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Sommaire

Numéro 2015/1 Sommaire

Éditorial L’amende, une sanction efficace ?. . . . . . . . . . . 3 Thierry Bonneau

Dossier : Le cumul de sanctions administratives et pénales Le modèle français de répression des abus de marché face au principe Non bis in idem et autres droits fondamentaux : passé, présent et avenir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Jérôme Chacornac Le cumul des sanctions administratives et pénales dans la nouvelle législation bancaire belge. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Michèle Grégoire

La responsabilité civile des agences de notation en Australie – À propos de la décision rendue le 6 juin 2014 par la Federal Court of Australia dans l’affaire ABN AMRO Bank NV v. Bathurst Regional Council . . . . . . . . . . . . . . . 58 Katrin Deckert et Jelena Vujovic Le droit et la lutte contre la dette publique : une étude comparée entre l’Union européenne et les États-­Unis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Jérémy Martinez Mutations du droit au sud du Sahara : aspect du droit des marchés financiers dans l’espace OHADA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 Mariel Gansou

C. Régulation internationale

II. Régulation bancaire

Avoiding bis in idem in Market Abuse Enforcement after Grande Stevens: The Case of Italy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Matteo Gargantini

A. Régulation européenne

Le cumul des sanctions pénales et administratives en droit financier canadien. 35 Stéphane Rousseau

Le mécanisme de résolution unique : de la nécessité aux défis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Geneviève Helleringer et Philippe Allard

Le cumul des sanctions administratives et pénales dans le domaine bancaire et financier dans la zone CEMAC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Alain Kenmogne Simo

Responsabilité sociale et environnementale des établissements de crédit. . . . . . . . . . . . . . . . 83 Myriam Roussille

B. Régulation comparée

III. Régulation assurantielle A. Régulation européenne

Chroniques

Législation

I. Régulation financière A. Régulation européenne B. Régulation comparée Proxy solicitation and proxy fights in US, EU and French law: A comparative and critical overview. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Chloé Lapoujade et Eugénie Ziegler

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Article 91 de la Directive MIF2 ou le nouvel encadrement des produits d’investissement fondés sur l’assurance par la MIF2 (faut-­il désormais évoquer la « Directive IMD 1.5 » ?) . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Gimy Vela-rodriguez

B. Régulation comparée Chronique de droit français : renforcement de l’encadrement de l’assurance vie en 2014 . 94 Pauline Pailler

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C. Régulation internationale Association internationale des contrôleurs d’assurance, Documents de réflexion sur la gouvernance des groupes d’assurance et sur la lutte contre la corruption dans l’assurance, octobre 2014 . . . . . . . . . . . . . 100 Adrien Tehrani

IV. Régulation intersectorielle A. Stabilité du marché B. Intégrité du marché The Doubtful Legality of US Extraterritorial Sanctions Applied to European Financial Institutions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 Régis Bismuth et Pierre-Emmanuel Dupont L’échange automatique d’informations fiscales de l’OCDE : un enjeu de transparence. . . . . . . 108 Matthieu Guérineau et Sylvain Lambert

V. Fiscalité des services financiers A. Fiscalité directe C.J.U.E., 17 juillet 2014, Nordea Bank, aff. C-48/13. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 Régis Vabres Les Common Reporting Standard adoptés au niveau européen : la directive coopération administrative encore amendée ! . . . . . . . . . . . 123 Patrice Delacroix Les recommandations BEPS de septembre 2014 : un aboutissement ou un commencement (deuxième partie) ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 Georges Cavalier French Amended Finance Act for 2014 Provides an Additional Condition for Non EU Funds Withholding Tax Refund Claims . . . . . . . . . . . 128 Georges Cavalier

B. Fiscalité indirecte

The rise (and fall?) of deferred prosecution agreements in U.S. federal corporate criminal prosecution. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112

C.J.U.E., 17 juillet 2014, SC BCR Leasing IFN SA, aff. C-438/13 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 Sabrina Le Normand-Caillière

Martin Horion

C.J.U.E., 9 octobre 2014, Gielen, aff. C-299/13. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 Régis Vabres

L’adhésion de Monaco à la Convention multilatérale de l’OCDE relative à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale : un premier pas déterminant vers une transparence fiscale assumée. . . . . . . 118 S.D.

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C. Fiscalité comparée

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L’amende, une sanction efficace ? Thierry Bonneau

Agrégé des facultés de droit Professeur à l’Université Panthéon-­Assas (Paris 2) Président du conseil scientifique de la R.I.S.F. Des amendes d’un montant record ont été récemment prononcées contre des établissements renommés tant en France qu’aux États-­Unis, en Grande Bretagne et en Suisse : sont en cause des pratiques susceptibles de relever de la fraude fiscale (1), le non-­respect d’embargos (2) et des manipulations de marché concernant tant les produits dérivés, les taux d’intérêt, les changes (3) que les prix des matières premières (4). On constate, à cette occasion, que les pratiques bancaires ne changent pas (5), ce qui conduit à se demander si l’amende est une sanction suffisamment dissuasive (6). 1.

ACPR, commission des sanctions, 25 juin 2013, UBS (France) SA. Cf. ACPR, La commission des sanctions de l’ACP sanctionne UBS France. Le recours contre cette décision a été rejeté par le Conseil d’État (9° et 10° sous-­ sections réunies) dans un arrêt du 5 novembre 2014 (req. n° 371585). 2. Sur l’affaire BNP Paribas, v. notamment : Ph. Athanasiou, M. Prokop et A. Theodosopoulou, « Effets extraterritoriaux du droit américain sur les institutions financières non américaines, une vue d’ensemble », RD bancaire et fin., 2014, Études 20 ; Y. Quintin, « Aux frontières du droit : les embargos américains et l’affaire BNP Paribas », RD bancaire et fin., 2014, Études 21. 3. Cf. « Les marchés européens finissent en baisse, les banques ont pesé », Reuters, 21 novembre 2014. 4. Le congrès américain a accusé des banques d’avoir « potentiellement » manipulé les prix des matières premières : cf. Th. Bonneau, interview, « Comment vraiment punir les banques qui trichent puisque les amendes ne les dissuadent en rien », publié le 22 novembre 2014 par Atlantico.fr. 5. Ce que souligne le Professeur Bradon L. Garret dans son livre Too big to fail. How Prosecutors Compromise with Corporations, Harvard University Press, novembre 2014. 6. V. également, Th. Bonneau, interview, « Comment vraiment punir les banques qui trichent puisque les amendes ne les dissuadent en rien », op. cit. 2015/1

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Si les pratiques ne changent pas alors que le montant des amendes atteint un niveau inégalé (7), c’est parce qu’un sentiment d’impunité demeure, lequel est lié au fait que le risque de découverte de l’opération illicite est faible et que celle-­ci est difficile à prouver. La théorie du faisceau d’indices (8), qui s’est développée en matière d’abus de marché, facilite la preuve. Mais elle est insuffisante. La découverte et la preuve des opérations illicites devraient être facilitées par les dispositifs de signalement – c’est la traduction du terme anglais « whistleblowing » (9) – qui ont été, de manière systématique, insérés dans les textes européens adoptés depuis la crise de 2008 : la directive, dit CRD 4, du 26 juin 2013 (10), le règlement abus de marché du 16 avril 2014 (11) et la directive MIF du 7.

Sur le renforcement des dispositions de sanction dans les textes européens, v. Th. Bonneau, Régulation bancaire et financière européenne et internationale, Bruxelles, Bruylant, 2e éd., 2014, nos 212 et s. 8. V. not. Paris, 1er avril 2003, Bull. mens. COB mars 2003, n° 377, p. 13 ; Banque et droit, n° 90, juillet-­août 2003, p. 44, obs. H. de Vauplane et J.-­J. Daigre ; Bull. Joly Bourse, 2003, § 61, p. 427 : « la cour, à l’instar de la COB, relève un faisceau d’indices concordants desquels il résulte que seule la transmission de l’information privilégiée détenue par M. X à M. Z peut expliquer l’utilisation qu’en a faite ce dernier pour son propre compte ». V. aussi, Ch. Arsouze, « La difficile application de la preuve par faisceau d’indices graves et concordants au manquement de communication d’information(s) privilégiés(s) », R.T.D.F., n° 4‑2010, p. 55. 9. V. not. L. Gamet, « Le Whistleblowing (ou le salarié mouchard) », Bull. Joly, mars 2006, § 66, p. 307 ; V. Rebeyrol, « La réception du « Whistleblowing » par le droit français », JCP E, p. 2012, p. 1386. 10. Art. 71, directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE. 11. Art. 32, règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et

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15 mai 2014 (12) en sont des illustrations. Ce dispositif sera d’autant plus efficace qu’il sera attractif pour le salarié qui dénonce. On peut penser à lui attribuer une forte récompense, comme cela se fait aux États-­Unis (13). Mais bien sûr, ce type de démarche, qui n’est pas sans évoquer des souvenirs douloureux liés à la Seconde Guerre mondiale, pose des problèmes éthiques. Le niveau du montant des amendes, lui-­même, peut être problématique. Il est vrai que l’on peut penser que les amendes sont d’autant plus dissuasives que leur montant est élevé. De ce point de vue, l’entreprise poursuivie est tentée de faire le bilan coût/avantage, ce qui explique que l’opération illicite mérite d’être faite tant que le profit en résultant demeure supérieur à la perte subie du fait de l’amende. Toutefois, la condamnation des entreprises à une forte amende n’est pas sans risque car lorsque le montant est si élevé que l’entreprise en est fragilisée, on peut alors craindre que la sanction génère un risque systémique. Elle pourrait également engendrer un risque de distorsion de concurrence si l’autorité qui sanctionne tient compte, serait-­ce implicitement, du fait que l’entreprise poursuivie relève ou non de sa juridiction. Pour ces raisons, ne devrait-­on pas se reporter sur d’autres sanctions telles que les interdictions d’exercice et les retraits d’agrément ? Ces sanctions ne sont pas sans conséquence car elles font obstacle à la poursuite de l’activité et pénalisent ainsi l’ensemble des salariés alors que les opérations illicites sont généralement le fait de quelques salariés et de leurs dirigeants. D’où l’idée de centrer les sanctions, non sur l’entreprise elle-­ même, mais sur les personnes physiques (14). C’est à leur égard que la sanction paraît la plus dissuasive. Si ces personnes se voient interdire, temporairement ou définitivement, d’exercer leur activité, si elles encourent une amende dont le montant signifie leur ruine financière et si le risque ultime est d’être incarcéré, pour une durée plus ou moins longue, alors la sanction devient efficace. Le risque d’une peine de prison est, en effet, généralement dissuasif. du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission. 12. Art. 73, directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 91/61/UE. 13. J.-­B. Poulle et A. Kannan, « MIF II : La protection des investisseurs », RD bancaire et fin., novembre-­décembre 2014, Dossier 60, spéc. n° 27 : « En septembre 2014 par exemple, le régulateur américain a ainsi récompensé un employé résidant hors des États-­Unis par un chèque de plus de 30 millions de dollars, la plus grosse somme jamais accordée jusqu’alors ». 14. Étant rappelé qu’en droit français, des sanctions peuvent être prononcées à la fois contre la personne morale et les personnes physiques. V. not. : Com. 31 mars 2004, Droit des sociétés, 2004, n° 131, note Th. Bonneau ; Com. 11 juillet 2007, RD bancaire et fin., septembre-­octobre 2006, n° 180, note Th. Bonneau ; Com. 30 mai 2007, Dr. sociétés, novembre 2007, n° 201, note Th. Bonneau. 4

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La ruine financière

et la prison sont des sanctions qui dissuadent les personnes physiques à se prêter aux pratiques condamnées par la loi.

À la condition toutefois que ces personnes soient persuadées que les textes sont systématiquement appliqués et qu’elles ne pourront pas échapper à la répression. D’où l’importance de la question de la découverte et de la preuve de l’opération illicite. D’où l’importance également de la question de la qualité de la réglementation et de l’organisation des poursuites. Si la réglementation est complexe et laborieuse à interpréter et à comprendre, elle génère, au moins en apparence, des vides qui constituent autant d’interstices dans lesquels il est tentant de s’introduire, les délinquants espérant ainsi pouvoir échapper aux prohibitions et aux sanctions. Ce défaut est d’autant plus dommageable à la répression que l’organe chargé de faire respecter une telle réglementation peut avoir quelques hésitations à être sévère s’il est conscient de la piètre qualité des textes à appliquer. Une répression n’est efficace que si les textes sont suffisamment clairs pour que la sanction soit prévisible. La répression n’est également efficace que si elle n’est pas éclatée. Or, la répression des abus de marché est actuellement à la fois administrative et répressive, étant observé que la répression administrative est une répression pénale qui ne dit pas son nom (15) et qu’elle ne comporte pas la prison comme peine, seule la répression officiellement pénale pouvant prévoir une telle peine. Étant encore observé que cette dualité n’est pas sans poser des difficultés au regard de la règle non bis in idem (16) qui interdit de poursuivre deux fois une personne pour les mêmes faits. 15. Th. Bonneau, Régulation bancaire et financière européenne et internationale, op. cit., n° 322. 16. Cf. CEDH, 2e sect., 4 mars 2014, req. nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, aff. Grande Stevens et al. c. Italie, spéc. nos 97 et 98 ; Bull. Joly Bourse, avril 2014, p. 209, note J. Chacornac ; Dr. soc., mai 2014, comm. no 87, note S. Torck ; R.I.S.F., 2014/2, p. 53, note P. Pailler ; Banque et droit, no 135, mai-­juin 2014, p. 43, obs. A.-­C. Rouaud ; R.T.D.F., no 2‑2014, p. 149, obs. N. Rontchevsky ;

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La répression administrative a été mise en place car on s’est plaint du manque de compétence des juges et de la lenteur de la justice. Toutefois, si on donnait au juge les moyens financiers et humains nécessaires à la répression et si on l’épaulait – par exemple, on pourrait avoir un système d’échevinage, les magistrats devant toutefois être majoritaires pour des questions d’impartialité et d’indépendance (17) –, on pourrait orga-

niser une répression unique qui serait bien plus efficace tout en étant pourvue des garanties des droits de l’homme qui sont totalement indispensables dans une société moderne. Rendre au juge sa véritable place (18) nous paraît indispensable pour accroître l’efficacité de la répression. Cette orientation ne semble toutefois pas celle qui a actuellement les faveurs des pouvoirs publics.

Rev. banque, no 774 juillet-­août 2014, p. 70, obs. P.-­ Y. Bérard ; Rev. soc., novembre 2014, p. 675, note H. Matsoploulou. 17. Sur une évolution souhaitée des commissions des sanctions, v. A.-­V. Le Für, « Faut-­il faire de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers un tribunal des marchés financiers ? », Mélanges AEDBF-­

France, VI, Paris, RB éd., 2013, p. 335 ; A.-­V. Le Für et D. Schmidt, « Il faut un tribunal des marchés financiers », D., 2014, p. 551. 18. V. Th. Bonneau, Modernité et abus de droit, Actes pratiques et ingénierie sociétaire, 2012, n° 122, idée nouvelle 2.

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Dossier Le cumul de sanctions administratives et pĂŠnales

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Le modèle français de répression des abus de marché face au principe non bis in idem

Dossier

Le modèle français de répression des abus de marché face au principe non bis in idem et autres droits fondamentaux : passé, présent et avenir

Jérôme Chacornac Maître de conférences à l’Université Paris II

Le droit français des abus de marché repose sur un système de double sanction pénale et administrative qui semble plus que jamais menacé. Tandis que, en conséquence de l’arrêt Grande Stevens c. Italie, il apparaît certain que les règles françaises sont contraires au droit de la CEDH, la question de la constitutionnalité des règles en vigueur se trouve également posée aujourd’hui. Dans l’attente d’une probable condamnation de la France par la Cour européenne et d’une éventuelle déclaration d’inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel, il est urgent de concevoir et d’élaborer des pistes, de façon à encourager une évolution nécessaire. Cependant, aucune des voies actuellement suggérées jusqu’ici, tendant à la préservation et à l’articulation de la coexistence entre sanctions pénale et administrative, ne permet d’assurer le respect des droits fondamentaux des justiciables. De sorte que, c’est bien l’avenir même de la sanction administrative qui se trouve posé. La répression des abus de marché fondée sur la seule justice pénale ne regagnerait-­elle pas en cohérence ? La question mérite sans aucun doute d’être posée…

The French legislation on market abuse is based upon a system of both criminal and administrative penalties, which now seems to be threatened more than ever before. Whilst, as a result of the Grande Stevens v. Italy decision, it appears certain that the French legal framework is contrary to ECHR law, the question of the constitutionality of the legislation in force has also been recently raised. In light of a likely conviction of France by the European Court of Human Rights and a possible declaration of unconstitutionality by the French Conseil Constitutionnel, there is an urgent need for the developing and drafting of new procedures in order to promote a necessary evolution. The suggestions made so far and tending to preserve and reconcile the coexistence of both criminal and administrative sanctions are, however, not convincing in terms of basic rights and freedom protection. Therefore, it is the very future of the administrative sanction that needs to be questioned. Would market abuse repression through the sole criminal justice route be more consistent or not? The question is key and must be asked.

Le modèle « français » de double répression pénale et administrative des abus de marché a vécu. Et du fait même que, quoique condamné, il n’a pas encore été modifié, il est particulièrement délicat à présenter en ce début d’année 2015. Deux menaces majeures relatives à la pérennité du modèle actuel sont en effet apparues au grand jour, en l’espace de seulement quelques mois. Le 4 mars 2014, c’est d’abord de Strasbourg qu’est venu un grondement, avec le désormais célèbre arrêt Grande Stevens qui a, au terme de la non moins célèbre affaire Fiat, condamné l’Italie au titre d’une violation de l’article 4, paragraphe 1er, du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1). Le déclenchement d’une instance pénale consécutive au prononcé d’une sanction administrative devenue définitive par la Commissione nazionale per le società et la borsa a été jugé contraire à l’interdiction de la double poursuite pour les mêmes faits imposée par le texte, aux termes duquel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou 1. CEDH, 2e sect. nos 18640/10, 18647/10, 18663/10 et 18698/10, Grande Stevens et autres c. Italie. 2015/1

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condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ». La Cour de cassation a ensuite, par contrecoup de l’arrêt rendu par la CEDH, choisi de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité qui lui ont été posées dans l’affaire EADS, par deux arrêts du 17 décembre 2014 (2). Si les textes dont l’inconstitutionnalité est alléguée comme les principes visés diffèrent (3), les deux questions posées au Conseil constitutionnel se rejoignent quant à leur incidence possible sur la répres2.

Crim., 17 déc. 2014, n° 14‑90.043 et n° 14‑90.042. Sur le versant administratif de l’affaire EADS, la note de J.-­J. Daigre, B.J.B., mars 2010, p. 107, sous Ass. plén., déc. sanct. AMF du 27 nov. 2009. 3. Tandis qu’une première question interroge en bloc la constitutionnalité des articles du Code monétaire et financier qui répriment les abus de marché sur le terrain délictuel en même temps qu’elles permettent la conduite d’une procédure au titre d’un manquement administratif (n° 14‑90.043), la seconde QPC se concentre sur l’article 6 du Code de procédure pénale, dont l’alinéa 1er dispose que « l’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi pénale et la chose jugée » (n° 14‑90.042).

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Dossier

Le cumul de sanctions administratives et pénales

sion des abus de marché. Elles sont chacune susceptibles de conduire à la suppression du cumul des poursuites et sanctions administratives et pénales en la matière. Ainsi, la présentation du modèle français de répression des abus de marché coïncide aujourd’hui de manière nécessaire avec celle de ses perspectives d’évolution – certaines – à plus ou moins brève échéance. C’est ainsi une approche historique qu’il faut adopter en retraçant d’abord brièvement comment s’est construite puis déconstruite la légitimité du modèle (I) avant d’analyser précisément la teneur des questions à résoudre par le Conseil constitutionnel (II), pour conclure par l’évocation du choix à opérer pour faire évoluer le droit français (III).

I.  Le passé : construction et déconstruction de la légitimité du modèle En appui à une justice pénale jugée déficiente, une autorité administrative se voit dotée de pouvoirs de sanctions. En droit français, ce schéma a su trouver dès l’origine une légitimité constitutionnelle (A), à laquelle s’est progressivement opposée une remise en cause sur le terrain du droit conventionnel (B).

L’adoption de la loi du 2 août 1989 avait immédiatement conduit le Conseil constitutionnel à se prononcer sur la constitutionnalité du pouvoir de sanction reconnu à l’autorité administrative. Dans sa décision du 28 juillet 1989, le Conseil constitutionnel, sans se prononcer sur la constitutionnalité du principe non bis in idem, dont la violation était invoquée, avait jugé le nouveau pouvoir de sanction administrative conforme à la Constitution, au double motif que, « sans qu’il soit besoin de rechercher si le principe dont la violation est invoquée a valeur constitutionnelle, il convient de relever qu’il ne reçoit pas application au cas de cumul entre sanctions pénales et administratives » et que, « si l’éventualité d’une double procédure peut ainsi conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique, qu’en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » (6).

La constitutionnalité du cumul (…) était ainsi acquise en raison

A.  La légitimation du modèle en droit interne

de la nature différente des sanctions pénales

À l’origine, le droit répressif boursier français reposait exclusivement sur des infractions pénales. Si l’ordonnance n° 67‑833 du 28 septembre 1967 instituant une commission des opérations de bourse ne comportait pas même d’incrimination pénale, le délit d’initié et le délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses furent introduits dans un article 10‑1 de l’ordonnance par une loi du 23 décembre 1970, tandis que la manipulation de cours, d’abord réprimée par l’article 419 de l’ancien Code pénal, fut ensuite réintroduite dans un nouvel article 10‑3 de l’ordonnance de 1967 par une loi du 22 janvier 1988, à la suite de son abrogation accidentelle par le législateur (4). Un pouvoir de sanction administrative n’a été reconnu à la COB qu’avec la loi n° 89‑531 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier du 2 août 1989. Par application du nouvel article 9‑1 inscrit dans l’ordonnance de 1967 par cette dernière loi, la COB a successivement adopté trois règlements établissant la sanction administrative des opérations d’initiés, de la manipulation de cours et de la diffusion d’informations fausses ou trompeuses (5). 4. Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 86‑1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. 5. Règlement COB n° 90‑08 relatif à l’utilisation d’une information privilégiée, pour les manquements d’initié ; 10

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et administratives et dans le respect du principe de nécessité et de proportionnalité des

peines.

La constitutionnalité du cumul des sanctions, procédant de la possibilité d’un cumul de poursuites, était ainsi acquise en raison de la nature différente des sanctions pénales et administratives et dans le respect du principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

6.

articles 2, 3 et 7, al. 1er, du règlement n° 90‑04, relatif à l’établissement des cours, au titre de la manipulation de cours ; articles 2 et 3 du règlement COB n° 98‑07, relatif à l’obligation d’information du public, pour la diffusion d’informations fausses ou trompeuses. Cons. const., 28 juill. 1989, n° 89‑260 DC, considérants 16 et 22.

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En droit interne, la constitutionnalité du droit positif paraissait ainsi bien acquise au point que, au titre des questions prioritaires de constitutionnalité dont ils ont été saisis, ni le Conseil d’État, ni la Cour de cassation n’ont jugé utile de renvoyer la question une nouvelle fois au Conseil constitutionnel (7). Un refus compréhensible, compte tenu de la grande stabilité du Conseil constitutionnel sur ses positions, qui continue à faire application du seul principe de nécessité et de proportionnalité des peines, déduit de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour admettre le cumul des sanctions pénales et administratives, comme pénales et disciplinaires (8). C’est donc au dehors de l’ordre juridique interne que s’est progressivement dessinée la remise en cause du modèle répressif français en matière d’abus de marché.

B.  La remise en cause du modèle en droit international Le droit européen dans ses deux « branches » – droit de l’Union et droit CEDH – est directement à l’origine des nécessités actuelles d’une évolution du dispositif interne de sanction des abus de marché. La condition préalable d’une telle remise en cause a d’abord été constituée par l’acception matérielle et autonome de la matière pénale qu’a retenue la Cour de Strasbourg, par application de l’article 6, paragraphe 1er, CEDH. Le célèbre arrêt Engel a, en effet, jugé que l’inclusion d’un dispositif de sanction au sein de la matière pénale ne résulte pas exclusivement de la qualification adoptée par les droits internes, et peut être opérée à raison de la finalité et de la sévérité de la sanction (9). L’adoption d’une telle notion a permis d’inscrire au sein de la matière pénale certaines sanctions administratives ; ce que la Cour de Strasbourg n’a pas manqué d’admettre très tôt par principe dans l’arrêt Özturk c. Allemagne (10), avant de l’énoncer précisément au sujet du pouvoir de sanction de la Commission des sanctions de l’AMF (11).

n° 7, qui a progressivement reçu une acception purement matérielle. L’arrêt Zolotoukhine c. Russie rendu le 10 février 2009 est, en effet, clairement venu énoncer que l’interdiction de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction s’applique pour autant que celle-­ci a pour origine les « mêmes faits constitutifs » (12). Restait alors une double série d’arguments invoqués par la Cour de cassation pour légitimer notre dispositif sous l’angle international. D’une part, une réserve avait été faite par la France à l’application de l’interdiction du principe non bis in idem, lors de la signature du Protocole n° 7 annexé à la CEDH. La réserve énonce que la règle non bis in idem ne trouve à s’appliquer que « pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale ». C’est forte de l’expression d’une telle volonté souveraine d’exclure l’application du principe au cumul de sanctions pénales et administratives que la Cour de cassation a refusé de conclure à l’inconventionnalité du dispositif interne (13). C’était cependant méconnaître les conditions auxquelles les réserves à la CEDH et ses protocoles doivent être formulées en vertu de l’article 57 de la Convention. Ce texte impose en effet que les réserves portent sur des lois en vigueur, ne présentent pas un caractère général et comportent un exposé de la loi en cause. Conditions dont aucune n’est remplie par la réserve française et dont l’absence a successivement donné lieu à l’invalidation de réserves analogues formulées par l’Autriche (14) et, surtout, par l’Italie, dans l’arrêt Grande Stevens (15).

De ce rattachement à la matière pénale découlait toute une série de conséquences dont le respect du principe non bis in idem tel que consacré par l’article 4 du Protocole

En dernier lieu, la Cour de cassation a cherché à tirer argument d’une acception différente du principe non bis in idem qui résulterait du droit de l’Union européenne. Dans sa version d’origine, la directive abus de marché autorise le cumul des sanctions pénales et administratives à son article 14, paragraphe 1er (16). En outre, des dérogations à l’application de certains droits fondamentaux peuvent être justifiées pour réaliser des objectifs d’intérêt général en vertu de l’article 52 de la Charte. Ces arguments, avancés dans la jurisprudence de la Cour de cassation dans son dernier état (17), méconnaissent d’abord la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui délimite la notion de matière pénale selon les mêmes critères que ceux de la CEDH et retiennent la même acception du principe non bis in idem (18). Ensuite, cette analyse est condamnée par la Cour de Strasbourg elle-­même, depuis l’arrêt

Cass. Ass. plén., 8 juill. 2010, n° 10‑10.965 QPC : Rev. soc., 2011, p. 317, note Y. Paclot ; CE, 16 juill. 2010, n° 321056 : B.J.B., sept. 2010, p. 418, n° 54, note J. Lasserre-­Capdeville ; R.T.D.F., 2010/3, p. 152, obs. E. Dezeuze. 8. Au sujet du pouvoir disciplinaire de la Cour de discipline budgétaire et financière, Cons. const., 24 oct. 2014, n° 2014‑423 DC QPC. 9. CEDH, 8 juin 1976, Engel et autres c. Pays-­Bas, § 82, série A, n° 22. 10. CEDH, 21 févr. 1984, n° 8544/79, § 53. 11. CEDH, 30 juin 2011, n° 25041/07, § 35, Messier c. France.

12. CEDH, gde ch., 10 févr. 2009, n° 114939/03, §§ 81 et 82. 13. Crim., 1er mars 2000, n° 99‑86.299, Bull. crim., n° 98 ; 28 janv. 2009, n° 07‑81.674, inédit ; Com., 8 févr. 2011, n° 10‑10.965, Bull. civ., IV, n° 17. 14. CEDH, 23 oct. 1995, Grandinger c. Autriche, § 51, série A, n° 328-­C. 15. CEDH, 4 mars 2014, préc. 16. Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché. 17. Crim., 22 janv. 2014, n° 12‑83.579, Bull. crim., n° 22. 18. C.J.U.E., gde ch., 26 févr. 2013, n° C-­617/10, Aklagaren c. Hans Akerberg Fransson.

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Grande Stevens, dans lequel celle-­ci a jugé qu’il ne lui appartient pas d’interpréter la jurisprudence de la C.J.U.E., qui ne s’impose pas à elle, tout en soulignant qu’il n’existe pas de divergence entre les deux jurisprudences sur la question (19). Si la contrariété du droit français au droit conventionnel ne fait ainsi plus guère de doute, les perspectives d’évolution paraissaient incertaines en raison du refus obstiné de nos juridictions suprêmes de saisir le Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité qui leur étaient posées (20). La Cour de cassation comme le Conseil d’État faisaient en effet écran à toute remise en question de la double répression des abus de marché sur le terrain purement interne de la conformité du dispositif aux droits et libertés garantis par la Constitution. Tel n’est désormais plus le cas.

II.  La question pendante : l’inconstitutionnalité du modèle ? Déjà menacé d’inconventionnalité au terme de l’évolution qui vient d’être retracée, le dispositif français est aujourd’hui soumis à un risque d’inconstitutionnalité. À la probabilité d’une condamnation de la France par la CEDH au titre d’une violation du principe non bis in idem, s’ajoute la possibilité d’une censure du législateur par le Conseil constitutionnel, sur de multiples fondements, invoqués par les deux questions prioritaires de constitutionnalité que la chambre criminelle de la Cour de cassation a choisi de renvoyer au Conseil constitutionnel le 17 décembre dernier (21). En raison de ses diverses formulations, la question posée au Conseil constitutionnel se dédouble en réalité. Il s’agit, en effet, tant d’une question de sources, tenant à l’articulation des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité (A), que d’une question de fond, relative à la détermination du principe qui servira de paramètre pour établir la constitutionnalité du modèle français (B).

A.  Une question de sources : l’articulation des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité L’un des arrêts rendus sur QPC dans l’affaire EADS explicite la considération de politique juridique qui a sans doute motivé le renvoi des deux questions préjudicielles au Conseil constitutionnel. Si l’on sait qu’aux fins de son renvoi, une question préjudicielle doit être 19. CEDH, 4 mars 2014, préc., § 229. 20. Cass., Ass. plén. 8 juill. 2010, et CE, 16 juill. 2010, préc. 21. Crim., 17 déc. 2014, n° 14‑90.043 et n° 14‑90.042, préc. 12

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nouvelle et présenter un caractère sérieux, ces caractères avaient jusqu’ici été exclus par l’assemblée plénière dans ses arrêts du 8 juillet 2010 (22). Dans son arrêt de renvoi du 17 décembre, la chambre criminelle retient au contraire, selon un double motif singulier qu’« à supposer que ces dispositions ont été déclarées intégralement conformes à la constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 89‑260 DC du 28 juillet 1989, la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 4 mars 2014 – Grande Stevens et autres c. Italie – est de nature à constituer un changement de circonstances » et que « la question posée présente un caractère sérieux en ce que les dispositions contestées, qui permettent l’exercice de poursuites pénales ayant fait l’objet d’une décision définitive par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers, sont susceptibles de porter une atteinte injustifiée au principe non bis in idem ». En somme, par effet d’une évolution de la jurisprudence internationale, une question de constitutionnalité se trouve renouvelée, tandis qu’il apparaît, subitement, à la chambre criminelle que celle-­ci présente un caractère sérieux, à l’encontre de l’analyse précédente de l’assemblée plénière qui s’en tenait au respect du principe de proportionnalité des peines imposé par le Conseil constitutionnel.

Non seulement l’arrêt

Grande Stevens constitue un changement de circonstances qui permet de satisfaire à la condition de la nouveauté de la question posée, mais aussi il constitue en filigrane un élément qui en caractérise le sérieux.

Quoiqu’elle ne le dise pas expressément, ce qui apparaît en réalité est que non seulement l’arrêt Grande Stevens constitue un changement de circonstances qui permet de satisfaire à la condition de la nouveauté de la ques22. Préc.

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tion posée, mais aussi qu’il constitue en filigrane un élément qui en caractérise le sérieux. Cette évolution peut surprendre si l’on sait que, dans la rigueur des principes posés dans la célèbre décision du 2 janvier 1975 (23), il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de procéder au contrôle de conventionnalité des lois qui, du fait de son caractère relatif et contingent, s’oppose au caractère « absolu et définitif » du contrôle de constitutionnalité. Critère de répartition qui, du fait des modifications successives apportées à la Constitution dans le cadre de la construction européenne, n’a cessé de conduire à une réduction du domaine du contrôle de constitutionnalité, au point d’exclure aujourd’hui jusqu’aux lois de transposition des directives adoptées par les institutions de l’UE (24). S’il est fort à parier que le Conseil constitutionnel sera prompt à rappeler le principe qu’il ne lui appartient pas de contrôler le respect par la loi des engagements internationaux de la France, il n’en est pas moins évident que c’est là sagesse de la Cour de cassation que d’avoir explicité que c’est le risque d’inconventionnalité qui est à l’origine de la question de constitutionnalité. C’est en effet une séquence analogue qui avait conduit à la modification de notre droit interne de la garde à vue. En conséquence de condamnations répétées de la Turquie résultant d’un dispositif relatif à la garde à vue très proche de celui du droit français, la Cour de cassation avait en effet décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel les nombreuses questions qui lui étaient posées par une série d’arrêts du 9 juillet 2010 (25). Ce dernier avait alors prononcé l’inconstitutionnalité du dispositif dans son ensemble, en s’appuyant sur des fondements purement internes (26). Dans sa décision, le Conseil constitutionnel avait cependant justifié de la nouveauté et du sérieux des questions qui lui avaient alors été posées par la généralisation de la garde à vue depuis l’entrée en vigueur de la loi (27). Les apparences ne pouvaient cependant tromper personne et il est évident que le Conseil constitutionnel est attentif aux évolutions du droit conventionnel relatives à l’interprétation des droits fondamentaux qui trouvent leurs « miroirs », même déformants, dans l’ordre interne. Si le Conseil constitutionnel s’en était tenu à des justifications purement internes pour prononcer la censure, la Cour de cassation avait, pour sa part, clairement 23. Cons. const., 15 janv. 1975, n° 74‑54 DC sur la « loi relative à l’interruption volontaire de grossesse ». 24. Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004‑496 DC. Le contrôle du Conseil constitutionnel sur une loi de transposition est en effet strictement délimité à l’hypothèse exceptionnelle où la transposition irait à l’encontre d’une règle ou d’un principe « inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti » (Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006‑540 DC). 25. Entre autres, Crim., 9 juill. 2010, n° 10‑90.082. 26. Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010‑14/22 DC : les dispositions relatives à la garde à vue furent en effet censurées comme contraires aux articles 7, 9 et 16 DDHC. 27. « Devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause », selon le considérant 16. 2015/1

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énoncé que c’est l’inconventionnalité du dispositif qui justifiait les retentissants arrêts qu’elle prit le 15 avril 2011, anticipant par là même l’entrée en vigueur de la loi nouvelle adoptée la veille (28). Dans l’un de ses arrêts du 15 avril 2011, l’assemblée plénière avait en effet jugé au visa de l’article 6 CEDH que « les États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; pour que le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde soit effectif et concret, il fallait, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires » (29).

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Le modèle français de répression des abus de marché face au principe non bis in idem

Qu’en conclure ? Le renvoi à QPC fondé sur l’arrêt Grande Stevens révèle une nouvelle fois l’inconfort tout comme la doctrine fortement internationaliste de la Cour de cassation. Celle-­ci, juge de la conventionnalité des lois depuis l’arrêt Jacques Vabre (30), est prise en tenaille entre les interprétations internationales des traités auxquels la France est partie, qu’elle cherche à accompagner, voire à devancer, et les prises de position à retardement du Conseil constitutionnel. Formellement, la saisine du Conseil constitutionnel permet en réalité à la Cour de cassation de respecter la suprématie, dans l’ordre interne, de la Constitution sur les sources internationales (31). Substantiellement, au vu du contexte, la saisine est plus ambiguë et laisse penser que le Conseil constitutionnel pourra opérer ou bien comme dernier rempart de préservation du modèle français ou bien comme simple chambre de traduction constitutionnelle de l’inconventionnalité du dispositif. En somme, la Cour de cassation utilise le filtre de la QPC pour s’en remettre à une plus haute juridiction à qui il appartiendra d’effectuer le choix crucial de politique juridique tenant à la préservation du modèle répressif interne. Sur quelle base le Conseil constitutionnel devra-­t‑il alors arbitrer ?

B.  Une question de fond : le principe non bis in idem Dans l’attente des décisions que rendra le Conseil constitutionnel, les interrogations s’orientent vers les réponses que celui-­ci est susceptible d’apporter aux questions dont il s’est trouvé saisi. En vérité, si d’autres principes 28. Loi n° 2011‑392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue. 29. Ass. plén., 15 avr. 2011, n° 10‑17.049, Bull. ass. plén., n° 1. 30. Ch. mixte, 24 mai 1975, n° 73‑13.556, Bull. ch. mixte, n° 4. 31. Jusqu’ici proclamée tant par la Cour de cassation que par le Conseil d’État : Ass. plén., 2 juin 2000, Mlle Fraisse, Bull. Ass. plén., n° 4 ; CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran Levacher et autres, Rec. Lebon, n° 309.

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sont visés au soutien des questions posées, l’enjeu de la future décision du Conseil constitutionnel tient bien à la valeur qui sera reconnue à la règle non bis in idem. En effet, dans les deux QPC qui ont été renvoyées au Conseil constitutionnel, les plaideurs ont invoqué une atteinte à la règle non bis in idem, de manière détournée dans la première, par référence à toute une série de principes déduits de l’article 16 de la DDHC, dont celui d’autorité de la chose jugée, et de façon plus frontale dans la seconde, dans laquelle la règle non bis in idem est directement déduite de l’article 8 DDHC. Subtiles dans leur formulation, les deux questions tentent, par des procédés différents, d’obtenir ce que le Conseil constitutionnel a jusqu’ici obstinément refusé : l’érection de la règle non bis in idem en principe à valeur constitutionnelle. Sur la base d’une analyse très fouillée de la règle non bis in idem (32), il a récemment été exposé que la difficulté d’appréciation du dispositif français sur le terrain des droits fondamentaux tient en réalité à l’incertitude qui entoure la teneur même du principe. Historiquement pur principe de procédure, expression de l’aspect négatif de l’autorité de la chose jugée, la règle non bis in idem a mué en règle de protection individuelle, constitutive d’un droit fondamental (33). À la lecture de la jurisprudence constitutionnelle relative au cumul des sanctions administratives et pénales ou disciplinaires et pénales, toutes fondées sur le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, le principe non bis in idem ne joue aucun rôle au niveau constitutionnel. S’il sous-­tend certaines règles législatives comme l’article 368 du Code de procédure pénale (34) et se trouve directement visé en certaines matières, comme en droit du travail pour limiter le pouvoir de sanction de l’employeur (35), il n’a pas, en droit français, la nature d’un « droit ou d’une liberté que garantit la Constitution » au sens de son article 61‑1. En outre, il n’opère comme règle de procédure que pour une responsabilité de même nature et au titre de sanctions prononcées par la même autorité ou relevant d’un même ordre de juridictions (36).

La question posée au

Conseil constitutionnel reviendra à choisir d’élever (…) la règle

32. J. Lelieur-­Fischer, La règle ne bis in idem – Du principe de l’autorité de la chose jugée au principe d’unicité d’action répressive, thèse Paris I, 2005. 33. F. Drummond, « Le fabuleux destin de la règle non bis in idem », B.J.B., déc. 2014, p. 605. 34. « Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, sous une qualification différente ». 35. Par ex., Soc., 31 janv. 2007, n° 04‑48.500, inédit. 36. F. Drummond, « Le fabuleux destin… », préc. 14

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non bis in idem au rang d’un véritable droit fondamental pour le justiciable ou de la maintenir dans le strict champ de la

procédure.

On a pu observer que, par effet du décloisonnement de la notion européenne de matière pénale au-­delà du droit pénal selon une vision traditionnelle, tout comme du fait de l’acception aujourd’hui purement matérielle de l’idem en droit européen, fondée sur la seule identité des faits matériels, la règle non bis in idem a une toute autre portée en droit européen. Elle s’y présente bien davantage comme une règle de fond, véritable garantie individuelle pour le justiciable, que comme une simple règle de procédure. En un mot comme en cent, la question posée au Conseil constitutionnel reviendra à choisir d’élever, en droit français contemporain (37), la règle non bis in idem au rang d’un véritable droit fondamental pour le justiciable ou de la maintenir dans le strict champ de la procédure. À supposer qu’il opte pour cette dernière alternative, le sort du modèle français de répression des abus de marché n’en est pas pour autant certain car les plaideurs ont déjà avancé d’autres fondements que la règle non bis in idem pour apprécier la constitutionnalité du dispositif. Ceux-­ci paraissent cependant nettement moins à même de fonder une éventuelle censure de la part du Conseil constitutionnel. Ainsi, il est peu à dire de la référence au principe de nécessité et de proportionnalité des peines invoqué par les deux QPC, dont on peut penser que le respect est assuré par la règle d’imputation à hauteur de la sanction la plus élevée depuis la décision du 28 juillet 1989. De même du principe d’égalité devant la loi, dont on laissera aux spécialistes du contentieux constitutionnel le soin d’approfondir la possible mise en œuvre. Limitons-­nous simplement à noter ici, en première approche, que le principe d’égalité paraît peu à même de fonder la censure d’un dispositif spécial de sanctions compte tenu du fait qu’il est circonscrit, fondé sur des 37. La règle non bis in idem s’est déjà élevée au niveau constitutionnel par le passé, dans la Constitution des 3‑14 septembre 1791, dont le titre III, chapitre V, comportait un article 9, in fine, selon lequel : « Tout homme acquitté par un juré légal ne peut plus être repris ni accusé à raison du même fait ».

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critères objectifs de différenciation qui prennent en compte les spécificités d’un secteur économique déterminé et, à n’en pas douter, peut trouver appui sur de nombreux motifs et considérations d’intérêt général. En dépit des références faites à ces autres principes, il apparaît donc bien que c’est autour du principe non bis in idem qu’est construite l’argumentation des parties, dont seule la reconnaissance permettrait de justifier une décision de censure.

III.  L’avenir : les choix à opérer Quel que soit le sens de la décision que rendra le Conseil constitutionnel, il faut bien garder à l’esprit que pèse sur la France un sérieux risque de condamnation devant la Cour de Strasbourg, dans l’hypothèse où un plaideur alléguerait la violation de la règle non bis in idem en matière d’abus de marché (38). Le dispositif est ainsi amené à évoluer et c’est donc le sens de cette évolution qui constitue l’avenir en la matière. Un avenir trouble s’il en est, compte tenu du caractère également insatisfaisant de l’ensemble des pistes envisageables (A), dont l’examen ne peut que conduire à soulever une question dérangeante : l’évolution du modèle français ne passe-­t‑elle pas par la suppression de la sanction administrative des abus de marché (B) ?

A.  Les pistes envisageables Ces pistes sont aujourd’hui de trois ordres, l’impossibilité de suivre la première étant à l’origine des défauts des deux suivantes. Elles se situent chacune sur un plan différent, tour à tour substantiel, procédural et institutionnel. 1/ La première piste se situe sur un plan substantiel. C’est, semble-­t‑il, celle-­là même qu’ont souhaité indiquer les institutions européennes en imposant aux États membres de sanctionner pénalement les abus de marché « les plus graves » et « commis intentionnellement », avec la nouvelle directive abus de marché (39). 38. Comme on l’a rappelé, d’une part, la réserve de la France ne répond à aucun des critères posés par l’article 57 CEDH. D’autre part, l’arrêt Grande Stevens est clairement venu fermer la porte à toute tentative d’argumentation fondée sur la distinction entre délits et manquements sur le terrain de l’élément moral ou encore sur la « permission » du cumul des poursuites et sanctions qui résulteraient du droit de l’Union : CEDH, 4 mars 2014, préc., §§ 215‑229. 39. Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché. L’ensemble des comportements définis par la directive, qu’il s’agisse d’opérations d’initiés (art. 3, § 1er), de la divulgation d’informations privilégiées (art. 4, § 1er) ou des manipulations de marché (art. 5, § 1er), doivent être graves et intentionnels. 2015/1

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Ce critère souffre toutefois d’une triple imperfection. D’une part, il suppose un exercice de qualification a priori très difficile à réaliser en pratique pour l’autorité saisie. À la différence de la correctionnalisation judiciaire en matière pénale, la qualification initiale d’un même comportement ne relèvera pas d’une autorité unique mais suppose l’articulation des compétences d’autres autorités en matière d’abus de marché. Or, il est fort à parier que des conflits entre autorités surgiront pour s’arroger la connaissance de certaines affaires. Comment, alors, réaliser l’arbitrage ?

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Le modèle français de répression des abus de marché face au principe non bis in idem

D’autre part, il est sociologiquement inadapté. Les cas graves sont, certes, fréquemment intentionnels mais les deux ne vont pas nécessairement de pair. Une grave imprudence, dans la communication d’une information privilégiée par un initié, devrait-­elle, en toute hypothèse, échapper au juge pénal ? Enfin, et là est sans doute l’essentiel de la difficulté, le critère posé par la directive n’est qu’indicatif et intrinsèquement incohérent. Indicatif en ce que la directive laisse la liberté aux États d’étendre la sanction pénale à d’autres hypothèses d’abus de marché. Incohérent car, à suivre cette fois le règlement abus de marché, les manquements ne sont pas, loin s’en faut, des comportements purement matériels, ce qu’a d’ailleurs souligné la C.J.U.E. dans l’arrêt Spector (40). Leur tentative est en effet sanctionnée (41), ce qui invite à penser que l’autorité administrative pourrait être amenée à connaître de manquements intentionnels ! En outre, on relèvera qu’en dehors de la plus grande précision du règlement par rapport à la directive dans la définition des abus de marché, du fait que la directive n’a pour objet que de poser des « règles minimales relatives à la définition » des comportements répréhensibles, la confrontation des textes ne permet en rien de déterminer objectivement ce qu’est un abus de marché « grave ». Aucune circonstance particulière entourant la commission des délits constitutifs d’abus de marché n’est de nature à en circonscrire le champ d’application par rapport à celui des manquements, au-­ delà, précisément, de leur caractère intentionnel. 2/ La deuxième piste est procédurale et tient à l’instauration de mécanismes de coordination des compé40. C.J.U.E., 23 décembre 2009, C-­45/08, dans lequel la Cour de justice a souligné au sujet du manquement d’initié que s’il est possible d’établir une présomption de l’élément moral d’utilisation d’une information privilégiée, l’intégration à la matière pénale de la sanction des opérations d’initié suppose le caractère réfragable d’une telle présomption pour respecter la présomption d’innocence qui résulte de l’article 6, paragraphe 2, CEDH (§§ 39‑44 de l’arrêt). Quoique cela ait été peu souligné, cet arrêt a, entre autre portée, celle d’indiquer qu’en matière pénale, la répression ne saurait être purement matérielle. Le raisonnement devrait donc valoir, au-­delà du caractère présumé ou à prouver de l’élément moral, pour l’ensemble des abus de marché ! 41. La répression de la tentative résulte expressément pour les opérations d’initiés, de l’article 14 et pour les manipulations de marché, de l’article 15 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché.

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tences des juridictions répressives avec l’autorité administrative, au stade du déclenchement des poursuites. Ouverte en France à partir du Rapport Coulon (42), qui ne prévoyait qu’un mécanisme de suspension de la poursuite administrative tout au long de l’instance pénale, cette voie procédurale ne satisferait à la jurisprudence Grande Stevens qu’à la condition d’empêcher purement et simplement la conduite d’une instance pénale si une procédure de sanction administrative a déjà été engagée, ou réciproquement. C’est donc l’article L. 621‑15‑1 du Code monétaire et financier qu’il faudrait réécrire, en prévoyant l’interdiction pour le régulateur ou le juge répressif de se saisir d’une affaire déjà en cours. Mais, ici, la question rejaillit sur la question de fond précédemment évoquée. Sur la base de quel élément constitutif de l’infraction poursuivie retenir la compétence de l’une ou l’autre autorité ? Problème qui affecte également la troisième voie récemment suggérée. 3/ La dernière piste, récemment élaborée et diffusée par les professeurs Schmidt et Le Fur (43), repose sur une profonde réforme institutionnelle. Pour éviter le risque du déclenchement d’une double poursuite et le prononcé d’une double sanction, un Tribunal unique des marchés financiers serait créé, auquel il reviendrait d’exercer concurremment le pouvoir de sanction administrative et la répression des délits pénaux. Force additionnelle de ce nouveau « For financier centralisé », les questions relatives à l’indemnisation des investisseurs qui relèvent de la seule compétence du juge judiciaire pourraient être traitées dans la même instance que celle relative à la responsabilité pénale ou administrative des auteurs de fautes boursières dommageables. À cette proposition, dont la force est qu’elle permettrait à coup sûr de remédier au risque d’une double poursuite et, par contrecoup, d’un double jugement, en même temps qu’elle conduirait sans doute à une rationalisation du contentieux par l’association des versants répressif et civil des litiges, il ne sera adressé qu’une objection, en forme d’interrogation : sur la base de quel critère le justiciable saura-­t‑il dans quels cas il risquera une sanction pénale ou administrative, une simple sanction pécuniaire ou une peine afflictive, potentiellement privative de liberté ? Une chose est en effet l’opportunité des poursuites ; une autre est celle de l’opportunité des qualifications. Alors que la première est un principe de politique répressive, l’autre serait un principe d’arbitraire répressif. Si l’on prend parfois appui sur certains exemples étrangers pour révéler que l’option entre voie pénale ou administrative se passe en bonne intelligence entre autorités judiciaire et administrative, c’est à tort que l’on invoque aujourd’hui ces exemples. La question 42. Rapport sur la dépénalisation de la vie des affaires, janvier 2008, pp. 61 et s., spéc. pp. 65‑68. 43. En dernier lieu, D. Schmidt et A.-­V. Le Fur, « Pour un tribunal des marchés financiers », B.J.B., 2015, n° 1, pp. 24 et s. ; des mêmes auteurs, « Il faut un tribunal des marchés financiers », D., 2014, p. 551 et « Pour un tribunal des marchés financiers », Lettre CREDA-­Sociétés, n° 2014‑29. 16

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ne tient pas simplement à la bonne coordination des autorités mais concerne les droits des justiciables et, au premier chef, la prévisibilité des sanctions susceptibles de s’appliquer à leurs comportements. Ainsi qu’on l’a dit, dans les futurs textes européens, aucun élément certain ne permettra de distinguer nettement les abus des manquements, sauf à admettre – ce qui est sans doute le cas – que la répression de la tentative des abus de marché est dénuée de portée car les abus de marché se présentent, dans leur ensemble, comme des infractions formelles, consommées indépendamment de la réalisation d’un résultat redouté. De deux choses l’une donc. Ou bien la réponse ne pourra provenir que d’un travail législatif de redéfinition des délits, de nature à bien les distinguer par leurs éléments constitutifs de ceux des manquements, dont les États doivent assurer la répression dans les termes mêmes où ils sont rédigés du fait que leur source se trouve dans un règlement directement applicable. Travail difficile en l’état des textes européens, la directive se présentant simplement comme la formulation moins précise des manquements. Ou bien, il faudra se résoudre à admettre que l’absence de stratégie répressive claire au niveau européen impose d’effectuer un choix, en concluant que la sanction administrative est peut-­être aujourd’hui de trop.

B.  L’issue « tabou »: la suppression de la sanction administrative des abus de marché La proposition sur laquelle débouche cet état des questions et pistes envisageables tient, en définitive, à la suppression du pouvoir de sanction administrative des abus de marché.

C’est l’incertitude

même qui entoure la distinction entre les éléments constitutifs des manquements et des délits qui semble à l’origine des défauts communs à

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chacune des pistes d’évolution évoquées

précédemment.

Ne faut-­il pas conclure de tout ce qui précède que, fondamentalement, le problème soulevé par l’adaptation du droit français au droit conventionnel n’est pas tant une question de procédure qu’une question de fond ? C’est l’incertitude même qui entoure la distinction entre les éléments constitutifs des manquements et des délits qui semble à l’origine des défauts communs à chacune des pistes d’évolution évoquées précédemment. On ne remédie pas à l’imprécision tenant au fond des textes par des règles de procédure et des réformes institutionnelles. On peut prendre une analogie médicale pour l’illustrer. Face à une même pathologie, l’intervention de médecins de spécialités différentes peut s’avérer nécessaire mais suppose que ceux-­ci exercent des compétences complémentaires pour établir un diagnostic unique. Rien ne servirait au patient que le cardiologue qui a établi la nécessité d’une intervention s’essaie à réaliser le pontage à la place du chirurgien. Ce qui compte est la répartition des rôles. Or, que souhaite-­t‑on faire par le biais de la répression des abus de marché ? Sanctionner et dissuader. Comment souhaite-­t‑on le faire ? Si le nouveau dispositif « abus de marché » est d’une grande confusion quant aux moyens, les fins sont claires : réprimer pénalement les abus de marché les plus graves (44). N’est-­il pas exagérément difficile de s’évertuer à faire rentrer ainsi le cercle dans le carré et à doter une même autorité de pouvoirs de sanction multiples tandis que l’objectif paraît être de renforcer la seule répression pénale ? Ne serait-­il pas plus simple, en définitive, de se limiter à exercer ce que le règlement ouvre expressément aux États membres, à savoir l’option pénale (45) ? 44. La volonté répressive s’infère tout d’abord du programme de la Commission dans sa communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – Renforcer les régimes de sanction dans le secteur des services financiers, 8 décembre 2010, COM(2010) 716, p. 15, et ensuite de la mise en œuvre, au titre de la sanction des abus de marché à la nouvelle compétence pénale attribuée aux institutions européennes par l’article 83, paragraphe 2, du TFUE résultant du traité de Lisbonne, autorisant l’adoption de directives établissant « des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions » dans les domaines déjà harmonisés. 45. Art. 30, § 1er, al. 2, du règlement « abus de marché ». Sur les circonstances d’édiction de l’option pénale liée aux difficultés de parvenir à une détermination claire de la ligne de partage entre les délits et manquements au stade de l’élaboration du nouveau dispositif, F. Drum2015/1

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En somme, n’est-­il pas temps d’accéder à la maturité et d’admettre que ce que le régulateur a rendu possible, il revient désormais au juge répressif de l’assurer, avec un surcroît de sévérité imposée par la prise de conscience progressive de la gravité des comportements visés ? À suivre une telle proposition, l’action répressive du régulateur n’en pourra pas moins être saluée comme une étape nécessaire de l’histoire de la sécurité du marché financier en France. Son apport aura en effet été double. D’un point de vue factuel, elle aura permis de montrer que la détection et la sanction de comportements astucieux et occultes dans un contexte très technique ne relève pas simplement du cas d’école mais constitue bien un phénomène d’ampleur. D’un point de vue méthodologique, la COB puis l’AMF ont permis de sortir de l’âge magique pour caractériser les abus de marché, en élaborant au fil du temps des méthodes rigoureuses de jugement, permettant d’établir la responsabilité des auteurs de manquements. Il n’est que d’observer la structure des décisions de sanctions rendues par l’AMF pour s’en convaincre. Concepts et méthodes de raisonnement ont été affinés, dans le cadre d’un contentieux d’une redoutable complexité. Quel travail de qualité et ô combien nécessaire ! Quel acquis pour des juges correctionnels placés en première ligne et désormais pleinement investis de leur mission : la sanction des coupables…

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Le modèle français de répression des abus de marché face au principe non bis in idem

Remerciée pour ses bons et loyaux services, la commission des sanctions de l’AMF pourrait à l’avenir se concentrer sur la sanction des manquements étrangers au droit pénal – et c’est peu dire qu’il en existe d’autres –, dans la seule perspective de préserver le bon fonctionnement des marchés, tandis que le juge pénal se trouverait désormais pleinement investi d’une mission dépourvue d’ambiguïté : sanctionner des comportements gravement déloyaux, malhonnêtes et virtuellement déstabilisateurs de l’ensemble d’un marché. Il est, en effet, admis que c’est à tort que la France conserve une lecture prudente et purement technocratique de la répression des infractions d’affaires. Non, les abus de marché ne sont pas de simples fautes professionnelles mais bel et bien des comportements astucieux nés de la complexité même du contexte économique dans lequel ils s’inscrivent. Ainsi, au régulateur de réguler et au juge répressif de réprimer ! Quitte à conférer un rôle au régulateur dans le cadre de l’instance pénale, en particulier pour en faciliter l’instruction (46). Pour le reste, il faut abandonner cette vision trop peu flatteuse selon laquelle nos magistrats ne seraient pas en mesure de comprendre le fonctionnement des marchés financiers, et au contraire supporter une action du législateur tendant à développer encore leur formation en la matière, propre mond, « Répression des abus de marché v. non bis in idem – Perspectives d’évolution », in Mélanges en hommage à Nicole Decoopman, Éditions du Ceprisca, PUF, 2014, nos 11‑12. 46. F. Peltier, « Abus de marché : la double peine doit disparaître », Le Monde, 4 décembre 2014.

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

à raccourcir les délais de traitement des procédures. On ajoutera que, du fait de l’inclusion actuelle de la sanction administrative dans la matière pénale, la procédure administrative voit fleurir des contestations sur le terrain des droits fondamentaux, démultipliées par l’institution de la QPC en France. Or, face à un tel constat, le question de la protection des droits des justiciables ne gagnerait-­elle pas à être d’abord posée dans le cadre du procès pénal qui, après tout, aurait quelque titre à rester le modèle de la procédure répressive en droit interne ? Le principal mérite d’une telle proposition tient ainsi à la mise en cohérence des moyens avec la fin poursuivie (47). La nécessité de renforcer la sanction pénale, 47. Certes, cette voie n’est pas pour autant celle de la simplicité et requiert, dans une perspective tant d’efficacité économique que d’effectivité de la répression, de

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sur laquelle s’accordent tant les praticiens du droit financier que l’Union européenne qui fixe aujourd’hui les orientations de politique criminelle en la matière, ne passerait-­elle tout simplement pas, sans guère de risque pour les droits fondamentaux, par l’adoption d’une maxime simple selon laquelle coexisteraient sans aucun risque d’empiètement l’autorité administrative et le juge répressif : réguler et punir ? sérieuses adaptations de la procédure pénale comme de la formation des magistrats, à déterminer en détail bien au-­delà de cet article. Ces derniers développements n’ont pour ambition que de mettre en lumière que l’attribution de la totalité du pouvoir de sanction des abus de marché au juge pénal constitue la « révolution » la moins porteuse de difficultés à long terme au regard de la nécessité de concilier protection des droits fondamentaux et renforcement de la répression.

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Le cumul des sanctions administratives et pénales dans la nouvelle législation bancaire belge

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Le cumul des sanctions administratives et pénales dans la nouvelle législation bancaire belge

Michèle Grégoire

Avocate à la Cour de cassation Partner Jones Day Professeure à l’Université Libre de Bruxelles Professeure invitée à l’Université Paris II – Panthéon Assas

La loi belge du 25 avril 2014 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit prévoit un double arsenal de sanctions pénales et administratives. Un dispositif d’information réciproque est mis en place entre les autorités judiciaires et prudentielles afin d’éviter que les mêmes faits donnent lieu à l’application des deux types de sanctions. Cependant, le principe général du droit «  Non bis in idem » se rattache, selon la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique, à l’autorité de la chose définitivement jugée en matière répressive et ne s’oppose donc pas nécessairement à une double incrimination pour les mêmes faits.

The Belgian Law dated 25 April 2014 relating to the status and the control of credit institutions provides a double scheme of criminal and administrative sanctions. A reciprocal duty of communication exists between judicial and prudential authorities with the view to avoid that the same facts receive both types of sanctions. According to the Belgian Supreme Court of Cassation, the general principle of law “non bis in idem” stems from the “res judicata” rule and consequently does not prohibit per se a double incrimination for the same facts.

I. Introduction La directive 2013/36/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/ CE, prévoit un ensemble de sanctions administratives garantissant le respect des normes qu’elle établit pour gouverner l’activité bancaire. Cependant, en son considérant 42, la directive réserve la possibilité pour les États membres d’organiser également un système de sanctions de nature pénale, soumis au droit national. En son livre V, la loi belge du 25 avril 2014 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit (« la Loi bancaire ») maintient le choix antérieurement retenu par la loi (qu’elle remplace) du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit, du double arsenal, pénal et administratif, de sanctions engendrées par d’éventuelles infractions à ses dispositions. En outre, les autorités disposent de la possibilité de recourir à des astreintes et autres mesures coercitives, dont le régime légal compose le livre IV de la Loi bancaire. Les premières ont un caractère curatif et éducatif alors que les secondes ont une finalité purement préventive. 2015/1

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II. Titre Ier du livre V de la Loi bancaire : Des amendes administratives Une seule disposition, constituant d’ailleurs l’unique composante du titre Ier du livre V de la Loi bancaire, rassemble toutes les caractéristiques des sanctions administratives qu’elle édicte : l’autorité habilitée à les prononcer, les conditions de leur prononcé, les destinataires des mesures et l’importance de leurs effets. Selon l’article 347, paragraphe 1er, de la Loi bancaire, c’est la Banque nationale de Belgique (la « Banque »), le cas échéant à la demande de la Banque centrale européenne, qui peut infliger l’amende administrative. Cela suppose qu’elle « constate une infraction aux dispositions (de la Loi bancaire), aux mesures prises en exécution de celle-­ci ou au règlement (UE) n° 575/2013 (du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012), sur les produits dérivés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux.

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Les destinataires de la sanction administrative, responsables du manquement sanctionné, (qu’ils soient de droit belge ou de droit étranger, pourvu qu’ils soient établis en Belgique) peuvent être : (i) un établissement de crédit, (ii) une compagnie financière, ou (iii) une compagnie financière mixte. Il peut s’agir également de personnes physiques de référence au sein de ces entités, telles que les membres de l’organe légal d’administration, ou celles qui, en l’absence de comité de direction, participent à leur direction effective. En cela, le législateur belge s’est, comme il se doit, conformé aux prescrits de la directive, annoncés dès la communication de la Commission du 8 décembre 2010. La Commission y déclarait notamment que : « (…) il est souvent opportun de mettre à l’amende l’établissement au profit duquel l’individu (responsable d’une infraction) a agi (…). Cela pourrait également encourager les établissements financiers à prendre les mesures organisationnelles et à dispenser au personnel la formation nécessaire pour prévenir les infractions. La Commission estime que, sous réserve des spécificités de chaque acte législatif, des sanctions administratives devraient être prévues contre les individus responsables d’infractions et contre les établissements financiers au profit desquels ils ont agi (…) ». Le paragraphe 2 de l’article 347 de la Loi bancaire précise, quant à lui, que le montant de l’amende administrative infligée pour le même fait ou pour le même ensemble de faits doit se situer entre les limites suivantes : ce montant doit être de minimum 1 % et de maximum 10 % du chiffre d’affaires annuel net de l’établissement concerné au cours de l’exercice précédent ; il ne peut en outre être inférieur à 5.000 euros et ne peut être supérieur à 5.000.000 euros. Au sein de cette double fourchette, le montant de l’amende est fixé en fonction de différents critères : (a) la gravité et la durée des manquements ; (b) le degré de responsabilité de la personne en cause ; (c) l’assise financière de la personne en cause ; (d) les avantages et profits qu’elle a éventuellement tirés de ces manquements ; (e) le préjudice subi par des tiers ; (f) le degré de coopération de la personne en cause avec les autorités compétentes ; (g) les manquements antérieurs éventuellement commis par la personne en cause ; et (h) l’impact négatif potentiel des manquements sur la stabilité du système financier. L’article 36/11 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque nationale de Belgique organise la publicité des sanctions administratives, qui s’opère « de manière nominative sur le site internet de la Banque pour une durée d’au moins cinq ans, à moins que cette publication ne risque de compromettre la stabilité du système financier ou une enquête ou une procédure pénale en cours ou de causer un préjudice disproportionné aux personnes concernées ou aux établissements auxquels celles-­ci appartiennent, auquel cas la décision est publiée sur le site internet de manière non nominative (…) ». La procédure de mise en œuvre des mesures précitées est décrite par la loi du 22 février 1998 fixant le statut 20

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organique de la Banque nationale de Belgique, lorsque l’acte incriminé relève de sa compétence. Lorsque tel n’est pas le cas, il convient de se référer au règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit, ainsi qu’au règlement (UE) n° 468/2014 du 16 avril 2014 de la Banque centrale européenne établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la Banque centrale européenne, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales.

III. Titre II du livre V de la Loi bancaire : Des sanctions pénales

Parmi les dispositions

de la Loi bancaire, certaines sont élevées à la dignité de normes à ce point importantes que leur méconnaissance peut entraîner l’intentement d’une action publique de

nature répressive.

Parmi les dispositions de la Loi bancaire, certaines sont élevées à la dignité de normes à ce point importantes que leur méconnaissance peut entraîner l’intentement d’une action publique de nature répressive. Ainsi, l’article 348, paragraphe 1er, de la Loi bancaire punit d’une amende ou d’un emprisonnement, les personnes, parfois membres de l’organe légal mais pas nécessairement, qui ont contrevenu à un certain nombre de prescrits, tels que les exigences liées à l’usage de dénominations spécifiques à l’activité bancaire, les conditions d’agrément et d’exercice de cette activité ; les obligations de notification à l’autorité de contrôle ; les limitations en matière de prêts aux dirigeants, actionnaires ou personnes apparentées ou à l’usage

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de fonds et valeurs ; les contraintes de transparence et d’information à l’égard de l’autorité de contrôle ; le cadre restreint réservé aux bureaux de représentation ; les mesures provisoires, de redressement ou conservatoires ou de résolution ordonnées par l’autorité compétente ; la confection ou l’approbation par des professionnels du chiffre de comptes non conformes à la réglementation en vigueur ; ou la méconnaissance des interdictions professionnelles liées à une peine subie antérieurement. L’article 350 de la Loi bancaire précise que les établissements de crédit, les établissements financiers et les entreprises sont civilement responsables des amendes auxquelles sont condamnés les membres de leur organe légal d’administration, personnes en charge de la direction effective ou leurs mandataires. Selon les articles 351 et 352 de la Loi bancaire, toute action pénale du chef des infractions précitées doit être portée à la connaissance des autorités de contrôle, à la diligence du Ministère public. Ces autorités sont autorisées à intervenir en tout état de cause dans la procédure, à l’instar d’une partie civile, mais sans avoir à justifier d’un dommage.

