Sommaire
Numéro 2016/1 Sommaire
Éditorial Régulation bancaire et financière européenne : quelles perspectives pour 2016 ?. . . . . . . . . . . . 3 Régis Vabres
Dossier : Distribution de produits d’assurance La rémunération du distributeur de produits d’assurance : bouleversement du fonctionnement commercial des entreprises d’assurance et de leurs réseaux commerciaux ou préservation du modèle de distribution français ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Gilles Kolifrath Directive IDD ou la fin de l’homogénéité de la réglementation relative aux produits d’assurance ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Gimy Vela Rodriguez Quelle évolution des obligations d’information de l’intermédiaire en assurances ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Jérôme Chacornac Reform Tendency of China’s Insurance Intermediary Industry Supervision . . . . . . . . . 28 Ying Jiang A Comment about IDD from the Japanese Perspective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Akira Tokutsu Clin d’œil sur l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Christiane Nicole Bekada Etoundi La discrète mutation du cadre de supervision du secteur de l’assurance aux États-Unis. . . . . 48 Vincent Jamet La distribution d’assurances au Québec . . . . . 55 Vincent Caron et Thomas Perrino L’intermédiation en assurance au Brésil. . . . . 61 José Gabriel Assis De Almeida et Mickael Viglino
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Perspectives récentes sur la distribution d’assurances au Panama : l’essor des canaux alternatifs de distribution pour la microassurance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 Miguel Montiel Présent et avenir de la distribution des assurances en Colombie. . . . . . . . . . . . . . . . 75 Daniel Rojas Tamayo L’intermédiation en assurance au Mexique. . . 78 Rafael Ibarra Garza
Chroniques I. Régulation financière A. Régulation européenne Latest developments in Benchmark Regulation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Anastasia Sotiropoulou Pressing the “restart” button for securitisation in the EU. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Tomas Veršinskas
B. Régulation comparée Private Enforcement of European Financial Markets Regulation and Lithuanian Experience. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Laurynas Didžiulis
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II. Régulation bancaire A. Régulation européenne Trop ou trop peu : le difficile accord sur la réforme structurelle du secteur bancaire de l’Union européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Anne-Claire Rouaud Garantie des dépôts : précisions sur le domaine des exclusions autorisées par la directive 94/19/CE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Caroline Houin-Bressand
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La délimitation du droit processuel des États membres et les impératifs de protection des consommateurs contre les clauses abusives . . 113 Mathieu Combet
B. Régulation comparée Diptyque éthique au sud du Sahara : mosaïque de droit bancaire et financier . . . . . 116 Mariel Gansou
B. Intégrité du marché La Suisse et sa lutte contre les avoirs illicites des potentats. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 Isabelle Augsburger-Bucheli PEP, identification et gestion des risques : les approches suisses et européennes et leurs incidences sur le 3e cercle. . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 Julien L. Blanc
C. Régulation internationale
PEP, dictateurs, potentats : le trio infernal. . . 147 Mariame Krauer-Diaby
Que retenir des sanctions infligées par les autorités américaines au Crédit Agricole ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Juliette Morel-Maroger
Les remparts juridiques du marché bancaire polonais contre les avoirs illicites de potentats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 Lesław Góral
III. Régulation assurantielle
V. Fiscalité des services financiers
A. Régulation européenne
A. Fiscalité directe
Quels critères appliquer pour la détermination de l’indemnité due à l’agent en cas de cessation du contrat d’agence commerciale ?. . . . . . . . . . 132 Pauline Pailler
Action 7 du projet BEPS : une révolution ? – Les travaux internationaux visant à enrayer l’évitement artificiel du statut d’établissement stable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 Georges Cavalier
B. Régulation comparée C. Régulation internationale Le micro-takaful, au croisement de la microassurance et de la finance islamique . . . . . . . . 134 Adrien Tehrani
B. Fiscalité indirecte C.J.U.E., 16 juillet 2015, Beteiligungsgesellschaft Larentia + Minerva mbH & Co, aff. C-108/14 et C-109/14. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Sabrina Le Normand-Caillère
IV. Régulation intersectorielle
C.J.U.E., 22 octobre 2015, Skatteverket contre David Hedqvist, aff. C-264/14. . . . . . . . 170 Régis Vabres
A. Stabilité du marché
C. Fiscalité comparée
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Éditorial
Régulation bancaire et financière européenne : quelles perspectives pour 2016 ?
Régis Vabres
Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne Franche-Comté (CREDIMI – UMR 6295 CNRS) Co-rédacteur en chef de la Revue internationale des services financiers
accord du Conseil de l’Union européenne et qui sera prochainement soumis à l’approbation du Parlement européen. Elle a également adopté une proposition de réforme de la directive Prospectus (4) en vue d’alléger les exigences et les contraintes pour les levées de fonds réalisées par les petites entreprises. D’une manière générale, elle entend avancer sur l’Union des marchés de capitaux qui constitue un assemblage de différentes mesures, plutôt qu’une réforme isolée (5).
L’année 2015 s’est achevée sur une intense actualité législative et réglementaire au niveau européen, comme l’illustre l’adoption de la directive Services de paiement II (1), la consolidation du mécanisme de résolution unique, et notamment la ratification de l’accord intergouvernemental par la Grèce, ou encore les mesures d’exécution de la directive Solvabilité II (2), désormais en vigueur. Alors même que les professionnels peinent parfois à suivre le fil des réformes, surtout quand une réforme est annoncée avant même que la précédente ne soit totalement transposée, l’année 2016 ne sera pas synonyme d’une quelconque pause dans la création de normes. En effet, les perspectives de cette nouvelle année laissent entrevoir d’importants nouveaux chantiers législatifs. À cet égard, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement relatif aux opérations de titrisation (3) qui a obtenu un
La création réglementaire ne sera pas le seul objectif de cette nouvelle année. L’année 2016 sera également marquée par la mise en œuvre d’un certain nombre de procédures à l’encontre des États récalcitrants. En effet, au-delà de l’adoption des textes, la Commission européenne a clairement la volonté d’assurer l’effectivité des réformes votées et n’hésite pas à multiplier les procédures en manquement à l’encontre des États qui tardent à transposer, au sein de leurs systèmes nationaux, le droit de l’Union européenne. L’enjeu n’est plus seulement de créer des normes. Il faut les faire respecter. Sur ce point, il convient de noter que la Commission est de plus en plus transparente et diffuse de nombreuses informations sur les États concernés, les textes non transposés ou encore le retard accumulé par rapport aux exigences fixées par les textes adoptés par le Conseil et le Parlement européen. Les données communiquées sur le site Internet de la
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Directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n° 1093/2010, et abrogeant la directive 2007/64/CE, J.O.U.E., n° L337 du 23 décembre 2015, p. 35. Voy. par ex., règlement d’exécution (UE) n° 2015/2450 de la Commission du 2 décembre 2015 définissant des normes techniques d’exécution en ce qui concerne les modèles de communication d’informations aux autorités de contrôle en vertu de la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil, J.O.U.E., n° L347, 31 décembre 2015. Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière de
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titrisation ainsi qu’un cadre européen pour les opérations de titrisation simples, transparentes et standardisées, et modifiant les directives 2009/65/CE, 2009/138/ CE et 2011/61/UE et les règlements (CE) n° 1060/2009 et (UE) n° 648/2012, COM/2015/0472 final. Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, COM/2015/0583 final. K. Lachgar, « Financement de l’économie réelle, union des marchés de capitaux et nouvelle philosophie de la régulation : l’espoir est permis », Bull. Joly Bourse, juillet 2015, p. 306.
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Éditorial
Éditorial
Commission (6) montrent d’ailleurs que des pays tels que l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et dans une moindre mesure la France font preuve d’un manque de célérité et de diligences à l’égard de leurs obligations européennes, en particulier en matière bancaire et en matière de transparence. Il est assez remarquable qu’une directive adoptée en 2011, telle la directive sur les fonds d’investissement alternatifs, n’a été à ce jour transposée que par vingt-trois pays, alors que le délai de transposition est expiré depuis plus de deux ans…
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La Commission s’empare
de sujets qui sont pendant longtemps restés relativement à la marge de la construction européenne en matière bancaire et financière.
”
Au-delà de ces différents éléments techniques, quelles conclusions peut-on en tirer sur la régulation européenne ? Quels horizons peut-on entrevoir ? D’abord, les différentes réformes, en cours ou à venir, montrent que la Commission s’empare de sujets qui sont pendant longtemps restés relativement à la marge de la construction européenne en matière bancaire et financière. Les projets actuels montrent un nouvel intérêt pour les questions sociales, environnementales (7) et notamment l’impact des activités bancaires et financières sur les acteurs non majeurs de ce secteur : les petites entreprises et les consommateurs (8). Le droit 6. http://ec.europa.eu/finance/enforcement/directives/ index_en.htm. 7. Comm. (UE), Communication sur le financement à long terme de l’économie européenne, COM(2014) 168 final. 8. Livre vert sur les services financiers de détail. De meilleurs produits, un plus large choix et davantage d’opportunités pour les consommateurs et les entreprises, COM/2015/0630 final. Livre vert – Le système bancaire parallèle.
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de l’Union européenne évolue donc et commence à s’intéresser autant aux utilisateurs des services financiers qu’aux prestataires. Il est vrai que la construction du marché unique ne peut avoir une consistance que si elle prend en compte les intérêts de l’ensemble des protagonistes et non pas seulement d’un segment de l’économie. L’exigence n’est pourtant pas nouvelle et il est quelque peu regrettable que cette prise de conscience se fasse plus de trente ans après les premiers textes intervenus dans ce secteur. Ensuite, la régulation bancaire et financière européenne est traversée par une volonté de réduire l’obscurité entourant les activités exercées en ce domaine. Les institutions européennes ont amélioré sensiblement la pédagogie et la communication autour de leurs actions, la transparence étant clairement une obligation pour les entreprises, mais devient désormais également un devoir pesant sur les institutions elles- mêmes. Là encore, la réaction apparaît quelque peu tardive. La plupart des textes ayant un impact structurel en matière bancaire et financière sont d’ores et déjà adoptés. Aujourd’hui, les réformes visent à ajuster et à clarifier l’existant (la Commission évoque dans sa proposition de réforme de la directive Prospectus l’idée d’établir « une réglementation affûtée »). De surcroît, la pédagogie ne rime pas forcément avec information allégée. La compréhension du secteur bancaire et financier ne peut seulement consister à communiquer des informations sommaires, pour ne pas dire simplistes qui omettent les enjeux dissimulés de telle ou telle réforme. À cet égard, la réforme du système de garantie des dépôts a été au cœur de nombreuses informations qui dissimulent la réalité : comment garantir véritablement aux titulaires de comptes de dépôt la somme de 100.000 euros si le Fonds de garantie n’est pas contraint dans sa politique de gestion et de conservation des fonds ? Enfin, même si la régulation bancaire et financière évolue, elle reste fondée sur des mécanismes lourds et longs à mettre en œuvre. Certes, la volonté d’obtenir un consensus prend du temps, la nécessité de tenir compte des différents intérêts en présence aussi. Mais la durée totale du processus allant des réflexions menées avant la proposition jusqu’à sa transposition complète en droit interne apparaît largement excessive. Il s’écoule en moyenne pas loin de dix ans entre le moment où la Commission réfléchit et propose et les autorités nationales appliquent. C’est trop long. Cela conduit à ce que les autorités de contrôle agissent parfois sans fondement textuel. Cela conduit à un climat d’insécurité juridique pour les professionnels. Cela accroît l’incompréhension et la frustration. Cela invite à réfléchir à un autre modèle de régulation.
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Dossier Distribution de produits d’assurance Dossier coordonné par Pauline Pailler, Professeur à l’Université de Reims La nouvelle directive Distribution en assurance, adoptée le 20 janvier 2016, a été publiée au Journal officiel le 2 février. Elle modifie la philosophie de la réglementation européenne en la matière : alors que la directive Intermédiation en assurance du 9 décembre 2002, actuellement en vigueur, avait pour objet d’encadrer les activités d’intermédiation, la nouvelle directive opte pour un champ d’application plus large puisqu’elle encadre le processus de distribution dans son entier et vise l’ensemble des distributeurs de produits – ainsi également des entreprises d’assurance ou des comparateurs. L’adoption de ce nouveau texte était l’occasion de présenter un panorama de la question sous l’angle du droit comparé. Aussi, après avoir évoqué les principales questions envisagées par la nouvelle réglementation européenne (champ d’application, encadrement de la rémunération, obligations du distributeur), ce dossier s’attachera-t‑il à engager une réflexion comparatiste en décrivant les réglementations de plusieurs autres législations d’Asie (Chine, Japon), d’Afrique (marché CIMA), d’Amérique du nord (Québec, États-Unis) ou d’Amérique centrale et du sud (Brésil, Panama, Colombie, Mexique).
The European lawmaker recently issued a new Directive on Insurance Distribution (IDD). The text, adopted on 20 January 2016, has been published at the Official Journal of the European Union on 2 February 2016. Whereas the Directive on Insurance Intermediation of 9 December, 2002, which is currently in force, was aimed to regulate the intermediation activities, the new Directive has a wider scope : its purpose is to regulate the distribution process from the beginning and applies to every distributor – including insurance companies or insurance comparators. The enactment of this new Directive is an opportunity to study this issue from a comparative standpoint. Then, after the analysis of the main questions raised by this new European regulation (scope, remuneration policy, distributor’s obligations), several contributions will present the situation in other jurisdictions from Asia (China, Japan), Africa (CIMA regulation), North America (Québec, United States) or Central and South America (Brasil, Panama, Columbia, Mexico).
La rémunération du distributeur de produits d’assurance
Dossier
LA RÉMUNÉRATION DU DISTRIBUTEUR DE PRODUITS D’ASSURANCE : BOULEVERSEMENT DU FONCTIONNEMENT COMMERCIAL DES ENTREPRISES D’ASSURANCE ET DE LEURS RÉSEAUX COMMERCIAUX OU PRÉSERVATION DU MODÈLE DE DISTRIBUTION FRANÇAIS ?
Gilles Kolifrath
Avocat associé, Kramer Levin
Après plus de trois ans de discussions, la réforme de la directive sur l’intermédiation en assurance (« DIA ») (1) arrive à son terme. Le Parlement européen a voté le 24 novembre 2015, à une large majorité, le nouveau cadre réglementaire de la vente de produits d’assurance. Un accord avait été trouvé le 30 juin 2015 entre le Parlement, le Conseil et la Commission même si c’est à cette date qu’une nouvelle dénomination de la directive a été retenue – directive sur la distribution d’assurance, « DDA » (ou Insurance Distribution Directive, « IDD » en anglais) – formulation qui correspond à l’extension du champ d’application des règles en matière de vente de produits d’assurance. La DDA, adoptée définitivement le 14 décembre 2015 par le Conseil de l’Union européenne, a été publiée en date du 20 janvier 2016 au Journal officiel de l’Union européenne paru le 2 février dernier. « Les règles actuelles sur la vente d’assurances ont été modifiées pour introduire des exigences en matière d’information et de protection des consommateurs similaires à tous les canaux de distribution des assurances, à moins qu’ils ne répondent aux conditions d’exemption », rappelle le communiqué du Parlement européen publié à l’issue du vote. Sont concernés les intermédiaires, les réseaux salariés, les comparateurs ainsi que les vendeurs d’assurances complémentaires à la fourniture de biens ou de services dès lors que le montant de la prime dépasse un certain seuil (600 EUR par an). Le texte met surtout l’accent sur la transparence. Les acheteurs doivent être informés de la nature de la rémunération du distributeur et, pour certains produits d’assurance-vie complexes, du coût total du contrat d’assurance, notamment des frais liés aux conseils et aux services (2). La DDA ainsi adoptée contraint les États membres de l’Union européenne à la transposer dans leurs droits nationaux dans un délai de 24 mois. Ce texte à minima leur laissant la possibilité de fixer des règles plus 1. 2.
Directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurance. E. Durand, « La directive sur la distribution de produits d’assurance adoptée au Parlement européen », L’argus de l’assurance, 24 novembre 2015.
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contraignantes, la phase de transposition sera donc à suivre avec attention. Nous examinerons dans une première partie les dispositions relatives à la distribution des produits d’assurance avant d’étudier dans une seconde partie la rémunération du distributeur de ces produits.
I. La distribution des produits d’assurance Pour atteindre le public, les entreprises d’assurance font le plus souvent appel à des intermédiaires, lorsqu’elles ne les sollicitent pas directement par leurs propres réseaux. On constatera une profonde évolution des modes de distributions des produits d’assurance ces quarante dernières années.
A. L’évolution depuis les années 1970… On notera que la distribution des produits d’assurance a fortement évolué entre les années 1970 et 2000. La DDA va-t‑elle encore transformer le paysage ?
1. La concurrence des assureurs dans les années 1970 C’est au début des années 1970 que les intermédiaires historiques de la distribution des produits d’assurance ont commencé à subir les premiers assauts de la concurrence. Elle a émané tout d’abord des compagnies d’assurances elles-mêmes, dont certaines ont décidé de créer leurs propres réseaux de commerciaux salariés itinérants chargés de placer leurs contrats directement sur le terrain auprès de la clientèle potentielle (la Séquanaise ou les filiales de la compagnie Groupement Populaire d’Assurance). Puis sont arrivées, dans le sillage de la Macif, les Mutuelles Sans Intermédiaires (« MSI ») dites mutuelles de Niort, telles la Maaf, la Maïf ou encore la Matmut (3).
2. La bancassurance des années 1980 Autre concurrent important à partir du milieu des années 1980 : le réseau bancaire. Profitant des dispo3.
D. Willot, « Réseaux de distribution, le bond de la tradition », Le nouvel économiste, 10 septembre 2015.
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Dossier
Distribution de produits d’assurance
sitions de la fameuse loi bancaire de 1984 qui a profondément dérégulé les marchés financiers et a permis ce qu’on a appelé la « bancassurance », la plupart des grandes banques se sont lancées à leur tour dans la commercialisation de produits d’assurance. Grâce à la proximité de leurs réseaux d’agences et à la connaissance précise du patrimoine de leurs clients, elles ont réussi une percée significative, surtout dans la vente de contrats d’assurance-vie.
3. Les années post 1990 La décennie des années 1990 a vu l’arrivée depuis les États-Unis et de l’Angleterre du concept de vente directe de contrats par courrier, par téléphone puis par internet. Ces modes de commercialisation ont été complétés pour la distribution de certains produits par les entreprises de la grande distribution, la vente par correspondance, les concessionnaires automobiles ou encore les boutiques de téléphonie mobile.
4. Un big bang après 2015 ? On peut constater que la donne a changé avec le vote au printemps 2014 de la loi Hamon qui permet désormais aux particuliers titulaires d’un contrat d’assurance (5) de le résilier à tout moment et l’obligation faite à tous les employeurs de souscrire, à compter du 1er janvier 2016, une assurance complémentaire santé collective pour leurs salariés. Nul doute que l’année 2015 fournira aux acteurs du monde de l’assurance avec le vote de la DDA l’occasion d’une réflexion approfondie sur les méthodes de commercialisation de leurs produits (6). Il sera donc intéressant de voir si ces changements récents et plus particulièrement la DDA qui met en avant la transparence des rémunérations vont changer le monde de la distribution ?
B. …a fait émerger à côté des réseaux traditionnels de distribution…
Cotisations selon la forme de la distribution (en %) (4) Marché français
Vie – Capitalisation
Dommages
1992 2004 2014 1992 2004 2014 Agents généraux
17
7
6
45
35
34
Courtiers
7
13
11
18
18
18
Banque et Poste
46
62
64
3
9
13
Salariés
25
16
15
4
2
2
Sociétés sans intermédiaires
–
–
–
27
33
32
Ventes directes et autres
5
2
4
3
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À côté des sociétés d’assurances dont le rôle consiste à assurer des risques, il existe différents canaux de distribution (7) pour commercialiser les produits d’assurance qu’elles proposent. La distribution de l’assurance en France se caractérise par la variété de ses réseaux et se comprend au travers de la notion d’intermédiation.
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À côté des sociétés
d’assurances dont le rôle consiste à assurer
Par comparaison rapide, on pourra noter que la structure de la distribution varie grandement d’un pays à un autre en Europe. En Allemagne le courtage représente seulement 4 % de la distribution en assurance- vie, contre 64 % au Royaume-Uni. En France, en Belgique, en Italie et en Espagne, les réseaux bancaires représentent entre 53 % et 70 % de la distribution en assurance-vie. En Belgique, les courtiers représentent 62 % de la distribution en assurance de dommages contre seulement 7,5 % en Italie. Toujours en assurance de dommages, les réseaux salariés représentent 31 % aux Pays-Bas contre 5 % en Italie. 4.
8
FFSA, Rapport annuel 2014 ; Ph. Mathouillet (responsable France BNP Paribas Assurance), La distribution d’assurance en Europe, et P. Bied-Charreton, Directeur des Études, des Statistiques et des Systèmes d’information, FFSA, 2003.
des risques, il existe différents canaux de
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distribution. 5.
6. 7.
Décret du 29 décembre 2014 qui vise l’assurance automobile, l’assurance multirisques habitation et les assurances dites affinitaires complémentaires d’un bien ou d’un service. J.-J. Daigre, « La commercialisation des produits financiers : survol introductif », Bulletin Joly Bourse, 1er mars 2014. D. Langé, « La révision de la directive européenne sur l’intermédiation est en marche », Revue générale du droit des assurances, 1er février 2014.
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1. La notion d’intermédiation et la distribution traditionnelle L’article R.511‑2 du Code des assurances inventorie plusieurs catégories d’intermédiaires d’assurance : courtiers, agents généraux, mais aussi mandataires (mandataires d’organismes d’assurance « MA », ou mandataires d’intermédiaires d’assurance « MIA »). Leurs situations juridiques et leurs caractéristiques professionnelles sont toutefois différentes.
Le courtier Le courtier est un commerçant (personne physique ou morale) inscrit en tant que tel au registre du commerce (8). Il est le mandataire de l’assuré et n’est pas lié à une société d’assurances. Il peut néanmoins agir aussi en qualité de mandataire de l’assureur pour la conclusion du contrat, l’encaissement des primes et la gestion des sinistres (9). Ce mandat peut n’être qu’apparent s’il résulte de circonstances telles que le preneur pourrait légitiment croire à son expérience. En ce cas, le juge pourra condamner l’assureur à supporter la responsabilité du courtier comme s’il en était le mandant (10). Le courtier place les contrats auprès des sociétés dont les produits sont les plus adaptés aux besoins de ses clients. Le portefeuille de clients lui appartient. Les courtiers sont essentiellement implantés en région parisienne et dans les grandes villes. Ils sont plutôt spécialisés dans les risques d’entreprises, tant en assurance de dommages qu’en assurance de personnes.
Les MA (personnes physiques non salariées autres que les agents généraux d’assurance, mandatées à cet effet par une entreprise d’assurance) ou les MIA (personnes physiques non salariées mandatées par une personne physique ou une personne morale mentionnée aux 1°, 2° ou 3° de l’article R.511‑2 du Code des assurances, à savoir les courtiers, les agents généraux ou les mandataires d’assurance) forment une catégorie que la loi du 15 décembre 2005 a ouverte aux personnes morales. Les mandataires ont un statut particulier. Sur le pas de la porte d’un futur client, ils sont des commerciaux aguerris, mais ne sont pourtant pas salariés par les compagnies qui les envoient. Les MA ou les MIA sont des travailleurs indépendants. Leurs activités se limitent à « la présentation, la proposition ou l’aide à la conclusion d’une assurance » (14), même s’ils peuvent éventuellement encaisser les primes. Ce sont donc de véritables intermédiaires commerciaux. Ils n’ont pas forcément d’exclusivité avec les compagnies qu’ils peuvent représenter. Cette catégorie du « mandat » offre d’ailleurs un statut adapté aux bancassureurs et plus généralement aux entreprises utilisant leur réseau commercial à l’effet de diffuser des contrats d’assurance. En effet, ces entités ont désormais la possibilité d’être directement mandatées par une société ou un intermédiaire d’assurance, là où auparavant elles devaient revêtir le plus souvent un statut de courtier ou d’agent général (15).
2. Les autres réseaux traditionnels de distribution
L’agent général L’agent général (11) exerce une profession libérale. Il est le mandataire d’une société ou de plusieurs sociétés d’assurances pour des branches différentes dans une circonscription territoriale. Le portefeuille constitué par les clients de son agence est la propriété de la société d’assurances qu’il représente (12). Si l’agent général est une personne morale, il revêt impérativement la forme d’une société commerciale à objet civil (13). Les agents généraux sont largement implantés et proches des assurés. Ils sont principalement présents en assurance de particuliers, des artisans et des petites et moyennes entreprises.
8. Le courtage étant un acte de commerce par nature (C. com., art. L.110‑1), le courtier qui s’y livre à titre habituel recueille la qualité de commerçant (C. com., art. L.121‑1). 9. E. Baechler, Les courtiers généralistes face au défi de la transparence des rémunérations, Enass, 2014. 10. C. ass., art. L.511‑1-III. 11. Le statut d’agent général fut approuvé par un décret du 15 octobre 1996. 12. Le courtier n’est pas propriétaire de sa clientèle et son assureur mandant est responsable de ses fautes vis-à-vis des tiers. 13. Les formes sociales autorisées sont les SA, la SARL, et la SCA, décret du 15 octobre 1996, annexe art. 1er, al. 3. 2016/1
Les MA et les MIA
Parmi les formes traditionnelles de distribution de l’assurance, figurent aussi, les guichets ou bureaux avec leurs réseaux salariés ainsi que les bureaux des sociétés sans intermédiaires et les réseaux de vente directe (publipostage, vente par téléphone, par Internet).
Les guichets ou bureaux La notion de guichet englobe les bureaux où l’on accueille les clients ; il s’agit aussi bien des locaux des sociétés d’assurances, des MSI, que des locaux de la Poste, des Caisses d’épargne ou des établissements bancaires (réseaux de bancassurance). Ces guichets financiers occupent une part non négligeable dans la distribution des produits d’assurance-vie. Leur croissance a été forte durant les deux dernières décennies dans le domaine de la distribution des assurances de personnes. Les guichets bancaires interviennent également de plus en plus dans la distribution de produits d’assurance de dommages à destination des particuliers. Les commerciaux (chargés de clientèle, conseillers en assurance-finance, inspecteurs commercial…) qui sont 14. L’activité de l’intermédiation est précisée aux articles L.511‑1 et R.511‑1 du Code des assurances. 15. P.-G. Marly, « Droit des assurances », Cours Dalloz, éd. Dalloz, 2013, pp. 50 et s.
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Dossier
La rémunération du distributeur de produits d’assurance
Dossier
Distribution de produits d’assurance
des salariés des réseaux commerciaux des sociétés d’assurances peuvent aussi être employés par des agents généraux ou des courtiers (16). Les réseaux salariés interviennent surtout en assurance-vie individuelle. Ils représentent pour certaines sociétés un mode de distribution prédominant. Les sociétés sans intermédiaires, le plus souvent des mutuelles, sont spécialisées en assurance de dommages des particuliers et principalement en automobile et multirisques habitation. Leur développement repose sur l’offre de contrats standards gérés en direct.
La distribution directe Elle regroupe les modes de distribution dans lesquels il n’y a aucun contact physique entre l’assureur et le client. À la vente par correspondance et par téléphone, est venue s’ajouter depuis le début des années 2000 la vente par internet (17). Favorisée par l’augmentation du taux d’équipement des ménages en informatique, la vente d’assurances « en ligne » s’est véritablement développée depuis 2006. Le « marketing » direct est utilisé pour la distribution de produits d’assurance standards, mais reste encore marginal en termes de parts de marché.
C. … de nouveaux réseaux de distribution ainsi que des Conseillers en Investissement Financiers (« CIF ») La très vive concurrence qui règne sur le marché français de l’assurance incite les assureurs à rechercher de nouveaux réseaux de distribution (18).
1. La grande distribution et les concessionnaires automobiles Le développement de ces nouveaux canaux se fait en accord ou en partenariat avec les assureurs et concerne aussi bien les assurances de dommages (automobile, habitation, téléphone, portable…) que les assurances-vie.
2. Parallèlement, d’autres réseaux de distribution apparaissent ou se développent Les agences de voyage, agences immobilières, magasins de pompes funèbres (contrats obsèques), boutiques de téléphonie font également partie de ces nouveaux réseaux de distribution.
16. L’article R.511‑2 du C. ass. mentionne également les salariés d’intermédiaires d’assurance, dès lors qu’ils sont commis à l’activité de distribution. 17. J.-R. Becker, La distribution de l’assurance à l’ère digitale : évolution ou révolution ? 18. « Le secteur de l’assurance en France », Les nouveaux réseaux de distribution, site FFSA, Enass, 2012. 10
3. Les Conseillers en Investissement Financiers (« CIF ») Enfin, on pourra rappeler qu’un CIF est une personne qui exerce notamment à titre de profession habituelle les activités de conseil en investissement portant sur des instruments financiers (actions, obligations, parts de fonds commun de placement – qui alimente très souvent les contrats d’assurance-vie, etc.). Par ailleurs, les CIF peuvent cumuler le statut de CIF avec les statuts de courtier en assurance (et d’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement). La profession de CIF a été réglementée par la loi de sécurité financière d’août 2003 qui a édicté une série de règles relatives à l’exercice de l’activité dont notamment l’obligation d’information sur les rémunérations par les promoteurs du produit. Cela a ensuite été renforcé par la directive 2004/39/CE sur les Marchés d’Instruments Financiers (« MIF ») entrée en vigueur en 2007 (19). On pourra noter aussi que l’AFG, pour tenir compte de la réglementation en vigueur, a édicté des recommandations pour les conventions de distribution avec un CIF et le marquage des ordres (20).
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Si la notion
d’intermédiation ne suffisait pas pour englober cette notion de distribution, la DDA a remédié à ce problème en étendant le champ d’application de la DIA à tous les canaux de
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distribution.
19. E. Baechler, Les courtiers généralistes face au défi de la transparence des rémunérations, Enass, 2014. 20. AFG, Recommandations, Conventions de distribution avec un CIF et marquage des ordres, indique « Préciser que le CIF doit s’acquitter de ses obligations en matière d’information sur sa rémunération. Il est rappelé que la gestion collective a dorénavant l’obligation d’informer les porteurs des rémunérations qu’elle verse à un tiers, en lien avec le service fourni au client », p. 20, commentaire 14, mai 2015
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Nous n’aborderons pas ici la notion de Conseil en Gestion de Patrimoine (« CGP »), dans la mesure où cette profession n’est pas réglementée et parce que le plus souvent le CGP relève d’un ou plusieurs statuts (le CIF comme indiqué, ou aussi le statut de courtier en assurance…), ce qui lui permet d’intervenir également dans la distribution de produits d’assurance. Comme nous l’avons vu, les réseaux de distribution des produits d’assurance sont nombreux et diversifiés en France. Si la notion d’intermédiation ne suffisait pas pour englober cette notion de distribution (21), la DDA a remédié à ce problème en étendant le champ d’application de la DIA à tous les canaux de distribution, y compris les acteurs apparus récemment sur le marché (22). Après avoir mis en lumière la diversité des réseaux de distribution, nous allons étudier maintenant la rémunération du distributeur des produits d’assurance.
II. La rémunération du distributeur Le sujet de la rémunération des distributeurs a fait couler beaucoup d’encre. Les turbulences financières récentes ont montré l’importance de garantir aux consommateurs une protection efficace quel que soit le secteur financier concerné. Dans ces conditions, il devenait nécessaire d’améliorer la transparence et de réduire les éventuels conflits d’intérêts en prenant les mesures nécessaires pour que les acheteurs soient informés de la nature de la rémunération du distributeur et pour certains produits d’assurance-vie complexes, du coût total du contrat d’assurance notamment les frais liés aux conseils et aux services.
1. La notion de rémunération définie dans l’intermédiation… Comme nous l’avons vu, l’article R.511‑2 du Code des assurances définit strictement les intermédiaires habilités à exercer une activité d’intermédiation (art. L.511‑1 C. ass.), contre rémunération (24). Mais on peut noter que ledit code est presque totalement absent quant aux dispositions réglementant cette rémunération ! L’article R.511‑3 du Code des assurances (décret n° 2006‑1091 du 30 août 2006) énonce : « I.– La rémunération prévue au deuxième alinéa du I de l’article L.511‑1 doit s’entendre comme tout versement pécuniaire ou toute autre forme d’avantage économique convenu et lié à la prestation d’intermédiation. II.– La rémunération allouée au titre de l’activité d’intermédiation ne peut être rétrocédée en totalité ou en partie qu’à l’un des intermédiaires mentionnés au I de l’article R.511‑2. À la demande de celle-ci, l’intermédiaire communique à la personne physique ou à la personne morale qui envisage de souscrire ou adhérer à un contrat d’assurance en raison de ses activités professionnelles le montant de la commission et de toute autre rémunération versée par l’entreprise d’assurance sur le contrat proposé. Cette obligation s’applique lorsque l’intermédiaire exerce selon les modalités prévues au c du II de l’article L.520‑1 et présente, propose ou aide à conclure un contrat, pour cette personne, dont la prime annuelle excède 20.000 euros. III.– La disposition ci-dessus ne fait pas obstacle à la rétrocession d’une commission d’apport aux indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R.511‑2, ou à signaler l’un à l’autre ».
2. … reste d’application limitée !
A. La quasi-absence de norme du régime existant… Il est assez étonnant de constater que contrairement à la transparence qui existe depuis la directive MIF de 2004 (23), il n’y a finalement que peu de transparence sur les rémunérations dans le domaine de l’assurance ! 21. D. Langé, « De la distinction entre offre d’un service d’assurance déterminé et offre d’un service d’intermédiation en assurance », Revue générale du droit des assurances, 1er avril 2014. 22. Voy. considérant n° 5 de la directive DDA : « Différents types de personnes ou d’organismes, tels que les agents, les courtiers et les opérateurs de bancassurance, les entreprises d’assurance, les agences de voyage et les sociétés de location de voitures peuvent distribuer des produits d’assurance. L’égalité de traitement entre les opérateurs et la protection des consommateurs suppose donc que l’ensemble de ces personnes ou institutions soient couvertes par la présente directive ». 23. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004. 2016/1
On notera que si les versements pécuniaires peuvent revêtir la nature de commissions ou d’honoraires, un doute subsistait sur le sort de certains défraiements. Quant aux autres formes d’avantages économiques, ils peuvent tout d’abord consister en une perte évitée. Serait ainsi « rémunéré » l’intermédiaire jouissant de moyens gratuitement mis à disposition par l’assureur en vue de réaliser son œuvre de commercialisation. Ils peuvent ensuite prendre la forme d’un gain ou une plus-value pour le distributeur. En ce sens, peu d’actes d’intermédiation pourraient prétendre à la gratuité. De fait, les personnes acceptant de commercialiser des contrats d’assurance contemplent naturellement le profit personnel qu’ils pourraient escompter de cette intervention. Ce profit doit néanmoins être convenu pour valoir rémunération, ce qui tendrait à réduire le champ des avantages économiques (25). 24. Voy. notamment M. Picard et A. Besson, Les assurances terrestres, t. II, Les entreprises d’assurance, Paris, LGDJ, 4e éd., 1977, p. 255. 25. P.-G. Marly, « Droit des assurances », Cours Dalloz, éd. Dalloz, 2013, p. 49.
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Dossier
La rémunération du distributeur de produits d’assurance
Dossier
Distribution de produits d’assurance
Certaines personnes pratiquant à titre onéreux une activité d’intermédiation en assurance échappent d’ailleurs à la qualité d’intermédiaire. Il en est ainsi des organismes d’assurance, ainsi que leurs salariés (26) et des personnes proposant de manière accessoire à leur activité principale, des contrats constituant un complément au produit ou service fourni (27). Sont implicitement visés par cette seconde dérogation, les commerçants distribuant des assurances couvrant les risques de défectuosité d’un produit vendu, ou encore les agences de voyage diffusant des assurances annulation ou des garanties d’assistance.
Les pays latins préfèrent sectoriser les évolutions en matière de protection du consommateur.
B. …va laisser place avec la DDA à de nouvelles mesures plus contraignantes…
2. …pour une réglementation harmonisée
On constate en pratique qu’il existe une multitude de modes de rémunération qui varie en fonction des modes de distribution (presque autant que de modes de rémunération que de modes de distribution). À titre non limitatif, il existe bien sûr le salariat (fixe et variable le plus souvent en fonction de la réalisation de certains objectifs) dans les réseaux bancaires ou les réseaux salariés des assureurs (y compris mutualistes) et le versement de commissions par les entreprises d’assurances dans les autres modes de distribution (courtage, la distribution directe, la grande distribution…) ou le paiement d’honoraires payés directement par le client (courtage).
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Il existe une multitude de
modes de rémunération qui varie en fonction des modes de distribution.
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1. Des visions politiques différentes…
La Commission a rencontré des difficultés à faire adopter la DDA. Pour des raisons traditionnelles qui tiennent à la difficulté de la gestion de la discussion entre les trois institutions : Commission, Conseil et Parlement. Mais aussi parce que les États membres ont des habitudes différentes. Les pays anglo-saxons et nordiques souhaitent mieux protéger le client (cfr le misselling en Angleterre) et rapprocher les réglementations des différents secteurs financiers (produits financiers et produits d’assurance). 26. C. ass., art. L.511‑1-II. 27. C. ass., art. R.513‑1. 12
Le décalage dans le temps de l’adoption des textes de la directive 2014/25/UE sur les Marchés d’Instruments Financiers (« MIF 2 ») et du règlement 1286/2014 sur les Documents d’Informations Clés (« DIC » ou Key Information Documents « KID » en anglais) relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance (« PIA » ou Packaged Retail and Insurance-based Investment Products « PRIIPS » en anglais) a aussi contribué à repousser la discussion de la DDA (28).
Comme indiqué ci-dessus, la DDA élargit tout d’abord la notion de distribution. La DDA définit (29) la notion de distribution d’assurance comme : « toute activité consistant à fournir des conseils sur des contrats d’assurance, à proposer des contrats d’assurance ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion, à conclure de tels contrats, ou à contribuer à leur gestion et à leur exécution, notamment en cas de sinistre, y compris la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le client sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication ». Les distributeurs de produits d’assurance sont « les intermédiaires d’assurance, tout intermédiaire d’assurance à titre accessoire ou toute entreprise d’assurance ». Et les intermédiaires sont : « toute personne physique ou morale autre qu’une entreprise d’assurance ou de réassurance ou leur personnel, et autre qu’un intermédiaire d’assurance à titre accessoire, qui, contre rémunération, accède à l’activité de distribution d’assurance ou l’exerce ». La DDA prévoit aussi que de nouvelles informations doivent être données au client ou prospect, notamment le mode de rémunération du vendeur et le statut de l’intermédiaire. Elle renforce les exigences de compétences professionnelles et le devoir de conseil. La rémunération est définie comme « toute commission, tout honoraire, toute charge ou tout autre type de paiement, y compris tout avantage économique de toute nature ou tout autre avantage ou toute autre incitation financière ou non financière, proposé ou offert en rapport avec des activités de distribution d’assurance ». 28. M. Roussille, « La commercialisation d’instruments financiers », Bulletin Joly Bourse, 1er mars 2014. 29. Art. 2 de la DDA.
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Le chapitre V de la DDA indique ensuite les informations à fournir et les règles de conduite pour tous les produits d’assurance. On y retrouve le fait que les distributeurs « agissent toujours de manière honnête, impartiale et professionnelle, et ce au mieux des intérêts de leurs clients » ainsi que « les communications publicitaires, adressées par le distributeur…, soient correctes, claires et non trompeuses » (30). L’article 17, 3) indique lui que : « Les États membres veillent à ce que les distributeurs de produits d’assurance ne soient pas rémunérés ou ne rémunèrent pas ni n’évaluent les performances de leur personnel d’une façon qui aille à l’encontre de leur obligation d’agir au mieux des intérêts de leurs clients. Un distributeur de produits d’assurance ne prend en particulier aucune disposition sous forme de rémunération, d’objectifs de vente ou autre qui pourrait l’encourager, ou encourager son personnel, à recommander un produit d’assurance particulier à un client alors que le distributeur de produits d’assurance pourrait proposer un autre produit d’assurance qui correspondrait mieux aux besoins du client ». L’article 19 aborde la notion de conflit d’intérêt en indiquant qu’avant la conclusion d’un contrat d’assurance, un intermédiaire d’assurance doit fournir au client au moins les informations sur : « d) la nature de la rémunération reçue en relation avec le contrat d’assurance ; e) si, en relation avec le contrat d’assurance, il travaille : i) sur la base d’honoraires, c’est-à-dire une rémunération payée directement par le client ; ii) sur la base d’une commission de toute nature, c’est-à-dire une rémunération incluse dans la prime d’assurance ; iii) sur la base de tout autre type de rémunération, y compris tout avantage économique, proposé ou offert en rapport avec le contrat d’assurance ; ou iv) sur la base d’une combinaison de tous les types de rémunération visés aux points i), ii) et iii) ». À cette transparence s’ajoute le fait que « lorsque le client doit payer directement les honoraires, l’intermédiaire d’assurance communique au client le montant des honoraires ou, lorsque cela n’est pas possible, la méthode de calcul des honoraires ». Des dispositions existent aussi sur la transparence des rémunérations lorsque des paiements sont réalisés par le client après la conclusion de l’opération (31).
30. Art. 17, 1. et 2. de la DDA. 31. Art. 19, 3. et 5. de la DDA. 2016/1
Notons encore que « Les États membres peuvent limiter ou interdire la possibilité d’accepter ou de recevoir des honoraires, commissions ou autres avantages monétaires ou non monétaires en rapport avec la distribution de produits d’assurance, versés ou fournis aux distributeurs de produits d’assurance par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers ». Le chapitre VI de la DDA va plus loin en ce qui concerne les produits d’investissement fondés sur l’assurance (32). L’article 29, 1. vise explicitement les coûts de conseil, s’il y a lieu « et la manière dont le client peut s’en acquitter, ce qui comprend également tout paiement effectué par des tiers ». L’article 29, 2. continue en indiquant : « Les informations relatives à l’ensemble des coûts et frais, y compris les coûts et frais liés à la distribution du produit d’investissement fondé sur l’assurance, qui ne sont pas causés par la survenance d’un risque du marché sous-jacent, sont agrégées afin de permettre au client de comprendre le coût total ainsi que l’effet cumulé sur le retour sur investissement, et, si le client le demande, une ventilation des coûts et frais par poste est fournie. Le cas échéant, ces informations sont fournies au client régulièrement, au minimum chaque année, pendant la durée de vie de l’investissement. Les informations visées au présent paragraphe sont fournies sous une forme aisément compréhensible… ». Mais surtout l’article 29, 2. indique : « …les États membres veillent à ce que les intermédiaires ou les entreprises d’assurance… lorsqu’ils versent ou reçoivent des honoraires ou une commission, ou fournissent ou reçoivent un avantage non monétaire…, l’avantage : a) n’a pas d’effet négatif sur la qualité du service fourni au client ; et b) ne nuit pas au respect de l’obligation de l’intermédiaire ou de l’entreprise d’assurance d’agir d’une manière honnête, impartiale et professionnelle au mieux des intérêts de ses clients ». Les intermédiaires pourront donc continuer à percevoir de l’assureur des commissions, à la condition que cette rémunération n’affecte pas la qualité du service rendu et son obligation d’agir honnêtement, loyalement et professionnellement dans le meilleur intérêt de son client. Notons qu’ici aussi « Les États membres peuvent imposer aux distributeurs des exigences plus strictes pour les matières régies par le présent article. En particulier, les États membres peuvent en outre interdire ou restreindre la perception ou l’acceptation d’honoraires, commissions ou avantages non monétaires de la part 32. Un produit d’investissement fondé sur l’assurance est un produit d’assurance comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations du marché, à l’exception de certains produits (voy. art. 2 de la DDA).
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Dossier
La rémunération du distributeur de produits d’assurance
Dossier
Distribution de produits d’assurance
de tiers en relation avec la fourniture de conseils en assurance. Ces exigences plus strictes peuvent prévoir d’exiger que ces honoraires, commissions ou avantages non monétaires soient remboursés au client ou compensés par les honoraires versés par le client ».
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Les intermédiaires
pourront donc continuer à percevoir de l’assureur
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des commissions.
Il est intéressant de constater finalement que la directive MIF 2, qui entrera en vigueur avant la DDA (33), modifie directement la directive DIA (34) en y introduisant la définition de « produits d’investissement fondés sur l’assurance » ainsi que plusieurs dispositions traitant du conflit d’intérêts. La DIA est donc modifiée comme suit : « 3. Les États membres peuvent interdire aux intermédiaires d’assurance et entreprises d’assurance d’accepter ou de percevoir des frais, des commissions ou d’autres avantages monétaires versés ou fournis par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers, en rapport avec la distribution aux clients de produits d’investissement fondés sur l’assurance » (art. 13quinquies Principes généraux et information des consommateurs). Pour terminer, nous rappellerons que le règlement DIC (relatif aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance), prévoit la mise en place d’un document d’informations clés à remettre aux clients de détail qui indiquera également les coûts : coûts directs et indirects (indicateurs synthétiques) et coût total agrégé (en montant et en pourcentage). Ce règlement est d’application directe dans l’Union à compter du 31 décembre 2016.
C. …qui ne seront pas sans conséquences sur les modes de distribution !
acteurs de l’assurance, à l’inverse des acteurs du monde financier, vont-ils opérer une « simple » mais nécessaire adaptation ? La réforme sur la transparence des rémunérations étant moins forte dans le domaine des produits d’assurance, il est probable qu’une simple adaptation sera suffisante… (35)
1. Un impact limité d’après la Commission… La Commission estime que le coût pour la première année d’application de la DDA serait de 617 millions d’euros, soit environ 0,06 % des primes brutes émises en 2009, soit selon la Commission, 600 à 700 euros par entreprise, ce qui ne paraît pas majeur (36). Les professionnels soulignent toutefois l’extension du domaine d’application à de nombreux métiers non concernés par la DIA. Il faudra aussi adapter les documents contractuels pour faire apparaître l’information nécessaire sur la rémunération des commerciaux. Mais à la suite des discussions sur la directive MIF 2, on pouvait s’attendre à ce que le monde de l’assurance soit beaucoup plus fortement impacté encore, dans la mesure où cette directive indiquait que « pour assurer la protection en toutes circonstances de la clientèle de détail, et assurer des conditions de concurrence égales entre des produits similaires, il importe que les produits d’investissement fondés sur l’assurance soient soumis à des exigences appropriées ». La raison mentionnée consistait à indiquer que « les investissements qui impliquent des contrats d’assurance sont souvent proposés aux consommateurs comme des alternatives ou des substituts possibles aux instruments financiers relevant de la présente directive ». Et de continuer en indiquant que « le futur droit de l’Union encadrant les activités des intermédiaires et entreprises d’assurance devrait donc, de manière appropriée, assurer une approche réglementaire cohérente concernant la distribution de différents produits financiers qui répondent à des besoins similaires des investisseurs et posent donc des problèmes comparables en ce qui concerne la protection de ceux-ci » (37).
Allons-nous vers un big bang dans la distribution des produits d’assurance, ou de manière plus réaliste, les
C’est pour cela que le considérant 88 de la directive MIF 2 affirmait qu’« il y a lieu de modifier la directive 2002/92/CE (la DIA) de manière à aligner les règles concernant les conflits d’intérêts, les principes généraux et l’information des clients de manière à permettre aux États membres d’imposer des restrictions à la rémunération des intermédiaires d’assurance ».
33. La directive MIF 2 entrera en vigueur début 2017 (notons que dans un communiqué de presse de la Commission du 10 février 2016, celle-ci a proposé de prolonger d’un an le délai d’entrée en vigueur de la directive MIF 2, qui est désormais fixée au 3 janvier 2018), la DDA sera transposée 2 ans au plus tard après sa publication, donc après la directive MIF 2 (et en pratique au plus tard le 23 février 2018). 34. Article 91 de la directive MIF 2.
35. G. Kolifrath, « Les rétrocessions de commissions : une révolution des systèmes de rémunération ? », R.I.S.F., 2015/2, pp. 7 et s. 36. A. Fallet, « Intermédiation : vers une nouvelle directive DIA », Banque & Stratégie, n° 336, 11 mai 2015. 37. Considérant 88 de la directive MIF 2.
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Mais finalement le monde de l’assurance a fait valoir, à juste titre, que l’« assurance » n’était pas qu’un produit financier ! Et les assureurs ont été entendus… (38) Les représentants des assureurs, des agents généraux et des courtiers ont publié dès octobre 2012 une position commune pour indiquer que la variété des modes de distribution rendait impossible la comparaison des informations portant sur la rémunération du vendeur, avec le risque de « détourner l’attention du client de éléments pertinents du contrat ». Dans son rapport publié en décembre 2013, l’eurodéputé Werner Langen indiquait lui aussi qu’« il est à craindre qu’une obligation générale d’informer les clients des commissions et rémunérations variables perçues ne contribue pas à renforcer la protection des consommateurs, mais engendre une concurrence axée sur le niveau des commissions et des honoraires ».
2. …qui au final n’est pas neutre tout de même ! Les Fédérations professionnelles (FFSA (39), AGEA (40) et la CSCA (41)) soulignent que les dispositions de la DDA se traduisent par une augmentation des coûts. Elles avancent trois arguments : – la distinction entre finance et assurance doit être maintenue ; – la transparence est coûteuse et détourne l’attention du client des fondamentaux du contrat (garanties, franchises, primes) ; et – le non-respect des spécialités nationales. Elles soulignent aussi le caractère imprécis du texte qui contient un risque d’insécurité juridique (« agit de façon professionnelle et honnête, dans le meilleur intérêt du client »). Les courtiers font valoir que la DDA va rendre la situation plus confuse qu’aujourd’hui. Le client ne risque- t‑il pas de se perdre dans la masse d’informations qui lui est prodiguée ? D’une manière générale les assureurs sont dubitatifs sur les bienfaits de la DDA pour les consommateurs : crainte d’une forte polarisation de l’attention du client sur la seule rémunération du courtier, privilège donné aux offres les plus basses, multiples questions sur le devoir de conseil, l’impartialité entre le salarié et mutuelle qui l’emploie. 38. L’article 43 de la DDA prévoit la suppression du chapitre III de la DIA (Informations à fournir par les intermédiaires) au 23 février 2016. L’article 44 de la DDA prévoit que la DIA, telle qu’elle est modifiée par la directive MIF 2 est abrogée avec effets au 23 février 2018. 39. La FFSA est la Fédération Française des Sociétés d’Assurances. 40. L’AGEA est la Fédération Nationale des Syndicats d’Agents Généraux d’Assurance. 41. La CSCA est la Chambre Syndicale des Courtiers d’Assurances. 2016/1
L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, en revanche, souligne l’importance d’apporter plus de cohésion dans les textes relatifs à la protection du consommateur. Elle est fermement opposée à la possibilité de procéder à la vente de contrats sans conseil, qui serait un recul important par rapport à la réglementation en vigueur en France.
Conclusion Le fonctionnement commercial des entreprises d’assurances et celui de leurs réseaux commerciaux va devoir s’adapter. En tout état de cause, il n’en demeure pas moins que la DDA maintient effectivement la distinction finance/assurance. Quoi qu’il en soit, « les commissions sont sauvées » ! Le « ouf de soulagement » vient surtout de la disparition de la menace qui pesait sur le modèle économique de la distribution d’assurance à la française… (42) En effet, jusqu’au dernier moment, il a été envisagé d’interdire la rétrocession de commission (43). Cela aurait conduit à imposer à toute l’Europe le modèle de la rémunération sous forme d’honoraires payés directement par le client au distributeur. La DDA, respectueuse des particularismes des différentes pratiques en Europe, valide les deux systèmes.
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Jusqu’au dernier
moment, il a été envisagé d’interdire la rétrocession
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de commission.
La transposition de la DDA reste à surveiller, dans la mesure où la Commission reste en mesure de faire des ajustements en adoptant des actes délégués et parce que la DDA est aussi une directive d’harmonisation minimale. Gageons que la DDA elle-même constituera un garde-fou en exigeant que la transposition ne doive pas être l’occasion de faire peser sur les assureurs une charge administrative disproportionnée par rapport à l’objectif de protection des consommateurs (44)…
42. E. Durand et J. Speroni, « Ouf, le modèle de distribution est préservé », L’argus de l’assurance, n° 7424, 18 septembre 2015. 43. G. Kolifrath, « Les rétrocessions de commissions : une révolution des systèmes de rémunération ? », R.I.S.F., 2015/2, pp. 7 et s. 44. Considérant 52 de la DDA et article 41 de la DDA.
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Dossier
La rémunération du distributeur de produits d’assurance
Dossier
Distribution de produits d’assurance
Directive IDD ou la fin de l’homogénéité de la réglementation relative aux produits d’assurance ?
Gimy Vela Rodriguez
Juriste en droit des assurances Société générale
Sans retourner trop en arrière, il est utile de rappeler qu’une première directive relative à la distribution d’assurances (IMD1 Intermédiation en assurances) encadre déjà l’exercice de l’intermédiation en assurances au niveau européen (1) avec, notamment, sans les détailler, des exigences d’enregistrement en tant qu’intermédiaires en assurances, de niveaux de compétence professionnelle, d’honorabilité et surtout une amélioration de l’information et du conseil apporté aux clients assurés. Cette directive, d’harmonisation minimale, s’appliquait bien à l’ensemble des produits d’assurances quels qu’ils soient. Elle a été transposée en droit français par le biais de la loi dite DDAC (Diverses Dispositions d’Application au droit Communautaire en assurances) du 15 décembre 2005 (2). Cependant, dans les faits, l’application et la transposition de cette directive varient d’un pays à l’autre puisque les marchés de l’assurance à l’intérieur de l’Union européenne sont clairement fragmentés. À titre d’exemple, on peut citer le modèle de la distribution de produits d’assurance en France, avec un conseil précontractuel obligatoire, qui est relativement éloigné de celui qui domine dans d’autres pays dont l’approche est nettement plus « anglo-saxonne », dans lequel le consommateur est davantage conduit à choisir le niveau de service et de conseil prodigué par le vendeur (distributeur d’assurances). Ce constat de la Commission européenne a abouti à mettre en relief d’importantes disparités, notamment en ce qui concerne les exigences d’information imposées aux vendeurs de produits d’assurances, mais également à s’inquiéter du fait que les clients risquent de mal comprendre les risques, les coûts et les caractéristiques des produits d’assurances. Citons également la dernière crise financière qui a entraîné, toujours selon la Commission européenne, une grande méfiance des consommateurs européens 1. Directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance (IMD1) du 9 décembre 2002. 2. Loi n° 2005‑1564 du 15 décembre 2005 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance. 16
vis-à-vis des marchés financiers et, partant, elle a estimé qu’il était important de rétablir la confiance. À cet effet, elle a considéré qu’il était nécessaire et primordial d’améliorer la protection du consommateur face à tout service, en particulier financier. La Commission a alors cherché à améliorer cette protection en privilégiant une réglementation transversale visant notamment à harmoniser les conditions de vente de ces services financiers. Cet objectif a entraîné la parution de trois textes, dont la directive relative à la distribution en assurances : – directive MIF 2 (Marché d’Instruments Financiers) parue le 15 mai 2014 avec une entrée en application officielle le 3 janvier 2017 ; – règlement PRIIP’s – Packaged Retail Investment and Insurance based Products – (pour « information précontractuelle pour les produits d’investissement et d’assurances ») paru le 26 novembre 2014 avec une entrée en application officielle le 31 décembre 2016. En ce qui concerne la directive IDD (« Insurance Distribution Directive »), il a fallu tout de même plus de trois longues années pour aboutir à un texte définitif puisque c’est le 3 juillet 2012 que la Commission a adopté une proposition de révision de la directive d’intermédiation en assurance de 2002 (directive que l’on a alors dénommée « IMD2 ») et transmise au Parlement européen pour débat. Après de nombreux échanges entre la Commission, le Parlement et le Conseil, ainsi que la consultation des États membres et des professionnels, un accord politique entre le Parlement et le Conseil est intervenu à Bruxelles, le 30 juin 2015, sur une nouvelle directive relative à la distribution en assurance. Le Parlement européen a enfin voté le 24 novembre dernier le projet définitif de directive sur la distribution d’assurances (IDD) qui, élément non négligeable, a changé de nom afin d’étendre son champ d’application à tous les modes de distribution des produits d’assurance quel que soit le canal, au-delà de la seule intermédiation en assurances. Le Conseil européen l’a également voté dans les mêmes termes le 14 décembre 2015. La directive IDD du 20 janvier 2016 a enfin été publiée au Journal officiel de l’Union européenne (J.O.U.E.) le 4 février 2016 avec une entrée en vigueur 20 jours après sa publication. Cette directive devra enfin être transposée par les États membres au plus tard 24 mois après sa date d’entrée en vigueur et, tout comme la directive IMD1, elle est d’harmonisation minimale (3) afin de permettre les 3.
Considérant 3 de la directive IDD.
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adaptations nécessaires aux spécificités des marchés et des réglementations existantes dans chacun des États membres de l’Union européenne. Elle leur permet de maintenir ou d’introduire des dispositions plus strictes visant à protéger les consommateurs, à condition que ces dispositions soient compatibles avec le droit de l’Union. La directive précise tout de même que les consommateurs doivent pouvoir bénéficier du même niveau de protection, en dépit des différences entre réseaux de distribution, en particulier s’agissant des obligations d’information. Ceci étant, cette étude sera limitée à analyser le champ d’application de cette nouvelle directive avec un focus sur les incidences sur les produits d’assurance eux-mêmes.
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En application de
cette directive, les contrats d’assurances ne se verront pas tous appliquer la même réglementation.
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Il est important de souligner que l’adoption de cette directive va entraîner une première en droit des assurances, notamment en France. En effet, en application de cette directive, les contrats d’assurances, au moins d’un point de vue juridique, ne se verront pas tous appliquer la même réglementation. Ainsi, d’abord, le volet dit « général » s’applique à tous les produits d’assurances quels qu’ils soient, puisqu’il s’agit en pratique des règles communes devant s’appliquer aussi bien aux intermédiaires en assurances qu’aux entreprises d’assurance. Puis, le volet dit « supplémentaire », qui prévoit les règles que l’on peut qualifier de « complémentaires », s’impose aux distributeurs de produits d’assurances qualifiés de « Produits d’Investissement fondés sur l’Assurance ». Enfin, un régime, que l’on peut qualifier de « light », s’appliquera selon les cas aux distributeurs d’assurance à titre accessoire pour les produits d’assurance dits « affinitaires ». Ceci étant dit, et au préalable, on peut se demander si la nouvelle définition retenue par le législateur européen concernant le « distributeur d’assurances » est la même que celle concernant l’intermédiaire en assurance par la directive IMD1. 2016/1
I. Nouvelle définition du « distributeur en assurance » Entre dans l’activité de distribution d’assurance, au sens de cette directive, l’activité qui consiste à (4) : – fournir des conseils sur des contrats d’assurance ; – proposer des contrats d’assurance ou de réassurance ou réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion ; – conclure de tels contrats ou aider à les conclure ; – aider à la gestion et à l’exécution de ceux-ci, en particulier en cas de sinistre. Entrent également dans le champ d’application les activités de comparaison notamment sur internet, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication. A contrario, nous pouvons donc en conclure que les comparateurs tenus par les organismes publics semblent hors du champ d’application de cette directive dans la mesure où ils ne visent pas la conclusion du contrat mais la seule comparaison des produits. En revanche, les termes « présenter les contrats » ne sont plus visés par la directive, contrairement à l’activité de conseil qui apparaît, semble-t‑il, plus clairement que dans le champ d’application d’IMD1. A contrario, sont donc exclues de la définition de cette directive : – les activités de gestion, d’estimation et de liquidation de sinistres sur une base professionnelle ainsi que l’activité d’expertise ; – la simple fourniture d’information à un client potentiel sur un produit ou sur un intermédiaire ou une entreprise d’assurance à condition qu’il n’y ait aucune aide à la conclusion du contrat (cela donc en excluent les indicateurs d’assurances à la française). Quid des produits d’assurance dits « affinitaires » ? Au sujet de ces produits d’assurance, la Directive décrit deux régimes pour les distributeurs à titre accessoire des produits d’assurance « affinitaires » : le régime dit « dérogatoire » et le régime « aménagé ». Au préalable, la directive décrit ces « distributeurs à titre accessoire » comme étant « toute personne physique ou morale (…) qui contre rémunération, accède à l’activité de distribution d’assurances à titre accessoire (…) » (5), précisant expressément que les établissements de crédit ou les entreprises d’investissement sont désormais considérés comme n’étant pas des distributeurs d’assurance à titre accessoire (6). 4. Article 1er, Chapitre 1er, de la directive IDD. 5. Article 2, § 4, de la directive IDD. 6. Ibid.
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Dossier
Directive IDD ou la fin de l’homogénéité de la réglementation relative aux produits d’assurance ?
Dossier
Distribution de produits d’assurance
Pour rappel, le CCSF (7) a défini ces produits « affinitaires » comme étant « des assurances vendues comme l’accessoire d’un bien ou d’un service par un professionnel qui n’est ni l’assureur ni intermédiaire en assurances » (8). La directive précise qu’elle ne s’applique pas aux distributeurs d’assurance à titre accessoire de contrats (régime dérogatoire) : – couvrant les risques de mauvais fonctionnement, de perte ou endommagement du bien ou de non- utilisation du service fourni par ce fournisseur ; – couvrant les risques d’endommagement ou la perte de bagages ou autres risques liés à un voyage réservé auprès de ce fournisseur ; – dont le montant de la prime ne dépasse pas 600 EUR par an ; – par dérogation, pour les assurances complémentaires à un service dont la durée n’excède pas 3 mois, lorsque le montant de la prime fixe ne dépasse pas 200 euros par personne et par contrat. Cette exclusion, qui existe déjà dans la précédente directive et a été transposée en France à l’article R.513‑1 du Code des assurances, permet donc d’exclure certains contrats d’assurance dits « affinitaires » de la réglementation issue de la transposition de la directive IMD1 en France. En pratique, cette filière couvre un large spectre de produits et de services (voyages, cartes bancaires, produits de téléphonie …). Ceci dit, et c’est une nouveauté de la nouvelle directive IDD, les distributeurs d’assurance, cités ci-dessus, qui utilisent ces réseaux de distributeurs à titre accessoire exonérés doivent s’assurer que : – le client est informé préalablement à la conclusion du contrat de leur identité et adresse ainsi que des procédures de réclamations ; – des mesures appropriées et proportionnées ont été prises pour le respect des dispositions de la directive concernant : • le devoir de loyauté, d’honnêteté et professionnalisme envers le client et dans le meilleur intérêt de celui-ci ;
Enfin, le « régime aménagé » concerne en pratique les distributeurs à titre accessoire de produits d’assurance affinitaires non couverts par les dérogations ci-dessus énumérées qui sont soumis à toutes les dispositions de la directive. Des aménagements sont prévus, en application du principe de proportionnalité, concernant les obligations de capacité professionnelle, de formation continue et d’assurance de responsabilité civile professionnelle. Quid de l’encadrement des ventes croisées (9) ? Ce type de vente a fait l’objet de débats importants au sein de la Commission européenne, ce qui a mis en avant les différentes philosophies sur le sujet notamment entre les législations françaises d’un côté et anglo-saxonnes et allemandes de l’autre notamment. Les dispositions prévues par cette directive ne concernent en aucun cas les « packages » comprenant uniquement des produits d’assurance ou les contrats dits « multirisques ». Une distinction est faite entre la situation dans laquelle le produit d’assurance est l’objet principal de la vente et le cas où le produit d’assurance est accessoire au produit ou service autre que le produit d’assurances. Dans le premier cas, lorsque le produit d’assurance est distribué au principal avec un produit ou service autre qu’un produit d’assurance, le distributeur informe le client s’il est possible d’acheter les deux composantes séparément. Dans le deuxième cas, lorsque le produit d’assurance est proposé en accessoire du produit ou service autre que l’assurance distribué au principal, le distributeur doit proposer la possibilité au client d’acheter les composantes séparément (c’est donc une sorte d’interdiction de la vente liée).
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Dans le cas où le produit
distribué au principal est un produit ou service bancaire, les règles en
• les modes de rémunération qui ne doivent pas être contraires à l’obligation d’agir dans le meilleur intérêt des clients ;
matière de vente croisée
• les ventes croisées ;
des directives dont
• le test des besoins et demandes du client, afin de s’assurer que le produit proposé est « compatible » avec ces besoins et demandes ;
relèvent ces produits ou
• la fourniture du document d’information standardisé avant la conclusion du contrat. 7. 8. 18
Comité Consultatif du Secteur Financier. CCSF, Rapport annuel 2013, p. 52.
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service s’appliquent. 9.
Article 24 de la directive IDD.
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Il est évident, en revanche, que dans le cas où le produit distribué au principal est un produit ou service bancaire, les règles en matière de vente croisée des directives dont relèvent ces produits ou service s’appliquent. L’AEAPP (10) pourra élaborer des orientations pour l’évaluation ou la surveillance des pratiques de ce type de ventes en précisant dans quelles situations les pratiques en question ne respectent pas les obligations énoncées par la directive.
Notons que ce principe consistant à identifier un marché cible pour chaque produit pourrait être considéré comme allant à l’encontre du principe connu et reconnu en droit des assurances selon lequel le produit doit être adapté aux besoins (caractère objectif) et exigences (caractère subjectif) du client. En effet, selon la réglementation en vigueur il ne doit pas s’agir d’un produit adapté à une catégorie de clients mais aux besoins propres et évoqués par le client lui-même.
Il est évident qu’il s’agit là d’un texte de compromis entre les différentes visions des États membres sur ce type de vente puisque la directive précise expressément que les États eux-mêmes peuvent maintenir ou adopter des mesure supplémentaires plus strictes ou intervenir au cas par cas pour interdire la vente d’une assurance avec un service ou produit accessoire qui n’est pas une assurance, lorsqu’ils peuvent prouver que des telles pratiques peuvent porter préjudice aux droits des consommateurs.
Enfin, un contrôle périodique de l’adaptation des produits aux besoins de la clientèle cible doit être réalisé. Ce contrôle périodique s’exerce également sur l’adaptation de la stratégie commerciale pour la commercialisation de ces produits.
II. Nouveautés concernant la conception et gouvernance du produit
La directive précise, non sans raisons, que ces dispositions ne s’appliquent pas aux produits d’assurance qui consistent à assurer les grands risques et la réassurance.
(11)
Cette directive prévoit que les principes de la gouvernance et de la conception des produits s’appliqueront à tous les produits d’assurance, en tenant compte du type d’activité et de distributeurs et de la nature des produits commercialisés. Les principes de gouvernance sur les produits poursuivent deux objectifs qui prennent comme modèle le système issu de la directive MIF2 : – mettre en place des pratiques cohérentes, efficaces et effectives relatives aux mécanismes de gouvernance et de surveillance des produits ; – prévenir les ventes inappropriées de produits d’assurance dues à un défaut dans leur conception. Le texte prévoit la mise en place de procédure d’approbation des produits d’assurance (quels qu’ils soient : assurance sur la vie comme les assurances dommages) avant leur commercialisation ou lors de modifications substantielles apportées à ces produits. Cette procédure doit identifier un marché cible (12) pour chaque produit et s’assurer que les risques correspondant à cette clientèle cible ont bien été évalués et que la stratégie commerciale lui est adaptée. 10. Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles. En anglais EIOPA European Insurance and Occupational Pensions Authority. 11. Article 25 de la directive IDD. 12. P. Pailler, « Appréciation du “marché cible” en matière de commercialisation de produits », R.I.S.F., 2015/4, p. 78. 2016/1
La Commission peut également adopter des actes délégués en vue de préciser ces nouveaux principes dans la distribution des produits d’assurance en tenant compte de manière proportionnée des activités exercées, de la nature des produits d’assurance vendus et de la nature du distributeur.
Reste à savoir comment cette règle viendra s’appliquer, en pratique, en plus des obligations de gouvernance issues de l’application de Solvabilité II (13).
III. Volet supplémentaire concernant les « Produits d’Investissement fondés sur l’Assurance » (14)
Ce volet prévoit un certain nombre d’exigences supplémentaires à celles qui s’appliquent à la distribution d’assurances lorsque cette distribution est liée à la vente de Produits d’Investissement fondés sur l’Assurance (ci-après « PIA »). À noter que les dispositions introduites par l’article 91 de la directive MIF 2 (15) seront abrogées dès la publication au J.O.U.E. de la directive IDD. En effet, ces dispositions ont été reprises, moyennant un ajout concernant l’application du principe de proportionnalité, qui a modifié la directive IMD1, relatives à l’obligation de mettre en place des procédures de détection, 13. Directive 2009/138 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice. 14. Chapitre VI de la directive IDD (art. 26, 27, 28, 29 et 30). 15. G. Vela-Rodiguez, « Article 91 de la Directive MIF2 ou le nouvel encadrement des Produits d’investissement fondés sur l’assurance par la MIF2 (faut-il désormais évoquer la “Directive IMD 1.5” ?) », R.I.S.F., 2015/1, p. 92.
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Dossier
Directive IDD ou la fin de l’homogénéité de la réglementation relative aux produits d’assurance ?
Dossier
Distribution de produits d’assurance
prévention, gestion ou, en dernier ressort, révélation des conflits d’intérêt. La Directive donne la définition suivante (16) « un produit d’assurance comportant une durée de vie ou une valeur de rachat qui est totalement ou partiellement exposée, de manière directe ou indirecte, aux fluctuations du marché, hormis : – les produits d’assurance non vie énumérés à l’annexe 1 de la directive 2009/138CE (pour branches d’assurance non vie) ; – les contrats d’assurance-vie lorsque les prestations prévues par le contrat sont payables uniquement en cas de décès ou d’incapacité due à un accident, à une maladie ou à une infirmité ; – les produits de retraite qui sont reconnus par le droit national comme ayant pour objectif principal de fournir à l’investisseur un revenu lorsqu’il sera à la retraite, et qui lui donnent droit à certaines prestations ; – les régimes de retraite professionnelle officiellement reconnus qui relèvent du champ d’application de la directive 2003/41/CE ou de la directive 2009/138/CE ; – les produits de retraite individuels pour lesquels une contribution financière de l’employeur est requise en vertu du droit national, et pour lesquels l’employeur ou le salarié ne peut choisir ni le produit de retraite ni le fournisseur du produit. Autrement dit, et en ce qui concerne la France, les dispositions de ce volet supplémentaire devront s’appliquer aux mêmes contrats d’assurance faisant partie du champ d’application de PRIIP’s (17). En pratique, ce volet s’applique à la commercialisation des contrats d’assurance de type épargne, en euros et en unités de compte, à l’exception des contrats d’assurance non-vie, des assurances temporaire-décès, de l’assurance dite des emprunteurs (assurance DIT – décès, perte totale et irréversible d’autonomie, invalidité permanente, incapacité temporaire de travail – en couverture des prêts), d’épargne retraite collectif obligatoire ou facultative comme le PERP (plan d’épargne retraite populaire). En effet, dans les types de contrats dits d’épargne c’est bien le souscripteur/assuré qui supporte le risque financier puisque l’assureur n’est engagé que sur un nombre d’unités de compte et non pas sur leur valeur. La valeur de ces unités de compte n’est donc pas garantie par l’assureur et elle varie bien en fonction des fluctuations des marchés financiers.
16. Article 2, § 2, de la directive IDD. 17. Article 2 du règlement PRIIP’s. Voy. G. Vela- Rodriguez, « PRIIP’s ou le début de l’homogénéisation du devoir d’information pour l’assurance sur la vie en Europe », R.I.S.F., 2014/3, p. 91. 20
La question de l’inclusion des contrats en devises (en euros) au sein des produits impactés n’est pas aussi simple puisque ce type de contrat est caractérisé par le fait qu’ils offrent une garantie en capital proposée par les assureurs sur la vie, majorée chaque année d’un rendement, stipulé dans le contrat d’assurance sur la vie sous la forme d’un taux (de participation aux bénéfices notamment). Ces contrats sont financièrement investis sur l’actif général ou le fonds en euro de l’assureur, et de ce fait, contrairement aux contrats en unités de compte, le risque n’est pas supporté par l’assuré mais par l’assureur lui-même. Cela étant dit, à juste raison, on peut estimer que les primes versées par les assurés sont bien investies par les assureurs dans des actifs représentatifs (par ailleurs éligibles en tant qu’unités de compte) et de ce fait, ce type de contrat entre bien dans le champ d’application des produits impactés. N’oublions pas enfin que l’objectif de la Commission était d’harmoniser la réglementation pesant sur les produits financiers en privilégiant la protection du consommateur et il est normal de concevoir, du moins en France, que les contrats en unités de compte et les contrats en euros soient traités de la même manière. La solution contraire aurait entraîné de facto qu’un même contrat d’assurance (dit « multisupports ») soit soumis à deux corps de règles différents.
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L’objectif de la
Commission était d’harmoniser la réglementation pesant sur les produits financiers en privilégiant la protection
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du consommateur.
Il résulte donc que ces contrats d’assurance vie multisupports (en unités de compte ainsi que le support en euros en tant que sous-jacent) entrent bien dans le champ d’application de ces nouvelles dispositions. Les principales dispositions de ce volet supplémentaire sont, outre l’obligation d’informer les clients sur « tous les coûts et frais liés qui doivent être communiqués » (18), ce qui tend à rapprocher ce volet supplémen-
18. Article 29c), de la directive IDD.
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taire des obligations issues de la MIF2, les éléments suivants : – la prévention de conflits d’intérêt (19) ; – l’évaluation de l’adéquation du produit et du caractère approprié (20). 19. Articles 27 et 28 de la directive IDD. 20. Article 30 de la directive IDD.
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Les innovations issues de ce texte, aussi nombreuses soient- elles (notamment sur la segmentation des produits d’assurance et la « MIFidisation » des PIA/ PRIIP’s) ne devraient pas bouleverser la distribution des produits d’assurances en Europe et en particulier en France. Ceci dit, les différentes consultations qui vont débuter désormais en ce qui concerne les textes de niveau II seront à suivre avec attention.
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Dossier
Directive IDD ou la fin de l’homogénéité de la réglementation relative aux produits d’assurance ?
Dossier
Distribution de produits d’assurance
Quelle évolution des obligations d’information de l’intermédiaire en assurances ?
Les perspectives ouvertes par la proposition « DIA 2 »(1) Jérôme Chacornac (1)
Maître de conférences à l’Université Panthéon Assas (Paris II)
L’information du souscripteur a constitué une préoccupation centrale des législateurs nationaux (2), bien avant l’adoption de la directive 2002/92/CE sur l’intermédiation en assurance (3). À défaut de tout support textuel, c’est la jurisprudence qui a pris l’initiative d’assurer l’information des souscripteurs en mettant à la charge des différents intermédiaires des obligations d’information et de conseil (4). Les institutions européennes ne pouvaient que se saisir du constat de l’asymétrie d’information au moment de la conclusion du contrat d’assurance, à l’orée d’une démarche d’harmonisation rendue nécessaire par la multiplication des multiples figures d’intermédiaires en assurance connues des différents droits nationaux (5). Le premier résultat de cet effort d’har1.
Le texte définitif a été publié alors que cette contribution avait déjà été envoyée. La numérotation des dispositions examinées a été décalée mais leur teneur n’a pas, entre temps, subi de changement substantiel selon l’angle d’étude qui a été adopté. Pour la numérotation définitive et le contenu des dispositions examinées, on renverra donc aux chapitres V et VI de la directive (UE) 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (refonte), J.O.U.E., 2 février 2016, L.26/19. 2. Pour le droit français, sur l’ensemble de la question, L. Bloch, « Devoir d’information et de conseil en matière d’assurance », JurisClasseur Resp. civ. et ass., Fasc. 506. Sur le constat progressif des insuffisances de la seule obligation pesant sur le souscripteur issue de la loi du 13 juillet 1930 ayant conduit au renversement de la charge de la preuve de l’exécution de cette obligation au détriment de l’assureur par la loi n° 89‑1014 du 31 décembre 1989 portant adaptation du Code des assurances à l’ouverture du marché européen, et l’émergence dans cette même loi de l’obligation d’information pesant sur l’assureur, voy. les développements de V. Nicolas, Droit des contrats d’assurance, Economica, 2012, nos 335 et s., pp. 144 et s. 3. Directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l’intermédiation en assurance, J.O.C.E., n° L 009, du 15 janvier 2003, pp. 0003‑0010. 4. Par exemple, pour les courtiers, aujourd’hui régis par les articles L.530‑2‑1 à L.530‑3 du C. ass. ; Cass. 1re civ., 10 novembre 1964, JCP G, 1965, II, 13981, note P. P. 5. Sur le phénomène en France et la recherche d’harmonisation par le droit européen, voy. V. Nicolas, op. cit., n° 284‑285, pp. 123‑124. 22
monisation réside donc dans les articles 12 et 13, du chapitre III de la directive 2002/92/CE. Le très volumineux premier, tout comme le plus modeste second, ont été codifiés en droit français dans le Livre V du Code des assurances, selon un découpage logique plutôt obscur entre sa partie législative (6) et réglementaire (7). Quoi qu’il en soit, le contenu des dispositions issues de la directive se retrouve donc en intégralité en droit français, dans les articles L.520‑1, R.520‑1 et R.520‑2 du Code des assurances, qui n’ont connu que des modifications de détail depuis la transposition du dispositif européen (8). Par sa résolution législative du 24 novembre 2015 (9) arrêtant sa position en première lecture, le Parlement européen a annoncé de profondes modifications à venir du dispositif en vigueur. En s’appuyant sur une version dont on peut penser qu’elle sera quasi identique au texte définitif qui devrait prochainement être adopté, notre propos est de mesurer l’importance des évolutions emportées par le futur texte sur le terrain des obligations d’informations qui pèsent sur les intermédiaires en assurance. Une première analyse des textes fait immédiatement apparaître, d’un point de vue strictement quantitatif, une extension des obligations qui pèsent sur les intermédiaires. Les obligations d’information ne font plus l’objet d’un déve6.
Issue de la loi n° 2005‑1564 du 15 décembre 2005 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance. 7. Décret n° 2006‑1091 du 30 août 2006 relatif à l’intermédiation en assurance et modifiant le Code des assurances (partie réglementaire). 8. Un nouveau III a été ajouté à l’article L.520‑1, par l’ordonnance n° 2009‑106 du 30 janvier 2009 portant sur la commercialisation des produits d’assurance sur la vie et sur des opérations de prévoyance collective et d’assurance, afin d’aligner les obligations d’information dues par les intermédiaires sur celles exigées à l’occasion de la conclusion d’un contrat comportant des valeurs de rachat, d’un contrat de capitalisation, ou avant l’adhésion à un contrat mentionné à l’article L.132‑5‑3 ou à l’article L.441‑1, en soumettant les intermédiaires aux dispositions de l’article L.132‑27‑1. Les modifications de l’article R.520‑1 n’ont procédé que du changement de nom de l’autorité nationale de supervision (ACAM, puis ACP, puis ACPR) et, en dernier lieu, du décret n° 2015‑1382 du 30 octobre 2015 relatif à la médiation des litiges de la consommation, imposant à l’intermédiaire d’indiquer les modalités de recours à un processus de médiation dans les conditions prévues au titre V du livre Ier du Code de la consommation. 9. Résolution législative du Parlement européen du 24 novembre 2015 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’intermédiation en assurance (refonte) (COM(2012)0360 – C7‑0180/2012 – 2012/0175(COD)).
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loppement autonome mais se trouvent définies avec un grand luxe de détails nouveaux et sont désormais réparties dans deux chapitre du futur texte : le chapitre VI, intitulé « Informations à fournir et règles de conduite », et le chapitre VII, imposant des « Exigences supplémentaires de protection des consommateurs en ce qui concerne les produits d’investissement assurantiels ». Ainsi, de seulement deux dispositions, on passe à une dizaine, extrêmement détaillées, tout spécialement du fait de leur enrichissement considérable par les très nombreux amendements apportés par le Parlement, suite aux avis de la Commission sur le marché intérieur et la protection des consommateurs (10) et du groupe consultatif des services juridiques du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (11).
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Une première analyse des
textes fait immédiatement apparaître une extension des obligations qui pèsent sur les intermédiaires.
Ainsi, après avoir précisé le sens des évolutions quant à l’esprit du futur texte (I), on les envisagera dans le détail au regard de sa lettre (II).
I. L’esprit : l’inscription des obligations de l’intermédiaire au sein d’un droit commun des services financiers Avant même l’étude de détail du dispositif, le premier trait saillant du futur dispositif tient au fait qu’il repose sur l’introduction, dans le domaine de l’intermédiation en assurance, de techniques déjà utilisées par le législateur de l’Union en matière de services financiers. Plus spécialement, la future directive fait écho, à de nombreux égards, aux dispositions applicables aux prestataires de services d’investissement (13).
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Cette division en deux chapitres conduit à des répétitions, dans des ordres différents, de règles identiques ou analogues. Ainsi en va-t‑il, tout spécialement, de l’énoncé des mêmes principes généraux aux articles 15 et 24, relatifs tant à l’activité de l’intermédiaire en assurance qu’à la communication d’informations au client. À l’évidence, l’évolution quantitative s’est accompagnée d’un trop faible travail de systématisation qui conduit à rendre inutilement complexe la lecture du futur dispositif. Au-delà du constat purement quantitatif, on s’en tiendra à deux observations. Le texte s’inscrit dans un vaste mouvement d’harmonisation du cadre juridique applicable aux prestations de services financiers. Un temps « premier » dans l’élaboration d’un dispositif d’information destiné à éclairer les souscripteurs sur la portée de leur décision, le droit des assurances n’est plus aujourd’hui le tronc mais une simple branche d’un ensemble plus vaste : les services financiers (12). La méthode législative s’en ressent à de nombreux égards, qui permettent d’observer un rapprochement fondamental des dispositifs applicables à l’intermédiation en assurance et aux prestations de services d’investissement. En outre, au-delà du constat 10. 30 avril 2013 (COM(2012)0360 – C7‑0180/2012 – 2012/0175(COD)). 11. 3 juillet 2012 (COM(2012)360 – 2012/0175(COD)). 12. Sur la catégorie en droit européen, Th. Bonneau, « Législation financière et droit communautaire », in Le code de commerce 1807‑2007, Livre du Bicentenaire, Dalloz, 2007, p. 707. 2016/1
général de l’esprit, il faut mesurer l’importance des évolutions au détail, en revenant à la lettre du texte. Si certaines modifications sont de faible portée, d’autres sont beaucoup plus essentielles et il importe de le mesurer.
