’obligation de dépôt des fonds au Trésor(14), dont un corollaire est l’interdiction de la conclusion de produits dérivés négociés sur des marchés réglementés (tels le MATIF)(15). Malgré les vertus de la circulaire de 1992, dont la moindre n’est pas celle de poser pour la première fois un cadre s’agissant de l’utilisation des produits financiers complexes souscrits par les collectivités locales, elle est entachée d’un double vice de fabrication. Tout d’abord, en tant qu’instrument, la circulaire n’a pas la faculté d’imposer des règles contraignantes(16). Ensuite, le champ d’application de la circulaire est par trop restrictif puisqu’il ne vise que les produits dérivés les plus simples, sans pouvoir appréhender les produits hybrides tels que les prêts structurés qui verront le jour à partir de la fin des années 1980. Paradoxalement, alors que les produits (simples) visés par la circulaire sont considérés comme interdits par la circulaire, les produits les plus risqués peuvent être conclus librement.

B. La Charte Gissler et la circulaire de 2010 La conclusion d’emprunts structurés se poursuit pendant plus de dix ans de façon massive et d’autant plus incontrôlée que ni les assemblées délibérantes, qui ont largement délégué aux exécutifs locaux la conclusion de ces produits, ni le préfet, dont les services ne disposent souvent pas d’une expertise suffisante, n’exercent véritablement leurs pouvoirs de contrôle. La survenance de la crise financière à partir de la fin de l’année 2007, suivie de celle de la zone euro fin 2009, conduit à une forte volatilité des taux et devises qui a pour consé13. S’agissant de la définition de la couverture, la circulaire se réfère à l’avis du Conseil national de la comptabilité de 1987CNC, Avis n 32 relatif à la comptabilisation des options de taux d’intérêt, 10 juillet 1987, CNCC, Bulletin, n 67. La référence centrale faite à cet avis de 1987 sera source de nombreuses incertitudes. 14. L’article 26 (3°) de la loi organique relative aux lois de finance du 1 août 2001 dispose que « sauf disposition expresse d’une loi de finances, les collectivités territoriales et leurs établissements publics sont tenus de déposer toutes leurs disponibilités auprès de l’État ». Cette règle connaît des exceptions définies à l’article L. 1618-2 du Code général des collectivités territoriales. 15. Cette impossibilité résulte de l’impossibilité pour les collectivités territoriales de satisfaire aux appels de marge des chambres de compensation. 16. Purement interprétatives, les circulaires sont considérées comme des actes ne faisant pas grief et ne peuvent, par ailleurs, être invoquées à l’appui d’un recours (C.E., ass., 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker, Leb., p. 64). 2014/2

quence l’activation des produits dérivés intégrés dans les prêts conclus par les collectivités locales. La pratique jusqu’alors courante visant à refinancer un prêt structuré par un autre prêt structuré n’est plus possible qu’à des conditions exorbitantes ou au prix d’un risque accru pour les collectivités locales concernées. Face à la gravité de la situation, le gouvernement confie en novembre 2009 une mission d’information à un médiateur, M. Éric Gissler. À la suite de ses travaux, une charte de bonne conduite, dite « Charte Gissler » sera adoptée le 7 décembre 2009 par les représentants des associations d’élus locaux et les principaux établissements bancaires (français) actifs dans ce secteur(17). Au titre de la charte, les banques s’engagent à considérer les collectivités territoriales comme des non-professionnels, à ne pas offrir aux collectivités locales ceux des produits les plus risqués(18), à produire une documentation exclusivement en français et à utiliser la classification Gissler. Les collectivités territoriales, quant à elles, s’engagent à « développer la transparence des décisions concernant leur politique d’emprunts et de gestion de dette » et à « développer l’information financière sur les produits structurés qu’elles ont souscrits ». L’avancée principale de la nouvelle charte reste la « classification Gissler », qui s’inspirant des modèles en vigueur dans les établissements financiers, va devenir la summa divisio s’agissant de l’appréhension des risques induits par les produits structurés. La typologie Gissler classe les produits financiers en fonction des risques qu’ils comportent, d’une part, à raison de l’indice ou des indices sous-jacents(19), d’autre part, à raison de la structure du produit qui peut amplifier considérablement les effets liés à la variation de l’indice considéré(20). Ce dispositif est complété par une circulaire du 25 juin 2010, laquelle abroge la circulaire de 1992(21). Comme la circulaire qu’elle remplace, celle de 2010 rappelle les règles applicables en matière de gestion active de la dette. Prenant acte des limitations de la circulaire de 1992, la nouvelle circulaire comprend désormais dans son champ d’application les prêts structurés et non plus seulement les produits dérivés. Mais la circulaire se borne à « déconseiller », et non pas à interdire certains des produits structurés les plus risqués au sens de la clas17. Charte de bonne conduite entre les établissements bancaires et les collectivités territoriales, www.collectiviteslocales.gouv.fr. V. min. Intérieur, communiqué, 7 décembre 2009, J.C.P. éd. E, 2009, act. 611, J.C.P. éd. A, 2009, act. 1282. 18. Soit les produits à capital non garanti, les produits reposant sur certains indices à risques élevés et les produits à effets de structure cumulatifs. 19. En classant par ordre croissant de risque (de 1 à 6) les indices simples (zone euro, inflation française) et les indices risqués (indices hors zone euro). 20. En classant par ordre croissant de risque (de A à F) les structures simples (taux fixe simple ou la barrière simple) et les produits risqués (produits à multiplicateur). 21. Circulaire n NOR : IOCB1015077C, 25 juin 2010, concernant les produits financiers offerts aux collectivités locales et à leurs établissements publics.

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sification Gissler auquel elle se réfère. La charte comme la circulaire ont fait l’objet de critiques(22). Les deux textes font appel à la responsabilité des banques et acteurs locaux alors même que la crise a révélé que le marché de l’emprunt local était incapable de se réguler par lui-même. Par ailleurs, sans nier l’avancée de la Charte Gissler en matière de cartographie des risques, aucun de ces textes ne contient de mesure véritablement innovante. En définitive, le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 25 juin 2013 à propos d’emprunts souscrits par le département de la Seine-Saint-Denis fournit peut-être la meilleure illustration des limites de l’encadrement des produits structurés par voie de so law(23). Le département de la Seine-Saint-Denis, renforcé par une décision remarquée en sa faveur(24), avançait, entre autres arguments, que le swap qu’elle avait souscrit avec la banque avait un caractère spéculatif, en violation de la circulaire de 1992 précitée. Or, le tribunal de grande instance de Paris considère dans cette espèce qu’une circulaire ne peut définir à elle seule les produits spéculatifs et les interdire(25). Cette décision disqualifie à la fois la circulaire de 1992 et celle de 2010 en tant qu’elles posent des règles qui ajoutent à l’état du droit existant. La décision appelle ainsi l’intervention du législateur.

II. La loi SRAB : un régime de liberté surveillée A. Les prémisses d’une intervention législative Le décret du 14 décembre 2011 relatif aux limites et réserves du recours à l’emprunt par les établissements de santé est remarquable, car il s’agit du premier encadrement contraignant de la souscription de produits structurés s’agissant d’entités publiques(26). Il soumet à au22. Cour des comptes, Les risques pris par les collectivités territoriales et les établissements publics en matière d’emprunt, 2010, p. 173. 23. T.G.I. Paris, 25 juin 2013, R.G. n 11/04700, Département de la Seine-Saint-Denis c. SA Crédit agricole corporate and investment bank (CACIB). 24. T.G.I. Nanterre, 8 février 2013, R.G. n 11/03778, 11/03779 et 11/03780, Département de la Seine-SaintDenis c. Société Dexia Crédit Local (3 espèces) ; J. M, « Il ne faut pas prendre les collectivités locales pour des profanes, et les emprunts structurés pour des produits spéculatifs – À propos de T.G.I. Nanterre, 8 février 2013 », Rev. dr. banc. fin., 2013, étude 5. 25. J. M, « La loi de séparation des activités bancaires et les emprunts des collectivités territoriales : en attendant la suite », Rev. dr. banc. fin., n 6, novembre 2013, dossier 58. 26. Décret n 2011-1812 du 14 décembre 2011, J.O.R.F., n 0290 du 15 décembre 2011, p. 21194. Le décret intro28

torisation préalable du directeur général de l’agence régionale de la santé le recours à l’emprunt par les établissements de santé dont l’endettement est supérieur à certains seuils. En outre, il n’autorise que certains taux d’intérêts variables et précise que ce taux d’intérêt variable ne peut, durant la vie de l’emprunt, devenir supérieur au double du taux d’intérêt nominal appliqué au cours de la première période de l’emprunt (principe du capping). Il était certes ici loisible à l’autorité réglementaire de procéder par voie de décret, dans la mesure où le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales n’était pas en jeu, s’agissant d’établissements publics de santé. À la vérité, l’argument traditionnel tiré de ce qu’une intervention législative contreviendrait au principe de libre administration des collectivités locales était quelque peu spécieux, dans la mesure où l’article 72 de la Constitution précise que la libre administration s’exerce « dans les conditions prévues par la loi ». La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux, qui remettait son rapport quelques jours avant le décret précité, énonçait en effet que « le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales ne peut et ne doit signifier l’absence de règles et de cadre garantissant les modalités de l’action des collectivités »(27). Ce rapport, après avoir établi un état des lieux et dégagé les responsabilités des différents acteurs, proposait l’interdiction de la souscription de produits dérivés avec effet multiplicateur et l’imposition d’un « capping global » des prêts, c’est-àdire un taux d’intérêt plafond(28). À la suite de ce rapport fut déposée une proposition de loi reprenant ces recommandations(29).

B. La loi de séparation et de régulation des activités bancaires et financières S’inspirant en partie de la proposition de loi déposée par C. Bartolone, l’article 32 de la loi n 2013672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires et financières crée un nouvel article L. 1611-3-1 au Code général des collectivités territoriales(30).

27.

28. 29.

30.

duit les articles D. 6145-70 à D. 6145-73 au sein du Code de la santé publique. « Rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale du 6 décembre 2011 sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux », présidé par M. Claude Bartolone, www.assemblee-nationale.fr, Rev. dr. banc. fin., 2012, comm. 79, note J. M. Rapport A.N., n 4030, p. 149. Proposition de loi n 4382 du 21 février 2012 relative au développement, à l’encadrement et à la transparence des modes de financement des investissements des acteurs publics locaux, www.assemblee-nationale.fr. V. références note 2.

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Le nouvel article prévoit que les collectivités territoriales « peuvent souscrire des emprunts auprès des établissements de crédit dans les limites et sous les réserves » qu’il énonce(31). Le principe de liberté du recours à l’emprunt bancaire par les collectivités locales est affirmé à titre de principe, mais il est assorti de restrictions qui portent sur la devise et la structure du taux du prêt. S’agissant de la devise, l’emprunt peut être libellé en euros ou en devises étrangères(32), mais dans ce dernier cas, « afin d’assurer une couverture intégrale du risque de change, un contrat d’échange de devises contre euros doit être conclu lors de la souscription de l’emprunt pour le montant total et la durée totale de l’emprunt ». On notera qu’est introduite pour la première fois en droit positif une obligation de couverture. Certes, cette obligation ne s’applique que lorsque que la collectivité s’endette dans une devise autre que l’euro. Il n’empêche. Toute couverture a un coût et cette obligation ne peut que conduire à un renchérissement des emprunts libellés en devises étrangères. S’agissant de la structure des taux la loi prévoit désormais que le taux d’intérêt peut être fixe ou variable, étant précisé qu’un décret en Conseil d’État détermine les indices et les écarts d’indices autorisés pour les clauses d’indexation des taux d’intérêt variable. Par ailleurs, la formule d’indexation des taux variables « doit répondre à des critères de simplicité ou de prévisibilité des charges financières » des collectivités territoriales. Là encore, la loi renvoie à un décret en Conseil d’État pour la détermination des conditions d’application de cette condition. La loi précise également qu’« un contrat financier adossé à un emprunt auprès d’un établissement de crédit ne peut avoir pour conséquence de déroger » aux trois règles énoncées ci-dessus, soit l’obligation de se prémunir intégralement contre le risque de change, l’interdiction d’utiliser certains indices et la nécessité de répondre à des critères de simplicité ou de prévisibilité des charges financières. Le renvoi par la loi aux restrictions établies pour les prêts n’est pas forcément heureux, s’agissant de produits dérivés qui ont leur mode de fonctionnement propre. Le texte originel, certes plus restrictif, prévoyait que les « collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent souscrire des contrats financiers qu’à des fins de couverture des risques ». De façon tout à fait pragmatique, la loi introduit une dérogation aux règles ci-dessus afin d’apurer le stock de produit toxiques existant. Les collectivités locales peuvent en effet déroger aux conditions prévues par la loi lorsque la souscription d’un emprunt ou d’un contrat financier, par la voie d’un avenant ou d’un nouveau contrat, a pour effet de réduire le risque associé à un em31. La loi vise non seulement les collectivités locales, mais aussi leurs groupements et les services départementaux d’incendie et de secours. 32. À noter que la faculté d’emprunter en devise étrangère avait pour un temps été exclue lors des travaux parlementaires. J. M, précité. 2014/2

prunt non conforme à la loi et qui a été souscrit avant la promulgation de la loi. En d’autres termes, la loi offre la possibilité de traiter le mal (les prêts toxiques existants) par le mal (de nouveaux prêts ou produits dérivés structurés) à la condition que le second mal réduise le premier. En définitive, ce texte constitue une avancée non négligeable s’agissant de l’encadrement des produits structurés souscrits par les collectivités locales. Le législateur intervient pour la première fois dans ce domaine en laissant prudemment le champ libre à l’autorité réglementaire afin que celle-ci définisse le contour des interdictions générales édictées par la loi. Les décrets, non adoptés à ce jour s’inspireront à n’en pas douter de la classification Gissler(33). Il est heureux que – pour l’heure on l’espère en tout cas – la proposition de « capping global », c’est-à-dire de fixation d’un taux maximum, n’ait pas été retenue. Celle-ci en effet ne peut qu’avoir pour effet de renchérir le coût des prêts souscrits par les collectivités locales(34). On peut néanmoins regretter que la réforme ne soit pas plus ambitieuse sur le plan de l’encadrement des produits structurés. Les circonstances dans lesquelles a été votée la loi n’étaient certes pas propice à une réforme de fond(35). D’abord s’agissant des produits seuls les emprunts bancaires et les produits dérivés adossés à un emprunt sont désormais encadrés(36). Les produits dérivés non adossés à des emprunts et les émissions sous forme de titres restent libres pour les collectivités locales(37). Or, un 33. C’est en tout cas ce qui transparaît des discussions lors des travaux préparatoires de la loi SRAB. V. J. L C, « La loi de séparation et de régulation des activités bancaires et emprunts des collectivités locales », A.J. Collectivités territoriales, 2013, p. 372. 34. Le rapporteur de la loi SRAB a ainsi pu s’inquiéter de ce que certaines dispositions de la loi pourraient conduire à restreindre l’accès au crédit des collectivités locales. V. Amendement n° CF 122, article additionnel après article 11, présenté par Mme Lemaire et M. Eckert, in K. B, rapport n 707 du 7 février 2013. 35. L’article 32 a été inséré à la faveur d’un amendement dans le vade-mecum qu’est devenue la loi SRAB. Le projet de loi ne contenait à l’origine que trente-trois articles, la loi définitivement adoptée en contient quatre-vingtdeux. V. J. L C, précité, p. 372. 36. On notera par ailleurs que faute de rétroactivité de la loi, celle-ci ne s’appliquera que pour les contrats conclus à l’avenir, ce qui laisse entière la question de la légalité des actes déjà conclus. Par ailleurs, il demeure une incertitude sur les conséquences d’une violation des nouvelles règles édictées par la loi. Les contrats seront-ils frappés de nullité ? 37. Alors qu’à l’origine, la loi avait vocation à encadrer l’émission de titres, le texte définitif a pris le parti d’exclure les émissions obligataires du champ du nouveau dispositif. On notera en passant que ce faisant, les dispositions devenues désuètes de l’article L. 1611-3 CGCT qui soumet la réalisation d’emprunts publics à autorisation n’ont dès lors pas été abrogées. V. J. M, préc., § 19.

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grand nombre de produits toxiques en Europe comportent l’une ou l’autre de ces formes et il est relativement facile pour une banque de structurer un prêt en émission obligataire pour contourner les interdictions posées par la loi pour les seuls emprunts bancaires et les produits dérivés qui leur sont adossés. Cette exception est d’autant plus curieuse que l’article 35 de la loi SRAB définit le cadre juridique de la future agence de financement des collectivités locales dont l’objet est précisément de permettre aux collectivités locales d’accéder au marché obligataire(38).

Le législateur est peut-être passé à côté de l’essentiel. Ce qui pose en effet problème dans un produit structuré, ce n’est pas tant le prêt lui-même que le produit dérivé qui y est

produits dérivés (notamment en termes de compensation et d’information), contraintes dont les collectivités locales françaises ou étrangères ne sont pas automatiquement exemptées et qui pourraient leur poser de sérieux problèmes si un toilettage des textes en vigueur n’était pas fait(40). Une autre faille des dispositions examinées de la loi SRAB tient à ce que le législateur adopte une approche exclusivement « produits »(41), délaissant une solution plus globale à la question des prêts toxiques. Or, comme l’ont rappelé les différents rapports de la Cour des comptes sur le sujet(42), les causes de la propagation exceptionnelle de la crise des produits toxiques tiennent en grande partie au manque d’information, de transparence et de contrôle des différents acteurs. Or, aucune des mesures de la loi SRAB ne vise à remédier à la « double asymétrie » (43), existant, d’une part, entre les banques et les collectivités territoriales (professionnels, profanes), d’autre part, entre les exécutifs des collectivités territoriales et les autorités chargées d’exercer un contrôle sur elles (exécutifs locaux, assemblées locales et préfets). S’agissant des rapports entre les banques et les collectivités territoriales, on notera ainsi que la conclusion de produits structurés par les collectivités locales n’est toujours pas soumise aux règles régissant les marchés publics, alors même que la compatibilité du Code des marchés publics aux règles européennes qui régissent la commande publique est contestée(44) et que ces règles conduiraient à davantage de transparence en la matière.

adossé.

Tout bien considéré, on peut penser que le législateur est peut-être passé à côté de l’essentiel. Ce qui pose en effet problème dans un produit structuré, ce n’est pas tant le prêt lui-même que le produit dérivé qui y est adossé. Dans cette perspective, il aurait sans doute été plus judicieux que la réglementation traite avant tout des produits dérivés, que ceux-ci soient ou non intégrés dans un autre instrument (prêt, titre obligataire, titre de créance négociable ou dépôt), plutôt que des prêts euxmêmes. Le régime relatif à la conclusion des produits dérivés par les personnes publiques mérite en effet d’être refondu. À titre d’exemple, l’interdiction pour les collectivités territoriales de conclure des produits dérivés sur un marché réglementé (corollaire de leur interdiction de constituer des garanties ou sûretés) est d’autant moins compréhensible que ces marchés offrent davantage de garanties de transparence que les produits de gré à gré (OTC). En outre, le règlement européen EMIR(39) impose de nouvelles contraintes aux différents acteurs des marchés de 38. G. E et M. C, « Droit administratif et finances publiques : l’État et le financement de l’économie », R.F.D.A., 2013, p. 1105. 39. Règlement n 648/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 sur les produits dérivés de gré

30

40.

41. 42.

43.

44.

à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux. V. P. A et P. D, précité, p. 22. S’agissant de l’obligation de compensation, on peut penser que la plupart des opérations des collectivités locales seront en dessous du seuil d’application de minimis. Les obligations d’information s’appliquent quant à elles aux collectivités locales sans égard aux seuils ci-dessous. La loi SRAB comporte également un volet financement qui n’est pas l’objet de cet article. Cour des comptes, rapport public annuel 2009, « Les risques pris par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux en matière d’emprunt ». Cour des comptes, rapport public annuel 2010, « Les risques pris par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux en matière d’emprunt ». Cour des comptes, « La gestion de la dette publique locale », rapport public thématique, 2011. Le terme est utilisé par J.-C. M, in « Analyse du cadre légal de la dette des collectivités locales depuis la décentralisation », p. 70. V. article 3, 5°, du Code des marchés publics et directive 2004/18/CE. J. B, « Les contrats financiers doivent-ils être soumis au Code des marchés publics ? », A.J.D.A., 2004, p. 1292 ; P. L, « La nouvelle directive “marchés publics” a-t-elle modifié le régime applicable aux emprunts ? », Droit administratif , mars 2005 ; R. S et D. E, « Les emprunts des collectivités locales : des marchés publics à éclipses », L.P.A., 2006, n 153, p. 4.

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Par ailleurs, il aurait été opportun que le législateur clarifie ceux des devoirs qui s’imposent aux banques dans leurs relations avec les collectivités locales lors de la souscription de produits structurés, alors que les contentieux en cours commencent à dessiner l’ébauche d’un devoir de mise en garde à la charge des banques en la matière(45). Les autorités publiques, probablement inquiètes de ce que de telles mesures restreindraient l’accès au crédit des acteurs locaux, semblent réticentes à augmenter les devoirs d’information pesant sur les banques(46). De fait, les amendements visant à renforcer l’obligation de conseil aux collectivités furent rejetés au cours des travaux parlementaires de la loi SRAB(47). À tout le moins, le législateur aurait pu confirmer que la conclusion de produits structurés est régie par la directive Marché d’instruments financiers (MiFID) telle que transposée en droit français, ce qui aurait permis l’application des règles protectrices qui sont contenues

dans ces texte en faveur des collectivités territoriales(48). Enfin, s’agissant des rapports entre les exécutifs et les autorités de contrôle, on peut regretter que le législateur, prenant acte de ces défaillances passées, n’ait pas profité de la loi SRAB pour fixer un cadre réglementaire clair régissant la transmission au préfet de tous les contrats de prêt passés par les collectivités locales, quand bien même ils revêtiraient le caractère d’actes de droit privé(49). Tout bien considéré, malgré les failles de la nouvelle réglementation, on ne peut que se réjouir de ce que le législateur soit enfin intervenu pour fixer des règles contraignantes, s’agissant de la conclusion de produits structurés par les collectivités territoriales. Il faut désormais espérer que les décrets d’application sauront trouver un point d’équilibre entre la nécessité de dissuader les abus sans en même temps décourager les prêteurs des collectivités locales.

45. A. B, « Regard judiciaire sur les emprunts toxiques des collectivités locales », Droit administratif , n 6, juin 2013, comm. 41, p. 196. 46. Alors que la circulaire de 2010 se borne à indiquer que « les établissements financiers sont ainsi soumis à des règles contraignantes d’information » et rappelle le devoir de mise en garde des banques en la matière, le rapport de la commission Bartolone s’oppose à un « énième renforcement du devoir d’information ». 47. J. M, précité.

48. Les collectivités territoriales n’ont pas la qualité de clients professionnels au sens de l’article L. 533-16 du Code monétaire et financier (article D533-11 du Code monétaire et financier). 49. La circulaire de 2010 rappelle que « dans la mesure où le contrat d’emprunt est presque exclusivement un contrat de droit privé et que la délibération autorisant sa signature doit faire apparaître les principales caractéristiques de l’emprunt, il n’a pas à être transmis au préfet ». Paragraphe 3.1.2. de la circulaire de 2010.

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APRÈS LA CRISE FINANCIÈRE : VERS UNE RÉFORME DE LA RÉGLEMENTATION DU MARCHÉ DES VALEURS MOBILIÈRES MUNICIPALES AUX ÉTATS-UNIS ? Stéphane R Professeur titulaire de la chaire en gouvernance et droit des affaires Université de Montréal

Le marché des valeurs mobilières municipales des États-Unis a été heurté de plein fouet par la crise financière. En raison d’une utilisation imprudente d’instruments dérivés, des collectivités territoriales ont subi des pertes colossales qui ont mené à des défauts de paiements pour certaines et à la faillite pour d’autres. Sous l’impulsion du Dodd-Frank Act, une série de réformes ont été introduites pour pallier les défaillances de la réglementation et réduire les risques dans ce marché. Toutefois, les réformes ne sont pas terminées et pourraient bien être suivies d’une révision en profondeur du modèle de réglementation du marché des valeurs mobilières municipales.

In the United States, municipal securities markets have been directly hit by the financial crisis. The reckless municipal use of derivatives has triggered staggering losses for some municipalities, leading even some to bankruptcy. The Dodd-Frank Act launched a wave of reforms to correct regulatory failures and reduce the risk in such markets. However, the reforms are not over yet and could be followed by a more thorough revision of the regulatory model for municipal securities markets.

Aux États-Unis, les collectivités locales, telles que les villes et les comtés, ont recours aux marchés financiers depuis plusieurs décennies pour financer leurs dépenses d’infrastructures. Depuis une quinzaine d’années, les émissions annuelles d’obligations dites « municipales » dépassent 200 milliards USD(1). En 2013, les obligations municipales en circulation avaient une valeur de 3 714 milliards de dollars. Les obligations municipales sont particulièrement attrayantes pour les investisseurs individuels en ce qu’elles sont perçues comme ayant un faible risque et qu’elles bénéficient d’exemptions fiscales fédérales et étatiques. Au cours de cette période, les obligations municipales se sont complexifiées du fait de modifications législatives ayant autorisé l’utilisation des instruments dérivés(2). Dès le début des années 1990, près de la moitié des villes employaient déjà des instruments dérivés(3). Certaines s’en servaient pour gérer les risques, d’autres pour spéculer. L’utilisation des instruments dérivés par les collectivités locales aux États-Unis a toutefois mené à des

pertes financières importantes qui ont mis en relief les défaillances du cadre réglementaire, et ce dès les années 1990 avec la débâcle du Orange County en Californie et d’autres collectivités locales(4). La crise financière a ramené à l’avant-plan les préoccupations relativement à l’adéquation de la réglementation du marché des valeurs mobilières municipales aux États-Unis(5). De nombreuses collectivités locales, Jefferson County étant la plus célèbre, ont en effet encourues des pertes colossales en raison de l’utilisation d’instruments dérivés. Sous l’impulsion du DoddFrank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (Dodd-Frank Act), une série de réformes ont été introduites pour pallier les défaillances de la réglementation et réduire les risques. Toutefois, les réformes ne sont pas terminées et pourraient bien être suivies d’une révision en profondeur du modèle de réglementation du marché des valeurs mobilières municipales.

4. 1.

2.

3.

32

Ch.S. C, « Municipal Securities : e Crisis of State and Local Government Indebtedness, Systemic Costs of Low Default Rates, and Opportunities for Reform », (2013) 34, Cardozo Law Review, pp. 1455 et 1458. Government Accounting Standards Board (GASB), « Accounting and Financial Reporting for Derivatives Instruments – A Few Basic Questions and Answers », (2008), http ://www.gasb.org/project-pages/Derivatives FinalStatementFactSheet.pdf. P.M. G, « Municipal Derivatives Use and the Suitability Doctrine », (1996) 49, Wash. U. J. Urb. & Contemp. L., pp. 285 et 295-296.

5.

V. S.S. C, « e Challenge of Derivatives », (1995) 63, Fordham L. Rev., 1993. Notons que le marché des valeurs mobilières municipales du Canada n’a pas été affecté par la crise financière et aucune municipalité n’a été placée en situation d’insolvabilité du fait de l’utilisation d’instruments dérivés. V. M. J, « Detroit and the Lost History of Canadian Municipalities Insolvencies », Maclean’s, 31 juillet 2013 : http ://www.macleans.ca/economy/business/detroit-and -the-lost-history-of-canadian-municipal-insolvencies/ ; J. R, « Should Canadians Be Worried about a Detroit-Style Crisis ? », Financial Post, 7 août 2013 : http ://business.financialpost.com/2013/08/07/shouldcanadians-be-worried-about-a-detroit-style-crisis/.

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I. De la simplicité à la complexité : la place des instruments dérivés dans le nancement des collectivités locales Les marchés financiers jouent un rôle central dans le financement des collectivités locales aux États-Unis(6). Pour se financer, les municipalités émettent divers types de titres de dette. Pour combler leurs besoins de financement à brève échéance, elles procèdent généralement à l’émission d’obligations à court terme. Pour les investissements, les collectivités locales auront recours aux obligations à long terme. Traditionnellement, les opérations de financement des municipalités ont été considérées comme sans histoire(7). Toutefois, avec le développement et la diffusion des instruments dérivés et l’assouplissement de la législation régissant le financement des municipalités, le marché des obligations municipales s’est transformé(8). Les municipalités ont eu recours aux instruments dérivés dans le cadre de leurs financements(9). Les instruments dérivés offraient la possibilité de gérer le risque de taux d’intérêt associé aux obligations(10). À compter des années 1990, lorsqu’elles avaient recours à un financement obligataire à taux variable, les collectivités locales états-uniennes utilisaient généralement les instruments dérivés afin de réduire leur coût de financement et de gérer le risque de taux d’intérêt(11). L’instrument dérivé le plus fréquemment employé à cette fin est le swap de taux d’intérêt négocié de gré à gré(12). Dans le cadre du swap sur taux d’intérêt, la col6.

Securities and Exchange Commission, e Report on the Municipal Securities Market, 2012. 7. Dans les mots d’un ancien président de la SEC : « the relatively small and sleepy municipal bond activity of days gone by ». V. Ch. C, Chairman, U.S. Securities and Exchange Commission, « Integrity in the Municipal Market », Los Angeles, Californie (18 juillet 2007) : http :// www.sec.gov/news/speech/2007/spch071807cc.htm. 8. M.Z. B et W. S, « Schools Flunk Finance », Bloomberg Markets, mars 2008, en ligne : http ://www. bloomberg.com/apps/news ?pid=nw&pname= mm_0308_story2.html. 9. Securities and Exchange Commission, Report on Transactions in Municipal Securities, Office of Economic Analysis, 1 juillet 2004, pp. 4-5 ; R. D, « Municipal Bombs », juin 2010, 47, Finance & Development, p. 33. 10. Rappelons que l’élément clef des obligations municipales consiste en les taux d’intérêts qui peuvent être fixes ou variables. 11. J. K et al., « L’utilisation des swaps de taux d’intérêt et des swaps de devises par le Gouvernement fédéral », Revue de la Banque du Canada, hiver 2000-2001, p. 25 ; M. D S, Demystifying Financial Derivatives : Interest Rate Swaps and Municipal Derivatives, NERA Economic Consulting, 2011.

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lectivité territoriale se protège contre une hausse à long terme du taux d’intérêt en échangeant avec une banque un flux de taux d’intérêt variable contre un flux de taux d’intérêt fixe, tel que le Libor. Les collectivités locales employaient aussi d’autres instruments dérivés plus complexes, comme les swaps de maturité constante (« Constant Maturity Swaps » ou swap « CMS »)(13). Le swap CMS est un swap de taux d’intérêt où une partie s’engage à effectuer un paiement tributaire d’un indice à court terme, tel que le taux Libor à 3 mois, et l’autre un paiement tributaire d’un indice à long terme, tel que le taux de swap 10 ans. Ainsi, les collectivités locales échangeaient le flux fondé sur l’indice à court terme contre le flux fondé sur l’indice à long terme. Dans la mesure où l’indice à court terme demeurait bas, le swap CMS s’avérait avantageux, puisque l’indice à long terme restait généralement plus élevé. Puisque les swaps de taux d’intérêt sont négociés de gré à gré, il est difficile d’établir l’importance de ce marché pour les collectivités territoriales américaines. Tout de même, les données suggèrent que ces dernières faisaient un usage important de ces instruments dérivés avant la crise financière. Selon des estimations, la valeur des instruments dérivés « municipaux » s’élevaient à près de 500 milliards de dollars au courant des années 2000 avant la crise(14). Et l’usage des instruments dérivés était très répandu. À titre d’exemple, 185 collectivités locales de l’État de Pennsylvanie avaient conclus des contrats dérivés entre 2003 et 2008(15). La crise financière a mis en relief les risques associés aux swaps de taux d’intérêt. À compter de 2008, l’écart entre le taux d’intérêt variable et le taux d’intérêt fixe est devenu très volatil, ce qui a contrecarré l’objectif des swaps de taux d’intérêt(16). De fait, dans ce marché, les collectivités locales se sont retrouvées à payer des taux d’intérêt beaucoup plus élevés qu’elles ne l’avaient envisagé(17). L’accroissement imprévu du coût du crédit résultant des swaps sur taux d’intérêt a eu des impacts sévères pour de nombreuses municipalités(18). À titre d’exemple, on re12. Securities and Exchange Commission, Report on the Municipal Securities Market, 2012, p. 91. 13. R. D, « Municipal Bombs », Finance and Development, juin 2010, p. 33. 14. A. L, « Interest-Rate Deals Sting Cities, States », e Wall Street Journal, 22 mars 2010. 15. Securities and Exchange Commission, Report on the Municipal Securities Market, 2012, p. 92. 16. R. D, « Municipal Bombs », Finance and Development, juin 2010, p. 33. 17. M. D S, Demystifying Financial Derivatives : Interest Rate Swaps and Municipal Derivatives, NERA Economic Consulting, 2011, p. 7. 18. Parmi les villes touchées, notons Chicago, Denver, Kansas City, New York et Détroit. De plus petites villes de Pennsylvanie ont aussi été touchées, dont Bethlehem, Harrisburg et Erie. V. M.Z. B et W. S, « Schools Flunk Finance », Bloomberg Markets, mars 2008, en ligne : http ://www.bloomberg.com /apps/news ?pid=nw&pname=mm_0308_story2 ; M. K, « Deal In Focus : A Call to Stop Swaps ;

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Après la crise financière : vers une réforme de la réglementation du marché des valeurs mobilières municipales aux États-Unis ?


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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

cense 136 cas de défaut de paiement sur des obligations municipales en 2008 liés aux instruments dérivés(19).

II. Un environnement réglementaire laxiste

Traditionnellement, les émissions d’obligations municipales n’ont pas fait l’objet d’une réglementation étoffée en vertu du Securities Act of 1933 et du Securities and Exchange Act of 1934(25). Qualifiées de valeurs mobilières dispensées (exempt securities) par la loi, les obligations municipales n’étaient soumises qu’aux dispositions antifraude. L’encadrement s’est resserré quelque peu durant les années 1970 à la suite des difficultés financières de la ville de New York, qui évite alors de près un défaut de paiement sur ses obligations. En 1975, la loi de 1934 est modifiée pour prévoir expressément l’application de la Rule 10b-5 aux obligations municipales. En outre, la réforme vient créer un organisme d’autoréglementation, le Municipal Securities Rulemaking Board (MSRB), dont la mission consiste à protéger les participants au marché. Toutefois, le Tower Amendment adopté lors de cette réforme vient considérablement restreindre la compétence des régulateurs dans le secteur des obligations municipales(26). Cette disposition interdit à la SEC et au MSRB d’imposer des exigences de divulgation relativement à de telles obligations, et ce tant sur le marché primaire que secondaire. En raison du Tower Amendment, la réglementation des obligations municipales s’est effectuée indirectement par des règles visant les acteurs du marché, c’est-à-dire les intermédiaires et preneurs fermes (underwriters). Plusieurs organismes se partagent les compétences dans ce domaine, à savoir la SEC, le MSRB, la Financial Industry Regulatory Authority (FINRA) et divers régulateurs bancaires. Progressivement, une réglementation indirecte (backdoor regulation) des émissions d’obligations municipales s’est ainsi construite. Au final, cette réglementation demeurait moins contraignante que celle qui s’appliquait aux valeurs mobilières en vertu du régime général. Dans cet environnement réglementaire laxiste, les municipalités ont disposé d’une grande marge de manœuvre qu’elles ont exploitée en ayant recours aux instruments dérivés lors de leurs opérations de financement obligataire. Conjugué avec une absence de réglementation des instruments dérivés OTC, tels que les swaps, cet environnement s’est avéré un terreau propice à l’émergence de pratiques négligentes et frauduleuses de la part des participants au marché. Parmi les défaillances mises au jour par les études, signalons qu’il n’existait pas d’obligation générale de consultation de professionnels lors de la réalisation des

L’accroissement imprévu du coût du crédit résultant des swaps sur taux d’intérêt a eu des impacts sévères pour de nombreuses municipalités.

Sans aucun doute, le cas le plus spectaculaire concerne le Jefferson County de l’État de l’Alabama qui a fait défaut de paiement sur des obligations d’une valeur de 3,8 milliards USD(20). Cette municipalité de 700 000 habitants avait contracté dix-sept swaps pour une valeur notionnelle de 5,8 milliards USD avec une échéance allant jusqu’à 39 ans(21). L’utilisation des instruments dérivés a engendré une perte de 277 millions USD. La municipalité a finalement dû déclarer faillite en novembre 2011(22), à la suite de l’éclatement de ses swaps(23) alors que ses dettes sont montées à 3 milliards USD(24).

19. 20.

21. 22.

23.

24.

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Pennsylvania Plans Ban on Derivatives », 1 février 2010, 371, e Bond Buyer 33258, p. 1. R. D, « Municipal Bombs », Finance and Development, juin 2010, p. 35 ; NERA, p. 7. V. R. S, « Southern Discomfort : An Examination of the Financial Crisis in Jefferson County, Alabama », (2010) 10, Hous. Bus. & Tax L.J., p. 363 ; In re Jefferson County, Alabama, cas n 11-bk-05736 (TBB), U.S. Bankruptcy Court, Northern District of Alabama (9 novembre 2011). R. D, « Municipal Bombs », juin 2010, 47, Finance & Development 2, p. 35. In re Jefferson County, Alabama, cas n11-bk-05736 (TBB), U.S. Bankruptcy Court, Northern District of Alabama (9 novembre, 2011). L. L, « Municipalities Should Ditch Wall Street Derivatives Deals : Lawmaker », 16 janvier 2013, Daily Ticker, en ligne : http ://finance.yahoo.com/blogs/dailyticker/municipalities-ditch-wall-street-derivativesdeals-lawmaker-160544540.html. J. G, « Detroit : When Finance Gets Complicated », 8 août 2013, World Finance, en ligne : http ://www. worldfinance.com/home/featured/detroit-whenfinance-gets-complicated.

25. Securities and Exchange Commission, Report on the Municipal Securities Market, 2012, pp. 27 et s. ; Ph. G, « A Call for Action : An Analysis of the Impending Regulatory Crisis in the Municipal Securities Market », (2012) 38, Journal of Legislation, p. 241. 26. Securities Exchange Act of 1934, § 15B(d), 15 U.S.C. § 78o-4(d) (2006 & Supp. IV, 2010) ; S², Report on the Municipal Securities Market, 2012, pp. 27-28.

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financements obligataires. Même si elles ne détenaient aucune expertise, les autorités municipales pouvaient décider d’effectuer des opérations complexes en se fiant uniquement aux conseillers(27). Or, ces conseillers n’étaient pas soumis à une obligation d’inscription auprès de la SEC, ni à des règles régissant leur qualification ou leur conduite. Cette absence de réglementation des conseillers étaient particulièrement problématique, étant donné les conflits d’intérêts influant sur les décisions des intermédiaires. En effet, les conseillers financiers étaient rémunérés en fonction de la réalisation des opérations. De plus, ils n’avaient pas une relation à long terme avec les municipalités. Au final, les conditions et les frais associés aux financements étaient généralement désavantageux pour les municipalités(28). Ces problèmes étaient exacerbés par l’omission des municipalités de procéder à l’octroi des contrats pour leur financement par voie d’appel d’offres. À titre d’exemple, selon Bloomberg, huit des dix émissions obligataires en 2005 avaient été réalisées par voie négociée(29). Ce faisant, les municipalités se privaient de l’effet disciplinaire du marché. Finalement, les lacunes de la réglementation ont facilité la réalisation de fraudes par des acteurs du marché comme l’illustrent les procédures judiciaires(30). De nombreuses municipalités ont fait l’objet de recours de la part de la SEC pour avoir communiqué des informations fausses ou trompeuses aux investisseurs. De même, plusieurs intermédiaires ont été visés par des poursuites civiles et administratives pour pratiques anticoncurrentielles et manipulation de marché.

III. Le Dodd-Frank Act : une première vague de réformes ? En 2012, un rapport préparé pour la SEC en 2012 reconnaissait que le marché des valeurs mobilières mu-

27. M.Z. B et W. S, « Schools Flunk Finance », Bloomberg Markets, mars 2008, en ligne : http ://www. bloomberg.com/apps/news ?pid=nw&pname=mm_0308 _story2.html. 28. À titre d’exemple, le Jefferson County a payé des commissions s’élevant au double de ce qui était normalement payé pour des transactions de la même nature. V. R. S, « Southern Discomfort : An Examination of the Financial Crisis in Jefferson County, Alabama », (2010) 10, Hous. Bus. & Tax L.J., pp. 363 et 389. 29. M.Z. B et al., e Banks at Fleeced Alabama, Bloomberg Markets, septembre 2005, p. 52 : http ://www.mobilebaytimes.com/alabama.pdf. 30. V. J.W. S, « Shady finance deals put cities in regulatory spotlight », CNBC, 20 novembre 2013 : http ://www.cnbc.com/id/101194543 ; Allen & Overy, « Our View : What Does the New Wave of Municipal Securities Enforcement Cases Mean for Municipal Underwriters ? », septembre 2013. 2014/2

nicipales ne faisait pas l’objet d’une réglementation très stricte, malgré son importance économique(31). La crise financière a certainement mis en exergue les lacunes de la réglementation et la nécessité de procéder à des réformes dans ce secteur. L’impulsion pour les réformes a été donnée par le Dodd-Frank Act qui a décrété la création de l’Office of Municipal Securities au sein de la SEC et ordonné la mise en place d’une série de mesures. Premièrement, le Dodd-Frank Act traite des conseillers financiers municipaux qui agissent dans le cadre des financements pour aviser les municipalités sur les modalités de leurs opérations. Ces conseillers participent à la plupart des émissions obligataires municipales. Bien qu’ils soient déjà encadrés par le MSRB, ils ont fréquemment fait l’objet de critiques de la part de la SEC, notamment en ce qui concerne la qualité et l’intégrité de leurs services. Dans ce contexte, le Dodd-Frank Act impose une obligation d’inscription à ces conseillers auprès de la SEC, ce qui les soumet au pouvoir réglementaire de cette dernière(32). De plus, la loi édicte un devoir fiduciaire (fiduciary duty) pour les conseillers envers leurs clients. Cette disposition controversée fait actuellement l’objet d’une contestation. Les réformes ne se limitent pas aux conseillers financiers municipaux. Elles visent également les preneurs fermes impliqués dans les émissions. En ce sens, le Dodd-Frank Act exige que le MSRB adopte des règles pour encadrer la relation entre ces derniers et les municipalités. Spécifiquement, selon la loi, la règle du MSRB doit établir une obligation de conduite équitable et prohiber les pratiques malhonnêtes, trompeuses ou inéquitables. Le MSRB a mis en œuvre cette exigence par l’entremise de dispositions qui imposent notamment des obligations de divulgation aux preneurs fermes. Ces dispositions précises toutefois, conformément au Dodd-Frank Act, que les preneurs fermes n’ont pas de devoir fiduciaire envers les émetteurs. Par ailleurs, toujours sous l’impulsion du Dodd-Frank Act, la CFTC a adopté des règles de conduite s’appliquant aux courtiers en swap (swap dealers) qui agissent comme conseillers auprès d’entités spéciales telles que les municipalités(33). Ces règles imposent une obligation de convenance aux courtiers qui prend la forme d’une obligation de connaître la contrepartie qui est une entité spéciale et de formuler des recommandations de swap dans l’intérêt de celle-ci. De plus, les courtiers en swap doivent divulguer aux contreparties les risques, caractéristiques et conflits d’intérêts importants. Finalement, ils doivent s’assurer qu’un représentant de toute 31. Securities and Exchange Commission, Report on the Municipal Securities Market, 2012. 32. Securities and Exchange Commission, Final Rule : Registration of Municipal Advisors, 23 septembre 2013, en ligne : https ://www.sec.gov/rules/final/2013/34-70462.pdf. 33. Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act’, H. R. 4173, article 712(a), en ligne : http ://www.sec. gov/about/laws/wallstreetreform-cpa.pdf ; Commodity Exchange Act, U.S. Code, titre 7, chapitre 1, article 6s.

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entité spéciale agissant comme contrepartie a le devoir d’agir dans l’intérêt de celle-ci et est en mesure d’évaluer les transactions et leurs risques.

Les réformes introduites sous l’égide du Dodd-Frank Act ne remettent pas en cause

Toutefois, cette approche n’est pas immuable. Rappelons que le Dodd-Frank Act a recommandé la réalisation d’études par le Government Accountability Office (GAO) pour évaluer l’opportunité d’abroger le Tower Amendment et d’introduire de nouvelles exigences de divulgation. La loi a aussi décrété la tenue d’une étude sur la structure du marché des valeurs mobilières municipales, notamment la transparence des prix, la liquidité et la place des dérivés(34). De son côté, la SEC a mené ses propres travaux donnant lieu à la publication du « Report on the Municipal Securities Market » en 2012. Le rapport formule des propositions de réforme fondamentale qui impliquent tant le Congrès que le MSRB. À terme, le marché des valeurs mobilières municipales pourrait donc être soumis aux régimes du Securities Act of 1933 et du Securities and Exchange Act of 1934(35).

l’approche réglementaire traditionnelle employée à l’égard des obligations municipales.

Bien qu’elles soient notables, les réformes introduites sous l’égide du Dodd-Frank Act ne remettent pas en cause l’approche réglementaire traditionnelle employée à l’égard des obligations municipales selon laquelle celles-ci sont des valeurs mobilières dispensées.

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34. GAO Report : Municipal Securities – Options for Improving Continuing Disclosure, 2012 : http ://gao.gov/ assets/600/592669.pdf ; GAO Report : « Overview of Market Structure, Pricing, and Regulation », 2012 : http : //www.gao.gov/assets/590/587714.pdf. 35. E.B. W, « Regulation of the Municipal Securities Market : Investors Are Not Second-Class Citizens », speech by SEC Commissionner, 28 octobre 2009 ; M.W. W, « S.E.C. Suggests Reforms of Municipal Bond Market », N.Y. Times, 31 juillet 2012 : http ://www.nytimes.com/2012/08/01/business/securges-reforms-of-municipal-bond-market.html ?_r=0. V. aussi Ch.S. C, « Municipal Securities : e Crisis of State and Local Government Indebtedness, Systemic Costs of Low Default Rates, and Opportunities for Reform », (2013) 34, Cardozo Law Review, p. 1455.

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L'encadrement des emprunts souscrits par les mairies au Chili

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L’ENCADREMENT DES EMPRUNTS SOUSCRITS PAR LES MAIRIES AU CHILI Juan M D

Lusitania & V C

Avocat Directeur juridique de l’Asociación chilena de municipalidades

Avocat Docteur en droit privé Juriste de la Superintendencia de Valores y Seguros

La Constitution chilienne exige une autorisation donnée par loi pour que les entités publiques, même autonomes, puissent avoir recours aux prêts fournis par des marchés financiers et plus généralement pour engager la responsabilité financière des organismes étatiques. Le leaseback est donc apparu comme un moyen de satisfaire le besoin de financement de ces entités hors du cadre de la Constitution et avec l’assentiment des autorités chargées de veiller à l’application régulière des lois. Les organismes étatiques chiliens ne sont donc pas à l’abri des contrats spéculatifs.

The Chilean Constitution requires a specific authorization by law so that public entities, even when autonomous, may appeal to loans provided by the financial markets. Such authorization is also required to engage the financial responsibility of governmental bodies. Therefore, the leaseback was created as a mean to satisfy the need for financing, outside the Constitution and with the consent of authorities who are supposed to ensure enforcement of the Constitution and the laws. This demonstrates that our governmental bodies are not immune to speculative contracts.

Ayant pris connaissance des difficultés posées par ce que l’on nomme « emprunts toxiques », nous nous sommes demandés si la même problématique s’était posée dans notre pays ou même s’il était possible qu’elle se pose pour la seule collectivité territoriale, au sens européen, qui existe au Chili : les mairies. Nous avons constaté que, malgré le fait d’être des entités plus autonomes, les mairies sont soumises, en matière d’emprunts, aux mêmes règles que celles qui régissent l’ensemble des organismes étatiques. En effet, pour pouvoir avoir recours aux prêts fournis par des marchés financiers, les mairies ont besoin d’une loi les y autorisant. Cela ne peut que nous étonner, car il est assez connu que le Chili est un pays dont l’ordonnancement juridique témoigne d’une grande confiance dans la capacité du secteur privé à satisfaire les besoins du secteur public (I). Plus curieusement, méconnaissant des dispositions constitutionnelles expresses, les mairies chiliennes ont quand même recours aux marchés financiers, même si les conditions alors posées assurent que le risque de souscrire des emprunts toxiques soit moindre (II).

I. Les nombreuses limites à un recours aux marchés nanciers Les mairies sont, selon le droit chilien, des entités à but non lucratif, autonomes, de droit public, qui détiennent la personnalité juridique et ont un patrimoine propre(1). 2014/2

Malgré ces caractéristiques, elles ne sont pas vraiment autonomes en ce qui concerne leur administration économique. En effet, au moins s’agissant de la souscription des emprunts, elles sont soumises au même encadrement que des organismes appartenant à l’administration étatique. Cela se traduit par une forte influence de la direction nationale de budget et par la soumission au décret-loi d’administration financière de l’État(2). L’encadrement est très fort, car il est imposé par des normes d’ordre constitutionnel (A), dont on peut douter de la cohérence à l’égard d’autres principes aussi d’ordre constitutionnel (B).

A. Les limites d’ordre constitutionnel La Constitution politique chilienne pose plusieurs limites qui empêchent les mairies de souscrire des emprunts. Le principe est directement posé à l’article 63, lequel encadre les matières qui doivent faire l’objet d’une loi, étant précisé que ces lois sont de l’initiative exclusive du président de la République(3). Parmi ces matières, l’article vise : « L’autorisation donnée à l’État, à ses orga1. 2.

3.

Article 118 de la Constitution. Le décret-loi n 1.263 date de 1975, c’est-à-dire qu’il a été émis par le gouvernement militaire. Il a le caractère d’une loi organique constitutionnelle, en conséquence, ses modifications ont besoin d’un quorum de 4/7 des députés et sénateurs en exercice. Article 65, 3°, de la Constitution.

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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

nismes et aux mairies pour souscrire des emprunts ». En outre, la Constitution pose des limites aux emprunts autorisés : d’abord, il faut que les crédits soient destinés à financer des projets déterminés ; ensuite, il faut que la loi qui donne l’autorisation se prononce sur la source des fonds qui permettront le remboursement du crédit. Enfin, et en directe liaison avec le sujet qui préoccupe les Européens, la Constitution ordonne que lorsque l’emprunt souhaité contient un délai pour le paiement, excédant la fin du mandat présidentiel, il est nécessaire que la loi l’autorisant soit adoptée à un quorum qualifié, c’est-à-dire qu’elle doit être autorisée par la majorité absolue des députés et sénateurs en exercice. En plus, le 8° du même article exige la promulgation d’une loi pour autoriser n’importe quelle opération qui puisse engager de façon directe ou indirecte le crédit ou la responsabilité financière de l’État, de ses organismes et des mairies(4), et aussi pour aliéner les biens de l’État ou des mairies ou pour les louer ou les donner en concession. Une intéressante application des normes citées a été faite par le contrôleur général de la République dans une décision de 2010(5). Parmi d’autres, le contrôleur analyse l’affaire suivante : la mairie était endettée en vertu d’un contrat de services qu’elle n’avait pas pu payer(6) ; étant condamnée par les tribunaux à payer les sommes dues, un tiers lui propose de payer la dette, et de se substituer à l’entreprise de services, en échange d’une certaine somme. Considérant que les règles applicables à la souscription des emprunts n’avaient pas été respectées, et que la somme payée au tiers consistait dans des intérêts, le contrôleur décide de poursuivre devant les tribunaux la responsabilité des personnes qui étaient intervenues dans ledit paiement, c’est-à-dire, les fonctionnaires de la mairie. Cette conclusion est discutable, car, s’agissant d’un contrat souscrit avec infraction à la loi, sa nullité aurait pu être demandée aux tribunaux, plutôt que la responsabilité des fonctionnaires.