IV. Questions soulevées par le cumul possible de sanctions administratives et pénales

Plusieurs normes

fondamentales et principes généraux du droit viennent encadrer le dispositif répressif mis en place par la Loi bancaire, régissant tant le prononcé de sanctions administratives que celui de sanctions pénales.

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Plusieurs normes fondamentales et principes généraux du droit viennent encadrer le dispositif répressif mis en place par la Loi bancaire, régissant tant le prononcé de sanctions administratives que celui de sanctions pénales. On sait que la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur lequel repose le respect de l’équité du procès, s’applique aux autorités prudentielles dans l’exercice de leurs missions de contrôle (1).

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En conséquence, les exigences d’indépendance et d’impartialité doivent être satisfaites, ne fût-­ce que de manière indirecte au travers d’un recours possible de pleine juridiction à l’encontre des sanctions infligées par cette autorité. C’est pourquoi l’article 36/21 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque nationale de Belgique institue un recours devant la cour d’appel de Bruxelles pouvant être formé à l’encontre de toute décision de la Banque prononçant une astreinte ou une amende administrative. Par identité de motifs, le droit au silence est également reconnu à la personne sujette à une sanction administrative comme il le serait en matière pénale. Par son arrêt du 19 juin 2013, la Cour de cassation de Belgique a rappelé que, certes, l’accusé est tenu de collaborer à la production des preuves de l’infraction qu’il aurait commise mais dans les limites de la protection assurée par le droit au respect du procès équitable, impliquant le droit au silence, c’est-­à-­dire le droit non seulement de ne pas témoigner contre soi-­même mais également celui pour tout inculpé de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Le suspect ne peut donc être sanctionné pour le défaut de communication d’éléments de nature à le confondre (2). Enfin, et surtout, l’adage « non bis in idem » se trouve assurément défié par le mécanisme de double sanction retenu, de manière assez décomplexée, par la Loi bancaire. Cet adage est consacré notamment à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’à l’article 4 du Protocole n° 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il interdit, comme on le sait, qu’une même personne soit condamnée ou même seulement poursuivie deux fois pour les mêmes faits. Il est vrai que plusieurs correctifs ont été prévus dans la Loi bancaire pour tenter d’éviter les effets négatifs de ce dédoublement. En premier lieu, la communication systématique et réciproque d’informations pertinentes doit être organisée entre les autorités judiciaires et administratives. En deuxième lieu, le Ministère public, lui aussi, se trouve astreint au devoir d’aviser la Banque et la FSMA (Financial Services Market Authority), chacune dans 1. 2.

Voir notamment CEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens, § 100.

Cass., 19 juin 2013, P. 12.1150.F, www.juridat.be.

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son domaine de compétences, de toute action publique mise en mouvement. Réciproquement, à l’issue de la phase d’instruction administrative, le Comité de direction de la Banque doit informer le Ministère public de l’éventualité d’une qualification pénale à réserver à l’un ou plusieurs des griefs qu’elle examine. Le Procureur du Roi peut alors décider de l’opportunité d’une poursuite, mais, en cette circonstance, l’autorité de contrôle ne se trouverait pas obligée de suspendre l’exercice de sa mission. Enfin, en troisième lieu, les amendes administratives et le montant des règlements transactionnels doivent être imputés sur les amendes pénales prononcées pour des faits commis par la même personne. Ces éléments ont été mis en évidence par les auteurs de la Loi bancaire, en réponse aux objections soulevées par le Conseil d’État, doutant de la conformité du cumul des sanctions avec les droits fondamentaux. Selon les travaux préparatoires, « (…) le principe ‘non bis in idem’ tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne (…) n’interdit pas de prévoir une double incrimination, sur le plan pénal et administratif, de faits similaires » (3). Toutefois, une telle justification s’inscrit davantage dans la ligne du droit belge que du droit international. La règle « non bis in idem » constitue, en effet, un principe général de droit belge (4) et la Cour de cassation de Belgique en retient une interprétation assez restrictive. D’une part, elle considère que ce principe s’oppose à ce qu’une condamnation soit prononcée pour un fait 3. Exposé des motifs, Doc. parl., Chambre, doc. n° 53‑3406/01, pp. 225‑226. 4. P. Marchal, « Principes généraux du droit », R.P.D.B., Comp. XI, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 419, n° 250 ; D. Vandermeerssch, H.-­D. Bosly et M.-­A. Beernaert, Droit de la procédure pénale, Bruxelles, la Charte, 6e éd., 2010, p. 205 ; A. Bossuyt, « Les principes généraux du droit dans la jurisprudence de la Cour de cassation », J.T., 2005, p. 730, nos 35 à 37.

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qui a fait l’objet d’une condamnation ou d’un acquittement antérieurs. En cela, il se rattache, selon la Cour suprême, à l’autorité de la chose jugée. Il faut donc que les premières poursuites à l’égard d’une personne aient été définitivement jugées et que les secondes poursuites concernent cette même personne (5). N’est pas définitive au regard du principe « non bis in idem », la décision d’une juridiction d’instance réglant la procédure (6) ou qui se prononce sur l’exécution d’un mandat d’arrêt européen (7). D’autre part, elle estime que le principe n’est pas violé lorsque les faits constitutifs de deux infractions distinctes ne sont pas les mêmes parce que l’élément moral incriminé diffère d’un délit à l’autre (8). Cette position paraît difficilement conciliable avec l’enseignement de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 février 2009 (9), selon lequel le terme « infraction » au sens de l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention doit s’entendre « comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction pour autant que celle-­ci ait pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes », indépendamment de leur qualification juridique. 5. Cass., 4 février 2003, Pas., 2003, I, n° 81 ; Cass., 7 novembre 1995, Pas., 1995, I, n° 477. 6. Cass., 14 octobre 2009, Pas., 2009, I, n° 583. 7. Cass., 9 mars 2010, P.10.0361.N, Pas., 2010, I, n° 166. 8. Cass., 15 mai 2011, P.11.0199.F, www.juridat.be, T., 2011, p. 651, note J.-­Fr. Neveu et H. Mormont, « Cumul des sanctions administrative et pénale en matière de chômage : la Cour de cassation ignore-­ t‑elle la jurisprudence de Strasbourg sur l’identité d’infraction ? ». 9. CEDH, 10 février 2009, Zaloutoukhine c. Russie, J.T., 2009, p. 150 ; Dr. pén. entr., 2009, pp. 327 et s., note Fr. Kreuc, « Non bis in idem : la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme entend mettre fin à la cacophonie ».

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Avoiding bis in idem in Market Abuse Enforcement after Grande Stevens: The Case of Italy

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Avoiding bis in idem in Market Abuse Enforcement after Grande Stevens: The Case of Italy

Matteo Gargantini

Senior researcher at Max Planck Institute Luxembourg for International, European and Regulatory Procedural Law

The decision rendered by the European Court of Human Rights in Grande Stevens states that the Italian securities law enforcement system breaches both the fair trial principle enshrined in the European Convention on Human Right and the ne bis in idem principle set forth by Protocol No. 7 of the Convention. The decision has opened a lively debate among Italian legal scholars and has already triggered some judicial decisions aimed at realigning the Italian legal framework to the obligations imposed by the Convention. The article analyses the alternative solutions devised by scholars and courts and highlights their respective consequences from the point of view of the efficiency of the enforcement system. The relevance of the issues considered goes well beyond the national boundaries, as Grande Stevens will inevitably influence the implementation, in Italy and elsewhere, of the new European Market Abuse regulatory framework (Reg. (EU) No. 596/2014 (MAR) and Dir. 2014/57/EU (MAD II)).

La décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Grande Stevens confirme que le système italien d’application du droit des valeurs mobilières viole à la fois le principe de procès équitable consacré par la Convention européenne des droits de l’homme et le principe ne bis in idem énoncé dans le Protocole n° 7 de la Convention. La décision a ouvert un débat animé parmi les juristes italiens et a déjà déclenché des décisions judiciaires visant à réorienter le cadre juridique italien par rapport aux obligations imposées par la Convention. Cet article analyse les solutions alternatives élaborées par universitaires et tribunaux et souligne leurs conséquences respectives du point de vue de l’efficacité du système d’application. La pertinence des questions examinées va bien au-delà des frontières nationales, dans la mesure où la décision dans l’affaire Grande Stevens influencera inévitablement la mise en œuvre, en Italie et ailleurs, du nouveau cadre réglementaire sur les abus de marché européen (règlement (UE) n° 596/2014 (MAR) et directive 2014/57/UE (MAD II)).

I. Introduction The decision of the European Court of Human Rights (ECtHR) in Grande Stevens et al. v. Italy (1) has shown how the obligations deriving from the European Convention on Human Rights (ECHR) and from its Protocol No. 7 can influence the enforcement of financial markets law. On the one hand, Grande Stevens pointed out to what extent administrative procedures are bound by the fair trail provisions of Art. 6 ECHR. On the other hand, it clarified the limits to a joint application of criminal and (prima facie) administrative sanctions in the light of the ne bis in idem principle set forth by the ECHR, Protocol No. 7, Art. 4. Grande Stevens is not particularly innovative but it does provide some important clarification on issues that previous case law left unresolved and that had therefore raised uncertainties among academics and practitioners. Although the process of EU ratification of the ECHR will most likely slow down after the ECJ Opinion of

1. ECtHR, App. No. 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10, 18698/10, Grande Stevens et al. v. Italy, 4 March 2014. 2015/1

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18 December 2014, (2) the impact of Grande Stevens on the legal scene remains important throughout all of Europe, given that the application of the new market abuse regime from 3 July 2016 will require many EU Member States to also adapt their securities law enforcement systems. The principles of a fair trial and of the ne bis in idem have in fact a remarkable influence on the distribution of roles between financial supervisors and criminal prosecutors. The right to a fair trial requires an extensive judicial review whenever the guarantees of Art. 6 ECHR are not fully complied with during an administrative sanctions procedure. Whilst Art. 6 affects the repartition of powers over different phases of the same dispute, the ban on double jeopardy instead raises issues of coordination between supervisors or judges where different and independent proceedings concerning the same facts are started. Hence the interpretation of ne bis in idem influences the coordination of parallel proceedings, either within one State or, when Art. 50 of the Charter of Fundamental Rights (CFR) applies, in different Member States of the European Union.

2.

ECJ, Opinion 2/13 of the Court (Full Court), 18 December 2014.

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

The principles of a

fair trial and of the ne bis in idem have a remarkable influence on the distribution of

II. Market abuse sanctions in Italy: a flawed regulatory framework This section analyses the relevant substantive Italian rules on market abuse sanctions and shows how procedural rules cope with the problems of coordination that they entail. The next section considers, some reforms proposals needed to ensure that the Italian regulatory framework on market abuse does not violate human rights.

A.  Substantive rules

roles between financial supervisors and criminal

prosecutors.

In Grande Stevens, the ECtHR considered that the sanctions inflicted by the Italian Securities and Exchange Commission (Commissione Nazionale per le Società e la Borsa – “Consob”) pursuant to the rules on market abuse prevention, albeit administrative in form, were criminal in substance according to the standards usually applied by the ECtHR (Engel criteria). (3) A violation of Art. 6 ECHR was found as both Consob and – due to a lack of public hearing – the Court of Appeal where the sanction was being challenged, were found to be in breach. A second violation was found in that the criminal procedure against those who had already been convicted by Consob was not dismissed as soon as the administrative sanction became final, namely when the judicial decisions concerning the appeal filed against the sanction became res iudicata. This paper focuses on the second violation and concentrates on the consequences of ne bis in idem under Art. 4 of Protocol No. 7 for the Italian market abuse legislation. Although Grande Stevens will also require a revision of the procedural rules that are needed to ensure a fair trial either throughout the Consob sanctions procedure or during a judicial review in front of the Court of Appeal, the effects of Art. 6 ECtHR will only be considered insofar as they can shed light on the avoidance of double jeopardy. (4)

3. ECtHR, Engel et al. v. The Netherlands, 8 June 1976, § 82. See also D.J. Harris et al., Law of the European Convention on Human rights, Oxford, 2009, 205‑206 (sanctions formally qualified as administrative may still be regarded as substantially criminal for the purposes of the ECHR in the light of either the nature of the offence or the nature and degree of severity of the sanction). 4. See fn. 58 and accompanying text. 24

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The Italian Consolidated Law on Finance (CLF) uses both administrative and criminal provisions to prohibit market abuse practices. The administrative provision to prevent market manipulation closely follows the definition provided for by the Market Abuse Directive for informational and operative manipulation (Art. 187-­III CLF; Art. 1(2) Dir. 2003/6/EC (MAD)), while the criminal provision is restricted to cases where a person either disseminates false information or carries out sham transactions or employs other devices that may actually produce a significant alteration in the price of a financial instrument (Art. 185 CLF). The criminal provision therefore requires a concrete risk that market prices are being affected, while the administrative provisions are applicable to the extent that disseminated information or an abusive transaction is merely likely, according to a theoretical assessment, to give false or misleading signals concerning a financial instrument. (5) Both the administrative and criminal provisions for insider dealing replicate the definitions set forth by the MAD, (6) with the main caveat 5.

6.

The difference is reminiscent of but not identical to the one between Art. 5(2) dir. 2014/57/EU (MAD II) and Art. 12(1) reg. (EU) No. 596/2014 (MAR). In particular Art. 185 CLF applies even where no significant effect on the market price can be observed, to the extent that a high risk existed according to a probabilistic assessment in the light of the circumstances (F. Mucciarelli, “Art. 185”, in M. Fratini and G. Gasparri (eds), Il Testo Unico della Finanza, Torino, 2012, 2411). On the contrary, Art. 5(2) MAD II requires that misleading signals are actually given and, in some circumstances, that the price is actually altered. The possibility to prosecute criminally the mere creation of a risk is the reason why some scholars exclude that attempted insider dealing is equally punishable under criminal law (see F. Sgubbi, “La manipolazione del mercato”, in F. Sgubbi et al., Diritto penale del mercato finanziario, Padua, 2008, 77). Attempted violations are also prosecuted in both cases. By way of derogation to the general law on administrative violations (law 24 November 1981, No. 698; Court of Cassation (Criminal Section I), 16 February 2005, No. 3125 (no punishment for attempt to perpetrate an

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that only the administrative provision addresses violations by secondary insiders (tippees), while the criminal provision does not include them (see Art. 187-­II and Art. 184 CLF (7)). Finally, the criminal provision requires malice both for insider dealing and for market manipulation, whereas negligence is sufficient for the administrative provision. (8) Whether these are meaningful differences when it comes to distinguishing criminal and administrative provisions is questionable. Consob has sometimes relied on negligence in order to sanction the spread of misleading information in cases where criminal prosecution seemed more difficult. (9) At the same time, the judiciary has made some attempts to restrict criminal punishment of market manipulation on the basis that actual danger for price integrity had not been clearly demonstrated by the public prosecutor. (10) However, such differentiations have not always proven successful, (11) and in most circumstances abusive conadministrative violation, unless a specific rule provides the contrary)), Art. 187-­II(6) CLF equates attempted insider dealing with consummated violation. As for the criminal ban, Art. 56 of the Italian Criminal Code makes attempts of criminal violations generally punishable. 7. See also Art. 4 MAD and Art. 8(4) MAR. 8. In order for insider dealing to be criminally punished, not only must intention refer to the act of buying relevant financial instruments by using inside information (or refer to the act of communicating inside information), but also awareness – or at least suspicion – of the inside nature of information is required. However, secondary insiders cannot be prosecuted under criminal law even if they were fully aware that the information in their possession was inside information, because tipping and trading by tippees fall exclusively into the administrative rule (where they can also be punished solely on the basis that they ought to have known that the information in their possession was inside information). 9. Consob, 19 November 2009, No. 17071 (involving a member of the Parliament). 10. See the Italian Court of Cassation (Criminal Section VI), 16 March 2006, No. 15199 (criminal punishment of market manipulation requires a higher level of materiality, if compared with administrative sanctions). The distinction was invoked also in the Grande Stevens saga in order to uphold the Consob administrative sanction (see Turin Court of Appeal of 23 January 2008 (Art. 187-­III sets forth an early protection of market integrity, as it punishes the abstract possibility that a false or misleading statement may have an influence on market prices)) and during the criminal trial, too (see Turin Tribunal of Turin, 21 December 2010 (released 18 March 2011) (likelihood of a price alteration not supported, in the case at hand, by sufficient evidence); for subsequent overturn see however infra, fn. 11). 11. Consob sanction No. 17071 (supra fn. 9) was quashed by the Perugia Court of Appeal (decision of 10 June 2011) on the basis that disseminating unreliable information amounts to market manipulation only if this may actually mislead investors (the decision clearly applied to the administrative sanction a criterion that the law only refers to the criminal violation). See also Rome Court of Appeal, decision of 16‑21 June 2011. The deci2015/1

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duct will qualify as both a criminal and administrative violation. (12) Scholars also note that negligent abusive practices are less likely to be perpetrated and proven. (13) Most importantly, in as much as the CLF provisions may be differentiated, according to the ECtHR a breach of the double jeopardy ban has to be assessed in reality, regardless of whether the law on the books provides different legal qualifications for the same conduct. In line with its most recent case law, the Court has reiterated that what matters for the purpose of having a single offence is whether the second prosecution or trial refers to facts which are either identical or substantially the same as the facts already sanctioned. (14) For this purpose, what has to be verified is not so much whether the descriptions in the two rules are overlapping but, rather, whether the competent authority grounds the prosecution on facts that belong with the same conduct for which res iudicata is already established.

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Avoiding bis in idem in Market Abuse Enforcement after Grande Stevens: The Case of Italy

The Court considered that Consob, on the one hand, and the Office of the Public Prosecutor, on the other hand, had accused Mr. Grande Stevens and the other managers of facts that were substantially identical, despite the fact that the applicable criminal provision (Art. 185 CLF) punished a subpart of the acts taken into account by the administrative provision (Art. 187-­ III CLF) because the criminal provision also required malice and a concrete risk of market price alteration to be present. (15) The elements differentiating the criminal sion of the Turin Court of Appeal in the Grande Stevens criminal case (supra fn. 10) was challenged before the Court of Cassation (see infra fn. 22), which overturned the acquittal for two of the three charged managers on the basis that the mere risk of price alteration – rather than full evidence thereof – might have justified the punishment (Court of Cassation (Criminal Section V), 20 June 2012 (released 15 October 2012), No. 40393). 12. See infra fn. 16. 13. M. Ventoruzzo, “When Market Abuse rules Violate Human Rights: Grande Stevens v. Italy and the Different Approaches to Double Jeopardy in Europe and the US”, forthcoming European Business Organization Law Review (2015), 17 of the working paper (on file with the author). 14. ECtHR, App. No. 14939/03, Zolotukhin v. Russia, 10 February 2009, §§ 81‑2. 15. Art. 4 of Protocol 7 was deemed applicable in spite of the reservation made by the Italian Republic that the double jeopardy ban only applied to sanctions labelled as criminal under national law (similar reservations were made by other counties, such as Austria, France, Germany, and Portugal; for France see H. Matsopoulou, “Le cumul de poursuites et de sanctions administratives et pénales, pour les mêmes faits, n’est pas conforme à la règle ne bis in idem”, Revue des Sociétés, 2014, at 680). On this point, the ECtHR first considered that such a reservation is in breach of Art. 57 ECHR, which rules out reservations of general character (the reservation must contain a brief statement of the national law concerned) and only allows limitations to the applicability of conventional provisions with respect to laws in force at the time of signing or ratification. In Grande Stevens, the Court considered that the reservation made

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

and the administrative bans are indeed simply specializing factors. Therefore, they can at best ensure that some types of conduct are prosecuted only under the administrative provisions, while criminal violations will always be subject to both prohibitions. (16) This will inevitably result in a bis in idem situation because the administrative provisions on insider dealing and market manipulation state that administrative measures shall be imposed “without prejudice to criminal sanctions”, thus ruling out exclusive application of the (criminal) lex specialis. Although the rationality of this punitive system has been deservedly questioned by legal scholars and by judicial decisions since its entry into force, (17) the legislator’s reasoning – however flawed in its blatant conflict with the ne bis in idem principle – does not seem to substantially diverge from the logic underpinning one of the possible outcomes of the sanctioning framework devised by Reg. (EU) No. 596/2014 (MAR) and Directive 2014/57/EU (MAD II). The reformed EU market abuse regime has indeed increased the risk that national provisions violate the ne bis in idem principle, although Member States are bound by Arts. 50 and 51 CFR when implementing EU law. (18) On the one hand, the EU legislator has confirmed the duty to implement administrative sanctions for insider dealing, improper disclosure of inside information, and market manipulation, and has established that the maximum fine shall be at least 5 million euros by the Italian Republic was null and void by reason of its vagueness, as it made no reference to any specific criminal provision (Grande Stevens, §§ 210‑1; the first rule punishing market manipulation was introduced in Italy by Art. 5 law No. 157 of May 17, 1991, shortly before the reservation was included on November 7, 1991). As the administrative sanctions imposed on the claimants were criminal in nature (Grande Stevens, § 222), the Court concluded that the case fell under the application of Art. 4 of the Protocol. 16. See F. Viganò, “Doppio binario sanzionatorio e ne bis in idem: verso una diretta applicazione dell’Art. 50 della Carta?”, Diritto Penale Contemporaneo (2014), at 10, available at www.penalecontemporaneo.it, who also refers to the dissenting opinions rendered in Grande Stevens. 17. See e.g. M. Vizzardi, Manipolazione del mercato: un “doppio binario” da ripensare?, Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale, 2006, 704 ss.; see also Court of Cassation, No. 15199 (supra fn. 10). 18. Members States are undoubtedly implementing EU law in such cases, so that even a narrow interpretation of Art. 51 CFR would suffice to ensure CFR applicability (see in general J. Tomkin, “Article 50”, in S. Peers et al. (eds), The EU Charter of Fundamental Rights. A commentary, Oxford, 2014, at 1385‑8). In any event, a wider interpretation of Art. 51 is established in ECJ, C-­617/10, Åklagaren v. Åkerberg Fransson, 26 February 2013, ECLI:EU:C:2013:105 (acting within the scope of EU law, even if not directly transposing it, suffices for CFR to apply), which also clarified that Art. 50 includes cases where a criminal and officially administrative (but substantially criminal) proceedings are combined. 26

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which would easily qualify as criminal for the purposes of the ECHR. On the other hand, the EU legislator has also provided that Member States “may” decide not to lay down such rules when the relevant conduct is already punished by a criminal provision (Art. 30(1)(2) MAR). Criminal provisions – including imprisonment – are however mandated for violations that are serious and committed intentionally (Arts. 3‑5 and 7 MAD II), so that the wording of the two instruments would seem to allow a system where the same conduct can be punished under the two prohibitions. This would easily result in double jeopardy in Member States where criminal and administrative prosecutions are equally mandatory. The admittedly weak rationale of such a regulatory framework seems to be that whilst administrative sanctions are deemed sufficient for minor infringements, a quick assessment and, where appropriate, a relatively lighter punishment are ensured for major violations in anticipation of a more deliberate consideration within criminal proceedings. (19)

The reformed EU

market abuse regime has increased the risk that national provisions violate the ne bis in idem

principle.

B.  Procedural rules Not only does Art. 4 of Protocol No. 7 prevent multiple sanctions for the same violation but it also sets the right not to be tried twice. At the time the application was filed with the ECtHR in Grande Stevens, the criminal case was still pending before the Italian Court of Cassation, before which the parties brought the action after being acquitted by the Tribunal in the first instance (20) and subsequently convicted by the Court of Appeal (21) (a first decision by the same 19. G.M. Flick and V. Napoleoni, “Cumulo tra sanzioni penali e amministrative: doppio binario o binario morto?”, Rivista delle società 2014, at 955. 20. See Tribunal of Turin, 21 December 2010 (supra fn. 10). 21. Court of Appeal of Turin, 21 February 2013 (released 28 February 2013), No. 702.

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Court of Cassation (22) had previously overturned the initial acquittal). Grande Stevens is therefore primarily focussed on the procedural aspects of the ne bis in idem principle as the individuals charged with criminal violations had not been subject to any multiple sanctions at the time the action was brought before the ECtHR or later. The enforcement of criminal sanctions was in fact barred by limitation before the ECtHR decision was published. (23) During the criminal proceedings, the defendants invoked the Italian provisions on the ne bis in idem principle in order to avoid a double sanction. The request was based mainly on Art. 649 of the Italian Code of Criminal Procedure (CCP), which states that a person who is acquitted or convicted with a ruling become res iudicata cannot be tried again for the same facts even though the new accusation gives a different legal qualification of the facts. (24) The Italian judges rejected the request on the basis that, in the wording of Art. 649, only decisions given in criminal proceedings are mentioned as a condition preventing other trials from being initiated on the same facts, while convictions or acquittals further to administrative sanctions procedures (or at the outcome of the judicial proceedings where such sanctions are reviewed) cannot be considered equivalent in this respect. The approach of the Italian Court of Cassation is based on an official definition of the sanctions and is therefore at odds with the autonomous meaning of “criminal charge” within the ECHR. In light of the criminal nature of the administrative measures set forth by Art. 187-­III CLF, Grande Stevens found a violation of Protocol No. 7 in that the criminal proceedings, which started after the commencement of the administrative ones, were not dismissed as soon as the administrative sanctions had become res iudicata, in spite of the specific ex parte request to this effect.

III. Avoiding double jeopardy in Italy after Grande Stevens It is little surprise that Grande Stevens has triggered a lively exchange of views amongst scholars and within the Italian institutions. While the debate continues 22. See Court of Cassation, 20 June 2012 (supra fn. 11). The acquittal by the Turin Tribunal was challenged directly (per saltum) before the Court of Cassation under Art. 569 CPP, which allows to skip the appeal procedure. 23. Italian Court of Cassation (Criminal Section I), 17 December 2013, No. 19915 (released 14 May 2014). 24. If the criminal procedure is initiated despite the prohibition, the judge shall immediately dismiss it declaring that this is needed to avoid double jeopardy. If, notwithstanding such provisions, two decisions convict the same person for the same facts, double punishment is excluded by Art. 669 CPP. 2015/1

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at the time of writing, some general patterns are already identifiable and will be summarised in the remainder of the article. In general, both for issues related to substantive law and for issues concerning procedural aspects, the question arises whether – and to what extent – an alternative interpretation of existing rules that takes into account ECtHR case law can work as a substitute for legislative reforms. Although there is a common understanding that some amendments to the current regulatory framework are needed to fully comply with Grande Stevens, opinions diverge as to the contents of these modifications and, likewise, as to the degree of flexibility of the current provisions that might, according to a new interpretation, accommodate some of the criticisms raised by the ECtHR.

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Avoiding bis in idem in Market Abuse Enforcement after Grande Stevens: The Case of Italy

Although there is a

common understanding that some amendments to the current regulatory framework are needed to fully comply with Grande Stevens, opinions diverge as to the contents of these

modifications.

A.  Substantive rules One quick way to solve the double jeopardy problem might be a different interpretation of the opening statements of Art. 187-­II and 187-­III CLF that make both rules applicable “without prejudice to criminal punishment whenever the infringement qualifies as a crime”. (25) Some commentators have suggested, in the wake of the MAD implementation and long before Grande Stevens, that an appropriate reading of 25. A.F. Tripodi, “Uno più uno (a Strasburgo) fa due. L’Italia condannata per violazione del ne bis in idem in tema di manipolazione del mercato”, Diritto Penale Contemporaneo (2014), at 10, available at www.penalecontemporaneo.it.

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

the reported statement would avoid double jeopardy issues. (26) These scholars have proposed that the caveat at the beginning of each administrative rule represents, not a derogation, but a confirmation of the general principle that lex specialis overrides lex generalis, so that administrative measures should not apply whenever an infringement also qualifies as criminal. Hence, the “without prejudice” clause should be considered as a synthetic expression whose actual meaning is, more appropriately, “without prejudice to [cases where no administrative sanction can apply because the conduct already entails] criminal punishment.” However, the vast majority of commentators and the Italian Court of Cassation (27) reject this approach. Not only such a reading would force the interpretation of an apparently clear wording, but the legislator usually has recourse to different expressions when it wants to ensure priority to lex specialis, the most typical formulation being: “unless the conduct also qualifies as a criminal violation”. (28) Most importantly, Art. 187-­XIII CLF provides that criminal pecuniary sanctions shall be reduced by an amount equal to that of administrative pecuniary sanctions already applied to the same facts. (29) Reference to the same facts undoubtedly shows that the law considers multiple sanctions as a functional outcome. It goes without saying that this solution is far from satisfactory from the point of view of Art. 4 of Protocol No. 7 because, according to ECtHR case law, capping the amount of a global sanction (accounting principle or principle of deduction) is not sufficient to avoid double jeopardy. (30) 26. Other scholars have instead argued, as for market manipulation, that the descriptions of the relevant conducts by the administrative and the criminal rules refer to different behaviours and could not therefore bring a double sanction (A. Crespi, “Manipolazione del mercato e manipolazione di norme incrminatrici”, Banca borsa titoli di credito, 2009, II, 123). Similarly the Italian Court of Cassation, No. 15199 (supra fn. 10) (Art. 185 CLF applies to fraudulent or deceptive conducts, while Art. 187-­III CLF to other cases). 27. See Italian Court of Cassation 17 December 2013 (supra fn. 23) given in the Grande Stevens case (incipit of Art. 187-­III clearly allows double punishment, but this does not violate the ne bis in idem principle). See similarly Court of Cassation (Criminal Section V), 10 November 2014 (released 15 January 2015), No. 1782. 28. See e.g. Art. 192-­II CLF (unless the infringement constitutes a criminal offence – e.g. because disseminating misleading information can result in market manipulation – violation of the periodical disclosure duties concerning the corporate governance of listed companies represents an administrative violation). 29. A similar provision is in force in France (Art. L 621‑16 Monetary and Financial Code; see Matsopoulou (supra fn. 15), at 681). 30. See J. Vervaele, “Ne bis in idem: Towards a Transnational Constitutional Principle in the EU?”, 9 Utrecht Law Review 211 (2013), at 218. The ECJ has been more lenient in this respect and has sometimes considered the accounting principle as a decisive factor to exclude 28

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Italian scholars therefore generally agree that a practicable solution can only be found de lege ferenda, but there is still a high degree of uncertainty with this solution. A legislative amendment that simply clarified that the administrative provisions, in their current wording, only apply when conduct does not qualify as criminal would substantially deprive the Italian legal system of any administrative prosecution, in light of the widely overlapping formulations reported above. Unfortunately, a similar result may derive from the cases recently referred to the Italian Constitutional Court after the Italian Court of Cassation deemed that the current formulation of Art. 187-­II CLF is likely to violate the ne bis in idem principle and should therefore be declared unconstitutional. (31) The referrals are based on Art. 117(1) of the Constitution of the Italian Republic (Constitution), which states that legislative power shall be exercised in accordance with the limits set forth by the European treaties and by other instruments of international law. The referring court is relying on precedents stating that Art. 117(1) allows the Constitutional Court to quash internal provisions that conflict with ECHR rules, by virtue of the Convention’s status as an international multilateral treaty. (32)

A legislative amendment

that simply clarified that the administrative provisions, in their current wording, only apply when conduct does not qualify as criminal would substantially deprive

violation of the ne bis in idem principle in competition law cases (the leading case being ECJ, 14/68, Walt Wilhelm et al. v Bundeskartellamt, 13 February 1969, ECLI:EU:C:1969:4), but scholars stress that the trend seems to have recently changed in the sense of increased convergence with ECtHR case-­law (J. Vervaele, cit., at 222‑3). 31. See Court of Cassation, 10 November 2014 (supra fn. 27). See also Court of Cassation (Taxation Section), 6 November 2014, No. 950 (released 21 January 2015). 32. Constitutional Court, 24 October 2007, No. 348 and 349.

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the Italian legal system of any administrative

prosecution.

Whether these procedures pending before the Consti­ tutional Court will eventually give priority to criminal over administrative rules in their current formulation cannot be predicted at the moment, (33) but clearly such a regime, albeit out of sync with the MAD tendency to favour administrative sanctions (Art. 14(1) MAD), (34) could easily fit with the new European regulatory framework on market abuse, where conduct banned by criminal rules does not need to be punished by administrative measures (Art. 30(1)(2) MAR). However, the inevitable result would be a general slowdown of sanctioning procedures, also for minor violations, and the governance of financial markets supervision would lose a powerful enforcement tool in a context where promptness may matter more than severity. The alternative of giving pre-­eminence to administrative rules, so that criminal bans would become inapplicable in practice, was also considered and immediately rejected by legal scholars as this would create incoherence in a system where market manipulation outside the scope of financial markets, which is usually less serious, traditionally constitutes a criminal viola33. Although the conflict with the relevant rules with Art. 117 of the Constitution is blatant, it remains unclear whether the Constitutional Court will prefer to remit to the legislator the choice of the preferred one in the presence of a wide array of possible alternative formulations of the CLF (T. Martines, Diritto Costituzionale, 2010, Milan, 504‑5). Furthermore, some scholars have immediately warned that the claim concerning Art. 187-­II CLF – as opposed to the challenge of Art. 649 CCP: see fn. 59 infra and accompanying text – may be rejected because the relevant dispute is a criminal one, and the administrative sanction is not challenged in the same proceeding (see M. Scoletta, “Il doppio binario sanzionatorio del market abuse al cospetto della Corte Costituzionale per violazione del diritto fondamentale al ne bis in idem”, 17 November 2014, available at www.penalecontemporaneo. it). Therefore, the Constitutional Court might consider that the question raised is irrelevant for the decision of the dispute, thus rejecting the claim on the basis of Art. 23 of the law dated 11 March 1953, No. 87 (proceeding shall be stayed and the question of constitutionality shall be referred to the Constitutional Court only in case the referring court cannot decide without a clarification on such question). Court of Cassation, 6 November 2014 (supra fn. 31) originates instead from an administrative case, but it focuses only on substantive law issues, thus disregarding the procedural implications of Art. 4 Protocol No. 7 (see R. Ristuccia, Sanzioni a doppio binario, available at fchub.it). 34. G.M. Flick and V. Napoleoni (supra fn. 19), at 982. See also Court of Cassation, 10 November 2014 (supra fn. 27). 2015/1

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tion. (35) To be sure, a reform might easily solve such problems, as nothing would prevent the passing of an amendment that relaxed punishment for conduct not involving financial markets, but the fact remains that criminal sanctions must be ensured at least for violations that are serious and perpetrated intentionally, as per Arts. 3‑5 and 7 of MAD II.

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Avoiding bis in idem in Market Abuse Enforcement after Grande Stevens: The Case of Italy

In as much as substantial law provisions can be carefully crafted, both the public prosecutor and the supervisor will therefore continue to play a role in market abuse repression through different proceedings but the identification of their respective competences might not be straightforward. Procedural rules need to be suitably designed to prevent under – and over – enforcement, as well as conflicts of competence between the plaintiffs. The next section will address these issues from the perspective of double jeopardy avoidance, while some efficiency considerations will be dealt with in section 3.3 where substantive and procedural issues will be considered jointly.

Both the public

prosecutor and the supervisor will continue to play a role in market abuse repression through different proceedings but the identification of their respective competences might not

be straightforward. B.  Procedural rules

For the reasons explained in section 3.1, the possibility that an administrative procedure and a criminal procedure are carried out simultaneously is quite common in Italy under the existing legal framework and will 35. See e.g. G.M. Flick and V. Napoleoni, “Cumulo tra sanzioni penali e amministrative”, 4 June 2014, at 14, available at www.abi.it.

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

likely remain so in the future. For the time being, the ECtHR has clarified, even after Grande Stevens, that Art. 4 of Protocol No. 7 does not prevent the opening of multiple procedures, (36) as prohibition of bis in idem only applies when a conviction or acquittal are final and cannot be challenged any longer (e.g., because the time-­limit for lodging an appeal has expired). (37) Therefore, nothing seems to impose a revision of the current rule which excludes that a pending criminal prosecution concerning the same facts is a valid reason for staying an administrative sanctions procedure and its subsequent judicial review (Art. 187-­XII CLF). (38) Apart from lis pendens, some scholars have suggested that, for the time being, a proper interpretation of procedural rules could solve some issues of double jeopardy highlighted by Grande Stevens. According to this view, a different reading could be given to Art. 649 CCP whereby a final decision on an administrative measure would be regarded as a criminal one for the purposes of dismissing pending criminal proceedings. (39) Unfortunately, the Italian Court of Cassation has stated, in a decision taken in the Grande Stevens saga, (40) that Art. 649 is clear in considering only criminal convictions or acquittals as a condition for dismissing a criminal procedure, so much so that a different reading cannot be reached even in the light of obligations stemming from international treaties. Some scholars have counter-­argued that, after Grande Stevens, there is no reason not to reconsider this restrictive approach, since the ECtHR has stated 36. Paradoxically, the Italian Court of Cassation has a more restrictive approach on this issue. It has stated that parallel proceedings – although not banned by human rights protection (at least according to the safeguards established by the ECHR and the CFR) – cannot be started before the same territorial court by the same Office of the Public Prosecutor for the same facts against the same person (Court of Cassation (Joint Criminal Sections), 28 June 2005 (released 28 September 2005), No. 34655). Remarkably, the decision is based on an extensive interpretation of Art. 649 CCP, as the Court acknowledges that this rule has to be regarded just like a specification of the general principle of ne bis in idem, which may apply in a wider array of cases. 37. ECtHR, App No. 11828/11, Nykänen v. Finland, 20 May 2014 (§ 45). 38. For a different opinion see Scoletta, (supra fn. 33) (claiming that Art. 187-­XII would contradict applicability of the ne bis in idem principle to administrative sanctions). 39. Viganò (supra fn. 16), at 14; V. Zagrebelsky, “Le sanzioni della Consob, l’equo processo e il ne bis in idem nella Cedu”, Giurisprudenza italiana, 2014, at 1200. The argument is also based on the extensive interpretation that the Court of Cassation and the Constitutional Court have already given to Art. 649 CCP and, respectively, Art. 529 CPP (which allows dismissal of the procedure should the trial not have been initiated or prosecuted) in order to prevent multiple trials even in the absence of res iudicata: for the Italian Court of Cassation, see supra fn. 36; for the Constitutional Court see ord. 27 July 2001, No. 318. 40. Supra fn. 11. 30

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that the formal qualification of a sanction as administrative is not decisive for the purpose of Art. 4 of Protocol No. 7. This would notably allow compliance with Art. 117(1) of the Constitution. (41) However, the Italian Court of Cassation has repeatedly ruled out a more protective interpretation of Art. 649 CPP, on the basis that in the Italian legal system the power to define a sanction as “criminal” or “administrative” lies with the legislator, and that a judge does not have the discretion to change this qualification. (42) In the Court of Cassation’s view – also shared by some scholars (43) – this limitation derives from the principle of strict legality in the determination of criminal sanctions as enshrined in Art. 25 of the Constitution, according to which no punishment may be inflicted, except by virtue of a law in force at the time the offence is committed. (44) Although the need to ensure legal certainty may justify such a formalistic approach, (45) it remains that the case law of the international courts concerning double jeopardy unambiguously has the final word regarding the qualification of a sanction as criminal as far as judges are concerned, irrespective of a different legal classification. Whether this evaluation has to be performed by a national judge – as provided by the ECJ in Åkerberg Fransson (46) – or by an international Court – as is the case under ECtHR case law – a margin of discretion is left to the judiciary in the light of the flexible Engel criteria, (47) which are applicable within the European Union by virtue of Art. 52(3) CFR. (48) The position of 41. Viganò (supra fn. 16), at 14; F. D’Alessandro, “Tutela dei mercati finanziari e rispetto dei diritti umani fondamentali”, Diritto penale e processo, 2014, 630. On Art. 117 of the Constitution see fn. 32 supra and accompanying text. 42. Court of Cassation, No. 19915 (supra fn. 23); Court of Cassation (Criminal Section VI), 13 January 2014, No. 510 (relying exclusively on the formal qualification of the sanction as criminal on the basis of the principle of legality set forth by Art. 25 of the Constitution. The Court clearly misreads the Engel criteria and dismisses the standard of the severity of the sanction as idiosyncratic). 43. F. De Amicis, “Ne bis in idem e “doppio binario” sanzionatorio: prime riflessioni sugli effetti della sentenza “Grande Stevens” nell’ordinamento italiano”, Diritto Penale Contemporaneo (2014), at 15 and 25, available at ww.penalecontemporaneo.it; M. Brancaccio, “Considerazioni sul principio del ne bis in idem nella recente giurisprudenza europea: la sentenza 4 marzo 2014, Grande Stevens e altri contro Italia”, 8 May 2014, 25, available at www.cortedicassazione.it. 44. See however Court of Cassation, 10 November 2014 (supra fn. 27) (Art. 649 CPP cannot be interpreted so as to extend ne bis in idem to administrative sanctions which are substantially criminal, but Art. 25 of the Constitution does not represent an obstacle to the declaration of its unconstitutionality). 45. De Amicis (supra fn. 43), 24. 46. Supra fn. 18. 47. See supra fn. 3. 48. See ECJ, C-­ 4 89/10, Bonda, 5 June 2012, ECLI:EU:C:2012:319.

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the Italian Court of Cassation shows how difficult it is for the ne bis in idem principle to find its way into the Italian legal system. Art. 25 of the Constitution was in fact established to protect charged persons by preventing criminal accusation in the absence of a previous law provision. The rule is however silent as to the reciprocal case where a sanction is sought that formally qualifies as non-­criminal. In this case, relying upon Art. 25 in order to exclude protection of charged persons makes therefore little sense. (49) A different line of reasoning has therefore tried to overcome Art. 649 CCP so as to circumvent the limitations set by the Italian Court of Cassation to a broader interpretation thereof. While Art. 117 of the Constitution does not allow national judges to disregard national rules conflicting with the ECHR or with an ECtHR judgment (50) – which is allowed when the conflict involves European primary or secondary legislation, as per Art. 11 of the Constitution (51) – some scholars stress the direct applicability, (52) within the Italian jurisdiction, of Art. 50 of the Charter of Fundamental Rights. (53) Having the standing of a European provision, Art. 50 may overcome – so the argument goes – Art. 649 CCP whenever a judge considers that an administrative sanction already inflicted is criminal in nature. Direct applicability of Art. 50 CFR offers a coherent solution to some of the problems raised by Grande Stevens on double jeopardy but its consequences are less straightforward than might appear at first sight. First, some scholars have warned that, in this scenario, it would be up to the national judge to assess whether a sanction is substantially criminal. (54) This might bring 49. Convincingly Viganò (supra fn. 16), 15‑6; Flick and Napoleoni (supra fn. 19), at 974. 50. See Constitutional Court, 11 March 2011, No. 80; Italian Court of Cassation (Criminal Section I), ord. 2 July 2008, No. 35555; U. De Siervo, “Recenti sviluppi della giurisprudenza della Corte costituzionale in relazione alla giurisprudenza della Corte europea dei diritti dell’uomo”, available at www.cortecostituzionale.it; see also fn. 32 and accompanying text. 51. Constitutional Court, 5 June 1984, No. 170. 52. See supra fn. 18. 53. Viganò (supra fn. 16), 17; Flick and Napoleoni (supra fn. 19), at 978‑9. See also Tomkin (supra fn. 18), at 1410. Direct applicability of Art. 50 CFR as per Art. 11 of the Constitution also overcomes the opinion (Brancaccio (supra fn. 43), at 25) that the ne bis in idem principle may be violated whenever it would contrast with other constitutional principles because Art. 117(1) does not ground direct applicability of the ECHR (see M. Allena, “Il caso Grande Stevens c. Italia: le sanzioni Consob alla prova dei principi Cedu”, in Giorn. dir. amm., 2014, at 1065). 54. See supra, fn. 46 and accompanying text. See De Amicis (supra fn. 43), 10. See also Court of Cassation 10 November 2014 (supra fn. 27) (as the ECJ and the ECtHR have different understandings on the application of ne bis in idem, direct applicability of Art. 50 CFR would not solve issues of compatibility of Italian law with the ECHR). 2015/1

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about conflicting decisions whenever the ECtHR takes a more protective interpretation regarding the qualification of the sanction: such an outcome might not be exceptional if one considers that national judges could also take into account the European rules that impose effective and dissuasive measures (Art. 30 MAR and Art. 7 MAD II) and that might be violated if a sanction is prevented or quashed, and might therefore prefer to qualify a measure, which the ECtHR would rather consider as criminal, as administrative. (55)

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Avoiding bis in idem in Market Abuse Enforcement after Grande Stevens: The Case of Italy

Direct applicability of Art. 50 CFR offers a coherent solution to some of the problems raised by Grande Stevens on double jeopardy but its consequences are less straightforward than might

appear at first sight.

Secondly, it is not without significance that Grande Stevens condemned Italy not only for the violation of Art. 4 of Protocol No. 7 but also for breach of Art. 6 ECHR. According to the ECtHR, the Consob sanctions procedure did not comply with the rules and case law on fair trial, and the subsequent judicial review could not remedy such shortcomings. (56) The connection between the ne bis in idem principle and a fair trial goes well beyond their common dependence on the criminal nature of the relevant sanction. In applying both principles to the same kind of measures, the ECHR and its seventh Protocol show that only procedures abiding to certain criteria can justify the infliction of a serious punishment – either because of the affliction it gives or because of the ignominy brought about by social dishonour – and, at the same time, can exclude that another trial is carried out concerning the same facts already assessed. Safeguards such as full equality of means as well as impartiality and independence of the persons in charge of taking the final decision on the sanction increase the quality of the procedure because 55. De Amicis (supra fn. 43), 5 and 7. 56. See Grande Stevens (supra fn. 1) §§ 123, 137, 154‑5.

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they improve the information conveyed to the tribunal (pursuant to the meaning of Art. 6 ECHR) and foster unbiased assessments of claims and evidence. (57) Hence, the guarantees set forth by Art. 6, while obviously protecting concerned parties from abusive practices, improve evaluation of the plaintiff’s and the defendant’s opinions and confer legitimacy to judicial (or administrative) decisions. Linking the ne bis in idem principle to (conviction or) acquittal reached at the outcome of a procedure that does not comply with Art. 6 ECHR would contradict such a connection and, according to this argument, would prevent a more accurate assessment of facts during a criminal trial when res iudicata applies through a less reliable administrative procedure. (58) These two arguments – potentially conflicting decisions between national and supranational judges as well as subordination of the ne bis in idem principle to decisions taken in violation of Art. 6 ECHR – would remain valid even if the Italian Constitutional Court quashed Art. 649 CCP as it is currently interpreted by the Italian Court of Cassation. (59) One of the above-­ mentioned actions brought before the Constitutional Court with a view to obtaining a declaration that Art. 187-­III is unconstitutional is indeed also seeking a declaration that Art. 649 violates the commitments Italy has taken on by ratifying the ECHR. It remains to be seen, therefore, to what extent the Court will opt for a direct equivalence of the res iudicata principle in administrative and criminal procedures instead of issuing a decision that only formulates recommendations and remits the solution to the legislator.

C.  Combining substantive and procedural rules. Evaluation of efficiency Avoiding double jeopardy through adequate substantial and procedural rules is enough to comply with Art. 4 of Protocol No. 7. However, while the ECHR 57. Even the privilege against self-­incrimination, which at first sight would seem to hinder administrative enforcement, has been explained in terms of efficiency by virtue of its ability to incentivize those under investigation to report only true information (D.J. Seidmann and A. Stein, “The Right to Silence Helps the Innocent: A Game-­Theoretic Analysis of the Fifth Amendment Privilege”, Harvard Law Review, 2000, at 430). 58. De Amicis (supra fn. 43), 20‑1. 59. It has been a long time since the Italian Constitutional Court first declared that a rule was unconstitutional because it did not contain a certain provision whose presence was necessary, in the Court’s opinion, to comply with the Constitution. In such circumstances, the missing rule is added by the decision itself in the light of general constitutional principles (the leading case is Constitutional Court, 16 December 1970, No. 190). See T. Martines, Diritto costituzionale, Milan, 2010, 503. 32

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does not prevent multiple detection and prosecution, it is up to the national legislators to devise a coherent framework that avoids duplication of investigation costs for prosecutors and market participants alike (60) in a system where only one (substantially) criminal sanction can apply. In Italy, enhanced coordination between Consob and the Office of the Public Prosecutor will be necessary to avoid wasting resources in multiple investigations and trials before one of the two proceedings is finally decided.

While the ECHR does not

prevent multiple detection and prosecution, it is up to the national legislators to devise a coherent framework that avoids duplication of investigation costs for prosecutors and market

participants alike.

As for investigations, the Italian legal framework already facilitates cooperation and exchange of information. Art. 187-­X CLF ensures that Consob provides support to the Office of the Public Prosecutor in monitoring the market and identifying possible violations, (61) so that a weakened role of administrative sanctions in serious infringements following the implementation of MAD II would not necessarily represent a waste of the supervisor’s expertise in detecting market abuse violations and in gathering evidence thereof.

60. EU Commission, Green Paper on Conflicts of Jurisdiction and the Principle of ne bis in idem in Criminal Proceedings (COM(2005) 696 final), 31 December 2005, at 3. 61. In spite of the unclear wording of Art. 187-­X CLF, it is commonly understood that Consob has the power and the duty to detect infringements and to report possible criminal violations to the Office of the Public Prosecutor not only upon the latter’s request but also on its own initiative.

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Coordinating the efforts of the judiciary in the subsequent steps will be more difficult. Flexible solutions allowing a case-­by-­case decision on the commencement of a criminal or an administrative proceeding, on the UK model, (62) are not easily conceivable in Italy. Criminal prosecution is indeed mandated by constitutional provisions (Art. 112; see also Art. 50 CPP) and the opening of an administrative sanctions procedure is mandatory, too (see Art. 187-­VII CLF (63)). This also explains why procedural rules alone cannot avoid the inefficiencies of overlapping procedures and adequate substantive rules are needed in order to distinguish the respective competences of the supervisor and the public prosecutor. The simplest solution would be one where criminal punishment is confined to intentional infringements that, at the same time, (64) can seriously hamper investor confidence, while administrative sanctions will apply solely to violations that only mildly affect the markets or, in any event, are carried out with negligence. (65) However, drawing a precise boundary between administrative and criminal violations will be far from easy. First, identifying the relevant mens rea may not be simple at the beginning of the investigations, (66) so that enhanced coordination on the basis of Art. 187-­X will be needed to reduce multiple prosecutions. Secondly, distinguishing serious infringements from mere misdemeanours would require a precise quantification of the criteria set forth by Recitals 11 and 13 of MAD II, such as the impact on the integrity of the market, the actual or potential profit, and the level of damage caused to 62. See UK FCA Enforcement Guide, sections 12.7‑12.10 (listing the criteria the FCA considers when deciding whether to commence a criminal prosecution for market misconduct rather than impose an administrative sanction for market abuse). Although the UK has opted out of MAD II, such a framework would ensure flexibility in countries compelled to introduce criminal sanctions. 63. See G. Vegas, “Annual market speech”, 2013, at 19, available at www.consob.it (claiming for more flexible rules that provide for Consob’s discretion in excluding prosecution of trivial infringements). 64. Recital 10 MAD II clarifies that criminal punishment is mandated when the infringement is both intentional and serious. 65. On the contrary, reducing administrative sanctions to such an amount that would exclude their qualification as criminal measures (as suggested by Brancaccio (supra fn. 43), 26) would not be a viable solution, as under ECtHR standards only negligible punishments would pass this test (Allena (supra fn. 53), at 1065). 66. It is not unusual to read, in the motivation of administrative sanctions applied by Consob, that a market abuse infringement was perpetrated “at least” with negligence (see e.g. Consob sanction No. 17071 (supra fn. 9)). Such broad formulation is an easy way out when intentionality cannot be easily demonstrated, but in the future prosecutors will have to put more efforts into assessing the psychological element of the violation in order to avoid procedural conflicts. 2015/1

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investors. (67) Even in the unlikely scenario where figures were specified, assessing the precise entity of the variables set by the relevant rules would prove impossible in most cases. Hence, overlapping competences will in any event bring about the risk of positive and negative conflicts of competence. While rules on the ne bis in idem principle will avoid double jeopardy, the risk of loopholes for cases where only criminal action is initiated (68) and the final decision excludes gravity or intention may be avoided by referring the case to Consob for subsequent administrative acts. (69)

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Avoiding bis in idem in Market Abuse Enforcement after Grande Stevens: The Case of Italy

IV.  International aspects of the ne bis in idem principle While Art. 4 of Protocol No. 7 focuses on double jeopardy “under the jurisdiction of the same State”, Art. 50 CFR prevents starting new trials against persons who have already been finally convicted or acquitted of the same offence in another Member State. (70) As per Art. 52(3) CFR, Grande Stevens will therefore also play a role in the prevention of double jeopardy on a cross-­ border basis, all the more so under the new EU market abuse regime. The risk that multiple administrative – but substantially criminal – sanctions are inflicted is indeed increased by the concurrent competences assigned to national authorities of the place where a violation is taking place and to national authorities of the place where a relevant trading venue operates (Art. 10 MAD; see now Art. 22 MAR). For sanctions that are criminal also in their form, similar problems stem from the concurrent jurisdictions of the country where an offence has been committed in whole or in part and of the country of nationality of a person under investigation (Art. 10 MAD II).

67. Distinguishing administrative and criminal sanctions exclusively on the basis of the mens rea might simplify these problems, but would also make the administrative sanctions residual and would require lengthy criminal proceedings also for trivial violations. 68. E.g. because Consob and the Office of the Public Prosecutor agree that the violation amounts to a crime. 69. A similar system was put in place after the implementation of the MAD, when insider trading by secondary insiders was downgraded to an administrative violation (see fn. 8), in order to avoid that infringements that were subject to an ongoing criminal prosecution at that time could go unpunished (see Art. 9(6) l. 18 April 2005, n. 62). 70. Other treaties contain similar provisions, which will not be taken into account here: see e.g. Art. 54 of the 1990 Convention Implementing the Schengen Agreement of 1985; Art. 7 of the Convention on the Protection of the European Communities’ Financial Interests; Art. 10 of the Convention on the Fight Against Corruption.

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

As per Art. 52(3) CFR,

Grande Stevens will play a role in the prevention of double jeopardy on a cross-­border basis, all the more so under the new EU market abuse

regime.

Even if direct applicability of Art. 50 CFR prevents double jeopardy, the possibility that overlapping proceedings are opened across the EU increases the need for coordination amongst public prosecutors and/or national supervisors operating in different countries, just as within the national context. Limitations to investigators’ ability to coordinate with their counterparts operating in other countries may stem from national rules that mandate prosecution with no explicit exceptions for multi-­jurisdictional cases. Coordination and cooperation might be easier among supervisors thanks to the European Securities and Markets Authority’s role under Art. 31 and 35 Reg. (EU) 1095/2010. Furthermore, Art. 25 MAR provides that national competent authorities shall cooperate among themselves and with their respective national judicial authorities. In Italy, concerns are instead raised with regard to criminal cases, because the possibility that a prosecution will be dismissed when an overlapping action is carried out in another EU Member State is debated. According to some scholars, no such discretion is left to the Office of the Public Prosecutor, (71) 71. See e.g. M. Panzavolta, “Il giudice nazionale nell’ordinamento europeo: presente e futuro”, in M.G. Coppetta (ed.), Profili del processo penale nella Costituzione europea, Torino, 2005, at 139; G. De Amicis, Coope-

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while others believe more flexibility can be exercised under an updated interpretation of Art. 112 of the Constitution that attaches relevance to initiatives taken in other EU Member States. (72) The judiciary has also been sometimes open to this possibility, although not conclusively. (73) Against this backdrop, scholars stress that the EU statutory measures on mutual legal assistance and mutual recognition in criminal matters are limited in their effectiveness, (74) as recognition of criminal actions carried out in other Member States is mandatory only for final judgments, it being optional for prosecutions. Overall, the combination of the EU and the Italian legal framework may therefore not always avoid that overlapping criminal actions simply come to an inefficient “first-­come, first-­served” outcome. (75) The same holds true for the relationship between criminal and administrative actions, as no clear system for coordination is established between competent supervisors and judicial authorities in different Member States. razione giudiziaria e corruzione internazionale, Milan, 2007, 353‑4 (Eurojust may ensure coordination among criminal proceedings in different countries only where criminal prosecution is not mandatory. As for Italy, a clearer legal basis is needed in order to exclude that prosecution is mandated when other initiatives are carried out within the EU). 72. See e.g. F. De Leo, “Le funzioni di coordinamento di Eurojust”, Cassazione Penale, 2014, at 1116; M.L. Di Bitonto, “Eurojust e i conflitti di giurisdizione”, in L. Filippi et al. (eds.), La circolazione investigative nello spazio giuridico europeo: strumenti, soggetti, risultati, Padova, 2010, at 41‑2. 73. An oft-­ quoted decision is Tribunal of Bolzano, 22 December 2004 (if a crime is punishable both in Italy and in another EU Member State, the case may be dismissed whenever a criminal case is already initiated in that foreign jurisdiction). 74. See e.g. Art. 3(1)(2) Framework Decision 2002/584/ JHA – on the European arrest warrant and Art. 13(1) (a) Framework Decision 2008/978/JHA – on the European evidence warrant. The Framework Decision on prevention and settlement of conflicts of exercise of jurisdiction in criminal proceedings (2009/948/JHA) and the Eurojust decisions (2002/187/JHA; 2009/426/ JHA) are equally unable to ensure that coordination is always reached: see e.g. J. Vervaele, “Ne Bis In Idem: Towards a Transnational Constitutional Principle in the EU?”, 9 Utrecht Law Review 211 (2013), 222 (the 2009 Framework Decision does not contain any prioritization of jurisdiction or stringent criteria for centralized prosecutions). 75. See EU Commission Green Paper (supra fn. 60), at 3.

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Le cumul des sanctions pénales et administratives en droit financier canadien

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Le cumul des sanctions pénales et administratives en droit financier canadien

Stéphane Rousseau Professeur titulaire de la Chaire en gouvernance et droit des affaires, Université de Montréal

Des deux côtés de l’Atlantique, il existe un fort consensus quant à l’importance de réprimer les abus de marché. De fait, au cours des dernières années, les mesures de répression des abus de marché ont été considérablement renforcées. Ce renforcement a soulevé le débat de la légalité du cumul des sanctions en droit financier européen. Au Canada, cette question a été abordée par les tribunaux en regard de la protection constitutionnelle contre le double péril. La réponse des tribunaux est passée par la qualification des sanctions administratives pécuniaires comme n’étant pas de nature pénale. There is a strong consensus on both sides of the Atlantic as to the importance of sanctioning market abuses. Indeed, in the recent years, there has been a steady reinforcement of the measures that seek to deter market abuses. This has raised the issue of the legality of double sanctions, criminal and administrative, for the same violation. In Canada, courts have addressed this question in light of the constitutional protection against double jeopardy. Courts have answered the question by qualifying administrative penalties as not being penal in nature. Des deux côtés de l’Atlantique, il existe un fort consensus quant à l’importance de réprimer les abus de marché, qu’ils soient sous la forme de la manipulation de cours, de délit d’initiés ou de la communication d’informations fausses ou trompeuses. Ce consensus s’explique par l’impact des abus de marché sur les investisseurs et sur le bon fonctionnement du marché. S’ils devaient se généraliser, les abus de marché viendraient éroder la confiance des investisseurs et porter atteinte à la viabilité du marché en menant à un exode de capitaux. Toutefois, la nature et la portée des mesures de lutte contre les abus de marché font l’objet de débats.

La nature et la portée des

mesures de lutte contre les abus de marché font l’objet de débats.

S’agissant de la nature des mesures, deux thèses s’affrontent (1). Selon la thèse de la dissuasion, l’application 1. T.F. Malloy, « Regulation, Compliance, and the Firm », (2003) 76 Temp. L. Rev., pp. 451, 461‑462 ; M. Condon, « Rethinking Enforcement and Litigation in Ontario Securities Regulation », (2006) 32 Queen’s L.J., p. 1; C.L. Ford, « New Governance, Compliance, 2015/1

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de la réglementation s’envisage au regard du modèle du choix rationnel selon lequel les individus et les entreprises visent à maximiser les profits. Dans cette perspective, la contravention à la réglementation survient lorsque les avantages retirés excèdent les coûts de la contravention en tenant compte de la probabilité de détection de celle-­ci. Deux facteurs influent sur les intervenants dans leur décision de respecter la réglementation : 1) la sévérité de la sanction ; 2) la probabilité de détection de la contravention et d’imposition de la sanction. Selon la thèse de la conformité, les individus ont une propension générale à respecter les règles de droit en adhérant à la norme de la conformité selon laquelle une réglementation légitime et compréhensible doit être observée. Le respect de la réglementation ne découle pas de la dissuasion, c’est-­à-­dire de l’impact de la sanction en cas de contravention, mais plutôt d’une culture de la conformité. Le rôle de la réglementation est donc d’inculquer cette culture de conformité. Bien que la thèse de la conformité reçoive un appui certain tant dans la sphère théorique que pratique, son influence dans le choix des instruments destinés à endiguer les abus de marché demeure marginale en Amérique du Nord. Dans l’arrêt Branch (2), la Cour suprême du Canada a souligné que les sanctions en droit financier sont destinées à inciter au respect de la réglementation et à décourager les formes préju-

2.

and Principles-­Based Securities Regulation », (2008) 45 Am. Bus. L.J., p. 1. British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 RCS 3.

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diciables de conduite sur les marchés. De même, au cours des dernières années, les mesures de répression des abus de marché ont été considérablement renforcées. En Europe, la prédominance de la thèse de la dissuasion est bien mise en relief par les propos du Professeur Rontchevsky qui note que « (l)e renforcement de la répression des abus de marché est devenu l’un des objectifs majeurs du droit européen en matière financière » (3). De ce choix en faveur de la thèse de la dissuasion découle le second débat qui concerne la portée des mesures de répression. Au cœur de ce second débat se situe la question du cumul des sanctions pénales et administratives lors d’infractions d’abus de marché. Pour formuler l’enjeu clairement : des mêmes faits matériels peuvent-­ils « donner lieu simultanément ou successivement à des poursuites administratives et pénales » (4) ? La légalité du cumul des sanctions est à l’avant-­plan de l’actualité en droit financier européen (5). Mais l’intérêt qu’elle suscite ne se limite certainement pas à l’espace européen. En effet, cette problématique interpelle la règle fondamentale non bis in idem. Or, cette règle, qui est généralement désignée « Double Jeopardy » ou « double péril » en droit anglo-­américain, est consacrée tant dans la Charte canadienne des droits et libertés (6), le Bill of Rights des États-­Unis, que dans de nombreux textes internationaux relatifs aux droits de la personne. Le cumul des sanctions fait donc l’objet de discussions en Amérique du Nord (7). 3. 4.

5.

6.

7.

N. Rontchevsky, « Vers un renforcement et une rationalisation de la répression des abus de marché », Bull. Joly Bourse, 1er mars 2012, n° 3, p. 139. N. Rontchevsky, « Pour en finir avec une acrobatie intellectuelle française : retour sur le cumul des procédures administratives et pénales en matière d’abus de marché », Bull. Joly Bourse, 1er décembre 2012, n° 1, p. 610. Cf. A.-­D. Merville, « Non bis in idem et abus de marché », Bull. Joly Bourse, 1er juillet 2014, n° 708, p. 371 ; F. Drummond, « Le fabuleux destin de la règle non bis in idem », Bull. Joly Bourse, 31 décembre 2014, n° 12, p. 605 ; N. Huet, « La directive relative aux abus de marché du 16 avril 2014 affaiblit encore la position de la France sur le cumul des sanctions », Lettre CREDA – Sociétés, n° 2014‑18 ; Quelle stratégie face aux abus de marché ? Réparer, transiger, sanctionner, Colloque du CREDA, 27 novembre 2013. Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-­U), 1982, c 11 (ci-­après Charte canadienne des droits et libertés). Non seulement en droit financier, mais également en droit de l’environnement. V. P. Michel, « Droit pénal et sanctions administratives pécuniaires : quelques considérations pour prévenir la confusion des genres et faciliter la cohabitation », in Conférence des juristes de l’État, XXe Conférence – Redéfinir la gouvernance publique, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 529 ; J. Campion et A. Di Domenico, « The Constitutionality of Administrative Monetary Penalties Under

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Dans cette perspective, l’objectif de l’étude consiste à présenter la position canadienne relativement au cumul des sanctions pénales et administratives, en nous concentrant plus particulièrement sur les sanctions administratives pécuniaires. Nous présenterons le dispositif canadien en matière d’abus de marché où coexistent les sanctions pénales et administratives pécuniaires (I). Nous discuterons ensuite du cumul des sanctions dont la légalité a été reconnue par les tribunaux, même en regard de la règle non bis in idem (II).

I.  Le dispositif canadien en matière d’abus de marché : la coexistence des sanctions pénales et administratives pécuniaires A.  Les organes de régulation des marchés financiers 1.  Les commissions des valeurs mobilières Au Canada, les commissions des valeurs mobilières ont traditionnellement constitué les principaux organismes de réglementation des marchés financiers (8). Les commissions sont des organismes administratifs provinciaux autofinancés chargés de l’administration de la loi sur les valeurs mobilières et de la législation connexe. Elles sont définies comme étant des organismes « intégrés » ou « multifonctionnels » en ce sens qu’elles exercent des fonctions réglementaires et décisionnelles. Les commissions sont dirigées par un bureau d’administrateurs composé de commissaires désignés par le gouvernement. Plus spécifiquement, les commissions exercent leurs fonctions législatives en établissant des règles et en élaborant des politiques. Elles participent en outre aux enquêtes et à l’application de la loi. Le personnel des commissions enquête sur une éventuelle contravention à la loi ou au règlement sur les valeurs mobilières. Au besoin, le personnel engagera des poursuites pour les faire observer. Les commissions exercent des fonctions décisionnelles par le truchement d’audiences tenues devant des comités de commissaires. Les commissions ont compétence sur une vaste gamme de questions, dont les appels interjetés à l’égard des décisions prises par le personnel, les dispenses, les offres publiques d’achat et les the Competition Act : Is Rowan a Full Answer? », CPI Antitrust Chronicle, septembre 2012, (1), p. 1. 8. D. Johnston et K.D. Rockwell, Canadian Securities Regulation, 4th Toronto, Paris, LexisNexis, 2006, pp. 63‑130.

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mesures disciplinaires. Elles approuvent également les règlements à l’amiable conclus par leur personnel et les défendeurs.