La future directive fait
écho aux dispositions applicables aux prestataires de services
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d’investissement.
Un tel rapprochement, révélateur de l’avènement d’un véritable « droit commun des services financiers », peut être observé tant au regard de l’inclusion des obligations d’information dans un ensemble de règles de conduite (A), qu’à celui des grands principes afférents à l’information des clients des intermédiaires en assurances (B).
A. Informations et règles de conduite Tandis que la directive 2002/92/CE traitait formellement les obligations d’information dans un chapitre 13. Sur lesquelles, en général, J. Chacornac, Essai sur les fonctions de l’information en droit des instruments financiers, préface de F. Drummond, Dalloz, 2014, nos 344 et s., p. 199.
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Dossier
Quelle évolution des obligations d’information de l’intermédiaire en assurances ?
Dossier
Distribution de produits d’assurance
qui leur était exclusivement consacré, la future directive, ainsi qu’il a été évoqué, en répartit le traitement dans ses chapitres VI et VII, en les associant aux « règles de conduite ». L’intitulé du chapitre VI semble ainsi associer dans un même ensemble des règles de conduite au sens strict aux « informations à fournir ». Au-delà de l’obscurité de cet intitulé, l’objectif est clair : inscrire l’information due par l’intermédiaire dans un objectif plus général tenant à la protection de l’intérêt des clients par une bonne exécution des obligations des intermédiaires. Cette idée est d’ailleurs exprimée à l’article 15, § 1er, de la proposition, sous l’intitulé « Principe général », qui dispose, dans des termes qui ne sont pas sans rappeler ceux de la directive MIF : « Les États membres exigent que, lorsqu’il ou elle exerce une activité d’intermédiation en assurance avec ou pour des clients, un intermédiaire d’assurance ou une entreprise d’assurance agisse toujours d’une manière honnête, loyale, fiable, professionnelle et en tout honneur, et dans le meilleur intérêt de ses clients ». Au fond, la nouvelle systématisation proposée ne fait qu’expliciter une donnée dont personne ne doutait : les obligations d’information mises à la charge des intermédiaires procèdent d’une exigence générale qui consiste, en substance, à assurer un bon fonctionnement du marché de l’intermédiation en assurance par la protection des intérêts des clients. L’information est ainsi présentée comme une condition parmi d’autres à la qualité de l’exécution des services proposés par l’instauration d’un rapport de confiance entre les intermédiaires et les clients. Cette systématisation se trouve cependant quelque peu obscurcie par la réitération de ce même principe général à l’article 24, inscrit dans le chapitre suivant, qui fixe des exigences supplémentaires de protection des consommateurs en ce qui concerne les produits d’investissement assurantiels. Quoi qu’il en soit, tant dans le chapitre VI que dans le chapitre VII, la conséquence de cette dilution des obligations d’information dans un ensemble plus vaste de règles de conduite, au service d’un principe général d’exercice des activités d’intermédiation aux services des clients, tient au voisinage des obligations d’information avec d’autres « règles de conduite » destinées à satisfaire au même but. L’organisation téléologique du futur texte explique ainsi que les deux chapitres en cause comportent des dispositions relatives à la prévention et à la divulgation des conflits d’intérêts, aux articles 17 et 23. Si c’était de manière implicite, le rapprochement entre information et prévention des conflits d’intérêts figurait déjà dans le précédent dispositif avec, entre autres, l’obligation faite à l’intermédiaire de révéler ses liens de participation supérieurs à 10 % avec une entreprise d’assurance (14), reprise par le futur texte (15) ou encore les conditions de respect de l’exigence d’impartialité de l’analyse, en fonction de l’échantillon retenu et de ses liens d’exclusivité avec 14. Article 12, § 1er, c) et d), de la directive 2002/92/CE, transposé à l’article R.520‑1, alinéa 2, du C. ass. 15. Prop. article 17, § 1er, a) et b). 24
une ou plusieurs entreprises d’assurance (16), également reprises (17). Cette information relative aux conflits d’intérêts est cependant fortement enrichie par de nombreuses indications à donner par l’intermédiaire sur ses conditions d’intéressement et de rémunération relatives à la conclusion du contrat d’assurance (18), concernant tant leur nature – commission, honoraires (19) – que la provenance d’une telle rémunération – l’assuré, l’entreprise d’assurance, un autre intermédiaire… (20) Ainsi, selon un mouvement analogue à celui qui a pu être observé en matière de prestation de services d’investissement, l’information se trouve intégrée à un tronc commun, au service de la qualité de l’activité d’intermédiation, qui ne suppose pas simplement l’éclairage de la décision du client mais également la fourniture d’éléments lui permettant d’apprécier l’intégrité de l’offre commerciale réalisée par l’intermédiaire, compte tenu des éléments de nature à introduire un biais dans ses recommandations résultant de conflits d’intérêts. En effet, comment ne pas voir dans ce futur article 15, § 1er, une influence de la formulation adoptée par la première directive « MIF » à son article 19, § 1er (21) et aujourd’hui reprise à l’article 24, § 1er, de sa nouvelle version (22) ? Cette dernière disposition figure également dans un développement intitulé « Dispositions visant à garantir la protection des investisseurs », dont l’information n’est qu’une expression – certes, sans doute la plus importante.
B. Principes généraux relatifs à l’information Il résulte du postulat d’une appartenance commune de l’information à un ensemble plus vaste d’exigences 16. Article 12, § 1er, alinéa 2 et § 2, de la directive 2002/92/ CE, transposé à l’article L.520‑1, II, du C. ass. 17. Prop. article 17, § 1er, c). 18. Prop. article 17, § 1er, e) – il s’agit sans doute désormais d’un d), le d) d’origine ayant été supprimé – au § 3 et article 17bis, autorisant les États membres à « instaurer ou maintenir des obligations d’information plus contraignantes envers les intermédiaires d’assurance et les entreprises d’assurance en ce qui concerne le montant des rémunérations, honoraires, commissions ou avantages non monétaires liés à l’intermédiation, à condition que l’État membre maintienne un niveau de concurrence équitable entre tous les canaux de distribution, ne crée pas de distorsion de la concurrence et respecte le droit de l’Union, et que les charges administratives qui en résultent soient proportionnées à la protection des clients qui est visée ». 19. Prop. article 17, § 1er, e). 20. Prop. article 17, § 1er, e)bis. 21. Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. 22. Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers.
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de qualité de l’intermédiation en assurance qu’il n’est pas de raison véritable de consacrer un développement hermétique aux obligations d’informations qui n’apparaissent alors que comme une déclinaison du principe général évoqué à l’article 15, § 1er, qu’annonce l’article 15, § 2 : « Toutes les communications, y compris commerciales, adressées par l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance à des clients ou à des clients potentiels sont correctes, claires et non trompeuses. Les communications commerciales sont clairement identifiables en tant que telles ». Cette règle, reprise dans des termes identiques à l’article 24, § 2, dans le chapitre VII de la proposition, constitue un enrichissement de la règle générale déjà posée à l’article 13, § 1er, b), de la directive 2002/92/CE selon lequel « toute information fournie aux clients en vertu de l’article 12 est communiquée : (…) b) avec clarté et exactitude, d’une manière compréhensible pour le client » (23). Là encore, le nouveau texte reprend l’agencement déjà adopté par les directives « MIF » dans leurs deux versions, qui font succéder à l’énoncé du principe général portant sur l’ensemble des règles de bonne conduite un principe « général particulier », propre à la qualité de l’information, que l’on retrouve à l’article 24, § 3, de la nouvelle directive « MIF » : « toutes les informations, y compris publicitaires, adressées par l’entreprise d’investissement à des clients ou à des clients potentiels, sont correctes, claires et non trompeuses. Les informations publicitaires sont clairement identifiées en tant que telles ». Cependant, dans la perspective générale adoptée par la proposition d’inscrire l’activité d’intermédiation en relation avec l’objet de l’activité soit, en définitive, la vente de produits, visée à l’article 22 ouvrant le chapitre VII, l’article 24 enrichit de manière substantielle les principes relatifs à l’information à ses paragraphes 3 à 5bis. Et sans doute là s’exprime avec le plus de force l’unité d’approche des services financiers par le législateur européen. Le texte précise en effet que des informations appropriées doivent être fournies sur l’indépendance de l’analyse fournie et le caractère approprié du produit d’investissement proposé (§ 3, a)), sur les produits et la stratégie proposée, assortie de mises en garde (§ 3, b)), sur les rémunérations éventuellement perçues de tiers par l’entreprise (§ 3, c)), le tout sous une forme compréhensible permettant aux clients ou clients potentiels de « comprendre la nature et les risques du type de produit proposé » (§ 4). Le législateur suit, là encore, une approche qui donne déjà ses traits fondamentaux à l’information exigée des prestataires de services d’investissement : l’exigence de compréhension par l’investisseur du produit proposé et la « personnalisation » de l’offre qui lui est adressée. Le futur texte va ainsi bien au-delà de la formulation générique qui résultait de l’article 12, § 3, de la directive 2002/92/CE, qui se limitait à imposer à l’intermédiaire de préciser « au minimum les exigences et les 23. Disposition transposée à l’article R.520‑2, alinéa 1er, du C. ass. 2016/1
besoins de ce client en même temps que les raisons qui motivent tout conseil fourni au client quant à un produit d’assurance. Ces précisions sont modulées en fonction de la complexité du contrat d’assurance proposé » (24). Au-delà de ces principes généraux, le surcroît de personnalisation de l’information en vue de l’adaptation toujours plus poussée du produit offert aux besoins du client trouve une traduction technique dans l’article 25 du futur texte, qui constitue l’innovation majeure sur le terrain des obligations d’information, en introduisant une obligation d’évaluation de l’adéquation et du caractère approprié du produit proposé. Il convient donc à présent d’évoquer plus en détail les modifications qui résultent de la lettre de la future directive.
II. La lettre : entre enrichissement et pointillisme En se concentrant à présent sur le contenu du futur dispositif, on peut distinguer deux types d’évolution. Les premières, majeures, introduisent de nouvelles et lourdes obligations à la charge des intermédiaires, dans le sens, évoqué dans le développement précédent, d’un enrichissement de l’intermédiation en assurances par des règles déjà applicables à d’autres intermédiaires financiers. Les secondes, plus minimes, n’emportent que des modifications réduites résultant pour l’essentiel de précisions apportées aux obligations d’information résultant de la directive 2002/92/CE. En schématisant, on peut ainsi distinguer les évolutions substantielles (A) et les modifications ponctuelles (B).
A. Les évolutions substantielles Les évolutions majeures du dispositif tiennent au contenu comme au champ d’application du futur texte. Quant à son contenu, l’innovation majeure de la proposition résulte, comme on l’a anticipé, de l’introduction d’un test d’évaluation et d’adéquation du caractère approprié, à l’image de celui que doivent réaliser les prestataires de services d’investissement (25). Si, dans sa version antérieure, la directive 2002/92/CE supposait déjà, à son article 12, § 3, un échange d’informations entre le client et l’intermédiaire permettant à celui-ci de satisfaire à ses obligations, ce « dialogisme » fera l’objet demain d’une disposition très longue et détaillée, invitant à faire varier l’étendue des obligations de l’assureur selon la nature du service proposé. L’analogie 24. Règle transposée à l’article L.520‑1, II, 2°, du C. ass. 25. Article 25 de la directive 2014/65/UE, op. cit.
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Quelle évolution des obligations d’information de l’intermédiaire en assurances ?
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Distribution de produits d’assurance
avec le droit financier est quasi parfaite (26) en ce que plus l’immixtion de l’intermédiaire dans la décision à prendre est poussée, plus l’échange d’information entre le client et l’intermédiaire est enrichi. La place de l’obligation de s’informer pour informer connaît ainsi une gradation par une réduction progressive de son objet à la mesure de la réduction du poids de l’intermédiaire ou de l’entreprise d’assurance sur la décision à prendre. Ainsi, lorsque celui-ci fournit des conseils, il doit se procurer « les informations nécessaires sur les connaissances et l’expérience du client ou du client potentiel dans le domaine d’investissement dont relève le type spécifique de produits, sa situation financière et ses objectifs d’investissement afin (…) de recommander (…) les activités d’intermédiation en assurance ou les produits d’investissement basés sur l’assurance qui lui conviennent » (art. 25, § 1er). Pour les autres activités, l’information est plus réduite, se limitant aux seules connaissances et expériences du client, hors sa situation financière et ses objectifs d’investissement et, à défaut de son obtention, il appartient à l’intermédiaire d’avertir le client qu’il n’est pas en mesure de déterminer si le produit proposé est approprié (art. 25, § 2). Enfin, au dernier étage, figurent les services techniques d’exécution d’ordres des clients – appelés execution only dans la pratique du droit financier – pour lesquels les intermédiaires et entreprises d’assurances sont autorisés à ne pas obtenir d’informations sur les clients, sous différentes conditions cumulatives tenant à la non-complexité du produit ainsi qu’à l’initiative du client prise envers l’intermédiaire (art. 25, § 2bis).
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Les évolutions majeures
du dispositif tiennent au contenu comme au champ d’application du
”
futur texte.
Ce test d’évaluation est complété par une précision importante, à l’article 25, § 4 : l’information est assurée au cours de l’exécution du contrat sous forme de communications périodiques afférentes à l’activité d’intermédiation. Quant à son champ d’application, on relèvera principalement deux éléments essentiels. Tout d’abord, le fait générateur de l’obligation est spécifié. Alors que l’article 12, § 1er, de la directive 2002/92/CE s’appliquait, « avant la conclusion d’un premier contrat 26. Voy. nos analyses dans Essai sur les fonctions de l’information…, op. cit., nos 357 et s., p. 209. 26
d’assurance et, si nécessaire, à l’occasion de sa modification ou de son renouvellement », soit, en substance à des décisions constituant des actes juridiques – qu’il s’agisse de conclure, nover ou renouveler le contrat – le futur article 16, a) impose une obligation d’information « lorsqu’un quelconque changement important est intervenu dans les données communiquées aux clients relatives à l’intermédiaire après la conclusion d’un contrat d’assurance ». Ce faisant, l’article 16, consacré aux « informations générales fournies par l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance » étend à un changement de la situation de l’intermédiaire l’obligation d’une mise à jour des données antérieurement communiquées au client. L’information ne résulte plus uniquement de la perspective de déterminer les obligations respectives des parties à l’occasion de la conclusion du contrat ou de sa modification mais résulte d’une simple évolution de la situation de l’intermédiaire. Ensuite, le second élément procède de la définition même de l’activité d’intermédiation en assurance qui, en tant que telle, peut être constituée par la fourniture de conseils au sens du futur article 2, § 1er, 3). Si, en tant que telle, l’assimilation de l’acte d’intermédiation au conseil n’était pas exclue par la définition antérieure, elle se voit aujourd’hui dotée d’une pleine autonomie. Là encore, le rapprochement avec les services d’investissement est frappant : les intermédiaires en assurance se présentent comme des intermédiaires en information, à l’instar des PSI.
B. Les modifications ponctuelles De façon plus prévisible et moins essentielle, la refonte du texte est l’occasion d’un toilettage d’un certain nombre de dispositions, dans le sens général de leur plus grande précision. En s’en tenant aux plus importantes, on évoquera d’abord l’introduction, par amendement du Parlement, d’une disposition propre aux ventes liées et groupées, qui emporte une information du client décomposée, sur la prime et le prix de chaque composante et de la manière dont l’interaction des différentes composantes modifie les risques (art. 21bis, §§ 1er et 2). Ensuite, quant à la forme, le futur texte introduit au niveau européen une exigence déjà connue du droit français en imposant, avant la conclusion du contrat, quel que soit le service proposé, l’élaboration d’une feuille d’information destinée au client (27) comportant de manière compréhensible et normalisée une description des principaux éléments du contrat (type d’assurance, risques assurés et exclus, modalités de paiement, obligations des parties au cours du contrat et en cas de sinistre, durée et modalités de résiliation), à l’article 18, § 4. 27. Sur la double exigence de la fiche d’information posée à l’article L.112‑2, alinéa 1er, du C. ass. et de la notice d’information à l’alinéa 2 de la même disposition, V. Nicolas, op. cit., nos 374 et s., p. 159.
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Enfin, le texte prend acte de l’ensemble des compétences du régulateur européen en prévoyant de nombreuses interventions de l’AEAPP pour élaborer et mettre à jour des orientations afin d’assurer une application cohérente de l’article 17 concernant les conflits d’intérêts et les ventes croisées (art. 21, § 3 et art. 24, § 6), pour veiller à ce que les règles adoptées dans les différents droits nationaux relatives au niveau d’exigences fixées par la directive soient communiquées aux consommateurs, intermédiaires et entreprises d’assurance (art. 19, § 3). Le futur texte révèle encore que des actes délégués sont à attendre de la Commission pour préciser les principes généraux énumérés à l’article 24 (art. 24, § 7 et art. 25, § 5). Ainsi, selon le mode complexe d’élaboration du droit des services financiers européens, le texte, avant même son adoption, laisse entrevoir la cascade de positions et de textes d’applications à laquelle il donnera lieu… Au terme de cette étude, il apparaît donc bien que le futur dispositif européen redéfinit profondément le cadre général des obligations d’information qui pèsent sur les intermédiaires en assurance. Si, quant à son esprit, l’inclusion des obligations d’information dans un ensemble plus vaste de règles de conduite pouvait déjà résulter d’une lecture attentive des obligations résultant dans la directive 2002/92/CE, sa formalisation dans le futur texte exprime une orientation de fond qui conduit à un enrichissement notable au plan technique des obligations d’information. Le droit des assurances se développe ici à l’image de celui des prestations de services d’investissement, dans un cadre plus vaste qui signe l’avènement d’un véritable droit commun des services financiers. Au plan pratique, l’introduction des tests d’évaluation et d’adéquation en droit
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des assurances en sera assurément la plus importante expression et, pour en maîtriser le développement et la mise en œuvre, les spécialistes du droit des assurances feront bien de prendre appui sur les acquis d’interprétation et d’analyse du dispositif déjà élaborés dans le contexte plus étroit du droit financier (28).
“
Le futur dispositif
européen redéfinit profondément le cadre général des obligations d’information qui pèsent sur les intermédiaires en
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assurance.
L’approche transversale des services financiers par les institutions européennes invite ainsi, plus que jamais, les spécialistes à la polyvalence et au développement de leur maîtrise du droit positif par le recours à l’analogie, sur la base des acquis d’autres matières. 28. Notre ouvrage, Essai sur les fonctions de l’information…, op. cit.
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Quelle évolution des obligations d’information de l’intermédiaire en assurances ?
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Distribution de produits d’assurance
Reform Tendency of China’s Insurance Intermediary Industry Supervision Ying Jiang
Associate Professor, International School of Financial Law, East China University of Political Science and Law, Shanghai China’s insurance intermediaries mainly fall into three types of professional insurance intermediaries, sideline insurance agencies and insurance salesmen. Although China’s insurance intermediary market started late, it grows at a rapid speed. There was once a period of chaotic development of insurance intermediary market, but in recent years China’s financial regulatory authorities have taken reform measures with the structure optimization and reorganization as its key tasks.
I. The historic development of China’s insurance intermediary market Throughout the development of China’s insurance intermediary, it can be approximately divided into five stages. The first is the starting stage before 1992, the major feature of which is the wide spreading of insurance agent points led by People’s Insurance Company of China with related industries and primary-level organizations as the main body. The second stage from 1992 to 1999 is a period of primary establishment. The major feature of this stage is that the Shanghai branch of American International Assurance introduced the personal marketing system into China which was then broadly imitated by domestic insurance institutions. The third stage is a period of institutional breakthrough between 1999 and 2004 marked by the normalization of the access and approval system based on market demand and the rapid development of professional insurance intermediaries. The fourth stage runs between 2004 and 2009, which is a period of new expansion with a major feature of a large number of insurance sales channels rising, such as car sales enterprises and banks. The fifth stage of reform and transformation started in 2009 with a major feature that market innovation has gathered pace and market structure has gradually achieved optimization. (1) 1.
28
J. Ding, “Several Opinions on Accelerating the Reform and Development of Chinese Insurance Intermediary”, China Insurance, 2015, n° 5.
According to the data provided by China Insurance Regulatory Commission (CIRC), by 2014, there were more than 2500 professional insurance intermediaries, over 210,000 sideline insurance agencies and at least 5 million insurance salesmen. In 2014, Chinese insurance companies realized a total premium income of RMB 1.6 trillion yuan through insurance intermediaries, taking up 79.8% (2) of the total national insurance premium income, with an increase of 16.7% on a year- on-year basis. Respectively, specialized insurance agencies, (3) sideline insurance agencies (4) and insurance salesmen contributed RMB 147.24 billion yuan, RMB 700.89 billion yuan and RMB 766.29 billion yuan, taking up 7.3%, 34.6% and 37.9% of the total insurance premium.
II. Main problems in the development of China’s insurance intermediary market Although China’s insurance intermediary market grows at a rapid speed, a lot of contradictions and problems have been accumulated over a long time in terms of its market and supervision. Firstly, there is structural imbalance in the insurance intermediary market. On the one hand, the structures between the sideline insurance agencies and the specialized insurance agencies are imbalanced. (5) On the other hand, insurance intermediaries distributed unevenly with most of them in developed areas such as Beijing and Shanghai and their market relatively lagged behind in undeveloped rural areas. Secondly, the size of insur2.
3.
4. 5.
Statistics in recent years have revealed that the premium income realized by insurance intermediaries takes up a stable proportion of 80 percent of the total national premium income. In 2014, specialized insurance agencies and brokerage institutions respectively realized a premium income of RMB 96.79 billion yuan and 50.45 billion yuan, taking up 4.8% and 2.5% of the total national premium income. And insurance assessment institutions earned the revenue of RMB 2.26 billion yuan. Among them, banks, postal saving agencies and automobile sales and services institutions account for 85% of all the sideline insurance agencies. As the statistics provided by CIRC reveal, by the end of 2014, there were 210,108 outlets of sideline insurance agencies all over the country while specialized insurance agencies were only 2,546 with a lower proportion of insurance brokerage institutions and insurance assessment institutions, leading to the grave imbalance of the industrial structure.
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ance intermediary agencies varies widely. Data in 2012 demonstrated that 7% (117) of all the specialized insurance agencies around the country have no business at all, so did 9% (41) of the insurance brokerage institutions and 25% (81) of the insurance assessment institutions. The insurance intermediary agencies remain a status of being large in number, small in scale, scattered and messy in operation. Thirdly, illegal operations such as lack of proper disclosure of information, fake business and illegal fund-raising occurred frequently in the insurance intermediary market. In particular, several illegal cases of the pyramid selling of Darun Brokerage Company, the escape of Fanxin Insurance Agency have become a focus within the industry. Fourthly, there are still loopholes in supervision on their implementation due to incomplete coverage of the supervising rules; in terms of the idea of supervision, there are also the problems of excessive administerization, and more attention to sales yet less to after-sales.
III. The latest tendency of supervision reforms of China’s insurance intermediaries The problems mentioned above drove the CIRC to be determined to launch a systematic overhaul and supervision reforms for the insurance intermediary market. Particularly during “Twelfth Five-year Plan” period, a key period for adjusting the structure of China’s insurance industry, the market of insurance intermediary market shouldered the significant commission of promoting transformation of insurance industry to help it achieve leapfrog development. In 2014, China State Council published the Opinions of the State Council on Accelerating the Development of Modern Insurance Industry (hereafter referred to as “Ten New Rules”), making a full arrangement for the future reforms and development of China’s insurance industry from the angle of a top-level design. In terms of the development of insurance intermediary market, the Ten New Rules clearly mentioned that in order to fully play the role of insurance intermediary market to optimize market structure and to maintain normal order of insurance market, insurance intermediary institutions should steadily promote the reforms of insurance sales system so as to transform themselves into ones that provide diversified services. To carry out the spirit of the Ten New Rules, on one hand, the CIRC defined 2014 as a year for an overhaul of insurance intermediary sector, starting overhauling the insurance intermediary market. On the other hand, the CIRC published the Opinions on Deepening Reform of Insurance Intermediary Market (hereafter referred to “Opinions of Reforms”) (6) in September 2015. The 6. http://www.circ.gov.cn/web/site0/tab5168/info3974809. htm. 2016/1
release of the opinions will be a remarkable start for a new development period of insurance intermediary market. The CIRC set the clear goals for the reforms of insurance intermediaries: to improve the systems and mechanisms that support and encourage industrial innovative reforms by releasing the sales of insurance intermediary business while better managing the after-sales; to build up a multi-layered market service system; to form a supervision system of insurance intermediaries combining effective control of the main body, powerful administrative supervision, sufficient industrial self-discipline and timely social supervision. On October 30th in the same year, the CIRC published over 70 amendments to the regulations on three insurance intermediaries institutions. Going through these regulations and rules, it can be found that these new measures represent the direction of reforms, i.e., to simplify administration and transfer power to a lower level, to release the sales of insurance intermediary business while better managing the after-sales, and to increase supervising efficiency. Specifically, they include the following aspects:
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The CIRC published the
Opinions on Deepening Reform of Insurance
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Intermediary Market.
Firstly, to deepen the reforms of market access and exit mechanism and risk disposal mechanism of insurance intermediaries In the first place, according to the Opinions of Reforms, the CIRC adjust the access policies for insurance intermediaries. It represents the tendency of relaxing the supervision over accessing insurance intermediary market. As to access, “licensing before certification” will be fully carried out; as to capital rules, a timely consideration will be given to the reduction of registered capitals required for intermediary institutions, and the detailed amount will be showed in the new supervision regulations. The mechanism of registered capital subscription will be promoted for insurance assessment institutions. Promote the system of sorting licenses for specialized insurance agencies by divided them into two categories: national and regional, and set up corresponding access requirements. In terms of the exit mechanism, the Opinions of Reforms mentions that
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Reform Tendency of China’s Insurance Intermediary Industry Supervision
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Distribution de produits d’assurance
it is necessary to improve the standards and process for insurance intermediary institutions to exit the market, thus gradually forming a mechanism that organically combine autonomous exit and mandatory exit upon supervision. To improve the risk control system of insurance intermediaries is also a major content of the Opinions of Reforms. The Opinions of Reforms also comprehensively promotes intermediary institutions to pay deposits and buy occupational liability insurance, positively supports the behavior of establishing mutual insurance companies with insurance intermediary institutions as major initiators to insure and secure the occupational liability and risk control of insurance intermediary industry in a professional way.
Secondly, to perfect the reforms of insurance marketing system In April 2015, the newly amended Insurance Law canceled the items of qualification assessment and approval of professionals engaging insurance sales (including insurance agent) and brokerage. Following that was the cancellation of the qualification examination for insurance intermediary professionals. Since then, before an insurance intermediary professional begins practicing his business, his company should make a registration for him on the CIRC Insurance Regulatory Information System while the qualification certificate is no longer a requirement for registration and management for practices. This means a significant revolution in the way of managing occupational qualification for insurance sales.
intermediary group companies by mergers and acquisitions or with the help of capital power, developing towards a scale and collectivization direction. In recent years, there have arisen a number of group companies providing insurance intermediary services.
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The Opinions of
Reforms encourages specialized intermediary institutions to explore the effective mode of ‘Internet + insurance
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intermediary’.
In addition, the Opinions of Reforms also encourages a differentiation development of intermediary institutions, and mentions that it is necessary to cultivate leading Chinese insurance intermediaries with professional expertise and international competitiveness, and to develop a large amount of small local regional professional insurance agencies, thus building up a multi-layered market service system.
In terms of sales channels and model innovation, the Opinions of Reforms encourages specialized intermediary institutions to explore the effective mode of “Internet + insurance intermediary” to develop new business platforms with the help of Internet.
Fourthly, to strengthen information disclosure by giving full scope to social supervision
Thirdly, to raise industry specialization and scale by setting up a multi-layered service system
With regard to information disclosure, the Opinions of Reforms raises the tasks for reforms from two aspects: one is to strengthen the duty of disclosing information of insurance intermediary institutions, and the other is to improve the supervision system of information disclosure.
The CIRC is pushing for the specialization and scale of insurance agency institutions to address the problems of specialized insurance intermediaries being small in scale, scattered in distribution and weak in strength. It expects to optimize the market structure of insurance agencies to improve the professional level of the industry through developing specialized insurance intermediary institutions; the development tendency of the separation between production and sales in China’s insurance market is conducive for the development of specialized insurance intermediary institutions. Specialized insurance intermediaries are encouraged to set up insurance
The Opinions of Reforms requires to establish and perfect the regular disclosure system of basic information and unscheduled disclosure system of significant information of insurance intermediary institutions, and strengthen the information disclosure especially in such links as product sales and service for settling claims; to enhance the insurance professionals’ duty of information informing during practicing; and to establish the disclosure system to make insurance brokerage agencies inform their clients of commission charging methods and proportions. In the field of the Internet insurance business, the Insurance Association of
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China (IAC) published the IAC Management Rules on Information Disclosure of Internet Insurance Business in September 2015, requiring insurance institutions including insurance intermediary companies to disclose relative information in designated area on the official website of Insurance Association of China (7) before they run Internet insurance businesses. Specifically speaking, the insurance intermediary institutions that run the Internet insurance business should also provide the name and link of the website, the number of operation license or filing number, and the filing time at CIRC of the third-party online platforms or the ones set up by themselves as well as the product name they are selling, the product name they registered or filed at CIRC and the residence of the host. With regard to improving the supervision of information disclosure, the Opinions of Reforms mentions that multiple channels and platforms for information disclosure should be set up to enhance the disclosure of information such as overview of institutions, industry information, administrative licensing and administrative punishment and so on for social public inquiries, which can thus play a role of social supervision.
Fifthly, to strengthen supervision information construction so as to improve supervision efficiency The CIRC is exploring a new way for supervision using “Internet plus” to greatly push forward the construction of supervision information platform. At present, the CIRC is building an open resource platform called the Cloud Platform for Insurance Intermediaries with insurance intermediary transactions as its principal line. And after that, the supervision authorities will control market transactions through this intermediary cloud platform so that it can spot and dispose of illegal issues in no time and thus improve its supervision effectiveness.
Sixthly, to reinforce the construction of industrial organizations so as to give play to the function of industrial self-discipline The Opinions of Reforms supports the development of industrial organizations of insurance intermediaries, 7. http://www.iachina.cn/.
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presenting that the establishment of China Insurance Intermediary Association should be promoted as soon as possible and the building-up of local industrial organizations of insurance intermediaries should be encouraged. With so large a number of institutions and teams in the insurance intermediary market, establishing an intermediary association has become the will of the main market players. Some of the specialized insurance agencies have submitted an application of setting up an insurance intermediary association, with the preparation being in progress.
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With so large a number
of institutions and teams in the insurance intermediary market, establishing an intermediary association has become the will of the main market players.
IV. Conclusion
”
In general, due to a late start, China’s insurance intermediary market is still in a primary period despite its rapid development. At present, China’s insurance intermediary market is in a critical stage of reforms. It can be seen from the top-level system design by regulatory authorities for the development of insurance intermediary market that the design generally represents the principles of obeying the direction of market and streamlining administration while delegating power to the lower levels, and the adjustment of putting the focus of supervision resource allocation on major risk control and market failure correction. Without doubt, specific details are still needed to follow up for the implementation of the reforms.
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Reform Tendency of China’s Insurance Intermediary Industry Supervision
Dossier
Distribution de produits d’assurance
A Comment about IDD from the Japanese Perspective Akira Tokutsu
Associate Professor, Tohoku University
At the end of June 2015, the European Commission reached an agreement on the Insurance Distribution Directive (IDD). One year earlier, an amendment to the Insurance Business Act was passed in Japan. This amendment contained reforms related to the regulation of insurance intermediaries, namely insurance agent and insurance broker, and the sale of insurance. In short, at approximately the same time, two jurisdictions promoted reforms in the same field. Was this the result of chance or necessity? The motivations behind the reforms are completely different. The EU’s reform regulations stemmed from the global financial crisis, which underlined the importance of effective consumer protection in the financial industry. (2) On the other hand, the aim of the Japanese reform effort was to adjust the regulations overseeing the diversification of the channels of insurance sales. (3) This diversification led to a change in the balance of power between Japanese insurance companies and insurance intermediaries.
I. The Duties of Insurance Intermediaries: Same Solutions and Different Problems The Japanese reforms changed the rules regarding the solicitation of insurance products. The two largest points in the reform bill address (1) new duties of insurance sellers and (2) a new duty assigned to insurance intermediaries. (4) First, the reform places two burdens 1.
The work was financially supported by Japan Institute of Life Insurance and the JSPS KAKENHI Grant Number 15K03190. 2. European Commission, Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on Insurance Mediation [Proposal] 2 (Strasbourg, 3.7.2012). 3. Riyu, Hokengyoho no Ichibu wo Kaisei Suru Horitsu [Reason, the Bill of the Amendment to Insurance Business Act] 22 (Japan). Available from; http://www.fsa. go.jp/common/diet/186/. 4. Atarashii Hoken shohin Service oyobi Boshu ruru no arikata ni tsuite [A Paradigm of New Insurance Products, Service and Solicitation Rule] [Paradigm] 9 (2013). 32
on those who sell insurance policies, including insurance companies and insurance intermediaries: the duty of disclosure and the duty to confirm consumers’ intent. Before the reforms were implemented, sellers were regulated only by the prohibition of acts specified by the statutes, which were accompanied by criminal sanctions. (5) Due to these criminal sanctions, the prohibitions could not be extended broadly or addressed with flexibility, (6) and failed to regulate insurance solicitation in a reasonable way. Only flagrant violations were addressed by them and the other violations were free. In response, the reforms imposed new duties on sellers that allowed more flexibility in their efforts to protect consumers. One is the duty to disclose to consumers all important information. (7) According to the ordinance, (8) the “important information” to be disclosed refers to matters on the provisions of the insurance policy and any matters that would normally be considered when making a decision to take out an insurance policy. The other is the duty to confirm consumers’ intent to want. This is done by explaining the details of the policy and providing the consumer the opportunity to consider whether such a policy will suit her needs. (9) The IDD includes many strict statements about disclosures and business conduct, all of which are designed to protect consumers. (10) In this light, the Japanese reforms seem similar to the IDD. However, we have to stop to think whether the duties the Japanese reforms impose are completely new. In the other financial fields, such as banking and securities transactions, the law has required pre-transaction disclosures for many years. (11) Additionally, in case law, judges often affirm the principle of suitability, which requires financial providers to consider consumers’ needs and refrain from selling instruments with too much risk. In this light, the duty in this reform to consider consumer intent can be classified simply as a written form of the principle of suitability for insurance policies. (12) Therefore, the two “new” duties included in the Japanese reforms are not, in fact, new. They did not strengthen consumers’ protection at all, but rather contain stipulations that coordinate the Hoken Gyoho [Ins. Bus. Act] art. 300 (Japan). In civil law countries, including Japan, criminal regulations must be applied narrowly. 7. Hoken Gyoho art. 294. 8. Hoken Gyoho Seko Kisoku [Kisoku] [Ordinance for Enforcement of Ins. Bus. Act] art. 227‑2 no. 3. 9. Hoken Gyoho art. 294‑2. 10. IDD chap. 5. 11. Ginkoho [Banking Act] art. 12‑2 (Japan); Kinyu shohin torihikiho [Fin. Instruments & Exchange Act] art. 37‑3 (Japan). 12. Tetsuya Yamashita, Hokenboshu ni Kakaru Gyohokisei ni tsuite [Insurance Solicitation Rules after the Reform of the Insurance Business Law of Japan in 2014] Seimei Hoken Ronshu (JILI J.) 71, 90 (2015 Japan). 5. 6.
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rules and duties of providers across all financial areas. In this context, the Japanese reforms are different from the IDD, which imposes new duties on insurance sellers. Second, the Japanese reforms impose the duty to establish an internal control system for insurance intermediaries. (13) Before the reform, this duty was allotted only to insurance companies; therefore, this is clearly a new duty for insurance intermediaries. In this point, the Japanese effort seems similar to the IDD; however, the aim of this reform is completely different from the IDD’s design. The IDD was designed to make customers act reasonably when buying insurance products, a lesson learned from the failures of the financial crisis in 2010. However, the reform of the Japanese law was not affected by the financial crisis. Thinking about consumer protection, it is enough to place the burden only upon insurance companies, on the condition that insurance companies can control insurance intermediaries. When an intermediary violates a customer’s interests or rights, the insurance company will appear to violate its own duties. To prevent any penalties related to such actions, insurance companies normally exercise incentives to keep their intermediaries from committing any violations, insofar as they can. Traditionally, each insurance intermediary in Japan has belonged to one specific insurance company, and insurance companies could control them because of the differences in their economic power. These days, however, some insurance intermediaries, such as banks, act as agents for a number of insurance companies. We can call such intermediaries “multi-intermediaries.” They have bargaining power and do not have to obey insurance companies. Therefore, insurance companies often cannot control multi-intermediaries’ business activities. Placing the burden of legal duties solely on insurance companies cannot deter violations committed by multi-intermediaries. This reform was designed to respond to this situation in Japan. Imposing a duty of care on both insurance companies and insurance intermediaries is necessary to deter violations that occur with the solicitation of insurance products. At first glance, the Japanese reforms seem to impose new duties on intermediaries for the protection of customers. This is similar to the approach of the IDD; however, the aim of the Japanese reforms differs from the IDD. They are the same solution to different problems.
introduce the disclosure of remuneration or commissions for the protection of customers, but they gave up it in this cycle reform. Does that mean the IDD offers stronger protections for customers than the Japanese reforms do? I cannot answer yes or compare the two rules, because their processes are different. The IDD designed its disclosure rules in order to provide lots of information to consumers. The aim of the rule is to help consumers choose a policy on the basis of insurance coverage, linked services, and pricing. (15) The disclosure is designed to make it possible for consumers to make good decisions, because bad, or blind, decision-making led to the global financial crisis. The original aim of the remuneration disclosure was different in Japan. The Japanese regulators aimed to prevent the moral hazard of multi-intermediaries. Multi-intermediaries have a variety of insurance products to sell customers and the personal motivation to choose the products that will lead to the largest commission, even though these products may not by the best choice for consumers. To prevent such a moral hazard, many people tried to introduce a remuneration disclosure requirement. However, instead of securing a remuneration disclosure, the Japanese reforms introduced another new rule for comparison. (16) When a multi-intermediary compares one insurance product with another, she must show the details of the compared products, and when she recommends one product, she must explain the reason behind the recommendation. (17) The moral hazard pointed out in Japan happens when multi-intermediaries have a variety of products to sell. The Japanese reform designed this rule to respond to abuses by multi-intermediaries. As a result, two jurisdictions have different rules because they faced different problems. As a result, there are different solutions and different problems.
III. The Regulation of Websites: Same Problems but Different Solutions
From a Japanese perspective, the most interesting reform of the IDD is the disclosure of remuneration. (14) This is because many people in Japan have tried to
So far, I have introduced examples where the IDD and Japan have had different problems. However, the IDD and Japan sometimes face the same problems. One of them is websites designed to introduce insurance products. These days, there are many websites that not only introduce insurance products, but also show prices and product comparisons. Should such websites be regulated as solicitations of these insurance products? Japan and the IDD share a problem. The IDD has a provision about websites and their regulation when they act as a website for “insurance distribution,” if consumers are able, directly or indirectly, to purchase
13. Hoken Gyoho art. 294‑3. 14. IDD art. 19 no. 1 (d), (e).
15. Proposal 10. 16. Paradigm 20. 17. Hoken Gyoho art. 294‑3 no. 1; Paradigm 19.
II. Disclosure of Remuneration: Different Solutions and Different Problems
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A Comment about IDD from the Japanese Perspective
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Distribution de produits d’assurance
an insurance policy via the site. (18) The Japanese reform did not stipulate website behaviors in express terms within the statute, but websites are regulated as being for “the solicitation of insurance products” if they meet the standard designated by the Guidelines. (19) The Guidelines do not use the specific word “website,” but instead refer to two elements; (1) the social unity or continuity resulting from the payments by insurance companies or intermediaries, or the stock-holding relationship with them, and (2) the recommendation or explanation of specific insurance products. The Japanese standards differ from the IDD ones focusing on the conclusion of contracts, though the difference seems not so large in practice. These address the same problems while providing different solutions.
IV. The Reasons behind the Differences I have explained how the IDD and Japanese reforms sometimes, or often, have different problems to be solved. In fields such as insurance, rules cannot be integrated easily across organizations, even when rules 18. IDD art. 2 (1). 19. Comprehensive Guidelines for Supervision of Insurance Companies II-4‑2-1 (1).
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seem similar, like the duty of insurance intermediaries. On the other hand, in areas where Japan and the IDD face the same problems, the regulations could be designed in convergence, though there are differences between the rules today. The different problems with the IDD and Japan depend on the original aims of their reforms. At first, the IDD was designed to respond to the financial crisis. Therefore, it addressed the problems related to the financial crisis. Japanese reforms were designed to respond to the diversification of the channels of insurance distribution and the changes in the balance of power between insurance companies and intermediaries. The original purpose of the Japanese reforms was not to contain the financial crisis at all, because the financial crisis was not so serious in Japan compared to the US and Europe. However, Japan has another problem. Few Japanese consumers like financial products, including insurance products, that carry financial risk. This is the reason why the impact of the financial crisis was small in Japan. This is also the reason why Japanese reforms introduced more paternalistic rules, like the duty to consider consumers’ intent. It follows from what has been said that the difference between the IDD and Japanese law is large. Therefore, I can answer the first question; it was just a coincidence that the reforms happened in two different jurisdictions almost at the same time.
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Clin d’œil sur l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA
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Clin d’œil sur l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA (1)
Christiane Nicole Bekada Etoundi
Assistante à la Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de Douala La complexité et la technicité du marché d’assurance ont toujours justifié le caractère très réglementé, ainsi que la multiplicité des acteurs de ce secteur. L’opération d’assurance nécessite l’action cumulative de deux catégories d’acteurs : les preneurs d’assurance (2) et les donneurs d’assurance. Cette deuxième catégorie est essentiellement composée de professionnels, notamment les assureurs (3) et les intermédiaires d’assurance, qui constituent des acteurs essentiels du secteur de l’intermédiation d’assurance. L’intermédiation d’assurance désigne « l’activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d’assurance ou de réassurance » (4). Elle s’entend aussi comme cette activité qui consiste à réaliser les travaux préparatoires, notamment les travaux d’analyse et de conseils réalisés par toute personne physique ou morale qui présente, propose ou aide à conclure une opération d’assurance (5). La présentation, la proposition ou l’aide à la conclusion désigne dès lors, le fait pour toute personne physique ou morale de solliciter ou recueillir la souscription d’un contrat ou l’adhésion à un tel contrat, ou d’exposer oralement ou par écrit à un souscripteur ou un adhérent éventuel, en vue de cette souscription ou adhésion, les conditions de garantie d’un contrat (6).
1.
Conférence interafricaine des marchés des assurances. Elle compte 14 pays dont : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo Brazzaville, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo. 2. Les preneurs d’assurance sont tous ceux qui peuvent bénéficier des garanties de l’assurance. Ce sont notamment, les souscripteurs, les assurés, les bénéficiaires et les tiers victimes. 3. L’article 301 du Code CIMA prévoit deux formes de sociétés d’assurance : la société anonyme et la société d’assurance mutuelle. 4. J. Landel, « Lexique des termes d’assurance », L’argus, 6e éd. 2010, p. 300. 5. Ibidem, p. 301. 6. F. Bebey Edjangue et alluii, Code des assurances des États membres de la conférence interafricaine des marchés des assurances, édition commentée CIMA, juriAfrica, art. 500, p. 329 ; voy. aussi, H. Groutel, Droit des assurances, Dalloz, 12e éd., 2011, pp. 47 et s. ; 2016/1
De toutes ces définitions, il apparaît que l’intermédiation d’assurance n’est pas l’activité consistant exclusivement en la gestion, l’estimation et la liquidation des sinistres. Ainsi la distribution de l’assurance dans la zone CIMA est marquée par une forte prépondérance du réseau des intermédiaires. Parmi les divers distributeurs, on retrouve le réseau traditionnel alimenté par les courtiers (7), les agents généraux, les salariés des entreprises d’assurance ou des sociétés de courtage, ou encore des agents généraux (8), les établissements financiers, tels que les banques, les postes, les institutions de microfinance. L’on y retrouve aussi un réseau moderne utilisant des canaux plus actuels, notamment internet et la téléphonie mobile favorisés par l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la télécommunication (NTIC). Les intermédiaires d’assurance sont soumis à des conditions de fond (9) et de forme (10) pour l’exercice de leur profession. Ces conditions sont assorties de mesures de contrôle (11) et de sanctions (12). Ils connaissent un statut juridique ambivalent qui présente une qualification distincte, mais des obligations et des responsabilités similaires. S’agissant de leurs qualifications juridiques, les courtiers ou les sociétés de courtage sont expressément qualifiés de commerçants sans qu’il y ait besoin de rechercher si les actes qu’ils accomplissent sont civils ou commerciaux. En tant que tels, ils sont soumis à toutes les obligations des commerçants (13).
7.
8. 9.
10.
11. 12. 13.
S. Abravanel-Joly, Droit des assurances, Ellipses, 2013, pp. 22 et s. Deux types de courtage opèrent dans la zone : le grand courtage international positionné sur les grands risques (industriels et entreprises) et le petit courtage local sur les risques de masse. Cfr M. Diarra, La distribution de l’Assurance dans la zone CIMA : Quels modèles pour demain ?, thèse professionnelle MBA ENASS, 2013, p. 10. Article 501 du Code CIMA. Les conditions de fond tiennent, d’une part, à l’aptitude juridique visant les conditions d’honorabilité, les conditions de capacité et les incompatibilités, et d’autre part, à l’aptitude professionnelle qui se réfère à la formation et à la qualification des personnes intéressées, cfr articles 506 à 516 du Code CIMA. Pour plus de détails, voy. A.-M. H. Assi-Esso, J. Issa-Sayegh, J. Lohoues Oble, Droit des assurances, Juriscope, Bruxelles, Bruylant 2002, pp. 122 à 125. Les conditions de forme visent la déclaration faite au ministre avant tout début d’activité, l’autorisation du ministre et les mentions obligatoires. Cfr articles 517 à 523 du Code CIMA. Voy. aussi, A.-M. H. Assi-Esso, J. Issa-Sayegh, J. Lohoues Oble, op. cit, pp. 125 à 127. Article 509 du Code CIMA. Article 545 du Code CIMA. Voy. les articles 541 à 544 du Code CIMA et les articles 13 à 29 de l’acte uniforme portant sur le droit commercial général.
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Distribution de produits d’assurance
Dans la pratique, le courtier est saisi par l’assuré d’une opération d’assurance, ce qui fait de lui le mandataire de cet assuré (14). Les agents généraux, par contre, sont des personnes physiques ou morales chargées, en vertu d’un mandat, de proposer des opérations d’assurance d’une société d’assurance déterminée et de souscrire les contrats en son nom (15). De ce fait, l’agent général est le représentant exclusif d’une entreprise d’assurance pour un territoire donné. En outre, ils ont globalement deux catégories d’obligations : l’encaissement des primes (16) et la garantie financière (17). Leurs régimes de responsabilité diffèrent selon qu’il s’agit du courtier ou de l’agent général. En effet, le courtier exerce une profession libérale et indépendante. Il doit par conséquent justifier, à tout moment, de l’existence d’un contrat d’assurance le couvrant contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile professionnelle (18). Ce contrat d’assurance est reconduit tacitement au 1er janvier de chaque année. Ainsi, l’assureur délivre au courtier garanti une attestation d’assurance renouvelée annuellement lors de la reconduction du contrat. L’agent général, quant à lui, n’est qu’un mandataire de la compagnie d’assurance dont il présente les services. De ce fait, toute présentation d’une opération d’assurance présentée par lui est couverte par la responsabilité civile de son mandat. Il est ainsi considéré comme le préposé de l’assureur, nonobstant toute convention (19). De ce qui précède, il apparaît que le secteur de l’intermédiation dans l’espace CIMA bénéficie d’une réglementation taillée à la mesure de ses exigences. Toutefois, l’on pourrait se demander si cette réglementation encadre suffisamment cette activité au regard des défis qui interpellent aujourd’hui le secteur de l’assurance tout entier. La pratique de l’activité d’intermédiation ne traduit-elle pas aujourd’hui le besoin d’une redynamisation de ce secteur ? De telles interrogations conduisent à questionner fondamentalement 14. Il y a lieu de noter que le Code CIMA ne consacre pas les usages qui régissent les relations d’affaires entre apporteur d’opérations d’assurance et l’entreprise d’assurance, comme le fait la France. 15. Les agents généraux sont soumis en France à des décrets portant leur statut. Le Code CIMA n’a pas repris ces textes et ne consacre que quelques dispositions sur ces agents et leurs mandants, ainsi que leurs assurés. Il les assimile à des préposés des assureurs qu’ils représentent. Cette disposition de l’article 511, alinéa 3, in fine constitue une exception remarquable au principe selon lequel c’est la date de réception de la notification d’un acte qui constitue le point de départ des effets de cet acte. 16. Articles 541 à 544 du Code CIMA. 17. Article 24 du Code CIMA. 18. Articles 537 à 539 du Code CIMA. 19. L’assimilation de ces mandataires à des préposés n’est faite que pour les seuls besoins de cette responsabilité. L’article 146 du Code sénégalais des obligations civiles et commerciales fait aussi cette assimilation. 36
la véritable situation actuelle de cette activité dans le marché CIMA. Une telle entreprise est sans nul doute intéressante dans la mesure où elle amène à faire un diagnostic profond de la situation de l’intermédiation au sein du marché des assurances CIMA. Diagnostic qui permettra de relever les entorses et d’envisager les perspectives de solutions pour une bonne émergence du secteur. Pour y parvenir, il convient de préciser que l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA est une activité qui connaît certes des difficultés (I), mais qui est en quête d’émergence (II).
I. L’intermédiation d’assurance : une activité exposée à des difficultés certaines dans le marché CIMA Les entreprises d’assurance travaillent traditionnellement pour la plupart d’entre elles avec un réseau d’intermédiaires dans le cadre de la distribution de leurs produits. Le recours à ce procédé de distribution qui distingue l’industrie des assurances du secteur bancaire a sa source dans le fait que cette industrie ne s’est pas toujours considérée comme commerciale et a donc souvent eu tendance à externaliser la fonction vente considérée comme moins noble que la gestion. Ainsi, quels que soient les fondements (20) qui justifient l’existence des intermédiaires, il reste que cette activité nécessite un cadre sain pour s’épanouir. La réglementation ainsi que sa pratique font état d’un certain nombre de difficultés qui touchent aussi bien l’organisation de l’activité (A) que l’exercice des fonctions des intermédiaires (B).
A. Les difficultés liées à l’organisation de l’activité des intermédiaires d’assurance dans le marché CIMA Le Code CIMA prévoit une pléthore de personnes susceptibles d’exercer en tant qu’intermédiaires d’assurance. Cette pluralité d’acteurs peut être source de difficultés dans la mesure où elle conduit certainement à une disparité des conditions de collaboration entre les assureurs et les différents intermédiaires (1) et à une sorte de concurrence à l’intérieur du marché (2). 20. J. Bidjek, M. L. Likeng et F. R. Mboke, « Les conditions de collaboration entre les assureurs et les intermédiaires d’assurance dans les États CIMA », Rassur., n° 001, 2014, p. 13.
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1. La disparité des conditions de collaboration entre les assureurs et les différents intermédiaires La pluralité des acteurs de l’intermédiation explique certainement le manque d’harmonisation des conditions de collaboration entre les producteurs et les distributeurs d’assurance. La distinction de statut de ces différents acteurs justifie aussi certainement cette disparité. En effet, si cette disparité a l’avantage de préciser et de clarifier les rôles de chaque acteur, on pourrait aussi lui faire le reproche d’être de nature à pouvoir désorienter les preneurs d’assurance qui sont dans la plupart des cas des profanes. Surtout que la majorité de ces preneurs ne maîtrise même pas la distinction entre une compagnie d’assurance, une compagnie de courtage ou une société d’agent général. Ils maîtriseraient encore moins les avantages et les inconvénients que présentent l’un et l’autre acteurs de l’intermédiation. De plus, les conditions de collaboration étant spécifiques entre les assureurs et chaque acteur de l’intermédiation, chacune des collaborations présente des difficultés spécifiques.
“
L’agent général peut exercer son activité comme personne physique ou sous la forme de société de capitaux, notamment, la société anonyme (22) ou la société à responsabilité limitée (23). Sauf convention contraire, l’agent général ne peut pas accepter, sans autorisation, de représenter d’autres entreprises d’assurance dans le cadre de mandat de complément (24). Il ne peut même après la fin de sa collaboration avec l’assureur utiliser ou révéler les informations qui lui ont été communiquées par ce dernier à titre confidentiel ou dont il a eu connaissance à ce titre en raison de son mandat (25). L’agent général est rémunéré à une commission conforme aux usages (26). Sauf convention ou usage contraire, l’assureur n’est pas tenu de lui rembourser les frais et débours qui découlent de l’exercice normal de son activité, à l’exception de ce qui résulte d’instructions spéciales qu’il lui a données. Dans ce cas, le remboursement doit être effectué par l’assureur même si l’opération n’a pas été conclue (27).
collaboration entre
Lors de la cessation de la collaboration entre l’assureur et l’agent général, ce dernier a droit à une indemnité compensatrice, et éventuellement à des dommages et intérêts (28). Les ayants droit de l’agent général ont droit à l’indemnité compensatrice lorsque le traité de nomination prend fin du fait de son décès (29). Cette indemnité n’est pas due si la cessation de collaboration est due à une faute grave de l’agent général ou si elle survient à son initiative, à moins que cela ne soit dû à des circonstances imputables à l’assureur, ou à l’âge, à l’infirmité ou à la maladie de l’agent ou à toute circonstance indépendante de sa volonté entraînant le fait que la poursuite de son activité ne puisse plus raisonnablement être exigée. Cette indemnité n’est pas due non plus si l’agent général cède les droits et obligations qu’il détient, en vertu d’un contrat de nomination à un tiers.
les producteurs et
L’indemnité de compensation est égale au minimum à un mois de commission à compter de la première
La pluralité des acteurs
de l’intermédiation explique certainement le manque d’harmonisation des conditions de
les distributeurs
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d’assurance.
S’agissant de la collaboration entre assureurs et agent généraux, il faut mentionner que ces derniers sont des mandataires des entreprises d’assurance qui les ont nommés et qu’ils représentent. Ils n’exercent pas, par conséquent, une profession libérale parce qu’ils agissent en vertu d’un mandat qui leur est donné par une entreprise d’assurance dans le cadre d’un traité de nomination (21). Ils ne sont pas non plus liés aux entreprises d’assurance par des contrats de travail, mais ils 21. Ibidem, p. 14. 2016/1
sont par contre des professionnels indépendants et sont en principe soumis au régime d’imposition des bénéfices non commerciaux.
22. Articles 385 et s. de l’acte uniforme portant droit des sociétés commerciales. 23. Articles 309 et s. de l’acte uniforme portant droit des sociétés commerciales. 24. Article 186 de l’acte uniforme OHADA portant droit commercial général. 25. Article 187 de l’acte uniforme OHADA portant droit commercial général. 26. Article 188 de l’acte uniforme OHADA portant droit commercial général. 27. Article 194 de l’acte uniforme OHADA portant droit commercial général. 28. Il perd le droit à réparation s’il ne notifie pas à l’assureur par acte extrajudiciaire dans un délai d’un an, à compter de la cessation du traité de nomination, le fait qu’il entend faire valoir ses droits. 29. Article 197 de l’acte uniforme OHADA portant droit commercial général.
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Dossier
Clin d’œil sur l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA
Dossier
Distribution de produits d’assurance
année entièrement exécutée du traité de nomination, à deux mois à compter de la deuxième année entièrement exécutée, à trois mois à compter de la troisième année entièrement exécutée. Au-delà de trois ans, cette indemnité est librement fixée entre l’assureur et l’agent général pour la partie de l’ancienneté qui concerne cette période. La mensualité qui sert de base pour le calcul de ladite indemnité est la moyenne des douze derniers mois d’exécution du traité de nomination (30). Le portefeuille constitué par l’agent général appartient à l’entreprise d’assurance qui l’a nommé et qui peut en résilier certains contrats. L’agent a cependant l’usage de ce portefeuille sur lequel il perçoit des commissions. De ce qui précède, il ressort une quasi-dépendance de l’agent général vis-à-vis de l’assureur. Ce qui pourrait expliquer le fait de certaines compagnies d’assurance liquidées qui entraînent avec elles leurs agents généraux (31). Cette dépendance pourrait aussi motiver la déresponsabilisation de certains agents généraux qui poseraient des actes indélicats dans l’exercice de leurs fonctions justifiés par le fait que la responsabilité, en fin de compte, est engagée par la compagnie d’assurance qui en est la mandante. Cette inquiétude amène à interroger davantage les conditions de la responsabilité de l’assureur du fait des dommages causés par l’agent général en fonction. En effet, si la question est réglée par la jurisprudence française qui a clairement établi que l’agent général ne bénéficie pas de l’immunité (32) accordée au préposé par la jurisprudence Costedoat (33), le droit CIMA reste encore muet sur la question. La jurisprudence française va même plus loin et déclare que l’agent général peut être le mandataire de l’assuré à l’égard de qui il engage sa responsabilité personnelle. Il en va notamment ainsi lorsque l’agent général se voit refuser par la compagnie d’assurance la prise en charge d’un risque pour un client, et qu’il s’adresse à un autre assureur (34). Ce silence du législateur CIMA est de nature à hypothéquer les intérêts des preneurs d’assurance, qui pourraient pourtant voir en la technique de représentation de l’agent, une plus grande sécurité, même si celle-ci limite aussi leur liberté en termes de choix des compagnies d’assurance. Concernant la collaboration entre les assureurs et les courtiers, l’on peut dire que les courtiers sont des commerçants indépendants. Ils exercent comme entrepreneurs individuels ou sous la forme des sociétés com30. Article 199 de l’acte uniforme OHADA portant droit commercial général. 31. C. N. Bekada Ebene, La liquidation des sociétés d’assurance dans la zone CIMA, mémoire DEA, université de Yaoundé II/SOA, 2008. 32. Cass. 1re civ., 10 décembre 2002, D., 2003, p. 510, concl. J. Sainte-Rose ; RGDA, 2003, p. 129 note D. Langé. 33. Cass. 1re civ., 25 février 2000, arrêt Costedoat, n° 97‑17378, Resp. et assur., 2000, chr. n° 11, note H. Groutel. 34. Cass. 1re civ., 7 mars 1989, n° 87‑10634, Bull. civ., I, n° 104. 38
merciales (35). Le courtier doit donner à l’assureur et au souscripteur, tout renseignement utile de nature à leur permettre de traiter en toute connaissance de cause (36). Le courtier est un mandataire de son client souvent sur la base d’un mandat exclusif (37) de placement en vertu duquel ce client lui confie, à lui tout seul, le soin de trouver une entreprise d’assurance qui va accepter de couvrir aux meilleures conditions possibles, les risques dont il lui confie la gestion. Il représente alors ce dernier auprès de la compagnie d’assurance. Pour obtenir à son profit le meilleur rapport qualité prix, il met en concurrence plusieurs assureurs auxquels il demande chacun une cotation pour le même risque. Il arrive souvent que l’importance du risque soit telle que sa couverture nécessite l’intervention de plusieurs assureurs dans le cadre d’une coassurance (38). Le courtier est alors souvent chargé, après avoir convenu des conditions de l’assurance avec l’assureur opérateur et après que celui-ci a déterminé la part qu’il désire prendre dans le risque, de placer la part résiduelle auprès d’autres assureurs.
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Bien plus, l’intervention
des professionnels de courtage dans le marché d’assurance CIMA se fait parfois de manière
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clandestine.
Au quotidien, les compagnies d’assurance ont laissé se développer ici la fameuse théorie du mandat apparent (39) qui fait des courtiers d’assurance des représentants des compagnies d’assurance avec toutes les 35. En l’état actuel, ni le Code CIMA, ni l’acte uniforme sur le droit commercial ne précisent sous quelle forme de société commerciale un courtier peut exercer. Ce qui laisse penser qu’une société de courtage d’assurance peut être créée sous l’une quelconque forme de sociétés commerciales existantes. 36. Article 178, alinéa 2, de l’acte uniforme OHADA portant droit commercial général. 37. Sur les clauses d’exclusivité, voy. U. Olanguena, La liberté de commerce et de l’industrie, thèse 3e cycle, Yaoundé, 1982, pp. 200 et s. 38. Voy. C. N. Bekada Ebene, L’assurance à l’épreuve des mutations de la responsabilité civile, thèse, Yaoundé II/ SOA, 2015. pp. 361 et s. ; A.-M. H. Assi-Esso, J. Issa- Sayegh, J. Lohoues Oble, op. cit., p. 177. 39. J.-B. Rozes, « Mandat apparent : une nécessaire croyance légitime », source : http//www.village-justice.
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conséquences que cela peut entraîner, notamment en cas de non-reversement des primes encaissées par des courtiers sans scrupule. Bien plus, l’intervention des professionnels de courtage dans le marché d’assurance CIMA se fait parfois de manière clandestine. Au Cameroun par exemple, l’association professionnelle des courtiers d’assurance et de réassurances du Cameroun (APCAR), réunie en assemblée générale extraordinaire à Yaoundé le 3 juillet 2009, mentionnait que 234 bureaux de courtiers d’assurance sont dénombrés au Cameroun et que la moitié était constituée de clandestins (40). De même suite à une mission de contrôle sur place du secteur des intermédiaires d’assurance effectuée au Cameroun entre juillet 2008 et avril 2009, le ministre des Finances notait qu’à peine 30 % des intermédiaires d’assurance étaient en règle. Pourtant, ceux qui sont en situation irrégulière détiennent des documents de travail des compagnies d’assurance agréées. Bien plus encore, plusieurs courtiers d’assurance cumulent des activités incompatibles avec la profession d’assureur et la plupart détiennent indûment des primes encaissées. Un tel rapport est de nature à saper les règles qui organisent ce secteur et à y renforcer l’insécurité, même s’il faut reconnaître que le courtier offre plus de garantie, de liberté dans la mesure où il peut proposer divers services de différentes entreprises d’assurance à ses clients. Pour ce qui est des mandataires d’assurance, ce sont à titre principal des personnes physiques qualifiées et salariées soit d’une compagnie d’assurance, soit d’un agent général ou d’un courtier d’assurance. Ils doivent être régulièrement agréés par l’autorité de tutelle des activités d’assurance. À titre exceptionnel, les mandataires d’assurance sont des personnes physiques qualifiées et rémunérées à la commission par les sociétés d’assurance y compris dans le cadre des dérogations bien déterminées. Malheureusement, cette brèche a ouvert la voie de la profession d’assurance à une pléthore d’intervenants très souvent sans scrupules, appelés « apporteurs d’affaires » ou « consultants ». Elle sert alors de refuge à des candidats en attente d’agrément, d’agent général ou de courtier d’assurance, à des agents généraux, courtiers et responsables d’assurance révoqués, à des personnes non qualifiées pour présenter des opérations d’assurance au public (41). Cet état de choses témoigne d’un manque de sérieux profond et de l’inefficacité des mesures de contrôle employées au sein du marché. Ce qui confirme que l’« on est alors en face de véritables soldats qui n’appartiennent pas à un armée régulière » (42). com/articles/ Mandat-apparent-une-nécessaire, 17624. html. 40. Voy. J. M. Fotso, Les défis de l’assurance au Cameroun, Yaoundé, l’Harmattan, p. 75. 41. Ibidem. 42. Ibidem. 2016/1
De tout ce qui précède, il appert que l’organisation du secteur souffre de certaines incohérences qui rendent difficile son émergence. Ces difficultés s’observent aussi à travers une sorte de concurrence qui prend de plus en plus place au sein du réseau de distribution de l’assurance.
2. L’existence de la concurrence dans le réseau de distribution de l’assurance Si le Code CIMA a pris le soin d’élaborer les conditions de collaboration entre les assureurs et les différents intermédiaires d’assurance, la pratique assurantielle relève parfois une sorte de concurrence au sein du réseau de distribution de l’assurance. Celle-ci est présente tant dans la relation entre les assureurs et les intermédiaires, qu’entre les intermédiaires. La première forme de concurrence se manifeste par une certaine confusion des rôles entre les professionnels d’assurance. En effet, l’opération d’assurance est très complexe. Cette complexité tient au fait que son accomplissement requiert généralement plus d’une activité. Ainsi, l’opération d’assurance peut se pratiquer directement par les assureurs eux-mêmes, ou indirectement par le biais des intermédiaires d’assurance. Mais les entreprises d’assurance travaillent traditionnellement pour la plupart d’entre elles avec un réseau d’intermédiaires dans le cadre de la distribution de leurs produits.
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L’opération d’assurance
peut se pratiquer directement par les assureurs eux-mêmes, ou indirectement par le biais des intermédiaires
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d’assurance.
Le recours à ce procédé, justifié par plusieurs fondements déjà évoqués, a pour but principal de séparer les fonctions de production et de distribution d’assurance. La production d’assurance consiste généralement en la création des produits d’assurance. En fait, les assureurs sont des professionnels formés et qualifiés (43) en 43. Voy. les conditions de fond relatives à l’aptitude professionnelle.
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Clin d’œil sur l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA
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Distribution de produits d’assurance
la matière. En plus de maîtriser la technique d’assurance, ils doivent avoir des connaissances théoriques et pratiques des disciplines environnantes et du contexte social dans lequel la compagnie évolue. Cette polyvalence est nécessaire, car elle devrait leur permettre d’imaginer, de concevoir et de mettre sur le marché de nouveaux produits capables à la fois de booster leurs portefeuilles et d’assurer efficacement le rôle de protection des personnes et des biens qui leur est reconnu. La distribution, quant à elle, consiste en l’activité de présentation et de proposition des produits d’assurance. Cette activité est de la compétence exclusive des intermédiaires d’assurance. À côté de l’activité de production menée par les assureurs, la distribution est très importante dans la mesure où elle permet non seulement de faire connaître les différents services assurantiels, mais aussi de vendre ces services, afin de faire fonctionner les compagnies et le marché d’assurance. De ce qui précède, il apparaît clairement que la production et la distribution d’assurance sont des activités certes complémentaires, mais différentes tant par leurs finalités, que par leurs organes. Toutefois, la pratique observée dans le marché CIMA témoigne parfois d’une certaine confusion de rôles qui pourrait s’apparenter à une sorte de concurrence déloyale. En effet, certains assureurs, pour gonfler leurs portefeuilles-clients, font à la fois la production et la distribution d’assurance au détriment des courtiers et des agents généraux. Cette pratique se fait généralement au moyen de la création des bureaux directs par les compagnies. Ces bureaux directs, qui sont des agences annexes des entreprises d’assurance, qui les créent, présentent et proposent des produits d’assurance en lieu et place des intermédiaires d’assurance. Une telle pratique comporte de nombreux inconvénients. De prime abord, elle entraîne que les assureurs empiètent sur le domaine des intermédiaires. Ce qui est source de dysfonctionnement dans le marché, car ne permettant pas une bonne éclosion du secteur de l’intermédiation. De plus, bien que cette pratique soit initiée par les assureurs, il faut reconnaître que celle-ci gêne tout autant le fonctionnement même des compagnies d’assurance. En fait, la création multiple des bureaux directs entraîne la multiplication des charges de fonctionnement et de structures des compagnies d’assurance qui s’y investissent. Ce qui entraîne généralement un accroissement des charges déplorables de nature à hypothéquer aussi bien les missions régaliennes de la compagnie (44), mais aussi sa survie (45). La seconde forme de concurrence réside au sein même du réseau de distribution, c’est-à-dire entre les différents intermédiaires. En effet, malgré une diversification accrue de la distribution marquée par l’apparition de nouveaux canaux, le réseau traditionnel reste à ce 44. Ces missions se réfèrent à deux choses essentielles : la protection des personnes et des biens et le développement économique. 45. Voy. C. N. Bekada Ebene, op. cit. 40
jour, incontestablement, le canal prépondérant dans la zone CIMA. Ces dernières années, l’on a assisté à une prolifération des intermédiaires dans les marchés de la CIMA. En plus des agents généraux, deux types de courtage opèrent dans la zone : le grand courtage international positionné sur les grands risques (industriels et entreprises) et le petit courtage local sur les risques de masse (46), avec environ 80 % de chiffre d’affaires réalisé sur l’automobile. Le marché est marqué par une course effrénée aux affaires du fait de la pléthore de petits cabinets, « chercheurs de commissions ». Une concurrence presque malsaine s’installe alors et la compétence des intermédiaires est mise à rude épreuve par les clients. Dans ce contexte de « crise », le devenir des sociétés de distribution dépendra de leur capacité à s’adapter dans un marché de plus en plus difficile et dans un environnement fortement influencé par les technologies de l’information et de la communication. Ainsi, si l’apport du réseau des intermédiaires s’avère incontournable dans la stratégie de développement des compagnies d’assurances, il doit néanmoins parvenir à optimiser deux variables pour se révéler pleinement efficace : la satisfaction du client (47) et la rentabilité des compagnies (48). Pour tout dire, la concurrence ainsi décriée est caractéristique de l’une des difficultés que connaît l’organisation de l’activité d’intermédiation dans le marché d’assurance CIMA. Ces difficultés sont assez significatives, car elles touchent aussi l’exercice des fonctions des intermédiaires.
B. Les difficultés liées à l’exercice des fonctions des intermédiaires Le contrat d’intermédiation entre assureurs et intermédiaires d’assurance fait naître des obligations à l’égard des intermédiaires à un double degré. Du fait de ce contrat, ces derniers ont des engagements tant envers les preneurs d’assurance, qu’envers les assureurs. Les difficultés liées à l’exercice de leurs fonctions résident alors dans le non-respect de ces différents engagements. Cet état de choses se traduit par le manquement aux obligations contractuelles vis-à-vis des assurés (1) d’une part, et l’inobservation des engagements des intermédiaires à l’égard des assureurs (2) d’autre part. 46. On entend par « risques de masse », les risques de particuliers, notamment, automobiles, multirisques habitations, individuelles, accidents corporels, etc. 47. Elle est rendue nécessaire par l’évolution des mentalités des clients moins fidèles faisant une comparaison accrue entre la qualité des services offerts (rapidité, sécurité, crédibilité) et le niveau des prix pratiqués. 48. Elle se justifie par la baisse des marges. Aussi, fautil trouver des instruments permettant d’améliorer la valeur des réseaux (diminution des coûts, gains de productivité, diversification), sans affecter la relation client.
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1. Le non-respect des obligations contractuelles par les intermédiaires vis-à-vis des assurés L’activité de présentation et de proposition des produits d’assurance met directement en contact l’intermédiaire et l’assuré. Cette relation directe crée une sorte de confiance entre les parties prenantes. Elle constitue aussi une certaine obligation morale à l’endroit de l’intermédiaire, à côté des obligations conventionnelles prédéterminées. L’intermédiaire d’assurance, quel que soit son statut, a deux types d’obligations à l’égard des assurés : l’obligation d’information et celle de conseil, que certains qualifient d’obligation statistique (49). L’obligation d’information est d’origine légale et regorge un contenu assez vaste. Elle varie selon qu’elle est de droit commun (50) ou spécifique (51). L’obligation d’information de droit commun oblige l’intermédiaire à remettre des documents précontractuels d’information tels que : la fiche d’information et l’exemplaire du projet de contrat. Elle s’exécute à travers certaines formes juridiques, notamment l’exigence d’un écrit (52), l’obligation de rédiger certaines clauses en caractères très apparents. Elle interdit des clauses abusives.
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L’intermédiaire
d’assurance, quel que soit son statut, a deux types d’obligations à l’égard des assurés : l’obligation d’information et celle de
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conseil.
L’obligation de conseil quant à elle est d’origine jurisprudentielle, car le Code CIMA en son article 6, alinéa 2 49. C. N. Bekada Ebene, op. cit., p. 386. 50. Elle est de droit commun en ce sens qu’elle a vocation à s’appliquer à l’ensemble des assurances de dommages non maritimes et des assurances de personnes. 51. C’est le cas, lorsqu’elle s’applique spécifiquement à certains types d’assurances notamment les assurances de groupe. 52. L’écrit ici a un acte probatoire et non un acte de validité, car le contrat d’assurance est un contrat consensuel dont la validité est requise par la seule rencontre des consentements sans qu’il y ait besoin d’accomplir une formalité particulière. 2016/1
ne mentionne expressément que l’obligation d’information. L’obligation de conseil, de ce fait, a une autre portée, car elle se réfère au devoir de conseil de manière générale. Mais, dans le domaine exclusif de l’assurance, cette obligation peut dégager trois degrés successifs (53). D’abord, l’intermédiaire a une obligation d’exacte information et de renseignement. Il doit alors répondre de manière exacte à une question posée par l’assuré portant soit sur le contrat, soit sur l’environnement du contrat. L’exigence d’exactitude ici est intéressante à un double titre dans la mesure où, non seulement elle demande à l’intermédiaire de ne se borner à répondre à l’assuré de façon neutre, sans influencer de quelque manière que ce soit l’éventuelle décision de ce dernier, mais aussi, son inobservation profite généralement à l’assuré. C’est ce qui ressort d’un arrêt de la Cour de cassation française du 13 janvier 1986 (54). En l’espèce, un particulier avait souscrit une police d’assurance pour un véhicule à moteur à deux roues par l’intermédiaire d’un agent. Il a ensuite provoqué un accident au cours duquel la personne transportée a été blessée. La compagnie refusant d’intervenir en évoquant une exclusion de garantie, avait finalement été condamnée à prendre en charge le sinistre, puisqu’il s’était avéré au cours de l’enquête que l’agent, par l’intermédiaire de deux courtiers successifs avant le sinistre, avait affirmé à l’assuré qui l’avait interrogé sur ce point, qu’il bénéficiait de la garantie en cause. Dès lors, l’agent avait commis une faute en ne répondant pas exactement à la question posée par le client. Ensuite, l’intermédiaire a l’obligation d’attirer l’attention de l’assuré sur des points qui pourraient avoir des conséquences sur des droits de ce dernier. Dans ce cas précis, l’intermédiaire doit agir, même en l’absence d’une quelconque demande de l’assuré. L’obligation de conseil prend ainsi la forme d’une mise en garde contre un éventuel danger, même si le but principal demeure l’information du contractant. Enfin, l’intermédiaire doit orienter positivement le choix de l’assuré dans le sens le plus conforme de ses intérêts. L’existence du conseil est ici conditionnée d’abord par une sollicitation de l’assuré qui s’en remet à la compétence professionnelle de l’intermédiaire ; et ensuite, par la clarification de la situation par l’intermédiaire qui doit conseiller l’assuré sur telle ou telle décision, même si le choix définitif appartient à l’assuré, qui est libre de suivre ou non l’avis donné par l’intermédiaire. Ainsi, l’intermédiaire d’assurance du marché CIMA apparaît comme « un guide sûr et conseiller expérimenté », telle que le mentionnait déjà la Cour de cassation française en 1964 (55). Toutefois, dans la pratique, le caractère peu sérieux de certains intermédiaires laisse entrevoir des doutes 53. Voy. C. N. Bekada Ebene, op. cit., p. 386. 54. Cass. 1re civ., 13 janvier 1986, Revue Générale des Assurances Terrestres, p. 156, note P. De Saint Morel. 55. Cass. 1re civ., 10 novembre 1964, Revue Générale des Assurances Terrestres, p. 176, note M. Besson.
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Clin d’œil sur l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA
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sur l’existence de ces nobles qualités. En effet, certains intermédiaires sans scrupule manquent gravement à leurs obligations vis-à-vis des assurés à travers soit la réticence dolosive, soit l’infiltration des clauses abusives déguisées en exclusion de garantie dans les contrats qu’ils proposent à leurs clients. La réticence dolosive s’identifie lorsque l’intermédiaire garde expressément le silence sur un aspect fondamental du contrat, alors qu’il en a pleinement conscience du caractère déterminant de l’information qu’il ne donne pas à l’assuré. C’est généralement le cas lorsqu’il remet une fiche d’information contenant des conditions générales du contrat, sans toutefois expliquer le contenu technique de ces conditions. Surtout que dans la plupart des cas, les intermédiaires ont affaire aux profanes. Dès lors, les notions de franchise, de plafond de garantie, d’exclusions de risque apparaissent comme des notions étrangères pour l’assuré qui n’en fait véritablement connaissance après la réalisation du sinistre, au moment où il fait la réclamation de l’indemnité d’assurance. L’infiltration des clauses abusives déguisées en exclusion de garantie fait aussi montre du caractère peu sérieux de certains intermédiaires. En effet, l’intermédiaire a pour rôle de présenter et de proposer les produits d’assurance. Il lui appartient donc de renseigner, de prévenir contre d’éventuels dangers et d’orienter vers le sens le plus conforme des intérêts des assurés, car certains intermédiaires proposent encore des contrats dans lesquels les exclusions de garantie vident complètement le contrat de toute sa substance. L’arrêt n° 106/C de la Cour d’appel du Littoral, rendu en date du 16 février 2007, en est une illustration parfaite (56). En l’espèce, sieur Nganso avait souscrit auprès de la société susvisée une police d’assurance contre le vol de son véhicule. Dans cette police, l’assureur s’engageait à couvrir le risque sur la base du paragraphe intitulé risque E intitulé « Dommages résultant du vol », lequel stipule : « Cette assurance garantit les dommages résultant de : de la disparition ou de la détérioration du véhicule assuré à la suite d’un vol ou d’une tentative de vol de celui-ci, commis par effraction ou menace de dommages corporels… ». En même temps, l’article 3.1.8 du chapitre III du contrat intitulé « Exclusions générales – déchéance et nullité », délimitait l’étendue de cette garantie par une clause d’exclusion des risques concernant « Les sinistres provenant d’attaques de véhicules assurés, isolés ou en convoi et généralement de tout acte de vandalisme, de brigandage ou de braquage quelconque, isolé ou concerté… » (57). 56. Cour d’appel du Littoral, arrêt n° 106/C du 16 février 2007, aff. la société nouvelle d’Assurances du Cameroun (SNAC) c. Nganso Robert Guy, obs. R. G. Stomevou, « Retour sur l’équilibre dans le contrat d’assurance. L’état d’une inertie du juge face à des clauses disproportionnées de délimitation du risque garantie », Juridis Périodique, n° 98 avril – mai – juin 2014, p. 22. 57. Cette légitimité tient de ce que, exception de l’assurance responsabilité, la délimitation du risque couvert est abandonnée à la liberté contractuelle. Ainsi il est pos42
Par la suite, il fut victime d’un braquage. En effet, après avoir stationné son véhicule dans un parking, il fut contraint d’y entrer en compagnie des bandits, avant d’en être dépossédé près d’une heure plus tard dans une broussaille. À la suite de ce malheureux fait, il sollicita de l’assureur le remboursement de la valeur dudit véhicule conformément à leur contrat. Après d’infructueuses réclamations amiables sans réponse de l’assureur, il assigna ce dernier en règlement du sinistre devant le TGI de Douala et obtint, par jugement n° 143 du 5 décembre 2003, une indemnisation à hauteur de 41.000.000 FCFA (58). Soit 30.000.000 pour le préjudice matériel et 11.000.000 correspondant aux dommages-intérêts. Pour le juge, le sinistre déploré ne constituait pas une exclusion de garantie comme le prétendait la SNAC. Tout au contraire, il concordait avec la définition du risque dans le contrat liant les parties, c’est sous la menace des dommages corporels subis par le sieur Nganso que le véhicule avait été volé. Insatisfaite, la société d’assurance la SNAC interjeta appel. Devant la Cour d’appel, la SNAC reprocha aux juges d’instance d’avoir alloué la réparation sans tenir compte de l’exclusion de risque telle que stipulée au chapitre III du contrat. Autrement dit, la police d’assurance litigieuse concernait la couverture d’un vol simple et non d’un braquage. En réplique, sieur Nganso réitéra la couverture et partant, le règlement de ce sinistre par l’assureur. De telles attitudes, bien que déplorables, sont prévisibles, à partir du moment où certains intermédiaires, notamment les courtiers d’assurance qui doivent en principe représenter les intérêts des assurés, se retrouvent en train de servir ceux des assureurs par le biais de la théorie du mandat apparent dénoncée plus haut (59). De même, ces pratiques sont de nature à discréditer davantage l’image des compagnies d’assurance. Celles-ci souffrent déjà d’une grande crise de confiance, car une bonne partie de la population des pays membres de la CIMA estiment encore que l’assurance constitue une arnaque organisée par les assureurs. Elles sont d’ailleurs renforcées par l’inobservation des engagements des intermédiaires à l’égard des assureurs.
2. L’inobservation des engagements des intermédiaires à l’égard des assureurs Les agents généraux, les courtiers et autres intermédiaires ont des obligations multiples vis-à-vis des sible d’« insérer dans le contrat des exclusions de risque, prévoir des cas de non-garantie, mettre des conditions de garantie », voy. Picard et Besson, Traité général des assurances terrestres, tome 1, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 5e éd., 1938, p. 118, n° 69 ; Cass. 3e civ., 8 juin 2010, n° 09‑12.968, Revue Générale de Droit des Assurances, 2010, p. 1024, obs. M. Perier ; Cass. 1re civ., 14 février 1990, Revue Générale des Assurances Terrestres, 1990, p. 611, obs. J. Bigot. 58. 1 euro = 655,957 FCFA. 59. Voy. supra, p. 7.
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assureurs. L’une des obligations les plus marquantes consiste en le reversement des primes collectées par ces derniers aux assureurs. Cependant, les faits observés dans la pratique démontrent que certains intermédiaires affichent des comportements indélicats qui consistent en la rétention des primes collectées. En effet, les compagnies d’assurance du marché CIMA ont connu une accumulation d’un assez important stock d’arriérés de primes (60). Cette situation était due non seulement au phénomène de l’assurance à crédit, qui y avait cours à l’époque (61), mais aussi au fait que les intermédiaires d’assurance ne reversaient pas les primes collectées. Un tel comportement est bien grave quand on connaît le rôle des intermédiaires dans la chaîne des opérations d’assurance. Il pourrait même aboutir à la rupture des relations d’affaires entre les assureurs et ces derniers. La distribution d’assurance prendrait un coup, la santé économique des compagnies d’assurance aussi.
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Certains intermédiaires
affichent des comportements indélicats qui consistent en la rétention des primes
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collectées.