B. Un encadrement cohérent ? L ’encadrement des emprunts au Chili nous étonne à plusieurs titres. Il semble en effet méconnaître la confiance dans la capacité du secteur privé à satisfaire des besoins publics, confiance qui trouve un fondement constitutionnel dans le principe de subsidiarité(7) 4. 5. 6.

7.

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Exceptée la Banque centrale. Oficio n 3607 émis dans le cadre d’un audit réalisé à la mairie de la ville d’Ovalle. Selon le contrat signé, l’entreprise X s’engageait à louer un certain nombre de lanternes d’éclairage public, les faire installer, enlever les anciennes, entretenir les nouveaux équipements, etc., puis donner les nouvelles lanternes à la mairie. Sur ce principe, v. M.L. G, « La disciplina constitucional del principio de subsidiariedad en Italia y Chile » (« e principle of subsidiarity : its constitutional discipline in Italy and Chile »), Revista de Derechode

consacré par la Constitution politique dans l’article 1, paragraphe 3, en rapport avec l’article 19, 21°. Selon la première des normes citées « L’État reconnaît et protège les corps intermédiaires à travers lesquels la société est structurée et garantit leur autonomie pour répondre à leurs propres fins », alors que l’article 19, 21°, leur garantit le droit à développer toute activité économique qui ne soit pas contraire à la morale, l’ordre public ou la sécurité nationale, en respectant les lois qui les régissent. Selon la même norme ni l’État ni ses organismes ne peuvent développer des activités économiques ou ne peuvent participer à ce genre d’activités que si une loi adoptée à un quorum qualifié les y autorise. Dans ce dernier cas, les activités seront soumises aux mêmes règles que celles applicables aux particuliers. En effet, les marchés financiers sont un moyen de satisfaire le besoin public de financement ; cependant, avec l’interdiction d’emprunter de l’argent, la Constitution nous dit que ce qui est bon pour le secteur privé ne l’est pas pour le secteur public.

Avec l’interdiction d’emprunter de l’argent, la Constitution nous dit que ce qui est bon pour le secteur privé ne l’est pas pour le secteur public.

Cette lecture se voit confirmée par le 9° du même article 63 de la Constitution, selon lequel relèvent de la loi les normes fixant les conditions dans lesquelles les entreprises de l’État et celles dans lesquelles celui-ci a une participation peuvent souscrire des emprunts. Ces emprunts, selon l’article cité, ne peuvent pas être souscrits par l’État, ses organismes ou ses entreprises. De cette façon, les entités publiques, dont les mairies, ne peuvent pas avoir recours aux emprunts privés sans une loi les y autorisant, alors que les entreprises publiques, qui sont des entités à but lucratif, sont obligées de passer par les marchés financiers. Enfin, l’exigence d’une loi prise à un quorum qualifié pour autoriser les emprunts dont le délai pour le paiement excède la fin du mandat présidentiel n’est pas cohérente : dans la mesure où c’est la mairie qui est l’entité engagée par le crédit, il semble plus raisonnable de pola Pontificia Universidad Católica de Valparaíso, XXXIII, Valparaíso, Chili, deuxième semestre 2009, pp. 391-426 : http ://dx.doi.org/10.4067/S0718-68512009000200011.

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ser des exigences supplémentaires lorsque le délai pour le paiement excède la fin du mandat du maire. En effet, le mandat présidentiel ne coïncide pas avec celui des maires. L’interdiction contenue dans l’article 63, 7°, de la Constitution politique de 1980 était déjà établie dans la Constitution politique de 1925, mais elle ne comprenait pas les mairies. Sans explication particulière, un des membres de la commission chargée d’établir un nouveau texte (M. Carmona) a proposé d’inclure les mairies qui, en l’absence d’une disposition expresse, et s’agissant d’entités autonomes, étaient exclues de l’interdiction. Il est intéressant de remarquer les arguments avancés, pour interdire le recours aux marchés financiers, et qui ont été émis par les membres de la Commission chargée de l’élaboration de la Constitution. En général, on a dit que permettre l’endettement pour financer des projets spécifiques était avantageux, car cela allait permettre à l’État de satisfaire des besoins ponctuels, sans attendre d’avoir toutes les ressources nécessaires pour cela. Par contre, permettre le recours aux marchés financiers de manière générale reviendrait à résoudre les problèmes actuels au détriment des générations futures(8). Quoi qu’il en soit, les contentieux nés en Europe dans ce domaine démontrent que les risques mis en évidence par les élaborateurs de la Constitution de 1980 n’étaient pas erronés. Nous remarquons aussi que, compte tenu de la clarté du texte constitutionnel, la loi organique des municipalités ne contient pas de dispositions concernant les emprunts(9). Cependant, son article 140 élargit l’interdiction constitutionnelle de souscrire des emprunts aux associations des mairies, ce qui discutable, car elles ont le caractère d’entités privées. En plus, elle n’ajoute aucune exception permettant de trouver des moyens de financement à travers les emprunts. L’encadrement juridique exposé laisse les mairies dans une situation de difficulté évidente lorsqu’il s’agit d’obtenir un financement, surtout à long terme. En effet, la procédure pour obtenir la promulgation d’une loi à un quorum qualifié est loin d’être aisée. En réponse à ces difficultés, les maires ont eu recours à la figure du crédit-bail ou leaseback, en vertu de laquelle la mairie vend un bien à l’entité qui fournit les fonds et devient, en même temps, locataire de celle-ci. Le contrat comporte une option d’achat du bien loué qui permet in fine aux mairies de récupérer le bien à un prix fixé préalablement.

faut en effet rappeler que l’article 63, 8°, de la Constitution exige la promulgation d’une loi pour aliéner, louer et donner en concessions les biens des mairies. Cependant, le recours à ces opérations est finalement accepté, car le régime constitutionnel exposé est inadapté aux besoins publics. Quoi qu’il en soit, les opérations de leaseback sont soumises à un régime assez strict (A) ; cependant, l’existence même de ces opérations comporte un risque qui démontre que nous ne sommes pas à l’abri des contrats spéculatifs (B).

A. Le régime entourant le leaseback

Le recours au leaseback est, bien sûr, contestable, car il méconnaît les exigences posées par la Constitution : aucune loi à quorum qualifié ne permet le prêt ou le bail. Il

Les mairies ne sont pas les seuls organismes ayant recours au leaseback. Cela explique l’existence d’un certain soutien légal à cette figure, à travers l’article 14 de la loi de responsabilité fiscale(10). Selon cette loi, certains organismes, parmi lesquels les mairies, ont besoin d’une autorisation préalable du ministère de Finances pour s’engager par des contrats de bail avec option d’achat ou pour souscrire un contrat quelconque donnant lieu à des obligations de payer dans le futur pour la propriété ou pour l’usage ou la jouissance des biens et des services. Un règlement du même ministère établit les opérations qui seront assujetties à cette autorisation préalable, ainsi que les procédures et conditions pour pouvoir faire usage de ce mécanisme. Le ministère des Finances a fixé les conditions selon lesquelles les mairies peuvent souscrire ce genre de contrats dans une norme réglementaire(11). En ce qui concerne les conditions que les mairies doivent remplir pour avoir recours à ce genre de prêts avec l’autorisation du ministère des Finances, il faut : qu’elles ne présentent pas de déficits économiques ; que le flux de leurs ressources économiques leur permette de régler leurs dettes dans les délais prévus pour l’opération ; que la mairie ne présente pas de dettes en matière de cotisations ou à l’égard de fournisseurs. Il faut enfin, un accord du Conseil de la mairie. D’autres conditions sont fixées en raison du bien qu’on veut acquérir. De cette façon, et à titre d’exemple, pour acquérir des biens meubles, le délai conféré pour le paiement du leaseback doit être compris dans la période du mandat du maire. S’il s’agit d’immeubles, la période doit être comprise entre cinq ans et dix ans. Il est possible d’autoriser un leaseback avec un délai supérieur dans la mesure où la mairie fournit des antécédents qui démontrent que l’acquisition du bien se traduira par une diminution des dépenses ou par une augmentation des ressources qui justifie l’augmentation des délais de paiement. Comme il s’agit d’une opération par laquelle une entité fournit des fonds à un tiers, elle est soumise aux règles qui régissent les banques, ainsi qu’à d’autres règles plus spécifiques. Pour cette raison, seules les banques qui

8. 9.

10. Loi n 20.128 du 30 septembre 2006. 11. Oficio n 135 du 9 janvier 2004.

II. Le leaseback : remède ou moyen de contourner la loi ?

Argument de M. Guerrero Fiscal de la Banque centrale. Ley orgánica constitucional de municipalidades.

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L'encadrement des emprunts souscrits par les mairies au Chili


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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

ont obtenu une autorisation préalable du régulateur des banques (la Superintendencia de bancos e instituciones financieras, SBIF) peuvent fournir ce genre de prêts et, pour l’obtenir, elles doivent remplir plusieurs conditions. Ainsi, elles doivent respecter des règles concernant les seuils de solvabilité(12), elles doivent être qualifiées dans les tranches les moins à risque en matière de gestion et de solvabilité et elles doivent rendre une étude de faisabilité économique et financière. Mais il est évident que l’objet des dernières règles citées vise seulement la protection de l’activité bancaire et pas celle de leurs clients-débiteurs.

B. Le maintien du risque de spéculation Nous avons vu que la Constitution chilienne interdit, en principe, la souscription des emprunts et aussi la souscription de n’importe quelle opération qui puisse engager de façon directe ou indirecte le crédit ou la responsabilité financière de l’État, de ses organismes et des mairies (article 63, 8°) ; dans cette dernière interdiction on peut considérer incluses les opérations d’ordre spéculatif. L’exception, c’est-à-dire, l’autorisation pour que ces opérations puissent avoir lieu en respectant la Constitution, est soumise à un régime contraignant, puisqu’elle a besoin de la promulgation d’une loi adoptée à un quorum qualifié. Autrement dit, la responsabilité finale est transférée au Congrès. Nous avons vu aussi, que le leaseback, même s’il est inconstitutionnel, est soumis à de nombreuses conditions qui ont empêché les abus. Ce sont les principales différences avec le régime existant en France, dont le caractère non contraignant a été mis en évidence(13). 12. Article 66 de la Ley General de Bancos. 13. P. P, « L’efficacité du contrat financier conclu par une collectivité territoriale est subordonné à une infor-

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Cependant on ne peut pas s’empêcher de penser que si les mairies ont trouvé dans le leaseback un moyen de satisfaire leurs besoins de financement hors du cadre de la Constitution, le même raisonnement pourrait être utilisé pour permettre le recours à des contrats dits de couverture de risque, mais qui peuvent aisément devenir des contrats spéculatifs. Le risque est encore plus fort si on considère que lorsque notre organisme contrôleur a eu l’opportunité d’agir contre ce genre de contrats(14), il a demandé la responsabilité des fonctionnaires au lieu de demander directement la nullité du contrat.

On pourrait penser être à l’abri des contrats spéculatifs.

En conclusion, l’encadrement du régime financier de nos entités publiques est si restrictif qu’on pourrait penser être à l’abri des contrats spéculatifs. Cependant, le recours contestable au contrat de leaseback, même s’il est considéré nécessaire et même si on peut l’estimer assez encadré, permet de craindre ce qu’il pourrait arriver si les spéculateurs se souviennent un jour de ce coin du monde.

mation renforcée de la banque », Bull. Joly Bourse, 1 octobre 2013, n 10. Nous visons notamment la circulaire interministérielle du 15 septembre 1992 et précédant les réformes introduites par la loi de régulation bancaire et financière. 14. V. la décision citée supra, note 5.

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Conseils locaux et produits d'investissement toxiques, décision de la justice australienne concernant le rôle d'une agence de notation

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CONSEILS LOCAUX ET PRODUITS D’INVESTISSEMENT TOXIQUES, DÉCISION DE LA JUSTICE AUSTRALIENNE CONCERNANT LE RÔLE D’UNE AGENCE DE NOTATION

Natacha P AMF Direction de la régulation et des affaires internationales Division régulation des sociétés cotées

En novembre , la Cour fédérale d’Australie rendait sa décision dans une affaire qui opposait des collectivités locales à un certain nombre de prestataires de services financiers suite aux pertes qu’elles avaient réalisées lors d’investissements dans des produits structurés qui se sont révélés toxiques. Dans cet arrêt, la Cour a notamment reconnu qu’une agence de notation de crédit portait une responsabilité conjointe avec les autres défendeurs (la banque qui avait agi comme arrangeur de ces produits, et le prestataire de services d’investissement qui les avait vendus aux conseils) pour ces pertes. Elle a retenu la faute de l’agence à double titre : d’une part, celui d’une conduite trompeuse et mensongère et, d’autre part, celui du manquement au devoir de précaution qui aurait dû être exercé au regard du comportement raisonnable attendu d’un agence de notation en tant qu’expert professionnel en général. L’agence de notation avait alors indiqué son intention de faire appel et, début , le verdict était donc en appel.

In November , the Federal Court of Australia gave a ruling in a case that had been opposing local councils to a number of financial services providers following losses the former had made after investing in structured products which had turned out to be toxic. In particular, the Court found in its decision that a credit rating agency was jointly liable with the other defendants (the bank which had arranged the products and the financial services provider that had marketed them to the councils) in respect of these losses. The Court also found that the rating agency’s liability was twofold : on the one hand the agency had had a misleading and deceptive conduct and on the other hand it was in breach of a duty of care that should have been exercised in accordance with the reasonable conduct expected from a rating agency acting as professional expert. At the time, the rating agency indicated its intention to appeal and early  the above ruling was in appeal.

Introduction La crise des emprunts toxiques qui a affecté les collectivités locales françaises s’inscrit dans le contexte particulier de la décentralisation dans lequel elles ont dû apprendre à utiliser – de manière parfois malheureuse – leurs nouvelles prérogatives, notamment de gestion budgétaire et de gestion de leur dette. Leur manque d’expertise financière leur a alors fait défaut, posant également la question du devoir d’information et de conseil des banques auprès desquelles elles ont souscrit ces emprunts. Il n’est donc pas étonnant que beaucoup de collectivités locales en difficulté aient cherché réparation auprès des juridictions civiles françaises sur le fondement d’un manquement des banques à leur devoir d’information et de conseil. L’asymétrie d’information constatée dans ce cadre constitue un élément commun avec les problèmes rencontrés par certaines collectivités locales en Australie – même si ceux-ci se sont manifestés dans une situation différente – s’agissant en effet non pas d’endettement, mais de souscription d’investissements complexes. Un arrêt du juge Jagot de la Cour fédérale australienne 2014/2

(CFA) a été rendu le 5 novembre 2012(1) en faveur des conseils locaux de treize municipalités australiennes de Nouvelle-Galles du Sud (les conseils). Ce cas complexe, qui établit la responsabilité conjointe de plusieurs acteurs, a été décrit à l’époque comme pouvant faire jurisprudence en matière de responsabilité des agences de notation. La lecture de cette décision très détaillée et technique de 1 500 pages, qui recouvre plusieurs actions liées à une affaire principale, montre que la CFA a établi la responsabilité conjointe de trois acteurs à hauteur d’un tiers chacun du montant de pertes (estimées à environ 16 millions AUD) qui avaient été réalisées par les collectivités locales à l’occasion de leur investissement dans un produit complexe. Ces trois acteurs sont : – la banque d’investissement ABN Amro Bank NV (ABN), qui avait structuré et « originé » le produit ; – l’agence de notation Standard and Poor’s (S&P), qui l’avait noté ; – le fonds de gestion Local Government Financial Services (LGFS), un fonds spécialisé dans la ges1.

Bathurst Regional Council v. Local Government Financial Services Pty Ltd (No. 5) [ 2012 ] FCA 1200.

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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

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tion des actifs des municipalités et collectivités locales en Australie qui avait acheté lui-même le produit et en avait (re)vendu une partie aux conseils.

La CFA a établi la

I. Négligence de S&P au regard de son devoir de précaution et conduite trompeuse et mensongère A. Première phase – Titres Rembrandt 2006-2

responsabilité conjointe de trois acteurs à hauteur d’un tiers chacun du montant de pertes (...) qui avaient été réalisées par les collectivités locales.

L’objet de cet article est d’examiner la manière dont la CFA a déterminé le rôle de l’agence de notation S&P dans la chaine de responsabilité. À l’occasion de cet arrêt, la Cour fédérale australienne a établi la responsabilité de S&P pour absence de précaution raisonnable dans l’attribution de la notation (I) ainsi que pour conduite trompeuse et mensongère et fausses déclarations (II). Les conseils ainsi que LGFS ont intenté une action à l’encontre de S&P sur le fondement de deux motifs qui sont (i) une conduite trompeuse et mensongère et (ii) la négligence concernant les notations attribuées à deux produits complexes d’ABN entre septembre et novembre 2006, les titres obligataires « notes Rembrandt 2006-2 » et « Rembrandt 2006-3 CPDO » (CPDO ou titres Rembrandt). La plupart des faits qui sous-tendent ces deux cas sont identiques, même si le contexte diffère. Sont présentés ici essentiellement les éléments de la requête des conseils qui ont permis à la Cour fédérale australienne d’établir la négligence de S&P. Ayant également poursuivi S&P dans cette affaire pour les mêmes motifs que les conseils, LGFS a néanmoins pour sa part été reconnue responsable dans la chaîne de distribution d’une violation de son obligation fiduciaire à l’égard des conseils. La juge a toutefois estimé que LGFS était fondé à rechercher la responsabilité de S&P (ainsi que d’ABN jugée proportionnellement responsable à 50 %) selon des motivations qui ne sont pas reprises ici.

a) La juge australienne s’est prononcée « à dire d’expert », afin d’établir de quelle manière le produit aurait dû être noté raisonnablement par un professionnel expert de la notation. Pour déterminer la notation que le CPDO méritait : – il était nécessaire de modéliser sa performance en utilisant une méthode qui permette de simuler un nombre important de scénarios(2) ; – dans tous les cas, une agence de notation raisonnablement compétente devait se fonder sur une modélisation de la performance en fonction d’une gamme de facteurs ou conditions de marché à la fois raisonnablement anticipés et attendus (c’està-dire non stressés) ainsi qu’exceptionnels mais plausibles (c’est-à-dire stressés). b) Or, la cour a constaté que les conditions pour établir une notation sur des bases raisonnables et après l’exercice d’une prudence raisonnable n’étaient pas remplies. En premier lieu, ABN avait recruté d’anciens employés de S&P et connaissait le type de procédures, méthodes et critères qui pourraient être employés pour noter son (nouveau) produit. Elle savait ainsi que les résultats d’une modélisation par la méthode de Monte Carlo devaient atteindre un certain niveau de taux de défaut (à savoir, inférieur à 0,728 %) pour obtenir une notation AAA. Cherchant à modéliser la performance en ce sens, ABN avait imaginé et modélisé un type de produits pour lequel il était clairement difficile d’obtenir une bonne notation (des CPPI) et a donc ensuite altéré ce produit en inversant le fonctionnement de certaines caractéristiques pour en faire un nouveau produit (le CPDO) avec une modélisation qui rendait la performance sensible à un certain nombre de facteurs(3). ABN avait alors déterminé une série de valeurs qui permettait d’obtenir un taux de défaut modélisé garantissant l’attri2.

3.

42

Typiquement, il avait été nécessaire de conduire une simulation Monte Carlo pour tester la performance du produit en fonction de l’évolution des spreads, des indices sous-jacents au produit, qui elle-même dépendait de l’interaction de certains facteurs clés, à savoir (i) le spread moyen à long-terme, (ii) la volatilité, (iii) la vitesse moyenne d’inversion, et (iv) la pente de la courbe. C’est-à-dire la corrélation positive entre la performance du CPDO et (i) le spread de départ, (ii) les spreads de moyen à long terme ; (iii) la vitesse moyenne d’inversion, et la corrélation négative entre la performance du CPDO et (iv) la volatilité ; (v) le taux de défaut sur les entités de référence.

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bution d’un AAA(4). Elle avait dans cet objectif choisi la valeur de certains des paramètres de manière optimiste et non stressés (en particulier pour le spread moyen à long terme et la volatilité). En outre, ABN avait inclus dans sa modélisation l’hypothèse d’un facteur positif supplémentaire, favorable à la performance du produit (via un bénéfice présupposé dit roll-down benefit (RDB) lors du passage entre deux indices de référence(5))(6). c) En juillet 2006, ABN a ensuite engagé S&P pour qu’elle note ces produits, et lui a fourni les codes de modélisation que cette dernière a utilisés avec quelques ajustements, mais sans altérer fondamentalement le modèle (en conservant ainsi l’hypothèse favorable du roll-down benefit). Surtout, ABN a fait pression sur l’agence afin que cette dernière adopte la série de valeurs qu’ABN avait déterminée pour la notation, c’està-dire la combinaison (36 bps, 100 bps, 40 %, 25 %), y compris pour qu’elle change sa position initiale sur certains paramètres (volatilité et spread moyen à long terme), qui n’aurait autrement pas permis d’obtenir l’attribution d’un AAA au produit. À cette occasion, ABN s’est notamment appuyée sur la communication d’une valeur de volatilité actuelle moyenne sur l’indice depuis sa création qui était fausse (soit 15 % au lieu de 28 % en réalité). Après de nombreux échanges et pressions, S&P a fini par se fier à cette valeur fournie par ABN, sans jamais la recalculer par elle-même. De surcroit, S&P a même fini par utiliser comme hypothèse de volatilité cette valeur fournie par ABN (c’est-à-dire 15 %) au lieu d’utiliser la valeur qu’elle entendait initialement utiliser (soit 35 %), ou bien celle choisie par ABN dans son 4.

5.

6.

Combinaison de valeurs (36 bps, 100 bps, 40 %, 25 %), c’est-à-dire spread de départ : 36 bps ; spread de moyen à long terme : 100 bps ; vitesse moyenne d’inversion : 40 % et volatilité : 25 %. La stratégie du CPDO est de vendre une protection sur un indice de crédit de référence existant, dit indice on-the-run. Cependant le principe de fonctionnement de ces indices crédit est tel qu’ils « roulent » (roll) tous les six mois, c’est-à-dire que leur composition est revue afin de refléter un ajustement des références individuelles qui forment le panier de l’indice en fonction des dégradations en deçà du seuil investment grade, ou en fonction de la liquidité de leur CDS. Dès lors, le CPDO, de par sa stratégie, « roule » lui-même tous les six mois en quittant le contrat de protection (rachat de la protection vendue) sur l’indice devenu off-the-run, pour entrer dans un nouveau contrat de protection (protection vendue) sur le nouvel indice on-the-run. Ce roulement peut donner lieu à un gain ou à un coût pour le CPDO selon l’évolution combinée du coût de protection en cours de vie de l’ancien indice et du nouvel indice par rapport à l’ancien. ABN omettait ainsi d’autres phénomènes qui pouvaient avoir un effet contraire sur la performance (cf. supra, note 4). Ainsi, l’hypothèse positive de RDB entre l’ancien et le nouvel indice, fondée sur une hypothèse d’une courbe des spreads à tendance haussière entre ces deux indices, n’est pas nécessairement établie. Il a été montré qu’une telle hypothèse peut avoir des conséquences dramatiques sur la notation, en effet a contrario le RDB peut aussi être réduit (voire négatif) si la structure par terme des spreads sur l’indice s’aplatit (voire même s’inverse).

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modèle (soit 25 %). Or, la cour considère cette hypothèse, qui ne correspondait pas à la réalité historique de l’époque, comme basse, « de manière déraisonnable et injustifiée », et comme ne représentant ni des conditions raisonnablement anticipées ou attendues, ni exceptionnelles mais plausibles. De plus, S&P en considération de spreads relativement bas sur les indices à l’époque, a fait le choix d’utiliser une valeur plus basse pour le spread moyen à long-terme, et a introduit une distinction estimée « arbitraire, irrationnelle et déraisonnable » par la cour dans les valeurs retenues pour ce paramètre (l’estimant à 40 % à un an, et à 80 % au-delà), différenciation sans laquelle, toutes choses égales par ailleurs, le CPDO n’aurait pas obtenu un AAA. Alors que les résultats de certaines modélisations conduites par S&P montraient que le CPDO pouvait ne pas honorer ses paiements (avec un phénomène de débouclement, dès lors qu’il avait perdu 90 % de sa valeur nette) dans de nombreuses circonstances (notamment dans un cas d’écartement des spreads), S&P n’a pas tenu compte de l’évolution de la performance du produit au regard d’une gamme de facteurs ou conditions de marché à la fois raisonnablement anticipés et attendus (c’est-à-dire non stressés) ainsi qu’exceptionnels mais plausibles (c’est-à-dire stressés). En conséquence, la cour a conclu que la modélisation et l’attribution de la note AAA durant l’été 2006 à la première série du produit par S&P : – n’avaient pas de fondements raisonnables ; – n’étaient pas le résultat de l’exercice de la prudence raisonnable qu’aurait dû exercer une agence de notation raisonnablement compétente (au regard de l’expertise qu’elle devrait exercer dans l’expression d’une opinion sur le risque de défaut).

La cour a estimé que S&P avait fait preuve de négligence dans son devoir de précaution.

d) Dès lors, la cour a estimé que S&P avait fait preuve de négligence dans son devoir de précaution. En effet, en attribuant un AAA, S&P a communiqué et s’est ainsi engagée sciemment envers les investisseurs existants et potentiels sur les déclarations qu’elle faisait (un AAA signifiant notamment pour elle la meilleure note possible en termes de capacité de remboursement). Cette déclaration et communication valaient par la même occasion engagement de S&P quant au fondement raisonnable des conclusions auxquelles elle avait abouti et quant

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Conseils locaux et produits d'investissement toxiques, décision de la justice australienne concernant le rôle d'une agence de notation


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L’État face à sa dette et aux emprunts toxiques de ses autorités régionales et locales

au fait qu’elle avait exercé une prudence et des compétences raisonnables pour ce faire. En outre, les faits établissent que S&P savait qu’ABN diffuserait le AAA à une classe d’acheteurs potentiels du produit en Australie (et l’y avait expressément autorisé avant même d’avoir publié son rapport final). En parallèle, engagée pour noter une deuxième série (titres Rembrandt 2006-2), S&P a utilisé le même modèle et les mêmes fondements que pour noter la première série. En particulier, lorsque la notation a finalement été attribuée début septembre 2006, S&P n’a pas reconsidéré les paramètres utilisés. Non consciente, semble-t-il à ce stade, de la sensibilité de la performance à ce paramètre, elle avait notamment utilisé la valeur du spread de départ, alors même que celui-ci avait effectivement changé.

B. Seconde phase – Titres Rembrandt 2006-3 a) Plus tard encore, ABN a structuré une troisième série (titres Rembrandt 2006-3) à la demande d’un investisseur unique (qui lui-même avait l’intention de le revendre à ses clients), LGFS. Ce dernier avait acheté une partie de la deuxième série et était à la recherche de produits AAA à fort rendement. Les faits ont contribué à établir que lorsqu’elle a été engagée en connaissance de cause, S&P avait réalisé que l’hypothèse de volatilité devait être modifiée (soit alors 29 % au lieu de 15 %, utilisés de manière incorrecte pour les autres séries). Toutefois, début novembre 2006, elle a attribué un AAA à la nouvelle série en s’en tenant aux hypothèses existantes. Elle n’a ainsi pas conduit de nouvelle modélisation, bien qu’elle ait su, d’une part, que l’environnement de spread avait changé, d’autre part, que son hypothèse de volatilité ne pouvait plus être utilisée. De nouveau, la cour conclut alors qu’une agence de notation raisonnablement compétente n’aurait pas pu attribuer un AAA dans les conditions où S&P l’a fait respectivement pour les séries 2 et 3. En outre, S&P savait qu’ABN disséminerait une nouvelle fois cette note AAA à une classe d’acheteurs potentiels pour ce produit. b) La cour considère ainsi que les engagements de S&P communiqués au travers de ces notations : – étaient trompeurs et mensongers, susceptibles de tromper ou duper ; et – donnaient lieu à la publication d’informations et de déclarations fausses dans leurs éléments essentiels, et trompeuses de manière matérielle. c) Elle souligne en outre un contexte dans lequel S&P savait (ou aurait dû savoir) qu’elle n’avait pas de fondements raisonnables pour attribuer un AAA et dans lequel elle a manqué à l’exercice d’une précaution raisonnable pour arriver à ce résultat. Par ailleurs, bien que la cour ne se serve pas de ces éléments pour motiver sa décision, on peut relever un certain nombre d’autres faits qu’elle a pu établir à l’occasion de cet arrêt. Les détails de l’affaire montrent ainsi que, bien que S&P avait dé44

veloppé son propre modèle quantitatif interne (modèle interne) et avait conduit ses propres analyses de sensibilité, elle n’a jamais conduit ses propres back-testings ou validations sur la base de données historiques, mais a utilisé ceux qu’elle demandait à ABN Amro de lui fournir.

II. Lien de causalité avec le dommage et responsabilité civile de S&P Au regard des différentes fautes établies par la CFA, la juge a reconnu successivement un préjudice, des fautes et un lien de causalité entre eux. Il a ainsi été établi que le dommage est constitué par la perte économique des conseils lorsque le CPDO (troisième série) a été débouclé alors qu’il avait perdu 90 % de sa valeur nette. Les fautes de S&P ont été considérées comme relevant à la fois de : – sa négligence, qui n’aurait pas été commise par une agence de notation raisonnable et avisée et par laquelle elle a attribué sciemment un AAA aux titres Rembrandt ; – et de ce fait, sa conduite trompeuse et mensongère, comme ses déclarations fausses et trompeuses, qui constituent une infraction aux soussections 1041E et 1041H de la loi australienne sur les sociétés (Corporations Act), permettant une action civile en dommages-intérêts. Enfin, ces fautes ont été déterminées comme l’une des causes du préjudice des conseils. Le juge a en effet tranché que si elles ne constituaient pas une raison substantielle, elles représentaient une condition nécessaire, conjointement avec la négligence de LGFS, de la perte subie par les conseils. Les raisons principales en sont que : – S&P avait en particulier pour obligation d’exercer une prudence raisonnable dans l’attribution d’une notation ; – S&P savait en outre (ou aurait dû savoir) que les investisseurs potentiels (dont LGFS qui a acheté les titres et en a revendu une partie aux conseils) se fieraient à sa notation en tant que communication de son opinion sur la qualité de crédit ou le risque de défaut du CPDO.

Conclusion En 2012, la CFA, juridiction civile, s’est prononcée sur la conduite qui avait amené à déterminer la méthode utilisée pour établir cette notation ainsi que son résultat, considérant notamment que cette note ne résultait pas de l’exercice d’un comportement de prudence raisonnable. Examinant la responsabilité de S&P, elle a donc estimé que la faute relevait à la fois d’une tromperie commise en pleine connaissance de cause (ou par

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insouciance car l’agence aurait dû savoir) et d’une négligence au regard de ce qui est attendu d’un expert professionnel en général. Elle a en conséquence décidé que S&P, conjointement avec LGFS et ABN Amro (dont les fautes respectives ont également été établies pour d’autres motifs dans cette affaire), étaient redevables de verser chacun 33 1/3% des dommages et intérêts des Conseils (ces derniers ayant droit à une compensation du montant nominal de leur investissement

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respectif dans les notes Rembrandt, diminué du montant à leur remboursement à la sortie 2007, sans déduction des coupons reçus, augmenté d’intérêts depuis la date de sortie). En 2012, l’agence de notation avait indiqué qu’elle procéderait à un appel. Le 3 mars 2014 s’est ouverte une audience en appel qui devait être suivie de la plaidoirie jusqu’à fin mars. Le prononcé de la décision ne devrait intervenir que dans les mois qui suivront.

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Conseils locaux et produits d'investissement toxiques, décision de la justice australienne concernant le rôle d'une agence de notation



C



I. Régulation financière Chronique sous la direction de Katrin D

Anastasia S

&

Maître de conférences à l’Université de Paris Ouest La Défense

Maître de conférences à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Avec la collaboration de

Fadi N

Régis V

Professeur de droit à l’Université du Luxembourg

Professeur à l’Université de Bourgogne

Georgios P Dr. jur., MJur (Oxford), Lecturer at the University of essaloniki

&

Pauline P Professeur à l’Université de Reims

Cette chronique traite de plusieurs sujets d’actualité en droit des marchés financiers à l’échelle européenne et dans différents États. Le volet européen de cette chronique regroupe les commentaires de deux importantes décisions des juridictions européennes : l’arrêt de la C.J.U.E. du  janvier , rendu dans l’affaire C-/ opposant le Royaume-Uni aux Conseil et Parlement européens, et l’arrêt de la CEDH du  mars , rendu dans l’affaire Grande Stevens et autres c/ Italie. Dans la première affaire, la C.J.U.E. a rejeté le recours en annulation formé contre le règlement n° / du  mars  encadrant les ventes à découvert et octroyant des pouvoirs spécifiques à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Ce recours avait été introduit par le Royaume-Uni afin de limiter l’influence de l’AEMF et préserver les compétences des autorités nationales. Les arguments juridiques soulevés par la requérante contestant « la base juridique » du règlement ont été écartés d’une manière discutable par la C.J.U.E. Dans la seconde affaire, la CEDH a condamné l’Italie pour avoir infligé de manière cumulée des sanctions administratives et pénales pour manipulation du marché, violant ainsi le principe « non bis in idem ». Aux termes de cette décision, les nouvelles poursuites concernant une seconde « infraction » ayant pour origine des faits identiques à ceux qui avaient fait l’objet de la première condamnation définitive constituent une violation de l’article  du Protocole n°  de la Convention eur. D.H. Les sujets abordés dans le volet comparatiste de la chronique concernent la régulation de certains acteurs et/ou opérations financiers ayant un impact sur la stabilité du système financier et l’épargne des investisseurs. Plus précisément, seront abordés dans ce volet de la chronique : – Le Fonds grec de stabilité nancière. Ce fonds a été établi en  à la suite de la crise financière affectant la Grèce afin de sauvegarder la stabilité systémique du secteur bancaire. Ayant pour mission la recapitalisation des banques et la restructuration du système bancaire, le Fonds grec de stabilité financière est devenu un important acteur de la vie publique grecque. – La nouvelle régulation libanaise de crowdfunding. Le crowdfunding est une nouvelle technique de financement des petites et moyennes entreprises souhaitant lever des fonds et, en particulier, des jeunes entreprises à fort potentiel de croissance, fondée sur la souscription du grand public à leurs parts sociales. Depuis le  juin , le crowdfunding est réglementé au Liban.

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Chroniques

I. Régulation financière

This chronicle reports on topical issues at the moment in the field of financial markets law at European level and in different countries. The part of the chronicle on European regulation contains reviews of two important decisions of European Courts : the ECJ judgment of  January  in Case C-/, UK v. Parliament and Council, and the ECHR judgment of  March  in Case Grande Stevens and others v. Italy. In the first case, the ECJ dismissed the action for annulment of Regulation No. / of  March  on short selling, which granted specific powers to the European Securities and Markets Authority (ESMA). This action was brought by the United Kingdom seeking limitation of the influence of ESMA and preservation of the powers of national authorities. The legal arguments raised by the applicant, challenging the ”legal basis” of the regulation, were dismissed by the ECJ in a questionable manner. In the second case, the ECHR condemned Italy for having cumulated administrative and criminal sanctions on market manipulation and thus violating the principle of ”non bis in idem”. It ruled that new proceedings concerning a second “offence” originated in identical events to those that had been the subject-matter of the first and final conviction, amounted to a violation of Article  of Protocol No. . The topics covered in the comparative part of the chronicle concern the regulation of certain financial players and/or operations having an impact on the stability of the financial system and the savings of investors. More specifically, will be discussed in this chronicle : – The Hellenic Financial Stability Fund. This fund was established in  following the financial crisis in Greece in order to safeguard the systematic stability of the banking sector. Its missions are to recapitalize banks and to restructure the banking system. The Greek Financial Stability Fund has become an important actor in Greek public life. – The new Lebanese regulation on crowdfunding. Crowdfunding is a new financing technique for small and medium-sized enterprises, in particular start-ups, wishing to raise funds, and based on the public subscription to their shares. Since  June , crowdfunding is regulated in Lebanon.

I. A. R é g u l a t i o n e u r o p é e n n e C.J.U.E., 22 JANVIER 2014, AFF. C-270/12, ROYAUME UNI C. CONSEIL ET PARLEMENT EUROPÉEN Régis V Professeur à l’Université de Bourgogne

Le contentieux relatif à la « base juridique », c’est-à-dire le fondement textuel justifiant l’intervention des institutions européennes dans un domaine donné(1), révèle non seulement la philosophie de la construction européenne, mais aussi les nombreux intérêts politiques et économiques qui sont en jeu. En effet, ce type de contentieux conduit à se poser, de manière récurrente, la même question : l’Union européenne en réglementant tel ou tel secteur en cause agit-elle dans le cadre de ses compétences ? C’est précisément l’objet de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (C.J.U.E.) le 22 janvier 2014, avec les conclusions contraires de l’avocat général(2). Cette décision met en évidence les antago-

nismes entourant la construction du marché financier européen et les différences de philosophie entre les États membres. Ainsi, le Royaume-Uni a introduit un recours en annulation contre le règlement n 236/2012 du 14 mars 2012 encadrant les ventes à découvert et octroyant des pouvoirs spécifiques à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF)(3). Ce règlement a été adopté à la suite de la récente crise financière qui a mis en lumière les effets procycliques de certains comportements spéculatifs. Les institutions européennes se sont saisies de la question des ventes à découvert après que certaines autorités nationales eurent décidé de les interdire, parfois d’ailleurs sans véritablement détenir un tel pouvoir(4). L’efficacité même de ces mesures d’interdiction est d’ailleurs discutable(5). Toujours est-il que la 2.

3.

4. 1.

50

C. B et L. D, Droit institutionnel de l’Union européenne, LexisNexis, 4 éd., 2010, spéc. n 550 : « déterminer une base juridique constitue un préalable à toute législation européenne ».

5.

Concl. av. gén. M. Niilo Jääskinen, 13 septembre 2013, aff. C-270/12 ; Rev. dr. banc. fin., novembre 2013, comm. 220, note T. B. Règlement (UE) n 236/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 sur la vente à découvert et certains aspects des contrats d’échange sur risque de crédit, J.O.U.E. n L 86 du 24 mars 2012, p.1 ; Rev. dr. banc. fin., novembre 2012, comm. 204, note A.-C. M. T. B, « Crise financière : l’AMF hors la loi... pour la bonne cause », Rev. dr. banc. fin., septembre 2008, repère 12. J. B, « Ventes à découvert : clarification des pouvoirs de l’ESMA », Bull. Joly Bourse, mars 2014, p. 150.

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finalité de ce règlement révèle la volonté des institutions européennes d’endiguer la spéculation et de prévenir tout risque systémique(6). Dans cette perspective, il accorde à l’AEMF la faculté de prendre des décisions interdisant certaines pratiques, comme le règlement qui avait créé cette Autorité en 2010 l’avait laissé entendre(7). D’une manière générale et avant même d’aborder les différents arguments juridiques soulevés, il apparaît nettement que l’objectif du recours introduit par le Royaume-Uni vise à limiter l’influence de l’AEMF pour préserver les compétences des autorités nationales de régulation. Les réserves britanniques à l’égard de la construction européenne sont donc tenaces, même lorsque la stabilité des marchés européens est en jeu. Il est d’ailleurs remarquable que la Commission européenne, la France, l’Espagne et l’Italie viennent au soutien des institutions défenderesses dans cette affaire, à savoir le Conseil et le Parlement européen. Les arguments soulevés au soutien de ce recours s’articulent autour de quatre moyens. En premier lieu, les requérants reprochent au règlement en cause d’octroyer à l’AEMF « un très large pouvoir discrétionnaire » l’autorisant ainsi à prendre des décisions de politique économique et cela au mépris des principes dégagés dans l’arrêt Méroni de la C.J.U.E. du 13 juin 1958. C’est l’imprécision des termes mêmes du règlement qui est ici au centre des débats. Il est vrai que celui-ci se caractérise par une certaine généralité. Ainsi, en vertu de l’article 28 du règlement n 236/2012 l’Autorité peut interdire « aux personnes physiques ou morales de procéder à une vente à découvert ou à une transaction », lorsqu’il existe « des menaces qui pèsent sur le bon fonctionnement et l’intégrité des marchés financiers ou sur la stabilité de l’ensemble ou d’une partie du système financier à l’intérieur de l’Union, et qui ont des implications transfrontalières ». La notion de « menace » appelle inévitablement une interprétation subjective. Celle-ci apparaît néanmoins limitée dès lors que le règlement n 236/2012 a fait l’objet de mesures déléguées. En effet, un règlement délégué de la Commission du 5 juillet 2012 est venu préciser le contenu de l’article 28 du règlement 236/2012(8). À la lecture de ce règlement délégué, il apparaît qu’il faut entendre par menace, « toute menace de grave instabilité financière, monétaire ou budgétaire concernant un État membre […] ; la possibilité d’un défaut d’un État membre ou d’un émetteur supranational ; tout dommage grave causé aux structures physiques d’émetteurs financiers importants, aux infrastructures de marchés […] ; toute perturbation grave d’un système de paiement ou d’un processus de règlement ». Cet encadrement réglementaire du pouvoir de 6. 7.

8.

M. S, La régulation financière face à la crise, préf. J.-P. Jouyet, Bruylant, 2013, spéc. pp. 715 et s. Règlement (UE) n 1095/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité européenne des marchés financiers), J.O.U.E. n L 331 du 15 décembre 2010, p. 84, spéc. article 9, § 5. Rev. dr. banc. fin., janvier 2013, comm. 38, note T. B.

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l’AEMF conduit la C.J.U.E. à rejeter le premier moyen. Selon la Cour, les pouvoirs de l’AEMF sont suffisamment délimités et respectent en cela les exigences posées par l’arrêt Méroni. Cette jurisprudence implique, en effet, de faire une distinction entre une délégation de pouvoirs d’exécution et une délégation conduisant à « un pouvoir discrétionnaire impliquant une large liberté d’appréciation » au profit du délégataire. Or, l’AEMF relève du premier type de délégation, car elle ne bénéficie pas d’une compétence autonome. Bien au contraire, son intervention est encadrée. D’abord, son intervention est envisagée de manière subsidiaire dans le règlement n 236/2012. Ce n’est que si les autorités nationales compétentes se sont abstenues d’intervenir que l’AEMF est autorisée à le faire. De surcroît, l’AEMF doit consulter le Comité européen du risque systémique (CERS) et notifier aux autorités nationales compétentes la mesure qu’elle propose de prendre. En outre, le règlement délégué du 5 juillet 2012 détaille l’évaluation factuelle et technique que l’AEMF doit mener avant de prendre sa décision. Finalement, la décision de la C.J.U.E. s’attache à démontrer que l’AEMF ne dispose pas de pouvoir arbitraire. Il est vrai que la motivation de la décision de la C.J.U.E. est suffisamment détaillée pour que l’on puisse être convaincu. Mais au-delà des aspects techniques, la réalité des faits sera probablement tout autre. On voit mal comment l’AEMF pourra contrecarrer une menace pesant sur le système financier sans agir avec une certaine célérité, et donc une part d’arbitraire. Si la menace est réelle, son intervention sera forcément urgente et il n’est pas certain que toutes les conditions de forme prévues par le règlement n 236/12 et le règlement délégué soient respectées. On relèvera également que la Cour ne qualifie pas l’AEMF d’agence, alors que l’avocat général avait retenu une telle qualification dans ses conclusions(9). En deuxième lieu, le Royaume-Uni reproche au règlement n 236/2012 d’octroyer à l’AEMF le pouvoir d’adopter des mesures de portée générale en violation du principe posé par l’arrêt Romano du 14 mai 1981. Selon cette jurisprudence, seuls les organes législatifs ont le pouvoir d’adopter des mesures de portée générale. Tous les autres organes européens ne peuvent se voir confier une telle mission, notamment dans le cadre d’une délégation de pouvoirs. En défense, le Parlement et le Conseil font valoir que le pouvoir de décision reconnu à l’AEMF ne conduit pas à l’adoption d’actes de portée générale. En d’autres termes, les défendeurs considèrent que le pouvoir en cause est un pouvoir de décision individuelle. Cela apparaît contestable. Il paraît indéniable que si l’AEMF interdit telle ou telle pratique spéculative, sa décision concernera toutes les personnes proposant celui-ci, sans véritable distinction. C’est bien là le caractère d’une mesure de portée générale. C’est donc logiquement que la C.J.U.E. admet que la décision de l’AEMF aura souvent une portée générale. Pour autant, elle ne considère pas que cela justifie l’annulation du règlement attaqué. En effet, elle considère que le pouvoir ainsi attribué est rendu possible 9.

Concl. av. gén. M. Niilo Jääskinen, précité, spéc. n 21.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

par le Traité, et notamment l’article 263 TFUE qui prévoit qu’un recours juridictionnel peut être exercé contre les actes de portée générale des organes et organismes de l’Union. La C.J.U.E. admet ainsi que l’AEMF puisse disposer du pouvoir d’adopter des mesures « normatives », bien qu’elle n’emploie pas l’expression, en se fondant sur sa propre compétence quant à un éventuel recours juridictionnel ! La solution ne manque pas de surprendre et elle met en évidence les lacunes du Traité en la matière, que le juge tente tant bien que mal de combler… La motivation retenue sur ce point paraît bien fragile, dès lors que l’article 263 TFUE fait référence aux « […] actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers » : est-ce suffisant pour considérer que le Traité admet que des organismes de l’Union disposent d’un pouvoir normatif ? Comment alors vont s’agencer les règles produites par ceux-ci avec celles émises par les organes législatifs ? Si une hiérarchie existe, pourquoi le Traité n’en dit-il mot ?

La C.J.U.E. admet ainsi que l’AEMF puisse disposer du pouvoir d’adopter des mesures « normatives ».

Ces lacunes apparaissent encore au grand jour sur les troisième et quatrième moyens soulevés par le Royaume-Uni. Effectivement, en troisième lieu, l’État requérant souligne que les articles 290 et 291 TFUE, qui organisent les compétences d’exécution au sein de l’Union européenne(10), n’autorisent pas le règlement n 236/2012 à attribuer un tel pouvoir à l’AEMF. Et pour cause, ces textes visent les compétences d’exécution attribuées à la Commission européenne et non à un organe tiers ! La C.J.U.E. ne conteste pas cette analyse et admet que le pouvoir attribué à l’AEMF « ne correspond pas à aucun des cas de figure circonscrits par les articles 290 et 291 TFUE ». Pour autant, elle considère que les règlements en cause, y compris celui portant création de l’AEMF, « font partie d’un ensemble d’instruments de régulation adoptés par le législateur de l’Union afin que cette dernière, […] puisse œuvrer en faveur d’une stabilité financière internationale ». Disons-le, la C.J.U.E. contourne la difficulté en utili10. R. V, « Les compétences de la Commission et de l’Autorité européenne des marchés financiers dans l’élaboration de la législation financière européenne », Rev. dr. banc. fin., mai 2012, étude 12.

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sant une argumentation téléologique… faute de base juridique. Il apparaît clairement que le Traité a prévu seulement de confier des compétences d’exécution aux États et à la Commission, mais non à des organes tiers. En toute rigueur donc, le silence du Traité aurait dû conduire à retenir l’illégalité du règlement. Quelle valeur faut-il accorder au Traité si les silences de celui-ci peuvent conduire à aller au-delà de certains principes essentiels ? La faiblesse de la base juridique ayant justifié le règlement n 236/2012 est également patente sur le quatrième moyen. Selon le Royaume-Uni, le règlement en cause va au-delà de l’article 114 TFUE, qui autorise l’adoption de mesures de rapprochement des législations nationales, et cela en vue de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur. L’article 114 TFUE reprend l’ancien article 95 CE sur lequel s’est parfois appuyé la Commission européenne pour justifier son action dans le domaine des services financiers(11). Mais là encore, le contenu de ce texte est bien faible et la construction européenne en matière de marchés financiers ne s’appuie, en réalité, sur aucun fondement juridique solide. S’agit-il encore d’harmoniser les législations nationales en vue de créer un marché unique lorsqu’un règlement octroie un pouvoir de décision à une autorité européenne de régulation ? Bien sûr que non, parce qu’il n’y a ni harmonisation (c’est une décision unique valable sur tout le territoire européen !)(12), ni législation nationale (c’est une décision qui a la primauté et la force d’un règlement !). La C.J.U.E. considère pourtant que l’article 114 est une base juridique appropriée, car le texte autorise que l’harmonisation passe par des compétences accordées à un organe ou à un organisme de l’Union n’appartenant pas au triangle institutionnel. De surcroît, elle a déjà décidé par le passé que l’article 114 TFUE puisse conduire à l’adoption d’actes juridiquement contraignants à l’égard des particuliers(13), « lorsque le rapprochement des mesures générales ne suffise pas à assurer l’unité du marché ». Le terme « unité » nous paraît très évocateur : ce n’est pas de l’harmonisation ! La Cour rejette finalement l’ensemble des arguments soulevés en considérant que le bon fonctionnement du marché implique que l’AEMF ait le pouvoir de prendre des mesures tant les divergences entre les États membres ont été grandes dans le domaine des ventes à découvert. Cela revient à lui confier un pouvoir important, sans que le Traité ne l’ait véritablement prévu, ce qui affaiblit grandement son assise démocratique(14). 11. R. V, Comitologie et services financiers – Réflexions sur les sources européennes du droit bancaire et financier, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, 2009, spéc. n 95. 12. Concl. av. gén. M. Niilo Jääskinen, précité, spéc. n 37 et s. 13. C.J.U.E., 9 août 1994, Allemagne c. Conseil, aff. C-359/92, Rec., p. I-3681. 14. T. B, « Régulation bancaire et financière et État de droit », Rev. dr. banc. fin., janvier 2014, repère 1.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne

CONDAMNATION PAR LA COUR EUROPÉENNE DU CUMUL DES SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET PÉNALES SUR LE FONDEMENT DU PRINCIPE NON BIS IN IDEM CEDH, 2e sect., aff. Grande Stevens et autres c. Italie, 4 mars 2014, n 18640/18

Pauline P Professeur à l’Université de Reims

En droit des marchés financiers, le cumul des sanctions administratives et pénales fait l’objet d’interrogations persistantes. Il questionne l’articulation des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et plus spécifiquement de l’article 4, paragraphe 1, du Protocole n 7, qui consacre le principe non bis in idem, et des dispositions du droit de l’Union européenne. À l’heure actuelle, le principal point d’achoppement tient certainement dans la refonte de la directive Abus de marché, qui impose dans sa nouvelle mouture des sanctions pénales se superposant aux sanctions administratives existantes(1), ce qui n’ajoute pas à la cohérence du dispositif.

Le principal point d’achoppement tient [...]

La Cour européenne, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Grande Stevens du 4 mars 2014(2), devait prendre position sur le droit italien, qui autorise en droit interne le cumul des sanctions administratives et pénales en matière de manipulation de marché. En l’espèce, plusieurs requérants sont condamnés au plan administratif par la CONSOB (Commissione Nazionale per le Società e la Borsa), autorité de contrôle italienne des marchés financiers. Il leur est reproché d’avoir manqué à leur obligation d’informer correctement le marché de leurs intentions, en établissant des communiqués de presse sans prendre en compte un projet de renégociation d’un contrat d’equity swap, destiné à éviter le lancement d’une OPA, pourtant déjà étudié et en cours d’exécution. Ils auraient donc donné une fausse représentation de leur situation, en violation de l’article 187ter, paragraphe 1, du décret législatif n 58 du 24 février 1998(3). La CONSOB prononce une sanction administrative sur ce fondement et dénonce en outre la commission d’une infraction pénale décrite à l’article 185, paragraphe 1, du décret précité(4), qui donne également lieu à condamnation par les juges italiens. Les requérants invoquent alors, notamment, la violation du principe non bis in idem, tel que garanti par l’article 4, paragraphe 1, du Protocole n 7 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme, selon lequel « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en

dans la refonte de la directive Abus de marché, qui impose [...] des sanctions pénales se superposant aux

2. 3.

sanctions administratives existantes. 1.

V. proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d’initiés et aux manipulations de marché, 20 octobre 2011, COM(2011) 654 final, approu-

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4.

vée par le Parlement européen le 4 février 2014 après accord en trilogue du 20 décembre 2013 ; proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (COM(2011)0651– C7-0360/2011– 2011/0295(COD)), approuvée par le Parlement européen dans une résolution législative du 10 septembre 2013. CEDH, 2 sect., 4 mars 2014, Grande Stevens et a. c. Italie, n 18640/18 , 2014, § 111h1, p. 209, note J. C. Au moment des faits, l’article prévoit que « sans préjudice des sanctions pénales lorsque la conduite est constitutive d’une infraction, toute personne qui, par le biais de moyens d’information, y compris internet ou tout autre moyen, diffuse des informations, des nouvelles ou des bruits faux ou trompeurs de nature à induire des indications fausses ou trompeuses à propos d’instruments financiers est punie d’une sanction administrative allant de 20 000 à 5 000 000 d’euros ». Aux termes de cette disposition, « Quiconque diffuse de fausses nouvelles ou procède à des opérations simulées ou emploie d’autres artifices objectivement susceptibles de provoquer une modification sensible de la valeur d’instruments financiers est puni d’une réclusion d’un à six ans et d’une amende de 20 000 à 5 000 000 d’euros ».

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Chroniques

I. Régulation financière

raison d’une infraction pour laquelle il a été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ». Les juges italiens refusent de retenir cet argument, considérant que la loi italienne (art. 9 de la loi n 689 de 1981) interdit un « double procès », pénal et administratif, quand il porte sur un « même fait » ; or, les articles 185 et 187ter du décret précité ne punissent pas le même fait, seule la disposition pénale exigeant que la conduite ait été de nature à provoquer une altération importante de la valeur d’instruments financiers. En outre, l’application de la disposition pénale suppose l’existence d’un dol, alors que la disposition administrative s’applique en présence d’un simple comportement fautif. Par ailleurs, les poursuites pénales ayant fait suite au prononcé de la sanction pécuniaire sont autorisées par l’article 14 de la directive 2003/6/CE sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché du 28 janvier 2003(5). Les requérants saisissent alors la Cour européenne qui, dans son arrêt du 4 mars 2014, censure le raisonnement des juges italiens. Elle examine successivement la recevabilité de la requête fondée sur la violation de l’article 4 du Protocole n 7, puis le fond de l’affaire, ce qui lui permet de revenir sur l’articulation des dispositions conventionnelles avec le droit de l’Union européenne.

I. Inefficacité de la réserve italienne à l’égard de l’article 4 du Protocole n 7 Sur le plan de la recevabilité, le gouvernement italien conteste l’application de l’article 4, paragraphe 1, du Protocole n 7, en relevant la réserve de l’Italie. À l’image d’autres États européens (Allemagne, France et Portugal), l’Italie a précisé que les articles 2 à 4 du Protocole n 7 ne s’appliquent qu’aux infractions, aux procédures et aux décisions qualifiées de pénales par la loi interne ; or, la loi italienne ne qualifie pas de pénales les infractions sanctionnées par la CONSOB(6). Argument auquel les requérants opposent la violation de l’ordre public européen, la déclaration ne respectant pas les conditions de la réserve au sens de l’article 57 de la Convention(7). La Cour, reprenant les conditions posées par ce dernier texte, relève « l’absence dans la réserve en question d’un “bref exposé” de la loi ou des lois pré5.

6. 7. 54

CEDH, Grande Stevens, précité, § 46. Aux termes de l’article 14-1 de cette directive, « sans préjudice de leurs droits d’imposer des sanctions pénales, les États membres veillent à ce que, conformément à leur législation nationale, des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de la présente directive. Les États garantissent que ces mesures sont effectives, proportionnées et dissuasives ». CEDH, Grande Stevens, précité, § 204. Ibid., § 205.

tendument incompatibles avec l’article 4 du Protocole n 7 » ; or, « une réserve qui n’invoque ni ne mentionne les dispositions spécifiques de l’ordre juridique italien excluant des infractions ou des procédures du champ d’application de l’article 4 du Protocole n 7, n’offre pas à un degré suffisant la garantie qu’elle ne va pas audelà des dispositions explicitement écartées par l’État contractant »(8). Elle ajoute que « même des difficultés pratiques importantes dans l’indication et la description de toutes les dispositions concernées par la réserve ne sauraient justifier le non-respect des conditions édictées à l’article 57 »(9). La demande est donc recevable. Cette jurisprudence n’affecte pas seulement le droit italien et doit inciter les autres États se prévalant d’une telle réserve à l’application de l’article 4, paragraphe 1, du Protocole n 7 à une mise en conformité(10). L’effet direct de la jurisprudence de la Cour européenne a pour conséquence qu’elle a autorité de la chose interprétée à l’égard de tous les États signataires de la Convention(11) : une juridiction nationale confrontée à une jurisprudence européenne « applique directement la Convention et la jurisprudence de la Cour »(12). Dès lors, tous les États sont tenus de respecter la jurisprudence de la Cour sans attendre d’être attaqués devant elle(13). S’agissant du fond de l’affaire, la Cour fait une application désormais classique de sa jurisprudence relative au domaine du principe non bis in idem, qu’elle juge applicable au cumul de sanctions administratives et pénales.

II. Application du principe non bis in idem au cumul de sanctions administratives et pénales L’article 4, paragraphe 1, du Protocole n 7 exclut de nouvelles poursuites dès lors qu’elles sont fondées sur une même infraction : mais comment comprendre cette « même infraction » ? Peut-on considérer qu’un manquement administratif, dès lors qu’il relève de la matière 8. Ibid., § 210. 9. Ibid. 10. Faisant application de la réserve du gouvernement français : Cass. crim., 1 mars 2000, n 99-86299, D., 2000, p. 229, note A. L ; Cass. crim., 28 janvier 2009, n 07-81674 : JurisData n 2009-047081 ; Dr. sociétés, 2009, comm. 83, note R. S ; Dr. pénal, 2009, comm. 48, note J.-H. R. 11. V. sur l’autorité et l’exécution de l’arrêt de la Cour européenne : F. S, J.-P. M, J. A, A. G et M. L, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, 6 éd., 2011, pp. 819 et s. 12. CEDH, 4 octobre 2007, Verein Gegen Tierfabriken Schweiz (GVT) c. Suisse, § 55, J.C.P. éd. G, 2008, I, p. 110, spéc. n 1, note F. S. 13. CEDH, 22 avril 1993, Modinos c. Chypre, §§ 20 à 24.

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« pénale » selon l’interprétation autonome de la Cour européenne(14), est une infraction au sens de ce texte, ce qui justifierait l’application du principe non bis in idem ? Comment apprécier l’idem ? La Cour européenne apporte à cette question une réponse qui, si elle a été un temps plus incertaine, est désormais classique.

Avec l’arrêt Zolotoukhine, la Cour européenne, sur le modèle de la Cour de justice de l’Union européenne, ne se fonde plus sur l’identité d’infractions, mais sur l’identité de faits matériels.

D’abord, la Cour prend le soin de caractériser le bis et, à cette fin, de préciser la nature de la procédure devant la CONSOB qui, selon elle et en application des critères posés dans sa jurisprudence Engel(15), porte sur une « accusation en matière pénale ». Elle en conclut que, une fois condamnés par la CONSOB, les requérants devaient être considérés comme ayant été « déjà condamnés en raison d’une infraction par un jugement définitif » au sens de l’article 4 du Protocole n 7(16). La Cour fait ensuite application des principes qu’elle a posés dans l’arrêt Zolotoukhine, rendu le 10 février 2009(17), dans lequel la Grande Chambre a apporté d’importantes précisions sur le domaine d’application du principe non bis in idem et précisé que l’article 4 du Protocole n 7 « doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde “infraction” pour autant que celle-ci a pour ori-

14. 15. 16. 17.

CEDH, 8 juin 1976, Engel et a. c. Pays-Bas, §§ 79 à 83. Ibid. CEDH, Grande Stevens, précité, § 222. CEDH, gde ch., 10 février 2009, n 14939/03, Sergueï Zolotoukhine c. Russie, J.C.P. éd. G, 2009, I, p. 143, n 33, note F. S ; D., 2009, p. 2014, note J. P ; R.S.C., 2009, p. 675, note D. R ; Dr. pénal, 2010, chron. 3, spéc. n 36, note E. D ; R.T.D.H., 2009, p. 867, note H. M.

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gine des faits qui sont en substance les mêmes »(18). Avant cette décision, pour définir l’idem, la Cour européenne jugeait qu’un même comportement pouvait être constitutif de plusieurs infractions jugées dans le cadre de procédures distinctes(19), dès lors que ces infractions différaient dans leurs « éléments essentiels ». Avec l’arrêt Zolotoukhine, la Cour européenne, sur le modèle de la Cour de justice de l’Union européenne(20), ne se fonde plus sur l’identité d’infractions, mais sur l’identité de faits matériels. Par conséquent, le principe non bis in idem interdirait de « poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes »(21). La Cour européenne, dans son arrêt du 4 mars 2014, rappelle à cet égard que « la question à trancher n’est pas celle de savoir si les éléments constitutifs des infractions prévues par les articles 187ter et 185, paragraphe 1, du décret législatif n 58 de 1998 sont ou non identiques, mais celle de déterminer si les faits reprochés aux requérants devant la CONSOB et devant les juridictions pénales se référaient à la même conduite »(22). Or elle constate que dans les deux cas le comportement reproché tenait à l’absence de mention du contrat d’equity swap en cours de discussion : il « s’agit donc clairement d’une seule et même conduite de la part des mêmes personnes à la même date »(23). Après avoir conclu à la violation de l’article 4 du Protocole n 7, la Cour évoque enfin la question de l’articulation des dispositions conventionnelles avec le droit de l’Union européenne.

III. Articulation incertaine du droit de l’Union européenne et du droit de la Convention européenne de sauvegarde En principe, le droit de l’Union européenne assure le respect des droits fondamentaux. Prenant notamment appui sur les traditions constitutionnelles communes aux États membres et les stipulations de la Convention européenne, cette protection a, depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, une source autonome

18. Zolotoukhine, § 82. 19. CEDH, 30 juillet 1998, Oliveira c. Suisse, n 25711/94, R.T.D.H., 1999, p. 623, note H. M. 20. C.J.C.E., 9 mars 2006, Van Esbroeck, C-436/04, Europe, 2006, comm. 147, note F. K-G ; R.S.C., 2006, p. 684, spéc. n 10, note L. I ; C.J.C.E., 28 septembre 2006, Gasparini, C-467/04, et Van Straaten, C-150/05 : Europe, 2006, comm. 308, note F. K-G ; R.S.C., 2007, p. 143, spéc. n 12 et s., note L. I. 21. CEDH, Zolotoukhine c. Russie, précité, § 82. 22. CEDH, Grande Stevens, précité, § 224. 23. Ibid., §227.

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Chroniques

I.A. Régulation européenne


Chroniques

I. Régulation financière

avec la Charte des droits fondamentaux(24). S’agissant du principe non bis in idem, garanti à l’article 50 de la Charte(25), la Cour de justice a eu l’occasion de juger que cette disposition est d’applicabilité directe en droit interne(26), même si elle a refusé sa mise en œuvre en l’espèce et semblé opter pour une appréciation autonome de la notion de « sanction pénale »(27). En cas de conflit entre le droit de l’Union et le droit de la Convention européenne, la Charte pose pourtant expressément, en son article 52, paragraphe 3(28), une clause de renvoi à la Convention, ainsi que, en son article 53, une clause dite de non-recul, selon laquelle les droits garantis par la Convention constituent un socle minimal de garantie qui ne peut être limité(29). L’interdépendance entre ces deux sources de droit est donc essentielle et on peut noter en ce sens que la Cour européenne a visé l’article 50 de la Charte dans son arrêt Zolotoukhine. Si l’articulation des dispositions de la Charte, qui fonde la protection des droits fondamentaux en droit de l’Union, et de la Convention, semble être claire et cohérente, ce bel édifice se trouve ébranlé par la refonte de la directive Abus de marché, qui reconnaît, voire en24. F. B-R, « L’Union européenne et les droits fondamentaux depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne », R.T.D. eur., 2011, p. 145. 25. L’article 50 de la Charte dispose : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ». 26. C.J.U.E., Grande Chambre, 26 février 2013, aff. C-617/10, Aklagaren c. Hans Akerberg Fransson, Europe, 2013, comm. 154, note D. S ; D., 2013, p. 1977, note C. R, F. B ; A.J. pénal, 2013, p. 270, note C. C ; R.T.D. civ., 2014, note L. U, à paraître. V. toutefois, en droit interne français, une décision récente jugeant conforme à la Charte le cumul des sanctions administrative et pénale : Cass. crim., 22 janvier 2014, n 12-83579, D., 2014, p. 600, note N. R ; Dr. sociétés, 2014, comm. 56, note R. S ; Bull. Joly Bourse, 2014, § 111g5, p. 203, note J. C ; Rev. dr. banc. fin., 2014, comm. 83, note P. P. 27. L. U, précité. Sur l’autonomie grandissante de l’interprétation de la C.J.U.E. par rapport à la Convention européenne, v. F. B-R, « Le rôle de la Cour de justice de l’Union dans l’interprétation de la Charte », R.T.D. eur., 2013, p. 666. 28. L’article 52, § 3, de la Charte dispose : « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CESDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite Convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ». 29. L’article 53 de la Charte dispose : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres ». 56

courage, le cumul de sanctions administratives et pénales. Ainsi, le renvoi opéré dans la présente décision par la Cour européenne à l’arrêt Spector de la Cour de justice(30), selon lequel « l’article 14 de la directive Abus de marché n’impose pas aux États membres de prévoir des sanctions pénales à l’encontre des auteurs d’opérations d’initiés, mais se limite à énoncer que ces États sont tenus de veiller à ce que des sanctions administratives soient appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de cette directive »(31), doit être relativisé dans le cadre de la refonte de la directive Abus de marché : le législateur européen se soumet certes expressément dans les textes en discussion à l’article 50 de la Charte(32), mais, dans le même temps, il institutionnalise le cumul. La proposition de règlement Abus de marché, telle qu’adoptée par le Parlement européen le 10 septembre 2013, pose ainsi en son article 26, paragraphe 1, le principe du cumul(33), même si elle le tempère en précisant que « Les États membres peuvent décider de ne pas établir de règles concernant des sanctions administratives en vertu du premier alinéa lorsque ces infractions sont déjà passibles de sanctions pénales en vertu du droit national (…). Dans ce cas, les États membres notifient de manière détaillée à la Commission et à l’AEMF la législation pénale concernée »(34). C’est donc, paradoxalement, l’absence de cumul qui doit désormais être justifiée. À défaut de précisions supplémentaires, la nouvelle législation du droit de l’Union en matière d’abus de marché risque bel et bien d’être jugée contraire au principe non bis in idem, en violation tant de la Convention européenne que de la Charte des droits fondamentaux. À cet égard, les États membres ne pourront s’exonérer, pour éviter une condamnation de la Cour européenne, en invoquant la conformité de leurs droits internes au droit de l’Union : en effet, si la Cour européenne pose une présomption d’équivalence des protections, cette présomption n’est pas irréfragable et « peut être renversée 30. C.J.U.E., 23 décembre 2009, Spector Photo Group, aff. C-45/08. 31. CEDH, Grande Stevens, précité, § 229. 32. Proposition de directive Abus de marché, cons. 18. 33. Résolution législative du Parlement européen du 10 septembre 2013 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (COM(2011)0651–C7-0360/2011–2011/0295(COD), article 26, § 1, 1) : « Sans préjudice des sanctions pénales et des pouvoirs de surveillance des autorités compétentes en vertu de l’article 17, les États membres, conformément à la législation nationale, font en sorte que les autorités compétentes aient le pouvoir de prendre les mesures administratives appropriées et d’infliger au moins les mesures et sanctions administratives suivantes… ». 34. Ibid. Le législateur européen introduit également le critère de la gravité, seuls les comportements les plus graves devant être soumis au cumul : v. position du Conseil de l’Union européenne sur proposition de directive Abus de marché, 12 décembre 2012, cons. (7).

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Chroniques

I.A. Régulation européenne

dans le cadre d’une affaire donnée si l’on estime que la protection des droits garantis par la Convention était entachée d’une insuffisance manifeste. Dans un tel cas, le rôle de la Convention en tant qu’“instrument constitutionnel de l’ordre public européen” dans le domaine des droits de l’homme l’emporterait sur l’intérêt de la coopération internationale »(35). La question du cumul des sanctions administratives et pénales est encore loin d’être résolue, mais sa condamnation semble de plus en plus inévitable. 35. CEDH, Grande Chambre, 30 juin 2005, Bosphorus Airways c. Irlande, n 45036/98, §§ 154 à 158, J.C.P. éd. G, 2008, II, p. 10128, note F. S ; A.J.D.A., 2005, p. 1886, note J.-F. F ; R.F.D.A., 2006, p. 566, note J. A ; R.T.D. eur., 2005, p. 749, note J.-P. J. Adde, F. S, J.-P. M et alii, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., pp. 784 et s. ; B. G, « La Convention et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : complémentarité ou concurrence ? », L.P.A., 22 décembre 2010, n 254, p. 17.

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Chroniques

I. Régulation financière

I. B. R é g u l a t i o n c o m p a r é e THE HELLENIC FINANCIAL STABILITY FUND : THE STATE’S AGENT IN A BANKING SYSTEM UNDER RESTRUCTURING Georgios P Dr. jur., MJur (Oxford), Lecturer at the University of essaloniki

if capitalized by the State. Matters not expressly regulated in the HFSF Law are supposed to be governed by the regime applicable to public companies (art. 1 of the HFSF Law) ; however, the lack of reference to a shareholders’ assembly reduces the value of this provision.

II. HFSF functions A. Recapitalization

I. Introduction One of the most important new actors in Greek public life during the current crisis has been the Hellenic Financial Stability Fund (referred to below as the “HFSF”). It was founded by Law 3864/2010 (referred to below as the “HFSF Law”), which has been repeatedly modified(1) since its entry into force, reflecting both the succession of different stages in the financial crisis and the difficulty in striking the appropriate balance amongst competing interests. Today, the HFSF is the main shareholder in all four major Greek banks. Itself capitalized by the Greek State with funds coming from the EC/ECB/IMF support programme for Greece, it has financed both the recapitalization of these four banks and the application of resolution measures, in particular transfer orders and bridge banks, to a number of banks, whose licence has simultaneously been revoked. e purpose of this article is not to review all the technical aspects of the HFSF’s regime ; nor is it to describe its short, but already lively history. It is rather aimed at giving an overview of its structure and in particular its activity, while integrating these thoughts on the HFSF into a background analysis of key ideas and tendencies informing contemporary banking law and regulation. In this sense, the HFSF regime, whatever one’s view of it is, is a remarkable part of the law regarding the current financial crisis, in a country particularly torn by it. e HFSF is governed on the basis of a two-tier system, consisting of an Executive Board and a General Council (art. 4(1-3) of the HFSF Law). is is remarkable in itself, given that the two-tier system is almost unknown in Greek corporate law ; it may be attributed in this instance to a wish of safeguarding good governance. e HFSF is not a company ; it is rather a unique body (“sui generis”) incorporated in private law, even 1.

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A further amendement to the HFSF Law has been passed in late March 2014 aer submission of this article, and has not been incorporated to the present analysis.

As briefly mentioned above, the HFSF has been activated in two kinds of occasions. First of all it has become the main shareholder of the Greek banks, which have been deemed viable, as per art. 6(1)(2) of the HFSF Law. ese banks have conducted capital increases, in particular to cover their extraordinary losses arising from their participation in the “private sector involvement” (PSI) in Greek Government bonds. e HFSF was the overwhelming contributor to such increases.

First of all it has become the main shareholder of the Greek banks, which have been deemed viable, as per art. ()() of the

HFSF Law.

It is in fact remarkable that, as a feature of the urgency in these matters, a significant part of the HFSF’s participation in such increases has been offered in the form of advance contributions, i.e. contributions given to the bank prior to the formal resolution of the shareholders meeting to increase the capital. is advance contribution is acceptable under Greek corporate law. As a matter of regulatory capital, it does count immediately towards restoring the capital adequacy of the bank, since the critical issue in this respect is the ranking of the advance contributor in the hierarchy of claims against the com-

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pany, in case it becomes insolvent aer the contribution but prior to the capital increase. Given that the advance contributor intends to perform an equity transaction with the company, it is accepted that he does not become a debtholder in this meantime either. In other words, the claim to recover the advance contribution ranks lower than every other claim but those of current shareholders,(2) therefore protecting all creditors in accordance with the function of regulatory capital. On the other hand, the risk particular to such transaction from the point of view of the shareholder-to-be, and going beyond the typical shareholder’s risk, is that he has already invested without having any authority over the company’s decision-making and any information rights (yet). However, in the HFSF’s case, in practice it already did have information and control rights prior to the shareholders meeting, on the basis of art. 6(9) of the HFSF Law. It is important to note the limitations to the HFSF’s role in these capital increases. Firstly, the HFSF, acting as State agent in such transactions, only contributes to “viable” banks ; besides, the authority to decide on the viability of each bank does not rest with the HFSF but rather with the Bank of Greece, which is the bank supervisor in the country. Now, “viability” is not (or not just) a supervisory notion. It entails a prediction on the ability of the bank to improve its situation aer having received the contribution and be eventually able to repay it. In other words, viability is a notion that has been brought forward by the financial crisis and is very indicative of the law of this crisis ; it is informed by the idea that a fundamentally sound bank may need extraordinary assistance in order to be able to withstand a crisis which is not of its own making.(3) e fact that this notion goes beyond the pure supervisory demonstrates that the decision on the HFSF’s participation in a bank’s equity is, amongst other things still to be discussed, an investment decision on the part (lastly) of the HFSF’s own “shareholder”, i.e. the State. e fact that the decision is made by the supervisory authority, is an expansion of the latter’s usual scope of authority, which may be attributed in particular to its expertise. e second limitation to be addressed is that the HFSF only makes contributions insofar as they cover capital needs determined by the Bank of Greece (art. 1(1)(a)(bb) of Cabinet Act 38/2012) ; thus, the decision on the maximum amount of HFSF contribution rests with the bank supervisor, as it is directly connected with capital needs. Moreover, this restriction on the HFSF’s contribution to each bank flows from the idea already mentioned above that the HFSF is investing on 2.

3.

Cf. E. P, “e advance contribution to the public company”, Business and Corporations Review 2011, 871, 874-875 (in Greek). It is remarkable that the use of viability as a fundamental criterion in this context is shared by the Eurogroup decision on 20th June 2013 on the proposed direct bank capitalization by the ESM : http ://www.eurozone.europa.eu/media/436873/20130621 -ESM-direct-recaps-main-features.pdf, 2.

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behalf of the State ; therefore, public aid is limited to the extent mandated by the public interest in a stable credit system.

B. Resolution e HFSF has performed an additional function, which had not been contemplated when it was originally created : it has acted as a resolution fund. Bank resolution has been extensively applied to the Greek banking system, with twelve banks (six public companies and six cooperatives) being resolved.(4) In every instance, these resolution measures have required significant external financing. is is a sign of the financial duress experienced by Greek banks in the extraordinary circumstances of the public debt crisis and of very large expected losses in the loan portfolios due to the recession. In this context, an important (and it is submitted, appropriate) decision was made to protect all deposits, with no distinction as to whether or not they were insured (in the sense of Directive 94/19/EC) ; this was deemed necessary to avoid a collapse in depositor confidence. Furthermore, the transfer of all deposits on the liabilities side was not matched by a transfer of all or virtually all assets. Although there have been variations from case to case, the general tendency has been to transfer a relatively “clean” portfolio and leave bad loans aside, to be managed in the liquidation of the resolved bank. Given these decisions, it is reasonable that a public fund would need to cover the so-called “funding gap”, i.e. to pay the transferee or the bridge bank the amount by which transferred liabilities exceeded the fair value of the transferred assets. Although a separate resolution branch was set up within the Hellenic Deposit Insurance Guarantee Fund in 2011, it obviously could not have gathered any significant contributions from banks participating in it yet, and in any case, it would not have been able to cope with the extent of public funding required for such a broad application of resolution measures.(5) e solution reached was that the HFSF assumed the function of the resolution fund temporarily from March 2012 till the end of 2013, while the actual industryfinanced resolution fund was put on hold, as it were. is function of the HFSF has now lapsed, but not be4.

5.

Further information on these resolution measures is available at : http ://www.bankofgreece.gr/Pages/en/ Bank/LegalF/decisionseme.aspx. e resolution tools used were the transfer order (also known as purchase & assumption) in ten cases and the bridge bank in two cases : these two bridge banks have already been merged into one of the recapitalized banks. It is noticeable that the resolution fund was established in October 2011 by the same Law (Law 4021/2011) that also introduced resolution measures, which were later on applied for the first time. In other words, the first application of resolution measures in Greece took place within days of the resolution fund being established. Such are the needs of dealing with an acute crisis.

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I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

fore resolution was applied to the extraordinary degree mentioned above. e HFSF thus financed most resolution measures in Greece. e end result is that most Greek banks (and, indeed, banks collectively owning a vast market share) were affected by the HFSF, either because it recapitalized them or because it financed their resolution. A last comment is that, while the HFSF receives shares in exchange for its contributions to recapitalized banks, the amount paid to the transferee or the bridge bank to cover the “funding gap” is not a capital contribution, as it only neutralizes the net value of the transferred property. In other words, the HFSF qua resolution fund does not receive shares as consideration for the amount paid to cover the funding gap. It does, however, receive a preferred claim in the resolved bank’s insolvency (art. 13A(4) of Law 3746/2009), in order to recover as much as possible out of the insolvency proceeds. In other words, as the HFSF finances the transfer of deposits and relieves the resolved bank of such liabilities, it also receives the same preferential treatment that (insured) deposits would have in insolvency. It is a different matter that the transferee or the bridge bank does need capital as a by-product of the resolution measure. In the case of a transfer order, the transfer of assets typically increases the capital needs of the transferee to account for the risks connected with these additional assets. If this is a bank under recapitalization by the HFSF, its contribution may encompass the capital needs of this origin too. In the case of the bridge bank, it must be capitalized just like every new bank ; the HFSF assumes that role and becomes the single shareholder (art. 63E(4) of Law 3601/2007).

C. HFSF objective is extensive intervention of the State, via the HFSF, into the banking system purports to get it through the crisis, and in particular to protect depositors confidence in it and thereby the systemic stability in Greece. e current crisis has drawn attention to the sensitivity of the banking system to such disruptions of confidence. is systemic consideration, i.e. the protection of the banking system as a whole, is apparent in the HFSF’s functions. As regards its temporary (and yet very significant) role as resolution fund, such considerations are paramount in both law and practice. In law, as the potential harm to depositors confidence and destabilization of the banking system appear prominently in art. 63B of Law 3601/2007 regarding the conditions for the application of resolution measures, which have been financed by the HFSF. Indeed, there are essentially two conditions : one referring to the individual bank, i.e. that it is failing or likely to fail with no apparent solution to this, and one referring to the system, i.e. that this failure will have repercussions beyond this individual bank.(6) In practice, because the above-mentioned decision to transfer all deposits in all cases has obviously 60

been informed by an estimation of depositors confidence as being very fragile in the given circumstances. As regards the HFSF’s “permanent” function in recapitalizing banks, these systemic considerations might at first sight be thought not to play such a significant role compared to the case. e key condition explicitly introduced by art. 6(1-2) of the HFSF Law for a bank to be recapitalized is not that it is systemically important, but rather that it is viable. And yet, the systemic element is undoubtedly present here as well. It appears in the statutory language when it comes to the advance contribution discussed above : art. 6(10) requires that the payment of the contribution in advance is necessary to protect systemic stability (and that it contributes to the financing of the real economy). is wording, referring to this particular matter as it may be, is actually indicative of a much broader role for systemic considerations in this case too.(7) Viable banks are recapitalized because they are (both viable and) systemically important. In a sense, the systemic requirement is not mentioned explicitly in art. 6(1-2), both because the stability of the banking system as an HFSF objective is prescribed in art. 2(1) and, perhaps more to the point, because it is taken for granted. is is only corroborated by the fact that, in the context of resolution, all failing banks in Greece (even those with a merely local presence and a tiny market share) have been deemed important enough for the resolution authorities to apply resolution measures to them, and in particular always to transfer (at least) deposits to another bank. is is due to the dependence of systemic analysis on market circumstances :(8) In a time of disturbed confidence it is very possible that all banks are systemically important. Beyond these systemic considerations, it is important to note that the HFSF becomes shareholder of the banks that it recapitalizes, and needs, according to art. 2(1) of the HFSF Law, to take into account the protection of the value of its shareholding in its business judgments as to both the exercise of its rights as a shareholder and its eventual divestment.

D. The reluctant shareholder e HFSF’s towering presence in the Greek banking sector is a significant example of the enhanced role that the State assumes in the banking system in a time of crisis, and potentially even beyond this time. It is important to note the historical context : Greece has experienced, particularly between the late seventies and the late nineties, very high public ownership in its banking 6.

7. 8.

In the Commission’s proposal for a bank recovery and resolution directive (COM/2012/0280 final), the former condition is reflected in art. 27(1)(a)-(b), while the latter in art. 27(1)(c). G. P, “Systemic stability in Greek law”, Review of Commercial Law 2013, 494, 500 (in Greek). Cf. M. G, “Systemrelevanz von Finanzinstituten”, WM 2010, 825, 826.

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system. A time of gradual privatization followed, which was interrupted by the ongoing financial crisis. e first step towards the reemergence of the State in the shareholding structure of the banks was Law 3723/2008, under which the banks issued preferred stock to the State as part of a first support program. But it was the setup and the subsequent activation of the HFSF that led to a new (while designed to be temporary) paradigm in the shareholding structure of the banks. However, it is interesting to note the features of this revival of State ownership that differentiate it from the past, and in light of which the State may currently be called the “reluctant shareholder” of the Greek banking system. First of all, the State, in its capacity as shareholder of the banks, tries to separate this function from the rest of its activity and to work as much as possible on the basis of private law. us, it is not the State as such that owns the shares, but rather a legal entity performing this specific function, the HFSF. is legal entity is managed by decision- making bodies, whose members are appointed by the Minister of Finance, following a process in which the Bank of Greece participates too, and on the proviso that they must be approved by the Euro Working Group (art. 4(5) of the HFSF Law) ; observers from the European Commission and the ECB may participate in meetings of the HFSF bodies (art. 4(15) of the HFSF Law). ese decision-making bodies are independent from the State (with the exception of the Minister’s Representative in the General Council), which may issue no directions to them, as can be derived from the reference to the HFSF’s “administrative autonomy” as set out in art. 1 of the HFSF Law ; neither is it possible to recall them prior to the end of their term in office save in very limited circumstances (art. 4(8) of the HFSF Law). Furthermore, the HFSF is, according to art. 1 of the HFSF law, emphatically not part of the public sector ; it is a legal entity incorporated under private law while serving an obviously public purpose. It carries out this purpose solely by private law means and does not exercise public authority ; thus, its decisions are not administrative acts and are not challengeable as such.(9) Secondly, and perhaps more significantly, the State, through the HFSF, does not exercise the full arsenal of rights that its shareholding would normally encompass. is issue is regulated by art. 7a of the HFSF Law introduced in order to deal with the first recapitalization of banks by the HFSF, during which it became the main shareholder of the four largest banks. e gist of the matter is that, if private shareholders(10) contributed See also D. R, “e Sui Generis Legal Nature of the Hellenic Financial Stability Fund and its Capacity as Shareholder and Creditor of Credit Institutions”, JIBLR 2014, 149, 151. 10. Which must be construed as being all other entities but the HFSF (and, obviously, the State itself) : see D. A and A. K, “Participation in bank recapitalization (L. 3864/2010) under Greek and EU law (legal opinion)”, Financial Law 2013, 197, 198 and subs.

9.

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at least 10 % of the capital increases, in the context in which such recapitalization took place, the HFSF voting rights would be restricted to strategic decisions (mostly those requiring a qualified majority in corporate law) ; the election of the board of directors is not one of these decisions. Otherwise, the HFSF would enjoy full voting rights. e 10 % threshold was met in three out of the four banks. us, in three out of four cases a remarkable structure emerged, in which the major shareholder does not elect the board, but does have (dominant) voting rights in strategic decisions. Some additional safeguards of the HFSF’s interests, even in cases where its voting rights are restricted, need to be mentioned too : the right to appoint a representative to sit in the board of the bank, having in particular a veto power over strategic decisions,(11) as well as the right to terminate the restriction of its voting rights by its own decision if the bank is in breach of the restructuring plan submitted in the context of its recapitalization (art. 7a(2)(c) of the HFSF Law).

Secondly, and perhaps more significantly, the State, through the HFSF, does not exercise the full arsenal of rights that its shareholding would normally encompass.

Significant as these safeguards for the HFSF’s interests may be, the restriction of voting rights itself is the most important aspect of the above-mentioned “reluctance” of the State in its capacity as shareholder of the banks,(12) i.e. its unwillingness to assume the kind of full ownership that such a shareholding would normally entail. Instances of divergence between the shareholding structure and the voting rights structure in a pub11. e search for balance in the HFSF’s rights on the banks becomes evident in the relevant provision, which is art. 10(2) of the HFSF Law : the HFSF representative in the board is vested with significant powers, while on the other hand he is required to “take into account the business autonomy of the credit institution”. 12. Cf. D. R, “e Sui Generis Legal Nature of the Hellenic Financial Stability Fund and its Capacity as Shareholder and Creditor of Credit Institutions”, o.c., 153, noting that this is “a sui generis ‘majority shareholder’ right…, which clearly incorporates less powers…”.

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I.B. Régulation comparée


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I. Régulation financière

lic company are certainly known. On the other hand, “one share one vote” is the starting point of our understanding of how a company works,(13) and indeed Greek law has, historically and up until today, been more faithful to it than other jurisdictions, granting it full force (though not without allowing for some limited exceptions) in art. 30(1) of Law 2190/1920 on public companies.(14) In any case, the decision regarding the balance of power between the HFSF and private shareholders, i.e. the compromise reflected in the abovementioned provisions on the voting rights restriction and the other safeguards for the HFSF, is a very political one, and as such, is not to be further analyzed here.

E. The State and the banks Even if the State is reluctant in the above-mentioned sens, it is still a commanding presence in the banking system. It is reasonable to query the reasons for such an unusual role for the State in this area, which is certainly not experienced in other sectors of the economy. It has been noted above that systemic stability is an issue of particular relevance in the banking sector. is is indeed the fundamental particularity of this sector that one needs to take into account in order to understand the State’s role in it. e fact that banks are susceptible to systemic disturbances is the unfortunate flipside of a most significant function of banking, i.e. the maturity transformation arising from the banks’ borrowing short (from depositors) and lending long (to their own borrowers). e availability of deposits on demand, coupled with the esoteric nature of capital adequacy rules and thus the lack of understanding on the part of depositors on the comparative situation of each bank, means that even an early sign of trouble for one bank may lead to excessive withdrawals, indeed in other institutions too.(15) us, banks constitute a system in a sense that 13. Cf. the remark by H. H, ECFR 2005, 1, 10, that the obligation under art. 10 of Directive 2004/25/EC to publish deviations from the “one share one vote” principle is a sign to the effect that the principle, while not imposed, is favored by the European legislator. 14. See, among others, N. R, Commercial Companies, 7th ed., Athens, 2012, 366 (in Greek) ; D. A and A. K, “Participation in bank recapitalization (L. 3864/2010) under Greek and EU law (legal opinion)”, o.c., 211-212. 15. See, among others, D. L, “e economic rationale for financial regulation”, FSA Occasional Paper, Series No. 1, 1999, available at http ://www.fsa.gov.uk/pubs /occpapers/op01.pdf, 14 ; W. S, A. H and C. O-K, “Bankenabgabe und Verfassungsrecht”, WM 2010, 2145, 2148 ; B.J. A, “Crisis Management and Bank Resolution : Quo Vadis, Europe ?”, ECB Legal Working Paper, Series No. 13, 2011, available at http ://www.ecb.int/pub/pdf/scplps/ ecblwp13.pdf, 7 ; S. S, “Insolvenzrechtsreform und Bankenorganisation”, KTS 2010, 433, 453 ; G. P, “State Aids, Central Banks and the

62

is peculiar to them. One’s failure does not (only) bring about a vacuum to be covered by the others assuming its market share ; more importantly, it produces an externality which harms its competitors. e latter are also harmed by its failure in further ways : because they might make losses in the interbank market or because fire sales of assets by an ailing bank may lead to a drop of prices, which affects others holding assets of the same nature.

us, banks constitute a system in a sense that is

peculiar to them.

is inherent fragility(16) of the banking sector, which may arise if the appropriate measures to stabilize it are not taken, is obviously important, given that both major (and interconnected) parts of a bank’s function, i.e. the collection of deposits and the provision of credit, are of paramount importance for economic and social life. In this sense, it is only reasonable that state aids to banks during the crisis have been controlled pursuant to art. 107(3)(b) TFEU, referring to “a serious disturbance to the economy of a Member State”.(17) Actually, the idea that banks perform a public service is quite old,(18) and has interestingly found echo in Greece as well.(19) It is fair to say that the contemporary empha-

16.

17.

18.

19.

Financial Crisis”, ECFR 2012, 194, 198 ; B. L, “Competition Policy, Bailouts and the Economic Crisis”, CCP Working Paper 09-4, available at http :// competitionpolicy.ac.uk/documents/107435/ 107587/1. 112187%21CCP09-4.pdf, 3-5. In the words of J. G and C. M, “Confronting Financial Crisis : Dodd-Frank’s Dangers and the Case for a Systemic Emergency Insurance Fund”, 28 YJR 2011, 151, 158. On this shi in legal basis from art. 107(3)(c) to art. 107(3)(b) see G. P, “State Aids, Central Banks and the Financial Crisis”, o.c., 195-197. See to this effect CA Paris JCP 1968, II, 15518, obs. J. S ; R. H, RTD com. 1964, 165. e emphasis at that time was mostly on the provision of credit, and the idea of the service public was used to explain the possible liability of banks for their decisions on granting or refusing credit. L. K, “Issues of banks’ civil liability to third parties due to their credit function”, Armenopoulos, 1984, 601, 604 (in Greek) ; A. M and A. M, “State interventionism and Constitution (Control of banks on the basis of L. 1665/1971 and L. 431/1976)”, Nomiko Vima 1981, 1199, 1207 (in Greek). e latter analysis introduces (albeit referring to very different measures of that time) the idea that the intervention of the State to the banks may be justified as a constitutional matter by the public service nature of their workings.

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sis on systemic stability supplements and reinforces this old idea, while also enriching it with the experience of the current financial crisis.(20) It should be noted here that the HFSF Law contains in art. 2(2) a “sunset provision” for the HFSF, whose duration is set to expire on 30th June 2017, as well as a provision referring to divestment in art. 8. Public ownership in the current extent may indeed be temporary ; however, forms of shareholding may still be available in principle for the State, to be balanced with the need to preserve private entrepreneurship in this area. is balance too is a matter not to be further discussed here. Moving from ownership to supervision, if the recent emphasis on macro-prudential supervision(21) and on early intervention and resolution, as well as the establishment of the Banking Union are taken into account, the general trend is that the State, possibly in a more independent or more European form than hitherto, is assuming an enhanced role in the banking system. Given that it may bear the burden (or part thereof) of failures in this sector of the economy, it is only reasonable that it should exercise a remarkable influence on it.(22) 20. Cf. G. P, “Systemic stability in Greek law”, o.c. 2013, 508. 21. See e.g. C. P and G. Z, “Mehr Sicherheit für den Finanzsektor : Der Europäische Ausschuss für Systemrisiken und die Rolle der EZB“, WM 2010, 1584. 22. ese thoughts go back to the discussion linking banking supervision to deposit insurance (though it should be noted that the latter is, at least to a degree, industryfinanced) : see e.g. R. P, Economic analysis of law, 7th ed., Boston, Austin, 2007, 485 : “Every insurer, public or private, has an interest in controlling (if feasible) the risks it insures against.” See also, going beyond deposit insurance, J. N and R. S, “e implicit subsidy of banks”, Bank of England Financial Stability Paper, No. 15, 2012, available at http ://www. bankofengland.co.uk/publications/Documents/fsr/fs_ paper15.pdf ; C. A and O.V. S,

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e significant concern that needs to be addressed is the adverse feedback loop between sovereigns and their banks, which arises when the State assumes recapitalization costs. e HFSF is perhaps the clearest example of such a loop. However, and while private parties will bear some of the restructuring burden in banks,(23) it is not realistic to believe that the State will not be also involved in the administration of future crises in the banking sector. It is important to acknowledge that private contribution to such costs is not unlimited, as it may itself disrupt the very confidence in the banking system that it purports to foster. en, the “State”, which also bears costs in this context, should be, to a significant extent, a European one, for its contribution to be well-planned and robust. is harmonizes the banking sector stability already mentioned above with a broader sense of stability, which encompasses public finances as well.(24) us, one cannot stress enough the importance of the current discussion regarding the direct recapitalization of banks by the ESM as a pillar of the Banking Union.(25) In this sense, the HFSF is better understood as one of the steps towards a broader structure.

“Trennbankensystem : Grundsatzfragen und alternative Regulierungsansätze”, WM 2013, 625 ; S. S‚ “Insolvenzrechtsreform und Bankenorganisation”, o.c. 2010, 453 ; M. P, “Bank failures and regulation : a critical review”, JFRC 2013, 16, 29-30 ; B. N, “Rise and fall of regulatory State in financial markets”, JIBLR 2012, 1, 6 ; G. P, “Systemic stability in Greek law”, o.c., 506-507. 23. See in particular the “Banking Communication” of the European Commission currently in force as to the application of State aid rules to support measures in favor of banks, OJ 2013, C216/1 [19]. 24. Cf. the reference by the ECJ, in its judgment on the ESM (C-370/12 Pringle [56]) to the “stability of the eurozone as a whole”. 25. See the Eurogroup decision cited in fn 2.

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LA RÉGULATION LIBANAISE DU CROWDFUNDING Fadi N Professeur de droit à l’Université du Luxembourg

Présentation. Emboîtant le pas aux États-Unis d’Amérique qui ont adopté le 5 avril 2012, une loi, le JOBS Act(1), tendant à promouvoir les entreprises émergentes et laquelle encadre spécifiquement l’activité de crowdfunding (2), un arrêté n 3 du 11 juin 2013 rendu par le président de l’Instance des marchés financiers libanais réglemente désormais le crowdfunding sur le territoire libanais(3). Le crowdfunding est doublement encadré : d’une part, la société prestataire ne peut exercer cette activité que si elle obtient l’agrément nécessaire (I), d’autre part, les parties à l’opération du crowdfunding doivent satisfaire à une série d’obligations dont la finalité est de protéger les investisseurs (II).

I. L’agrément du crowdfunding

doivent produire une copie certifiée conforme de la fiche de leur état civil individuel ou de leur carte d’identité ou de leur passeport. Les personnes morales produiront une copie de leur dossier d’inscription au registre de commerce ; b) un document signé par toutes les personnes physiques susvisées contenant le curriculum vitae individuel de chacun (diplômes, savoir-faire et autres informations) et une évaluation précise du patrimoine de chacun d’eux ; c) une fiche du casier judiciaire ne datant pas de plus de trois mois ; ) la mention de la part de participation de chacun des souscripteurs ; e) le projet des statuts sociaux de la société ainsi que l’organigramme administratif à adopter. Pour les sociétés étrangères, leurs statuts doivent être légalisés par les autorités étrangères compétentes et ensuite par les services consulaires libanais de l’État concerné. Une dernière légalisation interviendra auprès du ministère des Affaires étrangères au Liban(4).

L’agrément est nécessaire aussi bien pour commencer que pour

La demande d’agrément est adressée à l’Instance des marchés financiers, laquelle, l’accorde ou le refuse dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation. Concrètement, l’Instance des marchés financiers se prononce au vu de l’intérêt et de l’utilité du projet. L’agrément est nécessaire aussi bien pour commencer (A) que pour continuer l’activité du crowdfunding (B).

continuer l’activité du

crowdfunding.

Documents. Un avis favorable doit précéder l’octroi de l’agrément définitif. À cet effet, l’Instance des marchés financiers exige que la société prestataire du crowdfunding produise une liste préétablie de documents. Ces documents visent à contrôler les fondateurs ainsi que le projet et, à s’assurer de la constitution conforme de la société et de l’exercice de cette activité en toute sécurité. En effet, dans une première phase les fondateurs de la société prestataire doivent produire les documents suivants : Contrôle de l’identité, de la compétence et de l’honorabilité. a) un document prouvant l’identité des fondateurs, celle des souscripteurs éventuels ainsi que celle de toute personne qui sera chargée d’effectuer des tâches administratives. À cet effet, les personnes physiques

Contrôle de la faisabilité et de l’utilité du projet. Les fondateurs doivent produire une étude de faisabilité portant sur les trois prochaines années. Cette étude doit exposer en détail les sources de financement de la société prestataire, les bénéfices et pertes prévisibles, ainsi que la balance et le flux de trésorerie attendus. Les agences de sociétés étrangères doivent, en plus, produire les rapports comptables relatifs aux trois derniers exercices de leur société mère avec la balance et l’état des bénéfices et pertes desdites années(5). Contrôle de la transparence. Les fondateurs doivent produire une déclaration détaillant tout lien direct ou indirect entre la future société et toute autre entreprise, tout autre groupe, ou groupes économiques, au Liban ou à l’étranger(6). La demande accompagnée de ces documents est étudiée par l’Instance des marchés financiers. Si l’avis est favorable, la deuxième phase du processus de l’agrément s’engagera. Plus particulièrement, la société devra com-

1. 2. 3.

4. 5. 6.

A. Agrément en amont

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Jumpstart our business startups Act. Titre III du JOBS Act. J.O., n 27, du 20 juin 2013, p. 2620.

Article 3-1-a de l’arrêté 3/2013. Article 3-1-f de l’arrêté 3/2013. Article 3-2-g de l’arrêté 3/2013.

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pléter les formalités de sa constitution dans un délai ne dépassant pas les six mois à dater de sa notification de l’avis favorable, et ce à peine de révocation de l’agrément. La société devra, durant ce délai, présenter à l’Instance des marchés financiers une demande en vue de l’approbation du commencement de son activité. À cette demande seront attachés différents types de documents(7). Contrôle de la constitution de la société. La société prestataire doit prouver qu’elle est définitivement constituée et qu’elle a satisfait aux différentes obligations administratives qui lui sont imposées en sa double qualité de société et de prestataire du service de crowdfunding. À cet effet, elle doit produire les documents suivants : a) une attestation d’inscription émanant du registre de commerce ainsi qu’une copie des statuts sociaux de la société. Pour les sociétés étrangères, une attestation d’inscription dans le pays d’origine dûment légalisée est requise ; b) une attestation bancaire émanant d’une banque opérant au Liban certifiant que le capital de la société est entièrement libéré et versé. Pour les sociétés étrangères, l’attestation doit indiquer que la somme a été affectée pour l’activité de la branche au Liban ; c) une liste signée par le président-directeur général, indiquant, les prénoms et noms et nationalités du président et des membres du conseil d’administration, des grands investisseurs, et, le cas échéant, du directeur adjoint, du président-directeur général et des différents directeurs et directeurs adjoints ; d) une fiche du casier judiciaire ne datant pas de plus de trois mois pour chacun des membres du conseil d’administration, de ses directeurs et des commissaires de surveillance ; e) le procès-verbal de l’assemblée générale constituante ; f) s’agissant des sociétés étrangères, il est impératif de produire la décision du conseil d’administration votant l’ouverture d’une filiale au Liban, désignant son représentant et fixant ses pouvoirs ainsi que la désignation de toute personne éventuellement chargée de hautes fonctions administratives. Contrôle de la sécurité. La société prestataire doit prouver qu’elle a pris toutes les mesures de sécurité dues aux investisseurs(8). À cet effet, elle produira les documents suivants : a) une description de travail de tous les employés dans la société ; b) un manuel détaillant les opérations et les modalités d’utilisation de la plateforme électronique ; c) les mesures de copie et de sauvegarde des informations ; d) les mesures de protection des investisseurs des actes de fraude ; e) les mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et contre le financement du terrorisme ; f) les mesures pour se renseigner sur la société dont les actions sont proposées à la souscription ; g) les mesures pour se renseigner sur les investisseurs désirant souscrire aux parts ou actions ; h) le plan d’urgence et de continuation de l’activité relative aux opérations de la société ainsi qu’à son système informatique ; i) les critères de l’organisation du contrôle et des alertes internes ; j) les modalités de pro7. 8.

Article 3-2 de l’arrêté 3/2013. Article 3-2 de l’arrêté 3/2013.

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tection des données personnelles et de préservation du secret professionnel ; k) un code de conduite. Une fois les formalités de constitution complétées, l’Unité de contrôle de l’Instance des marchés financiers vérifie la conformité des documents remis par rapport aux documents requis(9). Après avoir obtenu l’autorisation de commencer l’activité, la société doit entamer son activité de manière effective dans un délai de six mois à dater de sa notification sous peine de révocation de l’agrément(10).

B. Agrément en aval Durant l’exercice de son activité, la société prestataire doit remplir certaines conditions sous peine de retrait de l’agrément. Contrôle de la plate-forme électronique. L’arrêté n 3/2013 a volontairement soumis la plate-forme et son fonctionnement à des règles strictes. Cette démarche s’explique par le souci de protéger les investisseurs des éventuelles fraudes ou usurpations et de manière complémentaire, par le besoin de responsabiliser la société prestataire. En effet, conformément à l’article premier de l’arrêté n° 3 du 11 juin 2013, la société prestataire exerce son activité de crowdfunding « à travers sa propre plate-forme électronique qu’elle dirige ». Ainsi, cette plate-forme est réservée aux opérations de crowdfunding. La société prestataire ne peut l’utiliser ni pour proposer au public des titres ou instruments financiers autres que les parts et actions objet du crowdfunding ni pour négocier de manière directe ou indirecte les parts ou actions(11). La plate-forme doit figurer sur des serveurs acquis ou loués, totalement par la société prestataire(12). Les bases de données peuvent être partagées avec d’autres applications appartenant à la société ou les serveurs ainsi que les plates-formes qui ne portent aucune marque commerciale. Si la plateforme figure sur une installation louée, gérée par la société hébergeante, le fournisseur du service doit se conformer aux critères de compétence, d’expérience, de solvabilité et d’honnêteté(13). Si la société prestataire est hébergée sur des installations louées, elle doit figurer sur des équipements acquis ou loués totalement par la société prestataire. La société ne peut sauvegarder les bases de données sur le système informatique du cloud partagé(14). En outre, la société doit prouver l’efficacité de la plate-forme tout au long de son activité. À ce propos, l’Instance des marchés financiers peut à tout moment demander à la société prestataire qui 9. 10. 11. 12.

Article 4 de l’arrêté 3/2013. Article 5 de l’arrêté 3/2013. Article 7 de l’arrêté 3/2013. Avenant n 1 relatif aux règles et mesures techniques devant être appliquées par la société prestataire, J.O., n 27, du 20 juin 2013, p. 2624. 13. Avenant n 1 susvisé. 14. Dans l’avenant n° 1, le texte utilise la terminologie anglaise « shared cloud computing ».

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I.B. Régulation comparée


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I. Régulation financière

devra lui fournir les documents suivants : a) les éléments du système informatique, notamment les équipements, les programmes, les logiciels, le réseau, etc. ; b) les programmes de protection des systèmes (antispam, antivirus, firewalls, etc.) ; c) les mesures de cryptage ; d) les modalités de protection des investisseurs au moment de l’accès à la connexion dont la procédure d’authentification(15).

Durant l’exercice de son activité, la société prestataire doit se plier aux exigences de sécurité.

Obligation de sécurité. Durant l’exercice de son activité, la société prestataire doit se plier aux exigences de sécurité suivantes : – les données relatives aux cartes de paiement et de crédit et aux comptes personnels doivent être codées ainsi que les adresses, numéros de téléphones, et les courriels. Il en est de même de toute information portée dans toutes bases de données ou, dans toutes copies de sauvegarde ainsi que dans tout système informatique ouvert(16) ; – la société doit chaque jour, au moins, sauvegarder des copies à travers son responsable du système. Ces copies doivent être portées sur des ordinateurs séparés de ceux qui contiennent les bases de données(17) ; – la société prestataire doit mettre un plan d’urgence global, en attente (standby), muni de tout document nécessaire justifiant ses modalités et sa mise en œuvre. En outre, ce plan doit être soumis à des tests périodiques afin de contrôler son efficacité et de s’assurer régulièrement de sa capacité à satisfaire les différents cas d’urgence(18) ; – la société prestataire doit utiliser des moyens ou programmes mettant en échec la falsification des adresses de protocole internet, et ce à travers la technique des serveurs proxy afin de s’assurer que les utilisateurs ne falsifient pas leur propre adresse numérique ou n’utilisent l’adresse numérique d’un autre utilisateur(19) ;

15. 16. 17. 18. 19. 66

Article 2-2, arrêté 3/2013. Avenant n 1, paragraphe c. Avenant, paragraphe d. Avenant, paragraphe f. Avenant, paragraphe h.