2.  L’Autorité des marchés financiers En 2003, le Québec a délaissé le modèle de la commission des valeurs mobilières en créant un organisme d’encadrement unique, l’Autorité des marchés financiers (AMF) (9). L’AMF a la mission d’administrer l’ensemble des lois provinciales régissant le secteur financier, c.-­à-­d. les domaines des assurances, des valeurs mobilières, des institutions de dépôts, de la distribution de produits et services financiers, du courtage en prêts garantis par hypothèque immobilière et des régimes de retraite. Dans le cadre de sa mission, l’AMF a un rôle de surveillance des marchés financiers, de protection des investisseurs et du public et de régulateur du commerce des valeurs mobilières. La loi confère à l’AMF des pouvoirs décisionnels à portée individuelle et générale pour lui permettre d’assumer ses responsabilités. En matière de valeurs mobilières, l’AMF est chargée de l’administration de la Loi sur les valeurs mobilières (LVM), ce qui suppose l’examen des prospectus et des documents d’information, la délivrance de dispenses et de visas relatifs aux prospectus. Elle a également le pouvoir d’adopter des règlements et d’établir des instructions générales pour compléter les régimes édictés par la LVM. En outre, la LVM confère à l’AMF des pouvoirs lui permettant d’appliquer la loi, comme le pouvoir de mener des enquêtes, de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la conformité à la loi et aux règlements et d’imposer des amendes. Toutefois, l’AMF ne dispose pas de pouvoirs d’adjudication. En vue d’assurer la protection du public et l’indemnisation des consommateurs lésés, les procureurs de l’Autorité peuvent introduire des recours devant le Bureau de décision et de révision ou des recours judiciaires devant les tribunaux afin de mettre fin aux manquements des intervenants des marchés financiers. En effet, pour traiter du contentieux financier, le législateur a prévu la constitution du Bureau de décision et de révision (BDR) (10). Le BDR est un tribunal spécialisé autonome qui exerce, à la demande de l’AMF ou de toute autre personne, les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les valeurs mobilières (11) et la Loi sur l’Autorité des marchés financiers. Investi d’une 9. S. Rousseau, L’encadrement du secteur des valeurs mobilières par les provinces, Montréal, Éditions Thémis, 2013, pp. 56‑62. 10. Il est intéressant de noter que le Bureau de décision et révision s’apparente au Tribunal des marchés financiers dont A.-­V. Le Fur et D. Schmidt ont suggéré la création pour agir comme juridiction unique pour traiter du contentieux financier. V. A.-­V. Le Fur et D. Schmidt, « Il faut un tribunal des marchés financiers », Recueil Dalloz, 6 mars 2014, n° 9, p. 552. 11. L.R.Q., c. V-­1.1 (ci-­après LVM). 2015/1

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fonction juridictionnelle, il est indépendant de l’AMF et de toute personne faisant appel à ses services. En ce sens, le Bureau est désintéressé quant à l’issue du litige et agit comme un tiers neutre auquel les parties s’en remettent. À titre de tribunal administratif, il peut trancher des litiges entre l’AMF et des administrés. Il peut également statuer sur des différends mettant uniquement en cause des intervenants du marché.

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Le cumul des sanctions pénales et administratives en droit financier canadien

Les ordonnances du

Bureau de décision et de révision sont de nature réglementaire. Elles ne sont ni réparatrices, ni

punitives.

B.  Les sanctions en matière d’abus de marché 1.  Les sanctions pénales La législation édicte trois grands types d’infractions en matière d’abus de marché : la communication de fausses informations au marché, les délits d’initiés et la manipulation de cours (12). S’agissant de la communication de fausses informations au marché, la loi interdit la transmission d’informations fausses ou trompeuses dans le prospectus, dans les documents préparés dans le cadre du régime d’information continue ou dans la note d’information produite lors d’une offre publique (13). De même, constitue une infraction le fait de formuler des commentaires destinés à susciter indûment la confiance des investisseurs (14). Enfin, la loi comporte des infractions visant les activités des courtiers et conseillers (15). Ainsi, commet une infraction la personne qui, sans être inscrite comme courtier ou conseiller, diffuse auprès des épargnants des renseignements visant à influencer leurs décisions d’investissement et en retire un avantage distinct de sa rémunération normale. 12. Pour une vue d’ensemble, v. S. Rousseau, L’encadrement du secteur des valeurs mobilières par les provinces, op. cit., pp. 151‑168. 13. Art. 196 et 197 LVM. 14. Art. 199 LVM. 15. Art. 200 LVM.

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Comme c’est le cas dans la plupart des pays dotés de marchés financiers développés, la loi (16) crée deux principales infractions destinées à réprimer les délits d’initiés. D’abord, il est interdit aux initiés de transiger sur les titres d’un émetteur lorsqu’ils sont en possession d’information dite « privilégiée » relativement à celui-­ci (17). En outre, les initiés ne peuvent pas communiquer une information privilégiée à une autre personne (18). L’information privilégiée consiste en une information encore inconnue du public qui est susceptible d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable (19). En 2009, les infractions d’initiés ont été complétées par une disposition visant à sanctionner les opérations en avance sur le marché (« front-­running ») (20). La personne qui a connaissance d’une information sur un « ordre important » ne peut effectuer ou recommander à une autre personne d’effectuer une opération sur les titres, ni communiquer à quiconque cette information. Pour les fins de cette interdiction, l’information sur l’ordre important consiste en toute information concernant un ordre, un ordre projeté ou inexécuté d’achat ou de vente d’un titre, ou même l’intention d’effectuer un tel ordre, qui est susceptible d’avoir un effet appréciable sur le cours de ce titre. Finalement, la loi comporte deux infractions visant la manipulation de marché. La première sanctionne la manipulation de cours, c.-­à-­d. le fait d’influencer ou de tenter d’influencer le cours ou la valeur d’un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses (21). La seconde vise la fraude sur les marchés de valeurs. Elle sanctionne la personne qui se livre ou participe directement ou indirectement à une opération qu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir, qu’elle crée ou contribue à créer une apparence trompeuse d’activité de négociation d’un titre, ou un cours artificiel pour un titre ou qu’elle constitue une fraude à l’encontre d’une personne (22). S’agissant des sanctions découlant des infractions d’abus de marché, nous notons un alourdissement constant des peines depuis l’adoption de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec en 1982 qui reflète l’influence de la thèse de la dissuasion. Généralement, la loi prévoit des amendes dont le maximum se situe dans une fourchette calculée en fonction soit d’un montant fixe, soit d’un multiple du bénéfice réalisé. En outre, depuis 2002, les sanctions pénales peuvent s’accompagner, outre l’amende prévue à la disposition pénale applicable, d’un emprisonnement d’au plus 16. Notons que depuis 2004, de nouvelles infractions de délit d’initiés et de communication de renseignements confidentiels se retrouvent à l’article 382.1 du Code criminel. 17. Art. 187 LVM. 18. Art. 188 LVM. 19. Art. 5 LVM. 20. Art. 191.1 LVM. 21. Art. 195.2 LVM. 22. Art. 199.1 LVM. 38

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cinq ans (23). Ces sanctions placent le Québec parmi « [l]es provinces les plus sévères au Canada en matière de répression de crimes économiques liés aux valeurs mobilières » (24).

2.  Les sanctions administratives pécuniaires Le BDR est investi de vastes pouvoirs d’ordonnance (25). Parmi ceux-­ci, se trouve le pouvoir d’imposer une sanction administrative pécuniaire, c’est-­à-­dire une pénalité administrative (26). Le Bureau décrète une telle sanction à l’égard d’une personne qui a, par son acte ou son omission, contrevenu ou aidé à l’accomplissement d’une contravention à la Loi sur les valeurs mobilières ou à ses règlements. Le cas échéant, la pénalité administrative ne peut, en aucun cas, excéder 2 M$ pour chaque contravention. Dans l’exercice de ces pouvoirs d’ordonnance, le BDR est guidé par les principes énoncés par la Cour Suprême du Canada dans les arrêts Cartaway Resources (27) et Asbestos (28). S’appuyant sur ces principes, le Bureau a souligné que ses ordonnances étaient « de nature réglementaire et en ce sens elles ne sont ni réparatrices, ni punitives ; elles visent avant tout la protection et la prévention des risques pouvant porter préjudice au marché financier québécois » (29). Selon le Bureau, les ordonnances peuvent néanmoins « avoir un caractère dissuasif afin d’envoyer un message clair aux intervenants du marché à l’effet que certaines conduites ne sont pas tolérées » (30). À la lumière de ces principes, le BDR a identifié une série de facteurs qu’il considère pour la détermination d’une pénalité administrative. Ces facteurs incluent : 1) la confiance des investisseurs face aux marchés financiers ; 2) la protection des investisseurs et le bon fonctionnement du marché ; 3) la gravité du geste posé ; 4) l’expérience et la réputation de la firme ; 5) l’importance des règles de capital afin d’assurer la solvabilité ; 6) la coopération de la firme ; 7) la dissuasion générale ; 8) l’ensemble des circonstances (31). 23. Loi modifiant la Loi sur les assurances et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2002, c. 70, art. 176. 24. Autorité des marchés financiers, Mémoire préparé dans le cadre de la consultation de la Commission des finances publiques, 14 avril 2006, p. 38. 25. V. S. Rousseau, L’expérience du Québec au regard d’un tribunal administratif indépendant spécialisé en valeurs mobilières : une étude du Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières, Étude de recherche préparée pour le Groupe d’experts sur la réglementation des valeurs mobilières, 2010. 26. Art. 273.1 LVM. 27. Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S. 672. 28. Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), [2001] 2 R.C.S. 132. 29. Autorité des marchés financiers c. David Mizrahi, dossier 2008‑004, décision 2008‑004‑006 (12 mai 2008), p. 12. 30. Ibid. 31. V. S. Rousseau, Législation en valeurs mobilières annotée, 2014‑2015, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014 (art. 273.1).

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II.  Le cumul des sanctions pénales et administratives pécuniaires en droit canadien A.  Distinction entre les sanctions pénales et administratives Au Canada, les tribunaux ont été appelés à distinguer les sanctions criminelles, pénales et administratives aux fins de l’application des garanties constitutionnelles de la Charte canadienne des droits et libertés. La distinction revêt une grande importance, notamment parce que les sanctions administratives ne sont pas soumises aux principales garanties judiciaires telles que la présomption d’innocence, le droit au silence, le droit à une défense pleine et entière et la non-­contraignabilité (32). De plus, les sanctions administratives ne donnent pas ouverture à la protection contre le double péril (« double jeopardy ») qui assure à tout inculpé, d’une part, le droit « de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d’autre part, de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni » (33).

Puisque les sanctions

administratives ne sont pas de nature pénale selon la jurisprudence, l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés n’offre pas une protection contre le double péril résultant du cumul des sanctions.

32. Art. 11 Charte canadienne des droits et libertés ; R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, §§ 23, 24. 33. Art. 11h) Charte canadienne des droits et libertés. 2015/1

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La Cour suprême du Canada a défini l’infraction criminelle comme celle qui porte sur « [d]es actes ou des actions [qui] constituent une conduite qui, en soi, est si odieuse par rapport aux valeurs fondamentales de la société qu’elle devrait être complètement interdite » (34). L’infraction criminelle de par sa nature même « vise à promouvoir l’ordre et le bien-­être publics dans une sphère d’activité publique » (35). L’infraction pénale est rattachée à des régimes réglementaires et vise « généralement à prévenir un préjudice futur par l’application de normes minimales de conduite et de prudence » (36). Autrement dit, « les infractions réglementaires et les crimes expriment deux concepts de faute différents » (37).

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Le cumul des sanctions pénales et administratives en droit financier canadien

La distinction entre les sanctions de nature pénale et administrative est délicate. Selon la jurisprudence, trois critères influent sur la qualification d’une sanction comme étant de nature pénale ou administrative : les objectifs poursuivis par la loi, la raison d’être de la sanction et le processus menant à la sanction (38). En ayant recours à cette grille d’analyse, les tribunaux ont eu l’occasion d’effectuer la qualification des sanctions administratives pécuniaires en droit financier. S’agissant premièrement des objectifs, la jurisprudence a reconnu que l’intérêt public était un élément central de la législation sur les valeurs mobilières (39). La simple existence d’un objectif d’intérêt public n’est pas déterminante en ce qu’il faut examiner le type d’objectif d’intérêt public (40). S’il concerne la malhonnêteté, la fraude ou l’immoralité, l’objectif « sera généralement considéré comme de nature pénale par le tribunal » (41). En revanche, « un objectif d’intérêt public qui relève de la réglementation financière fera généralement partie de la catégorie administrative, non pénale » (42). En effet, dans le secteur financier, la législation « s’inscrit dans le cadre d’un régime de réglementation beaucoup plus vaste de l’industrie des valeurs mobilières au Canada » (43). Elle « vise avant tout à protéger l’investisseur, mais aussi à assurer le rendement du marché des capitaux et la confiance du public dans le système » (44). Deuxièmement, selon la jurisprudence, la raison d’être des sanctions dans le secteur des valeurs mobilières n’est pas de punir afin de produire un effet dissuasif et de réparer un tort causé à la société. Tout en 34. R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, 218‑219. 35. R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, § 23. 36. R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, 218‑219. 37. Ibid. 38. Lavallée v. Alberta (Securities Commission), 2010 BCCA 48. 39. Ibid., § 155 ; McLeod v. Alberta Securities Commission, 2006 ABCA 231. 40. United States Steel Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 176, §§ 48‑49. 41. Ibid. 42. Ibid. 43. Pezim c. Colombie-­Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, 589. 44. Ibid.

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

reconnaissant que la dissuasion soit pertinente dans le régime des sanctions (45), les tribunaux ont considéré que la dimension préventive primait en valeurs mobilières sous la forme de la protection du public et de la préservation de la confiance envers les marchés des capitaux (46). En somme, les sanctions administratives de la législation sur les valeurs mobilières relèvent des « affaires privées, internes ou disciplinaires qui sont de nature réglementaire, protectrice ou corrective et qui sont principalement destinées à maintenir la discipline, l’intégrité professionnelle ainsi que certaines normes professionnelles, ou à réglementer la conduite dans une sphère d’activité privée et limitée » (47). Enfin, « [l]es procédures de nature administrative engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi ne sont pas non plus le genre de procédures relatives à une “infraction” » qui nécessite l’application des garanties constitutionnelles de l’article 11 (48). En ce sens, il a été décidé que des sanctions administratives pécuniaires pouvant aller jusqu’à 1 M$ étaient justifiées par la mission des autorités de réglementation. De telles sanctions, malgré leur importance, ne sont pas pour autant de nature pénale (49).

jugée n’empêche pas une poursuite disciplinaire ou civile suite à une condamnation pénale. L’auteur P. Michel a souligné que l’imposition d’une sanction pécuniaire administrative en amont de la sanction pénale ne présentait pas de préoccupations de principe en regard de la protection contre le double péril (53). Dans cette situation, il estime vraisemblable que le tribunal tienne compte de la sanction pécuniaire administrative dans la détermination de la peine résultant de l’infraction pénale. Ainsi, le « double effet dissuasif » découlant du cumul des sanctions serait évité. En revanche, le cumul d’une sanction pécuniaire administrative à une sanction pénale est critiqué en raison de son « caractère potentiellement oppressif » (54). Plus particulièrement, P. Michel remarque que « puisque l’on peut considérer que l’imposition de la sanction pénale tiendra compte de l’objectif de dissuasion…, la (sanction administrative pécuniaire) qui serait imposée par la suite ne joue plus sa fonction essentielle » (55).

B.  Le cumul des sanctions pénales et administratives pécuniaires

Au cours des dernières années, ces préoccupations ont trouvé écho dans la législation canadienne et québécoise (56). Ainsi, plusieurs lois fédérales interdisent désormais le cumul des sanctions, quelle que soit la séquence (57). Au Québec, certaines lois interdisent le cumul d’une sanction pécuniaire administrative à une sanction pénale (58).

Puisque les sanctions administratives pécuniaires ne sont pas de nature pénale selon la jurisprudence, l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés n’offre pas une protection contre le double péril résultant du cumul des sanctions (50). En ce sens, la jurisprudence a reconnu que le recours pénal ne justifiait pas l’arrêt des procédures civiles ou disciplinaires (51). En outre, un tel recours ne fait pas obstacle à un recours disciplinaire (52). Le principe de l’autorité de la chose

Au final, nous estimons que l’interdiction du cumul retenue par la législation québécoise mériterait d’être privilégiée (59). En effet, nous pouvons envisager des situations où la gravité des actes en cause est telle qu’il est nécessaire d’imposer une sanction pénale au contrevenant en outre de la sanction administrative pécuniaire imposée. Le cas échéant, le calibrage de la sanction pénale relèvera du tribunal appliquant les principes de dissuasion et de dénonciation propres au droit pénal.

45. Re Cartaway Resources Corp., 2004 CSC 26, §§ 60, 61. 46. Lavallée v. Alberta (Securities Commission), 2010 BCCA 48, § 23 ; McLeod v. Alberta Securities Commission, 2006 ABCA 231, § 61 ; Autorité des marchés financiers c. Steven Demers, 10 mars 2006, vol. 3, n° 10, BAMF -­Section Information générale, 9, 31. 47. R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, § 23. 48. Ibid. 49. Rowan v. Ontario Securities Commission, 2012 ONCA 208 (CanLII), §§ 49‑51. 50. P. Michel, « Droit pénal et sanctions administratives pécuniaires : quelques considérations pour prévenir la confusion des genres et faciliter la cohabitation », op. cit., pp. 529, 559. 51. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) c. Beaudoin, 2011 QCCA 2247. 52. Veilleux (Jean-­Marc), (1986) 17 Bull. C.V.M.Q., n° 41, p. A2.

53. P. Michel, « Droit pénal et sanctions administratives pécuniaires : quelques considérations pour prévenir la confusion des genres et faciliter la cohabitation », op. cit., pp. 529, 559. 54. Ibid., p. 559. 55. Ibid., p. 561. 56. À l’étranger, v. Australian Law Reform Commission, Federal Civil and Administrative Penalties in Australia, ALRC 95 (octobre 31, 2002), p. 30 ; New Zeland Law Commission, Civil Pecuniary Penalties, Issue Paper 33 (November 8, 2012), p. 23. 57. V., par exemple, Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, L.C. 2009, ch. 14, art. 13. 58. Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., c. Q-­2., art. 115.14. 59. P. Michel, « Droit pénal et sanctions administratives pécuniaires : quelques considérations pour prévenir la confusion des genres et faciliter la cohabitation », op. cit., pp. 529, 563.

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Le cumul des sanctions administratives et pénales dans le domaine bancaire et financier dans la zone CEMAC

Dossier

Le cumul des sanctions administratives et pénales dans le domaine bancaire et financier dans la zone CEMAC(1)

Pr. Alain Kenmogne Simo

Enseignant de l’Université de Yaoundé II Coordonnateur PMBF-CESAG

Pour lutter contre les abus dans le domaine bancaire et financier, le législateur dans la CEMAC, à l’instar d’autres législateurs, a reconnu aux autorités administratives chargées de contrôler le secteur le droit d’édicter des sanctions administratives. La reconnaissance de ce droit soulève de nombreuses questions parmi lesquelles celle qui fait l’objet de la présente étude, à savoir l’auteur d’un manquement dans le domaine bancaire et financier peut-il se voir appliquer à la fois des sanctions administratives et pénales ? Si dans la zone CEMAC une réponse affirmative ne fait pas de doute, l’admission du cumul n’est pas organisée. Pourtant, elle peut susciter plusieurs problèmes. Like other legislators, in order to fight against abuses in the banking and financial sector, the CEMAC legislator has acknowledged that the relevant administrative authorities in charge of supervising said sector have the right to issue administrative penalties. The recognition of this right raises many questions including the one which is the subject of this article: can the author of a breach in the banking and financial sector receive aggregate administrative and criminal penalties? If in the CEMAC area the answer is positive, the admission of such aggregation of penalties is far from being organized. It can also lead to several problems.

Parmi les éléments qui caractérisent la régulation du secteur économique dans la zone CEMAC, comme celle d’autres pays ou zones, on peut signaler la création d’autorités de régulation spécifiques généralement qualifiées aujourd’hui d’autorités administratives indépendantes (2). Le secteur bancaire et financier n’a pas échappé à ce mouvement consistant à retirer le pouvoir réglementaire aux autorités administratives classiques ou traditionnelles pour le confier à ces nouveaux types d’autorités administratives. Contrairement aux premières qui n’avaient qu’un pouvoir réglementaire, ces nouvelles autorités ont aussi un pouvoir répressif. Ce qui, a priori, semble contrevenir au principe de la séparation des pouvoirs (3) dans la mesure où une même autorité cumule le pouvoir réglementaire et le pouvoir répressif. Pourtant, il est progressivement apparu indispensable qu’une même autorité qui a pour « fonction d’assurer un certain ordre dans un domaine d’activité (le plus souvent économique), puisse encadrer la liberté des opérateurs (économiques) par des 1.

Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. 2. Elles sont aussi appelées agences de régulation. Au Cameroun, il en existe par exemple dans le secteur de l’électricité (ARSEL), dans le secteur des télécommunications (ART), des marchés publics (ARMP)… 3. Pour comprendre l’importance de cette séparation, il convient de rappeler que selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». 2015/1

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mesures appropriées, qui peuvent consister soit en la réglementation de ce secteur d’activité, soit en la répression des infractions que les opérateurs pourraient commettre » (4). À partir de ce moment, il est devenu admis qu’une autorité administrative puisse prononcer des sanctions administratives. La question ici n’est donc pas de savoir si les autorités administratives, dans la zone CEMAC ou ailleurs, peuvent prononcer des sanctions administratives. Mais avec la reconnaissance de ce droit à ces autorités, se complexifie le champ du répressif dans la mesure où la sanction administrative a pris place à côté de la sanction pénale. Cette coexistence soulève dès lors la question de leur différenciation. La question est d’autant plus importante que le risque de confusion est assez grand puisque les deux types de sanction ont vocation à réprimer une infraction et non à prévenir la commission de nouvelles infractions (même si la distinction peut ne pas être aisée à faire dans certains cas) (5) et que le souci de protéger les auteurs des manquements amène à appliquer aux sanctions administratives la plupart des règles de forme (6) et de fond (7) du droit pénal (8). 4. 5. 6. 7. 8.

V. Étude, Les sanctions administratives en droit français, p. 2. Ce qui permet de les distinguer d’autres mesures telles que les injonctions, les mises en garde… C’est le cas du principe du contradictoire. C’est le cas du principe de la légalité, du principe de la non-­rétroactivité, de l’application immédiate de la loi plus douce… Les autorités administratives veillent au respect de ces principes (cf. décision de sanction de la CMF du 4 juillet

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

La reconnaissance aux

autorités administratives du droit de prononcer des sanctions administratives complexifie le champ du

répressif.

Pour les différencier, la doctrine majoritaire recourt essentiellement au critère tenant à l’auteur de la sanction : alors que la sanction administrative est prise par une autorité administrative (9), la sanction pénale est prise par une autorité juridictionnelle (10). Mais ce critère qui est simple dans son énoncé ne l’est pas toujours dans son application puisque la nature de certaines autorités habilitées à prononcer ces sanctions soulève aujourd’hui des débats : sont-­elles uniquement des autorités administratives ou peut-­on considérer, ne serait-­ce que pour certaines, qu’elles ont une fonction juridictionnelle (11) ? En ce qui concerne la Commission bancaire de l’Afrique centrale, par exemple, la Cour de justice communautaire de la CEMAC déclare à son sujet que « … le pouvoir ainsi reconnu à la COBAC de rendre des décisions exécutoires de plein droit et susceptibles de recours devant la Cour de justice confère implicitement et nécessairement un caractère juridictionnel tant auxdites décisions qu’à cet organisme statuant en matière disciplinaire… » (12). Cela dit, au-­delà de la différenciation des sanctions administratives et 2008 à l’égard des sociétés CUD Finance, IROKO Securities LTD, TROKO Financial Products, et leurs dirigeants E. Etonde Ekoto, L. Mbassa et F. Ekam Dick, in Bull. off. de la CMF publié dans le quotidien Cameroon-­ Tribune du 1er août 2008). 9. Elle est définie comme une décision unilatérale prise par une autorité administrative agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique (cf. Étude du Conseil d’État, « Les pouvoirs de l’administration dans le domaine des sanctions », Doc. fr., 1995). 10. Sur la question, en plus des ouvrages classiques de droit administratif, v. M. Guyomar, « La sanction administrative », LPA, 12 janvier 2006, n° 9 (et les références citées). 11. Sur la tendance dans la zone à l’assimilation des autorités de régulation à des organes juridictionnels, v. D.E. Keuffi, La régulation des marchés financiers dans l’espace OHADA, thèse, nos 332 et s., pp. 321 et s. 12. Cf. C.J.C.E., arrêt n° 003/ADD/CEMAC/CJ/02, 16 mai 2002, COBAC c. TASHAL Lawrence, Penant, n° 854, 2006, pp. 114‑132, note Y. Kalieu Elongo. 42

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pénales, la principale question qui se pose et qui nous intéresse ici est de savoir si ces sanctions peuvent être cumulées. Autrement dit, l’auteur d’un manquement peut-­il se voir appliquer des sanctions relevant de l’une et l’autre natures ?

Dans la zone

CEMAC, l’auteur d’un manquement dans le domaine bancaire et financier peut-il se voir appliquer des sanctions administratives et

pénales ?

A priori, on pourrait penser que le principe non bis in idem s’oppose au cumul de ces deux sanctions. Pourtant, même s’ils n’y répondent pas directement, les textes applicables dans la zone CEMAC laissent percevoir plutôt que la réponse est affirmative. Mais s’ils admettent le cumul des sanctions administratives et pénales (I), il convient de dire qu’ils ne l’organisent pas véritablement (II).

I. Un cumul des sanctions administratives et pénales implicitement admis Avant de rechercher ce qui a pu motiver l’admission de ce cumul qui semble contraire à un grand principe de droit (B), il convient d’abord de démontrer que cela est admis dans la zone (A).

A. La preuve de l’admission du cumul des sanctions administratives et pénales L’admission de la possibilité de cumuler les sanctions administratives et pénales résulte de l’interprétation des textes applicables dans les domaines retenus ici : à savoir le domaine bancaire et le domaine boursier.

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Dans ces deux domaines, le pouvoir de sanctionner les manquements est attribué à un organe particulier. Dans le domaine bancaire, il s’agit de la Commission bancaire (COBAC) et dans le domaine boursier, il s’agit de la commission des marchés financiers (CMF) pour la bourse nationale camerounaise et de la commission de surveillance du marché financier (COSUMAF) pour la bourse régionale (13). Mais dans chacun des deux domaines, les textes utilisent des formules qui ne laissent pas planer de doute sur la possibilité que les sanctions que ces autorités peuvent prononcer puissent être cumulées avec des sanctions pénales (14). Ils disposent généralement que leurs sanctions sont prises sans préjudice des sanctions pénales pouvant être prononcées par les autorités judiciaires. C’est le cas de plusieurs dispositions du Règlement général de la COSUMAF et spécialement de ses articles 63 (15) et 64 (16). C’est aussi le cas des articles 19 (17) et 150 (18) du Règlement n° 02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/ CM relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale et de l’article 29 13. Dans la zone CEMAC, il existe actuellement deux bourses : une bourse régionale (la BVMAC) pour l’ensemble des six pays que compte la zone (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine et Tchad) et une bourse nationale au Cameroun (la Douala Stock Exchange). 14. Il en est de même des textes qui régulent le marché régional des pays membres de l’Union monétaire et économique de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA). 15. Ce texte dispose : « Sans préjudice des sanctions pénales pouvant être prononcées par les Autorités judiciaires compétentes, est passible d’une sanction pécuniaire dont le montant est précisé par voie d’instruction de la Commission de Surveillance du Marché Financier, le dirigeant d’une société anonyme faisant appel public à l’épargne et celui disposant, à l’occasion de l’exercice de sa profession ou de ses fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d’un émetteur dont les titres sont négociés à la Bourse Régionale ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur ce même marché, qui réalise ou permet sciemment de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations ». 16. Selon ce texte, « Sans préjudice des sanctions pénales pouvant être prononcées par les Autorités judiciaires compétentes, est passible d’une sanction pécuniaire dont le montant est précisé par voie d’instruction de la Commission de Surveillance du Marché Financier, toute personne qui… ». 17. Aux termes de cet article, « Sans préjudice des sanctions pénales ou autres encourues, la COBAC peut prononcer une ou plusieurs des sanctions disciplinaires suivantes… ». 18. Selon cette disposition, la COBAC peut saisir les instances judiciaires nationales compétentes de tout fait constaté au cours d’un contrôle sur pièces ou sur place susceptible de constituer une infraction pénale. Ce qui ouvre implicitement la possibilité du cumul puisque le texte n’ajoute pas que, dans ce cas, elle devra surseoir à prononcer une sanction. 2015/1

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de l’instruction générale n° 002/CMF/04 relative à la note d’information exigée des émetteurs faisant appel public à l’épargne (19).

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Le cumul des sanctions administratives et pénales dans le domaine bancaire et financier dans la zone CEMAC

Qu’il s’agisse des textes

du domaine bancaire ou de ceux du domaine boursier, l’admission de la possibilité de cumuler les sanctions pénales et les sanctions administratives ne fait donc pas de doute dans la zone CEMAC.

Qu’il s’agisse des textes du domaine bancaire ou de ceux du domaine boursier, l’admission de la possibilité de cumuler les sanctions pénales et les sanctions administratives ne fait donc pas de doute dans la zone CEMAC. Mais qu’est-­ce qui peut justifier cette admission ?

B. Les raisons de l’admission du cumul des sanctions administratives et pénales S’il n’y a pas de doute que les textes dans la zone CEMAC consacrent la possibilité de cumuler les sanctions pénales et administratives, il convient de dire qu’ils le font généralement sans en donner la moindre explication. Pourtant, si l’on peut admettre facilement qu’une sanction soit cumulée avec des mesures non répressives, lorsqu’il s’agit de cumuler deux mesures répressives, le doute est permis dans un système qui consacre parmi ses mesures de protection des individus le principe du non-­cumul des sanctions. La question ayant fait débat, il faudrait recourir aux arguments habituellement avancés dans le débat pour trouver les raisons ayant pu motiver cette position. À ce sujet, la principale raison généralement avancée en 19. En vertu de ce texte, le non-­respect d’une disposition contenue dans la présente Instruction Générale est passible de sanctions administratives et/ou pécuniaires fixées par la Commission, sans préjudice des sanctions pénales éventuelles prévues par la loi.

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

faveur du cumul est la recherche d’efficacité. Une analyse approfondie des textes en vigueur dans la CEMAC peut permettre d’avancer le même souci comme fondement de l’admission du cumul. En effet, cette solution serait de nature à permettre à la répression des manquements dans le domaine bancaire et financier d’atteindre les résultats souhaités, à savoir dissuader les contrevenants éventuels et punir sévèrement les personnes coupables (20). Même si cela semble contrevenir au principe du non bis in idem, on sait depuis longtemps que certains droits – parmi lesquels le droit des marchés financiers – apparaissent comme étant des droits (très) instrumentalisés. Il s’agit de domaines dans lesquels la confiance joue un rôle capital et ce qui est bon pour sa préservation semble alors devoir s’imposer tout naturellement. Dès lors, on peut comprendre que la haute juridiction administrative française n’ait pas jugé ce cumul irrégulier. Mais au moins, elle l’a enserré dans des limites. Ce qui n’est pas explicitement le cas dans la zone CEMAC.

II. Un cumul des sanctions administratives et pénales assurément inorganisé Bien que le principe même du cumul ait suscité des débats, les autorités dans la zone CEMAC l’ont admis sans l’organiser. Ce qui peut être d’autant plus surprenant que la solution est susceptible de soulever de nombreuses interrogations parmi lesquelles deux nous semblent d’une particulière importance : elles sont relatives à la détermination du champ (A) et des modalités (B) du cumul ainsi admis.

A.  Le champ du cumul des sanctions administratives et pénales La recherche du champ du cumul pose le problème de savoir si toutes les sanctions administratives peuvent être cumulées et si tous les manquements peuvent exposer au cumul.

Si seuls les manquements graves devaient exposer au cumul, que doit-on

considérer comme tels ?

20. V. Actes du colloque du 27 novembre 2013 : « Quelles stratégies face aux abus de marché ? Réparer, transiger, sanctionner ». 44

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En ce qui concerne la deuxième question, pour exposer au cumul des sanctions administratives et pénales, il faudrait que les manquements soient passibles des deux types de sanction. Or, seuls les manquements graves devraient exposer aux sanctions pénales, et donc à la possibilité de cumuler celles-­ci avec des sanctions administratives. Cela dit, il convient de relever qu’il n’est pas aisé de dire ce que c’est qu’un manquement grave. Mais en application du principe de la légalité des délits, un manquement dans le domaine bancaire ou boursier n’exposera à une sanction pénale que si un texte l’a prévu (21). Ce principe étant applicable aussi aux sanctions administratives (22), il est possible d’affirmer que pour qu’il y ait possibilité de cumul des sanctions administratives et pénales, ces sanctions doivent au préalable être prévues par des textes. Mais, à notre avis, cela ne devrait pas suffire. Il faudrait, comme cela est généralement le cas, que la possibilité du cumul elle-­ même soit prévue. En conséquence, si l’un des textes instituant l’une des sanctions ne prévoit pas la possibilité de la cumuler avec l’autre, le cumul ne devrait pas être possible (23). Quant à la première question, il convient de dire que les sanctions administratives sont très diverses et variées (24). Elles peuvent être distinguées en sanctions privatives de droits (suspension, fermeture d’établissement…), sanctions morales (publicité) et en sanctions pécuniaires (25). En partant du droit comparé, la question revient à se demander si une sanction administrative pécuniaire, par exemple, peut être cumulée avec une sanction pénale. Contrairement à ce que l’on 21. Il convient néanmoins de préciser que dans la zone CEMAC, comme ailleurs, ce texte n’est pas nécessairement une loi au sens strict. 22. Les différents textes cités ci-­dessus étendent aux sanctions administratives les garanties prévues dans le droit pénal en faveur de la personne concernée. C’est ainsi que le principe du contradictoire est affirmé par l’article 11, alinéa 1er, du Règlement général de la COSUMAF. L’alinéa 2 de ce texte ne crée d’exception que si un motif impérieux impose que la décision soit rendue sans audition préalable. Et même dans ce cas, la personne a le droit de s’expliquer dans un délai de 10 jours après la publication de la décision. De même, les décisions doivent être motivées (article 9) et ne sont exécutoires qu’après notification aux personnes concernées (article 13, alinéa 2). Aux termes de l’article 244, aucune sanction n’est prononcée sans que l’intéressé ou son représentant n’ait été préalablement entendu ou dûment convoqué. Les personnes mises en cause peuvent se faire assister ou représenter par le défenseur de leur choix. 23. La possibilité de cumul se trouve généralement plutôt dans le texte qui prévoit la sanction administrative. L’examen de ces textes laisse apparaître deux types de gravité : une gravité que l’on pourrait qualifier de subjective (l’intention malveillante) et une autre qui serait objective. 24. La principale (et peut-­être unique) certitude aujourd’hui est qu’il ne peut s’agir de sanctions privatives de liberté. 25. Dans le domaine bancaire, ces sanctions sont généralement dénommées astreintes dans la zone CEMAC.

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peut relever dans certains espaces juridiques, l’examen des textes en vigueur dans la zone CEMAC permet de répondre par l’affirmative. Selon l’article 384 du Règlement général de la COSUMAF, par exemple, à l’encontre des auteurs des pratiques visées à l’article précédent (26), la COSUMAF peut, après une procédure contradictoire et sans préjudice des sanctions pénales applicables, prononcer : – une sanction pécuniaire dont le montant est précisé dans une instruction de la COSUMAF ; – ou, lorsque des profits ont été réalisés, une sanction pécuniaire qui ne peut excéder le décuple de leur montant. Il en est de même de l’article 69 qui dispose que « Toute personne qui est reconnue coupable d’avoir violé le serment qu’elle a prêté en application des dispositions du présent Règlement est punie d’une sanction pécuniaire d’un montant fixé par voie d’instruction de la Commission de Surveillance du Marché Financier, et ce sans préjudice des sanctions pénales susceptibles d’être prononcées à son encontre ». Sauf à considérer que les sanctions pécuniaires dont il est question ici ne sont pas des sanctions administratives, il apparaît que les sanctions administratives pécuniaires peuvent être cumulées avec des sanctions pénales.

B.  Les modalités du cumul des sanctions administratives et pénales La possibilité de cumuler les deux types de sanctions crée plusieurs risques, surtout si ces sanctions ne relèvent pas de la même autorité. Or, à ce sujet, même s’il y a une tendance à la juridictionnalisation des autorités administratives, il n’en reste pas moins vrai que les sanctions pénales dont il est question ici sont prononcées pour le moment par d’autres autorités. La preuve en est que dans les textes qui fondent le cumul, il est généralement précisé que « sans préjudice des sanctions pénales susceptibles d’être prononcées par les autorités judiciaires ». Le principal risque créé est celui de la contrariété des décisions. En effet, si les deux procédures peuvent être engagées et menées parallèlement, le risque est grand qu’elles aboutissent 26. L’article 383 considère comme illicites les pratiques ayant pour objet ou pour effet de : – fausser le fonctionnement du Marché Financier Régional ; – procurer, directement ou indirectement, à leurs auteurs ou à des tiers un avantage injustifié qu’ils n’auraient pas obtenu dans le cadre normal du Marché Financier Régional ; –  porter atteinte à l’égalité de traitement et d’information des investisseurs ou à leurs intérêts ; –  faire bénéficier les émetteurs et les investisseurs des agissements d’intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles. 2015/1

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à des solutions contraires. On peut penser que c’est la raison pour laquelle les textes prévoient généralement dans ces domaines que lorsque les autorités judiciaires compétentes sont saisies de poursuites relatives à des infractions, elles doivent informer les autorités administratives concernées (27) ou demander leur avis (COBAC, CMF et COSUMAF)  (28) ou confèrent à ces dernières un pouvoir de saisine des juridictions en cas de constatation des infractions. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 385, alinéa 1er, du Règlement général de la COSUMAF, lorsque la COSUMAF relève des manquements susceptibles de constituer une infraction boursière et de recueillir une qualification pénale, elle transmet immédiatement le rapport de contrôle ou d’enquête au procureur de la république près la cour d’appel territorialement compétente.

Dossier

Le cumul des sanctions administratives et pénales dans le domaine bancaire et financier dans la zone CEMAC

Mais dans ce dernier cas, étant donné qu’il n’est pas fait obligation aux autorités administratives qui saisissent l’autorité judiciaire de surseoir à statuer, le risque demeure. Ne doit-­on pas considérer que, de la même manière que le pénal tient le civil en l’état, il tient aussi l’administratif ?

La question du cumul des

sanctions administratives et pénales ne doit pas se ramener uniquement à celle de son admission ou

non.

Même dans l’hypothèse où l’autorité administrative aurait, de sa propre autorité ou par application de l’adage ci-­dessus, sursis à statuer jusqu’à ce que la juridiction pénale rende sa décision, le problème ne serait pas totalement résolu, surtout si la décision de la juri27. Selon l’article 385, alinéa 2, le procureur de la république informe la COSUMAF lorsqu’il décide de mettre en mouvement l’action publique sur les faits dont il est saisi. 28. Mais dans certains cas, cela est facultatif. C’est ainsi que selon l’article 68, les Autorités judiciaires compétentes, saisies de poursuites relatives à des infractions mettant en cause les sociétés qui font appel public à l’épargne ou à des infractions commises à l’occasion d’opérations de bourse, peuvent, en tout état de la procédure, demander l’avis de la Commission de Surveillance du Marché Financier. Cet avis est obligatoirement demandé lorsque les poursuites sont engagées en exécution de l’article 63 ci-­dessus.

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Le cumul de sanctions administratives et pénales

diction pénale est favorable à la personne poursuivie. En effet, dans ce cas, la décision rendue s’impose-­t‑elle à l’autorité administrative ? Doit-­on faire obligation à l’autorité administrative de respecter ce qui a été décidé au pénal ou alors doit-­on considérer que les deux ne procèdent pas des mêmes considérations et que l’autorité administrative peut trouver qu’il y a faute là où le juge pénal a estimé qu’il n’y avait rien ? Au-­delà, faut-­il pour éviter ce risque, cumuler le pouvoir de prononcer ces deux sanctions (voire aussi les sanctions réparatrices) entre les mains d’un seul organe et, si oui, lequel ?

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Ces quelques interrogations suffisent à montrer que la question du cumul des sanctions pénales et administratives ne doit pas se ramener uniquement à celle de son admission ou non. Si l’on comprend aisément que le souci d’efficacité puisse faire pencher en faveur de l’admission, les dangers et problèmes susceptibles d’être soulevés par cette solution méritent que les législateurs dans la zone CEMAC aillent au-­delà pour organiser véritablement ce cumul. Surtout qu’il s’agit d’une question mettant en jeu les droits et libertés individuels et nécessitant que les différents intérêts en jeu soient conciliés, notamment les soucis d’efficacité, d’équité et de justice.

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I. Régulation financière Chronique sous la direction de Katrin Deckert

Maître de conférences à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense

&

Anastasia Sotiropoulou

Maître de conférences à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne)

Avec la collaboration de

Chloé Lapoujade

Juriste contentieux et corporate, J. D.

Mariel Gansou

Juriste de droit bancaire et financier Chargé d’enseignement

&

Jérémy Martinez

Doctorant contractuel – Université Paris II Panthéon Assas

Jelena Vujovic

Élève-avocat à l’EFB

Eugénie Ziegler

Juriste contrat et corporate aux États-Unis, LL.M.

La présente chronique permettra au lecteur de voyager dans le vaste et étonnant monde du droit financier, à travers des sujets divers, puisqu’elle nous conduit des États-Unis en Europe, de la France en Australie et même, pour finir, au Sahara qui n’évoque guère, au premier abord, la réglementation financière. Ainsi, un article étudie le régime juridique de la dette publique aux États-Unis et dans l’Union européenne. Les deux systèmes montrent, chacun à leur manière, à quel point il est difficile pour un État d’adopter une règle effective en matière financière. Après la crise financière de 2008, la santé financière des États est de plus en plus mise en question. Dans ce cadre, il semblait intéressant de rechercher les raisons qui ont incité les États-Unis et l’Union européenne à adopter chacun un régime juridique de la dette publique afin de mieux comprendre leurs lacunes respectives. La sollicitation active de mandat aux États-Unis, dans l’Union européenne et en France est un autre thème abordé dans cette chronique. Aux États-Unis, le système de vote par procuration dans les sociétés cotées s’est développé sans être juridiquement encadré. Au contraire, le droit français encadre le vote par procuration dans les assemblées d’actionnaires. La sollicitation active de mandat suscite, à juste titre, de nombreuses interrogations et comporte des risques pour les sociétés. Les conflits d’intérêts entre les différents acteurs représentent la préoccupation principale des sociétés et des législateurs. Les sociétés cotées s’interrogent aussi sur les conséquences du rôle que jouent les mandataires professionnels dans la prise de décisions importantes. Les « batailles » de procurations ont quant à elles un impact positif sur les marchés financiers qui apprécient la promesse d’un changement de direction dans les sociétés concernées. La SEC a tenté d’encadrer la sollicitation active de mandat afin d’assurer plus de transparence au sein du système de procuration. Le législateur français a aussi tenté d’encadrer strictement le vote par procuration et la sollicitation active de mandat. Cependant, force est de constater qu’en France la sanction des mandataires reste soumise à l’appréciation du juge et que, jusqu’à ce jour, la SEC n’a offert que des « réponses potentielles » aux problèmes posés par les dérives du système de procuration aux États-Unis. Dans la contribution portant sur la responsabilité civile des agences de notation en Australie, est analysée la décision rendue le 6 juin 2014 par la Cour fédérale australienne dans l’affaire ABN AMRO Bank NV vs Bathurst Regional Council. Dans celle-ci, la Cour juge que les agences de notation sont soumises à une obligation de diligence envers les investisseurs, même potentiels. Ainsi, elle condamne Standard and Poor’s à payer des dommages et intérêts à douze collectivités du New South Wales pour réparer le préjudice qu’elles ont subi du fait de la sur-notation d’un produit d’investissement. Enfin, l’auteur de l’article intitulé « Mutations du droit au sud du Sahara : aspect du droit des marchés financiers dans l’espace OHADA », défend l’idée que, contrairement à une vision souvent statique présentée du droit en Afrique au Sud du Sahara, le droit des marchés financiers est voué à promouvoir non seulement le développement des entreprises locales, mais aussi l’attractivité de l’investissement international grâce à sa conformité aux standards internationaux.

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Chroniques

I. Régulation financière

This chronicle allows the reader to travel through various topics, over the vast and amazing world of financial law: from the United States to Europe, from France to Australia and even towards the end to the Sahara itself – which, at first glance, you might not associate with the concept of financial regulation. Therefore, one of the articles analyzes the regime applicable to the public debt both in the United States and the European Union. Both systems show in their own way how complicated it can be for a state to adopt an efficient financial legislation. Since the 2008 financial crisis, the financial health of states around the world has been questioned more and more. In this context, it seemed interesting to look for the rationale behind the adoption of a legal regime of the public debt adopted both in the EU and the USA in order to understand better their respective breaches. Another article in this chronicle deals with the proxy systems in the United States, the EU and France. The proxy system in the United States has developed without a regulatory framework. On the contrary, the proxy system applying to shareholder meetings in France is fairly regulated. Proxy solicitation raises many concerns and potential risks for companies. Conflicts of interests represent the most important concern within the proxy system, and the role of “disinterested” proxy agencies in the voting process of major corporate transactions also puts the confidence in shareholders voting at risk. Moreover, proxy fights arise when shareholders contest a poorly managed company, and these have a global positive impact on listed companies. The SEC has been trying to implement regulations to ensure more transparency and honesty in the proxy system. Similarly, France, when allowing proxy solicitation, has tried to implement a strict framework for this system. Nevertheless, in France, the possibility of a sanction and its extent are left to the judge’s discretion. In the U.S., there are no sanction provisions and, as of today, the SEC is only considering potential remedial responses. In the paper on civil liability of credit rating agencies in Australia, the decision of the Federal Court of Australia dated 6 June 2014 in the case ABN AMRO Bank NV vs Bathurst Regional Council is analysed. In this decision the Court reached the conclusion that rating agencies owed a duty of care to investors, even potential investors. Standard and Poor’s were found liable to twelve local councils of New South Wales as a result of ratings of a financial product which were found to be overrated. Finally, there is an article dealing with the financial markets regulation in the OHADA zone. Its author argues that this regulation does not only promote the attractiveness and development of local businesses but also encourages the global trade due to its compliance with international standards.

I.B. Régulation comparée Proxy solicitation and proxy fights in US, EU and French law: A comparative and critical overview

Chloé Lapoujade

Corporate and Litigation lawyer, J. D.

Shareholders have the fundamental right to vote in accordance with their shareholding at shareholders meetings, in order for instance to elect directors and to approve or reject major corporate transactions and significant corporate actions. Like the French Commercial Code, the Model Business Corporation Act (1) and the Delaware General Corporation Law (2) allow shareholders to appoint a proxy to vote in accordance with their shareholding at shareholders meetings. Because shareholders of listed companies are often very disparate and most of them are investors with no interest in the company other than getting a valuable return on investment, most shareholders do not attend public companies’ shareholders meetings in 1. 2.

Model Business Corporation Act, § 7.22 (a) and (b). Delaware General Corporation Law, § 212 (c), (d), and (e).

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&

Eugénie Ziegler

Contract and corporate lawyer, LL.M.

person. Therefore, voting occurs very often and almost entirely by the use of proxies, which are solicited before each shareholders meeting, and the proxy system is a fundamental structure of shareholders’ suffrage. Even though the New York Stock Exchange and the Nasdaq rules require listed companies to solicit proxies for shareholders meetings, proxy solicitation has developed in the US over the years without being effectively regulated. The main drawback is the appearance and increase of proxy fights, also known as “proxy battles” or “proxy contests”, during the solicitation period. These proxy fights occur when activist shareholders and investors seek to get as many proxies as they can in order to dramatically influence the vote on significant decisions at shareholders meetings. Proxy fights are also used as a takeover tactic in order to gain corporate control over a company. This

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phenomenon led to the apparition of proxy advisory firms, or “proxy agencies”, that offer professional services to investigate and recommend how to vote on specific matters and obtain proxies. Such proxy advisory firms are mostly used by large institutional investors, and the proxy system has become more complex and less transparent. This trend raises the issue of the legitimacy of the proxy agency industry to play such a significant role in companies and of their power to influence the vote on major corporate transactions and actions.

in both the United States and France, we will first study the development and regulation of such a system and then analyse the potential risks of conflicts of interest, the lack of transparency and of legitimacy raised by proxy solicitation and the development of professional proxy agencies.

US law does not impose a specific duty of transparency on proxy holders, and does not regulate the activities of proxy advisory firms. Moreover, there are no rules to effectively sanction bad behavior. Therefore, proxy solicitation is not controlled either pre-­event or post-­ event and the abuse of the proxy system has significant consequences for companies as well as on financial markets. As of today, the Securities and Exchange Commission (SEC) is aware of this drifting and has organised round tables to discuss what measures need to be taken. Nevertheless, the SEC has so far only formulated “potential regulatory responses”. (3)

The proxy system in the United States has developed without a regulatory framework and was born empirically in order to allow shareholders residing in a given state to participate in corporations’ decisions made in another state. On the contrary, the proxy system in France is fairly regulated. Indeed, France was bound by an EU directive requiring every EU member state to implement a system which would allow shareholders to participate in shareholders meetings through the use of a mandate. (5) Foreseeing the risk of abuses inherent in such a provision, French laws tried to regulate, more or less successfully, the use of corporate proxies.

The European countries, and France specifically, do not face the same situation. Indeed, proxy fights and the proxy advisory firms’ industry have not developed as they have in the US. The main reason is that, until recently, the use of proxies has been strictly limited under EU and French law. Interestingly enough, the EU extended the use of proxies with Directive 2007/36/EC in order to facilitate the exercise, by listed companies’ shareholders, of their right to vote. (4) In doing so, the EU provided a detailed framework to control proxy solicitation and to prevent any potential misuse and abuse of the proxy system by proxy advisory firms, as experienced in the US. In a comparative approach, this study will focus on the extent of the concerns raised by proxy solicitation, proxy fights and proxy agencies, what consequences these proxy issues have on listed companies and, in particular, their impact on financial markets (I) and how US, EU and French laws respectively deal with the risks associated with proxies (II).

I. The general legal framework of proxy systems in French and US law: concerns, risks and benefits In order to get a better understanding of the proxy system, and the risks associated with proxy solicitation 3. 4.

Securities and Exchange Commission, 17 CFR 240, 270, 274 and 275, Release No. 34‑62495, Concept release on the U.S. proxy system, July 2010. Directive 2007/36/EC of the European Parliament and of the Council of 11 July 2007 on the exercise of certain rights of shareholders in listed companies.

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A.  The different regulatory approaches

1.  The EU and the French proxy system, a closely supervised system which finds its origins in the law The French ministerial decree dated 9 December 2010, (6) authorised by the Banking and Financial Regulation Act of 22 October 2010, (7) transposed into French law the EU directive 2007/36 dated 11 July 2007 (8) by the European Parliament and the European Council. The EU directive dealt with the exercise of shareholders’ rights in publicly listed companies, and was aimed especially at promoting an effective participation of shareholders to shareholders’ meetings – particularly when shareholders do not reside in the EU member state where the meeting takes place. (9) In France, the ministerial decree dated 9 December 2010, supplemented by a legislative decree dated 23 December 2010, (10) supports the EU goals by regulating the shareholders’ rights in relation to determining the agenda of shareholders’ meetings, the response to their written questions, the proxy voting system and proxy solicitation. (11) On this last topic, the EU directive encouraged every member state to repeal “any laws or legislative regulation limiting or authorising Idem supra. Ordonnance n° 2010‑1511 of the French Government, 12 2010 on the transposition of Directive 2007/36/EC concerning the exercise of shareholders’ rights in publicly listed companies. 7. Loi No. 2010‑1249 of the French Parliament, 10 2010 on Banking and Financial regulation. 8. Idem supra. 9. Idem supra, Article 10. 10. Decree 2010‑1619, 12 2010 on shareholders’ rights in publicly listed companies. 11. Idem supra. 5. 6.

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corporations to limit the possibility for some people to be chosen as proxy holders”. (12) Before the ministerial decree dated 9 December 2010, French law was incompatible with the EU directive as French law prohibited shareholders from appointing as proxy holder a non-­ shareholder third party. A shareholder was authorised to give proxy only to another shareholder or to his/ her spouse for the purpose of being represented in shareholders meetings. (13) This regulation was aimed at preventing corporate law firms from specializing in proxy holding and proxy solicitation, such that “plotters disturb the good functioning of a corporation”. (14) The 2010 French regulation, aimed at transposing the EU directive, introduced Article L. 225‑106 in the French Commercial Code, which allows shareholders of a publicly listed company to choose “whichever natural or legal person” they want to represent them at shareholders meetings, regardless of whether this person is or is not another shareholder of the same corporation. (15) But the new French law goes further. The new regulation does not only allow proxy holding by any person, whether or not from the same corporation, but also allows active proxy solicitation by non-­ shareholder third-­parties. Indeed, Article L. 225‑106‑2 of the French Commercial Code now allows “any person” to “actively seek proxies, by directly or indirectly asking one or several shareholders, in any form and by any manner, to be their agent in shareholders’ meetings”. (16) This new regulation thus introduces what is known in U.S. law as the proxy system and paves the way for proxy fights. (17)

2.  The US proxy system, an unregulated mechanism which finds its origins in practice In the US, the proxy system has developed without any regulation, born out of practice. Shareholders of national corporations could not easily travel from state to state to attend shareholders meetings, and needed to be represented. Thus, corporation laws in each state recognised the right for a shareholder to be represented by any third-­party at shareholders meetings, and to vote in place of the shareholder, following the shareholder’s instructions. (18) In theory, then, it is the role of shareholders to ask other persons to hold proxy from them, to instruct the proxy holder on how to vote, and the proxy holder is bound by the shareholders’ instruc-

tion. (19) However, in practice, another system was born. The development of multinational corporations saw the rise of “unsophisticated shareholders”, who only have a financial interest in the corporation, but who do not intend to take part in the life of the corporation. Unsophisticated shareholders are not professionals and often do not fully understand the issues at stake in shareholders meetings. Drawing on this, numerous institutional shareholders and professionals began actively to solicit proxy from unsophisticated shareholders. Hence, these unsophisticated shareholders began to give proxy to professional third parties, with “carte blanche” on to how to vote. (20) This development led to the rise of a new business, i.e. the proxy advisors and proxy agencies, who, in consideration of a fee, give advice to shareholders on how to vote, and further, on how to conduct and win a “proxy fight” (how to destitute a board of directors, either as a coup to seize power in the corporation, or to radically change the corporation’s financial and social policies). Nowadays, proxy advisors go further than counsel, and became proxy holders for shareholders. They have the power to decide when and how to conduct a proxy fight, and to vote in place of the shareholders, who pay them to do so. This development of the use of proxies raises issues of conflicts of interest, transparency and legitimacy. (21)

B.  The concerns relating to proxy solicitation Proxy solicitation raises many concerns and potential risks for companies. Firstly, conflicts of interest are the most important concern within the proxy system. They are caused by the numerous services proxy agencies seek to offer to investors and there is a requirement of effective and mandatory disclosure of such conflicts to shareholders. Secondly, the lack of transparency from proxy advisory firms in making recommendations, as well as their role in companies’ affairs, creates risks for companies. Indeed, recommendations need to be based on accurate and complete information in order to prevent shareholders from being misled when giving mandates to vote. Moreover, the role of disinterested proxy agencies in voting major corporate transactions puts confidence in shareholders’ voting at risk.

1.  The conflicts of interest 12. Idem supra. 13. French Commercial Code, Article L. 225‑106, as applicable before December 2010. 14. J. Foyer, during a French Parliament debate, June 8, 1965. 15. French Commercial Code, new Article L. 225‑106. 16. French Commercial Code, Article L. 225‑106‑2. 17. Sullivan and Cromwell LLP, “Shareholders’ rights”, December 2010. 18. E. Picardo, “How to profit from the rise in proxy fights”, Forbes, July 2014. 52

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Conflicts of interest are the most frequently raised concern within the proxy system. They may exist in several situations. Indeed, conflicts of interest may arise 19. Idem supra. 20. Idem supra. 21. L. Bechuk and O. Hart, “Takeover bids vs proxy fights in contests for corporate control”, The Harvard John M. Olin Discussion Paper Series, Discussion Paper No. 336 10/2001.

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when the principal is a dissenting shareholder and the proxy holder controls the company or is part of the board of directors. Moreover, conflicts of interest may also arise from proxy agencies that owe incompatible and conflicting fiduciary duties to their clients, such as when clients are competing companies. These conflicts of interest are mostly caused by the multi-­functional nature of proxy advisory firms. For example, many proxy agencies provide voting recommendations on matters put to shareholders’ vote, and also offer consulting services to the instigator of a shareholder proposal on the same matter. (22) Proxy advisory firms may also recommend voting in favour of a client’s shareholder proposal for the sole purpose of keeping their client’s business. (23) Moreover, proxy agencies also provide consulting services on corporate governance as well as rating and scoring services, which may also raise conflicts of interest issues. When proxy agencies have a significant ownership interest in a company to which they offer vote recommendations, they nevertheless most often abstain from actually giving recommendations on a shareholders’ vote in order to avoid the appearance of a conflict of interests. (24) These situations call into question the duties of loyalty and confidentiality owed by proxy advisory firms to their clients. The SEC has acknowledged the need to request at least generic disclosure from proxy holders, and particularly from proxy advisory firms, of such conflicts of interest by stating that they “may” have significant conflicting relationships, without affirmatively stating the specific nature and name of those relationships. (25) Nevertheless, commentators have correctly argued that this type of disclosure is insufficient and that the services of corporate consulting and proxy research should be fully separated within proxy agencies. (26) French law seeks to prevent such situations and the French Commercial Code requires that potential conflicts of interest be disclosed to shareholders and investors.

2.  The lack of transparency In order to avoid abuses and deter proxy holders from misconduct, transparency is a key element to help control proxy holders’ intentions and proxy advisory firms’ recommendations during the proxy solicitation process. The issue of the lack of transparency is two-­ fold. First, voting recommendations need to be based on accurate, complete and non-­misleading information. Second, proxy holders’ intentions should be 22. Securities and Exchange Commission, 17 CFR 240, 270, 274 and 275, Release No. 34‑62495, Concept release on the U.S. proxy system, July 2010, p. 116. 23. Idem supra, p. 117. 24. Idem supra. 25. Idem supra, pp. 117‑118. 26. Comment letter to Proxy disclosure and solicitation enhancements, Release No. 33‑9052, July 2009, from Oppenheimer Funds. 2015/1

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explained and disclosed to shareholders. This second aspect is nevertheless much more subjective than the first and is therefore more difficult to deal with and regulate, even in French law. The amount of information that can be demanded raises the issue of confidentiality owed to clients and of the disclosure of protected data. In the US, commentators have advised that reviewing proxy advisory firms’ reports would be helpful for the purpose of ensuring that the voting recommendations are based on materially accurate and complete data. (27) The SEC also considered requiring that proxy agencies use specific procedures to ensure that their research and analysis are accurate and complete prior to making voting recommendations. (28) Other commentators argue that imposing mere fiduciary duties to proxy agencies is sufficient to ensure that the latter use reasonable care, loyalty and good faith in investigating and making recommendations. (29) Proxy advisory firms’ work methods have themselves also been criticised, and they justify stricter transparency requirements. Indeed, proxy agencies may apply different standards in different markets, which may create a disparity of advice. (30) Moreover, within markets, proxy advisory firms tend to apply only one model of advice even if they seek to offer a variety of recommendations based on activist investors’ requests and preferences. (31)  (32)

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Concerns have also risen about the role and the legitimacy of proxy advisory firms in the company’s affairs. Indeed, proxy agencies are hired by institutional investors to advise them about the way to vote on a particular matter, and confidence in the legitimacy of proxy agencies therefore entails confidence in the legitimacy of shareholders’ voting. Nevertheless, proxy advisory firms do not have any residual economic interests in the company, and they therefore should not be able to significantly influence the vote of shareholders on major corporate decisions, such as the election of directors, the vote on remuneration, the distribution of dividends, or the approval or rejection of a merger. (33) The fact that votes are cast by persons or entities with no economic interest in the company definitely undermines the confidence of 27. Securities and Exchange Commission, 17 CFR 240, 270, 274 and 275, Release No. 34‑62495, Concept release on the U.S. proxy system, July 2010, p. 118. 28. Idem supra, p. 122. 29. Idem supra, p. 105. 30. European Commission, Summary of the informal discussions concerning the initiative on shareholders engagement, March 2013, p. 5. 31. Idem supra. 32. On the “one-­size-­fits-­all” approach to proxy advice, see also OECD, Corporate governance and the financial crisis: key findings and main messages, June 2009. 33. Comment letter to Facilitating shareholder director nominations, Release No. 33‑9046, June 2009, from IBM.

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investors and financial markets in the proxy system itself. (34) In the meantime, institutional investors have increased their use of proxy advisory firms when facing decisions on how to vote in accordance with their shareholding on significant matters. Proxy agencies therefore play an increasingly important role in the companies’ business affairs by controlling or influencing shareholders’ voting without adequate oversight or actual economic interests in the company. In order to assist investors in exercising their voting rights, proxy agencies offer services that include analysing and making voting recommendations on matters to be voted by shareholders, executing votes in accordance with investors’ instructions, providing research reports and identifying potential risk factors related to the company’s corporate governance. (35) Moreover, recommendations are usually made to maximize the long-­term value of the shares of the proxy agencies’ clients. (36) Nevertheless, proxy advisory firms are not subject to any specific regulations and their multi-­functional nature creates potential conflicts of interest between their different clients and the fiduciary duties they owe them. Commentators have suggested that proxy agencies should be qualified as investment advisers and controlled as such by strict anti-­fraud provisions, independent of whatever specific service and activity they perform. (37)

C.  The risks and benefits of proxy fights Proxy fights are often much more expensive for companies than for contesting activist groups of shareholders. Therefore, small size companies may undergo profit losses and stock value decrease in the event of an unsuccessful and expensive proxy contest. Nevertheless, because proxy fights arise when shareholders contest a poorly managed company, proxy fights have a globally positive impact on listed companies as financial markets tend to welcome a future change in the board of directors and business strategies.

1.  The financial costs of proxy fights for companies The direct material and short-­term consequence of proxy fights for companies is the cost of proxy advisory firms and of communication during proxy solicitation and proxy battles. In the US, expenses that are incurred by incumbent managers must be reimbursed 34. Securities and Exchange Commission, 17 CFR 240, 270, 274 and 275, Release No. 34‑62495, Concept release on the U.S. proxy system, July 2010, p. 104. 35. Idem supra, p. 106. 36. Idem supra, p. 107. 37. Idem supra, p. 119. 54

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to them by the company, and companies must also reimburse the proxy fight expenses of dissenting groups of shareholders, but only if the latter wins. As a result, the management often spends much more money on proxy contests than activist shareholders. Indeed, proxy fights have cost US public companies an average of $4.8 million in 2014, with an average of $10 million for large and mid-­size firms, and of $2 million for small size firms. (38) Unlike US shareholders, French activist shareholders personally bear the costs of proxy contests. Moreover, a company’s management must give every shareholder the opportunity to vote in accordance with their shareholding on any decisions to be taken at a shareholders meeting, and reaching out to a diverse and disparate group of shareholders may be very expensive. On the activists’ side, shareholders only need to reach out to institutional investors who are likely to support them in the upcoming vote. (39) Therefore, the communication costs are also much higher for the company than for activist shareholders. An expensive and unsuccessful proxy fight may also cause some companies, mostly small size firms, to incur losses for the corresponding quarter(s), and see their stock value decrease. Nevertheless, activists may also buy shares of the company in order to get more voting rights and therefore more proxies in order to significantly influence the vote on a particular matter. In such a case, the value of the company’s stock often increases because activist shareholders plan on a significant increase of the stock value in the mid-­term, and investors usually follow the trend. (40) This technique is also a means to increase other activist investors’ confidence in such investment and therefore gain their support in terms of votes.

2.  The impact of proxy fights on companies’ stock value and on business performances The reaction of the stock market when a proxy fight occurs in a listed company depends on whether the proxy battle is led by hedge funds or by other types of activist investors. (41) Even though proxy fights may cause a decrease in the value of the company’s stock and of the company’s business performances due to managers’ becoming distracted during that time, proxy fights surprisingly have a globally positive impact on the value of the company’s stock. Proxy fights mostly happen when shareholders are unhappy with the company’s financial performances and business management. Specifically, directors’ election and remuneration, financial authorisations, and 38. Proxy fights cost U.S. companies $4.8 million on average, ValueWalk, September 2014, available at http://www. valuewalk.com/2014/09/proxy-­fights-­costs/. 39. Idem supra. 40. M. Albouy and A. Schatt, “Activisme et Proxy Fight”, Revue française de gestion, 8/2009 (No. 198‑199), pp. 297‑315. 41. Idem supra.

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anti-­takeover devices are the main issues that cause proxy contests. (42) Therefore, when activist investors use proxy fights to change the board of directors and take control of a company, such a change brings hope that the business management of the company will change, and that performances and profits of the company will then increase. Indeed, the change in the board of directors often leads to the definition and settlement of a new business strategy. Consequently, financial markets usually welcome the announcement of proxy fights in a positive way. The positive impact on the company’s stock value is even more important when proxy fights are led by hedge funds. Indeed, hedge funds are not widely available to any public investors, and are administered by professionals who invest their money and expect good performances in return. Moreover, commentators have found that hedge funds control the board of directors more efficiently, and are less likely to have conflicts of interest than other types of investors with the company. (43) The latter often then undergoes operational and financial restructuration such as a change of directors, the distribution of dividends and higher business performances.

II.  Specific measures and sanctions on proxy holders’ misconduct in French and US law In response to numerous abuses of the proxy system in the US, which are potential roots of destabilisation of financial markets through the devaluation of a company’s stock when the company endures a long and costly proxy fight, the SEC organised roundtables which led to some semblance of regulation of the proxy system in publicly listed corporations. (44) In view of the situation in US financial markets, French law, when allowing proxy solicitation, also provided transparency obligations for proxy holders. However, as we will see, in both the US and France, those regulations often do not prove enough to prevent abuses of the proxy system. Hence, in each country, sanctions against abusive proxy holders have been developed.