Pour tout dire, la disparité des conditions de collaboration entre les intermédiaires et les assureurs, la concurrence existante dans le réseau de distribution, ainsi que le manquement aux obligations conventionnelles des intermédiaires témoignent de l’existence des difficultés dans le secteur de l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA. L’impact néfaste de ces difficultés sur le développement du marché n’est pas contestable. 60. D’après les comptes de 2005, il résulte que le montant total du stock des arriérés de prime de la zone CIMA est de 177.000 millions de FCFA, soit un taux de 51 % par rapport au chiffre d’affaires (dont les comptes de 2005 relèvent qu’il reste très faible avec un taux de 0,72 %). Ces taux varient de 23 % à 87 % selon les pays. La réalité entre les sociétés est plus contrastée. Certaines dépassent même les 100 %. Cfr séminaire sur « les faiblesses des compagnies d’assurances et moyens susceptibles d’être mobilisés pour leur consolidation pérenne », tenu à Libreville le 19 février 2008, organisé par la FANAF. 61. Sur les développements sur la pratique de l’assurance à crédit ayant entraîné la réforme de l’article 13 nouveau du Code CIMA, voy. C. N. Bekada Ebene, op. cit., pp. 115 et s. 2016/1
Toutefois, celles-ci ne constituent pas la seule caractéristique de l’intermédiation en droit CIMA, puisque ce secteur reste une branche d’activité en quête d’émergence dans le marché des assurances CIMA.
II. L’intermédiation d’assurance : une activité en quête d’émergence dans le marché des assurances CIMA Le marché des assurances africain et toutes ses composantes ont de nombreux défis à relever. Pour voir le marché atteindre un niveau acceptable, les difficultés de toutes sortes devront être surmontées et les perspectives d’émergence, voire de développement, devraient être entreprises. Ces défis interpellent fortement le secteur de l’intermédiation qui assure principalement la distribution des produits assurantiels. L’émergence recherchée par ce secteur d’activité devrait donc prioritairement viser la réorganisation de l’activité d’intermédiation (A) et l’assainissement dudit secteur (B).
A. La réorganisation du secteur de l’intermédiation d’assurance À ce jour, les dispositions du Code CIMA qui encadrent l’activité des intermédiaires sont relativement satisfaisantes. Elles sont, par conséquent, perfectibles. De plus, les réalités de la pratique relèvent de sérieuses entorses sur le fonctionnement et la gestion de cette activité. Tout ceci justifie que les conditions de collaboration entre assureurs et intermédiaires soient améliorées d’une part (1) et que les intermédiaires donnent un place primordiale au respect de leurs engagements conventionnels vis-à-vis des assurés d’autre part (2).
1. L’amélioration des conditions de collaboration entre assureurs et intermédiaires d’assurance Les assureurs et les intermédiaires d’assurance doivent avoir une parfaite collaboration pour faire émerger le secteur d’assurance. La production et la distribution doivent être en symbiose pour maintenir l’équilibre nécessaire à la survie du marché. Cette symbiose nécessite alors que les conditions de leur collaboration soient améliorées. De prime abord, la répartition stricte des fonctions de production et de distribution doit être faite. Pour que le secteur de l’intermédiation émerge, l’exclusivité de la distribution des produits assurantiels doit être accordée à ceux qui en sont principalement chargés. Les assureurs au lieu de se substituer aux intermé-
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Distribution de produits d’assurance
diaires pour la vente de leurs produits, devraient s’atteler à rendre la production d’assurance plus prospère. D’ailleurs, cette branche d’activité souffre aujourd’hui d’un manque d’ingéniosité de la part des assureurs qui, au lieu de multiplier les produits d’assurance, se contentent de discuter le nombre limité des parts de marché (62) existants. Ce qui entraîne un certain nombre de facteurs, notamment la sous-tarification des primes, la délocalisation des grands risques, la liquidation des entreprises d’assurance (63), pour ne citer que ceux-là.
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La production et la
distribution doivent être en symbiose pour maintenir l’équilibre nécessaire à la survie du
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marché.
Bien plus, les comportements déviants et indélicats de certains intermédiaires qui perçoivent les primes et ne les reversent pas aux assureurs, malgré les dispositions sur la garantie financière, doivent être bannis. Le législateur de la CIMA a d’ailleurs réagi face à ces comportements en revoyant certaines conditions de collaboration entre les assureurs et les intermédiaires, suite à la réforme de l’article 13 nouveau du Code CIMA (64). Ainsi, la loi CIMA interdit aux intermédiaires d’encaisser des primes, des fractions de primes, de faire libeller ou de recevoir des chèques libellés à leur ordre. Cette interdiction ne s’applique pas aux paiements effectués en espèce n’excédant pas la somme d’un million de francs CFA par police et aux chèques libellés à l’ordre de l’assureur. Cependant, cette exception suscite des interrogations. En effet, l’on pense que le législateur CIMA aurait pu maintenir l’interdiction d’encaisser des primes et de recevoir des chèques libellés à leur ordre, car le danger évité pour des sommes supérieures 62. En économie, la part de marché est un indicateur clé qui permet de préciser l’importance d’un produit, d’une marque ou d’une société sur son marché pour une période donnée. Elle se calcule par le ratio : ventes de la marque / ventes totales sur le marché. Les ventes peuvent être exprimées en valeur monétaire ou en volumes de produits vendus. 63. Voy. C. N. Bekada Ebene, op. cit. 64. F. Bebey Edjangue et alluii, Code des assurances des États membres de la conférence interafricaine des marchés des assurances, édition commentée CIMA, JuriAfrica, p. 30. 44
à un million pourrait toujours survenir pour de petites sommes. Il est aussi interdit aux intermédiaires de retenir le montant de leurs commissions sur les primes encaissées. Les primes encaissées par les intermédiaires doivent alors être reversées à l’assureur, accompagnées d’un bordereau justificatif, dans un délai de 30 jours suivant leur encaissement. En cas de non-reversement par l’intermédiaire des primes encaissées dans les délais prévus, les sommes non reversées produisent intérêt de plein droit au double du taux d’escompte dans la limite du taux de l’usure, à compter de l’expiration du délai de reversement stipulé (65). En outre, les commissions dues aux intermédiaires doivent être payées dans les 30 jours qui suivent la remise des primes à l’entreprise d’assurance. Le montant des commissions dues, mais non payées par l’assureur produit intérêt de plein droit au double du taux d’escompte dans la limite du taux de l’usure à compter de l’expiration du délai stipulé à l’alinéa précédent. Le ministre en charge des assurances fixe les taux minima et maxima des rémunérations des intermédiaires (66). Bien plus encore, les intermédiaires d’assurance doivent tenir un bordereau d’assurance d’encaissement des primes (67) par compagnie d’assurance. À ce bordereau, ils doivent joindre les quittances de reversement des primes encaissées (68). De même, ces derniers doivent tenir un bordereau mensuel de reversement des primes par compagnies d’assurance (69). Ils doivent également tenir un bordereau mensuel des arriérés des primes par compagnie d’assurance (70). Par ailleurs, les agents généraux, courtiers et sociétés de courtage d’assurance doivent tenir un compte courant mensuel des opérations qu’ils effectuent avec les compagnies d’assurance. Ce compte courant doit faire l’objet, chaque trimestre, d’une validation contradictoire par l’assureur et l’intermédiaire. Il est transmis par l’agent général ou le courtier d’assurance à l’autorité de tutelle dans un délai maximum de 30 jours à compter de la fin du trimestre et au plus tard le 65. Article 541 du Code CIMA. 66. Article 542 du Code CIMA. 67. Ce bordereau comprend les éléments suivants : soit le numéro de la police ou de l’avenant, soit le numéro de l’assuré ou du sociétaire avec toutes les polices ou avenants le concernant ; la date de souscription ; la durée du contrat ; la date d’encaissement des primes ; le nom du souscripteur, de l’assuré ; les catégories et sous-catégories de l’assurance ; le montant de la prime nette ; le montant des accessoires ou coût de police ; le montant de la taxe ; le montant de la prime totale ; le montant de la prime encaissée ; le montant de la commission afférente à la prime. Article 544 du Code CIMA. 68. Article 550 du Code CIMA. 69. Pour sa composition, voy. article 551 du Code CIMA. 70. Pour ses éléments constitutifs, voy. article 552 du Code CIMA.
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30 avril, le 31 juillet, le 31 octobre et le 31 janvier. En cas de désaccord, les réserves exprimées par chaque partie sont consignées sous le compte courant ou dans un document annexé (71). L’élaboration détaillée de telles conditions est louable, car elle prouve que le législateur CIMA est vigilant et soucieux de l’émergence du secteur des assurances via le secteur de l’intermédiaire. Cette vigilance devrait se poursuivre dans la relation entre les assurés et les intermédiaires.
2. Le respect des engagements conventionnels des intermédiaires vis-à-vis des assurés L’industrie de l’assurance serait gravement hypothéquée si les acteurs de la distribution ne jouaient plus leur rôle. Si cette activité a été confiée à des professionnels particuliers, c’est justement par ce qu’il a semblé nécessaire de mettre un accent sur la dimension qualité/service, la place de la clientèle dans une compagnie d’assurance, comme dans toutes les autres sociétés commerciales d’ailleurs, étant primordiale. Dès lors, les intermédiaires doivent multiplier leurs efforts pour honorer le contrat de confiance que la confirmation d’une police d’assurance crée entre les assurés et ces derniers. Une telle exigence passerait par la rencontre parfaite entre l’information spécifique (72) et l’information statistique (73). Ainsi, la symétrie d’information nécessite que l’assuré remplisse la fiche d’informations de manière exacte afin de permettre à l’intermédiaire de bien déterminer les conditions spécifiques du contrat. Elle exige surtout que l’intermédiaire donne des informations exactes à l’assuré, qu’il le prévienne des éventuels obstacles et qu’il l’oriente vers de meilleurs choix. Tout ceci demande que les différents acteurs agissent tous de bonne foi (74). D’autres moyens ne dépendant pas forcément de la volonté des différents acteurs peuvent être envisagés pour une meilleure garantie du respect des engagements des intermédiaires d’assurance. Ainsi, dans l’optique d’une amélioration des relations entre les preneurs d’assurance et les professionnels, une certaine doctrine a pu proposer la création de deux institutions au sein des compagnies d’assurance : les comités d’expertise d’analyse des contrats d’assurance et les directions éthiques (75). Les comités d’expertise d’analyse des contrats d’assurance auraient pour rôle de vérifier la conformité des contrats signés aux normes conventionnelles prédéterminées. Pour que ceux-ci soient efficaces, ils devraient accompagner des assurés profanes lors de la phase précontractuelle, afin de leur expliquer les choses de telle 71. Article 559 du Code CIMA. 72. C. N. Bekada Ebene, op. cit., p. 386. 73. Ibidem. 74. Ibidem, pp. 385 et s. 75. Ibidem. 2016/1
manière qu’ils puissent donner leur consentement au contrat en toute connaissance de cause (76). Les directions d’éthiques, quant à elles, s’occuperaient de l’évaluation des principes éthiques mis en œuvre dans l’entreprise. Leur rôle aurait un domaine assez vaste, puisqu’elles veilleraient à la mise en œuvre des principes éthiques dès la période précontractuelle jusqu’au paiement de l’indemnité d’assurance (77). Ces institutions qui ne demandent qu’à être créées par la loi auraient une main mise tant sur les compagnies d’assurance que sur les agents généraux, les courtiers et les sociétés de courtage. Elles veilleraient, par conséquent, à ce que les assurés ne soient pas dupés par des clauses abusives déguisées et des exclusions de garantie qui dépouillent même la substance du contrat. Elles contribueraient surtout à assainir le secteur de l’intermédiation.
B. L’assainissement du secteur de l’intermédiation d’assurance L’émergence du secteur de l’intermédiation d’assurance ne peut s’obtenir que sous certaines conditions parmi lesquelles l’assainissement dudit secteur. Assainir ce secteur passerait donc par le renforcement des mesures de contrôle (1) d’une part, et la mise en œuvre effective de la responsabilité des intermédiaires indélicats (2) d’autre part.
1. Le renforcement des mesures de contrôle de l’activité des intermédiaires La lecture des dispositions CIMA laisse voir une quasi- absence du contrôle des activités menées par les intermédiaires d’assurance, car c’est dans le seul article 509 que le Code CIMA prévoit le contrôle des conditions de capacité des acteurs de ce secteur. Cet article dispose en son alinéa 1er que « toute personne qui, dans une entreprise mentionnée à l’article 300 (78) du présent code ou une entreprise de courtage ou une agence générale, a sous son autorité des personnes chargées de présenter des opérations d’assurance ou de capitalisation, est tenue de veiller à ce que celles-ci remplissent les conditions prévues aux art. 501 et 508 ». Son alinéa 2 76. Ibidem, p. 332. 77. Ibidem, pp. 346 et s. 78. Selon cet article, « le contrôle s’exerce dans l’intérêt des souscripteurs et bénéficiaires d’assurance et de capitalisation. Sont soumises à ce contrôle : les entreprises qui contractent des engagements dont l’exécution dépend de la durée de la vie humaine ou qui font appel à l’épargne en vue de la capitalisation et contractent en échange de versements uniques ou périodiques, directs ou indirects, des engagements déterminés ; les entreprises d’assurance de toute nature y compris les entreprises exerçant une activité d’assistance et autres que celles visées à l’alinéa 1… ».
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Clin d’œil sur l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA
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Distribution de produits d’assurance
poursuit que « toute personne qui, dans les entreprises d’assurance, remet à un agent général d’assurance ou à une personne chargée des fonctions d’agent général d’assurance un mandat doit préalablement avoir fait au ministre en charge du secteur des assurances la déclaration prescrite à l’article 517 (79) relative à l’intéressé et avoir vérifié qu’il ressort des pièces qui lui sont communiquées que celui-ci remplit les conditions d’âge, de nationalité et de capacité professionnelle requises par le premier aliéna de l’article 508 (80) ».
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La lecture des dispositions
CIMA laisse voir une quasi-absence du contrôle des activités menées par les intermédiaires
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d’assurance.
De ce qui précède, on peut lire de prime abord que le contrôle de l’activité de l’intermédiation se fait par les entreprises d’assurance avec lesquelles ceux-ci travaillent, et qu’ensuite, seules les conditions de capacité d’exercice de cette activité sont soumises au contrôle. Ce qui laisse voir ainsi un champ d’application tant personnel que matériel considérablement limité. Ce caractère doublement limité du champ d’application du contrôle de l’activité des intermédiaires semble bien critiquable et dévoile certainement une insuffisance. Tout d’abord, l’on pourrait critiquer les dispositions du Code CIMA qui laisse le contrôle des conditions 79. Cet article dispose qu’« en vue de permettre de vérifier les conditions d’honorabilité telles qu’elles résultent des dispositions de l’article 506, une déclaration doit être faite au ministre en charge du secteur des assurances de l’État de présentation de l’opération d’assurance dans les conditions prévues aux articles 518 et 520 concernant toute personne physique entrant dans une catégorie définies aux alinéas 1 à 3 de l’articles 501 avant que cette personne ne présente des opérations d’assurances telles que définies à l’article 500 ». 80. Selon cet article, toute personne physique mentionnée à l’article 501 doit, sous réserve des dérogations prévues aux articles 503 et 504 : avoir la majorité légale dans l’État de présentation de l’opération ; être ressortissante d’un État membre de la CIMA ; remplir les conditions de capacité professionnelle prévues pour chaque catégorie et fixées par la commission de contrôle après avis des instances professionnelles représentatives des entreprises d’assurance ; ne pas être frappée d’une incapacité prévue à l’article 506… ». 46
de la capacité d’exercice des intermédiaires à la seule compétence des professionnels eux-mêmes. En effet, ce contrôle pourrait se révéler inefficace, compte tenu des enjeux en cause. Le professionnel pourrait alors apparaître comme juge et partie. Ainsi, il reste contestable qu’une compagnie puisse contrôler avec toute la rigueur qui s’impose un agent général qui a pour mission principale de vendre ses produits et surtout de le représenter. Il serait peut-être plus rigoureux avec des courtiers qui représentent les assurés, quoique leur mission soit aussi de faire écouler les produits assurantiels. Mais avec la théorie du mandat apparent qui permet aux courtiers de représenter l’assureur plutôt que l’assuré, l’impartialité de la compagnie d’assurance chargée de faire le contrôle demeure douteuse.
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L’on pourrait critiquer
les dispositions du Code CIMA qui laisse le contrôle des conditions de la capacité d’exercice des intermédiaires à la seule compétence des professionnels
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eux-mêmes.
Bien plus, la limitation du contrôle aux seules conditions de capacité d’exercice de la profession d’intermédiaire d’assurance est bien regrettable. En effet, les intermédiaires d’assurance tout comme les assureurs sont des professionnels d’assurance. Si le contrôle des compagnies d’assurance couvre aussi bien la capacité personnelle et professionnelle des assureurs, le fonctionnement et la gestion des compagnies d’assurance, l’on se demande bien pourquoi le Code CIMA a prévu un contrôle aussi léger de l’activité des intermédiaires au point où leur fonctionnement et leur gestion soient exempts de contrôle. De telles insuffisances sont de nature à enraciner les difficultés que connaît le secteur de l’intermédiation d’assurance. Par conséquent, pour un secteur qui veut émerger, voire se développer, le contrôle doit bien être renforcé. Ce renforcement passerait alors par l’élargissement du champ d’application personnel et matériel du contrôle. Ainsi, d’autres organes comme les direc-
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tions nationales, et même la commission régionale de contrôle des assurances (81), doivent en être impliqués. De plus, l’activité des intermédiaires doit être soumise à des opérations de contrôle avant leur commencement en veillant davantage au respect des conditions d’honorabilité et de capacité requises. Mais, celles-ci doivent se poursuivre au niveau du fonctionnement et la gestion des entreprises d’intermédiation d’assurance. La régularité de ces opérations viendrait alors renforcer davantage ce contrôle. Toutes choses qui écarteraient certaines indélicatesses encore décriées dans le secteur et qui aideraient à le porter plus haut. Pour un meilleur assainissement du secteur, il faudrait aussi que la responsabilité des intermédiaires indélicats soit effectivement mise en œuvre.
2. La mise en œuvre effective de la responsabilité des intermédiaires indélicats Au regard des dispositions légales relatives à la responsabilité des intermédiaires, deux types de responsabilité sont envisageables : la responsabilité de l’assureur du fait des mandataires et celle du courtier. Ainsi, l’assureur répondra du dommage commis par tous ceux auxquels il aura donné mandat, alors que le courtier répondra personnellement des dommages que subiront les assurés dont il représente les intérêts. En plus, des sanctions civiles et pénales sont aussi prévues pour tout intermédiaire qui s’écarte de la loi. Concernant les sanctions civiles, il est prévu que les contrats d’assurance ou de capitalisation souscrits en violation des articles 501 et 508, ainsi que les adhésions à de tels contrats dans les mêmes conditions peuvent pendant une durée de deux ans, à compter de la souscription ou de l’adhésion, être résiliés par le souscripteur ou l’adhérant moyennant un préavis minimal d’un mois (82). L’assureur, dans ce cas, n’a droit qu’à la partie de la prime correspondant à la couverture du risque jusqu’à la résiliation et il doit restituer le surplus éventuellement perçu. Les sanctions pénales (83) quant à elles sont plus élaborées. Elles couvrent ainsi plusieurs actes, notamment : la présentation des opérations d’assurance en violation des règles prévues aux articles 501 et 508, le mépris des dispositions relatives au contrôle de la capacité des personnes indiquées, la présentation des produits assurantiels ou la souscription des contrats d’assurance pour le compte d’une entreprise non agréée pour la 81. La commission régionale du contrôle des assurances (C.R.C.A.) est l’organe de la CIMA qui s’occupe du contrôle des compagnies d’assurance sur le plan régional (le contrôle sur le plan national relevant des directions nationales en charge du secteur des assurances). Elle siège dans les locaux du secrétariat permanent à Libreville au Gabon. 82. Article 508, alinéa 3, du Code CIMA. 83. Article 545, alinéas 1, 2, 3, 4, 5, 6, du Code CIMA.
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branche dans laquelle entrent ces contrats, l’inobservation des dispositions de l’article imposant l’agrément du ministre par les courtiers ou les sociétés de courtage. Les peines sont variées. Elles vont de l’amende à la peine privative de liberté. Les amendes vont généralement de 500.000 à 5.000.000 FCFA. Les peines d’emprisonnement peuvent aller de 6 mois à 3 ans. Toutes ces mesures sont louables. Mais leur mise en œuvre effective est vivement souhaitable, car dans la pratique, l’on observe parfois des assureurs qui continuent à travailler avec des intermédiaires, malgré le fait que ceux-ci ne reversent pas parfois les primes qu’ils encaissent. La mise en œuvre effective de la responsabilité des intermédiaires indélicats implique ainsi une bonne prise de conscience des professionnels d’assurance et une forte implication des autorités judiciaires. Cette dernière exigence serait difficilement réalisable face au désintérêt que certains juges affichent en ce qui concerne les dispositions du Code CIMA. Certains se contentent même d’appliquer les dispositions du droit commun en méconnaissant totalement celles du droit CIMA. Cette attitude est généralement due à l’ignorance des dispositions mêmes du Code CIMA. Cet état de choses interpelle sans doute les mesures de vulgarisation et de sensibilisation à la chose assurantielle. Ce défi est celui de toutes les parties prenantes intéressées par le marché des assurances. Il s’agit des intermédiaires, des assureurs, des associations des sociétés d’assurance (84) et même de la FANAF (85). En somme, l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA est actuellement à la croisée des chemins. Le nombre (86) assez important des structures d’intermédiation présentes sur le marché témoigne du caractère dynamique de cette branche d’activité. Cependant, les défaillances observées tant au niveau des dispositions réglementaires, qu’au niveau des usages montrent bien que ce secteur d’activité connaît des difficultés certaines. Toutefois, ces difficultés sont bien surmontables. La réorganisation et l’assainissement du secteur le conduiraient forcément vers la voie de l’émergence. 84. Au Cameroun, c’est l’ASAC. 85. La FANAF est la fédération des sociétés d’assurance de droit national africaine. Elle a été créée le 17 mars 1976 à Yamoussoukro. Son siège social est à Dakar. C’est une association qui réunit à la date du 31 mars 2014, 189 sociétés membres, dont 49 sociétés vie ; 119 sociétés non-vie, 18 sociétés de réassurance et 3 fonds de garantie automobile opérant dans les pays suivants : Afrique du sud, Bahrain, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo Brazzaville, Côte d’Ivoire, Gabon, Ghana, Guinée Conakry, Guinée Équatoriale, Kenya, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Nigeria, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Sierra Léone, Tchad, Togo, Tunisie. 86. Une étude faite en 2011 révèle que le Cameroun, par exemple, compte 33 agents généraux pour huit compagnies d’assurance et 58 courtiers et sociétés de courtage. Cfr J. M. Fotso, op. cit., pp. 73 et s.
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Clin d’œil sur l’intermédiation d’assurance dans le marché CIMA
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Distribution de produits d’assurance
La discrète mutation du cadre de supervision du secteur de l’assurance aux États-Unis Vincent Jamet
Docteur en droit Représentant de la Banque de France à New York (1)
À s’en tenir à ce que pourrait laisser transparaître une appréhension rapide du cadre de supervision applicable au secteur de l’assurance américain (2), il pourrait aisément être considéré que les effets post-crise tardent pour une large part à se trouver retranscrits sur le plan matériel, à travers une réforme de tout ou partie du cadre réglementaire ou sur le plan institutionnel, par l’entremise d’une refonte de l’architecture qui prévaut historiquement en matière de contrôle des organismes d’assurance comme de leurs intermédiaires (« state- based insurance regulatory system »). Ce décalage s’avère être d’autant plus frappant lorsque le regard de l’observateur se porte sur ces autres composantes majeures du système financier américain que sont les établissements bancaires ou encore les marchés financiers. Le contraste est peut-être davantage encore perceptible lorsqu’il s’agit, par suite, de prendre en considération la profonde (r)évolution que connaît 1.
Les opinions exprimées dans la présente publication n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de la Banque de France et de l’Eurosystème. 2. Pour rappel, le secteur de l’assurance aux États-Unis représente environ 7,5 % du PIB (il s’agit du premier marché mondial, avec près de USD 1.259,2 milliards de primes émises, soit 27 % de parts de marché ; par comparaison, le marché français, derrière le Japon, le Royaume- Uni, se classe au cinquième rang avec USD 254,7 milliards de primes émises, soit 5,49 % de parts de marché). Plus précisément, et conformément à la grille de lecture classique, le secteur de l’assurance américain se décompose entre l’assurance-dommage (Property/Casualty ou P/C), d’une part, et l’assurance-vie (Life/Health ou L/H), d’autre part. Alors que la première de ces composantes représente 2.718 entités et pèse pour près de USD 1,7 trillions d’actifs (pour environ USD 503 milliards de polices souscrites), la seconde, quant à elle, rassemble 1.031 entités et gère de l’ordre de USD 6 trillions d’actifs (pour environ USD 648 milliards). Le degré de concentration du secteur se révèle relativement élevé bien que d’intensité variable selon les branches d’activités considérées : les 10 premiers acteurs recouvrent 58 % de l’assurance- vie et 71 % de l’assurance dommage (cfr Rapport FSAP, « Detailed Assessment of Observance on the Insurance Core Principles », avril 2015, document disponible en ligne sur le site Internet de l’U.S. Department Treasury : https ://www.treasury.gov/resource-center/international/Documents/cr1590.pdf). 48
actuellement le secteur de l’assurance au sein de l’Union européenne, alors même que, précisément, depuis le 1er janvier 2016, la réforme dite « Solvabilité II » est entrée en vigueur et que, dans son sillage, d’autres textes tout aussi structurants sont en voie d’adoption (à l’instar de la version révisée de la directive européenne sur l’intermédiation en assurance) (3). Il pourrait certainement être tentant d’arguer que cette différence de traitement résulte avant tout de ce que la dernière crise financière a pour l’essentiel pris ses racines en dehors du secteur de l’assurance, mais il convient de concéder d’emblée que semblable défense ne résisterait pas longtemps à l’examen tant il est patent que certains des protagonistes clés de cet épisode tragique n’étaient pas étrangers à ce dernier (on songe ici bien évidemment aux assureurs dits « monoline » (4) qui ont largement contribué à la dissémination des crédits « subprime » au sein de l’ensemble du système financier par l’intermédiaire d’une titrisation complaisante (5) ou encore au renflouement, ô combien traumatisant pour le contribuable américain, du géant de l’assurance, AIG (6), par l’État fédéral). Tout au plus pourra-t‑il, in fine, être accordé que, par comparaison, la réforme du secteur assurantiel n’est pas apparue comme étant d’une première nécessité et considérée à ce titre comme une priorité ; c’est à tout le moins ce qui peut être déduit des engagements pris dans le cadre des sommets G20 post-crise (7). En tout état de cause, il serait assurément trompeur de considérer que le chantier réglementaire est resté 3.
Le Parlement européen a définitivement adopté le dispositif, le 24 novembre 2015. Ce dernier doit désormais être approuvé par le Conseil avant d’entrer en vigueur et donner lieu à transposition au sein des États membres. 4. I.e. les organismes d’assurance qui de manière schématique proposent de garantir aux porteurs de titres de créance le paiement du principal et des intérêts dus en cas de défaut de l’émetteur. 5. Sur le rôle joué par ces derniers, voy. notamment : F. Marty, « Crise des subprimes et finances publiques locales : Le cas des “obligations municipales” américaines », WP OFCE, n° 2008‑20, juillet 2008. 6. Il convient de relever qu’AIG n’a du reste pas été le seul assureur à recevoir le soutien de l’État fédéral (Prudential, Principal Life, Hartford ou encore Lincoln figurent notamment parmi les entités les plus importantes du secteur à avoir sollicité semblable renfort). 7. Si le secteur de l’assurance, à la différence du secteur bancaire, n’est pas directement visé, il n’est toutefois pas totalement absent des réformes initiées dans le contexte post-crise, à travers notamment l’encadrement des marchés de dérivés OTC (il suffit de rappeler l’ampleur du portefeuille de CDS du groupe AIG) ainsi que l’encadrement renforcé prévu pour les institutions financières d’importance systémique.
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à l’état de simple friche. Loin d’être totalement absent du cadre de réforme qui a progressivement été mis en place à compter de l’adoption du Dodd-Frank Act, en 2010, le secteur de l’assurance a connu – et connaît – une évolution aussi décisive que structurante, malgré les réticences, voire les résistances, manifestées tant par les représentants de l’industrie – inquiets de tout impact négatif sur les fondamentaux économiques qui sous-tendent l’activité – que par les États fédérés – soucieux de voir préserver leur pré-carré institutionnel. À l’image du secteur auquel il se rapporte, antérieurement caractérisé par une forte atomicité, le cadre de supervision qui prévaut en matière assurantielle aux États-Unis connaît, aussi, de manière plus feutrée, une forme de consolidation, indéniablement marquée par l’inflexion de son centre de gravité en direction de l’État fédéral (I). Aussi significatif soit-il, l’ampleur du mouvement reste cependant difficile à apprécier. Il pourrait, en effet, à l’examen, se révéler assez parcellaire ou insuffisant, notamment s’il s’agit d’en apprécier la portée au regard des enjeux qui le sous-tendent, à savoir la prévention du risque systémique et la préservation de la stabilité financière, dans un contexte caractérisé par une coordination internationale renforcée (II).
I. Une tendance au renforcement du cadre de supervision fédéral avérée Contrairement au secteur bancaire qui associe et combine, à tout le moins pour un grand nombre d’établissements, une supervision de nature fédérale (exercée selon les cas par la Federal Reserve, la Federal Deposit Insurance Corporation ou l’Office of the Comptroller of the Currency) (8), d’une part, à une supervision exercée 8.
Pour rappel, à l’échelon fédéral, le périmètre de la régulation prudentielle du secteur bancaire américain s’articule principalement autour du Federal Reserve Board (FRB ou « Fed »), de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), de l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC) et de la National Credit Union Administration (NCUA). Ainsi, il revient à la Fed d’assumer la supervision des établissements bancaires qui sont enregistrés au sein d’un État fédéré et adhèrent au système de la Réserve fédérale (State Chartered Federal Reserve Members), des entités tête de groupe bancaire (Bank Holding Companies) ou encore des succursales de banques étrangères et les établissements non bancaires d’importance systémique. L’OCC, quant à elle, se trouve en charge de ceux des établissements bancaires qui sont agréés à l’échelle fédérale (Nationally Chartered) et qui, à ce titre, font également partie intégrante du système de la Réserve fédérale. La FDIC, pour sa part, outre la gestion du mécanisme de garantie fédérale des dépôts auquel adhèrent les Insured Deposit Institutions (dont les Nationally ou State Chartered Federal Reserve Members), supervise celles de ces dernières qui ne tombent pas dans le champ de compétence de la Federal Reserve
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au sein de chaque État fédéré, d’autre part, le secteur de l’assurance continue, pour sa part, avec l’aval du législateur (9), d’être fondé sur un encadrement institutionnel ancré à l’échelon « local », c’est-à-dire au sein de chaque État fédéré.
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Le secteur de l’assurance
continue d’être fondé sur un encadrement institutionnel ancré
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à l’échelon « local ».
Pour autant, il serait erroné de déduire de ce constat l’absence de tout effort de coordination au niveau fédéral. Présent dès l’origine, à travers un effort constant de coordination interétatique, enrichi par suite à travers le souci d’assurer une supervision consolidée de certains groupes financiers (A), le cadre de supervision fédéral tend, en effet, aujourd’hui, dans le contexte post-crise, à gagner en substance (B).
A. La préexistence d’un cadre de supervision fédéral embryonnaire De manière comparable à ce qui peut également être observé dans le secteur bancaire, à travers la Conference
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ou de l’OCC. La NCUA, enfin, assure le contrôle des Credit Unions (soit peu ou prou l’équivalent des établissements bancaires mutualistes). Après avoir longuement été débattu, notamment dans le courant du 19e siècle (pour une présentation synthétique des débats, voy. notamment le rapport du Federal Insurance Office, « How To Modernize And Improve The System Of Insurance Regulation In The United States », décembre 2013, spéc. pp. 11 à 17 ; document disponible sur le site de l’U.S. Department Treasury : https ://www.treasury.gov/initiatives/fio/reports-and- notices/Documents/How%20to%20Modernize%20 and%20Improve%20the%20System%20of%20Insurance%20Regulation%20in%20the%20United%20 States.pdf), ce principe a finalement été consacré par le législateur fédéral, à travers le « McCarron-Ferguson Act », adopté en 1945 (cfr 15 U.S. Code § 1012 : « No Act of Congress shall be construed to invalidate, impair, or supersede any law enacted by any State for the purpose of regulating the business of insurance, or which imposes a fee or tax upon such business, unless such Act specifically relates to the business of insurance (…) shall be applicable to the business of insurance to the extent that such business is not regulated by State Law »).
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of the State Bank Supervisors (CSBS) (10) ou encore le Federal Financial Institutions Examination Council (FFIEC) (11), le secteur de l’assurance s’est doté dès 1871, sur une base conventionnelle, d’un organe d’interrégulation (12). Sans avoir le statut et les pouvoirs classiquement attribués aux U.S. agencies, la NAIC (National Association of Insurance Commissioners), qui prend la forme d’une structure associative (13), a ainsi pour objet de promouvoir un cadre réglementaire aussi harmonisé que possible au sein des différents États fédérés, notamment en développant des standards (« Model Laws ») et en maintenant un forum d’échange permettant de partager et développer les meilleures pratiques. Par-delà la NAIC, qui demeure en toute hypothèse l’émanation des autorités compétentes au sein de chaque État fédéré, les autorités fédérales en charge de la régulation du secteur financier américain se sont, par ailleurs, progressivement trouvées impliquées en tant que telles dans la supervision du secteur de l’assurance. C’est tout particulièrement le cas du FRB, au titre du contrôle sur base consolidée exercé sur certains groupes financiers susceptibles d’intégrer en leur sein au moins une composante assurantielle (14). Deux cas de figure peuvent ici être distingués : 10. La CSBS s’apparente à un forum qui rassemble en son sein les 50 régulateurs du secteur financier des États fédérés, ainsi que ceux du District of Columbia, Guam, Puerto Rico et des Îles Vierges américaines et qui a vocation à promouvoir une meilleure coordination et une harmonisation plus aboutie du cadre réglementaire. 11. Institué le 10 mars 1979, consécutivement à la promulgation du Financial Institutions Regulatory and Interest Rate Control Act (Public Law 95‑630), le FFIEC rassemble en son sein les différentes agencies qui, à l’échelle fédérale, participent à la supervision du secteur bancaire (i.e. FRB, FDIC, OCC, NCUA et CFPB). Le FFIEC a notamment pour mission de contribuer à l’harmonisation des pratiques et d’offrir une plateforme unique s’agissant des données statistiques sectorielles. 12. Pour une approche conceptuelle de la notion, voy. notamment : M.-A. Frison-Roche, « L’hypothèse de l’interrégulation », in Les risques de régulation, sous la dir. de M.-A. Frison-Roche, coll. Droit et économie de la régulation, Vol. 3, Presses de Sciences-Po/Dalloz, 2005, p. 69. 13. La NAIC est dirigée par quatre « officers » (un President, un « President-Elect », un Vice President et une SecretaryTreasurer), élus annuellement par bulletin secret au sein des anciens ou actuels « commissioners » des autorités compétentes au sein de chaque État fédéré. Il existe par ailleurs un découpage par grandes zones géographiques (Northeastern, Southeastern, Midwestern et Western), avec à la tête de chacune de ces dernières un Chairman, un vice-chairman et un Secretary Treasurer qui ont pour fonction de siéger au sein de comité exécutif de la NAIC (avec les quatre officers et les anciens présidents), organe qui a notamment la responsabilité de suivre et d’adopter in fine les standards législatifs applicables au secteur de l’assurance (« Model Law Development »). 14. Pour une présentation détaillée, nous renvoyons notamment à la communication (« Insurance holding company 50
– le cas (relativement rare) où l’une des 4.452 Bank Holding Companies (BHCs) soumises au contrôle du FRB (i.e. les têtes de de groupes bancaires) se trouve également être une compagnie d’assurance (même si cette configuration semble relativement rare, elle n’est pas impossible – avant la récente cession de sa filiale bancaire, Metlife comptait ainsi parmi les entités inscrites sur la liste des BHCs), d’une part ; et – le cas (le plus fréquent) des BHCs relevant de la catégorie des financial holding companies (FHCs) ou des Saving and Loans Holding Companies (SLHCs) (15), soit les têtes de groupes bancaires (commerciaux ou mutualistes) qui ont directement ou par l’intermédiaire de filiales ou d’affiliées une activité financière étendue à d’autres secteurs, tels que celui de l’assurance par exemple (16), d’autre part (17).
supervision ») qui a été faite dans le cadre d’une audition devant la Chambre des représentants, le 18 mars 2010, par Jon D. Greenlee, Associate Director Division of Banking Supervision and Regulation (le document est accessible en ligne par l’intermédiaire du site Internet du FRB : http://www.federalreserve.gov/newsevents/ testimony/greenlee20100318a.htm), ainsi que vers les « Supervision and Regulation Letters » du FRB (spéc. n° 12‑17, n° 11‑11 et n° 08‑9 ; ces différents documents sont également disponibles en ligne sur le site Internet du FRB : http://www.federalreserve.gov/bankinforeg/ srletters/srletters.htm). 15. Cfr Titre 3 du Dodd-Frank Act. 16. Depuis l’adoption du Gramm-Leach-Bliley Act, en 1999, semblable possibilité est offerte aux groupes bancaires, dès lors qu’ils justifient de la solidité de leurs filiales bancaires – les insured depository institutions – et des entreprises qui leurs sont le cas échéant affiliées. Antérieurement les règles variaient selon qu’il s’agissait de l’activité (commercialisation en qualité de mandataire ou offre à la souscription) et de la nature de l’entité (les entités bancaires agréées à l’échelle fédérale ne pouvaient ainsi quasiment pas exercer d’activités liées au secteur assurantiel, à la différence des entités agréées au sein d’un État fédéral). En 2009, 548 FHCs étaient actives (contre 481 aujourd’hui), 507 étaient américaines (soit 41 appartenant à des groupes étrangers). Sur ce total, seules 33 FHCs étaient impliqués dans la souscription d’assurance ou « underwriting » (22 entités domestiques et 11 entités de nationalité étrangère), pour un montant total d’environ USD 551 milliards (soit 3,4 % du total des actifs détenus par la totalité des FHCs, lesquelles pèsent elles-mêmes pour USD 16.1 trillions, soit 86 % des actifs contrôlés par les 5.635 BHCs – 4.452 aujourd’hui). De même, 194 FHCs étaient également actives dans la vente d’assurance (avec un impact sur le bilan considéré comme négligeable, cependant, puisqu’à la différence de la souscription, ces activités sont réalisées en qualité de simple mandataire). 17. La liste des entités répondant à cette catégorie est disponible sur le site Internet du FRB.
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B. Le renforcement et le développement du cadre de supervision fédéral préexistant C’est pour l’essentiel dans le contexte post-crise que la supervision du secteur de l’assurance à un niveau fédéral s’est substantiellement développée. Plusieurs innovations d’ordre institutionnel ont participé à ce mouvement. Par ordre d’importance, il convient tout d’abord de faire référence au régime prudentiel renforcé auquel, conformément aux prescriptions du Titre 1 du Dodd- Frank Act, se trouvent désormais assujettis ceux des assureurs qui à raison de leur empreinte systémique ont été désignés en qualité de SIFIs par le FSOC. Cette évolution apparaît indubitablement comme une étape significative à raison du poids des entités qui en font l’objet (i.e. AIG, Prudential et MetLife) ; c’est ainsi près du tiers du secteur assurantiel qui se trouve placé dans le champ de supervision fédéral. Elle se double, par ailleurs, d’un assujettissement au régime de résolution, tel que prévu aux termes du Titre 2 du Dodd-Frank Act (« Orderly Liquidation Authority ») et emporte à ce titre l’intervention de la FDIC, que ce soit à travers l’examen partagé avec le FRB des plans de résolution qui doivent être remis sur base annuelle ou encore, le cas échéant, en tant qu’autorité de résolution compétente.
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Un organisme public
doit en effet être prochainement institué en vue de centraliser l’ensemble des données relatives aux « Insurance
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producers ».
Par suite, c’est la création d’un bureau entièrement dédié au secteur de l’assurance au sein de l’U.S. Treasury Department qui mérite d’être souligné. Le rôle confié par le législateur au Federal Insurance Office (ou FIO) retient l’attention, en effet, en ce qu’il substitue à un processus historique de type « bottom-up », plongeant ses racines auprès des autorités compétentes de chaque État fédéré et de la NAIC, une approche « top-down », impulsée par le gouvernement fédéral. Ainsi, aux 2016/1
termes du Titre 5 du Dodd-Frank Act, il incombe au FIO de suivre l’ensemble des problématiques liées au secteur de l’assurance, et tout particulièrement celles qui sont de nature à générer un risque systémique pour le secteur ou le système financier américain dans son intégralité, de fournir au FSOC une expertise technique dans le cadre du processus de désignation des assureurs systémiques ou encore de consulter les États fédérés s’agissant des sujets assurantiels d’importance fédérale ou les questions prudentielles de dimension internationale. La ligne de fracture conceptuelle induite par la réforme n’a d’ailleurs pas tardé à se trouver ouvertement exprimée, à travers la publication par le FIO, en décembre 2013, d’un rapport commandé par le législateur lui-même et dont l’objet consistait opportunément à dresser un bilan du cadre de supervision applicable au secteur de l’assurance. Malgré le satisfecit exprimé en direction du régime antérieur et le luxe de précaution pris afin de ne pas froisser la sensibilité (et les susceptibilités) des autorités compétentes au sein des États fédérés, ce dernier, sous un intitulé pour le moins explicite (« How to Modernize and Improve the System of Insurance Regulation in the United States ») (18), n’en décline pas moins un certain nombre de propositions qui plaident pour un renforcement de l’emprise fédérale sur le secteur de l’assurance (notamment par l’intermédiaire du FIO) et contribuent à alléger la charge imputable au surcoût réglementaire qui caractériserait le système actuel (19). Ainsi, tout en ménageant dans une large mesure la compétence de principe des États fédérés (20), le FIO n’en formule pas moins le souhait que dans l’hypothèse d’une carence manifeste, le législateur fédéral 18. Le rapport est disponible en ligne sur le site Internet de l’U.S. Department Treasury : https ://www.treasury. gov/initiatives/fio/reports-and-notices/Documents/ How%20to%20Modernize%20and%20Improve%20 the%20System%20of%20Insurance%20Regulation%20 in%20the%20United%20States.pdf. 19. Citant une étude réalisée en 2009 par le cabinet McKinsey (« Improving Property and Casualty Insurance Regulation In the United State »), le rapport (spéc. p. 5) estime, en effet, que le coût associé au « state-based insurance regulatory system » serait de l’ordre de USD 7, milliards pour l’assurance-dommage (« P/C insurers ») et d’environ USD 5,7 milliards pour l’assurance-vie (« life insurers »). 20. Cfr Rapport, spéc. pp. 5 et 6 : « In light of these considerations, this Report concludes that the proper formulation of the debate at present is not whether insurance regulation should be state or federal, but whether there are areas in which federal involvement in regulation under the state-based system is warranted. Reframed in this manner, the basic question with respect to reforming any aspect of insurance should be whether federal involvement is warranted at this time and, if so, in what areas. The necessity for federal involvement should depend on assessment of questions such as whether states can take measures to regulate effectively and with uniformity, the degree of the national or federal interest, and the nexus of the issues and the firms with the global marketplace ».
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La discrète mutation du cadre de supervision du secteur de l’assurance aux États-Unis
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Distribution de produits d’assurance
puisse prendre le relais (21), soit en assurant lui-même la promotion d’un standard (et en laissant le cas échéant aux autorités compétentes des États fédérés le soin de l’appliquer), soit en se substituant totalement à ces dernières dans certains domaines qui apparaissent être de dimension fédérale ou à tout le moins interétatique. La récente réforme intervenue en matière de distribution des produits d’assurance constitue à cet égard l’illustration parfaite de ce nouveau paradigme. Consécutivement à la promulgation, le 12 janvier 2015, du « Terrorism Risk Insurance Program Reauthorization Act » (ou TRIA), dispositif majeur dont l’objet principal consiste à reconduire pour une durée de six ans le « federal terrorism insurance program » (22), un organisme public (l’Association of Registered Agents and Brokers ou NARAB (23)) (24) doit en effet être prochainement institué en vue de centraliser l’ensemble des données relatives aux « Insurance producers » (qu’ils soient « agents » ou « brokers ») (25) et, subséquemment, permettre la mise en place d’un véritable système de passeport. Sous réserve de remplir les conditions d’ad21. Cfr Rapport, spéc. p. 8 : « As a result, should the states fail to accomplish necessary modernization reforms in the near term, Congress should strongly consider direct federal involvement ». 22. Soit le mécanisme qui permet au gouvernement fédéral d’assumer le rôle de réassureur dans l’hypothèse où les compagnies d’assurance se trouvent appelées à couvrir un sinistre dont le montant dépasse les USD 200 millions. 23. Il s’agit plus précisément d’une confirmation législative, puisque la création de ce dernier avait déjà été envisagée, sur un mode conditionnel, par le Gramm-Leach- Bliley Act de 1999 (ou GLBA). Le dispositif avait en effet prévu qu’à défaut de progrès suffisants au niveau des États fédérés, la NARAB serait instituée à compter de la fin de l’année 2002. Un groupe de travail avait ainsi été créé au sein de la NAIC afin de promouvoir un cadre harmonisé pour l’agrément des insurer producers ainsi qu’un mécanisme de reconnaissance mutuelle (Producer Licensing Model Act). L’adoption par ce dernier par près de 35 États fédérés avait alors été considérée suffisante par la NAIC pour ne pas concrétiser la création de la NARAB. Il convient de préciser, par ailleurs, qu’antérieurement à l’adoption du GLBA, la NAIC avait déjà tenté d’instituer, en 1996, un registre fédéral, le National Insurance Producer Registry (NIPR), conçu comme un portail unique susceptible de permettre de solliciter un agrément, selon un format unique, au sein de chaque État fédéré. 24. La NARAB disposera d’un board, composé de treize membres, comprenant huit anciens ou actuels state insurance commissioners (i.e. des membres issus des autorités qui au sein des États fédérés ont la charge de superviser les organismes d’assurance) et cinq membres représentants de l’industrie. L’ensemble des membres de la NARAB sont nommés par le Président et doivent ensuite être confirmés par le Sénat. Seuls quatre membres issus des rangs des régulateurs locaux ont pour l’heure été désignés par le Président, le 11 janvier 2016. 25. Au total, ces derniers représenteraient environ deux millions d’individus et près de 500.000 sociétés. 52
hésion (26), les intermédiaires en assurance devraient donc ainsi pouvoir exercer librement leurs activités dans d’autres États fédérés, en qualité de « nonresident insurer producer » et sans avoir à solliciter un nouvel agrément auprès de l’autorité locale compétente (27). Pour significatif qu’il soit, notamment au regard du poids historiquement accordé aux États fédérés dans la supervision du secteur de l’assurance aux États-Unis, le déplacement du centre de gravité au niveau de l’État fédéral, tel que constaté dans le contexte post-crise, doit néanmoins être relativisé quant à sa portée. Cette dernière demeure encore, en effet, dans une large mesure, incertaine.
II. Une tendance au renforcement du cadre de supervision fédéral discutée quant à sa portée L’incertitude qui peut être relevée vis-à-vis du cadre de supervision fédéral renforcé en matière assurantielle résulte principalement de deux facteurs : les doutes quant à l’effectivité des réformes d’ores et déjà adoptées, d’une part (A) et le constat selon lequel ce dernier demeure pour partie incomplet, d’autre part (B).
A. Les doutes quant à l’effectivité d’un cadre de supervision fédéral renforcé La montée en puissance du cadre de supervision fédéral applicable au secteur de l’assurance, incontestable sur le plan formel, demeure sujette à caution sur le plan substantiel. S’il s’agit tout d’abord de prendre en considération la supervision consolidée des groupes d’assurance, force est de relever que cette dernière reste, en effet, d’une portée relativement limitée. Elle n’est qu’indirecte (voire incidente) au titre du contrôle qu’exerce le FRB sur les FHCs ou les SLHCs puisque, par construction, 26. Cfr TRIA, spec. Sect. 323. De manière schématique, il s’agit pour les membres de justifier qu’ils bénéficient déjà d’un agrément au sein d’un État fédéré, qu’ils ne font pas l’objet d’une mesure de suspension ou de révocation, de satisfaire à un examen de probité et de payer les frais d’adhésion. 27. Pour une présentation du mécanisme antérieur à la NARAB et des carences résiduelles nonobstant les efforts déployés par la NAIC, voy. l’étude critique produite par le Council of Insurance Agents & Brokers « Insurance Producer Licensing from NARAB to Now : The Promise, Progress and Failures », janvier 2014 (le document est disponible en version électronique sur le site Internet du CIAB : https ://www.ciab.com/WorkArea/DownloadAsset.aspx?id=4654).
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tous les groupes d’assurance n’intègrent pas l’une ou l’autre de ces deux catégories qui se rapprochent des conglomérats financiers européens. En définitive, il s’agit davantage ici d’assurer la supervision prudentielle d’un groupe financier au sein duquel figure une entité qui appartient au secteur de l’assurance. De la même manière, le contrôle sur base consolidée des assureurs qui ont été désignés comme entités financières systémiques (systemically important financial institution ou SIFI) par le FSOC demeure à cette heure incertain faute d’un régime prudentiel applicable (il appartient encore au FRB de publier le corpus de règles applicables (28)), d’une part, mais aussi et surtout, d’autre part, à terme, faute d’entités désignées en qualité de SIFIs. Si à l’évidence la première réserve est transitoire (le FRB devrait soumettre à consultation une proposition dans le courant de l’année 2016), la seconde apparaît plus sérieuse, en revanche, en ce qu’elle résulterait, outre le succès éventuel des actions contentieuses engagées à l’encontre de la décision de désignation stricto sensu (29), des mesures structurelles et/ou fonctionnelles (i.e. cession ou cessation de certaines activités financières qui ont fondé leur désignation) que les entités envisagent de prendre ou ont d’ores et déjà initiées afin d’échapper à un statut réputé stigmatisant et pénalisant en terme de refinancement. Victime de son succès, la catégorie tendrait ainsi à se vider de substance face à la montée des critiques de l’actionnariat (au premier rang duquel
28. L’adoption de l’Insurance Capital Standards Clarification Act, intervenue le 18 décembre 2014 (dispositif bi-partisan qui a modifié le Dodd-Frank Act afin de s’assurer, sur fond de défiance, que le FRB disposerait de toute la latitude et la flexibilité nécessaire pour adapter le cadre prudentiel renforcé applicable au secteur bancaire) semble cependant avoir significativement eu pour conséquence de reporter l’échéance : 12 U.S.C. 5371 (« In establishing the minimum leverage capital requirements and minimum risk-based capital requirements on a consolidated basis for a depository institution holding company or a nonbank financial company supervised by the Board of Governors as required under paragraphs (1) and (2) of subsection (b), the appropriate Federal banking agencies shall not be required to include, for any purpose of this section (including in any determination of consolidation), a person regulated by a State insurance regulator or a regulated foreign subsidiary or a regulated foreign affiliate of such person engaged in the business of insurance, to the extent that such person acts in its capacity as a regulated insurance entity »). 29. Conformément aux dispositions prévues à la Section 113(h) du Dodd-Frank Act (DFA), Metlife a exercé, le 13 janvier 2015, son droit de recours devant l’U.S. District Court de Columbia. On ne pourra manquer de relever que semblable action, nonobstant le fait qu’elle soit inédite et toujours pendante, a indirectement reçu l’appui des représentants du « state-based insurance regulatory system » par l’intermédiaire de la voix dissidente de S. Roy Woodall, Jr., le membre indépendant nommé par le Président à raison de son expertise dans le secteur assurantiel et l’opposition appuyé du représentant non votant des state insurance commissioners. 2016/1
certains fonds activistes particulièrement puissants) comme des autres parties prenantes. En toute hypothèse, il apparaît que de nature encore très embryonnaire, la supervision sur base consolidée des groupes d’assurance pourrait même in fine être réalisée par les autorités compétentes des États fédérés. Plusieurs initiatives ont en effet récemment été prises en ce sens, au premier rang desquelles la constitution de collège de superviseurs, promus par l’International Association of Insurance Supervisors (IAIS), et la transcription législative d’un « Model Act » (Insurance Holding Company System Regulatory Act ou MDL440) destiné à faciliter les transferts d’informations sur l’ensemble du territoire des États-Unis.
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Semblable adhésion
restera selon toute vraisemblance purement facultative pour un certain nombre de
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professionnels.
De la même manière, concernant la perspective de voir harmonisées et rationalisées à l’échelle fédérale les procédures d’agrément des intermédiaires en assurance, il convient de relever que l’institutionnalisation de la NARAB ne constitue pas nécessairement la panacée. Même s’il est aisément concevable qu’un certain nombre de professionnels se porteront volontaires pour adhérer à cette dernière, afin notamment de bénéficier du système de passeport mis en place, il n’en demeure pas moins que semblable adhésion restera selon toute vraisemblance purement facultative pour un certain nombre de professionnels, notamment ceux qui ont une activité cantonnée à un État fédéré. La réforme n’aura donc pas pour conséquence de placer l’ensemble de la profession sous le giron de la NARAB, dont il convient de relever, par ailleurs, que les pouvoirs ont été particulièrement restreints par un Congrès soucieux de ne pas heurter le principe de compétence des États fédérés. Le dispositif mis en place demeure avant toute chose un compromis, de sorte que demeurent exercés au seul échelon local les pouvoirs d’agrément, de contrôle et de sanctions disciplinaires, au même titre que le pouvoir de définir réglementairement le statut et le régime applicable à la profession (30).
30. Cfr TRIA, spec. Sect. 322.
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La discrète mutation du cadre de supervision du secteur de l’assurance aux États-Unis
Distribution de produits d’assurance
Dossier
B. Les interrogations quant au degré de complétude du cadre de supervision fédéral renforcé Par-delà les réformes accomplies, il apparaît que le cadre de supervision fédéral se caractérise également par l’absence de certaines thématiques pourtant centrales dans le contexte post-crise. Il en va tout d’abord du volet consumériste qui se trouve toujours dans une très large mesure relégué au niveau de chaque État fédéré, malgré l’effort de coordination de la NAIC. Ce constat est d’autant plus frappant que, précisément, l’une des réformes majeures du Dodd-Frank Act a consisté dans la création d’une autorité de régulation spécialement dédiée à ces questions particulièrement prégnantes dans la sphère financière (le Consummer Financial Protection Bureau ou CFPB). Force est de relever, ainsi, que le législateur a pris le soin d’exclure expressément l’activité de l’assurance, au même titre que l’ensemble des entités qui sont soumises à la supervision des « state insurance regulators » du champ de compétence de la nouvelle autorité fédérale, nonobstant une corde de rappel ultime prévue aux termes du Titre X (31). Cette absence, si elle peut apparaître cohérente au regard du maintien de compétence exclusive des États fédérés, n’emporte pas moins certains paradoxes puisque le CFPB s’avère être compétent pour encadrer l’activité de certains établissements bancaires qui assurent la distribution de produits d’assurance en complément de certains de leurs services (32). Par suite, l’absence d’une régulation sectorielle suffisamment aboutie à l’échelle fédérale en matière assurantielle apparaît patente s’agissant de la question de la mise en œuvre d’une résolution ordonnée et rapide, notamment dans l’hypothèse de la défaillance probable ou avérée d’un organisme d’assurance qui sans être systémique serait néanmoins présent au sein de plusieurs États fédérés et/ou actif sur le plan international. Certaines études pointent même, à juste titre, le risque pour la stabilité financière que représente actuellement une approche fragmentée et non coordonnée. En particulier, il apparaît que la mise en œuvre du système de garantie offert aux assurés, 31. Le CFPB dispose en effet du pouvoir de prendre toute action nécessaire vis-à-vis de toute entité qui se trouverait engagée dans des « actions ou pratiques déloyales ou frauduleuses ». 32. Certaines décisions disciplinaires ont d’ores et déjà été prises en ce sens et suscité la critique, la profession, estimant que le CFPB outrepassait alors son champ de compétence : http://www.aba.com/Issues/Insurance/ Pages/creditinsdpp.aspx.
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qui prend appui sur des fonds spécialement dédiés, constitués et gérés au niveau de chaque État fédéré (33), pourrait s’avérer totalement contreproductive à raison de l’effet accélérateur que pourrait avoir l’appel à contribution réalisé auprès des autres organismes d’assurance, a fortiori dans un environnement défavorable (à la différence du fond de garantie des dépôts bancaires, géré par la FDIC, aucun préfinancement n’est prévu). La mise en place d’un mécanisme coordonné au niveau fédéral contribuerait indéniablement à réduire l’aléa moral (too-interconnected-to-fail ») qui préside actuellement (34). Au total, il apparaît que si le cadre de supervision applicable au secteur de l’assurance américain se caractérise dans le contexte post-crise par un renforcement de l’influence exercée par l’État fédéral, cette évolution demeure encore difficile à évaluer à ce stade. Elle atteste cependant d’un mouvement bien réel qui traduit indubitablement, en filigrane, l’influence (voire la pression) croissante exercée par les réflexions et les travaux internationaux menés au sein de l’IAIS et du FSB, lesquels prennent leurs sources dans le souci de prévenir le risque systémique et garantir la stabilité financière. Sans prétendre pouvoir anticiper ce que seront in fine les contours d’un cadre de supervision encore en mutation, il semble envisageable qu’à l’instar de ce qui peut être observé dans le secteur bancaire (et partant du principe que les mêmes causes produisent les mêmes effets), une supervision fédérale tende progressivement à surplomber une régulation encore très largement assumée de manière exclusive au sein de chaque État fédéré. Outre que semblable évolution, si elle devait avoir lieu, prendra nécessairement du temps (et sauf hypothèse où la survenance d’une crise majeure jouerait, une fois n’est pas coutume, le rôle d’accélérateur de l’Histoire…), il reviendrait alors de s’interroger sur la nécessité et/ou l’opportunité d’une convergence des cadres de supervision respectivement applicables aux secteurs bancaire et assurantiel, conformément au modèle actuellement dominant au sein des États membres de l’Union européenne (citons notamment le cas du Royaume-Uni, de l’Allemagne ou bien encore de la France), lesquels joueraient alors de manière somme toute inédite un rôle précurseur. 33. Il convient de relever que ces fonds sont généralement distincts selon qu’il s’agit de couvrir le secteur de l’assurance santé-dommage ou le secteur de l’assurance-vie. 34. Pour une approche du concept et une proposition de réforme du système actuel, voy. notamment : V. V. V. Acharya, J. Biggs, M. Richardson et S. Ryan, « On the Financial Regulation of Insurance Companies », NYU Stern School of Business, août 2009 (document disponible en version électronique sur le site Internet de la NYU Stern School of Business : http://web-docs. stern.nyu.edu/salomon/docs/whitepaper.pdf).
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La distribution d’assurances au Québec Vincent Caron
Professeur à la Faculté de droit (section de droit civil) de l’Université d’Ottawa et avocat
Au Canada, l’assurance maritime est de juridiction fédérale alors que l’assurance terrestre (tant de personnes que de dommages) est de compétence provinciale. La distribution de l’assurance au Québec est très encadrée. Tout d’abord, le Code civil du Québec régit principalement la relation assuré-assureur alors que la Loi sur les assurances (1) encadre principalement les activités de l’assureur. De son côté, la Loi sur la distribution de produits et services financiers (2) s’applique aux représentants (notamment le représentant en assurance de personnes, le représentant en assurance collective, l’agent d’assurance de dommages, le courtier en assurance de dommages et l’expert en sinistre) exerçant des activités au Québec (3) dans leurs relations avec les clients ainsi que leurs relations avec les assureurs. Y sont également soumis, les cabinets ainsi que leurs dirigeants, les représentants autonomes, les sociétés autonomes, les assureurs ainsi que les distributeurs (personne offrant de façon accessoire à ses activités un produit d’assurance). Cette loi a pour objet la protection du public. Pour ce faire, elle contient à la fois des dispositions d’ordre administratif, déontologique, civil et pénal. En plus de ces lois, s’ajoutent une vingtaine de règlements édictés en vertu de la LDPSF relatifs à l’exercice de la fonction de représentant ou encore à la tenue des livres et registres ainsi que différents Codes de déontologie.
Thomas Perrino
&
Étudiant à la Licence en droit à la Faculté de droit (section de droit civil) de l’Université d’Ottawa sentant, les conditions requises pour obtenir un certificat, les règles relatives à la formation continue, les règles de déontologie applicables aux représentants. L’AMF peut révoquer un certificat, le suspendre ou l’assortir de restrictions. Elle est également en charge de l’application de la Loi sur les assurances. Elle donne ainsi les lignes directrices à l’égard de la gouvernance, des normes de solvabilité et des normes relatives aux pratiques de gestion saine et prudente. Enfin, elle est responsable du Fonds d’indemnisation des services financiers. Elle détermine par règlement le montant de la cotisation, elle statue sur l’admissibilité des réclamations et décide du montant des indemnités versées (limite de 200.000 $ par réclamation). Ce fonds est affecté au paiement des indemnités payables aux victimes de fraude, de manœuvres dolosives ou de détournement de fonds dont est responsable notamment un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome (4).
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L’Autorité des marchés
financiers délivre le droit d’exercer des activités
I. L’Autorité des marchés financiers : le grand manitou de la régulation au Québec L’Autorité des marchés financiers (ci-après l’AMF) est en charge de l’application de la LDPSF. Elle délivre le droit d’exercer des activités d’assurance au Québec et en fixe les tarifs. En plus de veiller à la protection du public, l’AMF reçoit les plaintes formulées à l’encontre des acteurs de l’industrie. Elle enquête sur les plaintes de nature pénale et peut intenter des poursuites. Elle détermine notamment les exigences relatives à la formation requise pour devenir repré1. RLRQ c. A-32, ci-après LA. 2. RLRQ c. D-9.2, ci-après LDPSF. 3. Article 1er et 2 LDPSF. 2016/1
d’assurance au Québec et en fixe les tarifs. II. Assureur
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Les règles applicables aux assureurs diffèrent en fonction de leur constitution. Au Québec, les compagnies d’assurances, les compagnies mutuelles d’assurance, les sociétés mutuelles d’assurance, les sociétés de secours mutuels ainsi que les ordres professionnels assurant la responsabilité professionnelle de leurs membres 4.
Article 258 LDPSF.
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Dossier
La distribution d’assurances au Québec
Dossier
Distribution de produits d’assurance
sont soumis à la Loi sur les assurances. Les sociétés d’assurances enregistrées dans une autre province, celles formées sous le régime d’une loi fédérale ainsi que les sociétés d’assurances étrangères sont soumises à la réglementation fédérale notamment la Loi sur les
sociétés d’assurances(5). Un peu plus de 80 règlements viennent compléter cette dernière. De manière générale, les assureurs exerçant au Québec sont d’origines diverses tel qu’en fait foi les récentes données de l’AMF :
Tableau de ventilation du nombre d’assureurs titulaires d’un permis au Québec au 31 décembre 2015 Assurances de personnes
Assurances de dommages
Assurances de personnes et de dommages
10
23
4
37
5
5
0
10
Charte du Canada
36
59
0
95
Charte d’un État ou pays étranger
27
57
1
85
Total
78
144
5
227
Classes de titulaire de permis d’assureur selon la Charte
Total
Compagnies d’assurances Charte du Québec Charte d’une autre province
Sociétés de secours mutuels Charte du Québec
2
2
Charte d’une autre province
0
0
Charte du Canada
6
6
Charte d’un État ou pays étranger
5
5
13
13
2
2
Total Compagnies d’assurances funéraires Sociétés mutuelles d’assurance
23
Ordre professionnel
23
7
Grand total
93
174
7 5
272
* Source : Autorité des marchés, www.lautorite.qc.ca/fr/ventilation-nombre-assureurs.html.
Indépendamment de la provenance de l’assureur, celuici doit détenir un permis délivré par l’AMF afin de pouvoir exercer des activités au Québec (6). Toutefois, les assureurs de dommages n’ayant pas d’établissement au Québec peuvent néanmoins y émettre des contrats d’assurance sans permis, par l’intermédiaire d’un cabinet agissant par l’entremise d’un courtier spécial visé par la LDPSF. Ils ne peuvent alors pas faire de publicité (7). En plus de respecter les règles relatives aux placements, actifs, provisions, réserves et fonds distincts (8), l’assureur doit se doter d’une politique portant sur l’examen des plaintes du public (9). Les règles entourant le contrat d’assurance sont prévues aux articles 2398 à 2504 du Code civil du Québec. Outre la question de l’intérêt d’assurance, ces règles sont d’ordre public de direction. Ainsi, « toute clause d’un contrat d’assurance terrestre qui accorde au preneur, à l’assuré, à l’adhérent, au bénéficiaire ou au titu-
5. 6. 7. 8. 9. 56
LC 1991, c. 47. Article 201 LA. Article 204 LA. Articles 243‑285 LA. Article 285.29 LA.
laire du contrat moins de droits que les dispositions du [Code civil] est nulle » (10).
III. Assurance automobile au Québec : spécificité nord-américaine La Loi sur l’assurance automobile (11) entrée en vigueur en 1978 établit un régime d’indemnisation étatique pour ce qui est des dommages corporels causés par l’utilisation d’un véhicule automobile au Québec (régime appelé : no fault). La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) est responsable de l’application de ce régime et du versement des indemnités. Les cotisations sont perçues à même les coûts du permis de conduire (+/– 60 $ CAD annuellement). Malgré quelques imperfections, ce système d’indemnisation est très efficace : les primes d’assurance automobile au Québec sont les plus faibles au Canada. 10. Article 2414, al. 1er, C.c.Q. 11. RLRQ., c. A-25, ci-après LAA.
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Quant aux autres types de dommages, ils sont assurés par les assureurs privés lesquels doivent être membres du Groupement des assureurs automobile (G.A.A.). Toutefois, le contenu du contrat d’assurance (contrat uniforme intitulé Formule de Police du Québec) doit être approuvé par l’AMF (12). L’assurance responsabilité civile (dommages matériels causés à autrui) est obligatoire alors que l’assurance de dommages (dommages matériels au véhicule de l’assuré) est facultative.
non seulement un cabinet est responsable des fautes de son représentant (responsabilité pour autrui) (21), mais sa responsabilité personnelle est engagée lorsqu’il n’exerce pas sur le représentant la surveillance requise pour s’assurer que celui-ci respecte la loi, notamment les limites de sa certification professionnelle (22). De plus, le cabinet doit veiller « à ce que ses dirigeants et employés agissent conformément à la [LDPSF] et à ses règlements » (23).
IV. Réassureur
VI. Représentant en assurance (agent et courtier)
Un seul article dans le Code civil du Québec traite spécifiquement du contrat de réassurance : il n’y a pas de lien de droit entre l’assuré et le réassureur (13). Le refus de couvrir du réassureur n’est donc pas opposable à l’assuré. Quant au traité de réassurance, celui-ci a été qualifié de contrat sui generis par la Cour d’appel du Québec : les articles 2389 à 2504 C.c.Q. relatifs au contrat d’assurance ne lui sont donc pas applicables.
V. Cabinet La LDPSF reconnaît deux types de cabinet : celui unidisciplinaire ou multidisciplinaire (14). « Seule une personne morale ayant un établissement au Québec peut s’inscrire auprès de l’AMF pour agir comme cabinet » (15). Toutefois, pour les fins de la loi, « les Lloyd’s sont réputés être une personne morale » (16). L’AMF peut refuser l’inscription d’un cabinet lorsque celui qui la demande, ou l’un de ses administrateurs ou dirigeants, ne présente pas à son avis, l’honnêteté, la compétence et la solvabilité voulues (17). La tenue de dossier du cabinet est strictement encadrée par la LDPSF et ses règlements. À l’instar de l’assureur, le cabinet doit également se doter d’une politique des plaintes et en fait rapport à l’AMF (18). Cette dernière procède, aussi souvent qu’elle l’estime nécessaire, à l’inspection d’un cabinet (19). Lorsque des sommes d’argent appartenant à l’assuré ou à l’assureur transigent par le cabinet, celui-ci en est responsable même s’il n’est pas, par hypothèse, le mandataire de l’assureur ou de l’assuré (20). Enfin, 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20.
Article 422 LAA. Article 2397 C.c.Q. Article 70 LDPSF. Article 72 LDPSF. Article 72 LDPSF. Article 79 LDPSF. Articles 103 et 103.1 LDPSF. Article 107 LDPSF. Article 102 LDPSF : « Le paiement d’une prime d’assurance fait à un cabinet ou à l’un de ses représentants pour le compte d’un assureur est réputé avoir été fait directement à l’assureur. L’assureur qui verse à un cabinet des sommes pour le compte d’un assuré ou du bénéficiaire de ce dernier n’est dégagé de ses obligations que lorsque l’assuré ou le bénéficiaire les reçoit ».
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Le représentant doit à la fois être titulaire d’un certificat valide délivré par l’AMF et procéder à l’inscription de son mode d’exercice (employé, associé ou représentant autonome). De manière générale, de nombreuses obligations incombent au représentant en assurance (tant de personnes que de dommages) qu’il soit agent ou courtier. En effet, les tribunaux ont reconnu que les représentants « sont plus que de simples vendeurs, ils ont envers leurs clients l’obligation de fournir non seulement des renseignements sur la couverture, mais encore des conseils sur les formes de protection dont ils ont besoin » (24). Les obligations du mandataire d’agir avec prudence, diligence, honnêteté et loyauté prévues aux articles 2138 à 2148 du Code civil du Québec sont applicables aux courtiers sans oublier les différentes obligations de conseil codifiées aux articles 26, 27, 28, 31, 38 et 39 LDPSF applicables à l’ensemble des représentants en assurance. À ces obligations générales, s’ajoutent d’autres plus spécifiques. À titre d’exemple, la conduite du représentant en assurance de personnes, peu importe les catégories de disciplines dans lesquelles il exerce ses activités, est également régie par le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière (25) lequel établit des devoirs et des obligations envers le public, le client, les autres représentants, les cabinets, les sociétés autonomes, les assureurs, les institutions financières, le syndic et la profession. L’application de ce Code de déontologie est assurée par la Chambre de la sécurité financière (CSF) et non pas par l’AMF. De la même manière, le représentant en assurance de dommages est assujetti au Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (26) dont la Chambre de l’assurance de dommages (CHAD) a pour mission d’appliquer. Lors de la dernière consultation publique relative à la révision de la LDPSF, cer21. 22. 23. 24.
Article 80 LDPSF. Article 85 LDPSF. Article 86 LDPSF. Sévigny c. AssurExperts Boulanger Laporte inc., 2008 QCCS 515 référant à : Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba, [1990] 3 R.C.S. 191. 25. RLRQ c. D-9.2, R. 3. 26. RLRQ, c. D-9.2, R. 5.
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Dossier
La distribution d’assurances au Québec
Dossier
Distribution de produits d’assurance
tains représentants ont émis le souhait que le Code de déontologie soit appliqué par l’AMF afin d’éviter un dédoublement des structures.
de lui fournir » (30). Ces différentes obligations peuvent parfois mettre le courtier dans une situation délicate lorsque son client représente un risque sous-standard.
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Une des plus grandes
De nombreuses
obligations incombent au représentant en assurance
lacunes de la LDPSF est sans contredit l’absence
(tant de personnes que
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de dommages) qu’il soit
l’égard du représentant
agent ou courtier.
agissant en dehors de sa
Lacune de la loi
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Une des plus grandes lacunes de la LDPSF est sans contredit l’absence de protection du client à l’égard du représentant agissant en dehors de sa certification. Les tribunaux québécois ont d’ailleurs reconnu qu’il s’agit d’un fléau dans la profession. La législation actuelle n’apporte pas de réparation à la victime dans ce scénario malheureusement trop fréquent. En effet, en agissant à l’extérieur de sa certification, le représentant prive le client du recours au Fonds d’indemnisation des services financiers pour récupérer ses pertes éventuelles ainsi que d’un recours contre l’assureur de responsabilité professionnelle puisque cette conduite fait l’objet d’une clause d’exclusion.
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certification.
VII. La distribution sans représentant
Si « le représentant en assurance de dommages doit en tout temps placer les intérêts des assurés et ceux de tout client éventuel avant les siens ou ceux de toute autre personne ou institution » (27), il doit toutefois « éviter de se placer, directement ou indirectement dans une situation où il serait en conflit d’intérêts » (28) et ne « pas abuser de la bonne foi d’un assureur ou user de procédés déloyaux à son endroit » (29). De même, il « doit donner à l’assureur les renseignements qu’il est d’usage
La distribution sans représentant (DSR) est un régime d’exception, encadré par le Titre VIII de la LDPSF, permettant à des individus non certifiés dont les activités économiques principales ne sont pas liées à la distribution de produits et services financiers, d’offrir de manière restreinte des produits d’assurance afférents aux biens qu’ils vendent. Pour les fins de ce régime particulier, celui qui vend ce type de produit se nomme « distributeur » (31). Est réputé un produit d’assurance afférent un bien, l’assurance- voyage, l’assurance location de véhicule, pour une durée de location inférieure à 4 mois, l’assurance sur les cartes de crédit et débit et l’assurance remplacement d’un véhicule (32). Contrairement au représentant certifié, le distributeur n’est pas tenu à une compréhension en profondeur du produit qu’il offre au consommateur. En effet, il n’est tenu qu’à une connaissance du guide de distribution préalablement préparé et rendu disponible par l’assureur (33). Le guide de distribution décrit le produit, précise la nature de la garantie et met en relief les exclusions. Il doit aussi contenir une mention dans le cas où un produit d’assurance similaire existe sur le marché. Finalement, le guide précise la manière dont le consommateur peut effectuer une réclamation (34).
27. Article 19 Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, RLRQ, c. D-9.2, R. 5. 28. Article 10 Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, RLRQ, c. D-9.2, R. 5. 29. Article 28 Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, RLRQ, c. D-9.2, R. 5.
30. Article 29 Code de déontologie des représentants en assurance de dommages, RLRQ, c. D-9.2, R. 5. 31. Article 408, al. 2, LDPSF. 32. Article 424 LDPSF. 33. Articles 420, 429 et 430 LDSPF. 34. Articles 410 à 412 LDSPF.
Courtier en assurance : entre l’arbre et l’écorce
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Le distributeur est tenu de décrire au client le produit, ainsi que lui préciser la nature de la garantie. Il doit dénoncer clairement les exclusions, ainsi que la rémunération que l’assureur lui donne, si la commission excède 30 % de la prime vendue. Il doit de plus informer le client sur la manière de présenter une réclamation (35). Contrairement au représentant certifié, qui a un devoir de conseil envers le client, le distributeur n’est tenu que d’expliquer le produit d’assurance, il lui est interdit d’effectuer tout conseil. Le distributeur, lorsque le client ne reçoit pas tous les renseignements exigés ci-haut, voit sa responsabilité engagée. L’assureur peut aussi voir sa responsabilité engagée, mais seulement lorsqu’il est démontré qu’il ne s’est pas assuré que le distributeur ait une connaissance suffisante du produit offert (36), ce qui en pratique s’avère difficile à prouver.
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Contrairement au
représentant certifié, le distributeur n’est pas tenu à une compréhension en profondeur du produit qu’il offre au
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consommateur.
Bien que la LDPSF telle qu’en vigueur à ce jour soit contraignante pour le distributeur, en pratique, aucun mécanisme de surveillance et d’enquête n’est mis en place de manière systématique par les autorités réglementaires. En effet, une enquête sur une pratique non conforme n’est en général déclenchée seulement lorsqu’une panoplie de plaintes du public est reçue. Ce n’est qu’en février 2015, après plusieurs dénonciations, que l’AMF a publié un guide énonçant les pratiques non conformes dans la vente d’assurance de remplacement, sous forme de rappel des obligations et des bonnes pratiques (37). Il y était ainsi énoncé que le distributeur se doit de divulguer sa rémunération si elle excède 30 %, qu’il ne peut comparer le produit qu’il offre avec un autre produit sur le marché – car il ne peut jouer un rôle-conseil envers le client – ou encore, qu’il ne peut offrir un produit d’assurance autre que celui dont il est autorisé à la vente. 35. Articles 431 et 434 LDPSF. 36. Article 436 LDSPF. 37. Avis relatif à l’offre de l’assurance de remplacement – pratiques non conformes, Autorité des marchés financiers, 16 février 2015. 2016/1
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Aucun régime particulier
n’encadre présentement
la distribution de produits d’assurance par internet.
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Dans son rapport quinquennal sur l’application de la LDPSF (38), le ministère des Finances du Québec identifiait les faiblesses de ce régime d’exception. En effet, ceux agissant à titre de distributeurs, contrairement aux représentants certifiés, n’ont aucun lien avec le secteur financier autre que celui du produit qu’ils distribuent. De par le fait qu’il leur est inhabituel d’être assujettis à un ensemble de règles et de normes, contrairement aux représentants certifiés pour qui ces normes font partie intégrante de leur pratique, résultent plusieurs difficultés d’application, telles que celles énoncées précédemment. Toujours selon le ministère, il est incongru que la majeure partie de la responsabilité repose sur le distributeur, non outillé, ni formé adéquatement afin d’assumer cette responsabilité. De l’avis du ministère, l’assureur fournissant le produit serait plus à même d’assumer la responsabilité à l’égard du consommateur et par le fait même, serait encouragé à mettre en place de bonnes pratiques commerciales chez les distributeurs faisant le commerce de leurs produits d’assurance (39). Il sera intéressant de suivre le développement de ces constats, puisqu’une révision législative aura lieu prochainement.
VIII. La distribution par internet N’échappant pas aux tendances actuelles de commerce en ligne, le marché de l’assurance a multiplié les initiatives de vente et de distribution de produits d’assurance en ligne. Aucun régime particulier n’encadre présentement la distribution de produits d’assurance par internet. Il faut donc s’en remettre, pour les fins de la distribution, aux dispositions générales énoncées au sein de la LDPSF, ainsi qu’aux règles de droit commun énoncées dans le Code civil du Québec pour ce qui a trait aux conditions de formation d’un contrat d’assu38. Rapport sur l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, Ministère des finances, Québec, 12 juin 2015. 39. Rapport sur l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, Ministère des finances, Québec, 12 juin 2015, p. 17.
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La distribution d’assurances au Québec
Dossier
Distribution de produits d’assurance
rance. Toutefois, afin de respecter les préceptes de la Loi, l’intervention d’un représentant certifié reste en tout temps obligatoire, en vertu des articles 27 et 28 LDSPF. Pour certains, ces obligations vont à l’encontre de la réalité commerciale alors que pour d’autres, la protection du public est plus importante que la simplification des processus d’affaire. Par ailleurs, la ligne est mince entre la vente en ligne de produits d’assurance et les sites de comparaison de prix, appelés « agrégateurs ». En effet, rien n’exige d’un agrégateur une complète transparence quant à ses bailleurs de fonds, par exemple. De plus, la frontière est poreuse entre comparaison de prix et comparaison de produits, cette dernière exigeant l’implication d’un représentant certifié. Ces questionnements et plusieurs autres sont d’actualité. En 2015, l’AMF publiait un rapport sur le sujet (40), inspiré de celui du Conseil canadien 40. L’offre d’assurance par internet au Québec, Autorité des marchés financiers, avril 2015.
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des responsables de la réglementation d’assurance (41). Finalement, ces considérations sont largement reprises au Rapport quinquennal du ministère des Finances (42). Suite à la révision annoncée de la LDPSF, il sera intéressant de constater comment le législateur entend encadrer la distribution par internet au Québec. Fera- t‑elle l’objet d’un encadrement particulier, au même titre que la DSR, ou sera-t‑elle soumise aux mêmes conditions que la distribution de produits d’assurances par les moyens traditionnels, avec les obligations contraignantes s’y rattachant ?
41. Énoncé de principes – Le commerce électronique des produits d’assurance, Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance, octobre 2013. 42. Rapport sur l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, Ministère des finances, Québec, 12 juin 2015, pp. 13 à 15.
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L’intermédiation en assurance au Brésil
José Gabriel Assis De Almeida
Mickael Viglino
&
Avocat
Professeur à l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro
La réglementation du secteur des assurances au Brésil dénote une certaine bipolarité. D’un côté, les polices d’assurances sont très précisément réglementées – prix et couvertures – ne laissant que peu de place pour une réelle concurrence entre les compagnies. De l’autre, les pratiques commerciales et professionnelles des intervenants ne sont que très superficiellement encadrées et la construction jurisprudentielle insuffisante pour combler ce vide. Au-delà de la législation fédérale, le secteur est réglementé par une autorité spécialisée, la Superintendência de Seguros Privados, rattachée au ministère des Finances et comptant des représentants des ministères de la Justice et de la Sécurité sociale, de la Banque centrale du Brésil et de la Commission des valeurs mobilières.
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En matière de
commercialisation des polices d’assurance, l’intermédiation est le
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modèle dominant.
En matière de commercialisation des polices d’assurance, l’intermédiation est le modèle dominant. Elle n’est pas obligatoire, et assurés et assureurs peuvent contracter directement (1) ; cependant, en pratique, cette situation se rencontre assez rarement, ou, plus exactement, se cache souvent derrière une fiction d’intermédiation (2). Dans ce cadre, le courtage est la figure principale, voire unique, de l’intermédiation. Le courtier d’assurance est l’intermédiaire, personne physique ou morale, légalement autorisé à collecter et promou1. 2.
Loi 4.594/64, qui réglemente la profession de courtier en assurance, art. 13, § 2, et décret-loi 73/66, articles 9 et 10. E. Tzirulnik et P. Luiz de Toledo Piza, Comercialização de seguros : Contratação direta e intermediação, Revista dos Tribunais, janvier 1996, vol. 723/1996, p. 67.
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Dossier
L’intermédiation en assurance au Brésil
voir des contrats d’assurance autorisés par la loi, entre les sociétés d’assurance et les individus ou personnes morales, publiques ou privées (3). Les relations entre assurés, assureurs et intermédiaires, particulièrement en matière d’obligation d’information et de responsabilité, ont été grandement influencées par le droit de la consommation, tel qu’il résulte du Code de défense du consommateur de 1990 et de la construction jurisprudentielle subséquente. C’est l’un des fondements qui permet aux magistrats brésiliens de justifier une propension très grande à intervenir dans les relations contractuelles privées. Destiné à un public qui n’est pas nécessairement familier du droit brésilien, cet article montrera qu’en matière d’intermédiation en assurances comme souvent au Brésil, la pratique diffère grandement des textes. Pour ce faire, seront successivement abordés le rôle théorique et réel des courtiers en assurance au Brésil et le régime de leur responsabilité tel que revu et corrigé par la jurisprudence.