– la société prestataire peut recourir à des sociétés extérieures pour gérer les technologies de l’information. À cet effet, elle doit conclure avec elle un contrat contenant les dispositions nécessaires permettant aux autorités de contrôle d’accéder aux informations en leur possession(20). La société prestataire doit également prévoir dans le plan d’urgence les démarches nécessaires à prendre au cas où la société chargée de la gestion des technologies de l’information décide de ne plus fournir ce service(21). Obligation de collaboration au contrôle. La société prestataire doit : a) faciliter des opérations de contrôle dont le contrôle technique effectué par l’Instance des marchés financiers ; b) fournir à l’Instance des marchés financiers tout document demandé en vertu de l’arrêté 3/2013 et tout document concernant toutes modifications éventuelles ; c) établir et remettre à l’Instance des marchés financiers des rapports trimestriels relatifs à ses opérations et à ses situations technique, réglementaire, et financière ; d) demander au(x) commissaire(s) de surveillance extérieur(s), de rédiger des rapports annuels dont copie devra être envoyée à l’Instance des marchés financiers(22). En tout état de cause, la société prestataire est naturellement soumise aux dispositions de la loi libanaise n 318/2001 du 20 avril 2001 modifiée relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Obligations financières. La société prestataire doit verser à l’Instance des marchés financiers les charges qui lui incombent : l’une, sera versée une fois, au moment de la présentation de la demande, et l’autre sera payée annuellement, elle vise à rémunérer le maintien de l’agrément(23).

II. Protection des investisseurs du crowdfunding L’investisseur est toute personne physique ou morale faisant partie du public(24), abstraction faite de ses ressources. Pour le protéger, une série d’obligations a été mise à la charge du prestataire (A) et du bénéficiaire (B) du crowdfunding.

A. Obligations du prestataire du crowdfunding Définition. L’article 1 définit le prestataire du crowdfunding comme « une entité spécialisée effectuant une activité à travers sa propre plate-forme électronique 20. 21. 22. 23. 24.

Avenant, paragraphe e. Avenant, paragraphe g. Article 6 de l’arrêté 3/2013. Article 14 de l’arrêté 3/2013. Article 1 de l’arrêté 3/2013.

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qu’elle dirige, destinée au public, en vue de financer les petites ou moyennes sociétés et les sociétés en démarrage(25), par la souscription du public, à un certain nombre d’actions ou de parts de ces sociétés proposées à l’investissement ». La société prestataire qui administre la plate-forme, est donc un courtier dont le rôle se limite à faciliter la réalisation du financement participatif nécessaire à l’investissement(26). Plus particulièrement, il lui est interdit de donner tout conseil (en investissement) de quelque nature soit-il à l’investisseur ou à la société bénéficiaire du crowdfunding (27). À plus forte raison, la société ne peut recevoir des dépôts, peu importe leur nature ou cause(28). Ces opérations relèvent du monopole bancaire conformément à l’article 125 du Code de la monnaie et du crédit libanais. La question est de savoir qui sont les entreprises habilitées à effectuer des opérations de crowdfunding ? La réponse doit être puisée dans différentes dispositions de l’arrêté n 3 du 11 juin 2013. En effet, l’article 1 de l’arrêté évoque le prestataire sous la terminologie d’« entité spécialisée »(29) qu’il définit comme étant « des caisses d’investissement, des sociétés d’investissement ou des sociétés ayant un “dessein spécifique”, c’est-à-dire, dont l’objet est limité à l’acquisition de parts ou d’actions appartenant à la société faisant appel au crowdfunding ». Un autre élément de réponse se trouve dans l’article 2 de l’arrêté qui énumère à titre limitatif les sociétés habilitées à proposer une telle prestation. Il s’agit « des sociétés libanaises constituées sous la forme de sociétés anonymes dont l’objet essentiel est d’effectuer des opérations de crowdfunding et des sociétés de crowdfunding étrangères ». Le dernier élément de réponse se trouve, enfin, dans l’article 12 de l’arrêté au terme duquel : « il appartient à l’instance des marchés financiers de décider, au cas par cas, si l’entité juridique est constitutive d’un organisme de placement collectif au sens de la loi n 706 du 9 décembre 2005 et dans ce cas de la soumettre à cette loi ». De la combinaison de ces textes, il résulte que le prestataire du service de crowdfunding est libanais ou étranger. Aucune condition de nationalité n’est donc exigée. Si le prestataire est libanais, il doit revêtir la forme juridique d’une société anonyme selon les dispositions du droit libanais. Si le prestataire est étranger, il peut revêtir une autre forme juridique, celle de la loi qui le régit. Le prestataire peut être une société spécialisée gérant un fond de placement collectif. Le prestataire peut 25. Le texte utilise la terminologie anglaise startup companies. 26. Article 7-a de l’arrêté 3/2013. Le courtier en matière de crowdfunding est un nouvel acteur du financement collectif des petites et moyennes entreprises, ne faudra-t-il pas alors qu’il bénéficie d’un statut spécial, dérogatoire ? C’est le cas aux États-Unis où il doit être membre du National Securities Association et de la Securities and Exchange Commission. 27. Article 7-a de l’arrêté 3/2013. 28. Article 7-b de l’arrêté 3/2013. 29. Le texte arabe utilise la terminologie anglaise de special purpose vehicle. 2014/2

gérer ce fonds à titre d’organisme de placement collectif, il sera alors qualifié et traité juridiquement en tant que tel(30). Le prestataire peut être une société d’investissement, c’est-à-dire, à capital variable. Son objet social sera alors limité à l’achat des parts ou actions de la société bénéficiaire. Le prestataire peut être toute société dont l’objet essentiel est d’effectuer des opérations de crowdfunding. En outre, et quelle que soit la nationalité ou la forme juridique de la société prestataire, son capital social ne doit pas être inférieur à un milliard de livres libanaises(31). Si le capital est réduit de plus du quart, la société devra le reconstituer dans le délai de six mois(32). Si la société ne peut acheter ses propres parts ou actions dans le cadre d’un crowdfunding, elle peut, voire doit, investir à titre individuel, par ses propres moyens financiers et humains, dans le projet en phase d’amorçage ou de développement pour lequel le crowdfunding a été lancé. Dans la mesure où l’article 13 de l’arrêté soumet toute personne violant des dispositions de cet arrêté aux sanctions administratives des textes et lois en vigueur, la société qui ne reconstitue pas son capital peut subir un simple avertissement ou au pis, un retrait de l’agrément. Obligation d’information. La société prestataire doit communiquer aux investisseurs toutes les informations qui lui sont transmises par la société bénéficiaire. Néanmoins, dans le contrat d’investissement conclu avec l’investisseur, la société prestataire devra insérer une clause de non-responsabilité concernant l’exactitude de ces informations. La société prestataire ne répond donc pas, en principe, de la qualité des informations. Cette clause évoquée par l’arrêté n 3/2013 est parfaitement valable sauf « négligence volontaire ou faute grossière » de la société. À ce propos, il convient de signaler que le texte n’impose pas à la société prestataire d’élaborer un prospectus, mais si le prestataire est considéré comme un organisme de placement collectif, il sera tenu de remettre un prospectus aux investisseurs conformément à l’article 40 de la loi n 706 du 9 janvier 2005 relative aux organismes de placement collectif. En outre, l’arrêté met à la charge de la société prestataire l’obligation d’« expliquer à l’investisseur l’absence de la responsabilité de l’Instance des marchés financiers en ce qui concerne la teneur de ces informations ». Cette disposition empêchera toute poursuite de l’Instance en raison de la mauvaise qualité, voire de la fausseté des informations. Ouverture d’un compte spécial. Pour chaque opération de financement, la société prestataire doit ouvrir en son nom un compte affecté et bloqué(33) auprès de l’une des banques opérantes sur le territoire libanais. Les banques remettront à l’Instance des marchés financiers 30. Sur la question, v. F. N, « Organismes de placement collectif : regards sur le droit libanais », Rev. dr. banc. fin., novembre-décembre 2006, analyse 23, p. 71. 31. Article 2, § 1, de l’arrêté 3/2013 ; l’équivalent des 484 000 EUR. 32. Article 2. 33. Le texte utilise la terminologie anglaise escrow account.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


Chroniques

I. Régulation financière

un rapport semestriel relatif à ce type de comptes(34). Cette disposition garantit le bon usage des fonds remis par les investisseurs. Montant de l’investissement. Les parts ou actions concernées par ce financement seront proposées au public directement ou par voie de souscription dans des entités juridiques agréées par l’Instance des marchés financiers(35). L’article 1 fixe un montant minimal et un montant maximal par investissement. Le premier est de l’ordre de 750 000 livres libanaises ou 500 dollars américains ou l’équivalent de ce montant en devises arabes ou étrangères(36). Le deuxième est de l’ordre de 15 millions de livres libanaises ou de 10 000 dollars américains ou son équivalent en devises arabes ou étrangères(37), et ce par investissement, direct ou indirect, dans chaque société. Libération du capital. Le compte affecté ne sera libéré que si le capital visé par le crowdfunding a été atteint, la souscription ayant lieu(38). Dans ce cas, la société prestataire donne accès aux investisseurs à sa plateforme grâce à l’utilisation d’un mot de passe personnel. En outre, un accord exprès entre les intéressés portant acceptation de la signature électronique sera dûment convenu(39).

Les sociétés pouvant bénéficier du service du crowdfunding sont, selon

l’article  de l’arrêté n° /, « les petites ou moyennes sociétés et les sociétés en démarrage ».

Expiration du délai du financement. À l’issue d’un délai de 180 jours, le compte sera libéré si le capital n’a pas été réuni. Dans ce dernier cas, l’arrêté prévoit deux conséquences : d’abord, l’argent versé sera restitué immédiatement aux investisseurs, en plus des inté34. 35. 36. 37. 38. 39. 68

Article 9, dernier alinéa, de l’arrêté 3/2013. Article 1 de l’arrêté 3/2013. L’équivalent de 360 EUR. L’équivalent de 7 250 EUR. Article 9 de l’arrêté 3/2013. Article 3-2-k de l’arrêté 3/2013.

rêts capitalisés dus sur cette même période. Néanmoins, la rémunération de l’immobilisation de l’argent peut faire l’objet d’une convention contraire selon chaque investisseur(40). Ensuite, l’expiration de ce délai met fin à toute relation entre l’investisseur et la société prestataire du crowdfunding (41).

B. Obligations du bénéficiaire du crowdfunding Définition. Les sociétés pouvant bénéficier du service du crowdfunding sont, selon l’article 1 de l’arrêté n° 3/2013, « les petites ou moyennes sociétés et les sociétés en démarrage »(42). Aucune définition juridique n’est donnée à l’une ou à l’autre de ses sociétés. L’approche est économique. La société prestataire doit donc tenir compte de la taille des sociétés bénéficiaires et de la phase de « vie » de chacune d’elles. En effet, cette levée des fonds occasionnée par le crowdfunding n’est destinée ni aux grandes entreprises ni à celles dont le projet social est déjà en cours de fonctionnement, voire en exécution. Néanmoins, ce service est adressé à des sociétés présentant des garanties minimales. En effet, la société bénéficiaire doit avoir un capital minimal de trente millions de livres libanaises ou leur équivalent en devises étrangères(43). À ce propos, il convient d’observer que ce montant constitue le capital minimal des sociétés anonymes libanaises alors que celui des sociétés à responsabilité limitée, est de cinq millions de livres libanaises(44). Les investisseurs doivent s’assurer de la constitution définitive, légale, de la société et être en mesure d’apprécier le projet qui leur est proposé. Conformité de la constitution de la société. En sa double qualité de société et de bénéficiaire de crowdfunding, la société bénéficiaire doit présenter à la société prestataire les documents suivants : a) une liste signée par le président-directeur général, indiquant, les prénoms et noms et nationalités du président, et des membres du conseil d’administration, des grands investisseurs, du directeur adjoint, du président, des directeurs et des directeurs adjoints ; b) les statuts sociaux de la société ainsi que l’organigramme administratif à adopter. Pour les sociétés étrangères, leurs statuts doivent être légalisés par les autorités étrangères compétentes ; c) une attestation d’inscription du registre de commerce ainsi qu’une copie des statuts sociaux de la société. Pour les sociétés étrangères, une attestation d’inscription dans le pays d’origine dûment légalisée sera requise ; d) les balances financières contrôlées, si elles

40. Article 9, alinéa 2, de l’arrêté 3/2013. 41. Article 9, alinéa 3, de l’arrêté 3/2013. 42. Le texte arabe emploie la terminologie anglaise de start up companies. 43. Article 1 de l’arrêté 3/2013 ; l’équivalent de 14 500 EUR. 44. L’équivalent de 2 400 EUR.

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existent. Au cas où le financement participatif a lieu à travers une entité juridique, la société bénéficiaire du crowdfunding doit fournir : les statuts de l’entité et une copie certifiée conforme par les autorités compétentes du pays d’origine attestant que l’entité juridique a obtenu l’agrément nécessaire. Étude écrite de faisabilité. Pour s’assurer que le projet est sérieux, la société bénéficiaire doit fournir une étude de faisabilité du projet visé par le crowdfunding couvrant les trois prochaines années. Cette étude doit exposer en détail les sources de son financement, les bénéfices et pertes prévisibles, ainsi que la balance et le flux de trésorerie attendus. Offre écrite. La société bénéficiaire du crowdfunding doit remettre aux investisseurs une étude à long terme dans laquelle elle fait une offre à l’investisseur sous sa propre responsabilité et contenant les informations minimales suivantes(45) : a) la détermination du montant du capital pour lequel le financement participatif est re-

quis et la détermination du nombre des parts ou des actions proposées ; b) la détermination des conditions essentielles de l’investissement notamment, le montant minimal de l’investissement ; c) la précision, « claire » si l’investissement aura lieu par souscription directe ou par l’intermédiaire d’une entité juridique ; d) le résumé de la totalité des risques éventuels que l’investisseur peut subir ; e) un texte « clair » soulignant l’absence de toute relation de la société prestataire et de l’Instance des marchés financiers avec le contenu de l’étude. Contrat d’investissement écrit. La société bénéficiaire doit préparer une convention d’investissement dûment signée par l’investisseur détaillant les conditions de la souscription aux parts et actions(46). À ce propos, les investisseurs auront tout intérêt à insérer dans le contrat les modalités de contrôle du bon usage des fonds par la société bénéficiaire lorsqu’elle sera mise en possession de ces derniers.

45. Le texte utilise la terminologie anglaise term sheet study.

46. Article 8-5 de l’arrêté 3/2013.

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Chroniques

I.B. Régulation comparée


II. Régulation bancaire Chronique sous la direction de Anne-Claire R &

Myriam R

Maître de conférences à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)

Professeur à l’Université du Maine

Avec la collaboration de

Amaël B

Geneviève H

Doctorant CIFRE, Université Paris 2 Panthéon-Assas Juriste, Hogan Lovells (Paris) LLP

Professeur associé à l’ESSEC Business School, Paris-Singapour Fellow à l’IECL, Université d’Oxford

Julien D

&

Doctorant contractuel Chargé d’enseignement Université Paris-Ouest Nanterre La Défense

Juliette M-M Maître de conférences à l’Université Paris Dauphine Centre de recherches Droit Dauphine

La réglementation bancaire continue de faire l’objet de réformes majeures au niveau européen. Au titre de l’organisation des banques, l’avancée la plus significative a trait à la réforme structurelle du secteur bancaire, à travers la présentation par la Commission d’une proposition de règlement destiné à améliorer la résilience des établissements de crédit de l’Union européenne et à mettre un terme aux activités de négociation pour compte propre des banques les plus importantes. Pour éviter que celles-ci ne cherchent à contourner ces règles en déplaçant une partie de leurs activités vers le secteur bancaire parallèle, la Commission a également préparé une proposition de règlement sur la transparence des opérations de financement sur titres. Les choses avancent aussi du côté de l’union bancaire, le Conseil étant parvenu à un accord sur la proposition de règlement sur le mécanisme de résolution unique. Au titre des opérations bancaires, l’adoption de la directive sur le crédit immobilier marque une étape importante pour la protection des consommateurs. Au niveau international, le Comité de Bâle cherche à renforcer la coopération des superviseurs bancaires pour les groupes bancaires internationaux, tandis que la France et les États-Unis ont conclu un accord pour la mise en œuvre de la loi FATCA. À signaler également, les modifications du contrat type de la Loan Market Association, riches de conséquences pour les praticiens.

The regulation framework of the EU banking sector is undergoing major reforms. As far as the organization of EU banks is concerned, the most significant progress concerns its structural reform. The Commission has proposed new rules in order to improve the resilience of EU credit institutions in order to stop the largest and most complex banks from engaging in risky activities like proprietary trading. To prevent banks from attempting to circumvent these rules by shifting some of their activities to the shadow banking system, the Commission has also drafted a proposal designed to improve the transparency of securities financing transactions. The construction of the European banking union is progressing as well, the finance ministers of the Member States having reached a political agreement on the draft regulation of a single resolution mechanism. Regarding banking activities, a new step has been taken towards consumer protection with the adoption of the Mortgage Credit Directive. At an international level, the Basel Committee provides its input by revising its good practice principles for supervisory bodies. Recent amendments to contractual terms in LMA model convention should also be mentioned.

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Chroniques

II.A. Régulation européenne

II. A. R é g u l a t i o n e u r o p é e n n e RÉFORME STRUCTURELLE DU SECTEUR BANCAIRE Interdiction, séparation : la Commission prend position(1)

Anne-Claire R Maître de conférences à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1) La Commission aura finalement présenté sa proposition de texte sur la séparation des activités bancaires avant la fin de l’actuelle législature. On savait le sujet, inscrit dans le programme de travail de la Commission pour 2014(2), au nombre des priorités du Parlement européen(3). Il n’était néanmoins pas certain que le calendrier puisse être tenu, face aux âpres discussions dont il a fait l’objet. Un an et demi après le rapport Liikanen(4), et à la suite de la consultation menée pendant l’été 2013(5), la Commission vient de présenter, le 29 janvier 2014, une proposition de règlement relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l’Union européenne(6). Ces mesures structurelles tendent à séparer les activités particulièrement risquées de celles qui sont d’une importance critique pour l’économie réelle. Après les réformes adoptées dans certains États membres(7) ainsi 1.

2.

3.

4.

5. 6. 7.

Proposition de règlement relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l’Union européenne, 29 janvier 2014, COM (2014) 43 final. Communication de la Commission du 22 octobre 2013 (COM (2013) 739 final). En novembre 2013, M. Barnier soulignait l’urgence d’une telle réforme au niveau européen et sa volonté de présenter un projet de directive avant la fin de l’année (dans un entretien au journal allemand Handelsblatt en date du 20 novembre 2013 : www.handelsblatt.de). V. Résolution non législative du Parlement européen du 3 juillet 2013 sur la réforme structurelle du secteur bancaire de l’Union européenne (A7- 0231/2013). Rapport Liikkanen : « High-level expert group on reforming the structure of the EU banking sector chaired by Erkki Liikanen, Final Report », 2 octobre 2012 ; A. G et L. T, « Réforme de la structure des banques européennes : le Groupe Liikanen rend son rapport », Rev. dr. banc. fin., n 6, novembre 2012, comm. 195. Commission européenne, « Reforming the structure of the EU banking system », consultation paper. COM (2014) 43 final ; communiqué de presse du 29 janvier 2014 (IP/14/85). V. notamment loi n 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, titre 1 :

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que dans des États tiers, la Commission se positionne à son tour, et retient une approche mixte, combinant interdiction pure et simple des activités de négociation pour compte propre et filialisation obligatoire de certaines autres activités de négociation.

La Commission [...] retient une approche mixte, combinant interdiction pure et simple des activités de négociation pour compte propre et filialisation obligatoire de certaines autres activités

de négociation.

Les trente-six articles de la proposition visent au premier chef les très grandes banques qui ont d’importantes activités de négociation, c’est-à-dire les plus grandes et les plus complexes d’entre elles, celles qui pourraient encore être trop grandes pour faire faillite (too big to fail), dont le sauvetage serait trop coûteux et la résolution en cas de défaillance, trop complexe J.O. n 173 du 27 juillet 2013, texte n 1, p. 12530 ; « Gesetz zur Abschirmung von Risiken und zur Planung der Sanierung und Abwicklung von Kreditinstituten und Finanzgruppen », du 7 août 2013, Bundesgesetzblatt, 2013, I, n 47. B.  S F, A. W et E. F, « Volcker, Vickers, Liikanen, loi française... Séparation bancaire : désillusion ou illusion ? », Rev. Banque, n 760, mai 2013, p. 56.

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Chroniques

II. Régulation bancaire

(too complexe to resolve). La proposition constitue ainsi le volet nécessaire pour compléter le dispositif résultant de la refonte de la réglementation prudentielle(8), de l’élaboration d’un cadre de résolution des établissements de crédit(9) et de la mise en place de l’union bancaire(10). Sont visées en premier lieu les banques européennes recensées parmi les établissements d’importance systémique mondiale, en application de la directive CRD IV. Sont également visées les banques dont, pendant trois années consécutives, la valeur totale des actifs est supérieure à 30 milliards d’euros, et dont les activités de négociation atteignent au moins 70 milliards d’euros ou 10 % du total des actifs(11). Quant à la portée (extra) territoriale de ces règles, le texte a vocation à s’appliquer aux filiales et succursales d’établissements de crédit de l’Union situées dans les pays tiers, ainsi qu’aux succursales et filiales, situées dans l’Union, de banques de pays tiers. Les filiales étrangères des banques de l’Union et les succursales de banques étrangères implantées dans l’Union pourront en être exemptées si elles sont soumises à des règles de séparation équivalentes(12). Le dispositif applicable à ces établissements repose sur deux types de mesures. Une mesure d’interdiction pure et simple, tout d’abord (chapitre II de la proposition). Il est fait interdiction aux plus grandes banques (soit une trentaine d’établissements) de pratiquer la négociation pour compte propre sur instruments financiers et sur matières premières(13). Cela vise les activités qui ne sont ni en lien avec les activités menées pour le compte de clients, ni effectuées pour couvrir les risques de la banque elle-même. La négociation pour compte propre est définie, au sens de la proposition de texte, comme l’utilisation de fonds propres ou de fonds empruntés pour prendre des positions dans tout type de transaction sur instruments financiers ou sur matières premières, dans le seul but de réaliser un profit pour son propre compte, et sans aucun lien avec les activités, ac8.

9.

10.

11. 12. 13. 72

Règlement n 575/2013 et directive n 2013/36 du 26 juin 2013, J.O.U.E. n L 176 du 27 juin 2013, M. R, R.I.S.F., n 1, 2014, cette chronique, p. 114. Proposition de directive du 6 juin 2012 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement, COM (2012) 280 ; A.-C. R, R.I.S.F., n 1, 2014, cette chronique, p. 117. Mécanisme de surveillance unique (MSU) : règlement n 1024/2013 du 15 octobre 2013 et n 1022/2013 du 22 octobre 2013, A.-C. R, R.I.S.F., n 1, 2014, cette chronique, p. 118. Mécanisme de résolution unique (MRU) : proposition de directive établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, COM (2013) 520. A.-C. R, R.I.S.F., n 1, 2014, cette chronique, p. 120 ; G. H, R.I.S.F., n 2, 2014, cette chronique, p. 73. Proposition de règlement, article 3. Proposition de règlement, article 4. Proposition de règlement, article 6.

tuelles ou anticipées, menées pour le compte de clients, ou dans un but de couverture des risques de l’entité découlant des activités, actuelles ou anticipées, menées pour le compte de clients(14). Un certain nombre d’exceptions sont prévues. Une mesure de séparation éventuelle, ensuite (chapitre III). Les autorités de surveillance nationales se voient conférer le pouvoir, et parfois l’obligation, d’imposer à certains établissements de séparer leurs activités de banque de dépôt de certaines activités de négociation potentiellement risquées dont l’exercice pourrait menacer leur stabilité financière(15). Sont principalement visées la tenue de marché, les activités de parrainage et d’investissement dans des opérations de titrisation complexes et la négociation de produits dérivés autres que ceux expressément autorisés aux fins d’une gestion prudente des risques. L’autorité compétente devra procéder à l’évaluation des activités de négociation des banques qui dépassent les seuils fixés(16). Elle aura, selon que certaines limites sont atteintes ou non, le pouvoir ou le devoir d’imposer la séparation si les activités de négociation et les risques connexes dépassent certains seuils, sauf pour la banque à démontrer que ces activités ne compromettent pas la stabilité financière de l’Union(17). En suite d’une telle décision, les banques concernées devront élaborer un plan de séparation, soumis à l’approbation de l’autorité compétente(18). Les activités de négociation devront ensuite être transférées vers une entité juridique distincte (« entité de négociation »)(19), à laquelle certaines activités, réception de dépôts éligibles au titre du système de garantie des dépôts et prestation de services de paiement de détail, seront interdites(20). L’établissement principal pourra quant à lui continuer à exercer certaines activités de négociation strictement finalisées (gestion prudente de ses capitaux, de sa liquidité et de ses financements ; vente à la clientèle de dérivés éligibles à des mécanismes de compensation à contrepartie centrale pour couvrir des risques de taux d’intérêt, de change et de crédit, de matières premières et de quotas d’émission dans certaines limites). La tenue de marché, qui constitue l’un des points sensibles de la réforme, est donc au nombre des activités visées par l’obligation de filialisation. La proposition de texte européen va ainsi plus loin que les textes français et allemand, qui permettent à la banque de dépôt de poursuivre cette activité(21). Si ce dispositif se retrouve 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21.

Proposition de règlement, article 5, § 4. Proposition de règlement, article 10, §§ 1 et 2. Proposition de règlement, article 9. Proposition de règlement, article 10. Proposition de règlement, article 18. Proposition de règlement, article 13. Proposition de règlement, article 20. Dans la loi française, l’obligation de filialisation de la négociation pour compte propre ne s’applique que lorsque cette activité dépasse certains seuils réglementaires ; elle est en outre assortie de nombreuses exceptions, notamment pour la fourniture de services d’investissement à la clientèle : article L. 511-47 du Code monétaire et financier. Comp. Kreditwesengesetz, § 3, Absatz 2.

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dans la version définitive du texte, un certain nombre d’établissements se verraient par conséquent contraints de restructurer l’organisation de leurs activités. Le texte européen pourrait ainsi être moins indolore pour les banques que la récente loi française. Il est toutefois trop tôt pour en juger, d’autant que les prochaines élections européennes pourraient redistribuer les cartes.

Afin d’éviter que les banques ne puissent contourner ces règles en déplaçant une partie de leurs activités vers le secteur bancaire parallèle, les mesures structurelles sont accompagnées d’une proposition relative à la transparence des opérations de financement sur titres(22). 22. V. M. R, infra.

UNION BANCAIRE Mécanisme de résolution unique (MRU) : accord du Conseil(1)

Geneviève H Professeur associé à l’ESSEC Business School, Paris-Singapour Fellow à l’IECL, Université d’Oxford Le chantier de l’unification du système de résolution bancaire en Europe est ouvert, alimenté, d’une part, par une proposition de directive de juin 2012(2), d’autre part, par les conclusions du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012. Il tend à concevoir un mécanisme de résolution unique (MRU), lequel représenterait le corollaire du mécanisme de surveillance unique. Dans cet esprit, la Commission européenne a présenté le 10 juillet 2013 une proposition de règlement(3) « établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique »(4). Ce texte a fait l’objet d’un accord politique du Conseil le 18 décembre 2013. À l’issue de 1.

2.

3. 4.

Proposition du 10 juillet 2013 de règlement établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement UE n 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil (COM (2013) 520). Proposition de directive du 6 juin 2012 du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement et modifiant les directives 77/91/CEE et 82/891/CE du Conseil, ainsi que les directives 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE et 2011/35/UE et le règlement (UE) n 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil. V. A.-C. R, R.I.S.F., n 1, 2014, cette chronique, p. 117. V. A.-C. R, R.I.S.F., n 1, 2014, cette chronique, p. 120. Modifiant le règlement UE n 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil (COM (2013) 520).

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son examen en première lecture par le Parlement européen le 6 février 2014, il a fait l’objet d’un renvoi en commission parlementaire. En parallèle, un accord informel a été conclu par le Parlement, le Conseil et la Commission (accord dit « en trilogue ») sur la proposition de directive établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances des établissements de crédit(5).

La proposition de règlement soulève en réalité deux questions délicates ayant trait, pour l’une, à l’autorité de résolution unique, et, pour l’autre, au financement

de la résolution.

Il est à noter que le mécanisme de résolution unique aura pour domaine la zone euro, tout comme le mécanisme de supervision unique, et non l’Union européenne dans sa globalité. En revanche, la directive sur le redressement et la résolution des défaillances d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement a vocation à s’appliquer à toute l’Union. La proposition de règlement soulève en réalité deux questions délicates ayant trait, pour l’une, à l’autorité de 5.

Cet accord d’étape ne fera pas l’objet d’un commentaire dans ce numéro de la chronique.

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Chroniques

II.A. Régulation européenne


Chroniques

II. Régulation bancaire

résolution unique, et, pour l’autre, au financement de la résolution. D’abord, la mise en place d’une autorité de résolution européenne répond à l’objectif de rupture de tout lien entre risque bancaire et risque souverain. Toutefois, la création d’une telle autorité unique nécessite des bases institutionnelles. Or, en l’état des textes européens, aucune base juridique ne permet cette création de manière évidente. Diverses alternatives ont été suggérées pour surmonter cette difficulté : elles vont de l’option d’un simple réseau d’autorités nationales à celui d’une autorité centrale ad hoc. Se fondant sur l’article 114 du TFUE(6), la Commission européenne a proposé quant à elle la mise en place d’un conseil de résolution unique. Plus précisément, l’architecture en serait la suivante : un conseil dirigé par un directeur exécutif, lui-même secondé par un directeur exécutif adjoint. Le conseil serait composé d’un représentant de la BCE, d’un représentant de la Commission européenne et d’un représentant de chacune des autorités nationales de résolution. Ce conseil serait investi de la mission de définir la stratégie à adopter pour la résolution d’une banque. Il statuerait notamment sur des points techniques tels que le choix des instruments auxquels recourir et le niveau d’intervention du fonds de résolution. Il lui reviendrait également de superviser la mise en œuvre, par les autorités nationales, de la résolution. Il est prévu que, dans l’hypothèse où une autorité nationale de résolution ne se conformerait pas à ses décisions, il pourrait adresser des ordres exécutoires directement aux banques en difficulté. Ainsi, l’autorité centrale de décision serait-elle la Commission européenne : il lui reviendrait, sur la base éventuelle des recommandations du conseil de résolution unique, de décider si une banque donnée nécessite d’être 6.

74

L’article 114 du TFUE stipule que « le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur ».

restructurée. La Commission européenne est-elle en position d’assumer ce rôle ? Elle défend sa légitimité pour ce faire en s’appuyant sur la jurisprudence dite Meroni(7). Dans la mesure où une décision de placer un établissement en résolution suppose d’interpréter les règles juridiques de l’Union, seule une institution de l’Union pourrait détenir ce pouvoir. Le commissaire chargé du marché intérieur et des services, Michel Barnier, a fait valoir de manière explicite, lors du collège des commissaires le 5 juin 2013 dernier, que « seule la Commission peut jouer ce rôle dans les conditions de rapidité et d’objectivité requises, d’autant qu’elle a acquis au cours de la crise une solide expérience de la restructuration des banques dans le cas du contrôle des aides d’État ». Il a précisé à cette occasion que le conseil de résolution devrait s’appuyer sur une équipe de l’ordre de 150 personnes et que le financement en serait assuré par des redevances versées par les banques. Ensuite, et ce second point est tout aussi délicat, la logique de la mise en place d’un mécanisme de résolution unique appelle la création d’un Fonds européen de résolution. Ce fonds serait alimenté ex ante par des prélèvements pondérés en fonction des risques auprès des banques. Il pourrait par ailleurs s’appuyer sur une ligne de crédit public du MES qui interviendrait en cas d’insuffisance du fonds, puis serait remboursé par des contributions ex post des banques. Un tel dispositif apparaît neutre d’un point de vue budgétaire ; il permettrait cependant des économies d’échelle et une mobilisation plus efficace qu’un réseau de fonds nationaux. Le projet de règlement propose la mise en place d’un fonds unique de restructuration alimenté par les contributions du secteur bancaire. Ce fonds pourrait s’élever, à l’issue de sa montée en puissance étalée sur une période de dix ans, à 1 % des dépôts de toutes les institutions concernées. Concrètement, le montant de la contribution des différents États membres dépendrait notamment du niveau de risque pris par le système bancaire national. 7.

Arrêt Meroni c. Haute Autorité, 13 juin 1958 (aff. 9/56 et 10/56, Rec., 1958, p. 11).

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CRÉDIT IMMOBILIER Harmonisation des contrats de crédit immobilier aux consommateurs(1)

Myriam R Professeur à l’Université du Maine

Contexte et but de la directive. Après la crise des subprimes, l’UE a décidé de se doter d’une législation sur le crédit immobilier aux consommateurs. La Commission avait en fait commencé à appréhender la question du crédit immobilier dès 2001, par la publication d’un code de conduite relatif à l’information précontractuelle devant être fournie aux consommateurs par les prêteurs offrant des prêts au logement(2). Mais la crise financière qui s’est propagée en Europe en 2009 l’a convaincue d’adopter une démarche plus ferme. Il aura fallu moins de trois ans pour que le texte sur les contrats de crédit relatif aux biens immobiliers à usage résidentiel voie le jour(3). Si faciliter l’avènement d’un marché intérieur des contrats de crédits sur les biens immobiliers est le premier objectif affiché, les autorités européennes ont aussi, et peut-être surtout, entendu couper court aux comportements irresponsables des professionnels de certains pays, comme l’Irlande et l’Espagne, dans lesquels la crise financière s’est rapidement muée en crise immobilière. Champ d’application. La directive sur le « crédit hypothécaire » a en réalité un domaine plus étendu que les seuls crédits garantis par une hypothèque ou une sûreté comparable portant sur les résidences immobilières. Elle s’applique aussi, plus simplement, aux contrats destinés à permettre l’acquisition de biens immobiliers, même si aucune hypothèque n’est consentie à cette occasion. Elle encadre aussi les acteurs distribuant des crédits immobiliers. Législation protectrice du consommateur. Dans la lignée de la directive sur le crédit à la consommation(4), l’idée est de protéger le consommateur par une harmonisation qui n’est pourtant que pour partie maximale. La relation contractuelle entre l’emprunteur et prêteur 1.

2. 3.

4.

Directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil sur les contrats de crédit relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel, 4 février 2014, J.O.U.E. L 60/34 du 28 février 2014. Recommandation n 2001/193/CE de la Commission, 1 mars 2001, J.O.C.E. n L 69 du 10 mars 2001. Directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil, 4 février 2014, J.O.U.E. n L 60 du 28 février 2014. Directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, 23 avril 2008, J.O.C.E. n L 133 du 22 mai 2008.

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se voit encadrée par différents dispositifs classiques qui sont autant d’obligations pour le prêteur : – informer de manière complète et gratuite le consommateur sur le crédit proposé, grâce à une fiche européenne d’information standardisée (FEIS) ; – calculer et faire apparaître le taux annuel effectif global (TAEG) dont la composition est précisée ; – prévoir un délai de réflexion et un droit de rétractation ; – octroyer à l’emprunteur un droit au remboursement anticipé. Les contrats de prêt en monnaie étrangère, très fréquents dans les pays comme la Lettonie, la Roumanie ou encore l’Estonie, et les contrats de crédit à taux variable sont aussi soumis à une information particulière sur les risques encourus par l’emprunteur.

La directive est inspirée par la volonté de responsabiliser les prêteurs et intermédiaires qui distribuent des crédits immobiliers aux consommateurs.

Encadrement des prêteurs et intermédiaires de crédit. La directive est aussi inspirée par la volonté de responsabiliser les prêteurs et intermédiaires qui distribuent des crédits immobiliers aux consommateurs. Ils se voient imposer des règles de bonne conduite assez analogues à celles mises à la charge des prestataires de services d’investissement par la directive MIF(5). Le prêteur, comme l’intermédiaire, doit délivrer au consommateur une information personnalisée, lui permettant de comparer les offres de crédit qui lui sont proposées. Ils devront procéder à une évaluation de sa solvabilité avant l’octroi de crédit. Les conflits d’intérêts sont aussi combattus, grâce à des règles relatives aux modes de rémunération de certains courtiers. Enfin, les intermé5.

Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004, J.O.C.E. n L 145/1 du 30 avril 2004.

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Chroniques

II.A. Régulation européenne


Chroniques

II. Régulation bancaire

diaires de crédit se voient doter d’un véritable statut, sur le modèle de celui de l’intermédiation en assurances, et disposeront d’un passeport européen, une fois enregistrés dans un État membre(6). La directive laisse certaines marges de manœuvre aux États membres pour leur permettre de tenir compte des

spécificités de leur marché immobilier national. Elle devra être transposée au plus tard le 21 mars 2016. 6.

Directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002, J.O.C.E. n L 9 du 15 janvier 2003.

SHADOW BANKING SYSTEM Système bancaire parallèle : la Commission entend imposer la transparence et le contrôle(1)

Myriam R Professeur à l’Université du Maine Définition. Le système bancaire parallèle, souvent dénommé Shadow banking system, est, selon le Conseil de la stabilité financière (CSF), le système d’intermédiation de crédit auquel concourent des entités et activités situées totalement ou partiellement en dehors du système bancaire classique. Concrètement, les activités réalisées dans ce secteur non régulé peuvent prendre la forme de la transformation de liquidités par des entités ad hoc, d’investissements réalisés par le biais de fonds à partir de capitaux qui présentent les caractéristiques de dépôts, de sociétés spécialisées dans le transfert de risque de crédit, ou même de garanties de crédit par des entreprises d’assurance ou de réassurance. À l’échelle mondiale, elles glaneraient ainsi des montants avoisinant la moitié des actifs du système bancaire régulé (53 000 milliards d’euros), ce qui justifie pleinement la préoccupation des autorités. Contexte. L’Union européenne a commencé à se soucier des risques inhérents à ce système, en lançant dès 2012 une consultation sous la forme d’un Livre vert sur les activités de crédit non bancaire(2), en parallèle les travaux du G20 et du CSF. Le CSF a, de son côté, publié en août 2013 onze recommandations en vue de réglementer le secteur, qui ont été approuvées lors du sommet du G20 à Saint-Pétersbourg en septembre 2013. Ceci a permis à la Commission de poursuivre son travail en la matière, en publiant la proposition de règlement relatif à la déclaration et à la transparence des opérations de financements sur titres(3). Ce projet de texte s’inscrit dans une double perspective. D’abord, il n’est qu’une illustration du vœu plus large de la Commission, manifesté auprès du Conseil et du Parlement européen en septembre dernier(4), d’encadrer de manière globale le système bancaire parallèle. Ensuite, le proposition de règlement doit être rapprochée de celle, publiée le même jour, organisant la réforme struc1.

2. 3. 4. 76

Proposition de règlement du 19 janvier 2014 sur la transparence des opérations de financement sur titres, doc. COM (2014) 40 final, 29 janvier 2014. Doc. COM (2012) 102 final, 19 mars 2012. Doc. COM (2014) 40 final, 29 janvier 2014. Doc. COM (2013) 0614 final, 4 septembre 2013.

turelle du secteur bancaire(5) : si les grandes banques se voient interdire de pratiquer la négociation pour compte propre et que de plus petites peuvent se voir imposer d’établir une séparation entre leurs activités de dépôt et certaines activités de négociation potentiellement risquées, on peut en effet craindre qu’elles ne cherchent à déplacer une partie de leurs activités vers le secteur bancaire parallèle. Objet de la proposition. Quelle forme cette réglementation doit-elle prendre ? L’un des principaux griefs opposés au système bancaire parallèle tient à sa part d’ombre. C’est pourquoi la proposition tend avant tout à assurer la transparence des activités risquées sur lesquelles il repose. Le CSF avait identifié que le financement sur titres, par le biais de prêts de titres et de mises en pensions, était source de risques importants. Lors de la crise financière, ces opérations de transfert temporaires auraient été source de contagion, de levier et d’effets procycliques. C’est pourquoi la proposition de règlement organise un dispositif de déclaration et, d’une manière plus générale, la transparence de ces opérations en vue d’en assurer le suivi(6).

Le dispositif de transparence permettra aux autorités compétentes d’appréhender les risques engendrés par ces opérations pour la stabilité du système financier.

5. 6.

V. A.-C. R, cette chronique, p. 71. Doc. COM. (2014) 40 final, 29 janvier 2014.

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Transparence et contrôle. Le dispositif de transparence reposera sur l’obligation pour les contreparties, financières (entités réglementées) ou non (entités non réglementées), de déclarer à un référentiel central les opérations de financement sur titres (prêts ou mises en pensions) auxquelles elles participent. Ceci permettra aux autorités compétentes, telles que l’AEMF, le CERS ou le SEBC, d’appréhender les risques engendrés par ces opérations pour la stabilité du système financier. Les gestionnaires de fonds (d’OPCVM ou de fonds alternatifs) devront préciser s’ils recourent à ces techniques, dans

les rapports qu’ils sont tenus d’établir régulièrement. De la même manière, la réaffectation des sûretés en garantie (techniquement désignée par le vocable re-use) sera subordonnée à l’accord donné par la contrepartie qui a fourni ces sûretés, après qu’elle aura été informée des risques inhérents à l’opération de réaffectation. La proposition de règlement se clôt sur des chapitres classiques relatifs à la désignation des autorités compétentes, aux relations avec les pays tiers et aux sanctions et mesures administratives pouvant être adoptées en cas d’infraction au règlement.

II. B. R é g u l a t i o n c o m p a r é e LA RÉGULATION DES CRYPTO-MONNAIES ET DE LEURS PLATES-FORMES DE CONVERSION

Julien D Doctorant contractuel Chargé d’enseignement Université Paris-Ouest Nanterre La Défense Quid faciant leges, ubi sola pecunia regnat […] ? P Satyricon, § 14 42Coin, Aphroditecoin, AuroraCoin, BitBar, Bitcoin, DigitalCoin, DogeCoin, GreenCoin, InfiniteCoin, iXcoin, LiteCoin, Mastercoin, Namecoin, PeerCoin, Sexcoin… Diverses sont les crypto-monnaies(1), nées de la féconde inventivité de certaines communautés virtuelles d’Internet, aux noms parfois évocateurs, qui se sont singulièrement multipliées au cours de ces dernières années. Celles-ci, dont la vocation originelle est de se substituer aux monnaies ayant cours légal(2), ont ceci d’original qu’elles offrent à leurs détenteurs des moyens de 1.

2.

Les textes tiennent indistinctement pour synonymes de « crypto-monnaies » les termes de « monnaie virtuelle » et de « monnaie digitale ». La terminologie anglosaxonne est parfois bien plus précise, en les désignant sous les vocables « open source peer-to-peer cryptocurrency » (dogecoin.com). V. sur ce thème : R. L, Recherches sur la monnaie en droit privé, L.G.D.J., 1992, et D.R. M, « De la monnaie », Mélanges H. Blaise, Economica, 1995, pp. 333 et s.

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paiement nouveaux, alternatifs aux solutions intermédiées actuelles, afin d’échanger ou d’acheter des biens et des services en ligne. Suscitant un engouement certain, notamment parmi les commerçants, celles-ci ont fini par exciter la curiosité des juristes. « Ne faut-il pas des lois pour mesurer les mesures ? »(3) s’interrogeait un auteur à propos de la monnaie. Les questions demeurent donc, somme toute, relativement classiques : par quelles règles sont-elles encadrées ? Et par quelles institutions sont-elles contrôlées ? L’étude de ces crypto-monnaies révèle que le régime de leur émission échappe à toute régulation (I), mais que celui de leur conversion en monnaie ayant cours légal, pratiqué par des plates-formes sur internet, commence à faire l’objet d’un encadrement particulier de la part des autorités de régulation (II).

I. L’absence d’encadrement de l’émission des crypto-monnaies Définition et modalités d’émission. Dépourvues, de par leur nature, de l’antique « effigie du prince », et plus généralement de tout corpus mysticum(4), ces cryptomonnaies sont, au sens de la Banque de France, des « unités de compte virtuelles stockées sur un sup-

3. 4.

J. C, Flexible droit – Pour une sociologie du droit sans rigueur, L.G.D.J., 2014, 10 éd., p. 404. J. C, ibid., pp. 394 et s.

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Chroniques

II.B. Régulation comparée


Chroniques

II. Régulation bancaire

port électronique »(5). Celles-ci diffèrent cependant des monnaies électroniques(6), telles que définies à l’article L. 315-1 du Code monétaire et financier(7), en ce qu’elles ne représentent pas une créance sur leur émetteur, qu’elles ne sont pas émises contre une remise de fonds(8). L’émission de ces dernières procède d’une technique bien particulière, propre aux technologies informatiques : celle du mining. La crypto-monnaie est émise de façon décentralisée, au sein d’une communauté d’internautes (les miners) ayant téléchargé, depuis internet, sur leurs unités informatiques respectives, un algorithme de mining (9) desdites monnaies. Une fois créées au moyen de cet outil, celles-ci sont allouées à chaque miner en fonction de sa participation au processus. Ces derniers peuvent alors les stocker, sur des supports divers, tels que des coffres-forts électroniques ou des portefeuilles papiers, en attendant de les échanger contre des biens ou des services, ou alors de les revendre, anonymement, sur certaines plates-formes spécialisées. Caractéristiques économiques. Bien qu’elles ne constituent ni une monnaie électronique légale au sens de la directive 2009/110/CE, ni un moyen de paiement au 5.

6.

7.

8.

9.

78

Banque de France, « Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du Bitcoin », Focus, n 10, 5 décembre 2013, p. 1. S. L, « La nature juridique de la monnaie électronique », Bulletin Banque de France, n 70, octobre 1999, pp. 45 et s. L’article L. 315-1 du Code monétaire et financier, transposant l’article 2.2 de la directive 2009/110/CE, dispose comme suit : « I. La monnaie électronique est une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement définies à l’article L. 133-3 et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique. II. Les unités de monnaie électronique sont dites unités de valeur, chacune constituant une créance incorporée dans un titre ». L’article 4.5 de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE, repris à l’article L. 133-3 du Code monétaire et financier, définit l’opération de paiement comme « une action, initiée par le payeur ou le bénéficiaire, consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire ». De ce point de vue, les monnaies virtuelles ne répondent pas à la définition de moyen de paiement. V. également en ce sens : Banque de France, ibid., p. 1. L’article 4.15 de la directive « DSP » 2007/64/CE du 13 novembre 2007 relative aux services de paiement définit les fonds comme étant « les billets de banque et les pièces, la monnaie scripturale et la monnaie électronique au sens de l’article 1, paragraphe 3, point b), de la directive 2000/46/CE ». L’Autorité bancaire européenne (ABE) parle de programmes appelés « mineurs de Bitcoins ». Communiqué de l’ABE, EBA/WRG/2013/01, 12 décembre 2013, p. 2.

sens de la directive « DSP » 2007/64/CE(10), celles-ci ont pourtant eu, dès l’origine, pour finalité première de remplir les fonctions traditionnelles de la monnaie ayant cours légal. À savoir : représenter, d’un côté, une unité de compte permettant de mesurer la valeur des flux et des stocks de biens, de services ou d’actifs(11), et représenter, de l’autre, un instrument de paiement et d’échange(12), en ce que celle-ci possède un effet libératoire et qu’elle constitue une réserve de valeur liquide(13). Or, même au regard de ces critères, il semble bien abusif, voire impropre, de leur attribuer la qualification même de monnaie(14), dans la mesure où ces critères ne sont pas remplis, ou, du moins, qu’imparfaitement. D’une part, leur fonction d’échange et leur effet libératoire ne sont que purement conventionnels et non légaux, ceux-ci n’étant effectifs qu’entre les seuls membres de la communauté d’utilisateurs de ces monnaies(15), d’autre part, la trop grande volatilité de leurs cours n’en fait pas des réserves de valeur satisfaisantes. Risques. Dès lors, échappant à un cadre législatif protecteur, et à toute régulation des banques centrales, ces crypto-monnaies font courir un certain nombre de risques à leurs détenteurs. D’abord, ces derniers ne pourront bénéficier d’une garantie de remboursement à la valeur nominale de leurs unités de monnaie, prévue à l’article L. 315-8 du Code monétaire et financier, transposant l’article 11 de la directive 2009/110/CE(16), en cas de vol ou de fraude notamment(17). Ensuite, leurs conditions d’émission sont telles qu’elles rendent leurs cours hautement spéculatifs. Ainsi la création de Bitcoins est-elle, par exemple, d’ores et déjà limitée pour l’avenir(18) à 21 millions d’unités, celle des LiteCoins 10. V. dans le même sens : Banque de France, « Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du Bitcoin », Focus, n 10, 5 décembre 2013, p. 1. 11. V. notamment L. W, Éléments d’économie politique pure, Economica, 1988. 12. Sur la double fonctionnalité de la monnaie, « fruit de l’histoire » : F. T et P. S, Droit civil – Les biens, coll. Précis Dalloz, 7 éd., 2006, n 12, p. 16. 13. V. sur ce point précis J.-F. G, Macroéconomie monétaire et financière – éories, institutions, politiques, Economica, 7 éd., 2013, pp. 20 et s. 14. V. en ce sens J. L C, « Trois questions sur le Bitcoin », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n 3, 16 janvier 2014, p. 25, et T. B, Droit bancaire, Montchrestien, 2013, 10 éd., n 85. 15. V. également en ce sens J. L C, ibid., p. 25. 16. Article 11 de la directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE. 17. V. par exemple les articles L. 133-1 et suivants du Code monétaire et financier. 18. La quantité de monnaie finale créée par la communauté des miners est prédéfinie par l’algorithme de mining.

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à 84 millions d’unités, et celle des 42Coins à 42 unités. La limitation de la quantité maximale disponible de ces monnaies ainsi que leur rythme de création dans le temps ont une incidence directe sur la volatilité de leurs cours, en influant directement sur l’offre de ces monnaies. Parmi les plus fortes fluctuations, le cours du Bitcoin s’est particulièrement distingué, passant, pour sa part, de moins de 1 USD à sa création, en 2010, à plus de 1 000 USD le 28 novembre 2013(19). Le cours le plus haut jamais atteint par une monnaie digitale est, quant à lui, celui du 42Coin, chaque 42Coin se négociant en janvier 2014 à plus d’un million de dollars(20). À cet égard, il est opportun de constater, à l’instar de la Banque de France et de la Banque centrale européenne(21), que l’opération de convertibilité de ces crypto-monnaies en monnaies ayant cours légal, seul moyen de tirer profit d’une telle spéculation, n’est pour l’heure garantie par aucun organisme centralisé, de type chambre de compensation, ni par aucune institution financière.

L’opération de convertibilité de ces crypto-monnaies en monnaies ayant cours légal [...] n’est pour l’heure garantie par aucun organisme centralisé, de type chambre de compensation, ni par aucune institution

financière.