A.  A new trend of financial markets regulation against proxy system abuses Following the rise of harmful proxy fights in publicly listed companies in the United States, and the negative 42. InvestorSight, “Suivi des AG 2008: les sujets sensibles”, June 2008. 43. M. Albouy and A. Schatt, “Activisme et Proxy Fight”, op. cit., pp. 297‑315. 44. SEC Open Meeting, August 25, 2010. 2015/1

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impact of those fights on financial markets, the SEC has been trying to implement regulations to ensure more transparency and honesty in the proxy system. Similarly, France, when allowing proxy solicitation, has tried to give a strict framework to this system.

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1.  The Security and Exchange Commission insufficient decisions In the United States, the proxy system developed without being regulated. In view of the numerous excesses of proxy fights in the U.S., the SEC has attempted, several times, to regulate it, by making proxy solicitation more transparent and more honest. Thus in 2003, the SEC adopted the “Proxy Voting by Investment Advisers” rule, (45) which compels entities like institutional investors or counsellors – who are not third parties but shareholders – to publish the procedures which helped them develop their voting policies. Thus, the SEC does not compel proxy holders to publish their voting policies, but rather the thinking that led to it. Hence, this is a very poor regulation of the proxy system, as shareholders holding proxies are not compelled to officially disclose their voting policy. Not to be subject to these new rules, institutional investors turned to non-­shareholders third parties, mainly corporate law firms which offered their services, for payment, to shareholders. Those third-­parties are not bound by the publication obligation, thus, institutional investors and shareholders who turned to them for advice on how to vote were not compelled to disclose anything. A “no-­action letter” from the SEC in 2004 clarified this situation, by saying that seeking advice from those third parties was a safe harbour, and that third parties were not subject to an obligation to disclose. (46) Moreover, a second “no-­action” letter from the SEC, also in 2004, confirmed that those third party firms, generally known as proxy agencies, were legitimate and had the right to give advice to publicly traded companies on matters linked to corporate governance, and especially on how to win a proxy fight (47) – which creates a conflict of interest, because proxy agencies counsel both the corporation on its interest, and the shareholder of the corporation on how to win a proxy fight. The inaction of the SEC led proxy agencies not only to advise shareholders and institutional investors on how to vote, but also frequently to hold proxy for them. Proxy agencies thus became proxy holders and, as of today, have no obligation to disclose their voting policies or the reasons underlying their votes, as they are 45. Securities and Exchange Commission, Final Voting by Investment Advisers rule, 17 CFR Part 275. 46. Douglas Scheidt, Investment Advisers Act of 1940 – Rule 206(4)-­6. Egan-­Jones Proxy Services, May 27, 2004. 47. Douglas Scheidt, Investment Advisors Act of 1940 – Rule 206(4)-­6. Institutional Shareholder Services, Inc., September 15, 2004.

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third-­parties and are not compelled by the 2003 SEC rule on proxy voting. Confronted with the abuses inherent to the proxy system, the SEC organised roundtables which led to the publication, in 2010, of a “concept release”, (48) trying to implement a more transparent system. As of today, the 2010 “concept release” is still a roundtable between major players in the financial markets, discussing how to regulate proxy fights in order to maximize the advantage of the proxy system (more shareholder participation in corporation’s meeting) and minimize abuses (long and costly proxy fights). In the meantime, the lack of regulation of proxy holding by third parties lays roots for issues on transparency of voting policies and conflict of interest.

2.  The obligation to publish the voting policy but not the voting intentions in French law The EU directive on proxy solicitation did not provide for any regulation of the proxy system. The directive let the member states decide measures to “give a framework to the activity of persons specialising in proxy solicitation (…) in particular to guarantee an adequate level of transparency and reliability”. (49) The French legislator, realising that widening the use of proxies for shareholders meetings would lead to proxy solicitation and the dangers inherent to proxy solicitation, used the opportunity given by the directive to regulate this practice. Indeed, in French law, Article L. 225‑106‑2 of the French Commercial Code now contains a provision compelling proxy holders, whether or not they are shareholders of the targeted corporation, to publish their voting policy. Article R. 225‑82‑3 of the French Commercial Code gives some precisions on what is meant by “voting policy”. The proxy holder must disclose his/her identity and the “principles which led to the choice he/she made when he/she voted without voting instructions”. (50) This provision could be interpreted as a reference to the rule enacted by the SEC in 2003, which compels a shareholder who holds proxy for another shareholder to disclose reasons underlying his/her votes. However, in France, the regulation also targets third party proxy holders. In France, proxy holders must even present their voting policies by categories (decision leading to a change of the Statutes of the corporation, approval of annual budget etc.). The major aspect of the French system is that even third-­parties, which are not shareholders of the corporation in which the vote occurs, must disclose their voting policies. Hence, if in the coming decade, France 48. Securities and Exchange Commission, 17 CFR 240, 270, 274 and 275, Release No. 34‑62495, Concept release on the U.S. proxy system, July 2010. 49. Directive 2007/36/EC of the European Parliament and of the Council of July, 11 2007 on the exercise of certain rights of shareholders in listed companies. 50. French Commercial Code, Article R. 225‑82‑3. 56

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sees the rise of proxy agencies, they will be compelled to disclose their voting policies, which is a major difference with the U.S. system, and will probably restrict the rise of proxy fights. Moreover, in the United States, shareholders holding proxies are compelled to disclose the reasons underlying their votes, whereas in France, the voting policy itself must be disclosed. Drawing from this, some observations on the limits of both systems can be made. First, in the US there is no obligation for third parties to disclose their voting policy, or even their identity. This paves the way to costly and long proxy fights. Even if the SEC tried to regulate the proxy system, it has not yet gone far enough and there is still a risk of fraud due to the lack of transparency. Secondly, in France, the proxy holder has to disclose his voting policy, which is a step further towards strictly regulating the proxy system. However, the proxy holder does not have to disclose his voting intentions. He can disclose a vague and broad voting policy, without saying exactly how he will vote, which opens the possibility of defrauding shareholders and starting proxy fights.

B.  The sanction of proxy holders’ misconduct French law provides sanction provisions for proxy holders who mislead shareholders when they do not vote in accordance with their published voting policy. Nevertheless, the possibility of a sanction and its extent are left to the judge’s discretion, which dramatically undermines the sanction’s effectiveness and relevance. In the United States, there are no sanction provisions and, as of today, the SEC is only considering potential remedial responses to the concerns and risks raised by conflicts of interests and lack of transparency.

1.  The non-­automatic judicial sanction to exclude proxy holders from shareholders meetings in French law Under Article L225‑106‑3 of the French Commercial Code, the principal shareholder and the company itself are entitled to sue proxy holders who did not provide complete and accurate information regarding conflicts of interest, who did not publish their voting policy, and who misled or impaired shareholders. Proxy holders may then be barred from participating as such in any shareholders meetings of the company for a period of up to three years. Nevertheless, the sanction provided by the Commercial Code is not automatic as it is left to the discretion of the judge. Moreover, it gives the opportunity for the company to sue proxy holders. The transposition of Directive 2007/36/EC in French law gives the Commercial Tribunal a new judicial power to control proxy holders and ensure that voting policies match actual votes. Indeed, the Commercial Tribunal

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already had jurisdiction to review proxy holders’ actions by controlling the identification of proxy votes. The French Commerce Tribunal has therefore an extended jurisdiction over the proxy system. Nevertheless, the sanction of proxy holders’ misconduct is left to the judge’s discretion and it cannot exceed three years. Therefore, the sanction is not automatic and, when a sanction is applied, it may be set for a few months only. This raises the issue of whether such a sanction is sufficient to prevent proxy holders’ misconduct, and to effectively deter the latter from misleading shareholders and compromising their interests. Commentators have therefore formulated the wish to see proxy solicitation subjected to the French securities and markets authority (AMF)’s control by requiring proxy holders to declare their actions and intentions. (51) Moreover, the directors’ ability to sue proxy holders will certainly lead to some abuses. Indeed, directors may challenge the vote on any significant corporate transaction by simply suing proxy holders and, indirectly, shareholders and by showing that proxy holder’s votes did not match their published voting policy. Moreover, proving that a vote does not match a voting policy may sound easy to prove but the French Commercial Code’s corresponding provisions remain very vague and therefore subject to judicial interpretation. In 2013, the European Commission discussed a possible revision of the Directive 2007/36/EC and, specifically, the possibility of establishing a code of conduct for proxy advisory firms, which would be applied by self-­regulation or enforced on a “comply or explain” basis. (52) Indeed, the Commission acknowledged the importance of proxy agencies’ role in financial markets, and especially for foreign investors who tend to rely heavily on proxy advisory firms’ services. Moreover, on the one hand, it is criticised that proxy advisors are not subject to any rules, and, on the other hand, it is pointed out that the proxy agencies industry is small in the EU, and that over-­regulation would make it shrink. (53) The establishment of a code of conduct would therefore be welcome as a wise compromise to regulate the emerging European proxy advisory firms industry.

2.  The lack of specific regulatory sanctions in US law

industry. Section 14(a) of the Securities Exchange Act of 1934 prohibits misrepresentation or omission of material facts in proxy statements. Moreover, based on fiduciary duties, the SEC, as well as the US Justice Department or any shareholder who suffers loss by misrepresentation or omission of information, have the ability to sue the wrongdoers. The courts have also implied a private cause of action under this provision.

Chroniques

I.B. Régulation comparée

The lack of transparency, the potential conflicts of interest, and the factual analysis errors that influence voting recommendations made by proxy advisory firms, have led the SEC to start considering the adoption of effective regulations in order to enhance the accuracy and the integrity of shareholders votes. Indeed, aware of these concerns and of the need to regulate the proxy agencies industry, the SEC has organised round tables in order to discuss potential regulatory responses and has solicited comments on various aspects of the US proxy system. (54) Nevertheless, no efficient regulation of proxy advisory firms has yet been voted. The SEC discussed a wide range of concerns and potential responses. As for conflicts of interest, the SEC considered ensuring that the disclosure requirements adequately indicate to shareholders the existence of potential conflicts of interest by providing guidance on these requirements. (55) The SEC also questioned whether proxy advisory firms had a notable impact on financial markets, and if they therefore should be required to register with the Commission as investment advisors. It was also offered to provide guidance on fiduciary duties of proxy agencies. (56) Then, regarding the accuracy of information and the transparency of recommendations and intentions, the SEC discussed potential solutions that would require an increased disclosure by proxy advisory firms of the extent of researches involved and procedures used in recommendations given to clients. (57) The SEC also considered requiring proxy agencies to file their voting recommendations with the Commission in order to allow market actors to independently evaluate such recommendations. The SEC poses the questions: “is additional regulation of proxy advisory firms necessary or appropriate for the protection of investors?”. (58) The answer is definitely “yes”.

The SEC controls proxy solicitation, but it does not apply any specific rules to the proxy advisory firm 51. Transposition of the Directive 2007/36/EC regarding the rights of shareholders, France, “Message à la Chancellerie, à la Direction du Trésor et à l’AMF”, P.-­H. Leroy, Proxinvest, May 2010. 52. European Commission, Summary of the informal discussions concerning the initiative on shareholders engagement, March 2013, p. 5. 53. Idem supra.

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54. Securities and Exchange Commission, 17 CFR 240, 270, 274 and 275, Release No. 34‑62495, Concept release on the U.S. proxy system, July 2010. 55. Idem supra, p. 120. 56. Idem supra. 57. Idem supra, p. 122. 58. Idem supra, p. 123.

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I. Régulation financière

La responsabilité civile des agences de notation en Australie – À propos de la décision rendue le 6 juin 2014 par la Federal Court of Australia dans l’affaire ABN AMRO Bank NV v. Bathurst Regional Council

Katrin Deckert

Maître de conférences à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense

Les agences de notation, supposées indépendantes, sont chargées d’évaluer la solvabilité d’un émetteur, privé ou public, c’est-­à-­dire la probabilité qu’un émetteur puisse ou ne puisse pas honorer ses engagements de rembourser le capital et les intérêts de ses dettes. Ainsi, une note de crédit émise par une telle agence mesure le risque de crédit, autrement-­dit le risque de non-­remboursement d’une dette, du point de vue de l’agence de notation. Les agences de notation sont devenues aujourd’hui des acteurs incontournables des marchés financiers. Leurs notes déterminent notamment la qualité des fonds propres détenus par les banques (1) et conditionnent la possibilité pour des catégories d’investisseurs institutionnels de détenir certains titres de créance (2). Les notes attribuées par les agences de notation permettent aussi de guider les divers autres acteurs du marché dans leur stratégie d’investissement, en les orientant vers le profil de risque qu’ils jugent le plus adéquat. Par ailleurs, elles permettent de réduire l’asymétrie d’information parmi les investisseurs. Pourtant, ces dernières années, en particulier à l’occasion de la crise dite des subprimes, les agences de notation ont fait l’objet de nombreuses et parfois virulentes critiques tant sur les plans économique et financier que sur le plan juridique. La crise financière a mis en lumière certaines failles, et il est apparu indispensable d’instaurer un cadre juridique pour encadrer les agences de notation, l’autorégulation ayant échoué. À l’échelle européenne, le cadre juridique a été amorcé fin 2009 par le règlement no 1060/2009 du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit (3), modi1. 2. 3.

A. Sotiropoulou, « La responsabilité civile des agences de notation », Bull. Joly Bourse, 1/2013, p. 47. E. Wymeersch et M. Kruithof, « Regulation and Liability of Credit Rating Agencies », Fiancnial Law Institute Working Paper Series 2006‑05, mars 2006, p. 13. Règlement (CE) no 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit.

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Jelena Vujovic

&

Élève-avocat à l’EFB

fié par la suite par deux règlements (4). Le règlement n° 462/2013 du 21 mai 2013 vise notamment à asseoir la gouvernance des conflits d’intérêts et des abus de position oligarchique, et veille à limiter la volatilité des marchés financiers dans l’Union européenne (5). L’article 35bis est la mesure « phare » de ce règlement, introduisant une action en responsabilité civile contre les agences de notation : une agence de notation peut, sous certaines conditions, être tenue pour responsable dans le cas où elle enfreint ledit règlement de manière intentionnelle ou par négligence grave causant un préjudice à un investisseur ou à un émetteur (6). Vue de l’extérieur, l’Union européenne est souvent présentée comme « obsédée par les agences de notation » (7). Or il s’agit d’une tendance bien plus globale. En effet, on constate dans de nombreux pays une volonté croissante de mettre fin à l’immunité des agences de notation. En France, la loi no 2010‑1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière a introduit un article L. 544‑5 dans le Code monétaire et financier qui dispose que « Les agences de notation de crédit mentionnées à l’article L. 544‑4 engagent leur responsabilité délictuelle et quasi délictuelle, tant à l’égard de leurs clients que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et manquements par elles commis Règlement (UE) no 513/2011 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2011 modifiant le règlement (CE) no 1060/2009 sur les agences de notation de crédit, et règlement (UE) no 462/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 modifiant le règlement (CE) n° 1060/2009 sur les agences de notation de crédit. 5. « Agences de notation – Responsabilité – Place du conflit de lois », R.C.D.I.P., no 3, 2013, p. 758. 6. « 1. Lorsqu’une agence de notation de crédit, de manière intentionnelle ou par négligence grave, a commis l’une des infractions énumérées à l’annexe III et que cette infraction a eu une incidence sur une notation de crédit, un investisseur ou un émetteur peuvent demander réparation à cette agence de notation de crédit pour le préjudice qu’ils ont subi du fait de cette infraction. […] ». 7. D. Vidalon, « Moody’s blasts plan to curb rating agencies : report », Reuters, novembre 2011. 4.

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dans la mise en œuvre des obligations définies dans le règlement (CE) no 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 ». L’Union européenne et la France ont donc prévu les conditions de mise en jeu de la responsabilité civile des agences de notation, à l’égard des émetteurs de titres et des tiers, qui sont principalement les investisseurs. La responsabilité civile des agences de notation à l’égard des émetteurs n’a, d’un point de vue juridique, rien d’étonnant, dans la mesure où les deux parties sont liées par un contrat. En revanche, le fait de rendre ces agences également civilement responsables envers les tiers ne fait pas l’unanimité.

(…) au niveau européen

(et français) la mise en jeu de la responsabilité civile des agences de notation par un tiers reste, pour l’instant, purement

théorique (…)

Quoi qu’il en soit, au niveau européen (et français) la mise en jeu de la responsabilité civile des agences de notation par un tiers reste, pour l’instant, purement théorique (8), en raison des différentes difficultés liées à sa mise en œuvre. En revanche, la Cour fédérale australienne (Federal Court of Australia) (9), l’a récemment appliquée. En effet, dans une décision rendue en appel le 6 juin 2014, dans l’affaire ABN AMRO Bank NV v. Bathurst Regional Council, elle condamne une des agences du 8.

9.

Le législateur français lui-­même reconnaît que « les cas dans lesquels le régime de responsabilité pourra être invoqué avec succès seront sans doute rares, mais pas inexistants. Cet article constitue un signal important à destination des agences de notation » ; il s’agit « de nouvelles règles de responsabilité importantes, mais dont la portée sera limitée », v. P. Marini, Rapport au Sénat au nom de la commission des finances, septembre 2010. La Cour fédérale australienne est une cour nationale supérieure avec une juridiction civile générale. Sa juridiction est conférée par 150 lois du Parlement australien. La Cour fédérale australienne est également une cour d’appel, notamment pour certaines décisions des Cours suprêmes des États australiens qui invoquent la juridiction fédérale.

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Big Three, Standard and Poor’s, à payer des dommages et intérêts à des investisseurs. Comment la haute juridiction australienne a-­t‑elle su surmonter les difficultés qui se posent notamment au niveau européen et français pour engager la responsabilité civile des agences de notation ?

Chroniques

I.B. Régulation comparée

Les faits à l’origine de cette décision, très remarquée en Australie et à l’étranger, sont les suivants. Il s’agissait de titres CPDO (constant proportion debt obligations) émis par la banque ABN Amro Bank (ci-­après « Amro »). Les titres ont été vendus par Amro sous le nom de « Rembrandt Notes ». Douze collectivités du New South Wales (Nouvelle-­Galles du Sud) ont investi environ 17 millions de dollars australiens dans les Rembrandt Notes en 2006, en se fiant à la notation émise par Standard and Poor’s. Les collectivités ont soutenu qu’elles n’auraient pas acquis les titres en question en l’absence d’une notation élevée. Cependant, moins de deux ans après l’achat, la valeur des Rembrandt Notes acquises a diminué de 90 %, soit une perte considérable pour les collectivités locales. En première instance, la Cour australienne a retenu la responsabilité de Standard and Poor’s, en estimant que l’agence de notation avait une obligation de diligence envers les investisseurs. L’agence de notation a ensuite interjeté appel. À ce stade de la procédure, elle a reconnu que la notation était trompeuse, mais a soutenu qu’elle ne pouvait pas être soumise à une obligation de diligence envers les investisseurs en raison de l’absence de prévisibilité raisonnable des conséquences de la notation. L’agence soulevait également que le fait de consacrer une obligation de diligence des agences de notation envers les investisseurs reviendrait à modifier la nature de la notation : celle-­ci ne serait plus une prévision, mais une garantie. La Cour fédérale australienne, écartant les arguments avancés par Standard and Poor’s, a retenu la responsabilité civile de cette dernière. Plus précisément, les juges australiens ont jugé, à l’unanimité, que Standard and Poor’s, d’une part, était tenu à une obligation de diligence envers les investisseurs (I) et, d’autre part, avait manqué à cette obligation de diligence en trompant les investisseurs, et plus précisément en attribuant aux titres en question de la notation la plus élevée (« AAA ») (II).

I. L’obligation de diligence des agences de notation envers les investisseurs La Cour fédérale australienne retient que les agences de notation sont soumises à une duty of care, une obligation de diligence (A). Cette solution nouvelle peut sérieusement prêter à discussion (B).

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Chroniques

I. Régulation financière

A. La consécration d’une obligation de diligence des agences de notation Les collectivités territoriales faisaient valoir que l’agence de notation avait l’obligation de prendre les précautions nécessaires lors de l’établissement des notations et de s’assurer que la notation soit fondée sur des bases raisonnables (10). Selon la Cour, Standard and Poor’s avait, en l’espèce, connaissance que des investisseurs étaient susceptibles de s’en rapporter aux notations pour prendre leur décision d’investissement (11), et la notation de Standard and Poor’s était pour ces investisseurs la seule information disponible concernant la solvabilité des titres en cause. En outre, la Cour estimait qu’aucune des collectivités territoriales n’était en mesure de reproduire ou de remettre en cause la notation, ou encore d’établir sa propre analyse concernant la solvabilité des titres (12). La Cour fédérale australienne en conclut que Standard and Poor’s est ainsi soumise à une obligation de diligence envers les collectivités territoriales dans l’établissement et la divulgation de la notation (13). On peut en déduire, d’une manière plus générale, l’existence d’une obligation de diligence à la charge des agences de notation.

B. Appréciation critique de l’obligation de diligence des agences de notation Les investisseurs sont les bénéficiaires de l’obligation de diligence qui s’impose désormais aux agences de notation. Cette obligation de diligence ne s’impose toutefois pas, d’un point de vue juridique et en opportunité, avec la force de l’évidence. En effet, les agences de notation délivrent de très nombreuses notations sur une multitude de produits financiers très variés. Ces notations sont la plupart du temps publiées, donc accessibles au public et aux investisseurs potentiels. Permettre à chaque investisseur d’engager la responsabilité civile des agences de notation du fait du préjudice subi en relation avec une telle notation exposerait celles-­ci à un très grand risque d’être constamment visées par des actions en justice, avec toutes les conséquences qui en résultent, ce qui pourrait entraîner probablement à terme leur disparition. De plus, au moment où la notation est délivrée par les agences, les investisseurs ne sont que potentiels, ils ne sont à cet instant pas encore définis. C’est d’ailleurs l’un des arguments avancés par Standard and Poor’s. Plus précisément, l’agence soutenait en appel que soumettre les agences de notation à une obligation de diligence envers tous les investis10. Point 1260. 11. Point 1265. 12. Point 1265. 13. Point 1266. 60

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seurs reviendrait à admettre une responsabilité illimitée (« indeterminate liability ») à leur égard. Et la Cour reconnaît que l’agence de notation ne connaît pas, au moment de l’établissement ni d’ailleurs au moment de la divulgation de la notation l’identité des investisseurs qui vont s’appuyer sur la notation pour prendre leur décision d’investir dans le produit financier noté. En l’espèce, Standard and Poor’s ne connaissait ainsi pas l’identité précise des collectivités territoriales lors de l’établissement et la divulgation de sa notation. Les juges ont cependant considéré que la catégorie d’investisseurs, dont les collectivités territoriales faisaient partie, n’était pas indéterminée. En effet, les collectivités territoriales appartenaient à la catégorie composée par les acquéreurs de ce produit financier précis, les « Investors in Rembrandt Notes » (14), et cette catégorie d’investisseurs était bien connue et déterminée. Le second argument avancé par l’agence Standard and Poor’s était que les investisseurs ne sont aucunement obligés de s’appuyer sur une notation. Ils ne sont pas dans une position vulnérable qui justifierait qu’on les protège en admettant une obligation de diligence des agences de notation. Or, selon l’agence, la vulnérabilité est l’une des composantes nécessaires pour être bénéficiaire d’une obligation de diligence. La Cour fédérale australienne écarte toutefois cet argument, en considérant que la vulnérabilité est une conséquence et non une composante de l’obligation de diligence : les collectivités territoriales n’étaient pas en mesure de remettre en question la notation de Standard and Poor’s, de sorte qu’elles étaient dans l’incapacité de se protéger, ce qui les rendait vulnérables. Par ailleurs, Standard and Poor’s arguait que, contrairement aux émetteurs de produits financiers notés, les collectivités territoriales n’étaient pas liées par un contrat avec elle et que ces dernières ne fournissaient pas de contrepartie à la notation. On pourrait, en effet, considérer que les investisseurs bénéficient gratuitement des services de notation sans payer de contrepartie. Dès lors qu’on admettrait qu’ils peuvent engager la responsabilité civile des agences de notation, cela reviendrait à transférer aux agences de notation le risque pris par les investisseurs. La Cour fédérale australienne balaye toutefois cet argument en considérant que la notation était requise pour une catégorie précise d’investisseurs et que l’absence de lien contractuel ne justifiait pas de priver les investisseurs du bénéfice de l’obligation de diligence. Le règlement européen sur les agences de notation de crédit impose de nombreuses obligations aux agences de notation (15), mais il ne les soumet pas à une obliga14. Point 1260. 15. Et notamment l’obligation d’indépendance des agences et de prévention des conflits (art. 6), le respect de la confidentialité et la compétence des analystes de notation salariés et autres personnes impliquées dans l’émission des notations de crédit (art. 7), la transparence, la publicité et l’adéquation des méthodes,

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tion de diligence comparable à celle existant en droit australien. Les juges australiens soumettent non seulement les agences de notation à une obligation générale de diligence envers les investisseurs avec les conséquences en termes de responsabilité civile à leur égard, mais admettent également que le manquement à cette obligation pourrait être constitué par une notation erronée.

II. La faute de l’agence de notation consistant en la « surnotation » d’un produit d’investissement La Cour fédérale d’Australie retient que la faute de l’agence de notation peut résider dans son comportement trompeur et mensonger, ce comportement étant constitué en l’espèce par le fait que Standard and Poor’s a accordé la notation la plus élevée (AAA) à un instrument financier très volatil (A). Eu égard aux particularités de l’espèce, la question de la portée de cette solution retenue par les juges australiens se pose toutefois (B).

A. La surnotation, comportement trompeur et mensonger engageant la responsabilité civile de l’agence de notation Selon la Cour fédérale australienne, la « surnotation » d’un produit d’investissement volatil constitue un comportement trompeur et mensonger (« misleading and deceptive conduct »), et donc une faute à l’égard des investisseurs leur permettant d’engager la responsabilité civile de l’agence de notation. Il s’agit d’un tournant dans l’histoire des actions en responsabilité à l’encontre des agences de notation. Les juges australiens qualifient ici la notation des instruments financiers en question d’« irraisonnable, injustifiée et trompeuse » (16). En effet, Standard and Poor’s s’était basé, selon les juges, sur des prévisions beaucoup trop optimistes dans l’établissement de sa note, et plus précisément sur un paramètre de volatilité erroné, présumant que les instruments financiers étaient moins volatils qu’ils ne l’étaient en réalité. modèles et principales hypothèses de notation (art. 8), les conditions relatives à l’émission et la publication des notations (art. 10), l’obligation de mettre à disposition du public un grand nombre d’informations (art. 11). 16. Point 563. 2015/1

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Chroniques

I.B. Régulation comparée

La notation AAA attribuée par Standard and Poor’s constitue (…) un manquement à son

obligation de diligence.

La notation AAA attribuée par Standard and Poor’s constitue bien un misleading and deceptive conduct et ainsi un manquement à son obligation de diligence. Plus exactement, la faute de l’agence consiste en la publication d’informations substantiellement fausses ou inexactes à destination des investisseurs potentiels en Australie, y compris les collectivités territoriales. La note AAA étant inexacte du fait de la discordance entre ce que la note représentait pour les investisseurs et ce qu’elle était en réalité. En effet, la note AAA attribuée par Standard and Poor’s signifie que, selon l’agence, la capacité des émetteurs d’instruments financiers de remplir toutes leurs obligations financières est « extrêmement forte ». Une telle note suppose également que Standard and Poor’s est parvenu à cette conclusion en se fondant sur des évaluations raisonnables, résultant d’une analyse diligente. En l’espèce, la notation était fausse, et Standard and Poor’s savait au moment de son établissement qu’elle ne correspondait pas à la réalité. Selon la Cour, une agence de notation raisonnable n’aurait pas accordé aux produits en question la note AAA dans ces circonstances. Au niveau européen, l’article 35bis du règlement no 1060/2009 renvoit à l’annexe III du même règlement pour la définition de la faute (« une des infractions énumérées à l’annexe III »). Cette annexe prévoit trois types d’infractions : les infractions liées à des conflits d’intérêts, à des exigences organisationnelles ou opérationnelles ; les infractions relatives aux obstacles entravant les activités de surveillance et les infractions relatives aux dispositions en manière de communication d’information. En droit français, le Code monétaire et financier renvoie au règlement européen pour la définition de la faute (17). On constate ainsi que la faute en droits européen et français ne peut pas consister en une notation erronée comme en droit australien. 17. « Les fautes et manquements commis par elles (…) dans la mise en œuvre des obligations définies dans le règlement (CE) no 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit ».

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I. Régulation financière

B. La portée incertaine de l’arrêt Eu égard aux particularités de l’espèce, tenant, d’une part, à la complexité du produit financier en question, d’autre part, au fait que les investisseurs en question étaient des collectivités territoriales, la question se pose de savoir quelle est la portée de la décision de la Cour fédérale australienne. En effet, un point central dans cette affaire était la complexité du produit financier en question. La Cour fédérale retient qu’en raison de cette complexité, il était « raisonnable » pour les investisseurs de s’appuyer sur la notation pour prendre leur décision d’investissement. On peut ainsi se demander si cette solution aura également vocation à s’appliquer dans les cas où les produits d’investissement ne présenteront pas une telle complexité. À cela s’ajoute que, dans cette affaire, les investisseurs concernés étaient des collectivités territoriales. La question se pose ainsi de savoir si la solution serait la même si les investisseurs étaient des personnes privées, et notamment des sociétés commerciales. Il faudra attendre d’autres affaires et d’autres décisions pour répondre à ces questions. À cet égard, on peut se demander si cette décision restera isolée ou si elle va trouver un écho dans la jurisprudence. Si l’on se tient à la lettre de la déci-

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sion, et notamment à la formulation en termes généraux de la solution, on peut estimer que les agences de notation sont de manière générale soumises à une obligation de diligence envers (tous) les investisseurs potentiels. Ainsi, si on admet que les agences de notation sont soumises de manière générale à une obligation de diligence envers les investisseurs, même potentiels au moment de l’élaboration de la notation, une surnotation, qui résulterait d’un comportement trompeur et mensonger, constituerait une faute. En définitive, si la portée de cette décision de la Cour fédérale australienne est incertaine, il s’agit pour le moins d’une première étape dans la construction d’un régime de responsabilité des agences de notation permettant aux investisseurs d’obtenir réparation des préjudices subis du fait de leurs notations trop généreuses. Il convient de noter que la décision australienne intervient un mois après que la Cour fédérale australienne eut jugé recevable l’action en responsabilité civile engagée par 91 collectivités, Églises et associations australiennes, à l’encontre de Standard and Poor’s pour avoir accordé des notations élevées à huit CDO vendus par Lehmann Brothers. Les demandeurs espèrent pouvoir ainsi obtenir une indemnisation de l’ordre de 200 millions de dollars australiens.

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I.B. Régulation comparée

Le droit et la lutte contre la dette publique : une étude comparée entre l’Union européenne et les États-­Unis

Jérémy Martinez

Doctorant contractuel – Université Paris II Panthéon Assas

La dette souveraine est au cœur des débats. Présentée comme l’un des enjeux économiques majeurs, la dette des États s’est considérablement accrue depuis les années 1980 (1). La dette publique est composée en majorité de titres émis sur les marchés financiers. À titre d’exemple, à la fin de l’année 2007, la dette négociable sur les marchés financiers représentait 77 % de la dette française (2). C’est à travers sa financiarisation qu’une étude sur la dette publique prend tout son sens. Le régime juridique de la dette publique recèle une importance considérable pour les créanciers de l’État. Le principe est simple : plus l’État est en position de rembourser rapidement et de manière sûre, moins les garanties exigées par les créanciers seront élevées (3). Ce principe de confiance – que l’on retrouve par ailleurs en droit des contrats – explique la nécessité de règles efficaces pour lutter contre le dérapage de la dette publique. Si la dette devient trop importante – au point de ne plus être soutenable – les futurs créanciers de l’État exigeront des conditions insoutenables pour prêter. Or il va sans dire que l’État a besoin d’emprunter, non seulement pour investir, mais surtout pour assurer le fonctionnement normal de son économie. La financiarisation et la globalisation de l’économie développent davantage la nécessité d’un régime juridique de la dette publique. D’une part, la dette souveraine de l’État est émise aussi à l’étranger. Il devient beaucoup plus compliqué pour l’État de négocier le remboursement de sa dette dans le cadre d’un procès en arbitrage sous l’égide d’un droit étranger alors même qu’une loi, en interne, suffirait à échapper à ses obligations. La récente affaire des fonds 1.

2. 3.

En France, c’est à partir des années 1980 que la dette publique s’est envolée au-­delà de 10 % du PIB. On con­ state toutefois une très grande augmentation à partir de la crise des subprimes de 2008. Cf., http://www.insee.fr/fr/ themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF08318. Ces chiffres sont détaillés sur le site de l’AFT (Agence française du Trésor). Cette idée devient flagrante lorsqu’on étudie les agences de notation, Cf., B. Plessix, « À propos de la notation souveraine », Revue juridique de l’économie publique, janvier 2014, no 715.

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souverains en Argentine révèle la contrainte qui pèse sur les États lorsque leur dette est émise auprès d’investisseurs étrangers. D’autre part, la financiarisation de l’économie – qui n’est pas nouvelle (4) – rentre en collision avec les préoccupations politiques d’un État. Pour le dire brièvement, les règles qui président à la rentabilité à court terme – ou moyen terme – entrent en collusion avec les premières préoccupations d’un État. Par conséquent, assurer la solvabilité d’un État permet de préserver son accès aux marchés financiers. C’est dans cette perspective notamment (5) que les États ont décidé d’encadrer juridiquement le développement de la dette publique. À cet égard, deux systèmes juridiques méritent d’être comparés. D’une part, le système américain avec l’adoption en 1917 de la règle du debt ceiling (le « plafond de la dette »), d’autre part, le système européen avec l’avènement de la règle d’or. Ces deux règles aux noms différents poursuivent en réalité le même objectif : contraindre un État – ou les États pour l’Union européenne (UE) – à respecter une discipline budgétaire. Ces deux systèmes juridiques manifestent la même tendance : l’adoption d’une règle financière impérative (I) entre en contradiction avec des impératifs extrafinanciers (II). Cette contradiction incite à un constat : « le droit et la finance sont enfermés dans un processus dans lequel les règles établies sont en perpétuelle évolution  (6) », alors même que les objectifs étatiques sont pérennes.

I. L’adoption juridique d’une règle financière : la limitation de la dette publique Face à un endettement massif, les États-­Unis et l’UE ont décidé d’entériner une règle juridique limitant le développement de la dette publique. Cette innovation juridique a été adoptée dans des circonstances différentes : pour le premier l’adoption de cette règle est 4. G. Jèze, « Les défaillances d’État », Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1935, pp. 381‑433. 5. La volonté de préserver l’accès aux marchés financiers doit être comprise comme un des éléments d’un objectif de politique économique au nom duquel la réduction de la dette publique apporte la croissance économique. 6. K. Pistor, « A legal theory of Finance », Columbia Law School, Public law & Legal Theory Working Paper Group, 2013, p. 2.

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Chroniques

I. Régulation financière

intervenue au cours de la Première Guerre mondiale (A) tandis que l’UE n’a développé ces règles que récemment (B).

A. L’institution du debt ceiling au cours de la Première Guerre mondiale Le debt ceiling se traduit littéralement comme le « plafond de la dette ». Il peut être défini comme le montant maximum au-­delà duquel le gouvernement fédéral (le Trésor) ne peut s’endetter sans avoir le consentement du Congrès (pouvoir législatif) (7). Cette technique consistant à contrôler la dette du gouvernement fédéral est apparue en 1917 par l’adoption du « Second Liberty Bond Act » qui a institué une limite s’élevant à 15 milliards de dollars. Initialement, le debt ceiling a été institué pour permettre l’intervention des États-­Unis dans le conflit de la Première Guerre mondiale. Le Congrès a néanmoins toujours opéré un contrôle sur la dette fédérale. Avant 1917, l’intervention du Congrès était ponctuelle, et portait principalement sur de grands investissements. Ce fut le cas notamment pour le canal du Panama. Le contrôle du Congrès portait sur les instruments financiers que le Trésor pouvait utiliser pour développer des investissements. La ponctualité et la précarité de ce contrôle ont suscité certaines craintes au sein du Congrès. La principale crainte était que les moyens de contrôle du Congrès laissaient trop de liberté au Trésor. Cette liberté dans la faculté d’endetter les États-­ Unis – que l’on retrouve par ailleurs confirmée au sein du XIVe article de la Constitution (8) – aurait pour effet de remettre en cause les pouvoirs politiques et économiques du Congrès. Si le Trésor a les mains libres pour endetter les États-­Unis, cela a mécaniquement pour effet de réduire le pouvoir de décision du Congrès (9). Ces inquiétudes ont été exprimées à chaque fois que le Congrès était sollicité pour autoriser ponctuellement le Trésor à s’endetter (10). Par conséquent, l’encadrement C’est traditionnellement de cette manière que le debt ceiling est présenté : « the debt ceiling law was passed, which allowed the executive branch to issue bonds and take on other debt without Congressional approval, as long as the total debt fell under the statutory debt ceiling », in A. Astofi, « 5 facts about the history of U.S. Debt Ceiling », IVN. Disponible sur internet. 8. Article XIV. Section IV : « La validité de la dette publique des États-­Unis, autorisée par la loi, y compris les engagements contractés pour le paiement de pensions et de primes pour services rendus lors de la répression d’insurrections ou de rébellions, ne sera pas mise en question ». 9. A. S. Krishnakumar, « In defense of the debt limit statute », Harvard Journal on Legislation, avril 2007, pp. 135‑185. 10. Ce fut le cas ainsi pour le « War revenue Act » de 1898 qui a permis au Trésor de financer la guerre entre les Américains et Espagnols, v. D. Andrew Austin et Mindy R. Levit, « The debt limit : History and 7.

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juridique de la dette publique ne peut se comprendre s’il n’est pas étudié à l’aune du contexte de son instauration. C’est pour assurer un contrôle efficace du Congrès – afin que celui-­ci puisse mettre en œuvre ses prérogatives constitutionnelles – que le « Second Liberty Bord Act » a été adopté. Ce contrôle est nécessaire pour « responsabiliser le Congrès et le pouvoir exécutif pour ne pas faire croître la dette publique de manière exponentielle  (11) ». Cette logique d’accountability (12) – de responsabilité des pouvoirs publics – est au cœur du debt ceiling. Il en va tout à fait différemment du cas de l’Union européenne.

B. L’avènement d’une limitation de la dette publique dans l’Union européenne Le contexte est sensiblement différent en ce qui concerne l’Union européenne (UE). Les États membres de l’UE ont signé en 1992 à Maastricht le Traité instituant la Communauté européenne (TCUE) qui a mis en place un contrôle des déficits publics excessifs (art. 104). Cet article prévoyait un dispositif de surveillance mené par la Commission européenne afin de vérifier le respect par les États membres de leurs obligations budgétaires. Parmi ces obligations, les États s’engagent à ne pas dépasser une limite de 60 % de dette publique par rapport au produit intérieur brut (PIB). Au-­delà de ce plafond, il convient de souligner le nouveau rôle confié à la Commission européenne. Celle-­ci est à l’initiative de la procédure de surveillance. Lorsque l’État concerné par un déficit excessif ne satisfait pas aux sollicitations de la Commission, celle-­ci se tourne vers le Conseil européen. Cette indication est importante : la Commission poursuit le seul intérêt européen, contrairement au Conseil. Les intentions qui ont animé les parties contractantes figurent au début du Traité adopté à Maastricht. Il est mentionné notamment que « Déterminés à promouvoir le progrès économique et social de leurs peuples, dans le cadre de l’achèvement du marché intérieur (…) et à mettre en œuvre des politiques assurant des progrès parallèles dans l’intégration économique (…) », les États sont « résolus à renforcer leurs économies ainsi qu’à en assurer la convergence, et à établir une union économique et monétaire, comportant, conformément aux dispositions du présent Traité,

Recent Increases », Congressional Research Service, octobre 2014, p. 4. 11. L. Icher, « Le Debt ceiling aux États-­Unis : de l’utilité d’un instrument inutilisé », Revue de droit public, no 4, juillet 2014, p. 1057. 12. P. Avril, « Responsabilité et accountability », in O. Beaud et J.-­M. Blanquer (dir.), La responsabilité des gouvernants, Descartes & Cie, 1999, p. 85.

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une monnaie unique et stable (13) ». L’encadrement de la dette publique au sein de l’UE a été instauré en vue de renforcer la convergence des économies des États membres dans le cadre d’une union économique et monétaire. Ce fondement économique doit être complété par un fondement financier (14). Un encadrement strict et transparent de la dette publique permet d’assurer la confiance des créanciers des États, condition sine qua non pour emprunter sur les marchés financiers à des taux intéressants (15). Alors que le système américain poursuit une finalité purement politique, l’Union européenne met en place un régime juridique des dettes publiques au service d’un objectif économique et financier. Cette différence est fondamentale pour qui veut comprendre les obstacles à un régime juridique de la dette publique efficace.

II. L’échec des préoccupations financières face aux objectifs politiques La crise économique et financière de 2007 – et ses conséquences – a mis en avant la nécessité de davantage encadrer les risques de dérapages budgétaires des États. Pourtant, le renforcement des règles budgétaires rencontre de multiple obstacles découlant de la difficulté d’entériner juridiquement des préoccupations d’ordre politique. Le système américain a ainsi été dénaturé (A) alors que le système européen est inappliqué (B).

A. Les critiques du système américain : la norme financière et l’instrumentalisation politique L’application du debt ceiling est un instrument contesté outre-­Atlantique. Les critiques sont chaque année plus féroces au moment de l’adoption du budget annuel (« United States Federal Budget ») (16). Les premières critiques sont anciennes. Elles portent sur le relèvement constant du plafond de la dette par le Congrès. On constate en effet vingt modifications du plafond depuis le 6 avril 1993 jusqu’au 13. Traité sur l’Union européenne, pp. 3‑4, disponible sur le site internet : europa.eu. 14. J. Creel et al., « Le Pacte de stabilité et les politiques budgétaires dans l’Union européenne »,
Revue de l’OFCE, 2002/5, no 83bis, pp. 245‑297. 15. Ibid., p. 30. 16. V. par exemple, J.J Fichtner et V. de Rugy, « The debt limit debate », Mercatus on policy, George Mason University, mai 2011, no 91, pp. 1‑4. 2015/1

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15 février 2014 (17). Le plafond de la dette est passé de 4,370 à 17,212 milliards de dollars actuellement. Cette considérable augmentation pose la question de l’opportunité de fixer une limite alors même que celle-­ci est fréquemment rehaussée  (18). Par conséquent, le debt ceiling serait dans cette perspective un outil qui, à défaut d’être efficace, n’aurait qu’une vertu symbolique.

Chroniques

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Cette critique n’est toutefois pas la plus forte. Le debt ceiling est surtout contesté pour son instrumentalisation. Cet outil est devenu une arme de pression utilisée par l’opposition afin d’obtenir des concessions politiques de la part du parti au pouvoir (19). Cet aspect est révélé par l’augmentation des crises politiques au moment du relèvement du plafond survenu à partir du milieu du mandat de G.W. Bush (2002). Les nombreuses réévaluations du plafond de la dette étaient intervenues jusqu’alors sans difficulté politique (20). C’est en effet à partir de 2002 que les démocrates ont menacé de ne pas voter l’augmentation du plafond de la dette (21). Mais les crises les plus aiguës sont intervenues en 2011 et 2013 durant lesquelles les républicains ont refusé le rehaussement du plafond de la dette (22). La crise politique de 2011 a en effet été résolue par l’adoption du Budget Control Act plaçant le seuil à 16 394 milliards de dollars, seuil qui allait être atteint le 17 octobre 2013. Durant le mois d’octobre, les républicains ont menacé de ne pas rehausser cette limite pour obtenir un retour en arrière sur la réforme démocrate du système de santé surnommée « Obamacare ». Un accord datant du 16 octobre est alors intervenu pour suspendre le plafond jusqu’au 7 février 2014. Il a fallu attendre finalement le 11 février (23) pour que le Congrès fixe le debt ceiling à 17,2 milliards de dollars afin d’auto17. D. Andrew Austin et Mindy R. Levit, « The debt limit : History and Recent Increases », Congressional Research Service, octobre 2014, p. 11. 18. Un membre démocrate de la Chambre des représentants a d’ailleurs déclaré pour justifier une proposition de loi déposée par un groupe de démocrates visant à supprimer le debt ceiling : « The debt ceiling is arbitrary, doesn’t affect the deficit and serves no real function in keeping spending down – and it’s time to abolish it », V. J. Nadler, « The debt ceiling must go », The Hill, juin 2013. 19. L. Icher, « Le debt ceiling aux États-­Unis : de l’utilité d’un instrument inutilisé », op. cit., pp. 1060 et s. 20. Philip D. Winters, « Public Debt Limit Legislation: A Brief History and Controversies in the 1980s and 1990s », CRS Report 98‑805 E ; J. Hazan, « Unconstitutional debt ceilings », Georgetown law journal Online, 2014, p. 3 : « It was routine. It was boring. But it did not last ». 21. Richard W. Stevenson, « House Raises Debt Ceiling and Avoids a Default », N.Y. Times, 28 juin 2002. 22. L. Icher, « Le debt ceiling aux États-­Unis : de l’utilité d’un instrument inutilisé », op. cit., p. 1056. 23. Entre le 7 et le 11 février, le Trésor a dû prendre des mesures extraordinaires pour compenser l’absence de rehaussement du plafond.

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I. Régulation financière

riser a posteriori le montant de la dette accumulée jusqu’à ce jour et décide de le suspendre jusqu’en mars 2015. En utilisant le refus de rehausser le plafond de la dette publique, le debt ceiling est devenu un outil de chantage politique (24) d’autant plus puissant qu’il est susceptible d’entraîner de graves dysfonctionnements en termes économiques et financiers (25). Ce refus entraînerait l’impossibilité pour le gouvernement des États-­Unis de rembourser ses dettes tout en affrontant une augmentation importante des taux d’intérêt sur les marchés financiers. Il faut bien comprendre que l’instrumentalisation ne réside pas dans le refus stricto sensu de rehausser le seuil de la dette publique. En réalité, l’instrumentalisation intervient lorsque le refus de rehausser la dette publique empêche le gouvernement fédéral d’honorer ses engagements parmi lesquels une majorité provient de lois votées par le Congrès lui-­même. Dans cette hypothèse, le Congrès s’oppose non seulement à l’engagement de dépenses futures – ce qui est ici son rôle – mais surtout de dépenses nécessaires à la réalisation de réformes approuvées politiquement. L’essence même du debt ceiling résidait dans le pouvoir de contrôle du Congrès sur les choix financiers réalisés par le Trésor dans le cadre plus général de responsabilisation des pouvoirs publics de gestion des finances publiques (accountability). Il s’agissait d’un pouvoir de contrôle sur des décisions politiques qui ont vocation à dessiner l’avenir économique d’un pays. Son instrumentalisation politique le transforme en outil de pression faisant prévaloir des considérations partisanes étrangères à tout aspect économique et financier (26). Par conséquent, l’exemple américain illustre la grande difficulté d’obtenir une norme financière effective lorsque celle-­ci est confrontée à son instrumentalisation politique. La comparaison avec l’Union européenne est intéressante, puisque l’objectif financier rencontre d’autres difficultés.

24. Le sénateur Mitch McConnell a décrit ce chantage ainsi : « I think some of our members may have thought the default issue was a hostage you might take a chance at shooting. Most of us didn’t think that. What we did learn is this – it’s a hostage that’s worth ransoming. And it focuses the Congress on something that must be done » ; S. Jenkins, « In Debt Deal, the Triumph of the Old Washington », Washington Post, 3 août 2011. 25. H. Buchanan et M. C. Dorf, « How to choose the least unconstitutionnal option : lessons for the President (and others) from the 2011 debt ceiling Standoff », Corndell Law School research paper, no 12‑09. 26. J. Hazan, « Unconstitutional debt ceilings », Georgetown law journal Online, 2014 ; contra, A. S. Krishnakumar, « In defense of the debt limit statute », Harvard Journal on Legislation, avril 2007, pp. 135‑185. 66

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B. Les failles du système européen : la norme financière et l’omission du pouvoir politique Depuis l’adoption du Traité de Maastricht, la limitation de la dette publique dans l’Union européenne a évolué en faveur d’un rôle sans cesse plus important joué par la Commission. Brièvement (27), les dispositifs de lutte contre les dettes publiques ont été renforcés une première fois en 1997 par l’adoption d’une résolution et de deux règlements (« pacte de stabilité et de croissance ») (28). Après une première modification en 2005 (29), le Traité de Lisbonne a renforcé les pouvoirs de surveillance de la Commission en lui permettant notamment d’adresser ses avis directement aux États (30). En 2011, le pacte de stabilité et de croissance de 1997 a fait l’objet d’une réforme par cinq règlements et une directive. Ce six pack est entré en vigueur le 13 décembre 2011 (31) en poursuivant une double finalité : d’une part, le rythme de réduction des déficits publics est précisé, et d’autre part le règlement réduit les délais pour constater les déficits excessifs et renforce les procédures de surveillance, de décision et de sanction (32). L’adoption du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) franchit une étape supplémentaire en renforçant les pouvoirs de sanction de la Commission, et impose aux États membres d’adopter dans leurs ordres juridiques la règle d’or d’équilibre budgétaire (33). 27. Pour un exposé plus détaillé, v. par exemple N. Genestier et A. Pradié, « Monnaie et budget dans le cadre institutionnel européen : quelles interactions mises en lumière par la crise », R.B.D.I., no 2, mars 2014, pp. 32 et s. 28. Cf., la résolution du Conseil européen du 17 juin 1997 relative au pacte de stabilité et de croissance, le règlement du Conseil no 1466/97 (CE) du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques et le règlement no 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs. 29. Règlement (CE) no 1055/2005 du Conseil du 27 juin 2005 modifiant le règlement (CE) no 1466/97 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques. 30. Ces dispositions sont présentes aux articles 120 à 126 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). 31. Règlement (UE) no 1177/2011 du Conseil du 8 novembre 2011 modifiant le règlement (CE) no 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997 concernant les déficits excessifs. 32. L’étude des instruments financiers stricto sensu est exclue ici, cf., A. Azi, « La solidarité financière dans la zone euro », Droit administratif, no 8, août 2012, étude 14. 33. Pour un aperçu des questions constitutionnelles posées par l’adoption du TSCG, cf., X. Magnon, « Un traité international de mise en œuvre du droit de l’Union

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Comme pour le système américain, l’encadrement de la dette publique dans l’Union européenne a suscité de nombreuses critiques (34). Ces critiques portent en premier lieu sur l’ineffectivité de la règle. La crise des subprimes de 2007 a entraîné une mise en cause des dettes souveraines – par le biais du renflouement des banques notamment – alors même que l’encadrement des dettes publiques se renforçait au sein de l’Union. Face à ce bousculement conjoncturel, les institutions de l’Union européenne – et en particulier la Commission – ont décidé de suspendre durant les années de crise (2009‑2011) l’application du pacte de stabilité et de croissance. Encore plus, on constate que postérieurement à cet état d’urgence, certains États de l’union – et en particulier la France – ne respectent toujours pas les règles budgétaires européennes. Les lettres de recadrage adressées par la Commission respectivement à l’Italie et à la France à la fin du mois d’octobre 2014 révèlent les interrogations soulevées par la gestion financière de ces deux États membres (35). Par conséquent, comme pour le cas américain, la question de l’effectivité de la norme financière se pose avec une acuité particulière. La limitation de la dette publique, bien qu’inscrite dans des normes juridiques au rang élevé (36), ne parvient pas à s’imposer.

marchés financiers (37). Pourtant, la France, malgré de multiples dégradations de sa dette souveraine par les agences de notation depuis janvier 2012 (38), emprunte sur les marchés à des taux d’intérêts historiquement bas (39). Cet exemple montre plus profondément que, contrairement au système américain, la limitation de la dette publique dans l’Union européenne est fragile en ce qu’elle repose sur un fondement strictement économique (40). La situation actuelle de taux d’intérêt faiblement élevés incite à critiquer le fondement même de la règle financière européenne (41). Ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas d’adresser une critique sur la philosophie économique qui guide le renforcement du contrôle des dettes publiques. On reconnaîtra volontiers notre incompétence en la matière. Il s’agit de mettre en évidence la fragilité d’un cadre juridique qui exclut tout ressort politique afin de légitimer la règle de droit. La comparaison des systèmes américain et européen est à cet égard frappante. Si le premier est critiqué pour son instrumentalisation politicienne, le second est quant à lui contesté dans son fondement même.

Le cas européen est à certains égards plus symptomatique. Le renforcement du contrôle budgétaire sur les États membres s’est appuyé sur une préoccupation économique et financière. Ainsi, l’UE a très vite considéré que la réduction de la dette publique permettait d’emprunter à des taux d’intérêt attractifs sur les

Cette étude montre par conséquent que les règles financières doivent être pensées dans un système global prenant en considération l’ensemble des aspects juridiques autant que politiques. Une partie de la doctrine aux États-­Unis a compris cette nécessité en développant des recherches sur une « théorie légale de la finance (42) ». Ces initiatives nous semblent d’autant plus précieuses que « nulle part l’effet désastreux de la division en domaines de spécialistes n’est plus visible que dans les deux plus anciennes de ces disciplines, l’économie et le droit  (43) ».

européenne devant le Conseil constitutionnel : la ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG) peut ne pas exiger de révision constitutionnelle préalable », Revue française de droit constitutionnel, no 92, 2012, pp. 854‑862. 34. D. Simon, « La règle d’or ou les normes en caoutchouc gravées dans le marbre », Europe, no 9, août 2011, repère no 8. 35. « Budget : la lettre de Bruxelles à la France échauffe les esprits », Le Monde, 24 octobre 2014. 36. Le TSCG prévoit dans son article 3 que « Les règles énoncées au paragraphe 1er prennent effet dans le droit national des parties contractantes au plus tard un an après l’entrée en vigueur du présent Traité, au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon ».

37. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Renforcer la coordination des politiques économiques », Bruxelles, 12 mai 2010, p. 11. 38. « Avec la France, neuf pays de la zone euro voient leur note dégradée par S&P », Le Monde, 13 janvier 2012. 39. « Taux d’intérêt sur la dette française : jusqu’ici tout va bien », La Tribune, 26 novembre 2013. 40. D. Graeber, Dette : 5 000 ans d’histoire, Les liens qui libèrent éditions, 2013, 624 p. 41. Perspectives de l’économie mondiale – Transitions et tensions, FMI (Fonds monétaire international), octobre 2013. 42. K. Pistor, « A legal theory of Finance », Columbia Law School, Public law & Legal Theory Working Paper Group, 2013, 43. F.A. Hayek, Droit, législation et liberté : règles et ordre, t. I, PUF, 1998, p. 5.

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I.B. Régulation comparée

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Chroniques

I. Régulation financière

Mutations du droit au sud du Sahara : aspect du droit des marchés financiers dans l’espace OHADA

Mariel Gansou

Juriste de droit bancaire et financier Chargé d’enseignement

Introduction 1. Le droit en Afrique subsaharienne faisait naguère penser à une relique des mécanismes juridiques existant en droit français (1). – Existerait-­il un droit africain ? D’aucuns s’interrogent toujours. Il serait le cas échéant resté à l’état de coutume, sinon de religion. Pourtant, non seulement cette image du droit en Afrique s’estompe, mais en outre cette période d’un mimétisme – que les esprits chagrins qualifieraient de béat – est révolue. À dire vrai, même si l’on ne peut s’empêcher de penser à Spinoza qui écrivait dans l’Éthique, qu’« agités de bien des façons par les causes extérieures et, pareils aux flots de la mer agités par des vents contraires, nous flottons inconscients de notre sort et de notre destin », l’Afrique a toujours produit du droit (2). 2. À pas feutrés, le droit au sud du Sahara a densifié l’édifice normatif hérité de la période de ses indépendances. – Les spécialistes du droit constitutionnel (3) ont, dans cette perspective, été parmi les premiers à y voir autre chose que des poncifs, en particulier en prenant comme cadre d’analyse les constitutions (4). Ils ont invité la communauté scientifique à y voir plus de droit qu’elle ne le faisait. Ils ont invité le droit com1.

L. D Muka Tshibende, « Les Gaulois, nos ancêtres ? Sur la circulation et l’influence du modèle juridique français en Afrique noire francophone », OHADA, D-­07‑02. 2. R. Sacco et J. Vanderlinden, Le droit africain : anthropologie et droit positif, Dalloz-­Sirey, 2009. 3. S. Bolle « Des constitutions “made in” Afrique », communication au VIe congrès français de droit constitutionnel, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005. V. Jean du Bois de Gaudusson, « Le mimétisme postcolonial et après ? », La démocratie en Afrique, Pouvoirs, Le Seuil, 2009/2 (no 129), p. 256. V. I. Salami, La protection de l’État de droit par les cours constitutionnelles africaines : analyse comparative des cas béninois, ivoirien, sénégalais et togolais, thèse, Tours, 2005. V. A. Kpodar, « Bilan sur un demi-­siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », Afrilex, janvier 2013. 4. K. Dosso, « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone : cohérences et incohérences », Revue française de droit constitutionnel, no 90, 2012/2. 68

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paré à saisir totalement et complètement le droit en Afrique subsaharienne afin de revisiter la question. Le droit public avait donc pris dans l’approfondissement de la question une avance sérieuse que le droit privé compense progressivement. Naturellement, les civilistes, avec le droit de la famille en tête (5), n’ont pas manqué d’apporter leurs pièces à l’édifice. À présent, les marchés financiers sont de ce point de vue et par leur hybridation (6) (public/privé) des acteurs insoupçonnés de mutations qui touchent autant le droit public que le droit privé tels qu’on les connaissait en Afrique subsaharienne. Les mutations dont nous sommes les témoins et que la recherche (7) commence peu à peu à dégager conduisent à analyser les phénomènes en cours pour tenter de les expliquer à l’aune de l’actualisation la plus récente de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales et les groupements d’intérêt économique (AUSCGIE (8)) adopté le 30 janvier 2014 par le conseil des ministres de l’OHADA et publié au journal officiel de l’OHADA (9) le 4 février de la même année.

5. G.A. Kouassigan, Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en Afrique noire francophone, Éditions A. Pedone, 1974. 6. Il est observé que le droit financier entendu de nos jours comme le droit des marchés financiers était pour l’essentiel le droit des finances de l’État ou des collectivités publiques. V. A. Couret, « De quelques apports conceptuels du droit financier contemporain », in Mélanges C. Champaud – Le droit de l’entreprise dans ses relations externes à la fin du xxe siècle, Dalloz, 1997, p. 195. V. Encyclopédie juridique de l’Afrique, Les nouvelles éditions africaines, 1982. 7. D. Keuffi, La régulation des marchés financiers dans l’espace OHADA, coll. Études africaines, éd. L’Harmattan, janvier 2011. 8. L’AUSCGIE a été adopté le 17 avril 1997 et est entré en vigueur le 1er janvier 1998. 9. L’OHADA est l’organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. Le Traité OHADA a été signé le 17 octobre 1993. Il est entré en vigueur le 18 septembre 1995. Réunissant seize pays, il en compte à présent dix-­sept, depuis l’adhésion de la République démocratique du Congo. Le Traité a été révisé en 2008 à Québec. Il compte neuf actes uniformes. En partant de l’acte uniforme le plus récent relatif aux sociétés coopératives adopté le 15 septembre 2010 et en prenant en compte les actualisations des actes uniformes sur les sociétés commerciales et les GIE, du droit commercial et les sûretés, on constate que l’espace OHADA enserre effectivement le droit commercial général, le droit des sociétés et les groupements d’intérêt économique (GIE), l’arbitrage, le droit comptable, le droit du transport, les procédures collectives et l’apurement du passif, mais qu’il continue d’ignorer dans ses actes uniformes le secteur bancaire et financier.

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Les marchés financiers

font bouger le droit africain au-­delà de la summa divisio (droit

public-­droit privé).

3. Les marchés financiers font bouger le droit africain au-­delà de la summa divisio (droit public-­droit privé). – L’architecture de l’organisation normative est à présent traversée par les enjeux des marchés financiers. Quelles en sont les raisons ? Cette transmutation est concrète parce que les bourses et les marchés financiers plus globalement ont fait admettre leurs existences. Des existences souvent ignorées par leurs faibles participations dans les marchés boursiers mondiaux (10). Des existences précarisées par leurs modestes contributions aux financements locaux (11). Des existences dont la réalité appelle de faire évoluer les atermoiements, parce qu’en dehors des bourses de Johannesburg, d’Alexandrie et du Caire, pionnières africaines (12) de l’aventure boursière et plusieurs fois séculaires, on dénombre à ce jour dans l’espace OHADA, trois marchés réglementés nés après l’adoption du traité fondateur (13). La bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC) à Libreville au Gabon, la bourse de Douala au Cameroun et la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) à Abidjan en Côte-­d’Ivoire (14). 4. Mais créer un marché boursier n’a jamais suffi à garantir le développement du tissu économique et la contribution du droit à cet objectif d’attractivité est saisissante. – L’enjeu est considérable en termes d’attractivité pour les zones économiques qui fondent 10. I. Otchere, L. Sembet et F. Allen, « African financial systems : A review », Rev. Dev. finance, 2011. 11. En 2013, avec une capitalisation boursière de 4 031, 38 milliards de francs CFA ne représenteraient que 10 % du PIB de l’UEMOA, ce qui est très au-­dessous d’autres pays émergents pour lesquels la bourse représente de 25 à 30 % du PIB. 12. La bourse de Johannesburg a été fondée en 1887. Les bourses d’Alexandrie et du Caire furent respectivement créées en 1883 et en 1903. 13. La BRVM a débuté ses activités le 16 septembre 1998. La BVMAC créée le 27 juin 2003 a démarré ses activités en 2007. La bourse de Douala a débuté ses activités en 2007. 14. Les trois bourses ont en commun d’y avoir dématérialisé les valeurs mobilières et sont gouvernées par les ordres. La négociation se déroule principalement au fixage (fixing). 2015/1

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historiquement la zone franc – la CEMAC (15) et l’UEMOA (16) – et qui sont des zones économiques à faible intermédiation bancaire et qui ont en commun le même droit des affaires, le droit OHADA. Repenser le paradigme du droit en Afrique serait d’y voir autre chose qu’une imitation brutale, pour rechercher le fil d’Ariane à travers les convergences et en ayant conscience des divergences. Partant, il faudrait confesser une vision quasiment utilitariste du droit comparé consistant à faire une référenciation des bonnes pratiques à l’heure où les marchés financiers de la zone OHADA ont entamé des réflexions stratégiques (17). La fongibilité du droit se joue-­t‑elle de nous ? Une action ne serait donc pas toujours une action. Disons-­le d’emblée, c’est autant par le contenu de la réglementation et ses formes que par le cadre juridique des produits financiers qu’on est saisi.

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I.B. Régulation comparée

Le mimétisme avec le

droit français, pour le moins en ce qui concerne les marchés financiers, est plus ambivalent qu’il

paraît.

5. Le mimétisme avec le droit français, pour le moins en ce qui concerne les marchés financiers, est plus ambivalent qu’il paraît. – Le droit public consacre depuis les indépendances, et davantage depuis la création des bourses dans la zone franc, de nouvelles institutions normatives, au risque d’affaiblir sa vision cardinale de la constitution et de la hiérarchie des normes. Les autorités administratives dites indépendantes via les régulateurs en sont des illustrations emblématiques. Le droit privé consacre pour sa part l’essor de la gouvernance, au bénéfice d’un droit des sociétés toujours plus économique, pour ne pas dire en phase avec l’analyse économique du droit (18). On en viendrait même à s’interroger sur l’équilibre des forces en présence et sur le point de savoir l’impact de la pression réfor15. Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC). 16. Union économique et monétaire d’Afrique centrale (UEMOA). 17. Plan stratégique 2014‑2021 du marché financier régional de l’union monétaire ouest-­africaine, CREPMF. www.crepmf.org. 18. M. Ejan et S. Rousseau, Analyse économique du droit, Dalloz-­Sirey, 2008.

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I. Régulation financière

matrice du droit bancaire et financier, car si, comme l’a démontré le professeur Issa-­Sayegh (19), par exemple, pour le projet d’acte uniforme en droit du travail, il convient de parler d’une harmonisation, et en droit bancaire et financier, d’uniformisation sectorielle (20), la pression créatrice du droit des marchés financiers se fait de plus en plus insistante. 6. Le droit au sud du Sahara au sein de l’espace OHADA se mue à présent, d’une part, en un droit fonctionnel au service de l’organisation attractive des marchés financiers (I), d’autre part, en un droit fonctionnel au service de l’efficacité des entreprises (II).

I. Le droit au service d’une organisation attractive des marchés financiers 7. Les marchés financiers ont consacré de nouveaux acteurs dans l’espace OHADA en s’inspirant certes des bonnes pratiques internationales, mais en leur donnant une réalité autonome. La bourse et le régulateur du marché boursier reçoivent ici un traitement à part entière (A), que l’actualisation de l’AUSCGIE approfondit par de nouveaux produits financiers (B).