I. L’intermédiation en assurance à l’épreuve des faits Le rôle de l’intermédiaire en assurance tel qu’il est prévu par les textes ne se retrouve pas en pratique. Nous présenterons successivement la théorie et la réalité pour prendre la juste mesure de ce décalage.
A. Dans les textes, un arbitre Le Code civil définit le courtage comme le contrat par lequel une personne, non liée à une autre par mandat, par prestation de service ou toute autre relation de dépendance, s’engage à obtenir pour cette dernière une ou plusieurs affaires (4). La loi exclut donc, de façon générale, toute relation de dépendance entre un courtier et une compagnie d’assu3. 4.
Loi 4.594/64, art. 1er. Code civil, article 722.
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Dossier
Distribution de produits d’assurance
rance déterminée. Elle distingue également le courtage du mandat ; le courtier ne représente par la compagnie d’assurance dans la relation avec le potentiel assuré, il ne fait que mettre en contact deux parties pour qu’elles contractent. Le droit des assurances prévoit plus spécifiquement quant à lui que le courtier, dans l’exercice de son activité, doit orienter, accompagner et gérer les contrats auxquels il participe, avec éthique et indépendance (5). L’intervention du courtier comprend l’identification des besoins spécifiques de l’assuré afin de suggérer la police d’assurance la plus appropriée ; le conseil ; ou encore l’étude de la fiabilité et de la couverture financière des compagnies d’assurance. Son intervention ne s’arrête pas à la signature de la police d’assurance ; elle se poursuit lors de l’exécution du contrat d’assurance, notamment en cas de sinistre, où il joue un rôle essentiel (6). À ce titre, tout lien organique entre courtier et compagnie d’assurance est prohibé. Plus particulièrement, il est interdit aux courtiers en assurance d’être associé, administrateur, fondé de pouvoir, formaliste, ou employé de compagnies d’assurance, de capitalisation ou d’entité ouverte d’assurance complémentaire. Ces interdictions s’étendent aux associés, directeurs et administrateurs de personnes morales habilitées à exercer l’activité de courtier en assurance (7). Au-delà d’une position neutre entre compagnies d’assurance et assurés, le courtier doit aussi garantir une égalité de traitement entre les assurés, au risque d’une amende d’une valeur égale à 25 % du montant de la prime annuelle de la police d’assurance en cause, le double en cas de récidive (8). Ainsi, selon les textes, le courtier en assurance est un arbitre qui intervient au moment de la formation de la relation contractuelle par la prestation de services techniques dont les effets s’étendent à la phase d’exécution du contrat (9).
B. Dans les faits… Loin de la vision de l’intermédiaire indépendant à la recherche de l’assureur et de la police qui correspondent le plus aux besoins du particulier, de nombreux courtiers – pas tous, loin de là – sont dans une situation de dépendance financière et opérationnelle directe vis-à-vis d’une certaine compagnie d’assurance, en contravention avec la réglementation applicable et à contre-courant de l’objet même de l’intermédiation. 5. Circulaire SUSEP 510/15, article 2, § 2. 6. Tribunal de Justiça de São Paulo (TJSP), Appel nº 0009004‑86.2006.8.26.0637, Rapporteur Cristina Zucchi, 21 janvier 2013. 7. Loi 4.594/64, art. 17 ; décret-loi 73/66 sur le Système National des Assurances Privées, article 125 ; et Circulaire SESUP 510/2015, article 21, II et § unique. 8. Loi 4.594/64, article 25. 9. E. Tzirulnik et P. Luiz de Toledo Piza, ibid. 62
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Loin de la vision
de l’intermédiaire indépendant de nombreux courtiers sont dans une situation de dépendance financière et opérationnelle directe vis-à-vis d’une certaine compagnie
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d’assurance.
Cette pratique présente un avantage immédiat pour les compagnies d’assurance, qui peuvent ainsi contrôler et tirer vers le bas les coûts de courtage, accroissant ainsi leur compétitivité sur un secteur si réglementé qu’il ne laisse que peu de place à une concurrence sur les prix. Les sociétés ou professionnels de courtage y trouvent également leur compte, en ayant une source de revenus garantie sans avoir à fournir les services de conseil qui constituent en théorie la contrepartie à leur commission. Les particuliers et entreprises, enfin, y voient également un petit avantage dans la possibilité de payer une commission moins élevée. Pour eux, cependant, ce bénéfice est au prix du service et des garanties que sont censés leurs apporter l’intervention d’un intermédiaire. Dans ce cas, c’est donc l’utilité même de l’intermédiation qui est remise en cause. L’émergence de cette pratique a été favorisée par ce qui constitue très certainement un particularisme brésilien : lorsque le contrat d’assurance est conclu sans intermédiation, une somme équivalente à la valeur de la commission de courtage doit être versée au Fonds de Développement de l’Éducation en matière d’Assurances – FUNENSEG, dont l’objet est le financement d’écoles de formation et autres bibliothèques spécialisées (10). Ce faisant, particuliers et sociétés n’ont aucun intérêt à contracter une police directement auprès d’un assureur, même lorsque l’intervention d’un intermédiaire ne se justifie pas. La loi elle-même décourage la conclusion directe d’assurance en retirant tout intérêt financier, et assure un fonds de commerce, certain mais artificiel, aux courtiers en assurance. 10. Loi 4.594/64, article 19.
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Conséquence de ce secteur aux structures peu vertueuses, l’obligation d’information et d’accompagnement de l’assuré est parfois purement théorique, et certains courtiers se contentent d’apposer leur numéro d’enregistrement sur un formulaire et de recevoir leur commission, sans apporter aucun service au consommateur. C’est le cas, par exemple, de l’assurance automobile pour les dommages aux tiers. Il s’agit d’une assurance obligatoire dont la couverture est fixée par la loi, de sorte que l’intermédiation n’est ni nécessaire ni justifiée. Cependant, en pratique, un courtier inscrit intervient généralement et reçoit une commission ne correspondant à aucune prestation de service (11).
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Loin de cet idéal
d’intermédiation neutre et de service spécialisé, le courtage en assurance au Brésil se réduit souvent à un canal de vente.
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Ainsi, loin de cet idéal d’intermédiation neutre et de service spécialisé, le courtage en assurance au Brésil se réduit souvent à un canal de vente, un réseau de distribution de polices d’assurance au service des compagnies d’assurance.
II. Un régime de responsabilité revu et corrigé Le régime de responsabilité de l’intermédiaire en assurance a été précisé et adapté à l’évolution du droit et du marché par les tribunaux.
A. Un régime équilibré La responsabilité des courtiers dans le cadre de leur pratique professionnelle est fondée sur le droit des assurances et sur le droit de la consommation. Les courtiers sont civilement responsables vis-à-vis des assurés et des compagnies d’assurance des dommages qu’ils causent dans l’exercice de leur activité de courtage, par action ou omission, fautive ou non (12). 11. E. Tzirulnik et P. Luiz de Toledo Piza, ibid. 12. Circulaire SESUP 510/2015, article 22. 2016/1
Ils encourent également, dans les mêmes conditions, la mise en cause de leur responsabilité professionnelle devant la SUSEP en cas de non-respect de la réglementation applicable ou de dommage aux tiers (13). L’obligation de traitement égal des consommateurs prévu par la Loi 4.594/64 a gagné un renfort dans le Code de défense du consommateur, qui prévoit une obligation d’information et de transparence sur toutes les caractéristiques des produits ou services proposés aux consommateurs, notamment le prix. Une étude de l’Institut brésilien de défense du consommateur – IDEC – réalisée à partir des prix pratiqués par onze compagnies d’assurance concernant différentes catégories de véhicules a mis en évidence des disparités allant jusqu’à 50 % ou même 80 % dans les commissions versées aux courtiers, à compagnies d’assurance et véhicules identiques. Comme a pu le rappeler très clairement un auteur, il n’appartient pas aux courtiers, aux compagnies d’assurance ou à la SUSEP de décider du degré de publicité que mérite la question, puisque cela découle directement du code de défense du consommateur, d’ordre public (14). Cette responsabilité vis- à- vis de l’assuré/consommateur du fait de la fourniture du service peut être solidaire avec la compagnie d’assurance lorsqu’un concours d’erreurs ou omissions explique la survenance du dommage de l’assuré (15). Cette solidarité en matière de réparation du préjudice ne s’étend cependant pas au paiement de la prime d’assurance, en cas de survenance de l’événement assuré. La jurisprudence est claire sur ce point : le paiement de la prime est l’obligation exclusive de l’assureur, en ce qu’elle découle de la relation contractuelle assureur/assuré à laquelle le courtier est tiers et de l’exécution de laquelle il n’est pas solidaire (16). La société de courtage peut se voir condamnée à payer à l’assuré le montant de la prime d’assurance en cas de faute entraînant la mise hors de cause de l’assureur. Cependant, il ne s’agit pas de responsabilité solidaire pour le paiement de la prime, mais de responsabilité directe pour faute, et le montant de l’indemnité correspond au montant de la prime dont la compagnie d’assurance ne peut pas contractuellement être tenue (17). 13. Circulaire SESUP 510/2015, article 23. 14. W. A. Polido, Da Limitação da autonomia privada nas operações de seguros : coletivização dos interesses – Nova perspectiva social e jurídica do contrato de seguro, Revista de Direito do Consumidor, vol. 74/2010, avril/ juin 2010, p. 284. 15. Superior Tribunal de Justiça (STJ), REsp 534.675/SP, jugement du 20 avril 2004, Rapporteur Humberto Gomes de Barros. 16. STJ, REsp 1.190.772/RJ, jugement du 19 octobre 2010, Rapporteur Luis Felipe Salomão. En l’espèce, le courtier avait omis de communiquer à l’assureur des informations sur l’état de santé de l’assuré et l’assureur n’avait pas réalisé d’examen médical préalable. 17. STJ, REsp 202.613/ES, jugement du 18 avril 2000, Rapporteur Carlos Alberto Menezes Direito. En l’espèce, la société de courtage avait reçu le premier paiement de
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Distribution de produits d’assurance
Les services fournis par l’intermédiaire et par l’assureur sont de nature différente et, de ce fait, le champ de leur responsabilité ne se confond pas. La responsabilité de l’intermédiaire est distincte et autonome de celle de l’assureur, occupant chacune d’elles une position qui leur est propre et répondant uniquement de leurs obligations et manquements contractuels respectifs (18). À ce titre, l’intermédiaire est responsable vis-à-vis non seulement de l’assuré mais également de l’assureur : « Le stipulant est l’unique responsable, vis-à-vis de l’assureur, de l’exécution de toutes les obligations contractuelles. En conséquence, il est responsable de la perception de la prime, de la remise des polices remplies et signées par les assurés, des avis aux assurés relatifs aux altérations contractuelles […] » (19).
B. Un aménagement jurisprudentiel approprié À rebours du courant jurisprudentiel que nous avons présenté plus haut et qui constitue la position de principe, la responsabilité solidaire des sociétés de courtage et d’assurance a pu être reconnue sur le fondement de l’action ostensible de la première comme représentante de la seconde. C’est l’idée de « cadeia de fornecimento », fourniture de service en cascade, utilisée par le droit de la consommation, en vertu de laquelle « tous ceux qui participent à l’introduction du produit ou du service sur le marché doivent répondre solidairement d’un éventuel défaut ou vice, c’est-à-dire qu’est imputée à toute la chaîne de fourniture la responsabilité pour la garantie de qualité et d’adéquation » (20). Dans un tel cas, l’intermédiaire peut être condamné solidairement au paiement de la prime d’assurance, sous réserve de son droit d’en obtenir le remboursement par la compagnie d’assurance (21). Autre cas de responsabilité solidaire des sociétés de courtage au paiement de la prime d’assurance, celui fondé sur l’appartenance au même groupe économique. La théorie de la remise en cause de la personne morale en matière de responsabilité au sein des groupes de sociétés est une théorie très utilisée par la jurisprudence brésilienne et qui constitue un risque certain
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l’assuré sans le repasser à la compagnie d’assurance et émis un reçu provisoire, de sorte que l’assuré pouvait légitimement se considérer couvert alors que la compagnie d’assurance n’avait pas connaissance de ce contrat. STJ, REsp 149.977/RJ, jugement du 3 mars 1998, Rapporteur Ruy Rosado de Aguiar ; TJSP, Appel nº 0008596‑50.2012.8.26.0099, Rapporteur Adilson de Araujo, 12 mars 2013. João Marcos Brito Martins, O contrato de seguro, Ed. Forense Universitária, 2002 (p. 159), in TJSP, Appel nº 0006552‑85.2010.8.26.0533, Rapporteur Gilberto Leme, 5 février 2013. STJ, REsp 1.077.911/SP, jugement du 14 octobre 2011, Rapporteur Nancy Andrighi. STJ, REsp 658.938/RJ, jugement du 15 mai 2012, Rapporteur Raul Araújo.
pour les sociétés (22). En matière d’assurances, l’exemple se rencontre essentiellement dans le cas de banques qui proposent également des polices d’assurance, que ce soit comme activité autonome (23) ou dans le cadre d’opérations liées à la vente de produits financiers (24).
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En matière d’assurances,
l’exemple se rencontre essentiellement dans le cas de banques qui proposent également des polices d’assurance, que ce soit comme activité autonome ou dans le cadre d’opérations liées à la vente de produits
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financiers.
Dans ce cas, la responsabilité solidaire se fonde sur le fait que pour vendre le contrat d’assurance, la société de courtage n’est pas parfaitement autonome aux yeux des assurés, mais s’appuie sur toute la structure fonctionnelle proposée par le groupe (25). Ainsi, « force est de conclure que le contrat d’assurance est une opéra22. Par exemple, sur ce thème : Clóvis Ramalhete (ancien membre du Superior Tribunal Federal, la Cour Suprème Fédérale brésilienne), Sistema de Legalidade, na “Desconsideração da Personalidade Jurídica”, Doutrinas Essenciais de Direito Civil, octobre 2010, vol. 3, p. 835. 23. STJ, REsp 331.465/RO, jugement du 6 décembre 2001, Rapporteur Ruy Rosado de Aguiar. 24. STJ, REsp 332.787/GO, jugement du 11 décembre 2001, Rapporteur Ruy Rosado de Aguiar. 25. STJ, REsp 255.637/PB, jugement du 26 juin 2001, Rapporteur Cesar Asfor Rocha. Cet arrêt fait référence au courant de jurisprudence en matière de livrets d’épargne, selon lequel la société mère du groupe peut légitimement être mise en cause directement, quand bien même les contrats auraient été signés par des sociétés autonomes, dès lors que celles-ci ont bénéficié de la structure fonctionnelle du groupe pour capter lesdits capitaux.
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tion qui intéresse le groupe conduit par la Banque du Brésil, et que l’action peut être intentée contre l’une quelconque des entités qui ont participé à l’affaire, que ce soit comme intermédiaire, comme assureur, par l’utilisation de son logo, de son prestige et de ses installations, quand il ne s’agit pas de ses employés, pour la conclusion du contrat d’assurance » (26). Le Superior Tribunal de Justiça – la Cour de cassation brésilienne – s’est également prononcé en faveur de l’application aux courtiers en assurance de la Loi 7.492/86 sur les Crimes contre le Système Financier National. Sur le fondement de l’article 1er de cette loi qui classe parmi les institutions financières, notamment, les individus et personnes morales « qui captent ou administrent des assurances […] ou ressources de tiers », il en conclut que ne sauraient en être exclus les courtiers « qui, de toute évidence, sont responsables de capter les ressources financières impliquées dans l’activité des assurances » (27). Cette position est intéressante en ce qu’elle permet d’appliquer à des courtiers personnes physiques, n’exerçant cette activité que de manière éventuelle, les mêmes sanctions que des banques et autres sociétés de gestion de capital. De fait, le Rapporteur de la décision concède que les critiques à une conception aussi large de la notion d’institution financière ne sont pas complètement dénuées de fondement, mais en appelle à la finalité du texte – la protection du système financier national au sens large, à savoir également l’ordre 26. STJ, REsp 331.465/RO, ibid. 27. STJ, HC 164.216/PR, jugement du 20 novembre 2012, Rapporteur Jorge Mussi.
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économique, le patrimoine des investisseurs et la foi publique – pour justifier sa position. Cette décision est particulièrement grave pour les courtiers, qui encourent ainsi une responsabilité accrue, de nature pénale. Ainsi, dans la décision du Superior Tribunal de Justiça de 2012, qui portait sur la falsification de polices d’assurances par un courtier pour détourner les fonds à son profit, l’application de la Loi 7.492/86 conduit à la qualification de gestion frauduleuse d’institution financière, punie de trois à douze ans d’emprisonnement et une amende, au lieu du délit de détournement de fonds, pour lequel le Code pénal prévoit une peine d’emprisonnement de un à cinq ans et une amende. Si, à la lecture de cette présentation, des sociétés étrangères seraient intéressées par l’activité d’intermédiation au Brésil, notons que dans un marché national très protecteur, toute participation de capital étranger n’est cependant pas exclue. Pour être habilitée comme société de courtage au Brésil, la personne morale doit être constituée et avoir son siège au Brésil et ses dirigeants, gérants et/ou administrateurs respecter les conditions applicables aux courtiers personnes physiques, à savoir, notamment, être de nationalité brésilienne ou avoir le titre de résident permanent (28). Aucune condition quant à la détention du capital social ; il y a une totale distinction entre le contrôle opérationnel et le contrôle capitalistique, ce qui laisse une certaine marge pour les sociétés étrangères. 28. Loi 4.594/64, article 3.
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L’intermédiation en assurance au Brésil
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Distribution de produits d’assurance
PERSPECTIVES RÉCENTES sur LA DISTRIBUTION D’ASSURANCES AU PANAMA : L’ESSOR DES CANAUX ALTERNATIFS DE DISTRIBUTION POUR LA MICROASSURANCE
Miguel Montiel
Avocat auprès de la Cour suprême de justice du Panama, Chargé d’enseignement/Doctorant, Université Panthéon Assas (Paris II) À l’aube de la publication de la nouvelle directive européenne sur la distribution d’assurances, l’intérêt qui y est porté pour les circuits de distribution incite à se pencher sur la manière dont se fait l’équilibre entre les différents objectifs poursuivis par les réglementations, tout particulièrement là où l’activité assurantielle est vue comme remplissant une fonction d’intérêt public. Comprise comme un moyen de réduction des vulnérabilités vectrices de pauvreté, la microassurance se voit souvent attribuée une telle fonction par les pouvoirs publics. Elle se veut un instrument inclusif visant particulièrement une population à faibles revenus (1). Il s’agit d’une assurance pour un secteur exclu, structurée tout de même sur le fondement des pratiques et principes généralement acceptés pour l’activité assurantielle, même si cette microassurance engendre des outils propres pour son développement. C’est dans ce contexte que se déploient des réseaux de distribution atypiques aptes à capter le marché visé.
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Depuis plusieurs années,
la microassurance et les canaux de distribution qu’elle incite à créer sont au premier rang des
outils employés dans la région. 1.
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Voy., Bureau international du travail, Sécurité sociale : un nouveau consensus, OIT, Genève, 2002, spéc. pp. 2 et 80, où la microassurance est entendue comme un moyen important permettant d’étendre la protection sociale.
L’expérience panaméenne en la matière est à cet égard riche d’enseignements. L’on y assiste à une collision d’objectifs proches de ceux qui intéressent le contexte européen. En effet, l’on constate que la synthèse n’est pas toujours heureuse entre, d’une part, les objectifs de protection du consommateur et de sécurité, et d’autre part, la promotion du secteur assurantiel, plus précisément de la microassurance. Les arbitrages que les pouvoirs publics sont obligés d’y faire paraissent inexorablement porteurs d’entraves, notamment du fait des coûts de transaction qu’entraîne la mise en œuvre des différentes mesures mises à la charge des opérateurs. La législation panaméenne qui encadre l’activité de la microassurance constitue, dans ce contexte, un terreau fertile pour l’observation. Son analyse donnera l’occasion d’évaluer l’agencement réglementaire ainsi mis en place pour le développement des canaux de distribution propres à ces produits assurantiels, considérés d’intérêt public au Panama (2), dans un environnement de contraintes multiples. La réflexion portera alors successivement sur deux axes. D’abord, sur les dispositions qui concernent directement ces canaux alternatifs de distribution (I), ensuite, sur celles concernant le souci de protection et sécurité (II), également applicables aux activités microassurantielles réalisées au Panama.
I. L’introduction des voies de distributions alternatives Les dispositions de la Loi n° 12 du 3 avril 2012 sur l’activité des assurances (3), visent à adapter le régime antérieur, prévu par la Loi n° 63 de 1996, aux meilleures pratiques prônées par des organismes professionnels, tels que l’IASB. À ce premier propos, pour mieux signaler l’importance que revêt pour le législateur national l’activité assurantielle, la Loi n° 12 qualifie les activités et opérations
2. Selon une étude régionale conduite par la Micro Insurance Network, le Panama affichait en 2013 l’un des niveaux les plus bas de pénétration des microassurances de l’Amérique centrale avec 1.28 % de sa population couverte, seulement devancé par le Honduras avec 0.36 %. Voy., Micro Insurance Network, Country Profile. Panama, 2015 (disponible sur : http://www.microinsurancenetwork.org/groups/ wmm-country-profile-panama). 3. Voy., M. Montiel, « Régulation comparée. Chronique de droit sud-américain. Panama », R.I.S.F., 2014/1, pp. 140‑141.
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en assurances comme étant d’intérêt public (4). Malgré la généralité de la formule, c’est sans doute dans l’objectif de développer une assurance inclusive, tout en préservant une protection suffisante pour le consommateur, qu’une telle qualification fut retenue. Or, depuis plusieurs années, la microassurance et les canaux de distribution qu’elle incite à créer sont au premier rang des outils employés dans la région. Ainsi inspirée, la législation panaméenne cherche clairement à promouvoir ces canaux alternatifs par une réglementation spéciale (A), développement qui est au reste conforté dans la même loi par des règles plus générales propices à toute l’activité assurantielle (B).
commercialisation alternatifs. Pour ce qui a trait à la première, le 23° dudit article définit la microassurance comme le mécanisme financier dont la finalité est protéger les personnes à faibles revenus contre des risques spécifiques, tels que les accidents, les maladies, le décès au sein de la famille et les catastrophes naturelles, en échange du paiement régulier de primes d’une assurance en accord avec ses nécessités, ses revenus et le niveau de risque. La microassurance s’adresse, poursuit le 23°, principalement aux salariés de faibles revenus, spécialement ceux du secteur informel, qui sont souvent négligés par les schèmes habituels de l’assurance traditionnelle (cette et toutes les autres traductions sont libres).
A. L’intermédiation alternative introduite par la Loi n° 12
L’on s’aperçoit donc que l’accent est mis sur le statut socio-économique des assurés pour définir la microassurance envisagée par le législateur panaméen (7).
Il est aujourd’hui admis que la croissance du secteur des microassurances est largement tributaire des voies de distribution appropriées pour la commercialisation des produits qu’il vise. L’émergence d’une intermédiation alternative fut alors comprise par le législateur panaméen comme un outil essentiel sans quoi le secteur des microassurances ne pourrait pas éclore. Au-delà de cette aptitude à capter le marché ciblé, ces canaux de distribution atypiques apparaissent comme essentiels au développement économique de ce modèle en permettant de réduire des coûts de transaction, notamment pour la transmission d’information, la collecte des primes et le paiement des sinistres (5).
2. Les canaux de commercialisation alternatifs
C’est ainsi que Loi n° 12 définit spécialement la microassurance (1) (6), et encadre l’emploi de l’intermédiation faite par les canaux de commercialisation alternatifs (2).
1. La microassurance L’article 3 de la Loi n° 12 précise la définition de la microassurance, tout comme celle de ses canaux de 4. Article 1er, al. 2, de la Loi n° 12. 5. J. Foka, A. De Serres, « La micro assurance outil de lutte contre la pauvreté quelle performance sociale ? », Assurances et gestion des risques, vol. 79, 2011, pp. 83‑124, spéc. p. 93. Plusieurs classifications de modèles de distribution de microassurances ont été proposées à partir de l’étude de cas précis. Lors de l’importante conférence sur la microassurance, organisée par le Groupe consultatif d’assistance aux pauvres (CGAP) et l’Organisation internationale du travail (OIT), tenue à Munich en octobre 2005, fut proposée une classification à partir de l’étude d’une vingtaine de programmes développés dans divers pays, tels que le Bangladesh, le Pérou et le Bénin. Quatre modèles institutionnels de distribution en sont ressortis : celui dit partenaire-agent ; celui des caisses de crédit et coopératives/mutuelles d’assurance ; celui de la vente directe ; et celui communautaire. Voy., C. Churchill et autres, Into Action Microassurance. L’assurance au service des pauvres, Compte rendu de la Conférence sur la Microassurance, Munich Re Foundation, 2006, spéc. pp. 3‑6. 6. Voy., article 1er de la Loi n° 12. 2016/1
Pour le développement de cette microassurance le législateur panaméen rompt avec le régime antérieur qui consacrait le monopole de la distribution des produits assurantiels entre les mains des courtiers, et autorise l’organisation de canaux de commercialisation alternatifs. Le 9° dudit article précise qu’il s’agit des Banques de licence générale, entreprises financières et coopératives, aussi bien que les entreprises du système commercial, qui ont souscrit un contrat de commercialisation avec un assureur pour que, pour le compte de celui-ci, ils offrent et promeuvent la célébration du contrat d’assurance avec des tiers, en conformité avec les conditions stipulées dans le contrat de commercialisation. Cette définition des canaux alternatifs rend donc compte du modèle institutionnel dit partenaire-agent, où l’intermédiaire se charge notamment de la souscription et d’une part importante de la gestion de la police, et du partage des connaissances entre les secteurs formel et informel (8). Le régime de ces canaux de commercialisation alternatifs se précise davantage quelques articles plus loin en explicitant le rapport qui se noue entre cet intermédiaire et l’assureur (a), les personnes éligibles à participer comme intermédiaires dans ces canaux alternatifs (b), et les intérêts qui sont ainsi assurables (c).
a. Le contrat de commercialisation. L’article 50 de la Loi n° 12 précise la nécessité de la conclusion d’un contrat de commercialisation entre l’assureur et l’intermédiaire du canal alternatif afin de pouvoir proposer les produits assurantiels ainsi visés. Il s’agit en réalité d’un instrumentum différent du contrat d’assurance, mais qui précise les contours de celui-ci. 7.
8.
Voy., sur la définition de la microassurance : M. Nabeth, « Les innovations de l’assurance et de la microassurance dans les pays du Sud : quelles leçons pour les pays du Nord ? », Revue luxembourgeoise de bancassurfinance, n° 2, 2015, pp. 113‑126. C. Churchill et autres, op. cit., loc. cit.
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Perspectives récentes de la distribution d’assurances au Panama
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Distribution de produits d’assurance
Ce contrat de commercialisation, comme le dispose l’article 52 suivant, doit être approuvé par l’entité régulatrice, la Superintendencia de seguros y reaseguros (La Superintendencia). Cet article 52 précise de surcroît les dispositions minimums qui doivent être incluses dans le contrat de commercialisation. Il s’agit de conditions relevant de l’essence dudit contrat (9). Certaines d’entre elles ont pour effet de protéger le consommateur en assurances, à telle enseigne que les exigences qu’elles posent pourraient décourager la participation de certaines entreprises dans ces canaux alternatifs. Il convient de remarquer certains aspects importants de ces conditions minimums (10).
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Ce contrat de
commercialisation doit être approuvé par l’entité régulatrice, la Superintendencia de seguros y reaseguros.
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En premier lieu, le législateur dispose expressément que les polices proposées par l’intermédiaire du canal alternatif doivent suivre strictement les conditions du contrat de commercialisation passé entre l’intermédiaire et l’assureur. En second lieu, il faut observer que l’article 52 mentionne explicitement des obligations à la charge des opérateurs. Mais, en dépit du souci du détail, il faut avouer que la rédaction employée par le législateur panaméen n’est pas exempte de toute ambiguïté. En effet, alors que le chapeau de l’article 52 commence par indiquer qu’il concerne les conditions minimums requises pour les contrats de commercialisation (11), il se poursuit par des évocations, notamment dans son 6°, qui, pour avoir un sens, ne peuvent que se référer au contrat d’assurance conclu entre l’intermédiaire et l’assuré. Pour sortir de l’impasse créée par ladite rédaction, il faudrait alors considérer que nonobstant le chapeau de l’article 52, certaines conditions de cette disposition concernent bien des traits propres aux contrats de commercialisation alors que d’autres 9. Voy., l’article 53 de la Loi n° 12 de 2012. 10. Nous y reviendrons plus en détail en deuxième partie. 11. Le chapeau de l’article 52 commence ainsi : Le contrat de commercialisation sera soumis à la supervision de la Superintendencia, et devra contenir, au minimum, les suivants aspects 68
concernent davantage le contrat d’assurance et les conditions dans lequel celui-ci doit être commercialisé par le canal alternatif. C’est ce que la lecture du 6° incite à faire. Aussi, suivant cette interprétation, d’une part, les 1° à 5° et 7° à 9° de l’article 52 paraissent se référer particulièrement aux traits devant être revêtis par le contrat de commercialisation : que la société participant dans le canal de commercialisation alternatif s’assure que les personnes physiques promouvant les produits soient des salariés préalablement identifiés de l’entreprise ; que les communications avec les clients soient considérées comme faites avec l’assureur ; que les paiements reçus par l’intermédiaire soient considérés comme réalisés à l’assureur ; que l’assureur s’engage à garantir la formation du personnel de l’intermédiaire qui se charge de proposer les produits en microassurances ; et, surtout, que l’assureur assume la responsabilité pour les erreurs et omissions commises lors de la vente des produits en microassurances par les canaux alternatifs. D’autre part, le 6° de l’article 52, se référerait aux traits des contrats d’assurance en indiquant que ceux-ci doivent remplir une série de conditions, parmi lesquelles : être de facile compréhension et usage pour les contractants et être individualisés, standardisés, et focalisés dans la vente en masse , ou encore, avoir des éléments qui facilitent leur acquisition par les contractants à faibles revenus. Au reste, force est de constater que, pour ce qui a trait au contrat de commercialisation, les conditions minimums qui sont énoncées à l’article 52 ne se présentent pas, malgré ce qu’aurait pu laisser penser le chapeau dudit article, comme des clauses devant être incluses dans ledit contrat pour son agrément par la Superintendencia. C’est ce que tend à confirmer le développement réglementaire de cet aspect de la Loi adopté par la Superintendencia, l’Accord n° 11 du 20 de novembre 2013. L’article 4 de cet Accord rappelle les différentes conditions pour l’approbation des contrats de commercialisation, parmi lesquelles le 12° dispose qu’il faut Souscrire une clause dans le contrat par laquelle le canal de commercialisation alternatif s’oblige à respecter les dispositions de l’article 52 de la Loi sur les assurances. Autrement dit, il s’agirait de l’inclusion d’une clause d’engagement par laquelle l’intermédiaire du canal alternatif s’engage à respecter les obligations de ladite disposition, sans avoir à les reproduire.
b. Les entreprises des canaux de commercialisation alternatifs L’article 51 de la Loi n° 12 détaille les entités qui peuvent participer dans ces canaux alternatifs. Pour l’essentiel, cette intermédiation alternative est réservée aux personnes morales dont le siège social et fiscal se trouve au Panama, qui sont incorporées au registre des sociétés panaméen, et sont constituées selon la loi panaméenne, sans que soit précisée la forme juridique que celles-ci doivent adopter. Par ailleurs, le
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Perspectives récentes de la distribution d’assurances au Panama
c. Les intérêts assurables L’article 53 de la Loi n° 12 établit la liste d’intérêts pouvant être commercialisés par ces canaux alternatifs. La loi, toutefois, donne compétence à la Superintendencia pour augmenter ou réduire, selon les intérêts des consommateurs d’assurances, les risques pouvant être couverts par ces canaux alternatifs.
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L’article 53 de la Loi
n° 12 établit la liste d’intérêts pouvant être commercialisés par ces
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canaux alternatifs.
De la même manière que le fait ce régime particulier à propos des canaux alternatifs, le régime qui est établi pour encadrer le contrat d’assurance est propice au développement économique du secteur microassurantiel. 2016/1
B. Le régime contractuel applicable aux produits distribués par les canaux alternatifs
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législateur exige que cette activité de distribution ne soit pas sa principale activité, en ce sens que les commissions qu’elle génère ne doivent pas dépasser 20 % des revenus bruts annuels de ladite personne morale. Elle doit être enregistrée comme employeur auprès de l’entité nationale de sécurité sociale et compter avec un numéro d’identification fiscale en vigueur. La loi exige également que les personnes physiques autorisées pour réaliser cette commercialisation soient des salariés de la personne morale, et soient inscrites au régime de la sécurité sociale. Cette condition traduit l’idée, plus clairement énoncée dans la suite du texte, que la commercialisation n’est possible par ces canaux qu’entre les clients de la société intermédiaire. Il convient également de se référer à l’Accord n° 11 du 3 avril 2013 de la Superintendencia, lequel développe la Loi n° 12, et qui dans son article 7 prévoit quatre cas empêchant de participer dans les canaux alternatifs. Parmi ces quatre cas, qui pour l’essentiel reprennent ce qui est disposé dans la Loi n° 12, l’on retiendra à titre d’exemple du souci de probité du législateur panaméen, le 3e et 4e cas, selon lesquels ne peuvent pas participer dans le canal alternatif : les sociétés dont les dirigeants, les actionnaires ou autres associés majoritaires, ou même leurs principaux cadres se sont vus retirer dans les cinq dernières années, par les juridictions locales ou même étrangères, les autorisations nécessaires pour réaliser l’activité d’assurances ou pour participer en tant qu’intermédiaires ; et les entreprises ayant fait l’objet d’une procédure de faillite ou de concours de créanciers.
La Loi n° 12 prévoit un régime spécial pour les contrats d’assurance qui se veut en accord avec les objectifs qu’elle poursuit. Ce régime doit se combiner, comme le décidait déjà la jurisprudence sous la loi précédente (12), avec les articles du Code de commerce constituant le droit commun des contrats d’assurance. Ce régime spécial se précise donc aux articles 140 et suivants de la Loi n° 12. Puisqu’il n’est évidemment pas possible de traiter ici tous les aspects du régime contractuel ainsi structuré, l’on se concentrera sur deux aspects qui nous semblent importants, concernant notamment la validité des contrats d’assurance (13). Nous aborderons, dans un premier temps, l’encadrement du contrat d’adhésion qu’est le contrat d’assurance (1), et, dans un second temps, la sanction de la nullité absolue en cas de défaut du paiement des primes (2).
1. Le contrat d’assurance Tout d’abord, il faut souligner que le ménage n’est pas apaisé entre les règles précisant la nature du contrat en tant que contrat d’adhésion et celles insistant sur la liberté contractuelle. Cette nature de contrat d’adhésion est confirmée notamment par l’article 140 de la Loi n° 12, lequel dispose que les modèles des polices doivent être préalablement autorisés par la Superintendencia qui devra réaliser son analyse dans le but d’assurer le caractère équitable et conforme avec la législation en vigueur des opérations réalisées. Cependant, la suite du texte de la Loi complique passablement toute interprétation harmonieuse par l’exaltation qui y est faite de la liberté contractuelle, notamment aux articles 143 et 150 de la Loi. Avant d’énumérer les conditions minimums que doivent revêtir les contrats d’assurance, cet article 143 rappelle que les modèles de polices doivent suivre les dispositions légales sur les contrats d’assurance… du Code de commerce, cette Loi et les normes développées par la Superintendencia (14), et l’article 150 de poursuivre en indiquant que Toute personne naturelle ou juridique a la liberté de contracter les assurances directement auprès des assureurs ou par l’intermédiaire des courtiers ou par l’intermédiaire des canaux de com12. CSJ (ch. civ.), 28 mai 2014, aff. 152‑13, ayant combiné la Loi No. 59 de 1996 avec l’article 998 du Code de commerce. 13. Voy., notamment, A. Ordonez Ordonez, « Las nuevas tendencias del derecho de seguros en la legislaciones mas recientes de los paises latinoamericanos », Revista de derecho privado, n° 26, 2014, pp. 305‑349, spéc. pp. 323‑324. 14. L’article 41 du régime précédent, celui de la Loi n° 59 de 1996, prévoyait la soumission subsidiaire du contrat d’assurance au Code de commerce.
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Distribution de produits d’assurance
mercialisation autorisés par cette Loi, ainsi que le type d’assurance, la prime, les conditions générales et toute autre condition spécifique en fonction des besoins. Or, cette articulation conduit à considérer que les dispositions pertinentes du Code de commerce ne jouissent d’aucune impérativité. C’est ce qui se dégage en particulier d’un arrêt de la Cour suprême de justice du 28 mai 2014 (15), à propos des délais pour la mise en demeure. L’affaire concernait la résolution d’un contrat d’assurance-vie dont la prime n’avait pas été réglée au moment du sinistre. Le bénéficiaire s’est vu refuser le paiement prévu par l’assureur qui excipait d’une clause du contrat prévoyant que celui-ci restait en vigueur jusqu’au dernier jour de la période couverte par la prime payée. Or, en l’espèce, le sinistre se trouvait précisément à l’extérieur de ladite période. Les juges du fond ayant donné gain de cause à l’assureur sur ce fondement, le bénéficiaire décide de se pourvoir en cassation invoquant dans son moyen la violation de l’article 41 de l’ancienne Loi de 1996, en vigueur à l’époque des faits (16). À la différence du texte de la clause stipulée dans le contrat d’assurance, cette disposition indiquait que le contrat restait en vigueur tant que la mise en demeure à l’adresse de l’assuré n’avait pas eu lieu dans les dix jours précédant la résolution du contrat. Le cas échéant, poursuivait la disposition, la solution prévue à l’article 998 du Code de commerce (17), droit commun des contrats d’assurance, s’appliquait. Ce dernier article prévoyait à son tour, aussi, la mise en demeure de l’assuré, qui se voit par ailleurs accorder un délai de quinze jours pour payer. Se posait alors à la Cour la question de la nature disponible ou indisponible des textes susvisés. La Cour suprême rejette le pourvoi en se fondant essentiellement sur la nature disponible de l’ancien article 41. Pour la Cour, la disposition légale (art. 41) dispose clairement que les termes et conditions spéciaux du contrat d’assurance sont régis par les clauses de la police. Elle cite par ailleurs un arrêt de 1998 où elle avait décidé que l’article 998 du Code de commerce était également de nature disponible (18). Cette interprétation paraît d’autant plus extrapolable aux situations régies par la Loi n° 12 (19), que son 15. Précité, supra, note n° 12. Voy., M. Montiel, « Régulation comparée. Chronique de droit panaméen », R.I.S.F., 2015/2, pp. 85‑88. 16. Voy., l’article 41, alinéa 1re, de la Loi n° 59 du 29 juillet 1996. 17. Art. 998 : … Si l’assureur ne fait pas la notification requise, en cas de sinistre, l’assuré recevra la quantité convenue dans le contrat d’assurance 18. CSJ (ch. civ.), 1re avril 1998, aff. Comp. Internacional de Seguros, S.A. 19. L’article 161, alinéa 3e, de la Loi n° 12 de 2012 prévoit, en termes proches, que La notification de résolution de la police pour défaut de paiement de la prime devra être adressée au contractant par écrit, avec une anticipation de 15 jours ouvrables. Si la notification n’est pas envoyée, le contrat continuera en vigueur et s’appliquera ce que dispose l’article 998 du Code de commerce. 70
article 143, comme nous l’avons vu, prévoit leur soumission au Code de commerce, à la Loi n° 12 et aux développements réglementaires de la Superintendencia. De surcroît, il ne paraît pas que cette interprétation doive être infléchie par les soupapes de sécurité que la Loi n° 12 prévoit. Pour rester sur la question qui a servi d’illustration à l’arrêt de la Cour suprême panaméenne précité, celui des délais de mise en demeure, l’on peut remarquer que la protection pour l’assuré qui découle notamment des articles 243 et 246 de la Loi n° 12 peut très bien être interprétée de manière à ne pas rendre indisponibles les règles concernant cette mise en demeure et les autres notifications. D’une part, les droits que l’article 243 qualifie de basics et indisponibles sont énumérés de manière exhaustive, en dépit de ce que suggère la mention entre autres passablement ambiguë dans le même article : entre autres. Si cette énumération peut prévenir la dérogation conventionnelle de certains droits protégeant le consommateur de produits commercialisés par les canaux alternatifs, il ne s’agira que de ceux qui y sont explicitement mentionnés. Et, quand bien même il s’agirait d’un droit explicitement mentionné par l’article 243, les formulations qui y sont employées sont parfois ambiguës au point de fragiliser la protection voulue. L’on peut le constater avec le 11° dudit article, précisément sur les notifications. Selon cette disposition c’est un droit basic et indisponible de l’assuré de se voir communiquer 30 jours avant la date de renouvellement du contrat, la décision de l’assureur de ne pas renouveler le contrat dans les mêmes termes et conditions existants à la date dudit renouvellement. À se placer dans la même hypothèse que celle de l’arrêt de la Cour suprême de justice du 28 mai 2014, il n’est point sûr que cette disposition trouve à s’appliquer. En effet, la mise en demeure et la notification du non-renouvellement pour défaut de paiement de la prime pourrait être vue comme une hypothèse différente à celle où l’assureur projette de ne pas renouveler le contrat dans les mêmes termes et conditions existants. Le cas échéant, l’assuré invoquerait en vain cette disposition pour tenter de mettre en échec la renonciation conventionnelle aux délais de notification de la résolution du contrat, prévue à l’article 161, alinéa 3, de la Loi n° 12. D’autre part, l’évocation de la protection qu’offre l’article 246 de la Loi n° 12 serait également stérile. En effet, il serait envisageable d’opposer à l’énumération des clauses considérées abusives, et partant encourant la nullité absolue, de la liste noire de l’article 246, qu’elle ne concerne que les cas dans lesquels les clauses se trouvent incluses dans les conditions générales des contrats d’assurance. Or, tout un chacun peut aisément évaluer combien ladite protection envisagée par le législateur est relative s’il suffit pour y échapper d’inclure les renonciations aux droits dans les clauses particulières du contrat d’assurance. À l’extérieur de cette liste, toute tentative d’invoquer la nullité des clauses incluses dans les contrats d’adhésion, notamment par l’invocation de la sanction géné-
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rale, de l’article 245 de la Loi (20), naviguerait dans une zone d’incertitude dont le succès dépendrait vraisemblablement du fait de savoir ce qu’est un droit reconnu par la Loi… et s’il est disponible ou pas. La complexité et l’ambiguïté induisent à la méfiance, d’où ne peut résulter qu’un environnement défavorable pour le développement de l’activité microassurantielle.
2. La sanction de la nullité absolue pour défaut de paiement de la prime Il faut remarquer que les mécanismes que le législateur panaméen a mis en place, notamment aux articles 154 à 161 de la Loi n° 12, pour l’agencement des sanctions pour défaut de paiement des primes sont pour le moins curieux. S’il est conforme à l’un des objectifs avoués de la loi, lequel est la promotion de l’activité assurantielle en luttant contre les arriérés, il aboutit à un résultat qui ne peut qu’étonner le juriste. En effet, l’on doit admettre que le mécanisme de la nullité absolue employé par le législateur panaméen pour sanctionner une violation d’une obligation contractuelle laisse perplexe. En réalité, le législateur semble avoir voulu combiner les mécanismes des conditions résolutoires explicites avec la sanction de la nullité. Il est inutile d’évoquer en détail les différentes règles ainsi articulées, mais il suffit de constater que les articles susvisés sanctionnent le défaut de paiement des primes par la nullité absolue sans nécessité d’intervention judiciaire, du moment où les règles concernant la notification et les délais de grâce ont été respectées. Il s’agit d’une sanction encourue tantôt en cas d’un nouveau contrat tantôt en cas d’un renouvellement d’un contrat d’assurance. Le parti pris en faveur des professionnels de l’assurance, dans l’objectif de favoriser le développement du secteur, nous semble ici évident.
II. Le souci de protection dans la réglementation de l’activité assurantielle Les dispositions qui paraissent le plus affecter le développement de la microassurance émanent de deux v ecteurs dont la réglementation ne se trouve pas exclusivement dans la Loi n° 12. Deux sources doivent être remarquées : cela peut provenir de la protection accordée aux consommateurs de produits assurantiels (A), et de la lutte contre le blanchiment des capitaux illicites et la prolifération des armes de destruction massive (B). 20. Article 245 de la Loi n° 12 : Nullité dans les contrats d’adhésion : Dans les contrats d’adhésion d’assurances, sont considérées nulles toutes les clauses qui entraînent une renonciation ou diminution d’un droit reconnu dans cette loi. 2016/1
A. La protection du consommateur Nous avons déjà pu prendre connaissance de certaines règles de la Loi n° 12 qui consacrent une protection au profit du consommateur d’assurances. Il convient de revenir un peu plus en détail sur ces dispositions (1), avant d’envisager celles qui se trouveraient dans d’autres législations (2).
1. Protection dans la Loi n° 12 La Loi n° 12 prévoit la protection du consommateur en s’assurant par divers moyens de son consentement éclairé, et en insistant sur son caractère de partie faible. Premièrement, le législateur panaméen cherche à protéger le consommateur en insistant sur la nécessité d’un consentement éclairé et suffisamment réfléchi. Pour l’essentiel, la Loi prévoit des obligations de renseignement, des obligations de conseil, cherche à s’assurer de la qualité de l’information, aménage des délais de réflexion, et met en place un formalisme renforcé. Cependant, l’organisation qui en est faite sur le chef des intermédiaires et des assureurs n’est pas d’une parfaite harmonie, si bien que des répétions pernicieuses pour le développement de l’activité microassurantielle peuvent être observées.
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Le législateur panaméen
cherche à protéger le consommateur en insistant sur la nécessité d’un consentement éclairé et suffisamment
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réfléchi.
Ainsi, d’une part, pour ce qui a trait au devoir de renseignement, l’on peut citer l’article 52. Il impose, entre autres, l’obligation pour l’intermédiaire du canal alternatif d’adopter des mesures qui permettent au public de distinguer entre les couvertures proposées par l’intermédiaire et celles proposées par l’assureur (art. 52, 8°). Insistant sur le devoir de transparence, le législateur impose aussi (art. 52, 9°) d’inclure dans le contrat si l’intermédiaire agit en collaboration avec un courtier ou un autre agent de vente, tout comme le mécanisme de calcul et de paiement des commissions.
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Perspectives récentes de la distribution d’assurances au Panama
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Distribution de produits d’assurance
En ce qui concerne le devoir de conseil au profit de l’assuré, le même article 52 prévoit, notamment au 7°, l’obligation pour l’intermédiaire d’informer adéquatement les potentiels contractants à propos des produits assurantiels proposés, ainsi que par rapport aux coordonnées de l’assureur. Il s’agit là d’une obligation particulièrement importante dans le contexte des microassurances, car l’on est en présence d’un marché où l’éducation financière est déficitaire. La Loi n° 12 cherche donc à s’assurer, aussi, de la qualité de l’information. À l’article 52 (notamment, 2°, 5° et 6°), le législateur panaméen pose l’obligation pour l’intermédiaire de s’assurer que l’information apportée au sujet du produit est offerte exclusivement par son personnel dûment formé par l’assureur. Plus généralement, le 6° de l’article 52, impose l’obligation de rédiger des contrats d’assurance faciles à comprendre et à utiliser par les contractants. L’on retrouve certaines de ces mêmes obligations à l’article 241 cette fois-ci à la charge de l’assureur. Parmi les obligations de renseignement et de conseil qui se répètent, l’on trouve, aux 1° et 9° de l’article 241, l’obligation d’informer le contractant des conditions du contrat d’assurance et de l’informer également sur les caractéristiques et bénéfices qu’il présente pour lui. Si l’on distingue aisément le désir du législateur d’insister sur le devoir de conseil dû au consommateur de produits assurantiels, l’on peut hésiter quant à l’efficacité du double emploi qui en est réalisé sur la tête et de l’intermédiaire et de l’assureur. En effet, dans ce contexte, à quoi bon exiger que l’assuré soit conseillé et par l’intermédiaire et par l’assureur, alors que l’un des aspects permettant le développement de l’activité microassurantielle est précisément la possibilité pour l’assureur de confier la gestion de la police à l’intermédiaire du canal de commercialisation alternatif ? À dire vrai, le double emploi nous paraît d’autant plus paradoxal que, d’une part, l’assureur est dans l’obligation de former le personnel de l’intermédiaire (art. 52, 5°) ; d’autre part, la Loi n° 12 prévoit la responsabilité solidaire de l’intermédiaire du canal alternatif et de l’assureur pour les erreurs et omissions commises dans la commercialisation des produits microassurantiels vendus par le personnel du premier. Au-delà de ce double emploi, d’autres obligations de renseignement sont prévues à cet article 241 sur le chef de l’assureur. Il en est ainsi du devoir : d’informer opportunément des endossements et autres changements aux contractants (art. 241, 4°) ; d’informer, par le biais d’une note séparée ou autre forme évidente, les contractants au moment du renouvellement du contrat d’assurance s’il y a des changements dans les conditions générales ou particulières du contrat (art. 241, 5°) ; ou encore, d’informer les contractants sur les délais des réclamations (art. 241, 12°). L’on conclura, vis-à-vis de cet article, que le législateur prévoit également sur le chef de l’assureur un devoir de confidentialité quant aux données fournies par le contractant (art. 241, 8°) ; ainsi que l’aménagement 72
indirect de certains délais de réflexion (art. 241, 15°- 16°). Le législateur impose également de notifier toute annulation ou suspension de couverture, avec une anticipation qui ne soit pas inférieure à 15 jours avant la date en question. La plupart de ces dispositions se retrouvent, par ailleurs, reformulées sous le titre de droits basics et indisponibles des assurés et contractants à l’article 243 de la Loi n° 12. D’autre part, corollaire de ce souci d’un consentement éclairé, au sein d’un marché peu instruit en matière financière, est le formalisme renforcé qu’impose la Loi n° 12, notamment à l’article 143 à propos des conditions minimums du contrat d’assurance. Pour l’essentiel, aux 1° à 4° de cet article l’on retrouve l’obligation de rédiger le contrat d’assurance de manière claire et facile à comprendre pour l’assuré, dans des termes aisément lisibles ; d’indiquer dans le contrat les exclusions et limitations des droits avec des caractères remarqués ; d’indiquer clairement dans la couverture du contrat les déchéances ; ou encore, d’indiquer dans le contrat la prime de risque, les taux et les autres montants relatifs aux impôts. Deuxièmement, il convient de remarquer que la Loi n° 12 prévoit deux mécanismes importants qui rappellent le caractère de parties faibles des consommateurs des produits microassurantiels : l’extension du gage général des créanciers et la nullité des clauses abusives. À propos du premier, l’on note que tant l’article 52, 5° que l’article 241, 14° disposent que l’intermédiaire du canal de commercialisation alternatif et l’assureur sont tenus pour solidairement responsables des préjudices causés à toute personne pour les infractions, erreurs ou omissions commises dans la commercialisation des contrats de microassurance distribués par le biais des canaux alternatifs. Au sujet du second, l’on a pu déjà remarquer que les articles 245, 246 et 247 de la Loi n° 12 prévoient la sanction de la nullité des clauses dans les contrats d’adhésion qui dérogent à un certain nombre de droits. Cependant, nous avons aussi vu que ce mécanisme est fragilisé par la rédaction parfois confuse de la Loi. D’abord, l’article 245 dispose de manière générale la sanction de la nullité pour toute clause qui déroge à un droit reconnu dans la loi ou les normes réglementaires de celle-ci. Or, le débat ne manquera pas de se poser au sujet de ce qu’est un droit reconnu par la Loi et sur son caractère disponible. Ensuite, l’article 246, nous l’avons évoqué aussi, dispose une sorte de liste noire de clauses considérées abusives et absolument nulles. Toutefois, ce mécanisme reste fragile dans la mesure où non seulement il restreint son champ d’application aux clauses incluses dans les conditions générales des contrats, mais, en outre, la manière dont sont rédigées les différentes clauses de la liste fait référence à des situations où la protection sera difficilement assurée. Nous l’avons vu avec la question de la mise en demeure. Enfin, la nullité relative de l’article 247 nous
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paraît aussi difficile à mettre en œuvre et risque de ne pas assurer la protection du consommateur censée être voulue par le législateur dans la mesure où le critère qui est employé, celui de la disproportion, risque d’être interprété restrictivement par les juridictions compétentes pour ne pas entraver l’activité assurantielle. Bref, ces obligations traduisent un souci de protection du consentement éclairé de la partie faible, le consommateur. Cependant, l’organisation de la réglementation à laquelle aboutit le législateur panaméen est parfois confuse et engendre des doubles emplois pernicieux pour le développement de l’activité microassurantielle, sans que la protection recherchée soit assurée. L’équilibre, surtout pour ce qui a trait à l’obligation d’information, doit alors se faire, comme il a pu être observé ailleurs, entre deux modèles de régulation encadrant l’intermédiation en matière de microassurances : l’un dit du Conseil, l’autre dit du Non-conseil (21). Le juste milieu, consacrant une protection suffisante du consommateur tout en permettant le développement du marché microassurantiel est difficile à trouver, mais il l’est sans doute encore plus lorsque le législateur ne prend pas conscience de l’importance d’avoir un système cohérent et harmonieux. Assurément, la solution ne se trouve pas dans l’excès, et il est probable, comme le suggère une étude menée sur l’expérience microassurantielle sud-africaine, qu’entre le modèle de Conseil, avec des obligations de renseignement et de conseil nombreuses, et de Non- conseil, sans obligations de ce type, une voie moyenne puisse être trouvée en insistant par ailleurs sur d’autres aspects tels que la transparence accrue et les moyens de résolution de conflits appropriés pour des clients à faibles revenus (22). L’autre vecteur de la protection du consommateur des produits assurantiels est la Loi n° 45 du 31 octobre 2007.
2. Protection dans la Loi n° 45 de 2007 Il n’est pas nécessaire de revoir en détail les mécanismes de protection mis en place au profit du consommateur de manière générale dans la Loi n° 45. Il suffira d’indiquer que, par exemple, cette Loi prévoit également des obligations d’information, encadre la publicité commerciale, ou encore met en place un mécanisme de nullité de clauses abusives. Le renvoi qui est réalisé par la Loi n° 12 à cette Loi n° 45 laisse une marge de manœuvre importante à l’interprète, si bien que la protection recherchée en résulte affaiblie. La seule lecture de l’article 305 de la Loi n° 12, à propos des règles sub21. IAIS, Groupe de travail sur la micro-assurance, Issues in Regulation and Supervision of Microinsurance, Issue Paper, juin 2007, spéc. pp. 49 et s. (disponible sur le site www.iaisweb.org). 22. H. Bester et autres, Brokering change in the Low-income market. The threats and opportunities to the intermediation of microinsurance in South Africa, Genesis, 2006, spéc. pp. 132‑134. 2016/1
sidiairement applicables, permet de le constater. Cet article dispose que seront applicables à la protection du consommateur d’assurances les dispositions de la Loi n° 45 de 2007, pourvu qu’elles soient compatibles avec le service d’assurances. S’il n’est pas rare de conditionner l’application subsidiaire d’une loi spéciale à sa conformité avec les dispositions d’une autre loi encore plus particulière au domaine en question, en l’espèce de la microassurance, il est peu usité de subordonner une telle application à des formules aussi ambiguë que la compatibilité avec l’activité réalisée. Tout un chacun comprendra que le risque est grand que son application reste alors au loisir de l’interprète.
B. Les dispositions sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme Les efforts des autorités panaméennes en la matière ont été principalement guidés par le but de sortir de la liste grise du GAFI (23). Concrètement, deux instruments particuliers, applicables aux secteurs surveillés, y compris donc aux intermédiaires en microassurance, ont été mis en place : la Loi n° 23 de 2015 (1), et son développement réglementaire par l’Accord n° 3 du 27 juillet 2015 (2).
1. La Loi n° 23 de 2015 Fruit d’une consultation publique pilotée par le gouvernement panaméen, la Loi n° 23 du 27 avril 2015 reprend des recommandations réalisées par la GAFI. Il s’agit du principal outil juridique développé par le gouvernement panaméen dans la lutte contre le blanchiment de capitaux illicites. La Loi n° 23 améliore les mécanismes existants allant au-delà de ce que son prédécesseur, la Loi n° 42 du 2 octobre 2000, prévoyait. En particulier, le champ de surveillance est augmenté à une vingtaine d’activités supplémentaires, parmi lesquelles les microassurances. Elle prévoit une compréhension très large dans son article 23, 3°, en faisant référence à tous les sujets supervisés par la Superintendencia. Autrement dit, cela concerne les entreprises en assurances et réassurances, les courtiers en assurance, ainsi que tous les autres intermédiaires participant dans la commercialisation, y compris alternative, des produits assurantiels prévue dans la Loi. La Loi n° 23 met en place, pour l’essentiel, des obligations et mécanismes pour la collecte et analyse des données financières, ainsi que des sanctions en cas de violation de ses dispositions. Parmi les obligations qu’elle prévoit sur le chef des sujets obligés, il convient 23. M. Montiel, « Régulation comparée. Chronique de droit panaméen », R.I.S.F., 2015/2, pp. 85‑86.
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Distribution de produits d’assurance
de citer, les suivantes : l’obligation de maintenir des registres sur toutes les opérations commerciales au cas où les autorités de supervision en requièrent la consultation ; l’adoption de mesures pour connaître la nature de l’activité du client, et l’identification du bénéficiaire final ; l’adoption de mesures pour connaître les clients considérés comme personnes politiquement exposées ; la désignation d’une personne formée pour intervenir dans l’échange d’informations entre les différentes institutions d’un groupe ; l’obligation d’évaluer toute opération suspecte ; l’obligation de surveiller le comportement professionnel des employés et de les former pour connaître les risques qui peuvent se présenter. Ces obligations se précisent davantage dans l’Accord n° 3 de 2015 de la Superintendencia.
2. L’Accord n° 3 du 27 juillet 2015 La Loi n° 23 a fait l’objet d’un développement réglementaire dans l’objectif de l’adapter à l’activité assurantielle. Ceci a été fait par le Comité de direction de la Superintendencia par l’Accord n° 3 du 27 juillet 2015 sur les critères minimums devant être adoptés par le secteur assurantiel aux fins de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. Cet accord crée une classification de sujets obligés du secteur assurantiel visé dans la Loi n° 23 (24). À côté des entreprises du Groupe A, l’on trouve un Groupe B au sein duquel la Superintendencia inclut les entreprises participant dans les canaux de commercialisation alternatifs. Or, parmi les obligations qui y sont envisagées sur le chef de ces intermédiaires des canaux alternatifs il y en a qui constituent sans aucun doute des contraintes structurelles importantes. L’on observe ainsi, entre autres, que ces intermédiaires doivent nommer un cadre qui intervienne comme interface responsable avec la Superintendencia. Parmi les fonctions de ce cadre l’on trouve la surveillance du respect des dispositions légales et réglementaires en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux ; 24. Voy., article 2 de l’Accord n° 3 de 2015.
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la communication de ces obligations au personnel de l’intermédiaire ; ou encore, la surveillance des transactions et la réalisation des notifications pertinentes à la Superintendencia. Plus généralement, l’intermédiaire du canal alternatif doit prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les opérations dans lesquelles il intervient ne sont pas réalisées avec des capitaux en rapport avec les activités illicites visées. L’on trouve ainsi (art. 40) l’obligation de mettre en place une due diligence envers les contractants et/ou assurés quant aux opérations réalisées (25), ou encore (art. 41), l’obligation par les intermédiaires des canaux alternatifs de maintenir une formation continue vis-à-vis de la Loi n° 23, ses modifications et réglementations, ainsi que vis-à-vis des techniques et méthodes pour prévenir, détecter et rapporter les opérations considérées suspectes. Il faudra alors compter parmi ces sujets obligés avec des entreprises moins bien équipées pour suivre les lourdes obligations de surveillance et déclaration qui sont ainsi imposées. Ce sera sans doute le cas des partenaires des compagnies d’assurances qui servent de canaux de commercialisation alternatifs pour les microassurances. Il est alors à craindre que les obligations de la Loi n° 23, mais aussi celles que nous avons évoquées relevant d’autres textes en matière de protection, ne deviennent trop lourdes, et rendent peu intéressant le développement de ce marché. Cependant, il ne nous semble pas que l’on doive se résoudre à y voir une tragédie. Ce résultat n’est pas inéluctable, mais il requerrait l’aménagement d’un régime particulier et plus équilibré, au sein même des règles protectrices, pour ces canaux alternatifs de la microassurance. Autrement, il faudra se résoudre à admettre que des objectifs plus largement embrassés par la communauté internationale, à savoir principalement la lutte contre le blanchiment de capitaux illicites et le financement du terrorisme, mais aussi la protection du consommateur, aient eu raison de l’objectif d’intérêt public national qu’est l’extension de la couverture assurantielle par les microassurances. 25. La due diligence est définie par l’article 3, 8°, de la Loi n° 23 du 27 avril 2015.
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Présent et avenir de la distribution des assurances en Colombie
Daniel Rojas Tamayo• (1)
Avocat au barreau de Colombie Doctorant au CRDI, Université Panthéon-Assas (Paris II) et au Département de droit civil, Université Externado de Colombie Le secteur des assurances en Colombie est en pleine croissance et son potentiel est important. Pourtant, l’accès à l’assurance est encore aujourd’hui inférieur à la moyenne des pays latino-américains. Le Gouvernement colombien a donc adopté des mesures pour généraliser cet accès (I), mais il semble qu’il n’ait pris conscience que tardivement des défis qu’implique la réalisation de cet objectif (II).
I. L’objectif : l’élargissement de l’accès aux assurances La distribution des assurances en Colombie s’effectue par plusieurs canaux. En vertu du programme d’inclusion financière du Gouvernement qui cherche à étendre l’accès aux services financiers à l’ensemble de la population colombienne, la liste de distributeurs d’assurances a été élargie. Il existe cependant une dissymétrie du régime applicable aux différents opérateurs. On peut les distinguer selon qu’ils sont directement (A) ou indirectement (B) soumis à la supervision permanente de la superintendance Financière de Colombie (ci-après SFC).
A. Les distributeurs soumis à la surveillance directe La SFC est chargée de la surveillance permanente de trois types de distributeurs d’assurances. On doit mentionner tout d’abord les entreprises d’assurances. Leur régime juridique se trouve principalement dans la Loi du secteur financier (décret 663 du 2 avril 1993, Estatuto orgánico del sistema financiero, ci-après EOSF), le décret 2555 de 2010, dit décret unique, et la Circulaire juridique fondamentale (circulaire externe n° 7 du 19 janvier 1996, Circular básica jurídica). Cette •
1. L’auteur tient à remercier Mme Adeline Jeauneau de ses conseils pour la rédaction de cette contribution.
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Présent et avenir de la distribution des assurances en Colombie réglementation concerne entre autres la constitution, le type de société devant être utilisé, la dénomination sociale et le patrimoine de cette dernière, les conditions d’accès à l’exercice de l’activité assurantielle, les investissements autorisés, et les produits assurantiels pouvant être commercialisés par l’assureur, ainsi que la relation avec la clientèle. Par ailleurs, les articles 77 et 98 de l’EOSF prévoient les hypothèses d’incompatibilités et de conflits d’intérêts.
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La SFC est chargée
de la surveillance permanente de trois types de distributeurs
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d’assurances.
Ensuite, les établissements de crédit peuvent également agir comme opérateurs du secteur assureur en tant qu’intermédiaires depuis l’entrée en vigueur de la loi 389 de 1997 et de son décret réglementaire 1367 de 1998. Ces établissements sont de par leur activité principale soumis à la surveillance de la SFC et à des exigences similaires de celles imposées aux assureurs. En plus, le décret unique soumet l’offre d’assurances par ce canal à des règles strictes (art. 2.31.2.2.1 et s.). Ainsi il détermine les produits assurantiels pouvant être proposés au public. Enfin, le troisième type de distributeur soumis à la surveillance permanente de la SFC est le courtier d’assurance. Bien que ces intermédiaires doivent également respecter les textes mentionnés, y compris le même régime d’incompatibilités et de conflits d’intérêts applicable aux assureurs, certains aspects de la réglementation sont moins restrictifs à leur égard. On remarque toutefois que les sociétés de courtage d’assurances sont les seuls intermédiaires à devoir démontrer leur capacité professionnelle (art. 2.30.1.1.3 du décret unique).
B. Les distributeurs soumis à une surveillance indirecte Les particuliers peuvent accéder aux produits assurantiels par deux autres canaux : les agences ou les agents
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Distribution de produits d’assurance
d’assurances, et les correspondants, qui ne sont pas soumis à la surveillance permanente de la SFC. Les premiers se caractérisent par leur qualité de représentants de la ou des entreprises d’assurances pour lesquelles ils commercialisent des produits (art. 41.2 de l’ESOF). La loi distingue deux types d’agents : dépendants ou indépendants, selon qu’ils sont ou non, liés à l’assureur par un contrat de travail (art. 41.5 de l’ESOF). Leur activité est considérablement moins réglementée. Néanmoins, des restrictions existent. La loi interdit par exemple à certaines personnes d’agir en tant qu’agents d’assurances (article 41.6 de l’ESOF). Par ailleurs, certaines agences d’assurances sont assimilées aux courtiers (1), et doivent respecter le régime légal propre à ces derniers (article 41.4 de l’ESOF).
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Les particuliers peuvent
accéder aux produits assurantiels par deux autres canaux : les agences ou les agents d’assurances, et les
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correspondants.
Les correspondants constituent, quant à eux, une catégorie nouvelle créée par le décret 34 du 14 janvier 2015 qui autorise les entreprises d’assurances à commercialiser leurs produits par ce biais. Cette figure juridique, déjà utilisée dans le cadre de certaines opérations des établissements de crédit, concrétise la politique d’inclusion financière du Gouvernement. À ce titre, les commerces de proximité pourront, sous certaines conditions, offrir au public les quelques produits assurantiels autorisés par la loi (art. 2). Ce canal permettrait, en particulier, l’accès des agriculteurs de zones périphériques à l’assurance. Compte tenu de la complexité des produits assurantiels et de l’absence de surveillance permanente, ces deux catégories d’opérateurs ne semblent pas à première vue des intermédiaires d’assurances appropriés, spécialement les correspondants. Cette affirmation doit cependant être nuancée car la SFC peut effectuer 1.
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Il s’agit des agences qui perçoivent des commissions pour un montant total supérieur au seuil établi par la loi. L’article 2.30.1.2.1 du décret unique a fixé le seuil à 1.600 fois le salaire minimum mensuel, qui équivaut aujourd’hui à 312.000 EUR.
une supervision indirecte à leur égard. En effet, les agents ou agences d’assurances et les correspondants sont, d’abord, impérativement liés à une entreprise d’assurance qui a l’obligation de fournir toute l’information les concernant à la SFC (art. 101 de la loi 510 du 3 août 1999 et 2.36.9.1.15, al. 2, du décret unique). Ensuite, les assureurs sont responsables, en général, pour l’activité des intermédiaires qui commercialisent leurs produits et, spécifiquement, pour leur capacité professionnelle et pour le respect du régime d’incompatibilités et de conflits d’intérêts qui leur est applicable (art. 101 de la loi 510 du 3 août 1999 et 2.36.9.1.1 du décret unique). D’ailleurs, en cas d’irrégularité, la SFC pourrait exercer son pouvoir de sanction directement à l’égard de ces intermédiaires. Néanmoins, des voix se font entendre en faveur d’un encadrement plus strict, permettant une meilleure protection des consommateurs.
II. Le défi : la consolidation de l’accès aux assurances Un meilleur accès des consommateurs aux assurances est vu, par l’alinéa 2 du préambule du décret 34 de 2015, comme un facteur de développement économique. Mais il y a des asymétries dans le système qui pourraient faire obstacle à la consolidation de l’inclusion financière souhaitée. Cette difficulté concerne tant la protection des consommateurs (A) que le régime applicable aux différents intermédiaires d’assurances (B).
A. La disparité contestable de la protection du consommateur financier La loi 1328 du 15 juillet 2009 définit un régime spécifique de protection des consommateurs des services financiers. Ce régime est applicable aux rapports entre les consommateurs financiers et les entités surveillées (art. 1er). Par conséquent, les agents et les agences d’assurances et les correspondants, non directement soumis à la surveillance de la SFC, n’entrent pas dans le champ d’application de la loi 1328, et leurs relations avec les consommateurs seront régies par le régime général de protection du consommateur contenu dans la loi 1480 du 12 octobre 2011 (2). Étant donné que la population visée par le décret 34/2015 est particulièrement vulnérable, il est regrettable que ce dernier n’ait pas renforcé l’accès au système de service au consommateur financier et au défenseur du consommateur financier dont la loi 1328/2009 2.
La SFC considère ainsi que le régime de la loi 1480/2011 est applicable de manière subsidiaire, voy. sur ce point, avis 2015002738‑001 du 16 janvier 2015.
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impose la création au sein des entreprises d’assurance (art. 8 et 13, respectivement). Il faut donc espérer que le contrôle de la SFC sera plus exigeant vis-à-vis des entités surveillées lorsque la distribution d’assurances s’effectue par le biais d’agents et agences d’assurance et de correspondants.
B. La disparité contestable de la réglementation des intermédiaires Les différents acteurs du secteur des assurances ne sont pas, ainsi que l’on l’a vu, soumis aux mêmes exigences pour l’exercice de l’activité de distribution d’assurance. Cette disparité préoccupe aussi bien les
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opérateurs directement surveillés, qui y voient une rupture de l’équilibre du marché, que les pouvoirs publics. Déjà en 2014 le directeur de la SFC affirmait qu’il fallait établir des règles concernant la capacité professionnelle des intermédiaires, dans le but d’assurer le bon fonctionnement de l’activité et, par conséquent, une majeure protection du consommateur financier. Ainsi, l’Unité de projection normative et d’études de réglementation financière du ministère des Finances et du Crédit public conduit actuellement une étude sur le système d’intermédiaires en assurance. Cette étude devrait établir le besoin de réglementer l’activité des correspondants et des agents et des agences d’assurances. Les points d’analyse sont, parmi d’autres, la transparence des prix, l’information fournie aux consommateurs et la capacité professionnelle.
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Dossier
Présent et avenir de la distribution des assurances en Colombie
Dossier
Distribution de produits d’assurance
L’intermédiation en assurance au Mexique Rafael Ibarra Garza
Professeur à l’Universidad Autónoma de Nuevo León (Facultad de Ciencias Políticas y Administración Pública) Chercheur national du SNI (CONACYT) Membre du cabinet Leal-Isla & Horváth, S.C. En droit mexicain l’intermédiation en assurance est régie principalement par deux textes, le Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas (règlement des Agents d’Assurance et des Cautions) et la Ley de Instituciones de Seguros y de Fianzas (loi sur les Institutions d’Assurance et de Caution). Le régime de l’intermédiation en assurance se concentre autour de trois thèmes : l’agrément des intermédiaires, les activités des intermédiaires et les sanctions appliquées aux intermédiaires. En revanche, le régime de l’intermédiation varie selon que le contrat d’assurance est un contrat négociable (I) ou un contrat d’adhésion (II) (1).
I. L’intermédiation dans les contrats d’assurance négociables Quand le contrat d’assurance est susceptible d’être négocié, l’intermédiation est limitée exclusivement aux agents d’assurance (2). L’agent est défini comme la personne, physique ou morale, autorisée à réaliser l’intermédiation d’assurance (3). Peuvent être des agents : les employés (d’une institution d’assurance) qui sont autorisés à promouvoir au nom de l’institution les contrats d’assurance (4) ; les personnes physiques qui opèrent comme des intermédiaires en vertu d’un contrat commercial (conclu avec une institution d’assurance) (5) ; et les sociétés anonymes dont leur objet social c’est l’intermédiation d’assurance (6). Si les agents sont des personnes morales, ils agiront à travers des manda1. Article 91 de la Ley de Instituciones de Seguros de Fianzas. 2. Ibidem. 3. Article premier, fraction VIII, du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 4. Article premier, fraction VIII, a), du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 5. Article premier, fraction VIII, b), du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 6. Article premier, fraction VIII, c), du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 78
taires (apoderados). Du point de vue du droit des assurances, le mandataire est la personne qui a le pouvoir et la mission de réaliser des activités d’intermédiation au nom d’un agent personne morale (7).
“
Quand le contrat
d’assurance est susceptible d’être négocié, l’intermédiation est limitée exclusivement aux
”
agents d’assurance.
L’intermédiation est définie comme les activités réalisées par les agents et les mandataires dans la réalisation de contrats d’assurance (8). Le règlement établit que les activités d’intermédiation sont celles qui peuvent être réalisées par les agents et mandataires, et qui consistent en l’échange et l’acceptation de propositions, à la promotion de produits d’assurance, ainsi qu’à donner conseil pour la constitution de contrats d’assurance, leur conservation, renouvèlement ou annulation (9). L’agrément est une condition nécessaire pour agir en tant qu’agent d’assurance (10) et en tant que mandataire (11). C’est la Commission Nationale pour les Assurances et les Cautions qui est en charge de donner l’agrément (12). Les conditions à remplir pour obtenir l’agrément varient selon que l’agent est une personne physique (13) ou morale (14). En revanche, le mandataire doit remplir les mêmes conditions que l’agent personne physique. Passons maintenant, à l’intermédiation dans les contrats d’assurance qui sont des contrats d’adhésion. 7. Article premier, fraction VIII, b), du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 8. Article premier, fraction XI, du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 9. Article 2 du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 10. Article 93 de la Ley de Instituciones de Seguros de Fianzas et article 9 du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 11. Article 9 du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 12. Article 9 du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 13. Article 10 du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas. 14. Article 12 du Reglamento de Agentes de Seguros y Fianzas.
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II. L’intermédiation dans les contrats d’assurance d’adhésion Les assurances qui sont conclues par des contrats d’adhésion peuvent se réaliser non seulement par des agents mais aussi par des personnes morales qui ne sont pas des agents (15). Les personnes morales qui font l’intermédiation de contrats d’adhésion ne sont pas soumises à l’agrément ; cependant, elles doivent remplir d’autres conditions.
“
Les assurances qui sont
conclues par des contrats d’adhésion peuvent se réaliser par des personnes morales qui ne sont pas
”
des agents.
La première condition s’applique à toutes les personnes morales qui veulent être intermédiaires de contrats d’adhésion ; elle consiste en la conclusion d’un contrat de services professionnels entre l’institution d’assurance et la personne morale qui fera l’intermédiation des contrats d’adhésion et en l’enregistrement de ce contrat à la Commission Nationale pour les Assurances et les Cautions (16). En outre, des conditions spéciales s’appliquent selon où se trouve la personne morale. Si la personne morale est un intermédiaire financier qui est sujet au contrôle des autorités financières et qu’elle a une relation exclusive avec l’institution d’assurance, il existe deux cas. 15. Article 102 de la Ley de Instituciones de Seguros de Fianzas. 16. Ibidem.
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Le premier consiste en l’intermédiation de produits d’assurance avec des éléments d’épargne et d’investissement. Dans ce cas, la personne morale doit enregistrer à la Commission le programme de formation qui serait appliqué à ses employés et mandataires qui participent à la promotion des produits d’assurance (17). Le deuxième cas concerne l’intermédiation de tous les autres types de produits d’assurance. Dans ce second cas, un programme de formation devra être inclus dans le même contrat de services professionnels signé avec l’institution d’assurance et enregistré à la Commission ; le programme variera en fonction des caractéristiques et de la spécificité du produit (18). Si la personne morale n’est pas un intermédiaire financier qui est sujet au contrôle des autorités financières ou qui n’est pas dans une relation exclusive avec l’institution d’assurance, elle doit être en conformité avec les règles établies par la Commission. Ces règles prévoient les cas où les employés ou mandataires de la personne morale doivent être formés par les institutions d’assurance ou doivent passer une évaluation et être certifiés par la Commission (19). En outre, ces règles prévoient les manières par lesquelles la personne morale évitera les conflits d’intérêts quand elle agit en faveur de plusieurs institutions d’assurance (20).
III. Conclusion Les personnes qui peuvent être d’intermédiaires d’assurances ne sont pas les mêmes selon que le contrat est un contrat d’adhésion ou non. Quand le contrat d’assurance est un contrat de gré à gré, seuls les agents d’assurance peuvent agir comme des intermédiaires ; pour agir comme des agents il faut l’agrément de la Commission. Si le contrat est en réalité un contrat d’adhésion, il n’est pas nécessaire d’être un agent pour être un intermédiaire dans ce cas ; il suffit d’être une personne morale et de respecter les différentes conditions prévues par la loi ou la Commission. 17. Paragraphe a), fraction I de l’article 103 de la Ley Instituciones de Seguros de Fianzas. 18. Paragraphe b), fraction I de l’article 103 de la Ley Instituciones de Seguros de Fianzas. 19. Paragraphe a), fraction II de l’article 103 de la Ley Instituciones de Seguros de Fianzas. 20. Paragraphe b), fraction II de l’article 103 de la Ley Instituciones de Seguros de Fianzas.
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de de de de
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Dossier
L’intermédiation en assurance au Mexique
Chroniques
I. Régulation financière Chronique sous la direction de Katrin Deckert
Maître de conférences à l’Université de Paris Ouest NanterreLa Défense
&
Anastasia Sotiropoulou
Professeur de droit privé à l’Université de Lyon, UJM Saint-Etienne, CNRS, CERCRID, UMR 5137
Avec la collaboration de
Laurynas Didžiulis
PhD, Assistant Professor at Vilnius University, Attorney at Law
&
Tomas Veršinskas
Vytautas Magnus University, Faculty of Law
Cette chronique est d’abord consacrée à la réponse européenne à la crise financière et au scandale LIBOR. Deux nouvelles mesures sont proposées qui tendent à la prévention de nouvelles crises tout en rassurant les investisseurs et les marchés financiers : les propositions de règlements sur la titrisation et sur les indices financiers de référence. Alors que le marché européen de titrisation souffre de la stigmatisation post-crise ainsi que de l’environnement économique et réglementaire actuel défavorable, la Commission européenne a initié la création d’un nouveau cadre réglementaire. Le règlement titrisation proposé introduit, entre autres, la STS (la titrisation simple, transparente et standardisée), nouvel instrument non contraignant visant à « relancer » le marché de la titrisation de l’UE. L’adoption des mesures d’accompagnement, telles que les exigences de rétention de capital plus équilibrées, devrait rendre la STS plus attractive. Même si le nouveau cadre réglementaire établit certaines normes de base pour la titrisation, il ne prévoit point de cadre unique et harmonisé de la titrisation dans l’UE et vise principalement à rassurer les investisseurs potentiels. Par conséquent, il ne s’agit que d’une première étape dans le processus de l’élaboration du cadre réglementaire concerné, apportant une pierre à l’édifice de la construction de l’Union des marchés des capitaux. Le 25 novembre 2015, après trois ans de négociations, le Conseil de l’UE, le Parlement européen et la Commission européenne ont conclu un accord sur la proposition de règlement sur les indices de référence utilisés dans le cadre d’instruments et de contrats financiers (le règlement sur les indices financiers de référence). L’objectif du projet de règlement est de restaurer la crédibilité de ces indices, qui a été sérieusement atteinte par le scandale du Libor. Les indices financiers de référence seront soumis à des exigences de gouvernance et de supervision, ce qui assurera à court terme la stabilité du marché. Si la démarche apparaît justifiée, les régulateurs devront cependant prévenir toute menace pesant sur la stabilité du marché à long terme, en particulier dans l’hypothèse où, à l’instar des agences de notation de crédit, les administrateurs de référence deviennent des acteurs d’importance systémique. Mais une fois la réglementation adoptée, se posera la question de son application efficace dans les États membres. Ainsi, sous cet angle, on trouvera ensuite dans cette chronique une analyse de la mise en œuvre privée de la régulation européenne des marchés financiers à la lumière de l’expérience lituanienne. Avant la crise financière mondiale de 2008, le législateur européen a accordé une attention presque exclusive à la supervision publique de la régulation financière, et a conçu cette régulation en conséquence, à savoir en mettant l’accent sur la mise en œuvre publique et en laissant de côté la mise en œuvre privée. Cependant, en réponse à la crise financière mondiale de 2008, cette approche, comme en témoigne la nouvelle vague d’actes juridiques de l’UE, a commencé à évoluer. Pourtant, les mesures d’harmonisation liées à la mise en œuvre privée sont de portée très limitée. Un État membre de l’UE – la République de Lituanie – est l’un des nombreux pays européens où les scandales graves de ventes frauduleuses ont éclaté et où les tribunaux civils ont dû faire face à des défis dans l’interprétation et l’application de la réglementation financière sophistiquée de l’UE. L’expérience lituanienne dans les premières années de la mise en œuvre du droit de l’UE sur les marchés financiers comprend les deux : réalisations qui pourraient être suivies, et les échecs, qui devraient être évités à l’avenir. L’analyse des problèmes nationaux de cette application, à la lumière du fond théorique général, révèle des points faibles dans le modèle actuel de mise en œuvre du droit financier de l’UE ainsi que les moyens particuliers qui pourraient permettre d’y remédier avec succès.
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Chroniques
I. Régulation financière
This chronicle first looks at the European response to the financial crisis and the LIBOR scandal, consisting in proposing new measures aimed at preventing new crises while reassuring investors and the financial markets, i.e the proposals for regulations on securitization and for a benchmark regulation. While the EU securitisation market suffers from the post-crisis stigma and current economical and regulatory environment, the European Commission initiated the establishment of a new regulatory framework. The proposed Securitisation Regulation introduces, inter alia, a new non-mandatory STS (simple, transparent and standard securitisation) instrument, aiming to “restart” the EU securitisation market. Attractiveness of the STS is increased via the adoption of the accompanying measures, such as more balanced capital retention requirements. Even if the new regulatory framework establishes certain baseline standards for securitisations, it does not provide for a single harmonised EU securitisation framework and mostly focuses on reassuring potential investors. It is thus just the first step in developing the regulatory framework on the matter and further contributing to the creation of the Capital Markets Union. On November 25th 2015, after three years of negotiations, the Council of the EU, the European Parliament and the European Commission reached agreement on the proposed Regulation on indexes used as benchmarks in financial instruments and financial contracts (the Benchmark Regulation). The objective of the draft Regulation is to restore the credibility of benchmarks, which was seriously affected by the Libor scandal. Benchmarks will be placed under governance requirements and supervision, which ensures short-term market stability. Regulators should however be cautious to avoid risks for long-term market stability, mainly if, following the example of credit rating agencies, benchmark administrators become systemically important. However, once regulations are adopted, will arise the question of how to effectively enforce them in Member States. Thus, this chronicle will then analyze from this perspective the private enforcement of the European regulation of financial markets, in the light of the Lithuanian experience. Before the global financial crisis of 2008, European legislator had paid attention almost solely to the public supervision of the financial regulation and designed that regulation accordingly, i.e. making strong emphasis on the public enforcement and leaving private enforcement aside. However, in response to the global financial crisis of 2008, this trend, as evidenced by the new wave of EU legal acts, has slightly begun to change. Still the harmonization measures related to the private enforcement are very limited in scope. EU Member State – Republic of Lithuania is one of the many European countries where serious miss-selling scandals have occurred and where civil courts have faced challenges in the interpretation and application of sophisticated EU financial regulation. Lithuanian experience in the first years of the enforcement of EU financial markets law comprises both achievements, which could be followed, and failures, which should be avoided. Analysis of the national enforcement problems in the light of general theoretical background reveals weak points in the current EU financial enforcement model as well as particular ways how they could be successfully solved.