19. Banque de France, ibid., p. 4. 20. Alors même qu’une unité entière de 42Coin n’avait pas encore été créée, 0,825 42Coin se négociant à l’époque à 1 095 860 USD. Depuis, son cours a subi une baisse significative puisqu’il s’établit au 23 mars 2014 à 53 219 USD. Données disponibles sur www.42coin.org et http ://www.prweb.com et coinmarketcap.com. 21. Banque centrale européenne, Virtual currency schemes, octobre 2012, p. 22. 2014/2

De ce point de vue, il y a fort à parier que ce double manque de garantie n’ira pas sans créer un manque de confiance certain parmi les utilisateurs potentiels de ces monnaies, confiance pourtant indispensable à leur succès. De plus, ces dernières font également l’objet d’une méfiance toute particulière de la part des autorités de supervision, tant il est vrai qu’elles servent parfois à réaliser des opérations de shadow payment (22) ; l’anonymat de leur transfert entraînant des risques quant aux fins criminelles(23), de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme(24), auxquelles elles pourraient être employées. Mises en garde des autorités de régulation. Or, c’est précisément pour limiter leur utilisation à des fins illicites et pour prévenir les risques potentiels qu’engendrent ces crypto-monnaies, notamment sur la stabilité du système financier(25) ainsi que sur l’épargne des particuliers et des investisseurs professionnels, que la Banque de France(26), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)(27), Tracfin(28), la Banque centrale européenne (BCE)(29), l’Autorité bancaire européenne (ABE)(30), le Groupe d’action financière (GAFI)(31), ou encore la Financial Industry Regulatory Authority (FINRA)(32) et le Financial Crimes

22. B. B, « Shadow activities : quel encadrement ? », Gaz. Pal., 18 mars 2014, n 77, p. 3. 23. Notons à ce propos, en 2013, la fermeture par les autorités judiciaires américaines du site internet Silk Road, site d’acquisition de produits narcotiques en ligne qui n’acceptait que les Bitcoins comme moyen de paiement. V. FBI New York Field Office, communiqué de presse, « Manhattan U.S. Attorney Announces the Indictment of Ross Ulbricht, the Creator and Owner of the Silk Road Website », 4 février 2014. 24. « Le Bitcoin commence à préoccuper les autorités », Gaz. Pal., 18 mars 2014, n 77, p. 8. 25. Et cela dans la mesure où commencent à se développer des produit financiers d’investissement, tel que le Winklevoss Bitcoin Trust, ayant pour sous-jacent le cours du Bitcoin, alors même que ce dernier « n’est adossé à aucune activité réelle, et qu’il n’est représentatif d’aucun actif sous-jacent ». Banque de France, ibid., p.3 26. Banque de France, ibid. 27. Position ACPR 2014-P-01 du 29 janvier 2014 relative aux opérations sur Bitcoins en France. 28. Rapport d’activité Tracfin 2011 et communiqué presse du 5 mars 2014, n 1124, relatif aux monnaies virtuelles et à la surveillance particulière des flux financiers impliquant l’Ukraine. 29. Banque centrale européenne, Virtual currency schemes, octobre 2012. 30. Communiqué de l’ABE, « Avertissement aux consommateurs concernant les monnaies virtuelles », EBA/WRG/ 2013/01, 12 décembre 2013. 31. Document GAFI-FATF, « Guidance for a risk based approach. Prepaids cards, mobile payments and internetbased payment service », juin 2013. 32. FINRA Investor alert, « Bitcoin : more than a Bit Risky », 11 mars 2014.

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Chroniques

II.B. Régulation comparée


Chroniques

II. Régulation bancaire

Enforcement Network (FinCEN)(33), aux États-Unis d’Amérique, ainsi que la Banque centrale de Chine, et la Banque centrale indienne(34), ont récemment multiplié leurs publications d’information et de mise en garde du public. Cependant, ces recommandations interprétatives, constitutives d’un droit souple, sans doute encore trop mou, n’ont été d’aucun effet sur le sort des plates-formes MtGox(35) et Flexcoin(36) ainsi que sur celui de certains investisseurs. Mais, ayant fort justement constaté que l’émission de ces dernières échappait à toute régulation, c’est tout naturellement que ces mêmes autorités se sont intéressées aux modalités de leur conversion en monnaie ayant cours légal (II).

II. L’ébauche d’un encadrement de l’activité de conversion des crypto-monnaies Principe. Le processus de conversion des cryptomonnaies est a priori relativement simple à comprendre. Pour ce faire, un acheteur de Bitcoin transfère(37) des unités de monnaie ayant cours légal, comme des euros ou des dollars par exemple, vers une plate-forme spécialisée(38), laquelle va les lui créditer sur un compte ad hoc. Une fois le compte de l’acheteur crédité de ces devises, en euros ou en dollars, ce dernier peut alors formuler librement, sur le site, une offre d’achat de Bitcoins. Cependant, la transaction n’aboutira que si cette offre d’achat rencontre en face sa contrepartie, c’est-à-dire une offre vendeuse de Bitcoins correspondante. Une fois la transaction réalisée, l’acheteur voit alors son compte crédité des Bitcoins ; le vendeur voyant, quant à lui, son compte crédité des devises de l’acheteur. Approche jurisprudentielle. Ce schéma synthétique, simplifié à l’extrême, est beaucoup plus redoutable à appréhender du point de vue de sa qualification et de sa régulation. La jurisprudence française l’illustre parfaitement. Celle-ci eut même à se prononcer à quatre 33. V. Guidance (FIN-2013-G001), « Application of FinCEN’s Regulations to Persons Administering, Exchanging, or Using Virtual Currencies », 18 mars 2013. 34. V. J. L C, ibid., 25. 35. Début 2014, la plate- forme Magic the Gathering online exchange (MtGox) aurait perdu, à la suite d’une attaque informatique, près de 650 000 Bitcoins, pour un préjudice estimé à plusieurs centaines de millions d’euros. 36. Flexcoin fit faillite en mars 2014 à la suite d’une attaque informatique, accusant elle aussi la perte de nombreux Bitcoins, pour un préjudice estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros. 37. Quant aux modalités de paiement, ces plates-formes en offrent un large choix : par carte bancaire, par virement bancaire SEPA, en liquide, à partir d’un porte-monnaie électronique, par carte prépayée, par Paypal… 38. Il s’agit de sites internet spécialisés. 80

reprises sur la nature de cette activité de conversion des crypto-monnaies en monnaies ayant cours légal à propos d’un litige rocambolesque opposant la SAS Macaraja au Crédit industriel et commercial (CIC). En 2011, deux ans après avoir ouvert un compte de dépôt dans les livres du CIC, la société Macaraja conclut un contrat d’intermédiaire de commerce avec la société de droit japonais Tibanne, gérante de la plate-forme Mt.Gox. Quelques mois plus tard, le CIC, ayant appris que la société Macaraja utilisait son compte à des fins d’intermédiation pour le paiement de transactions portant sur des Bitcoins effectuées sur la plate-forme Mt.Gox, clôtura le compte de sa cliente. Cette dernière, ne trouvant pas d’autres établissements de crédit acceptant de lui ouvrir un compte, saisit alors la Banque de France, en vertu de son droit au compte(39), afin que cette dernière lui en désigne un d’office, conformément aux dispositions de l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier. La Banque de France désigna in fine le CIC, dernière banque dans laquelle la requérante était titulaire d’un compte. Mais le CIC refusa de nouveau. La société Macaraja saisit donc le président du tribunal de commerce de Créteil, lequel statua en référé par une ordonnance du 11 août 2011(40) enjoignant sous astreinte, au CIC, l’ouverture d’un compte de dépôt. En appel, le CIC, décidé à ne pas fléchir, invoqua des contestations sérieuses eu égard aux activités d’intermédiaire financier non régulées qu’exerçait, selon lui, la société Macaraja. Par un arrêt du 26 août 2011(41), la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance de référé, les juges estimant que « les contestations soulevées par le CIC relatives à l’activité exercée par la société Macaraja, à laquelle il reproche de pratiquer des opérations de banque ou d’intermédiaire financier, ne peuvent être appréciés qu’en déterminant la nature même des Bitcoins, ce qui ne relève pas de l’appréciation du juge des référés, mais de celle du juge du fond ». C’est donc par un jugement, attendu, du 6 décembre 2011(42) que le tribunal de commerce de Créteil se prononça sur la nature de l’activité de la société Macaraja. Pour les juges, cela ne faisait aucun doute que l’activité de conversion à laquelle se livrait cette dernière devait s’analyser, au regard de l’article L. 314-1, II, du Code monétaire et financier, comme la fourniture d’un service de paiement et, qu’en tant que telle, celle-ci nécessitait l’obtention d’un agrément d’établissement de paiement. Les juges, sans toutefois se prononcer sur la nature des Bitcoins, donnèrent raison au CIC et ordon39. V. à ce propos F.-J. C et T. S, « Clôture du compte en raison des activités exercées par le titulaire », Rev. dr. banc. fin., n 1, janvier 2012, comm. 2. ; F.-J. C et T. S, « Clôture du compte en raison des activités exercées par le titulaire », Rev. dr. banc. fin., n 1, janvier 2014, comm. 3 ; F. G, Contrats bancaire, t. 1, Contrats de services, Economica, 1990, pp. 53 et s. 40. Comm. Créteil, ord. prés. 11 août 2011, R.G. n 2011R00309. 41. Paris, pôle 1, chambre 1, 26 août 2011, R.G. n 11/152/69. 42. Comm. Créteil, 6 décembre 2011, R.G. n 2011FOO771.

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nèrent la clôture immédiate du compte. Mais, combative, la société Macaraja n’en resta pas là et fit appel de cette décision. À son grand malheur, toutefois, la cour d’appel de Paris, par un arrêt du 26 décembre 2013(43), dont l’analyse n’a guère convaincu(44), donna raison aux juges du premier degré estimant que « la société Macaraja sert d’intermédiaire de commerce pour effectuer une prestation de paiement de fonds appartenant à des tiers pour le compte de tiers, ce qui s’analyse en une action de service de paiement au sens de l’article L. 314-1 du Code monétaire et financier transposant la directive 2007/64/CE et une activité d’intermédiaire financier régie par les articles L. 511-5 et L. 519-2 du Code monétaire et financier, justifiant un agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel que la société Macaraja n’a pas sollicité, bien qu’elle lui ait demandé son avis sur la nature de son activité et qu’elle lui ait répondu par courrier du 13 octobre 2011 que, selon elle, et sous réserve de l’avis du collège, elle exerçait une activité de paiement supposant une habilitation ». Limites de l’approche jurisprudentielle. Les observations du professeur ierry Bonneau sont, à l’égard de cette dernière décision, particulièrement pertinentes et méritent d’être suivies. Ainsi que ce dernier le souligne, « la distinction entre utilisateur et prestataire de service de paiement est essentielle. L’est tout autant la question de savoir quel compte de paiement est en cause »(45). Cet argument, d’une importance capitale, vient profondément affaiblir le fondement sur lequel la Cour appuyait son raisonnement, à savoir l’article L. 314-1 du Code monétaire et financier(46), dans la mesure où aucune des dispositions de cet article ne semble correspondre, eu égard aux faits d’espèce, à l’activité réellement menée par la société Macaraja. C’est, alors, par une sorte d’artifice, presque abusivement, que les juges ont étendu la notion de fourniture de service de paiement à l’activité d’une société qui, au-delà de l’apparence, ne l’englobait pas. L’approche des autorités de régulation. La position de la Cour, aussi surprenante soit-elle, est néanmoins compréhensible, en ce qu’elle suit fidèlement les positions de la Banque de France et de l’ACPR. Ces deux autorités ont également analysé l’opération de conversion des crypto-monnaies en monnaies ayant cours légal comme un service de paiement dès lors qu’il y a réception de fonds, virement de fonds, et tenue de comptes de la part de la plate-forme(47). Elles ont, en outre, estimé, qu’à 43. Paris, pôle 5, chambre 6, 26 septembre 2013, R.G. n 12/00161. 44. T. B, « Une société qui utilise un compte bancaire sur lequel transitent des Bitcoins est-elle un prestataire de service de paiement ? », J.C.P. éd. E, n 8, 20 février 2014, p. 1091. 45. T. B, ibid. V. notamment les développements 5 à 13. 46. Combiné à l’article L. 133-3 du Code monétaire et financier à propos de l’exécution de l’opération de paiement. 47. V. Position ACPR 2014-P-01 du 29 janvier 2014 relative aux opérations sur Bitcoins en France, p. 1, et Banque de France, ibid., p. 6. 2014/2

ce titre, cette dernière nécessitait l’obtention d’un agrément de prestataire de service de paiement. Ces éléments de définitions ne semblent pas anodins, et sont formulés de façon suffisamment vague pour être englobés dans la définition de « service de paiement » telle qu’énoncée à l’article 4.3, renvoyant à l’annexe, de la directive « DSP » 2007/64/CE.

C’est, alors, par une sorte d’artifice, presque abusivement, que les juges ont étendu la notion de fourniture de service de paiement à l’activité d’une société qui, au-delà de l’apparence, ne l’englobait pas.

Au sens de cette directive, un « service de paiement » s’entend de toute activité exercée à titre professionnel permettant « 1. De verser des espèces sur un compte de paiement et de toutes les opérations qu’exige la gestion d’un compte de paiement. 2. De retirer des espèces d’un compte de paiement et de toutes les opérations qu’exige la gestion d’un compte de paiement. 3. L’exécution d’opérations de paiement, y compris les transferts de fonds sur un compte de paiement auprès du prestataire de services de paiement de l’utilisateur ou auprès d’un autre prestataire de services de paiement. 4. L’exécution d’opérations de paiement dans le cadre desquelles les fonds sont couverts par une ligne de crédit accordée à l’utilisateur de services de paiement. 5. L’émission et/ou l’acquisition d’instruments de paiement. 6. Les transmissions de fonds. […] »(48). Approche américaine. La FinCEN, aux États-Unis, a, quant à elle, considéré que les plates-formes d’échange décentralisées de monnaies virtuelles réalisaient une activité, non pas de service de paiement, mais de transfert 48. V. annexe de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE. Cet article a été transposé à l’article L. 314-1 du Code monétaire et financier.

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II.B. Régulation comparée


Chroniques

II. Régulation bancaire

de fonds, et qu’elles nécessitaient elles aussi, en tant que telles, une autorisation particulière(49) : l’obtention d’une licence de money service business(50). Finalité des différentes approches. Ainsi, pour le moment, c’est sur le terrain de l’agrément que se joue potentiellement le contrôle de l’activité de conversion des plates-formes d’échange des crypto-monnaies. C’est, sans doute, d’ailleurs, à cette fin qu’il semble si impératif aux autorités de régulation de considérer l’activité de conversion de ces plates-formes, ou de leurs intermédiaires, comme un service de paiement. Bien que cette attitude, légitime, soit tout à fait compréhensible, ne serait-ce que pour les raisons que nous avons exposées jusqu’à présent, on peut néanmoins se demander quel(s) est/sont le(s) agrément(s) compatible(s) en la matière. L’agrément prévu à l’article L. 522-6 du Code monétaire et financier ne concerne pour sa part que les établissements de paiement, et non encore les plates49. « A person that creates units of this convertible virtual currency and uses it to purchase real or virtual goods and services is a user of the convertible virtual currency and not subject to regulation as a money transmitter. By contrast, a person that creates units of convertible virtual currency and sells those units to another person for real currency or its equivalent is engaged in transmission to another location and is a money transmitter ». V. Guidance (FIN-2013-G001), « Application of FinCEN’s Regulations to Persons Administering, Exchanging, or Using Virtual Currencies », 18 mars 2013. V. également : Banque de France, ibid, p. 6. 50. Selon la FinCEN le terme « “money services business” (MSB) includes any person doing business, whether or not on a regular basis or as an organized business concern, in one or more of the following capacities : (1) Currency dealer or exchanger. (2) Check casher. (3) Issuer of traveler’s checks, money orders or stored value. (4) Seller or redeemer of traveler’s checks, money orders or stored value. (5) Money transmitter. (6) U.S. Postal Service. […] No activity threshold applies to the definition of money transmitter. us, a person who engages as a business in the transfer of funds is an MSB as a money transmitter, regardless of the amount of money transmission activity ». FinCEN’s regulation, codified Bank Secrecy Act (BSA) regulation, 31 CFR 103.11(uu).

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formes de conversion. Dès lors, ces dernières seraientelles soumises à la supervision de l’ACPR, tel que cela est prévu par le texte ? Rien ne semble moins sûr(51). L’idée cependant, sur son principe, est bonne : l’agrément permettrait aux autorités de contrôle de lutter plus efficacement encore contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, de même qu’il leur permettrait de surveiller la sécurité opérationnelle de ces platesformes pour éviter que se reproduisent certaines déconvenues, comme celles entraînées par les défaillances de MtGox(52) et de Flexcoin notamment(53). *** Conclusion. C’est donc face à une page (presque) blanche que se retrouve aujourd’hui le législateur européen pour encadrer le phénomène des crypto-monnaies. De toute évidence, la régulation de l’émission de ces crypto-monnaies ne sera pas aisée. Pas plus que ne le sera celle de leur activité de conversion en monnaie ayant cours légal par des plates-formes spécialisées. Le législateur sera immanquablement amené à prendre parti. Considérera-t-il que cette activité, nécessitant un agrément, ne devra être réservée qu’aux seuls établissements de paiement ? Distinguera-t-il la fourniture de services de paiement de la gestion des plates-formes de conversion ? Fera-t-il de la gestion de plate-forme de conversion un service distinct(54) ? La révision au niveau européen de la directive sur les services de paiement(55) ainsi que les recommandations, attendues en avril 2014, du groupe de travail interministériel, créé il y a un peu plus d’un an, auquel Tracfin et la Banque de France ont pris part, devraient bientôt apporter les premiers éléments de réponse. 51. À moins, bien sûr, que ces dernières n’aient déjà obtenu un agrément d’établissement de paiement. 52. MtGox est, plus exactement, en situation de redressement judiciaire (« civil rehabilitation procedure »), www.mtgox.com. 53. Banque de France, ibid., p. 6. 54. V. T. B, ibid., p. 2. 55. P. S, « De la DME à la DSP2 : le nouvel horizon des paiements », Banque et droit, 2013, n 152, pp. 8 et s.

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II.C. Régulation internationale

II. C. R é g u l a t i o n i n t e r n a t i o n a l e VERS UNE COOPÉRATION RENFORCÉE DES SUPERVISEURS BANCAIRES POUR LES GROUPES BANCAIRES INTERNATIONAUX(1) ? Juliette M-M Maître de conférences à l’Université Paris Dauphine Centre de recherches Droit Dauphine

Le modèle de supervision proposé [...] repose [...] sur la mise en œuvre de mécanismes de collaboration [...]

Depuis sa création en 1974, le Comité de Bâle ne se contente pas de fixer des ratios de solvabilité, mais élabore également des principes destinés à favoriser une supervision plus efficace des groupes bancaires. Le Comité cherche ainsi à améliorer la qualité de la surveillance des banques par l’adoption de principes destinés pour l’essentiel à guider les autorités de tutelle et harmoniser les pratiques en la matière. Pourtant, la succession des crises bancaires et financières depuis 2008 a révélé des carences en ce domaine et elle s’est traduit par d’importantes réformes de la régulation bancaire et financière en Europe et à travers le monde. En octobre 2010, le Comité de Bâle publiait un guide des bonnes pratiques en matière de supervision bancaire des groupes bancaires internationaux. Un processus de révision de celui-ci est désormais engagé avec ce document publié en janvier 2014. De fait, la supervision des groupes bancaires internationaux par les seules autorités nationales n’apparaît pas suffisante pour anticiper et évaluer les risques systémiques qu’ils présentent(2). L’objectif est de contribuer à une surveillance plus efficace des banques par des collèges réunissant des représentants des autorités nationales et ainsi d’améliorer la qualité de la surveillance. Le Comité de Bâle établit sept principes nécessaires à la surveillance internationale des groupes bancaires.

1.

2.

Comité de Bâle, « Revised good practice principles for supervisory colleges », Consultative document, janvier 2014, disponible sur le site internet www.bis.org. Cette difficulté de supervision des grands groupes se pose aussi pour les conglomérats financiers composés de différents types d’entreprises réglementées. Au plan européen, ces groupes font l’objet d’une surveillance supplémentaire, renforcée à la suite de la crise financière par la directive 2011/89/UE du 16 novembre 2011, transposée en droit français par l’ordonnance n 2014-158 du 20 février 2014.

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au sein de collèges comprenant des représentants des superviseurs

nationaux.

Le modèle de supervision proposé par le Comité de Bâle repose très largement sur la mise en œuvre de mécanismes de collaboration institutionnalisés au sein de collèges comprenant des représentants des superviseurs nationaux. Il s’agit d’identifier les établissements présentant des risques systémiques importants pour la stabilité du système financier mondial. La surveillance suppose ainsi l’organisation d’échanges d’information entre superviseurs sur les risques, la vulnérabilité éventuelle et les pratiques de gouvernance de ces établissements. Le Comité dresse ainsi une liste très détaillée des informations susceptibles d’être échangées dans le cadre de ces collèges parmi lesquels figurent notamment les modes de couverture des risques, les plans de prévention des crises, les documents résultant des audits internes et externes des entreprises concernées, les résultats de stress test ou même les pratiques en matière de rémunération des établissements. Le fonctionnement effectif de ces collèges est également précisé afin de faciliter les échanges d’information, échanges qui passent par des transmissions électroniques, mais aussi des rencontres régulières des membres désignés des autorités de surveillance participant aux collèges. De manière plus ambitieuse, cette étroite collaboration

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II. Régulation bancaire

au sein des collèges doit aussi permettre de développer des pratiques de surveillance équivalentes au sein des différents États ou groupes d’États participant à ces collèges. Au-delà d’une simple coopération entre les autorités de supervision par l’intermédiaire des collèges, le Comité de Bâle préconise que des liens directs soient établis entre les collèges de supervision et les groupes bancaires concernés qui pourraient être amenés à leur présenter leur stratégie ou encore leur exposition aux risques. Enfin, et à l’image de la démarche adoptée au plan interne(3) et européen(4), le Comité de Bâle prévoit 3.

4.

Sur la résolution bancaire mise en place au plan interne par la loi du 26 juillet 2013, v. T. B, « Le régime de résolution bancaire (titre 4 de la loi du 26 juillet 2013) », Rev. proc. coll., septembre 2013, étude 26 ; A.-C. M, « La nouvelle procédure de résolution, articles 26 et 27 de la loi du 26 juillet 2013 », R.D.B.F., novembre 2013, dossier 54 ; G. D, Y. G et J. M-M, Droit bancaire, 2 éd., 2014, n 132 et s. Le Conseil et le Parlement européen sont parvenus, le 20 mars 2014, à un accord sur la mise en place du Mécanisme de résolution unique ; v. A. G et L. T, « Une nouvelle étape vers l’Union bancaire européenne : après le MSU, le MRU », R.D.B.F., septembre 2013, comm. 170.

que le renforcement de la surveillance des banques doit s’accompagner de la mise en place de procédures de résolution destinées à prévenir les défaillances d’établissements, la crise ayant permis de mesurer les risques systémiques auxquelles ces défaillances peuvent conduire. S’agissant d’ailleurs de l’intégration européenne, le comité relève que la coopération et coordination très avancée des autorités de surveillance du secteur bancaire ne doit pas conduire à négliger les risques que présentent les groupes bancaires européens dans un contexte plus international. En effet, le Comité insiste sur le fait que les groupes bancaires européens ont aussi d’importantes activités en Amérique du Nord ou en Asie qui imposent une collaboration avec les autorités de supervision de ces pays. Si le document établi par le Comité de Bâle n’a pas de force contraignante et ne constitue pour le moment qu’un projet soumis à consultation, celui-ci poursuit clairement deux objectifs : à la fois à jeter les bases d’une surveillance internationale des groupes bancaires mondialisés fondée sur une collaboration étroite des superviseurs nationaux ou régionaux afin de prévenir les risques systémiques, et contribuer par cette coopération à harmoniser les pratiques de supervision à travers le monde.

ACCORD ENTRE LA FRANCE ET LES ÉTATS-UNIS POUR LA MISE EN ŒUVRE DE LA LOI FATCA(1)

Juliette M-M Maître de conférences à l’Université Paris Dauphine Centre de recherches Droit Dauphine L’accord signé par la France et les États-Unis le 14 novembre 2013 et destiné à mettre en œuvre la loi américaine dite FATCA progressivement à compter de 2014 témoigne de la volonté affichée des autorités étatiques de lutter contre la fraude fiscale dans un contexte international sans que le secret bancaire ou tout autre principe de protection de la vie privée des personnes ne soit à même de contrarier cet objectif. Cet accord de cinquante-six pages fixe le cadre pour la mise en œuvre de l’échange automatique entre la France et les États-Unis, et précise à cette fin l’ensemble des définitions et procédures en vue de mettre en œuvre le dis1.

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Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des États-Unis d’Amérique en vue d’améliorer le respect des obligations fiscales à l’échelle internationale et de mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FACTA »), disponible sur le site internet www.economie.gouv.fr/files/ usa_accord_fatca_14nov13.pdf.

positif de manière homogène. Le champ d’application de l’échange automatique d’information est très largement défini. Il concerne tout type de compte, compte de dépôt, d’épargne, compte titre, compte d’assurance-vie dont le titulaire est un résident fiscal français ou américain, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale. Le compte doit être tenu par une « institution financière », c’est-à-dire soit par un établissement bancaire, soit par une entreprise d’investissements ou d’assurance. Les informations automatiquement échangées entre les deux pays concernent les éléments d’identification des comptes et de leurs titulaires, mais aussi le solde ou la valeur du compte ainsi que tous les revenus produits éventuellement produits par le compte (intérêts, dividendes…). Cet échange doit être effectué une fois par an dans les neuf mois qui suivent la fin de l’année civile à laquelle ils se rattachent entre le ministre chargé des finances ou son représentant pour la France, et le secrétaire au Trésor ou son représentant pour les ÉtatsUnis. Les obligations imposées aux établissements par cet accord sont extrêmement étendues, et supposent des investigations approfondies notamment lorsqu’il s’agit de déterminer le titulaire effectif des comptes. L’article 5 de l’accord envisage les erreurs de déclaration, la possibilité pour les deux pays d’autoriser les institutions financières déclarantes à faire appel à des prestataires tiers pour s’acquitter des obligations im-

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posées par l’accord et prévoit encore que toute infraction aux obligations déclaratives imposées par cet accord peut être sanctionnée par les dispositifs du droit interne, notamment par voie d’amende prononcée à l’égard des institutions financières. S’agissant du droit français, on peut penser que l’inertie ou les négligences des institutions financières concernées prendront la forme de sanctions disciplinaires prononcées par l’ACPR ou l’AMF. Si on comprend les objectifs poursuivis par cet accord, il apparaît particulièrement inquiétant pour les droits fondamentaux des titulaires de comptes visés par ces déclarations. En effet, cet accord très détaillé et précis demeure muet sur les éventuelles garanties accordées aux titulaires de comptes concernés. Reste-t-il encore

une place pour le secret bancaire ou la protection des données personnelles des intéressés, alors même qu’il est possible de faire appel à des prestataires tiers pour s’acquitter des obligations déclaratives ? Le texte ne fait aucunement référence aux conditions de sécurité ou de confidentialité qui entourent ces transmissions d’informations. Aucune disposition de l’accord ne prévoit non plus l’obligation d’informer les clients de ces déclarations et de leur teneur. Aucun recours n’est enfin envisagé pour ces derniers en cas de communication erronée ou de détournement des données transmises. Les droits fondamentaux des individus sont ainsi les grands absents de cet accord et semblent largement sacrifiés sur l’autel de la transparence et de la lutte contre la fraude fiscale.

ÉVOLUTIONS CONTRACTUELLES RÉCENTES DES CONVENTIONS DE CRÉDIT DE DROIT FRANÇAIS CONÇUES À PARTIR DU CONTRAT-TYPE DE LA LOAN MARKET ASSOCIATION

Amaël B Doctorant CIFRE, Université Paris 2 Panthéon-Assas Juriste, Hogan Lovells (Paris) LLP Depuis 2007 et la succession des crises financière et économique, l’environnement de marché du crédit bancaire syndiqué est fortement marqué par les restructurations et le refinancement de dettes, notamment sur le marché du Leveraged Buy-Out (1). Les négociations entre emprunteurs et prêteurs sur les clauses de la documentation de financement se sont intensifiées et témoignent d’une évolution des usages du financement syndiqué. Une volonté forte des parties est désormais d’anticiper au maximum les difficultés qui pourraient survenir en cas de restructuration de la dette. Les pratiques contractuelles actuelles reflètent ainsi l’expérience acquise par les acteurs du marché lors des restructurations de dettes et de certaines procédures collectives. Suivant cette volonté d’éviter les situations de blocage, de nouvelles clauses sont désormais insérées de manière quasi systématique dans les conventions de crédit(2), particulièrement lorsque l’opération financée est une acquisition avec effet de levier à laquelle sont parties des sociétés affichant de fortes capitalisa-

tions boursières. Par exemple, parmi les clauses emblématiques de cette évolution, la clause dite yank the bank autorise l’emprunteur à remplacer, dans certaines circonstances(3), un membre du syndicat bancaire par un nouveau prêteur. Également, la clause snooze you loose permet, dans l’hypothèse où l’emprunteur formule une demande de modification, de renonciation ou d’accord concernant la documentation de financement, d’exclure un prêteur, qui ne se serait pas prononcé dans un certain délai, du calcul de la majorité nécessaire à l’approbation de la demande. De même, la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008 est à l’origine de l’apparition de la clause de prêteur défaillant (Defaulting Lender) qui permet à l’emprunteur, face à un prêteur se trouvant affecté par une procédure d’insolvabilité, d’exiger de ce dernier qu’il transfère l’intégralité de ses droits et obligations au titre de la convention de crédit et l’intégralité de son engagement au profit d’un nouveau prêteur désigné par l’emprunteur et accepté par les parties financières. En reflet de ce nouvel environnement de marché, la Loan Market Association (LMA) a adapté ses modèles de documentation de financement, notamment en intégrant ces nouvelles clauses à certains contrats types de droit anglais(4). En droit français, le contrat type de convention d’ouverture de crédit multidevises comportant un crédit à terme et une ouverture de crédit réutilisable conçue par la LMA (le « modèle LMA »), qui 3.

1.

2.

Le montant estimé de dette LBO à refinancer entre 2013 et 2016 s’établirait entre 38 et 47 milliards d’euros. «Bientôt l’éclaircie », Capital Finance – Les Échos, hors-série LBO 2013, décembre 2013, p. 6. J. S, « Commentaire de diverses clauses insérées dans des contrats de financement d’opérations de LBO », Rev. dr. banc. fin., mars 2008, n 2, pp. 80-83.

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4.

Par exemple, lorsque un prêteur ne peut plus exécuter une ou plusieurs de ses obligations au titre de la convention de crédit ou refuse une demande d’avenant formulée par l’emprunteur. V. notamment le modèle LMA intitulé « Senior Multicurrency Term and Revolving Facilities Agreement for Leveraged Acquisition Finance Transactions » de droit anglais.

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II.C. Régulation internationale


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II. Régulation bancaire

s’est très largement imposé en France comme la pratique usuelle du marché du crédit bancaire syndiqué, a aussi fait l’objet de plusieurs modifications récentes.

Les pratiques contractuelles actuelles reflètent ainsi l’expérience acquise par les acteurs du marché lors des restructurations de dettes et de certaines procédures collectives.

Plus précisément, l’année 2013 a été marquée par des évolutions rédactionnelles faisant écho, en particulier, aux difficultés rencontrées dans la détermination du coût du crédit. La LMA a ainsi publié de nombreuses notes à destination de ses membres et notamment (i) des versions révisées de son modèle LMA les 24 avril 2013 et 30 juillet 2013, (ii) une note en date du 11 mars 2013 sur la nouvelle définition du taux interbancaire offert (Interbank Offered Rate ouIBOR)(5), (iii) une note en date du 24 avril 2013 sur la suppression de l’annexe des coûts obligatoires(6), (iv) une note en date du 30 juillet 2013 relative aux nouvelles définitions de « Taux Écran » (Screen Rate), « Taux Écran Interpolé » (Interpolated Screen Rate) et « Banques de Référence »(7), (v) une note en date du 30 juillet 2013 visant la modification de la définition des termes « LIBOR » et « EURIBOR » afin d’intégrer l’éventualité où ces taux deviennent négatifs(8), (vi) une note révisée en date du 16 juillet 2013 relative au Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA)(9), et enfin (vii) deux notes en date 5. 6. 7.

8. 9.

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Loan Market Association, « IBOR Definitions in the LMA Primary Documents », 11 mars 2013. Loan Market Association, « Withdrawal of the Mandatory Costs Schedule », 24 avril 2013. Loan Market Association, « LMA primary documents, incorporation of new screen rate definition and interpolation language and reference bank mechanic », 30 juillet 2013. Loan Market Association, « Note to address situations where LIBOR rates are negative », 30 juillet 2013. Loan Market Association, « 2013 FATCA riders for LMA investment grade facility – July 2013 Update », 30 juillet 2013.

du 24 janvier 2014 reprenant la nomination du nouvel administrateur du LIBOR, ICE Benchmark Administration Limited(10), et finalement (viii) une version révisée de son modèle LMA en date du 2 mai 2014(11). Deux tendances peuvent ainsi être distinguées parmi les dernières évolutions contractuelles. Tout d’abord, la LMA a procédé durant l’année 2013 à la modification de certaines clauses de son modèle LMA de droit français relatives au calcul du coût du crédit (I). Ensuite, le modèle LMA étant un contrat type adapté d’un contrat de droit anglais(12), il subit de manière inévitable les contraintes imposées par l’ordre juridique français qui a récemment neutralisé certaines de ses stipulations (II). Enfin, il convient d’évoquer la future réforme du marché de l’audit et la probable évolution des clauses relatives aux commissaires aux comptes (III).

I. L’évolution des clauses du modèle LMA relatives au coût du crédit Les intérêts du crédit dans le modèle LMA se composent de l’addition de la marge, du taux interbancaire de référence (LIBOR ou EURIBOR) (A) et, le cas échéant, des coûts obligatoires (B) dont les modes de calcul, s’agissant des deux derniers éléments, ont fait l’objet de modifications.

A. Les nouvelles stipulations du modèle LMA relatives aux taux interbancaires de référence La crise de confiance dans les taux interbancaires LIBOR et EURIBOR(13) a révélé les risques inhérents à 10. Loan Market Association, « LMA note discussing the impact of LIBOR transition to ICE on the currently published LMA LIBOR definitions », 23 janvier 2014. Loan Market Association, « LMA note discussing the impact of LIBOR transition to ICE on the legacy LMA LIBOR definitions », 23 janvier 2014. 11. Cette dernière version du modèle LMA n’a fait l’objet que de modifications mineures par rapport à la version en date du 30 juillet 2013. En particulier, il convient de noter que la LMA a mis à jour la note de bas de page relative aux coûts additionnels (article 14.1) afin d’inviter les utilisateurs de son modèle à anticiper des coûts plus importants supportés par les prêteurs à la suite de l’entrée en vigueur du paquet « CRD IV ». 12. M. F, « La standardisation contractuelle, enjeu de pouvoir entre les parties et de compétition entre systèmes juridiques - L’exemple du contrat du Loan Market Association », R.T.D.C., 2003, pp. 429-448 ; T. B, « De l’adaptation des contrats bancaires et financiers types étrangers au droit français », Rev. dr. banc. fin., janvier/février 2001, n 1, pp. 3-4.

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la détermination de ces taux par référence à un tauxécran(14). Jusqu’au 11 mars 2013 et la première proposition de modification de la définition de l’IBOR, le modèle LMA prévoyait la détermination du taux interbancaire concerné par référence, pour l’EURIBOR, au taux annuel établi par la Fédération bancaire de l’Union européenne pour la période considérée ou, pour le LIBOR, au British Bankers Association Interest Settlement Rate pour la devise et la période considérées. De manière alternative, le taux retenu était la moyenne arithmétique des taux communiqués par un panel de banques désignées par les parties dans la convention de crédit. Or, tandis que le taux LIBOR est le taux moyen offert par un panel de banques dont la taille varie entre six et dix-huit établissements(15), le taux des banques de référence n’associe généralement que trois ou quatre banques choisies par les parties. Ce nombre restreint induit ainsi un risque que les cotations de taux offertes ne soient pas forcément représentatives des conditions du marché. Les clauses du modèle LMA relatives aux taux interbancaires de référence ont ainsi été modifiées afin d’ajouter un nouveau mode de calcul. La dernière version du modèle LMA en date du 30 juillet 2013 prévoit désormais de se référer à un taux-écran interpolé dans l’hypothèse où le taux interbancaire offert considéré n’est pas diffusé sur la page Reuters ou si une période d’intérêts ne correspond pas à un nombre entier de mois. Ce taux est déterminé par interpolation linéaire entre le taux offert ainsi diffusé pour le nombre entier de mois immédiatement inférieur et le taux offert ainsi diffusé pour le nombre entier de mois immédiatement supérieur. Ainsi, trois modes de calcul du taux-écran de référence sont maintenant prévus dans le dernier modèle LMA : en premier lieu, le taux-écran Reuters, à défaut le tauxécran interpolé et en dernier recours seulement, le taux des banques de référence. Il est à noter que des dispositions couvrant l’éventualité d’un taux LIBOR ou EURIBOR négatif peuvent être insérées dans les conventions de crédit suivant les recommandations de la LMA(16). Cette mention prévoit que 13. Autorité des marchés financiers, « Risques – Vers une réglementation des indices ? », Lettre économique et financière, automne 2012, pp. 6-9. 14. La Fédération bancaire de l’Union européenne a par ailleurs convenu, à la suite des recommandations de l’Autorité bancaire européenne et de l’Autorité européenne des marchés financiers (European Banking Authority et European Securities and Markets Authority, « Report on the administration and management of EURIBOR », 11 janvier 2013), de mettre fin à la publication des indices EURIBOR trois semaines et quatre, cinq, sept, huit et onze mois à compter du 1 novembre 2013. 15. Rapport Weathley, « e Weathley Review of LIBOR », septembre 2012, p. 38. Consultable à l’adresse suivante : https://www.gov.uk/government/uploads/ system/uploads/attachment_data/file/191762/wheatley_ review_libor_finalreport_280912.pdf, p. 38 (consulté le 20 mars 2014). 16. Loan Market Association, « Note to address situations where LIBOR rates are negative », op. cit., note n 8. 2014/2

dans l’hypothèse où le taux LIBOR ou EURIBOR deviendrait négatif, l’index sera réputé être égal à zéro. Enfin, ICE Benchmark Administration Limited a remplacé la British Bankers Association comme administrateur du LIBOR depuis le 1 février 2014. Les définitions de « Taux Écran » (Screen Rate) et « Taux Écran Interpolé » (Interpolated Screen Rate) dans les conventions de crédit faisant référence à l’administrateur du LIBOR doivent donc, depuis le 1 février 2014, être modifiées concernant cette référence. Cette modification est intégrée dans le modèle LMA publié le 2 mai 2014. Pour ce qui concerne les conventions de crédit conclues antérieurement, la LMA a informé ses membres(17) qu’il est possible de considérer que le juge anglais interprétera une clause faisant référence à la British Bankers Association comme faisant référence à l’ICE Benchmark Administration Limited.

B. La suppression de l’annexe relative aux coûts obligatoires Toute banque ou établissement de crédit supporte des coûts, désignés comme coûts obligatoires, au titre de la mise à disposition d’un crédit, du fait de sa soumission à un ensemble de réglementations en matière de réserves minimales obligatoires émanant de la Banque d’Angleterre (Bank of England), de la Financial Conduct Authority et de la Prudential Regulation Authority(18) ou de la Banque centrale européenne(19) ou de toute autre autorité monétaire compétente. Dans son ancienne rédaction, le modèle LMA prévoyait une annexe consacrée au mode de calcul de ces coûts obligatoires qui s’avérait en pratique peu opérationnelle en présence de syndications importantes et internationales. La difficulté se situait dans la variation de ces coûts en fonction de critères multiples tels que la devise concernée, la forme juridique de chaque banque, les autorités de supervision compétentes ou encore les taux fixés par les banques de référence. Il était ainsi difficile pour l’agent du crédit d’établir la répartition au prorata du paiement des coûts obligatoires par l’emprunteur à chaque banque du syndicat. Compte tenu de ces difficultés d’administration du crédit, la LMA a décidé, à compter du 24 avril 2013, de ne plus faire figurer l’annexe des coûts obligatoires dans ses modèles de conventions de crédit et de laisser le soin aux parties de convenir des modalités de leur calcul. 17. Loan Market Association, « LMA note discussing the impact of LIBOR transition to ICE on the currently published LMA LIBOR definitions », op. cit., note n 10. Loan Market Association, « LMA note discussing the impact of LIBOR transition to ICE on the legacy LMA LIBOR definitions », op. cit., note n 10. 18. Pour ce qui concerne les banques et établissements de crédit établis au Royaume-Uni. 19. Pour ce qui concerne les banques et établissements de crédit établis dans un pays de l’Union européenne où l’euro a cours légal.

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Chroniques

II.C. Régulation internationale


Chroniques

II. Régulation bancaire

Par conséquent, la pratique actuelle n’est naturellement pas uniforme. Dans le cadre d’avenants à des conventions de crédit existantes, certaines parties conviennent de laisser subsister l’annexe LMA de calcul des coûts obligatoires. À l’inverse, il peut être convenu de supprimer toute référence à ces coûts qui sont alors répercutés dans le coût général du crédit. Autrement, une définition courte des coûts obligatoires est parfois insérée dans la convention de crédit ou est expressément couverte par la clause relative aux coûts additionnels.

Le modèle LMA a vocation à évoluer et à s’adapter à l’environnement de marché et surtout au droit qui lui est applicable.

II. L’adaptation du modèle LMA à l’ordre juridique français À l’instar de tout standard contractuel, le modèle LMA a vocation à évoluer et à s’adapter à l’environnement de marché et surtout au droit qui lui est applicable. Pour preuve, l’adaptation devenue nécessaire des clauses de confidentialité (A) et de juridiction (B) à l’ordre juridique français.

A. L’aménagement de la clause de confidentialité du modèle LMA à la fourniture de services de codification L’article L. 511-33 du Code monétaire et financier pose le principe du secret professionnel auquel sont tenus les établissements de crédit et encadre précisément les exceptions qui peuvent y être apportées. Lorsque la divulgation d’informations couvertes par le secret professionnel n’est pas expressément autorisée par le texte, l’article L. 511-33 prévoit que les établissements de crédit peuvent communiquer ces informations au cas par cas et uniquement lorsque les personnes concernées les ont expressément autorisés à le faire. La clause de confidentialité du modèle LMA pose des conditions de communication d’informations couvertes par le secret professionnel moins restrictives que 88

l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier. Le modèle LMA prévoit notamment, à l’article 35.3, la possibilité pour une partie financière de communiquer à tout fournisseur de services de codification national ou international qu’elle aura désigné un certain nombre d’informations en vue de fournir un service de codification ou d’identification en ce qui concerne la convention de crédit. Ces informations, énumérées de manière exhaustive dans la convention de crédit, sont cependant couvertes par le secret professionnel et leur divulgation à des fournisseurs de services de codification n’entre pas dans le champ des exceptions prévues à l’article L. 51133 du Code monétaire et financier. Le modèle LMA précisait, dans sa version antérieure à celle du 24 avril 2013, que ces stipulations s’appliquaient sous réserve des dispositions de l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier et prévoyait qu’il revenait à l’agent du crédit d’aviser l’emprunteur et les parties financières du nom du fournisseur de services de codification que l’agent du crédit avait désigné. La permission donnée par les personnes concernées à la divulgation des informations les concernant, telle qu’exigée par l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier, était considérée comme acquise du seul fait de la signature de la convention de crédit par toutes les parties. La conformité de cette pratique était cependant discutable à la lecture de l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier qui exige un consentement exprès de l’emprunteur délivré au cas par cas, c’est-à-dire à des fournisseurs de services de codification expressément désignés. Or, l’identité de ces fournisseurs de services de codification n’était pas fournie dans la convention de crédit. Afin de se conformer à l’exigence d’un consentement exprès de l’emprunteur à la divulgation d’informations protégées par le secret professionnel, le modèle LMA, dans sa version du 24 avril 2013, a intégré la possibilité pour les parties de désigner un ou plusieurs fournisseur(s) de services de codification dans une liste de fournisseurs agréés figurant en annexe de la convention de crédit. Dans le cas où une partie financière souhaiterait désigner un fournisseur de services de codification qui ne serait pas agréé, cette désignation sera soumise à l’accord exprès de l’emprunteur.

B. L’interdiction des clauses de juridiction potestatives Par un arrêt en date du 26 septembre 2012(20), la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé qu’une clause attributive de juridiction à caractère potestatif était contraire à l’objet et à la finalité de la prorogation de compétence ouverte par l’article 23 du règlement européen n 44/2001 (Bruxelles I)(21). En l’espèce, 20. Cass., 1 civ., 26 septembre 2012, R.G. n 11-26.022. 21. Règlement (CE) n 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et

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la clause litigieuse prévoyait que les litiges éventuels entre l’emprunteur et la banque seraient soumis à la juridiction exclusive des tribunaux de Luxembourg, mais la banque se réservait le droit d’agir au domicile du client ou devant tout autre tribunal compétent. Les clauses attributives de juridiction stipulées dans l’intérêt exclusif des parties financières étaient jusqu’à la décision de la Cour de cassation du 26 septembre 2012 un standard de marché peu négocié. Le modèle LMA dans sa dernière version en date du 30 juillet 2013 réserve toujours pour les banques le droit d’agir devant d’autres tribunaux que ceux désignés aux termes de la clause d’élection de for, mais la LMA invite cependant ses membres à aménager leur clause de juridiction. En pratique, dans des contrats portant sur des opérations exclusivement domestiques, les parties conviennent généralement de soumettre leurs litiges éventuels à la compétence exclusive d’un tribunal de commerce désigné. Les élections de compétence rédigées en des termes potestatifs sont désormais simplement supprimées. En revanche, dans le cadre d’opérations transfrontalières réunissant plusieurs débiteurs immatriculés dans différents pays, dont la France, il peut être prévu de maintenir une clause de juridiction à caractèrepotestatif à l’égard des débiteurs immatriculés dans des pays où la validité de cette rédaction n’est pas remise en cause. Par ailleurs, il semble également possible pour les parties d’énumérer expressément les tribunaux compétents dans leur clause de juridiction. Cette liste peut, par exemple, désigner les tribunaux dans le ressort desquels les débiteurs concernés sont immatriculés ou détiennent leurs actifs stratégiques.

commerciale, J.O. n L 012 du 16 janvier 2001, pp. 00010023.

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III. L’évolution future des clauses relatives aux commissaires aux comptes Sur un plan prospectif, la Commission européenne a publié le 30 octobre 2011 des propositions de règlement et de directive sur la réforme du marché de l’audit(22), sur lesquelles les États membres de l’Union européenne et le Parlement européen ont conclu un accord provisoire(23), approuvé par le Comité des représentants permanents (COREPER) le 18 décembre 2013. En prévision de l’entrée en vigueur prochaine de ces textes, la LMA a informé ses membres des modifications à apporter aux documents de financement afin de se conformer aux règles futures(24). En substance, les propositions de règlement et de directive contiennent toutes deux des dispositions(25) interdisant la pratique actuelle visant l’utilisation de clauses contractuelles, y compris dans les conventions de crédit, qui ont pour effet de restreindre le choix d’un emprunteur à certaines catégories ou listes de commissaires aux comptes. 22. Commission européenne, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux exigences spécifiques applicables au contrôle légal des comptes des entités d’intérêt public, Bruxelles, COM (2011) 779 final (2011/0359 (COD)), 30 octobre 2011, 93 p. Commission européenne, proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2006/43/CE concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés, Bruxelles, COM (2011) 778 final (2011/0389 (COD)), 30 octobre 2011, 28 p. 23. Commission européenne, mémo 17/1171, Bruxelles, 17 décembre 2013, 3 p. 24. Loan Market Association, « Pending EU legislation prohibiting auditor clauses in loan agreements », 27 janvier 2014. 25. Article 32(7) de la proposition de règlement (v. note n 22) et article 1, point 18, de la proposition de directive (v. note n 22).

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Chroniques

II.C. Régulation internationale


III. Régulation assurantielle Chronique sous la direction de Pauline P Professeur à l’Université de Reims

Avec la collaboration de

Jérôme C Docteur en droit

&

Adrien T Docteur en droit

Les chantiers de la régulation assurantielle témoignent au niveau européen d’une nette accélération en ce début d’année . Deux résolutions législatives du Parlement européen sont ainsi à signaler : l’une, en date du  février , concerne la proposition de directive Intermédiation en assurance ; l’autre, en date du  mars , la proposition de directive « Omnibus II ». L’EIOPA n’est pas en reste : elle publie ainsi notamment des Orientations sur le règlement extrajudiciaire des litiges en matière d’intermédiation en assurance ou un Rapport sur la mise en œuvre de la décision Test-Achats dans les droits nationaux. La Cour de justice de l’Union européenne renforce pour sa part la protection du preneur d’un contrat d’assurance-vie, en jugeant dans un arrêt du  décembre  que le délai d’exercice de la faculté de renonciation ne court pas tant que l’assuré n’en a pas été informé par l’assureur. Sur le plan international, l’Association internationale des contrôleurs d’assurance a publié en janvier  son « Rapport annuel - », qui met en évidence plusieurs thèmes essentiels.

The regulation framework of the insurance sector has been going through significant changes at a great pace during the first quarter of . Indeed the European Parliament has adopted two major legislative resolutions : the first one regarding the proposal of a directive on insurance mediation on February th,  ; the second one regarding the proposal of the directive « Omnibus II » on March th, . EIOPA is also very active, as it recently published guidelines on complaints-handling by insurance intermediaries as well as a report on the implementation of the Test-Achats ruling by the ECJ into national legislation. The European Court of Justice has also strengthened the protection of policyholders who subscribe to life assurance contracts, by issuing on December th,  a preliminary ruling stating that, as long as a policyholder has not been informed of its right to cancel the assurance contract, the policyholder may exercise such right of cancellation. On an international level, the International Association of Insurance Supervisors published last January its « Annual Report - », which deals with several fundamental matters.

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II I. A. R é g u l a t i o n e u r o p é e n n e ADOPTION PAR LE PARLEMENT EUROPÉEN DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE INTERMÉDIATION EN ASSURANCE ET PRÉCISIONS SUR L’ENCADREMENT DES PRODUITS D’INVESTISSEMENT ASSURANTIELS

Pauline P Professeur à l’Université de Reims

La proposition de directive Intermédiation en assurance(1) franchit une nouvelle étape avec l’adoption d’une résolution législative par le Parlement européen le 26 février 2014(2). La protection du consommateur de produits d’investissement, au cœur des préoccupations du législateur européen, que ce soit dans le cadre de la révision de la directive Marchés d’instruments financiers(3), objet d’un accord en trilogue le 14 janvier dernier(4), ou dans le cadre de l’adoption du règlement intersectoriel PRIPs(5), se construit également sur le plan assurantiel. Tout en rappelant la spécificité des produits d’investissement assurantiels, la résolution du Parlement s’inscrit dans la logique d’uniformisation antérieure, voire la renforce, en préconisant un alignement de la distribution des contrats d’assurance, et en particulier des produits d’investissement as1.

2.

3.

4.

5.

Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance du 3 juillet 2012, COM(2012) 360 final. Résolution législative du Parlement européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance (refonte) P7_TA(2014)0155 (ci-après Résolution PE Intermédiation en assurance). La refonte de la directive Intermédiation en assurance fera l’objet d’un dossier dans la R.I.S.F. lors de son adoption définitive. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les marchés d’instruments financiers du 20 octobre 2011, COM (2011) 656 final, 2011/0298(COD) - Amendements du Parlement européen à la proposition de directive MIF II, adoptés le 26 octobre 2012, T7-0406/2012. V. le communiqué de presse de M. Barnier : http ://europa .eu/rapid/press-release_MEMO-14-15_fr. htm ?locale=fr. Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 3 juillet 2012 sur les documents d’information clés relatifs aux produits d’investissement, COM (2012) 352 final, 2012/0169(COD) – Position commune du Conseil, juin 2013 - Amendements du Parlement à la proposition de règlement PRIPs, adoptés le 20 novembre 2013, T7-0489/2013.

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surantiels, sur les dispositions prévues par la directive Marchés d’instruments financiers refondue(6). Il s’agit de protéger de manière uniforme l’ensemble des investisseurs en évitant les arbitrages réglementaires et d’imposer à l’ensemble des intermédiaires des normes de conduite professionnelles similaires quelque soit le produit proposé(7).

Sans prétendre à l’exhaustivité, plusieurs propositions adoptées par le Parlement sont à souligner, qui concernent notamment l’encadrement de la distribution des produits d’investissement assurantiels.