A. Le marché boursier et son régulateur 8. Une vision téléologique des gérants de bourse. – En France, sur les marchés réglementés, le gérant de la bourse qu’il est convenu d’appeler l’entreprise de marché reçoit comme mission, d’une part, d’effectuer les actes afférents à l’organisation et à l’exploitation de chaque marché réglementé qu’elle gère, d’autre part, de veiller à ce que chaque marché réglementé qu’elle gère remplisse en permanence les exigences qui lui sont applicables (21). 19. J. Issa Sayegh et J. Lohoues-­Oble, OHADA. Harmonisation du droit des affaires, éd., Bruylant, Unida, Juriscope, 1re éd., 2002. 20. Cela ne s’est pas fait directement par les actes uniformes, mais par le biais de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Commission bancaire (24/02/1990) de l’UEMOA qui ont soumis un avant-­projet de réglementation bancaire conformément au Traité de feu l’UMOA. Projet débattu par des banquiers et des juristes avant d’être soumis pour accord au Conseil des ministres de l’UMOA et au Conseil d’administration de la BCEAO. Depuis, l’UEMOA a continué dans cette perspective, lui permettant en cas de besoin de prendre toutes les mesures nécessaires afin de consolider le bloc réglementaire en matière bancaire et monétaire comme elle le fit en matière de chèque, de carte de paiement, lettre de change et billet à ordre ainsi que l’organisation de la profession bancaire en général par le biais de la loi-­cadre et son décret d’application. 21. Article L.421‑2 du Code monétaire et financier. 70

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9. La zone UEMOA et la zone CEMAC ont adopté une philosophie similaire. En zone UEMOA, la bourse a deux fonctions statutaires comparables au cadre français, car elle assure « l’organisation du marché boursier et la diffusion des informations boursières », tandis que parallèlement en zone CEMAC, l’article 3 du règlement no 06/03 confirme que si « l’organisation, le fonctionnement et l’animation du marché financier régional sont assurés, dans la limite de leurs compétences et de leurs responsabilités respectives par trois institutions, la bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC) est l’animateur de la composante boursière du marché financier régional… ». 10. Le terme « entreprise de marché » n’a pas de définition uniforme dans l’espace OHADA. – Utilisé dans le règlement général de la COSUMAF, conformément à l’article 79, en qualité d’« organismes du marché » aux côtés du Dépositaire central, le terme paraît moins usité en zone UEMOA, puisque ni la « Convention du 3 juillet 1996 portant création du Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers », ni le règlement de la BRVM et du Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers ne paraissent retenir cette formule (22). Au Cameroun, si l’article 2 de la loi no 99/015 du 22 décembre 1999 portant création et organisation du marché financier emploie néanmoins le terme « entreprise de marché (23) », il le définit différemment et précisément comme « l’organisme chargé de l’encadrement des opérations de marché à l’occasion des séances de négociations, de l’admission à la cotation des produits financiers et de la publicité des transactions, du règlement comptable des opérations, de la livraison des titres et de leur conservation pour le compte des tiers ». De la sorte qu’une fois encore, par la référence qui est faite aux opérations de post-marché (24) et de règlement-­livraison, l’entreprise de marché regrouperait l’ensemble des infrastructures des marchés. 11. Cette architecture de marché en silo témoigne aussi de l’influence du droit français et par capillarité du droit européen en particulier parce que, lors de la création de la bourse camerounaise, le droit français venait de transposer la directive Service d’investissement (DSI) par la loi « modernisation des activités financières » du 2 juillet 1996. Or cette loi a introduit de manière fondamentale le concept d’entreprise de marché (25) dans l’ordonnancement juridique français 22. La formule retenue par le règlement du CREPMF est celle de « Structure de marché ». 23. La décision no 02/002 du 3 décembre 2002 portant règlement général de la commission des marchés financiers prévoit un titre (iii) de l’entreprise de marché-­chapitre (i) des missions dévolues à l’entreprise de marché. 24. « La chaîne de traitement des titres comprend en effet trois étapes : la négociation, la compensation et le règlement-­livraison. Ces deux dernières étapes constituent ce qu’on appelle des activités de postmarché ». T. Bonneau et F. Drummond, Droit des marchés financiers, Economica, 2010, p. 322. 25. Article 40 de la loi du 2 juillet 1996.

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tout en indiquant que, si les entreprises de marchés sont « des sociétés commerciales qui ont pour activité principale d’assurer le fonctionnement d’un marché réglementé d’instruments financiers », elles peuvent gérer une ou plusieurs chambres de compensation sous réserve d’avoir le statut d’établissement de crédit. Si bien que, comme le démontrent M. H. de Vauplane et M. J.-­P. Bornet (26), l’entreprise de marché n’était déjà pas cantonnée à l’organisation du marché. La Société de bourse française garantissait également la livraison des négociations, le règlement du Conseil des bourses de valeurs (27) leur ayant en effet enjoint de garantir aux adhérents le règlement des capitaux et la livraison des titres qui leur sont dus à raison de leurs positions nettes. 12. Une mise en œuvre variée. – L’architecture de marché des trois bourses de l’espace OHADA diverge donc en ce que celle du marché camerounais a adopté un modèle en silo. Au Cameroun, la différence de mission de l’entreprise de marché par rapport aux autres bourses de la région conduit l’entreprise de marché à s’occuper aussi du système de règlement-­livraison. Ce parti pris organisationnel est confirmé par l’article 28 de la loi no 99/015 du 22 décembre 1999 portant création et organisation du marché financier qui prévoit qu’« un département spécialisé de l’entreprise de marché assure la surveillance des positions et de l’appel des marges, la liquidation d’office des positions concernant les valeurs mobilières. Il supervise également la circulation des valeurs mobilières entre les partenaires par des opérations de virement de compte à compte et assure la conservation de ces valeurs. Son personnel est tenu au secret professionnel… ». 13. Cette architecture de marché en silo répond enfin à des choix économiques et stratégiques qui impactent aussi juridiquement la définition et les attributions du gestionnaire de marché. Comme le note M. Pascal Ordanneau dans son Abécédaire décalé et critique de la banque et de la finance (28), « La question de la structure en silo est, sur ce point, intéressante. Une telle structure suggère que dans le contexte pratique et technique d’un système multilatéral d’échanges de valeurs mobilières, le traitement des ordres et leur confrontation, le paiement des transactions et l’apurement des montants de capitaux échangés et enfin la livraison et l’enregistrement des valeurs sont intégrés dans un seul et même système ». Cette organisation présente l’avantage d’être simple et logique et a, de ce fait, été le modèle adopté par beaucoup de places financières internationales (29). On peut donc être tenté de légitimer ce choix pour des bourses naissantes de l’espace OHADA dans un 26. H. De Vauplane et J.-­P. Bornet, Droit des marchés financiers, Litec, 15 octobre 2001. 27. Article 8.2.5. 28. P. Ordanneau, La désillusion – Abécédaire décalé et critique de la banque et de la finance, éd. Jacques Flament, janvier 2011. 29. Y compris en Italie (borsa italiana), en Allemagne (Deutsche Börse). 2015/1

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souci d’effectivité. C’est ici l’une des conséquences de la circulation des modèles juridiques (30) et de l’influence de la microstructure de marché. 14. Les autorités administratives indépendantes prolongent la vision téléologique du droit dans l’espace OHADA. – Les origines des autorités administratives indépendantes sont anglo-­saxonnes. Au xviie et au xviiie siècle, en Grande-­Bretagne, on les évoque assez souvent sous la forme des Quasi-­independant Boards. Mais les autorités administratives indépendantes sont véritablement nées à la fin du xixe siècle aux États-­Unis où est privilégié le terme d’Agency. Les créations de la Securities Exchange Commission et de la Commodity Futures Trading Commission aux États-­ Unis pour répondre aux insuffisances réglementaires ayant conduit à la crise de 1929 en sont des traits saillants (31).

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I.B. Régulation comparée

15. Dans le modèle juridique français, une autorité administrative se caractérise par trois critères : il faut qu’il s’agisse d’un organe ayant des pouvoirs (autorité avec ou sans personnalité morale) agissant au nom de l’État (administrative) et de façon indépendante (indépendant) par exception à l’article 20 de la Constitution du 4 octobre 1958 selon lequel le gouvernement dispose de l’administration. Leur première illustration la plus évidente date de 1978 dans la loi portant création de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL).

Ces institutions ont eu

dans un premier temps en Afrique subsaharienne un objectif de sauvegarde des libertés publiques. Les domaines économiques sont pas à pas devenus l’autre versant de leurs

manifestations.

30. E. Agostini, « La circulation des modèles juridiques », Revue internationale de droit comparé, vol. 42, no 2, avril-­juin, Études de droit contemporain, pp. 461‑467. 31. V. Paoli-­Gagin, Les commissions des valeurs mobilières : étude comparative, thèse, 1996.

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I. Régulation financière

16. Ces institutions ont eu dans un premier temps en Afrique subsaharienne un objectif de sauvegarde des libertés publiques (32). Les domaines économiques sont pas à pas devenus l’autre versant de leurs manifestations. Ces régulateurs ont reçu des pouvoirs importants, dont on questionne pourtant la mise en œuvre. Il en ressort effectivement un fonctionnement atypique basé idéologiquement sur une solution technique inspirée du droit anglo-­saxon puis greffée sur une organisation judiciaire inspirée du droit français. 17. D’ailleurs, en prenant l’habitude de qualifier d’autorité administrative indépendante, les régulateurs, y compris dans l’espace OHADA, c’est probablement comme l’explique le professeur Pontier « même en forçant le trait, en procédant à des assimilations peut-­ être abusives ». Les textes créant ces régulateurs dans l’espace OHADA n’emploient pas la formule d’autorité administrative indépendante de la même façon qu’en droit français ou ne l’emploient pas du tout. 18. Les sources des autorités administratives indépendantes sont en général constitutionnelles ou législatives, voire de qualifications jurisprudentielles (33), mais dans l’espace OHADA on ne manquera pas de noter l’impact déterminant du droit communautaire africain parce qu’autant dans la zone CEMAC que dans la zone UEMOA, ces autorités s’inscrivent dans le cadre des zones monétaires relevant de leurs traités fondateurs. Au Cameroun, la source législative est plus concrète, puisque c’est dans l’article 14 de la loi no 99/015 du 22 décembre 1999, et le chapitre IV portant sur « La commission des marchés financiers », qu’il est prévu qu’une Commission des marchés financiers est chargée de veiller à la protection de l’épargne investie en valeurs mobilières et dans tous les autres placements donnant lieu à l’appel public à l’épargne. Elle est en outre chargée de l’information des investisseurs, du contrôle des prestations de services d’investissement et de la supervision du bon fonctionnement de l’entreprise de marché prévue à l’article 24 ci-­dessous. Parallèlement, dans la zone CEMAC, l’acte additionnel 03/01 CEMAC CE-­03 prévoit à l’article 1er « il est créé, dans le cadre de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (UMAC), un organe communautaire dénommé Commission de surveillance du marché financier ». Tandis qu’en zone UEMOA, l’article 1er de la convention portant création du conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers prévoit : « Il est créé, dans le cadre de l’Union monétaire ouest-­africaine, un organe 32. A. Diarra, « Les autorités administratives indépendantes dans les États francophones d’Afrique noire – Cas du Mali, du Sénégal et du Bénin », Afrilex, 2000/00. Le professeur Diarra illustre cette dimension historique dans les domaines de gestion des moyens de communication et des élections ainsi que dans la protection des droits et des administrés en prenant le cas du médiateur. 33. Conseil d’État, rapport public 2001, jurisprudence et avis de 2000, Les autorités administratives indépendantes, Études & documents, no 52, Paris, La Documentation française, 2001. 72

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dénommé Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers, chargé d’une part, d’organiser et de contrôler l’appel public à l’épargne, d’autre part, d’habiliter et de contrôler les intervenants sur le marché financier régional ». 19. Mais les régulateurs apparaissent aussi dans d’autres domaines économiques tels que le droit de la concurrence et le domaine des télécommunications non sans créer de nombreux doutes quant à leur articulation avec le droit OHADA (34). Paradoxalement, à ce jour, les États membres dans le cadre de l’OHADA et les autorités économiques et monétaires invitent à limiter le domaine des actes uniformes, avec pour corollaire positif de prévenir une extension anarchique des actes uniformes, mais avec comme risque de figer les relations entre les régulateurs et le droit OHADA dans des zones grises, sources d’insécurité juridique. 20. Les décisions du 23 mars 2001 et du 15 décembre 2010 du conseil des ministres de l’espace OHADA sont un exemple de cette volonté de rationaliser toujours davantage le domaine du droit des affaires dans l’espace OHADA. Lors de la deuxième session du conseil des ministres de l’OHADA, en décembre 2010, une modification profonde est intervenue dans la répartition des compétences institutionnelles. Le Conseil a « décidé d’abroger la décision de Bangui du 23 mars 2001 qui étendait le champ des matières à harmoniser par l’OHADA notamment au droit bancaire et au droit de la concurrence, matières qui auraient déjà fait l’objet de transfert de compétence par les traités fondateurs des unions économiques et monétaires ». Mais « Le Conseil s’est également engagé à affirmer le principe du caractère dérogatoire des droits communautaires (CEMAC, UEMOA) par rapport au droit OHADA ; négocier des cadres de concertation entre l’OHADA et les organes et institutions communautaires ; impliquer systématiquement et réciproquement les organes et institutions communautaires ». Ces décisions sont utiles pour éviter de multiplier des domaines d’harmonisation disparates. Toutefois, elles négligent par trop la question du financement des économies de la zone OHADA (35).

34. M. Bakhoum, « Perspectives africaines d’une politique de la concurrence dans l’espace OHADA » Revue internationale de droit économique, 2011/3, t. XXV, De Boeck Supérieur, 148 p. 35. V. B. François et M. Gansou, « Les marchés financiers dans l’espace OHADA : un optimisme raisonné », actes du colloque organisé par l’ACFAS et l’Université Laval (Québec), les 8 et 9 mai 2013, in Investissement, financement et normalisation comptable dans l’espace OHADA : quelles leçons pour la gouvernance économique et financière, éd. Parmitech, 2014.

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B. De nouveaux instruments financiers : des positions doctrinales à la consécration légale

Cette rédaction souffrait de plusieurs lacunes dont la doctrine s’était fait l’écho. En 2014, l’article 744 de l’AUSCGIE sera donc amendé et complété par un article 744‑1 de l’AUSCGIE afin de répondre aux insuffisances qui avaient été observées.

21. Avant l’adoption de l’acte révisé en 2014, le monde des instruments financiers dans les actes uniformes était binaire. C’est dire qu’il se résumait à une vision soit classique soit conservatrice des valeurs mobilières. Entendons qu’il n’y avait principalement au sens des valeurs mobilières que des actions et des obligations. Pourtant, les praticiens (36) comme la doctrine (37) s’étaient exprimés pour approfondir le champ du possible et expliciter les dispositions de l’acte uniforme d’alors. Cette ouverture est plus vaste qu’il n’y paraît (38). Il fallait non seulement permettre l’éclosion de produits d’investissement, mais aussi favoriser l’éclosion d’un marché de couverture (39).

23. Les forces et les faiblesses du régime furent dégagées à grands traits. – À la lecture de l’article 744 de l’AUSCGIE, on perçoit tout de suite les caractéristiques qui faisaient la réussite objective du régime des valeurs mobilières (40). Elles se caractériseraient ainsi par leur indivisibilité, leur négociabilité (41) et leurs formes aux porteurs ou à titre nominatif (42). Il était donc évident que les valeurs mobilières dans l’espace OHADA soient, en soutien d’une analyse juridique en droit français, des biens meubles (43). Il découlait de l’article 744 de l’AUSCGIE que les valeurs mobilières sont des titres négociables (44) et fongibles (45).

Il fallait non seulement

permettre l’éclosion de produits d’investissement, mais aussi favoriser l’éclosion d’un marché

de couverture.

22. Le constat des carences du régime des valeurs mobilières. – En 1997, l’article 744 de l’AUSCGIE caractérisait les valeurs mobilières par les éléments suivants : « les valeurs mobilières sont émises par les sociétés anonymes. Elles confèrent des droits identiques par catégorie ; donnent soit accès directement ou indirectement à une quotité du capital de la société émettrice ; donnent soit un droit de créance général sur le patrimoine de la société émettrice ; elles sont indivisibles à l’égard de la société émettrice ; les parts bénéficiaires et les parts de fondateur sont interdites ». 36. L’étude de la documentation des marchés faisait apparaître dans le règlement de certaines des bourses, des rédactions suffisamment larges pour permettre l’apparition de nouveaux produits financiers. 37. B. Martor, N. Pilington, D. Sellers, S. Thouvenot, Le droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, 2e éd., Lexisnexis, Litec. 38. V. article 822 AUSCGIE. 39. En quelques décennies, le marché sud-­africain des produits dérivés a gagné ses lettres de noblesse. IMF Working papers, no 09/196, the derivatives market in South Africa, Lessons for Sub-­Saharan African countries. 2015/1

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Chroniques

I.B. Régulation comparée

24. Mais on pouvait déjà regretter que la catégorie de valeurs mobilières n’ait pas fait l’objet d’une véritable définition. On pouvait ainsi noter une imprécision terminologique dans l’usage des termes titres sociaux (46), parts sociales, nantissement, droit d’associé, valeurs mobilières. Cette imprécision notamment dans les intitulés des parties pouvait porter à confusion du fait que les titres sociaux comprennent les parts sociales, ce qui n’est pas le cas juridiquement. Il convenait en effet de parler de droits sociaux pour englober les titres sociaux et les parts sociales. On pouvait noter des imprécisions notionnelles au regard des valeurs mobilières par rapport à son sens en droit français. Ces incertitudes étaient de nature à complexifier les discussions quant à l’utilisation des concepts de cessibilité et de transmissibilité. Il fallait, en définitive, que la dématérialisation des valeurs mobilières et les évolutions technologiques affectant leur développement et leur gestion soient mieux prises en compte. 25. Les insuffisances observées dans le régime des valeurs mobilières devaient susciter une évolution à la faveur de la révision de l’AUSCGIE en 2014. Dans le cadre de cette évolution, l’importance du nouvel article 744 est renforcée. – Dorénavant, à l’article 744, il est établi que « Les sociétés anonymes émettent des valeurs mobilières ainsi que d’autres titres financiers. Au sens du présent Acte uniforme, les valeurs mobilières émises par les sociétés anonymes comprennent : 40. D. Loukakou, « Les valeurs mobilières dans l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales dans l’espace OHADA », Penant, no 844, juillet-­ septembre 2003, p. 261. 41. V. les articles 52, 57, 58, 759 à 763 AUSCGIE. 42. Article 745 AUSCGIE. 43. B. Martor et S. Thouvenot, « Les acteurs des marchés financiers et l’APE dans la zone OHADA » RDAI, 2002, p. 749. 44. Transmission par procédé simplifié et non soumise aux règles de cession du Code civil. 45. Droit identique par catégorie et interchangeable. 46. D. Martin, « Des droits sociaux dans les actes de l’OHADA », in Mélanges AEDBF-­France, t. V, 2008.

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les titres de capital, les titres de créance autres que les titres du marché monétaire. La forme, le régime et les caractéristiques des titres du marché monétaire sont définis par l’organe compétent de chaque État partie. Les valeurs mobilières confèrent des droits identiques par catégorie et donnent accès directement ou indirectement à une quotité du capital de la société émettrice, ou à un droit de créance général sur son patrimoine. Elles sont indivisibles à l’égard de la société émettrice. L’émission de parts bénéficiaires ou de parts de fondateur est interdite. Les sociétés anonymes peuvent aussi conclure des contrats financiers, également dénommés instruments financiers à terme, le cas échéant dans les conditions fixées par l’autorité compétente de chaque État partie ». 26. Il en résulte que les valeurs mobilières sont toujours émises par les sociétés anonymes (47), mais les valeurs mobilières comprennent expressément dorénavant les titres de capital et les titres de créance autres que les titres du marché monétaire (48). Les titres du marché monétaire, s’ils ne sont toujours pas des valeurs mobilières, sont reconnus par le droit OHADA et relèvent de la compétence de chaque État partie qui pourra en déterminer les caractéristiques, ce dont on peut déduire qu’en ce qui concerne les valeurs mobilières l’AUSCGIE a toute compétence, réduisant par ailleurs l’effet perturbateur éventuel des définitions données par les bourses et les régulateurs dans leur règlement général des instruments financiers. En réalité, et de manière plus stupéfiante, la réforme intervenue en droit français et résultant de l’ordonnance du 8 janvier 2009 semble être parvenue dans l’espace OHADA, puisque les sociétés anonymes pourront conclure des contrats financiers entendus comme des instruments financiers à terme. L’ordonnance no 2009‑15 du 8 janvier 2009 a modifié l’article L.211‑1 du Code monétaire et financier. Elle consacre, d’une part, la catégorie des instruments financiers qui rallie les titres financiers regroupant les titres de créances et les titres de capital, d’autre part, les contrats financiers, sans abroger la définition des valeurs mobilières figurant à l’article 228‑1 du Code de commerce. En revanche, a contrario de la dualité existant en droit français, où les valeurs mobilières reçoivent un article spécifique dans le Code de commerce, et les instruments financiers, un autre article spécifique, la modification de l’AUSCGIE a rapproché les valeurs mobilières du Code de com47. Y compris dans la société par actions simplifiée, puisque ces dispositions ne seraient pas incompatibles. 48. Les titres de créances négociables ne sont pas des valeurs mobilières au sens de la loi. Ils peuvent être émis au fil de l’eau, goutte à goutte. Avant l’actualisation de l’acte uniforme dans l’espace OHADA, certains États autorisaient sur leur marché boursier comme instruments financiers les titres de créances du marché monétaire et pas uniquement des valeurs mobilières, ce qui était de nature à concurrencer les bourses s’agissant des obligations d’États. Sur le marché camerounais, cette situation existait déjà. L’actualisation l’a reconnue. 74

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merce des instruments des marchés financiers dans un article unique via l’AUSCGIE. 27. L’article 744‑1 de l’AUSCGIE, confirmant le choix de la dématérialisation, précise que les valeurs mobilières sont inscrites en compte et qu’elles se transmettent par virement de compte à compte. Il précise aussi que le transfert de propriété résulte de l’inscription des valeurs mobilières au compte-­titres de l’acquéreur. Lorsque la cession des valeurs mobilières intervient dans le cadre de relation avec le dépositaire central (ou dans le système de règlement-­livraison), l’inscription est effectuée à la date et dans les conditions de l’autorité de marché compétente. 28. Au-­delà de ces évolutions dans la définition des valeurs mobilières, le régime des valeurs mobilières s’est doublement enrichi, premièrement, par la reconnaissance des valeurs mobilières composées et, deuxièmement, par l’avènement des actions de préférence. Il est instauré un nouveau titre 2-2 relatif aux valeurs mobilières composées. – L’article 822 de l’AUSCGIE, qui posait simplement le principe que d’autres valeurs mobilières sont possibles, a été réécrit. En droit français, l’idée qui traverse le régime de valeurs mobilières composées est celle, d’une part, de leur libre création, d’autre part, celle d’un effort de protection des porteurs. L’équilibre entre ces deux objectifs apparemment contradictoires, permet d’accroître les outils à la disposition des émetteurs, en envisageant différentes combinaisons tout en assurant une protection acceptable des investisseurs. 29. On pourra dorénavant émettre des valeurs mobilières composées donnant accès au capital ou donnant droit à l’attribution de titres de créances, des actions de préférence et des actions gratuites. En ce qui concerne les valeurs mobilières composées, la liste est longue, et on pensera notamment aux obligations convertibles en action, aux obligations à bons de souscription d’actions, aux obligations échangeables contre des actions, aux obligations convertibles et/ou échangeables en actions nouvelles ou existantes, aux bons de souscriptions d’actions ou encore des bons autonomes de souscription à des obligations. 30. Ces combinaisons ne doivent pas faire perdre de vue que la finalité des valeurs mobilières composées est de parvenir, à partir du titre dit primaire, à un autre titre, le titre final. On pourra accéder in fine au capital ou à des titres de créances. La comparaison du régime révèle que les valeurs mobilières composées dans l’espace OHADA consacrent cette liberté de création. Il sera aussi permis de prévoir un droit préférentiel de souscription comme pour les autres actions. Ils sont régis par les articles 573 à 587‑2 et 593 à 597 de l’AUSCGIE. Les décisions prises en violation sont nulles (49). Enfin, il est réservé aux émetteurs la possibilité de prévoir que les valeurs mobilières composées puissent être cédées et négociées ensemble avec le titre initial (50). 49. Article 822‑1 AUSCGIE. 50. Article 822‑2 AUSCGIE.

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31. La protection des porteurs de valeurs mobilières composées. – L’émission de valeurs mobilières composées est autorisée par l’assemblée générale extraordinaire, précisément l’émission des valeurs mobilières composées relève de la compétence de l’assemblée générale extraordinaire sous peine de nullité (51). Mais cette liberté est encadrée par de nombreux garde-­fous, de la phase de la décision d’émettre les valeurs mobilières composées à son administration. Les titres de capitaux ne peuvent pas être transformés en valeurs mobilières représentatives de créances (52). Les possibilités de modifications des statuts de la société émettrice de valeurs mobilières composées sont limitées (53). Elle peut néanmoins émettre des actions de préférence (54). La réduction de capital produit des conséquences sur le régime des valeurs mobilières composées (55). Les détenteurs de valeurs mobilières composées en cas d’émission de nouveaux titres sont protégés dans les termes de l’article 822‑10 (56) de l’AUSCGIE. La sanction en cas de non-­respect des règles de protection est la nullité (57). 32. Les valeurs mobilières composées sont maintenues aussi longtemps que les droits attachés aux valeurs mobilières existent (58) et, exception faite des cas prévus par l’article 822‑13 de l’AUSCGIE, on ne pourra pas imposer aux détenteurs de valeurs mobilières composées le rachat ou le remboursement de leurs droits. Une masse de porteurs de valeurs mobilières composées est créée (article 822‑14 de l’AUSCGIE) et les conséquences d’une procédure de redressement judiciaire sont envisagées (article 822‑15 de l’AUSCGIE). Le droit OHADA autorise en outre une publicité simplifiée en cas d’exercice des valeurs mobilières composées entraînant une augmentation de capital (article 822‑16 de l’AUSCGIE). De même, il autorise pour les rompus un versement en espèces si l’action est complète (article 822‑17 de l’AUSCGIE). Il sera possible de suspendre certains droits pendant trois mois (article 822‑18 de l’AUSCGIE). Les valeurs mobilières composées sont annulables si une même personne est à la fois propriétaire et débiteur de valeurs mobilières composées (article 822‑19 de l’AUSCGIE). Le droit de communication des détenteurs de valeurs mobilières composées et sa mise en œuvre sont organisés y compris par une masse et en cas de détachement (article 822‑20 de l’AUSCGIE). Il sera enfin possible d’appliquer les règles de négociabilité et de formalisme si elles sont compatibles (article 822‑21 de l’AUSCGIE).

51. Article 822‑5 AUSCGIE. 52. Article 822‑3 AUSCGIE. 53. Article 822‑7 AUSCGIE. 54. Article 822‑8 AUSCGIE. 55. Article 822‑9 AUSCGIE. 56. Articles 822‑10‑1 et s. AUSCGIE. 57. Article 822‑10‑6 AUSCGIE. 58. Article 822‑11 AUSCGIE. 2015/1

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Au sein de l’AUSCGIE

figure dorénavant un chapitre 2‑1 relatif aux actions de préférence.

33. L’avènement des actions de préférence. – Les actions de préférence répondent à des besoins exprimés par un certain nombre d’acteurs économiques au rang desquels les spécialistes du capital-­investissement qui y trouvent une manière adaptée d’organiser leur participation dans des projets en fonction des différentes phases d’investissement qui leurs sont soumises. Sortant d’une certaine forme d’insécurité juridique à laquelle les pactes d’actionnaires essayaient de remédier, le régime issu de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales doit être salué. Au sein de l’AUSCGIE figure dorénavant un chapitre 2‑1 relatif aux actions de préférence. Partant, il a adopté un régime dont les caractéristiques s’articulent autour de la définition donnée des actions de préférence par l’article 778‑1 de l’AUSCGIE. Il y est indiqué que ces actions de préférence sont avec ou sans droit de vote et sont assorties de droits particuliers de toute nature à titre temporaire ou permanent (59). 34. Il s’agit d’une avancée majeure dans la mesure où même en droit français, les actions de préférence, inspirées des preferred shares (60) de droit anglo-­saxon, ne sont apparues officiellement qu’en 2004 lors de l’adoption de l’ordonnance du 24 juin 2004 (61), en clarifiant la formule dite d’action de priorité employée par le Code de commerce. C’est d’abord la pratique qui avait pris l’habitude de les appeler « actions privilégiées ». En outre, il convient de souligner dans la perspective de leur cotation éventuelle que les actions de préférence peuvent également être émises dans les sociétés cotées et par conséquent être cotées sur un marché réglementé en France (62) permettant ainsi d’approfondir le panel des instruments cotés. Il se sera donc écoulé une décennie entre l’adoption des actions de 59. En guise d’illustration, pourront être envisagés des droits de vote double ou des délais spécifiques. 60. F. Monod, « Les actions de priorité », Traité Joly, juin 2000. 61. Modifiée par la loi no 2008‑776 du 4 août 2008, dite de modernisation de l’économie et par l’ordonnance no 2008‑1145 du 6 novembre 2008. 62. F. Monod, « Droits financiers attachés aux actions privilégiées », Banque, juin 1994, p. 58 ; C. Baret et G. Endreo, « Les actions de préférence dans les sociétés cotées : de la déception à l’espoir », Actes pratiques, novembre-­décembre 2008, p. 16.

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I. Régulation financière

préférence en droit français et leur avènement dans l’espace OHADA. Cette rapidité dans l’actualisation des normes en fonction de leur utilité économique illustre une nouvelle face du droit africain.

II. Le droit au service de l’efficacité des entreprises

35. Le droit OHADA a également tenté d’assurer des mécanismes équilibrés (entre investisseurs et dirigeants) dans la mise en œuvre de ces nouveaux instruments financiers. – Ils ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social et plus du quart si la société est admise en bourse. Au-­delà, la sanction est la nullité. La compétence est celle de l’assemblée générale extraordinaire avec une possible délégation (63). Un rapport du conseil d’administration ou de l’administrateur général avec l’avis du commissaire aux comptes sera requis (article 778‑3 de l’AUSCGIE). Un rapport du conseil d’administration ou de l’administrateur général ainsi que l’avis du CAC sont requis en cas d’inscription dans les statuts des modalités de conversion, de rachat ou de remboursement des actions de préférence (article 778‑4 de l’AUSCGIE). Le conseil d’administration ou l’administrateur général procédera aux vérifications conformément à l’article 778‑5 de l’AUSCGIE.

38. Il y a encore peu de temps, dans les années 1990, en invoquant des facteurs a priori de nature sociologique (65), on aurait pu se demander si la gouvernance d’entreprise pouvait prospérer sur le continent africain. Ipso jure, le droit OHADA répond et se fait graduellement le réceptacle de la gouvernance d’entreprise (A). Il s’ensuit une organisation juridique aux influences multiples vouée à faire gagner les entreprises en efficacité (B). La gouvernance d’entreprise paraît, dans l’espace OHADA, osciller entre un modèle inspiré du droit français moins interventionniste et un modèle de droit américain, de plus en plus interventionniste (66).

36. Les actions de préférence pourront être converties en actions ordinaires ou en actions de préférence d’une autre catégorie (article 778‑6 de l’AUSCGIE). Le contenu du rapport du conseil d’administration est fixé par les articles 778‑7 et suivants de l’AUSCGIE. L’assemblée générale pourra déléguer au conseil d’administration ou à l’administrateur ses attributions de décider du rachat ou de la conversion ou déléguer à cet organe le pouvoir d’en fixer les modalités (64). Une procédure des avantages particuliers est prévue par le droit OHADA lorsque les actions de préférence sont destinées à des actionnaires nommément désignés (article 778‑10 de l’AUSCGIE). L’assemblée générale est compétente pour déterminer les conséquences des modifications ou d’amortissement du capital sur les droits des porteurs d’actions de préférence (article 778‑11 de l’AUSCGIE). Les conséquences en cas de fusion ont bien été pensées puisque l’échange sera possible contre des actions des sociétés bénéficiaires (article 778‑12 de l’AUSCGIE). Les délibérations sans rapport encourront la nullité (article 778‑14 de l’AUSCGIE). Enfin, une assemblée spéciale des porteurs d’actions de préférence est prévue (article 778‑15 de l’AUSCGIE). 37. En complément à la métamorphose de la nomenclature des instruments juridiques que revêtent les produits financiers, la bonne gouvernance des sociétés s’objective expressément.

63. Article 778‑2 AUSCGIE. 64. Article 778‑9 AUSCGIE. 76

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La gouvernance

d’entreprise paraît, dans l’espace OHADA, osciller entre un modèle inspiré du droit français moins interventionniste et un modèle de droit américain, de plus en plus

interventionniste.

65. H. Bourgoin, L’Afrique malade du management, Paris, éd. Jean Picollec, 1984. V. A. Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement, Paris, L’Harmattan, 1991. V. R. Adido, Essai sur l’application du droit en Afrique le cas de l’OHADA : aspects sociologiques et juridiques au vu du passé et du présent, thèse, Perpignan, 2000. 66. Le gouvernement français a renoncé à légiférer directement sur la gouvernance d’entreprise en 2013. Il a en revanche demandé aux entreprises d’approfondir le régime existant de manière « exigeante ». La version actualisée du code AFEP MEDEF de juin 2013 a entendu y parvenir en précisant les règles du comply or explain consistant pour les sociétés appliquant le code AFEP MEDEF à expliquer les raisons pour lesquelles elles ont pu y déroger et en recherchant à la fois plus d’exigence vis-­à-­vis des dirigeants (autant dans leur rémunération que dans le cumul de leur responsabilité) mais aussi en ce qui concerne la place des administrateurs salariés.

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A. Une gouvernance d’entreprise en construction 39. Initiée aux États-­Unis dans les années 1970, la corporate governance ou gouvernance d’entreprise est une notion aux origines anglo-­saxonnes. On rappellera à cet effet le rôle de l’American Institute of Law aux États-­Unis qui en a posé les fondements. Plus proches, en Grande-­Bretagne, les travaux « Cadbury (67) » qui proposaient en 1990 une définition de la gouvernance d’entreprise entendue comme l’organisation de la direction et de l’administration de l’entreprise sont encore d’actualité. La gouvernance d’entreprise demeure à cet égard l’organisation de la relation entre les instances des sociétés, c’est la société dans ses relations internes, mais c’est aussi la question des relations entre les propriétaires de la société et ses dirigeants. 40. Les questions que pose la corporate governance ne sont d’ailleurs pas spécifiques au droit OHADA. Par exemple, en Afrique du Nord (68), on relève dans les études économiques des problèmes de gouvernance en lien avec les marchés financiers dans la mesure où des mouvements suspects semblent se produire sur les marchés avant les introductions en bourse, ce qui laisse redouter d’éventuels conflits d’intérêts dans l’administration des sociétés candidates. Cette situation était d’autant plus intéressante qu’elle sous-­ entendrait que la baisse du nombre des introductions en bourse va avec le niveau avancé ou non de la corporate governance. Ainsi, singulièrement en Europe, les introductions en bourse baissent avec un fort niveau de gouvernance d’entreprise tandis que, dans les pays émergents, les introductions en bourse continuent de croître. Pourtant, la contribution des marchés financiers à l’instauration d’une corporate gouvernance n’en demeure pas moins réelle comme l’avaient illustré bien avant, les travaux menés par l’OCDE (69). 41. La dynamique de marché nécessite donc que les places financières aident les bourses à se développer en créant le cadre de la corporate gouvernance qui y contribuera d’autant plus qu’au sein de l’espace OHADA, l’analyse des rapports annuels des gérants des bourses faisait apparaître de manière récurrente des manquements à la discipline de marché en termes d’obligation d’information permanente. Dans la zone UEMOA, par exemple, le Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers pointe régulièrement dans ses rapports annuels les manquements à l’information des sociétés cotées en bourse (70). 42. Cette relation de cause à effet entre les marchés financiers et le droit dans l’espace OHADA a pendant 67. Du nom du rapport commandé à Sir Adrian Cadbury. 68. OCDE, AMICO, « Corporate governance enforcement in the Middle East and North Africa », 2014. 69. OCDE, « The Role of MENA Stock Exchanges in Corporate Governance », 2012. 70. www.crepmf.org. 2015/1

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longtemps été sous-­estimée. On pouvait donc s’interroger sur le champ de la gouvernance d’entreprise. Certains pays avaient néanmoins consenti volontairement à faire l’objet d’une évaluation en ce sens. On peut citer le cas du Sénégal (en 2006) et du Togo (en 2009). Ces évaluations se sont faites dans le cadre du rapport sur l’observation des normes et codes (ROSC). On y apprenait non seulement que les sociétés cotées faisaient figure de bons élèves, a contrario d’une organisation embryonnaire de l’administration de la société dans les sociétés non cotées. En outre, il fallait envisager la révision de l’acte uniforme afin d’y intégrer des principes modernes de gouvernement d’entreprise.

Chroniques

I.B. Régulation comparée

43. D’abord adoptée par le biais de recommandations et des codes de bonnes pratiques, la gouvernance d’entreprise ayant participé au code rush (71) tend à faire à présent l’objet en France et aux États-­ Unis (72) d’une forme plus impérative en raison des crises financières récentes et du rôle attribué aux errements des gérants des entreprises mises en cause et ayant exposé le système économique mondial à des risques majeurs. Parallèlement, dans l’espace OHADA, en raison de l’applicabilité directe issue de l’article 10 du Traité OHADA (73), les actes uniformes priment sur le droit interne et conduisent à rendre les dispositions de gouvernance d’entreprise impératives, au rebours de la formule douce privilégiée dans de nombreuses parties du monde. Est-­ce que le droit OHADA en utilisant les actes uniformes et en prônant une harmonisation par le haut n’a pas étendu la gouvernance d’entreprise à l’ensemble des sociétés anonymes cotées ou non ? 44. Les sociétés par actions : domaine d’expression de la corporate gouvernance. – La gouvernance des entreprises a été pensée pour les sociétés dans lesquelles il y avait un risque majeur d’asymétrie informationnelle (74). Les économistes l’ont mis en évidence dans le cadre de 71. S. Rousseau, « Le code d’éthique ; un instrument de gouvernance créateur de valeur », dossier, « Les codes d’éthique : prémices d’une gouvernance d’entreprise internationale », in Cahier de droit de l’entreprise, no 4, juillet-­août 2014. 72. Dans le cadre du Dodd-­Franck Act (DFA) et du Jobs Act, les entreprises sont soumises à davantage de contraintes. V. P. Servan-­Schreiber, « La gouvernance dans les systèmes de common law », actes de colloque, Gaz. Pal., nos 236 à 240, 134e année, dimanche 24 au jeudi 28 août 2014. Il indique que dans le cadre du DFA, la création de comité de risques est renforcée, la consultation des actionnaires sur la rémunération des dirigeants de la société (Say on pay) est devenue obligatoire, ainsi que la publication de la rémunération annuelle du président-­directeur général. 73. Les dispositions nationales qui ne sont pas en conflit avec les actes uniformes ne sont pas abrogées. V. Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA), avis no 001/2001/EP. 74. E. Fama, « Agency problems and the theory of the firm », Journal of Political Economy, 1980, no 88, pp. 288‑307.

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la théorie d’agence (75). Il n’est donc pas étonnant que les sociétés par actions dans lesquelles des divergences peuvent survenir entre des mandataires et des mandants ayant des intérêts possiblement contradictoires soient devenues le domaine d’expression. Ce mode de gouvernance prévaut donc en général dans les sociétés par actions cotées. Mais il semblerait que le droit OHADA déploie la corporate gouvernance dans l’ensemble des sociétés anonymes cotées ou non et maintenant dans les sociétés par actions simplifiées. Il y parvient, par la recherche d’une bonne transparence par l’information dans les actes de la société et par une forme subtile d’équilibre entre les instances essentielles de la société. Cette gouvernance d’entreprise a recours à différents instruments dont l’information est une pièce maîtresse. Cette information a porté dans les actes uniformes sur les associés (le droit des actionnaires, le droit de communication, le droit d’alerte, l’expertise de gestion, les conventions réglementées, le rôle du commissaire aux comptes). Au niveau des régulateurs, elle a porté sur l’information du marché et des investisseurs en particulier via le document d’information (76) dont l’AUSCGIE fixait le contenu, mais qui, s’inspirant du droit européen dans ses Directives Prospectus et Transparence, sera dorénavant complété par un résumé et un supplément en tant que de besoin. Si les droits des investisseurs et des actionnaires sont pris en compte, ceux des salariés qui sont devenus des objectifs à part entière lors des introductions en bourse l’étaient moins (77). Les actions gratuites sont dorénavant introduites au terme d’un arbitrage entre les rédacteurs au détriment des stock-­ options (78). Paradoxalement, l’absence d’opération de marchés pourrait priver les actionnaires des sociétés par actions non cotées du bénéfice d’une plus grande transparence. 45. Les sociétés par actions, chantre de la gouvernance d’entreprise. – Le professeur Agostini rappelait qu’« au fond, la frontière juridique française n’a pas 75. M. Jensen et W. Meckling, « Theory of the firm: managerial behavior, agency cost, and ownership structure », Journal of Financial Economic, 1976, pp. 305‑360. 76. L’article 86 prévoit que « Toute société qui fait publiquement appel à l’épargne doit, au préalable, publier dans l’État partie du siège social de l’émetteur et, le cas échéant, dans les autres États parties dont le public est sollicité, un document destiné à l’information du public. Ledit document contient toutes les informations qui, compte tenu de la nature particulière de l’émetteur et des valeurs mobilières offertes au public ou admises à la négociation sur une bourse des valeurs d’un État partie, sont nécessaires pour permettre aux investisseurs d’évaluer en connaissance de cause le patrimoine, la situation financière, les résultats et les perspectives de l’émetteur et des garants éventuels, ainsi que les droits attachés à ces valeurs mobilières. Ces informations sont précisées par l’autorité compétente de chaque État partie et présentées sous une forme simple et compréhensible ». 77. Lors de l’introduction en bourse, en 1998, de la société Sonatel au Sénégal, les salariés ont acquis 10 % du capital de l’entreprise. 78. Article 626‑2 AUSCGIE. 78

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été, même au temps des béatitudes de l’exégèse triomphante, un mur de Berlin inversé permettant au droit de quitter la France, mais lui interdisant d’y entrer. À preuve, c’est à l’imitation de la pratique anglaise que, dès 1865, le chèque fut introduit en France ». Appliqué à l’organisation statutaire des sociétés dans l’espace OHADA, on note aisément que le droit OHADA a fait preuve d’autonomie déjà par rapport au droit français des sociétés de 1966 qui, rappelons-­le, ne s’appliquait pas aux colonies françaises où plus précisément, en raison du principe de spécialité législative (79), qu’un acte spécifique était requis. De la sorte qu’après les indépendances, nombre d’États africains avaient entrepris avant le droit OHADA des choix plus ou moins inspirés du droit des sociétés d’alors. 46. Des indépendances de 1960 à l’adoption du Traité OHADA (80), il n’y a, semble-­t‑il, pas eu de droit des sociétés cotées, puisque, durant cette longue période, cette zone ne disposait pas de bourse en tant que telle. En revanche, pendant cette période, les États ont avancé à des rythmes très différents sans remettre nécessairement en cause l’inspiration juridique française qui était la leur (81). Conséquemment, le droit africain de l’époque était devenu peu lisible dans la zone au fil du temps, poussant donc de nombreuses parties prenantes à demander, sinon une harmonisation des textes, la clarification des régimes juridiques applicables. 47. On comprendra donc que la doctrine autorisée ait noté que « par l’effet d’un double développement, législatif et jurisprudentiel, le droit des pays d’Afrique était venu ainsi à se différencier, parfois considérablement, de celui qui, à une certaine date, avait été proclamé applicable en principe » (82). En outre, cette loi de 1966, qui inspirera certains choix des rédacteurs des actes uniformes, a subi elle aussi des influences qui font qu’en la prenant comme modèle en tout ou partie, les acteurs du droit OHADA ont apporté dans l’ordonnancement juridique des mécanismes variés avec une agilité incroyable. Ils ont surtout concilié des univers que d’aucuns estimeraient inconciliables. 79. La loi du 24 juillet 1966 sur le droit des sociétés constitue en France l’une des évolutions majeures réalisées par le droit français. Elle a influencé de nombreux territoires, y compris en Afrique. Mais avant l’indépendance cette loi ne s’appliquait pas nécessairement en Afrique. Certaines anciennes colonies françaises d’Afrique n’appliquaient pas le droit des sociétés de 1966, car, en raison du principe de spécialité législative, les lois et décrets adoptés en France métropolitaine ne s’appliquaient pas outre-­mer de manière automatique et il fallait donc des décrets spécifiques dits décrets portant règlement d’administration publique, par territoire ou ensemble de territoires. 80. Adopté le 17 octobre 1993. 81. Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui sur le continent africain où certains États tels que le Rwanda ont les velléités de faire basculer leur modèle juridique vers la common law. 82. R. David et C. Jaufffret-­Spinosi, Les grands systèmes de droit contemporains, 10e éd., Dalloz, 1992.

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Une apparition récente

et débattue de la société par action simplifiée (SAS) et de la société par action simplifiée unipersonnelle

(SASU).

48. Une apparition récente et débattue de la société par action simplifiée (SAS) et de la société par action simplifiée unipersonnelle (SASU). – Ce n’est que par la loi du 3 janvier 1994 que la SAS est entrée dans le droit positif français avec un succès qui ne se dément pas (83). Il faut confesser que son caractère contractuel en particulier dans l’administration de la société était très attendu. Son avènement dans l’espace OHADA, une décennie plus tard, fut le fruit de compromis. Les choix des structures dans les sociétés ont été basés sur des analyses économiques et ne se sont pas faits sans arbitrages. Par exemple, le professeur Merle (84) note au sujet de la SAS, actée dans le livre IV-­2 de l’AUSCGIE révisé (85), que « si l’accord de principe s’étant rapidement réalisé sur l’introduction de la SAS, et même de la SAS unipersonnelle (SASU), la question s’est posée de savoir s’il ne convenait pas de supprimer la “petite SA” avec administrateur général dont le maintien selon certains experts ne se justifiait plus. Leur idée était que la SA avec conseil d’administration devait être réservée aux sociétés importantes pouvant mettre en place des organes sociaux et jouant pleinement leur rôle dans le cadre d’une bonne gouvernance d’entreprise ». Et d’ajouter qu’« Autrement dit, pour les tenants de cette 83. En 2013, « Près d’une société créée sur trois est une SAS : en 2013, 30 % des entreprises créées le sont sous forme sociétaire. Parmi les nouvelles sociétés, les sociétés à responsabilité limitée (SARL) restent majoritaires, mais leur part continue de décroître (67 % après 77 % en 2012 et 91 % en 2008). Notamment, la part des SARL unipersonnelles diminue de 5 points (24 % après 29 %) ; elle avait fortement augmenté en 2011 avant de se stabiliser. Celle des autres SARL baisse de 5 points (43 % après 48 %), poursuivant une tendance de plus long terme. À l’inverse, la part des sociétés par actions simplifiées (SAS) poursuit sa croissance (29 % après 19 %) ». Insee, Répertoire des entreprises et des établissements (Sirene), http://www.insee.fr/fr/themes/ document.asp?ref_id=ip1485. 84. V. la révision de l’AUSCGIE, Revue Droit et Patrimoine, no 239, septembre 2014. 85. V. articles 853‑1 à 853‑23 AUSCGIE. 2015/1

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position, la SARL, composée d’un ou plusieurs associés, la SAS et la SASU devaient être les structures les mieux adaptées pour les PME à l’exclusion de la SA petite ou grande ». 49. Les dispositions applicables à la société anonyme s’appliqueront conformément à l’article 853‑3 de l’AUSCGIE aux sociétés par actions simplifiées pour autant qu’elles soient compatibles avec les dispositions particulières. En conséquence, s’agissant de la gouvernance d’entreprise, un équilibre subtil devra être trouvé, puisque l’article 853‑3 de l’AUSCGIE prohibe l’application des dispositions relatives à la société anonyme liées au montant du capital social, à son administration, aux assemblées générales.

Chroniques

I.B. Régulation comparée

B. Les gages d’une bonne gouvernance d’entreprise 50. La vision de la direction et l’administration de la société en droit OHADA. – Contrairement à d’autres aspects du droit des marchés financiers, l’AUSCGIE a ici épousé davantage le cadre juridique français. Le droit français a influencé le droit OHADA en termes de gouvernance d’entreprise, et ce n’est pas nécessairement dans les termes du droit anglo-­saxon qui a servi de trame mondiale. En effet, parce qu’avant la corporate governance, toutes les réglementations se sont intéressées d’une manière ou d’une autre à la question de l’organisation du pouvoir dans les sociétés. En droit français, on peut utilement rappeler que la loi du 25 juillet 1867 (86) comportait déjà deux dispositions qu’on pouvait dire de gouvernement d’entreprise (87). De même, avant la loi Sarbanes Oxley (SOX) (88) aux 86. Concrètement, le droit français des sociétés tel qu’il était applicable à cette partie du monde semblait pouvoir se résumer à quelques textes : le Code de commerce de 1807, la loi du 24 juillet 1867, la loi du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement du fonds de commerce, la loi du 18 mars 1919 relative au registre du commerce, la loi du 7 mars 1925 sur les sociétés à responsabilité limitée, la loi du 30 juin 1926 relative aux baux commerciaux. Mais la loi de 1867 rendue applicable en outre-­mer par la loi du 7 décembre 1850 et d’autres décrets, entre 1850 et 1870, lus en combinaison avec le Code de commerce de 1807, permettent d’en saisir les évolutions, puisque ces dispositions traitaient déjà de la société anonyme. 87. Il s’agit des articles 26 et 40 relatifs respectivement aux actions détenues par les administrateurs et aux conventions réglementées. B. Dondero, « Le concept de gouvernance – Propos introductifs », actes de colloque, « La gouvernance et le droit des affaires », Gaz. Pal., nos 236 à 240, 134e année, dimanche 24 au jeudi 28 août 2014. 88. La loi Sarbanes Oxley date du 30 juillet 2002. Elle a contribué aux États-­Unis à la création des comités spécialisés, à l’obligation de publication d’un code de bonne conduite et favorisé les conseils d’administration composés en majorité de personnes indépendantes.

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Chroniques

I. Régulation financière

États-­Unis, le droit français avait déjà mis dans son arsenal juridique des outils de meilleure gouvernance. La loi « nouvelle régulation économique » (NRE) est, de ce point de vue, emblématique en France. Les axes essentiels de la loi NRE du 15 mai 2001 (89) furent d’instaurer notamment le vote par télétransmission et le renforcement des obligations des dirigeants vis-­à-­vis des administrateurs. De même, la déclaration annuelle sur le gouvernement d’entreprise voulue par le droit européen a été anticipée dans l’ordonnancement juridique français par l’article L. 225‑37 du Code de commerce. C’est d’abord sous l’impulsion d’acteurs privés que la gouvernance d’entreprise s’était réalisée en droit français avant d’être soutenue par le régulateur et le législateur. On pensera chronologiquement aux rapports Vienot en 1995 et 1999, et au rapport Bouton en 2002 (90). Le professeur Couret (91) soulignera d’ailleurs à cet égard que la contribution européenne en la matière fut tardive et modeste parce que le droit français avait beaucoup œuvré et qu’en conséquence, le droit européen venait seulement compléter l’œuvre nationale. 51. Le droit OHADA va tendre vers plus de gouvernance d’entreprise en se rapprochant des règles d’inspiration juridique française en matière de compétence du conseil d’administration. – Celui-­ci « se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent ». Cette nouvelle rédaction résulte de la nécessité de lever l’ambiguïté de la formule préexistante à l’article 435 de l’AUSCGIE qui prévoyait que « Le conseil d’administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société. Il les exerce dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par le présent acte uniforme aux assemblées d’actionnaires. Le conseil d’administration dispose notamment des pouvoirs suivants : 1° il précise les objectifs de la société et l’orientation qui doit être donnée à son administration ; 2° il exerce un contrôle permanent de la gestion assurée, selon le mode de direction retenu, par le président-­directeur général ou par le directeur général ; 3° il arrête les comptes de chaque exercice. Les dispositions des statuts ou de l’assemblée générale limitant les pouvoirs du conseil d’administration sont inopposables aux tiers ». En effet, sous l’emprise de la rédaction antérieure inspirée du droit français des sociétés dans sa rédaction avant la clarification apportée par la loi dite de « nouvelle régulation économique », la répartition des attributions entre l’assemblée générale des actionnaires, le conseil d’administration et son président était peu évidente. L’actualisation a donc 89. Elle fut d’ailleurs complétée par la loi de sécurité financière en 2003. 90. Avant d’être repris sous la forme de Code promu par l’AFEP et le MEDEF. 91. A. Couret, « L’incidence des normes européennes sur la gouvernance des sociétés », Revue des sociétés, 2005, p. 57. 80

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privilégié les termes de l’article L. 235‑35 du Code de commerce en France dont les mots seront repris.

L’AUSCGIE révisé

s’est intéressé à la gouvernance du conseil d’administration à qui il a donné davantage d’envergure tout en le soumettant à plus de contrôle.

52. L’AUSCGIE révisé s’est intéressé à la gouvernance du conseil d’administration à qui il a donné davantage d’envergure tout en le soumettant à plus de contrôle. 53. L’envergure. – Le travail essentiel a consisté, tel qu’on pouvait déjà le percevoir dans les évaluations de quelques pays faites par les institutions de Bretton Woods à clarifier les compétences du conseil d’administration et à essayer de mieux le professionnaliser. La possibilité de créer avec plus de sécurité juridique des comités spécialisés est adoptée. Cette possibilité devrait ainsi permettre d’accroître leur professionnalisation. De plus, la possibilité de déléguer au conseil d’administration la décision d’une augmentation de capital (92) est consacrée. Il y a également une évolution des règles de non-­cumul (93). L’obligation que les deux tiers des membres du conseil d’administration soient actionnaires est retirée (94). Les statuts pourront enfin être aménagés sur les conditions d’entrée au conseil d’administration et l’impact éventuel de la possession ou pas d’action de la société et leur restitution dans un délai de trois mois (95). 54. Le contrôle. – Pour pallier les risques de conflits d’intérêts (96), l’AUSCGIE va préciser le champ des 92. Articles 567‑1 et s. AUSCGIE. 93. Exception organisée par l’article 425, alinéa 2, de l’AUSCGIE dans le cadre des groupes de sociétés. 94. Maintien du nombre minimal de trois à douze membres. 95. Démission et restitution des sommes perçues. 96. Elle mériterait d’ailleurs d’être posée à d’autres acteurs des marchés financiers. Par exemple, en matière d’introduction en bourse, l’impact sur celle-­ci risque d’être insuffisant, puisque cela ne résoudra pas, par exemple,

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conventions réglementées et limiter les conventions passées avec un actionnaire détenant une participation supérieure ou égale à 10 % du capital ou dans laquelle il a des intérêts directs. De même que pour les conventions passées avec une personne morale dans laquelle l’actionnaire détient plus de 10 % du capital. En ce qui concerne les actionnaires, le nouvel acte uniforme sur les sociétés s’est évertué à renforcer les droits des actionnaires. Le cadre de la responsabilité des dirigeants a enfin été approfondi. Par surcroît, l’accès des actionnaires à l’information et son fonctionnement ont également fait l’objet de l’attention des rédacteurs. Le vote à distance est enfin organisé autour des articles 133‑1 (et suivants), 518 de l’AUSCGIE.

des produits financiers sont de nature à favoriser l’intégration des marchés de capitaux en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale, entre les bourses de la zone franc, et même avec les bourses anglophones qui n’en sont pas membres (98). À croire que le droit des marchés financiers dans l’espace OHADA, d’abord institutionnel par les autorités et les infrastructures, est en train de devenir un droit matériel axé sur les produits utilisés au sein des marchés financiers.

Chroniques

I.B. Régulation comparée

Le droit OHADA adopte donc une vision fonctionnelle et matérielle des infrastructures de marché. Le développement économique est-­il à ce prix ? Un optimisme raisonné (99) est de mise et il conviendra donc de suivre l’usage qui en sera fait par les opérateurs économiques et les juridictions (100).

Conclusion Dire en quelques lignes l’état du droit africain à l’issue des vingt-et-un ans du Traité OHADA est une gageure, mais il découle de ce qui précède qu’en s’efforçant de le comparer – résolument (97) – ce droit africain, celui de l’espace OHADA, a fait basculer le droit africain des sociétés dans une harmonisation avec les standards internationaux qui ne se limite ni à la tradition juridique française, ni à l’Afrique et qui permet d’en faire un outil de commerce mondialisé. En tout état de cause, la prise en compte de la gouvernance d’entreprise tout comme l’approfondissement la question des conflits d’intérêts ainsi pour les analystes financiers. 97. M. Delmas-­Marty, Vers une communauté de valeurs – Les forces imaginantes du droit, 4, 03/02/2011, Seuil.

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98. La BRVM a annoncé, le 13 janvier 2013, la mise en place à Abuja (Nigéria), du Conseil de l’intégration des marchés ouest-­africains de capitaux (West African capital Markets Integration Council) qui approfondira les relations entre les bourses du Ghana, de Sierra Leone et du Nigéria. 99. D’autant plus que les bourses existantes dans l’espace OHADA ont assez bien résisté à la crise financière de 2008. V. Banque africaine de développement, « L’effet de la crise financière mondiale sur l’Afrique », ECON. 100. Il convient à cet égard de souligner que les évolutions adoptées pourraient produire des effets non désirés si la protection de l’épargne investie via ces nouveaux instruments ne devait pas être renforcée. L’articulation de ce régime avec les dispositions pénales du droit OHADA paraît être plus en retrait dans la mesure où si l’article 5, alinéa 2, du Traité prévoit quelques incriminations pénales, il revient encore aux États membres de déterminer et d’appliquer les sanctions.

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II. Régulation bancaire Chronique sous la direction de Anne-­Claire Rouaud &

Maître de conférences à l’École de Droit de la Sorbonne (Université Paris 1)

Myriam Roussille

Professeur à l’Université du Maine

Avec la collaboration de

Philippe Allard

Expert en réglementation bancaire (Autorité bancaire européenne)

&

Geneviève Helleringer

Professeur associé à l’ESSEC Business School Fellow à l’IECL, Université d’Oxford

Le traitement des difficultés des banques reste une préoccupation centrale, comme le montre ce numéro de la chronique, à la fois au plan européen, avec l’adoption du règlement instaurant le mécanisme de résolution unique (MRU) pour les États participants à l’Union bancaire, et, dans une perspective comparée, dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Quant à l’organisation des banques, la directive sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, adoptée en octobre 2014, va obliger les établissements de crédit européens à délivrer de nombreuses informations sur l’organisation de leur réseau, leur politique de sous-­traitance et sur les politiques menées en termes de diversité à l’égard des femmes et des minorités. Ces nouvelles obligations s’ajouteront aux exigences de publication déjà imposées dans la directive CRD IV.

Addressing bank difficulties remains a key concern of today’s regulators both at a European level, with the adoption of the single resolution mechanism (SRM) in the European banking union, as well as in member and non-­member states, as shown by the new rules recently implemented in the Central African Economic and Monetary Community (CEMAC). Although they are not the only entities falling within the scope of the new Directive adopted in October 2014 regarding disclosure of non-­financial and diversity information by various large undertakings and groups, banks will be strongly affected by the new measures. They will have to include in their management report a non-­financial statement containing information relating to their business model and their business relationships, a description of the diversity policy applied in relation to their administrative, management and supervisory bodies with regard to aspects such as age, gender, or educational and professional backgrounds. These new reporting obligations will add to the existing transparency and prudential requirements established by the CRD IV.

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II.A. Régulation européenne Responsabilité sociale et environnementale des établissements de crédit

Myriam Roussille

Professeur à l’Université du Mans

La directive sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, adoptée en octobre 2014, va obliger les établissements de crédit européens à délivrer de nombreuses informations sur l’organisation de leur réseau, leur politique de sous-­traitance et sur les politiques qu’ils mènent en termes de diversité à l’égard des femmes et des minorités. Ces nouvelles obligations s’ajouteront aux exigences de publication déjà imposées dans la directive CRD IV. La RSE : un dispositif visant les grandes sociétés et les grands groupes. – La Commission européenne se préoccupe de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (ci-­après « RSE ») depuis 2001 (1). Mais c’est la crise financière qui a résolu les autorités de Bruxelles à adopter un dispositif plus complet en la matière. Après la publication en 2011 d’un « paquet entreprises responsables » (2), le Parlement a adopté un rapport accompagné de deux résolutions destiné à renforcer la responsabilité des entreprises. La directive sur la publication d’informations non financières, adoptée en octobre 2014, vient parachever ce mouvement (3). Si l’objectif est de favoriser les politiques de développement durable au niveau européen, il s’agit aussi de limiter les visions court-­termistes qui avaient alimenté la crise, en assurant la promotion d’une croissance durable. Le nouveau dispositif vise les grandes sociétés et les grands groupes, quel que soit le secteur d’activités, dès lors qu’ils emploient plus de 500 salariés sur le dernier exercice comptable.

Chroniques

II.A. Régulation européenne

RSE, établissements de crédit et groupes bancaires. – Les établissements de crédit entrent donc, de part leur taille, dans le dispositif. Mais ils sont également directement concernés au regard de la mission qui leur est dévolue ; car ils constituent les « entités d’intérêt public » au sens de la directive comptable (4) que la directive RSE désigne explicitement comme les destinataires des nouvelles mesures citoyennes. Le dispositif RSE pourrait constituer une opportunité pour les acteurs du monde bancaire de démontrer l’utilité sociale de leur activité et, par-­là, de restaurer la confiance du public qui a été entachée par la crise financière et par les différents scandales qui ont frappé le secteur financier. Ils pourront ainsi développer la communication sur leur politique à l’égard de la clientèle défavorisée (exclusion bancaire), des PME et des entreprises en difficultés, sur le mécénat ou encore sur leur politique de gestion de risques en matière de données personnelles… RSE, complément de la CRD IV. – La CRD IV impose déjà aux établissements de crédit de rendre public un certain nombre d’éléments concernant leur gouvernance, qui incluent des informations sociales et environnementales, au sens large (5). Ainsi, depuis le 1er janvier 2015, doivent-­ils indiquer, pays par pays (Europe et pays tiers), des informations telles que le nombre de salariés sur une base équivalent temps plein ou encore les subventions publiques qu’ils ont reçues (6) ? Ils devaient aussi dévoiler leurs pratiques en matière de diversité et de participation des salariés au sein des organes de direction (7) et mettre en œuvre une politique de rémunération respectueuse des objectifs, des valeurs et des intérêts à long terme de l’établissement (8). La directive RSE les obligera en outre à développer, dans leur rapport annuel de gestion ou dans un rapport distinct, toute une liste d’éléments, ayant trait par exemple à leur modèle commercial, à leurs relations d’affaires ou à 4.

1.

Recomm. n° 2001/453/CE de la Commission, 30 mai 2001. 2. Doc. COM(2011) 681 final, 25 octobre 2011 ; Doc. COM(2011) 682 final, 25 octobre 2011 ; Doc. COM(2011) 684 final, 25 octobre 2011. 3. Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, J.O.U.E., L 330/1, 15 novembre 2014. 2015/1

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Directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, art. 2, 1° b. 5. Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. 6. Directive 2013/36/UE, art. 89. 7. Directive 2013/36/UE, art. 91, 11° et 12°. 8. Directive 2013/36/UE, art. 92, 2° b.

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Chroniques

II. Régulation bancaire

la provenance des produits et des services qu’ils utilisent. Les risques attachés à l’activité et les actions menées pour y remédier devront être explicités et les politiques menées en matière commerciale et de sous-­traitance devront être décrites et évaluées grâce à des indicateurs de performance (9). Les établissements de crédit devront ainsi faire le jour sur leur éthique. Les groupes bancaires devront procéder à ces publications sur une base consolidée (10). Toutefois, la directive RSE introduit deux dispositifs qui peuvent limiter cet objectif de transparence. Elle fait d’abord place au principe bien connu du droit des sociétés, « comply or explain » : les entreprises sont autorisées à exposer pourquoi elles n’ont pas jugé pertinent de publier les informations afférentes à certains domaines. Ensuite, elle autorise l’omission des informations dont la communication serait de nature à nuire gravement à la politique commerciale de l’entreprise.

vers la diversification des organes d’administration, de gestion et de surveillance. À cet égard, les établissements de crédit sont pleinement concernés. L’Union européenne a en effet mené des études durant la crise financière qui ont montré que les femmes avaient une perception du risque différente des hommes. C’est pourquoi la Commission avait, en 2012, proposé un texte visant à imposer un meilleur équilibre dans la représentation entre les hommes et les femmes dans les conseils (11). L’obligation pour les sociétés de publier leur politique en termes de diversité au titre de la RSE rejoint ici le dispositif sur la diversification des organes de gouvernance mis en place par la CRD IV. Sources : – Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, J.O.U.E., L 330/1, 15 novembre 2014.

Gouvernance des établissements de crédit. – La responsabilisation des sociétés est aussi recherchée à tra9.

Directive 2014/95/UE, art. 1 et directive 2013/34/UE, art. 19bis. 10. Directive 2014/95/UE, art. 2 et directive 2013/34/UE, art. 29bis.

11. Doc. COM(2012) 614 final et 615 final.

Le mécanisme de résolution unique : de la nécessité aux défis Philippe Allard

Expert en réglementation bancaire (Autorité bancaire européenne(1))

La mise en place d’une Union bancaire a été décidée par les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne en juin 2012 dans le but de renforcer les mécanismes de prévention et de résolution des crises bancaires en Europe. L’Union bancaire repose sur trois piliers. D’abord, une supervision bancaire à l’échelle européenne. Elle repose sur un cadre normatif (directive 2013/36/UE(2) – CRD4 et règlement (UE) n° 575/2013(3) – CRR) commun aux 1.

Les propos de l’article n’engagent que l’auteur et ne sauraient engager l’Autorité Bancaire Européenne. 2. Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE. 3. Règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et 84

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&

Geneviève Helleringer

Professeur associé à l’ESSEC Business School Fellow à l’IECL, Université d’Oxford 28 États membres de l’Union européenne (UE), ainsi que sur un cadre institutionnel unique pour la zone (règlement (UE) n° 1024/2013(4) – MSU). Ensuite, le deuxième pilier correspond à un dispositif européen de prévention et de résolution des défaillances des établissements de crédit. Il se structure suivant une logique similaire au premier pilier, avec l’établissement d’un corpus de règles communes pour les 28 États membres de l’UE (directive 2014/59/UE(5) – DRRB) et une strucaux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012. 4. Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit. 5. Directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant

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ture institutionnelle unique pour la zone Euro (règlement (UE) n° 806/2014(6) – MRU). Enfin, le troisième pilier consiste en un système commun de garantie des dépôts. Il repose sur la directive 2014/59/UE(7) – DSGD, qui présente un objectif plus limité d’amélioration de l’intégration des systèmes de garantie des dépôts de l’UE. Cette directive reprend simplement le contenu de l’ancienne directive sur la garantie des dépôts(8). Cette ambition mesurée s’explique par le fait que l’UE n’est pas encore mûre pour la création d’un fonds de garantie des dépôts unique pour les États membres de l’UE. Cependant, la DSGD prévoit que 5 ans après son entrée en vigueur, la Commission devra présenter un rapport sur son application(9), et, si nécessaire, émettre une nouvelle proposition qui pourrait aller dans le sens d’un schéma paneuropéen de garantie des dépôts.