I.A. Régulation européenne LATEST DEVELOPMENTS IN BENCHMARK REGULATION Anastasia Sotiropoulou
Professeur de droit privé à l’Université de Lyon, UJM Saint-Etienne, CNRS, CERCRID, UMR 5137 th
On the 25 November 2015, after three years of negotiations, the Council of the EU, the European Parliament and the European Commission reached an agreement on the proposed Regulation on indexes used as benchmarks in financial instruments and financial contracts (the Benchmark Regulation). (1) Benchmarks are used for assessing the performance of an investment fund. But most importantly, benchmarks determine the value of many financial instruments and the amount of payments under many financial contracts. For example, an interest-rate benchmark 1. http://ec.europa.eu/finance/securities/benchmarks/ index_en.htm#maincontentSec1. 84
such as LIBOR provides a basis for the calculation of the price of debt over the period of the contract and saves in this way from future transaction costs in terms of research and negotiation. Manipulation of widely used benchmarks may therefore have an impact on a wide variety of instruments and contracts, from interest rate swaps to residential mortgages. Recent cases of manipulation of interest rate benchmarks have brought to light the importance of benchmarks for the pricing of many financial instruments and contracts and their vulnerabilities. In 2012, Barclays was fined £290m by British and US regulators for manipulation of the London Interbank Offered Rate (LIBOR) and the Euro Interbank Offered Rate (EURIBOR) between 2005 and 2009. (2) Most recently, on 23rd April, 2015, Deutsche Bank paid a record fine of $2.5bn to authorities in the US and UK to settle allegations that it manipulated the Libor benchmark. (3) In all these cases, many of the world’s largest banks were found to have colluded to price-fixing in order 2. 3.
Financial Times, June 27, 2012. Financial Times, April 25, 2015.
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to boost the profits of traders and to overstate their financial strength to the market. Such collusion and manipulation were possible due to the serious flaws of the LIBOR setting: LIBOR was set by inputs made by a fairly small number of banks which had direct interests in the benchmark, had a trade association (the British Bankers Association) as a benchmark administrator which presents a clear conflict of interest and suffered from a lack of monitoring and governance. Moreover, there were hardly any legal provisions to prevent such manipulations from taking place, and manipulation of Libor was not an offence at the time it occurred. All these regulatory blind sights highlighted by the Libor scandal prompted a wholesale review of benchmarks by national and international regulators. The first consequence of this review was the adoption by HM Government in the UK of a transition plan for LIBOR, which involved a transfer in the ownership and administration of the benchmark from the British Bankers Association (BBA) to ICE Benchmark Administration Ltd (IBA) and the introduction of a new regulatory framework for the administration of LIBOR, which became a regulated activity overseen by the Financial Conduct Authority (FCA). (4) International initiatives were also introduced, including a review of the key IBOR benchmarks (in this case: LIBOR, EURIBOR and Tokyo Interbank Offered Rate – TIBOR) initiated by the Financial Stability Board (FSB) (5) and the publication of regulatory guidelines for benchmarks under the auspices of the International Organization of Securities Commissions (IOSCO). (6) At the European level, the EU Market Abuse Regulation (7) created sanctions for benchmark manipulation (in line with the IOSCO recommendations), but 4.
5. 6.
7.
Section 7 of the Financial Services Act 2012. Under sections 89‑91 of the Act, knowingly or deliberately making false or misleading statements in relation to benchmark-setting became a criminal offence. Furthermore, in August 2014, the “Fair and Effective Markets Review” (FEMR), which was established by the Chancellor to conduct a comprehensive assessment of the way wholesale financial markets operate, made recommendations to HM Treasury to bring a further seven major UK-based FICC benchmarks into the scope of the UK legislation originally put in place to regulate LIBOR. These recommendations were implemented by HM Treasury on 1 April 2015. Financial Stability Board (FSB), “Reforming major interest rate benchmarks” (July 2014); “Progress in reforming major interest rate benchmarks” (July 2015). International Organization of Securities Commissions (IOSCO), “Principles for financial benchmarks: Final report”, (July 2014); “Review of the implementation of IOSCO’s Principles for Financial Benchmarks (February 2015). Regulation (EU) No. 596/2014 of the European Parliament and of the Council of 16 April 2014 on market abuse (market abuse regulation) and repealing Directive 2003/6/EC of the European Parliament and of the Council and Commission Directives 2003/124/EC, 2003/125/EC and 2004/72/EC Text with EEA relevance.
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did not address the concerns in relation to governance of benchmark production. Benchmark setting issues were meant to be addressed in a specific legislative act. In this regard, the European Commission published on September 18th 2013 a proposal for a regulation on indexes used as benchmarks in financial instruments and financial contracts (8) that contemplates the withdrawal of financial benchmarks by both direct (9) and indirect means. Since the publication of the proposal, further negotiations have resulted in revised texts, the latest of which is the agreement reached by the three European institutions on November 25th 2015. The draft Benchmark Regulation will next be submitted to the European Parliament for a vote at first reading, and eventually to the Council of the EU for final adoption.
I. Objective and Scope of the draft Regulation The objective of the proposed Regulation is to restore the credibility of benchmarks, by improving their governance. Recent scandals showed that doubts about the integrity of benchmarks could undermine market stability, cause losses to investors and distort real economy.
“
The draft Regulation
proposes to introduce a regulatory framework that aims at ensuring that benchmarks produced and used in the EU
are robust and not subject to manipulation. 8.
9.
”
European Commission (2013) “Proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council on indices used as benchmarks in financial instruments and financial contracts” (COM (2013) 641 final), available at: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/en/ ALL/?uri=CELEX:52013PC0641. First, the proposal prohibits the use (which may include use for valuation purposes) of any existing benchmark in financial instruments where the benchmark in question has seen a decline in its user market of 95 per cent or more.
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Chroniques
I.A. Régulation européenne
Chroniques
I. Régulation financière
Consequently, benchmarks could no longer be left outside any regulatory scope. Thus, the draft Regulation proposes to introduce a regulatory framework that aims at ensuring that benchmarks produced and used in the EU are robust and not subject to manipulation. Harmonizing the regulatory framework would also reduce the likelihood for Member States to introduce divergent regulatory regimes that adversely affect the integration of EU financial markets. The scope of the draft Regulation is as broad as necessary to create such a preventive regulatory framework. Since the vulnerability and importance of a benchmark differs over time, restricting the scope to currently important or vulnerable indexes would not address the risks that any benchmark may pose in the future. Therefore, the proposed Regulation covers all benchmarks which are used to price (a) financial instruments or contracts listed or traded on regulated venues, (b) residential mortgages or certain other consumer credit agreements, in order to determine the amount payable or the instrument’s value; or (c) any alternative investment fund or UCITS as a measure of performance. (10) Nevertheless, there are some limited exemptions, including an exemption for benchmarks produced by central banks as they are already subject to standards and procedures, which ensure that they exercise their activities with integrity and in an independent manner. (11)
they are subject to regulatory oversight, as they may exercise excessive discretion, are potentially subject to conflicts of interests and may have inadequate governance and control systems in place. In order to address these issues, the draft Regulation requires that all benchmark administrators located in the EU be subject to authorization and supervision by their competent authorities. This does not mean that regulators should have a say in the content or methods of the Administrator or the contributors. They should not, for example, determine the methodology for creating the benchmark. The intellectual content of the benchmark should only be determined by the administrators themselves, without any interference from third parties.
“
A fully transparent
methodology should be discouraged, as it would allow participants to
II. Content of the draft Regulation
replicate the calculation
The draft Regulation does not choose to turn benchmarks into public goods. Such an approach would be counter-productive, as market participants would be concerned about whether political interests and policy changes would interfere with the integrity of the benchmarks. (12) Instead, it adopts a market-based approach: it allows private sector institutions to continue to produce benchmarks. But it places on these institutions (benchmark administrators), (13) as well as on the other persons involved in the benchmark process (benchmark contributors and users) various obligations and responsibilities.
the input data.
A. Benchmark administrators
of the benchmark given
Benchmark administrators may have exclusive rights over the production and distribution of benchmarks. In return of the rights of commercial exploitation, (14) 10. Draft Regulation, recitals 9‑11. 11. Draft Regulation, article 2. 12. Similar arguments are used against the creation of public credit rating agencies. 13. A benchmark administrator is a person responsible for the provision of the benchmark. 14. The free distribution of LIBOR has now be replaced by a licensing regime introduced by the ICE. See https:// 86
”
However, this is not to say that administrators are completely free to determine the benchmark. They are required to adopt a robust methodology that ensures the benchmark’s reliability and accuracy. (15) Further, the benchmark methodology should be transparent. (16) The transparency of the methodology should not however amount to the publication of the formula used for the determination of the benchmark. (17) A fully transparent methodology should be discouraged, as it would allow participants to replicate the calculation of the benchmark given the input data. (18) For example, the LIBOR formula was fully disclosed, which
15. 16. 17. 18.
www.theice.com/publicdocs/IBA_LICENSING_FAQ. pdf. Draft Regulation, article 7a. Draft Regulation, article 7b. Draft Regulation, recital 24. Rosa M. Abrantes-Metz and David S. Evans, “Enhancing Financial Benchmarks: Comments on the OICU- IOSCO Consultation Report on Financial Benchmarks” (2013), available at http://www.iosco.org/library/pubdocs/399/pdf/Prof.%20Rosa%20Abrantes%20-% 20 Metz%20NYU.pdf.
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made collusion and manipulation easy to accomplish. In general, the more susceptible the input data are to manipulation, the less transparent the methodology should be. (19) This does not mean that markets would have no knowledge of the way a benchmark is determined. For example, it may be revealed that the benchmark is dependent on the average of prices of transactions realized on the last minutes of trade, without disclosing the exact number of minutes taken into account. (20) Similar remarks apply to the transparency of the inputs. Complete input transparency may be counterproductive, as it may create incentives to the participants to collude and manipulate quotes. LIBOR, where inputs were disclosed in virtual real time, offers a good example in this regard. Nevertheless, the market will rely on a benchmark that is not fully transparent, only if the Administrator is independent and clear of conflicts of interest. To this end, the draft Regulation requires that Administrators should have appropriate arrangements to ensure a benchmark is not affected by any conflict of interests and that any discretion is exercised independently and honestly. (21) Furthermore, since the users need to know the benchmark measures and their vulnerabilities to make appropriate choices and understand the risks of benchmarks, benchmark administrators should publish a statement specifying these elements. (22) In addition, they should adopt a legally binding code of conduct specifying the Administrator’s and Contributor’s responsibilities and obligations. (23) Most importantly, administrators should monitor and screen submissions against cheating and report any manipulation of the benchmark to the relevant competent authority. (24) The oversight of contributors falls within administrators and not regulators direct competence. This is not surprising, as benchmark submission is a voluntary activity and direct regulatory supervision to benchmark submission would force contributors to stop submitting in order to avoid compliance cost. But in order for the oversight to be effective, administrators should not rely on box-ticking and formal compliance with the code of conduct. Finally, as different types of benchmarks and different benchmark sectors have different characteristics, vulnerabilities and risks, the provisions of the draft Regulation are further specified for particular benchmark sectors and types. Additional obligations are imposed in relation to the provision of interbank interest rate benchmarks (25) and commodity benchmarks (26) (the additional obligations in relation to commodity 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26.
Idem. Idem. Draft Regulation, article 5. Draft Regulation, article 15. Draft Regulation, article 9. Draft Regulation, article 5a. Draft Regulation, article 12b. Draft Regulation, article 14a.
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benchmarks are intended to implement the IOSCO Principles for Oil Price Reporting Agencies). However, there is a lighter touch regime for benchmarks based on “regulated data” (i.e., benchmarks determined from input data that is provided by regulated venues, energy exchanges and emission allowance auctions). (27) These regulatory divergences according to the types of benchmarks also apply in relation to the obligations imposed on the benchmark contributors.
B. Benchmark contributors Benchmark contributors may also exercise discretion, are potentially subject to conflicts of interests, and may therefore be the source of manipulation. To address this issue, the draft Regulation requires the use of sufficient and reliable data. In particular, it calls for the use of actual transaction input data where possible. These data represent prices at which agents actually traded. They are less vulnerable to manipulation, since every transaction involves a buyer and seller with opposite interests, who normally would not both want an artificially fixed price for their transaction. (28) This does not however mean that they are completely immune from manipulation; instances do occur of actual price manipulation. For example, in the foreign exchange rigging scandal, although the WM Reuters 4pm fix is based on actual transaction data, indications were found that traders used online chat rooms to share information about client orders in a bid to match up orders and align trading strategies at and around the fix. (29) Accordingly, even where benchmarks are exclusively based on actual trading data, abusive practices can still take place. The draft Regulation does not however require an exclusive use of transaction data. Other data may be used if the transaction data is insufficient. For example, in certain markets, such as the interbank lending markets, transaction data remain scarce. And in financially stressed periods, transactions may not occur. To maintain some continuity, the benchmark may have to switch to other inputs. In this regard, the draft Regulation allows the use of committed and uncommitted quotes, (30) if it is necessary to preserve the accuracy and integrity of the benchmark. Under a committed quote system the participants agree to transact at the committed quote 27. Draft Regulation, article 12a. 28. Rosa M. Abrantes-Metz and David S. Evans, “Enhancing Financial Benchmarks: Comments on the OICU- IOSCO Consultation Report on Financial Benchmarks” (2013), available at http://www.iosco.org/library/pubdocs/399/pdf/Prof.%20Rosa%20Abrantes%20-% 20 Metz%20NYU.pdf; Darel Duffie and Jeremy C. Stein, “Reforming LIBOR and other Financial-Market Benchmarks” (2014), available at http://www.darrellduffie. com/uploads/working/DuffieSteinLIBOR2014.pdf. 29. Financial Times, 21 March 2014. 30. Draft Regulation, article 7.
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every time they submit a quote. They are not obliged to enter into transactions, they only agree that if they transact they will do so at their quotes. But this system may be effective only if the contributors know that their quotes will be verifiable against actual transactions. Otherwise they may have a strong incentive to deceive. Under an uncommitted quoted system, contributors are not obliged to transact at their quotes. Needless to say, this system is the most likely to be manipulated, as the LIBOR experience has already shown. When the benchmark is not based on actual transactions but relies on quotes, it requires participation from enough market participants. Otherwise, the benchmark is less representative and susceptible to collusion among contributors and manipulation. And if all submitters cease to contribute, this may lead to the cessation of the benchmark. Consequently, if a benchmark based on actual transactions is not viable, and it is necessary to use committed or uncommitted quotes, it may be also necessary for the regulators to impose on submitters mandatory participation in the benchmarking process. The draft Regulation has provided for this possibility but only for critical benchmarks, that is to say benchmarks of systemic importance included in a list maintained by the Commission, (31) which may have adverse impacts on markets integrity, consumers, the real economy, or the financing of households and corporations. The cessation of contribution of data or the cessation of the administration of a critical benchmark could render financial contracts or financial instruments invalid, cause losses to consumers and investors and impact financial stability. Therefore, the draft Regulation includes a power for the relevant competent authority to require contribution of data by selected entities (32) or mandatory administration of critical benchmarks, (33) in order to preserve the existence of that benchmark.
C. Benchmark users Finally, in relation to benchmark users, an entity that is subject to supervision in the EU (broadly, credit institutions, investment firms, insurance undertakings, alternative investment fund managers, central counterparties and trade repositories) will only be permitted to use a benchmark, if the benchmark is provided by an administrator authorized under the Regulation or an administrator located in a jurisdiction outside the EU in respect of which an equivalence decision has been made by the Commission. Therefore, the use of indexes provided by non-EU exchanges, non-EU index providers (e.g., S&P 500, Dow Jones), non-EU central banks or monetary authorities (e.g., the federal funds rate published by the Federal Reserve), could all 31. Draft Regulation, article 13. 32. Draft Regulation, article 14. 33. Draft Regulation, article 13a. 88
be restricted unless the Commission has adopted an equivalence decision. In addition to the ban on use of unauthorized benchmarks, the draft Regulation proposes to impose new conduct of business obligations on EU supervised entities using benchmarks. These include an obligation to develop robust written plans setting out the actions they would take if a benchmark materially changes or ceases to be produced and an obligation when entering into a financial contract with consumers to assess whether referencing a particular benchmark is suitable for that consumer. (34)
III. Assessment of the draft Regulation The draft Regulation adopts a market-based approach that aligns private and public interests. The determination of benchmarks is left to private organizations and no public control is exercised on the methodology applied to produce a benchmark. Administrators can license the use or redistribution of the benchmarks on a commercial basis. Such a commercial activity gives them direct interests to canalize the revenues earned towards the production of robust data collecting and reliable benchmarks, as benchmark users could subscribe to alternative benchmarks if they are not satisfied with the quality offered. This also serves public interest needs. Markets function properly and stability is ensured when benchmarks are robust and reliable. But administrators are not left to market forces alone. They need to comply with various governance requirements and are subject to authorization and supervision by competent authorities. However, this market based-approach may reveal some weaknesses. (35) The licensing makes it more costly for the users to access to financial benchmarks. Further, subscribers may gain access earlier and have some competitive advantages over mainly retail users. In addition, administrators have incentives to produce reliable benchmarks in order to attract users and develop their business, only if there is choice in the markets for benchmarks. The problem is that the market for price-related benchmarks is not competitive at the moment. As barriers to entry will be created with the enforcement of the new Regulation it is likely that competition will not be encouraged and the existing benchmarks will not be challenged. In other words, there is a risk that the administrators become firmly established and unlikely to change and that there is over-reliance on benchmarks they produce, with negative effects for market competition and market innovation. And users 34. Draft Regulation, article 17.2. 35. For a detailed analysis of all these weaknesses, see, Iris H.-Y. Chiu, “Regulating Benchmarks by ‘Proprietisation’: A Critical Discussion” (2015), available at http:// papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2686585.
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are likely to perceive administrators compliance with regulatory requirements as a guarantee for quality and stick to the benchmarks they produce. But one could say that market stability offered by regulation is preferable to market choice. However, the stability of the market could also be affected if market conditions evolve in a similar direction to those prevailing in relation to credit rating agencies: a small number of administrators could finally remain in the market, which would make them systemically important to market stability. For example ICE Benchmark administrator has already taken administration over LIBOR, ISDAFIX and the LBMA Gold Fix. This article does not however argue that the draft Regulation is not needed or that it is flawed. It only highlights some possible risks that should be taken into account by regulators. The European Commission, the ESMA and the national competent authorities should therefore be vigilant on the evolution of market conditions and try to ensure that barriers to entry do not exist for competitors to the existing financial benchmarks. The promotion of competitive objectives would offer users more choice and reduce the systemic importance of certain benchmarks and their administrators. This is the approach already adopted by the Commission with respect to credit rating agencies: it seeks to promote market competition, to reduce reliance on ratings and to develop alternatives to ratings. (36) This is 36. http://ec.europa.eu/dgs/finance/calls/index_en. htm#257f.
also the direction recently followed by the Financial Stability Board.(37) It proposes that central banks and supervisory authorities should encourage the industry to develop alternative benchmarks (risk-free rates). Hence, besides market stability, shouldn’t the European legislator include competition of benchmarks and administrators into its regulatory objectives?
“
Besides market
stability, shouldn’t the European legislator include competition of benchmarks and administrators into its
”
regulatory objectives?
37. FSB, Progress in Reforming Major Interest Rate Benchmarks (July 2015) available at http://www.fsb. org/2015/07/progress-in-reforming-m ajor-i nterest- rate-benchmarks/.
PRESSING THE “RESTART” BUTTON FOR SECURITISATION IN THE EU Tomas Veršinskas
Vytautas Magnus University, Faculty of Law
which, in general terms, aims to “restart” European securitisation market and introduces simple, transparent and standard securitisation (STS) instrument. (2) The Securitisation Regulation respectively amends Directives relating to the UCITS, (3) insurance and reinsurance business, (4) alternative investment fund manag-
I. Introduction On 30 September 2015 the European Commission presented a proposal for a securitisation Regulation, (1)
2. 3.
1. Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council laying down common rules on securitisation and creating a European framework for simple, transparent and standardised securitisation and amending Directives 2009/65/EC, 2009/138/EC, 2011/61/EU and Regulations (EC) No 1060/2009 and 2016/1
4.
(EU) No. 648/2012, COM/2015/0472 final -2015/0226 (COD) (hereinafter – Securitisation Regulation). The proposal was subsequently approved by the Permanent Representatives’ Committee (Coreper) on 2nd December 2015 and confirmed by the Council on 8 December 2015. Directive 2009/65/EC of the European Parliament and of the Council of 13 July 2009 on the coordination of laws, regulations and administrative provisions relating to undertakings for collective investment in transferable securities (UCITS). Directive 2009/138/EC of the European Parliament and of the Council of 25 November 2009 on the taking-up and pursuit of the business of Insurance and Reinsurance (Solvency II).
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ers (5) as well as the Regulations relating to credit rating agencies, (6) OTC derivatives, central counterparties and trade repositories. (7) The Commission also proposed related amendments of the Capital Requirements Regulation (CRR), (8) which add essential weight to STS and attempts to introduce more efficient capital retention requirements related to securitisations. The proposed Securitisation Regulation is basically intended to reassure investors, refraining from the investments in European ABS, rather than simplify the implementation of securitisation operations, thus reducing the respective costs and risks. The proposed measures should address issues impeding the relaunch of the EU securitisation markets, which were identified by the Bank of England (BoE) and the European Central Bank (ECB) as a “mix of temporary factors, such as the current interest rate environment and the stigma attached to securitisation, and more structural factors, such as regulatory treatment of securitisation and inadequate information about asset performance”. (9)
“
The proposed
Securitisation Regulation is basically intended to reassure investors, refraining from
the investments in European ABS. 5.
It is important to note that these proposals are based on wide EU and international research involving a range of institutions and numerous private and public stakeholders. For example, the BoE and the ECB involved many securitisation stakeholders into the process, initiating in May 2014 a public discussion on the matter. (10) On 11 December 2014, the Bank for International Settlements (BIS) (via its Basel Committee on Banking Supervision (BCBS)) and the International Organisation of Securities Commissions (IOSCO) published the Basel III Document entitled the “Revisions to the securitisation framework”. (11) In July 2015 BIS and IOSCO also published the “Criteria for identifying simple, transparent and comparable securitisations”. (12) On 7 July 2015 the European Banking Authority (EBA) published the Report on Qualifying Securitisation. (13) This article will briefly present the STS initiative as well as its supporting measures, highlighting some of the most problematic issues related to these instruments. Further regulatory developments will also be assessed, taking into account that “restarting” the market is only the first step before its further “development”.
II. STS instrument
”
Directive 2011/61/EU of the European Parliament and of the Council of 8 June 2011 on Alternative Investment Fund Managers and amending Directives 2003/41/EC and 2009/65/EC and Regulations (EC) No. 1060/2009 and (EU) No. 1095/2010. 6. Regulation (EC) No. 1060/2009 of the European Parliament and of the Council of 16 September 2009 on credit rating agencies. 7. Regulation (EU) No. 648/2012 of the European Parliament and of the Council of 4 July 2012 on OTC derivatives, central counterparties and trade repositories. 8. Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulation (EU) No. 575/2013 on prudential requirements for credit institutions and investment firms, Brussels, 30 September 2015, COM(2015) 473 final, 2015/0225 (COD). 9. Bank of England and the European Central Bank, The case for a better functioning securitisation market in the European Union, A Discussion Paper, 29 May 2014, par. 28, p. 6, https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/ ecb-boe_case_better_functioning_securitisation_marketen.pdf (visited: 05/12/2015). 90
Besides general provisions and ones regarding supervision and amendments to other legal acts, the Securitisation Regulation essentially consists of two parts – one applying to all securitisations (Chapter 2) and the other dealing exclusively with STS (Chapter 3). Chapter 2 of the Regulation groups regulatory norms that earlier were dispersed in different legal acts. Thus, the initiative will also contribute to the simplification of regulatory framework.
A. General presentation The strength and ambition of the STS title could induce to believe that finally the EU has created a standardised 10. The Bank of England and the European Central Bank published on 29 May 2014 a Discussion Paper The case for a better functioning securitisation market in the European Union (available on the website of the ECB: https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/ecb- boe_case_better_functioning_securitisation_marketen. pdf (visited: 05/12/2015)). The synthesis of responses was published in October 2014 (available on the website of the ECB: https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/ other/141013-abs-synthesis-responses.en.pdf (visited: 10/01/2016)). 11. Available on the website of the BIS: http://www.bis.org/ bcbs/publ/d303.pdf (visited: 05/12/2015). 12. Available on the website of the BIS: http://www.bis.org/ bcbs/publ/d332.pdf (visited: 09/11/2015). 13. EBA Report on Qualifying Securitisation / Response to the Commission’s call for advice of January 2014 on long- term financing, 7 July 2015 (available on the website of the EBA: https://www.eba.europa.eu/-/eba-issues- advice-on-securitisation (visited: 10/01/2016)).
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securitisation instrument, with a standardised form of the SPV, simplified modes of transfer of receivables, standardised reporting, etc. Unfortunately, this is not the case and for the time being the STS title seems to be more promising than it really is. However, the door for further regulatory evolution remains open. It should be noted from the very beginning, that the STS instrument is optional and not mandatory. The originators, sponsors and SSPEs (14) are to decide if any specific operation should be construed to match the STS criteria, in order to achieve its preferential status with regard to respective capital requirements. Thus, the Commission opted for a carrot instead of a stick. Nevertheless, the carrot may unintentionally become a stick for those who for one reason or another can not comply with the STS requirements (see below). The proposed STS instrument is not a completely new regulatory creation. It rather represents an evolution of the high-quality securitisation provided for by the LCR (15) and Solvency II (16) delegated acts. The requirements applicable to the STS essentially evolve from the crisis experience. They ensure, inter alia, the following safeguards evoked by the EBA: “retention of economic interest, enforceable legal and economic transfer of the underlying exposures, simple payment waterfall structures, limited re-financing risk and liquidation risk, disclosure of data on underlying exposures at a loan-by- loan level, as well as disclosure to investors of underlying transaction documentation and quarterly reporting.” (17) In order to be qualified as an STS, the transaction must meet the three basic criteria of simplicity, standardisation and transparency, which are established in Articles 8‑10 of the Regulation. Specific requirements apply to the ABCP (18) STS operations (Articles 11‑13), taking into account the specifics of their nature. Synthetic securitisations, which are based on the transfer of risks rather than assets, are currently excluded from the scope of the STS (19). Yet, further work is antic14. Securitisation Special Purpose Entity, as defined in the Securitisation Regulation. 15. Commission Delegated Regulation (EU) 2015/61 of 10 October 2014 to supplement Regulation (EU) No. 575/2013 of the European Parliament and the Council with regard to liquidity coverage requirement for Credit Institutions. 16. Directive 2009/138/EC of the European Parliament and of the Council of 25 November 2009 on the taking-up and pursuit of the business of Insurance and Reinsurance (Solvency II). 17. European Banking Authority, Opinion of the European Banking Authority on a European framework for qualifying securitisation, 7 July 2015, p. 5. 18. Asset-Backed Commercial Paper. 19. For reasons of exclusion of synthetic securitisations from the scope of the STS, see: Commission Staff Working Document Impact Assessment Accompanying the document Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council laying down common rules on securitisation and creating a European framework for simple and transparent securitisation and amending 2016/1
ipated to evaluate the possibilities of their inclusion within the scope of the STS. (20) If the transaction meets STS requirements, the originators, sponsors and SSPEs are jointly required to inform their competent authority as well as the European Securities and Markets Authority (ESMA), which publishes the relative information on its website. (21) Conversely, the above mentioned transaction participants have the obligation to submit the relevant information, should the operation no longer meet the STS requirements. They, or the competent authority, have the right to revoke the STS status of the transaction.
B. Simplicity criteria The extreme complexity of securitisation transactions was one of the contributing factors to the recent financial and economic crisis. Therefore, it is no surprise that the will to simplify these transactions now stands as one of the key principles of the EU and international regulation. In this regard several fundamental limitations to STS operations are established in Article 8 of the Regulation. In the STS, only “sale or assignment” of the underlying exposures to the SSPE are permitted, which automatically excludes the synthetic securitisation mentioned above. Article 8, inter alia, requires the absence of the “severe clawback provisions in the event of seller’s insolvency” and imposes requirements on the assignment perfection triggers, homogeneity of securitised asset types and enforceability of obligations of the debtors. It also requires the establishment of “clearly defined eligibility criteria” for the underlying exposures, which must be “originated in the ordinary course of the originator’s or the originator’s lenders business”, etc. Only exposures where at least one payment has been made by the debtors or the guarantors are eligible for the transfer (except for certain types of securitisations, such as securitisation of credit card receivables, etc.). Also, it is required that the “repayment of the holders of the securitisation positions” do not “depend, substantially, on the sale of assets securing the underlying exposures”. This article explicitly provides that the underlying exposures may not include transferable securities (22) and securitisations, which excludes from the STS scope Directives 2009/65/EC, 2009/138/EC, 2011/61/EU and Regulations (EC) No. 1060/2009 and (EU) No. 648/2012 and Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulation (EU) No. 575/2013 on prudential requirements for credit institutions and investment firms, Brussels, 30 September 2015 SWD(2015) 185 final, p. 38. 20. See, for example: Ibid., p. 38‑40. 21. See Article 14 of the Securitisation Regulation. 22. As they are defined in the Directive 2014/65/EU of the European Parliament and of the Council of 15 May 2014 on markets in financial instruments and amending Directive 2002/92/EC and Directive 2011/61/EU.
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such complex instruments as CDOs, CDOs squared or cubed. Also are excluded securitisations of defaulted (23) underlying exposers or exposures to a credit-impaired debtor or guarantor, matching certain criteria.
C. Standardisation criteria One of the key requirements, applicable to all securitisations, including the STS, is the obligation of the originators, sponsors or the original lenders to “retain on an ongoing basis a material net economic interest in the securitisation of not less than 5%”. (24) It is prohibited to split such economic interest or to transfer risk, related to it. (25) According to the Regulation, the derivative instruments may exceptionally be used for the purposes of hedging currency and interest rate risks and only if they satisfy the “common standards in international finance”. It is also prohibited to base any referenced interest payments “under the securitisation assets and liabilities” on complex formulae or derivatives. Instead, “generally used market interest rates” must be used. The Regulation also imposes requirements as to the avoidance of trapping of “substantial” amounts in the SSPE in case of the delivery of the enforcement or acceleration notice in securitisations without revolving period or in case of the termination of such period. In case of securitisations with revolving period the transaction documentation must include “appropriate” triggers (matching defined standards) and early amortisation events for the termination of such period. The transaction documentation must also include certain provisions regarding the obligations of the servicer and other ancillary service providers, ensure the continuity of servicing in case of servicer’s default or insolvency, provide for replacement of “derivative counterparties, liquidity providers and the account bank upon their default, insolvency”, etc. The Regulation also requires a clear documentation of “policies, procedures and risk management controls” as well as the implementation of the effective relevant systems. It enumerates other essential aspects, to be included in the transaction documentation. In fact, many of the mentioned standards are inherent to a classical securitisation operation. However, the proposed legislation now assigns them a legal status of a “standard” to be complied with. 23. According to the Article 178(1) of the Regulation (EU) No. 575/2013 of the European Parliament and of the Council of 26 June 2013 on prudential requirements for credit institutions and investment firms and amending Regulation (EU) No. 648/2012. 24. See Article 4 of the Securitisation Regulation. 25. According to paragraph 1 of Article 4 of the Securitisation Regulation, the “material net economic interest shall not be split amongst different types of retainers and not be subject to any credit risk mitigation or hedging”. 92
D. Transparency criteria One of the key roles of the transparency requirements is to give investors more access to information on the underlying exposures. For example, Article 10 of the Regulation imposes the originators, sponsors and SSPEs an obligation to provide to potential investors a defined data on “historical default and loss performance” for “substantially similar exposures to those being securitised”. Such data must cover periods of at least 5 years for retail exposures and 7 years for non-retail exposures. Moreover, the Regulation imposes an obligation to subject a “sample of the underlying exposures” to “external verification prior to issuance”. Such verification must be performed by “an appropriate and independent party”. Also, before the pricing and on an ongoing basis investors must be provided with “a liability cash flow model”. Article 5 of the Regulation fixes minimum standards, also applicable to STS, for the information to be provided for potential investors. It expressly states the joint responsibility of the originator, sponsor and SSPE in this respect. For example, besides prospectus and final offering document investors must be provided with the “closing transaction documents, excluding legal opinions”, asset sale, derivatives, servicing account bank agreements, etc. and “any other underlying documentation that is essential for the understanding of the transaction”. Also, the Regulation imposes requirements on the periodicity of the provision of information. For example, investors must be provided with the “information on the exposures underlying the securitisation on a quarterly basis”. ABCP transactions are subject to monthly provision of such information. The same respective periodicity applies to the STS investor reports. The Regulation also imposes disclosure of the defined information on insider dealing and market manipulation, as well as defined “significant” events. The originator, sponsor and SSPE are required to designate, which of them provides the said information, which would be available “at least 5 years after the maturity date of the securitisation” via a website and free of charge to the holders of a securitisation position as well as to the competent authorities.
E. ABCP securitisations As it was mentioned above, ABCP STS operations are subject to a special legal regime, defined in Articles 12 (Transaction level requirements) and 13 (Programme level requirements) of the Regulation. On the programme level (Article 13), besides other provisions, it is required that all “transactions within an ABCP programme” satisfy the STS requirements on the transaction level. Re-securitisations are excluded from the STS scope and the credit enhancement meas-
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ures could not “establish a second layer of tranching at the programme level”. Special requirements as to the status and obligations of the sponsor of the ABCP programme are established. Also, it is prohibited to include “clauses that have an effect” on the final maturity of the securities issued in the frame of the relevant ABCP programme (for example, call options, extension clauses, etc.). The Regulation requires to mitigate the interest rate and currency risks, allowing the use of derivatives exclusively for these purposes. Special requirements are imposed as to the contents of the documentation of the programme. On the transaction level (Article 12) the ABCP STS operation must firstly comply (with certain exceptions) with the requirements, applicable to the general STS transaction. The Regulation imposes homogeneity requirement for the securitised asset type and the maximum terms of “remaining weighted average life” (2 years) and “residual maturity” (3 years) of the underlying exposures. “Loans secured by residential or commercial mortgages or fully guaranteed residential loans” are excluded from the scope of the ABCP STS. The Regulation requires simplicity in referencing “interest payments under the securitisation transaction’s assets and liabilities” and prohibits references to complex formulae or derivatives. Measures must be taken to avoid “substantial” amounts to be trapped in the SSPEE “following the seller’s default or an acceleration event”. Provision for “automatic liquidation of the underlying exposures at market value” is prohibited. The underwriting standards applicable to the securitised exposures must be “no less stringent than those” applicable to seller’s exposures, which are not subject to securitisation. Other requirements regarding the quality of exposures, in particular residential loans, and the experience of the originator are imposed. The Regulation also imposes minimum standards to the revolving period termination triggers as well as to the contents of the documentation of the transaction. It requires well documented “[p]olicies, procedures and risk management controls”, as well as the implementation of the respective “effective systems”.
F. Supervision The main supervision issues are dealt with in Chapter 4 of the Regulation. The competent authorities, which will carry out the supervision of the securitisation operations on a regular basis, are identified via references to the relevant legal acts. The Member States must ensure that all these authorities have the respective “supervisory, investigatory and sanctioning powers”. The list of the competent authorities will be held on the ESMA’s website. The Regulation establishes a cooperation framework between the said authorities and the European Supervisory Authorities. The proposed legislation provides for minimum standards for the “administrative sanctions and remedial measures”, which have 2016/1
to be adopted by the Member States with respect to certain violations of the Regulation (unless the said infringements are subject to criminal sanctions).
III. Measures related to capital charges While the STS legal regime introduces certain new standards and clarity to the securitisation market, measures that support this instrument are merely a correction of previous regulatory policies. The STS would not suffice by itself to attract originators, gain investors’ confidence and relaunch the EU securitisation market. Therefore, the proposed amendments regarding the capital charges act as supporting measures for the STS and the securitisation in general. They provide for a more favourable and more balanced legal regime for the STS transactions in terms of the capital retention requirements, acting as a double bonus – both for the originators and the investors. The practice will show, if the STS requirements are correctly balanced with the supportive measures. Besides STS the proposed amendments also lower capital requirements for other securitisations.
“
Therefore, the proposed
amendments regarding the capital charges act
as supporting measures for the STS and the securitisation in general.
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The proposed legislative initiatives shift from the “one- size-fits-all approach”, (26) which proved to be inefficient, towards a more market sensible regulation, taking into account crisis and post-crisis experience. While the securitisation products having the same external rating could be subject to a different regulatory treatment regarding the capital charges (for example STS 26. See: Commission Staff Working Document Impact Assessment Accompanying the document Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council laying down common rules on securitisation, supra, p. 13.
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and non-STS transactions), market participants also indicated that “[i]deally capital requirements should be risk based and blind to the type of investor (…)”. (27) The Commission also emphasized the importance of this issue, (28) citing the Laas and Siegle study (29) on the matter. A shift from external rating based appreciation of securitisation products for the purposes of the capital charges is becoming a reality. According to the EBA study transactions corresponding the STS characteristics appeared to be more resistant to market shocks. (30) Consequently, the STS transactions will benefit from a preferential capital retention regime, comparing with other products having the same credit rating. However, it should be noted that such differential treatment is already applicable with regard to Liquidity Coverage Ratio, (31) thus current initiatives will complement such differentiation. (32) Application of capital requirements will be based on several internationally developed approaches, (33) which include the internal ratings based approach (SEC- IRBA) (favoured by the securitisation legislative initiative), the external ratings-based approach (SEC-ERBA) and the standardised approach (SE-SA). (34)
27. British Bankers’ Association, A response to the Bank of England and European Central Bank Discussion Paper A case for better functioning securitisation market in the European Union by the British Bankers’ Association, p. 1 and 3, https://www.bba.org.uk, (visited on 01/12/2015). 28. Commission Staff Working Document Impact Assessment Accompanying the document Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council laying down common rules on securitisation, supra, p. 17. 29. Daniela Laas, Caroline Siegle, Basel Accords versus Solvency II: Regulatory Adequacy and Consistency under the Postcrisis Capital Standards, Institute of Insurance Economics, University of St. Gallen, 2014. 30. See: Prudential treatment of securitisations, EBA Staff working document, 18 March 2015, cited in Commission Staff Working Document Impact Assessment Accompanying the document Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council laying down common rules on securitisation, supra, p. 13‑14. 31. See: Commission Delegated Regulation (EU) 2015/61 of 10 October 2014 to supplement Regulation (EU) No. 575/2013 of the European Parliament and the Council with regard to liquidity coverage requirement for Credit Institutions. 32. Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulation (EU) No. 575/2013 on prudential requirements for credit institutions and investment firms, supra, p. 2. 33. See: Revisions to the securitisation framework, Basel III Document, BCBS and IOSCO, 11 December 2014. 34. See: European Banking Authority, Opinion of the European Banking Authority on a European framework for qualifying securitisation, 7 July 2015, p. 7. 94
IV. Perspectives of the regulatory developments A. Lack of the market development initiative The key word of the Securitisation Regulation is “restarting”. It indicates not only the main goal of the Regulation, which is the relaunching of the securitisation market, but also identifies the subjects and countries, to whom it is essentially addressed – the ones who already have well developed securitisation frameworks. It should also be noted that the Regulation is primarily targeting to restore the confidence of the investors, while no framework is laid down to substantially facilitate the implementation of securitisation operations.
“
It should also be noted
that the Regulation is primarily targeting to restore the confidence
of the investors, while no framework is laid down to substantially facilitate the implementation of securitisation
”
operations.
The Regulation is one of the key instruments of the Capital Markets Union (CMU) – a level playing field for the whole EU. Therefore, besides the “restarting” objective, at least the first steps of the development and spread of the securitisation instrument to other Member States should have been promoted. As such effort needed much more time and it was aimed to avoid delays in adopting currently proposed initiatives, at least a clearer message had to be sent to the Member States, where securitisation is underdeveloped. Lacking this initiative the Regulation risks to have no impact in preventing the deeper fractions among different
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national securitisation frameworks. Furthermore, the unsolved sovereign cap issue lowers “the best credit rating achievable by securitisation deals in many EU jurisdictions”. (35) The sole promise to aid Member States in developing their own national securitisation frameworks will not suffice. Securitisation is a dynamic instrument and has to adapt to the changes in global markets. It would be impossible that different Member States would efficiently adopt and amend their national frameworks in a harmonised way. Lack of knowledge, incentive, unwillingness of the legislatures or certain local interested parties, etc. might be among the factors impeding the arrival of securitisation into the said Member States. Only the EU level regulation could be efficient on the matter. It was noted in the Commission staff working document that “a single and harmonised framework for EU securitisation could lay the foundations for developing securitisation markets where these are currently not developed, like for instance in Member States in Central and Eastern Europe”. (36) While on one hand the Commission states, that the harmonisation takes time and is a difficult matter, therefore leaving it for a later time, on the other hand, it invites Member States to develop their own securitisation frameworks. This may lead some countries into uncertainty with regard to the future developments of the EU securitisation framework, even if their economies present more and more potential for securitisation.
B. Alternative techniques There is a risk that the Regulation is too narrowly concentrating on the classical techniques of securitisation. This could have a side effect on securitisations, which are or might be useful to the economy and which however could not be qualified as STS for one reason or another. This would prevent them from competing with the STS transactions in attracting investors. As has noted the British Banker’s Association, this could reduce “liquidity in non-qualifying securitisations, thereby increasing the cost of innovative or esoteric issuances.” (37) For example, the financing of the Small and medium- sized enterprises (SME) via securitisation is one of the top issues on the agenda of the EU Capital 35. Commission Staff Working Document Impact Assessment Accompanying the document Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council laying down common rules on securitisation, supra, p. 6‑7. 36. Ibid., p. 7. 37. British Bankers’ Association, A response to the Bank of England and European Central Bank Discussion Paper A case for better functioning securitisation market in the European Union by the British Bankers’ Association, p. 5, https://www.bba.org.uk, (visited on 01/12/2015). 2016/1
Markets Union. However, essentially only financing via securitisation of the SME loans is considered, leaving aside the techniques, permitting the direct access of the SME’s to the capital markets. Such techniques were demonstrated in practice, for example, in equiNotes (Germany), (38) Fideicomiso Financiero Multipyme (Argentina), (39) PREPS 2007‑1 plc (trans- European operation) (40) transactions. One could doubt that such innovative techniques could easily qualify as STS.
C. Inclusion of public institutions Interestingly, market participants themselves proposed a higher involvement of public institutions in the implementation of the securitisation operations, suggesting that this would solve a number of important issues. For example, the British Bankers’ Association suggested that central banks (or a “supranational agency” acting on their behalf) could play a role of guarantor of swap counterparties or act themselves as counterparties, which would allow to avoid a “punitive” effect of the collateral requirements for swap facilities. (41) The Association also noted that a “further beneficial outcome of central bank involvement could be the standardisation of securitisation swap documentation, reducing operating costs.” (42) It also suggested the participation of central banks in securitisation frameworks via provision of GIC (43) accounts, so reducing counterparty risk of the originator bank and freeing bank’s “credit lines without the central bank taking on extra risk”. (44) The Association also proposed that central banks could “house the SPV bank account”, with all the effects that such innovation could entail. (45) The Bank of England and the European Central Bank also underlined the issue that the credit rating agencies require “that providers of ancillary facilities (e.g. swaps, bank accounts) meet a certain credit rating cri-
38. FORCE 2005‑1 Limited Partnership emission prospectus on the website of the Irish Stock Exchange: www.ise. ie/debt_documents/force2005‑1_1644.pdf (last visited: 09/11/2015). 39. Multipyme XII Fideicomiso Financiero supplemented prospectus on the website of TARALLO S.A.: www. tarallo.com.ar/pdf/Multipyme%20XII%20Prosp.pdf (last visited: 09/11/2015). 40. PREPS 2007‑1 plc emission prospectus on the website of the Irish Stock Exchange: www.ise.ie/debt_documents/ preps_6743.pdf (last visited: 09/11/2015). 41. British Bankers’ Association, A response to the Bank of England and European Central Bank Discussion Paper, supra, p. 2, 4‑5. 42. Ibid., p. 4‑5. 43. Guaranteed Investment Contract. 44. British Bankers’ Association, A response to the Bank of England and European Central Bank Discussion Paper, supra, p. 4. 45. Ibid, p. 8.
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I.A. Régulation européenne
Chroniques
I. Régulation financière
terion”. (46) It noted that the “universe of such providers is significantly smaller and much more concentrated than prior to the financial crisis.” (47)
ards, emanating from the international institutions. (50) Market participants expressed their support for the harmonisation of global standards on key issues of securitisation (51).
D. International harmonisation
Thus, the international harmonisation process could further influence the regulatory framework of the STS and of the securitisation in general. The evolution of the international securitisation markets and regulatory framework adds a dynamic aspect to the EU securitisation regulatory process.
It should be noted, that with its legislative proposals the EU takes a leading position on the international dimension with regard to the preferential treatment of STS transactions, while this is not the case in the BCBS and IOSCO “Revisions to the securitisation framework”. (48) It is anticipated that the BCBS will not incorporate the STS criteria in the new framework before mid-2016. This would “contribute to achieving the objectives of such workstream from an EU perspective”. (49) With regard to foreign securitisations, the Commission noted that the ones matching the STS requirements should not be discriminated against European STS products. However, it is still an issue if other jurisdictions, such as the US, will adopt the STS stand-
46. Bank of England and the European Central Bank, The case for a better functioning securitisation market in the European Union, A Discussion Paper, 29 May 2014, par. 14, p. 4, https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/ ecb-boe_case_better_functioning_securitisation_marketen.pdf (visited: 05/12/2015). 47. Ibid. 48. See: Revisions to the securitisation framework, Basel III Document, BCBS and IOSCO, 11 December 2014. 49. Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulation (EU) No. 575/2013 on prudential requirements for credit institutions and investment firms, Brussels, 30 September 2015, COM(2015) 473 final, 2015/0225 (COD), p. 3‑4.
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V. Conclusion The legislative initiative proposed by the Commission is a very welcomed step not only in restarting the securitisation market, but also in advancing the regulatory framework towards more clarity and market sensibility. The scale of the preparatory work and the level of involvement of securitisation stakeholders importantly contributes to the creation of openness in securitisation. The practice will demonstrate, if the proposed measures are sufficient to relaunch the market. However, the initiative already proves the existence of a strong regulatory will to create a balanced EU securitisation market. The work laying ahead towards unique harmonised securitisation framework suggests that this initiative is just a beginning of the process. 50. See: the Commission Staff Working Document Impact Assessment Accompanying the document Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council laying down common rules on securitisation, supra, p. 69. 51. See, for example: British Bankers’ Association, A response to the Bank of England and European Central Bank Discussion Paper, supra, p. 2, 4.
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I.B. Régulation comparée
I.B. Régulation comparée PRIVATE ENFORCEMENT OF EUROPEAN FINANCIAL MARKETS REGULATION AND LITHUANIAN EXPERIENCE Laurynas Didžiulis PhD, Assistant Professor at Vilnius University, Attorney at Law
I. General theoretical observations on the private enforcement Enforcement of a financial regulation can take two forms: public and private. Public enforcement is an enforcement carried out by the government agencies or public prosecutors initiated in order to apply the public law remedies, e.g. fines, disqualification, revoking license or even imprisonment. Private enforcement, in contrast, is an enforcement by the private persons taking civil actions, which employs civil remedies (so called ‘financial regulation through civil litigation’). Particular remedies depend on the applicable substantive law and usually comprises both – personal (actiones in personam) and proprietary remedies (actiones in rem). Most popular and important civil remedies used in response of financial wrongs are personal, primarily award of damages and avoidance of financial transactions. Nevertheless, since personal remedies usually are effective as long as defendant is solvent, proprietary remedies, such as actio declaratoria or even rei vindicatio, also should not be underestimated. Latter remedies occasionally could be the only ones, which offer effective protection even in the case of financially distressed defendant. In order to understand better the particular role of a private enforcement and to assess its importance to the financial regulation and whole investor protection system, the private enforcement is traditionally compared with the public enforcement. These comparisons remark several important differences, which are briefly presented here. (1) 1.
For a general discussion on this topic see: Phillip Wood, Regulation of International Finance. Sweet & Maxwell, 2007, p. 585‑603; Thomas M.J. Moellers, “Efficiency as a Standard in Capital Market Law – The Application
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First, public supervisors normally have huge administrative powers (sometimes even disproportionate) and much better resources, experience, expertise and information gathering means than private litigants. Public enforcement benefits from the economy of scale, which in private enforcement is achieved only by class actions. From the other side, as taxpayers finance public enforcement, budgetary constraints limit choice of supervisory actions of public agencies, which in effect are unable to police every corner of the entire financial market. Public agencies act under the administrative framework and take only expressly prescribed actions, thus most often respond only against intentional wrongs leaving negligent breaches aside. As a result, public enforcement is not as flexible, as the private one: if particular breach comes into the line of sight of the public supervisor – it can use its numerous resources and effectively enforce financial regulation, but if not – breach attracts no legal reaction. Of course, latter aspect has also positive side, because under the budgetary constraints public agencies are incentivized to avoid socially and economically harmful excessive litigation and over-enforcement. Efficiency of public enforcement may also be underpinned by the institutional anomalies, such as an inadequate behavior of public supervisors, which fallen under the influence of populistic or careerist motives may become hyperactive or underactive. For example, after the governmental elections public supervisors may slow down their activities in order to accumulate more funds necessary to launch wide scale supervisory campaign before the next elections. of Empirical and Economic Arguments for the Justification of Civil Law, Criminal Law and Administrative Law Sanctions”, European Business Law Review, Vol. 20, 2009, p. 243‑271; Emilios Avgouleas, The Mechanics and Regulation of Market Abuse: A Legal and Economic Analysis, Oxford University Press, 2005, p. 452‑471; Peter G. Lewisch, Jeffrey S. Parker, “Procedure in American and European Law: A General Economic Analysis”, in Economic Analysis of Law: A European Perspective, Edward Elgar Pub, 2013; Danny Busch, Deborah Demott, et al., Liability of Asset Managers. Oxford University Press, 2012, p. 9; Steven Shavell, Foundations of Economic Analysis of Law, Harvard University Press, 2004, p. 571‑592; Lars Klohn, Private Versus Public Enforcement of Laws -A Law & Economics Perspective. Conference “Compensation of Private Losses – The Evolution of Torts in the European Business Law”, Münster, Germany, 2010.
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I. Régulation financière
Second, private investor usually is the first person, besides perpetrator itself, who becomes aware of the particular breach of financial law and accordingly first person, who is able to respond against that breach. In some cases, public supervisors may even be unaware of the breaches of a financial markets law. From the other side, public supervisors are able to respond against the particular breaches even where no particular victims of wrongful behavior are known and failure to act may lead to weakening of investor protection system, as often occurs in a case of market abuse or money laundering. Third, the initiative of private investors to take legal action depends on the economic considerations – they primarily seek personal benefit from litigation. In contrast, public officials working in supervisory agencies do not have such strong motives if their personal interests were not prejudiced and their salary is fixed. From the other side, public supervisor has a duty to monitor financial markets on a constant basis, whereas private enforcement totally depends on the desire of individual investor to go to the court. Thus, enforcement in latter cases may be occasional. Fourth, the main instrument of a private enforcement – award of damages on the grounds of civil liability – is efficient as long as defendant is solvent. Since an award of damages is out concern to the insolvent defendant, public law sanctions, including imprisonment, may become more deterring for the perpetrator. From the other side, solving financial market problems with the means of criminal law should be suitable only in the extraordinary cases, where particular wrong is grave enough (the principle of ultima ratio), (2) because criminal punishment leads to loss of human capital and tremendous impact to the reputation of defendant. Another counter-argument is that private enforcement can also be employed even in the case of insolvent defendant, e.g. using proprietary remedies. All these considerations show that both – private and public enforcement systems have their own virtues and shortcomings. It is also evident, that these systems complement each other and enhance the overall enforcement level. For example, despite the strength of public enforcement system due to the resources available and deep specialization of public agency compared with the private individual, public enforcement system only creates general protections, but fails to defend the private investor who already has suffered loss. (3) The fact of loss in the particular case is by itself a direct evidence that the public enforcement has failed to protect investors against financial wrongs. Nevertheless, public law sanctions maximize overall level of deterrence, which is comparatively weaker in the case of 2. 3.
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Statutory reflection of this principle has been used in the Directive 2014/57/EU of 16 April 2014 on criminal sanctions for market abuse (MAD) Art. 3‑5. Exception is the Directive 97/9/EC of 3 March 1997 on investor-compensation schemes (ICSD), but its scope is very narrow.
private law sanctions. Therefore, broad spectrum of legal instruments, i.e. administrative, civil and criminal sanctions, safeguards investor rights ex ante, but only civil claims defend them ex post. It is clear that most efficient investor protection could only be achieved by balancing both types of financial regulation enforcement. That leads to another conclusion – in order to create a generally efficient enforcement system of financial regulation it is important to see an overall picture, i.e. all potentially applicable types of legal liability and other investor protection remedies, as well as their interplay and effect on the financial markets. It is very important, because when the enforcement system of financial regulation is too soft or fragmented, it provokes rational perpetrators to exploit its gaps and vulnerabilities. Of course, the opposite is also possible where a particular enforcement instrument, analyzing it in isolation, may look optimal, but all such instruments functioning together create too strict regulation, which deters not only financial wrongs, but also a financial entrepreneurship in general. Hence, in order to ensure investor protection in most rational way, particular State should create efficient and balanced enforcement of financial regulation and consequently monitor its performance. At least, it requires taking into account and developing not only basic public supervision infrastructure, but also making proper attention to the private enforcement, especially to the civil remedies, procedural burdens and other factors, which influence private enforcement patterns.
II. Civil remedies in the EU financial markets law During the first decade after the 1999, when ambitious EU Financial Services Action Plan (FSAP) was adopted, the EU financial regulation, among other achievements, introduced modern, systematic and detailed administrative regulation of investor protection. Therefore, in general, it did not address the civil law effects of this regime and did not specify civil remedies for the protection of the investors. This is not surprising having in mind famous insight by Professor Jürgen Schwarze, that EU law in general is a system of administrative law originally concentrating on economic matters and extending its reach into environmental, social, financial and constitutional affairs. (4) However, some minor exceptions existed even in that stage of EU financial regulation. First pioneer of the private enforcement was the Prospectus directive of 2003, which established duty for the Member States to make civil liability provisions applicable to those 4. Jürgen Schwartze, European administrative law, Sweet & Maxwell, 1992, p. 4.
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who are responsible for the prospectus disclosure. (5) However, the directive did not aspire to attempt to coordinate or harmonize liability regimes. The substantive and procedural aspects of civil liability were thus left to be decided by national law, with conflict of laws provisions addressing problems of court jurisdiction and applicable law. (6) The same could be said about the Transparency directive of 2004, which in very similar fashion prescribes, that Member States shall ensure that responsibility for the public information about the issuer lies to those who are responsible for the annual or ongoing disclosure of that information. (7) Another (and arguably most important) building block of EU financial markets regime – MiFID I of 2004, (8) also did not comprise any rules on civil liability. The ECJ in a decision in the Bankinter case has noted that, “although Article 51 of MiFID I provides for the imposition of administrative measures or sanctions against the parties responsible for non-compliance with the provisions adopted pursuant to that directive, it does not state either that the Member States must provide for contractual consequences in the event of contracts 5. Under the Art. 6 of the Directive 2003/71/EC of 4 November 2003 on the prospectus to be published when securities are offered to the public or admitted to trading (Prospectus directive), Member States shall ensure that responsibility for the information given in a prospectus attaches at least to the issuer or its administrative, management or supervisory bodies, the offeror, the person asking for the admission to trading on a regulated market or the guarantor, as the case may be. The persons responsible shall be clearly identified in the prospectus by their names and functions or, in the case of legal persons, their names and registered offices, as well as declarations by them that, to the best of their knowledge, the information contained in the prospectus is in accordance with the facts and that the prospectus makes no omission likely to affect its import. Member States also shall ensure that their laws, regulation and administrative provisions on civil liability apply to those persons responsible for the information given in a prospectus. However, Member States shall ensure that no civil liability shall attach to any person solely on the basis of the summary, including any translation thereof, unless it is misleading, inaccurate or inconsistent when read together with the other parts of the prospectus. 6. Pierre Schammo, EU Prospectus Law: New Perspectives on Regulatory Competition in Securities Markets, Cambridge University Press, 2011, p. 240‑241. 7. Under the art. 7 of the Directive 2004/109/EC on the harmonisation of transparency requirements in relation to information about issuers whose securities are admitted to trading on a regulated market (Transparency directive), Member States shall ensure that responsibility for the information to be drawn up and made public in accordance with Articles 4, 5, 6 and 16 lies at least with the issuer or its administrative, management or supervisory bodies and shall ensure that their laws, regulations and administrative provisions on liability apply to the issuers, the bodies referred to in this Article or the persons responsible within the issuers. 8. Directive 2004/39/EC of 21 April 2004 on markets in financial instruments (MiFID I). 2016/1
being concluded which do not comply with the obligations under national legal provisions transposing Article 19(4) and (5) of MiFID I, or what those consequences might be. In the absence of EU legislation on the point, it is for the internal legal order of each Member State to determine the contractual consequences of non-compliance with those obligations, subject to an observance of the principles of equivalence and effectiveness”. (9) Thus, the competence of lawmaking in the field of civil liability of the financial intermediary has been left to 28 national private law systems of the EU, including jurisdictions based on Anglo-Saxon, Romanian and Germanic traditions. This resulted in gross differences among jurisdictions and accordingly differences in investor protection in the EU, which hindered the development of the internal market. It is noteworthy that the European Commission in its MiFID review consultation (10) raised question about the possibility to establish rules of civil liability in the MiFID, but in the light of very different positions of the Member States and especially due to very straight objections from several Member States, the MiFID II (11) does not include this initiative. Nevertheless, one albeit limited statement directly relevant to private enforcement was included in the final text of MiFID II. Art. 69 of the MiFID II prescribes, that “Member States shall ensure that mechanisms are in place to ensure that compensation may be paid or other remedial action be taken in accordance with national law for any financial loss or damage suffered as a result of an infringement of MiFID or MiFIR.” Effects of this single sentence can be very wide encompassing, because if read correctly, it should be understood as laying down several rules, which are of crucial importance for the private enforcement of the MiFID II. First, it mentions such concepts as unlawfulness, financial loss, causation, compensatory or alternative (probably restitutionary) remedy and national law rules. Therefore, these concepts should be available to use during the private litigation and should be developed throughout the case law within EU Member States. Second, it seems to imply pan-European abolition of the relativity doctrine in the civil cases concerning direct application of financial regulation as the ground of civil liability, as well as abolition of all limitations on the recovery of pure economic loss. Cited MiFID II rule, which implies civil liability effects on the internal law of all the Member States, is not just sole coincidence, but apparently one of the signs of the 9.
Judgment of the European Court of Justice of 30 May 2013 in the case, Genil 48, SL and Comercial Hostelera de Grandes Vinos, SL v Bankinter SA and Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, SA, C-604/11. 10. Consultation on the review of the Markets in Financial Instruments Directive (MiFID). European Commission, 8 December 2010, p. 63. 11. Directive 2014/65/EU of 15 May 2014 on markets in financial instruments (MiFID II).
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recent shift in the attitude on the private enforcement of EU financial regulation. Currently most extensive rules on the private enforcement of financial regulation are found in quite specific and thus relatively safe for legal innovations area – activities of credit rating agencies (CRA). The amendment to the CRA Regulation in 2013 has introduced, for the first time, an EU level civil liability regime in the field of financial markets. Article 35a of the CRA Regulation (“Civil liability”) provides several rules. First and most important, legal grounds for tort liability of a CRA against an investor or issuer were established in the CRA Regulation. Second, burden of proof was distributed between potential plaintiff and CRA. Third, rules on the liability restrictions were set. However, this civil liability regime is not all-encompassing, because part 4 of the same article refers to the applicable national law for the interpretation of such rules as “damage”, “intention”, “gross negligence”, “reasonably relied”, “due care”, “impact”, “reasonable” and “proportionate” which are referred to but are not defined in CRA Regulation. It is questionable whether it was the best solution to leave such deep structural dependence of a CRA liability on very diverging national private laws. I think, it would be much better instead to make references to the EU private international law, especially the rich ECJ case law on the Brussels I Regulation, (12) which for last decades has been employed to discover conceptual commonalities between different civil liability systems. Similar legislation by the end of 2014 was introduced in the field of packaged retail and insurance-based investment products (PRIIPs), where PRIIPs Regulation has established the principle of civil liability of PRIIPs manufacturers. Art. 11 of the PRIIPs Regulation, similarly as CRA Regulation, provides grounds for liability, distributes burden of proof, mitigates exclusions of liability and makes reference to the applicable national law for the interpretation of such concepts as ‘loss’ or ‘damages’. As for procedural aspects, the EU is pursuing a collective redress agenda for consumers, but this agenda is directed to consumer disputes generally, and does not engage with particular procedural and risk bearing complexities associated with class actions and other form of collective redress in the financial markets sphere. Alternative disputes resolution mechanisms are, however, being promoted. (13) In general, one can notice apparent change of the EU legislator’s attitude towards the need of harmonized private enforcement of the EU financial markets law. However, as the EU system of private enforcement just recently started to emerge, it is hardly possible, that private enforcement of EU financial regulation 12. Regulation (EU) No. 1215/2012 of 12 December 2012 on jurisdiction and the recognition and enforcement of judgments in civil and commercial matters (Brussels I bis). 13. Niamh Moloney, EU Securities and Financial Markets Regulation, Oxford University Press, 3rd Ed., p. 969. 100
will become fully harmonized in near future. When EU legislator will proceed further with the task of harmonization, before doing so, it would be rational to learn from the different national experiences, which encompass both – failures and solutions in the field of private enforcement of EU financial regulation.
III. Lithuanian experience on the private enforcement of EU financial regulation A. General remarks After declaration of independence from the USSR in 1990, Lithuania has adopted Euro-Atlantic integration strategy and undergone very extensive legal and economic reforms. One of the most notable achievements, even before joining the EU in 2004, was the adoption of new Civil Code (CC) in 2000. (14) This code has brought Lithuania into the realm of the modern private law of Western legal tradition. Despite some shortcomings and limitations, today Lithuanian private law is modern, flexible and effective enough to support the application of sophisticated EU financial regulation instruments in cases where the investors proceed with claims to remedy civil wrongs. (15) 14. Civil Code of the Republic of Lithuania. Official Gazette, 2000, No. 74‑2262. 15. The system of civil liability in Lithuania, in general, follows Romanic (French) tradition, but in particular has adopted some modern liability rules of other legal systems, such as Dutch law. In particular, Lithuanian private law establishes broad conditions for civil liability (CC Art. 6.246‑249, 6.263), which are flexible for practical needs and which allow to award pure economic loss, loss of chance, to account profits from the wrongs without associating them with the extent of actual loss. In addition, CC does not prevent courts to lower the standard of proof to show the future damage or lost profits and from shifting the burden of proof of negative facts to the defendant. CC enables to protect third parties who suffered harm; it allows to reasonably balance the obligations of the financial intermediary and the investor so that the former would not become a “guarantee fund” for the latter (CC Art. 6.253). It leaves discretion to the courts in dealing with issues of legal causation (CC Art. 6.247), besides general ten-year limitation period, it provides a rational three years limitation period for compensatory claims (CC Art. 1.125) and allows to assess different interests by calculating damages, etc. Lithuanian civil law as well as other Romanic jurisdictions have no requirement for the relativity of civil liability. Therefore, Lithuanian private law does not establish alternative private law based regulation of financial services which would compete with the institutions existing in public law, or, in other words, do not duplicate the requirements for conduct of business rules lied down in public law. Nevertheless,
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However, from the practical point of view, evaluation of the efficiency of Lithuanian private enforcement system is not such clear anymore, because case law in Lithuania does not use all available possibilities offered by flexible and balanced private law. Another problem is that the relevant national public law legislation is not always satisfactory. Below are presented some of the relevant private enforcement challenges in Lithuania, as well as particular solutions for these issues or failures to mitigate them.
This case shows, that European private law, which was perfected for several millenniums, even today, where financial regulation is very detailed, sophisticated and advanced, is able to offer efficient solutions and support public supervision of financial markets, which is clearly domain of public law. Therefore, private law creates an umbrella effect for the financial regulation.
B. Private law – general source of remedies
Selection of the most suitable remedy is crucial step in every civil litigation. Where law permits a choice between several alternative remedies, that choice is purely matter of litigation strategy. In other cases, law mandatory prescribes which particular remedy could only be invoked and as a result prohibits use of the other remedies. Lithuanian civil courts have created several limitations on the investors’ disposition to select most appropriate remedy. They were mostly applied in the cases following one notable financial scandal, where large number of retail investors sued major Lithuanian bank for the pre-contractual misrepresentations, which induced them to subscribe equity-linked bonds issued by the same bank. High leverage for the subscriptions of bonds was provided by the bank and was secured with the mortgages on the investors’ real estate. Bond coupons with the use of derivative element were linked to the equity markets. Such sophisticated investment scheme created considerable risks for the retail investors, which after the global financial meltdown of 2008‑2010, were left without any profit, but with large debt against the bank in the form of loan interest.
Many supervisory issues nowadays are written in the particular financial regulation. Nevertheless, even the most advanced legal acts may encompass some gaps and then solutions may be found in general private law. Perfect evidence is one civil case, where former Lithuanian Securities Commission (16) in order to defend public interest has brought civil action against controlling shareholders of the company to enforce obligation to make mandatory bid under the national law, which implemented EU Takeover directive. (17) Financial regulation failed to give special power to enforce specific performance (in natura) of that obligation to the supervisor, thus supervisor only had the power to apply administrative fines, which could be contested in administrative courts. Therefore, the claim was brought in the civil court and after all possible appeals case finally went to the Supreme Court, which decided in favor of plaintiff. The Court clarified that “a failure to make a mandatory bid is a breach of Article 31 of Securities Law, and therefore unlawful act, which attracts legal consequences, such as administrative liability (Securities Law Art. 47), civil liability (CC Art. 6.263) or suspension of the shareholders voting rights (Securities Law Art. 31). The claim for specific performance of the obligation (CC Art. 6:38, 6:59) is also among the possible consequences of failure to make a mandatory bid. The court may refuse to apply this duty, either in cases expressly established by law, or in extraordinary cases where specific performance would be clearly unfair and the objectives of mandatory bid regulation would not be met.” (18) there are some questionable rules, for example under the contractual liability the defendant can provide a contributory fault defense based on a simple negligence, in case of tortious liability such reply would not be sufficient (CC Art. 6.259, 6.282). 16. After institutional reform of 2011‑2012, Lithuanian Securities Commission, which was financial markets supervisor, functions were transferred to the Bank of Lithuania and former institution was dissolved. 17. Directive 2004/25/EC of 21 April 2004 on takeover bids. 18. Judgment of the Supreme Court of Lithuania of 22 November 2011 in the civil case No. 3K-3‑455/2011. 2016/1
C. Concurrence of remedies
Initially most investors responded with the claims for the avoidance of the financial transactions – bonds subscription contracts, lending contracts and related mortgage agreements. The result in case of the avoidance of voidable contract under the CC Art. 1.90(3) is full restitution of parties to the initial position where investor avoids losses completely. From the other side, in cases where transactions are not declared null by court investors are forced to bear all losses. This inflexible all-or-nothing approach leads to unsatisfactory and sub-optimal results in cases where facts clearly show, that both parties of transaction are at some extent responsible for the loss. These issues were addressed by the Supreme Court, which rejected abovementioned all- o r- n othing approach on the reasoning, that despite civil wrongs made by the bank, avoidance of the transactions leads to the unfair results, because prohibits partial recovery depending on the fault of each party, and provides legal instability. The Court suggested that much more adequate response in this situation would be award of damages and dismissed claims. (19) Investors, who based their claims on the grounds of civil liability for 19. Judgments of the Supreme Court of Lithuania of 17 March 2014 in the civil case No. 3K-3‑68/2014;
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the award of damages, were more successful. (20) Later on, whole case law responding to that precedent established pattern to distribute losses from the investment in equity-linked bonds equally (50/50) for both parties, irrespective of the claim type. (21) These cases show judicial preference to satisfy civil liability claims instead of transaction avoidance claims for two acceptable reasons. (22) First, civil liability enables courts to reach much more individualized and fair result; second, in contrast with rescission of contract, civil liability does not impair the stability of the financial markets. Another limitation of the investors remedial choice relates to the principle of the non-concurrence of liabilities (non-cumul des responsabilites), well known in the Romanic civil liability tradition, which excludes application of a tort law for the matters of contractual obligations and vice versa. This principle is also set in the CC Art. 6.245 para. 4 and is followed by case law. (23) If court would apply this principle correctly in the abovementioned equity-linked bonds cases, where misrepresentations have occurred in pre-contractual stage, investor should base his (her) claim on the tort. The practical problem in the bonds litigation was, however, that the permissible defense against tort claims under the CC Art. 6.282 is not ordinary, but gross negligence. Therefore, in order to succeed investor must prove recklessness of the defendant, which is, of course, very difficult to achieve. To ease that burden the Supreme Court has chosen very strange and structurally inconsistent way. Instead of creating narrow exception in the application of the CC Art. 6.282, it without any sufficient explanations recharacterized tortious liability arising from precontractual wrongs as contractual liability and as a result extended contractual defense set in CC Art. 6.259 into extra-contractual realm. (24) Such tremendous shift is not only ungrounded in substantive law, but also has another side of a coin, as it creates deep practical problems, such as calculation of compensatory damages using positive (expectation) interest. This interest allows recovery of lost profit – abnormal response against pre-contractual misrep-
20. 21. 22.
23. 24. 102
20 May 2014 in the civil case No. 3K-3‑265/2014; 5 September 2014 in the civil case No. 3K-3‑391/2014. Judgment of the Supreme Court of Lithuania of 22 May 2015 in the civil case No. 3K-3‑164‑378/2015. Judgments of the Supreme Court of Lithuania of 19 November 2014 in the civil case No 3K-3‑517 and of 3 July 2015 in the civil case No. 3K-3‑208‑248/2015. For the evidence of this trend from the comparative perspective, see Marcel C. A. Van den Nieuwenhuijzen, et al., Financial Law in the Netherlands, Kluwer Law International, 2010, p. 439; Joel Seligman, Louis Loss, Troy Paredes, Securities regulation, 4 ed., Wolters Kluwer Law & Business/Aspen Publishers, 2006, p. 4116‑4119; Judgment of the Italian Supreme Court of 19 December 2007 in the case No. 26724 (Parmalat). Judgments of the Supreme Court of Lithuania of 7 December 2012 in the civil case No. 3K-3‑520/2012 and of 28 May 2015 in the civil case No. 3K-3‑327‑687/2015. Judgment of the Supreme Court of Lithuania of 30 January 2015 in the civil case No. 3K-3‑88‑684/2015.
resentations. Positive interest sometimes even gives weaker protection against the capital loss than the negative (reliance) interest, which is tort law concept and much more suitable for the pre-contractual wrongs. Therefore, our national lesson is that despite obvious desire to safeguard investors, judicial gameplay with fundamental private law concepts should be avoided, because it could lead to the undesirable consequences. Third delineation of the remedies, which is determined by the peculiarities of machinery of justice and not by investors’ remedial choice, is the competition between private law and public law remedies. In general, it is very important in today’s environment where public supervisors have power to impose considerable monetary sanctions and especially where defendant lacks assets to satisfy all pecuniary claims. Lithuanian law solved that concurrence between claims in favor of civil claims against public law claims. (25) In my opinion, it considerably enhances efficiency of the direct investor protection, because civil claims directly defend suffered person in contrast with public law sanctions, which simply punish defendant, therefore priority should be given to the direct protection of rights by civil claims.
D. Interpretation of EU legal concepts in national civil cases An interpretation of specific EU legal concepts, such as “a consumer”, “unfair terms”, and field specific concepts as “a retail investor”, “a financial instrument” or “a trading venue”, plays crucial role in the national civil cases, where application of civil remedies closely relates to the scope of special regulation. EU law establishes at least two layers of additional protection for the retail investors: the general consumer protection stemming from consumer law and special investor protection stemming from the financial markets law. Despite procedural principle iura novit curia, Lithuanian case law has demonstrated that proper interpretation of these concepts may become challenge to the national courts. First problem in Lithuanian case law arose regarding the characterization of the retail investors as the consumers. Supreme Court in several rulings has held that retail investor cannot be qualified as the consumer, because primary purpose of investment transactions is to profit and not to fulfill particular personal or family (household) need, furthermore these transactions carry out high level of risk. (26) This position is surprising, because as to the interpretation of the “consumer” concept there should be no difficulties at all, since MiFID as well as ECJ case law leaves no doubt, that the retail investor could be treated as the 25. Judgment of the Supreme Court of Lithuania of 21 February 2012 in the civil case No. 3K-3‑45/2012. 26. Judgments of the Supreme Court of Lithuania of 29 September 2014 in the civil case No. 3K-3‑446/2014 and of 15 May 2015 in the civil case No. 3K-7‑168‑687/2015.
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consumer. For example, word “consumer” is used 13 times in the text of MiFID II, which regulates provision of the investment services, and was used 6 times in its predecessor – MiFID I. In the recent case Kolassa v. Barclays Bank the ECJ held, that the retail investor, which invested in bearer bonds, is the consumer. (27) Of course, it does not mean, that all the retail investors should be characterized as consumers, but definitely means that all the natural persons, which acquire investment services for the purposes unrelated to their trade, business, craft or profession, should fall under that category. Another similar retraction from the MiFID concepts has occurred in the landmark Snoras case, which even went to the ECJ for the preliminary ruling. The question most relevant to our discussion was whether bank Snoras has issued certificate of deposit (CD), i.e. financial instrument, or concluded ordinary deposit contract. Facts were as follows. Bank of Lithuania, which supervises financial institutions, prohibited pre-insolvent bank Snoras to take deposits from consumers under the higher interest rate, than prescribed, i.e. around 2‑3 percent per annum. In order to attract consumers with the higher rates of interest, bank Snoras decided to get financing by issuing CD’s, instead of ordinary deposits, with approximately 9 percent rate of interest. According to its legal capacity, bank Snoras had legal right and the necessary infrastructure to issue financial instruments. Bank clearly stated that it issued exactly CD’s and not simple contracts of deposit (it even labeled them with fake ISIN code), and distributed them through its broker-dealer department. Bank of Lithuania did not interfere, apparently because it had not characterized issued product as an ordinary deposit. Nevertheless, The Supreme Court in its decision to ask for the preliminary ruling from the ECJ, expressed doubts about characterization of the bank Snoras certificates as the financial instruments due to the lack of their negotiability. The Supreme Court has noted, that there was no information about the secondary market of CD’s, these instruments were transferred to other persons only with involvement of the bank which opened accounts for new holders, and they were more of saving, than investment, nature, because guaranteed steady income of interest. (28) The ECJ responded to that question, by simply saying that whether the certificates are negotiable is a matter, which falls to the referring court to determine. (29) Because the intent of the issuer should be the most important criteria in determining whether financial 27. Judgment of the European Court of Justice of 28 January 2015 in the case Harald Kolassa v Barclays Bank plc., C-375/13. 28. Judgment of the Supreme Court of Lithuania of 16 December 2013 in the civil case No. 3K-7‑559/2013. 29. Judgment of the European Court of Justice ECJ Snoras case C-671/13, 25 June 2015. 2016/1
instrument was created, (30) in my opinion, expressed doubts about the legal nature of the CD’s are flawed and of secondary importance at best. (31) It was evident from all the facts described above, that bank intended to issue financial instruments, not simple deposit contracts, and had all legal powers to do that. Nonetheless important, that certificated of deposits under the MiFID art. 4 (1) 19 are money market instruments, i.e. class of financial instruments, and thus clearly falls under the protective scope of MiFID. Both examples show that even in relatively clear cases civil courts may interpret EU law in such way, which precludes investors from relying on special regulation designed to protect them.
E. Private enforcement enhancements Public enforcement is initiated on the legally prescribed grounds and carried out under institutional framework. In contrast, the private enforcement heavily depends on the initiative and will of private investors. Therefore, if a Member State wants to intensify the overall enforcement level by means of private enforcement, it should create additional incentives to the private persons to go litigate. I will label these incentives – enforcement enhancements, as they enhance private enforcement. Enhancements may be procedural, for example, favorable rules on the plaintiff’s litigation fees, possibility of class action, or substantive in nature, such as award of extra-compensatory damages. Since 30. Since a creation of financial instrument is a sui generis transaction, in order to determine whether particular financial or other asset is created, priority should be given to the property law, which governs creation of property rights and not to the contract law, which lies down only general rules for the interpretation of contracts. This explains why the most important criteria for the characterization of financial assets should be will of the issuer and not will of the both parties of original contract, as normally is in the general contract law cases. Thus, if issuers’ intent is to create financial asset and it has legal capacity and infrastructure to do, then the court for the purposes of characterization should rely only on analysis of issuers’ intent and not on the intent of both parties of issue transaction. Otherwise, role of the property law will be superficially denied. 31. If doubts expressed by the Supreme Court on the CD’s in Snoras case would be accepted as general criteria’s for recharacterization, then most debt securities, which have slow secondary market and mild market risk, should not be treated as financial instruments and thus falling outside the EU rules on the investor protection. Furthermore, it should enable recharacterization of asset even after issuance (!) depending on the trading volumes in the secondary market, in effect making financial markets legally uncertain and unstable. The participation of intermediary is also disputable argument, since immaterialized securities could only be traded with necessary involvement of a financial intermediary, who manages accounts.
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it is very difficult to design an efficient and balanced enforcement system, particular Member State should analyze these enhancements systemically and treat them very carefully, because the overall enforcement level in the financial markets may depend on these enhancements. Lithuanian statutory law offers several investor- friendly rules for the financial litigation. First, investors can claim an award of restitutionary damages, which are extra-compensatory in their legal nature (CC Art. 6.249(2). Second, since the beginning of 2015 it now became possible for investors to join the opt-in style class action (Lithuanian Code of Civil Procedure (CCP) (32) Art. 4415(2). Third, consumers are exempted from the stamp duty in relation to all their claims arising from consumer relations (CCP Art. 83(1)1). The last enhancement, as it follows from the discussion above, is most problematic. Initially investors were required to pay stamp duty, but later on courts started to characterize retail investors as consumers and thus applied exemption set in the CCP Art. 83(1)1. (33) Latter practice was overthrown by the above mentioned ruling of Supreme Court, which rejected qualification of retail investors as the consumers. Thus, despite statutory exemption, retail investors are forced to pay stamp duty. That abnormal pattern could have change under the influence of the case Kolassa v. Barclays Bank, where the ECJ recently held, that the retail investor is also the consumer. However, it is unlikely, that retail investors at last will benefit from the stamp duty exemption, because several months after the ECJ ruling in Kolassa v. Barclays Bank, (34) Lithuanian Ministry of Justice has registered amendments to the CCP Art. 83(1)1 for the adoption in Seimas (Lithuanian parliament). Under the legislative proposal, consumers will be exempted from stamp duty only in relation to the claims that seek to render void unfair terms of the consumer contracts. It is clear that if these amendments will pass through, civil liability claims of the retail investors – the main tool of the private enforcement – will be no longer statutory exempt from the stamp duty. This duty may become a heavy burden for investors, especially in cases, where disputed investment transactions are highly leveraged and thus numbers (attracting amount of the stamp duty) are big on paper, despite the fact, that no real movement of financial assets occurs, which inhibits consumer perception of the real debt size. (35) 32. Code of Civil Procedure of the Republic of Lithuania, Official Gazette, 2002, No. 36‑1340. 33. Judgment of the Lithuanian Court of Appeal of 19 September 2013 in the civil case No. 2‑2166/2013. 34. Judgment of the European Court of Justice of 28 January 2015 in the case Harald Kolassa v Barclays Bank plc., C-375/13. 35. As had happened in cases of investment in equity linked bonds with leverage provided by the same issuing bank, who was also the account manager and custodian of these bonds. See, e.g. judgment of the Supreme 104
Lithuanian Ministry of Justice has explained its legislative proposal as seeking to promote free of charge extra-judicial consumer dispute resolution, to use public funds more efficiently and to optimize workload of courts. Nevertheless, in light of previous arguments this proposal seems to be a step back instead of a step forward. Legislator should consolidate and strengthen investor protection system, instead of weakening it. In contrast with US (which, in my opinion, has most effective private enforcement system) practice, where in order to enhance friendly settlement and to give sufficient bargaining power, investor is equipped with powerful litigation tools, Lithuanian legislative policy tends to disarm retail investor with hope, that he (she) will not go to the court. If these amendments will pass through, the overall enforcement level will be influenced downwards and risk of under-enforcement will eventually increase. Rise of public enforcement costs will become inevitable in that scenario as well as rise of the public enforcement failures to service the overall EU financial regulation enforcement system.