Sans prétendre à l’exhaustivité, plusieurs propositions adoptées par le Parlement sont à souligner, qui concernent notamment l’encadrement de la distribution des produits d’investissement assurantiels(8). S’agissant de la définition même du produit d’investissement assurantiel, la résolution du Parlement prend position de manière plus précise : l’article 1, paragraphe 4, sans 6. 7.

8.

Résolution PE Intermédiation en assurance, considérant (9) et considérant (42bis). Ibid., considérant (42) : « et notamment : fourniture d’informations appropriées, caractère adéquat des conseils délivrés, restrictions concernant les avantages autorisés, obligation de gérer les conflits d’intérêts et autres restrictions sur la rémunération ». V. « Le consommateur et les produits d’investissement assurantiels », R.I.S.F., 1/2014, p. 129, note P. P.

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Chroniques

III.A. Régulation européenne


Chroniques

III. Régulation assurantielle

se contenter de renvoyer à la définition du règlement PRIPs, dispose ainsi que le « produit d’investissement basé sur des assurances » est un produit d’assurance « comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations du marché ». Elle exclut ensuite expressément de ce domaine : « (a) les produits d’assurance non-vie décrits à l’annexe I de la directive 2009/138/CE (Classification par branche d’assurance non-vie) ; (b) les contrats d’assurance-vie lorsque les prestations prévues par le contrat sont payables uniquement en cas de décès ou d’incapacité due à un accident, à une maladie ou à une infirmité ; (c) les produits de retraite qui sont reconnus par le droit national comme ayant pour objectif premier de fournir à l’investisseur un revenu lors de sa retraite, et qui lui donne le droit à certaines prestations ; (d) les régimes de retraite professionnelle qui sont officiellement reconnus et qui relèvent de la directive 2003/41/CE ou de la directive 2009/138/CE ; (e) les produits de retraite individuels pour lesquels une contribution financière de l’employeur est requise en vertu du droit national et le salarié ne peut pas choisir le produit ou le fournisseur du produit ». Le chapitre 7 de la proposition de directive, consacré aux « Exigences supplémentaires de protection des consommateurs en ce qui concerne les produits d’investissement assurantiels », a lui aussi fait l’objet de plusieurs modifications dans la proposition adoptée par le Parlement. En cas de conflit d’intérêts, l’article 23, paragraphe 2bis nouveau, renforce l’information due au client. Cette question des conflits d’intérêts est fondamentale, la prise en compte de l’intérêt du consommateur constituant un enjeu central du paquet de mesures sur la protection du consommateur de services financiers européens(9). Les modifications proposées sont plus substantielles à l’article 24, consacré aux « Principes généraux et information des clients ». En effet, l’intermédiaire doit non seulement agir d’une manière « honnête, loyale et professionnelle, dans le meilleur intérêt de ses clients »(10), mais il doit à ceux-ci une information renforcée. Audelà, la proposition pose des garanties supplémentaires. La première concerne la rémunération de l’intermédiaire. Non seulement la résolution du Parlement pose une obligation d’information sur l’ensemble des coûts et frais du service proposé par l’intermédiaire(11), mais il encadre sa rémunération : dans le cas où l’intermédiaire fournit un conseil sur une base indépendante, il doit communiquer au client la rémunération qu’il perçoit(12). Mais la proposition prévoit aussi que « les États membres peuvent interdire ou restreindre l’acceptation ou la perception de droits, commissions ou avantages non pécuniaires en relation avec la fourniture de 9. 10. 11. 12.

92

Ibid., considérants (29) et (30). Ibid., article 24, § 1. Ibid., article 24, § 3, b)bis, et § 3bis. Ibid., article 24, § 5.

conseils assurantiels. À cette fin, ils peuvent exiger que ces droits, commissions ou avantages non pécuniaires soient remboursés au client ou compensés par les droits versés par le client »(13). La deuxième garantie consiste pour le législateur à se saisir des modalités de la fabrication et de la distribution du produit d’investissement assurantiel : le professionnel doit ainsi identifier les besoins et les caractéristiques du marché cible de consommateurs, afin d’apprécier si le produit est adapté. Les trois autorités de supervision européenne (ESMA, EBA et EIOPA) ont à cet égard établi une position commune le 28 novembre 2013(14), articulée autour de huit principes et destinée à renforcer le contrôle des professionnels qui confectionnent et distribuent des produits financiers. Quand il intervient au stade de la fabrication du produit, le professionnel doit ainsi établir un processus de validation du produit et est tenu à une obligation de suivi de sa stratégie de distribution au regard du marché cible(15). L’ensemble de ces principes généraux devront être précisés par acte délégué de la Commission(16). Face au développement des recommandations formulées par les intermédiaires en assurance, le législateur européen consacre un encadrement propre au cas où l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance fournit des conseils à son client. Ainsi, les dispositions relatives à l’évaluation de l’adéquation et du caractère approprié du produit aux besoins du client, ainsi qu’à l’information continue de ce dernier, posées à l’article 25 dans la proposition de la Commission, sont également précisées dans le texte adopté par le Parlement, qui y pose une limite. Dans un nouveau paragraphe 2bis, la proposition précise que « les États membres autorisent les intermédiaires ou entreprises d’assurance, lorsqu’ils exercent des activités d’intermédiation en assurance qui consistent uniquement en l’exécution des ordres des clients, à fournir ces services à leurs clients sans devoir obtenir les informations ou procéder à la vérification prévue au paragraphe 2 lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies » : produit non complexe, activité d’intermédiation réalisée à l’initiative du client, information claire sur l’absence de mise en œuvre du processus d’évaluation, respect par le professionnel des obligations générales prévues à l’article 23. Là encore, il s’agit d’uniformiser, s’agissant de la prestation de conseil, les règles relatives aux produits d’investissement assurantiels et celles prévues pour les produits d’investissement régis par la directive Marchés d’instruments financiers(17). Les bases d’un marché unique et uniforme des produits d’investissement sont donc progressivement jetées. 13. Ibid., article 24, § 5bis. 14. « Joint Position of the European Supervisory Authorities on Manufacturers’ product oversight and governance process, 28 novembre 2013, JC-2013-77 », R.I.S.F., 1/2014, p. 132, note P. P. 15. Ibid., article 24, § 5ter. 16. Ibid., article 24, § 7. 17. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004, article 19, § 6.

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LES GARANTIES À LONG TERME DES ASSUREURS DANS LA PROPOSITION DE DIRECTIVE « OMNIBUS II » ADOPTÉE PAR LE PARLEMENT EUROPÉEN Pauline P Professeur à l’Université de Reims Après le trilogue du 13 novembre 2013(1), la proposition de directive « Omnibus II »(2), qui complète la directive-cadre « Solvabilité II »(3), franchit une nouvelle étape avec l’accord obtenu devant le Parlement européen le 11 mars 2014(4). La proposition de directive, telle qu’adoptée par le Parlement, confirme le traitement différencié des produits d’assurance comportant des garanties à long terme(5), qui constituaient la pierre d’achoppement des négociations. La valorisation « en juste valeur » retenue pour le bilan « Solvabilité II » était en effet critiquée par les assureurs comme les exposant à une volatilité artificielle et dangereuse ; elle connaît en ce sens plusieurs ajustements dans la dernière version de la proposition de directive « Omnibus II », qui prend en compte les propositions formulées par l’EIOPA dans son rapport du 14 juin 2013 sur le traitement des garanties branches longues dans le cadre de « Solvabilité II »(6). La proposition de directive adopte ainsi plusieurs mesures contra-cycliques pour les garanties à long terme. Pour l’évaluation interne des risques et de la solvabilité, autrement désignée sous le terme ORSA (Own Risk and Solvency Assessment), l’article 45, paragraphe 2bis nouveau, de la directive « Solvabilité II » comprend désormais un paragraphe spécifique sur les mesures du paquet branches longues : il précise que « Lorsque l’entreprise d’assurance ou de réassurance applique l’ajustement égalisateur visé à l’article 77ter, la correction pour volatilité visée à l’article 77quinquies ou les 1.

2.

3.

4.

5.

6.

« Accord d’étape sur la directive “Omnibus II” », R.I.S.F., 1/2014, p. 128, note P. P. Adde, dossier spécial Solvabilité II, 5 conférence européenne de la FFSA : www.ffsa.fr. Proposition de directive du 19 janvier 2011 du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2003/71/CE et 2009/138/CE en ce qui concerne les compétences de l’Autorité européenne des marchés financiers et de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, COM(2011)0008 – C7-0027/2011 – 2011/0006(COD) (ci-après, proposition de directive « Omnibus II »). Directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice. Résolution législative du Parlement européen du 11 mars 2014 sur la proposition de directive « Omnibus II », P7_TA-PROV(2014)0189 (ci-après résolution PE « Omnibus II »). Comme l’assurance-vie, les rentes de prévoyance, la retraite supplémentaire ou la prise en charge de la dépendance. EIOPA, « Technical Findings on the Long-Term Assessment », 14 juin 2013, EIOPA/13/296.

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mesures transitoires visées aux articles 308quater et 308quinquies, elle évalue la conformité avec les exigences de capital visées au paragraphe 1, point b), en tenant compte et sans tenir compte de ces ajustements et corrections et mesures transitoires ». Toutes ces techniques peuvent être utilisées par l’entreprise d’assurance ou de réassurance pour éviter une trop grande volatilité.

La proposition de directive adopte ainsi plusieurs mesures contra-cycliques pour les garanties à long terme.

L’ajustement égalisateur de la courbe d’intérêt sans risques pertinents peut être appliqué par l’entreprise d’assurance ou de réassurance « pour calculer la meilleure estimation d’un portefeuille d’engagements d’assurance ou de réassurance-vie, y compris les rentes découlant de contrats d’assurance ou de réassurance non-vie, sous réserve de l’accord des autorités de contrôle », lorsque neuf conditions, énumérées à l’article 77ter, sont réunies. Un tel recours se justifie dans ce cas par l’absence de risque de modification des marges. Cette technique est cependant exclue « lorsque la courbe des taux d’intérêt sans risque pertinents utilisée pour calculer la meilleure estimation desdits engagements fait intervenir une correction pour volatilité en vertu de l’article 77quinquies ou une mesure transitoire sur les taux d’intérêt sans risque en vertu de l’article 308quater »(7), autrement dit quand l’une des deux autres mesures correctives est mise en œuvre. S’agissant de la correction de la volatilité, il convient de préciser que les États membres sont en mesure, dans leurs législations nationales, de « conférer à leurs autorités nationales de surveillance le pouvoir d’autoriser et, dans des circonstances exceptionnelles, de rejeter l’utilisation de la correction pour volatilité »(8), ce qui tempère l’uniformité européenne. La mise en place de ces techniques de calibrage est subordonnée à l’adoption d’actes délégués par la Commission. Celle-ci a le pouvoir d’élaborer des actes 7. 8.

Résolution PE « Omnibus II », article 77ter, § 3. Ibid., considérant (39).

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III.A. Régulation européenne


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III. Régulation assurantielle

d’exécution uniformes « en ce qui concerne la fixation des courbes des taux d’intérêt sans risque pertinents pour calculer la meilleure estimation, des marges de base pour le calcul de l’ajustement égalisateur et des corrections pour volatilité », qui devraient se fonder sur les informations techniques élaborées et publiées par l’EIOPA(9). Le rôle de l’autorité de surveillance est essentiel : la proposition de directive rappelle que c’est à elle qu’il revient le rôle central d’apprécier la courbe des 9.

Ibid., considérant (33).

taux d’intérêts sans risque pertinent(10). L’autorité européenne centralise, publie et actualise au moins une fois par trimestre les informations en ce domaine(11). Notons que la proposition de directive réserve le cas des situations d’urgence ou des situations défavorables exceptionnelles, qui peuvent donner lieu à des mesures circonstanciées(12). 10. Ibid., considérant (30). 11. Ibid., article 77quinquies. V. aussi, considérant (29). 12. Ibid., considérants (34) et (35).

INTERMÉDIATION EN ASSURANCE ET RÈGLEMENT EXTRAJUDICIAIRE DES LITIGES : LES ORIENTATIONS DE L’EIOPA Pauline P Professeur à l’Université de Reims Le règlement extrajudiciaire des litiges survenant entre les intermédiaires et les entreprises d’assurance et les consommateurs est visé à l’article 11 de la directive Intermédiation en assurance du 9 décembre 2002(1). Ces dispositions sont précisées dans le cadre de la refonte de la directive(2). Dans un souci de convergence des pratiques nationales, l’EIOPA a rendu publiques des orientations en ce domaine pour les autorités nationales de supervision. L’encadrement prend sa source dans les nouvelles orientations de l’EIOPA sur le traitement des réclamations par les intermédiaires d’assurance(3), ainsi que dans un rapport sur les bonnes pratiques en la matière(4). Il doit se lire en corrélation avec les orientations élaborées par l’EIOPA dans le domaine du traite-

1. 2.

3.

4.

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Directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance du 3 juillet 2012, COM(2012) 360 final, article 13 - Résolution législative du Parlement européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance (refonte) P7_TA(2014)0155. EIOPA, « Guidelines on complaints Handling by insurance intermediaries », 27 novembre 2013, EIOPA BoS13/164. EIOPA, « One Minute Guide EIOPA – Guidelines on Complaints Handling by Insurance Intermediaries », 27 mars 2014, BoS-14/043. La réclamation est définie comme « l’expression du mécontentement d’une personne concernant le contrat ou le service d’assurance qui lui a été fourni ». EIOPA, « Report on Best Practices by Insurance Intermediaries in handling complaints », 27 novembre 2013, BoS-13/171.

ment des réclamations par les entreprises d’assurance(5). Plusieurs grands principes y sont consacrés. D’abord, une règle générale de proportionnalité, l’EIOPA exigeant, dans la mise en œuvre des orientations par les autorités nationales, que soient prises en considération la nature et la taille des intermédiaires en assurance concernés, ainsi que le fait qu’ils exercent une activité principale ou accessoire d’intermédiaire. Les intermédiaires de petite taille ou ceux qui exercent en indépendant doivent être préservés d’une réglementation trop lourde. Ensuite, l’EIOPA rappelle la garantie fondamentale d’impartialité, qui prend une place de plus en plus grande en matière de règlement des litiges, que le règlement soit judiciaire ou extrajudiciaire, et qui est destinée à protéger le client contre le risque de conflit d’intérêts. Dans le cadre de la refonte de la directive Intermédiation en assurance, la garantie d’indépendance et d’impartialité est en ce sens consacrée expressément. Il s’agit en effet d’une garantie essentielle du procès équitable(6), consacrée par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme en son article 6, paragraphe 1. En pratique, l’EIOPA identifie ainsi plusieurs orientations, qui concernent entre autres l’information des clients, la mise en place d’un processus de suivi, les intermédiaires devant analyser les causes de la réclamation et chercher à les résoudre si elles présentent un caractère récurrent, ou encore la mise à disposition du client d’informations aisément accessibles sur la procédure à suivre au cas où celui-ci souhaiterait formuler une plainte, notamment les personnes qu’il peut solliciter. 5.

6.

EIOPA, « Guidelines on complaints handling by insurance undertakings », 14 juin 2012, BoS-12/069. EIOPA, « Report on Best Practises by Insurance Undertakings in Handling complaints », 14 juin 2012, BoS-12/070. Cour eur. D.H., 1 octobre 1982, Piersack c. Belgique, n 8692/79.

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III.A. Régulation européenne

PRINCIPE DE NON-DISCRIMINATION EN MATIÈRE DE CALCUL DES PRIMES ET PRESTATIONS D’ASSURANCE : RAPPORT DE L’EIOPA SUR LA MISE EN ŒUVRE DE LA DÉCISION TEST-ACHATS DANS LES DROITS NATIONAUX Jérôme C Docteur en droit

Le 6 février 2014, l’EIOPA(1) a publié un rapport relatif à la mise en œuvre de la décision Test-Achats dans les droits nationaux des vingt-huit États membres et de trois États de l’A.E.L.E, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein(2). On se souvient que, dans un arrêt essentiel du 1 mars 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne avait dû répondre à une question préjudicielle formée par la Cour constitutionnelle de Belgique relative à la validité de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004, mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services(3) au regard de l’article 6, paragraphe 2, du Traité sur l’Union européenne(4) et aux principes d’égalité et de non-discrimination garantis par cette disposition. L’article 5 de la directive, intitulé « Facteurs actuariels », pose à titre de principe dans son paragraphe 1 que « les États membres veillent à ce que, dans tous les nouveaux contrats conclus après le 21 décembre 2007 au plus tard, l’utilisation du sexe comme facteur dans le calcul des primes et des prestations aux fins des services d’assurance et des services financiers connexes n’entraîne pas, pour les assurés, de différences en matière de primes et de prestations ». Une exception était toutefois prévue au paragraphe 2 de la même disposition, aux termes duquel « nonobstant le paragraphe 1, les États membres peuvent décider avant le 21 décembre 2007 d’autoriser des différences proportionnelles en matière de primes et de prestations pour les assurés lorsque le sexe est un facteur déterminant dans l’évaluation des risques, sur la base de données actuarielles et statistiques pertinentes 1. 2.

3. 4.

European Insurance and Occupational Pensions Authority. EIOPA-CCPFI-13/091, 6 février 2014, « Report on the implementation of the Test-Achats ruling into national legislation ». J.O. L. 373/37. Ce texte disposait que « l’Union respecte les droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres en tant que principes généraux du droit communautaire ».

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et précises. Les États membres concernés en informent la Commission et veillent à ce que des données précises concernant l’utilisation du sexe en tant que facteur actuariel déterminant soient collectées, publiées et régulièrement mises à jour ». Se fondant sur une lecture téléologique de la directive, à la lueur des articles 21 et 23 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE)(5) à laquelle le Traité de Lisbonne venait de reconnaître une valeur identique à celle des traités(6), la Cour de justice avait conclu à l’absence de validité de l’article 5, paragraphe 2, de la directive, au regard du double principe de non-discrimination et d’égalité entre hommes et femmes(7). L’arrêt se présentait comme une décision 5.

6.

7.

L’article 21, qui pose le principe de non-discrimination, dispose : « 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. 2. Dans le domaine d’application du Traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite ». L’article 23, consacré à l’égalité entre hommes et femmes, énonce : « l’égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération. Le principe de l’égalité n’empêche pas le maintien ou l’adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté ». L’article 6, paragraphe 1, du Traité sur l’Union européenne dispose désormais que « l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ». C.J.U.E. (gde Ch.), 1 mars 2011, aff. C-286/03, Association belge des consommateurs Test-Achats ASBL et autres c. Conseil des ministres du Royaume de Belgique, J.C.P. éd. G, 2011, act. 319, obs. F. P, et note 465, L. M, Europe, 2011, comm. 188, obs. F. R ; J.C.P. éd. E, 2011, 1436, n 3, obs. M. A ; Rev. dr. banc. fin., 2011, comm. 112, obs. A. G et L. T ; D., 2011, p. 1592, note M. R ; R.G.D.A., 2011, p. 851, note G. P ; A.J.D.A., 2011, p. 967, note L. B-L. Compte tenu de la réponse donnée à la première question préjudicielle posée, la C.J.U.E. n’avait pas jugé utile de répondre à la seconde tendant à savoir si la circonscription du champ de l’application de l’article 5, paragraphe 2, aux seuls contrats d’assurance sur la vie était également contraire à l’ancien article 6, paragraphe 2, du TUE.

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« de combat », rendue au motif essentiel de politique, davantage que de technique juridique, qu’ « il existe un risque que la dérogation à l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113 soit indéfiniment permise par le droit de l’Union »(8). En substance, l’utilisation par les assureurs de critères fondés sur le sexe dans le calcul des primes et prestations de nature à entraîner des différences pour les assurés a été déclarée contraire au droit de l’Union. Suivant les conclusions de l’avocat général(9), la Cour avait cependant modulé dans le temps la portée de la constatation de l’invalidité de l’article 5, paragraphe 2, en précisant que cette disposition devait être considérée comme invalide « à l’expiration d’une période de transition adéquate »(10), dont elle avait fixé le terme au 21 décembre 2012.

La portée considérable de la décision rendait toutefois nécessaire une exacte circonscription de ses effets dans le temps, comme de son champ d’application matériel.

Cette décision essentielle avait donc ouvert une période de transition durant laquelle les dérogations prises par les législations des États membres en application de l’article 5, paragraphe 2, se trouvaient temporairement applicables aux contrats d’assurance conclus. Tel était précisément l’objet d’une communication de la Commission du 22 décembre 2011(11), dont le rapport commence par rappeler les principales indications.

8. 9.

Point 31. Conclusions de l’avocat général Mme Juliane Kokott, 30 septembre 2010, points 73 et s. 10. Point 33. 11. « Guidelines on the application of Council directive 2004/113/EC, in the light of the judgement of the Court of Justice of the European Union in case C-236/09 (TestAchats) C(2011) 9497 - Comm. IP/11/1581 », 22 décembre 2011, Resp. civ. et ass., 2012, alerte 2 ; G. P, « Commentaire des lignes directrices de la Commission européenne sur les suites de l’arrêt Test-Achats », R.G.D.A., 2012, n 3, p. 563. 96

I. L’EIOPA rappelle les lignes directrices adoptées dans la Communication de la Commission Le rapport précise ainsi(12) les conséquences essentielles de l’invalidation de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2004/113/CE opérée par l’arrêt Test-Achats : – la décision Test-Achats ne s’applique qu’aux « nouveaux contrats », conclus à compter du 21 décembre 2012, qui s’entendent des contrats pour lesquels une acceptation ou un renouvellement du contrat qui aurait autrement expiré interviennent à compter de cette date(13), et non du tacite renouvellement du contrat entre les parties, qui n’implique pas un nouvel accord(14) ; – l’invalidation de l’article 5, paragraphe 2, n’exclut pas de manière générale toute pratique assurantielle incluant le genre au titre des facteurs de risque, tant qu’il n’emporte pas de différenciation à un niveau individuel dans le calcul des primes et prestations(15) ; – la décision Test-Achats ne concerne que les discriminations fondées sur le sexe et ne s’étend pas à la prise en compte d’autres facteurs de risque tels l’âge et le handicap(16) ; – elle est limitée aux contrats concernés par la directive 2004/113/CE qui, dotée de valeur générale, est dérogeable par les dispositifs spéciaux(17) et, en particulier, par la directive 2006/54 du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, pour les contrats d’assurance et de pensions de retraite qu’elle couvre.

II. Synthèse des données recueillies par l’EIOPA Le rapport se présente principalement sous forme de tableau analytique exposant l’état du droit positif dans chacun des États sondés. Si le degré de précision des réponses sur les dispositions législatives adoptées ou 12. Pages 2-3. 13. « Guidelines », précité, p. 4. 14. Sur cette différence entre renouvellement du contrat avant expiration et renouvellement tacite, G. , « Commentaire des lignes directrices… », précité, n 15. 15. « Guidelines », précité, p. 5. Ainsi en va-t-il de la prise en compte du sexe pour respecter les ratios prudentiels, de l’évaluation des tarifs de réassurance, du recours à des stratégies marketing ciblant l’un ou l’autre sexe. 16. « Guidelines », précité, p. 6. 17. « Guidelines », précité, p. 7 ; cf. G. P, « Commentaire des lignes directrices… », précité, n 20.

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abrogées varie d’un État à l’autre, l’EIOPA synthétise les informations données(18). Au mois de décembre 2013 : – 25 États membres de l’EIOPA avait mis leurs droits nationaux en conformité avec la décision Test-Achats ; – 14 États, dont la France, ont modifié des dispositions consacrées au droit des assurances ; – 7 États ont adapté leur dispositif interne consacré à l’égalité de traitement ; – 4 États ont combiné des modifications législatives sur le terrain de l’égalité du traitement et des assurances ; – au sein de l’Union européenne, 3 États membres n’avaient pas encore modifié leur législation au mois de décembre 2013. La mise en œuvre de la décision Test-Achats est encore à l’état de projet en Italie, au Luxembourg et au Portugal ; – par référence à la date fixée par la C.J.U.E. dans la décision Test-Achats, l’EIOPA a constaté que dans les 9 États qui ont procédé à une modification de leur droit national après le 21 décembre 2012, les contrats « nouveaux » faisaient application de calcul des primes et prestations sur une base unisexe à compter de cette date ; – parmi les trois États membres de l’A.E.L.E. sondés, seul le Liechtenstein n’entend pas opérer de modification de son droit interne. La Norvège et l’Islande ont prévu d’adopter les dispositions législatives nécessaires, respectivement pour la première moitié de l’année de 2014 et pour fin 2013.

III. L’évolution du droit français On rappellera ici pour mémoire que la mise en conformité du droit français avec les conséquences de la décision Test-Achats a trouvé son aboutissement dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires et financières du 26 juillet 2013(19). Dans sa version d’origine, l’article L. 111-7 du Code des assurances était issu de la transposition en droit français de l’article 5 de la directive 2004/113/CE, réalisée par la loi n 2007-1774 du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier. Il ne constituait ainsi qu’une simple application particulière des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination(20), dont la formulation dans une disposition de portée générale a été opérée postérieurement, par la loi n 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations(21). 18. « EIOPA Report », précité, p. 4. 19. Loi n 2013-672, 26 juillet 2013, J.O., 27 juillet 2013. 20. B. B, Droit des assurances, Montchrestien, 2011, n 330, p. 393. 21. L’article 2 de cette loi dispose que « sans préjudice de l’application des autres règles assurant le respect du principe 2014/2

À la suite de la décision Test-Achats, ce sont cependant les dispositions de la partie arrêtée du Code des assurances qui ont été modifiées par le gouvernement le 18 décembre 2012. Mettant en œuvre les lignes directrices de la Commission, l’arrêté du gouvernement a créé un article A.111-6 énonçant que : « Les articles A.111-2 à A.111-5 sont applicables aux contrats et aux adhésions à des contrats d’assurance de groupe conclus ou effectués au plus tard le 20 décembre 2012 et à ces contrats et adhésions reconduits tacitement après cette date. Toutefois, les articles A. 111-2 à A. 111-5 ne sont pas applicables aux contrats et adhésions mentionnés à l’alinéa précédent ayant fait l’objet après le 20 décembre 2012 d’une modification substantielle, nécessitant l’accord des parties, autre qu’une modification dont les modalités sont prévues dans les contrats ». C’est donc finalement avec l’article 79 de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires et financières qu’ a été réalisée la mise en conformité du droit français avec la décision Test-Achats. La loi d’août 2013 est venue insérer un IIbis dans l’article L. 111-7 du Code des assurances, dont la teneur est la même que celle de l’article A. 111-6, qui se trouve désormais faire inutilement doublon avec la partie législative(22).

La jurisprudence de la C.J.U.E. se présente ainsi comme un vecteur d’harmonisation des droits aussi effectif que la législation de l’Union en droit des assurances.

d’égalité : 1° Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race est interdite en matière de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux, d’éducation, d’accès aux biens et services ou de fourniture de biens et services (…) ». 22. Article L. 111-7, IIbis, du Code des assurances : « La dérogation prévue au dernier alinéa du I est applicable aux contrats et aux adhésions à des contrats d’assurance de groupe conclus ou effectuées au plus tard le 20 décembre 2012 et à ces contrats et adhésions reconduits tacitement après cette date. La dérogation n’est pas applicable aux contrats et aux adhésions mentionnés au premier alinéa du présent IIbis ayant fait l’objet après le 20 décembre 2012 d’une modification substantielle, nécessitant l’ac-

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III.A. Régulation européenne


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III. Régulation assurantielle

En conclusion, il apparaît que, en dépit du « coup de tonnerre »(23) qu’a constitué la décision Test-Achats, le calendrier fixé par la Cour de justice a été généralement suivi par l’ensemble des États. La technique de cord des parties, autre qu’une modification qu’une au moins des parties ne peut refuser ». 23. L. M, « Coup de tonnerre : la C.J.U.E. prohibe toute discrimination fondée sur le sexe ! », note précitée.

l’invalidation d’une disposition de droit dérivé, par voie de réponse à une question préjudicielle, n’a pas révélé de résistance particulière des États membres, en dépit de l’importance capitale du problème de politique juridique qui était soulevé. La jurisprudence de la C.J.U.E. se présente ainsi comme un vecteur d’harmonisation des droits aussi effectif que la législation de l’Union en droit des assurances.

CONDITIONS D’EXERCICE DE LA FACULTÉ DE RENONCER AU CONTRAT D’ASSURANCE-VIE : LE DÉLAI D’EXERCICE DE LA FACULTÉ DE RENONCIATION NE COURT PAS TANT QUE L’ASSURÉ N’EN A PAS ÉTÉ INFORMÉ PAR L’ASSUREUR C.J.U.E., 19 décembre 2013, C-209/12, Walter Endress c. Allianz Lebensversicherungs AG

Jérôme C Docteur en droit Dans son arrêt Endress c. Allianz du 19 décembre 2013(1), la C.J.U.E. est venue apporter des précisions essentielles sur les relations entre l’exercice de la faculté de renonciation au contrat d’assurance-vie et l’obligation d’information qui pèse sur l’assureur. À titre liminaire, on observera que la décision est rendue sous le signe de l’effet utile des directives en matière d’assurancevie. L’arrêt a en effet livré une interprétation des dispositions du droit dérivé qui reconnaissent une faculté de renonciation à l’assuré, en érigeant l’obligation d’information de l’assureur en point de départ de son délai d’exercice. Une telle interprétation confère une portée maximale à la faculté de renonciation, qui paraît conforme à l’état actuel de la jurisprudence interne rendue sur le fondement de l’article L. 132-5-1 du Code des assurances. En l’espèce, un preneur avait souscrit un contrat d’assurance-vie soumis au droit allemand, dont les conditions générales et la note d’information ne lui avaient été envoyées que lors de l’expédition de la police d’assurance. Le contrat prévoyait le versement d’une prime annuelle sur une période de cinq ans, en contrepartie du versement d’une rente huit ans plus tard. Le souscripteur a cependant entrepris de notifier à l’assureur la résiliation du contrat avant d’avoir bénéficié du versement de la rente. L’assureur a alors versé à l’intéressé une somme correspondant à la valeur de rachat du contrat, qui était inférieure au montant total des primes d’assurances augmenté des intérêts. Le souscripteur a exercé son droit d’opposition au titre de l’article 5a de la loi allemande relative aux contrats d’assurance, en sollicitant le remboursement de l’intégralité des primes, 1.

98

C.J.U.E., 19 décembre 2013, C-209/12, Walter Endress c. Allianz Lebensversicherungs AG, concl. de Mme l’avocat général Eleanor Sharpston du 11 juillet 2013, Europe, février 2014, comm. 74, V. M ; R.G.D.A., février 2014, n 2, p. 132, note G. P.

augmentée des intérêts, déduction faite de la valeur de rachat déjà versée. L’article 5a, paragraphe 1, énonce qu’à défaut de remise des conditions générales d’assurance et de la note d’information au preneur lors de l’introduction de la demande, le contrat est réputé avoir été conclu sur le fondement de la police, des conditions générales et de la note d’information, si le preneur n’y fait pas opposition par écrit « dans un délai de quatorze jours à compter de la remise des documents ». La même disposition précise, à son paragraphe 2, que « le délai ne commence à courir qu’à partir du moment où le preneur d’assurance dispose de la police d’assurance et de la totalité des documents visés au paragraphe 1 et qu’il a été informé par écrit, en caractères apparents, de son droit d’opposition, du point de départ du délai et de sa durée. [...] Par dérogation à la première phrase, le droit d’opposition cesse toutefois un an après le paiement de la première prime ». Le recours exercé par le souscripteur sur le fondement de son droit d’opposition fut rejeté par les juridictions du fond. Dans le cadre du recours en révision exercé devant le Bundesgerichtshof, la Haute juridiction allemande décida de soulever une question préjudicielle, relative à la conformité à l’article 15, paragraphe 1, premier alinéa, de la deuxième directive assurance-vie 90/619/CEE du dernier membre de l’article 5a, paragraphe 2, de la loi allemande, en ce qu’il ne reconnaît au preneur d’assurance un droit d’opposition que durant un an, au plus, à compter du versement de la première prime d’assurance, alors même que celui-ci n’a pas été informé de son droit d’opposition. Selon un dispositif rendu complexe par la combinaison des dispositions examinées, la Cour de justice a jugé que « l’article 15, paragraphe 1, de la deuxième directive 90/619/CEE du Conseil, du 8 novembre 1990, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe sur la vie, fixant les dispositions destinées à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services et modifiant la directive 79/267/CEE, telle que modifiée par la directive 92/96/CEE du Conseil, du 10 no-

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vembre 1992, lu en combinaison avec l’article 31 de cette dernière directive, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne reconnaît au preneur d’assurance un droit de renonciation que durant un an, au plus, à compter du versement de la première prime d’assurance, lorsque celui-ci n’a pas été informé de son droit de renonciation ». La Cour de justice a ainsi jugé que le point de départ du délai d’exercice de la faculté de renonciation ne peut résulter du paiement de la première prime d’assurance à défaut de toute information transmise par l’assureur relative au droit de renonciation. Cette décision appelle plusieurs observations sur le terrain des conditions d’exercice de la faculté de renonciation (I) et sur les relations entre la faculté de renonciation et les obligations d’information qui pèsent sur l’assureur (II).

I. Les conditions d’exercice de la faculté de renonciation

faculté de renonciation s’était accompagnée de précisions relatives aux informations qui devaient être communiquées au preneur par l’assureur, par renvoi opéré par l’article 31 à une annexe II, qui visait précisément, au titre de l’information précontractuelle, les « modalités d’exercice du droit à renonciation »(4). Reprise à l’article 35 de la directive 2002/83/CE(5), la faculté de renonciation figure désormais à l’article 186 de la directive 2009/138/CE(6), selon une formulation substantiellement identique, de sorte que la décision rendue dans l’arrêt Endress a vocation à s’appliquer aux règles de transposition du dernier dispositif européen, en vigueur au 1 novembre 2012.

C’est la plus grande opportunité de contracter avec un assureur

On évoquera brièvement l’évolution du cadre normatif dans lequel s’inscrit le litige (A) avant d’examiner l’interprétation retenue par la Cour de justice (B).

déterminé que tend à

A. Les fondements de la solution : la faculté de renonciation en droit de l’Union

effective la faculté de

La Cour a d’abord rappelé, selon sa méthode de jugement, le cadre juridique de la question posée. Celuici est constitué par les directives assurance-vie, dont la succession en cascade s’est accélérée au cours du temps. C’est en effet sur le fondement de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 90/619/CEE, telle que modifiée par la directive 92/96/CEE, que la solution a été rendue, compte tenu de la date de conclusion du contrat à l’origine du litige(2). Dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce, l’article 15, paragraphe 1, disposait que « chaque État membre prescrit que le preneur d’un contrat d’assurance-vie individuelle dispose d’un délai compris entre quatorze et trente jours à compter du moment à partir duquel le preneur est informé que le contrat est conclu pour renoncer aux effets de ce contrat. [...] Les autres effets juridiques et les conditions de la renonciation sont réglés conformément à la loi applicable au contrat, [...] notamment en ce qui concerne les modalités selon lesquelles le preneur est informé que le contrat est conclu »(3). L’introduction de cette 2. 3.

Point 3. Le paragraphe 2 ouvrait aux États membres la possibilité de ne pas reconnaître une faculté de renonciation aux contrats d’une durée inférieure ou égale à six mois ou lorsque la situation du preneur d’assurance ou les conditions de conclusion du contrat ne rendait pas utile le bénéfice d’une telle production.

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assurer de manière

renonciation.

B. La teneur de la solution : l’effet utile de la faculté de renonciation La Cour de justice a jugé que la règle allemande était contraire au droit de l’Union en ce qu’elle prévoyait que, à défaut même d’information transmise au preneur de son droit d’opposition, ce droit ne pouvait plus être exercé un an au plus à compter du versement de la première prime. Si, comme l’observe la Cour, il résulte de la lettre même du paragraphe 2 que les effets et conditions de la renonciation sont soumis au droit applicable au contrat, elle souligne également que l’interprétation de la disposition en cause doit procéder de la recherche de l’effet utile des directives en matière d’assurance, compte tenu de leurs objectifs(7). En l’espèce, l’objectif pris en compte est celui énoncé au considérant 23 4. 5.

6.

7.

Directive 92/96/CEE, annexe II, point a.13. Directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 novembre 2002, concernant l’assurance directe sur la vie (J.O. L 345, p. 1). Directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité II) (J.O. L 335, p. 1). Point 23.

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Chroniques

III.A. Régulation européenne


Chroniques

III. Régulation assurantielle

de la directive 92/96/CEE, consistant à permettre au « consommateur » de « disposer des informations nécessaires pour choisir le contrat qui convient le mieux à ses besoins ». La Cour de justice retient ainsi de manière implicite que la faculté de renonciation constitue un élément clé de l’information précontractuelle du consommateur en ce qu’elle concourt, négativement, à lui permettre de « sortir du contrat » conclu, au bénéfice d’un autre opérateur. Il s’agit, en substance, de l’information nécessaire à l’exercice du droit qui permet au souscripteur d’assimiler – de digérer – les autres informations transmises. C’est la plus grande opportunité de contracter avec un assureur déterminé que tend à assurer de manière effective la faculté de renonciation. Le fait de retarder le point de départ du délai de renonciation se profile alors comme un « impératif de concurrence »(8). Il en résulte que l’effet utile de cette liberté de choix passe par celui de la faculté de renonciation, à propos duquel la Cour de justice se fonde sur un argument par analogie. En réponse à l’argument fondé sur le principe de respect juridique avancé par l’assureur, la Cour rappelle en effet qu’elle a jugé à propos du droit de renonciation reconnu aux consommateurs par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 85/577(9), que les droits expressément accordés aux consommateurs ne sauraient être limités à une certaine période, dès lors que le consommateur n’a pas connaissance de l’existence de son droit(10). Soulignant enfin la position de faiblesse dans laquelle se trouve le souscripteur à raison de la complexité des contrats d’assurance, qualifiés de « produits financiers juridiquement complexes »(11), la Cour en conclut à la contrariété de la disposition allemande au droit de l’Union. Les motivations avancées relèvent ainsi d’analogies avec le droit de la consommation et le droit financier, compte tenu de la complexité des produits d’assurance, mais ne trouvent pas véritablement d’appui dans la définition littérale du droit de renonciation. En vérité, la conception proposée de la faculté de renonciation est essentiellement instrumentale, mais n’explicite pas les répercussions de la solution retenue en relation à l’inexécution de l’obligation de l’assureur.

8.

G. P, « La règle selon laquelle le délai de renonciation ne court pas faute d’information précontractuelle expliquée par la Cour de justice », note précitée, n 10. 9. Directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (J.O. L 372, p. 31). 10. Point 27 : C.J.C.E., 13 décembre 2001, Heininger, aff. C-481/99, Rec., p. I-9945, points 45-47. 11. Point 29. 100

II. L’extension de la faculté de renonciation comme sanction à l’inexécution de l’obligation d’information de l’assureur En refusant que le point de départ du délai de renonciation coure à compter du paiement des primes, la Cour de justice érige l’exécution de l’obligation d’information de l’assureur en condition à l’exercice de la faculté de renonciation (A). Cette solution particulière semble s’inscrire dans la ligne actuellement suivie par la Cour de cassation dans la jurisprudence interne (B).

A. L’exécution de l’obligation d’information comme point de départ du délai de renonciation En réalité, plus encore que l’effet utile de la faculté de renonciation, c’est l’effet utile de l’obligation d’information de l’assureur que vient véritablement conforter la Cour de justice. En énonçant, sans autre réserve, qu’aucun délai ne peut être retenu par le droit national pour supprimer la faculté de renonciation à défaut de toute information de l’assuré, la Cour de Luxembourg érige l’obligation d’information de l’assuré en condition absolue d’exercice de la faculté de renonciation. La maxime sous-jacente est ainsi que l’assureur constitue le relais nécessaire de transmission à l’assuré d’une information qui constitue la condition même de l’exercice de ses prérogatives. L’assuré ne saurait ainsi se voir priver d’une prérogative dont il n’avait pas connaissance et dont il appartenait à son cocontractant de l’informer. En substance, le passage d’un temps, même long, ne saurait être assimilé par le législateur national à une présomption irréfragable de « renonciation à l’exercice de la faculté de renonciation ». La faculté de renonciation est donc une prérogative légale, qui intègre le rapport contractuel par le biais de l’information fournie par l’assureur. On formulera une appréciation nuancée de la solution. Sur le strict terrain de la renonciation, celle-ci apparaît d’un grand dogmatisme. Que penser d’une législation nationale qui aurait fixé la perte de la faculté de renonciation à trois ans ou à cinq ans ? Le versement des primes pendant une telle durée, assorti de l’ensemble des autres informations légales sur la teneur du contrat et de l’évolution du capital souscrit ne traduit-elle pas une adhésion suffisante de l’assuré aux conditions d’exécution du contrat pour surmonter l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de renoncer au contrat ? Cette solution rigoureuse donne cependant sa juste mesure à la faculté de renonciation elle-même. Celle-ci

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n’est utile que lors de la conclusion du contrat. C’est à ce moment-là que l’assuré a intérêt à revenir sur le consentement à peine émis. On peut toutefois objecter que l’érection de l’obligation d’information de l’assureur en point de départ du délai de renonciation n’est pas nécessairement justifiée sur le terrain de la réalité des faits. En l’espèce, l’énoncé des faits soumis à la Cour était incomplet et celle-ci n’a pu que faire l’hypothèse qu’aucune information n’avait été donnée au souscripteur sur l’existence de son droit d’opposition(12), selon la terminologie allemande. Mais le contentieux relatif au point de départ de la faculté de renonciation sert de contre-épreuve à l’hypothèse selon laquelle l’information délivrée par l’assureur est seule à même d’éclairer le souscripteur. Le risque porté par la solution tient, on l’aura compris, à un dévoiement des renonciations tardives en véritables résolutions unilatérales des contrats d’assurance-vie au strict bénéfice du souscripteur versatile(13). Risque qu’il est toutefois possible de justifier selon l’argument probatoire, jamais dénué de pertinence en matière d’obligations d’information, selon lequel la préconstitution de la preuve est facile à mettre en œuvre en même temps que garante de la plus grande sécurité juridique, tout comme en raison du caractère d’ordre public de la faculté de renonciation. Telle est la justification retenue par la jurisprudence interne pour retenir une solution identique à celle de la Cour de Luxembourg.

B. Une interprétation compatible avec la jurisprudence française Il est fréquemment souligné que le droit français a été en avance sur le droit de l’Union dans la reconnaissance d’une faculté de renonciation au souscripteur d’un contrat d’assurance-vie(14). Reconnue par l’article 22 de la loi n 81-5 du 7 janvier 1981, la faculté de renonciation du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie fait l’objet des dispositions maintes fois retouchées de l’article L. 132-5-1 du Code des assurances et s’est vue récemment adjoindre deux hypothèses nouvelles de renonciation en cas de démarchage et de fourniture à distance d’opérations d’assurance à des consommateurs(15). Confrontée aux difficultés relatives à l’inexécution des 12. Point 20. 13. V. J. K, « L’assuré est en droit d’être de la plus extrême mauvaise foi : l’arrêt qui ne passe pas », in Mélanges J. Bigot, L.G.D.J.-Lextenso, 2010, p. 215. 14. V. N, Droit des contrats d’assurance, Economica, 2012, n 1404, p. 580 ; G. P, note précitée, n 1. 15. Respectivement prévues aux articles L. 112-9 et L. 1122-1 du Code des assurances, sur lesquelles, B. B, Droit des assurances, Montchrestien, 2011, n 282, pp. 332 et s.

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obligations d’information qui pèsent sur l’assureur, la Cour de cassation retient à titre de principe et de manière constante que « le défaut de remise des documents et informations énumérés [à l’article L. 132-5-1, alinéa 1, du Code des assurances] entraîne de plein droit la prorogation du délai prévu au premier alinéa jusqu’au trentième jour suivant la date de remise effective de ces documents »(16). Le délai de trente jours ne court ainsi qu’à la délivrance de l’information, peu important la bonne foi de l’assuré(17). Si elle n’a pas eu encore à juger de l’hypothèse ayant donné lieu à la question préjudicielle, il résulte de la combinaison du caractère d’ordre public de la faculté de renonciation(18) comme du caractère discrétionnaire de l’exercice de la faculté de renonciation elle-même que, dans l’hypothèse particulière où la cause du report du délai de renonciation aurait pour origine exclusive un défaut d’information relatif à la faculté de renonciation elle-même, le report devra néanmoins s’imposer. Pour des raisons différentes, la Cour de cassation a élaboré une analyse de la faculté de renonciation qui la conduit aux mêmes résultats pratiques que la Cour de justice(19).

La Cour de Luxembourg a privilégié l’intérêt des souscripteurs à la possibilité d’un exercice effectif de la faculté de

renonciation.

À la recherche d’un équilibre entre sécurité juridique et réalisation d’une concurrence effective de l’assurance, la Cour de Luxembourg a, en définitive, privilégié l’intérêt des souscripteurs à la possibilité d’un exercice effectif de la faculté de renonciation, sans recevoir les objections tirées de l’importance des enjeux pratiques avancées par l’assureur(20). Reste donc aux assureurs à devenir les artisans de leur propre sécurité juridique par un respect scrupuleux de leurs obligations d’information relatives aux droits des souscripteurs… 16. En dernier lieu, Civ. 2, 28 février 2013, n 12-114.385, publié au Bulletin. 17. Civ. 2, 25 février 2010, n 09-11.352, Bull. civ., II, p. 43. 18. V. les références citées par G. P, note précitée, n 5. 19. G. P, note précitée, n 15-16. 20. Point 34.

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Chroniques

III.B. Régulation internationale


Chroniques

III. Régulation assurantielle

II I. B. R é g u l a t i o n i n t e r n a t i o n a l e ASSOCIATION INTERNATIONALE DES CONTRÔLEURS D’ASSURANCE « Rapport annuel 2012-2013 », janvier 2014

Adrien T Docteur en droit

L’Association internationale des contrôleurs d’assurance (AICA ou, selon l’acronyme anglais, IAIS(1)) a publié, en janvier de cette année(2), son rapport d’activité pour la période courant du mois d’octobre 2012 au mois de septembre 2013. Comme à l’accoutumée en tête de ses rapports annuels, l’AICA commence par rappeler son rôle. D’une part, l’association entend promouvoir une surveillance efficace et cohérente à l’échelle mondiale de l’industrie de l’assurance, pour développer et maintenir des marchés de l’assurance fonctionnant de manière équitable, sûre et stable, au bénéfice des preneurs d’assurance, afin d’assurer la protection de ces derniers. D’autre part, l’association entend aussi contribuer à la stabilité financière mondiale. Au-delà de ce rappel, l’intérêt de telles publications est non seulement de dresser un bilan des actions conduites au cours de l’année écoulée, mais aussi de préciser le programme des actions à venir. Parmi les multiples travaux conduits par l’AICA, qui a fêté ses vingt ans au début du mois de mars(3), quatre d’entre eux, mis en lumière par son président, seront ici présentés. Ces travaux concernent les assureurs d’importance systémique, les groupes d’assurance internationaux, l’évaluation du respect des normes proposées par l’association, et l’accès à l’assurance(4). Les assureurs d’importance systémique. L’association a poursuivi son travail méthodologique devant permettre d’identifier les assureurs ayant une importance systémique au niveau mondial (Global Systemically Important Insurers – GSIIs). Sur cette base, le Conseil de stabilité financière (CSF) a désigné neuf assureurs 1. 2. 3. 4.

102

International Association of Insurance Supervisors. http ://www.iaisweb.org/ About-the-IAIS/Annualreports-44. IAIS, « Happy Anniversary », Newsletter, mars 2014, http ://newsletter.iaisweb.org/db/6/1131.pdf. Rapport annuel, pp. 4 et s. Adde, par exemple, J. C, « Compte rendu des travaux de l’International Association of Insurance Supervisors (IAIS), octobre 2013 : “Supervision of cross border operations through branches” », R.I.S.F., 2014/1, pp. 144 et s.

en juillet 2013(5) et des réassureurs pourraient également retenir l’attention de l’AICA et du CSF cette année(6). La liste des GSIIs, actualisée, sera publiée par le CSF chaque année au mois de novembre(7). L’AICA a en parallèle proposé un certain nombre de mesures avec comme objectif qu’elles soient toutes appliquées d’ici quelques années. Il s’agit notamment de renforcer les pouvoirs des autorités de contrôle, de mettre en place un mécanisme de résolution, et de fixer des exigences accrues en termes de capitalisation de ces groupes pour leurs activités d’assurance dites non traditionnelles et pour leurs activités étrangères au domaine de l’assurance(8). Sur ce dernier point, l’idée est que les GSIIs doivent être capables d’absorber des pertes plus élevées que les autres assureurs (Higher Loss Absorption (HLA) capacity), mais la mise en œuvre effective des mesures envisagées, qui sont encore à préciser, n’est pas attendue avant le mois de janvier 2019(9).

L’objet du cadre commun est d’organiser une surveillance effective des groupes d’assurance

internationaux.

Les groupes d’assurance internationaux. L’AICA a avancé dans l’élaboration d’un cadre commun pour la surveillance des groupes d’assurance internationaux (Common Framework for the Supervision of Internatio5.

6. 7. 8.

9.

Il s’agit des sociétés suivantes : Allianz SE, American International Group, Inc. Assicurazioni Generali S.p.A., Aviva plc, AXA S.A., MetLife, Inc., Ping An Insurance (Group) Company of China, Ltd., Prudential Financial Inc., Prudential plc (https ://www. financialstabilityboard. org/publications/r_130718.pdf). Rapport annuel, p. 24. Rapport annuel, p. 26. IAIS, « Global Systemically Important Insurers : Policy Measures », 18 juillet 2013, www.iaisweb.org/view/ element_href.cfm ?src=1/19150.pdf. Rapport annuel, p. 25, et document précité, p. 31.

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nally Active Insurance Groups ou ComFrame)(10). Ces groupes d’assurance, désignés par l’acronyme anglais IAIGs, doivent inclure au moins une entité importante (sizeable entity). L’AICA n’entend cependant pas établir une liste de ces groupes, mais simplement fournir des critères aux autorités de contrôle afin qu’elles décident si le ComFrame doit être appliqué à tel ou tel assureur(11). Contrairement aux travaux sur les GSIIs mentionnés plus haut, le ComFrame ne traite pas directement de la question du risque systémique et ne s’intéresse pas au point de savoir si les groupes d’assurance identifiés comme IAIGs présentent ou non un tel risque(12). L’objet du cadre commun est d’organiser une surveillance effective des groupes d’assurance internationaux. En effet, au-delà des principes fondamentaux de l’assurance (Insurance Core Principles ou ICP), la surveillance de ces entités soulève des problématiques spécifiques compte tenu de leur activité qui se déploie dans plusieurs pays(13). Ainsi, après avoir décrit les critères et le processus d’identification de ces groupes d’assurance, le projet de cadre commun fait état des préoccupations particulières de l’AICA en la matière (relatives par exemple à la gouvernance ou à la solvabilité de ces groupes), avant de préciser comment leur surveillance devrait être organisée, notamment s’agissant de la répartition des compétences et de la coopération entre régulateurs d’assurance nationaux(14). Soumis à consultation, le projet entre en 2014 dans une phase de test sur le terrain, qui devrait se prolonger jusqu’en 2018(15). 10. IAIS, « Common Framework for the Supervision of Internationally Active Insurance Groups For Consultation », 17 octobre 2013, http ://www.iaisweb.org/view/ element_href.cfm ?src=1/20871.pdf. 11. Ces critères intéressent le caractère international de l’activité de ces groupes et la taille de ceux-ci en termes de volumes d’actifs et de primes (IAIS, « Frequently Asked Questions for the IAIS Common Framework for the Supervision of Internationally Active Insurance Groups », mis à jour au 9 octobre 2013, http ://www.iaisweb.org/view/element_href.cfm ?src=1/ 20047.pdf. 12. Document précité, pp. 3 et s., et p. 6 pour un tableau de synthèse sur le champ d’application des différentes normes proposées par l’AICA. 13. Document précité, p. 2. 14. Le secrétaire général de l’AICA, M. Yoshihiro Kawai, a souligné de manière plus générale que si les principes fondamentaux de l’assurance fournissent une base solide pour les régulateurs nationaux, ceux-ci ont besoin de normes plus concrètes pour faire face aux questions que soulèvent l’interconnexion et la globalisation croissantes des marchés de l’assurance, ajoutant que la mise en œuvre rapide du ComFrame constitue une étape dans ce processus, mais qu’elle ne suffira pas à elle seule (Rapport annuel, p. 6). 15. Rapport annuel, pp. 9 et s. Plus largement, il apparaît que la mise en œuvre des normes proposées par l’AICA devrait concentrer l’attention de l’association de manière croissante : « Immediately following the financial crisis, the IAIS, like other standard setting bodies, entered a phase of instense standard setting activities. Attention 2014/2

Il s’agit en particulier d’évaluer le coût de la mise en œuvre des mesures envisagées, tant pour les professionnels contrôlés que pour les autorités de contrôle, et de proposer d’éventuels ajustements. Si le cadre commun figure parmi les chantiers prioritaires du plan stratégique 2011-2015 de l’AICA(16), sa mise en œuvre pleine et entière n’est donc pas attendue avant 2019(17). L’évaluation du respect des normes proposées par l’AICA. Les exercices d’auto évaluation et d’examen par les pairs (Self-Assessment and Peer Reviews) du respect des normes proposées par l’AICA se sont poursuivis, l’objectif étant que de tels exercices, supervisés par l’association, soient menés pour l’ensemble des vingt-six principes fondamentaux de l’assurance d’ici à la fin de l’année 2016(18). L’AICA saisit l’occasion de ce rapport annuel pour rappeler l’importance qu’elle attache à ce que ces principes, qui devraient idéalement se retrouver dans les droits nationaux, soient respectés par ses membres(19). L’association s’implique d’ailleurs personnellement, à travers son Education subcommittee, dans la formation de ses membres, qu’elle assiste aussi dans la mise en œuvre des principes fondamentaux. À ce jour a été évalué le respect du principe n 1 (Objectifs, pouvoirs et responsabilités de l’autorité de contrôle), du principe n 2 (Autorité de contrôle) et du principe n 23 (Surveillance des groupes)(20). Le même type d’exercice devait être terminé fin 2013 sur le thème de la gouvernance, qui se retrouve dans quatre principes. Il faut souligner que le respect des principes élaborés par l’AICA, qui ne sont pas juridiquement obligatoires, est aussi contrôlé par le Fonds monétaire international, ce qui accroît en fait la force de ces principes, étant observé que leur influence est d’autant plus grande que le Fonds monétaire rend public le résultat des évaluations auxquelles il procède régulièrement(21).