Chroniques

II.A. Régulation européenne

Le deuxième pilier de

l’Union bancaire en constitue l’innovation la plus marquante. Il met en place non seulement un corpus de règles communes aux

L’Union bancaire repose

28 membres de l’UE en

sur trois piliers.

matière de rétablissement

Le premier et le troisième piliers poursuivent, avec des ambitions différentes, la logique d’approfondissement de l’intégration des normes européennes en matière bancaire et financière. Il s’agit de nouveaux chapitres d’une histoire commencée dans la première moitié de la décennie 1990, avec la directive 93/6/CE d’adéquation des fonds propres de 1993 et la directive 94/19/CE sur les systèmes de garantie des dépôts de 1994. Au-­delà de l’approfondissement des normes communes, le premier pilier de l’Union bancaire introduit une innovation institutionnelle significative avec la mise en place du mécanisme de supervision unique ou MSU. la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/ CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/ CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) n° 1093/2010 et (UE) n° 648/2012. 6. Règlement (UE) n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 constitue le 2e pilier de l’Union bancaire. 7. Directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts. 8. Directive 94/19/CE modifiée par la directive 2009/14/CE. 9. Article 19 de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts. 2015/1

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et de résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement mais également une institution commune pour la résolution des établissements de crédit dans la zone Euro.

Le deuxième pilier de l’Union bancaire en constitue l’innovation la plus marquante. Il met en place non seulement un corpus de règles communes aux 28 membres de l’UE en matière de rétablissement et de résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement mais également une institution commune pour la résolution des établissements de crédit dans la zone Euro, laquelle pourra s’appuyer sur un fond de résolution unique. Coupant court à certaines idées reçues, la mise en place d’une telle architecture intégrée dans un délai aussi court témoigne de la capa-

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Chroniques

II. Régulation bancaire

cité du législateur européen à prendre ses responsabilités et à accélérer le rythme des réformes lorsque la situation le justifie. En l’espèce, l’absence d’acteurs et de mécanismes permettant de gérer la défaillance d’établissements financiers de taille à fragiliser l’UE dans son ensemble conduisit à galvaniser les énergies. Le mécanisme de résolution unique ou MRU complète donc le mécanisme de supervision unique. Ensemble, le MRU et le MSU renforcent la résilience des établissements de crédit et entreprises d’investissement de l’Union européenne et permettent une gestion ordonnée de leur éventuelle défaillance. Cependant, bien que complémentaires et entrés en vigueur de manière quasi simultanée, les mécanismes uniques de supervision, d’une part, et de résolution, d’autre part, présentent des différences juridiques et opérationnelles significatives liées à leur différence de maturité. Le MRU demeure en construction. Institution ambitieuse elle doit encore relever de nombreux défis. Après avoir étudié la complémentarité des deux mécanismes (I), il est utile de s’attacher aux défis qui se présentent pour le MRU dans son processus de construction (II).

I. Le MRU, complément nécessaire du MSU Le MSU, premier pilier de l’Union bancaire, est entré en vigueur le 4 novembre 2014. Le deuxième pilier de l’Union bancaire, le MRU, lui a rapidement été adjoint, à compter du 1er janvier 2015. Le MRU représente une organisation institutionnelle de la résolution dans la zone Euro (A) et s’articule comme un complément avec le MSU (B).

A. Organisation institutionnelle du MRU Le règlement (UE) n° 806/2014 établit des règles uniformes et une procédure uniforme en matière de résolution dans la zone Euro, appliqués par le Conseil de résolution unique, en collaboration avec la Commission, le Conseil et les autorités de résolution nationales dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique. Le Conseil de Résolution Unique (1) est, sur le plan institutionnel, en charge du Fonds de Résolution Bancaire Unique (2).

Euro qui sont confrontées à de graves difficultés, de manière à en minimiser le coût pour le contribuable et pour l’économie réelle. Il est ainsi « chargé de veiller au fonctionnement efficace et cohérent du MRU »(11). Agence de l’Union dotée de la personnalité juridique(12), le CRU est composé d’un président, de quatre autres membres titulaires « nommés sur la base de leurs qualifications, de leurs compétences, de leur connaissance des domaines bancaire et financier, et de leur expérience en matière de surveillance et de réglementation financières, ainsi que de résolution des banques(13) » et d’un membre nommé par chaque État membre participant pour représenter son autorité de résolution nationale. Les quatre membres titulaires du CRU autres que le président exercent des responsabilités opérationnelles spécifiques en matière de préparation et mise en œuvre de la résolution (trois membres) et de stratégie et coordination (un membre). Cette organisation, où les membres indépendants du Conseil exercent également des responsabilités opérationnelles, rappelle à certains égards le schéma retenu pour le Directoire de la Banque centrale européenne. Outre les membres disposant d’un droit de vote, le CRU comprend des observateurs permanents (Commission et BCE(14)) et un vice-­président. Ce dernier dispose exceptionnellement d’un droit de vote lorsqu’il remplace le président. Les premiers membres permanents du Conseil (président, vice-­président et les quatre autres membres titulaires) ont été nommés par le Conseil le 19 décembre 2014.

2. Le Fonds de Résolution Bancaire Unique Le Conseil de Résolution Unique est responsable de la gestion du Fonds de Résolution Unique ou FRU(15) créé par le Mécanisme de Résolution Unique(16). Ce fonds de résolution unique devra atteindre un niveau cible d’au moins 1 % du montant des dépôts couverts de tous les établissements agréés dans la zone Euro. Il correspond à la transcription au sein du MRU des fonds nationaux de résolution instaurés par la directive dite DRRB du 15 mai 2014(17). Ces fonds ont pour objet de garantir qu’une banque dispose d’un soutien financier à moyen terme lui permettant de poursuivre ses activités pendant sa restructuration en fournissant aux autorités de résolution les liquidités nécessaires à cet effet, dans le respect des conditions fixées par la DRRB et le règlement (UE) n° 806/2014.

1. Le Conseil de Résolution Unique (CRU) Le Conseil de Résolution Unique ou CRU(10) représente l’organe central de prise de décision au sein du Mécanisme de Résolution Unique. Le CRU a pour mission de faciliter la résolution des institutions de crédit et autres entités relevant de sa compétence dans la zone 10. En anglais, Single Resolution Board ou SRB. 86

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11. Article 7(1) du règlement (UE) n° 86/2014. 12. Article 42 du règlement (UE) n° 86/2014. 13. Article 56(4) du règlement (UE) n° 86/2014. 14. Article 43(3) du règlement (UE) n° 86/2014RMR. 15. En anglais, Single Resolution Fund ou SRF. 16. Article 75 du règlement (UE) n° 86/2014. 17. V. note 5.

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On notera que les règles fixant les contributions des banques au fonds de résolution unique ne sont pas déterminées par la DRRB ou le règlement (UE) n° 806/2014 mais doivent faire l’objet d’acte délégué de la Commission(18). À cet égard, la Commission a adopté le 21 octobre 2014 un acte délégué et un projet de proposition d’acte d’exécution du Conseil régissant le calcul de la contribution des banques aux fonds nationaux de résolution et au Fond de Résolution Unique. Le 9 décembre 2014, le Conseil est parvenu à un accord politique sur le règlement d’exécution fixant les contributions des banques au Fonds de Résolution Unique.

B. Caractère nécessaire et complémentaire du MRU Une plus grande intégration de la résolution au sein de la zone Euro constitue une nécessité (1) qui requiert pour sa mise en œuvre une continuité entre supervision et résolution (2).

1. La nécessaire intégration de la résolution dans la zone Euro Le législateur européen a pensé le MRU comme le pendant du MSU pour la résolution en lui donnant notamment un champ d’application similaire. La mise en place de ces mécanismes de résolution permet d’organiser la gestion ordonnée des défaillances des établissements de crédit et entreprises d’investissement de la zone Euro. Elle vient également renforcer leur résilience, en complément des mécanismes de supervision appliqués par le MSU car le développement de stratégie de résolution, l’adoption de mesures permettant d’améliorer la résolvabilité des établissements, permettent également de réduire le risque de défaillance de ces établissements. Avec la directive 2014/59/EU sur le redressement et la résolution des banques, dite DRRB du 15 mai 2014(19), l’Union européenne s’est dotée d’un corpus de règles communes pour la prévention et la mise en œuvre de résolution bancaire dans l’UE. Le texte avait été proposé par la Commission dès juin 2012, quelque temps avant l’importante décision des chefs d’État et de gouvernement sur l’Union bancaire. Il traduit la nouvelle approche européenne plus favorable au bail in : les créanciers des banques en difficulté seront tenus de contribuer de manière plus importante à la résolution des crises bancaires. Il est prévu que la directive 2014/59/EU soit transposée et en vigueur au 1er janvier 2015. Les clauses relatives au bail in seront applicables à compter du 1er janvier 2016. Il aurait été possible de laisser ce mécanisme fonctionner au travers des autorités de résolution nationales de l’Union européenne sans pour autant instaurer 18. Article 103, §§ 7 et 8 de la directive 2014/59/UE. 19. Bank Recovery & Resolution Directive. 2015/1

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immédiatement une architecture spécifique pour la zone Euro. Cependant, la nécessité de mettre en place simultanément une autorité de résolution unique pour la zone Euro est apparue évidente pour au moins deux raisons. En premier lieu, la mise en œuvre de résolution bancaire dans l’Union européenne sera le plus souvent transfrontalière compte tenu des conditions nécessaires à la résolution qui viseront généralement les établissements les plus systémiques. Il est probable que les établissements de crédit dont les difficultés n’impacteraient pas d’autre État membre que celui dans lequel ils ont reçu un agrément seront liquidés selon les procédures collectives nationales de droit commun. La résolution étant transfrontalière, elle nécessitera un accord entre autorités de résolution nationales, tant dans sa préparation que dans sa mise en œuvre.

Chroniques

II.A. Régulation européenne

La nécessité de mettre en

place simultanément une autorité de résolution unique pour la zone Euro est apparue évidente.

Pour ce qui concerne l’adoption de plans de résolution, cet accord sera accompagné par les pouvoirs de médiation attribués à l’Autorité bancaire européenne par la directive 2014/59/EU. Cependant, la directive 2014/59/EU ne contraint pas les autorités de résolution nationales de s’entendre ; elle rend ainsi possible la prise de décisions divergentes sur la résolution des groupes transfrontaliers dans les États membres. En second lieu, la directive 2014/59/UE prévoit des dispositifs de financement nationaux qui pourraient entretenir le cercle vicieux entre la dette souveraine et le secteur bancaire et ouvrir la possibilité à des divergences d’application des dispositifs de financement entre États membres de l’UE en fonction des transpositions nationales de la DRRB. Afin d’éviter ces divergences dans la prise de décision et le financement de la résolution dans la zone Euro, la création du CRU et de son fonds de résolution unique est apparue aussi nécessaire que la mise en place de règles communes en matière de résolution bancaire.

2. La continuité entre la supervision et la résolution Pour que cette organisation soit optimale, les autorités de supervision et de résolution nationales ainsi que le MSU et MRU devront assurer une continuité entre la supervision d’une part et la résolution d’autre

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II. Régulation bancaire

part. C’est cette combinaison qui permettra de renforcer la résilience du secteur bancaire dans la zone Euro et en assurer sa cohérence. Une collaboration efficace sera particulièrement nécessaire lorsqu’il faudra décider l’adoption d’un dispositif de résolution à l’égard d’un établissement de crédit significatif de la zone Euro. Une telle coopération pourrait apparaître complexe à mettre en œuvre(20) mais elle reste toutefois préférable à une intégration plus importante qui aurait consisté à confier également à la BCE des pouvoirs en matière de résolution : la concentration de la politique monétaire, la supervision bancaire et la résolution bancaire au sein d’une même institution aurait très certainement compliqué significativement sa gouvernance et, partant, son efficacité.

II. Les défis du MRU en construction Si le MRU vient compléter idéalement le MSU en instaurant les mécanismes permettant de gérer les défaillances des établissements en difficulté dans la zone Euro, sa construction présente aujourd’hui un manque de maturité par rapport au MSU. Ce dernier mécanisme représente le fruit d’un approfondissement des mécanismes de supervision préexistants dans la zone Euro. Pour une bonne compréhension de la situation, des enjeux et des défis que le MRU devra relever, il faut souligner le caractère de nouveauté que revêt la résolution unique (A) ainsi que le caractère ambitieux du programme de cette jeune institution (B).

A. La résolution bancaire, une nouveauté dans l’Union européenne La logique profonde du MRU se comprend dans son interaction avec la DRRB (1) et au regard de la nécessaire convergence des règles relatives à la résolution au sein de la zone Euro (2).

20. On pourra noter que la zone Euro s’est ainsi dotée d’une architecture institutionnelle qui n’est pas sans rappeler celle des États-­Unis pourtant souvent critiquée dans le passé pour sa complexité, avec des autorités de supervision et de résolution distinctes, agissant dans un cadre national et néo-­fédéral. 21. La DRRB assigne à l’ABE une quarantaine de standards techniques et d’orientations concernant notamment les plans de rétablissement, de résolution, l’évaluation des actifs avant, pendant et après la résolution, la mise en œuvre de l’instrument de renflouement interne ou les critères de fixation de l’exigence minimale en fonds propres et passifs éligibles par les autorités de résolution nationales. 88

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1. L’interaction entre la DRRB et le MRU La DRRB, applicable dans l’ensemble de l’Union européenne, constitue le socle fondamental de la résolution bancaire dans l’Union européenne. Le MRU doit donc appliquer pour la zone Euro les règles de résolution européennes développées dans la DRRB, mais également les actes délégués de la Commission et les standards techniques développés par l’Autorité bancaire européenne et adoptés par la Commission(21). Il aurait en effet été contradictoire et inefficace de promouvoir un corpus de règles applicables à l’ensemble de l’Union européenne d’une part et de doter le MRU de règles spécifiques en matière de résolution d’autre part. Les règles développées dans le règlement (UE) n° 806/2014 sont donc alignées avec celles contenues dans la DRRB. On aurait pu envisager de limiter le règlement (UE) n° 806/2014 à la description de l’organisation institutionnelle du MRU et l’établissement et fonctionnement d’un fonds unique de résolution, le contenu des règles de préparation et mise en œuvre de la résolution provenant ici de la DRRB. Le législateur européen a cependant choisi de développer un règlement unique couvrant également les règles de fond en matière de résolution au sein du MRU, évitant ainsi en partie la complexe transposition de la DRRB en droit national des États membres. Le règlement (UE) n° 806/2014 reprend donc les grands principes de la DRRB en distinguant notamment la phase de préparation de la résolution de la phase de mise en œuvre de cette résolution. Pour ce qui concerne la phase préparatoire, le MRU est directement responsable de la préparation des plans de résolution et du dialogue qui s’ensuit avec les établissements soumis à la supervision du SSM(22) afin de mettre en place une stratégie de résolution et/ou prendre des mesures permettant d’améliorer leur résolvabilité. Le déclenchement de la résolution, qui est décidé par les autorités compétentes ou les autorités de supervision dans la DRRB, est dans le règlement (UE) n° 806/2014 une compétence partagée avec le Conseil et la Commission, qui disposent d’un pouvoir d’objection à cette décision. La mise en œuvre de la résolution par l’utilisation des outils de résolution que sont la cession des activités, le recours à un établissement-­relais, la séparation des actifs et le renflouement interne est par contre effectuée par les autorités de résolution nationale, sur instruction du Conseil de Résolution Unique (CRU) (23). Il existe donc une compétence exclusive du CRU en amont (préparation des plans de résolution) et partagée avec les autorités de résolution en aval (mise en œuvre de la résolution). Lorsque le CRU exécute des tâches attribuées aux autorités de résolution nationales par la directive BRRD, il est considéré comme l’autorité de résolution nationale concernée, ou dans le cas de la résolution d’un groupe transfrontalier, comme l’autorité de résolution au niveau du groupe concerné(24). 22. Article 7(2) du règlement (UE) n° 86/2014. 23. Article 22 du règlement (UE) n° 86/2014. 24. Article 5(1) du règlement (UE) n° 86/2014.

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2. Une convergence nécessaire des règles en matière de résolution La coexistence de deux cadres juridiques pour la résolution bancaire dans la zone Euro (DRRB et règlement (UE) n° 806/2014) pourrait être source de complexité dans un premier temps. Une coexistence analogue existe cependant également dans le cadre du MSU puisque la Banque centrale européenne doit appliquer aux établissements soumis à sa compétence le droit qui leur est applicable localement. Dans le cadre du MSU, les possibles disparités dans la transposition de la directive 2013/36/UE et l’existence d’options et discrétions nationales dans cette directive mais également dans le règlement (UE) n° 575/2013 sont de nature à compliquer la tâche du superviseur européen. Cependant, un effort significatif de convergence des normes prudentielles a déjà été entrepris grâce au transfert d’un nombre significatif de normes antérieurement contenues par la directive 2006/48/UE dans le règlement (UE) n° 575/2013. Par ailleurs, les travaux de l’Autorité bancaire européenne pour mettre en place un corpus réglementaire unique (« Single Rule Book ») permettent également à la BCE de s’appuyer sur des règles prudentielles cohérentes pour l’ensemble de la zone Euro. Le MRU devrait connaître une situation similaire durant ses premières années d’existence puisqu’il devra appliquer conjointement le règlement (UE) n° 86/2014 et la transposition nationale de la DRRB aux établissements relevant de sa compétence. Ici également, le travail de convergence de l’autorité bancaire européenne sera crucial pour garantir la cohérence des normes en matière de résolution bancaire au sein de l’Union européenne. Cependant, le droit européen de la résolution bancaire devra également composer avec les droits nationaux des procédures collectives, notamment pour vérifier que la procédure de résolution respecte le principe selon lequel les créanciers de l’établissement en résolution ne se retrouvent pas dans une situation moins favorable que celle qui aurait été la leur à l’issue d’une procédure de liquidation de droit commun(25).

B. Un programme ambitieux pour une jeune institution Le MRU est doté d’une gouvernance sophistiquée (1) qui doit faciliter la mise en œuvre opérationnelle ambitieuse prévue (2).

1.  Une gouvernance sophistiquée Le MRU affiche a priori une plus grande complexité institutionnelle que le MSU. En premier lieu, il est animé par un nombre significatif d’acteurs déjà évoqués : le Conseil de Résolution Unique (CRU), les autorités de 25. Articles 73 à 75 de la directive 2014/59/UE. 2015/1

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résolution nationales, la Banque centrale européenne, les arrangements de financement, la Commission et le Conseil. Les relations entre ces acteurs autorisent un équilibre et contrôle entre eux. Ainsi, la Commission et le Conseil peuvent-­ils s’opposer aux décisions prises par le CRU(26). Plutôt que de déléguer complètement le pouvoir de décision en matière de résolution à une autorité indépendante, comme c’est le cas pour le MRU, il a donc été décidé ici de laisser la possibilité pour la Commission et le Conseil de valider les décisions prises par le Conseil de Résolution Unique.

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II.A. Régulation européenne

Ce schéma organisationnel répond à une nécessité juridique et politique. Sur le plan juridique, la jurisprudence Meroni(27) prévoit qu’une autorité qui n’a pas été explicitement chargée d’une compétence ne peut l’exercer. Seule une institution de l’Union peut détenir le pouvoir de placer une banque en régime de résolution, car une telle décision suppose un jugement dans l’interprétation du droit européen. L’apparition de la Commission et du Conseil dans la procédure de déclenchement de la résolution d’un établissement de la zone Euro peut donc être comprise comme une volonté de garantir la légalité de la prise de décision du MRU. Sur le plan politique, compte tenu des enjeux, il apparaît difficile de confier à une autorité indépendante le pouvoir de déclencher la résolution de groupes bancaires transfrontaliers. Cependant, quand on observe la logique d’intégration et d’indépendance suivie par la politique monétaire d’une part et la supervision bancaire d’autre part, on peut imaginer que l’encadrement de cette délégation de la résolution dans la zone Euro pourrait se relâcher en parallèle de l’intégration et du développement de l’Union bancaire.

2. Une mise en œuvre opérationnelle ambitieuse Le CRU est pleinement opérationnel depuis le 1er janvier 2015(28). Localisé à Bruxelles, il devra se doter rapidement d’un effectif de 250 personnes d’ici 2017. Ici encore, là où le MSU a pu recruter massivement auprès des autorités de supervision nationales des États membres et des entreprises d’audit et de conseil dont les équipes étaient familiarisées avec la réglementation prudentielle, le MRU se retrouve face à une situation moins favorable du fait de la récente apparition des autorités de résolution nationales. En outre, il est également nécessaire pour le CRU de préserver des compétences et des effectifs au sein d’autorités de résolution nationales qui resteront compétentes pour les établissements de la zone Euro restés en dehors du domaine de compétence du MSU et qui devront mettre en œuvre les décisions du MRU en matière de résolution pour l’ensemble des établissements de crédit de la zone Euro. 26. Article 18, § 7, du règlement (UE) n° 86/2014. 27. Arrêt Meroni c. Haute Autorité du 13 juin 1958, aff. 9/56 et 10/56, Rec., 1958, p. 11. 28. Article 98(1) du règlement (UE) n° 806/2014.

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II. Régulation bancaire

La tâche du CRU apparaît donc immense et reste primordiale compte tenu des enjeux en vigueur. On sait déjà que pour sa première année de plein exercice, le CRU concentrera son activité sur l’élaboration des plans de résolution, conformément à l’article 99(3) du règlement (UE) n° 806/2014. À compter du 1er janvier 2016, date à laquelle l’intégralité de la directive 2014/59/UE entrera en vigueur, le CRU sera pleinement opérationnel et disposera de la totalité des outils de résolution à sa disposition. Il faut garder à l’esprit que le CRU présente un caractère hybride puisqu’il coexiste avec des autorités nationales de résolution disposant d’une relative autonomie. Par ailleurs, le processus de décision que le règlement (UE) n° 806/2014 définit est, comme souligné plus haut, complexe. Enfin, les efforts conjugués des régulateurs et superviseurs bancaires européens ces dernières années ont permis d’assainir le secteur bancaire européen et ainsi réduire la probabilité d’une prochaine crise bancaire à moyen terme. La combinaison de ces trois éléments laisse présager qu’il faudra attendre un certain délai après l’entrée en vigueur du MRU au 1er janvier 2015 pour que le fonctionnement concret du mécanisme soit pleinement mis à l’épreuve et pleinement clarifié. Ce calendrier représente une nouvelle différence par rapport au MSU confié à la BCE.

3. Un objectif difficile Le choix en faveur de l’Union bancaire opéré par les chefs d’État et de gouvernement en juin 2012 a brisé le cercle vicieux qui existait entre banque et États, nourrissant un nationalisme bancaire toxique dans le contexte de l’intégration financière transfrontalière et créant un problème d’action collective interdisant en pratique les restructurations. Ce choix s’est accompagné de l’émergence d’un consensus européen en faveur du bail in, de la participation des créanciers, en cas de restructuration bancaire. Cette nouvelle approche se trouve concrétisée dans l’ordre juridique européen par la directive DRRB sur le traitement et la résolution des crises bancaires 2014/59/UE et par le règlement MRU 806/2014.

Le choix en faveur de

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par les chefs d’État et de gouvernement en juin 2012 a brisé le cercle vicieux qui existait entre banque et États.

Que les créanciers subordonnés participent aux côtés des actionnaires à la restructuration est devenue la pratique en Europe depuis 2012. La discipline de marché s’est en conséquence améliorée. Par comparaison, entre 2007 et 2012, les créanciers subordonnés avaient dans leur immense majorité bénéficié de l’assistance des États membres. Les actionnaires avaient également pu parfois en bénéficier. La Commission européenne, dans une communication du 1er août 2013 sur les aides d’État accordées aux banques dans le contexte de la crise financière, a renforcé la responsabilisation des actionnaires et créanciers subordonnés aux restructurations(29). L’objectif suivant est prévu par la DRRB et doit se mettre en place pour janvier 2016 : il s’agit de faire participer les créanciers seniors aux restructurations. Cette évolution requerra un ensemble de clarifications et la construction d’une jurisprudence équivalente à celle qui existe aux États-­Unis en rapport avec l’activité de l’agence fédérale américaine de garantie des dépôts et de résolution des banques en difficulté(30). Sources : –  Règlement n° 806‑2014 du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil. 29. Communication de la Commission concernant l’application, à partir du 1er août 2013, des règles en matière d’aides d’État aux aides accordées aux banques dans le contexte de la crise financière (« Communication concernant le secteur bancaire »), J.O. C 216 du 30 juillet 2013, p. 1-15. 30. Federal Deposit Insurance Corporation.

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III. Régulation assurantielle Chronique sous la direction de Pauline Pailler

Professeur à l’Université de Reims

Avec la collaboration de

Adrien Tehrani

Maître de conférences à la Faculté de droit et de science politique de Montpellier Centre du droit de l’entreprise

&

Gimy Vela-rodriguez

Juriste en droit des assurances Société Générale

Sur le plan européen, alors que la directive Intermédiation en assurance 2 n’a pas encore été adoptée, le régime de l’intermédiation est indirectement modifié puisque la directive Marchés d’instruments financiers 2, adoptée en mai 2014, modifie le texte actuellement en vigueur pour prendre en compte les produits d’investissement fondés sur l’assurance. Sur le plan de la régulation comparée, le droit français de l’assurance vie a connu, au cours de l’année 2014, plusieurs évolutions, plus ou moins décisives. Sur le plan international, l’Association internationale des contrôleurs d’assurance a publié deux documents de réflexion sur la gouvernance des groupes d’assurance et sur la lutte contre la corruption dans l’assurance en octobre 2014.

At a European level, the Markets in Financial Instruments Directive (MIFID 2) enacted in May 2014, indirectly modified the applicable regime regarding the distribution of insurance products (without waiting for the enactment of the future directive amending the Insurance Mediation Directive i.e. IMD2). The amendments provided by MIFID 2 concerns insurance based investment products. From a comparative law standpoint, several modifications of varying significance affected the legal regime of life-­insurance in France during 2014. Finally, the International Association of Insurance Supervisors issued on October 2014 two issues papers, entitled respectively “Combating bribery and corruption” and “Approaches to group corporate governance”.

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III. Régulation assurantielle

III.A. Régulation européenne Article 91 de la directive MIF2 ou le nouvel encadrement des produits d’investissement fondés sur l’assurance par la MIF2 (faut-­il désormais évoquer la « directive IMD 1.5 » ?)

Gimy Vela-rodriguez

Juriste en droit des assurances Société Générale L’article 91 de la directive sur les marchés d’instruments financiers (« MiFID2 ») du 15 mai 2014 (1) modifie la directive sur l’intermédiation en assurances (« IMD1 ») du 9 décembre 2002 (2) en insérant un nouveau chapitre sur les exigences de protection des consommateurs sur les conflits d’intérêts susceptibles de surgir lors de la commercialisation des produits d’investissements fondés sur l’assurance (« PIA ») et sur l’information due au consommateur avec la possibilité pour les États membres d’interdire la perception des frais et autres avantages monétaires versés ou fournis par des tiers.

I. Quels sont ces produits d’investissements fondés sur l’assurance ? Les PIA sont désormais définis comme constituant « un produit d’assurance comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations du marché » (3). Sont donc notamment visés en France les contrats d’assurance vie en unités de compte (UC) définis notamment à l’article L. 131‑1, alinéa 2, du Code des assurances qui dispose « qu’en matière d’assurance sur la vie ou d’opérations de capitalisation, le capital ou la rente peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d’actifs offrant

Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014, J.O.U.E., 12 juin 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE. 2. Directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurances. 3. Article 91 de la directive MIF du 15 mai 2014.

une protection suffisante de l’épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d’État ». Dans ce type de contrats c’est bien le souscripteur/ assuré qui supporte le risque financier, puisque l’assureur n’est engagé que sur le nombre d’unités de compte et non pas sur leur valeur. La valeur de ces unités de compte n’est donc pas garantie par l’assureur et elle varie bien en fonction des fluctuations des marchés financiers. En effet, ces contrats permettent de combiner des prestations d’assurance avec une valorisation éventuelle du capital non garanti par l’assureur. Dans le même ordre d’idées, les contrats « eurocroissance » (4) quant à eux ne bénéficient que d’une garantie en capital au terme d’une période donnée (d’au moins huit ans) et donc sont bien sujets aux fluctuations des marchés. S’il ne fait aucun doute que ces deux types de contrats entrent bien dans le champ d’application de ces nouvelles dispositions réglementaires, on peut se poser la question sur les contrats en devises, les contrats dits en « euros ». En effet, ils sont caractérisés par le fait qu’ils offrent une garantie en capital proposé par les assureurs, majoré chaque année d’un rendement, stipulé dans le contrat d’assurance sur la vie sous la forme d’un taux et dont le risque n’est pas supporté par l’assuré, mais par l’assureur lui-­même. Ces contrats font-­ils partie de la définition des PIA ? On peut estimer que l’objectif d’une telle réforme est bien d’harmoniser la réglementation pesant sur les produits financiers en privilégiant la protection du consommateur et il est normal de concevoir, du moins en France, que les contrats en unités de compte et les contrats en euros soient traités de la même manière. La solution contraire aurait entraîné de facto de soumettre un même contrat d’assurance (dit « multisupports ») à deux corps de règles différents. Il nous semble donc que ces « PIA » concernent aussi bien les contrats d’assurance vie en unités de compte que les contrats d’assurance vie en euros.

1.

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4.

Loi de finances rectificative pour 2013 du 29 décembre 2013, J.O.R.F., 30 décembre 2013.

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II. Prévention et gestion des conflits d’intérêts et information des consommateurs Cet article 91 de la directive MIF2 aborde donc deux thèmes principaux : – la prévention et la gestion des conflits d’intérêts (A) ; – l’information des consommateurs (et la possibilité pour les États membres d’interdire la perception des frais versés par un tiers) (B).

A. La prévention et la gestion des conflits d’intérêts Ces dispositions visent à obliger les entreprises d’assurance sur la vie qui vendent des produits d’investissement fondés sur l’assurance et les intermédiaires en assurances qui distribuent ce type de produits à « prévenir et gérer les conflits d’intérêts pouvant se présenter entre eux-­mêmes, y compris leurs dirigeants, les membres de leur personnel et leurs intermédiaires liés, ou toute personne directement ou indirectement liée à eux par une relation de contrôle, et leurs clients ou entre deux clients, lors de l’exercice d’activités de distribution d’assurances » et si ces conflits d’intérêts ne peuvent être évités, d’en « informer clairement les clients, avant d’agir en leur nom » avant la réalisation de toute opération. À noter que ces dispositions existent déjà par ailleurs pour les prestataires de service d’investissement (PSI) qui s’inscrivent dans le cadre de principes généraux posés par la directive no 2004/39/CE du 30 avril 2004 (« MIF1 ») qui a été transposée en droit français par l’ordonnance no 2007‑544 du 12 avril 2007 (actuel article L. 533‑10 du Code monétaire et financier) complétée par le règlement général de l’AMF (articles 313‑18 et s.).

B. L’information des consommateurs Ces dispositions exigent, par ailleurs, de ces mêmes entreprises d’assurance et des intermédiaires en assurances distribuant ces produits d’investissement fondés sur l’assurance qu’ils agissent d’une manière « honnête, loyale et professionnelle, et ce dans le meilleur intérêt de ses clients » et qu’ils adressent à leurs clients des informations, y compris commerciales, « correctes, claires et non trompeuses ». Par ailleurs, les informations publicitaires doivent être « clairement identifiables en tant que telles ». Enfin, les États membres peuvent interdire aux intermédiaires en assurance et aux entreprises d’assurance 2015/1

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d’accepter ou de percevoir des frais, des commissions ou d’autres avantages monétaires versés ou fournis par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers, en rapport avec la distribution aux clients de « PIA ». La Commission européenne a demandé à l’EIOPA (AEAPP, Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles) (5) son avis technique pour préparer les actes délégués.

Chroniques

III.A. Régulation européenne

L’EIOPA a déjà consulté une première fois les professionnels au courant de l’été 2014 pour définir les mesures envisagées par les professionnels pour identifier et gérer ces « conflits d’intérêts », et notamment établir les critères déterminant les « conflits d’intérêts » susceptibles de porter atteinte aux intérêts des clients. L’objectif fixé par les professionnels, notamment les bancassureurs, était de viser la plus grande cohérence possible entre les règles applicables aux « PIA » et celles applicables aux produits financiers de la directive « MIF2 ». L’EIOPA a, dès lors, lancé une deuxième consultation sur ces « conflits d’intérêts » ouverte jusqu’au 1er décembre 2014 en retenant de la première consultation que les règles sur la question prévues par la directive « MIF1 » doivent être adaptées au secteur de l’assurance, tout en privilégiant le principe de proportionnalité. Cet article 91 de la nouvelle directive « MIF2 » vise donc bien à amender la directive sur l’intermédiation en assurances « IMD1 » du 9 décembre 2002 en y introduisant un certain nombre de principes généraux posés par la directive « MIF1 ». Si l’on comprend bien que l’intention principale est bien celle d’aligner, pour les « PIA », les règles de conduite visant à protéger le consommateur final, on peut trouver le procédé pour le moins étonnant. En effet, il est étonnant de modifier un texte européen déjà existant, et transposé dans les droits locaux des États membres (directive « IMD1 »), qui est lui-­même en cours de révision actuellement (future directive « Distribution d’assurances IMD2 » actuellement en discussion à la Commission européenne). Par ailleurs, l’EIOPA fait référence, lors de sa consultation, à la directive « MIF1 » (et notamment à son article 21) alors que cette directive vient justement d’être modifiée par la directive « MIF2 » du 14 mai 2014 et d’un règlement MIFIR, qui sont eux-­mêmes soumis à des précisions qui ne seront apportées que par des actes délégués pour lesquels les avis techniques de l’ESMA ne sont pas encore finalisés.

5.

Eiopa.europa.eu/consultations/consultations-­papers.

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Chroniques

III. Régulation assurantielle

Sans préjuger des résultats

de cette deuxième consultation, on peut d’ores et déjà s’étonner du procédé, mais aussi du « mandat » qui a été

accordé par l’EIOPA.

Sans préjuger des résultats de cette deuxième consultation, on peut d’ores et déjà s’étonner du procédé, mais aussi du « mandat » qui a été accordé par l’EIOPA. En effet, les discussions actuelles sur la révision de la directive sur l’intermédiation en assurance (future directive « distribution d’assurances IMD2 ») peuvent conduire à redéfinir les dispositions de ces actes délégués (par exemple au sujet des paiements ou avantages provenant des tiers). L’EIOPA a donc tenu à préciser qu’elle n’avait pas l’intention d’anticiper ou d’empiéter sur les décisions qui seront prises par le législateur européen, mais qu’elle se contenterait de répondre à la demande d’avis de la Commission européenne. Ne nous reste donc plus qu’à attendre les conclusions de l’EIOPA, et surtout les axes qui seront retenus par la Commission européenne sur la reprise des dispositions de l’article 91 de la directive « MIF 2 » dans la version définitive de la directive Distribution en assurances (directive « IMD 2 »).

III.B. Régulation comparée Chronique de droit français : Renforcement de l’encadrement de l’assurance vie en 2014

Pauline Pailler

Professeur à l’Université de Reims

Le droit français des assurances connaît quelques évolutions notables dans le domaine financier, et en particulier dans celui de l’assurance vie, et renforce notamment les obligations des entreprises d’assurance et des intermédiaires. Deux questions essentielles font en particulier l’objet d’une actualité en droit interne : la première concerne le régime des contrats d’assurance vie en déshérence, encadré par une nouvelle loi du 13 juin 2014 ; la seconde vise le problème récurrent de la distribution des produits d’assurance, qui donne lieu à une recommandation de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, autorité de régulation nationale, et à plusieurs décisions de la Cour de cassation. Une troisième question peut être plus rapidement évoquée, relative à l’encadrement de la politique de gestion de l’assureur.

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I. Le statut des contrats d’assurance vie non réclamés Si le statut des contrats d’assurance vie en déshérence ou non réclamés connaissait un encadrement avant l’adoption de la loi no 2014‑617 du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence, ses insuffisances étaient toutefois critiquées. Depuis la loi no 2007‑1175 du 17 décembre 2007, conformément au dernier alinéa de l’article L. 132‑8 du Code des assurances, les contrats d’assurance vie non réclamés devaient ainsi faire l’objet d’une recherche active de la part de l’assureur (1). Cependant, dans un rapport publié le 17 juillet 2013, la Cour des comptes soulignait les points faibles du dispositif (2), critiquant la mauvaise application de la législation. Dans ce contexte, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (3) a rendu une première 1. V., pour les textes antérieurs proposant un premier encadrement : loi no 2003‑706 de sécurité financière du 1er août 2003 ; loi no 2005‑1564 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance du 15 décembre 2005. 2. Cour des comptes, rapport, « Les avoirs bancaires et les contrats d’assurance vie en déshérence », juin 2013. 3. Ci-­après ACPR.

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décision, le 7 avril 2014, par laquelle elle prononce à l’encontre de la société Cardif un blâme et une sanction pécuniaire de 10 millions d’euros (4). Pour l’ACPR, « les dispositions combinées du dernier alinéa de l’article L. 132‑8 et de l’article L. 132‑9-­3 du Code des assurances doivent être interprétées en ce sens que les informations recueillies par consultation du Registre national d’identification des personnes physiques (RNIPP) déclenchent, pour l’assureur, l’obligation d’une recherche active du bénéficiaire du contrat d’assurance vie, même si cette recherche doit, le cas échéant, être précédée ou assortie de la vérification du décès de l’assuré » (5). Elle précise que « le respect de l’obligation de rechercher les bénéficiaires, qui est en effet une obligation de moyens, s’apprécie surtout en fonction des diligences faites à cette fin dans chaque cas ». Or elle constate que Cardif a mis en place des critères de sélection qui ont eu pour effet d’exclure de la procédure de démarche de recherche active certains dossiers, ce qui a eu pour conséquence une inégalité de traitement des bénéficiaires de contrats d’assurance vie contraire aux dispositions légales, lesquelles ne posent aucun critère de sélection. Dans sa décision du 31 octobre 2014, l’Autorité applique à nouveau le dispositif de la loi de 2007 et condamne la société CNP Assurances à un blâme et à une sanction pécuniaire de 40 millions d’euros (6). Elle retient notamment que « les dispositions, qui sont claires, imposent aux assureurs de s’informer du décès éventuel de leurs assurés ; lorsqu’il a institué cette obligation, le législateur n’a prévu ni mesures transitoires ni possibilité de réalisation partielle ou échelonnée des recherches ; il appartenait donc aux entreprises d’assurance de n’exclure aucune catégorie de contrats de leurs recherches et de mettre en œuvre les moyens nécessaires à une recherche générale et systématique ; des mesures de “priorisation” des recherches ne pouvaient dès lors être envisagées, en raison de contraintes techniques ou pratiques, qu’à condition de s’insérer dans une démarche d’ensemble prédéterminée et réalisée dans des délais courts » (7).

Par une loi du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance

4. 5. 6. 7.

ACPR, Déc. sanct. no 2013‑03bis, 7 avril 2014, Société Cardif Assurance Vie. Ibid., cons. (11). ACPR, Déc. sanct. no 2013‑05, 31 octobre 2014, Société CNP Assurances. Ibid., cons. (11).

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vie en déshérence, le législateur français prend acte de ces insuffisances et

Chroniques

III.B. Régulation comparée

propose un encadrement des contrats d’assurance

vie en déshérence.

Par une loi du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence, le législateur français prend acte de ces insuffisances et propose un encadrement des contrats d’assurance vie en déshérence (8). Cette loi refond le dispositif existant, au-­delà des quelques modifications marginales opérées par la loi no 2013‑672 de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013. Il s’agit principalement de renforcer les obligations d’information de l’assureur en cas de décès de l’assuré ou du bénéficiaire, de systématiser les opérations de vérification du décès éventuel des assurés ou bénéficiaires, qui deviennent annuelles et obligatoires (9), d’exiger une publication de l’état des contrats non réclamés (10), ou encore d’imposer de nouvelles obligations de gestion des actifs non réclamés à la charge des assureurs. L’entrée en vigueur de la loi du 13 juin 2014 est prévue pour le 1er janvier 2016. Aux côtés de cette question spécifique des contrats non réclamés, l’assurance vie a fait l’objet d’une actualité particulière en matière de distribution.

II. La distribution des produits d’assurance Le régime de la distribution des produits d’assurance soulève de nombreuses interrogations, qui sont notamment relayées au niveau européen. Un premier constat, qui n’est pas nouveau, tient en effet dans l’uniformisation progressive qui touche l’ensemble des produits financiers, y compris les produits d’assurance portant sur des supports financiers, ainsi des contrats d’assurance vie en unités de compte. Progressivement, le 8. F. Sauvage, « Nouveau renforcement des obligations des assureurs dans le cadre de la lutte contre les contrats d’assurance vie en déshérence », R.D.B.F., 2014, étude 19. 9. Article L. 132‑9-­3 du Code des assurances. Alors que ces obligations, consacrées par la loi du 26 juillet 2013, n’étaient que facultatives. 10. Article L. 132‑9-­3‑1 du Code des assurances.

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Chroniques

III. Régulation assurantielle

législateur européen tend à soumettre à des règles communes l’ensemble des produits d’investissement, qui exposent les consommateurs à des risques semblables, quel que soit le secteur concerné – bancaire, assurantiel ou purement financier (11). Cet objectif est poursuivi tant dans le cadre de la réforme de la directive Marchés d’instruments financiers, adoptée en mai 2014 (12), que dans celui de la réforme de la directive Intermédiation en assurance, qui devrait être prochainement adoptée (13), complétées par les mesures transversales proposées dans le règlement PRIIPs (14). Mais sans attendre ces réformes européennes, le droit français a pris acte de cette convergence (15). Si la Cour de cassation rappelle, sans le révolutionner, le dispositif existant, l’ACPR élabore une nouvelle recommandation sur les conventions concernant la distribution de contrats d’assurance vie (16), destinée à simplifier et préciser les mécanismes existants.

A. Dispositif classique L’information du consommateur de produits d’assurance est centrale afin qu’il prenne sa décision d’investissement de manière éclairée. De nombreuses obligations sont donc mises à la charge du professionnel, assureur comme intermédiaire en assurance, pour garantir son efficacité. Si l’obligation générale d’information qui incombe à tout professionnel au profit du consommateur, prévue à l’article L. 111‑2, I, du Code de la consommation, est expressément

11. P. Pailler, « Le consommateur de services financiers au cœur des préoccupations du législateur européen », R.D.B.F., 2014, alerte 8. 12. Directive 2014/65/UE concernant les marchés d’instruments financiers du 15 mai 2014. V., dans ce numéro, G. Velarodriguez, « Article 91 de la directive MIF2 ou le nouvel encadrement des produits d’investissement fondés sur l’assurance par la MIF2 (faut-­il désormais évoquer la « directive IMD 1.5 » ?) ». 13. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance du 3 juillet 2012, COM(2012) 360 final. Résolution législative du 26 février 2014 du Parlement européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance (refonte) P7_TA(2014)0155. Accord du Conseil de l’Union européenne, 5 novembre 2014. 14. Règlement PRIIPs (« Packaged Retail and Insurance-­ based Investment Products »). Accord du Parlement européen du 15 avril 2014. Texte adopté par le Conseil le 24 octobre 2014. 15. Pour une présentation générale de la question : G. Parléani, « La distribution de l’assurance vie », Bull. Joly Bourse, 2014, §111e4, p. 170. 16. Recommandation no 2014-­R-­01 du 3 juillet 2014 sur les conventions concernant la distribution des contrats d’assurance vie : http://acpr.banque-­france.fr/fileadmin/ user_upload/acp/publications/registre-­officiel/20140708-­ Recommandation-­2014-­R-­01-­de-­l-­ACPR.pdf. 96

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écartée pour les opérations d’assurance (17), de nombreuses autres règles existent qui procèdent tant du formalisme informatif légal que de la mise en garde prétorienne. Ces règles ne sont pas nouvelles, mais quelques décisions jurisprudentielles viennent en préciser les modalités.

1. Le formalisme informatif légal Plusieurs textes spéciaux encadrent le régime de la distribution en matière d’assurance, au détriment parfois de la lisibilité. En matière d’assurance, l’article L. 112‑2 du Code des assurances exige tout d’abord une fiche d’information. Ensuite, l’article L. 132‑5-­2 du même Code impose, à la charge de l’assureur, avant la conclusion d’un contrat d’assurance vie ou de capitalisation par une personne physique, la remise d’une note d’information sur les conditions d’exercice de la faculté de renonciation et sur les dispositions essentielles du contrat, ainsi qu’un projet de lettre destiné à faciliter l’exercice de la faculté de renonciation prévue à l’article L. 132‑5-­1 (18). Dans le cas où cette obligation ne serait pas respectée par l’assureur, la sanction consiste dans la prorogation de plein droit du délai de renonciation. La faculté de renonciation est en effet jugée d’ordre public (19), ce qui interdit au souscripteur d’y renoncer (20). Le formalisme informatif s’applique ici dans toute sa rigueur puisque, à défaut de transfert des documents requis, la prorogation opérera de plein droit, sans tenir compte, le cas échéant, de la mauvaise foi du souscripteur (21).

Plusieurs textes spéciaux

encadrent le régime de la distribution en matière d’assurance, au détriment parfois de la lisibilité.

17. Article L. 111‑2, II, du Code des assurances. 18. Cette faculté de renonciation a été introduite en droit français dès la loi no 81‑5 du 7 janvier 1981, article 22. 19. Cass., 2e civ., 10 juillet 2008, no 07‑12072, Bull. civ., II, no 177, et, du même jour, no 07‑12070, et no 07‑12071 : R.G.D.A., 2008, p. 997, note L. Mayaux. 20. Cass., 2e civ., 3 septembre 2009, no 09‑10475. 21. Cass., 2e civ., 7 mars 2006, no 05‑10366, Bull. civ., no 63. Cass., 2e civ., 15 décembre 2011, no 10‑24430, R.G.D.A., 2012, p. 766, note J. Kullmann. Adde, J. Kullmann, « L’assuré est en droit d’être de la plus extrême mauvaise foi : l’arrêt qui ne passe pas », in Mélanges J. Bigot, LGDJ-­Lextenso, 2010, p. 215.

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L’assouplissement des modalités de la transmission d’information a désamorcé certaines des critiques qui étaient opposées au dispositif de la renonciation, indirectement consacré en 2013, au niveau européen, par la Cour de justice (22). La Cour de cassation juge ainsi de manière constante que les conditions générales du contrat valent note d’information (23). Toutefois, elle précise, alors que la solution pouvait se discuter (24), que « l’insertion d’un modèle de lettre de renonciation dans les conditions générales du contrat ne répond pas aux exigences de ce texte et que l’entreprise d’assurance ne peut régulariser la situation que par la transmission distincte de ce document » (25). La jurisprudence se prononce sur les modalités de la renonciation. D’une part, dans le cas où le droit d’exercer sa faculté de renonciation n’a pas été notifié à l’associé, on a pu se demander si l’exercice de cette faculté était enfermé dans un délai. La Cour de justice, dans son arrêt précité de 2013, répond par la négative, comme le faisait auparavant la jurisprudence nationale sur le fondement de l’alinéa 4 de l’article L. 132‑5-­2 du Code des assurances, qui ne prévoit qu’un délai butoir de huit ans à compter de la date où le souscripteur est informé que le contrat est conclu (26). D’autre part, réaffirmant des solutions classiques, la Cour de cassation rappelle que la demande de rachat total à l’initiative de l’assuré, dans la mesure où elle fait disparaître le contrat, fait également disparaître la faculté de renonciation (27). La solution est la même si le rachat a été mis en œuvre par l’assureur, alors qu’il avait mis vainement en demeure l’assuré de régulariser sous délai la situation de ce contrat au regard de ses conditions de fonctionnement : il met alors fin au contrat et prive de tout effet la faculté de renonciation exercée postérieurement à l’expiration de ce délai par

22. V. C.J.U.E., 19 décembre 2013, aff. C-­209/12, Walter Endress c. Allianz Lebensversicherungs AG, R.I.S.F., 2/2014, p. 98, note J. Chacornac ; R.G.D.A., 2014, § 110g8, p. 132, note G. Parléani. 23. Cass. comm., 29 avril 2014, no 13‑15447. Elle retient aussi que les annexes peuvent faire partie intégrante de la note d’information, si cette modalité est prévue de manière claire et apparente : Cass., 2e civ., 12 juin 2014, no 13‑16540. 24. V., pour une décision antérieure plus favorable à l’assureur, Cass., 2e civ., 22 septembre 2013, no 12‑22649, R.G.D.A., 2014, § 110c7, p. 47, note L. Mayaux ; R.D.B.F., 2013, comm. 199, note J. Djoudi. 25. Cass., 2e civ., 22 mai 2014, no 13‑19233, R.D.B.F., 2014, comm. 138, note J. Djoudi. 26. Selon l’article L. 132‑5-­2, alinéa 4, « le défaut de remise des documents et informations prévus au présent article entraîne de plein droit la prorogation du délai de renonciation prévu à l’article L. 132‑5-­1 jusqu’au trentième jour calendaire révolu suivant la date de remise effective de ces documents, dans la limite de huit ans à compter de la date où le souscripteur est informé que le contrat est conclu ». 27. Cass., 2e civ., 19 février 2009, no 08‑12280, Bull. civ., no 50 ; R.G.D.A., 2009, p. 542, note J. Kullmann. Cass., 2e civ., 15 décembre 2011, n° 10‑27703, R.G.D.A., 2012, p. 774, note J. Kullmann. 2015/1

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l’assuré (28). Dès lors, peu importe que les conditions de la renonciation soient réunies. En revanche, la solution retenue en cas de rachat total n’est pas transposable en cas de rachats partiels : par un arrêt du 6 février 2014, la deuxième chambre civile précise que des « rachats partiels, opérés au profit et à la demande de la banque en exécution d’un contrat de délégation de créance, [sont] impropres à caractériser une renonciation non équivoque de l’assuré à l’exercice de sa faculté prorogée de renonciation au contrat » (29).

Chroniques

III.B. Régulation comparée

Au-­delà du dispositif légal d’information, la jurisprudence a dégagé une obligation de mise en garde qui manifeste cette tendance à la convergence en droit des services financiers, puisque cette obligation est initialement née en droit des marchés financiers dans le domaine des marchés à terme (30).

2. La mise en garde prétorienne L’assureur, comme l’intermédiaire qui propose des produits d’assurance à caractère spéculatif, et notamment le banquier (31), doivent ainsi respecter une obligation de mise en garde (32). Mais cette obligation, pour être applicable, suppose la réunion de deux conditions cumulatives : le souscripteur doit être profane et le produit doit présenter un caractère spéculatif. Sur ce dernier point, la Cour de cassation rappelle sans surprise qu’il importe peu à cet égard que les produits soient soumis à la variabilité des marchés financiers. En effet, dès lors que le contrat d’assurance vie repose sur des supports financiers dont le rendement dépend de l’évolution des marchés et ne comporte pas de rémunération minimum, la Cour de cassation retient que l’assuré, comme tout investisseur, même profane, ne peut ignorer les aléas liés aux fluctuations de la bourse et le risque de dépréciation du capital investi sur ce type de marché (33). Dans ce cas, le formalisme légal de la notice 28. Cass., 2e civ., 12 juin 2014, no 13‑20358, R.G.D.A., 2014, § 111c5, p. 467, note L. Mayaux. 29. Cass., 2e civ., 6 février 2014, no 13‑10406. V., ante, Cass., 2e civ., 9 juillet 2009, no 08‑18241. 30. Cass. comm., 5 novembre 1991, no 89‑18005, Buon. 31. Les obligations de l’assureur et de l’intermédiaire se superposent (v. Cass., 2e civ., 18 février 2010, no 09‑10595 Cass. comm., 22 septembre 2009, no 08‑18141) : alors que l’assureur doit se conformer au formalisme informatif légal qui lui incombe, l’intermédiaire qui, le plus souvent, est en contact direct avec le souscripteur, est tenu d’une obligation de mise en garde (v., Cass., 2e civ., 9 décembre 2010, no 09‑17113 : « l’obligation précontractuelle de mise en garde et de conseil est à la charge du banquier intermédiaire qui fait souscrire l’adhésion et non à celle de l’assureur qui ne se trouve lié à l’emprunteur qu’à compter de l’adhésion »). 32. Cass., 2e civ., 27 mars 2014, no 13‑16672 (absence de manquement à l’obligation de mise en garde) ; Cass. comm., 29 avril 2014, no 13‑15447 (absence de caractère spéculatif, conditions générales valant notice d’information). 33. Cass. comm., 29 avril 2014, no 13‑15447, précité. V. aussi Cass. comm., 28 janvier 2014, no 12‑29204 : « le place-

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Chroniques

III. Régulation assurantielle

d’information suffit (34). C’est seulement si la commercialisation porte sur un contrat à caractère spéculatif que l’information doit être adaptée et renforcée pour prendre la forme d’un devoir d’alerte sur les risques auxquels expose la conclusion d’un tel contrat. Sur un plan pratique, la Cour de cassation précise que le recours à l’emprunt n’est pas interdit pour permettre l’abondement d’un contrat d’assurance vie à visée d’optimisation fiscale (35). L’ACPR intervient pour compléter ce dispositif, après avoir constaté certaines insuffisances dans le dispositif encadrant la distribution des contrats d’assurance vie et de capitalisation.

B. Précisions de l’ACPR Les questions posées par la distribution des contrats d’assurance vie sont relayées en droit des marchés financiers pour la distribution des instruments financiers. Les deux autorités de régulation nationales, l’ACPR dans le domaine des assurances et l’AMF dans le domaine des marchés financiers, ont ainsi mis en place une réflexion commune, dans le cadre du Pôle commun assurance – banque – épargne, afin d’encadrer les conventions concernant la distribution des produits financiers (36). Les conventions conclues entre producteurs et distributeurs d’instruments financiers et de contrats d’assurance vie et de capitalisation sont régies par l’ordonnance no 2008‑1271 du 5 décembre 2008 (37). Ce dispositif est prévu, en matière de contrats d’assurance vie, aux articles L. 132‑28, R. 132‑5-­1 et R. 132‑5-­2 du Code des assurances. Si ces textes ment litigieux étant un contrat d’assurance vie composé de 70 % de valeurs actions et de 30 % de valeurs obligations, sa commercialisation ne relevait d’aucun devoir de mise en garde en l’absence d’opérations spéculatives présentant un risque particulier ». 34. Cass., 2e civ., 3 juillet 2014, no 13‑20330, inédit : « qu’ayant opté pour un placement ayant pour partie un support boursier, Mme X… ne pouvait ignorer qu’un tel placement n’offrait pas de taux de rémunération garanti et pouvait même perdre de sa valeur comme en attestent les conditions générales valant notice d’information qu’elle ne conteste pas avoir reçues ». 35. Cass., 2e civ., 11 septembre 2014, no 13‑19947, R.G.D.A., 2014, § 111g6, p. 517, note L. Mayaux. 36. ACPR, recommandation no 2014-­R-­01 sur les conventions concernant la distribution des contrats d’assurance vie du 3 juillet 2014 : http://acpr.banque-­france. fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/registre-­ officiel/20140708-­Recommandation-­2014-­R-­01-­de-­l-­ ACPR.pdf. Adde, AMF, Position – Recommandation no 2014‑05 sur les conventions concernant la distribution d’instruments financiers. 37. R. Ghueldre et F. Vannesson, « La distribution des produits financiers et d’assurance se modernise », Lamy Assurances, juillet 2009, no 163, p. 1 ; Banque et droit, janvier 2009, no 123, p. 42 ; ibid., p. 36, note F. Bussière. Rappr., M. Roussille, « La commercialisation d’instruments financiers », Bull. Joly Bourse, 2014, § 111f9, p. 159. 98

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imposent des indications relatives au contrôle, par le producteur, de la conformité des documents publicitaires émis par le distributeur aux documents contractuels et à la mise à disposition du distributeur par le producteur de toutes les informations nécessaires à la bonne commercialisation de ses contrats d’assurance vie, le résultat obtenu est, selon les autorités de régulation, loin d’être parfait. La difficulté procède de la multiplication des intermédiaires dans la chaîne de distribution, qui complique la circulation de l’information. Les deux autorités ont donc mené une action conjointe, à partir de deux objectifs clairement établis : d’une part, clarifier les obligations de chacune des parties à la convention en matière de processus de validation des documents publicitaires et de transmission des informations permettant d’apprécier les caractéristiques d’un contrat ; d’autre part, assurer la protection des clients tout au long de la chaîne de commercialisation du contrat d’assurance vie en veillant, en particulier, à la fiabilité des informations qui leur sont communiquées au travers de la publicité diffusée ou du conseil fourni. De cette action conjointe résultent des textes au contenu similaire, destinés à la mise en place d’un encadrement harmonisé. En matière d’assurance, l’ACPR a procédé par la voie d’une recommandation, applicable au 1er janvier 2015. La recommandation de bonnes pratiques, qui relève de la doctrine extériorisée de l’ACPR, participe de la soft law et ne revêt donc pas un caractère impératif. Par renvoi à la définition proposée par l’AMF dans ses Principes d’organisation et de publication de la doctrine du 7 décembre 2010, elle se définit comme « une invitation à adopter un comportement ou à se conformer à une disposition, comportement ou disposition que l’AMF considère comme susceptibles de faciliter la réalisation des objectifs des normes ou principes généraux relevant de son domaine de compétence, sans exclure que d’autres comportements ou dispositions soient également compatibles avec ces normes ou ces principes généraux ».

En matière d’assurance, l’ACPR a procédé par la voie d’une recommandation, applicable

au 1er janvier 2015.

La recommandation de l’ACPR traite successivement des communications à caractère publicitaire, des informations relatives aux contrats d’assurance, ainsi que des modalités de mise en œuvre de ces différentes

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questions dans le cas d’une chaîne de distribution. S’agissant des communications à caractère publicitaire, l’intermédiaire doit soumettre à l’organisme d’assurance tout nouveau projet de communication à caractère publicitaire, ce dernier devant formuler un avis (validation pure et simple, refus pur et simple ou demande de modification), qu’il rend public, dans un délai raisonnable (38). S’agissant des informations que l’organisme d’assurance doit transmettre à l’intermédiaire d’assurance, la recommandation distingue selon qu’il existe ou non une convention. Dans le premier cas, la convention doit prévoir les types de documents destinés à la communication des informations, ainsi que le délai et les modalités selon lesquelles les informations sont transmises, en garantissant accessibilité, conservation, faculté de reproduction. Dans le second cas, quand la convention n’est pas obligatoire en vertu de l’article L. 132‑5-­2 du Code des assurances, car l’intermédiaire n’a recours qu’aux communications à caractère publicitaire telles qu’elles ont été mises à sa disposition par l’organisme d’assurance, l’écrit que l’organisme s’est engagé à transmettre doit recenser toutes les informations précitées (39). En cas de pluralité d’intermédiaires via une chaîne de distribution, l’ACPR impose certaines obligations dans les rapports entre organisme d’assurance et intermédiaire distributeur et entre intermédiaire initial et intermédiaire distributeur. Il s’agit pour l’ACPR de garantir que les recommandations prévues sont bien transposées au sein de la chaîne de distribution (40). Ainsi, l’intermédiaire initial doit notamment s’engager, par une clause stipulée dans le contrat qui le lie à l’organisme d’assurance, à conclure une convention de distribution avec l’intermédiaire distributeur, qui doit être conforme à la convention initiale. L’intermédiaire distributeur doit en outre respecter les communications à caractère publicitaire transmises par l’organisme d’assurance et doit, à défaut, obtenir l’accord de ce dernier. L’ACPR conclut en recommandant aux organismes d’assurance et aux intermédiaires de mettre en œuvre des moyens et procédures nécessaires, ainsi que d’être en mesure de se justifier auprès de l’ACPR des moyens et procédures mis en œuvre ou d’expliquer, le cas échéant, pourquoi il a été choisi de ne pas se conformer à certains éléments de la présente recommandation. Cette dernière précision souligne le caractère non impératif de la recommandation et la place de plus en plus importante que prend le principe du comply or explain en matière financière. 38. Recommandation précitée, point 4.1. 39. Recommandation précitée, point 4.2. 40. Recommandation précitée, point 4.3.

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Au-­delà de l’encadrement de la distribution des produits d’assurance vie, quelques décisions évoquent également, pour finir, la politique de gestion de l’assureur.

III. Gestion du contrat d’assurance

Chroniques

III.B. Régulation comparée

Au stade de la gestion du contrat par l’assureur, deux décisions peuvent être évoquées qui en précisent les modalités. Une première décision rappelle que les primes d’assurance vie ne doivent pas être exagérées (41). Dans le silence des textes (42), les juges ont précisé les modalités d’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes. Ils prennent ainsi en compte, au moment du versement, l’âge ainsi que les situations patrimoniale et familiale du souscripteur (43), mais également, sur un plan subjectif, l’utilité du contrat pour ce dernier (44). Une seconde décision se prononce sur la participation aux bénéfices de l’assuré. La deuxième chambre civile juge ainsi au visa de l’article L. 331‑3 du Code des assurances que « les entreprises d’assurance sur la vie ou de capitalisation doivent faire participer leurs assurés aux bénéfices à la fois techniques et financiers qu’elles réalisent » (45). Cette règle s’applique à tous les contrats sans distinction (46). La deuxième chambre civile rappelle qu’elle vise tous les types de bénéfices, qu’ils soient financiers – ainsi des bénéfices d’intérêt et des bénéfices de plus-­value – ou techniques – comme les bénéfices de gestion. 41. Cass., 1re civ., 19 mars 2014, no 13‑12076, Bull. civ., no 52. 42. L’article L. 132‑13 du Code des assurances dispose seulement que « Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-­ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ». 43. Cass., ch. mixte, 23 novembre 2004, no 01‑13592, Bull. civ., no 4. 44. Cass., 1re civ., 1er juillet 1997, no 95‑15674, Bull. civ., no 217 ; D., 1998, p. 543, note S. Choisez ; R.C.A., 1997, comm. 317, note J. Bigot ; J.C.P., éd. G, 1998, I, 133, note Le Guidec. Cass., 1re civ., 27 mars 2007, no 08‑15781. Cass., 1re civ., 17 juin 2009, no 08‑13620, Bull. civ., no 136. Cass., 2e civ., 17 septembre 2009, no 08‑17040. 45. Cass., 2e civ., 6 février 2014, no 13‑11331, Bull. civ., no 36 ; R.D.B.F., 2014, note J. Djoudi. 46. C.E., 23 juillet 2012, Assoc. UFC-­Que Choisir, no 353885.

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Chroniques

III. Régulation assurantielle

III.C. Régulation internationale Association Internationale des Contrôleurs d’Assurance, Documents de réflexion sur la gouvernance des groupes d’assurance et sur la lutte contre la corruption dans l’assurance, octobre 2014

Adrien Tehrani

Maître de conférences à la Faculté de droit et de science politique de Montpellier Centre du droit de l’entreprise Si les documents de réflexion (Issues Papers) publiés par l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (AICA ou IAIS en anglais) se veulent principalement descriptifs, ils n’en sont pas moins dignes d’intérêt : non seulement ils permettent de faire le point sur un sujet déterminé et d’identifier les questions qui se posent, mais ils font aussi office, dans bien des cas, de travail préparatoire à l’élaboration par l’AICA de ses recommandations. Aussi est-­il possible de déceler à leur lecture les premières orientations de l’association internationale des régulateurs assurantiels sur certains sujets. Le 27 octobre 2014, l’association a publié deux documents de ce type, le premier consacré à la gouvernance des groupes d’assurance (1), le second à la question de la lutte contre la corruption (2) ; deux sujets qui ne sont pas sans lien.

I. La gouvernance des groupes d’assurance Lors de la 21e conférence annuelle de l’AICA, qui s’est déroulée à Amsterdam au mois d’octobre 2014, une table ronde était consacrée aux nouvelles approches de la gouvernance des assureurs. L’un des orateurs, alors membre de l’organe de direction de la Banque centrale des Pays-­ Bas, a souligné à cette occasion que, pour être effective, la gouvernance devait viser à changer les comportements et qu’il convenait d’inculquer une culture du risque qui soit saine. Elle a ajouté que les comportements dans les instances dirigeantes ayant des conséquences réelles sur les risques pris par les assureurs, les régulateurs devaient tenir compte de cette réalité et renouveler leur approche 1. IAIS, « Approaches to Group Corporate Governance; Impact on Control Functions », Issues Paper, octobre 2014. 2. IAIS, Issues Paper on Combating Bribery and Corruption, octobre 2014. 100

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des questions de gouvernance, les approches classiques n’étant pas adéquates (3). La mesure dans laquelle la réglementation peut prendre en compte des comportements est toutefois complexe à apprécier, car la réglementation doit revêtir un certain degré de généralité et aspirer à une certaine permanence. Il reste sans doute possible de définir des tendances, comme s’efforcent de le faire par exemple les recherches en finance comportementale, ce qui peut influer sur le contenu de la règle élaborée. Par ailleurs, les régulateurs ont la possibilité d’adopter des normes, au sens de modèle de conduite, plus souples que des instruments juridiquement obligatoires, mais qui ne sont pas sans effets. En tout cas, pour parvenir à une « bonne gouvernance », une connaissance des modes d’organisation de la gouvernance dans les groupes d’assurance est également nécessaire. C’est l’un des objets du premier document de réflexion, qui définit la gouvernance comme l’ensemble des systèmes par lesquels chaque entité du groupe est gérée et contrôlée (4). Le rapport commenté n’est pas centré sur l’organisation des groupes d’assurance en tant que telle (choix de telle ou telle forme sociale ou mutuelle, filialisation de l’activité d’assurance au sein d’un conglomérat financier…), mais décrit les grands modèles de gouvernement d’entreprise mis en œuvre dans les groupes d’assurance. Cependant, le rapport formule aussi des pistes de réflexion pour répondre aux défis que posent les questions de gouvernance et de contrôle dans ces groupes. Le contenu du document se fait alors moins descriptif tout en restant, l’exercice l’impose, assez général et abstrait.

Deux grands modèles

sont identifiés, l’un de gouvernance centralisée, l’autre de gouvernance

décentralisée.

3. IAIS, Newsletter, novembre 2014, p. 4. 4. Document de réflexion, précité, p. 9 : « Governance refers to systems through which an entity is managed and controlled ».