F. Expertise problems Since courts have a monopoly to provide justice within the legal system (Lithuanian Constitution Art. 109), the general principle of procedural law states, that courts know the applicable law (iura novit curia). Despite that, new Marked abuse directive (MAD) Art. 11, with title ‘Training’, provides, that ‘without prejudice to judicial independence and differences in the organisation of the judiciary across the Union, Member States shall request those responsible for the training of judges, prosecutors, police, judicial and those competent authorities’ staff involved in criminal proceedings and investigations to provide appropriate training with respect to the objectives of this Directive. It could be seen from the various problems described above, that the same need to train on the topics of financial markets exists also with respect to civil judges, not just criminal ones. It should be noted, however, that this problem is not just Lithuanian one, but also known to other Member States. It is noteworthy, that even the English courts, which usually have good international image in solving commercial cases, in the early 1990s disappointed financial markets, in whole or in part, because it was thought that one or more judges lacked a fuller appreciation of the products or markets involved. (36) Therefore, training rule should Court of Lithuania of 17 March 2014 in the civil case No. 3K-3‑68/2014. 36. Such claims were levied by many market participants following the House of Lords decision in Hazell v Hammersmith & Fulham London Borough Council [1992] 2 AC 1. As a result, the Bank of England established the Legal Risk Review Committee to consider how best to tackle legal uncertainties in a way that would promote
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be included not only in the MAD, which is source of a criminal law, but also, at least, in the MiFID II and Prospectus directives.
IV. Conclusions Private and public enforcement systems – both have their own inherent virtues and shortcomings. Therefore, most efficient investor protection may be achieved only by exploiting strengths of both types of financial regulation enforcement. At least, it requires taking into account and developing not just basic public supervision infrastructure, but also making proper attention to the private enforcement, especially to the civil remedies, procedural burdens and other factors, which influence private enforcement patterns. In general, private enforcement may create very important support to the financial regulation and whole investor protection system, because it is more flexible, wide encompassing, better motivated and immune from populism in contrast with public enforcement. As private enforcement heavily depends of the initiative and will of private investors, a Member State, which seeks to intensify the overall enforcement level by means of private enforcement, should create additional incentives to the private persons to go litigate and vice versa. market confidence in English jurisprudence. This objective, together with the aim of fostering a better understanding by the English judiciary of matters relating to the wholesale financial markets, led first to the creation of the Financial Law Panel in 1993 and subsequently to the establishment of its successor, the Financial Markets Law Committee, in 2002. See Jeffrey Golden, The Future of Financial Regulation: The Role of the Courts. In. The future of financial regulation, Hart Publishing, 2010, p. 85.
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Initially the enforcement system of EU financial regulation has been developed in the framework of public enforcement, thus tools for the private enforcement leaving aside. This resulted in gross differences among jurisdictions and accordingly – differences in investor protection within the EU, which hindered the development of the internal market. However, the reaction to the global financial crisis forced to reconsider EU legislative policy towards enforcement efficiency and that, in turn, has led to the recent shift, albeit slight, in the attitude on the private enforcement of EU financial regulation, as evidenced by particular elements of civil actions in the EU financial markets law. Lithuanian experience has shown that principles of private law, which were perfected for several millenniums, even today, when financial regulation is very detailed, sophisticated and advanced, are able to offer efficient solutions and support public supervision of financial markets – a clear domain of public law. Thus, private law creates an umbrella effect for the financial regulation. However, Lithuanian experience has shown also particular weaknesses of the civil justice in the pursuit of private enforcement of EU financial regulation. Civil courts even in relatively clear cases may interpret EU law in such way, which precludes investors from relying on special regulation designed to protect them. Hence, the need to train on the topics of financial markets, exists also with respect to the civil judges, not just criminal ones. Therefore, training rule should be included not only in the MAD, which is the source of a criminal law, but also, at least, in the MiFID II and Prospectus directives. From the other side, financial markets need clear and predictable private law, thus despite the obvious desire to safeguard investors, judicial gameplay with fundamental concepts of a private law should be avoided, because it could lead to the undesirable systemic consequences. Last, but not least, the relevant national public law legislation is not always as satisfactory, as it should be.
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I.B. Régulation comparée
II. Régulation bancaire Chronique sous la direction de Anne-Claire Rouaud &
Agrégée des facultés de droit Professeur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne CEJESCO
Sébastien Adalid Maître de conférences en droit public Université Paris-Est Créteil
Avec la collaboration de
Mathieu Combet
&
Caroline Houin-Bressand
Mariel Gansou
&
Juliette Morel-Maroger
Maître de conférences en droit privé Université Jean Monnet de Saint-Étienne Centre de recherches critiques sur le droit – CERCRID (UMR 5137) Membre du Réseau universitaire européen « Droit de l’Espace de Liberté, Sécurité et Justice » (GDR CNRS ELSJ n° 3452) Juriste de droit bancaire et financier Chargé d’enseignement
Professeur à l’Université de Lorraine
Maître de conférences HDR à l’Université Paris Dauphine – PSL Research University – Centre de recherches Droit Dauphine
Au plan européen, le Conseil ECOFIN a arrêté sa position de négociation sur la réforme structurelle des banques européennes au mois de juin 2015 et d’importantes modifications ont été apportées au projet initial, mais le Parlement européen n’est pas encore parvenu à un accord. Par plusieurs décisions récentes, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le domaine des exclusions autorisées par la directive 94/19/CE relative au système de garantie des dépôts et a rappelé ses exigences en matière de protection des consommateurs contre les clauses abusives en application de la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, particulièrement en cas de saisie hypothécaire. Sont également étudiés dans cette chronique, au titre de la régulation comparée, le développement de l’éthique en matière bancaire et financière dans les pays d’Afrique sub-saharienne, ainsi que, au titre de la régulation internationale, les sanctions infligées par les autorités des États-Unis à des banques françaises pour non-respect de mesures d’embargo.
At European level, ECOFIN Council agreed its negociating stance on structural measures to improve the resilience of EU credit institutions in June 2015 and the text has changed substantially since the Commission’s original proposal but the Parliament has yet to reach a final agreement. In several important judgments, the Court of Justice of the European Union clarifies the rules concerning the negative scope of the deposit guarantee schemes Directive and also reaffirms the requirements of Directive n° 93/13/CEE of 5 avril 1993 regarding consumer protection, especially in the event of foreclosure procedures. This issue also adresses the ethical dimension of banking and finance in Sub-Saharan Africa as well as the penalties imposed by US authorities upon french credit institutions for non-compliance with embargo measures.
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II. Régulation bancaire
II.A. Régulation européenne TROP OU TROP PEU : LE DIFFICILE ACCORD SUR LA RÉFORME STRUCTURELLE DU SECTEUR BANCAIRE DE L’UNION EUROPÉENNE Anne-Claire Rouaud Professeur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne CEJESCO
Le règlement relatif à la réforme structurelle du secteur bancaire verra-t‑il le jour ? Tandis que les partisans d’une réforme de grande ampleur regrettent qu’en raison des seuils fixés, la réforme ne vise que les plus grandes banques, d’autres s’inquiètent que le texte fasse la part trop belle aux banques américaines et à la City et ne crée des distorsions de concurrence préjudiciables aux banques continentales – et notamment aux banques françaises (1). À la suite de discussions déjà très nourries, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement en janvier 2014 (2), à la suite du rapport Liikanen (3) et de la consultation 1. « La structure des banques empoisonne les députés européens », Rev. Banque, n° 791‑792, janvier 2016, pp. 34‑35 ; A. Michel, « La France s’oppose violemment au projet européen de réforme bancaire », Le Monde Economie, 6 février 2014 ; Communiqué FBF du 18 juin 2015 : « L’Europe va-t‑elle confier le financement de son économie aux seuls acteurs de la City ? » : http://www.fbf.fr/fr/espace-p resse/communiques/ reforme-structurelle-des-banques---l’europe-va-t‑elle- confier-le-financement-de-son-economie-aux-seuls- acteurs-de-la-city. 2. Proposition de règlement relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l’UE, 29 janvier 2014 : COM (2014) 43 final. A. Gourio et L. Thébault, « Séparation des activités : le projet européen », R.D.B.F., n° 2, avril 2014, comm. 69 ; P. Mattera, « La proposition de règlement du Parlement et du Conseil relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l’Union européenne », Rev. Dr. UE, n° 1, mars 2014, p. 122 ; A.-C. Rouaud, « Réforme structurelle du secteur bancaire. Interdiction, séparation : la Commission prend position », R.I.S.F., 2014/2, p. 71. 3. Rapport Liikkanen : High-level expert group on reforming the structure of the EU banking sector chaired by Erkki Liikanen, Final Report, 2 October 2012, spéc. pp. 100 et s. et § 5.5.1 : A. Gourio et L. Thébault, « Réforme de la structure des banques européennes : le Groupe Liikanen rend son rapport », R.D.B.F., n° 6, novembre 2012, comm. 195. 108
menée au cours de l’été 2013 (4). L’objectif est de renforcer la stabilité financière dans l’Union en renforçant la stabilité des plus grandes banques – celles qui sont d’une taille trop importante pour que l’on permette qu’elles fassent faillite (too big to fail), et dont le sauvetage serait trop coûteux et la résolution, trop complexe (too complexe to resolve) ; la méthode choisie, de séparer les activités particulièrement risquées de celles qui sont d’une importance critique pour l’économie réelle, autrement dit les activités d’investissement des activités bancaires classiques (5), afin notamment que les premières ne bénéficient plus de la garantie implicite de l’État (6). Au-delà des discussions relatives à la nécessité même d’une telle réforme, après le train de mesures récemment adoptées au niveau européen (7), ses modalités sont controversées. Les ministres des Finances des États membres sont parvenus à un accord dans le cadre du Conseil pour les affaires économiques et financières (Conseil ECOFIN) le 19 juin 2015 (8), mais les tensions sont fortes au Parlement européen et l’accord informel annoncé le 29 octobre 2015, après un premier vote négatif en Comité des affaires économiques et monétaires en mai 2015, ne semble pas avoir abouti à ce jour. L’avenir du modèle de banque universelle, la capacité de financement des banques européennes et leur compétitivité face aux banques de pays tiers mais aussi entre elles, attisent ainsi les débats sur le 4. Commission européenne, Reforming the structure of the EU banking system – Consultation paper. A.-C. Rouaud, « État des travaux sur la réforme structurelle du secteur bancaire de l’Union européenne », R.I.S.F., 2014/1, p. 115. 5. Th. Bonneau, Régulation bancaire et financière européenne et internationale, Bruxelles, Bruylant, 2e éd., 2014, nos 126 et s., pp. 116 et s. 6. Voy. Consultation paper, préc., p. 2. 7. Lettre commune de la Fédération bancaire française (FBF) et de la British Banker’s Association (BBA) au premier vice-président de la Commission européenne, 13 novembre 2014 : http://www.fbf.fr/fr/ la-f ederation-b ancaire-f rancaise/actions/actualites/ reforme-structurelle-europeenne---lettre-commune- de-la-federation-bancaire-francaise-et-de-la-british- bankers-association-(bba). 8. Communiqué de presse du 19 juin 2015, « Restructuring risky banks: Council agrees its negotiating Stance » et déclaration de la Commission du même jour, « Speaking notes of Commissioner Jonathan Hill on Bank Structural Reform at ECOFIN meeting ».
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champ d’application de la réforme structurelle ainsi que sur ses modalités (9). S’agissant du champ d’application, on sait que le projet de texte vise les plus grandes banques européennes, c’est-à-dire celles qui sont recensées parmi les établissements d’importance systémique mondiale en application de la directive CRD IV, mais aussi celles dont, pendant trois années consécutives, la valeur totale des actifs est supérieure à 30 milliards d’euros et dont les activités de négociation atteignent au moins 70 milliards d’euros ou 10 pour cent du total des actifs (10). Les partisans d’une réforme plus radicale estiment que ces seuils sont trop élevés et conduisent à soustraire de trop nombreuses banques au dispositif. Dans le même temps, l’exclusion ajoutée pour les établissements ou les groupes dont le total des dépôts éligibles au sens de la directive 2014/49/UE relative aux systèmes de garantie des dépôts (11) est inférieur à 3 % du total des actifs ou est inférieur à 35 milliards d’euros (ou, dans les États membres dont la monnaie n’est pas l’euro, la valeur correspondante dans la monnaie nationale) (12) est critiquée en ce qu’elle exonère les grandes banques d’affaires – notamment américaines. S’agissant du modèle, des choix différents ont été faits dans les États membres et dans des États tiers qui ont déjà procédé à une réforme structurelle (13), certains prenant le parti d’interdire aux banques qui collectent des dépôts d’exercer des activités de négociation pour compte propre, comme le fait la Volcker Rule aux États-Unis (14), d’autres imposant la filialisation de l’activité de banque de détail, comme la réforme adoptée au Royaume-Uni selon les préconisations du rapport Vickers (15), tandis que d’autres exigent au contraire la filialisation des activités de négociation
9. 10. 11.
12. 13.
14.
15.
A. Gourio, « Banques : nouvelle réglementation – nouveau modèle », R.D.B.F., n° 5, 2013, dossier 47. Proposition de règlement, art. 3 ; texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 3, § 2. Directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts (refonte), J.O.U.E., L 173 du 12 juin 2014, p. 149. Texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 4, § 1er, d) et e). Voy. F. Lacroix, « La séparation des activités bancaires en France et dans le cadre communautaire », R.D.B.F., n° 4, 2013, p. 97 ; dossier « Séparation des activités bancaires, l’Europe influencée par la loi française ? », Revue Banque, n° 761, juin 2013 ; B. de Saint Florent, A. Wecks et E. Farah, « Volcker, Vickers, Liikanen, Loi française… Séparation bancaire : désillusion ou illusion ? », Revue Banque, n° 760, mai 2013, p. 56. Intégrée dans le Dodd-Franck Act, entrée en vigueur le 21 juillet 2012, la règle finale de mise en œuvre ayant été publiée le 10 décembre 2013. A.-C. Muller, « Présentation des principales dispositions du Dodd Franck Act », R.D.B.F., 2013, comm. 119 ; Z. Sekfali, « Impacts et enjeux de la règle américaine Volcker sur les organisations bancaires étrangères », Mélanges AEDBF-France VI, RB éd., 2013, pp. 641 et s. En date du 18 décembre 2013.
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pour compte propre, sur le modèle français (16) et allemand (17). Face à ces différentes options, la proposition de la Commission avait retenu une approche mixte, combinant une mesure d’interdiction pure et simple, celle faite aux plus grandes banques de pratiquer la négociation pour compte propre sur instruments financiers et sur matières premières (18), et une mesure de séparation éventuelle, sur décision des autorités de surveillance nationales d’imposer à certains établissements de séparer leurs activités de banque de dépôt de certaines activités de négociation potentiellement risquées dont l’exercice pourrait menacer leur stabilité financière (19). Or d’importantes modifications ont été apportées au texte initial, puisque les États membres auraient désormais le choix entre, d’une part, imposer, « conformément à leur droit national », la séparation des activités bancaires de base (20) (dépôts, services de paiement et découverts associés à des comptes de dépôt) et, d’autre part, charger une autorité compétente d’identifier et de séparer, au cas par cas, les opérations pour compte propre et les autres activités de négociation présentant des risques excessifs (21). La première option impliquerait que la législation de l’État membre empêche a minima les établissements de crédit exerçant des activités bancaires de base de se livrer à des opérations pour compte propre ainsi qu’à des activités de négociation d’investissements en tant que partie principale, à l’exception des activités d’atténuation des risques aux fins de la gestion prudente de leurs capitaux, de leur liquidité et de leurs financements et de la prestation de services limités à leurs clients. Pour les établissements faisant partie d’un groupe, il faudrait que l’établissement exerçant des activités bancaires de base soit suffisamment dissocié, au plan juridique, économique et opérationnel, de toute entité du groupe effectuant des opérations pour compte propre ou exerçant l’activité réglementée de négociation d’investissements en tant que partie principale (22). Cela semble correspondre au dispositif
16. Loi n° 2013‑672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, titre 1er, J.O., n° 173 du 27 juillet 2013, texte n° 1, p. 12530: Th. Bonneau, « Séparation et régulation des activités bancaires. Commentaire des titres 1, 4, 5 et 8 de la loi du 26 juillet 2013 », JCP E, n° 36, 2013, 1483; B. Bréhier et F. Mékoui, « Réflexions sur la loi de séparation et de régulation des activités bancaires : quelles conséquences pour la structure des banques, l’organisation des marchés et la supervision ? », BJB, n° 9, sept. 2013, § 110n0, p. 422. 17. « Gesetz zur Abschirmung von Risiken und zur Planung der Sanierung und Abwicklung von Kreditinstituten und Finanzgruppen » du 7 août 2013, Bundesgesetzblatt Jahrgang 2013, Teil I, Nr 47. 18. Proposition de règlement, art. 6. 19. Proposition de règlement, art. 10, §§ 1er et 2. 20. Texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 5bis, § 2, a). 21. Texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 5bis, § 2, b). 22. Texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 5bis, § 3, a) et b).
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Chroniques
II.A. Régulation européenne
Chroniques
II. Régulation bancaire
retenu par le Royaume-Uni, reposant sur la filialisation de l’activité de banque de détail (23). La seconde option repose à la fois sur une obligation de séparation des opérations pour compte propre (24), interdites aux établissements de crédit à titre principal (25) sauf à être cantonnées dans une entité de négociation distincte au sein du groupe (26), et sur une possible séparation des autres activités de négociation (telle la tenue de marché), sur décision de l’autorité de surveillance, lorsque des indicateurs quantitatifs et qualitatifs révèlent que ces activités constituent un risque excessif. Afin que certaines activités et 23. Voy. déjà proposition de règlement, cons. 10 et art. 21, qui prévoyaient la possibilité d’accorder une dérogation à l’obligation de séparation de certaines activités de négociation lorsqu’un État membre a adopté, avant le 29 janvier 2014, des dispositions interdisant aux banques de dépôt de négocier des investissements en tant que partie principale et de détenir des actifs à des fins de négociation et imposant la séparation de l’entité exerçant l’activité de banque de détail au sein d’un groupe, des autres entités du groupe. Voy. A. Gourio et L. Thébault, « Séparation des activités : le projet européen », op. cit. 24. Définies comme « l’utilisation de fonds propres ou de fonds empruntés pour réaliser tout type d’opération d’achat, de vente, ou d’autres formes d’acquisition ou de cession d’instruments financiers ou de matières premières, dans le seul but de réaliser un profit pour son propre compte, et sans aucun lien avec les activités, actuelles ou anticipées, menées pour le compte de clients, ou dans un but de couverture des risques de l’entité découlant des activités, actuelles ou anticipées, menées pour le compte de clients » : Texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 5, § 4. 25. Défini comme « un établissement de crédit qui reçoit des dépôts de détail éligibles au titre du système de garantie des dépôts conformément aux dispositions de la directive 2014/49/UE », texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 5, § 16. 26. Texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 6, § 1er.
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notamment la tenue de marché ne soient pas considérées comme des opérations pour compte propre ou comme des activités de négociation présentant un risque excessif, il incomberait aux établissements de démontrer notamment que les opérations effectuées pour un client ont effectivement été demandées par ce client et que ces services et produits sont justifiés par la nécessité d’apporter de la liquidité aux marchés, que les unités de négociation ont leur propre personnel et des hiérarchies distinctes, que pour chaque unité de négociation, des limites formelles ont été établies pour les types de transaction, les montants, le capital alloué et les risques, et qu’un programme de conformité a été mis en place (27). Plus particulièrement, les établissements dits de catégorie 2 (c’est-à-dire ceux dont les activités de négociation sur les trois dernières années dépassent 100 milliards d’euros (28), ce qui inclut les établissements d’importance systémique mondiale (EIS, ou G-SIIs) (29)) devraient démontrer que leurs activités ne présentent pas de risque excessif pour la stabilité financière afin d’éviter que l’autorité compétente ne leur impose la séparation de ces activités de négociation, un relèvement des exigences de fonds propres ou d’autres mesures prudentielles (30). À ces questions délicates s’ajoutent d’autres points sensibles, concernant notamment les filiales des banques de pays tiers, l’exclusion des instruments de dette souveraine ou encore l’équilibre des pouvoirs entre les autorités compétentes du pays d’accueil et du pays d’origine. À suivre… 27. Texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 6bis. 28. Texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 4bis. 29. Global systemically important institutions. La version française du texte comporte une erreur matérielle, puisqu’elle indique que les EIS seraient exclues de la catégorie 2 ; la version anglaise précise au contraire qu’elles sont incluses dans cette catégorie. 30. Texte adopté en Conseil ECOFIN, art. 10.
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GARANTIE DES DéPÔTS : PRÉCISIONS SUR LE DOMAINE DES EXCLUSIONS AUTORISÉES PAR LA DIRECTIVE 94/19/CE Caroline Houin-Bressand
Professeur à l’Université de Lorraine
Par deux décisions rendues à quelques mois d’intervalle, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser le domaine de l’exclusion de la garantie des dépôts permise par la directive du 30 mai 1994 (1), avant la refonte opérée par la directive du 16 avril 2014 (2). Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 94/19, les États membres peuvent prévoir que « certains déposants » ou « certains dépôts », dont la liste figure à l’annexe I, sont exclus de la garantie ou sont plus faiblement garantis. La décision du 2 septembre 2015 (3) a trait au champ personnel de l’exclusion, celle du 25 juin 2015 (4) à son champ matériel.
I. Champ d’application rationae personae La première affaire portée devant la Cour visait le vice- président chargé des questions de droit international et financier d’une banque lettonienne à qui les juridictions nationales avaient refusé le bénéfice de la garantie des dépôts, au motif que cette garantie ne pouvait profiter à un employé de l’établissement responsable de la planification, de la direction ou du contrôle de l’activité de ce dernier. Le vice-président contestait cette décision en arguant du caractère honorifique de son poste et de son absence de pouvoir décisionnel. Les questions préjudicielles posées à la Cour de justice portaient sur l’interprétation du point 7 de l’annexe I de la directive 94/19 qui permettait d’exclure de la garantie, les dépôts des « administrateurs, des dirigeants, des associés personnellement responsables, des détenteurs d’au moins 5 % du capital de l’établissement de crédit, des 1.
Directive 94/19/CE du Parlement européen et Conseil du 30 mai 1994 relative aux systèmes de garantie des dépôts, J.O.C.E., n° L 135, 31 mai 1994, p. 5. 2. Directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 16 avril 2014 relative à la garantie des dépôts, J.O.U.E., n° L 173, 12 juin 2014, p. 149. 3. C.J.U.E. (2e ch.), 2 septembre 2015, aff. C-127/14 ; Rev. Europe, 2015, comm. 430, obs. V. Michel. 4. C.J.U.E. (2e ch.), 25 juin 2015, aff. C-671/13 ; Rev. Europe, 2015, comm. 317, obs. A. Bouveresse ; R.D.B.F., 2015, comm. 218, obs. Th. Bonneau. 2016/1
personnes chargées du contrôle légal des documents comptables qui vérifient les comptes de l’établissement de crédit et des déposants ayant les mêmes qualités dans d’autres sociétés du même groupe ». La décision rendue par la Cour de justice le 2 septembre 2015 apporte d’intéressantes précisions. Elle relève, tout d’abord, qu’en raison de leur caractère dérogatoire au système de garantie des dépôts, les exclusions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et que la liste qui en est donnée à l’annexe I de la directive est exhaustive, de sorte que les États membres ne peuvent prévoir, dans leur droit national, d’autres catégories de déposants que celles visées dans l’annexe. Surtout, elle interprète le point 7 de l’annexe I comme autorisant les États membres à exclure de la garantie, les personnes qui, en tant que dirigeant, en raison de la fonction occupée au sein de l’établissement de crédit, disposent, quelle que soit la dénomination de leurs fonctions, « d’un niveau d’informations et de compétences leur permettant d’apprécier la situation financière réelle et les risques associés aux activités de l’établissement de crédit ». Autrement dit, ce ne sont pas, – comme l’avaient retenu les juges lettoniens –, les pouvoirs exercés par les dirigeants qui, en tant que tels, justifient que cette catégorie de déposants soit exclue de la garantie. C’est le niveau de compétence et de connaissance de la situation financière de l’établissement, acquis dans l’exercice des fonctions de direction, qui légitime l’exclusion des dirigeants du régime de protection des déposants. Pour interpréter le texte, la Cour de justice se fonde, notamment, sur le dix-huitième considérant de la directive 94/19 qui prévoit que seuls les déposants qui « n’ont pas besoin d’une protection particulière » peuvent être exclus de la garantie par les États membres (point 31 de la décision). Dans l’affaire en question, il reviendra donc à la juridiction de renvoi d’apprécier si les fonctions de vice-président exercées par l’intéressé lui avaient permis de connaître la situation financière réelle de la banque et de mesurer les risques attachés à ses activités.
II. Champ d’application rationae materiae La décision du 25 juin 2015 porte, quant à elle, sur l’exclusion du système de garantie des certificats de dépôt et des obligations. Le texte soumis à interprétation était ici le point 12 de l’annexe I de la directive 94/19, qui vise les « Titres de créance émis par l’établissement de crédit et engagements découlant d’acceptations propres et de billets à ordre ».
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Chroniques
II.A. Régulation européenne
Chroniques
II. Régulation bancaire
La Cour précise, qu’aux termes de ce texte, les États membres peuvent exclure de la garantie les certificats de dépôt émis par un établissement de crédit « s’ils ont le caractère de titres cessibles », « sans qu’il soit nécessaire de s’assurer que ces certificats présentent toutes les caractéristiques d’un instrument financier au sens de la directive 2004/39/CE concernant les marchés d’instruments financiers ». La condition de cessibilité du titre relevée par la décision paraît d’un intérêt réduit dès lors qu’il s’agit d’une caractéristique essentielle des titres de créances émis par les établissements de crédit et que tous les certificats de dépôt sont donc, par définition, cessibles (5). L’indifférence du rattachement des certificats de dépôt à la catégorie des instruments financiers se justifie, pour sa part, par la coexistence de deux systèmes d’indemnisation, l’un au profit des déposants, l’autre des investisseurs (6), dont les champs d’application ne se recoupent que partiellement. Cependant, dans l’hypothèse où le titre de créance peut relever du domaine de chaque système de garantie, comme dans le cas des certificats de dépôt, la Cour précise qu’il convient d’appliquer les règles propres à chaque régime d’exclusion et que l’exclusion d’un régime de protection n’emporte pas nécessairement la même exclusion dans l’autre. La soumission de cette question à la Cour s’expliquait par le fait que l’affaire concernait le droit lithuanien, qui avait choisi de transposer les directives 94/19 et 97/9 dans un même acte législatif réunissant les deux systèmes de protection des déposants et des investisseurs.
III. Les modifications apportées par la directive 2014/49/UE Malgré les précisions qu’elles renferment, ces deux décisions restent aujourd’hui d’une portée limitée en raison des importantes modifications apportées par 5. Th. Bonneau, obs. préc. 6. Directive 97/9/CE du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 3 mars 1997 relative aux systèmes d’indemnisation des investisseurs.
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la directive du 16 avril 2014, dont l’objectif était de renforcer le dispositif de protection, notamment par un élargissement qualitatif et quantitatif du champ d’application de la garantie des dépôts (7). Les exclusions – qui ne sont plus autorisées dans une liste dressée en annexe mais sont directement fixées par la directive – ont été réduites. Parmi les déposants inéligibles à la garantie, la directive ne vise plus, pour l’essentiel, que les établissements de la profession (établissement de crédit, établissements financiers, entreprises d’investissement, entreprises d’assurance, etc.), ainsi que les autorités publiques (8). Les dirigeants, lorsqu’ils n’ont pas cette qualité de « déposant institutionnel » (9), sont donc désormais couverts par la garantie, peu important leur connaissance de la situation financière de l’établissement défaillant. Pour ce qui est des certificats de dépôt, leur disqualification du domaine de la garantie des dépôts est maintenant directe. La directive 14/49 définit, en effet, le dépôt comme « le solde créditeur résultant de fonds laissés en compte ou de situations transitoires provenant d’opération bancaires normales », mais écarte le cas dans lequel l’existence du solde créditeur « ne peut être prouvée que par un instrument financier au sens de l’article 4, paragraphe 17, de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, sauf s’il s’agit d’un produit d’épargne dont l’existence est prouvée par un certificat de dépôt établi au nom d’une personne nommément désignée et qui existe dans un État membre le 2 juillet 2014 » (10). La question de l’exclusion par exception de la garantie des dépôts ne se pose donc plus que pour les certificats de dépôt qui existaient dans un État membre à la date du 2 juillet 2014. À terme, la nouvelle définition du dépôt aura le mérite de réduire le chevauchement des deux systèmes d’indemnisation et de rendre plus clair leur domaine d’application respectif. 7. Directive 2014/49/UE, 7e cons. Cfr M. Roussille, « Réforme du dispositif de garantie des dépôts », R.I.S.F., 2014/4, p. 71. 8. Directive 2014/49/UE, art. 5, 1. 9. Cfr R. Bonhomme, « La préservation du droit au paiement de certains créanciers », R.D.B.F., 2014, étude 47, n° 11. 10. Directive 2014/49/UE, art. 2, 1., 1), a).
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Chroniques
II.A. Régulation européenne
LA DÉLIMITATION DU DROIT PROCESSUEL DES ÉTATS MEMBRES ET LES IMPÉRATIFS DE PROTECTION DES CONSOMMATEURS CONTRE LES CLAUSES ABUSIVES
Mathieu Combet
Maître de conférences en droit privé Université Jean Monnet de Saint-Étienne Centre de recherches critiques sur le droit – CERCRID (UMR 5137) Membre du Réseau universitaire européen « Droit de l’Espace de Liberté, Sécurité et Justice » (GDR CNRS ELSJ n° 3452)
Le droit de l’Union européenne participe incontestablement au renouvellement des sources du droit processuel de la consommation des États membres. En effet, la protection des consommateurs constitue un enjeu majeur dans l’avènement d’un véritable marché intérieur. Nul besoin de rappeler que l’un des objectifs de l’Union européenne est de garantir un niveau élevé de protection des consommateurs (1), objectif qui est également inscrit à l’article 38 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la « Cour de justice ») qu’elle a développé un régime particulièrement protecteur pour les consommateurs. En outre, ce régime révèle que la Cour de justice souhaite que les droits accordés aux consommateurs puissent être exercés de manière effective. Ceci est d’autant plus vrai dans le domaine contractuel avec la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (ci-après, la « directive sur les clauses abusives »). La jurisprudence de la Cour de justice montre qu’elle a toujours essayé de trouver un juste équilibre entre les impératifs du marché intérieur et la préservation des compétences nationales en temporisant sa jurisprudence à la faveur d’une réactivation parfois contestable de l’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres (2). L’arrêt rendu par la Cour de justice le 29 octobre 2015 dans l’affaire BBVA SA (3) s’inscrit incontestablement dans cette politique jurisprudentielle. 1. Article 169 TFUE. 2. Voy. not. C.J.U.E., 5 décembre 2013, aff. C-413/12, Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, ECLI:EU:C:2013:800. 3. C.J.U.E., 29 octobre 2015, BBVA SA, aff. C- 8/14, ECLI:EU:C:2015:731. 2016/1
L’affaire sous commentaire concernait la législation espagnole sur les saisies hypothécaires. Suite à l’arrêt Aziz du 14 mars 2013 (4), les autorités espagnoles avaient procédé à une modification de certaines dispositions du Code de procédure civile relatives à la procédure d’exécution des biens hypothéqués. Ainsi, pour les procédures ouvertes après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, l’opposition du défendeur à l’exécution, fondée sur le caractère abusif d’une clause contractuelle, devait être formée dans un délai de dix jours à compter de la date de notification de l’acte ordonnant l’exécution. Cette disposition permettait la suspension de la procédure de saisie hypothécaire jusqu’à la résolution de l’incident d’opposition. Pour les procédures en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi dans lesquelles le délai d’opposition de dix jours avait expiré, les parties défenderesses à l’exécution disposent d’un délai de forclusion d’un mois pour former opposition par voie incidente extraordinaire en se fondant sur les nouveaux motifs d’opposition. Ainsi, une saisie hypothécaire qui portait sur une place de parking et une remise avait été initiée par un établissement bancaire contre plusieurs personnes. Les défendeurs au principal estimaient que le délai de forclusion fixé par la loi nationale était contraire à la directive sur les clauses abusives. Il ressortait des faits que l’ouverture de la procédure avait eu lieu avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et qu’elle n’avait toujours pas été clôturée après celle-ci. En effet, ce délai de forclusion d’un mois pour invoquer le caractère abusif des clauses figurant dans le titre exécutoire était insuffisant pour que les juridictions nationales compétentes puissent contrôler d’office le contenu des contrats hypothécaires en cours d’exécution. Par conséquent, les consommateurs ne pouvaient pas faire valoir le caractère abusif des clauses figurant dans ces contrats. En outre, ce délai n’était pas suffisant puisque l’accès à la justice pour les consommateurs était très difficile quand bien même ils disposeraient d’une assistance judiciaire. Or, pour la juridiction nationale, le délai de forclusion posait des difficultés au regard de la protection du consommateur telle qu’elle ressortait de la jurisprudence de la Cour de justice selon laquelle cette prescription était imprescriptible. C’est la raison pour laquelle la juridiction nationale souhaitait savoir si ce délai d’un moi tel qu’il était prévu dans la législation nationale était contraire à la directive sur les clauses abusives. L’arrêt sous commentaire, dont la solution doit être approuvée, a été l’occasion pour la Cour de justice 4. C.J.U.E., 14 mars 2013, Aziz, aff. C-415/11, EU:C: 2013:164.
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Chroniques
II. Régulation bancaire
de rappeler que les consommateurs disposent d’une protection effective de leurs droits dans les contrats conclus avec un professionnel (I), ce qui lui a permis de se prononcer sur le délai de forclusion (II) tout en rejetant les modalités choisies par le législateur pour l’ouverture du délai de forclusion (III).
I. Une protection effective des droits des consommateurs Une fois n’est pas coutume, la Cour de justice utilise une rhétorique bien connue s’agissant d’établir la nature des rapports entre le consommateur et le professionnel. Pour ce faire, elle rappelle que celui-ci se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel (point 17). En outre, elle reconnaît que ce déséquilibre existe tant au niveau du pouvoir de négociation qu’au niveau de l’information du consommateur qui se trouve généralement dans l’obligation d’adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (5). C’est la raison pour laquelle, depuis l’arrêt Mostaza Claro de 2006, la Cour de justice rappelle que, selon l’article 6, paragraphe 1er, de la directive sur les clauses abusives, les consommateurs ne sont pas liés par celles-ci (6). Cette disposition, considérée comme impérative par la Cour, tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (point 18). D’ailleurs, l’article 7, paragraphe 1er, de la directive sur les clauses abusives prévoit que « les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel » en raison de la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs se trouvant dans une telle situation d’infériorité (7). En ce sens : C.J.U.E., 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, aff. jointes C-240/98 à C-244/98, ECLI:EU:C:2000:346, point 25 ; C.J.U.E., 26 octobre 2006, Mostaza Claro, aff. C-168/05, ECLI:EU:C:2006:675, point 25 ; ainsi que C.J.U.E., 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, aff. C-40/08, ECLI:EU:C:2009:615, point 29 ; C.J.U.E., 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, aff. C-618/10, EU:C:2012:349, point 39. 6. C.J.U.E., 26 octobre 2006, Mostaza Claro, aff. C-168/05, ECLI:EU:C:2006:675, point 36 ; C.J.U.E., 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, aff. C-137/08, ECLI:EU:C:2010:659, point 47 ; C.J.U.E., 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, aff. C-453/10, ECLI:EU:C:2012:144, point 28. 7. En ce sens, C.J.U.E., 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, op. cit., point 68; C.J.U.E., 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai, aff. C-26/13, EU:C:2014:282, point 78, 5.
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Plus concrètement, la Cour avait déjà reconnu que les procédures nationales d’exécution, telles que les procédures de saisie hypothécaire, étaient soumises aux exigences qu’elle avait établies dans sa jurisprudence (point 20). C’est la raison pour laquelle, à la suite de l’arrêt Aziz de 2013 (8), les autorités espagnoles avaient dû modifier certains articles du Code de procédure civile relatifs à la procédure d’exécution des biens hypothéqués. Dès lors, pour les procédures ouvertes après l’entrée en vigueur de la loi 1/2013, l’opposition du défendeur à l’exécution, fondée sur le caractère abusif d’une clause contractuelle et formée dans un délai ordinaire de dix jours à compter de la date de notification de l’acte ordonnant l’exécution, permettait désormais la suspension de la procédure de saisie hypothécaire jusqu’à la résolution de l’incident d’opposition (point 21). En outre, la disposition transitoire litigieuse visait à tenir compte des procédures d’exécution en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi 1/2013, dans lesquelles le délai d’opposition de dix jours avait déjà commencé à courir ou avait expiré. Pour ces procédures, les consommateurs disposaient d’un délai de forclusion d’un mois pour former opposition par voie incidente extraordinaire en se fondant sur les nouveaux motifs d’opposition. C’est bien sur ce point que la Cour de justice se prononce puisqu’elle cherche à déterminer si ce délai transitoire n’est pas contraire à la directive sur les clauses abusives. Pour ce faire, elle rappelle explicitement qu’« en l’absence d’une harmonisation des mécanismes nationaux d’exécution forcée, les modalités de la fixation de délai d’opposition, admis dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe d’autonomie procédurale de ces derniers ». Elle poursuit en utilisant sa formule répétée, justifiant son analyse, selon laquelle « lesdites modalités doivent répondre à la double condition de ne pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et de ne pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) » (point 24). Comme c’est souvent le cas, en ce qui concerne le principe d’équivalence, la Cour considère qu’elle ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité de la disposition transitoire litigieuse avec celui-ci (point 25). En ce qui concerne le principe d’effectivité, la Cour rappelle que son analyse doit prendre en considération « les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon
8.
ainsi que C.J.U.E., 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank, aff. jointes C-482/13, C-484/13, C-485/13 et C-487/13, EU:C:2015:21, point 30. C.J.U.E., 14 mars 2013, Aziz, op. cit.
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déroulement de la procédure » (point 26). C’est pourquoi elle va procéder à une analyse en deux temps qui portera sur la durée du délai de forclusion fixée par le législateur et la modalité retenue pour déclencher l’ouverture dudit délai.
durée du délai d’opposition accordé au consommateur dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi 1/2013, être considérée comme portant atteinte au principe d’effectivité » (point 32).
II. La validation du délai de forclusion
III. Le rejet des modalités choisies par le législateur pour l’ouverture du délai de forclusion
En ce qui concerne la durée du délai de forclusion d’un mois, la Cour considère que l’existence de tels délais est compatible avec le droit de l’Union. En effet, la Cour a déjà admis que la fixation de délais raisonnables de recours sous peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique est compatible avec le droit de l’Union. Elle a déjà reconnu des délais plus courts comme étant suffisants pour l’exercice d’un recours. Ainsi, dans l’affaire Samba Diouf de 2011, la Cour a reconnu qu’« un délai de recours de quinze jours ne semble pas, en principe, matériellement insuffisant pour préparer et former un recours effectif, et apparaît comme étant raisonnable et proportionné par rapport aux droits et aux intérêts en présence » (9). Dans l’affaire Texdata Software de 2013, elle avait même admis qu’un délai de quatorze jours était suffisant (10). Pour la Cour de justice, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne (11). En effet, la Cour de justice admet depuis longtemps que la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique est compatible avec le droit communautaire (12). C’est au regard de sa propre jurisprudence que la Cour considère que si « le délai imparti doit être matériellement suffisant pour permettre aux intéressés de préparer et de former un recours effectif » (point 29), il « n’apparaît pas, en principe, matériellement insuffisant pour préparer et former un recours effectif, et s’avère ainsi comme étant raisonnable et proportionné au regard des droits et des intérêts en présence » (point 31). Cela permet à la Cour de considérer que « la disposition transitoire litigieuse ne saurait, au regard de la 9. C.J.U.E., 28 juillet 2011, Samba Diouf, aff. C-69/10, ECLI:EU:C:2011:524, point 67. 10. C.J.U.E., 26 septembre 2013, Texdata Software, aff. C-418/11, EU:C:2013:588, point 81. 11. C.J.U.E., 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, aff. C-40/08, EU:C:2009:615, point 41. 12. C.J.U.E., 6 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe- Zentral, aff. 33/76, ECLI:EU:C:1976:188, point 5.
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Sur ce point, la Cour de justice a fait le choix d’adopter une approche fonctionnelle des dispositions de la directive sur les clauses abusives afin de sanctionner la mesure nationale en cause. Si cette dernière a pour objet une protection accrue des consommateurs, les consommateurs ont été, à la date de l’ouverture de la procédure d’exécution dirigée à leur encontre, informés par une notification individuelle, de leur droit de faire opposition à l’exécution dans un délai de dix jours à partir de cette notification (point 36). Or, la Cour de justice constate que cette notification antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi 1/2013, ne contenait pas d’informations concernant le droit desdits consommateurs de former une opposition à l’exécution en faisant valoir le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire. Comme elle le rappelle à juste titre, une telle possibilité n’a été introduite qu’avec la loi 1/2013. Ainsi, les consommateurs ne pouvaient pas raisonnablement s’attendre à bénéficier d’une nouvelle possibilité d’introduire un incident d’opposition à défaut d’en être informés par la même voie procédurale que celle par laquelle leur était parvenue l’information initiale (point 39). En outre, la Cour rappelle la spécificité de la procédure espagnole qui est à la fois particulière et complexe engendrant un risque significatif que ledit délai expire sans que les consommateurs concernés puissent faire valoir effectivement et utilement leurs droits par la voie juridictionnelle. Selon elle, ce risque existe car les consommateurs ignorent ou ne perçoivent pas, en réalité, l’étendue exacte de leurs droits (point 40). En procédant à une telle analyse, la Cour considère que « la disposition transitoire litigieuse méconnaît le principe d’effectivité » (point 41). Au regard de cette affaire, la Cour de justice montre qu’elle reste particulièrement attentive à la situation des consommateurs. Sa solution, qui doit être approuvée au demeurant, montre néanmoins qu’elle est respectueuse des compétences nationales bien qu’elle encadre strictement leurs exercices.
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Chroniques
II.A. Régulation européenne
Chroniques
II. Régulation bancaire
II.B. Régulation comparée DIPTYQUE ÉTHIQUE AU SUD DU SAHARA : MOSAÏQUE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER
Mariel Gansou
Juriste de droit bancaire et financier Chargé d’enseignement
À chaque tumulte économique d’ampleur, le débat moral relatif à la vie économique survient (1) ! Et il est vrai que passé l’étonnement face à l’existence des marchés financiers subsahariens (2), peut advenir assez naturellement, la question certes un peu facile mais utile de leur intégrité. « Banque et morale, les liaisons sont-elles dangereuses ? » interrogeait en mai 2014 le professeur Philippe Neau-Leduc (3). La banque, ajoutaitil, est au cœur d’une dialectique morale : « Elle se doit d’être morale et d’être gardien de la morale. N’est-ce pas trop ? ». Manifestement, la question est d’actualité et de tous les sujets traités dans le domaine bancaire et financier depuis la crise financière de 2008, les mots, éthique, morale et conformité, sont probablement ceux qui sous différentes formes mobiliseront durablement les juristes (4). 1. C. M. Reinhart et K. S. Rogoff, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Éd. Pearson, 2010, p. 469. 2. D. Keuffi, La régulation des marchés financiers dans l’espace OHADA, coll. Études africaines, éd. L’Harmattan, janvier 2011. Voy. aussi L. Tshiyombo Kalondji, L’Ohada et la construction du droit financier dans son espace de compétence, 2015, Penant n° 891, p. 149 ; M. Gansou, Mutation du droit au sud du Sahara : aspect du droit des marchés financiers dans l’espace OHADA, R.I.S.F., 2015/1, p. 68. 3. Le professeur Philippe Neau-Leduc faisait partie des spécialistes réputés du droit bancaire et du droit comparé. Il a dirigé le Master 2 de droit bancaire et financier de l’Université de Paris 1 et nous a quittés en 2015. Il avait contribué à l’explicitation de la complexité qui existe dans la conception et l’exercice de la norme dans le paysage boursier. Voy. P. Neau-Leduc, La Banque et la Morale : propos introductifs, R.D.B.F., n° 3, dossier 17, mai 2014 ; P. Neau-Leduc, La réglementation de droit privé, Préface Th. Revet, Thèses, LexisNexis, Bibliothèque de droit de l’entreprise, 1998. 4. C’est dire comme le poète Birago Diop que « Ceux qui sont morts ne sont jamais partis : Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire, et dans l’ombre qui s’épaissit », in Souffles, 116
Si l’on y songe, la question n’est pas sans fondement (5) dans la mesure où les marchés financiers font partie avec les établissements de crédit de ce mix-énergétique nécessaire en Europe, comme en Afrique (6), au financement durable des économies. La capacité des prestataires de services économiques bancaires et financiers à opérer dans un environnement éthique satisfaisant est progressivement devenue un enjeu réglementaire essentiel. L’observation de la « common-law » et du droit romano- germanique dont le droit français fait la synthèse, éclaire sur l’état du droit OHADA (7). En analysant la réglementation des marchés, on constatera qu’outre les règles de contrôle générique, les agents économiques y sont, de leur initiative (8) ou sous l’impulsion de la puissance publique, soumis à un florilège de principes généraux qui paraissent être devenus les instruments sapientiaux de l’encadrement des activités par la prévention (9). Pour ce faire, cette étude se propose essentiellement de mettre en lumière les développements récents de l’encadrement normatif des marchés bancaires et financiers par l’éthique au sud du Sahara. Face à la diversité des risques (10) auxquels sont confrontés les marchés et Leurres et Lueurs, poèmes commencés en 1925, Éd. Présence africaine, 1960. 5. L’indice de perception de la corruption de certains États n’est pas, outre le grief de sa relativité, des plus flatteurs en comparaison avec les meilleurs élèves de la classe qui sont – assez souvent maintenant – les sujets récurrents d’importantes crises économiques. Voy. Transparency international « corruption perceptions index ». 6. La réflexion pourrait être étendue aux pays en voie développement et aux pays développés en général. 7. Nous comparons dans cette matière, un droit harmonisé commun à plusieurs États (OHADA) et un droit national et harmonisé au niveau européen (le droit français). L’OHADA est l’organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. Le Traité OHADA a été signé le 17 octobre 1993. Il est entré en vigueur le 18 septembre 1995. Réunissant seize pays, il en compte à présent dix-sept, depuis l’adhésion de la République démocratique du Congo. Le Traité a été révisé en 2008 à Québec. 8. G. Farjat, « Réflexions sur les codes de conduite privés », in Études offertes à Berthold Goldman, Le droit des relations économiques internationales, Litec, Paris, 1982, p. 47. 9. Nous ne traitons pas dans cet article des aspects purement pénaux de la réglementation. 10. Il y a en effet une grande diversité de risque. À ce titre peuvent être mentionnés, le risque de marché, de contrepartie, le risque opérationnel, le risque de liquidité ou encore de crédit, voy. CFPB, Abrégé des marchés financiers, 6e éd., 2015.
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leurs participants, le droit dans l’espace de l’OHADA a développé, principalement grâce aux autorités de régulation (11) et aux gérants des marchés (12) respectivement d’Afrique de l’ouest, du centre et, plus spécifiquement du fait de l’existence d’une bourse nationale, du Cameroun, un arsenal éthique élaboré. Il permet de prévenir les actes qui sont susceptibles d’altérer leurs fondamentaux et le jeu naturel des relations économiques entre les participants. L’étude des règles éthiques applicables sur les marchés bancaires africains au sud du Sahara révèlera deux constats. Premièrement, pour ses mérites, la densité de leurs sources florissantes (I). Deuxièmement, en interrogeant le succès de la démarche adoptée, la modestie du triomphe (13) de cette éthique en quête de durabilité (II).
I. Une éthique florissante Si les actes uniformes et en particulier l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et au groupement d’intérêt économique comportent quelques orientations éthiques notamment en matière de gouvernance, ce sont les régulateurs bancaires et financiers qui ont développé les enseignements les plus riches. Les autorités de régulation jouent un rôle majeur dans la prévention des actes susceptibles d’altérer le cadre élaboré. La diversité des facteurs de risque justifie une organisation éthique dont le contenu est multiple. Exigeante, l’éthique bancaire adopte une logique de performance (A) face à une éthique boursière transversale et croissante (B).
A. Une éthique bancaire exigeante et de performance Les fondements théoriques (1) sont nécessaires à l’appréhension du contenu exigeant et performant de l’éthique bancaire (2).
11. Au Cameroun, la Commission des marchés financiers (CMF), en zone CEMAC, la Commission de surveillance du marché financier (COSUMAF) et en zone UEMOA, le Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers (CREPMF) ; voy. http://www. crepmf.org/reglementation/reglement.asp ; voy. http:// www.cosumaf.org/ ; voy. http://www.douala- stock- exchange.com/textes_fr.php. 12. Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (Abidjan), Bourse des Valeurs Mobilières d’Afrique Centrale (Libreville) et la Bourse de Douala. 13. On doit à Marc Chagall, un diptyque resté célèbre : « le diptyque de la musique ». Cette œuvre s’organise d’une part entre ce que l’artiste appelait les sources de la musique et d’autre part, ce qu’il appelait le triomphe de la musique. Voy. A. Gauthier, Chagall et la musique, Poche, Découvertes Gallimard, 2015. 2016/1
1. Les fondements théoriques de l’éthique L’activité économique questionne ostensiblement les relations entre la morale et le droit. Pour identifier les fondements éthiques de la règlementation du droit dans l’espace de l’OHADA, il faut d’abord s’intéresser au domaine de l’éthique et de la morale. Les juristes et les philosophes s’accordent sur l’origine de la notion. Elle est « souvent un synonyme de morale en plus chic. Mieux vaut donc, quand on ne les distingue pas, parler plutôt de morale. Mais si on veut les distinguer ? L’étymologie ne nous aide guère. “Morale” et “éthique” viennent de deux mots, ethos en grecs, mos ou mores en latin, qui signifiaient à peu près la même chose (les mœurs, les caractères, les façons de vivre et d’agir) et que les Anciens considéraient comme la traduction l’un de l’autre » (14). Il faut de surcroît se souvenir de la distinction faite par Kant et Fichte : l’un, visant l’extérieur est relatif à la coexistence des libertés, l’autre, requiert une adhésion intérieure. En philosophie du droit, Kant pour la morale et Spinoza pour l’éthique, ont contribué à la définition de ces concepts. La morale (15) répondrait à la question, « que dois-je faire ? » tandis que l’éthique répond à la question « comment vivre ? » (16). Alors qu’Aristote considérait l’usure contre-nature (17), Bentham (18), auteur du néologisme (19) « déontologie », l’a quant à lui défendue. L’éthique n’est pourtant pas une question nouvelle en droit. Les marchés financiers de l’espace OHADA comme la réglementation bancaire ont en commun de rechercher à garantir l’intégrité des opérations qui s’y tiennent. Le professeur Bruno Oppetit (20) démontra que 14. L’économie est généralement entendue comme l’activité humaine consistant en la production, la distribution, l’échange et la consommation de biens et de services. Voy. aussi à propos de la morale, A. Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, PUF, Coll. Quadrige, 2013 ; M. Troper, La philosophie du droit, PUF, Que sais-je ?, 3e éd., 2011. 15. Dans son discours publié à l’Académie du 26 septembre 1983, l’immortel Senghor, rappelait pour sa part que pour être « sophia », sagesse, la connaissance « l’épistèmê » doit passer à son application. « C’est ainsi que la philosophie se transforme en morale. Qui dit morale dit but, objet de l’activité humaine. Il s’agit de transformer la vie humaine en transformant, à la fois, l’homme et le monde dans lequel il vit en interdépendance ». http://www.academie-francaise. fr/la-culture-africaine-communication-lacademie-des- sciences-morales-et-politiques. 16. Voy., D. Terre, Les questions morales du droit, PUF, Éthique et philosophie morale, 2007, p. 25. 17. Aristote, Politique, Livre I, 10, Traduction par J. Tricot, Bibliothèque des textes philosophiques, Vrin, Paris, 2005. 18. G. Tusseau, Bentham juriste : l’utilitarisme juridique en question, Paris, Economica, 2011. 19. J. Bentham, B. Laroche, J. Bowring, Déontologie ou Science de la morale, ouvrage posthume, Œuvres de Jeremy Bentham, I-II, Librairie Charpentier, Paris, 1834. 20. Elle apparaît sous trois formes pour l’auteur : contractuelle en intervenant à toutes les phases du contrat, elle
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Chroniques
II.B. Régulation comparée
Chroniques
II. Régulation bancaire
l’éthique est autant le fait des normes issues directement de la loi que d’actes pris par les acteurs économiques eux-mêmes soit de leur propre initiative soit sous l’impulsion des autorités. Pour garantir cette intégrité des marchés, les États de l’espace de l’OHADA se sont basés sur la maîtrise et le partage de l’information. L’information donnée sur les marchés entre les acteurs d’une part et vis-à-vis de la clientèle d’autre part doivent présenter certaines qualités essentielles (21). L’information du public est une de ces exigences déontologiques dont s’est emparé le pouvoir réglementaire pour en faire une obligation de droit commun. D’inspiration professionnelle (22), c’est donc avec, par et pour le marché qu’elle a été adoptée, ce qui lui garantit une lisibilité et une adhésion plus prégnante. Cette information permanente, périodique et ponctuelle participe à l’objectif de transparence (23) entre les agents économiques, recherché par les autorités (24). C’est à ce lutte contre les tromperies et les manœuvres altérant l’intégrité du consentement, lors de son exécution, l’article 1134 du Code civil retient que les obligations doivent être exécutées de bonne foi ; sociale en sortant certaines choses du commerce et ; économique en posant les conditions d’une concurrence équitable et loyale, y compris par la prohibition des procédés contraires à l’exigence d’un marché financier équitable et transparent. Le courant actuel montre d’ailleurs un développement autonome de la morale dans le monde des affaires par l’usage de l’information dont les codes de conduite, d’éthique ou de déontologie – souvent sans autres formes de précisions sémantiques – sont devenus les réceptacles : B. Oppetit, « Ethique et vie des affaires », Mélanges offerts à André Colomer, Litec, 1993. 21. La directive « prospectus » révisée en 2010 prévoit que l’information devra être complète, cohérente et compréhensible. De façon un peu moins évidente, on pensera tout de même à l’Acte uniforme relatif au droit comptable OHADA (SYSCOHADA) puisque le droit comptable OHADA pose des principes qualitatifs à l’information financière qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’on applique par exemple à un prospectus même si leur contenu peut diverger par ailleurs (intelligibilité, pertinence, fiable, comparabilité). Sur les aspects comptables, voy. aussi I. Djossa Tchokote, La diffusion du système comptable Ohada : conception des principes et déclinaison des pratiques, Thèse Bordeaux IV, 2009. 22. Voy. A. Pezard et G. Eliet, « Droit et déontologie des activités financières en France », Ass. Économie Financière, Finance et Société, octobre 1998, p. 39. 23. Ce choix réglementaire, en apparence naturelle, n’a été généralisé qu’au lendemain du crack de 1929, dans le cadre de qu’on appellera la « disclosure doctrine ». Cette doctrine est née de la volonté des autorités américaines de prévenir les fraudes et de protéger l’épargne. En droit européen, l’adoption de ce principe a donc été progressive. En Grande-Bretagne, dès le 19e, le rapport Gladstone fit des propositions similaires. Voy. A. Sotiropoulou, Les obligations d’information des sociétés cotées en droit de l’Union européenne, Bruxelles, Larcier, 2012, spéc. p. 32. 24. J. Mestre, « Le droit français des sociétés devant l’exigence de justice », Les Cahiers de droit, vol. 42, n° 3, 2001, p. 827. Voy. aussi, K. Sergakis, La transparence des sociétés cotées en droit européen, Paris, IRJS Édi118
titre qu’intervient l’éthique, en fournissant des principes cardinaux permettant d’accroître la transparence et la sécurité du marché, la surveillance des opérations, la prévention et la résolution des conflits d’intérêts. La sécurité recherchée est conforme à l’idée essentielle du régulateur (25) et des participants qu’il ne faut pas fausser le jeu du marché et sauvegarder la confiance. L’espace de l’OHADA tient compte de ces facteurs pour déterminer ses axes déontologiques.
2. Le contenu exigeant et performant de l’éthique La nécessité d’accroître l’attractivité des marchés financiers de la zone Franc a pris ces dernières années la forme d’une plus grande participation des États de l’espace de l’OHADA aux travaux des institutions qui définissent les principes des réglementations applicables aux marchés financiers (26). Exigeante, cette éthique adopte une logique de performance. L’éthique bancaire exigeante. La Commission bancaire en Afrique centrale (27) (COBAC) de même que son homologue de l’U(E)MOA (28) doivent être citées dans la mesure
25.
26.
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28.
tions, 2013 ; J. Chacornac, Essai sur les fonctions de l’information en droit des instruments financiers, préf. F. Drummond, Dalloz, 2014. Voy. aussi, la compétence du régulateur dans la promotion de la place financière qu’il régule. H. Bouthinon-Dumas, « La défense de la place financière par le régulateur boursier », in Défis actuels du droit financier A. Couret et C. Malecki (sous la dir.), Joly Editions, 2010, p. 19. L’annonce par le Conseil de stabilité financière de la création d’un groupe régional pour l’Afrique subsaharienne a ouvert, de ce point de vue, des perspectives positives et répondrait aux demandes d’une approche plus inclusive en faveur des pays émergents. Voy. M. Gansou, « Les nouvelles dynamiques des marchés financiers de la zone Franc », in Dossier, « L’Afrique subsaharienne : nouvel eldorado pour les services financiers ? », Banque & Stratégie n° 314, 2013. La COBAC se situe dans la zone CEMAC qui désigne la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) existant entre le Cameroun, la République du Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République Centrafricaine et le Tchad. Elle a été constituée par le Traité signé le 16 mars 1994 à Ndjamena. L’environnement juridique ouest africain est caractérisé par la coexistence de deux traités fondateurs que sont le Traité UMOA et le Traité UEMOA. L’UMOA désigne l’Union Monétaire Ouest Africaine constituée par le Traité du 12 mai 1962, adopté à Dakar entre six États : Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso, Niger, Sénégal et Togo. Par la suite, ce Traité constitutif a été remplacé par un autre, adopté le 14 novembre 1973 et l’UMOA s’est élargi à sept États membres avec l’adhésion du Mali le 17 février 1984 puis à huit avec l’adhésion de la Guinée Bissau le 19 janvier 1997. L’UEMOA désigne l’Union Économique et Monétaire Ouest Africain constituée par le Traité signé à Dakar le 10 janvier 1994 par les Chefs d’État et de Gouvernement des sept pays de l’Afrique de l’Ouest ayant en commun l’usage du franc CFA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire,
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où leur production normative comporte de plus en plus d’exigences éthiques. Prenant expressément acte des recommandations du comité de Bâle (29), cette démarche éthique s’applique aux régulateurs (30) mais aussi dans le cadre du règlement n° 04/08/CEMAC/UMAC/COBAC relatif au gouvernement d’entreprise dans les établissements de crédit de la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, au cœur des établissements de crédit. Il a ainsi été jugé nécessaire par les autorités bancaires de supervision « (…) d’offrir aux établissements soumis à son contrôle un cadre réglementaire de qualité propre à soutenir la compétitivité et à encourager l’adoption de pratiques exemplaires ainsi que le respect des règles déontologiques de la profession » et de demander au titre de l’article 43, dans les établissements de crédit, la création de « Comité de gouvernement d’entreprise (…) chargé de formuler des propositions au Conseil d’administration pour la gestion des conflits d’intérêts par la mise en place, le suivi et l’évaluation d’un code d’éthique et de bonne conduite des affaires ». Il est ainsi saisissant d’observer l’influence grandissante de la soft-law (31) produite par le Comité de Bâle (32). L’annexe de la convention portant création de la Commission bancaire de l’union monétaire ouest africaine et en particulier les articles 14 (33) et
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Mali, Niger, Sénégal et Togo), rejoints le 2 mai 1997 par la Guinée-Bissau. Voy. Étude relative aux infractions pénales en matière boursière sur le marché financier régional de l’UMOA, Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers, rapport final provisoire en date du 10 octobre 2011 ; voy. http://www. cemac.int/ ; voy. http://www.uemoa.int/. Dans sa version la plus récente, voy. BIS, Corporate governance principles for banks, Juillet 2015. Voy., décision COBAC d- 2010/004 instituant une charte de conduite des missions de contrôle sur place de la COBAC ; voy. Code d’éthique et de déontologie applicable aux membres du CREPMF, 09/2015 ; voy. Code d’éthique et de déontologie applicable au personnel du secrétariat général du CREPMF, 12/2015. Voy. C. Thibierge, « Le droit souple, réflexion sur les textures du droit », RTD civ., 2003, p. 599 ; R. Bismuth, La coopération internationale des autorités de régulation du secteur financier et le droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2011. Le comité de Bâle sur le contrôle prudentiel bancaire a été créé en 1974 et se compose des représentants des banques centrales et des autorités prudentielles. En dépit de la nature souple des recommandations du Comité de Bâle, le cadre qu’il a élaboré a reçu force de loi par sa reprise dans la réglementation des États membres et au-delà. Bâle III, adopté en 2010, a été repris au niveau européen dans le cadre des dispositions dites d’adéquation des fonds propres (CRD et CRR IV). Voy., « paquet CRD4 », composé de la directive dite « CRD4 » et du règlement européen dit « CRR » (règlement UE n° 575/2013) adopté le 26 juin 2013 et entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Quelques États africains appliquent Bâle II. Article 14. La Banque Centrale fait rapport du résultat des contrôles à la Commission bancaire. Elle l’informe des infractions à la réglementation bancaire, des manquements aux règles de bonne conduite de la profession bancaire et de toutes autres anomalies dans la gestion
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22 témoignent de la prise en compte des manquements aux règles de bonne conduite dans le cadre du contrôle des acteurs financiers mais également dans le cadre des mesures dites administratives puisque « lorsque la Commission bancaire constate qu’une banque ou un établissement financier a manqué aux règles de bonne conduite de la profession (…), elle peut, après en avoir informé le ministre des Finances dudit État, adresser à la banque ou à l’établissement financier : – soit une mise en garde ; – soit une injonction à l’effet notamment de prendre, dans un délai déterminé, les mesures de redressement nécessaires ou toutes mesures conservatoires qu’elle juge appropriées ou de faire procéder à un audit externe. La banque ou l’établissement financier qui n’a pas déféré à cette injonction, est réputé avoir enfreint la réglementation bancaire ». L’éthique bancaire performante. L’industrie bancaire envisage de prendre, à l’échelle mondiale, de nouvelles orientations fortes que les banques et les régulateurs de l’espace de l’OHADA observent parce que l’éthique proposée aux acteurs associerait mieux performance économique et intégrité (34). Pour l’instant, l’initiative est relativement discrète mais décisive. Le cœur du dispositif proposé tient à la mise en place de trois lignes de défense et ne semble pas procéder à une distinction selon que le produit financier soit de marché ou de détail et prend en effet acte de la diversité des produits et de leur structuration. La première ligne « Business line management » devrait assumer la responsabilité de déterminer et promouvoir les valeurs et les conduites. La seconde ligne élaborerait et mettrait en œuvre les standards en prodiguant des conseils à la première ligne. La troisième ligne doit être forte et à même d’éprouver l’efficacité du dispositif auquel elle adhèrerait (35). Si ces propositions nécessiteront d’être évaluées à l’aune de leurs résultats, leur force symbolique n’en est pas moins concrète. Les autorités bancaires développent donc des instruments de nature éthique qui sont approfondis par les autorités de régulation des marchés boursiers.
B. Une éthique boursière transversale et croissante L’éthique appliquée sur les places boursières de l’espace de l’OHADA est transversale (1) et croissante (2). des banques et établissements financiers dont elle a connaissance. 34. Voy. rapport « Banking conduct and culture, A Call for Sustained and Comprehensive Reform » paru en juillet 2015, dans le cadre du « groupe des 30 », Organisation non gouvernementale de niveau international créée en 1978 associant des expertises du secteur privé et public, en particulier, dans des domaines bancaires et financiers. Présidée actuellement par Jean-Claude Trichet et Jacob Frenkel et précédemment par Paul Volcker. 35. Un rapport d’étape sera élaboré dans deux ans sur les progrès des banques et des États qui décideront de mettre en œuvre les recommandations du rapport.
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1. Une éthique boursière transversale L’étude des règlements des trois autorités de régulation dans l’espace de l’OHADA fait cas de l’importance des règles déontologiques en s’inspirant des dispositions de la loi française de Modernisation des Activités Financières (MAF) (36). Les principes essentiels vont être dégagés pour garantir le bon fonctionnement du marché et la protection de l’épargne. La loyauté des intervenants les engage quant à la primauté de l’intérêt du client. Pour s’en convaincre, il suffit de rechercher l’ensemble des outils susceptibles de couvrir ces situations (37). La transposition de la directive MIF constituera une étape importante. Elle munit le Code monétaire et financier, dans la continuité de la loi MAF, d’obligation de loyauté, d’honnêteté, d’équité et de professionnalisme en application de l’article 19 de la directive MIF que s’approprieront les acteurs bancaires (38) et financiers de l’espace de l’OHADA. Les règles de bonne conduite sont, en l’espèce, essentielles (39). Faisant écho aux obligations déontologiques (40), premièrement, le Titre II du règlement général relatif à l’organisation, au fonctionnement et au contrôle du marché financier régional de l’UMOA (41), recouvre un ensemble de devoirs importants. Ils figurent aux articles 5 et sui36. Articles 58 et 59 de la loi de Modernisation des Activités Financières du 2 juillet 1996 transposant la directive européenne sur les services d’investissement (DSI). 37. Ces évolutions sont connues par exemple en France. Elles ont été entérinées lors de la transposition de la directive MIF et de l’article 18(1), repris par l’article L 533‑10 du COMOFI, puis par les articles L313‑20 et suivants du RG AMF. 38. Ces principes déontologiques se doublent de règles de contrôle interne et externe requis par les régulateurs des trois espaces. Par exemple, au niveau du CREPMF, s’agissant du contrôle, la section 4 du règlement général organise dans la « sous-section 1 », le contrôle interne conformément aux articles 54 et suivants. Au Cameroun, on note dans la décision n° 02/002 du 3 décembre 2002 portant règlement général de la commission de marchés financiers des dispositions connexes. Au titre du contrôle interne, les articles 75 et suivants retiennent une rédaction similaire au marché du CREPMF. 39. M.-N. Dompe, « Les règles de bonne conduite », in Modernisation des activités financières, Thème 17, éd. Joly, 1996, p. 206. 40. Il est à noter que les établissements bancaires sont soumis à des exigences comparables sur le terrain du secret bancaire. Voy. sur ce point, M. R. Tcheumalieu Fansi, Droit et pratique bancaire dans l’espace Ohada, L’Harmattan, 2015. 41. Voy. aussi RGCREP11 -1996/07/26, le livre I des principes déontologiques et du règlement général du CREPMF dans sa version mise à disposition par l’entreprise de marché présentait d’abord le devoir de discrétion auquel les acteurs des marchés sont soumis conformément à l’article 1. Cette obligation de discrétion comporte un ensemble de devoirs plus importants qui figurent aux articles 2, 3 et 6 ; voy. aussi, les articles 16 et 17 de la consultation relative au règlement du CREPMF de l’UEMOA qui évoquent des dispositions comparables et prévoient la nécessité de se 120
vants en vertu desquels, toutes les activités exercées par les structures de marché et les intervenants commerciaux, directement ou par l’intermédiaire de leurs filiales, doivent être accomplies avec diligence, loyauté, neutralité et impartialité (42). Deuxièmement, en droit camerounais, la décision n° 02/002 du 3 décembre 2002 portant règlement général de la Commission des marchés financiers permet de déterminer les règles retenues. Les éléments essentiels sont prévus par le « Chapitre IV des principes déontologiques et professionnels ». À titre général, à travers l’article 82 on soulignera que « (1) Les prestataires de services d’investissement et les personnes agissant pour leur compte sont tenus à la confidentialité pour toutes informations obtenues dans le cadre de leur activité professionnelle » et qu’en outre « (2) Les prestataires de services d’investissement sont tenus d’agir avec sérieux, professionnalisme, intégrité et dévouement, et d’assurer, en toutes choses et circonstances, la primauté des intérêts de leurs clients sur leurs intérêts propres ». Troisièmement, le règlement général de la Commission de surveillance des marchés financiers de l’Afrique centrale du 23 juillet 2008 prévoit des règles déontologiques précises. La COSUMAF veille dès lors conformément à l’article 7, en toutes circonstances au respect des principes d’égalité des actionnaires, investisseurs et épargnants, de transparence, d’intégrité et de loyauté dans les opérations initiées sur le Marché Financier de l’Afrique Centrale. Ces règles s’appliquent autant aux autres infrastructures du marchés (gérants, dépositaires) (43).
2. Une éthique boursière croissante L’extension du panel des instruments financiers reconnus par l’AUSCGIE et en particulier les contrats et les titres financiers aura pour effet d’appeler la vigilance des régulateurs de l’espace de l’OHADA afin de maintenir l’efficacité de leur supervision. Les hypothèses à l’étude concerneront les produits financiers, les institutions et les marchés. S’agissant des produits financiers. Outre les formes contemporaines de la moralisation du droit bancaire et des marchés financiers soulignées par la doctrine (44), doter d’un code de déontologie approuvé par le Conseil régional. 42. Outre ces principes généraux qui s’appliquent à l’ensemble du marché, les acteurs se voient respectivement soumis à des règles déontologiques dont les plus importantes s’agissant de l’accès aux marchés sont celles applicables aux sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI). 43. En ce qui concerne, le gérant de la bourse, voy. les articles 92 et suivants. Au même titre, voy. le dépositaire conformément aux articles 119 et suivants. 44. Les illustrations sont en effet nombreuses et ne cessent de croître. La directive MIF crée un devoir de comportement voire de mise en garde et oblige même dans certaines hypothèses le prestataire de service d’investissement à ne pas contracter. La directive a ainsi consacré deux obligations très structurantes, celle dite de suitability (caractère adéquat) et celle de l’appropriatness test (caractère approprié). La révision de la directive MIFID et l’avènement de MIFID II iront plus loin en
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nous assistons également à l’apparition d’autres vecteurs. Il en est ainsi de la supervision des produits financiers parce que les autorités de supervision européenne (AEMF, ABE et AEAPP) (45) adoptent des réglementations communes. Le droit de l’espace de l’OHADA pourrait, en l’occurrence, pour renforcer l’attractivité des opérations bancaires et financiers, s’inspirer de ces orientations, eu égard à la prévalence du modèle bancaire (46) qu’il partage avec le système français. Les autorités européennes ne se contentent pas d’encadrer individuellement les familles de produits mais souhaitent adopter une approche globale de la chaîne des produits. Elles ont ainsi lancé, le 22 décembre 2014, une consultation relative aux pratiques de vente croisée (« cross-selling practices ») (47). Le champ de la réglementation envisagée est très large puisque celle-ci vise les produits bancaires (48), les produits financiers et les produits d’assurance. Elles ont centré leur attention sur les pratiques de ventes croisées impliquant soit des produits et des services issus du même secteur (par exemple, deux produits bancaires) soit des produits et des services provenant de différents secteurs (49) (par exemple, un produit bancaire et un produit d’assurance). Les ventes croisées visées par le texte de la consultation sont des pratiques par lesquelles les prestataires regroupent deux ou plu-
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consacrant l’obligation d’information des clients sur l’existence de rétrocession, en exigeant un meilleure information sur les rapports entre les producteurs et les distributeurs dont le rapport Delmas-Marsalet constituera une importante explicitation avant maintenant la suppression des rétrocessions pour les services d’investissement indépendants. Voy. A.-C. Rouaud, « L’intégrité morale du banquier à l’égard de son client », RDBF n° 3, mai 2014, dossier 17. Suite à la crise financière de 2008, la supervision européenne des services financiers s’organisera dans le cadre du système européen de supervision financière qui regroupe l’ABE (Autorité Bancaire Européenne), l’AEMF (Autorité Européenne des Marchés Financiers) et l’AEAPP (Autorité Européenne des Pensions Professionnelles). Elle a été complétée par l’instauration de la mission de supervision unique confiée à la Banque centrale européenne. Le modèle de la banque universelle représente une des composantes essentielles des banques dans le paysage francophone. Voy. T. Beck, S. Munzele Maimbo, I. Faye, T. Triki, Financing Africa Through the Crisis and Beyond, The International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank, 2011. L’ESMA a rendu dans ce cadre le 22 décembre 2015 un guide spécifique (guidelines on cross-selling practices). Les produits bancaires ont reçu également un cadre de gouvernance élaboré par l’ABE (Autorité Bancaire Européenne). Il s’appliquera pour la supervision et la gouvernance, par les producteurs et distributeurs, des produits bancaires de détail. Ces règles s’appliqueront à partir du 3 janvier 2017. Règlement (UE) n° 1286/2014 du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance.
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sieurs produits ou services, identifiables séparément, pour les vendre à des clients de manière indistincte, sous la forme d’un « package ». L’essor des marchés bancaires et boursiers de l’espace de l’OHADA tendra à rapprocher les deux univers tout en y intégrant le secteur de l’assurance, ce à quoi l’OHADA n’est pas totalement préparé. S’agissant des institutions. Différente de l’autorégulation dont l’initiative reposait en grande partie sur les acteurs économiques, l’interrégulation ou la corégulation sont des concepts qui traduisent une tendance institutionnelle de plus en plus présente, pouvant inspirer les régulateurs africains. Réalité ancienne mais dorénavant conceptualisée et mise en œuvre par les régulateurs européens, l’interrégulation croissante se traduit par le rapprochement des compétences des autorités de régulation ou leur collaboration plus étroite. Elle répond à la nécessité de prévenir les zones d’incertitude réglementaire dans le système économique. Cette interrégulation se fait autant au niveau national qu’au niveau international (50). Au niveau européen, le processus Lamfalusssy complété par les orientations du rapport de Larosiere a marqué une nouvelle évolution. Ce type d’organisation réglementaire permettrait aux autorités de régulations bancaires et financières de l’espace de l’OHADA, en systématisant une supervision commune aux deux zones économiques, d’accroître la protection de l’épargne et son essor. S’agissant des marchés. L’influence grandissante du droit international et de ses standards marquent une nouvelle étape. Le contexte réglementaire global s’est accéléré depuis la crise financière de 2008 et œuvre pour un renforcement des dispositions pénales et judiciaires applicables aux opérations de marché. L’initiative des autorités britanniques dans le cadre du Fair and effective market review (FEMR) (51) est en effet complétée par des réflexions directes de l’OICV dans 50. J. Lasserre-Capdeville, « L’interrégulation bancaire et financière ou les relations privilégiées entre l’AMF et l’ACPR à travers le pole commun “assurance-Banque- épargne” », in L’interrégulation (G. Eckert et J.-Ph. Kovar (dir.)), L’Harmattan, Logiques Juridiques, 2015. Voy. aussi Th. Bonneau, « La corégulation : le processus Lamfalussy et une généralisation de celui-ci ? », in Autonomie en droit européen : stratégie des citoyens, des entreprises et des États, (C. Kessedjian (dir.)), Éditions Panthéon-Assas, 2013, p. 105. 51. Le 27 octobre 2014, la Grande-Bretagne a lancé une consultation publique dans le cadre de l’initiative annoncée en juin 2014 par le Chancelier de l’Echiquier, baptisée Fair and Effective Markets Review (FEMR). Le rapport final publié au début de l’été contient vingt- et-une recommandations pour aider à restaurer la confiance dans les marchés. Le rapport définit des principes d’équité et d’efficacité « fairness and effectiveness » notamment pour le marché des FICC (produits de taux, devise et matières premières) et propose des pistes nouvelles pour renforcer ces principes de « fairness and effectiveness », à travers une grille d’analyse comprenant d’une part des questions structurelles (structure de marché, concurrence et discipline de marché, indices)
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le cadre d’un rapport intitulé « Credible Deterrence in the enforcement of Securities regulation ». Publié en juin 2015, l’objectif de ce rapport est de proposer des solutions permettant de dissuader les manœuvres portant atteinte à la protection de l’épargne et au bon fonctionnement des marchés. Le positionnement des autorités britanniques est d’autant plus déterminant qu’elles étaient considérées jusqu’alors et en particulier en comparaison avec les autorités françaises et américaines, comme celles ayant la vision la plus pragmatique. Il semble donc que nous assistions à un véritable tournant dans la politique pénale et répressive des abus de marché d’abord en Europe et probablement au niveau international. La conception par les régulateurs bancaires et boursiers de l’espace de l’OHADA d’un environnement éthique, n’interroge pas moins sa durabilité.
II. Une éthique durable L’analyse révèlera que les normes produites par les régulateurs de l’espace de l’OHADA sont progressivement en train de devenir insuffisantes pour traiter de l’ensemble des problématiques (52). Alors que l’éthique est de plus en plus présente, certaines situations à risque (A) suggèrent des réflexions financières et juridiques supplémentaires (B).
A. La prise en compte partielle de certaines situations à risque Le droit de l’espace de l’OHADA mesure les risques qui pèsent sur ses marchés. Cette vulnérabilité, perçue comme un risque en tant que tel, réduit l’intérêt du marché pour les investisseurs et paraît théoriquement plus marquée que dans des économies plus avancées. La recherche confirme l’importance de la vulnérabilité structurelle des pays à faible revenu dans la mesure où « la vulnérabilité est significativement plus élevée que celle des autres pays en développement. La vulnérabilité structurelle affaiblit la politique. Elle réduit la croissance. Elle défavorise particulièrement les pauvres » (53). Deux visions s’articulent ici, celle de la nécessité d’un capitaet d’autre part des questions de conduite (pratiques de marché, organisation, surveillance et sanction). 52. A. Sen, « Ethique et Finance », Rev. d’économie financière, n° 49, 1998. Voy. aussi, Ethique et entreprise, colloque franco-québécois co-organisé par le centre de recherches en éthique économique et des affaires et déontologie professionnelle et l’Institut de recherche sur l’éthique et la régulation sociale, Librairie de l’Université d’Aix en Provence, 2001 ; J.-F. Mattei, La mondialisation de l’éthique ; J. Garello, L’éthique de la mondialisation. 53. F. Bourguignon, « Stabilité, sécurité et développement : une introduction », Revue d’économie du développement, 4/2006. 122
lisme (54) qui de fait est le modèle économique dominant y compris pour les pays en développement ayant un système boursier et bancaire, mais en même temps la nécessité de le réguler pour prévenir des crises (55), ce à quoi le droit OHADA pourrait mieux contribuer. La conception d’une obligation d’information individuelle et collective est insuffisante et met en lumière les enjeux de la régulation et de l’éthique. La théorie économique tout en érigeant au rang de prix Nobel l’efficience du marché (56) en connaît les insuffisances car l’idée selon laquelle un marché est efficient lorsque le prix des titres financiers y reflète à tout moment toute l’information pertinente disponible ne dissipe pas les anomalies pouvant altérer la qualité de l’information et en particulier les asymétries. Les atteintes au système financier construit sont d’autant plus plausibles que les marchés peuvent édulcorer les fondamentaux du droit des sociétés. De même, la dilution de l’intuitu personae, le renforcement de la théorie « contractualiste » accroîssent les risques de conflits d’intérêts (57). De manière un peu caricaturale, les choses pourraient prendre corps en affaiblissant l’intérêt social, en favorisant la pure spéculation (58) et en donnant libre cours aux situations de conflits d’intérêts. L’exemple du droit anglo-saxon, montre que « des deux branches traditionnelles du droit commun, la common law et l’equity, la première était manifestement trop rigide pour résoudre les conflits d’intérêts engendrés par l’accès à des informations confidentielles. C’est ainsi que, reprenant et adaptant la jurisprudence anglaise, les tribunaux américains ont donc recours aux principes d’equity pour sanctionner les agissements malhonnêtes
54. Il est à souligner le net retournement de tendance puisque qu’une partie des États de l’espace OHADA avait adopté un modèle marxiste. En outre, les traces du capitalisme en Afrique sont plus anciennes. Voy. F. Cooper, L’Afrique dans le monde, Capitalisme, empire, État-nation, trad. C. Jeanmougin, Bibliothèque historique Payot, 2015. Sur la contribution de l’Afrique à l’essor du capitalisme, voy. T. Piketty, Le capital au 21e siècle, Éditions du Seuil, 2013. 55. Voy. R. Boyer, Théorie de la régulation, 1. Les fondamentaux, La découverte, 2004. La prise en compte par des études d’ensemble de cette question dans les pays en développement fait défaut. Voy. N. El Aoufi, « Théorie de la régulation : la perspective oubliée du développement », Revue de la régulation [En ligne], n° 6, 2009. 56. L’expression « efficience du marché financier » a été attribuée à Eugène Fama dans un article publié en 1970 intitulé « Efficient Capital Markets : a Review of Theorical and Empirical Works ». Fama fait remonter ce qu’il appelle la « théorie », ou « l’hypothèse », « des marchés financiers efficients » à Louis Bachelier (1900). 57. Voy. S. Rousseau et I. Tchotourian, « L’intérêt social en droit des sociétés, regard canadien », Rev. Sociétés, 2009, p. 735 ; P. Didier, « La théorie contractualiste de la société », Rev. Sociétés, 2000, p. 95. 58. A.-D. Merville, La spéculation en droit privé, Thèse, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Y. Guyon (dir.), 2001.
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ou simplement déloyaux des personnes abusant de leur position fiduciaire » (59). Mieux prendre en compte les situations à risque (2) suppose de mieux cerner leur domaine (1).