16. 17. 18. 19. 20.

21.

is now increasingly turning towards implementation of these standards » (Rapport annuel, p. 18). Rapport annuel, p. 8. « Frequently Asked Questions », précité, p. 5. Rapport annuel, pp. 19 et 22. Rapport annuel, pp. 4 et s. IAIS, « Report from Expert Review Teams Conducting the Self-Assessment and Peer Review of ICPs 1, 2, and 23 », octobre 2013, www.iaisweb.org/view/ element_href.cfm ?src=1/20120.pdf. Cf. J. B and K. L (éd.), Research Handbook on International Insurance Law and Regulation, Edward Elgar Publishing, 2011, p. 303. En dernier lieu : IMF, « Financial Sector Assessment Program Update, France, Insurance Core Principles, Detailed Assessment of Observance », juin 2013, spéc. pp. 19 et s., http : //www.imf.org/external/pubs//scr/2013/cr13181.pdf, d’où il ressort par exemple qu’au moment de l’évaluation, les principes dans lesquels il est question du gouvernement d’entreprise des assureurs n’étaient, selon le FMI, pas pleinement respectés par le régulateur national. Il convient de préciser que la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires contient des dispositions ayant renforcé les pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en

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Chroniques

III.B. Régulation internationale


Chroniques

III. Régulation assurantielle

L’accès à l’assurance. Sur un plan quelque peu différent, l’association a poursuivi ses travaux sur la lutte contre l’exclusion financière dans le domaine de l’assurance, réfléchissant aux actions qui permettraient de favoriser l’accès des populations à bas revenus aux produits d’assurance. Au mois d’octobre 2012, l’AICA a d’ailleurs publié un document qui souligne l’importance de l’accès à l’assurance dans la lutte contre la pauvreté et le maintien de la stabilité financière des États(22). Ce document formule notamment des propositions pour faciliter la mise en œuvre des principes fondamentaux de l’assurance dans ce contexte particulier. Par exemple, sans perdre de vue le besoin souvent accru de protection des souscripteurs potentiels concernés, l’AICA recommande aux autorités de contrôle d’appliquer certains principes avec souplesse. L’idée est d’adapter la régulation aux défis spécifiques que pose l’accès à l’assurance. Il a été remarqué à cet égard que certains produits dits de « micro-assurance » sont relativement simples et faiblement risqués(23). L’AICA entend avancer sur le sujet de l’accès à l’assurance, notamment en approfondissant la question des conséquences de l’exclusion financière sur la stabilité financière. Le rapport annuel rappelle aussi le travail réalisé par l’AICA avec ses partenaires autour de l’Access to Insurance Initiative (A2ii) lancé en 2009, dont l’objectif est de soutenir les autorités de contrôle des assurances dans le développement d’une assurance responsable et ouverte à tous (« the promomatière de gouvernance (spéc. article L. 612-23-1 du Code monétaire et financier). 22. IAIS, « Application Paper on Regulation and Supervision supporting Inclusive Insurance Markets », octobre 2012, www.iaisweb.org/view/element_href.cfm ?src=1/ 16664.pdf, et Rapport annuel, pp. 6, 16 et 20 et s. 23. Rapport annuel, p. 18.

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tion of inclusive and responsible insurance »)(24). De manière plus générale, ce rapport annuel souligne à de nombreuses reprises l’intérêt de la coopération entre l’AICA et d’autres organismes internationaux, d’une part, comme entre autorités de contrôle nationales, d’autre part. Sur ce dernier point, il est clair que la coopération internationale entre régulateurs est une clé de l’efficacité de la régulation des marchés de l’assurance, notamment par l’échange d’informations organisé entre eux. En septembre 2013, l’accord multilatéral de coopération et d’échange d’informations rédigé par l’association (« IAIS Multilateral Memorandum of Understanding on Cooperation and Information Exchange ») comptait trente-sept signataires (dont trois situés aux États-Unis(25)), ce qui représentait plus de 54 % du marché mondial de l’assurance en termes de primes émises(26). Trente-neuf autorités figurent désormais sur la liste des signataires, avec la signature récente des régulateurs israélien et mauricien, respectivement aux mois de novembre et décembre 2013(27). Le rapport annuel présenté indique que d’autres candidatures sont en cours d’examen(28). La liste devrait donc s’allonger encore. Au-delà du nombre de signatures cependant, il importe que chaque signataire veille quotidiennement à la qualité de la coopération qu’il offre en fait. 24. Rapport annuel, p. 20. 25. Il s’agit du Connecticut Department of Insurance, du Nebraska Department of Insurance et du Washington State Office of the Insurance Commissioner. 26. Rapport annuel, pp. 19 et 23. 27. http ://www.iaisweb.org/MMoU-signatories-605. Adde, les communiqués de presse publiés le 8 janvier et le 13 janvier 2014 (http ://www.iaisweb.org/News/Pressreleases-51). 28. Rapport annuel, p. 23.

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IV. Régulation intersectorielle Chronique sous la direction de Anne-Dominique M Maître de Conférences, HDR Directrice du Master 2 Droit pénal financier Université de Cergy-Pontoise

Avec la collaboration de

Matthieu G Compliance Officer

&

Martin H Élève-avocat ESSEC Master 2 Droit pénal financier

Une approche intersectorielle de la régulation en matière financière est désormais la règle : les différents domaines de la banque, de l’assurance et des activités de marchés sont de moins en moins hermétiques les uns par rapport aux autres, ce qui a une incidence croissante sur les règles qui leur sont applicables. Trouvant leurs sources dans de nombreux horizons juridiques et professionnels, ces règles constituent un vaste ensemble de normes de régulation, dont la réglementation n’est que l’un des aspects. L’actualité est particulièrement foisonnante de projets de textes, mais aussi de décisions sur des aspects aussi variés que les indices boursiers, les abus de marchés ou les Bitcoins.

A cross-sector based approach of financial regulation has also become the rule : the various banking, insurance and market activities are less and less compartmentalized, which has an increasing impact on rules applicable to them. Those rules stem from diverse legal and professional sources, of which “pure” regulation is only one aspect. The last few months have been filled with draft legislations but also judicial decisions on many varied issues such as benchmarks, market abuses or Bitcoins.

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Chroniques

IV. Régulation intersectorielle

IV.A. I n t é g r i t é d u m a r c h é ROYAUME-UNI : STANDARD BANK PLC CONDAMNÉE POUR MANQUE DE CONTRÔLES ANTI-BLANCHIMENT

Anne-Dominique M Maître de Conférences, HDR Directrice du Master 2 Droit pénal financier Université de Cergy-Pontoise La complexité des enjeux internationaux et la réalité des situations de certains pays (politiques, financières, économiques ou sociales) ont un impact sur les risques de blanchiment et de financement du terrorisme.

Le régulateur financier britannique Financial Conduct Authority (FCA) a condamné la branche britannique du groupe financier sud-africain Standard Bank [...], sanctionnant ainsi un contrôle jugé trop faible de ses clients associés à des personnes exposées politiquement.

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En effet, du fait de l’influence que peuvent avoir les titulaires de postes importants ou leurs proches au sens large, les risques en matière de soutien financier du terrorisme, de tentative de corruption ou de circulation de capitaux d’origine frauduleuse à des fins de blanchiment, justifient des mesures de vigilance particulières par les professionnels à l’égard de leurs clients dites personnes politiquement exposées (PPE). En pratique, le schéma des opérations de blanchiment et de financement du terrorisme par des PPE correspond à la réalisation d’opérations comportant une dimension internationale. Les PPE peuvent réaliser elles-mêmes leurs opérations de blanchiment ou utiliser des intermédiaires pour effectuer les opérations pour leur compte (recours à des sociétés-écrans, à des centres offshores et à des titulaires de professions non financières). Entretenir des relations, avec des clients occupant des fonctions publiques élevées et des personnes qui leur sont clairement liées, peut exposer le professionnel à des risques particuliers, à commencer par le risque d’atteinte à la réputation. En conséquence, pour un professionnel, un client PPE n’est pas un client comme les autres. C’est la raison pour laquelle le régulateur financier britannique Financial Conduct Authority (FCA) a condamné la branche britannique du groupe financier sud-africain Standard Bank à 7,6 millions GBP (près de 9,2 millions EUR) d’amende, sanctionnant ainsi un contrôle jugé trop faible de ses clients associés à des personnes exposées politiquement. Notamment il est reproché à l’établissement d’avoir accorder des prêts sans contrôle préalable suffisant à des sociétés originaires de pays jugés à risque. L’expression personnes politiquement exposées (PPE) étrangères désigne les personnes qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions publiques dans un pays étranger, par exemple, les chefs d’État et de gouvernement, les politiciens de haut rang, les hauts responsables au sein des pouvoirs publics, les magistrats et militaires de haut rang, les dirigeants d’entreprise publique et les hauts responsables de partis politiques. Les personnes politiquement exposées nationales sont les personnes physiques qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions publiques dans le pays, par exemple, les chefs d’État et de gouvernement, les politiciens de haut rang, les hauts responsables au sein des pouvoirs publics, les magistrats et militaires de haut rang, les dirigeants d’entreprise publique et les hauts responsables de partis politiques. Les personnes qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions au sein de ou pour le compte d’une organisation internationale désignent les membres de la haute direction, c’est-à-dire les directeurs, les directeurs adjoints et les membres du

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conseil d’administration et toutes les personnes exerçant des fonctions équivalentes. De ce fait, les organismes financiers doivent impérativement instaurer des procédures particulières aussi bien dans l’entrée en relation que dans le suivi d’affaires. Dans un souci de maîtrise de leurs risques, les organismes doivent également prévoir la participation de la fonction conformité dans le processus d’acceptation d’une PPE. C’est justement ce qui est reproché à l’établissement. Il s’agit de la première condamnation pour ce motif au Royaume-Uni,

et cette décision s’aligne sur le durcissement des régulateurs internationaux dans ce domaine à l’instar de la transaction HSBC aux États-Unis en 2012 dans laquelle la banque a payé 1,92 milliard USD (1,4 milliard EUR) contre l’abandon des charges pesant à son encontre pour manque de contrôles, ayant permis le blanchiment du produit du crime de cartels mexicains et colombiens. La Standard Bank a quant à elle souligné que la FCA n’a pas suggéré qu’elle ait géré des produits du crime.

L’ENCADREMENT DES INDICES BOURSIERS Anne-Dominique M Maître de Conférences, HDR Directrice du Master 2 Droit pénal financier Université de Cergy-Pontoise Le scandale du LIBOR a éclaté le 27 juin 2012, lorsque la banque britannique Barclays a révélé qu’elle allait payer environ 360 millions EUR pour mettre fin à des enquêtes des régulateurs britannique et américain sur une affaire de manipulation des taux interbancaires LIBOR (taux interbancaire britannique) et EURIBOR (taux interbancaire européen), c’est-à-dire des taux de référence du coût auquel les banques se prêtent entre elles.

De telles manipulations sont susceptibles d’avoir de graves répercussions sur l’intégrité du marché et peuvent entraîner des pertes importantes pour les consommateurs et les investisseurs.

Des manipulations effectuées par la banque entre 2005 et 2009 ont en effet été mises à jour. Depuis, l’affaire s’est étendue à d’autres établissements de crédit (Lloyds Banking Group, HSBC, Crédit Suisse, UBS, JP Morgan…), et des enquêtes ont été ouvertes dans plusieurs pays. Concrètement, ces banques sont suspectées d’avoir fourni, pour le taux d’intérêt auquel elles étaient disposées à accepter des offres de financement, des es2014/2

timations qui différaient du taux qu’elles auraient accepté en pratique. Le niveau des taux LIBOR et EURIBOR, qui servent donc de référence pour les emprunts et sur lesquels se fonde le prix de nombreux instruments financiers, tels que les contrats d’échange (swaps) de taux d’intérêt, a pu s’en trouver modifié. Il n’est pas contesté que de telles manipulations sont susceptibles d’avoir de graves répercussions sur l’intégrité du marché et peuvent entraîner des pertes importantes pour les consommateurs et les investisseurs, ou des distorsions de l’économie réelle. Dans ce cadre-là, la Commission européenne a décidé d’intervenir pour s’attaquer à ce type particulier de manipulation de marché en adoptant des modifications à ses propositions initiales de règlement sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) et de directive relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d’initié et aux manipulations de marché(1). Par ailleurs en décembre dernier, dans la cadre d’une procédure de transaction, la Commission européenne a imposé des amendes d’un montant cumulé de 1,71 milliard EUR à huit établissements bancaires et financiers pour avoir participé à des ententes illicites sur les marchés européens de contrats dérivés sur taux d’intérêt(2). La Commission européenne a présenté en septembre 2013 une proposition de règlement d’application générale visant à assurer l’intégrité des indices de référence(3). En France, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 a étendu les sanctions pénales et administratives à la manipulation du calcul d’un indice financier. De même, la Grande-Bretagne a changé sa réglementation sur le sujet. Mais il restait, en Europe, à encadrer la fourniture d’indices elle1.

2. 3.

J. L-C, « Propositions de la Commission européenne pour lutter contre la manipulation des taux interbancaires », Bulletin Joly Bourse, 1 octobre 2012, n 10, p. 396. Comm. UE, 4 décembre 2013, Rev. dr. banc. fin., janvierfévrier 2014, n 28, p. 60, obs. A. G. http ://ec.europa.eu/internal_market/securities/ benchmarks/index_fr.htm. « La Commission européenne présente un projet législatif sur les indices de référence », Bulletin Joly Bourse, 1 octobre 2013, n 10, p. 458.

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Chroniques

IV.A. Intégrité du marché


Chroniques

IV. Régulation intersectorielle

même. C’est l’objectif de cette nouvelle proposition législative prise dans la lignée des travaux entrepris au niveau international par l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV). Mi-juillet 2013, l’OICV a publié une série de principes sur les indices de référence, qui ont depuis été repris par le Conseil de stabilité financière puis par le G20. Pour parvenir à un cadre européen harmonisé et cohérent, la Commission a proposé un règlement d’application générale. Celui-ci prévoit des obligations en matière de gouvernance, de contrôle, de fiabilité, de transparence et de gestion des conflits d’intérêts dans la fourniture des indices de référence. Les banques centrales membres du Système européen de banques centrales ne relèveront pas du règlement, parce qu’elles disposent déjà de systèmes remplissant les objectifs du projet de règlement. Tout administrateur d’un indice de référence sera soumis à une obligation d’agrément et à une supervision continue. Concrètement, les indices de référence devront être calculés selon une méthodologie fiable, en se fondant prioritairement sur des données de transactions pertinentes. Toute entité fournissant des données nécessaires au calcul d’un indice de référence sera, quant à elle, soumise à l’obligation de signer un code de conduite défini par l’administrateur de l’indice. Ce code devra préciser les obligations et les responsabilités de chacun (administrateur et contributeurs). Ces obligations couvriront notamment la gestion des conflits d’intérêts. La Commission propose également que certains contributeurs, de par leur statut réglementé, soient soumis à des obligations renforcées. Dans un souci de protection des utilisateurs, la transparence des données et des méthodologies sera également renforcée, et des dispositions liées au signalement d’éventuelles infractions s’appliqueront. Les banques seront tenues d’évaluer chaque fois que nécessaire, par exemple lors de l’établissement d’un contrat hypothécaire, si tel ou tel indice de référence est adapté aux besoins du consommateur. Le projet de règlement prévoit que l’administrateur d’un indice de référence devra veiller à la mise en place de contrôles propres à garantir l’intégrité des données fournies. Le cas échéant, il devra informer les autorités compétentes s’il soupçonne une infraction grave, un comportement susceptible d’impliquer une manipulation ou une tentative de manipulation ou encore une collusion visant à manipuler ou à tenter de manipuler un indice de référence. La Commission a par ailleurs identifié une catégorie d’indices de référence dits d’importance critique qui devrait réunir les indices majeurs pour lesquels une manipulation ou défaillance aurait un impact sur la stabilité financière ou le fonctionnement des marchés de plusieurs états membres. Pour ces indices, le projet de texte prévoit des exigences supplémentaires, notamment pour prévenir toute rupture dans la fourniture des données nécessaires à leur calcul. En outre, la Commission propose que leur supervision soit assurée non plus uniquement par l’autorité nationale compétente, mais par un collège d’autorités, au nombre desquels l’Autorité européenne des marchés fi-

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nanciers (ESMA). L’ESMA pourra trancher tout désaccord au sein d’un collège par médiation contraignante. Il n’est à noter que ce pouvoir n’a pas été confié à la BCE. Cette réforme est indispensable dans la mesure où la crise financière de 2008 a érodé la confiance des investisseurs dans les marchés, il est donc nécessaire d’assurer l’intégrité de ces derniers notamment par le biais des indices. En ce sens, la proposition de règlement sur les indices présentée par la Commission constitue une réelle avancée saluée. Toutefois, certains points mériteront une attention particulière notamment le champ du règlement doit être suffisamment large pour englober les indices de toute catégorie et quel que soit l’instrument financier pour lequel il est utilisé. Par ailleurs, les nouveaux textes ne doivent pas conduire à une régulation excessive ou incohérente d’entités qui seraient déjà régulées par ailleurs, notamment dans le domaine de la gestion d’actifs. L’encadrement des contributeurs de données, la définition des indices de référence d’importance critique et le rôle confié à l’ESMA dans leur supervision et l’utilisation au sein de l’Union européenne des indices administrés dans des pays tiers constituent des enjeux importants. Sur le champ des indices couverts, le projet de texte cible les indices servant à déterminer les sommes à verser au titre d’un instrument ou d’un contrat financier ou à déterminer la valeur d’un instrument financier. Il vise également les indices utilisés pour mesurer la performance d’un fonds d’investissement. Le projet de texte couvre donc plusieurs milliers d’indices utilisés dans les différents produits financiers. Mais en précisant que, par instrument financier, il entend tout instrument financier négocié sur une plateforme de négociation, le projet introduit une restriction en excluant les indices servant de référence à des instruments financiers négociés de gré à gré. Par ailleurs, le texte proposé par la Commission couvre l’ensemble des administrateurs d’indices de référence, quel que soit leur statut. Par conséquent, les sociétés de gestion et les établissements de crédit qui créent, par exemple, des indices composites ou des indices dédiés à un investisseur institutionnel, deviendraient des administrateurs d’indices de référence. À ce titre, ils seraient très nombreux à être soumis aux dispositions du règlement. Une fois le cadre défini pour la fourniture d’indices, se posent la question des pays tiers et celle de la convergence des règles d’un pays à l’autre ou d’une région à l’autre. La Commission propose de conditionner l’utilisation dans l’Union d’un indice administré dans un pays tiers à un certain nombre de conditions parmi lesquelles une décision d’équivalence concernant le pays tiers, reconnaissant à la fois le cadre juridique et les pratiques de surveillance de ce pays comme étant équivalents à celle du règlement. L’ESMA devra également avoir conclu des accords de coopération avec les autorités du pays concerné. En revanche, le projet de texte n’émet pas, pour la décision d’équivalence, de condition de réciprocité. Ce texte devrait, en principe être voté en mai prochain par le Parlement européen.

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NEW LEGAL FRAMEWORKS FOR THE TRANSATLANTIC FIGHT AGAINST MARKET ABUSES

Martin H Élève-avocat ESSEC Master 2 Droit pénal financier Since 2007, the world has experienced a series of crises which originated in the subprime crisis of the American real estate market, which led to a global banking and financial crisis, that itself led to an economic crisis and a sovereign debt crisis. In this succession of crises, fighting market abuses did not appear to be the principal objective of G20 Nation-States. One of the best illustration of this assessment is the declaration of G20 Leaders at the Pittsburgh summit addressing this issue as being one of many aspects regarding the improvement of over-the-counter (OTC) derivatives market.(1) However, the European Union and the United States have decided to reinforce very significantly their fight against market abuses. is apparent paradox can essentially be explained by general calls for increasing market integrity and investor protection, triggered by those crises. In fact, the European Union and the United States have bolstered their fight against market abuses in order to overcome the specific weaknesses of their former repression regimes (§ I) by reinforcing all aspects of the legal frameworks of their antimarket abuses practices (§ II). Such reinforcement emphasizes the issues relating to the interaction between the two systems (§ III).

I. A uni ed choice in order to overcome the weaknesses of former anti-market abuses legislations New European regulation and directive (§ A) as well as Title VII of the Dodd-Frank Act (§ B) significantly 1.

G20 Summit in Pittsburgh, 25 September 2009, official declaration : “Improving over-the-counter derivatives markets : all standardized OTC derivative contracts should be traded on exchanges or electronic trading platforms, where appropriate, and cleared through central counterparties by end-2012 at the latest. OTC derivative contracts should be reported to trade repositories. Non- centrally cleared contracts should be subject to higher capital requirements. We ask the FSB and its relevant members to assess regularly implementation and whether it is sufficient to improve transparency in the

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strengthened applicable anti-market abuses rules on European markets and on several American markets.

A decade aer the adoption of MAD, this legal framework against market abuses within the European Union appears

to be outpaced.

A. The new European regulation and directive e current European anti-market abuse legislation was established by the market abuse directive (“MAD”) of 2003,(2) which had abrogated the old 1989 directive coordinating regulations on insider dealing.(3) A decade aer the adoption of MAD, this legal framework against market abuses within the European Union appears to be outpaced. MAD represented a first step towards a legal framework harmonizing core concepts (the definition of inside information, insider dealing and market manipulations, modalities of disclosure of inside information, definition of the powers of regulatory authorities, etc.) and provided core rules for the cooperation between regulators. is legislative act was the result of a compromise reached by the fieen Member-states of the European Union in 2003, which only addressed market abuses committed on regulated markets. Nevertheless, at least three key factors caused this legal framework to be outpaced. First of all, the transposition of MAD was not carried out uniformly within the European Union. Member States adopted diverging national requirements to prevent, prosecute and sanction market abuses. Such divergences in MAD’s transposition led to a real distortion of competition undermining the completion

2. 3.

derivatives markets, mitigate systemic risk, and protect against market abuse.” Directive 2003/6/EC of 28 January 2003 on insider dealing and market manipulation (market abuse). Directive 89/592/EEC of 13 November 1989 coordinating regulations on insider dealing.

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Chroniques

IV.A. Intégrité du marché


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IV. Régulation intersectorielle

of the EU internal market for financial services. Secondly, in the past few years, financial markets have become increasingly global which has given rise to new trading platforms and new trading technologies, which have deeply modified their functioning. Indeed, the markets in financial instruments directive of 2004 (“MiFID”)(4) created a new investment service allowing investment firms to operate new trading venues named Multilateral Trading Facilities (“MTF”) mainly in order to increase competition with regulated markets and decrease transaction costs. However, MAD’s legal framework remained only applicable to companies listed on regulated markets,(5) and the development of many MTF in Europe(6) extended the scope of financial instruments (and their derivatives) listed on trading venues unprotected by MAD’s legal framework.(7) irdly, the exponential development of algorithmic and high frequency trading as well as cross-border transactions totally changed the paradigm of the fight against market abuses.(8) In reaction to these changes, the European Commission proposed on 20 October 2011 a new directive(9) and a new regulation.(10) e regulation proposal – which becomes effective directly and does not need not to be transposed into national laws – was designed to adopt a harmonized, detailed and exhaustive legal framework against market abuses while the directive proposal was designed to ensure that serious criminal offences of insider dealing and market manipulation would be subject to criminal sanctions within the European Union. Due to the LIBOR/EURIBOR scandal, the European commission amended its directive and regulation proposals so that benchmarks and indices manipulations would fall within the scope of the regulation and the directive. On 10 September 2013, the European Parliament adopted an amended proposal(11) for a regulation on insider dealing and market manipulation (“MAR”), and on 4 February 2014 it adopted an amended proposal(12) 4.

Directive 2004/39/EC of 21 April 2004 on markets in financial instruments. 5. Except if those financial instruments listed on a MTF or traded over-the-counter (including their derivatives), were also listed on a regulated market. 6. Such as CHI-X, BATS, Nasdaq OMX, Turquoise, Alternativa, Alternext, Powernext, NYSE BondMatch, Galaxy, etc. 7. Even if some Member States such as France offered the possibility for MTF to benefit from MAD’s legal framework by created an original legal status (système multilatéral de négociation organisé, see article 524-1 of the Autorité des Marchés Financiers’ General Regulations). 8. See, amongst others, B. G, Les difficultés du contrôle du trading haute fréquence, R.T.D.F., n° 4, 2011. 9. Proposal for a directive on criminal sanctions for insider dealing and market manipulation. 10. Proposal for a regulation on insider dealing and market manipulation (market abuse). 11. Europarl, T7-0342/2013. 12. Europarl, T7-0057/2014. 110

for a directive on criminal sanctions for insider dealing and market manipulation (“MAD II”). MAD II is the first legislative proposal based on the new Article 83(2) of the Treaty on the Functioning of the European Union,(13) which allows the adoption of common minimum rules on criminal law when it appears essential to ensure the effective implementation of a harmonized Union policy. MAD II and MAR, once definitively adopted, will constitute a real improvement of the existing EU legal framework by heightening market integrity and leveling the playing field in the European common market of financial services.

B. Title VII of the Dodd-Frank Act Barack Obama enshrined into federal law e DoddFrank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (“the Dodd-Frank Act”) on July 21, 2010. e lack of regulation of American swap(14) markets was deemed to be largely responsible for the successive crises described above.(15) Title VII of the Dodd-Frank Act entitled “Wall Street transparency and accountability” amended the Commodities Exchange Act of 1936 and the Securities Exchange Act of 1934 to establish a comprehensive regulatory framework governing the swap markets. Title VII is divided into two subtitles : subtitle A entitled “Regulation of Over-the-Counter Swaps Markets” granted the Commodity Futures Trading Commission (“CFTC”) regulatory authority over swaps contracts, except for security-based swap contracts, which are regulated by the Securities and Exchange Commission (“SEC”) as stated in Subtitle B entitled “Regulation of Security-Based Swap Markets”. Some provisions of Title VII of the Dodd-Frank Act have a direct impact on the American legal framework against market abuses, in particular Section 741 “Enforcement”, Section 744 “Restitution remedies”, Sec13. TFUE, article 83 § 2 : “If the approximation of criminal laws and regulations of the Member States proves essential to ensure the effective implementation of a Union policy in an area which has been subject to harmonization measures, directives may establish minimum rules with regard to the definition of criminal offences and sanctions in the area concerned (…).” 14. Vernimmen Finance Dictionary : “Swap is an exchange of financial assets or flows between two entities during a certain period of time. Major forms of swap contracts : currency swap without principal, Interest rate swap, currency swap (with principal). Unlike financial assets, financial flows under swap contracts are traded over the counter, with no impact on the balance sheet and allow the parties to modify the exchange or interest rate terms (or both simultaneously) on current or future assets or liabilities. e Market value of positions is normally indicated off the Balance sheet.” 15. For very clear and detailed explanations : G. G (former chairman of the CFTC), “International swaps market reform promoting transparency and lowering risk”, Banque de France – Financial Stability Review, No. 17, April 2013.

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tion 746 “Insider Trading”, Section 747 “Anti-disruptive practices authority”, Section 748 “Commodity whistleblower incentives and protection”, Section 753 “Antimanipulation authority” and Section 763 “Amendments to the Securities Exchange Act of 1934”. However, some of these required to be made into law by the competent authority in order to take effect.(16) For example, such was the case of the “anti-disruptive practices authority” provision whose final interpretative guidance came into force on 28 May 2013.(17) American regulators have now passed almost all the necessary regulations in order to implement the above mentioned Sections of Title VII. In concrete terms, those provisions extend SEC’s (already extensive) powers of investigation, prosecution and sanction of market abuses to security-based swap contracts and strengthen significantly the CFTC’s powers regarding – but not limited to – other swap contracts (see infra II.A.).

II. A global reinforcement of the ght against market abuses All aspects of the fight against market abuses have been reinforced from the legal definition of the offenses (§ A) to their sanctions (§ C) and from their investigation to their prosecution (§ B).

A. Incrimination of new behaviors Both legislative resolutions on amended proposals of MAD II and MAR were adopted at first reading by the European Parliament, respectively by 618 votes to 20, with 43 abstentions and by 659 votes to 20 with 28 abstentions. ose votes look like a real plebiscite for toughening up the fight against market abuse. e reading of the numerous amendments completing the original proposals adopted by the European Parliament confirms this impression. Firstly MAR directly incriminates (many) new behaviors by completing and specifying existing definitions of market abuse offenses provided by MAD and by creating new offenses. In particular, Article 6 gives the exact same general definition of inside information provided by MAD but it develops many important clarifications 16. Sec. 754. Effective date. “Unless otherwise provided in this title, the provisions of this subtitle shall take effect on the later of 360 days aer the date of the enactment of this subtitle or, to the extent a provision of this subtitle requires a rulemaking, not less than 60 days aer publication of the final rule or regulation implementing such provision of this subtitle.” 17. CFTC, Anti-disruptive Practices Authority, Interpretive guidance and policy statement, Commodity Exchange Act Release No. 3038-AD96, May 20, 2013. 2014/2

regarding the definition of this concept(18). Article 7 extends and specifies the scope of insider dealing (for example inducing another person to engage in insider dealing falls within the scope) while Article 8 does the same with market manipulation (for instance, it provides a non-exhaustive list of algorithmic trading and high frequency trading strategies, which shall be considered as market manipulation), etc. Finally, Article 9 prohibits any person from engaging or attempting to engage in insider dealing, from recommending that another person engages in insider dealing or induces another person to engage in insider dealing, and from improperly disclosing inside information. Article 10 prohibits any person from engaging in market manipulation or attempting to engage in market manipulation. e prohibition of market abuse attempt is one of the main innovations brought by MAR. Secondly, in addition to financial instruments traded on regulated markets, Article 2 of MAR indirectly incriminates new behaviors by extending the scope of antimarket abuse rules to : a) financial instruments admitted to trading on a regulated market or for which a request for admission to trading on a regulated market has been made ; b) financial instruments traded, admitted to trading or for which a request for admission to trading on a MTF has been made ; c) financial instruments traded on an OTF [organized trading facilities created by the new directive on markets in financial instruments(19) (“MiFID II”)] ; d) financial instruments not covered by points (a) or (b) or (c) the price or value of which depends on or has an effect on the price or value of a financial instrument referred to in those points, including, but not limited to, credit default swaps and contracts for difference.” is last provision means that any financial instrument traded on a regulated market, on a MTF or on an OTF, as well as any derivative financial instrument shall be covered by MAR and MAD II when they are traded OTC. Article 2 of MAR also states that benchmarks are included within the scope of the regulation while Article 3 provides some exemptions – already included in 18. For instance regarding the “precise” nature of inside information, and mainly in reaction to the EADS case in France, Article 6 specifies that : “In this respect in the case of a protracted process intended to bring about, or that results in, a particular circumstance or a particular event, not only may that future circumstance or future event be regarded as precise information, but also the intermediate steps of that process which are connected with bringing about or resulting in that future circumstance or event. An intermediate step in a protracted process can be inside information if, by itself, it satisfies the criteria of inside information as referred to in this article.” 19. Amended proposal for a directive on markets in financial instruments repealing directive 2004/39/EC (Recast).

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Chroniques

IV.A. Intégrité du marché


Chroniques

IV. Régulation intersectorielle

MAD – from this scope mainly concerning buy-back programs and stabilization measures. In conclusion, MAR offers a comprehensive protection for those financial instruments and guarantees equal definition of abusive behaviors within the European Union to prevent cross-market abuses, which is a key element to ensure market integrity and investor protection.

B. New possibilities of investigation and prosecution

MAR guarantees equal definition of abusive behaviors within the European Union to prevent cross-market abuses.

e contribution made by Title VII of the Dodd-Frank Act to the incrimination of new behaviors mainly stems from the extension of the scope of regulation to swap contracts and the consequent possibility to characterize market abuses concerning those financial instruments. However, Section 747 of the Dodd-Frank Act entitled “Anti-disruptive practices authority” amended Section 4c(a) entitled “Prohibited transactions” of the Commodity Exchange Act and granted the CFTC new powers to prosecute new abusive behaviors as follows : “It shall be unlawful for any person to engage in any trading, practice, or conduct on or subject to the rules of a registered entity that : (A) violates bids or offers ; (B) demonstrates intentional or reckless disregard for the orderly execution of transactions during the closing period ; or (C) is of the character of, or is commonly known to the trade as, “spoofing” (bidding or offering with the intent to cancel the bid or offer before execution).” In its interpretative statement of 20 May 2013,(20) the CFTC stated that this new section was applicable not only to swap execution facilities (“SEF”)(21) but also 20. CFTC, Anti-disruptive Practices Authority, Interpretive guidance and policy statement, Commodity Exchange Act Release No. 3038-AD96, May 20, 2013 21. CFTC glossary : “A trading system or platform created by [Section 733 of] the Dodd-Frank Act in which multiple participants have the ability to execute or trade swaps by accepting bids and offers made by multiple participants in the facility or system, through any means of interstate commerce. e Dodd-Frank Act imposed different statutory provisions on SEFs than on designated contract markets.” 112

to designated contract markets (“DCM”).(22) In other words, this new provision apply not only to swap contracts listed on SEF or a DCM but also to futures or option contracts based on all types of commodities listed on DCM.

Article 17 of MAR provides several measures to ensure that national regulators have extensive powers to access all the information they need to detect and prosecute market abuses. It also provides an obligation to co- operate with other European regulators and ESMA with very few exceptions. Moreover, Articles 7 and 8 of MAR establish – under certain circumstances – a regime of presumption of insider dealing or market manipulation that can be reversed by defined legitimate behaviors. ese provisions are essential because they facilitate the prosecution of market abuses by reversing the burden of proof. Moreover, one of MAR’s main innovations is introduced by Article 29, which sets out a legal framework to provide financial incentive and protect whistleblowers inspired by the American framework provided by Section 748 of the Dodd-Frank Act. Compared with the European Union, the United States already had a much more impressive legislation to investigate and prosecute market abuses, but Title VII of the Dodd-Frank introduced at least three innovations. Firstly, it granted the CFTC comparable investigation and prosecution powers to those of the SEC so as to fight market abuses on derivatives markets. Secondly, the new abusive behaviors described above that the CFTC can now prosecute are easier to prove because they are per se offenses (i.e. they are objectively punishable). irdly, Section 748 of the Dodd-Frank Act created an extremely impressive whistleblower reward and protection program.

C. Harsher sanctions MAR and MAD II set out a dual regime of administrative and criminal sanctions for market abuses, partly based on a “minimum of the maximum” rule. Article 26 of MAR imposes professional sanctions, which can go up to a permanent ban. It also imposes a minimum of the maximum administrative pecuniary sanctions that can go up to three times the amount of the profits gained or losses avoided or 5,000,000 EUR for individuals or 22. CFTC glossary : “A board of trade or exchange designated by the CFTC to trade futures, swaps, and/or options under the Commodity Exchange Act. A contract market can allow both institutional and retail participants and can list for trading contracts on any commodity, provided that each contract is not readily susceptible to manipulation.”

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up to 15,000,000 EUR or 15 % of its annual turnover for legal entities. Article 30a of MAR provides an automatic publication of the administrative sanction decisions except if it appears to be disproportionate on a case-by-case basis. Article 27 sets out the criteria in order to determinate the type and level of sanctions. Following the same “minimum of the maximum” rule, MAD II defines criminal sanctions applicable to market abuses, “at least in serious cases and when committed intentionally”. Article 5 of MAD II compels Member States to ensure that inciting, aiding and abetting such market abuses or their attempt is punishable by a criminal sanction. According to Article 6 to 8 of MAD II, individuals, whether or not acting on behalf of a legal entity, could be at least sentenced to a maximum of four years of imprisonment. Legal entities can be exposed to criminal fines and professional sanctions, which can even be the permanent closure of the establishment which committed such market abuses. Member States must also provide appropriate training to judges, prosecutors, police, the judiciary and any other individual involved in litigation proceedings and investigations of market abuses. On the contrary, Title VII of the Dodd-Frank Act did not create new sanctions. However, Section 929P of the Dodd-Frank Act now allows the SEC to impose civil monetary penalties in addition to cease-and-desistorders (when the SEC agrees an offer of settlement from a prosecuted company), which could be applicable to market abuse cases.

III. Con icting issues between these new European and American legislations ghting market abuses It is clear that both the European Union and the United States have set out extremely ambitious and repressive legal frameworks against market abuses to heighten market integrity and ensure the protection of investors. American and European legislators could now barely be accused of permissiveness in their fight against market abuses. However, these new aspects of European and American legislations and their future interaction will undoubtedly be a source of legal uncertainty, notwithstanding the own potential negative effects that each legal framework could have. Even though it is impossible to anticipate all the potential difficulties arising from the interaction between the two systems, a few issues can already be highlighted. First of all, such developments of the respective American and European legal frameworks automatically increase the risks of inconsistency between the two legislations i.e., above all, the risk that a financial institution be prosecuted only on one side of the Atlantic and not 2014/2

on the other side depending on the interpretation given to their own legislation by prosecuting authorities.

ese new aspects of European and American legislations and their future interaction will undoubtedly be a source of legal uncertainty.

Secondly, in case of alleged cross-border market abuse, which competence will prevail ? What happens if a cooperation conflict arises ? Moreover, if the alleged cross-border market abuse is likely to constitute a criminal offense, which cooperation rules will be applicable ? Will it be bilateral cooperation rules between financial regulators,(23) cooperation rules established by the agreement on mutual legal assistance between the European Union and the United States of America,(24) or bilateral agreements of mutual legal assistance between the United States and European Member States ?(25) To the extent that incentives and protection for whistleblowing are currently much more important in the United States than in the European Union, will European whistleblowers be tempted to denounce alleged cross-border violations of anti-market abuses legislation to American authorities rather than to European authorities ? Fourthly, if an individual or a legal entity is convicted of market abuse on one side of the Atlantic, how will it be certain that such conviction will benefit from the non bis in idem principle (“not twice the same conviction” principle) on the other side ? Fihly, inherent differences of legal systems between Members States of the European Union (especially from continental Europe) and the United States undoubtedly increase the risks that financial institutions are stuck in the middle. Such will be the case if a financial institution signs an indisputable Deferred Prosecution Agree23. See for instance the French agreement COB-SEC of 14 December 1989 or COB-CFTC 2 of 6 June 1990. 24. Council Decision 2009/820/CFSP of 23 October 2009 on the conclusion on behalf of the European Union of the Agreement on extradition between the European Union and the United States of America and the Agreement on mutual legal assistance between the European Union and the United States of America. 25. Mutual legal assistance Treaty between the United States of America and France of 10 December 1998.

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Chroniques

IV.A. Intégrité du marché


Chroniques

IV. Régulation intersectorielle

ment (“DPA”) with American authorities in order to avoid a trial in the United States and/or keep its American banking license, and then face proceedings in its home country. is financial institution will have to defend itself without committing perjury i.e. denying the DPA.(26)

ese potential difficulties are only a few of the numerous issues that will arise from the interaction between the two legislations. 26. For more details on this particular topic, see A. G, P. S-S (dir.), Deals de justice – Le marché américain de l’obéissance mondialisée, PUF, 2013.

BITCOIN : UNE « MONNAIE VIRTUELLE » AUX RISQUES RÉELS Matthieu G Compliance Officer

Les « monnaies virtuelles » n’ont cessé depuis la démocratisation de l’internet et des échanges mondialisés de se développer. Elles permettent de proposer, dans l’environnement virtuel, des moyens de paiements alternatifs pour l’échange de biens et de services. Ces monnaies, en particulier le Bitcoin, ont connu un succès grandissant de part la crise et leur surmédiatisation. Certains épargnants ont considéré ces « monnaies virtuelles » comme des valeurs refuges ou des placements spéculatifs à forte rentabilité. Il faut rappeler que les « monnaies virtuelles » ne doivent pas être considérées comme des monnaies au sens juridique du terme et qu’elles n’en présentent pas les caractéristiques. En ce sens, elles peuvent être refusées en tant qu’unité de paiement sans contrevenir à l’article R. 642-3 du Code pénal(1). Seule une convention entre les parties en permettra l’usage comme moyen de paiement. La doctrine s’accorde également sur le fait qu’elles ne sont pas des monnaies électroniques n’étant pas émises contre la remise de fonds(2). Mais la récente faillite d’une des plates-formes d’échange de Bitcoin, MtGox(3), installée au Japon, démontre que ces « monnaies virtuelles » n’offrent aucune garantie de remboursement et représentent de ce fait un 1.

2.

3.

114

Article R.642-3 du Code pénal : « Le fait de refuser de recevoir des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France selon la valeur pour laquelle ils ont cours est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe ». J. L C, « Trois questions sur le Bitcoin », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n 3, 16 janvier 2014, p. 25. « Disparition de plus de 850 000 Bitcoins, ce qui représente 480 millions de dollars selon la valeur des Bitcoins le vendredi 7 mars 2014 », La Tribune, 11 mars 2013.

risque financier pour ceux qui les détiennent(4). La valeur de ces monnaies et plus particulièrement celle du Bitcoin, est extrêmement volatile n’étant indexée sur aucune valeur ou activité réelle. Mais ces risques n’ont pas freiné l’intérêt croissant de nombreux internautes pour ces « monnaies virtuelles ». Cela a de facto entraîné l’émergence de plates-formes internet ayant pour objets l’achat et la vente de ces valeurs contre de la monnaie ayant cours légal principalement en dollars. L’émergence de cette pratique de conversion a suscité de très vives inquiétudes chez les régulateurs du monde entier. Une fois stockées dans le « coffre-fort » sur support informatique tel que l’ordinateur, elles peuvent faire l’objet de piratage entraînant un risque de perte totale du capital pour l’utilisateur(5). Mais au-delà, l’échange de « monnaies virtuelles » se fait dans l’anonymat le plus total sans que l’utilisateur n’ait à révéler son identité.

Son utilisation engendre un risque réel de pratiques illicites et plus particulièrement de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

C’est d’ailleurs, la combinaison de la convertibilité de la monnaie virtuelle en « monnaie réelle » et son anonymat qui en font un outil particulièrement efficace pour 4. 5.

Y. R, « Le Bitcoin à l’épreuve de son premier krach », L’Agefi, n 411, mars 2014. « Fermeture de la plate-forme d’échange de Bitcoins Flexcoin faisant suite à un vol », La Tribune, 5 mars 2014.

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la criminalité(6). Son utilisation engendre un risque réel de pratiques illicites et plus particulièrement de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Les « monnaies virtuelles » sont ainsi devenues des outils pour les acheteurs et les vendeurs de produits illicites parmi lesquels les armes, mais aussi et surtout les produits stupéfiants. Le FBI a notamment fermé le site internet Silk Road en septembre 2013 sur lequel des narcotiques s’échangeaient contre des Bitcoins(7). Les fondateurs du site étaient accusés d’avoir permis l’achat de drogue en ligne par le biais d’une bourse d’échanges électroniques clandestine. Ils ont donc été inculpés aux États-Unis pour blanchiment de capitaux, l’utilisation de la « monnaie virtuelle » sur leur site étant destinée à permettre l’achat anonyme de stupéfiants. Dès les années 2011 et 2012, l’utilisation de la « monnaie virtuelle » était évoquée dans les rapports annuels d’AUSTRAC(8) et de TRACFIN(9) qui mettaient en évidence, outre le risque de blanchiment de capitaux ou financement du terrorisme, les risques de fraude. Il était relevé le caractère intraçable de la source des fonds illicites et le moyen également de contourner l’impôt en raison de leur anonymat. Ces « monnaies virtuelles » sont encore peu répandues comme moyen de paiement de biens et de services limitant ainsi les possibilités de les utiliser pour blanchir des fonds illicites, mais elles tendent pourtant à se démocratiser. Ce développement suscite l’inquiétude des législateurs et des régulateurs nationaux et étrangers, la prévention des risques ne pouvant s’opérer qu’à travers une réponse internationale. D’ailleurs, le ministre de l’Économie et des Finances français indiquait(10) que la régulation des « monnaies virtuelles » était « un sujet impératif à traiter non seulement au niveau national, mais aussi au niveau européen et, afin d’assurer cette convergence nécessaire, il entendait saisir les autres pays de l’Union européenne pour porter ce sujet au niveau du conseil Ecofin ». Les principaux axes d’une réponse internationale ont été esquissés en avril 2013 par le GAFI à partir de recommandations concernant les nouvelles méthodes de paiement, dont les « monnaies virtuelles »(11). Outre les préconisations de cet organisme, aucune action d’ampleur internationale n’a été prise et les actions des États restent disparates. Dès 2007, la Chine a commencé à proscrire l’usage 6.

« Audition sur les enjeux liés au développement des monnaies virtuelles », commission des finances du Sénat, mercredi 15 janvier 2014. 7. « Robin des Bois – Le FBI, millionnaire en Bitcoins », Le Monde, 23 décembre 2013. 8. Dénomination complète : Australian Transaction Reports and Analysis Centre. 9. Rapport d’activité 2011 TRACFIN. 10. Y. L G, « Pierre Moscovici veut une régulation européenne des Bitcoins », L’Expansion, 4 mars 2013. 11. Rapport GAFI avril 2013, « Prepaid Cards, Mobile Payments and Internet Based Payment Services ». 2014/2

des « monnaies virtuelles » et plus particulièrement du Q-Coin. Aujourd’hui, les autorités de ce pays interdisent aux banques chinoises et aux plates-formes de paiement en ligne toute transaction en Bitcoin. La Russie quant à elle, a condamné début février 2014, l’utilisation des « monnaies virtuelles » sur son territoire déclarant que « la monnaie officielle de la Fédération de Russie est le rouble » et que « l’introduction sur le territoire de Russie d’autres monnaies est interdite ».

Aussi déroutant que cela puisse paraître, ces « monnaies virtuelles » qui naissent dans un environnement déréglementé devront compter sur la régulation pour espérer se développer.

Cette approche n’est pas celle défendue par le gouvernement français qui indique qu’« il ne s’agit pas de bannir ces monnaies, mais il faut en assurer un encadrement précautionneux »(12). Cette position semble également être celle retenue par les États-Unis. Les autorités de régulation françaises(13) et américaines(14) ont adopté une position similaire. Le postulat est clair, il est impossible de réguler l’émission(15) de ces « monnaies virtuelles ». Elles ne constituent pas un moyen de paiement légal et n’entrent pas non plus dans le champ de la directive SEPA. Cependant, comme le souligne l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution(16), la conversion de ces « monnaies virtuelles » en valeurs ayant cours légal constitue une fourniture de service de paie12. V. supra, note 4. 13. « Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du Bitcoin », Focus Banque de France, n 10, 5 décembre 2013. 14. « Application of FinCEN’s Regulations to Persons Administering, Exchanging, or Using Virtual Currencies », e Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), 18 mars 2013. 15. V. supra, note 12. 16. Position ACPR 2014-P-01, « Position de l’ACPR relative aux opérations sur Bitcoin en France », 29 janvier 2014.

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IV.A. Intégrité du marché


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IV. Régulation intersectorielle

ment. L’activité des plates-formes d’échanges s’analyse comme telle, elles réceptionnent les fonds des acheteurs et les transfèrent aux vendeurs, déduction faite des frais et des commissions. Dès lors, la réglementation financière, notamment en matière de la lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, est applicable. La jurisprudence(17) a d’ailleurs statué en ce sens, imposant à ces fournisseurs de services de paiement un agrément délivré par l’ACPR. L’obtention de cet agrément implique, pour la plate-forme de conversion, le respect des exigences réglementaires en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Elle impose à la fois, l’identification des contreparties, mais également le contrôle de l’origine des fonds par le prestataire de services de paiement. En cas de soupçons, la plate-forme d’échange agréée a l’obligation de déclarer auprès de TRACFIN la ou les transactions suspectes. Toutefois, malgré l’encadrement des fournisseurs de services de paiement, la Banque de France a très jus-

tement souligné(18) que l’usage de ces « monnaies virtuelles » dans la sphère numérique ne pouvait pas faire l’objet d’un encadrement réglementaire. Il faut donc s’appuyer sur les forces de l’ordre, seules à disposer de la capacité à traquer sur la toile un usage illicite de ces « monnaies virtuelles » comme a pu le faire le FBI au cours des derniers mois. Ces « monnaies virtuelles » doivent désormais démontrer une plus grande stabilité et assurer une plus grande sécurité à ses utilisateurs pour espérer intéresser massivement les acteurs de la sphère économique. Aussi déroutant que cela puisse paraître, ces « monnaies virtuelles » qui naissent dans un environnement déréglementé devront compter sur la régulation pour espérer se développer. Dès lors, la réglementation apparaît comme la condition de son essor. Reste à savoir comment la directive sur les services de paiement ou le projet de la IV directive en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, pourrait à l’avenir encadrer ces activités.

17. Pari, 26 septembre 2013, J.C.P. éd. E., 2014, n 8, p. 40, note de T. B.

18. V. supra, note 9.

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V. Fiscalité des services financiers Chronique sous la direction de Régis V Professeur à l’Université de Bourgogne

La Cour de justice de l’Union européenne est confrontée à un contentieux récurrent, tant en matière de fiscalité directe qu’en matière de fiscalité indirecte. Sur le premier point, la C.J.U.E. veille à ce que les mesures prises par les États membres respectent les libertés fondamentales garanties par le Traité. L’absence d’harmonisation européenne ne dispense pas les États membres de respecter les dispositions du droit primaire, et en particulier la libre prestation de services. Le souci de préserver la cohérence du système fiscal ne peut justifier une entrave à cette liberté que dans des cas restreints. Sur le second point, à la suite d’une question préjudicielle posée par la Cour de cassation française, la C.J.U.E. sera prochainement amenée à préciser la notion d’opération d’assurance au regard de la directive TVA.

The Court of Justice of the European Union (CJEU) is undergoing a major and recurrent flow of litigation, both regarding direct and indirect taxation. In respect of direct taxation, the CJEU supervises that Member States respect the fundamental freedoms ensured by the Treaty. In spite of the lack of European harmonisation, the national authorities must prevent any restrictions on the freedom to provide services. The need to preserve the consistency of the tax system can justify such freedom to be limited in specific circumstances. Dealing with indirect taxation, the “Cour de Cassation” (the French Supreme Court) has referred a question to the CJEU for a preliminary ruling on the definition of insurance according to the VAT Directive.