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Ainsi, deux grands modèles sont identifiés, l’un de gouvernance centralisée, l’autre de gouvernance décentralisée. L’AICA n’entend pas favoriser l’un plutôt que l’autre et rappelle que le cadre commun qu’elle a élaboré pour la surveillance des groupes d’assurances internationaux (Common Framework for the Supervision of International Active Insurance Groups ou ComFrame) se concentre sur les résultats à atteindre plutôt que sur les moyens de les atteindre, même s’il est demandé que les instances dirigeantes de ces groupes aient une vision d’ensemble des questions de gouvernance au sein de leur groupe. Chaque approche a en effet ses avantages et ses inconvénients. Il est expliqué à cet égard que dans une approche centralisée, les objectifs et la stratégie sont définis au niveau du groupe, ce qui favorise leur cohérence, comme la diffusion d’une culture commune en termes de conformité et de contrôle des risques susceptibles d’être pris. En revanche, une telle approche peut présenter un risque d’éloignement de la réalité du terrain et des préoccupations spécifiques de chaque entité. À l’inverse, dans une approche décentralisée, la réaction aux difficultés quotidiennes particulières rencontrées au niveau des entités sera sans doute rapide et adaptée, mais le risque est alors de perdre de vue la cohérence de l’action menée par le groupe. Les défis à relever pour optimiser la gouvernance, bien qu’essentiellement relatifs à de potentiels conflits entre les intérêts du groupe et ceux de chaque entité (l’intérêt collectif et l’intérêt particulier en quelque sorte), peuvent donc différer. Surtout, c’est la perspective qui n’est pas la même selon le cadre de gouvernance élaboré. Ainsi, l’AICA souligne que ce qui importe pour relever les défis d’une approche centralisée c’est de parvenir à un équilibre entre, d’un côté, les besoins d’une direction effective au niveau du groupe, d’un autre côté, la prise en compte suffisante des contraintes locales. Différemment, lorsque la structure de gouvernance est davantage décentralisée, l’attention doit se porter sur la mise en œuvre des exigences au niveau des entités et sur la prise en compte suffisante par celles-­ci des intérêts du groupe (5). En particulier, l’organisation de la gouvernance peut avoir des conséquences sur l’exercice des fonctions relatives à la conformité et aux contrôles des risques, qui sont des fonctions clés. Les autorités de supervision elles-­ mêmes doivent tenir compte de l’organisation de la gouvernance, et assurer une bonne coopération entre les autorités de contrôle du groupe et celles chargées de contrôler les entités. Cependant, le document de réflexion dresse aussi des listes de conseils ou de bonnes pratiques pour parvenir à une bonne gouvernance et ce, que la gouvernance s’organise selon un modèle centralisé ou décentralisé. Aussi apparaît-­il que l’opposition des modèles, qui n’est d’ailleurs pas aussi marquée dans les faits, doit être relativisée. Les éléments clés d’une bonne gouvernance sont communs et l’AICA identifie notamment : la définition d’objectifs et de stratégies de groupe ; une 5.

Document de réflexion, précité, p. 20.

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répartition claire des responsabilités à la fois au niveau du groupe et au niveau des entités qui le composent ; la détermination de procédures internes coordonnées ; une gestion des risques souple et réactive ; l’octroi d’une autorité suffisante aux fonctions de contrôle et de conformité pour qu’elles puissent assurer leur mission dans de bonnes conditions à chaque niveau du groupe. Plus précisément, l’AICA rappelle à plusieurs reprises l’importance de définir clairement au niveau du groupe les limites en termes de risques pouvant être pris ou tolérés, comme le caractère vital de la circulation d’informations au sein du groupe. Enfin, c’est sans doute une évidence, mais le rapport juge qu’il n’est pas inutile de la rappeler, l’expertise et l’honorabilité de ceux qui composent le groupe (les fameuses exigences de fitness et properness que les régulateurs s’attachent à vérifier pour certaines fonctions) sont des éléments indispensables d’une bonne gouvernance. Autrement dit, une bonne gouvernance est une gouvernance saine, point d’autant plus important que la gouvernance se trouve être un élément essentiel de la lutte contre la corruption.

Chroniques

III.C. Régulation internationale

La gouvernance se trouve

être un élément essentiel de la lutte contre la

corruption.

II. La lutte contre la corruption dans l’assurance La question de la lutte contre les pots-­de-­vin et les autres formes de corruption, active ou passive, fait l’objet depuis une quinzaine d’années d’une attention croissante, aussi bien au niveau des États qu’au niveau international. Ainsi, à la mi-­novembre, le G20 a adopté le plan 2015‑2016 de lutte contre la corruption, le premier datant de 2010. Si la motivation première de cette lutte est parfois de nature économique, la corruption étant particulièrement coûteuse pour les économies nationales, les conséquences sociales ne sont pas ignorées (6). Selon l’AICA, le milieu de l’assurance est vulnérable au risque de corruption de deux façons : d’une part, le financement des polices d’assurance peut prendre sa source dans un pot-­de-­vin ; d’autre part, les dirigeants ou les salariés des assureurs et des intermédiaires en assurance peuvent se trouver impliqués directement ou 6.

Issues Paper on Combating Bribery and Corruption, p. 4.

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III. Régulation assurantielle

indirectement dans des affaires de corruption. Le rapport envisage notamment le cas d’un assureur rémunérant un intermédiaire exerçant dans un pays dit « à risque » pour que celui-­ci lui apporte des affaires. Il est également souligné que les liens avec la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme sont étroits, d’abord parce que la corruption peut être vue comme une « infraction principale (7) » (predicate offence) qui conduira ensuite à blanchir l’argent de la corruption, ensuite parce que les différentes mesures de lutte antiblanchiment peuvent être tout à fait efficaces dans la lutte contre la corruption. Ainsi en est-­il, par exemple, des différentes règles d’organisation des intermédiaires régulés, des exigences d’honorabilité et d’expertise des personnes occupant des fonctions clés chez les assureurs et les intermédiaires, ou bien sûr et plus largement, des règles de gouvernance. L’obligation de procéder à des déclarations suspectes est également citée. Ces points sont relevés par l’AICA pour contrebalancer le constat de ce que la plupart des régulateurs d’assurance n’ont pas de compétence directe pour agir sur les sujets de corruption. C’est donc via la caractérisation de manquements à des règles existantes et souvent assez générales que la lutte peut être efficacement menée par les régulateurs. Par exemple, à défaut de pouvoir prouver ou sanctionner une pratique de corruption, le contrôleur d’assurance aura néanmoins compétence pour sanctionner l’absence de mise en place chez un assureur de procédures internes visant 7.

Sur cette notion, cf. aussi la Convention des Nations unies contre la corruption, article 2 h, ratifiée par la plupart des pays du monde, et très récemment par l’Allemagne, le 12 novembre 2014, qui en était l’un des premiers signataires, en décembre 2003.

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à détecter le risque de corruption. En lui-­même, le manquement à des règles de contrôle interne ne peut être qualifié de corruption, mais une sanction est tout de même encourue. Comme l’existence de procédures internes adéquates permet entre autres de détecter des pratiques irrégulières, il y a là un moyen de lutte indirecte, mais non moins efficace contre la corruption. Ces incriminations spécifiques ne sont pas sans rappeler les infractions-­obstacles en droit pénal français, qui permettent notamment de sanctionner des actes pouvant préparer ou faciliter une infraction plus grave. Les autorités de supervision du monde assurantiel ne sont donc pas dépourvues de moyens d’agir et ceux-­ci sont sans doute d’autant plus redoutables qu’ils ont un caractère préventif. Finalement, c’est dès l’octroi de l’agrément à un professionnel de l’assurance que le régulateur peut contribuer à la lutte contre la corruption. L’absence de principes de base de l’assurance spécialement consacrés aux risques de corruption n’est donc pas selon l’AICA, un réel handicap pour combattre ces pratiques. À nouveau, le style du document commenté se fait parfois plus prescriptif à l’intention des régulateurs d’assurance qui, par exemple, « devraient » (should) adopter en la matière une approche par les risques ou « devraient » veiller à ce que les assureurs incluent le risque de corruption dans leurs systèmes de contrôle et de gestion des risques. Certes, l’observation doit être relativisée, puisque ces documents de réflexion n’ont juridiquement pas de valeur obligatoire. Aussi l’effort de distinction entre ce qui est plus ou moins non obligatoire pourrait-­il paraître vain. L’est-­il ? Rien n’est moins sûr s’il est tenu compte de l’influence de ces publications en fait.

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IV. Régulation intersectorielle Chronique sous la direction de Anne-­Dominique Merville

Maître de Conférences, HDR Directrice du Master 2 Droit pénal financier Université de Cergy-­Pontoise

Avec la collaboration de

Régis Bismuth

&

Professor of Public Law at the University of Poitiers

Pierre-Emmanuel Dupont

Head of Public International Law and Dispute Settlement at the London Centre of International Law Practice

Matthieu Guérineau Compliance Officer

Martin Horion

LL.M. Candidate at Columbia Law School

Sylvain Lambert

Avocat au barreau de Paris

Une approche intersectorielle de la régulation en matière financière est désormais la règle : les différents domaines de la banque, de l’assurance et des activités de marchés sont de moins en moins hermétiques les uns par rapport aux autres, ce qui a une incidence croissante sur les règles qui leur sont applicables. Trouvant leurs sources dans de nombreux horizons juridiques et professionnels, ces règles constituent un vaste ensemble de normes de régulation, dont la réglementation n’est que l’un des aspects. L’actualité est particulièrement foisonnante sur des textes fiscaux. A cross-­sector based approach when it comes to financial regulation has become the norm: the various banking, insurance, and market activities are less and less partitioned which has an increasing impact on rules applicable to them. Those rules stem from diverse legal and professional sources, of which “pure” regulation is only one aspect. The last few months have been filled with new tax regulations.

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IV. Régulation intersectorielle

IV.B. Intégrité du marché The Doubtful Legality of US Extraterritorial Sanctions Applied to European Financial Institutions

Régis Bismuth

Professor of Public Law at the University of Poitiers

Introduction The United States, especially through the Office of Foreign Assets Control of the Treasury Department (OFAC), routinely applies US sanctions regulations to foreign institutions incorporated and doing business abroad. (1) It has sanctioned for example, foreign financial institutions for having engaged in financial transactions initiated outside the US and purports to regulate foreign exchange transactions. One of the most recent and significant examples of such practice concerns French bank BNP Paribas, which was accused of violating US sanctions regulations against Iran, Burma, Sudan and Cuba. In order to settle its liability for potential violations of US regulations, BNP Paribas came to an agreement with OFAC through which it is required to pay a $8.9 billion fine. (2) Under the settlement agreement, BNP Paribas is also required to put in place compliance procedures in order to minimise the risk of recurrence of such violations in the future. Such practices raise several important issues as to their legality under public international law. The application of US sanctions regulations to the activities of foreign companies conducted outside the territory of the United States may be deemed inconsistent with the recognised principles of international law governing State jurisdiction (I). In this context, the WTO dispute settlement mechanism appears to be a viable option for the European Union should the latter decide to challenge acts of the kind of those directed against BNP 1.

2.

For an overview of US economic sanctions policy, see, J.P. Barker and M.E. Ginsberg, “Managing Compliance with US Treasury Department OFAC Obligations: Even If Your Business Is Exclusively Outside the US”, Global Trade and Customs Journal, Vol. 5, No. 5, 2010, pp. 183 et seq. See the Settlement Agreement, dated 28 and 30 June 2014, between OFAC and BNP Paribas, available at: http://www.treasury.gov/resource-­center/sanctions/ CivPen/Documents/20140630_bnp_settlement.pdf.

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Pierre-Emmanuel Dupont

&

Head of Public International Law and Dispute Settlement at the London Centre of International Law Practice Paribas. It shall be recalled that in 1996 the EU started to challenge before the WTO US sanctions laws against Cuba similar in substance to those recently applied to European financial institutions (II).

I. The Extraterritorial Outreach of US Sanctions Regulations From an International Law Perspective A. Principles Governing State Jurisdiction In international law, jurisdiction to prescribe and jurisdiction to adjudicate must be based upon certain recognised criteria to avoid conflict with other States. (3) These generally are: (i)  The territoriality principle: a State may pass laws governing people and property in its own territory.

3.

For a general overview, see, V. Lowe, “Jurisdiction”, in M.D. Evans, International Law, Oxford, Oxford University Press, 2003, pp. 329 et seq. These principles echo the obiter dictum of the Permanent Court of International Justice in the Lotus case about jurisdiction to prescribe and jurisdiction to adjudicate : “[f]ar from laying down a general prohibition to the effect that States may not extend the application of their laws and the jurisdiction of their courts to persons, property and acts outside their territory, it leaves them in this respect a wide measure of discretion which is only limited in certain cases by prohibitive rules ; as regards other cases, every State remains free to adopt the principles which it regards as best and most suitable” (PCIJ, Lotus, Judgment of 7 September 1927, Series A, No. 10, p. 19).

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(ii) The nationality principle: a State may regulate the conduct of its citizens in any part of the world. (iii) The “effects doctrine”: a State may regulate conduct that has a direct, foreseeable and substantial effect within its territory even though the acts giving rise to the effects are undertaken abroad. This principle can be seen as an extension of the territoriality principle. (4) (iv) The passive personality principle: a State has jurisdiction over conduct directed against the welfare of its own citizens. (v) The protective principle: a State may regulate conduct of foreigners that could prejudice its most vital interests. (5) (vi) The universality principle: all States may exercise jurisdiction over certain criminal activities, notably piracy and slavery, regardless of the place of perpetration and the nationality of victims or offenders.

B. Problems Associated with the Extraterritoriality of US Sanctions Regulations It has been observed that “[a]lthough never tested in the WTO or by any international tribunal, it is doubtful at best that US legislation extending to the activities outside US territory of foreign subsidiaries of US companies is consistent with any of the norms listed above” (6). 4.

In the context of the application of EEC competition rules, the European Court of Justice pointed out: “[i]t should be observed that an infringement of Article 85, such as the conclusion of an agreement which has had the effect of restricting competition within the common market, consists of conduct made up of two elements, the formation of the agreement, decision or concerted practice and the implementation thereof. If the applicability of prohibitions laid down under competition law were made to depend on the place where the agreement, decision or concerted practice was formed, the result would obviously be to give undertakings an easy means of evading those prohibitions. The decisive factor is therefore the place where it is implemented. The producers in this case implemented their pricing agreement within the common market. […]. Accordingly the Community’s jurisdiction to apply its competition rules to such conduct is covered by the territoriality principle as universally recognized in public international law” (ECJ, Ahlström Osakeyhtiö and others v. Commission of the European Communities, Joined Cases 89, 104, 114, 116, 117 and 125 to 129/85, Judgment of the Court of 27 September 1988, ECR I-­5233, 5243, paras. 16‑18). 5. It may be noted that, while this concept is well established in international law, uncertainties remain as to its extent and notably as to which acts are covered by this principle. 6. M. Matsushita, T.J. Schoenbaum and P.C. Mavroidis, The World Trade Organization. Law, Practice, and Policy, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 599. 2015/1

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In this respect, the Euro-­Siberian Gas Pipeline dispute (1981‑1982) constitutes an interesting precedent. This case concerned the expansion of US export controls according to which no person in the US or in a foreign country may export or re-­export to the USSR foreign products directly derived from US technical data or commodities produced in plants based on such US technical data. The EEC Council stated that “this action taken without any consultation with the Community implies an extraterritorial extension of US Jurisdiction which in the circumstances is contrary to the principles of international law, unacceptable to the Community and unlikely to be recognised in courts in the EEC”. (7) It is thus widely admitted that such extraterritorial sanctions contravene fundamental principles of international law relating to State jurisdiction. (8)

Chroniques

IV.B. Intégrité du marché

Extraterritorial sanctions

contravene fundamental principles of international law relating to State

jurisdiction.

In the case of BNP Paribas, in particular, it could hardly be argued by the US that the contested financial transactions threaten US national security. Moreover, the “effects” doctrine (i.e. the objective territoriality principle) appears irrelevant in that context, since these financial transactions can hardly be deemed to have substantial, direct and foreseeable effects in the US. It is also noteworthy to mention that the United States claimed jurisdiction over BNP Paribas because the contentious transactions were denominated in US dollars 7. See, Declaration of the Ministers of Foreign Affairs, Meeting in the Council, 21‑22 June 1982. The US legislation was also strongly condemned by the European Commission (see, European Communities, Comments on the US Regulations Concerning Trade with the USSR, International Legal Materials, Vol. 21, 1982, pp. 891 et seq.). 8. See generally M.N. Shaw, International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, pp. 664‑666. For an application to actual US sanctions regulations, see e.g. B. Stern, “Vers la mondialisation juridique ? Les lois Helms-­Burton et d’Amato-­Kennedy”, Revue Générale de Droit International Public, 1996, pp. 979 et s. ; V. Lowe, “US Extraterritorial Jurisdiction: The Helms-­Burton and D’Amato Acts”, International and Comparative Law Quarterly, 1997, pp. 378 et s.

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IV. Régulation intersectorielle

and were eventually cleared through a system located in the US territory (clearing being solely incidental to the principal financial transaction). (9) The theory of monetary sovereignty, however, does not extend the aforementioned jurisdictional principles in international law. As pointed out by a leading authority in the field, “monetary sovereignty does not entitle a State to exercise any degree of direct control over transactions which involve its currency but which occur abroad and are governed by a foreign system of law” and “this is so even though any payment made in respect of that transaction would ultimately have to be reflected by account movements on the clearing system which is operated within that State”. (10) Accepting the jurisdictional principles applied by the United States would lead, in the case of a de facto international currency like the US dollar, to recognise a de facto universal jurisdiction for every transaction involving the use of this currency and going through the US banking system.

II. Assessing the Legality of US Extraterritorial Sanctions Under WTO Law A. The Relevance of the WTO Dispute Settlement Mechanism Recourse to the WTO dispute settlement mechanism, through legal action before the WTO Dispute Settlement Body (DSB), appears to be a viable option for the EU should the latter decide to challenge acts of the kind of those directed against BNP Paribas.

On a “jurisdictional” level, such an action before the DSB shall not raise any specific issue, since it is undisputed that cross-­border banking activities fall within the scope of the General Agreement on Trade in Services (GATS). (12) On the merits of the case, it may reasonably be argued before a WTO panel that the US measures at issue contradict various provisions of GATS. In particular, it may be held that such measures violate inter alia GATS Article XI (restrictions on international transfers and payments for current transactions) and GATS Article VI:1 which provides that “all measures of general application affecting trade in services are administered in a reasonable, objective and impartial manner”. On a more general level, it may be reasonably thought that some of the grounds for unlawfulness of the US measures under public international law referred to above would be considered by a WTO panel. Article 3.2 of the WTO Understanding on Rules and Procedures Governing the Settlement of Disputes (DSU) states that the dispute settlement system of the WTO “is a central element in providing security and predictability to the multilateral trading system” and “serves to preserve the rights and obligations of Members under the covered agreements, and to clarify the existing provisions of those agreements in accordance with customary rules of interpretation of public international law”. In 1996 the Appellate Body in US – Gasoline stated that this “direction reflects a measure of recognition that the [GATT] is not to be read in clinical isolation from public international law”. (13) Therefore, the reasonableness of US Sanctions Laws could eventually be assessed in the light of the aforementioned public international law principles governing State jurisdiction.

B. The 1996 “Helms-­Burton” Precedent

OFAC’s action against BNP Paribas has not been subject to any judicial review. Furthermore, BNP Paribas refrained from invoking any legal defence and even waived any legal claim. (11) In this context, recourse to the DSB could provide an opportunity to review the legality of actions taken by OFAC against BNP Paribas and other European financial institutions.

While assessing the legality of US Extraterritorial Sanctions Under WTO Law, it is important to remember that, back in 1996, European countries, acting jointly through the then-­ European Communities (EC), challenged US measures similar in substance to those recently enforced against EU financial institutions. At the time, the EC requested consultations with

See, paras. 35 et seq. of the Statement of Facts, dated 28 June 2014, between OFAC and BNP Paribas, available at http://www.justice.gov/sites/default/files/opa/ legacy/2014/06/30/statement-­of-­facts.pdf. 10. Ch. Proctor, Mann on the Legal Aspect of Money, Oxford, Oxford University Press, 7th ed., 2012, p. 535. 11. “BNPP waives any claim by or on behalf of BNPP, whether asserted or unasserted, against OFAC, the U.S. Department of the Treasury, and/or its officials and employees arising out of the facts giving rise to this Agreement, including but not limited to OFAC’s investigation of the apparent violations and any possible legal objection to this Agreement at any future date” (Settlement Agreement, supra note 2, para. 30).

12. On the meaning of “services” in GATS, see e.g. M. Matsushita, T.J. Schoenbaum and P.C. Mavroidis, The World Trade Organization. Law, Practice, and Policy, Oxford, Oxford University Press, 2006, pp. 611‑613. 13. United States – Standards for Reformulated and Conventional Gasoline (WT/DS2/AB/R) (1996), at 17. Similarly, in Korea – Measures Affecting Government Procurement (WT/DS163/R) (2000), para. 7.96, the panel established that “[c]ustomary international law applies generally to the economic relations between the WTO Members. Such international law applies to the extent that the WTO treaty agreements do not ‘contract out’ from it”.

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the United States pursuant to Article 4 of the DSU. (14) The EC sought to challenge various measures enacted by the US Government through the so-­called “Cuban Liberty and Democratic Solidarity (LIBERTAD)” Act of 1996 (also known as the Helms-­Burton Act). (15) Although the case was settled by negotiation before the WTO Panel issued a Report, (16) it remains a relevant precedent and evidence of the EC willingness, at least at that time, to use WTO dispute settlement mechanisms as a forum for the review of US contested measures under both WTO law and public international law at large. Besides, the EC also adopted at the same time, through Regulation No. 2271/96, a “blocking statute” aimed at neutralising the extraterritorial effects of US legislation. (17) In the WTO context, the EC objected in general terms to the extraterritorial application of the US embargo of trade with Cuba “in so far as it restricts trade between the EC and Cuba or between the EC and the US”. It also challenged inter alia the prohibition of the provision of loans or any other financing by US individuals to any individual for the purpose of transactions involving any “confiscated property” in Cuba claimed by US nationals, as well as the creation of a right of action in favor of US citizens to sue EC individuals and companies in US courts in order to obtain compensation for Cuban properties claimed by US nationals, in cases where the EC persons or companies concerned have “trafficked” in such “confiscated” properties. (18) The EC first requested that the panel be established in order to consider and find that the US measures were inconsistent with various provisions of GATT 1994 and GATS. It is noteworthy that it also developed a legal argument according to which the US measures “nullify and impair benefits which the EC could expect to have accrued to it directly or indirectly” under both GATT 1994 and GATS. (19) The benefits which the EC could have expected, the EC argued, were as regards GATT 1994 14. See, United States – The Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act, Request for the Establishment of a Panel by the European Communities, WT/DS38/2, 8 October 1996. 15. Public Law 104‑114, H.R. 927; reprinted in International Legal Materials, Vol. 35, 1996, pp. 357 et seq. 16. See United States – The Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act, Lapse of the Authority for Establishment of the Panel. Note by the Secretariat (WT/DS38/6), 24 April 1998. 17. Council Regulation (EC) No. 2271/96 of 22 November 1996, protecting against the effects of the extra-­territorial application of legislation adopted by a third country and actions based thereon or resulting therefrom (1996) OJEC No. L 309/1. See J. Huber, “The Helms-­Burton Blocking Statute of the European Union”, Fordham International Law Journal, Vol. 20, 1996, pp. 699‑716. 18. See United States – The Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act, Request for the Establishment of a Panel by the European Communities (WT/DS38/2), 8 October 1996. 19. Id. 2015/1

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“the unrestricted export of Community goods to Cuba and to the US without such exports giving rise to or being subject to or providing an opportunity for unwarranted legal action and exclusion of persons from the US”. (20) As regards GATS, the same “benefits” were “trade in services between the EC and the US and between the EC and Cuba unhindered by the interruption of financial services, the threat of seizure of assets for the purposes of satisfying compensation claims in respect of “trafficking” and by the harassment of its citizens through the denial of visas and exclusion from the US (or the threat thereof)”. (21) Finally, the EC argued that the contested measures “impede[d] the attainment of an objective of GATT 1994”, namely “the expansion of production and trade, the overall balance of rights and obligations between WTO Members, in particular the right of access to markets, and the principle, recognized in GATT jurisprudence, that WTO Members should not try to force other WTO Members to change their sovereign policies through trade sanctions”. (22)

Chroniques

IV.B. Intégrité du marché

***

recourse to WTO

dispute settlement procedures would be a viable option for the EU in order to challenge the extraterritorial application of US

sanctions regulations

In conclusion, it appears prima facie that recourse to WTO dispute settlement procedures would be a viable option for the EU in order to challenge the extraterritorial application of US sanctions regulations to entities incorporated in the EU for activities conducted outside the US territory. Moreover, it seems to be one of the few realistic options given the impossibility for financial institutions targeted by OFAC to challenge before US authorities the legality of the jurisdictional basis of US sanctions regulations. However, while the WTO dispute 20. Id. 21. Id. 22. Id.

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settlement mechanism would offer a reasonable chance of success, this requires the willingness of EU institutions to initiate such proceedings. It was not the case in the BNP Paribas case since the European Commission only tried to call into question the amount of the fine (through a so-­called “too-­big-­to-­jail plea” to the US authorities) (23) and not its questionable jurisdictional basis. (24)

“[s] anctions are a foreign policy instrument applied […] also by the EU” and that “[i]n the matter referred […], an issue which could be relevant is the possible involvement of the financial infrastructure of the country of the currency. […] The Commission has noted the agreement reached between the US judicial authorities and BNP Paribas, as set out in the statement of facts and plea agreement agreed to by the bank and the US prosecutors. The Commission does not comment on proceedings to which it is not a party. Prosecutions in this area are a matter for the judicial authorities” (Joint answer given by Mr Barnier on behalf of the Commission, E-­005757/14, E-­005632/14, 10 September 2014).

23. M. Roe, “Why Pick on BNP Paribas?”, Project Syndicate, 6 July 2014, available at: http://www.project-­syndicate. org/commentary/mark-­roe-­cites-­three-­factors-­behind-­ the-­huge-­penalty-­imposed-­on-­bnp-­paribas. 24. Questioned about the legality of US sanctions in the BPN Paribas case, the EU commission replied that

L’échange automatique d’informations fiscales de l’OCDE : un enjeu de transparence

Sylvain Lambert

Avocat au barreau de Paris

En quoi existe-­t‑il une différence entre l’impôt sur les sociétés luxembourgeois qui équivaut à 29 % des bénéfices et l’impôt sur les sociétés français qui en représente 33 % ? À première vue aucune, et pourtant, derrière ce postulat se cache un secret de Polichinelle… qu’une vaste enquête journalistique a révélé au grand public. Au Luxembourg entre 2002 et 2010, environ 340 multinationales ont pu négocier des taux d’imposition extrêmement bas, parfois inférieurs à 1 % de leurs bénéfices, en utilisant le principe de « l’érosion des bases d’imposition » (connu par l’acronyme anglais BEPS pour Base Erosion and Profit Shifting). Ces révélations portent sur des mécanismes fiscaux, juridiques et financiers sophistiqués permettant encore aux grandes multinationales de contourner l’impôt en toute légalité. Cette méthode sur le principe du « rescrit fiscal » est plus communément dénommé le tax ruling. Mais en quoi consiste la pratique du tax ruling ? Concrètement, il s’agit de petits arrangements portant sur des sommes imposables colossales entre des États et des multinationales. Elle consiste pour une société à solliciter en amont de son implantation dans un pays, le traitement fiscal qui lui sera réservé. Cette méthode permet aux entreprises de discuter avec l’administration fiscale du pays d’accueil pour définir et/ou négo108

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&

Matthieu Guérineau Compliance Officer

cier un taux d’imposition final avantageux. Cette sollicitation s’appuiera le plus souvent sur l’intervention d’un grand cabinet d’audit et de conseil, qui négociera le taux d’imposition auprès de l’administration fiscale. Une fois les accords fiscaux finalisés avec l’État en question, la multinationale n’a plus qu’à y domicilier une société avec une activité faible, voire quasi nulle. Elle se servira, dans la plupart des cas, de sociétés holding, lui permettant de répartir à son avantage les coûts et les bénéfices entre filiales situées dans des États différents pour optimiser le paiement de son impôt. Ce mécanisme existe, car les pays ont signé depuis de nombreuses années des accords bilatéraux pour éviter la double imposition de leurs entreprises. Le paradoxe réside dans le fait que ces entreprises peuvent de ce fait, et en toute légalité, n’être soumises qu’à une part infime d’impôts. L’utilisation du « rescrit fiscal » pose diverses difficultés ; la première étant de savoir si la concurrence fiscale entre États appartenant à la Communauté européenne est de nature à favoriser la croissance ou de nature à casser l’esprit européen. Quelle est la légitimité de ces États appliquant à grande échelle le mécanisme de tax rulling d’exiger des États en difficulté budgétaire davantage de rigueur et de réformes ? En second lieu, l’intervention des grands cabinets de conseil dans ces montages fiscaux pose

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également la question des conflits d’intérêts alors que ces grands cabinets sont aussi mandatés par des organismes internationaux ou nationaux pour évaluer l’impact de certaines réformes en matière de transparence fiscale. La crise économique et les difficultés budgétaires des États dits développés ont poussé l’OCDE, sous l’impulsion du G20, à publier des recommandations contre l’optimisation fiscale. L’OCDE soutient d’ailleurs l’idée d’un rétablissement de « la souveraineté fiscale », à savoir que les bénéfices doivent être taxés là où ils sont réalisés. La Commission européenne a, quant à elle, diligenté depuis juin 2014 des enquêtes sur la pratique fiscale de tax ruling visant le Luxembourg, Gibraltar, l’Irlande et les Pays-­Bas.

L’OCDE soutient

d’ailleurs l’idée d’un rétablissement de « la souveraineté fiscale », à savoir que les bénéfices doivent être taxés là où ils

sont réalisés.

À la suite des recommandations de l’OCDE, un principe d’échange automatique d’informations fiscales a vu le jour. Jusqu’à présent, les pays qui avaient signé des accords bilatéraux pouvaient obtenir des informations sur le niveau d’imposition de certaines sociétés ou individus. Toutefois, ce mécanisme ne fonctionne qu’au coup par coup. Les procédures devraient à l’avenir se faire automatiquement, puisque les pays du G20, sous l’impulsion des recommandations de l’OCDE, suivent en quelque sorte le modèle américain du dispositif FATCA.

I. Le précédent : la loi FATCA Le projet d’échange automatique d’informations fiscales de l’OCDE a été discuté après le vote de la loi FATCA (1) en 2010. La raison principale de ce 1.

Pour un développement sur la loi FATCA, v. S. Lambert et M. Guérineau « La loi FATCA et le projet OCDE d’échange automatique d’informations fiscales :

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décalage est que les Européens  (2) ont été hostiles pendant longtemps à ce mode d’échange d’informations fiscales. Un problème s’est alors posé : comment établir une norme d’échange d’informations fiscales alors même que les États-­Unis établissaient la leur ? Était-­il encore possible de créer, dans un esprit européen, un système d’information fiscale généralisé pour éviter de se voir imposer la nouvelle norme américaine ? Ce questionnement tardif a abouti à la création du CRS, le Common Reporting Standard qui est la clef de voûte du dispositif de l’OCDE en matière d’échange automatique d’informations fiscales.

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IV.B. Intégrité du marché

Ce nouveau dispositif s’inscrit dans le cadre d’un consensus international déjà présent dans le dispositif FATCA, comme le démontrent les Accords intergouvernementaux signés entre les États-­Unis et les États participants (partner jurisdictions) à FATCA imposant, entre autres, la déclaration au fisc américain des comptes détenus par des personnes américaines. Rappelons que les modèles d’Accords IGA ont, au départ, été négociés par les membres du G5. Il n’en reste pas moins que l’impulsion avait été donnée aux États-­Unis, et que les pays du G5 ont essayé de minimiser les implications pour leur propre administration fiscale ou pour leurs établissements financiers. Les États-­Unis ont ainsi imposé un standard d’échange automatique d’informations à finalité fiscale, tout en associant – du moins au départ – les juridictions étrangères qui deviendraient partenaires dans la lutte contre l’évasion fiscale. Pour autant, l’échange d’informations permis dans le cadre des IGA de modèle 1A, qui devait être réciproque dans la nature de l’information échangée, est à ce jour, déséquilibré (3). En effet, pour des raisons liées à l’architecture actuelle du droit interne américain, et notamment pour des questions d’ordre constitutionnel, il est en réalité impossible pour l’instant à l’administration fiscale américaine d’échanger exactement les mêmes informations avec les États partenaires. Dès lors, la juridiction partenaire va délivrer plus d’informations qu’elle ne va en recevoir. Bien évidemment, cela soulève des questions importantes, notamment en matière de constitutionnalité avec le droit français (4). Ainsi, après des négociations au sein du G5, la loi FATCA a permis la rédaction des fameux accords IGA le Know Your Customer (KYC) à l’épreuve de la transparence fiscale », RISF/IRFS, 2014, no 3. 2. Des pays comme le Luxembourg ou l’Autriche ont été en première ligne pour maintenir un certain secret bancaire. Les pays du G5 ont profité de la loi FATCA pour encourager une transparence fiscale accrue. 3. Dans le cas de la France, cette difficulté est expressément évoquée dans le document d’intention qui accompagne l’IGA France-­États-­Unis. 4. Par exemple, cet accord, qui n’est pas appliqué de manière réellement réciproque, est-­il conforme à l’article 55 de la Constitution française ?

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modèle 1A. Le modèle 1 signifie que l’échange s’effectue d’autorité fiscale à autorité fiscale. En pratique, cela implique qu’en France les établissements financiers déclarent au fisc français les comptes détenus par les personnes américaines visées et, à l’avenir, certaines opérations. En échange, le fisc américain communiquerait des informations de même nature au fisc français. L’IGA modèle 1A constituait donc le fondement d’un échange plus généralisé d’informations fiscales à la condition d’une adaptation de certaines caractéristiques à un contexte multilatéral.

II. L’objectif du projet OCDE Le projet OCDE a consisté, en s’inspirant du modèle d’IGA 1A, à élaborer les modalités d’un échange automatique d’informations fiscales dans un cadre multilatéral (dit AEOI) (5). L’échange se veut d’abord automatique, ce qui implique qu’il élimine toute demande préalable d’une autorité partenaire (6), et oblige l’État partenaire à échanger automatiquement un certain nombre d’informations. Il porte ensuite sur des informations fiscales, d’une part, sur l’identification des personnes qui pourraient être résidentes fiscales d’une autre juridiction signataire de l’accord AEOI, d’autre part, sur la transmission d’informations telles que les soldes de comptes ou les caractéristiques de certaines transactions. L’accord AEOI s’est d’abord présenté sous la forme de trois documents distincts qui tendent à être unifiés. D’abord un accord entre autorités compétentes (7) qui fixe les grandes obligations auxquelles souscrivent les États signataires. Ce document peut faire l’objet de négociations bilatérales d’État à État. Deux autres documents viennent ensuite compléter le dispositif : le CRS et son commentaire. Le Common Reporting Standard fixe de manière détaillée les modalités et la teneur de l’échange d’informations. Son commentaire, quant à lui, tente de lever certaines ambiguïtés ou questions spécifiques. Il faut noter que ces documents ont été mis au point en un temps record (8) par l’OCDE et ils ne font pas l’objet de négociations bilatérales entre États signataires. Associés à l’accord entre autorités compétentes, ces documents forment ainsi le socle commun de l’AEOI. Automatic Exchange Of Information for tax purpose. Le document contenant l’ensemble de textes OCDE sur les instruments internationaux de l’AEOI a été officiellement publié le 21 juillet 2014. 6. Cela n’est pas en soi nouveau au niveau européen, puisque la directive sur la coopération administrative a déjà été écrite dans cet esprit. 7. CAA : Competent Authority Agreement. 8. La négociation à haut niveau de la documentation fiscale conventionnelle internationale prend en général une dizaine d’années au sein de l’OCDE. 5.

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Lors du dernier G20, 51 juridictions ont immédiatement formalisé leurs engagements à appliquer les Accords AEOI. À noter que les États-­Unis, le Japon, le Canada ou encore l’Australie ne font pas partie des premiers signataires (9). Toutefois, il ne faut pas en déduire qu’il s’agit d’un texte uniquement européen, même s’il a été récemment décidé que le CRS serait le standard appliqué par la directive européenne sur la coopération administrative (10). Lors des réunions officielles ayant abouti aux textes de l’AEOI, les États-­Unis se sont exprimés et ont pu donner un retour d’expérience intéressant quant à la mise en œuvre par leur administration fiscale des outils techniques nécessités par FATCA. L’échange mis en œuvre par le CRS et les accords AEOI sont d’effet multilatéral et réciproque ; ils constituent un projet plus vaste que FATCA et deviendront vraisemblablement le standard international.

III. Les principales différences avec FATCA FATCA impose une retenue de 30 % sur certains revenus de source américaine à destination des institutions financières non participantes à FATCA ou des titulaires de comptes dits « récalcitrants ». Cette retenue se veut donc très incitative. Rien de tel dans le mécanisme AEOI, mais les États signataires se sont engagés à mettre en place une législation nationale (11) permettant l’effectivité des accords (12). Contrairement à FATCA, les accords AEOI établissent un calendrier ambitieux prévoyant que toutes les obligations de l’accord AEOI devront être suivies dès l’application de l’Accord par l’État signataire contrairement à FATCA, qui établit une phase de transition entre 2014 et 2017. La difficulté réside dans le fait que des accords AEOI vont être signés au fil de l’eau, ce qui va entraîner des dates d’entrée en vigueur décalées pour les obligations qui en sont issues. Ainsi, si un pays A est un early adopter qui a signé en 2014 ou 2015 et qu’un pays B signe l’accord dans cinq ans en 2020, une difficulté surgit, car il n’est pas toujours possible d’avoir 9. V. : http://www.oecd.org/tax/transparency/AEOI-­ commitments.pdf. 10. Directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE. Cette décision sera lourde de conséquences sur la directive épargne dont les modalités de fonctionnement apparaissent comme « dépassées ». 11. L’AEOI nécessite une mise en œuvre par la loi locale. Le HMRC (fisc britannique) a déjà consulté entre août et octobre 2014 sur la mise en œuvre envisagée localement. V. https://www.gov.uk/government/consultations/implementing-­agreements-­under-­the-­global-­ standard-­on-­automatic-­exchange-­of-­information. 12. En France, les articles 1649AC et 1736 du CGI prévoient déjà des sanctions.

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à ce jour les informations sur les titulaires résidents fiscaux du pays B. Il faudra donc gérer dans le temps l’expansion du champ d’application territorial des obligations issues de l’AEOI, à défaut de pouvoir collecter toutes ces informations en une seule fois. Sous FATCA, le problème ne se pose théoriquement pas : il n’y a qu’une date (13), celle fixée par les autorités américaines. Surtout, l’AEOI se fonde sur la résidence fiscale des personnes visées, ce qui sera encore source de difficultés, car les notions de résidence fiscale en Europe entraîneront des cas de multirésidences, et donc de multiples déclarations.

IV. De nombreuses questions encore en suspens La protection des données personnelles est bien sûr une préoccupation importante qui fragilise les bases juridiques de l’AEOI. La nature automatique de l’échange d’informations fiscales change en effet le paradigme. Comme pour FATCA, les associations professionnelles de banques ont soulevé le point de la conformité d’un échange en masse de données personnelles fiscales, dont la proportionnalité au but recherché est légitimement discutable (14). Une question de nature politique est aussi posée : les États-­Unis vont-­ils se rallier totalement à l’AEOI, ou vont-­ils continuer d’imposer leur dispositif FATCA, loi très extraterritoriale s’il en est ? La phase de mise en œuvre locale va désormais débuter. FACTA a été mis en place avec difficulté au bout de quatre années ; comment l’AEOI va-­t‑elle être gérée ? De nombreux établissements financiers n’ont pas encore d’équipes se consacrant à l’AEOI et pour certains, aucun budget clairement défini. L’AEOI pose des difficultés spécifiques d’un établissement à l’autre, mais tout établissement opérant en Europe devra l’intégrer rapidement à ses procédures internes. En effet, et contrairement à FATCA, les obligations issues de l’AEOI 13. Nous ne pouvons développer plus ce point ici, mais la Notice 2014‑33 de l’IRS a donné une ultime souplesse au dispositif FATCA, en donnant aux États partenaires la possibilité de ne commencer les diligences sur les comptes d’entité qu’à partir du 1er janvier 2015. Il s’agit d’une option, qui n’est pas nécessairement intéressante pour les fiscs locaux. Par exemple, le HMRC (fisc britannique) a décidé d’appliquer la date unique du 1er janvier 2014 comme date de départ des premières obligations FATCA. De plus l’Announcement 2014‑38 du 1er décembre 2014 a éliminé sous certaines conditions la date limite du 31 décembre 2014 de signature obligatoire d’un IGA pour les pays traités comme ayant un IGA effectif, ce qui augmentera le décalage dans le temps de certaines signatures d’accords IGA. 14. V. dans le même esprit, la lettre du 18 septembre 2014 de l’« Article 29 Data Protection Working Party ». V. http://ec.europa.eu/justice/data-­protection/article-­29/ documentation/other-­document/files/2014/20140918_ letter_on_oecd_common_reporting_standard.pdf.pdf. 2015/1

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seront immédiatement effectives à la date d’effet précisée dans l’accord (selon les informations diffusées à ce jour, pour les early adopters, ce sera 2017 ou sous certaines conditions 2018, c’est-­à-­dire très prochainement).

Chroniques

IV.B. Intégrité du marché

En effet, et contrairement

à FATCA, les obligations issues de l’AEOI seront immédiatement effectives à la date d’effet précisée

dans l’accord.

D’autre part, FATCA a donné lieu à une loi (15) de ratification en France. Cette loi a été votée au bout de dix mois par le Parlement. Quel sera alors le contrôle parlementaire sur les accords entre autorités compétentes de l’OCDE ? Devront-­ils eux aussi être ratifiés, ce qui risque d’allonger sensiblement les délais de mise en œuvre ? Rappelons qu’une instruction fiscale française devant détailler les obligations FATCA pour les établissements opérant en France n’a toujours pas été publiée. Lors d’une réunion de l’OCDE, le 21 octobre 2014, des discussions ont été amorcées pour déterminer l’articulation de l’AEOI avec le projet TRACE (16). TRACE est un projet de mécanisme d’échange de données fiscales visant à augmenter la transparence (17) fiscale à travers les 15. Loi no 2014‑1098 du 29 septembre 2014 autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des États-­Unis d’Amérique en vue d’améliorer le respect des obligations fiscales à l’échelle internationale et de mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FATCA ») publiée au Journal officiel du 30 septembre 2014. 16. Treaty Relief and Compliance Enhancement. « The TRACE Group will now work on a plan for country adoption of the Authorised Intermediary system and will assist countries considering implementing the system. Work will also continue to ensure that the reporting requirements under TRACE are aligned to those of other emerging reporting regimes (including FATCA) in order to reduce implementation costs for all stakeholders  ». V. http://www.oecd.org/ctp/exchange-­of-­tax-­ information/treatyreliefandcomplianceenhancementtrace.htm et le « TRACE implementation package » approuvé le 23 janvier 2013. 17. Il s’agit d’un mécanisme d’application des conventions fiscales inspiré du dispositif QI (Qualified Intermediary) américain, dont l’adaptation au CRS est prévue en 2015.

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couches d’intermédiaires financiers et, en conséquence, à faciliter, par le biais d’un système normalisé, les demandes d’allégement ou d’exonération des retenues d’impôt à la source sur les investissements de portefeuille. Ce projet est particulièrement important pour l’industrie de la gestion collective. Or il est apparu que TRACE pourrait avantageusement se fonder sur les échanges d’informations prévus par l’AEOI. On peut donc penser qu’à l’avenir la conformité des intermédiaires à l’AEOI deviendra une condition pour obtenir le bénéfice de TRACE. Se pose aussi, entre autres, la question de l’évolution de la rédaction de la documentation bancaire et financière. Les établissements opérant à l’international doivent conduire une analyse multicritères. Selon le lieu de signature ou d’exécution de la documentation, il pourrait être nécessaire d’inclure des clauses permettant d’obtenir le consentement, ou simplement d’informer les clients sur les traitements de données ou les déclarations qui devront être réalisées. Enfin, l’AEOI nécessite de mettre au point des modèles d’autocertifications. En effet, les formulaires W8 ou W9 du fisc américain ne sont applicables qu’aux statuts fiscaux FATCA. Les travaux actuels de l’industrie tentent de proposer des modèles d’autocertifications prêts à l’emploi qui s’établiraient sous la forme de best practice, par type d’industrie ou de ligne de métier et qui reprendraient les informations indispensables(18) 18. C’est-­à-­dire pour pouvoir classifier la clientèle en application du CRS.

selon la situation. En effet, pour l’heure, l’idée d’une autocertification standardisée obligatoire dans le cadre de l’AEOI est loin d’être consensuelle. Ainsi, l’AEOI pose de nombreuses questions, parfois très différentes de celles qui sont déjà réglées sous FATCA, et demande donc une attention particulière.

Pour conclure En somme, le CRS de l’AEOI est en passe de devenir un véritable standard international d’échange d’informations fiscales, ce qui est accentué par la volonté politique européenne d’en faire le standard de la directive européenne sur la coopération administrative. La France fait partie des early adopters, s’engageant à mettre en œuvre l’AEOI au plus vite, c’est-­à-­dire, selon les dernières déclarations officielles, des diligences mises en place dans les établissements financiers en 2016 et les premiers déclaratifs fiscaux à transmettre en 2017. Lors de la réunion du 21 octobre 2014 à l’OCDE, les États-­Unis ont partagé un retour de leur expérience sur les traitements administratifs et technologiques portant sur les informations fiscales qui sont nécessités par FATCA. Il en ressort qu’au-­delà des établissements bancaires et financiers, les administrations fiscales locales, et donc françaises, auront à s’adapter à l’afflux d’informations AEOI, bien plus lourd à gérer que celui de FATCA.

The rise (and fall?) of deferred prosecution agreements in U.S. federal corporate criminal prosecution

Martin Horion

LL.M. Candidate at Columbia Law School

The U.S. plea-­bargaining system is an unidentified legal object for most non-­American lawyers. This article focuses on its evolving role in the prosecution of large corporations. Four kinds of pleas may resolve a corporate criminal case in the U.S. legal system: nolo contendere pleas, guilty pleas, deferred prosecution agreements (“DPAs”) and non-­prosecution agreements (“NPAs”). A guilty plea is “an accused person’s formal admission in court of having committed the charged offense”. (1) A nolo contendere plea or no-­contest plea is “a crimi1.

Black’s Law dictionary, 9th ed. 2009.

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nal defendant’s plea that, while not admitting guilt, the defendant will not dispute the charge. This plea is often preferable to a guilty plea, which can be used against the defendant in a later civil lawsuit”. (2) Rule 11 of the Federal Rules of Criminal Procedure defines the legal framework applicable to these two pleas. (3) DPAs and NPAs find their legal basis in the Speedy Trial Act of 1974, which provides that the proceeding can be suspended for: “any period of delay during which prosecution is deferred by the attorney for the Government pursuant to written agreement with the defendant, with the approval of the court, for the purpose of allowing the defendant to demonstrate his good conduct”. (4) Unlike guilty pleas or nolo contendere pleas, U.S. federal law does not define DPAs and NPAs’ legal frameworks. The Department of Justice 2. 3. 4.

Id. Federal Rules of Criminal Procedure, Title IV. Arraignment and Preparation for Trial, Rule 11. 18 U.S.C. § 3161 (h) (2).

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(the “DOJ”) set up their regime through guidelines incorporated in the United States Attorney’s Manual. (5) Roughly speaking, DPAs and NPAs are pre-­trial agreements between the DOJ and a corporate defendant (6) whereby the DOJ agrees respectively to suspend prosecution or not to pursue the defendant as long as it complies with the terms of the agreement during its validity period (generally a few years). The other main difference between DPAs and NPAs relies on whether or not the prosecution files a criminal Information document (the “Information”) summarizing the criminal charges to be pursued in a federal district court. With DPAs, the U.S. attorney files the Information and the DPA, which must be approved by the district judge after a – very limited (7) – control. With NPAs, there is no judicial control. Thus, the threat of actual prosecution is more real in DPAs than in NPAs, which may explain why the DOJ used more DPAs than NPAs. (8) Finally, with DPAs, the DOJ ends the prosecution at the end of the validity period by filing a motion of dismissal, normally approved by the district judge.

U.S. federal law does not

define DPAs and NPAs’

legal frameworks.

To sum it up, these agreements allow U.S. attorneys to resolve a corporate criminal case by means other than indictment and represent “a middle ground between declining prosecution and obtaining the conviction of a corporation”. (9) U.S. federal prosecutors have used DPAs in the past decade more and more widely (I). Yet, this extensive use of DPAs has raised strong criticisms, which may explain their recent decline in federal corporate prosecution strategies in favor of even more coercive strategies (II). These new strategies bear significant risks for defendants and increase the lack of judicial oversight over federal criminal prosecution (III).

5. 6. 7. 8. 9.

United States Attorney’s Manual, U.S. Department of Justice Publication, Principles of Federal Prosecution of Business Organisations, p. 18. To my knowledge and to this day, the DOJ has never entered a DPA or a NPA directly with an individual. See infra, II.A. It is the reason why this paper focuses more on DPAs rather than on NPAs. Ibid., p. 2.

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IV.B. Intégrité du marché

I.  DPAs became the cornerstone of corporate criminal prosecution strategies Even tough the primary implementation of corporate prosecution strategies based on DPAs was slightly chaotic (A), these agreements became essential instruments in federal prosecutors’ toolbox (B).

A.  A chaotic implementation After the Enron scandal, the accounting firm Arthur Andersen was indicted and convicted of obstruction of justice in 2002. (10) The Second Circuit Court upheld this conviction in 2004. (11) The U.S. Supreme Court reversed it in 2005. (12) But in the meantime, the company went out of business, partly because U.S. federal regulations did not authorize legal entities convicted of felony to be audit public companies. The idea that indictment had become some kind of corporate death penalty gained ground. (13) This is probably the main reason for such a dramatic increase in the use of DPAs and NPAs. The DOJ’s strategy was simple: U.S. attorneys could seek full cooperation of the company by threatening to indict it (14) and promising to enter into a DPA (or more rarely a NPA) if the company’s cooperation was effective. Full cooperation meant waiving substantial criminal defendant’s rights, carrying comprehensive internal investigations led by big law firms at the company’s costs to identify all its employees and agents’ potential wrongdoings, setting up compliance programs and preventive measures to avoid future wrongdoings, accepting the presence of an external monitor with extensive powers to make the company comply with the terms of the agreements, paying huge fines and forfeiture penalties, etc. In 2003, Deputy Attorney General  (15) Larry L. Thompson issued a Memorandum entitled “Principles of Federal Prosecutions of Business Organizations” (the “Thompson Memorandum”) aiming at provid10. United States v. Arthur Andersen, Cr. No. H-­02‑121 (S.D.Tex. 2002). 11. United States v. Arthur Andersen, 374 F.3d 281, (5th Cir. 2004). 12. Arthur Andersen LLP v. United States, 544 U.S. 696 (2005). 13. Ch. A. Wray and R.K. Hur, “Corporate Criminal Prosecution in a Post-­Enron World: The Thompson Memo in Theory and Practice”, 43 Am. Crim. L. Rev. 1095 (2006). 14. Which entails a risk of removal of a business license in the U.S. or a prohibition from bidding for government contracts if the company is eventually convicted. 15. Second highest-­ranking official of the DOJ after the U.S. Attorney General.

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ing a framework and guidelines to U.S. attorneys to implement this strategy firmly and uniformly. Amongst others, they had to use two criteria to assess the “authenticity” of corporate potential wrongdoers’ cooperation: (i) the company’s willingness to waive its attorney-­client and work product privileges, and (ii) its support given to employees and agents potentially involved in misconducts, including advancement of their legal fees. Thus, federal prosecutors elaborated aggressive strategies based on DPAs containing such waivers. (16) However, these practices raised many criticisms. In 2006, the district court for the Southern District of New York issued an opinion in a KPMG tax shelter litigation ruling case. (17) In his opinion, the district judge affirmed that “so much of the Thompson Memorandum and the activities of the USAO (18) as threatened to take into account, in deciding whether to indict KPMG, whether KPMG would advance attorneys’ fees to present or former employees in the event they were indicted for activities undertaken in the course of their employment interfered with the rights of such employees to a fair trial and to the effective assistance of counsel and therefore violated the Fifth and Sixth Amendments to the Constitution.” Finally, new Deputy Attorney General McNulty unveiled another memorandum (the “McNulty Memorandum”) at the end of 2006. The McNulty Memorandum prevented U.S. federal prosecutors from seeking attorney-­client privilege waiver except if the Deputy Attorney General himself gave its written approval. Moreover, they could not consider anymore the advancement of legal fees to employees in deciding whether or not to charge the corporation. (19)

B.  An inexorable rise Despite this curtailment, DPAs (and more rarely NPAs) allowed the DOJ to handle very large, and complicated cases with limited resources. Thus, the DOJ could concentrate its efforts on the few cases it wanted to litigate at trial. Moreover, the DOJ considered that it was a good way to deal with the “too-­big-­to-­jail” 16. See e.g. United States v. America Online Inc., No. 1:04 M 1133 (E.D.V. 2002) (deferred prosecution agreement). 17. United States v. Stein, 435 F. Supp. 2d 330 (S.D.N.Y. 2006). 18. U.S. Attorney’s Office. 19. Mem. McNulty, Principles of Federal Prosecutions of Business Organizations (Dec. 12, 2006). There is one exception: “in extremely rare cases, the advancement of attorneys’ fees may be taken into account when the totality of the circumstances show that it was intended to impede a criminal investigation. In these cases, fee advancement is considered with many other telling facts to make a determination that the corporation is acting improperly to shield itself and its culpable employees from government scrutiny”. 114

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issue. (20) DPAs were also an effective complement to tools aiming at always getting more information and obtaining cooperation from defendants, such as internal investigations. Between 2000 and 2004, the DOJ signed approximately 4 DPAs and NPAs per year on average, up to 8 in 2004. Each following year, the DOJ entered into 28 agreements per year on average, with only two years with less than 20 DPAs and NPAs. Since 2000, the DOJ has disclosed 273 DPAs and NPAs, amounting to a total of more than $40 billion of monetary penalties. Out of those 273 DPAs and NPAs, 252 have been enforced since 2005. (21) These figures are only based on DPAs and NPAs that the DOJ has disclosed and it does not systematically do so. Some of these DPAs concerning several foreign multinational companies received high media coverage abroad, especially regarding alleged FCPA violations, (22) but the majority of them concerned American companies. However this extensive use of DPAs kept raising criticisms.

II. A recent decline in the use of DPAs The extensive use of DPAs raised significant concerns (A), which may explain the emergence of even more coercive corporate criminal prosecution strategies (B).

A.  Difficulties stemming from the extensive use of DPAs One of the main criticism is that the deterrent effect of DPAs and NPAs was limited even when financial penalties were huge. Just after a record civil settlement of $13 billion between the DOJ – along with federal and state authorities – and JP Morgan Chase & Co., (23) the DOJ secured a DPA with one of its subsidiary, JP 20. See M. Gongloff, Eric Holder Admits Some Banks Are Just Too Big To Prosecute, Huff. Post, March 6, 2013 (quoting Attorney General Eric Holder): “I am concerned that the size of some of these institutions becomes so large that it does become difficult for us to prosecute them when we are hit with indications that if we do prosecute – if we do bring a criminal charge – it will have a negative impact on the national economy, perhaps even the world economy”. 21. Gibson Dunn, 2013 Year-­End Update on Corporate Non-­Prosecution Agreements (NPAs) and Deferred Prosecution Agreements (DPAs), Jan. 7, 2014. 22. Amongst others, Alstom, Total, Technip, Siemens, BAE, Daimler, Alcatel-­Lucent, etc. 23. United States v. JP Morgan Chase & Co., Civ. No 13‑237 (settlement agreement).

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Morgan Chase Bank N.A. amounting to $1.7 billion. (24) Critics pointed out the fact that JP Morgan Chase & Co.’s market share went up after the bank entered the civil settlement and remained stable after its subsidiary entered into the DPA. More concretely, this extensive use of DPAs to pursue corporations on the basis of internal investigation reports has raised at least five problems, which may explain their relative decline. Firstly, no case for which the DOJ has decided to enter into a DPA with a corporation, ended with the prosecution of high profile employees based on the internal investigation report. Although it seems hard for the law firm carrying out the internal investigation to suggest that top executives of the company paying their legal fees might have committed acts likely to be considered as criminal offenses, it cannot be excluded that those reports contain relevant pieces of evidence to prosecute individuals. However, since 2008 several leading financial institutions have been prosecuted in connection with the financial crisis but very few individuals have been prosecuted apart from Bernard Madoff. (25) At least two U.S. scholars have tried to explain why no top executives have been prosecuted in connection with the financial crisis. (26) Even if they disagree about the reasons explaining this phenomenon, there has clearly been a tension between the prosecution of corporations and individuals in the past few years. Secondly, DPAs are the subject of limited judicial control: the district judge only has to give his approval to defer the prosecution. (27) His or her decision is merely based on the criminal Information, the DPA itself filed by the government, and a hearing of the parties. Thus the U.S. attorney and the monitor keep all the proceedings under their control: the U.S. attorney establishes the obligations of the company under the DPA and exercises probation at his reasonable discretion, (28) the monitor takes all measures it deems appropriate to develop compliance programs, etc. 24. United States v. JP Morgan Chase Bank N.A., Cr. No 14‑003 (S.D.N.Y. 2014) (deferred prosecution agreement). 25. Messrs. Cioffi and Tannin, two former head fund managers of Bear Stearns were prosecuted in 2008 but they were acquitted one year later (United States v. Cioffi & Tannin, 668 F.Supp.2d 385, (E.D.N.Y. 2009)). Despite Bank of America’s guilty plea (see infra), federal prosecutors dropped criminal charges against its former CEO, Mr. Mosilo, etc. 26. See J.S. Rakoff, “The Financial Crisis: Why Have No High-­Level Executives Been Prosecuted In Connection With The Financial Crisis?”, N.Y. Rev. Books (2014) and D.C. Richman, “Corporate Headhunting”, 8 Harv. L. & Pol’y Rev. 265, (2014). 27. Cf. footnote No. 4. 28. See e.g. United States v. JP Morgan Chase Bank N.A., Cr. No 14‑003 (S.D.N.Y. 2014) (deferred prosecution agreement), p. 4. 2015/1

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Thirdly, this form of out-­of-­Court justice lacks transparency, the public does not know the facts other than those contained in the Statement of Facts of the DPA (when the DOJ discloses the DPA), and no public debate can be heard based on those facts. Some critics of DPAs summarized this issue with the formula “justice deferred is justice denied”. (29)

Chroniques

IV.B. Intégrité du marché

Fourthly, it is pretty odd to imagine that public criminal enforcement becomes a truly profitable business: at least $40 billion from 2000 to 2013. It is also odd to have a system in which only rich, reckless and stubborn managers and/or shareholders can afford the risk to go to trial to demonstrate the innocence of their company (which will be indicted as a consequence of its refusal to cooperate). Fifthly, when a company enters a DPA, it becomes extremely difficult for this company to defend itself in a foreign jurisdiction, mainly because it cannot deny publicly the Statement of Fact included in the DPA, which led to its signature. (30) The DOJ seems to have heard some of these criticisms since they now use fewer DPAs (and NPAs) than in the past. Thus, new federal corporate prosecution strategies have come out recently.

B.  New trends in U.S. federal corporate criminal prosecution

A new and tougher trend

seems to have emerged in the prosecution of

corporations.

A new and tougher trend seems to have emerged in the prosecution of corporations (for now, banks): the return of “classic” guilty pleas. Such was the case in the 29. P.R. Reilly, “Justice Deferred is Justice Denied: We Must End Our Failed Experiment in Deferring Corporate Criminal Prosecutions”, BYU. L. Rev. (forthcoming) (2014). 30. See A. Garapon and P. Servan-­Shreiber (dir. by), Deals de justice – Le marché américain de l’obéissance mondialisée, Paris, PUF, 2013 and A. Mignon-­ Colombet and F. Buthiau, “Le Deferred prosecution agreement américain, une forme inédite de justice négociée. Punir, surveiller, prévenir?”, JCP G 2013, doct. 359, Étude. See contra, L. Cohen-­Tanugi and E. Breen, “Le Deferred prosecution agreement américain – Un instrument de lutte efficace contre la délinquance économique international”, JCP G No. 38, 16 Sept. 2013, p. 954.

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BNP Paribas (31) and the Bank of America (32) cases. In these cases, the DOJ managed to compel these banks to plead guilty and impose on them total respective financial penalties and forfeitures of $8.97 billion and $16.65 billion. The content of those two guilty pleas (and the strategy to obtain them) is similar to a DPA. Nevertheless, there are serious differences: on the one hand, BNP Paribas and Bank of America had to recognize not only the Statement of Fact but also their guilt to all counts contained in the Information, which is more damaging for their reputation. But on the other hand, judicial control over guilty pleas is more important than for DPAs so their guilty pleas were guaranteed to be more fair. Yet, this return of guilty pleas in the prosecution of large banks does not solve the apparent tension between the prosecution of corporations and individuals created by the use of NPAs and DPAs. This strategy to prosecute corporations rather than individuals may seem paradoxical since U.S. attorneys cannot charge a corporation unless they can prove beyond a reasonable doubt that one of its agents committed the crime they want to charge. But in practice, DPAs (and NPAs) allowed U.S. attorneys to wash over that. In 2013, the DOJ’s Criminal Division Deputy Chief of Staff, Mr. Suleiman contended that “there is no greater deterrent to corporate crime that the prospect of prison time … if people don’t go to prison, then enforcement can come to be seen as merely the cost of doing business”. (33) It might indicate that federal prosecutors have changed their strategy and now try to combine the “advantages” of prosecuting corporations and individuals at the same time, as the DOJ did in the SAC capital affair. (34) Even if it is quite specific, it may illustrate the emergence of what could be called “coercive encirclement” strategy mixing very tough civil and criminal enforcement with close cooperation between public enforcers (here, the DOJ and the SEC), concurrent prosecution of individuals and the corporation, attempt to compel employees or agents to cooperate in order to indict “big players” (the company and its top executives), etc. Tactics used by federal prosecutors in this strategy are not new in themselves. What is new is more their combination, 31. United States v. BNP Paribas S.A., (S.D.N.Y. 2014) (guilty plea). See concerning OFAC settlement A.-­D. Merville, “Les risques liés aux mesures de sanctions économiques et financières par la réglementation américaine”, R.I.S.F. 2014/4, Dec. 2014, p. 105. 32. United States v. Bank of America, (S.D.N.Y. 2014) (guilty plea). 33. See Press release, Department of Justice, Deputy Chief of Staff for the Criminal Division Daniel Suleiman Delivers Remarks to the Minnesota State Bar Association’s 37th Annual International Business Law Institute, (May 9, 2013). 34. See for a more detailed study of the SAC Capital Affair, M. Horion, “The SAC Capital affair: a user manual to understand insider trading prosecution in the United States”, R.I.S.F. 2014/4, Dec. 2014, p. 102. 116

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their aggressiveness, and their use in a white collar case. All these evolutions bear significant risks for defendants and the functioning of the U.S. judicial system.

III. Risks borne by new U.S. federal strategies for corporate criminal prosecution These three cases might remain isolated or may actually be the signs of a new trend in federal corporate criminal prosecution. If such is the case, these strategies bear significant risks of overprosecution and selective enforcement against defendants (A). Moreover U.S. attorneys bring too few cases before federal courts, which limits even more the opportunity for judicial control over federal criminal prosecution (B).

A.  Overprosecution and selective enforcement risks If these cases are really the signs of a new trend, it is likely that the use of DPAs will remain more limited than in the past. Guilty pleas and DPAs entered by corporations have many features in common (strategies to obtain them based on internal investigation and coercion, implementation of compliance programs, presence of an internal monitor, probation control, payment of huge fines and forfeiture penalties, etc.). Nonetheless, guilty pleas’ deterrent effect is higher than DPAs – because of the company’s concern for its reputation – and the DOJ can obtain them at little additional cost. Federal prosecutors may fear to loose power since guilty pleas are subject to greater judicial scrutiny than DPAs. But this is only an ex post control, after the plea bargain between the U.S. attorney in charge of the case and the defendant. Moreover, a district judge recently stated in his opinion approving a DPA that the district court was not a “potted plant” and that it had authority to supervise the implementation of the DPA. (35) This ruling has not yet been affirmed by superior courts but it would reduce the interest of DPAs for federal prosecutor compared to guilty pleas. In addition to the bad collateral effects of a conviction (such as an industry ban for convicted felons), one must not forget that corporations may still have to face domestic civil lawsuits (36) following their guilty pleas or foreign criminal and/or civil proceedings. (37) In this case, civil 35. United States v. HSBC Bank USA, 17 Cr. 763 (S.D.N.Y. 2014) (deferred prosecution agreement). 36. D. Schimmel, Civil Litigation Following The Resolution Of Criminal Matters, Conventions “Réguler la Mondialisation”, 13 Febr. 2014. 37. See A. Garapon and P. Servan-­Shreiber (dir. by), Deals de justice – Le marché américain de l’obéis-

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plaintiffs and foreign prosecutors may use not only the undisputable Statement of Fact (as in DPAs) but also the admission of guilt corresponding to those facts. Furthermore, if the SAC Capital affair is not an isolated case, it is likely that U.S. attorneys will decide to compel employees’ cooperation to enter favorable guilty pleas and use them against their company and top executives, so that they too also accept to enter guilty pleas. They have a major trump card in their hand to do so: the Sentencing Guidelines. (38) Even though the US Supreme Court held that they were not mandatory, (39) most district judges continue to follow them. In financial fraud cases, first-­time offenders indicted for a scheme to defraud representing losses amounting to several dozen million dollars or more may risk life imprisonment. (40) Needless to say that this “institutionalized severity” strongly bolsters federal prosecutors’ bargaining power.

an increase in the number of white collar convictions through guilty pleas, U.S. attorneys would have no reason to stop bringing to trial only cases that they have significant chances to win. The DOJ must not underestimate these risks of overprosecution and selective enforcement. Otherwise the apparent efficiency of federal corporate prosecution strategies and their legitimacy will weaken in the long run since economic actors will deem them arbitrary, incomplete and unfair. Worse still, the cost of doing business might be higher but the same issues remain: a low risk to be thoroughly prosecuted and a high chance not to be prosecuted at all.

B.  Federal prosecutors bring too few cases before federal courts

In the SAC Capital case, two first time-­ offender employees refused to enter a guilty plea and cooperate with the DOJ so they went to trial. They got respectively three and a half years and nine years in jail. (41) The Sentencing Guidelines demonstrated their perverse effect: the district judge had little discretion to determine their sentence and it will be hard for them to obtain more lenient sentences on appeal (except if the Circuit Court decides not to follow them).

As discussed before, federal prosecutors have many tools to induce or compel a defendant to enter a plea agreement. The Sentencing Guidelines are probably the biggest one. Reputational concerns of individuals and corporations are another big incentive. Dramatic consequences of an indictment are another one. Last but not least, defendants who decide to plea bargain with federal prosecutors can save large amount of legal fees that a trial would cost.