1. La prise en compte notionnelle des situations à risque La prise en compte fragmentaire des causes d’abus résultant des aléas moraux. Les définitions doctrinales des conflits d’intérêts, pas plus que les définitions légales d’ailleurs, ne font légion (60) dans l’espace de l’OHADA. Elles déterminent de nombreuses obligations déontologiques et comportementales des acteurs même si Demogue, notait au début du 20e siècle que « malgré son importance, la question des conflits d’intérêts, n’a pas été envisagée de façon générale par les lois positives, qui semblent n’en avoir aperçu que des fragments, ce qui a eu pour conséquence de produire une législation à la fois touffue et incomplète ». En contraste avec la vivacité (61) du droit français, le groupe nominal « conflits d’intérêt » n’apparaît qu’exceptionnellement dans l’AUSCGIE (62). Dans les actes uniformes, la formule est rarement mentionnée même si quelques hypothèses de conflit d’intérêts ont été identifiées dans la mise en œuvre de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage (63). L’expression « conflits d’intérêts » est présente dans une vingtaine de codes en France, sans exhaustivité. Les apparitions les plus nombreuses et les plus caractéristiques de la réaction des pouvoirs publics tendant à les condamner se présentent dans le Code des marchés financiers et dans le Code de la santé publique. On lui préfère parfois la formule d’opposition d’intérêts (64). C’est dire combien le domaine des conflits d’intérêts est extensible (65). Les économistes traitent la question sous 59. A. Georges, L’utilisation en bourse d’informations privilégiées dans le droit des États-Unis, Recherches Panthéon- Sorbonne, Université de Paris 1, Série : sciences juridiques droit comparé, Economica, 1976, p. 11. 60. J. Pradel, Droit pénal comparé, Dalloz, 3e éd., 2008 ; « Conflits d’intérêts et matière pénale », in Les conflits d’intérêts : fonction et maîtrise, Colloque du 18 octobre 2012, Société de législation comparée. 61. La définition des conflits d’intérêts s’est centrée sur le droit des obligations qui s’inspire du droit du mandat. En droit civil, par exemple, on évoque souvent le rôle du tuteur dans l’intérêt de l’enfant, l’abus de confiance – et la liste peut être longue – en matière pénale, le délit de prise illégale d’intérêt peut être cité. 62. Art. 167 de l’AUSCGIE. 63. Cass. civ. 1re, 13 mars 2013, n° 12‑16.944. 64. R. Demogue, Notions fondamentales du droit privé, Essai critique, éd. Arthur Rousseau, Paris, 1911, pp. 302 et 303. 65. En doctrine, outre la contribution du professeur Schmidt, la thèse de Madame Ogier est à noter. Cette contribution est utile en ce qu’elle propose déjà un des piliers de protection contre le conflit d’intérêt fondé sur l’information, celle de l’auteur privilégie le devoir d’abstention. Les marchés financiers utilisent en réalité les deux. Le professeur Schmidt a proposé un essai de systématisation des conflits d’intérêts selon lequel « Chacun est en droit de rechercher la satisfaction de 2016/1
l’angle de l’aléa moral et dans les pays de common law, la jurisprudence a consacré sur le fondement de l’equity des devoirs fiduciaires de loyauté et de diligence pesant sur le trustee. À partir du premier, a été dégagée la règle dite du « no conflict » qui s’applique à ceux qui sont chargés d’agir pour le compte d’autrui. On peut donc regretter que ces questions soient parfois insuffisamment prises en compte par le droit bancaire et le droit financier du droit OHADA.
2. La prise en compte factuelle des situations à risque Les sources potentielles des atteintes à l’intégrité des opérations bancaires et financières. Quel que soit le niveau de maturité des marchés bancaires et financiers, relativement jeunes pour ceux de l’espace de l’OHADA, plus éprouvés dans le système français, les situations à risque dépeintes par la jurisprudence et la doctrine comparatistes mettent en exergue des risques d’atteintes aux intérêts des émetteurs et des investisseurs (66), dans le cadre des activités de banques, de bourses et des produits financiers. Dans le cadre des activités de banque et de bourse. La structure commerciale des trois bourses de l’espace de l’OHADA (BRVM, BVMAC et la bourse de Douala) qui sont des entreprises de marché peut les exposer à des aléas moraux. Si ce point est perçu par le droit français qui développe des techniques de maîtrise des aléas, le droit OHADA semble pour le moment moins armé sur cette question. La précision des fonctions d’organisation et d’exploitation des entreprises de marché a permis en France aux gérants de bourse de tenir compte de la nature contractuelle de leur relation avec certains intervenants (67) et de diversifier leur source de rendeson intérêt personnel. Parfois, une personne a le devoir de soigner un intérêt autre que le sien ; lors de l’exercice de ce devoir, l’intérêt personnel et l’intérêt à soigner peuvent entrer en opposition ; du fait de cette opposition, ces deux intérêts sont en conflit. En l’absence d’une définition posée par la loi ou admise en jurisprudence ou partagée par la doctrine, nous proposons de définir ainsi le conflit d’intérêts : c’est la situation dans laquelle l’intérêt d’une personne (ci-après : l’intéressé) peut aller à l’encontre d’un autre intérêt qu’elle doit soigner ». Voy. C. Ogier, Le conflit d’intérêt, thèse, M-C. Rivier et J. Moret-Bailly (dir.), Saint-Etienne, 2008 ; D. Schmidt, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, Éditions Joly, 2e éd., 2004 ; « Essai de systématisation des conflits d’intérêts », D., 2013, n° 7. 66. Notamment, Sarbanes-Oxley Act (2002) et Dodd-Frank Act (2010). Aujourd’hui, le problème continue de mobiliser les régulateurs dans le cadre de la réforme structurelle bancaire en Europe et aux États-Unis du fait de la règle Volcker. On se souviendra d’ailleurs qu’au lendemain de la crise de 1929, ce sujet avait conduit les autorités américaines, par le Glass Steagall Act, à interdire aux banques d’avoir à la fois une activité de crédit et des activités de conseil ou de placement de titres. Cette situation n’a jamais cessé d’être vraiment l’objet d’attention en dépit du Gramm- Leach-Bliley Act qui a mis un terme à l’interdiction. 67. C. mon. fin., art. L. 421‑18.
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II.B. Régulation comparée
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II. Régulation bancaire
ment financier. Cette situation prend en compte le fait que ces entreprises sont de véritables sociétés commerciales qui peuvent avoir le statut de société anonyme cotée, elle-même, sur les marchés qu’elles gèrent (68). De même, sur le terrain jurisprudentiel et bancaire, à l’occasion du jugement du 12 janvier 2004 rendu par le tribunal de commerce de Paris (LVMH c. Morgan- Stanley) (69), la doctrine observa que pour une banque d’affaires, on situe au moins deux grandes zones de conflits potentiels : « tout d’abord, la banque d’affaires peut être à la fois prêteur de la société et actionnaire. Elle peut même d’ailleurs être beaucoup plus que cela : prêteuse, conseillère, actionnaire et administrateur. Dans un deuxième cas de figure, la banque d’affaires exploite une pluralité de départements. Ainsi, cette banque exercera une activité de prise ferme et de placement d’instruments financiers, aura par ailleurs une activité de conseil en fusion-acquisition, animera enfin un département d’analyses financières » (70). Ces situations pourraient inciter à approfondir le domaine de la régulation de l’OHADA. Dans le cadre de la conception et de la gestion des produits financiers. La création des marchés financiers africains s’accompagne dans l’espace de l’OHADA, comme dans les pays plus développés de l’apparition graduelle (71) de nouveaux prestataires de services que
68. P. Barban, Les entreprises de marché : contribution à l’étude d’un modèle d’infrastructure de marché, Thèse, Université, Paris 2, 2014. 69. Confirmé par CA Paris (15e ch., section B), 30 juin 2006 ; B. Le Bars, Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 1453. 70. A. Couret, « La prise en compte des conflits d’intérêts dans le droit financier communautaire », Compte rendu de conférence donnée à la Faculté de droit de l’Université de Montréal le 14 octobre 2009 ; « Banques d’affaires, analystes financiers et conflits d’intérêts », D., 2004, p. 335. Voy. aussi, J.-J. Daigre, « LVMH c/ Sté Morgan, Stanley, le sens d’une histoire », JCP G, 2004, n° 78, p. 219 ; S. Rousseau, « L’encadrement des conflits d’intérêts dans le droit nord-américain des sociétés : le rôle des règles et des normes de conduite », RTD com., 2013, p. 611 ; Bulletin Joly Bourse, n° spécial « Les conflits d’intérêts dans les opérations de marchés », novembre- décembre 2008 ; Journal des sociétés, « Dossier conflits d’intérêts en droit financier », n° 62, février 2009. 71. De même, l’évolution du rôle des commissaires aux comptes dans l’espace OHADA est une parfaite illustration de cette dynamique d’apparition et du renforcement de nouveaux acteurs. Pour mémoire, en droit français, avant 1966, ces professionnels ont pu être qualifiés de « confortable sinécure ou de devoir d’ami », voire « d’homme de paille ou de potiche ». De plus, la loi de 1966 a reconnu le caractère quérable ou portable des états financiers qui sera repris par le droit OHADA progressivement, y compris, pour consacrer la forme électronique des échanges dans l’AUSCGIE en 2014. Voy. I. Urbain-Parleani, « L’objectif d’information dans loi du 24 juillet 1966 », Rev. Sociétés, 1996, p. 447 ; L.-D. Muka Tshibende, L’information des actionnaires, source d’un contre-pouvoir dans les sociétés anonymes de droit français et du périmètre OHADA, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2009. 124
seront les agences de notation (72). Elles auront pour objet d’émettre des avis sur la qualité de crédit de l’émetteur. Si l’apparition des agences de notation semble remonter aux années 1980 dans le paysage financier français, il a existé pendant longtemps un décalage entre la pratique et la réglementation puisqu’il a fallu attendre les affaires Enron et Parmalat pour que les États européens et la France ne s’y intéressent juridiquement. Mais comme le disent les professeurs Drummond et Bonneau, ce fut « très léger » (73). C’est dire, la lenteur de la prise de conscience (74) du fait que les notations peuvent avoir des effets perturbateurs lors de l’accès au marché et sur la vie des produits financiers. Mais elles peuvent aussi contribuer au succès de l’opération. Par exemple, elles peuvent rassurer à un tel point sur la qualité de l’émetteur ou du produit qu’elles en faciliteront la commercialisation. En pratique, la notation fait donc l’objet d’un contrat selon un modèle dit « émetteur-payeur » (75). D’où, un risque plus intense d’aléas moraux en cas d’influence du partenaire contractuel sur l’opinion de l’agence de notation, que ne prennent pas totalement en compte l’ensemble des régulateurs de l’espace de l’OHADA. Dans le cadre de l’analyse financière. L’essor de cette dernière activité, encore principalement centralisée dans les établissements bancaires de l’espace de l’OHADA, 72. La couverture subsaharienne des marchés bancaires et financiers par les trois principales agences mondiales, FITCH, STANDARD AND POOR, MOODY’S est inégale. Elle s’accompagnera, comme dans les pays plus développés, de l’apparition d’autres agences de notation à dimension locale. Elles n’ont pas l’emprise de leurs homologues internationaux. Voy. Banque Africaine de développement, « Guide des marchés obligataires africains », Mai 2010. 73. Th. Bonneau et F. Drummond, Droit des marchés financiers, Economica, 3e éd., 2010, p. 339. 74. Mais depuis, le droit européen, est allé plus loin en faisant adopter plusieurs règlements et au niveau international, on s’est engagé dans une démarche ferme visant à atténuer le rôle des notations y compris lors des émissions et donc des introductions en bourse. Surtout, en raison, lors de la crise financière de 2008, de l’effet pro-cyclique qu’elles ont pu avoir en particulier dans la notation et la structuration des opérations de titrisation. En France, la notation est devenue un service d’investissement connexe. Au titre de l’article L321‑2 du Code monétaire et financier, il est retenu que les services connexes aux services d’investissement comprennent huitièmement « Le service de notation de crédit mentionné aux a et o du 1 de l’article 3 du règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, sur les agences de notation de crédit ». Au niveau européen, elles sont soumises à un ensemble de règles dont les caractéristiques essentielles sont de prévoir un enregistrement notamment auprès de l’Autorité européenne des marchés financiers, une organisation spécifique permettant de garantir leur indépendance et de prévenir les conflits d’intérêts. Voy. aussi B. François, « Les agences de notation en France », le agenzie di rating, Atti del convegno, Salerno, 8‑9 novembre 2012, 2014, p. 19. 75. N. Gaillard, Les agences de notation, La découverte, 2010.
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est en lien avec le renforcement du droit des sociétés et du droit comptable des sociétés cotées en bourse (76). En matière d’analyse financière, il faudra ainsi davantage distinguer le sell-side produisant de l’analyse pour les fabricants de produits financiers, du buy-side destiné principalement aux investisseurs achetant ces produits. Après avoir observé que l’indépendance dans l’analyse financière est un état d’esprit, en permanence confronté à de multiples sources de conflits d’intérêts avec les sociétés cotées ou avec les activités de banque d’investissement, il a été retenu que « l’analyste au service d’une banque multi- capacitaire peut être en conflit d’intérêts avec l’activité de banque d’investissement, et plus généralement avec tous les départements de sa banque en relation avec les sociétés cotées. Ce cas se présente notamment lorsque le département marché primaire de la même institution monte une opération financière telle qu’une introduction en bourse ou une augmentation de capital » (77). Cette indépendance relative de l’analyste devrait, en conséquence, être mieux encadrée et protégée par le droit OHADA dès lors qu’elle contribue à la compréhension des produits et des émetteurs et peut servir de support aux décisions d’investissement. Leur encadrement nécessitera d’ailleurs en droit français, une autorégulation dont le code de déontologie élaboré par l’association (78) représentative des analystes financiers (79) sera la caisse de résonance mais aussi des règles impératives organisées aux articles L544‑1 et suivants du Code monétaire et financier. Les facteurs de risque incitent à approfondir la réflexion éthique.
B. Des réflexions éthiques complémentaires Afin de renforcer la contribution du droit OHADA à l’attractivité bancaire et boursière de ces zones économiques, des réponses financières (1) et juridiques (2) complémentaires peuvent être envisagées.
1. Les réponses financières complémentaires Le devenir des agences de notation et des analystes financiers dans l’espace de l’OHADA. Dans la zone de la CEMAC et dans l’espace camerou76. J.-P. Zimmermann, « Les analystes financiers », Rev. Sociétés, 2003, p. 741 ; Ph. Bissara, « Analystes financiers et agences de notation », Bull. Joly Bourse, janvier 2004, p. 11. 77. AMF, Rapport du groupe de travail présidé par M. J. de Demandolx Dedons, « Pour un nouvel essor de l’analyse financière indépendante sur le marché français », 13 juillet 2005. 78. La SFAF (Société Française des Analystes Financiers) élaborera ce code en 2002. 79. F. Peltier, « Les conflits d’intérêts des prestataires de services d’investissement », Bull. Joly Bourse, décembre 2012, p. 584. 2016/1
nais, la question des agences de notation est, pour le moment, moins bien prise en compte que dans la zone UEMOA. L’analyse des rapports des régulateurs de la zone montre que ce sujet est pourtant dans tous les esprits. On déplore textuellement qu’une certaine catégorie de professionnels manque sur ce marché financier au rang desquels l’absence des teneurs de marché auxquels s’ajoute le faible développement des professions d’analyse de l’information financière. De plus, au niveau local, aucune agence de notation internationale de renom ne serait véritablement active. Dans la zone du CREPMF, la question des agences de notation est prise en compte de jure. Elle s’est traduite par l’adoption en 2009 de l’Instruction n° 37 relative aux conditions d’exercice de l’activité de notation financière sur le Marché Financier Régional de l’UMOA. Initialement prévue pour fin décembre 2012, l’obligation faite aux sociétés cotées de se faire noter par une agence de notation agréée par le Conseil Régional avait été repoussée au 31 décembre 2013. Prospectivement, le marché régional ouest africain a ainsi envisagé de renforcer la réglementation relative aux agences de notation dans son plan stratégique pour 2014‑2021 (80). Favoriser l’analyse indépendante ? Paradoxalement, l’offre d’analyse financière dans l’espace de l’OHADA peut paraître très insuffisante lors de la réalisation d’opérations financières, telles que les introductions en bourse ou les augmentations de capital. À ce titre, il faut d’ailleurs noter que le système français a bâti un régime visant à permettre l’éclosion d’une analyse financière indépendante (81). En outre, afin de préserver « l’indépendance des analystes », l’Autorité française des marchés financiers a rendu la position n° 2013‑25 qui offre des pistes de renforcement aux régulateurs de l’espace de l’OHADA. Elle met nettement en exergue la nécessité d’encadrer « les situations délicates où l’analyste appartient à un établissement impliqué dans d’autres activités avec des émetteurs, notamment lorsque l’établissement réalise des introductions en bourse ou d’autres opérations de marché primaire ». Pour cela, le régulateur français a imposé des règles d’organisation aux analystes mais a également rappeler aux émetteurs leurs obligations. Les solutions retenues sous forme de position et 80. Plan stratégique 2014‑2021 du CREPMF, partie « I.1.5. » à propos des « autres acteurs : organismes de garantie et agences de notation ». 81. Ce régime sera plus tard influencé par le droit européen et la directive « Abus de marché » en 2003, actualisée en 2014 par une nouvelle directive et un règlement. Il modifiera le régime français complété d’ailleurs par la directive MIF dont la transposition en 2007 a modifié la définition de l’analyse financière faisant coexister deux régimes à l’article L544‑1 du COMOFI. L’un appliqué à l’ensemble des recommandations d’investissement (y compris l’analyse financière) et d’autre part un régime spécifique aux analyses financières. Ces dispositions permettent de distinguer les analyses financières de la recommandation d’investissement à caractère général entendue comme « communication à caractère promotionnel ».
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II.B. Régulation comparée
Chroniques
II. Régulation bancaire
de recommandation sont susceptibles d’intéresser les acteurs de l’espace de l’OHADA. La mise en place de procédures et de contrôles permettant d’assurer l’indépendance de la recherche est aussi importante que la séparation physique des activités d’analyse, de ventes et de trading. Les régulateurs français et européens continuent de prêter attention à ces questions (82). L’OHADA pourrait poursuivre cet effort, gage d’adéquation de sa réglementation avec l’évolution des marchés. Le sujet de l’approfondissement de la réglementation de l’analyse financière comme celle de la notation, dans une perspective de limitation des situations à risque, est latent. Ces questions sont revenues dans le cadre de la révision de la directive MIF. Les récentes propositions de l’AEMF sur ce sujet sont très restrictives et seraient paradoxalement de nature à fragiliser l’analyse indépendante tout en prévoyant plus de transparence en matière de rétrocessions. Les régulateurs estiment que l’équation est délicate mais nécessaire.
droit de l’OHADA a étudié la possibilité de construire un acte uniforme contribuant à la moralisation des rapports juridiques grâce au droit des contrats sans jamais l’adopter. L’avant-projet d’acte uniforme sur le droit des contrats, conforté récemment par un projet de texte uniforme pour l’OHADA relatif au droit des obligations, s’efforçait de pallier le manque (84) en suggérant d’avoir recours à des principes tels que celui de la bonne foi (85), qui renforcerait les obligations de bonne conduite des professionnels de marché. L’OHADA donnerait donc des fondements éthiques supplémentaires à l’heure où surviendraient des problèmes d’asymétries informationnelles et d’aléa moral. Il paraîtrait dès lors judicieux que les actes uniformes tiennent davantage compte des conséquences d’une insuffisante acceptation de l’éthique bancaire et boursière même si les juridictions pourraient, déjà, s’emparer des pièces élaborées, pour garantir leur durabilité.
Ces éléments pourraient inciter à recourir davantage aux actes uniformes du droit OHADA qui sont, les seuls, à même d’harmoniser la dimension juridique des affaires dont ces acteurs sont incontestablement devenus des pièces maîtresses.
III. Conclusion
2. Les réponses juridiques complémentaires : les actes uniformes et l’enjeu éthique ? Le renforcement éthique à insuffler. Pour favoriser le développement harmonieux de ses marchés, l’OHADA pourrait approfondir juridiquement leur éthique. Le droit OHADA est devenu un des instruments par excellence de l’activité commerciale et reflète une forme concrète de capitalisme juridique africain. Cela impose avec prudence de concevoir une éthique à même d’en maîtriser les effets déstabilisants (83). Il pourrait en accord avec les États qui en sont adhérents, déterminer une approche réactive et volontariste. Le 82. Voy., AMF, « Position- r ecommandation AMF n° 2013‑25 », Guide relatif à l’analyse financière, 3 décembre 2013. 83. L’éthique et la finance sont de plus en plus liées dans d’autres domaines dits « durables ». La conférence des Nations-Unies sur le climat, COP 21, a mis en lumière des engagements financiers en faveur de l’Investissement Socialement Responsable et devrait favoriser le dynamisme de produits financiers tels que les obligations vertes. Voy. aussi D. Saïdane et P. Grandin, « La finance durable : Une nouvelle finance pour le xxe siècle ? », Rev. Banque, 2011. De même, elle assure une représentativité des différentes composantes de la société : voy. B. François, « Femmes administratrices », Rev. Sociétés, 2014, p. 466. Enfin, elle encadre la rémunération des mandataires sociaux : voy. B. François, « Recommandation AMF n° 2013‑15 -Rapport 2013 de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants », Rev. Sociétés, 2014, p. 65.
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Nous pouvons soutenir, au terme de cette étude, qu’on attend instamment des banques et des marchés dans les États africains de l’espace de l’OHADA des vertus éthiques dont elles semblent de plus en plus disposées à témoigner. Les lignes de l’œuvre éthique révèlent donc des axes normatifs qui gagneraient nolentes volentes à être approfondis pour être durables. L’approfondissement résultera certes de leur appropriation par l’ensemble des acteurs du marché mais aussi – c’est là que le droit OHADA sera prochainement attendu – de sa capacité à permettre le cas échéant, la sanction des atteintes au cadre éthique. Évoquons ici simplement en guise de conclusion, les mots de Madame le professeur Mireille Delmas-Marty qui en repérant, au début des années 2000, déjà la voie d’une éthique à construire, soulignait que le droit pénal mondial en gestation, exprime une éthique ambiguë et d’application variable (86). 84. La prise en compte du droit des sociétés fait défaut ce que les auteurs déplorent. Voy. M. Fontaine, Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats, note explicative à l’avant-projet, Unidroit, mai 2006 ; « Le droit OHADA, bilans et perspectives », Actes de colloques, Petites Affiches, n° 192, 25 septembre 2015. 85. On distingue pourtant assez nettement en droit une bonne foi dite objective et une bonne foi subjective dont rend compte la formule agir de bonne foi qui se rapporte à un comportement et la formule être de bonne foi qui renvoie à un état d’esprit. La réglementation de l’information communiquée n’a de cesse approfondi ces deux aspects. Voy. S. Tisseyre, Le rôle de la bonne foi en droit des contrats, essai d’analyse à la lumière du droit anglais et du droit européen, thèse Université d’Aix-Marseille, 2012. 86. M. Delmas-Marty, « Le droit pénal comme éthique de la mondialisation », RSC, 2004, p. 1.
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Chroniques
II.C. Régulation internationale
II.C. Régulation internationale QUE RETENIR DES SANCTIONS INFLIGÉES PAR LES AUTORITÉS AMÉRICAINES AU CRÉDIT AGRICOLE ? Juliette Morel-Maroger
Maître de conférences HDR à l’Université Paris Dauphine – PSL Research University – Centre de recherches Droit Dauphine 1. Les sanctions imposées par les autorités américaines au Crédit Agricole et qui comportent notamment le paiement d’une somme de plus de 780 millions de dollars, répartie entre les autorités fédérales et le département des services financiers de l’État de New York illustrent une fois encore l’intransigeance des autorités américaines à l’égard des groupes bancaires ayant réalisé des transactions en dollars violant les embargos décrétés par le pays (1). Pourquoi les banques françaises et européennes sont-elles aujourd’hui lourdement sanctionnées par la justice américaine ? Quels sont les comportements qui leur sont reprochés et les caractéristiques de la procédure suivie ? Répondre à ces questions suppose préalablement de revenir brièvement sur le contexte dans lequel ces décisions de sanctions s’inscrivent. 2. Les États-Unis ont depuis longtemps adopté des règles à portée extraterritoriale (2). Si l’application extraterritoriale de législations d’ordre économique est loin d’être un phénomène nouveau, ses manifestations récentes en sont particulièrement spectaculaires, spécialement en matière bancaire et financière (3). 1.
2.
3.
La Deutsche Bank a également été condamnée par la justice américaine pour les mêmes raisons au mois de novembre 2015 à une amende de 258 millions de dollars. L’application extraterritoriale du droit économique, Cahiers du CEDIN, Montchrestien 1987 ; B. Audit, « Extraterritorialité et commerce international, l’affaire du gazoduc sibérien », RCDIP, 1983 p. 401. C’est la sanction record de près de 9 milliards de dollars infligée à BNP Paribas aux termes d’une procédure de guilty plea (plaider coupable) qui a récemment mis en lumière les questions suscitées par l’extraterritorialité, voy. Y. Quintin, « Aux frontières du droit : les embargos américains et l’affaire BNP Paribas », RDBF, 2014, étude 21. En attestent les très nombreuses études récentes consacrées à ce sujet. Voy. notamment, « Droit bancaire : supranationalité et extraterritorialité », RDBF, 2015, dossiers 29 à 41, « Les enjeux de l’extraterritorialité en droit financier », RDBF, 2015, dossiers 49 à 55 ;
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Comment l’expliquer ? Elle est tout d’abord liée à l’internationalisation des entreprises elles- mêmes. Lorsqu’un groupe de sociétés et plus spécialement un groupe bancaire exerce des activités sur le territoire de nombreux États, chacun d’entre eux souhaite pouvoir exercer un contrôle global sur les activités exercées par celui-ci (4). Ensuite, les textes visant à sanctionner les comportements illicites des opérateurs économiques dans un contexte international se sont multipliés et diversifiés : répression des délits boursiers, lutte contre la corruption ou le blanchiment de capitaux, violation d’embargos décrétés par les États constituent autant d’hypothèses dans lesquelles ont été adoptées des dispositions répressives à vocation extraterritoriale. La crise financière et le contrôle plus étroit des établissements qui en résulte ont conduit à la multiplication des enquêtes et procédures de sanctions (5). Enfin, les établissements bancaires et financiers ont sans doute pris conscience trop tardivement de l’impérieuse nécessité de respecter les lois américaines en dehors même du territoire américain dès lors que les transactions réalisées en dollars transitaient par des établissements situés sur le sol américain. 3. En l’espèce, c’est le non-respect de mesures d’embargos décrétés par les États-Unis qui fondait la procédure engagée à l’encontre du Crédit Agricole. C’est d’ailleurs pour des violations du même type que d’autres établissements bancaires européens et notamment BNP Paribas ont été condamnés à des amendes particulièrement lourdes. Cela s’explique très naturellement par le fait qu’ayant pour activité habituelle de transférer des fonds, elles sont particulièrement exposées au non-respect de ces mesures (6). Les textes régissant N. Maziau, « L’extraterritorialité du droit entre souveraineté et mondialisation des droits », JCP E, 2015, 1343. 4. H. Synvet, « Les enjeux de l’extraterritorialité en droit financier : introduction », RDBF, décembre 2015, dossier 49. 5. Une étude réalisée par le Crédit suisse en 2014 évaluait le coût des amendes ou sanctions à raison du non-respect des règles imposées par les États pour les banques à plus de 100 milliards de dollars, sachant que cette étude, parue avant l’accord signé entre la justice américaine et BNP Paribas n’évaluait le montant de l’amende à laquelle la banque allait être condamnée qu’à 3,5 milliards de dollars alors qu’elle a en réalité versé près de 9 milliards. 6. G. Affaki, « L’extraterritorialité en droit bancaire », RDBF, 2015, dossier 50.
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Chroniques
II. Régulation bancaire
ces embargos mis en œuvre par l’OFAC sont pourtant loin d’être nouveaux. En effet, ils résultent de deux lois, le « Trading with Enemy act », qui date de 1917 et l’IEEPA (International Emergency Economic Powers act) adopté en 1977 qui permettent au Président des États-Unis d’adopter des sanctions économiques en cas de guerre ou de crise nationale. La liste des pays et des entités visées par ces sanctions tout comme l’ampleur de ces dernières varient ainsi dans le temps. Si, en 1917, ce dispositif avait pour objectif de saisir les avoirs de l’Allemagne, ce sont dans la présente affaire des transactions avec le Soudan, l’Iran, la Birmanie et Cuba qui étaient en cause. 4. Comment expliquer compte tenu de l’ancienneté de ces textes que de nombreux établissements soient aujourd’hui condamnés pour violation de ces embargos ? Les faits reprochés en l’espèce au Crédit Agricole permettent de mieux le comprendre. En effet, la banque est poursuivie pour avoir violé les embargos américains par l’intermédiaire de bureaux ou filiales situés en dehors du territoire américain, principalement par l’intermédiaire de ses établissements situés en Suisse mais aussi en France, au Royaume-Uni, à Singapour, Hong Kong, Dubai et Bahrein. Ces derniers ont procédé entre 2003 et 2008 à des milliers de paiements en dollars avec des entités situées au Soudan, en Iran, en Birmanie et à Cuba soumis à des mesures d’embargos aux États-Unis. La banque avait-elle conscience de violer les règles américaines ? Les dirigeants de la banque interrogés dans le cadre de la présente procédure ont fait valoir qu’ils pensaient que seul un établissement situé sur le sol américain devait respecter ces mesures. Toutes les procédures récentes de sanctions engagées par l’OFAC à l’égard de grands groupes bancaires montrent d’ailleurs que les opérations incriminées sont pour l’essentiel le fait d’établissements agissant hors du territoire américain. En l’espèce, l’enquête ayant conduit aux deferred prosecution agreement signés par le Crédit Agricole révèle que les ordres de paiements violant ces embargos étaient principalement le fait de la filiale suisse de la Banque. Mais ces ordres de paiements en dollars, réalisés par l’intermédiaire du système Swift, omettaient de mentionner l’origine des bénéficiaires de ces transactions ou cachaient à la banque qui effectuait la compensation en dollars aux États-Unis l’identité du véritable bénéficiaire lorsque celui-ci figurait sur la liste des personnes soumises à embargo. Ces pratiques laissaient ainsi penser que les responsables de la banque agissant hors du territoire américain avaient bien conscience de la contrariété de ces transactions aux dispositions américaines. 5. Le sort des établissements à l’égard desquels des violations des lois américaines sont constatées varie toutefois considérablement selon la gravité des faits mais surtout selon le comportement des auteurs et leur degré de coopération avec les autorités américaines. C’est pourquoi, alors que les faits reprochés au Crédit Agricole étaient assez similaires à ceux qui avaient été commis par BNP Paribas, les deux établissements n’ont 128
pas subi le même sort. En effet, parmi les accords transactionnels représentant des alternatives aux poursuites et condamnations pénales aux États-Unis, il convient de distinguer les accords emportant reconnaissance de culpabilité, comme le guilty plea signé par BNP Paribas en 2014 qui, outre le prononcé d’une amende particulièrement lourde, s’est aussi accompagnée de restrictions de ses activités sur le sol américain, des procédures engagées à l’égard du Crédit Agricole. Ce dernier a en réalité signé trois « accords » distincts (7) avec les autorités américaines pour mettre fin aux poursuites engagées par les autorités fédérales et celles de l’État de New York prenant la forme de deferred prosecution agreement. Le premier accord (intitulé « Settlement Agreement ») est signé avec l’OFAC (Office of Foreign Assets Control), bureau du Trésor américain le 15 octobre 2015 et impose à la banque le paiement d’une amende de 329 millions de dollars. Le deuxième, signé avec la Réserve fédérale, prévoit le paiement d’une amende de 90 millions de dollars. Le troisième intitulé « Consent Order » avec le régulateur financier de l’État de New York met à la charge de la banque une amende de 385 millions de dollars. Aucun de ces accords n’emporte reconnaissance de culpabilité. En revanche, la banque accepte de reconnaître les faits, des sanctions financières et prend un certain nombre d’engagements afin de prévenir toute réitération des faits en échange d’un abandon des poursuites (8). 6. Les accords se présentent en deux parties. Dans un premier temps, ils recensent minutieusement les faits ayant conduit aux poursuites et reconnus par l’établissement poursuivi. Sont ainsi présentées toutes les transactions réalisées en violation des lois américaines par des entités du Crédit Agricole. Ils prennent aussi soin d’attester à travers l’analyse des documents établis par les différents services de conformité de la banque que le personnel des établissements concernés avait connaissance des interdictions édictées par les lois américaines et de leur application aux transactions transitant par des établissements situés sur le sol américain. Les violations les plus importantes reprochées à la banque et plus spécialement à son établissement suisse concernent des transactions effectuées avec le Soudan. S’agissant de la violation des embargos à l’égard de Cuba, de la 7.
8.
Si la question dépasse très largement le cadre du présent commentaire, on pourrait s’interroger sur ces multiples poursuites et sanctions pour des faits identiques au regard du principe non bis in idem. Pour une analyse de l’ensemble des procédures transactionnelles américaines, A. Garapon et P. Servan Schreiber, Deals de justice, Le marché américain de l’obéissance mondialisée, PUF, 2013. Sur le deffered prosecution agreement, A. Mignon Colombet et F. Buthiau, « Le deferred prosecution agreement américain, une forme inédite de justice négociée. Punir, surveiller, prévenir ? », JCP G, 2013, 359 ; L. Cohen- Tanugi et E. Breen, « Le Deffered prosecution agreement américain. Un instrument de lutte efficace contre la délinquance économique internationale », JCP G, 2013, 954.
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Birmanie ou de l’Iran, les accords relèvent que cellesci ne semblent pas provenir d’une politique délibérée de la banque, mais plutôt qu’elles sont le fruit d’une interprétation erronée des mesures américaines et d’un contrôle insuffisant des opérations par les services centraux de l’établissement. Le Settlement Agreement signé avec l’OFAC décrit les actions engagées par la banque pour remédier à ces pratiques : augmentation du personnel chargé de la compliance, révision des procédures destinées à identifier les clients à risque, programmes de formation du personnel. Il est encore précisé que la banque a pleinement coopéré avec l’OFAC en réalisant des investigations approfondies dans l’ensemble des établissements du groupe durant les cinq années d’enquête, justifiant le montant somme toute limité de la sanction financière comparée à celle infligée à d’autres établissements du secteur bancaire pour des violations de même nature. Le degré de coopération de l’entreprise poursuivie et sa collaboration active avec les autorités américaines jouent un rôle fondamental pour déterminer la sévérité des sanctions « proposées » à l’entreprise contrevenante. 7. La seconde partie des accords détaille les engagements pris par la banque à l’égard de l’OFAC et du régulateur financier de l’État de New York et les moyens mis en œuvre pour assurer à l’avenir le respect des lois américaines. De ce point de vue, d’importantes différences apparaissent entre les accords conclus avec les autorités fédérales et les autorités new-yorkaises. À l’égard de l’OFAC et de la Réserve fédérale, la banque s’engage essentiellement à prévenir toute violation des règles établies par l’OFAC dans toutes les entités du groupe, quelle que soit leur localisation et à mettre en place un programme de compliance permettant à l’avenir d’assurer le respect de ces exigences. L’accord conclu avec l’OFAC prévoit en outre que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), autorité française chargée de la surveillance du groupe, assistera les autorités américaines pour veiller au respect de l’accord. Une telle formule figurait aussi dans la transaction signée par BNP Paribas avec l’OFAC. Pourtant, la mise en œuvre de cette exigence pourrait s’avérer délicate et particulièrement intrusive pour les autorités françaises. En effet, il existe bien des accords de coopération et d’échanges d’information entre les autorités françaises et les régulateurs américains (9), mais cette coopération a pour objectif « d’améliorer la solidité du système financier des deux pays, participant ainsi au maintien de la stabilité financière et de la confiance dans les systèmes financiers nationaux et dans le système financier international, et à la réduction des risques de perte pour les déposants et les créanciers ». Si la liste des lois américaines qui fonde cet accord de coopération n’est pas limitative, le non-respect des textes relatifs aux embargos décrétés par les autorités américaines n’y figure pas. Un accord conclu entre 9.
Accords avec le State of New-York Banking Department du 9 juillet 2002 et accord avec les autorités fédérales du 19 mai 2004.
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les autorités fédérales et une banque française auquel l’ACPR n’est évidemment pas partie peut-il conduire à inciter cette autorité à s’assurer du respect par la banque de ses engagements, et ce afin d’assister les autorités américaines ? Il est difficile d’imaginer l’ACPR user de ses prérogatives en matière d’enquête et de contrôle pour vérifier le respect par une banque soumise à son contrôle des lois américaines, et ce afin de veiller à la bonne exécution d’une transaction conclue entre une banque et l’OFAC. L’OFAC pourrait-il se fonder sur une assistance insuffisante de l’ACPR pour remettre en cause l’accord signé ? Ces questions sont aujourd’hui sans réponse mais constituent une manifestation particulièrement marquante de l’impérialisme américain en la matière (10). 8. Le Consent Order conclu avec le régulateur new- yorkais contient d’autres obligations très contraignantes pour l’établissement. En premier lieu, la banque accepte de mettre fin au contrat des salariés identifiés lors de l’enquête comme ayant été à l’origine de la violation des lois américaines. Ces salariés doivent ainsi être licenciés, ou, s’il s’avère impossible de rompre leur contrat au regard du droit français, ceux-ci ont interdiction d’exercer toute fonction de compliance ou toute activité en lien avec des opérations réalisées aux États-Unis ou en dollars. En second lieu, la banque s’engage à nommer un consultant indépendant qui sera chargé pendant un an à compter de la conclusion de l’accord d’évaluer l’efficacité du programme et des procédures de compliance mises en œuvre par la banque. Ses missions sont très largement définies et ses pouvoirs d’investigation très importants. Ce consultant devra tout d’abord analyser toutes les défaillances ayant pu conduire aux faits reprochés et les moyens mis en œuvre pour y remédier. En outre, il sera chargé de se livrer à un véritable audit de tous les processus mis en œuvre au sein de la banque, non seulement sur le territoire américain mais aussi dans tous les pays où elle est implantée pour respecter les lois américaines. Enfin, il peut proposer des mesures destinées à remédier aux carences qu’il pourrait identifier, mesures que la banque s’engage à mettre en œuvre. 9. Les accords transactionnels acceptés par le Crédit Agricole pour mettre fin aux poursuites engagées à son égard, alors même qu’ils n’impliquent aucune reconnaissance de culpabilité, révèlent à quel point les autorités américaines exercent aujourd’hui des pouvoirs étendus sur la régulation et la surveillance d’entreprises dès lors que celles-ci ont une partie de leur activité sur le sol américain ou utilisent le dollar dans leurs transactions. Si c’est le plus souvent le montant record des amendes acceptées par les entreprises qui retient l’attention, ces accords comportent en réalité bien d’autres obligations faisant peser de lourdes contraintes sur les établissements poursuivis. Ils apparaissent ainsi comme des outils de répression particulièrement efficaces, imposant de fait aux entreprises 10. Voy. A. Garapon et P. Servan-Schreiber, Deals de justice, op. cit.
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Chroniques
II.C. Régulation internationale
Chroniques
II. Régulation bancaire
ayant une activité aux États-Unis de se conformer aux exigences réglementaires unilatérales imposées par la première puissance économique du monde, et un modèle d’organisation à toute structure économique mondialisée. La succession de sanctions imposées aux entreprises européennes et plus spécialement aux éta-
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blissements bancaires devrait ainsi inciter les autorités européennes à réfléchir à l’adoption de dispositifs de répression des comportements illicites aussi efficaces que ceux mis en œuvre par la justice américaine mais peut-être aussi à diversifier les voies retenues pour faire respecter les exigences imposées par les textes.
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III. Régulation assurantielle Chronique sous la direction de Pauline Pailler
Professeur de droit privé à l’Université de Reims
Avec la collaboration de
Adrien Tehrani
Maître de conférences à la Faculté de Droit et de Science Politique de Montpellier Centre du Droit de l’Entreprise
L’actualité en matière d’assurance est principalement marquée par l’adoption, en Europe, de la directive Distribution en assurance. Le dossier de cette revue est dans cette perspective consacré à certaines questions posées par la nouvelle réglementation ainsi qu’à des développements de droit comparé. Signalons également, dans le cadre de la régulation européenne, un arrêt de la Cour de justice consacré aux critères de détermination de l’indemnité due à l’agent en cas de cessation du contrat d’agence commerciale. En matière de régulation internationale, l’Association internationale des contrôleurs d’assurance, ainsi que l’Islamic Financial Services Board consacrent des travaux au micro-takaful.
The main story regarding insurance regulation in Europe has been the adoption of the directive on insurance distribution. As a result, this review will focus on certain issues raised by this new regulation and will also contain several comparative contributions. Still in respect of European regulation, it is also worth mentioning a decision from the Court of Justice of the European Union relating to the method of calculating the compensation of an agent in case of the termination of its agency contract. From an international standpoint, the International Association of Insurance Supervisors, together with the Islamic Financial Services Board, have recently focused on the topic of micro-takaful.
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Chroniques
III. Régulation assurantielle
III.A. Régulation européenne QUELS CRITÈRES APPLIQUER POUR LA DÉTERMINATION DE L’INDEMNITÉ DUE À L’AGENT EN CAS DE CESSATION DU CONTRAT D’AGENCE COMMERCIALE ? (1) C.J.U.E. (4e ch.), 3 Décembre 2015, n° C-338/14, Quenon K. SPRL c. Beobank, Metlife Insurance SA
Pauline Pailler
Professeur à l’Université de Reims
En cas de cessation du contrat d’agence commerciale, selon quels critères calculer l’indemnité due à l’agent en vertu de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants ? L’article 17 de ce texte pose une option pour le législateur national : soit le dédommagement de l’agent commercial consiste dans une indemnité de clientèle (art. 17, § 2), soit il repose sur la réparation du préjudice, conformément au système de la réparation du préjudice (art. 17, § 3). En matière de services bancaires et d’assurances, la législation belge qui, tout en choisissant le système prévu à l’article 17, § 2, soit l’indemnité de clientèle, autorise, dans le cas où l’indemnité ne couvrirait pas l’intégralité du préjudice subi, l’octroi de dommages et intérêts complémentaires, est-elle conforme au texte européen ?
I. Compétence La Cour de justice se prononce d’abord sur la question de sa compétence : alors que la directive traite du régime applicable aux agents commerciaux indépendants chargés de la négociation et de la vente de marchandises, la Cour pouvait-elle se prononcer au sujet du régime applicable à un agent commercial dont les activités consistaient en la prestation de services, et en particulier ici en la prestation de services bancaires et d’assurances ? Bien que ces activités ne relèvent pas du champ de la directive, la Cour de justice rappelle, 1. Cet article a déjà fait l’objet d’une publication dans l’ouvrage Jurisprudence de la C.J.U.E. 2015, Décisions et commentaires, sous la direction de Fabrice Picod, Bruxelles, Bruylant, 2015. 132
dans le cas où la législation nationale décide, lors de la transposition d’une directive, d’appliquer le droit de l’Union de manière élargie – afin d’éviter l’apparition de discriminations à l’encontre des ressortissants nationaux ou d’éventuelles distorsions de concurrence –, que les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union doivent recevoir une interprétation uniforme (2). Cette analyse a fait l’objet de plusieurs confirmations dans le domaine spécifique de la directive du 18 décembre 1986 concernant les agents commerciaux (3). La Cour souligne ainsi qu’il ne ressort « ni des termes de l’article 267 TFUE ni de l’objet de la procédure instituée par cet article que les auteurs du traité ont entendu exclure de la compétence de la Cour les renvois préjudiciels portant sur une disposition de droit de l’Union dans le cas particulier où le droit national d’un État membre renvoie au contenu de cette disposition pour déterminer les règles applicables à une situation purement interne à cet État » (4). Ainsi, « en application de cette jurisprudence, la Cour s’est (…) déclarée compétente pour statuer sur des demandes préjudicielles portant sur des dispositions communautaires dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application du droit communautaire mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit avaient été rendues applicables soit par le droit national, soit en vertu de simples dispositions contractuelles » (5). Elle avait d’ailleurs déjà eu l’occasion de se prononcer en faveur d’une compétence élargie aux activités de services des agents commerciaux dans son arrêt Unamar, pour un contrat d’agence relatif à l’exploitation d’un service de transport maritime (6). C.J.U.E. (4e ch.), Quenon K. SPRL, op. cit., point 17. Cette analyse est classique (voy., par ex., C.J.U.E., 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, points 35 à 41 ; C.J.U.E., 17 juillet 1997, Giloy, C-130/95, points 20 à 23). 3. C.J.U.E. (1re ch.), 16 mars 2006, Poseidon Chartering, C-3/04, points 15 et 16 ; C.J.U.E. (1re ch., 28 octobre 2010, Volvo Car Germany, C-203/09, points 24 et 25. 4. C.J.U.E., Poseidon Chartering, op. cit., point 15. 5. C.J.U.E., Giloy, op. cit., point 23. 6. C.J.U.E. (3e ch.), 17 octobre 2013, Unamar, C-184/12, points 30 et 31. 2.
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II. Interprétation Une fois réglée la question de sa compétence, qu’en est-il ensuite de l’appréciation, par la Cour, du mécanisme de dédommagement de l’agent commercial ? Si l’article 17 présente un caractère impératif, dès lors qu’il garantit la protection de l’agent commercial après la cessation de contrat, il est imprécis s’agissant de la méthode de calcul de l’indemnité. À cet égard, la Cour reconnaît aux États membres une marge d’appréciation quant au choix des méthodes de calcul de l’indemnité ou de la réparation à octroyer (7). L’octroi de dommages et intérêts complémentaires à l’indemnité de clientèle reste-t‑il dans les limites de la marge d’appréciation des États membres ?
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La Cour reconnaît aux
États membres une marge d’appréciation quant au choix des méthodes de calcul de l’indemnité ou de la réparation
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à octroyer.
7. C.J.U.E., Quenon K. SPRL, op. cit., point 26. Voy., déjà, C.J.U.E. (5e ch.), 9 novembre 2000, Ingmar, C-381/98, point 21 ; C.J.U.E. (1re ch.), 23 mars 2006, Honyvem Informazioni Commerciali, C-465/04, points 34 et 35 ; C.J.U.E. (1re ch.), 26 mars 2009, Semen, C-348/07, points 17 et 18.
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La Cour relève que l’article 17, § 2, c), prévoit que « l’octroi de cette indemnité ne prive pas l’agent commercial de faire valoir des dommages-intérêts », ce qui autorise l’agent commercial à se voir attribuer des dommages et intérêts complémentaires. Cette faculté se trouve en outre corroborée par la décision Unamar de la Cour de justice, selon laquelle « les États membres peuvent instituer une protection plus grande des agents commerciaux par l’extension du champ d’application de la directive ou par l’utilisation plus étendue de leur marge d’appréciation laissée par celle-ci » (8). Il appartient donc aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles l’agent commercial peut demander ces dommages et intérêts. La Cour pose toutefois une limite à la marge d’appréciation des États membres en relevant, dès lors que l’article 17 de la directive pose un principe d’option, que l’octroi des dommages et intérêts ne peut aboutir à octroyer une double réparation (9). Quant aux conditions des dommages et intérêts, la Cour devait pour finir se prononcer sur deux points. D’une part, est-il nécessaire de prouver une faute imputable au commettant et un lien causal entre celle-ci et le préjudice allégué de l’agent ? D’autre part, faut-il apporter la preuve d’un préjudice distinct de celui réparé par l’indemnité de clientèle ? À la première question, la Cour répond par la négative : l’article 17, § 2, c), ne pose pas la condition d’une faute du commettant ; il appartient donc aux États membres de déterminer, dans leur droit national, si une telle faute, qu’elle soit contractuelle ou délictuelle, est requise (10). À la seconde question, la Cour répond par l’affirmative : il convient d’établir un préjudice distinct de celui couvert par l’indemnité de clientèle, sous peine de réduire à néant le système d’option prévu par l’article 17.
8. C.J.U.E., Unamar, op. cit., point 50. 9. C.J.U.E., Quenon K. SPRL, op. cit., point 34. 10. C.J.U.E., Quenon K. SPRL, op. cit., points 37 et 38.
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Chroniques
III.A. Régulation européenne
Chroniques
III. Régulation assurantielle
III.C. Régulation internationale LE MICRO-TAKAFUL, AU CROISEMENT DE LA MICRO-ASSURANCE ET DE LA FINANCE ISLAMIQUE
Adrien Tehrani
Maître de conférences à la Faculté de Droit et de Science Politique de Montpellier Centre du Droit de l’Entreprise Comme annoncé dans son rapport annuel 2013‑2014, l’Association internationale des contrôleurs d’assurance (AICA) vient de publier avec l’Islamic Financial Services Board (IFSB), un document de réflexion sur les questions de réglementation et de contrôle du micro- takaful (1). Le micro-takaful se trouve au croisement de deux préoccupations : d’un côté, ouvrir l’accès aux produits d’assurance à des individus à faibles revenus, souci commun à la micro-assurance traditionnelle (2) ; de l’autre côté, proposer des produits conformes à des préceptes religieux, ici basés sur la Charia, qui interdit notamment l’usure et la spéculation (mais pas la réalisation d’un profit) (3). Ce n’est pas la première fois que l’AICA et l’IFSB travaillent ensemble. En 2006, une étude conjointe avait déjà été publiée sur la réglementation et le contrôle de l’assurance takaful, traitant notamment de l’application, à ce secteur, des principes fondamentaux de l’assurance rédigés par l’AICA. Simplement, le besoin a été ressenti de réfléchir plus particulièrement aux difficultés rencontrées dans le domaine de la micro- assurance islamique. L’étude présentée revient sur les marchés de micro-takaful et sur leur encadrement. 1.
IAIS and IFSB, « Issues in regulation and supervision of microtakaful (islamic microinsurance) », Issues paper, novembre 2015, rappelant que le terme « takaful » provient d’un mot signifiant en arabe « solidarité », ici au fondement d’un mécanisme d’assurance (p. 53). L’IFSB se présente sur son site internet comme un normalisateur international chargé de promouvoir et de renforcer la solidité et la stabilité de l’industrie des services financiers islamiques au sens large. 2. M. Nabeth, « Micro-assurance : macro-enjeux ? », REF, 2005, vol. 80, pp. 329 et s. Adde, IAIS, « Issues paper on conduct of business in inclusive insurance », novembre 2015, dont une précédente version a été présentée in R.I.S.F., 2015/4, p. 87. 3. Étude commentée, p. 4 retenant en anglais les termes d’usury pour traduire « riba », de gambling pour traduire « maysir », et d’uncertainty pour traduire « Gharar ». Adde, G. Causse-Broquet, La finance islamique, RB éd., 2e éd., 2012, pp. 31 et s. 134
Présentation des marchés de micro-takaful (étude, pp. 3 et s.). Dans certains pays, comme l’Indonésie, le Pakistan ou le Bengladesh, l’accès à l’assurance apparaît limité en raison des revenus faibles et irréguliers d’une partie de la population comme en raison de la contrariété perçue entre les mécanismes traditionnels de l’assurance et les principes de la Charia. Le développement de produits compatibles avec les exigences de l’assurance islamique (takaful) ne résout donc pas entièrement la question de l’accès à l’assurance pour ces populations. Il faut que le candidat à l’assurance réponde malgré tout à des conditions d’éligibilité, d’ordre financier (les revenus notamment) ou extra-financier (un historique de santé satisfaisant par exemple) (p. 9). Le produit de micro-takaful est précisément vu comme une assurance islamique accessible aux populations à bas revenus, c’est-à-dire comme une forme de micro-assurance par laquelle des personnes n’ayant pas accès aux produits de takaful se regroupent et s’accordent pour supporter ensemble les pertes de l’un ou l’autre des membres du groupe, en fonction de risques définis, selon un système qui repose notamment sur le don, l’assistance mutuelle et la prohibition de l’usure. L’objectif est d’inclure dans le système financier des personnes qui en seraient sinon exclues (p. 4). Dans le détail, il y a plusieurs modèles de fonctionnement, certaines structures d’assurance poursuivant un but lucratif, d’autres un but non lucratif. Les participants assurés, qui ne sont pas nécessairement de confession musulmane, peuvent être ou non actionnaires du micro-assureur, qui gère les cotisations des participants et qui sera plus ou moins étroitement associé aux bénéfices réalisés (pp. 5 et s.).
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L’objectif est d’inclure
dans le système financier des personnes qui en seraient sinon exclues.
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Bien que micro-takaful et takaful soient proches d’un point de vue conceptuel, le rapport souligne qu’il y a des différences entre ces marchés (pp. 7 et s.). En premier lieu, les marchés de produits de micro-takaful
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apparaissent comme étant souvent moins régulés que les seconds, en termes de réglementation prudentielle par exemple, ou plus largement de règles d’organisation des professionnels. Les fournisseurs de produits de micro-takaful ne sont d’ailleurs pas tous des prestataires agréés ou supervisés par des autorités de régulation assurantielle. Si les produits sont décrits comme étant, de manière générale, plus simples que les produits de takaful, l’étude fait aussi valoir que, comme sur les marchés de la micro-assurance classique (4), les souscripteurs potentiels sont souvent peu familiers des mécanismes de l’assurance et peuvent ne pas être convaincus de l’intérêt de s’assurer (p. 11). Par ailleurs, l’AICA et l’IFSB soulignent que ces produits ne peuvent être distribués selon les modes complexes et onéreux propres aux marchés de produits de takaful. La distribution doit rester simple et peu coûteuse, en dépit de la difficulté d’atteindre les populations concernées par les modes traditionnels de transport et de communication. Le faible nombre d’intermédiaires comme le recours à des opérateurs de téléphonie mobile, à des commerces de proximité ou aux mosquées locales participent de la réponse apportée à ce défi (p. 10). C’est en réalité une double spécificité des marchés de micro- takaful qui doit être prise en compte : spécificité par rapport à l’assurance islamique, puisqu’il s’agit d’une forme de micro-assurance ; spécificité par rapport à la micro-assurance, puisque des préceptes religieux doivent être respectés. Cette double spécificité sous- tend la réflexion sur l’encadrement des marchés de micro-takaful, d’autant plus nécessaire que les professionnels paraissent prendre conscience de l’importance de s’intéresser à des populations jusque-là délaissées, en proposant des produits qui doivent aider celles-ci à sortir de la pauvreté (p. 3). Encadrement des marchés de micro-takaful (étude, pp. 14 et s.). Il ne s’agit pas d’écarter l’ensemble des normes élaborées pour l’assurance islamique ou la micro-assurance. Au contraire, d’origine nationale ou internationale, juridiquement contraignantes ou non, elles peuvent servir de points de repère ou de points de départ utiles à l’encadrement des marchés de micro-takaful, étant précisé que certains pays disposent déjà d’un cadre normatif applicable. Pour autant, le rapport commenté met en lumière certaines difficultés dans l’encadrement des marchés de micro-takaful. Par exemple, comme sur les marchés de micro- assurance, la bonne information des souscripteurs potentiels est source de préoccupation particulière, plus encore semble-t‑il que sur les marchés d’assurance traditionnels. Il apparaît que plusieurs pays ont opté pour l’élaboration de documents d’information simplifiés et que des formations destinées à améliorer l’éducation financière y sont organisées afin de favoriser une meilleure compréhension des produits proposés (p. 22), étant observé que des mesures similaires 4.
IAIS, « Issues paper on conduct of business in inclusive insurance », préc., pp. 7 et s.
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peuvent aussi être prévues pour les produits d’assurance (5). En outre, il est souligné que certaines règles de fonctionnement peuvent être difficiles à appréhender par les clients potentiels. L’IAIS et l’IFSB citent les règles gouvernant le sort des bénéfices réalisés dans la gestion des cotisations, qui peuvent être distribués ou au contraire mis en réserves au sein du fonds constitué entre les participants (p. 21). Le rapport s’interroge à ce propos sur le point de savoir s’il est préférable de ne pas distribuer les bénéfices afin d’améliorer la solidité financière du fonds, ou de les distribuer pour favoriser l’attractivité de ces produits (p. 28). Il faut en tout cas que les souscripteurs aient conscience que les bénéfices peuvent ne pas être distribués. En ce qui concerne la gouvernance des entreprises qui fournissent des produits de micro-takaful, l’IAIS et l’IFSB soulignent que la nécessité de se conformer aux principes de la Charia rend utile la mise en place de comités spécialisés, chargés de vérifier que ces principes sont respectés (p. 22). Il est relevé à cet égard, qu’en l’absence d’organes de suivi, le risque est d’affaiblir la confiance dans la « pureté » (sanctity) des produits proposés. Comme l’ouverture de l’accès à l’assurance et le développement des marchés de produits de micro-takaful reposent aussi sur le recours à des intermédiaires non régulés par des contrôleurs d’assurance, il y a là une difficulté réelle (pp. 17 et 25).
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L’une des principales
sources de préoccupation reste toutefois d’ordre
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prudentiel.
L’une des principales sources de préoccupation reste toutefois d’ordre prudentiel. Si elle apparaît à plusieurs reprises dans le rapport commenté, celui-ci aurait peut- être gagné à y insister plus encore. En effet, il semble que les fournisseurs de micro-takaful, qu’ils soient ou non par ailleurs des acteurs régulés du domaine de l’assurance islamique, soient confrontés à un problème de taille, commun en réalité à tout le secteur de la micro- assurance : celui de la difficulté à connaître certains risques assurés. Ainsi est-il expliqué que les statistiques permettant l’élaboration de tables de mortalité ou de morbidité pour les populations à bas revenus peuvent manquer, alors que les risques auxquels elles sont expo5.
Voy. par ex. le règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil n° 1286/2014 du 26 novembre 2014 sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance, J.O.U.E., L 352/1, 9 décembre 2014, Banque et dr., janvier-février 2015, obs. P.-G. Marly.
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Chroniques
III.C. Régulation internationale
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III. Régulation assurantielle
sées ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux encourus par les assurés ayant des revenus plus élevés (pp. 31 et 33). Plus largement, l’appréciation des risques suppose une expertise que n’ont pas toujours les intermédiaires d’assurance non agréés intervenant sur les marchés de micro-assurance, micro-takaful inclus (p. 30). Or la méconnaissance des risques complique leur gestion, avec au total des difficultés à garantir la solidité financière des assureurs. Par exemple, comment avoir la certitude que les cotisations demandées seront suffisantes pour honorer les demandes de règlement lorsque surviennent les risques assurés ? Dans le même temps, l’AICA et l’IFSB excluent d’imposer aux fournisseurs de micro-takaful toutes les exigences prudentielles applicables aux opérateurs d’assurance islamique ordinaires, car cela ne serait pas supportable pour les opérateurs de micro-assurance sauf à augmenter le coût des produits proposés (pp. 29 et 32). Cela introduirait sans doute aussi un biais supplémentaire dans la concurrence
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entre intermédiaires régulés et non régulés, même s’il est souhaité que tous les fournisseurs de produits micro- takaful soient agréés, qu’ils fournissent ou non par ailleurs des produits de takaful (pp. 35 et s.). Ainsi, sur les aspects prudentiels comme sur d’autres, les autorités nationales d’assurance sont invitées à mettre en œuvre les principes fondamentaux de l’assurance de manière proportionnée, ce qui n’implique pas leur allègement systématique et automatique (p. 25). La difficulté est toutefois de ne pas fragiliser l’ensemble du système. Si les gouvernements peuvent mettre en place des politiques publiques afin de soutenir le secteur du micro- takaful, en particulier financièrement (pp. 14 et s.), il demeure que les défis à relever supposent de résoudre des problèmes d’une grande complexité. À cet égard, il nous semble que travailler à une meilleure connaissance des risques assurés sur les marchés de micro-assurance en général devrait être une priorité et ce, avant d’entrer dans le détail de la régulation.
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IV. Régulation intersectorielle Chronique sous la direction de Anne-Dominique Merville
Maître de Conférences, HDR Directrice du Master 2 Droit pénal financier Université de Cergy-Pontoise
Avec la collaboration de
Isabelle Augsburger-Bucheli
&
Lesław Góral
Julien L. Blanc
&
Mariame Krauer-Diaby
Docteure en droit, professeure HES, Doyenne de l’Institut de lutte contre la criminalité économique (ILCE) de la Haute école de gestion Arc (HES-SO//Haute École de Suisse Occidentale) LL.M. in Banking & Financial Law, avocat à Genève
Professeur d’université, Université de Łódź, Faculté de Droit et d’Administration, Chaire de Droit fiscal matériel
Adjointe scientifique à l’Institut de lutte contre la criminalité économique (ILCE) de la Haute école de gestion Arc (HES-SO// Haute École de Suisse Occidentale
Les 9 et 10 septembre 2015, l’Institut de lutte contre la criminalité économique (www.ilce.ch) de Neuchâtel (Suisse) a organisé un colloque portant sur l’effectivité de la lutte contre les avoirs illicites des potentats, financé en partie par un subside du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). Avec le concours de 22 conférenciers, cette problématique très ciblée a été traitée de manière approfondie, aussi bien au plan national qu’international. Quatre auteurs s’expriment dans le présent numéro.
On September 9 and 10, 2015, the Institut de lutte contre la criminalité économique (Institute of economic crime investigation, www.ilce.ch) of Neuchâtel (Switzerland) organised a conference on the effectiveness of the fight against potentates’ illicit assets, partially funded by the Swiss National Science Foundation (SNSF). Twenty-two speakers provided focused perspectives on this complex issue, both from a national and international point of view. Four of them have contributed to the present edition.
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Chroniques
IV. Régulation intersectorielle
IV.B. Intégrité du marché LA SUISSE ET SA LUTTE CONTRE LES AVOIRS ILLICITES DES POTENTATS Isabelle Augsburger- Bucheli
Docteure en droit, professeure HES, Doyenne de l’Institut de lutte contre la criminalité économique (ILCE) de la Haute école de gestion Arc (HES-SO// Haute École de Suisse Occidentale)
I. Préambule La lutte contre les avoirs illicites de potentats est compliquée. Les frontières entre les notions de potentat et de personnes exposées politiquement (PEP ou PPE) ne sont pas formellement établies et, avec les bouleversements politiques, le héros national d’aujourd’hui peut devenir le potentat de demain. Les 9 et 10 septembre 2015, l’Institut de lutte contre la criminalité économique (ILCE) (1) de Neuchâtel (Suisse) a organisé un colloque portant sur l’effectivité de la lutte contre les avoirs illicites des potentats, avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) (2). Avec le concours de 22 conférenciers et conférencières, cette problématique très ciblée a été traitée de manière approfondie, aussi bien au plan national qu’international. Au niveau helvétique, après un état des lieux général d’une situation en pleine évolution législative, des représentants des différentes autorités en charge de ces questions, des milieux des intermédiaires financiers, du barreau, des ONG ainsi que des experts ont procédé à un partage d’expériences et/ou ont livré leur analyse, parfois très critique, des problèmes soulevés par la présence d’avoirs illicites de potentats sur sol suisse. Au niveau international, notre attention s’est portée aussi bien sur la législation de pays susceptibles d’héberger des avoirs illicites, que sur la situation et les attentes des pays spoliés. Précisons que notre examen ne s’est pas borné aux réponses apportées par les différents ordres juridiques. Il a également porté sur les enjeux politiques, économiques et sociaux liés à la problématique des avoirs illicites des potentats.
Il est également très rapidement apparu que pour aborder en profondeur ce sujet qui paraissait à l’origine pourtant si précis, il était indispensable de se pencher attentivement sur de nombreuses notions connexes, en particulier le phénomène de la corruption – qui est souvent, avec le détournement de biens publics, à la source des avoirs illicites des potentats –, les règles sur l’entraide pénale internationale et, bien sûr, la législation en matière de blanchiment d’argent. Dans ce cadre élargi, la lutte contre les avoirs illicites des potentats a été étudiée aussi bien sous l’angle de la prévention que sous celui de la répression, sans oublier les règles et les pratiques en matière de blocage et de restitution des avoirs.
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La lutte contre les avoirs
illicites des potentats
a été étudiée aussi bien sous l’angle de la prévention que sous celui de la répression.
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Le présent article constitue une introduction générale au sujet qui sera détaillé dans ses aspects plus spécifiques par d’autres auteurs. Ainsi, dans la présente édition, le professeur Leslaw Gòral présentera les particularités du système polonais. Maître Julien Blanc, avocat au barreau de Genève, étudiera les différences entre les approches suisses et européennes quant à la définition des personnes exposées politiquement, leur identification et la gestion des risques. Mme Mariame Krauer-Diaby, adjointe scientifique à l’ILCE, en analysant le trio infernal formé par les notions de PEP, dictateur et potentat, plaidera pour une amélioration du volet préventif de la lutte contre les avoirs illicites des potentats.
1.
L’ILCE est un institut de formation et de recherche de la Haute école de gestion Arc (HEG Arc) : www.ilce.ch. 2. http://www.snf.ch/fr/Pages/default.aspx. 138
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II. Contexte général D’après certaines estimations de la Banque mondiale (3), les fonds détournés dans les pays en développement et en transition par la corruption de fonctionnaires atteindraient chaque année entre 20 et 40 milliards de dollars américains. Cette somme correspondrait à 20% à 40% de l’aide allouée à travers le monde au titre de la coopération au développement. Les événements du printemps arabe et ceux intervenus en Ukraine ont mis sur le devant de la scène la problématique du sort des valeurs patrimoniales acquises de manière illicite par des personnes politiquement exposées. Cependant, selon le gouvernement suisse, cette question constitue depuis environ 30 ans un véritable souci pour les autorités helvétiques (4) puisque depuis la fin des années 1980, la place financière suisse est régulièrement soumise au feu des critiques suite à la découverte dans ses coffres de valeurs appartenant à des dictateurs déchus. Un des effets collatéraux de ces affaires répétitives est l’importante expérience acquise par la Suisse en matière de blocage et de restitution des avoirs illicites retrouvés. En effet, en 15 ans, plus du tiers (5) des 4 à 5 milliards de dollars américains restitués, au plan mondial, à leur pays d’origine (6) a été le fait de la Confédération. La Suisse, qui a adopté en 2014, une stratégie définissant les principaux éléments de sa politique en matière de valeurs patrimoniales d’origine illicite (7), tire une certaine fierté de ses actions et communique activement sur ce sujet (8). 3. Stolen Asset Recorery Initiative (StAR) : Challenges, Opportunities, and Action Plan, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime / Banque mondiale, juin 2007, p. 1, https://www.unodc.org/pdf/Star_Report. pdf (consulté le 13.12.2015). 4. Conseil fédéral, Message relatif à la loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite du 21 mai 2014, p. 7, http://www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/ attachments/34978.pdf (consulté le 13.12.2015). 5. La Suisse a remboursé environ 1.8 milliards de francs suisses, https://www.news.admin.ch/dokumentation/0000 2/00015/?lang=fr&msg-id=59867 (consulté le 13.12.2015). 6. Stolen Asset Recorery Initiative (StAR) : Challenges, Opportunities, and Action Plan, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime / Banque mondiale, juin 2007, https://www.unodc.org/pdf/Star_Report.pdf (consulté le 13.12.2015). 7. DFAE, Stratégie de la Suisse concernant le blocage, la confiscation et la restitution des avoirs de potentats (« Asset Recovery »), https://www.eda.admin.ch/content/dam/ eda/fr/documents/aussenpolitik/finanzplatz-wirtschaft/ Strategie-Schweiz-Sperrung-Einziehung-Rueckfuehrung- Potentatengelder_FR.pdf (consulté le 19.12.2015). 8. Ainsi, par exemple, le 9 décembre 2015 – Journée internationale de lutte contre la corruption – le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a officiellement annoncé que la restitution d’avoirs kazakhs détournés dans une affaire de corruption, d’une valeur de 115 millions de dollars américains, avait pu être menée à bien : https:// www.news.admin.ch/dokumentation/00002/00015/?lang= fr&msg-id=59867 (consulté le 13.12.2015). Le DFAE n’a 2016/1
III. La lutte suisse contre les avoirs illicites des potentats : une histoire encore en cours d’écriture L’histoire de la lutte suisse contre les avoirs illicites des potentats peut se résumer en quatre points. Pour commencer, il y eut de gros scandales puis des éléments de réponses politiques, une mise en œuvre semée d’embûches et enfin différentes adaptations législatives, ce processus étant toujours en cours. La première réponse politique de la Suisse à ce problème remonte à la chute du dictateur philippin Ferdinand Marcos en 1986. Le Conseil fédéral a alors réagi en quelques heures, sur la base des prérogatives que lui confère la Constitution fédérale en matière de politique étrangère (droit d’urgence ou droit de nécessité) (9), en ordonnant de geler à titre conservatoire tous les avoirs du régime Marcos confiés à des intermédiaires financiers suisses. Suite à la procédure pénale engagée, environ 685 millions de dollars américains de fonds gelés ont été restitués aux Philippines. Ce mécanisme de blocage reposant sur une ordonnance du Conseil fédéral basée sur le droit de nécessité a été actionné dans le cadre d’autres scandales tels que Duvalier (1986), Salinas (1995), Bhutto (1999), Lazarenko (1998), Mobutu (1999), les fonds angolais et les fonds Kazakh (1999), Abacha (2000) et plus récemment le Printemps arabe (2011) et l’Ukraine (2014). Au fil des ans, la Suisse, dans le concert des nations et notamment sous l’influence du GAFI (10) dont elle est membre, a pris et mis en œuvre diverses initiatives et mesures de lutte contre les avoirs illicites. Les premières concernent en particulier l’activité irréprochable des banques, la lutte contre le blanchiment et celle contre la corruption. Ainsi, la première étape fut l’introduction d’une mesure d’autorégulation prévue pas dévoilé le nom du ou des corrupteurs. Il pourrait s’agir entre autres du président Nursultan Nasarbajew, au pouvoir de la République du Kazakhstan depuis 1991 : http:// www.lematin.ch/monde/La-Suisse-restitue-115-millions- au-Kazakhstan-/story/15888453 (consulté le 13.12.2015). 9. Article 102 ch. 8 de la Constitution fédérale du 29 mai 1874. La disposition constitutionnelle actuelle – l’article 184, alinéa 3, de la Constitution fédérale de la Confédération suisse de 1999 (RS 101) – a la teneur suivante : « Lorsque la sauvegarde des intérêts du pays l’exige, le Conseil fédéral peut adopter les ordonnances et prendre les décisions nécessaires. Les ordonnances doivent être limitées dans le temps ». 10. Le Groupe d’action financière est un organisme intergouvernemental, créé en 1989, qui a pour objectifs l’élaboration des normes et la promotion de l’efficace application de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées pour l’intégrité du système financier international : http://www.fatf-gafi.org/fr/aproposdugafi/ (consulté le 13.12.2015).
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IV.B. Intégrité du marché
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par la Convention relative à l’obligation de diligence des banques (CDB) (11) de 1977 élaborée par l’Association suisse des banquiers (ASB). La CDB a été révisée et complétée à plusieurs reprises, sa nouvelle version, la CDB 16 (12), entrant en vigueur en 2016. L’évolution du système législatif suisse a dûment pris en compte les recommandations du GAFI, publiées pour la première fois en 1990 et révisées en 1996, 2001, 2003 et plus récemment en 2012 (13). Les grandes lignes de son développement, qui porte à la fois sur les volets préventifs et répressifs, peuvent se résumer de la manière suivante : – adoption, en 1990, des articles 305bis et 305ter du Code pénal (CP) (14) : volet répressif de la lutte contre le blanchiment d’argent (blanchiment et défaut de vigilance) ; – adoption, en 1997, de la loi sur le blanchiment d’argent (LBA) (15) : volet préventif du blanchiment (obligation de diligence des intermédiaires financiers, obligation de communiquer et création du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS)). Depuis lors, cette loi – comme les différentes ordonnances qui en découlent – a été révisée à différentes reprises, la dernière fois en juin 2015. À cette occasion, un nouvel article définissant les PPE (l’art. 2a LBA) a été introduit : les PPE nationales et d’organisations internationales font dorénavant partie du cercle des PPE. Cette révision apporte également des précisions sur les devoirs de diligence des intermédiaires financiers concernant l’identification de l’ayant droit économique d’une relation d’affaires ; – révision du droit pénal de la corruption, en 1999 puis 2005 (art. 102, al. 2 CP et 322ter à 322octies CP) ; – adoption, en 2002, de l’ordonnance de la Commission fédérale des banques en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Celle-ci a été remplacée par l’OBA-FINMA du 8 décembre 2010 puis par l’OBA-FINMA du 3 juin 2015 qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016 (16). Cette 11. Selon le préambule de la CDB-08, en vigueur jusqu’à fin 2015, la CDB a pour but de préserver le renom du système bancaire suisse sur les plans national et international, en établissant des règles assurant, lors de l’établissement de relations d’affaires et dans le domaine du secret bancaire, une gestion irréprochable, et contribuant efficacement à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. 12. http://shop.sba.ch/1000020_f.pdf (consulté le 13.12.2015). 13. http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/recommendations/Recommandations_GAFI.pdf (consulté le 13.12.2015). 14. Code pénal suisse (CP) du 21 décembre 1937, RS 311.0. 15. Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier (loi sur le blanchiment d’argent, LBA), RS 955.0. Cette loi portera dès 2016 le nom suivant : loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. 16. Ordonnance de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers sur la lutte contre le blanchiment 140
série d’ordonnances précise notamment les règles permettant de déterminer les clients ou les transactions présentant « un risque accru », tels que les PEP ; – adoption, en 2010, de la loi sur la restitution des avoirs illicites (LRAI) (17). Cette loi « fixe les modalités du blocage, de la confiscation et de la restitution de valeurs patrimoniales de personnes politiquement exposées ou de leur entourage lorsqu’une demande d’entraide judiciaire internationale en matière pénale ne peut aboutir en raison de la situation de défaillance au sein de l’État requérant dans lequel la personne concernée exerce ou a exercé sa fonction publique (État d’origine) » ; – adoption, le 18 décembre 2015, de la loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger (18) (loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite, LVP) (19). Cette loi, qui abroge la LRAI, a pour but, selon son article 1er de régler « le blocage, la confiscation et la restitution de valeurs patrimoniales de personnes politiquement exposées à l’étranger ou de leurs proches lorsqu’il y a lieu de supposer que ces valeurs ont été acquises par des actes de corruption ou de gestion déloyale ou par d’autres crimes ».
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Adoption, le 18 décembre
2015, de la loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger.
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d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier (ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent, OBA-FINMA) du 3 juin 2015, RO 2015 2083. 17. Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées (loi sur la restitution des avoirs illicites, LRAI), du 1er octobre 2010, RS 196.1. 18. Le texte de cette loi peut être téléchargé sur le site du Parlement fédéral : http://www.parlament.ch/sites/doc/ CuriaFolgeseite/2014/20140039/Texte%20pour%20le%20 vote%20final%201%20NS%20F.pdf (consulté le 18.12.2015). 19. Cette nouvelle loi et ses conséquences seront examinées dans le détail par Aurelia Rappo, avocate à Lausanne et chargée de cours à l’ILCE, dans la prochaine édition de la présente revue.
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IV. Choix effectués par les autorités suisses pour lutter contre les avoirs illicites des potentats Pour lutter contre le blanchiment d’argent et par conséquent contre la présence d’avoirs illicites de potentats sur son territoire, les autorités fédérales aiment à préciser que la Suisse a misé aussi bien sur la prévention – en application de la LBA et de sa législation complémentaire – que sur la répression qui s’appuie pour sa part sur le Code pénal (CP) et sur la loi du 20 mars 1981 sur l’entraide pénale internationale (EIMP (20)). Cette dernière permet la collaboration avec d’autres États en vue de la saisie et de la restitution de valeurs patrimoniales qui ont été obtenues par des actes punissables. Dans son message du 21 mai 2014 accompagnant le projet de loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite (LVP), le Conseil fédéral explique en ces termes sa vision politique : « La problématique des avoirs de potentats et de leur restitution aux États d’origine revêt une grande importance pour la politique étrangère de la Suisse, et ce pour plusieurs raisons. En tant qu’État donateur engagé dans la coopération internationale au développement, la Suisse tient à ce que l’attribution de l’aide financière respecte les principes de la transparence et de la bonne gouvernance et que tout soit mis en œuvre pour garantir, dans la mesure du possible, l’absence d’abus. Par ailleurs, la politique étrangère suisse s’engage depuis des années en faveur du renforcement de l’état de droit et soutient la lutte contre la corruption et l’impunité. Enfin, la réputation et l’intégrité sont plus que jamais des facteurs clés dans la concurrence mondiale que se livrent les places financières. Notre pays n’a aucun intérêt à voir sa place financière utilisée abusivement pour dissimuler des fonds qui auraient dû profiter à la population de l’État d’origine » (21). En 2015, lors des discussions sur le projet LVP, plusieurs parlementaires ont saisi l’occasion de s’exprimer sur les options prises par la Suisse. Parmi les opposants au projet, un d’entre eux a dénoncé la politique du Conseil fédéral en soulignant que ledit projet ne réglait pas le problème principal qui ne pouvait l’être que moyennant une interdiction générale d’accepter de l’argent des potentats (22). Un autre parlementaire a jugé qu’il s’agissait d’une loi « carte de visite », rédigée par le Département des affaires étrangères « pour être 20. Loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale (loi sur l’entraide pénale internationale, EIMP) du 20 mars 1981, RS 351.1. 21. Message relatif à la loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite, du 21 mai 2014, p. 7. 22. Par ex., les propos de Thomas Minder, Conseiller aux États, BO 2015 E 1052. http://www.parlament.ch/ab/ frameset/d/s/4920/479545/d_s_4920_479545_479634. htm (consulté le 18.12.2015). 2016/1
utilisée par les diplomates afin de vendre une Suisse qui laverait plus blanc que blanc, une Suisse au-dessus de tout soupçon parce qu’elle aurait retourné ses fusils contre les clients des banques » (23).
V. Esquisse de bilan À tous les niveaux, les intéressés rencontrent de grandes difficultés pour appliquer efficacement le système complexe mis en place. Avant d’illustrer cette affirmation par quelques exemples, il convient de rappeler quelques chiffres : – selon l’Association suisse des banquiers (24), au 31 décembre 2014, les actifs sous gestion en Suisse se montaient à CHF 6.656 milliards dont 51,1 % en provenance de l’étranger. Avec une part de 25 % de la gestion de fortune transfrontalière à l’échelle mondiale, la Suisse est le leader mondial en matière de gestion de fortune ; – dans son rapport annuel 2014, la société Swift (25) mentionne que 2.737 millions de messages de paiements ont été envoyés dans l’année sous revue. Elle précise encore qu’au mois de décembre 2014, une moyenne journalière de plus de 12 millions de messages de paiements a été atteinte pour la première fois. Pour une banque, cela fait donc des centaines de transferts à analyser dans des temps très courts alors que des milliers de noms et d’alias se trouvent dans les très nombreuses listes nationales et internationales de sanctions ; – suite au printemps arabe, plus d’un milliard d’avoirs des clans Ben Ali (Tunisie), Moubarak (Egypte) et Kadhafi (Lybie) ont été bloqués en Suisse (26) ; – suite aux ordonnances de blocage du Conseil fédéral pour les trois pays précités, la FINMA (27) a procédé à un examen auprès de 20 banques (28). Sur un total de 29 relations clients avec des PEP, 22 relations ont été identifiées comme telles, alors que sept ne l’ont pas été ou, si les personnes ont bien été iden23. Yves Nidegger, Conseiller national, première séance du 30 novembre 2015 (texte provisoire), http:// www.parlament.ch/ab/frameset/f/n/5001/482387/ f_n_5001_482387_482464.htm (consulté le 18.12.2015). 24. http://www.swissbanking.org/fr/facts_figures.htm (consulté le 19.12.2015). 25. Swift, Annuel Review, p. 20, https://www.swift.com/ assets/swift_com/documents/about_swift/2014_ SWIFT_Annual_Review.pdf (consulté le 19.12.2015). 26. Informations de la Déclaration de Berne : https://www. ladb.ch/themes-e t-c ontexte/finance/avoirs-i llicites/ (consulté le 19.12.2015). 27. Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers FINMA, https://www.finma.ch/. 28. Examen de la FINMA du 10 novembre 2011, « Obligations de diligence des banques suisses en relation avec les valeurs patrimoniales de “personnes politiquement exposées” », https://www.finma.ch/fr/documentation/ publications-finma/rapports/rapports-de-surveillance/ (consulté le 19.12.2015).
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tifiées comme des PEP, elles n’ont pas été traitées en conséquence. Au niveau préventif, les intermédiaires financiers, qui investissent toujours plus pour respecter leurs obligations accrues de diligence, insistent sur la difficulté de leur tâche en raison du nombre de transactions à monitorer, des modifications constantes des listes de sanctions, de la rapidité avec laquelle certains environnements politiques évoluent (risque pays), de l’inventivité des PEP corrompus qui bien loin d’ouvrir des comptes bancaires à leur nom utilisent des véhicules juridiques complexes pour cacher leurs valeurs illicites. Si des ONG, des politiciens et des experts considèrent que certaines banques suisses sont encore loin de respecter leurs obligations de diligence afin de continuer à recevoir de l’argent de potentats, les autorités politiques (par le DFAE) et l’Association suisse des banquiers estiment que la Suisse remplit ses engagements internationaux avec des lois et un système de surveillance largement conformes à tous les standards internationaux. Sur son site Internet (29), l’ASB rappelle par ailleurs expressément qu’à certaines conditions les PEP peuvent être clients des banques. De son côté, la FINMA, suite au contrôle extraordinaire conduit en 2011 auprès de vingt banques, a constaté que « les banques connaissent leurs obligations découlant de la LBA en matière de PEP et elles les appliquent de manière satisfaisante dans la plupart des cas. Certaines ont pleinement rempli leurs obligations de diligence LBA concernant les relations avec des PEP ayant fait l’objet du contrôle. Quant aux banques pour lesquelles des manquements de moindre dimension ont été constatés, la FINMA accompagne la mise en œuvre des mesures correctrices initiées par celles-ci et y intensifie de manière générale sa surveillance en matière de blanchiment d’argent. En raison de manquements plus graves dont il faut approfondir l’examen, la FINMA a engagé une procédure administrative contraignante à l’encontre de quatre des banques examinées » (30). Au niveau répressif, il faut reconnaître que les procédures pénales, ouvertes le plus souvent pour corruption, sont particulièrement longues et complexes. Le crime préalable au blanchiment d’argent ayant été en principe commis hors de Suisse, il est très difficile pour les procureurs, enquêteurs et analystes qui travaillent sur ces procédures chronophages d’obtenir du pays d’origine du potentat les preuves nécessaires afin d’obtenir une condamnation. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation : par exemple, le nouveau gouvernement est très proche de l’ancien pouvoir, ou il est 29. http://www.swissbanking.org/fr/home/dossiers-link/geldwaeschereibekaempfung/geldwaeschereibekaempfung- potentatengelder.htm (consulté le 19.12.2015). 30. Examen de la FINMA du 10 novembre 2011, « Obligations de diligence des banques suisses en relation avec les valeurs patrimoniales de “personnes politiquement exposées” », p. 3, https://www.finma.ch/fr/ documentation/publications-finma/rapports/rapports- de-surveillance/ (consulté le 19.12.2015). 142
aussi corrompu que son prédécesseur, ou encore il est trop fragile et inexpérimenté pour pouvoir répondre dans des délais convenables aux demandes des autorités suisses de poursuite.
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Les procédures pénales,
ouvertes le plus souvent pour corruption,
sont particulièrement longues et complexes.
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Au niveau du blocage des fonds, grâce en particulier aux ordonnances basées sur le droit d’urgence et à la rapidité de réaction du Conseil fédéral suite à la chute des potentats, la Suisse occupe une position de leader en la matière. Si elle fait aussi la course en tête pour ce qui est des montants restitués aux pays d’origine des fonds, remarquons que dans certains cas les montants bloqués n’ont pas pu être rendus à l’État spolié (31) ou qu’une partie de l’argent n’a pas pu être versée ou utilisée comme cela était prévu (32).