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

V.A. Fiscalité directe (Libertés au sein du marché intérieur) C.J.U.E., 23 JANVIER 2014, COMMISSION EUROPÉENNE CONTRE ROYAUME DE BELGIQUE, AFF. C-296/12 Régis V Professeur à l’Université de Bourgogne

Les réductions d’impôts accordées aux contribuables afin qu’ils investissent ou placent leur épargne dans des fonds gérés par des établissements nationaux sont dans le collimateur de la Commission européenne qui n’hésite pas à lancer des procédures en manquement d’État (art. 258 TFUE). L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (C.J.U.E.), le 23 janvier 2014, en est une illustration supplémentaire. En l’espèce, la législation fiscale belge accordait une réduction d’impôt aux personnes cotisant à des fonds d’épargne-pension gérés par des institutions financières établies en Belgique. Selon la Commission, cette réglementation n’est pas conforme aux libertés garanties par le Traité, en l’occurrence la libre prestation de services (art. 56 TFUE), mais également la liberté de circulation de capitaux (art. 63 TFUE). À l’égard de la première liberté, la Commission considère que cette réduction d’impôt constitue une entrave, puisqu’elle défavorise les entreprises qui ne sont pas établies en Belgique. Mais c’est aussi la seconde liberté qui est entravée selon la Commission, en ce que la réduction d’impôt dissuade les déposants de verser des sommes dans le cadre d’une épargnepension à des institutions qui ne sont pas établies sur le territoire belge. Le raisonnement mené par la Commission montre à nouveau que les deux libertés fondamentales se recoupent potentiellement dans le domaine des services financiers. Précisément, à l’occasion du service fourni par le prestataire, il y a systématiquement un mouvement de capitaux, de sorte que l’entrave portée à la liberté du prestataire peut avoir des répercussions sur le flux de capitaux que la prestation peut générer. Mais fidèle à l’articulation des libertés qu’elle a elle-même fixée(1), la Cour envisage d’abord la question au regard de la libre prestation de service dans le présent arrêt. Précisément, en l’espèce, l’entrave aux libertés est clairement caractérisée. D’ailleurs, le Royaume de Belgique lui-même n’en contestait pas l’existence. La solution re1.

118

D. B, « Politique fiscale », in Comm. J. Mégret – Politiques économiques et sociales, éd. de l’Université de Bruxelles, 3 éd., 2012, spéc. n 1093.

tenue par la C.J.U.E. n’est dès lors guère surprenante. Le juge rappelle, en effet, que « les prestations fournies par des institutions financières et des entreprises d’assurances en matière d’épargne-pension, y compris des sociétés de gestion d’un fonds d’épargne-pension agréé, sont des services au sens de l’article 57 TFUE ». En outre, la réalisation d’un marché unique s’oppose à la mise en œuvre de réglementations nationales qui rendent la prestation de service entre États membres plus difficile qu’une prestation de services purement interne. La construction du marché unique nécessite une certaine harmonisation des conditions dans lesquelles la prestation de service peut être exécutée et conduit à une certaine indifférence au lieu d’établissement du prestataire, dès lors qu’il relève d’un État membre de l’Union européenne. En l’espèce, en considérant que la réduction d’impôt en cause dissuade les contribuables belges de faire appel à des institutions financières non établies en Belgique et constitue une entrave à la libre prestation de services, la Cour reprend à son compte l’argumentation de la Commission européenne. On relèvera simplement que la jurisprudence se contente d’une entrave dans l’absolu, sans prendre en considération le fait que les contribuables ne tiennent pas seulement compte de la réduction d’impôt pour choisir l’institution financière qui va gérer leur épargne-pension. À l’égard de certaines personnes, l’entrave est sans doute très relative. Tel n’est pourtant pas le raisonnement qui est suivi ici. Dans la logique du marché unique, une entrave est caractérisée dès qu’elle est susceptible de gêner les libertés de circulation, peu importe que cette gêne soit effective ou non. L’entrave ayant été confirmée par le juge, le débat s’est ensuite déplacé sur le point de savoir si elle pouvait être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. En effet, une entrave aux libertés garanties par le Traité est possible sous réserve de respecter trois conditions(2) : elle poursuit un objectif d’intérêt général ; elle est en mesure de garantir la réalisation de celui-ci ; elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. Dans le cas présent, trois arguments étaient soulevés par le Royaume de Belgique. Au premier chef, c’est le souci d’assurer la cohérence du système fiscal qui a été avancée comme justifiant la réduction d’impôt en cause. Il est vrai que le dispositif prévoyait une certaine symétrie dans ses conditions de mise en œuvre. En l’occurrence, lorsque les cotisations de retraite en cause avaient bénéficié de la réduction d’impôt, les ver2.

B. D, « L’évolution de la jurisprudence relative aux justifications des restrictions fiscales aux libertés communautaires », Dr. fisc., 2009, p. 248.

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sements exécutés au profit du contribuable au moment de son départ à la retraite étaient soumis à l’impôt. Parallèlement, lorsque les cotisations versées à un organisme relevant d’un autre État membre n’avaient pas bénéficié de la réduction d’impôt, les versements subséquents n’étaient pas imposés. L’articulation de ce régime montre à nouveau que les contribuables belges étaient sans doute en mesure de faire un calcul leur permettant de déterminer si le placement de leurs cotisations était plus avantageux auprès d’une institution financière belge ou auprès d’une institution relevant d’un autre État membre. L’objectif du Traité n’est-il pas de favoriser la concurrence ? Incontestablement oui, mais cette concurrence ne peut s’appuyer sur des différences de réglementation. En réalité, pour rejeter l’argument ainsi soulevé par le gouvernement belge, la Cour prend soin de montrer l’incohérence du dispositif sur deux points. D’une part, il était envisageable pour un contribuable de cumuler les avantages. En effet, un cotisant pourrait très bien, dans un premier temps, bénéficier de la réduction d’impôt en s’adressant à une institution financière belge. Puis, en transférant sa résidence dans un autre État membre avant l’échéance du versement des revenus, il pourrait, dans un second temps, échapper à l’impôt, dès lors que les pensions ne sont imposables que dans l’État de résidence du bénéficiaire de celles-ci. D’autre part, la Cour relève que le fait d’ouvrir une épargne-pension auprès d’une institution financière établie en Belgique n’empêche pas l’État membre de résidence de taxer les revenus issus de l’épargnepension. En outre, il n’y a aucune raison de priver de réduction d’impôt le contribuable belge qui cotise auprès d’une institution établie dans un autre État membre, dès lors qu’il sera taxé en Belgique au moment où les revenus lui seront versés, s’il a conservé sa résidence dans cet État. Il découle de ces éléments que la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal ne saurait justifier la réglementation fiscale en cause. La solution ainsi rendue par la Cour est d’autant plus remarquable qu’elle constitue un revirement. En effet, dans un arrêt antérieur, la C.J.U.E. avait décidé que le souci de sauvegarder la cohérence du régime fiscal était une raison impérieuse d’intérêt général justifiant l’entrave à la liberté de circulation(3). La Cour rejette également les deux autres raisons impérieuses d’intérêt général soulevées par le Royaume de Belgique. Ainsi, l’efficacité du contrôle fiscal ne justifie pas que la réduction d’impôt ne soit pas générali-

sée. En effet, les autorités fiscales belges peuvent échanger des informations avec les autorités compétentes des autres États membres afin de vérifier les déclarations effectuées par les contribuables belges. De surcroît, elles peuvent demander directement aux contribuables concernés les preuves qu’elles jugent nécessaires et, le cas échéant, refuser la réduction d’impôt si les éléments fournis par le contribuable sont insuffisants. La Cour utilise ici un argument déjà utilisé dans une affaire récente(4). La finalité poursuivie par ce raisonnement se comprend aisément. Les réductions d’impôt ne doivent pas être refusées a priori aux personnes qui réalisent un placement via un prestataire situé dans un autre État membre. Elles doivent l’être a posteriori si les contribuables ne collaborent pas suffisamment avec l’administration fiscale de leur État de résidence. Ce que la C.J.U.E. condamne finalement, c’est la différence de régime fiscal fondée sur un postulat législatif qui n’est pas relaté par des éléments de fait. En d’autres termes, la différence de régime fiscal doit venir du bas, c’est-à-dire des autorités de contrôle, et non d’en haut, c’est-à-dire du législateur lui-même.

3.

4.

C.J.C.E., 28 janvier 1992, Bachmann, aff. C-204/90 ; Rec., 1992, p. I-249 ; D. B, « Quand Bachmann réapparaît… pour redisparaître », J.C.P. éd. G, 2014, p. 176.

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La nécessité de préserver la cohérence du système fiscal ne saurait justifier la réglementation fiscale en cause.

L’argument tiré de la protection du consommateur subit le même sort. Le Royaume de Belgique ne montre pas en quoi le seul moyen de protéger le consommateur résidait dans une mise en œuvre différenciée de la réduction d’impôt. En filigrane, le juge considère que la mesure n’est pas proportionnée à l’objectif poursuivi. Finalement, les trois raisons impérieuses d’intérêt général soulevées par le Royaume de Belgique sont rejetées et la Cour le condamne logiquement pour violation du droit de l’Union européenne. C.J.U.E., 6 juin 2013, Commission européenne contre Royaume de Belgique, aff. C-383/10, R.I.S.F., 1/2014, p. 159, note R. V.

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Chroniques

V.A. Fiscalité directe (Libertés au sein du marché intérieur)


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V. Fiscalité des services financiers

V.B. F i s c a l i t é i n d i r e c t e (Taxe sur la valeur ajoutée) C.J.U.E., 21 NOVEMBRE 2013, DIXONS RETAIL PLC, AFF. C-494/12 Régis V Professeur à l’Université de Bourgogne Est-ce que le commerçant confronté à l’utilisation frauduleuse d’une carte bancaire par l’un de ses clients est tenu de verser au Trésor la TVA perçue lors des achats réalisés par celui-ci ? Si ce versement a déjà été effectué, peut-il en demander le remboursement à l’administration fiscale ? C’est à ces délicates questions pratiques que l’arrêt rendu par la C.J.U.E. le 21 novembre 2013 tente de répondre. En l’espèce, la société Dixons commercialise des appareils électriques. Cette société a conclu une convention avec American Express Europe (AmEx) en vertu de laquelle, en cas d’utilisation par l’un de ses clients, d’une carte émise par AmEx, en tant que moyen de paiement, la société Dixons était tenue d’accepter cette carte. De son côté, la société AmEx s’engageait à payer à la société Dixons le prix des biens achetés par cette carte, sous réserve d’une commission. Une convention similaire liait également la société Dixons à National Westminster Bank, agissant sous le nom de Streamline. À la suite d’achats réalisés avec les cartes bancaires en cause, la société Dixons verse la TVA applicable aux Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Custom (le Trésor ci-après). Puis, découvrant que les transactions ont été payées au moyen de cartes utilisées frauduleusement, la société Dixons demande le remboursement de la TVA, alors même qu’elle a reçu le paiement du prix par les sociétés AmEx et Streamline. Faute d’obtenir ce remboursement de taxe, elle exerce un recours juridictionnel qui conduit à poser plusieurs questions préjudicielles à la C.J.U.E. En substance, ces questions concernent le point de savoir si le transfert physique d’un bien à un acheteur qui utilise un moyen de paiement frauduleux constitue une livraison de biens au sens de la directive TVA. En d’autres termes, toute la question est de savoir si l’opération entre ou non dans le champ d’application de la TVA. En ce domaine, les solutions sont stables. Une opération entre dans le champ d’application de la TVA lorsqu’elle consiste en une livraison de biens ou une prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. En l’espèce, la Cour vérifie que l’opération est bien dans le champ à l’aune des deux premiers critères : l’existence d’une livraison de biens et le caractère onéreux de l’opération(1). En ce qui concerne la livraison de biens, la C.J.U.E. rappelle une jurisprudence constante. Au regard de la 1.

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D. G, Droit fiscal des affaires, Montchrestien, 2 éd., 2013, spéc. n 1028.

directive TVA, la notion de livraison n’est pas appréhendée au sens juridique du terme, mais dans un sens économique. Il y a livraison de biens indépendamment du fait de savoir s’il y a eu un transfert de propriété conformément aux règles nationales. Il y a livraison de biens dès qu’il y a un transfert d’un bien corporel par lequel une partie en habilite une autre à en disposer en fait comme si elle était propriétaire de ce bien. Cette jurisprudence est subtile, mais elle se comprend aisément. Dès lors qu’une personne peut disposer d’un bien comme un propriétaire, la livraison de biens est caractérisée, alors même que le transfert de propriété ne s’est pas réalisé d’un point de vue juridique. Songeons ici à une vente avec clause de réserve de propriété : l’acheteur n’est pas propriétaire tant qu’il n’a pas payé la totalité du prix ; pourtant, il dispose en fait du bien comme un propriétaire, de sorte qu’il y a bien livraison de biens au regard de la directive TVA. La livraison de biens repose donc sur un critère objectif (la remise matérielle de la chose et la possibilité d’en disposer comme un propriétaire) et s’avère indifférente aux intentions de l’acquéreur. La qualification de livraison de biens n’est écartée que si le transfert réalisé participe à un schéma de fraude fiscale(2). En l’espèce, il ne fait aucun doute que la société Dixons a transmis les biens vendus à ces clients en vue de leur permettre d’en disposer comme un propriétaire(3). Les opérations en cause ne s’inscrivant aucunement dans un schéma de fraude à la TVA, le premier critère du champ d’application de la taxe est rempli. L’utilisation frauduleuse d’une carte bancaire n’a ici aucune incidence. En ce qui concerne le caractère onéreux de l’opération, la Cour s’appuie également sur des solutions admises de longue date. Pour qu’une opération présente un caractère onéreux, il est nécessaire qu’une contrepartie à la livraison de biens ou à la prestation de service soit prévue et qu’un lien direct soit établi entre les deux(4). En d’autres termes, la rétribution perçue par le fournisseur doit constituer la contre-valeur effective du bien li2.

3.

4.

C.J.C.E., 12 janvier 2006, Optigen, aff. C-354/03, spéc. n 55 : Les opérations qui « ne sont pas elles-mêmes entachées de fraude à la TVA constituent des livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et une activité économique […] dès lors qu’elles satisfont aux critères objectifs sur lesquels sont fondées lesdites notions, indépendamment de l’intention d’un opérateur autre que l’assujetti concerné […] ». La solution serait tout autre si le commerçant avait été victime d’un vol (C.J.C.E., 14 juillet 2005, British American Tobacco et Newman Shipping, aff. C-435/03, Rec., p. I-7077). C.J.C.E., 3 mars 1994, Tolsma, aff. C-16/93, Rec., p. I-743.

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vré au bénéficiaire(5). En l’espèce, l’existence de ce lien direct n’a rien d’évident, puisque l’opération en cause conduit à deux transactions : la vente et le service rendu par l’émetteur de la carte. En effet, les conventions conclues entre la société Dixons et les sociétés AmEx et Streamline ont conduit à ce que le paiement soit effectué par les émetteurs des cartes bancaires au profit de la société Dixons. Il reste toutefois que le paiement a été déclenché par l’acheteur lui-même lors de l’utilisation de la carte. En outre, comme l’indique la Cour, pour qu’une livraison de biens soit effectuée à titre onéreux, il n’est pas exigé que « la contrepartie de cette livraison […] soit obtenue directement de la part du destinataire de celleci »(6). En effet, les dispositions de la directive TVA prévoient que le paiement de la contrepartie peut être assuré par un tiers(7). Dès lors, le paiement effectué par AmEx et Streamline ne remet pas en cause le caractère onéreux de l’opération. La Cour en conclut donc que l’opération en cause, réalisée au moyen de l’utilisation frauduleuse d’une carte bancaire, entre bien dans le champ d’application de la TVA. Suivant un raisonnement classique en ce domaine, la solution rendue par la C.J.U.E. appelle néanmoins une remarque. L’arrêt n’indique pas si l’annulation des ventes en cause en raison d’une fraude à la carte bancaire peut justifier un remboursement de la TVA versée au Trésor. En effet, d’un point de vue pratique, l’utilisation frauduleuse de la carte bancaire conduit son titulaire à être dédommagé, sous réserve d’avoir fait opposition. Mais encore faut-il s’interroger sur le sort des opérations conclues en fraude de ses droits et des conséquences en matière de TVA. La vente comporte une cause illicite, mais pour autant l’annulation ne sera 5.

6. 7.

Dans le cadre d’une cession de créances douteuses, la C.J.U.E. a considéré que le cessionnaire ne fournit aucun service au cédant qui serait rémunéré par le prix d’achat des créances (C.J.C.E., 27 octobre 2011, GFKL Financial Services AG, aff. C-93/10, Rec., p. I-10791). V. déjà C.J.C.E., 7 octobre 2010, Loyalty Management UK Ltd, aff.C-53/09, Rec., p. I- 9187. Article 73 de la directive 2006/112 : « Pour les livraisons de biens et les prestations de services […], la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ».

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pas systématiquement constatée en justice. Tout va dépendre ici des circonstances de l’espèce. Si le commerçant ne récupère pas les marchandises et s’il conserve le prix qui lui a été réglé par l’émetteur de la carte, comme cela était le cas en l’espèce, la vente n’est pas à proprement parler annulée. Aussi, dans ce cas, le fournisseur des biens ne pourra pas obtenir le remboursement de la TVA versée à cette occasion. En revanche, s’il parvient à démontrer que la vente a fait l’objet d’une annulation ou du moins qu’il a été amené à restituer le prix perçu, la restitution de la taxe doit lui être accordée. En effet, l’article 90 de la directive 2006/112 dispose qu’« en cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres »(8). L’annulation de la vente ou la restitution du prix perçu réduit la base d’imposition à zéro, ce qui justifie le remboursement de la taxe.

L’opération en cause, réalisée au moyen de l’utilisation frauduleuse d’une carte bancaire, entre bien dans le champ d’application de la TVA.

8.

En France, l’article 272, 1, du Code général des impôts indique que « La taxe sur la valeur ajoutée qui a été perçue à l’occasion de ventes ou de services est imputée ou remboursée dans les conditions prévues à l’article 271 lorsque ces ventes ou services sont par la suite résiliés ou annulés ou lorsque les créances correspondantes sont devenues définitivement irrécouvrables ».

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V.B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée)


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V. Fiscalité des services financiers

COM. 13 NOVEMBRE 2013, N° 12-15361 (QUESTION PRÉJUDICIELLE) Régis V Professeur à l’Université de Bourgogne Le caractère elliptique de la directive TVA crée un contentieux récurrent, notamment pour apprécier l’étendue des exonérations prévues par ce texte. Les opérations d’assurance en sont une illustration supplémentaire. En effet, l’article 135, paragraphe 1, de la directive 2006/112 précise que « Les États membres exonèrent les opérations suivantes : a) les opérations d’assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance ». Or, le texte ne donne pas de définition de l’opération d’assurance, ce qui soulève des difficultés en pratique pour déterminer le champ d’application de cette exonération. Confrontée à cette difficulté, la Cour de cassation française a décidé de poser une question préjudicielle à la C.J.U.E. dans le cadre d’un litige qui met en évidence les divergences d’interprétation que suscite l’absence de définition européenne(1). En l’espèce, des garagistes revendeurs de véhicules d’occasion ont conclu une convention avec la société Mapfre warranty aux termes de laquelle la société prend à sa charge, contre une rémunération forfaitaire, le coût des réparations des véhicules d’occasion vendus en cas de panne. À cette première convention s’en ajoute une seconde. La société Mapfre warranty a effectivement souscrit une assurance auprès de la société d’assurance de droit espagnol Mapfre asistencia compañia internacional de seguros y reaseguros (la société Mapfre asistencia). Estimant réaliser une prestation de services, la société Mapfre warranty a facturé de la TVA auprès des revendeurs de véhicule tandis que la société Mapfre asistencia s’est acquittée de la taxe sur les conventions d’assurance au taux de 9 % sur les primes versées par la société Mapfre warranty. Contestant ce choix, l’administration fiscale a notifié à cette dernière une proposition de rectification en qualifiant ses prestations d’opérations d’assurance soumises à la taxe sur les conventions d’assurance de l’article 991 du Code général des impôts(2), au taux de 18 % prévu, pour les assurances automobiles, par l’article 1001, 5°bis du même Code. L’administration fiscale s’oppose donc à la mise en œuvre de la TVA par la 1. 2.

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Dr. fisc., 2013, comm. 555, note B. M, I. R-B et É. V D. « Toute convention d’assurance conclue avec une société ou compagnie d’assurances ou avec tout autre assureur français ou étranger est soumise, quels que soient le lieu et la date auxquels elle est ou a été conclue, à une taxe annuelle et obligatoire moyennant le paiement de laquelle tout écrit qui constate sa formation, sa modification ou sa résiliation amiable, ainsi que les expéditions, extraits ou copies qui en sont délivrés, sont, quel que soit le lieu où ils sont ou ont été rédigés, enregistrés gratis lorsque la formalité est requise ».

société Mapfre warranty et conteste le taux de 9 % retenu par la société Mapfre asistencia. Face à cette difficulté, la Cour de cassation a décidé de poser à la C.J.U.E. la question préjudicielle suivante : « Les articles 2 et 13, B, sous a), de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 (77/388 CEE) doiventils être interprétés en ce sens que la prestation consistant, pour un opérateur économique indépendant du revendeur de véhicules d’occasion, et moyennant le versement d’une somme forfaitaire, à garantir la panne mécanique susceptible d’affecter certaines pièces du véhicule d’occasion entre dans la catégorie des opérations d’assurance exonérées de taxe sur la valeur ajoutée ou, au contraire, entre dans la catégorie des prestations de service ? ». Sans attendre la réponse de la C.J.U.E., il est d’ores et déjà possible de donner quelques éléments d’analyse sur cette affaire qui soulève d’intéressantes questions de droit. En premier lieu, on rappellera que les exonérations visées à l’article 135 de la directive TVA sont d’interprétation stricte, étant donné que ces dernières constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti(3). Par voie de conséquence, l’exonération de TVA n’est envisageable que si le service fourni par la société Mapfre warranty constitue véritablement une opération d’assurance, ce qui est loin d’être évident. Toutefois, ce principe d’interprétation stricte des exonérations ne doit pas mettre en échec un autre principe essentiel en ce domaine, celui de la neutralité de la TVA. En effet, la neutralité de la TVA s’oppose à ce que des agents économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de cette taxe. Or, si une exonération est entendue de manière trop stricte, elle pourrait porter atteinte au principe de la neutralité. Dans le cas présent, appliquer la TVA à la société Mapfre warranty pourrait l’avantager par rapport aux entreprises d’assurance qui proposent le même service et qui en sont exonérées(4). En deuxième lieu, l’absence de définition dans le corps même de la directive a conduit à une définition jurisprudentielle de l’opération d’assurance. Ainsi, selon la C.J.U.E., l’opération d’assurance se caractérise par le fait que l’assureur se charge, moyennant le paiement préalable d’une prime, de procurer à l’assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la prestation convenue lors de la conclusion du contrat(5). Bien qu’elle comble un 3. 4.

5.

C.J.U.E., 19 juillet 2012, Deutsche Bank, C-44/11, spéc. n 42. Les entreprises exonérées de TVA perdent, en principe, le droit de déduire la taxe qu’elles ont-elles-mêmes supportées en amont auprès de leurs fournisseurs. C.J.C.E., 20 novembre 2003, Taksatorringen, aff. C-8/01, Rec., p. I-13711, spéc. n 39.

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vide au sein de la directive, cette définition est loin de mettre fin à toutes les interrogations. D’abord, elle ne tranche pas le point de savoir s’il faut avoir ou non la qualité d’entreprise d’assurance agréée pour conclure un contrat d’assurance. À nouveau, le juge a dû trancher la question et il apparaît qu’un contrat d’assurance peut être conclu, au regard de la directive TVA, sans que l’assureur n’ait la qualité d’entreprise d’assurance(6). Ce qui est le cas, en l’espèce, de la société Mapfre warranty. Ensuite, la définition élaborée par la C.J.U.E. met en évidence les éléments essentiels du contrat d’assurance, à savoir la prime et le risque, mais elle occulte deux éléments : l’aléa et la mutualisation. En effet, comme le souligne les moyens du pourvoi, une opération d’assurance ne se caractérise pas seulement par un aléa. Encore faut-il que l’assureur dispose des ressources et des structures lui permettant de mutualiser le risque. Comme l’enseigne la doctrine française, « envisagée sous un angle purement technique, l’assurance est l’opération par laquelle l’assureur regroupe au sein d’une mutualité une pluralité d’assurés exposés à la réalisation de certains risques pour que se réalise une compensation entre les risques sinistrés et ceux pour lesquels l’assureur aura perçu une prime sans avoir dû régler des prestations »(7). L’administration fiscale fait d’ailleurs elle-même référence à la mutualisation des risques dans sa doctrine relative à la taxe sur les conventions d’assurance(8). En l’espèce, les éléments de fait de l’arrêt rapporté ne permettent pas d’affirmer qu’une telle mutualisation était mise en œuvre par les sociétés en cause, ce qui conduit à douter de l’existence d’une véritable opération d’assurance.

Même si l’existence de l’opération d’assurance était caractérisée, elle n’emporterait pas nécessairement une exonération de TVA.

6. 7. 8.

C.J.C.E., 25 février 1999, CPP, aff. C-349/96, Rec., p. I-973, spéc. n 22. M. C et L. P, Droit des assurances, L.G.D.J., 2 éd., 2013, spéc. n 29. BOI-TCAS-ASSUR-10-10, § 20. Dr. fisc., 2013, comm. 555, note précitée.

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En troisième lieu, même si l’existence de l’opération d’assurance était caractérisée, elle n’emporterait pas nécessairement une exonération de TVA. En effet, en cas de prestations complexes, il convient de déterminer si chaque prestation est distincte et indépendante ou si au contraire, les prestations en cause ne sont pas indépendantes et forment une opération unique. Dans ce dernier cas, il s’agira d’une opération unique, notamment, lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel(9). Dans le cas présent, la question se pose de savoir si la prestation offerte par la société Mapfre warranty n’est pas étroitement liée à la vente de véhicules d’occasion et si elle ne permet pas finalement d’améliorer le service rendu au client. Sur ce point, la C.J.U.E. a une position plutôt restrictive, car elle a considéré que la prestation d’assurance refacturée par le crédit-bailleur est indépendante du crédit-bail lui-même(10). Ainsi, elle a considéré que « bien qu’une telle prestation d’assurance fournie au preneur par le biais du bailleur facilite […] la jouissance du service de crédit-bail, il y a lieu de considérer qu’elle constitue essentiellement une fin en soi pour le preneur, et non, seulement, le moyen de bénéficier de ce service dans les meilleures conditions. Le fait qu’une assurance couvrant le bien faisant l’objet du crédit-bail soit exigée par le bailleur, comme cela paraît être le cas dans le cadre de l’opération en cause au principal, ne saurait infirmer cette conclusion. En particulier, il y a lieu de relever que, dans les circonstances en cause au principal, si le preneur est tenu de veiller à ce que le bien faisant l’objet du crédit-bail soit assuré, il dispose cependant de la faculté d’assurer ce bien auprès de la compagnie d’assurance de son choix. Ainsi, l’exigence d’une couverture d’assurance ne saurait, en elle-même, impliquer qu’une prestation d’assurance fournie par l’intermédiaire du bailleur, telle que celle en cause au principal, ait un caractère indissociable ou accessoire par rapport à la prestation de services de crédit-bail »(11). Dans le prolongement de cette décision, il est fort probable que l’opération d’assurance soit jugée dissociable de l’opération de ventes de véhicules d’occasion, ce qui empêcherait d’y voir une opération unique où la vente aurait un caractère principal. Il demeure que la question mériterait d’être posée car la prestation d’assurance vient incontestablement sécuriser l’opération de vente de véhicule d’occasion. Espérons que la C.J.U.E. apporte un éclairage utile sur l’ensemble de ces éléments.

C.J.C.E., 29 mars 2007, Aktiebolaget NN, aff. C-111/05, Rec., p. I-2697, spéc. n 23. 10. C.J.U.E., 17 janvier 2013, BGŻ Leasing, aff. C-224/11. 11. C.J.U.E., 17 janvier 2013, précité, spéc. n 42-43. 9.

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Chroniques

V.B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée)



N 



Auteur : Margot S, préface de J.-P. J Éditeur : Bruxelles, Bruylant Nombre de pages : 1014 pages Date de parution : 2013 La crise bancaire de 2007, comme la crise économique et financière qui a suivi ont incontestablement marqué l’histoire des faits économiques. Alors que les marchés financiers étaient traversés jusqu’alors par un mouvement de dérégulation, ces crises ont mis en évidence les méfaits d’une libéralisation excessive et ont fait jaillir le besoin de régulation ou de re-régulation. C’est précisément l’objet de l’ouvrage de Margot Sève, La régulation financière face à la crise, qui dresse un panorama complet, tant sur le plan juridique que sur le plan économique, des causes de la crise, mais également des enseignements qu’il convient d’en tirer sur la structure et l’efficacité de la régulation. S’appuyant sur les travaux de l’École de la régulation, l’auteur commence par rappeler que la régulation n’est pas seulement une action de l’État. Elle est avant tout l’action menée par toutes les institutions publiques et parmi elles, les autorités administratives indépendantes, en vue de corriger les imperfections d’un marché fonctionnant librement. La postmodernité se caractérise d’ailleurs par un retrait de la « régulation directe » (l’État lui-même) au profit d’une « régulation indirecte » (les autorités de régulation qui bénéficient d’une délégation de pouvoirs). Selon l’auteur, cet exercice délégué du pouvoir ne constitue pas une perte de souveraineté, mais l’exercice sous une autre forme de la souveraineté étatique(1), ce qui apparaît largement discutable, tant les autorités de régulation affirment leur indépendance et n’hésitent pas, dans certains cas, à agir au-delà de certaines limites légales(2). Au-delà de la question quelque peu théorique des formes de souveraineté, il est incontestable que la crise bancaire et financière de ces dernières années a mis en évidence l’inadéquation des structures de la régulation face aux réalités du marché. C’est précisément l’objet de cet ouvrage d’en analyser les ressorts. À cette fin, l’architecture retenue par Margot Sève repose sur deux parties. La première s’intitule « La régulation financière à l’épreuve de la crise » et elle est l’occasion d’analyser les causes de la crise et de proposer un modèle « régulatoire » mieux adapté aux marchés financiers contemporains. La seconde s’intitule « La mise en application depuis la crise des principes de la régulation systémique » et elle vise à analyser à travers des situations pratiques le périmètre de la régulation, mais également ses objectifs. 1. 2.

M. S, op. cit., spéc. p. 34. T. B, « Remède ou cancer ? », Rev. dr. banc. fin., 3/2013, p. 1.

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Les origines de la crise financière sont multiples. Comme le montre Margot Sève, la crise résulte d’une combinaison de phénomènes économiques, politiques et d’un certain nombre de failles juridiques. S’appuyant sur un important appareil bibliographique, l’auteur montre, chiffres à l’appui, que la crise trouve son origine dans l’excès de liquidité circulant sur les marchés, notamment en raison d’une politique de taux d’intérêt bas. Ainsi, « les taux exceptionnellement bas de la Fed permirent aux crédits de devenir moins chers, et ainsi être proposés à des emprunteurs dont les revenus ou l’historique de crédit n’auraient pu satisfaire les conditions de prêt »(3). La crise des subprimes a, en effet, pour origine le relâchement des conditions d’attribution des prêts par les établissements de crédit, d’autant plus incités à agir ainsi que la bulle immobilière leur donnait l’illusion que les emprunteurs auraient les moyens de rembourser leurs dettes. La titrisation des créances détenues par les banques a conduit ensuite à la prolifération d’actifs basés sur des sous-jacents (les créances bancaires) de faible qualité et à la contagion de la sphère financière par la sphère bancaire. Cette titrisation était aussi un moyen commode pour les banques de contourner la réglementation de Bâle II qui leur imposait de respecter certaines exigences en termes de fonds propres. De surcroît, le processus de titrisation présente la particularité de faire intervenir plusieurs intermédiaires (SPV, agences de notation, investisseurs) et donc de rendre peu lisible, pour le régulateur, le dispositif ainsi mis en place. Aujourd’hui comme hier, la même question se pose : comment détecter les risques supportés par les entités régulées lorsqu’ils sont dissimulés ? La chute des prix de l’immobilier fut le véritable facteur de la crise bancaire. La perte de valeurs des actifs immobiliers américains entraîna, en effet, une baisse de la solvabilité des ménages emprunteurs et donc une chute sensible des créances bancaires titrisées. Le non-remboursement des crédits subprimes a conduit les banques à supporter d’importantes pertes et à dégrader leurs bilans. Rencontrant des difficultés pour se refinancer, certaines d’entre elles ont dû se résigner à brader certains actifs financiers, tout en réduisant de manière drastique les crédits octroyés à leurs clients. Les effets de la crise se sont amplifiés dès lors que la sphère bancaire est connectée à la sphère financière. Malheureusement, cette déconnexion ne correspond plus à la réalité du secteur. Les banques se financent largement sur les marchés de capitaux… mais y investissent aussi. Par un circuit pour le moins paradoxal(4), certaines banques se sont retrouvées à titriser leurs créances, mais également à se porter acquéreur d’instruments titrisés (Asset Backed Securities), exposant ainsi leurs bilans aux risques qu’elles avaient justement tentés d’éliminer… La complexité des instruments financiers utilisés ne s’arrête pas là. En raison de la faible qualité des cré3. 4.

M. S, op. cit., spéc. p. 66. M. S, op. cit., spéc. p. 101.

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Notices bibliographiques

La régulation financière face à la crise


Notices bibliographiques

Notices bibliographiques

dits subprimes, se sont développés des produits visant à protéger les porteurs de titres du risque de défaut. Tel est le cas des credit default swap (CDS) dont le mécanisme est proche de l’assurance : moyennant le paiement d’une prime, le vendeur obtient le droit de vendre une obligation émise par la société concernée à l’assureur à une valeur qui est déterminée à l’avance(5). Or, dans la période qui nous intéresse, les entités qui ont accepté de fournir l’« assurance » en cas de risque de défaut étaient souvent des hedge funds, c’est-à-dire des entités peu réglementées et suivant une politique d’investissement plutôt agressive (ventes à découvert ; ressources à court terme et engagements à long terme). Les CDS ont conduit à renforcer la connexion entre la sphère bancaire et financière et ont favorisé la spéculation. Certaines banques, comme Goldman Sachs, ont ainsi pu tirer leur épingle du jeu en faisant l’acquisition de titres sur le marché secondaire, tout en prenant soin de se garantir contre le risque de défaut grâce aux CDS(6). Crise bancaire, crise financière, la crise est ensuite devenue économique. En réduisant les prêts accordés aux entreprises et aux ménages, les banques ont affecté les capacités d’investissement de l’économie réelle. Le ralentissement de la demande et de l’investissement a conduit à un ralentissement de la croissance et à une reprise à la hausse de la courbe du chômage. La propagation s’est encore poursuivie. Face aux difficultés financières de certains établissements de crédit, les États ont réagi en injectant des liquidités, en nationalisant ou en incitant les banques centrales à mener une politique d’acquisition d’actifs toxiques. Cette réaction, tardive, des pouvoirs publics, montre que l’État n’est plus un régulateur immédiat, mais un régulateur en dernier ressort… Une telle situation est à la fois rassurante et inquiétante. Rassurante, parce que le système financier (et donc le système économique) a été sauvé. Inquiétante, parce que cela signifie que les banques sont des acteurs du capitalisme, mais n’en supportent pas la discipline. Une entreprise capitaliste qui n’est pas viable ou qui fait des mauvais choix de gestion est vouée à disparaître… sauf lorsqu’il s’agit d’une banque d’une certaine taille. Toujours est-il que le sauvetage public des banques privées a accru les déficits des États, conduisant à une crise des dettes souveraines(7). L’abaissement de la notation de certains États montre d’ailleurs que les investisseurs doutent de la capacité des États à rembourser leurs dettes(8). Comme le montre Margot Sève, l’analyse des causes de la crise ne peut se limiter aux aspects économiques. La réglementation bancaire et financière a également montré certaines failles qui n’ont fait qu’aggraver la situation. Les normes prudentielles, la réglementation de

Bâle II et le contrôle des agences de notation ont montré de nombreuses faiblesses. De surcroît, le cadre réglementaire n’était pas en adéquation avec la réalité du marché. En effet, le processus d’élaboration du droit est trop lent par rapport aux besoins du marché, notamment dans le cadre européen. Lorsque les premières inquiétudes quant à la solvabilité de certains établissements sont apparues, les instances européennes étaient encore en train de prendre des mesures de libéralisation décidées plusieurs années auparavant. Tel est le cas de la directive MIF et de ses mesures d’exécution. Ce texte a eu pour ambition de libéraliser les lieux de négociation des titres et son processus d’adoption s’est étalé sur près de sept années. Or, l’arrivée de nouvelles plates-formes de négociation a réduit la transparence des marchés au moment même où il était nécessaire de l’améliorer. Ainsi, comme le relève justement l’auteur, « au moment de la crise, presque la moitié des échanges financiers en Europe étaient effectués sur des marchés dérégulés (c’està-dire non transparents) »(9).

5.

9. M. S, op. cit., spéc. p. 140. 10. R. V, « La réforme du système européen de surveillance financière : les pouvoirs des autorités européennes de surveillance », Rev. dr. banc. fin., mars 2011, ét. 12. 11. M. S, op. cit., spéc. p. 207.

6. 7. 8. 128

T. B et F. D, Droit des marchés financiers, Economica, 2010, 2 éd., spéc. n 167. M. S, op. cit., spéc. p. 104. T. B, « De la crise bancaire à la crise de la dette souveraine », Rev. dr. banc. fin., 1/2012, repère 1. M. S, op. cit., spéc. p. 21.

Les autorités européennes ne disposaient pas d’outils contraignants pour assurer leur mission de contrôle du fonctionnement des marchés financiers.

De surcroît, les autorités européennes ne disposaient pas d’outils contraignants pour assurer leur mission de contrôle du fonctionnement des marchés financiers. L’ancien Committee of European Securities Regulators (CESR), aujourd’hui remplacé par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF)(10), ne disposait que d’un pouvoir limité. Son rôle était d’émettre des avis auprès de la Commission européenne et des recommandations auprès des autorités nationales de régulation, avis et recommandations dépourvus de force obligatoire. Ce pouvoir limité n’en faisait pas une véritable autorité européenne de régulation(11), alors même que

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certains acteurs clés de la sphère financière ont une dimension internationale qui justifierait un contrôle international ou européen, mais non national. L’exemple des agences de notation le prouve(12). Les insuffisances du cadre juridique ne se limitent pas aux structures européennes. Les standards proposés par le Comité international des normes comptables, le Comité de Bâle ou encore l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) ont montré leurs faiblesses. Quelle est la légitimité de ces organismes internationaux(13) ? Comment s’assurer de l’effectivité des standards qu’ils proposent, alors qu’ils ne disposent d’aucun pouvoir de contrainte ? Peut-on se fier aux standards qui laissent aux banques une grande liberté pour déterminer elles-mêmes le niveau de capitaux propres nécessaires eu égard aux risques qu’elles supportent ? De même, l’architecture financière internationale s’est avérée incapable d’assurer une véritable supervision macroéconomique. La crise ne devrait-elle pas conduire à redéfinir le rôle du Fonds monétaire international (FMI), du Forum de la stabilité financière (FSF), du G20 et de la Banque mondiale ? Finalement, l’analyse des causes de la crise par Margot Sève montre habilement la conjonction de facteurs économiques, juridiques et économiques. Mais son travail ne se limite pas à décrire ceux-ci. L’auteur prend également soin de tirer les leçons de cette crise et de proposer une révision du modèle de la régulation financière. Selon Margot Sève, la crise financière est bien une crise de la régulation. En effet, la régulation est là pour corriger les défaillances du marché, mises en évidence de longue date par la théorie économique, que l’auteur rappelle dans les grandes lignes (optimum de Pareto ; théorie de l’agence ; théorie de l’information). Or, justement, selon l’auteur, la régulation financière n’a pas su s’adapter aux marchés qu’elle est censée réguler. Autrement dit, la crise financière ne remet pas en cause l’idée de régulation, mais plutôt en évidence le besoin d’une régulation adaptée à l’objet régulé. Le droit de la régulation financière « doit être mieux calibré au secteur spécifique auquel elle s’applique »(14). En particulier, la sphère financière présente une caractéristique par rapport aux autres secteurs économiques : le risque systémique. L’étendue de ce risque en fait un risque particulièrement destructeur : la faillite d’un opérateur peut provoquer la faillite du système pris dans son ensemble. Pour Margot Sève, parce que le risque est systémique, la régulation doit être systémique. Cette régulation s’appuie sur deux techniques : la réglementation et la surveillance. En d’autres termes, l’autorité de régulation est là pour édicter des règles et veiller à leur mise en œuvre. Reste à définir les modalités de cette régulation. Car ici, la réglementation et la surveillance peuvent suivre des modèles différents. La réglementation peut suivre le modèle Rule based, c’est-à-dire une régulation par des règles techniques et contraignantes 12. M. S, op. cit., spéc. p. 150. 13. M. S, op. cit., spéc. p. 195. 14. M. S, op. cit., spéc. p .274. 2014/2

ou suivre le modèle Principle based, c’est-à-dire une régulation par des principes généraux fixant un comportement à suivre. Ces deux modèles de réglementation présentent des avantages et des inconvénients inverses : le modèle Rule based renforce la contrainte pesant sur les acteurs, mais manque de souplesse en cas d’évolution rapide des pratiques ; le modèle Principle based s’avère plus souple, mais favorise les arbitrages réglementaires. L’auteur préconise ici d’utiliser les deux systèmes, notamment parce qu’ils peuvent utilement se combiner sur certaines questions. La supervision peut également suivre des modèles différents. Elle peut s’appuyer sur une approche sectorielle (où les trois secteurs, la banque, la finance et les assurances, sont appréhendés par une autorité différente), une approche unifiée et une approche par objectifs (où la banque centrale et l’autorité de régulation se partagent le pouvoir de surveillance). La crise financière a montré l’échec du modèle unifié : la Financial Services Authority en Grande-Bretagne a été dans l’incapacité de prévenir l’apparition de la crise, alors qu’elle était censée contrôler tous les acteurs du système, quel que soit leur domaine d’intervention. Il en est de même du modèle sectoriel. L’imbrication des secteurs bancaires et financiers et la possibilité offerte à la plupart des établissements de crédit de réaliser des opérations relevant de la banque, de la finance et des assurances cadrent mal avec une autorité compétente par secteur identifié. Ce constat plaide plutôt pour le modèle Twin peaks où le respect des obligations prudentielles relève de la banque centrale tandis que l’activité commerciale de l’établissement relève plutôt de l’autorité de régulation elle-même. L’auteur émet néanmoins des réserves quant à l’efficacité de ce modèle : est-il opportun de séparer les aspects prudentiels et les aspects commerciaux, alors qu’ils sont liés(15) ? N’est-ce pas pour respecter certaines règles prudentielles que les banques ont dû ajuster leur politique commerciale ? Fort de cette analyse des différents modèles envisageables, l’auteur décrit ensuite les paradigmes que doit nécessairement suivre la régulation financière. Celle-ci doit s’adapter aux marchés régulés qui s’avèrent désormais globalisés, interconnectés et complexes. Aussi, le modèle retenu par l’auteur consiste à réconcilier l’approche micro et l’approche macro. En d’autres termes, la réglementation et la supervision doivent suivre une approche individuelle (microprudentielle et microéconomique) et une approche globale (macroprudentielle et macroéconomique). La seconde partie de la thèse de Margot Sève vise ainsi à vérifier par la pratique que le modèle avancé présente une certaine efficacité. La révision de la régulation financière passe par une redéfinition de son périmètre, mais également de ses objectifs. Concernant le périmètre de la régulation financière, l’auteur montre qu’il faut passer à une dimension macro de la régulation. Le paradigme macroprudentiel doit désormais être l’un des outils de la réglementation, mais 15. M. S, op. cit., spéc. p. 299.

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La régulation financière face à la crise


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aussi de la supervision. L’approche macroprudentielle de la réglementation est apparue nettement dans la période post-crise lorsque les instances internationales ont décidé de renforcer les exigences de fonds propres des banques(16). Les accords de Bâle III montrent ainsi que la perspective macroprudentielle a été prise en compte lors de la détermination d’une réglementation microprudentielle(17). De même, c’est l’approche macro qui a conduit à renforcer les règles relatives à la titrisation. Cette nouvelle réglementation fait néanmoins l’objet de critiques. D’abord, elle s’avère insuffisante sur certains points et ne tire pas toutes les leçons de la crise. Ensuite, les banques estiment qu’elle accroît considérablement leurs coûts. Enfin, les nouvelles exigences en fonds propres favorisent les actifs sans risques, mais freinent le financement d’investissements en faveur des entreprises(18). Pour que la réglementation permette de prévenir le risque systémique, il est également nécessaire de délimiter les établissements dont la défaillance serait fatale pour le système. Les établissements bancaires d’importance systémique sont aujourd’hui au cœur des préoccupations du Comité de Bâle. Trois critères d’identification sont ici à l’œuvre : la taille, l’interconnexion et la substituabilité. Si l’identification de ces établissements est utile pour anticiper les risques, il n’en demeure pas moins qu’elle soulève un aléa moral. Comme le montre Margot Sève, « les banques se sachant considérées comme systémiques, elles pourraient ainsi compter sur un sauvetage éventuel »(19). C’est tout le paradoxe de la régulation financière : à trop se rapprocher de l’objet régulé, la régulation peut favoriser les comportements opportunistes. Le contrôle de ces établissements n’en reste pas moins incontournable et la création du Mécanisme de surveillance unique et de l’Union bancaire sont concernés au premier chef par cette question(20). Ce n’est pas seulement l’échelle de la réglementation qui doit être macro. C’est le cas également de la supervision. C’est tout l’enjeu de la réforme des autorités européennes de supervision et de la création du Comité européen du risque systémique(21). Cette nouvelle structure bicéphale doit permettre de réconcilier la surveillance macroprudentielle et la surveillance microprudentielle. Les trois nouvelles autorités de supervi16. S. T, « Régulation du secteur bancaire et enjeu d’efficacité des règles prudentielles », Gaz. Pal., 20 mars 2013, p. 6. 17. M. S, op. cit., spéc. p. 402. 18. C. A, « Les accords de Bâle III, quelles limites face au risque de crise financière ? », J.C.P. éd. E, 2012, p. 1392. 19. M. S, op. cit., spéc. p. 462. 20. A.-C. R, « Union bancaire – Première étape dans la mise en place de l’Union bancaire européenne : adoption du mécanisme de surveillance unique », R.I.S.F., 1/2014, p. 118 ; T. B, « Mécanisme de surveillance unique et Union bancaire », J.C.P. éd. E, 2012, p. 1645. 21. T. B, « La réforme de la supervision financière européenne », R.L.D.A., janvier 2011, p. 31. 130

sion que sont l’Autorité européenne des marchés financiers, l’Autorité bancaire européenne et l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, ont pour mission de surveiller les acteurs du secteur et de veiller à une application coordonnée de la réglementation européenne. À cette fin, elles disposent d’un certain nombre de pouvoirs, à la fois quant à l’élaboration des textes mais aussi quant à leur mise en œuvre. Dans certains cas, elles pourront même se substituer aux autorités nationales et prendre des mesures individuelles contraignantes(22). Le Comité européen du risque systémique est là pour analyser les risques de système et pour produire des recommandations sur les politiques macroprudentielles. Il travaille en étroite collaboration avec les autorités sectorielles et la Banque centrale européenne, ce qui montre à nouveau l’imbrication des aspects micro et macro. Cette réconciliation des deux sphères est également visible au niveau national et international. La France (création du Conseil de la régulation financière et du risque systémique), la Grande-Bretagne (création du Financial Policy Committee) et les États-Unis (création du Financial Stability Oversight) présentent ici des évolutions similaires. De même, la création du Conseil de stabilité financière en lieux et place du Forum de stabilité financière ainsi que la redéfinition du rôle joué par le FMI montrent que l’approche macroprudentielle a également été retenue à l’échelle internationale(23). Concernant les objectifs de la régulation financière, l’auteur met en évidence le retour des finalités classiques du régulateur : la transparence et la protection du consommateur(24). Au fond, si la crise financière a conduit à un renouvellement des structures de la régulation, elle ne conduit pas un bouleversement majeur de ses objectifs. Aujourd’hui, comme hier, la transparence et la protection des consommateurs sont au cœur des préoccupations de la régulation. La transparence est une nécessité pour le bon fonctionnement des marchés et elle doit encore être renforcée tant les produits financiers les plus récents font preuve d’une opacité certaine. L’encadrement des produits dérivés échangés de gré à gré par le G20 et le règlement EMIR s’inscrivent dans cette perspective(25). En imposant la compensation de certains produits dérivés, la nouvelle réglementation se traduit par une centralisation des informations relatives aux contrats échangés. Le passage par une chambre de compensation permet incontestablement d’améliorer l’information du marché. La réforme de la directive MIF s’inscrit également dans la perspective d’un renforcement de la transparence. L’objectif de cette réforme est d’« imposer des obligations de transparence aux opé22. O. D, « Le pouvoir de sanction de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF-Esma) », Mélanges AEDBF VI, Revue Banque éditeur, 2013, p. 199. 23. M. S, op. cit., spéc. p. 535. 24. Le terme de « consommateur » est employé par l’auteur (spéc. p. 569), mais on peut douter de sa pertinence en ce domaine. 25. M. S, op. cit., spéc. p. 578.

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rations réalisées sur des plates-formes organisées, mais en dehors des MTF et des marchés réglementés »(26). Il en est de même enfin de la directive AIFM dont la finalité est d’encadrer les fonds d’investissement qui ne relèvent pas de la directive OPCVM. Toutefois, l’auteur regrette que la directive AIFM ne soit pas « favorable à la mise en place d’un véritable régulateur européen »(27). En effet, l’AEMF n’a pas la possibilité de contrôler les critères utilisés par les autorités nationales pour agréer les sociétés gérant des fonds d’investissement relevant de la directive AIFM.

L’objectif de protection du consommateur des produits financiers est également utile pour prévenir le risque

systémique.

L’objectif de protection du consommateur des produits financiers est également utile pour prévenir le risque systémique, car en rassurant le consommateur, la réglementation est à même d’éviter les paniques autoréalisatrices susceptibles d’entraîner la faillite du système. Tel est l’objet des stress test bancaires dont la fi26. M. S, op. cit., spéc. p. 615. 27. M. S, op. cit., spéc. p. 650.

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nalité immédiate est de vérifier la capacité des banques à supporter une conjoncture économique défavorable, mais dont l’objectif final est aussi de rassurer sur la santé du secteur bancaire. Encore faut-il que ces tests soient fiables, rendus publics et surtout qu’ils ne soient pas contredits par les faits. La faillite d’un établissement de crédit ayant réussi un stress test suscite nécessairement un doute sur leur fiabilité et créé, par voie de conséquence, un aléa moral. La confiance des investisseurs dépend également de la qualité du contrôle exercé sur ceux qui « dispensent » de la confiance. En l’occurrence, les agences de notation. L’amélioration de l’encadrement exercé à leur égard participe également de l’idée que la stabilité du système passe par une re-régulation de ces acteurs incontournables de la finance moderne. La même finalité se retrouve sur un certain nombre de réformes récentes ou en cours qui sont abordées de manière synthétique par l’auteur(28) : réforme de la directive Abus de marché ; encadrement des ventes à découvert ; protection des dépôts ; séparation des banques de détail et des banques d’investissement. Au final, l’auteur nous livre une analyse atypique. Atypique dans sa dimension : nationale, européenne et internationale. Atypique encore dans l’approche retenue qui mêle les aspects juridiques et les aspects économiques. Atypique enfin parce que l’auteur émet une opinion résolument optimiste des réformes en cours, alors que l’on peut douter de leurs fondements juridiques et politiques. Il n’en demeure pas moins que l’ouvrage suscitera l’intérêt des lecteurs, car il décrit fidèlement les évolutions, parfois inquiétantes, d’un secteur en perpétuel mouvement. Régis V Professeur à l’Université de Bourgogne 28. M. S, op. cit., spéc. pp. 700 et s.

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