If all these trends become normal practice, U.S. federal corporate prosecution will become much tougher and more “efficient” at little cost for the DOJ. Moreover, concurrent prosecution of individuals and corporations may result in sneaky tactics: using the employees against the corporations and top executives (such was the case of the “coercive encirclement strategy” used in the SAC Capital case) but also using a guilty plea of the company and internal investigation reports to sentence employees and top executives. With such

Through DPAs and NPAs, U.S. attorneys can elaborate corporate prosecution strategies with (very) limited interventions of a district judge. Despite a larger judicial control of guilty pleas, this control remains far from being as extensive as at trial (both through the judge and criminal defense attorneys). Such trend in which federal prosecutors can operate in “closed circuit”, with limited judicial control and no real opponent is dangerous. It should be the role of the judge, not the DOJ, to draw a line between admissible tactics and unfair prosecution practices. Besides, whether in DPAs or in guilty pleas, the public does not know about the facts other than those contained in the Statement of Facts as in the DPA, and no public debate can be heard based upon those facts.

38. 39. 40.

41.

sance mondialisée, Paris, PUF, 2013 and A. Mignon-­ Colombet and F. Buthiau, “Le Deferred prosecution agreement américain, une forme inédite de justice négociée. Punir, surveiller, prévenir?”, JCP G 2013, doct. 359, Étude. The Sentencing Guidelines are a sentencing manual designed to help federal judges to enforce U.S. federal criminal law uniformly within the country. See generally D.C. Richman, “Federal White Collar Sentencing In The United States: A Work In Progress”, 76 Law & Contemp. Probs. 53 (2013). United States v. Booker, 543 U.S. 220 (2005). U.S. Sentencing Guidelines Manual, § 2 (2014). Moreover, loss computation is much less restricted in the U.S. than in Europe. The Sentencing Guidelines provides that “the court need only make a reasonable estimate of the loss” (U.S. Sentencing Guidelines Manual, § 2, p. 89 (2014)). For example, in a securities fraud case, most of the time losses are computed as the decrease in market share capitalization. United States v. Steinberg, 12 Crim 121 (S.D.N.Y. 2014) & United States v. Martoma, 12 Crim 273 (S.D.N.Y. 2014).

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Chroniques

IV.B. Intégrité du marché

Furthermore, it prevents federal courts to play their primary role – absolutely essential in a common law system – i.e. elaborate and construe both procedural and substantive law. The reason explaining this risk to the impartial development of the law is simple: the fewer cases are tried in front of federal courts, the fewer opportunities federal courts have to move law forward. Moreover, if federal prosecutors only bring to trial cases involving very significant frauds – not representative of the vast majority of white collar cases –, district judges risk to be – despite themselves – biased. As a conclusion, the relative decline in the use of federal corporate prosecution strategies based on DPAs is not good news for corporate defendants. Such will continue to be the case as long as U.S. federal corporate prosecution strategies will remain under very limited judicial review.

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Chroniques

IV. Régulation intersectorielle

L’adhésion de Monaco à la Convention multilatérale de l’OCDE relative à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale : un premier pas déterminant vers une transparence fiscale assumée

S. D.

Compliance Officer

Il y a maintenant près de cinquante ans, le 18 mai 1963, la Principauté de Monaco signait sa toute première convention bilatérale d’échanges d’informations en matière fiscale avec le gouvernement français. À l’époque, le général de Gaulle prenait la décision ferme que tout Français résidant en Principauté devait se soumettre aux mêmes impôts que les résidents nationaux. Après plus d’une année de négociations avec pour point culminant le rétablissement de postes de douane entre la Principauté et la France, un accord était trouvé : les résidents français, exception faite de ceux établis en Principauté avant 1957, seraient désormais assujettis à l’impôt français. Au grand désarroi des pays voisins tels que l’Espagne ou l’Italie (1), il faudra plus de 46 ans au gouvernement monégasque – et un placement sur la liste grise des pays non coopératifs par l’OCDE en avril 2009 –, pour ratifier une nouvelle convention bilatérale d’échange d’informations en matière fiscale. En réaction, et afin de réintégrer dans les plus brefs délais la liste blanche de l’OCDE, Monaco s’engage à ratifier, avant la fin de l’année 2009, le minimum de douze accords bilatéraux d’échanges d’informations requis par l’OCDE pour adhérer aux standards fixés en la matière. Dès septembre 2009, la Principauté affiche des accords de transparence fiscale avec douze pays et intègre la liste blanche de l’OCDE. Aujourd’hui Monaco a signé trente accords (dont vingt-­cinq sont en vigueur) avec notamment les États-­ Unis et l’Inde et en Europe, l’Allemagne, les Pays-­Bas et la Belgique. L’ensemble de ces pays représentant une population de plus de deux milliards de personnes.

Point d’orgue à cette volonté de transparence fiscale assumée et affirmée par le gouvernement monégasque, la signature, le 13 octobre 2014, de la Convention multilatérale de l’OCDE relative à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Si d’un point de vue technique le régime de cette Convention multilatérale s’avère, pour l’essentiel, identique à celui des trente accords bilatéraux signés par Monaco (I), la politique souhaitée par la Principauté de s’inscrire comme partie prenante du mouvement international de transparence fiscale, conduit la place financière monégasque à un mouvement massif de régularisation fiscale et à une « onshorisation » des activités de sa clientèle (II).

I. Des modalités d’application en tous points similaires aux accords bilatéraux signés par la Principauté en matière de coopération fiscale Comme énoncé ci-­avant, les articles de la Convention d’application immédiate n’entraînent aucun engagement supplémentaire vis-­à-­vis des conventions bilatérales déjà signées par la Principauté en matière fiscale. Au niveau des textes applicables, le gouvernement a ainsi décidé de procéder uniquement à la modification de l’ordonnance souveraine d’application desdits accords et conventions pour que ses dispositions bénéficient également à la Convention multilatérale. En pratique, la Principauté s’engage donc désormais à échanger des informations sur demande, avec l’ensemble des signataires de la Convention multilatérale (3). Toute demande d’information est cependant soumise au respect de conditions strictes, à savoir : – que le pays demandeur ait fait une enquête suffisante pour lui permettre d’avoir des présomptions avérées de malversations fiscales ;

D’après le gouvernement monégasque, des discussions seraient en cours avec autant de pays (2). 1.

L’Italie a placé Monaco sur sa liste noire des pays non coopératifs en matière fiscale. 2. Liste et détail des accords bilatéraux signés par Monaco en matière fiscale : http://www.gouv.mc/ 118

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3.

Action-­Gouvernementale/Monaco-­a-­l-­International/ Les-­accords-­en-­matiere-­fiscale/Les-­accords-­bilateraux-­ signes-­par-­Monaco-­en-­matiere-­fiscale2. Liste des 84 juridictions participant à la Convention : http://www.oecd.org/ctp/exchange-­of-­tax-­information/ Status_of_convention.pdf.

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– qu’il dispose de renseignements suffisants pour identifier la ou les personnes concernées ; – qu’il ait tout mis en œuvre dans son pays pour parvenir à obtenir les renseignements concernés avant de considérer que le pays à qui est adressée la demande est la seule autorité compétente à détenir ces renseignements sur son territoire. Ces conditions préliminaires sont fondamentales afin d’éviter les tentatives de recherches à l’aveugle de moyens de preuves sans raisons valables (ou fishing expeditions). La confidentialité des informations échangées a également été sauvegardée par l’OCDE. En cas de violation avérée par un État, les autres signataires seront en droit de ne plus répondre à ses demandes. Enfin, il est important de rappeler que la Convention ne prévoit actuellement aucun échange automatique d’informations (4). L’analyse du régime d’application de la Convention multilatérale, permet donc de constater qu’aucune nouvelle obligation n’est imposée à la Principauté en matière de coopération fiscale. Or force est de constater que les conditions préalables particulièrement strictes (5) nécessaires à la mise en place d’une demande de renseignement rendent son application pratique particulièrement délicate en Principauté. En effet, la multitude de tentatives de fishing expeditions constatées à Monaco ces dernières années, associée à la culture du respect de la confidentialité des clients – critère omniprésent ayant contribué à bâtir la réputation de la place monégasque –, ont engendré une grande prudence des établissements bancaires à collaborer de façon effective et efficiente avec les autorités fiscales des différents États signataires. Au regard de son régime d’application pratique, il semble donc, de prime abord, que la signature de cette Convention multilatérale n’entraîne que peu d’incidences sur la place financière monégasque en matière fiscale.

II. Vers une politique de transparence fiscale assumée En participant à la Convention multilatérale de l’OCDE, la Principauté s’inscrit comme partie prenante du mouvement international de transparence fiscale. En effet, outre l’aspect symbolique et la volonté confirmée de Monaco de se conformer aux standards internationaux en matière de transparence fiscale, l’adhésion à la Convention multilatérale est considérée comme la première étape de transition vers un échange automatique d’informations. En effet, sous l’impulsion du G20, l’OCDE est actuellement en train de standardiser l’échange automatique de renseignements (6). À terme, et a minima sur une base annuelle, tout pays dépositaire d’avoirs détenus par des non-­résidents devra donc fournir au pays de domiciliation de ces non-­ résidents des renseignements relatifs à leurs comptes financiers, notamment les soldes, intérêts, dividendes et produits de cession d’actifs financiers. La signature de cette Convention multilatérale (ne prévoyant actuellement aucun échange automatique d’informations) constitue donc une première étape vers la standardisation annoncée et souhaitée par le G20 et l’OCDE que la Principauté ne saurait ignorer et à laquelle la place financière monégasque est d’ores et déjà préparée (7). Pour preuve, Jean Castellini, conseiller du gouvernement pour les finances et l’économie, a ainsi expliqué, lors d’une conférence de presse tenue le jeudi 27 novembre 2014, que « La nouvelle norme et l’en6.

Néanmoins, la mise en place de certaines dispositions (développement de la norme d’échange automatique de renseignement par l’OCDE et mise en place d’un délai rétroactif d’application de la Convention fixé au 1er janvier 2015) a eu pour conséquence directe et immédiate l’instauration d’un changement radical de politique fiscale des acteurs de la place financière monégasque.

7.

4.

5.

L’OCDE, avec l’appui du G20 est actuellement en train de parachever le développement et la mise en place de l’échange automatique de renseignements comme nouvelle norme d’échanges d’informations (v. développements, infra). V. développements, supra.

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IV.B. Intégrité du marché

Le 6 septembre 2013, les pays du G20 ont pris position ferme en faveur de l’échange automatique de renseignements en tant que nouvelle norme mondiale unique et a appuyé les travaux menés par l’OCDE en la matière. Le 6 mai 2014, la déclaration de l’OCDE sur l’échange automatique de renseignements en matière fiscale a été adoptée par les 34 pays membres ainsi que plusieurs pays non-­membres. Plus de 65 juridictions se sont publiquement engagées à mettre en œuvre la norme commune de déclaration, les premiers échanges automatiques étant attendus pour 2017. Pour plus de développements, se référer au site de l’OCDE : http://www. oecd.org/fr/ctp/echange-­de-­renseignements-­fiscaux/ echangeautomatique.htm. Le gouvernement monégasque insiste notamment sur le fait que la Convention contient « un article pour la mise en œuvre de l’échange automatique d’information en matière fiscale qui servira à l’avenir de disposition-­cadre aux accords bilatéraux à passer avec les États cosignataires qu’il faudra ensuite retranscrire en droit interne lorsque le standard sera adopté par tous les membres du Global forum de l’OCDE » : http://www.gouv.mc/ Action-­Gouvernementale/Monaco-­a-­l-­International/ Les-­accords-­en-­matiere-­fiscale/Questions-­Reponses-­ sur-­la-­Convention-­multilaterale-­de-­l-­OCDE.

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Chroniques

IV. Régulation intersectorielle

jeu futur, c’est l’échange automatique d’informations fiscales » insistant sur le fait que « Monaco se situe dans la liste des pays ayant indiqué qu’ils ne resteraient pas en marge du mouvement si tous les États procédaient à l’échange automatique avant 2018 » (8). En pratique, la Principauté a donc pris note que l’entraide fiscale et la Convention pourraient s’appliquer à tout fait constaté à compter du 1er janvier 2015 (9). Depuis la diffusion aux établissements bancaires de cette information, un mouvement de régularisation fiscal massif et sans précédent a été constaté au sein de la place financière monégasque. Chaque établissement de la place a ainsi pris les mesures qui s’imposent afin de régulariser ses fichiers de clients devenus indésirables et d’afficher la volonté claire et sans équivoque d’accueillir désormais une clientèle compliant, conforme aux attentes internationales en matière fiscale. En pratique, le choix est donc laissé aux clients n’étant pas fiscalement en règle : régulariser leur situation (par le biais notamment d’une prise de résidence monégasque ou une déclaration volontaire à leur pays de résidence effective) ou bien procéder à la clôture de leurs comptes et quitter l’établissement avant le 1er janvier 2015, date butoir de régularisation et départ de l’applicabilité de la Convention multilatérale. Un tel mouvement interne de régularisation n’avait jusqu’alors jamais été constaté sur le Rocher – notamment lors de la signature de traités bilatéraux d’échanges d’informations antérieurs – et illustre une nouvelle fois la volonté affichée par la Principauté de s’inscrire comme partie prenante du mouvement international de transparence fiscale. Reste encore à mettre en application ces engagements, ce qui demeure, en pratique, délicat pour une place financière ayant attiré, durant plusieurs décennies, des non-­résidents désireux d’une confidentialité et d’un 8. 9.

http://www.nicematin.com/derniere-­m inute/ocde-­ et-­t ransparence-­f iscale-­m onaco-­a vance-­a -­s on-­ rythme.2005313.html. L’article 30 de la Convention multilatérale de l’OCDE permettait d’assortir la signature de ce texte d’un certain nombre de réserves, parmi lesquelles l’effet rétroactif d’application de la Convention, pouvant être limité à trois ans. La Convention devant entrer en vigueur le 1er janvier 2018 en Principauté, l’application de l’effet rétroactif reporterait donc son champ d’application à tout fait constaté à partir du 1er janvier 2015.

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secret bancaire bien établi. Ce mouvement massif de régularisation entraîne donc des difficultés de mise en place pratique (incompréhension de la clientèle concernée, destination des avoirs non déclarés lors des clôtures de comptes, modes de clôture choisis par la clientèle…) et ne sera pas sans incidence sur la santé financière de la place monégasque, consciente de devoir laisser partir une partie non négligeable de sa clientèle. Afin de rendre ce mouvement plus efficace, et digérer, d’un point de vue financier, cette politique de régularisation fiscale, il conviendrait donc de prendre certaines mesures pour offrir aux clients des solutions de régularisation optimales. La première consiste à développer et à faciliter la prise de résidence à Monaco. Selon le conseiller pour l’intérieur, Paul Masseron, environ 300 nouveaux résidents se seraient installés à Monaco en 2013, chiffre jugé « excellent » par le ministre d’État, Michel Roger (10). La Principauté entend également recentrer sa politique interne vers une « onshorisation » de ses activités et le développement de la clientèle et des activités professionnelles exercées à Monaco. Le développement de produits financiers made in Monaco, type fonds de placement pouvant être commercialisés à l’international, constituerait également un atout majeur pour la Principauté, permettant ainsi d’attirer une nouvelle clientèle vers le Rocher. Enfin, certains États profitent du mouvement international de transparence fiscale pour relancer des programmes de déclaration volontaire et inciter les résidents fiscalement non compliant à régulariser leur situation. À titre d’exemple, le Sénat italien a approuvé, le 4 décembre 2014, un projet de loi relatif à un nouveau programme de déclaration volontaire (11). La politique de transparence fiscale assumée et souhaitée par la Principauté apparaît donc comme un véritable challenge soulevant des difficultés évidentes d’application pratique. Reste donc pour Monaco à mettre en œuvre les outils permettant d’offrir à sa clientèle des solutions de régularisation optimales et à développer également une clientèle compliant, condition aujourd’hui indispensable au maintien et à l’attractivité de la place financière monégasque. 10. Source : L’Observateur de Monaco, no 127, décembre 2013. 11. http://www.senato.it/japp/bgt/showdoc/17/DDLMESS/ 815975/index.html?part=ddlmess_ddlmess1&aj=no.

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V. Fiscalité des services financiers Chronique sous la direction de Régis Vabres

Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne

&

Georges Cavalier

Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon III

Avec la contribution de

Patrice Delacroix

Chargé de conférences à l’Executive Master en gestion fiscale de la Solvay Brussels School of Economics and Management

&

Sabrina Le Normand-­Caillère

Maître de conférences à l’Université d’Orléans

L’actualité fiscale est toujours aussi riche en matière de services financiers. La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale est une priorité en Europe et elle est au cœur d’une récente proposition de directive qui tente d’instaurer un échange automatique des informations entre les administrations compétentes. Pour atteindre cet objectif, les États devront davantage coopérer et favoriser une approche multilatérale et non unilatérale des questions fiscales. C’est la même philosophie qui est au cœur des recommandations de l’OCDE en matière de pratiques fiscales dommageables. Nombre de dispositifs fiscaux nationaux tolèrent des schémas d’optimisation, nuisent aux États voisins, et faussent la concurrence. De son côté, de façon constante, la C.J.U.E. veille à la protection de la liberté d’établissement et de la libre circulation des capitaux et écarte les dispositifs nationaux susceptibles de porter atteinte à la neutralité fiscale recherchée par le droit de l’Union européenne. De manière plus innovante, elle vient de préciser, en matière de TVA, le régime des livraisons à soi-­même dans le cadre d’un contrat de crédit-­bail.

Taxes in the financial services area are still making headlines. The fight against fraud and tax evasion is a European priority and is at the heart of a recent proposal for an EU directive that attempts to introduce an automatic exchange of information between foreign tax authorities. To achieve this goal, the EU members would need to be more cooperative and promote a multilateral – rather than unilateral – approach to tax issues. This same philosophy is at the heart of the recommendations on harmful tax practices from the Organisation for Economic Co-­operation and Development. Many national tax measures are silent towards optimization schemes which damage neighboring States and distort competition. At the same time, the European Court of Justice ensures the protection of freedom of establishment and the free movement of capital and overturns the national laws capable of affecting the tax neutrality sought by the European Union. In a particularly innovative fashion, the Court has recently clarified the self-­supply VAT regime when it relates to a commercial leasing contract.

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V. Fiscalité des services financiers

V.A. Fiscalité directe (Libertés au sein du marché intérieur) C.J.U.E., 17 juillet 2014, Nordea Bank, aff. C-48/13 Régis Vabres

Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne

La restructuration des groupes bancaires en Europe ne soulève pas seulement des questions en termes d’emplois, de stratégie ou de conformité à la réglementation prudentielle. Elle donne également lieu à des interrogations d’ordre fiscal. À cet égard, la restructuration du groupe bancaire Nordea Bank a conduit à un contentieux au Danemark, amenant la C.J.U.E. à statuer, dans un arrêt récent, sur la conformité de la législation fiscale de ce pays eu égard au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et particulièrement l’article 49, qui protège la liberté d’établissement au sein de l’Union (1). Dans cette affaire, entre l’année 1996 et l’année 2000, le groupe Nordea Bank a exercé des activités de banque de détail en Finlande, en Suède et en Norvège par l’intermédiaire d’établissements stables déficitaires. Les pertes ainsi engendrées ont permis de diminuer le bénéfice imposable au Danemark. En 2000, les activités de ces établissements stables ont été restructurées et ont été apportées à de nouvelles filiales ou cédées à des sociétés locales membres du groupe. Cette restructuration a été assimilée à une cession partielle d’activités sur laquelle l’autorité fiscale danoise a mis en œuvre son pouvoir d’imposition. Précisément, faisant application de l’article 33 D, paragraphe 5, de la ligningslov, le Skatteministeriet a réintégré dans le bénéfice imposable de Nordea Bank les pertes antérieurement déduites au titre des activités cédées. La conformité de ces dispositions au droit de l’Union européenne a été contestée par le groupe, qui a fait valoir qu’une telle réintégration n’était absolument pas prévue pour les sociétés détenant des établissements stables au Danemark. En effet, la loi danoise pose une règle de réintégration des pertes légalement déduites au titre des établissements étrangers cédés qui ne s’applique pas en cas de cession, dans des conditions identiques, d’établissements stables résidents au Danemark. Un tel traitement désavantageux n’avait aucune chance d’être jugé conforme au Traité par la C.J.U.E. Fort logi1.

C.J.U.E., 17 juillet 2014, Nordea Bank, aff. C-48/13 ; Europe, octobre 2014, comm. 397, note S. Cazet.

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quement, celle-­ci décide que cette législation est « susceptible de dissuader une société danoise d’exercer ses activités par l’intermédiaire d’un établissement stable situé dans un État membre ou dans un État partie à l’accord EEE autre que le Royaume de Danemark et constitue, par conséquent, une restriction en principe interdite par les dispositions du Traité et de l’Accord EEE relatives à la liberté d’établissement ». L’entrave ayant été confirmée par le juge, le débat s’est ensuite déplacé sur le point de savoir si cette différence de traitement fiscal concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle pouvait être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Sur le premier point, il faut comprendre l’enjeu de la question de la comparabilité des situations. En effet, si les établissements résidents et les établissements non-­résidents sont dans une situation comparable, la simple différence de traitement fiscal est suffisante pour caractériser la restriction au sens de l’article 49 TFUE (2). Toutefois, le simple fait que les établissements stables soient non-­résidents ne peut conduire à considérer qu’ils sont dans une situation non comparable à celle d’un établissement stable résident (3). En l’espèce, la Cour considère que les établissements stables résidents ne sont pas dans une situation comparable à celle caractérisant les établissements situés dans un autre État membre, dès lors que l’État en cause a mis en place un dispositif visant à prévenir ou atténuer la double imposition des bénéfices d’une société résidente. C’est donc la législation nationale prévoyant un dispositif spécifique pour les établissements non-­résidents qui conduit à rendre leur situation non comparable. Toutefois, dans le cas présent, cette comparabilité existe dès lors que l’autorité fiscale danoise a exercé son pouvoir d’imposition sur les établissements stables situés en Suède, en Norvège et en Finlande, notamment en admettant l’imputation des pertes. Sur ce point, l’argumentation donnée par la Cour est pour le moins limitée et elle surprend d’autant plus que la Cour a parfois donné l’impression d’abandonner l’examen de la comparabilité des situations (4). En tout état de cause, le raisonnement de la Cour consiste à faire abstraction du 2. 3. 4.

D. Berlin, Politique fiscale, vol. 2, in Comm. J. Mégret – Politiques économiques et sociales, éd. de l’Université de Bruxelles, 3e éd., 2012, spéc. no 1120. C.J.C.E., 8 mars 2001, aff. jtes C-­397/98 et C-­410/98, Metallgesellschaft et Hoechst, Rec., 2001, I, p. 1727, point 42 ; Europe, 2001, comm. 172. C.J.C.E., 15 mai 2008, aff. C-­414/06, Lidl Belgium GmbH & Co K.G., Europe, 2008, comm. 233, obs. D. Simon.

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lieu de résidence des établissements stables et à envisager la comparabilité des situations à l’intérieur du territoire de l’État d’imposition (1). Sur le second point, on sait qu’une entrave aux libertés garanties par le Traité est possible sous réserve de respecter trois conditions (2) : elle poursuit un objectif d’intérêt général ; elle est en mesure de garantir la réalisation de celui-­ci ; elle ne va pas au-­delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (3).

La réintégration des

pertes prévues par la loi danoise ne poursuit pas une raison impérieuse

d’intérêt général. 1. 2. 3.

D. Berlin, op. cit., spéc. no 1116. B. Delaunay, « L’évolution de la jurisprudence relative aux justifications des restrictions fiscales aux libertés communautaires », Dr. fisc., 2009, p. 248. C.J.U.E., 4e ch., 6 septembre 2002, aff. C-­18/11, Philips Electronics UK Ltd., Europe, 2012, comm. 437, obs A.-­L. Mosbrucker.

À cet égard, le gouvernement danois a fait valoir la nécessité d’assurer une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les États membres en lien avec la prévention de l’évasion fiscale. Plus précisément, l’objectif de la législation danoise était de prévenir le risque d’évasion fiscale qui consisterait, notamment, à ce qu’un groupe organise ses activités de telle sorte qu’il déduise de son revenu imposable au Danemark les pertes d’un établissement stable déficitaire situé dans un autre État membre pour ensuite, une fois cet établissement devenu rentable, transférer les activités de cet établissement dans une société qu’il contrôle, mais qui est assujettie, non pas au Danemark, mais dans un autre État. En d’autres termes, la crainte du gouvernement danois est que les finances publiques danoises supportent les pertes ainsi dégagées par les établissements stables non-­résidents, sans que cette imputation ne soit quelque peu compensée par des revenus imposables supplémentaires en cas de retour à meilleure fortune des établissements en cause. La Cour ne suit pas cette analyse et considère que l’entrave en cause est excessive. Le juge considère que le pouvoir d’imposition des autorités danoises n’est pas menacé, puisque les bénéfices éventuellement réalisés par les établissements stables sont imposés au niveau de la société résidente. En tout état de cause, la plus-­value réalisée en cas de cession des établissements stables est imposable entre les mains de la société cédante au Danemark. Dès lors, la réintégration des pertes prévues par la loi danoise ne poursuit pas une raison impérieuse d’intérêt général, de sorte qu’elle n’est pas conforme aux dispositions du Traité protégeant la liberté d’établissement.

Chroniques

V.A. Fiscalité directe (Libertés au sein du marché intérieur)

Les Common Reporting Standard adoptés au niveau européen : la directive coopération administrative encore amendée !

Patrice Delacroix

Chargé de conférences à l’Executive Master en gestion fiscale de la Solvay Brussels School of Economics and Management

Introduction Depuis 2012, l’intérêt politique s’est de plus en plus focalisé sur les possibilités qu’offre l’échange automatique de renseignements en matière fiscale afin de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Une étape supplémentaire a été franchie à cet égard en date du 9 décembre 2014. En effet, lors d’un conseil Ecofin, la proposition de directive révisée sur la coopé2015/1

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ration administrative a été officiellement adoptée par le Conseil européen. Cette dernière étend le champ d’application de l’échange automatique d’informations entre les administrations fiscales au-­delà des revenus de l’épargne, afin d’y incorporer les Common Reporting Standard (CRS) qui ont été développés par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et approuvés par les ministres des Finances du G20 en septembre 2014.

I. Contexte Selon le Conseil de l’Union européenne (ci-­après le « Conseil »), « au cours des dernières années, le défi posé par la fraude fiscale et l’évasion fiscale transfrontières s’est considérablement renforcé et est devenu une source majeure de préoccupation au sein de l’Union et au niveau mondial… Il est donc urgent de renforcer

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

l’efficience et l’efficacité de la perception de l’impôt. L’échange automatique d’informations est un outil précieux à cet égard ». L’importance de l’échange automatique d’informations comme moyen de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales transfrontières a été récemment reconnue au niveau international, le G20 ayant chargé l’OCDE d’élaborer une norme mondiale unique pour l’échange automatique de renseignements en matière fiscale. Cette fameuse norme a été publiée en juillet 2014 par l’OCDE et approuvée dans son entièreté par les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 en septembre 2014.

II. Impact de la clause de la nation la plus favorisée Dans les considérants de cette nouvelle directive Coopération Administrative (ci-­après la « DCA »), il est intéressant de noter que le Conseil relève que « le fait que les États membres ont conclu ou sont sur le point de conclure des accords avec les États-­Unis d’Amérique au titre de FATCA signifie que ces États membres offrent ou offriront une coopération plus étendue au sens de l’article 19 de la directive 2011/16/ UE et qu’ils ont ou auront l’obligation d’offrir cette coopération étendue aux autres États membres également ». Il s’agit ici d’une référence à la « clause de la nation la plus favorisée » reprise dans la version actuelle de la DCA et qui oblige les États membres qui offrent une coopération renforcée à l’égard d’un pays tiers à faire de même, sous certaines conditions, à l’égard des autres États membres qui en feraient la demande. Ainsi, le Conseil veut anticiper en évitant la « conclusion d’accords parallèles et non coordonnés par les États membres » en vertu de cette clause qui pourrait conduire à des distorsions qui nuiraient au bon fonctionnement du marché intérieur. Grâce à l’adoption d’une directive sur ce sujet, les États membres n’auront plus besoin d’invoquer cette clause pour obtenir des autres États membres les informations dont ils ont besoin.

III. Harmonisation au niveau international Il ressort également des considérants du projet de directive que le Conseil estimait indispensable de s’assurer que l’élargissement du champ d’application de l’échange automatique d’informations au sein de l’Union européenne cadre avec les évolutions au niveau international, et ce afin de réduire les coûts et les charges administratives pesant sur les administrations fiscales comme sur les opérateurs économiques. En conséquence, la DCA s’inspire (pour ne pas dire plus) en grande partie des règles de l’OCDE. Il est notam124

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ment prévu que le champ d’application de la DCA soit étendu aux informations visées par le modèle d’accord entre autorités compétentes et par la norme commune mis au point par l’OCDE. Il est intéressant de noter à cet égard que le Conseil estime que lors de la mise en œuvre de la nouvelle directive, « les États membres devraient faire usage des commentaires sur le modèle d’accord entre autorités compétentes et la norme commune de déclaration mis au point par l’OCDE aux fins d’illustration ou d’interprétation et pour garantir une application cohérente dans les États membres ». Par ailleurs, il est prévu que « l’action de l’Union dans ce domaine devrait continuer de prendre particulièrement en compte les évolutions futures au niveau de l’OCDE ». En d’autres termes, l’Europe va véritablement se calquer sur la norme développée au niveau de l’OCDE, ce qui est positif afin d’éviter d’avoir différents modèles d’échange d’informations au niveau mondial.

IV. Élargissement du champ d’application de l’échange d’informations Seront désormais visés par la DCA non seulement les informations financières concernant tous les revenus pertinents comme les intérêts (déjà visés par la directive Épargne), dividendes et types analogues de revenus, mais aussi les soldes de comptes et les produits de ventes d’actifs financiers « afin de traiter les cas de figure dans lesquels un contribuable cherche à dissimuler des capitaux qui correspondent à un revenu ou des actifs sur lesquels l’impôt a été éludé ». Ainsi, chaque État membre va devoir communiquer aux autres États membres à compter du 1er janvier 2016 les informations suivantes se rapportant aux périodes d’imposition en ce qui concerne un « compte déclarable » : a) le nom, l’adresse, le ou les numéro d’identification fiscale (NIF), la date et le lieu de naissance (dans le cas d’une personne physique) de chaque personne devant faire l’objet d’une déclaration qui est un titulaire de ce compte et, dans le cas d’une entité qui est titulaire de ce compte et pour laquelle, après application des règles en matière de diligence raisonnable cohérentes avec les annexes, il apparaît qu’une ou plusieurs personnes qui en détiennent le contrôle sont des personnes devant faire l’objet d’une déclaration, le nom, l’adresse et le ou les NIF de cette entité ainsi que le nom, l’adresse et le ou les NIF et la date et le lieu de naissance de chacune de ces personnes devant faire l’objet d’une déclaration ; b) le numéro de compte (ou son équivalent fonctionnel en l’absence de numéro de compte) ; c) le nom et le numéro d’identification de l’institution financière déclarante ;

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d) le solde ou la valeur portée sur le compte à la fin de l’année civile ou, si le compte a été clos au cours de l’année, à la clôture du compte ; e) dans le cas d’un « compte conservateur » : le montant brut total des intérêts, le montant brut total des dividendes et le montant brut total des autres revenus produits par les actifs détenus sur le compte, versés ou crédités sur le compte (ou au titre du compte) ; et le produit brut total de la vente ou du rachat des actifs financiers versés ou crédités sur le compte ; f) dans le cas d’un compte de dépôt, le montant brut total des intérêts versés ou crédités sur le compte au cours de l’année civile. Le montant et la qualification des versements effectués au titre d’un compte déclarable sont déterminés conformément à la législation nationale de l’État membre qui communique les informations.

V. Annexes I et II En vertu du nouvel article 3bis de la DCA, chaque État membre devra prendre « les mesures nécessaires pour que ses institutions financières déclarantes soient tenues d’appliquer les règles en matière de déclaration et de diligence raisonnable énoncées dans les annexes I et II ainsi que pour garantir la mise en œuvre effective et le respect de ces règles conformément à l’annexe I, section IX ».

pourront avoir un impact opérationnel pour les institutions financières. Par exemple, le CRS détermine les personnes qui sont dites « déclarables » (1) sur la base de leur résidence fiscale (et non sur la base de leur nationalité, comme pour FATCA), ce qui est logique dans la mesure où les États-­Unis sont un des seuls pays à imposer leurs contribuables sur base du critère de citoyenneté et non celui de résidence.

VI. En pratique pour les institutions financières En pratique, les « institutions financières » devront donc suivre des procédures de diligence raisonnable (2) afin (i) d’identifier les comptes qui sont dits « déclarables » détenus par des personnes physiques et des entités (ce qui inclut les fiducies et les fondations) et (ii) de collecter des informations financières sur ces comptes (par exemple, tous types de revenus d’investissement comprenant les intérêts, dividendes, les revenus de contrats d’assurance vie et autres types analogues de revenus, mais aussi les soldes de comptes et produits de ventes d’actifs financiers). De plus, il est imposé aux « institutions financières » de regarder à travers les entités considérées comme étant « passives » afin d’identifier les personnes physiques qui en détiennent le contrôle ultime.

Ces deux annexes énoncent ainsi les règles en matière de déclaration et de diligence raisonnable qui doivent être appliquées par les institutions financières déclarantes afin de permettre aux États membres de communiquer, par échange automatique, les informations financières visées par la DCA.

VII. Non-­application de la condition de disponibilité

Elles prévoient également les règles et les procédures administratives que les États membres sont tenus de mettre en place afin de veiller à la mise en œuvre efficace et au respect des procédures en matière de déclaration et de diligence raisonnable présentées ci-­dessous.

Dans la version actuelle de la DCA, telle que modifiée en 2011, il est prévu un échange automatique de cinq catégories de revenus (essentiellement non financiers, tels les revenus immobiliers, les pensions, etc.) mais cet échange est subordonné à la condition que ces informations soient disponibles.

Ces règles sont grandement inspirées des règles de l’OCDE qui sont elles-­mêmes calquées sur la législation américaine FATCA. Ce faisant, certains des concepts et définitions repris dans ces annexes pourraient avoir une signification différente de celle retenue généralement au sein de l’Union européenne, ce qui pourrait susciter des questions d’interprétation. À titre d’exemple, le terme « institution financière » est extrêmement large et ne recouvre pas uniquement les banques et les établissements gérant des dépôts de titres, mais également toute autre institution financière telle que les entités d’investissement, certains organismes de placement collectif et certaines sociétés d’assurance. Il est important de souligner que, bien que le socle fondateur soit semblable, on observe malgré tout certaines différences entre le CRS (repris par la DCA) et FATCA qui, même si elles peuvent sembler dérisoires, 2015/1

Pour ce qui concerne les « informations financières » (c’est-­à-­dire les nouveaux éléments introduits par la nouvelle DCA), la condition permettant de subordonner l’échange automatique à la disponibilité des informations demandées n’est pas applicable. En outre, le Conseil entend en profiter pour réexaminer l’opportunité d’une telle condition de disponibilité pour l’échange (qui doit être effectué en 2017) de l’ensemble des cinq catégories de revenus déjà visées par la DCA « de sorte que l’intérêt d’un échange d’informations 1. 2.

Une personne déclarable est une personne physique ou une entité établie dans une juridiction soumise à déclaration en vertu du droit fiscal de cette juridiction. À noter que ces procédures font une distinction entre les comptes de personnes physiques et les comptes des entités, ainsi que les comptes préexistants et les comptes nouveaux.

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V.A. Fiscalité directe (Libertés au sein du marché intérieur)

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V. Fiscalité des services financiers

par tous les États membres pour l’ensemble de ces catégories puisse être évalué ». En d’autres termes, à l’avenir, les États membres ne pourront vraisemblablement plus se borner à affirmer ne pas détenir ou ne pas pouvoir obtenir les informations couvertes par la DCA pour refuser de procéder à un échange automatique desdites informations à destination des autres États membres.

Conclusion À la suite de l’adoption officielle du CRS, le Conseil de l’Union européenne a décidé d’emboîter le pas et

de profiter du momentum en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales en renforçant, et ce dès 2016, les règles en matière d’échange automatique d’informations (essentiellement concernant les informations financières) tout en simplifiant le paysage législatif européen pour ne garder qu’une norme européenne cohérente visant l’échange d’informations en matière fiscale. Compte tenu de l’adoption de la nouvelle DAC, la directive Épargne sera vraisemblablement abrogée. À noter que, compte tenu de « différences structurelles existantes », l’Autriche est autorisée à procéder pour la première fois à un échange automatique d’informations au plus tard le 30 septembre 2018, au lieu du 30 septembre 2017.

Les recommandations BEPS de septembre 2014 : un aboutissement ou un commencement (DEUXIÈME partie(1)) ?

Georges Cavalier

Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon III

II. Un commencement Le commencement qu’initient les recommandations BEPS est révélé par la nouvelle impulsion qu’elles donnent au régime des aides d’État (2). Celui-ci offre un fondement à l’examen actuel, par la Commission européenne, de la compatibilité de certaines pratiques fiscales en vigueur dans nombre d’États membres. Certes, l’action 5 du BEPS (« pratiques fiscales dommageables » (3)), entendait recentrer sur la substance et la transparence, les travaux du Forum de l’OCDE sur les pratiques fiscales dommageables. En se focalisant sur les incorporels (et notamment les inventions brevetables 1. La première partie de l’article a été publiée dans la R.I.S.F., 2014/4, pp. 117 et s. 2. P. Durand e.a., « L’objectif de lutte contre la concurrence fiscale dommageable : regards croisés UE-­ OCDE », Dr. fisc., 2013, p. 332. 3. OCDE, « Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance », 28 octobre 2014 (en français). Cela fait suite à la fois aux premiers travaux de l’OCDE publiés en 1998 (« Concurrence fiscale dommageable : un problème mondial »), et au rapport dit « Primarolo » commandé par le Conseil Ecofin en matière de fiscalité des entreprises, et publié par le groupe « Code de conduite » en 1999. 126

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ou protégées), ainsi que sur les échanges spontanés de rulings, les recommandations BEPS dessinent donc des axes d’évolution. En effet, les armes de l’OCDE sont surtout politiques. Témoin, « l’hypocrisie » à combattre l’agressivité fiscale des entreprises qui ne font qu’utiliser les moyens mis volontairement par les États à leur disposition. Ceux-­ci se livrent entre eux à une concurrence fiscale dommageable en imposant à des taux très bas les entreprises qui acceptent de venir placer leurs capitaux les plus mobiles et sans substance dans leur territoire. C’est alors surtout du côté de l’Union européenne qu’il faut chercher un fer de lance juridique susceptible de forcer les États membres à mettre un terme à leurs pratiques dommageables : les aides d’État qui affectent les échanges entre États et menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises sont en principe incompatibles avec le marché unique de l’Union européenne. Si un État met en œuvre une telle mesure sans l’avoir notifiée préalablement à la Commission, la sanction est généralement la récupération de l’aide auprès des entreprises, et ce pendant les dix années qui ont précédé. C’est dans ce cadre que la Commission s’attache à combattre, d’une part, les régimes de faveur réservés aux incorporels, d’autre part, les rescrits fiscaux.

A. Les incorporels Les incorporels bénéficient souvent d’un régime fiscal préférentiel : des taux réduits, par exemple, appliqués à certains produits de la propriété intellectuelle. Ils sont traditionnellement désignés sous les vocables de patent boxes ou IP boxes. Il serait vain de vouloir en dresser un inventaire exhaustif. On songe à celui de l’article 39 terdecies-­1 du Code général des impôts français : en

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cas de concession de licence de brevets et droits assimilés, les redevances devraient normalement être traitées comme de simples produits d’exploitation chez le concédant (en principe taxés à 33,33 %). Par mesure de faveur, elles bénéficient de l’imposition allégée des plus-­values à long terme au taux de 15 %. Des régimes similaires existent ailleurs en Europe. Pour appliquer la notion d’aide d’État à ces régimes, la méthodologie suivante doit être respectée, compte tenu de la lettre de l’article 107, paragraphe 1er, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Celui-­ci prévoit que : « Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Le premier critère de l’aide d’État est lorsque la mesure confère un avantage. En matière d’aide d’État fiscale, il s’agit d’un avantage fiscal (par exemple, réduction d’impôt, exonération). Comment détermine-­t‑on s’il y a un avantage ? La Commission conseille d’identifier un cadre de référence, c’est-­à-­dire un régime de droit commun, pour apprécier si la mesure s’écarte de ce régime de droit commun. Il faut ensuite – et c’est le deuxième critère – que cet avantage soit sélectif. La Cour de justice de l’Union européenne considère que tout avantage n’est pas nécessairement sélectif : ce n’est le cas que s’il bénéficie à certaines entreprises ou à certaines productions. Troisièmement et quatrièmement, cet avantage doit être conféré au moyen des ressources d’État (ce critère est généralement rempli), et doit affecter le commerce entre États (ce que présume en pratique la Commission européenne (4)). Ainsi, le régime fiscal luxembourgeois a été mis sous examen par la Commission, et le Luxembourg a finalement accepté, le 18 décembre 2014, de pleinement coopérer. De telles procédures d’enquêtes ont également été engagées en matière de rescrits fiscaux.

B. Les rescrits fiscaux Les rescrits fiscaux désignent une procédure particulière permettant notamment à une entreprise de consulter par écrit l’administration centrale, préalablement à la conclusion d’un contrat ou d’une convention, pour apprécier la portée véritable de ladite opération (5). 4.

5.

Rappr. D. Hildebrand et A. Schweinsberg, « Refined Economic Approach in European State Aid Control – Will it Gain Momentum ? », World Competition, 2007, pp. 450 et s. J.-­L. Albert, J.-­L. Pierre et D. Richer, Dictionnaire de droit fiscal et douanier, Ellipses, 2007, vis « Rescrit fis-

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À l’instar du ruling, très utilisé dans les pays anglo-­ saxons, le rescrit permet, par exemple, un accord bilatéral préalable en matière de prix de transfert.

Chroniques

V.A. Fiscalité directe (Libertés au sein du marché intérieur)

Tous ces rulings peuvent

être considérés comme une aide d’État.

Tous ces rulings peuvent être considérés comme une aide d’État (6) : c’est le cas, par exemple, lorsque le ruling est octroyé à une entreprise à la condition qu’elle poursuive une activité ou qu’elle préserve des emplois. De même, un accord transactionnel négocié à la clôture d’un contrôle fiscal peut être qualifié d’aide d’État (7). La Commission a lancé des procédures d’enquêtes approfondies sur des rulings émis en matière de prix de transfert dans le cadre de l’impôt sur les sociétés applicable à Apple en Irlande, Starbucks aux Pays-­Bas, et Fiat Finance and Trade au Luxembourg (8). Quel est l’objet de ces enquêtes ? Vérifier que ces rulings délivrés en matière de prix de transfert ne sont pas des aides d’État. La Commission va chercher si les prix de transfert pratiqués au sein du groupe sont en ligne avec le principe de pleine concurrence. C’est ce qu’elle a mis en œuvre le 1er octobre 2014, en étendant une procédure déjà ouverte aux 165 rulings de Gibraltar (9). Une semaine plus tard, le Financial Times dévoilait que la Commission lançait une enquête approfondie sur des soupçons de traitement fiscal préférentiel accordé à Amazon par le Luxembourg (10). Les développements ci-­dessus amènent à penser que les aides d’État ne sont plus l’épouvantail fiscal ne se concrétisant jamais dans les faits : le régime soulève un risque réel, et les entreprises comme les États, doivent aujourd’hui passer leurs différents régimes de faveurs au crible du droit communautaire (11). cal », pp. 482 et s. V. aussi, Études du Conseil d’État sur le rescrit, La Documentation française, novembre 2013 ; Dr. fisc., 2014, no 20, comm. 317. 6. F. Perrotin, « Le système des rulings en question », Pet. Aff., 12 décembre 2014, p. 4. 7. Il existe une ancienne décision de la Commission européenne qui conclut au cas d’espèce à l’absence d’aide d’État : décision du 26 mai 2010 concernant l’aide d’État sous la forme d’un accord fiscal transactionnel mise à exécution par la Belgique en faveur de la société Umicore S.A. (ex-­« Union Minière S.A. »), C(2010)2538 final. 8. Déc. SA.38373, SA.38374, et SA.38375. 9. Déc. SA.34914. 10. Déc. SA.38944. 11. J. Luts, « Compatibility of IP Box Regimes with EU State Aid Rules and Code of Conduct », EC Tax Review, 2014/5, p. 258 ; M. Herzfeld, « Defining Harmful Patent Boxes », Tax Notes Int’l, 20 octobre, 2014, p. 198.

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

French AmendED Finance Act for 2014 Provides an Additional Condition for Non EU Funds Withholding Tax Refund Claims

Georges Cavalier

Associate Professor of Law, University of Lyon

Tax Authorities shall be able to obtain efficiently from the authorities of the other State (i.e., where the fund is located) appropriate information to make sure all other conditions are met. (4)

In practice, this will

The implications of the Santander decision are still radiating. An additional condition is now required for the withholding tax exemption on French sourced dividends paid to non-­European Union funds: their State or territory must not only have entered into a Mutual Assistance Treaty with France, but this treaty should also operate efficiently. In the Santander decision, (1) the European Court of Justice (“ECJ”) ruled that the levying of French withholding tax on dividend payments made to foreign investment funds was in breach of the free movement of capital and created discriminations because such withholding tax was not levied on French investment funds. The Emerging Markets decision (2) is the most recent precedent for non EU funds claiming withholding tax refund on French sourced dividends. The French Tax Administration was expected to clarify the conditions under which such claims should succeed. In particular, one could anticipate the French Tax Authorities requesting information from foreign tax administrations to check the comparability of the non EU funds with those established in France. Indeed, in order for the withholding tax exemption to apply, current Article 119bis (2)(2) of the French Tax Code (“FTC”) provides in essence that the non EU funds must (i) have similar characteristics as to those of a French fund and (ii) be situated in a country where a tax Mutual Assistance Treaty with France has been concluded. Article 58 of the Amended Finance Act for 2014 adds a 3rd paragraph to Article 119bis (2)(2) of the FTC providing a supplemental condition for non EU funds to be granted the benefit of withholding tax exemption on French sourced dividends: based on the mutual assistance clause in the applicable tax treaty, (3) the French 1. 2.

ECJ Case No. C-­338/11, dated May 10th 2012. ECJ Case No. C-­190/12, dated Apr. 10th 2014; see G. Cavalier, “Affaire DFA Investment Trust Company ou l’extension de la jurisprudence Santander aux pays tiers”, Int’l Rev. Fin. Serv. 2014/3, pp. 107 et seq. 3. Whether this amendment is applicable to countries bound by the information exchange provision pursuant to Article 78 and following of the EEA Agreement, or bound by the joint Council of Europe/OECD Convention on Mutual Administrative Assistance in Tax Matters, is still unclear: for a different view, see V. Rabault, “Report on behalf of the National Finance, General Economy,

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concern States, bound by a mutual assistance obligation, reluctant to answer questions from the French Tax

Authorities.

This concept of “efficiency” is far from being unknown. (5) It aims to allow the French Tax Authorities to reject claims submitted by non EU funds if the French Tax Authorities consider that the mutual assistance does not operate properly with the State where the claimant is incorporated. In practice, this will concern States, bound by a mutual assistance obligation, reluctant to answer questions from the French Tax Authorities. In such a case, the French Tax Authorities would not be able to check the foreign fund characteristics in comparison to those of a French fund. (6) It should not impact US funds as the mutual tax assistance between France and the US usually operates efficiently. and Budgetary Control Committee on the French Draft Amended Finance Act for 2014”, comments under Art. 27. 4. “The provisions of the clause of mutual assistance and its implementation should permit the French Tax Authorities to obtain efficiently (effectivement in the French text) from the States where the mutual fund is situated, the necessary information to ascertain whether the mutual fund is compliant with the conditions of points (i) and (ii) above of Article 119bis (2)” (translated by the author). 5. From the then European Court of Justice Simmenthal decision (Case No. 106/77) to the OECD global forum on transparency and Exchange of Information; see also P. Lascoumes and E. Serverin, “Théories et pratiques de l’effectivité du Droit”, Droit & Société No. 2/1986, pp. 217 et seq. 6. See V. Rabault, “Report on behalf of the National Finance, General Economy, and Budgetary Control Committee on the French Draft Amending Finance Act for 2014”, comments under Art. 27.

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Chroniques

V.B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée)

V.B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée) C.J.U.E., 17 juillet 2014, SC BCR Leasing IFN SA, aff. C-­438/13 Sabrina Le Normand-­ Caillère

Maître de conférences à l’Université d’Orléans

Comme en témoignent les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne en juillet 2014, les contrats de crédit-­bail font naître toujours des questions en matière de TVA. Lors de sa décision Banco Maïs, la Cour avait déjà précisé les conditions de déduction de la taxe payée en amont s’agissant d’opérations de crédit-­bail de biens et de services à usage mixte (1). À l’occasion d’un nouvel arrêt du 17 juillet 2014, elle a été amenée à préciser le régime des livraisons à soi-­même en présence de biens loués dans le cadre d’un crédit-­bail mais constatés manquants à la suite de leur non-­restitution à la société bailleresse. En l’espèce, une société a acquis des automobiles auprès de différents fournisseurs. Elle a ainsi intégralement déduit la TVA acquittée en amont. Parallèlement, cette société a conclu des contrats de crédit-­bail portant sur des automobiles achetées avec des personnes physiques ou morales ayant la qualité d’utilisateur de ces biens. Pendant toute la durée du contrat, la société est demeurée propriétaire de ces automobiles. À la suite de défauts de paiement, le crédit-­bailleur a résilié une partie de ces contrats conclus avec les preneurs défaillants. Dans un délai de trois jours à compter de la résiliation, ces derniers étaient tenus de restituer à la société le bien. S’étant vue opposer un refus de leur part, la société a engagé des procédures de recouvrement. Malgré les efforts déployés, certains biens n’ont pu être récupérés dans les délais prévus. Compte tenu de l’absence d’encaissement au titre des contrats résiliés, le crédit-­bailleur a cessé d’établir des factures relatives auxdits contrats et de percevoir la TVA y afférente. Lors d’un contrôle, l’administration fiscale roumaine a constaté des irrégularités. Dans un avis d’imposition, elle a indiqué que le crédit-­bail devait être traité, 1.

C.J.U.E., 4e ch., 10 juillet 2014, aff. C-­183/13, Fazenda Publica c. Banco Maïs SA, R.I.S.F., 2014/4, note de S. Le Normand-­Caillère. V. également, C. Acard, « Fiscalité financière », Rev. dr. fisc., 2014, étude 529, § 11.

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pendant la durée du contrat, comme une prestation de service pouvant être suivie d’une livraison de biens au moment où le contrat arrive à son terme, selon que le preneur exerce ou non l’option d’achat. Elle a ainsi considéré que dans l’hypothèse de biens non restitués, suite à une résiliation du contrat, les biens devaient être considérés comme des livraisons à soi-­ même. En conséquence, le crédit-­bailleur était tenu, selon l’administration fiscale, à l’expiration du délai prévu dans le contrat pour la restitution du bien par le preneur, d’appliquer les dispositions relatives aux livraisons à soi-­même et à la collecte de la TVA, ainsi que d’établir, pour ces livraisons, des factures à son propre nom. Par cette requalification des opérations, l’administration fiscale pouvait en conséquence récupérer un montant de la TVA collectée égal à celui de la TVA déductible. La société, crédit-­bailleur, a contesté cette décision et a formé un recours en annulation à l’encontre de cet avis. Selon elle, la réglementation sous-­tendant l’avis d’imposition ne serait pas conforme à la directive TVA (2). Porté devant la Cour d’appel de Bucarest, ce recours a entraîné la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne. Saisie à titre préjudiciel, elle a dû répondre à la question de savoir si la directive TVA considère comme une livraison à titre onéreux au sens de son article 16 ou, le cas échéant, comme une livraison à soi-­ même, au regard de l’article 18, les biens objets d’un crédit-­bail, lesquels après la résiliation de ce contrat pour faute du preneur, n’ont pu être récupérés par la société de crédit-­bail auprès du preneur en dépit de l’engagement par cette dernière de poursuites légales de recouvrement et de l’absence de perception de somme d’argent au titre de l’utilisation de ces biens après la résiliation. La Cour de justice de l’Union européenne répond par la négative. Selon les juges, la directive TVA n’autorise pas l’assimilation à une livraison de biens réalisée à titre onéreux le défaut de retour des véhicules loués à leur propriétaire en violation du contrat de crédit-­bail. Cette décision présente deux intérêts majeurs. Non seulement la Cour précise le régime des livraisons à soi-­même en présence de contrats de crédit-­bail, mais 2. Directive 2012/112/CE du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA, J.O.U.E. L 347 du 11 décembre 2012.

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

surtout elle examine une solution non envisagée lors de la question préjudicielle.

Cette décision présente

deux intérêts. Non seulement la Cour précise le régime des livraisons à soi-­même en présence de contrats de crédit-­ bail, mais surtout elle examine une solution non envisagée lors de la

question préjudicielle.

Pour rendre sa décision, la Cour a dû interpréter les articles 16 et 18 de la directive TVA relatifs aux livraisons à soi-­même. Celles-­ci constituent l’opération par laquelle une personne obtient, avec ou sans le concours d’un tiers, un bien ou une prestation de services à partir de biens, d’éléments ou de moyens lui appartenant. Ce dispositif a pour finalité d’assurer le respect de la neutralité fiscale du système de TVA en permettant notamment d’assurer l’effectivité des règles de déduction. En l’absence de ce mécanisme, une entreprise pourrait trouver intérêt à « fabriquer elle-­même un bien en faisant appel à ses propres moyens plutôt que de l’acheter auprès d’un tiers qui lui facturerait la TVA : l’opération de fabrication, purement interne, ne donnerait pas lieu au paiement de la TVA et l’entreprise échapperait ainsi à la rémanence de taxe susceptible d’être constatée en cas d’achat auprès d’un tiers » (3).

initialement exercé dans des situations « d’autoconsommation ». Plusieurs conditions sont toutefois posées par le texte. Celui-­ci assimile à une livraison de biens « le prélèvement par un assujetti, d’un bien de son entreprise qu’il destine à ses besoins privés ou ceux de son personnel, qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à déduction complète ou partielle de la TVA » (4). Ce texte a été exclu par la Cour au motif que les conditions d’application n’étaient pas en l’espèce réunies. Tout d’abord, les biens litigieux n’étaient en possession de l’assujetti ou de son personnel. Ensuite, le fait que le preneur soit en possession des biens litigieux sans contrepartie résulte d’un comportement fautif de sa part et non pas d’une transmission à titre gratuit des biens. Enfin, ces biens ne peuvent être considérés comme affectés à des fins étrangères à l’entreprise, dès lors que leur mise à disposition au preneur constitue la substance de l’activité économique du bailleur. Le fait que ce dernier ne parvienne pas à les récupérer après la résiliation du crédit-­bail compte tenu du comportement fautif du preneur ne peut aboutir à considérer que le bailleur a affecté ces biens à des fins étrangères à l’entreprise. Cette décision de la Cour est conforme à sa jurisprudence traditionnelle. À plusieurs reprises, elle a affirmé que la finalité de l’article 16 est d’assurer l’égalité entre l’assujetti prélevant un bien et le consommateur qui acquiert ce même bien auprès d’un tiers (5). Appliquée à des véhicules, cette solution vaudrait plus largement aux autres biens meubles ou encore aux contrats de location simple.

Appliquée à des véhicules,

cette solution vaudrait plus largement aux autres biens meubles ou encore aux contrats de location

La Cour de justice de l’Union européenne rejette en l’espèce l’application des articles 16 et 18 de la directive TVA. D’une part, l’article 16 de la directive 2006/112/CE vise à constater une livraison à soi-­même lorsqu’un bien initialement affecté à une activité imposable et ayant ouvert droit à déduction cesse de l’être. Comparable à la régularisation, la livraison à soi-­même aboutit à remettre en cause partiellement le droit à déduction 3.

Dossiers pratiques Francis Lefebvre, Gestion de la TVA, éd. Francis Lefebvre, 2002, p. 665, § 420.

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simple.

D’autre part, l’article 18 de la directive vise les hypothèses « d’autofabrication » par l’entreprise des biens 4. 5.

Ce texte est transposé dans le Code général des impôts. V. CGI. article 257, II, 1, 1°. C.J.C.E., 20 janvier 2005, aff. C-­412/03, point 23, Rev. dr. fisc., 2005, no 23, comm. 463 ; C.J.C.E., 30 septembre 2010, aff. C-­581/08, point 17, Rev. dr. fisc., 2010, no 40, act., p. 376.

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Chroniques

V.B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée)

loi française dite « de

destinés à son propre usage (6). Cette disposition assimile à une livraison de biens l’affectation par un assujetti aux besoins de son entreprise d’un bien produit, transformé, acheté ou importé dans le cadre de son entreprise dans l’hypothèse où l’acquisition d’un tel bien auprès d’un autre assujetti ne lui ouvrirait pas droit à déduction complète de la TVA. La Cour de justice considère que cette disposition ne peut s’appliquer en l’espèce au motif que le bailleur avait intégralement déduit la TVA payée au moment de l’acquisition des véhicules loués. Dans les hypothèses visées à l’article 18 de la directive, le mécanisme de la livraison à soi-­même vise à assurer la neutralité de la TVA et l’égalité entre les assujettis à l’égard de la taxation et de la déduction de la TVA. En revanche, ce mécanisme ne peut être utilisé afin de permettre à l’administration fiscale de récupérer la TVA collectée lorsque la TVA non facturée ne résulte pas d’un choix de l’assujetti. En l’espèce, l’absence de TVA ne résulte pas de la volonté de l’assujetti mais d’un comportement fautif des preneurs.

simplification de la vie des entreprises » a supprimé plusieurs cas de livraison à soi-­même afin de mettre en conformité ce régime avec le droit

communautaire.

Si le mécanisme de la livraison à soi-­même ne peut en l’espèce trouver application, la Cour tient toutefois à préciser que l’entreprise ne saurait pour autant être dispensée de toute régularisation de la TVA initialement déduite. Il convient pourtant de noter que le mécanisme de régularisation n’était pas évoqué dans la question préjudicielle. L’administration fiscale pourrait ainsi valablement exiger une régularisation de la TVA si les conditions des articles 184 et suivants de la directive TVA sont remplies. Le non-­paiement des loyers et la non-­restitution des biens loués à la suite de la résiliation du contrat de crédit-­bail seraient susceptibles de remettre en cause la déduction de la TVA opérée en amont lors de l’acquisition des biens. L’administration fiscale serait en conséquence en droit d’opérer une déduction en relation avec les biens utilisés pour des opérations taxées ou non en aval (8).

7.

8.

Il convient de noter que tout récemment, la loi française dite « de simplification de la vie des entreprises » a supprimé plusieurs cas de livraison à soi-­même afin de mettre en conformité ce régime avec le droit communautaire (7). La livraison à soi-­même de biens affectés aux besoins de l’entreprise n’est plus exigée si l’assujetti détient un coefficient de déduction total. Le législateur a également supprimé ce dispositif pour les immeubles neufs non vendus dans les deux ans de l’achèvement.

Il convient de noter

que tout récemment, la

6.

Ce texte est transposé dans le Code général des impôts. V. CGI. article 257, II, 2°. Loi 2014‑1545 du 20 décembre 2014, article 32, J.O.R.F. du 21 décembre 2014, p. 21647.

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C.J.U.E., 18 octobre 2012, aff. C-­234/11, point 31, R.J.F., 1/13, no 123.

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Chroniques

V. Fiscalité des services financiers

C.J.U.E., 9 octobre 2014, Gielen, aff. C-299/13 Régis Vabres

Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne

Dans le but d’établir une neutralité fiscale à l’égard de certaines opérations sur le capital des entreprises, les institutions européennes ont entrepris un ambitieux programme d’harmonisation des législations. Loin d’être une réalité, cette harmonisation n’en reste pas moins perceptible sur certaines questions. Tel est le cas de la fiscalité indirecte et notamment du droit d’apport qui était perçu par certains États membres dans le cadre d’opérations visant à rassembler des capitaux (1). Ainsi, la directive no 2008/7/CE du 12 février 2008 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (2) qui procède à une refonte de la directive no 69/335/CEE du 17 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (3) pose le principe d’une suppression du droit d’apport. Précisément, l’article 5, paragraphe 1er, de la directive 2008/7 interdit toute forme d’imposition indirecte, notamment, sur les apports en société. Précisément, l’article 5, paragraphe a) et b), de ladite directive interdit aux États membres de soumettre à une imposition indirecte, sous quelque forme que ce soit, d’une part, la création, l’émission, l’admission en bourse, la mise en circulation ou la négociation d’actions, de parts ou autres titres de même nature, ainsi que de certificats représentatifs de ces titres, quel qu’en soit l’émetteur, d’autre part, les emprunts, les rentes, contractés sous forme d’émission d’obligations ou autres titres négociables, quel qu’en soit l’émetteur, et toutes les formalités y afférentes. L’article 6 autorise néanmoins les taxes frappant les opérations translatives de titres ainsi que la perception de droits de mutation (v. toutefois la proposition de la Commission visant à créer une taxe sur les transactions financières et prévoyant la suppression de l’article 6) (4). Néanmoins, parce qu’elles procèdent par énumération, ces dispositions soulèvent la question de savoir si elles sont limitatives ou non et si le cas échéant, les États membres peuvent instaurer des taxes pour des opérations non visées expressément. La législation belge relative à la conversion des titres au porteur illustre cette difficulté. Elle a donné lieu à une récente décision de la Cour de 1. D. Berlin, Politique fiscale, vol. 2, in Commentaire J. Mégret, éd. de l’Université libre de Bruxelles, 2012, pp. 607 et s. 2. J.O.U.E. L 46 du 21 février 2008, p. 11. 3. J.O.C.E. L 249 du 3 octobre 1969. 4. COM (2011) 594 final, 28 septembre 2011. 132

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justice de l’Union européenne statuant sur une question préjudicielle (C.J.U.E., 9 octobre 2014, Gielen, aff. C-299/13). Dans cette affaire, ce sont les articles 3 à 5 et 7 de la loi belge du 14 décembre 2005 portant suppression des titres au porteur (5) qui sont en cause. Ces textes prévoient, en substance, une interdiction d’émission et de délivrance physique de nouveaux titres au porteur, à partir du 1er janvier 2008, une conversion de plein droit de certains titres au porteur en titres dématérialisés et une obligation de convertir les autres titres au porteur, au choix de leur titulaire, en titres nominatifs ou en titres dématérialisés, au plus tard le 31 décembre 2013. Cette suppression progressive des effets au porteur s’inscrit notamment dans le cadre de la lutte contre les abus, la criminalité financière, le financement du terrorisme, les pratiques de blanchiment et la fraude fiscale. Toutefois, l’article 167 du Code des droits et taxes divers établit une taxe sur la conversion de titres au porteur en titres dématérialisés ou en titres nominatifs. En d’autres termes, la loi belge impose une conversion des titres au porteur en titres nominatifs ou dématérialisés, tout en prévoyant une taxe exigible au moment de cette conversion. C’est précisément la question de la conformité de cette taxe avec les dispositions de la directive 2008/7 qui était posée à la C.J.U.E. Dans son arrêt du 9 octobre 2014, la Cour commence par rappeler que la directive 2008/7 tend à promouvoir la liberté de circulation des capitaux et à favoriser la réalisation du marché intérieur. À cette fin, la suppression des impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux jusqu’alors en vigueur dans les États membres était une nécessité. L’interdiction des impôts indirects définie par l’article 5 de la directive 2008/7 est néanmoins limitée à certaines opérations seulement, du moins à la lecture de la directive. La position de la C.J.U.E. est tout autre. Elle considère que la liste prévue par l’article 5 n’est en rien limitative, de sorte que l’interdiction des impositions indirectes doit être étendue à d’autres opérations. Ce qui importe, selon la C.J.U.E., c’est la finalité de la directive et l’effet utile de ses dispositions. Dans cette perspective, la Cour décide que l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/7 doit être interprété en ce sens que l’interdiction de soumettre l’émission d’actions à une imposition indirecte, sous quelque forme que ce soit, s’oppose à une taxe sur la conversion d’actions au porteur déjà émises en titres dématérialisés ou en titres nominatifs. En effet, en établissant une taxe sur cette conversion, la loi belge revient, en réalité, à imposer l’émission elle-­même du titre en cause. En d’autres termes, la C.J.U.E. assimile 5.

M.B., 23 décembre 2005, p. 55488 et du 6 février 2006, p. 6111.

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la conversion de titres en une nouvelle émission, ce qui lui permet de considérer que la taxe en cause n’est pas conforme aux dispositions de l’article 5 de la directive 2008/7.

prunt en tant qu’opération globale pour le rassemblement de capitaux (C.J.C.E., 27 octobre 1998, FECSA et ACESA, aff. C-­31/97 et C-­32/97).

De la même façon, elle considère que la taxe en cause n’entre pas dans les dispositions de l’article 6 de ladite directive. Ce texte autorise, en effet, la taxation par les États membres des opérations translatives de propriété. Mais, selon la Cour, la conversion de titres n’entre pas dans le champ de cette dérogation, dès lors qu’elle ne conduit à aucun transfert de propriété.

D’une manière générale, cette décision se situe dans le prolongement de celles rendues antérieurement. En particulier, dans un arrêt précédent, la Cour avait décidé que si les dispositions de l’article 11 de la directive du 17 juillet 1969, dont le contenu est repris par l’article 5 de la directive 2008/7, ne mentionnent pas expressément le remboursement d’un emprunt obligataire, il n’en reste pas moins qu’interdire la perception d’un impôt lors de l’émission d’un emprunt obligataire mais l’autoriser lors du remboursement d’un tel emprunt auraient pour conséquence, contrairement à l’objectif poursuivi par la directive, d’imposer l’em-

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Chroniques

V.B. Fiscalité indirecte (Taxe sur la valeur ajoutée)

Le juge participe

à l’harmonisation des droits nationaux en matière fiscale.

Incontestablement, la Cour interprète de manière extensive les dispositions de l’article 5 de la directive 2008/7, tout en maintenant une interprétation stricte des dispositions de l’article 6. Non seulement le juge fait ici œuvre de création du droit, mais il participe également à l’harmonisation des droits nationaux.

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