VI. Et à l’avenir ? En 2016, comme nous l’avons rapidement évoqué, plusieurs nouvelles lois et dispositions légales éparses ainsi que la nouvelle convention de diligence des banques (CDB 2016) entreront en vigueur, ce qui laisse différentes questions ouvertes, par exemple :
31. Par exemple, les fonds Mobutu, débloqués et restitués à son clan en 2009. 32. Par exemple, la restitution au Nigéria des fonds bloqués de Sani Abacha ; selon deux rapports publiés en 2006 par la Banque mondiale (https://www.ladb.ch/ fileadmin/files/documents/Potentatengelder/World_ Bank_Report_Abacha_Funds_Monitoring_1221.pdf) et par des ONG (https://www.ladb.ch/fileadmin/files/ documents/Potentatengelder/Nigerian_Network_on_ Stolen_Assets_Shadow_report_on_the_Pemfar_Monitoring_Exercise.pdf), une partie des avoirs restitués au Nigéria ont été attribués à des projets déjà terminés lors de l’allocation des fonds ou inexistants, certains projets ont été abandonnés, d’autres n’ont jamais été opérationnels ou ont été planifiés par le gouvernement central sans tenir compte des besoins de la population (tiré de : Étude de cas : fonds Abacha, La Déclaration de Berne : https://www.ladb.ch/themes-e t-c ontexte/finance/ avoirs-illicites/etude-de-cas-fonds-abacha/ (consulté le 20.12.2015).
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– Les intermédiaires financiers seront-ils désormais mieux « équipés » et organisés pour gérer leurs relations avec les PEP étrangers et repérer, avant leur chute, les avoirs illicites de potentats ? – Lors d’une nouvelle destitution d’un potentat, trouvera-t‑on moins de ses avoirs dans les banques suisses ? – La place financière suisse et sa réputation en sortiront-elles renforcées, en comparaison inter nationale ? – La nouvelle loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite (LVP) permettra-t‑elle une restitution des avoirs plus rapide et plus efficace ?
– Le soutien et l’assistance technique qui pourront désormais être fournis par la Suisse à l’État d’origine des fonds bloqués (art. 11 à 13 LVP) permettront-ils aux pays spoliés de mieux comprendre les exigences juridiques et la position helvétiques et de recevoir plus rapidement les fonds bloqués ? L’avenir le dira. Il est cependant certain que la vigilance de certaines ONG, l’intérêt porté à cette problématique par des journalistes d’investigation, ainsi que les besoins mieux relayés des populations spoliées inciteront aussi bien les autorités que les intermédiaires financiers suisses à assumer au mieux leurs obligations. Il en va d’ailleurs de leur réputation et celle-ci n’a pas de prix !
PEP, IDENTIFICATION ET GESTION DES RISQUES : LES APPROCHES SUISSES ET EUROPÉENNES ET LEURS INCIDENCES SUR LE 3e CERCLE(1)
Julien L. Blanc LL.M. in Banking & Financial Law, avocat à Genève
développés pour lutter contre le placement d’avoirs de potentats servent aussi, depuis une décennie en tout cas, à lutter contre le blanchiment de la corruption de fonctionnaires.
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Les outils développés
I. Introduction et définitions Depuis les années ’80 et les quelques cas emblématiques de potentats (2) qui avaient placé des avoirs illicitement acquis en Suisse (3), la « science juridique bancaire » a enregistré des progrès significatifs. La dernière révision des 40 recommandations du GAFI (4) de 2012 dénote une évolution certaine, puisque les outils 1.
Cet article fait suite à la conférence donnée lors du colloque de l’ILCE des 9 et 10 septembre 2015 portant sur l’effectivité de la lutte contre les avoirs illicites des potentats, colloque organisé avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). 2. Marcos, Duvalier, Abacha, etc. 3. Détournements qui relèvent de plusieurs infractions pénales possibles, abus de confiance, gestion déloyale d’intérêts publics, corruption au sens étroit, etc. Pour une description : U. Cassani, in U. Cassani et A. Héritier Lachat, Lutte contre la corruption internationale. The never ending story, Genève-Zurich-Bâle, 2011, p. 33. 4. Groupe d’action financière contre le blanchiment de capitaux. Texte disponible : http://www.fatf-gafi.org/ fr/publications/recommandationsgafi/documents/ recommandations-g afi.html?hf=10&b=0&s=desc (fatf_releasedate). 2016/1
pour lutter contre
le placement d’avoirs de potentats servent aussi à lutter contre le blanchiment de la corruption de fonctionnaires.
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Les textes qui traitent des personnes politiquement exposées (PPE) utilisent plusieurs vocables, selon qu’ils sont en français ou en anglais (Politically Exposed Persons – PEP). L’auteur a choisi de retenir uniquement l’acronyme PEP, qui est passé dans le jargon financier et qui est largement utilisé comme tel dans les textes légaux et réglementaires, dans la pratique administrative et judiciaire.
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Les PEP représentent toujours des relations à risque accru (5), parce qu’elles sont elles-mêmes exposées, dans leurs activités professionnelles ou politiques, à des tentations et des risques. L’intermédiaire financier qui accepte d’entamer une relation commerciale avec une PEP court donc un double risque, à la fois juridique et de réputation. Ce risque de réputation pèse sur l’établissement, mais aussi sur toute la place financière. Il est donc d’intérêt public que les relations d’affaires avec les PEP soient réglementées par les pouvoirs publics. La Suisse est quant à elle dotée d’un système assez sophistiqué et complet, alliant prévention et répression, tant sur le plan de l’entraide internationale en matière pénale (EIMP), que constitutionnellement, avec l’article 184, alinéa 3 Cst, qui permet au Conseil fédéral de décréter provisoirement si l’intérêt du pays l’exige, des mesures de politique internationale ciblées contre l’un ou l’autre État voyou et ses dirigeants corrompus. Plusieurs textes internationaux ont eu une portée décisive dans la lutte contre la corruption, dans son acception large, c’est-à-dire pas seulement orientée sur les potentats, mais contre la corruption des agents publics en général. Il s’agit de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC), de la Convention de l’OCDE de 1997, ainsi que de la Convention européenne de la même année. Elles marquent une prise de conscience collective sur la nécessité de se prémunir contre la corruption et déclament les intentions générales des États membres pour y faire face ; mais elles ne contiennent aucune marche à suivre. Cette déclinaison fut en effet l’affaire du GAFI, dont les recommandations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme font office de standards internationaux, par un mécanisme de revues périodiques des pays membres par leurs pairs (6) ; mais le GAFI n’est pas une organisation intergouvernementale reposant sur un traité ; de iure, il s’agit d’une « simple » réunion interministérielle, qui rassemble tout de même 34 pays et deux organisations régionales.
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Le GAFI n’est pas
une organisation intergouvernementale reposant sur un traité.
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ATF 138 IV 1 ; C. Lombardini, Droit bancaire suisse, Zurich-Bâle-Genève, 2008, p. 1038. Le terme consacré est anglais : Peer Reviews.
II. Les sources Les recommandations du GAFI, ainsi que leur Glossaire (éd. 2003 et 2012), ainsi que les Notes interprétatives 2012 (7), constituent la source internationale guidant les pays et organisations internationales dans la définition des personnes exposées politiquement (PEP). En Europe, le texte de référence est la directive 2006/70/ CE portant mise en œuvre de la directive 2005/60/CE sur la définition des PEP. Alors qu’en Suisse, jusqu’au 31 décembre 2015, c’est l’ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent (OBA-FINMA) qui constituait le siège de la matière, dès le 1er janvier 2016 et suite à la mise en œuvre des 40 recommandations du GAFI, révisées en 2012, c’est l’article 2a de loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA – RS 955.0) qui définit les PEP.
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Dès le 1er janvier 2016,
c’est l’article 2a
de loi fédérale sur le blanchiment d’argent qui définit les PEP.
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Mais avant d’analyser ces textes dans plus de détail, il est important de rappeler la définition des PEP donnée par le Glossaire des recommandations du GAFI (2012), soit : « les personnes qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions publiques dans un pays étranger, par exemple, les chefs d’État et de gouvernement, les politiciens de haut rang, les hauts responsables au sein des pouvoirs publics, les magistrats et militaires de haut rang, les dirigeants d’entreprises publiques et les hauts responsables de partis politiques ». Alors que la recommandation no 12, et en particulier son § 3, stipule que : « Les obligations applicables à tous les types de PPE devraient également s’appliquer aux membres de la famille de ces PPE et aux personnes qui leur sont étroitement associées (8) ».
7. 8.
Textes disponibles sur : http://www.fatf-gafi.org/fr/. Repris en anglais « close associates », qui comprend d’ailleurs une certaine ambiguïté, puisque le terme associate se traduit par collaborateurs en français et que les termes « personnes associées » de la version française ont juridiquement un sens différent du sens commun dans lequel il est utilisé dans les recommandations du GAFI.
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III. Potentats et PEP : les 3 cercles
IV. Approche européenne versus approche suisse
Cette dernière disposition met donc en évidence trois cercles de personnes pour qui la vigilance et la surveillance des intermédiaires financiers devraient être identiques.
On comprend bien le souci du GAFI, dans sa définition des PEP et de leurs proches, de couvrir le plus possible les cercles de personnes exposées au risque de corruption ou de détournement de biens étatiques. Il est donc intéressant d’analyser comment la directive européenne et la loi suisse ont décliné la problématique.
“
Trois cercles de personnes
pour qui la vigilance
et la surveillance devraient être identiques.
”
Il s’agit des PEP elles-mêmes (1er cercle), des membres de leur famille (2e cercle) et des personnes étroitement associées (3e cercle). Ceci car au fil des années et en raison des diverses barrières anti-corruption mises en place dans les établissements financiers, les PEP ont été de plus en plus tentées de mettre en place des structures, plus ou moins complexes, avec leurs familles ou leurs proches, pour échapper aux contrôles. Ainsi, ce sont tantôt des parents ou alliés des PEP, tantôt des hommes d’affaires d’un pays à risque, ou encore les gendres des gouvernants qui dirigent des sociétés paraétatiques ou complètement privées, qui détournent les avoirs ou les richesses naturelles d’un pays plus ou moins « coopérant » sur la scène internationale. Le tout parfois entouré d’une bonne dose de sociétés commerciales à l’apparence tout à fait honnête, plus ou moins actives avec le pays en cause, mais bien plus intéressées dans la haute technologie…
“
« 1. Aux fins de l’article 3, paragraphe 8, de la directive 2005/60/CE, les “personnes physiques qui occupent ou se sont vu confier une fonction publique importante” comprennent : a) les chefs d’État, les chefs de gouvernement, les ministres, ministres délégués et secrétaires d’État ; b) les parlementaires ; c) les membres des cours suprêmes, des cours constitutionnelles ou d’autres hautes juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours, sauf circonstances exceptionnelles ; d) les membres des cours des comptes ou des conseils des banques centrales ; e) les ambassadeurs, les chargés d’affaires et les officiers supérieurs des forces armées ; f) les membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance des entreprises publiques. 2. Aux fins de l’article 3, point 8, de la directive 2005/60/CE, les “membres directs de la famille” comprennent : a) le conjoint ; b) tout partenaire considéré par le droit interne comme l’équivalent d’un conjoint ; c) les enfants et leurs conjoints ou partenaires ; d) les parents.
Le tout parfois entouré
d’une bonne dose
de sociétés commerciales à l’apparence tout à fait
”
honnête.
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L’article 2 de la directive 2006/70/CE a adopté une approche technique assez précise et énumérative :
3. Aux fins de l’article 3, point 8, de la directive 2005/60/ CE, les “personnes connues pour être étroitement associées” comprennent : a) toute personne physique connue pour être le bénéficiaire effectif d’une personne morale ou d’une construction juridique conjointement avec une personne visée au paragraphe 1 ou pour entretenir toute autre relation d’affaires étroite avec une telle personne ; b) toute personne physique qui est le seul bénéficiaire effectif d’une personne morale ou d’une construction juridique connue pour avoir été établie au profit de facto de la personne visée au paragraphe 1 » (l’auteur souligne).
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145
Chroniques
IV.B. Intégrité du marché
Chroniques
IV. Régulation intersectorielle
Alors que le nouvel article 2a LBA, qui reprend dans les grandes lignes l’ancien article 2, alinéa 1er, lit. a, OBA-FINMA, et désigne comme PEP (9) : « les personnes qui sont ou ont été chargées de fonctions publiques dirigeantes à l’étranger, en particulier les chefs d’État ou de gouvernement, les politiciens de haut rang au niveau national, les hauts fonctionnaires de l’administration, de la justice, de l’armée ou des partis au niveau national, les organes suprêmes d’entreprises étatiques d’importance nationale (personnes politiquement exposées à l’étranger) ; (…) Sont réputées proches de personnes politiquement exposées les personnes physiques qui, de manière reconnaissable, sont proches des personnes au sens de l’alinéa 1er pour des raisons familiales, personnelles ou relevant de relations d’affaires ». Cette étude comparative des deux textes montre, même si cela ne saute pas aux yeux à première lecture, que l’approche très technique choisie par la directive européenne, en limitant le cercle des personnes étroitement associées aux proches du § 1er de l’article 2, ne concerne pas les proches associés des membres de la famille. De même, la maîtresse d’un chef d’État ou l’amant d’une ministre, qui tomberait sous le coup du droit suisse pour autant que la relation soit « reconnaissable », ne sont pas concernés stricto sensu par le texte européen. Quant au texte de la loi suisse, même s’il paraît plus simple de prime abord, il recèle pourtant des difficultés d’application bien plus grandes, puisque l’appréciation sera dictée par les termes « de manière reconnaissable ». 9.
146
La présentation du texte ci-dessous a volontairement tronqué les lettres b) et c) du texte de loi qui concernent les PEP nationales et les PEP d’organisations intergouvernementales, pour mettre en évidence une comparaison des dispositions européennes et suisses.
“
L’approche très technique
choisie par la directive européenne ne concerne pas les proches associés des membres de la
”
famille.
Et pose la question de savoir jusqu’où la parenté, l’alliance, ou encore une relation par définition secrète, devra-t‑elle être décelée par l’intermédiaire financier pour se conformer à la disposition légale.
V. Conséquence pratique / conclusion La gestion des risques sur les PEP vise à mesurer ces risques et à préserver l’exposition des intermédiaires financiers aux conséquences juridiques et de réputation qu’implique cette clientèle. Indépendamment des textes légaux et réglementaires, les directives internes des banques et autres intermédiaires financiers du secteur non bancaire, vont en général plus loin que la loi, dans une optique prudente. C’est donc plutôt une approche suisse qui doit guider la rédaction de ces directives internes.
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PEP , DICTATEURS, POTENTATS : LE TRIO INFERNAL (1)
Chroniques
IV.B. Intégrité du marché
(2)
Plaidoyer pour une prévention plus efficace en matière de lutte contre les avoirs illicites de potentats en Suisse
Mariame Krauer-Diaby
Adjointe scientifique à l’Institut de lutte contre la criminalité économique (ILCE) de la Haute école de gestion Arc (HES-SO// Haute École de Suisse Occidentale)
Introduction La question des potentats, particulièrement, celle de leurs avoirs illicites – qui a fait l’objet de débats récents au parlement helvétique (3) – est loin d’être inédite en Suisse. Bien que les autorités fédérales situent à 1986 leur premier contact avec ce type d’avoirs, notamment dans le cadre de l’affaire Marcos des Philippines (4), d’aucuns affirment que le pays aurait été confronté à cette problématique bien avant cette date. Selon un rapport de CCFD-Terre Solidaire, les autorités suisses ont été sollicitées, sans succès, pour la restitution des avoirs détournés par le premier Président du Ghana – Kwamé Nkrumah en 1960 (5) et par le Shah d’Iran en 1979 (6). La Suisse s’est rachetée depuis en restituant plus du tiers du montant global des fonds illicites de potentats Politically Exposed Persons ou en français Personnes politiquement exposées. 2. Cet article fait suite à la conférence donnée lors du colloque de l’ILCE des 9 et 10 septembre 2015 portant sur l’effectivité de la lutte contre les avoirs illicites des potentats, colloque organisé avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). 3. Loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite des personnes politiquement exposées à l’étranger adoptée le 18 décembre 2015 par l’Assemblée fédérale de la Confédération suisse, disponible à : http://www.parlament.ch/sites/doc/ CuriaFolgeseite/2014/20140039/Texte%20pour%20 le%20vote%20final%201%20NS%20F.pdf (consulté le 18.12.2015). 4. Conseil fédéral suisse, Message relatif à la loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite, du 21 mai 2014, Feuille fédérale 2014‑0136 p. 5127, disponible à : https:// www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2014/5121.pdf (consulté le 10.12.2015). 5. A. Dulin, J. Merchaert, Biens mal acquis : à qui profite le crime ?, Rapport du CCFD-Terre Solidaire, juin 2009, p. 27, disponible à : http://ccfd-terresolidaire.org/IMG/ pdf/BMA_totalBD.pdf (consulté le 08.12.2015). 6. Ibid. 1.
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retournés aux pays d’origine. Elle se présente désormais comme le leader mondial en la matière (7). Selon les autorités suisses, le pays est doté d’un « dispositif efficace et mondialement reconnu pour lutter contre la criminalité financière transnationale » (8) dont notamment une législation anti-blanchiment d’argent détaillée (9) – régulièrement adaptée conformément aux exigences internationales et du GAFI (10). L’exemplarité de son projet de loi relative aux avoirs illicites de potentats (11) adopté par le Parlement le 18 septembre 2015 aurait été saluée par les experts de la Banque mondiale (12).
“
Elle se présente désormais
comme le leader mondial en la matière.
7.
”
DFAE – Direction du droit international public, « La politique suisse en matière de restitution d’avoirs illicites : mythes et réalités », Allocution de l’Ambassadeur Valentin Zellweger, du 5 mai 2010, p. 2, disponible à : https://www.eda.admin.ch/content/dam/eda/fr/ documents/aussenpolitik/finanzplatz-wirtschaft/Rede- Botschafter-V alentin-Zellweger-C lub-d e-la-p resse_ FR.pdf (consulté le 08.12.2015). 8. DFAE – Direction du droit international public, Rapport explicatif à l’avant-projet : Loi sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite liées à des personnes politiquement exposées (LBRV), état au 8 mai 2013, p. 5, disponible à : https://www. admin.ch/ch/f/gg/pc/documents/2259/LBRV_Rapport- expl_fr.pdf (consulté le 08.12.2015). 9. Pour plus de détails, voy. I. Augsburger-Bucheli, « La Suisse et sa lutte contre les avoirs illicites de potentats », dans le même numéro. 10. Le Groupe d’action financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental créé en 1989 par les ministres de ses États membres. Pour plus de détails voy. : http:// www.fatf-gafi.org/fr/aproposdugafi/quisommes-nous/ (consulté le 10.12.2015). 11. Projet de loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger (loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite, LVP), Feuille fédérale 2014 -1214, p. 5207, disponible à : https://www.admin.ch/opc/ fr/federal-gazette/2014/5207.pdf (consulté le 18.12.2015). 12. S. Jaberg, « Pourquoi la Suisse n’en a pas fini avec l’argent des potentats », Swissinfo, 18 septembre 2015, disponible à : http://www.swissinfo.ch/fre/une-place- financi%C3%A8re-p ropre-_ pourquoi-l a-s uisse-n - en-a-pas-fini-avec-l-argent-des-potentats-/41660520 (consulté le 10.12.2015).
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Chroniques
IV. Régulation intersectorielle
“
L’histoire se répète
”
inlassablement.
Cependant, certains événements tels que le printemps arabe, la crise sociopolitique en Côte d’Ivoire ou encore les récentes affaires Swiss Leaks (13) et la crise ukrainienne ont tendance à rouvrir la boîte de pandore. La Suisse s’est une fois de plus trouvée sous le feu des critiques internationales suite à la découverte sur son sol d’avoirs appartenant à des personnes désormais qualifiées de potentats. L’histoire se répète inlassablement. Si en lieu et place, de Marcos (1986), Duvalier (1986), Salinas (1995), Bhutto (1999), Lazarenko (1998), Mobutu (1999), Abacha (2000), on parle désormais de Kadhafi, Bacher el-Assad, Gbagbo, Ben Ali, Moubarak ou plus récemment Viktor Ianoukovitch, le principe reste le même : des dirigeants étrangers tombés en disgrâce internationale ont fait appel à des institutions financières, établies en Suisse, pour mettre en lieu sûr des fonds dont la provenance est étroitement liée à des détournements de deniers publics ou à la corruption.
“
l’image de la Suisse,
ainsi qu’à la réputation
”
Les autorités helvétiques n’ont de cesse de le répéter : la Suisse n’a aucun intérêt à ce que sa place financière soit utilisée abusivement pour la dissimulation de fonds illicites de potentats (14). Comme l’a fait judicieusement remarquer le groupe de travail IDAG (15), « en plus des problèmes de gouvernance et de développement qu’ils 13. http://www.swissleaks.net/. 14. DFAE – Direction du droit international public, Allocution de l’Ambassadeur Valentin Zellweger, 5 mai 2010, op. cit. ; Interdepartementale Arbeitsgruppe Korrupitonsbekämpfung (IDAG), Rapport de l’IDAG Corruption – Un état des lieux des activités de lutte contre la corruption en Suisse et à l’étranger du 28 mars 2011, p. 12, disponible à : http://www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/ attachments/22789.pdf (consulté le 12.12.2015). 15. Il s’agit du groupe de travail interdépartemental chargé de développer une stratégie suisse concertée de lutte contre la corruption. Il réunit des représentants de l’administration fédérale, des cantons, des villes, de la sphère économique et de la société civile. Pour plus de détails voy. : https://www.eda.admin.ch/eda/fr/ home/aussenpolitik/finanzplatz-wirtschaft/korruption/ 148
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Pourquoi la Suisse
n’en a pas fini avec l’argent
”
des potentats ?
I. Intermédiaire financier versus argent illicite de potentats
Ces avoirs nuisent à
de sa place financière.
posent dans les pays concernés, ces avoirs nuisent à l’image de la Suisse, ainsi qu’à la réputation de sa place financière » (16), leader mondial dans la gestion de fortune offshore (17). Par ailleurs, aux dires des autorités fédérales helvétiques, « depuis le premier cas important d’avoirs de potentat, celui des époux Marcos dans les années 1980, la Suisse a développé un dispositif législatif efficace pour éviter le dépôt de fonds acquis illicitement » (18). Comment expliquer alors la récurrence de la problématique ? Ou comme le titrait un quotidien suisse, « pourquoi la Suisse n’en a pas fini avec l’argent des potentats ? » (19). Cela pourrait s’expliquer notamment par le fait qu’il n’est pas toujours aisé pour l’intermédiaire financier – en première ligne dans la lutte contre les avoirs illicites de potentats – de faire le tri entre PEP, dictateur et potentat.
En théorie, les obligations de vigilance issues de la législation anti-blanchiment devraient permettre à l’intermédiaire financier de prévenir l’arrivée sur le sol helvétique d’avoirs appartenant à des dirigeants corrompus. Il s’agit en particulier de l’interdiction qui lui est faite d’accepter des fonds qu’il sait ou doit présumer d’origine illicite (art. 7 OBA-FINMA (20)), de
16. 17.
18.
19. 20.
arbeitsgruppe-korruptionsbekaempfung.html (consulté le 10.12.2015). Interdepartementale Arbeitsgruppe Korrupitonsbekämpfung (IDAG), 28 mars 2011, op. cit., p. 12. Swissbanking, « La gestion de fortune en Suisse : état des lieux et tendances », février 2011, p. 3, disponible à : http://www.swissbanking.org/fr/20110107-bro-vermoegensverwaltungsgeschaeft- rva.pdf (consulté le 11.12.2015). DFAE – Direction du droit international public, Cadre juridique, 30 octobre 2015, disponible à : https://www. eda.admin.ch/eda/fr/home/aussenpolitik/finanzplatz- wirtschaft/unrechtmaessig-erworbene-vermoegenswerte- pep/praevention-finanzplatz.html (consulté le 07.12.2015). S. Jaberg, op. cit. Ordonnance de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers sur la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme (ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent, OBA- FINMA) du 8 décembre 2010 (état le 1er janvier 2011), RS 955.033.0. Une nouvelle version de ce texte entrera en vigueur dès le 1er janvier 2016. La présente contribution se base sur la version en vigueur lors de sa rédaction.
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l’interdiction d’entretenir des relations d’affaires avec une organisation criminelle (art. 8 OBA-FINMA) (21) et de l’obligation d’avoir une diligence accrue dans ses relations avec les PEP (22) y compris les PEP étrangers (23). Selon le Glossaire du GAFI « l’expression PEP étrangers désigne les personnes qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions publiques dans un pays étranger par exemple, les chefs d’État et de gouvernement, les politiciens de haut rang, les hauts responsables au sein des pouvoirs publics, les magistrats et militaires de haut rang, les dirigeants d’entreprise publique et les hauts responsables de partis politiques » (24). On retrouve l’essence de cette définition dans la législation suisse actuelle (25) et future (26). Quoique très critiquée ces dernières années, la place financière suisse reste toujours prisée. Avec près de CHF 6.656 milliards d’actifs sous gestion (27), la diligence des intermédiaires financiers peut être mise à rude épreuve par l’importance des flux financiers qu’ils doivent monitorer. Afin de répondre aux attentes de leurs clients, de rester compétitifs tout en respectant les exigences légales, les intermédiaires financiers suisses sont amenés à traiter des milliers d’informations financières dans des temps très courts (28). L’intermédiaire financier est donc obligé de se tenir constamment informé et d’agir très rapidement. Par ailleurs, les PEP corrompus – pouvant tomber sous l’appellation de potentat (29) – font preuve d’une créativité de plus en plus grande en matière de dissimulation de l’origine illicite de leurs fonds. Ils ouvrent rarement des relations bancaires en leur nom propre. L’intermédiaire 21. Pour rappel, dans certaines affaires de potentats, notamment les affaires Abacha et Duvalier, les autorités judiciaires suisses ont retenu la qualification d’organisations criminelles. 22. Art. 12 ss OBA-FINMA, art. 305ter CP, art. 6 LBA. 23. Pour plus de détails sur la notion de PEP, voy. J. Blanc, « PEP, identification et gestion des risques : les approches suisses et européennes et leurs incidences sur le 3e cercle », dans le même numéro. 24. GAFI, Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération, Les recommandations du GAFI, février 2012, p. 102, disponible à : http://www. fatf-gafi.org/media/fatf/documents/recommendations/ Recommandations_GAFI.pdf. 25. Art. 2 lit. a ch. 1 OBA-FINMA. 26. Art. 2a de la Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme du 15 juin 2015, entrée en vigueur prévue pour le 1er janvier 2016. 27. http://www.swissbanking.org/fr/facts_figures.htm (consulté le 19.12.2015). 28. Il y a lieu de souligner que le nombre de messages de paiement est en constante évolution. De 2010 à 2014, ils sont passés de 1.990 millions à 2.737 millions. Cfr : Swift, Annuel Review, p. 20, disponible à : https:// www.swift.com/assets/swift_com/documents/about_ swift/2014_SWIFT_Annual_Review.pdf (consulté le 19.12.2015). 29. Voy. nos développements relatifs à la notion de potentat (4). 2016/1
financier doit alors faire le tri entre les avoirs détenus par des hommes de paille, des personnes morales dont l’ayant droit économique est un PEP, les fonds gérés par de très larges cercles de proches et un nombre important de mandataires. La trace de l’argent du crime peut aisément être perdue à travers « les paradis fiscaux, les sociétés écrans, les réseaux de compagnies complices, les intermédiaires financiers tous azimuts, les relais entre les places financières offshore, autant de manœuvres qui brouillent les pistes et compliquent la tâche de trouver qui fait quoi, ou encore de déterminer avec précision d’où vient l’argent et de quelle provenance (légale ou illégale) […] » (30). L’intermédiaire financier ne dispose que des informations fournies par le client ou publiquement accessibles et d’applications informatiques spécialisées à la fiabilité relative. Les cinq dernières années témoignent du fait que les situations politiques peuvent rapidement évoluer (31). Le partenaire économique tout à fait crédible d’hier peut être le potentat d’aujourd’hui et vice-versa (32). La détermination de la qualité de potentat dépasse clairement la compétence des intermédiaires financiers qui ne sont finalement qu’un maillon du dispositif élaboré par les autorités fédérales suisses.
II. Le dispositif suisse de lutte contre les avoirs de potentats : une stratégie à deux vitesses La politique suisse de lutte contre les avoirs de potentats repose sur deux piliers fondamentaux – prévention et répression – avec cinq (33) voire six composants (34) : la lutte contre la corruption, l’identification de la partie contractante et de l’origine des fonds, l’obligation de communication et de blocage des intermédiaires financiers en cas de soupçon fondé, l’entraide judiciaire et/ou le blocage des fonds par les autorités fédérales et la restitution des avoirs illicites de potentats (35).
30. L. Fines, Négociations et crimes en col blanc, immunités réciproques, Questions contemporaines, L’Harmattan, Paris, 2013, p. 121. 31. Le printemps arabe et la crise ukrainienne en sont des exemples éloquents. 32. Les propos de Gretta Fenner, Directrice de l’International Centre for Asset Recovery (ICAR) du Basel Institute on Governance, recueillis par S. Jaberg, op. cit., illustrent bien cela : « Comment voulez-vous que les banques considèrent Hosni Moubarak comme un quasi-criminel alors qu’il est un partenaire tout à fait normal du gouvernement suisse ? ». 33. DFAE – Direction du droit international public, Allocution de l’Ambassadeur Valentin Zellweger, op. cit., p. 3. 34. Pour plus de détails, voy. Conseil fédéral suisse, message du 21 mai 2014, Feuille fédérale 2014‑0136, op. cit. 35. Ibid.
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Chroniques
IV.B. Intégrité du marché
Chroniques
IV. Régulation intersectorielle
Avant la chute
Après la chute
Bases légales
Quoi ?
Qui ?
Lutte contre la corruption
Autorités suisses
CP(36), LCD(37), etc.(38)
Identification de la partie contractante et de l’origine des fonds
Intermédiaires financiers
LBA, OBA- FINMA, CDB(39), CP
Communication et blocage
Intermédiaires financiers
LBA, CDB
Entraide judiciaire ou Procédure de confiscation
Autorités suisses/ autorités étrangères
EIMP(40), LVP
Restitution de valeurs patrimoniales
Autorités suisses
EIMP/LVP
Stratégie de lutte contre les avoirs illicites de potentats Si cette politique semble avoir fait ses preuves dans la phase « post-chute » de potentat, particulièrement dans le domaine de l’« asset recovery » (41), son volet prévention soulève encore des questions dans la phase « pré-chute » du potentat.
A. Une stratégie efficace en matière d’asset recovery La stratégie suisse de lutte contre les avoirs illicites de potentats est orientée « asset recovery ». Cette approche est louable à plus d’un titre. La restitution des avoirs illicites reste d’une nécessité absolue pour les pays qui 36. Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (état le 1er janvier 2015), RS 311.0. 37. Loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986 (état le 1er janvier 2014), RS 241. 38. Ajoutons également les textes internationaux en matière de lutte contre la corruption que sont entre autres : la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, du 17 décembre 1997, (RS 0.311.21), la convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe, (RS 0.311.55), la Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003 (RS 0.311.56). 39. Convention relative à l’obligation de diligence des banques du 7 avril 2008, disponible à http://www.swissbanking. org/fr/20080410-vsb-cwe.pdf (consulté le 19.12.2015). 40. Loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale du 20 mars 1981 (état le 1er janvier 2013), RS 351.1. 41. Ce terme est utilisé pour désigner la restitution des fonds publics étrangers d’origine illicite. Il englobe les différentes étapes qui y mènent, de l’identification à la remise de valeurs patrimoniales dans le cadre d’enquêtes pénales et de procédures d’entraide internationale en matière pénale. 150
en ont été spoliés. Il s’agit pour la plupart de « pays en voie de développement là où de grands cas de corruption ont conduit à des dépôts importantissimes de biens nationaux dans des centres bancaires et des paradis fiscaux alors que ces pays ont cruellement besoin de ces richesses pour la reconstruction de leur société » (42). Par ailleurs, la restitution des avoirs illicites permet de « faire en sorte que le crime ne paie pas » (43). C’est en cela qu’elle a été érigée au titre des principes fondamentaux de la Convention des Nations Unies contre la Corruption de 2004 (art. 51 et s.). Dans le système actuel, le recouvrement et la restitution des avoirs illicites dépendent fortement de la célérité de l’État d’origine des fonds à introduire une demande d’entraide judiciaire. À défaut et/ou à titre préventif, le Conseil fédéral n’a d’autres recours que les dispositions de l’article 184, alinéa 3 Cst. pour adopter des ordonnances urgentes de blocage des avoirs en question. Ce fut notamment le cas pour les avoirs tunisiens, égyptiens et ukrainiens. Avec l’adoption de la nouvelle LVP, le Conseil fédéral aura désormais une base légale formelle pour ordonner, à titre préventif, le blocage des valeurs patrimoniales appartenant à des dirigeants corrompus déchus.
“
La stratégie suisse de lutte
contre les avoirs illicites de potentats est orientée
”
« asset recovery ».
Ce texte autorise également les autorités fédérales telles que le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), l’Office fédéral de la justice (OFJ) et le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) à soutenir le pays d’origine des avoirs concernés dans ses efforts en vue de leur restitution. Cette aide peut consister en des formations aux autorités du pays d’origine, en l’octroi de conseils juridiques ou en la fourniture de toute information nécessaire pour l’introduction d’une demande d’entraide judiciaire conforme aux exigences suisses. En cas d’échec ou d’impossibilité de celle-ci, le nouveau dispositif prévoit une procédure subsidiaire qui permet un blocage et une confiscation des valeurs d’origine illicite en vue de leur restitution au pays d’origine.
42. S. Bah, « La restitution des avoirs issus de la corruption dans les conventions anti-corruption internationales : une avancée conceptuelle et normative à la portée pratique limitée », RDAI/IBLJ, n° 1, p. 15. 43. B. Bertossa, « La confiscation des produits du crime », Revue économique et sociale : bulletin de la Société d’Études Économiques et Sociales, vol. 61, n° 3, 2003, p. 29.
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La dextérité des autorités fédérales en la matière n’est plus à démontrer. Avec près de 1,8 milliards de dollars restitués(44) et un montant encore plus élevé de fonds illicites bloqués, la Suisse a été plutôt efficace
en comparaison internationale. Toutefois, le cœur du problème – qui consiste à empêcher l’arrivée sur le sol suisse d’avoirs appartenant à des kleptocrates déchus – reste le parent pauvre de la stratégie suisse.
Nouveau processus de blocage et de restitution d’avoirs illicites de potentats Perte /risque de pouvoir + degré de corruption élevé + sauvegarde des intérêts de la Suisse (art. 3 al. 2 LVP) DFAE, OFJ, MROS : mesures de soutien (art. 11 – 13 LVP)
Conseil fédéral (CF) : blocage préventif (art. 3 LVP)
CF : Blocage si échec ou impossibilité de l’entraide judiciaire (art. 4 LVP)
Procédure d’entraide (EIMP)
Tribunal administratif fédéral : Confiscation (art. 14 LVP)
Restitution (art. 74a EIMP)
Restitution (art. 18 LVP)
Contrairement au volet répression qui fait l’objet d’une législation spécifique, la phase de « prévention » de la stratégie suisse de lutte contre les avoirs illicites de potentats se résume essentiellement à la lutte générale contre la corruption et le blanchiment d’argent (45).
Concernant la lutte contre la corruption, qui reste à notre avis une nécessité absolue, les actions de la Suisse tout comme celles de la communauté internationale ont eu des effets jusqu’ici limités sur le comportement des dirigeants des républiques bananières. Les systèmes de privilèges et de barrières qui se déploient dans les sphères du pouvoir permettent aux dirigeants véreux de continuer leurs agissements illégaux sans trop craindre l’intervention de quiconque (46). Comme le souligne le titre d’un ouvrage spécialisé, la lutte contre la corruption s’affiche comme une « never ending story » (47) et la kleptocratie a encore de beaux jours devant elle.
44. Cfr : Conseil fédéral suisse, message du 21 mai 2014, Feuille fédérale 2014‑0136, op. cit. ; DFAE – Direction du droit international public, Stratégie de la Suisse concernant le blocage, la confiscation et la restitution des avoirs illicites de potentats (Asset recovery), p. 6, disponible à : https://www.eda.admin.ch/content/dam/eda/fr/documents/aussenpolitik/finanzplatz-wirtschaft/Strategie- Schweiz-S perrung-E inziehung-R ueckfuehrung- Potentatengelder_FR.pdf (consulté le 07.12.2015). 45. Cfr : Conseil fédéral suisse, message du 21 mai 2014, Feuille fédérale 2014‑0136, op. cit. et DFAE – Direction du droit international public, Stratégie de la Suisse
concernant le blocage, la confiscation et la restitution des avoirs illicites de potentats (Asset recovery), p. 6, disponible à : https://www.eda.admin.ch/content/dam/ eda/fr/documents/aussenpolitik/finanzplatz-wirtschaft/ Strategie-Schweiz-Sperrung-Einziehung-Rueckfuehrung- Potentatengelder_FR.pdf (consulté le 07.12.2015). 46. L. Fines, Négociations et crimes en col blanc, immunités réciproques, Questions contemporaines, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 91. 47. U. Cassani et A. Héritier Lachat, Lutte contre la corruption internationale, the never ending story, Schulthess Verlag, Zürich 2011.
B. La prévention : le parent pauvre de la stratégie de lutte contre les avoirs illicites de potentats
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La lutte contre
la corruption s’affiche comme une « never ending story ».
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médiaires financiers » (50), en termes de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Cependant, lorsqu’on parle de potentat, il ne s’agit plus d’un risque, mais d’une quasi-certitude. Si la définition de PEP mentionnée dans nos développements précédents nous donne un aperçu de la fonction que peut occuper un potentat, elle va cependant au-delà de la notion de potentat. En effet, bien que tout potentat soit un PEP tout PEP n’est pas potentat.
La lutte contre le blanchiment d’argent quant à elle reste fortement dépendante de la bonne volonté et la diligence des intermédiaires financiers. Le dispositif anti-blanchiment laisse encore assez de marge de manœuvre à certains intermédiaires financiers indélicats, peu enclins à se défaire d’une clientèle dorée. Les obligations de vigilance et de dénonciation qui leur incombent ont largement été mises à mal dans différentes affaires relatives aux avoirs illicites dont notamment celle des fonds Abacha et les récents scandales révélés par l’affaire Swiss Leaks. Les actualités récentes relatives à la banque HSBC laissent entrevoir que certains intermédiaires financiers continuent de surfer dans la zone grise pour parfois se retrouver dans l’illégalité.
Selon le dictionnaire Larousse (51), le terme potentat désigne le souverain absolu d’un grand État ou encore une personne disposant d’un grand pouvoir en raison de sa richesse et qui en use de façon despotique. Si l’on s’intéresse à la première partie de la définition, qu’est-ce qu’un « grand État » ? Un État est-il grand du fait de sa taille ou à cause de son importance dans le concert des Nations ? Ces dernières années, le terme « potentat » a été utilisé indifféremment de la taille ou de l’importance du pays d’origine de la personne concernée (52). Selon la deuxième partie de la définition, le pouvoir du potentat résulterait de sa richesse. Dans le contexte qui est le nôtre, c’est totalement le contraire. Le potentat se sert du pouvoir qui lui a été confié afin de s’enrichir personnellement ainsi que ses proches. Par conséquent, cette définition du dictionnaire n’est pas adaptée à la notion de potentat actuellement utilisée dans notre contexte.
En se dotant d’un dispositif de pointe en matière de restitution des avoirs illicites de potentat, la Suisse ne règle qu’une partie du problème. Comme le soulignait le sénateur Thomas Minder le problème principal demeure. À sa question de savoir « Pourquoi est-il si difficile de dire que nous ne voulons pas de l’argent des potentats dans nos banques ? » (48), nous répondons qu’il serait déjà utile de préciser ce qu’on entend par potentat.
Le Conseil fédéral Suisse s’est contenté récemment de préciser ce qu’il entendait par « potentat » dans le contexte de l’asset recovery sans toutefois juger nécessaire de préciser cela dans la nouvelle loi (53). Selon lui, le terme « potentat » vise « les dirigeants étrangers qui abusent de leur pouvoir pour s’approprier des valeurs patrimoniales par des actes de corruption ou d’autres crimes et les détourner ensuite vers des places financières étrangères » (54).
III. La notion de potentat Bien que régulièrement utilisée ces dernières années, particulièrement lors de la découverte d’avoirs appartenant à des dictateurs déchus ou des dirigeants corrompus dans les places financières occidentales, la notion même de « potentat » n’a toujours pas fait l’objet d’une définition juridique. Elle est très diffuse et reste englobée dans celle de PEP qui n’est pas forcément identique et pas toujours adaptée à la problématique des avoirs illicites de dirigeants corrompus (49). La notion de PEP a été « développée dans le but de définir les relations d’affaires représentant un risque accru pour les inter48. Sénateur Thomas Minder, Conseil des États, session d’automne 2015 -Treizième séance -24.09.15‑08h15 http:// www.parlament.ch/ab/frameset/d/s/4920/479545/ d_s_4920_479545_479634.htm. 49. U. Cassani, « La confiscation de l’argent des “potentats” : à qui incombe la preuve ? La semaine judiciaire II », Doctrine, 2009, n° 8, p. 252. 152
La qualification de potentat ne devrait pas être déterminée par le fait que les avoirs illicites soient détournés ou non vers des places financières étrangères et encore moins par le fait que le dirigeant concerné soit au pouvoir ou non. C’est pourquoi nous proposons la définition suivante : le potentat est une personne physique qui peut être un dictateur kleptocrate ou un officier public sans scrupule qui abuse de sa position pour 50. Ibid. 51. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/potentat /62993. 52. L’appellation « fonds de potentats » a été utilisée dans différentes affaires : 2002, Montesinos / Pérou 1.285.000 km² 2003, Marcos / Philippines 300.000 km² 2005, Abacha / Nigéria 923.768 km² 2007, Kazakhstan 2.717.000 km² 2008, Salinas / Mexique 1.973.000 km² 2012, Angola 1.247.000 km² 2014, Duvalier / Haïti 27.750 km² 53. Conseil fédéral suisse, message du 21 mai 2014, op. cit., Feuille fédérale 2014‑0136, p. 5126. 54. Ibid.
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s’enrichir illicitement ainsi que ses proches aux dépens de l’État et de la population. Une telle définition serait de nature à contribuer à la détermination des éléments constitutifs de la qualité de potentat et ainsi permettre l’élaboration d’une stratégie plus proactive en matière de prévention de l’arrivée des avoirs illicites de potentat sur le sol helvétique.
IV. Conclusion Une lutte efficace contre le crime doit avoir pour but ultime d’empêcher le criminel de profiter du fruit de son méfait. Cependant, vu la durée du règne de certains potentats (55), il est indéniable que ces derniers profitent souvent longtemps du fruit de leurs méfaits. Par ailleurs, la sécurisation de leurs avoirs dans les places financières occidentales est de nature à renforcer ou à allonger leur règne. Les leçons tirées des affaires du printemps arabes démontrent que plus ce dernier est long, plus il est difficile au pays de recouvrer une stabilité après la chute du potentat. De plus, l’Occident n’est plus une bulle protégée du reste du monde, comme on a pu le constater avec l’augmentation récente des flux migratoires et des réfugiés. Les pays occidentaux sont désormais amenés à gérer les conséquences négatives des tragédies qui se déroulent dans d’autres parties du monde. Une motivation pour les inciter à lutter plus précocement contre les avoirs illicites des potentats ? Les procédures de restitution des avoirs durent parfois de longues années. La Suisse se trouve encore en possession d’une partie des fonds Duvalier (56). Quand bien même les autorités suisses seraient diligentes, des soupçons d’inefficacité continueront de subsister. Une des idées les plus répandues dans le domaine des avoirs illicites de potentats est que les avoirs identifiés ne constituent que le sommet de l’iceberg, une part substantielle resterait secrètement détenue par les intermédiaires financiers (57). 55. Marcos (Philippines) par exemple a été à la tête de 1965 à 1986 (20 ans). Moussa Traoré a été le président du Mali pendant 23 ans. Cfr CCFD-Terre solidaire, « La fortune des dictateurs et les complaisances occidentales », Direction des études et du plaidoyer, mars 2007, disponible à : http://ccfd-terresolidaire.org/IMG/pdf/5_ BMA_chap1‑1.pdf. On peut également citer le cas de Kadhafi en Lybie qui a été au pouvoir pendant près de 42 ans. 56. Le Tribunal administratif fédéral a récemment confirmé le blocage d’un montant de 4,6 millions de francs appartenant à un ex-ministre de Jean-Claude Duvalier. Pour plus de détails, voy. : arrêt du Tribunal administratif fédéral B-5905/2012 du 27 novembre 2015, disponible à : http://entscheide.weblaw.ch/cache/f.php?url=links. weblaw.ch%2FBVGer-2 7‑11‑2015-B -5 905‑2012 (consulté le 20.12.2015). 57. FDFA-DIL (DFAE – Direction du droit international public), The Arab spring and the recovery of stolen assets : challenges and responses two years later. 2016/1
La compétitivité d’une place financière reste fortement tributaire de sa bonne réputation et de son intégrité (58). La problématique des avoirs illicites met régulièrement en question la probité des intermédiaires financiers suisses. En se dotant d’un dispositif de pointe en matière de restitution d’avoirs illicites, la Suisse ne règle qu’une partie du problème. Une démarche plus proactive s’avère nécessaire et pourrait passer par la précision de critères déterminants de la qualité de potentat indifféremment du fait que ce dernier soit encore au pouvoir ou non. Certains éléments de la législation suisse donnent quelques pistes. L’article 6 LRAI (59) tout comme l’article 15 de la LVP admettent une présomption d’illicéité lorsque : – le patrimoine de la personne qui a le pouvoir de disposition sur les valeurs patrimoniales a fait l’objet d’un accroissement exorbitant en relation avec l’exercice de la fonction publique de la personne politiquement exposée ; – le degré de corruption de l’État d’origine ou de la personne politiquement exposée en cause était notoirement élevé durant la période d’exercice de la fonction publique de celle-ci ; – l’accroissement est exorbitant s’il y a une disproportion importante entre le revenu légitime acquis par la personne qui a le pouvoir de disposition sur les valeurs patrimoniales et l’augmentation du patrimoine en cause, telle qu’elle ne s’explique pas par l’expérience générale de la vie et le contexte du pays. Il est déplorable que ces éléments ne soient utilisés qu’après la chute du potentat alors même qu’ils peuvent déjà être perceptibles pendant la durée de son pouvoir. Les outils tels que les rapports de l’ONG Transparency International (60) ou encore l’indice Ibrahima Mo (61) pourraient être utilisés afin d’évaluer le risque de corruption et de défaut de bonne gouvernance dans un pays donné. Ces indicateurs associés à d’autres éléments tels que la durée au pouvoir (plus de deux mandats), le nombre de proches gravitant dans le cercle du pouvoir, le rapConclusion of the 7th practitioners’ workshop held in Lausanne (Switzerland), p. 4, disponible à : https:// www.unodc.org/documents/treaties/UNCAC/WorkingGroups/workinggroup2/2013-A ugust-2 9‑30/ V1385961ef.pdf. 58. Cfr : DFAE – Direction du droit international public, Stratégie de la Suisse concernant le blocage, la confiscation et la restitution des avoirs de potentats (Asset recovery), op. cit., p. 4 ; OECD, 2014. Illicit financial flows from developing countries: measuring OECD responses, OECD Publishing, p. 15, disponible à : http://www. oecd.org/corruption/Illicit_Financial_Flows_from_ Developing_Countries.pdf. 59. Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite des personnes politiquement exposées du 1er octobre 2010 (état le 1er févier 2011), RS 198.1. Cette loi sera remplacée par la nouvelle LVP. 60. https://www.transparency.org/about/. 61. http://www.moibrahimfoundation.org/iiag/.
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port entre la fortune du potentat et le seuil de pauvreté de l’État ou encore le rapport entre le PIB du pays et le niveau de pauvreté de la population, la séparation des pouvoirs au sein du pays d’origine, pourraient permettre de préciser la qualité de potentat. L’utilité de cette démarche consisterait en l’interdiction d’entrer en relation d’affaire directement ou indirectement avec toute personne qui remplirait les conditions de cette qualité. Ainsi, au lieu d’une interdiction générale d’entrée en relation d’affaires avec les membres de gouvernements étrangers et leurs proches, « de nature à heurter le sens libéral
des Suisses »(62), il s’agirait d’une interdiction ciblée sur les dirigeants corrompus et leurs proches. Une telle démarche serait de nature à annihiler définitivement la sulfureuse réputation de coffre-fort pour argent sale de la Suisse et conforterait la position de leader de cette dernière dans le domaine de la lutte contre les avoirs illicites de potentat. Pour paraphraser Victor Hugo et Denis de Rougemont, « la Suisse dans l’histoire pourrait avoir le dernier mot. Encore faut-il qu’elle s’en donne les moyens ! ». 62. O. Longchamp cité par S. Jaberg, op. cit.
LES REMPARTS JURIDIQUES DU MARCHÉ BANCAIRE POLONAIS CONTRE LES AVOIRS ILLICITES DE POTENTATS (1)
Lesław Góral
Professeur d’université, Université de Łódź, Faculté de Droit et d’Administration, Chaire de Droit fiscal matériel Les solutions juridiques prévenant le blanchiment de l’argent par les personnes politiquement exposées permettent de concert l’efficacité de la lutte contre les effets négatifs de la corruption, qui se propagent des domaines sociologique et économique vers le domaine politique. Ce groupe de personnes, profitant de sa position privilégiée, peut s’engager dans le procédé du blanchiment de l’argent avec moindre souci d’être dénoncé par les institutions obligées à le faire. C’est pour cette raison que la littérature sur le sujet consacre beaucoup d’attention à la pratique et vise les moyens de sécurité financière dans le cadre des procédures juridiques en vigueur dans le système bancaire polonais (2). Pour répondre à la question de savoir si l’efficacité de ces procédures est suffisante, il faut analyser les régulations comprises dans la loi du 16 novembre 2000 sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ainsi que sur les procédures utilisées par les banques 1. Cet article fait suite à la conférence donnée lors du colloque de l’ILCE des 9 et 10 septembre 2015 portant sur l’effectivité de la lutte contre les avoirs illicites des potentats, colloque organisé avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). 2. W. Jasiński, Osoby na eksponowanych stanowiskach politycznych, przeciwdziałanie korupcji i praniu pieniędzy, Lex a Wolters Kluwer business, Warszawa, 2012. 154
polonaises. La réponse à ces questions se concentre sur la problématique principale qui porte sur l’efficacité de la prévention du blanchiment de l’argent par les personnes politiquement exposées.
I. Le système polonais de lutte contre le blanchiment de l’argent : un modèle normatif Si l’on admet que le système de prévention du blanchiment de l’argent est considéré comme un système abstrait dans lequel existent et agissent l’un sur l’autre les éléments formant un ensemble, qui sert à protéger l’économie contre ce procédé, les règles de son organisation sont, dans ce cas, comprises dans les dispositions juridiques, règlements et procédures utilisées par les institutions chargées de cette protection (3). Les règles d’organisation du système de prévention contre le blanchiment d’argent sont constituées par : – les dispositions de la loi du 16 novembre 2000 sur la lutte contre le blanchiment d’argent et la prévention du terrorisme (J.O. 2014. 455 modifié) et les dispositions réglementaires pour la loi, c’est-à-dire l’arrêté du ministre des Finances du 21 septembre 2001 déterminant le modèle du registre des transactions, la façon de le tenir et les modalités de transmission de données à l’Inspecteur Général pour l’Information Financière (J.O. 2014. 455 modifié) ; – les procédures déterminées par les banques sur la base de l’article 9e, alinéa 4, de la loi susmentionnée 3.
E. Gołębiowska, Pranie pieniędzy, aspekty etyczne w systemie przeciwdziałania praniu pieniędzy, Difin, Warszawa, 2014, pp. 120 et s.
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qui permettent de constater si le client de la banque est un potentat politique. Parmi les acteurs du système de lutte contre le blanchiment d’argent, on peut énumérer les organes de l’administration d’État et les institutions coopérant ainsi que les banques. Sur le fondement de l’article 3 de la loi sur la lutte contre le blanchiment d’argent, les organes de l’administration compétents sont le ministre des Finances en tant qu’organe principal d’information financière, et l’inspecteur Général d’Information Financière (GIIF). Le GIIF est chargé d’obtenir, de collecter, de traiter et d’analyser les informations selon les modalités prévues par la loi ainsi que d’entreprendre des actions ayant pour but de prévenir le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’inspecteur général doit analyser le parcours des transactions pour lesquelles il a des suspicions justifiées ; effectuer la procédure de blocage de la transaction ou le blocage du compte. Il peut décider de lever le blocage des biens, de mettre à disposition et de demander les informations sur les transactions. Il peut transmettre aux organes compétents les pièces justificatives de suspicion de crime. Il peut également initier et entreprendre d’autres actions en vue de prévenir le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, y compris la formation des employés des institutions chargées dans le cadre de leurs obligations ; de surveiller le respect des dispositions concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Enfin il participe à la coopération avec les institutions étrangères et les organisations internationales et peut infliger des sanctions (4). Les institutions coopérant avec les organes susmentionnés sont la Commission de surveillance bancaire, la Banque Nationale de Pologne, la Chambre Suprême de Contrôle et les organes de l’administration nationale et territoriale. Les institutions chargées principalement de prévenir l’utilisation du marché bancaire pour le blanchiment de l’argent sont les banques, les établissements de crédit, les caisses coopératives d’épargne et crédit, les établissements de paiement (5). Il est à noter qu’à l’instar de la France, ce sont surtout les banques qui déclarent à l’Inspecteur Général de l’Information Financière la plupart des cas du blanchiment d’argent. En 2013 cette participation atteignait 92 % des déclarations (6).
B. Bieniek, Pranie pieniędzy w prawie międzynarodowym, europejskim oraz polskim, Oficyna a Wolters Kluwer business, Warszawa, 2010, p. 240. 5. L.Góral, Rekonstrukcja pojęcia rynku bankowego na gruncie przepisów polskiego prawa bankowego i jego użyteczność w zakresie analizy regulacji prawnych normujących cel nadzoru nad tym rynkiem, Studia Prawno-Ekonomiczne, Tom XCII, 2014, pp. 51 et s. 6. E. Gołębiowska, op. cit., p. 88. 4.
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II. La définition juridique des personnes politiquement exposées La définition des personnes politiquement exposées (PPE), formulée dans l’article 2, let. 1f, de la loi sur la lutte contre le blanchiment d’argent et la prévention du terrorisme comprend trois éléments principaux : la détermination du domicile de la personne physique considérée comme PPE, le catalogue des fonctions publiques dont l’exercice fait que la personne physique est considérée comme PPE, même dans l’année qui suit cet exercice, et enfin le catalogue des personnes qui restent avec une PPE en relations définies par la loi et sont aussi considérées comme PPE. Conformément à l’article 2, let. 1f, de la loi susmentionnée, sont considérées comme PPE les personnes physiques suivantes : a) chefs d’États, chefs de gouvernements, ministres, vice-ministres ou ministres adjoints, membres de parlements, juges de Cours suprêmes, de tribunaux constitutionnels et d’autres organes judiciaires dont les décisions ne sont pas soumises au recours (mis à part les modalités extraordinaires), membres des tribunaux des comptes, membres des organes de direction des banques centrales, chargés d’affaires et officiers suprêmes des armées, membres des organes de gestion et de surveillance des entreprises d’État, tous ceux qui exercent cette fonction publique ou l’exerçaient dans l’année qui suivait le moment où les prémisses définies dans ces dispositions n’étaient plus en vigueur ; b) époux de personnes énumérées sous a) ou personnes restant dans la vie commune avec elles, parents et enfants de ces personnes, époux de ces parents et enfants et personnes en vie commune avec eux ; c) personnes qui sont ou étaient avec les personnes énumérées dans la lettre a) en étroite coopération professionnelle ou économique ou sont copropriétaires des sujets de droit ou les seuls ayants droit des biens des sujets de droit, s’il ont été établis en faveur de ces personnes; d) dont le lieu de domicile se trouve en dehors du territoire de la République Polonaise. Il s’ensuit de la disposition susmentionnée que le législateur a totalement exclu les personnes d’origine nationale des dispositions de la loi. Cette solution évoque les doutes non seulement du point de vue de relation du droit national au droit européen, mais aussi du point de vue de relation au principe constitutionnel de l’égalité (7). Cela affaiblit l’efficacité des dispositions de la 7. W. Ł. Gunia, Unijna i krajowa definicja „osób zajmujących eksponowane stanowiska polityczne” w świetle konstytucyjnej zasady równości, Przegląd prawa konstytucyjnego, 2012/1, pp. 202 et s.
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loi dans la lutte contre le phénomène du blanchiment de l’argent. Le choix législatif des postes considérés comme PPE entraîne en pratique des problèmes pour les banques. Cela s’ensuit du nombre des éléments considérés comme PPE dans le monde et de la variété des solutions juridiques dans le domaine du fonctionnement des organes de pouvoir et d’administration gouvernementale et autres fonctions publiques.
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Le législateur a totalement
exclu les personnes d’origine nationale des dispositions de la loi.
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III. Les instruments juridiques utilisés par les banques envers les personnes politiquement exposées Le second élément du modèle normatif de prévention contre le blanchiment de l’argent est constitué par les procédures appliquées par les banques et qui permettent de constater si le client est une personne politiquement exposée. Conformément à l’article 9e, alinéa 4, de la loi sur la prévention du blanchiment d’argent, les banques introduisent les procédures basées sur l’évaluation du risque dans le but de constater si le client est une personne politiquement exposée. Cette procédure se caractérise par deux éléments : les caractéristiques intérieures du document et les prémisses pour construire le document (8).
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Il n’existe pas de procédure unifiée qui pourrait définir comment constater
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si le client est PPE.
8. W. Jasiński, Osoby na eksponowanych stanowiskach politycznych, przeciwdziałanie korupcji i praniu pieniędzy, Lex a Wolters Kluwer business, Warszawa, 2012, pp. 81 et s. 156
Le premier élément signifie que dans le système bancaire de lutte contre le blanchiment d’argent, il n’existe pas de procédure unifiée qui pourrait définir comment constater si le client est PPE, mais chaque banque doit préparer son propre règlement intérieur. Le législateur ne précise pas le contenu de la procédure. En pratique, les banques décident librement de leur propre procédure et constate s’il y a lieu que le client est PPE. Les établissements bancaires intègrent cet élément dans la procédure intérieure générale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent. Le second élément de la procédure concerne l’évaluation du risque et le document établi dans ce cas n’est pas spécifique aux PPE. Elle est appliquée selon les règles générales basées sur les articles 8b et 10a de la loi. Le législateur laisse aux banques la liberté de définir les critères de l’analyse et de l’évaluation du risque des clients. Il ne détermine pas non plus quels doivent être les moyens de sécurité financière intensifiés que la banque doit adopter par rapport aux clients à risque. Dans le cas où le client est PPE, l’article 9e, alinéa 4, de la loi oblige cependant les banques à : 1. introduire la procédure basée sur l’évaluation du risque pour déterminer si le client est une personne politiquement exposée. La façon particulière de déterminer si le client est PPE est définie dans l’article 9e, alinéa 5, de la loi. Conformément à cette disposition, les banques peuvent recevoir une déclaration écrite si le client est PPE, sous peine de responsabilité pénale pour avoir fourni les données non conformes à l’état réel. La loi n’exige pas à la banque de vérifier la déclaration écrite déposée ni ne détermine les modalités de conserver les déclarations ; 2. appliquer les moyens adéquats au risque évalué par la banque dans le but de déterminer la source des avoirs introduits dans la circulation. Dans le cas de cette catégorie de clients, il est difficile de le déterminer puisque la banque ne peut pas catégoriser sans aucun doute les sources des avoirs des PPE en raison des grandes différences juridiques ; 3. procéder au contrôle constant des transactions, c’est-à-dire le suivi au jour le jour des sources des avoirs. L’efficacité de ce type de procédure exige trois catégories d’actions analytiques : accumuler les informations sur l’activité des PPE (elles peuvent être obtenues sur la base par exemple des déclarations de revenus ou l’histoire du compte et, dans le cas des entités économiques, sur la base du compte rendu financier préparé par un établissement d’audit indépendant), entreprendre les actions concernant l’étude du profil du risque du blanchiment de l’argent par PPE, c’est-à-dire à comprendre le risque couru par la banque de la part d’une PPE malhonnête et enfin reconnaître les signaux avertisseurs dans le domaine des transactions réalisées par PPE ; 4. conclure le contrat avec le client après avoir obtenu l’acceptation de la direction, un membre désigné
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de la direction ou une personne désignée par la direction ou responsable de l’activité de la banque. Les modalités de réaliser cette obligation exigent de préciser dans la procédure intérieure de la banque : les modalités d’exprimer l’accord par la direction, les modalités de déléguer les prérogatives sur un membre désigné de la direction, l’ensemble des personnes parmi lesquelles peut être désignée celle qui doit exprimer son accord, les modalités de contrôler la réalisation de cette obligation par la direction et enfin la forme de l’accord.
IV. Les conclusions de lege ferenda à l’égard du législateur polonais Pour augmenter l’efficacité des régulations polonaises dans le domaine de la lutte contre le blanchiment des avoirs des PPE, il faudrait introduire les changements suivants : 1. Il est nécessaire d’adapter les régulations législatives polonaises aux dispositions de la directive 2015/849/ UE du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (J.O. 2015.141.73) par l’introduction dans la loi polonaise de la notion d’une « personne nationale occupant un poste politiquement exposé » c’est-à-dire une personne physique résidant en Pologne et qui entrerait dans le catalogue des personnes dont il s’agit dans l’article 2, pt 1f, de la loi en vigueur sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Cela permettrait aux banques de se servir des procédures analogiques à celles utilisées à l’égard des personnes étrangères politiquement exposées. Cela limiterait le phénomène de la corruption parmi les personnes politiquement exposées dans le pays puisque les banques appliqueraient envers elles les moyens de securité renforcés. Ces changements proposés augmenteraient aussi l’efficacité des régulations polonaises dans la lutte contre le blanchiment d’argent par les personnes étrangères comprises dans le groupe des PPE. Actuellement, ces personnes, ayant choisi leur lieu de domicile en Pologne, ne sont plus PPE et les banques n’utilisent plus envers elles de procédures propres aux PPE. On peut le présenter sur un exemple hypothétique : le fils d’un parlementaire ukrainien qui changerait de lieu de résidence en raison de ses études en Pologne, ne serait plus considéré comme une PPE selon le droit polonais ; une personne qui serait en étroite collabo-
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ration professionnelle avec un parlementaire russe et qui changerait de lieu de résidence et s’installerait en Pologne, ne serait plus considérée comme une PPE ; un membre du Parlement russe qui démissionnerait et changerait d’adresse en quittant Moscou pour Varsovie, bien qu’il doive être considéré comme une PPE durant un an après sa démission, selon le droit polonais, n’aurait pas ce statut (s’il avait arrangé toutes les affaires concernant la déclaration de résidence avant ce délai) ; le membre de direction d’une entreprise d’État russe qui deviendrait en même temps directeur d’une filiale de cette entreprise en Pologne où il aurait son lieu de domicile, ne serait pas considéré selon le droit polonais comme une PPE.
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Il est nécessaire d’adapter
les régulations législatives
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polonaises.
2. Il faudrait introduire dans le catalogue des personnes occupant des postes politiquement exposés les membres des organes des collectivités territoriales qui, participant à la répartition des moyens financiers offerts par l’Union européenne, sont exposés à la corruption. 3. Il serait bien d’établir une procédure unifiée à utiliser par les banques – conformément aux principes admis par le législateur polonais, les banques établissent elles-mêmes les procédures fondées sur l’évaluation du risque si le client est une PPE. Le législateur polonais laisse aux banques la liberté de définir les critères d’analyse et d’évaluation du risque des clients PPE. Il ne définit pas non plus quels doivent être les moyens de sécurité financière augmentée que les banques doivent appliquer envers les PPE. C’est la raison pour laquelle, dans le domaine des banques en Pologne, il n’existe pas de procédure unifiée et efficace envers les PPE. 4. Il est nécessaire d’élaborer la stratégie de lutte contre les avoirs illicites de PPE. En Pologne, contrairement à la Suisse – on n’a pas élaboré de stratégie concernant le bloquage, la confiscation et la restitution des avoirs des PPE. L’idéal serait d’adopter une telle stratégie en forme d’acte normatif. Il devrait formuler les problèmes principaux rencontrés en pratique, les objectifs stratégiques et les instruments prévenant le blanchiment des avoirs des PPE. Cela renforcerait l’efficacité des procédures adoptées par les banques envers les PPE et éliminerait les problèmes principaux rencontrés par les banques en pratique, en raison d’une multitude de régulations juridiques, manque de volonté de la part des pays d’origine ou complexité de procédures appliquées.
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Chroniques
IV.B. Intégrité du marché
V. Fiscalité des services financiers Chronique sous la direction de Régis Vabres
Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne Franche Comté CREDIMI – UMR 6295 CNRS
&
Georges Cavalier Maître de conférences HDR Centre d’Études et de Recherches Financières et Fiscales Université de Lyon
Avec la contribution de
Sabrina Le Normand-Caillère
Maître de conférences à l’Université d’Orléans Co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité
Après s’être attelée pendant près d’un demi-siècle à atténuer ou éviter la double imposition, l’OCDE s’emploie aujourd’hui à enrayer la double non-imposition. La redéfinition de la notion emblématique de l’établissement stable qu’elle propose semble vouloir prendre du recul avec l’approche strictement juridique ou formelle de décisions nationales refusant, par exemple, de voir dans un commissionnaire un établissement stable. C’est aussi pour lutter contre certaines pratiques nationales que la Cour de justice de l’Union européenne, gardienne sourcilleuse du principe de neutralité de la TVA, maintient le droit à déduction en présence de société holding animatrice percevant des dividendes ; la tentation est en effet grande pour les États d’imposer une clé de répartition pour limiter le droit à déduction. Dans la même veine, la Cour confirme que les opérations consistant à échanger des bitcoins contre des devises sont exonérées de TVA. C’est dire combien – en période de disette budgétaire – les tensions entre perspectives nationales et internationales sont exacerbées. After concentrating for more than a half century on mitigating or avoiding double taxation, the OECD has shifted its attention to eliminating double non-taxation. The OECD’s new proposed definition of the concept of permanent establishment seems to take a step back from the strictly legal or formalistic approach employed by certain national decisions refusing, for example, to characterize a commission agent as a PE. In addition, the Court of Justice of the European Union (ECJ), as the steadfast guardian of VAT neutrality, has maintained parent holding company’s right to deduct input VAT despite dividends received from its shareholdings. Such an effort is made in order to combat certain unfair national practices infringing on the VAT neutrality principle. Indeed, there is a great temptation for states to impose a distribution key in order to limit the right of input VAT deduction. In the same vein, the ECJ has confirmed that exchange transactions between bitcoins and official currencies shall be exempted from VAT. Tensions between national and international perspectives are definitely exacerbated in a time of severe budgetary restrictions.
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Chroniques
V. Fiscalité des services financiers
V.A. Fiscalité directe ACTION 7 DU PROJET BEPS : UNE RÉVOLUTION ? – LES TRAVAUX INTERNATIONAUX VISANT À ENRAYER L’ÉVITEMENT ARTIFICIEL DU STATUT D’ÉTABLISSEMENT STABLE
Georges Cavalier Maître de conférences HDR Centre d’Études et de Recherches Financières et Fiscales Université de Lyon
Plus de deux ans après le lancement du plan d’action et 1.400 commentaires plus tard, le couple OCDE/G20 a approuvé le 8 octobre 2015 le rapport définitif de son action 7 destinée à « Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable » (1). Il fait suite à des projets déjà rendus publics en mai 2015. Ce rapport, rendu parallèlement aux treize autres du « paquet » BEPS (2), répond à l’objectif plus général de s’assurer que le système fiscal international ne prévient pas seulement la double imposition, mais évite aussi la double non-imposition sous la forme de revenu dit « apatride ». Selon l’OCDE, les pertes de recettes liées aux pratiques de BEPS pourraient s’élever entre 100 et 240 milliards de dollars par an (3). Or en période de disette budgétaire, il fallait atténuer ces maux fiscaux qui rongent la santé financière des 1.
OCDE, « Preventing the Artificial Avoidance of Permanent Establishment Status » Editions OCDE, 2015, 47 pages (actuellement qu’en langue anglaise, et que l’on pourrait traduire (traduction non officielle) « Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’Établissement stable ») ; rappr. G. Cavalier, « Les recommandations BEPS de septembre 2014 : un aboutissement ou un commencement (première partie) ? », R.I.S.F., 2014/4, pp. 124 et s. et « Les recommandations BEPS de septembre 2014 : un aboutissement ou un commencement (deuxième partie) ? », R.I.S.F., 2015/1, pp. 126 et s. Voy. aussi B. Castagnède, Précis de fiscalité internationale, 5e éd., 2015, PUF, §§ 130, 313, 320bis. 2. On rappellera que l’acronyme anglais BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting ») se traduit littéralement par érosion de la base imposable et transfert des bénéfices. Le paquet comprend 15 actions mais seulement 13 rapports car les actions 8 à 10 sont proposées dans le même rapport. 3. OCDE, « Collecter et analyser les données sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices ainsi que les mesures prises pour y remédier », Éditions OCDE, 2015. 160
États. L’un de ces maux résiderait dans l’inadéquation à l’économie du xxie siècle du concept d’établissement stable. Les modèles de convention de l’OCDE et de l’ONU (article 5) le définissent en général comme « une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité ». Cette notion clef de la fiscalité internationale a pour principe actif de délimiter la souveraineté fiscale d’un État et – ce faisant – le partage de l’imposition des profits qu’une entreprise peut réaliser sous plusieurs juridictions. Ce phénomène est illustré par l’exemple suivant : selon qu’une société irlandaise déploie également une activité qualifiée (ou non) d’établissement stable en France, elle sera susceptible soit d’être imposée pour partie en France au taux de 33,33 % et pour partie en Irlande au taux de 12,5 %, soit de bénéficier pour le tout de ce taux d’impôt sur les sociétés aujourd’hui le plus bas d’Europe (4). L’enjeu de la définition de l’établissement stable pour les États et les entreprises est donc de taille dans la mesure où une définition plus ou moins large de la notion aura des conséquences directes sur le montant d’impôt sur les sociétés (5) collecté par chaque État. Les États ont donc la main dans cette « guerre fiscale » (6) qu’ils se livrent au quotidien et les nouveautés qu’ils proposent dans le cadre du projet BEPS reviennent sur certaines décisions judiciaires nationales qui avaient donné raison aux contribuables. C’est donc comme un coup de tonnerre dans un ciel (relativement) serein que résonne l’action 7, laquelle n’épuise pas le débat, essentiellement en langue anglaise à ce jour (7). 4.
Le taux irlandais de 12,5% est réservé aux revenus commerciaux (trading profits), les revenus passifs étant soumis au taux plus élevé de 25%. 5. La notion d’établissement stable est (au moins théoriquement) différente du point de vue de la TVA, cet impôt « communautaire » distinguant en son sein plusieurs concepts d’établissement stable. 6. L’expression « guerre fiscale » est partagée par G. Monsellato, lors de la sixième session du Cercle de Prospective Fiscale du 18 mars 2005 autour du thème « Fiscalité des entreprises en 2025 : Concurrence, conflits ou coopération ? ». 7. Pour une liste non exhaustive : voy. M. Herzfeld, « News Analysis: PEs and FTCs: Who Wins, Who Loses? », Tax Notes Int’l, 27 avril 2015, pp. 320 et s. ; R. Collier, « More Guidance Needed on PE Threshold Issues », Tax Notes Int’l, 19 octobre 2015 ; M. Herzfeld,
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Avant de proposer une potion, il convenait de procéder à un diagnostic. L’OCDE identifie différentes pratiques mises en place par certaines multinationales pour profiter de certaines failles du système. On s’arrêtera sur trois exemples. D’abord les abus dans les pratiques consistant, pour une entreprise, au travers d’accords de commissionnaire, à vendre des biens ou des services dans un autre pays sans supporter d’impôt local sur ses profits réalisés à l’étranger. Seule la commission due au commissionnaire est imposable localement pour rémunérer sa négociation des contrats, à défaut de la possibilité de les conclure en son nom : mais cette commission demeure par hypothèse notablement plus modeste que les profits qu’il permet de réaliser localement. L’exclusion de ce représentant de la qualification d’établissement stable a pourtant été admise dans de nombreux droits internes. De même, les acteurs de la « nouvelle économie » faisant appel à des chaînes de valeur globale où les actifs incorporels jouent un rôle prépondérant (8), ont été réputés avoir interprété de manière extensive les exceptions contenues dans la définition de l’établissement stable, dont celles relatives aux activités auxiliaires ou préparatoires ou celles relatives à la présence de stock. En effet, selon le modèle prévalant jusqu’aujourd’hui, une entreprise est considérée comme n’ayant pas d’établissement stable dans un autre pays si : « a) il est fait usage d’installations aux seules fins de stockage, d’exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l’entreprise ; b) des marchandises appartenant à l’entreprise sont entreposées aux seules fins de stockage, d’exposition ou de livraison ; c) des marchandises appartenant à l’entreprise sont entreposées aux seules fins de transformation par une autre entreprise ; d) une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins d’acheter des «News Analysis: Should Separate Entities be Respected», Tax Notes Int’l, 19 octobre 2015, pp. 207 et s. ; A. Pleijsier, « The Agency Permanent Establishment in BEPS Action 7: Treaty Abuse or Business Abuse », Intertax, 2015, vol. 43, n° 2, pp. 147 et s. 8. P. Saint-Amans, S. Abdelghani, « La coopération internationale au service de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales », Revue européenne et internationale de droit fiscal, 2015, pp. 8 et s. Voy. également P. Saint-Amans, E. Robert, « Le projet BEPS et la longue marche en direction d’une fiscalité globale pour l’économie du xxie siècle », Dr. fisc., 2015, n° 49, pp. 19 et s. 2016/1
marchandises ou de réunir des informations, pour l’entreprise ; e) une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins d’exercer, pour l’entreprise, toute autre activité de caractère préparatoire ou auxiliaire ; f) une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins de l’exercice cumulé d’activités mentionnées aux alinéas a) à e), à condition que l’activité d’ensemble de l’installation fixe d’affaires résultant de ce cumul garde un caractère préparatoire ou auxiliaire (9). Sont désormais considérées comme abusives les pratiques consistant pour des entreprises à fragmenter leurs activités entre différentes entités qui, séparées, ne constituent pas des établissements stables en raison de leur caractère auxiliaire (10), mais qui, une fois prises en compte dans leur ensemble, répondent à la définition d’établissement stable. L’OCDE s’intéresse enfin à la pratique consistant, dans le cadre de chantiers, à diviser les contrats entre différentes entreprises liées de manière à ne pas dépasser le délai limite des douze mois permettant de caractériser un établissement stable (11). Pour tenter d’étouffer ces différentes pratiques, l’action 7 BEPS propose d’amender l’article 5 afférent au concept d’établissement stable du modèle OCDE de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune ainsi que des commentaires qui y sont relatifs (12). Ce texte sert de modèle à bon nombre de conventions fiscales bilatérales. D’un point de vue méthodologique, on rappellera que pour cerner la notion d’établissement stable, ces conventions contiennent très souvent outre la définition générale que l’on a rappelée plus haut (critère de « l’installation fixe d’affaires »), une série de cas permettant d’établir, en principe, l’existence d’un établissement stable, suivie d’une série d’exceptions (13). Au titre des exceptions, on trouve les activités « préparatoires et auxiliaires » (paragraphe 4 de l’article 5), mais aussi les agents indépendants ne pouvant pas conclure des contrats (paragraphe 6 de l’article 5). Autrement dit, ce type « d’agents indépendants » ne peut actuellement être un établissement stable d’une entreprise que s’il dispose dans un autre État « de pouvoirs » lui « permettant de conclure des contrats au nom de l’entreprise » (paragraphe 5 de l’article 5) (14). Or si toute entreprise d’envergure en quête de marchés à l’export va quérir les services de « représentants » pour achalander la zone commerciale convoitée, l’exercice consiste aussi souvent à éviter 9. Art. 5, § 4, du modèle de Convention OCDE (2010). 10. Rappr. Id. in fine. 11. Art. 5, § 3, du modèle de Convention OCDE (2010) : « Un chantier de construction ou de montage ne constitue un établissement stable que si sa durée dépasse douze mois ». 12. Il n’a pas été retenu la création d’un établissement stable spécifique et distinct pour les activités de « prestations de services ». 13. Rappr. B. Gouthière, « Les impôts dans les affaires internationales », 10e éd., n° 17200 (2014). 14. Sauf à ce qu’il exerce par ailleurs d’autres activités constitutives d’un établissement stable.
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l’établissement stable en ne conférant pas à ce représentant les pouvoirs de conclure le contrat. Les enjeux fiscaux ne sont alors pas négligeables. Pour les apprécier, l’action 7 du projet BEPS nous convie à un voyage vers le futur afin d’examiner comment elle entend revisiter le concept de ce qu’on appellera l’établissement stable « représentant » par emprunt à l’expression anglaise (15), avant d’aborder les révisions envisagées aux exceptions à la reconnaissance d’un établissement stable. Si l’on porte donc son attention sur les modifications à l’établissement stable « représentant », on ne peut qu’être frappé par la levée d’écrou qui est opérée : le concept est élargi en même temps que le recours aux exceptions devient plus étroit. Il sera donc examiné, dans un premier temps, l’établissement stable élargi et, dans un second temps, les exceptions plus étroites.
I. L’établissement stable « représentant » élargi L’établissement stable « représentant » élargi mérite un rappel du droit positif permettant de figer le point de départ de la démonstration : outre le critère de l’installation fixe d’affaires, une entreprise peut avoir un établissement stable là où elle est représentée par un agent qui traite des contrats en son nom, c’est-à-dire lorsque cet agent est dépendant de ladite entreprise (paragraphe 6 de l’article 5). Les auteurs visent ainsi le critère alternatif de « l’agent dépendant » (16). Mais à l’inverse, les représentants, lorsqu’ils sont indépendants, ne constituent pas en principe un établissement stable d’une entreprise (paragraphe 5 de l’article 5). Or l’élargissement du concept d’établissement stable « représentant » s’opère négativement, d’une part, par un rétrécissement de la notion d’agent indépendant, et positivement d’autre part, par un gonflement de la notion d’agent dépendant.
A. Le rétrécissement de la notion d’agent indépendant Le rétrécissement de la notion d’agent indépendant s’opère par la suppression du cas particulier des commissionnaires visé au paragraphe 6 de l’article 5 de la convention modèle. L’exemple français était très évocateur. Le Conseil d’État posait, dans l’arrêt Zimmer, le principe selon lequel les agents/commissionnaires ne constituent pas des établissements stables car ils n’ont pas la possibilité d’engager une société dans des relations commer15. « Agent Permanent Establishment ». 16. Les commentaires OCDE précisent qu’il s’agit d’un « critère de rechange » (C (5), n° 35). 162
ciales du fait même du contrat qui les lie (17). Et dans ces colonnes dédiées à la fiscalité comparée, on pourrait également citer des décisions venant d’Italie (18) ou de Norvège (19), ou encore des rescrits belges (20). Seule une décision de la juridiction suprême espagnole avait cure d’une telle unanimité dans les pays de droit civil (21). Or en supprimant la référence à la structure de commissionnaire, pourtant adoptée par nombre de groupes, le projet BEPS cherche à ne plus « protéger » ces groupes de la reconnaissance d’un établissement stable. Le paragraphe 6 disparaît donc dans sa rédaction actuelle (22). Les rédacteurs du projet BEPS avaient 17. C.E., 31 mars 2010, nos 304715 et 308525, 10e et 9e s.-s., Sté Zimmer Ltd, RJF, 6/10 n° 568 ; conclusions J. Burguburu au BDCF, 6/10 n° 64 ; voy. aussi G. Blanluet, « Le commissionnaire, un établissement stable du commettant ? -Réflexions autour de l’affaire Zimmer », Dr. fisc., 2010, 79 ; voy. aussi en langue anglaise sur cet arrêt : 12 Intl. Tax Law Rep. 739 (2012). Le Conseil d’État juge qu’un « commissionnaire ne peut en principe constituer, du seul fait de ce qu’en exécution de son contrat de commission il vend, tout en signant les contrats en son propre nom, les produits ou services du commettant, sauf s’il ressort soit des termes mêmes du contrat de commission, soit de tout autre élément de l’instruction, qu’en dépit de la qualification de commission donnée par les parties au contrat qui les lie, le commettant est personnellement engagé par les contrats conclus avec des tiers par son commissionnaire qui doit alors, de ce fait, être regardé comme son représentant et constituer un établissement stable ». 18. Cour de cassation italienne, arrêt n° 3769 du 9 mars 2012, Boston Scientific International BV, 14 Intl. Tax Law Rep. 1060 (2012) ; 2012 WTD 72‑18. 19. Dell Products (NUF), 14 Intl. Tax Law Rep. 371 (2011) ; R. Zielke, « Commissionnaire Structure as an Agency Permanent Establishment (PE): Low Risk for Foreign Principals Constituting a PE in Norway – Dell Products v. Government of Norway, Decision of the Norwegian Supreme Court of 2 December 2011 », Intertax, 2012, vol. 40, n° 8/9, pp. 494 et s. ; F. Zimmer, « News Analysis: Norwegian Court Sides With Tax Authorities in Dell Case », Worldwide Tax Daily, Tax Notes Int’l, Mar. 28, 2011, p. 991. 20. T. Wiustenberghs, E. Puncher, « Zimmer à la Belge: Could a Commissionaire Arrangement Create an Agency Permanent Establishment in Belgium? », Bull. for int’l tax., 2011, vol. 65, n° 4/5, citant notamment plusieurs rescrits de 1999 (n° CI.D123/002), 2007 (n° 600.568), et 2009 (n° 900.255). 21. Cour suprême espagnole, Roche Vitamins Europe Ltd, 12 janvier 2012, aff. n° 1626/2008, Tax Notes Int’l, Mar. 5, 2012, p. 743 ; rappr. N. Carmona Fernandez, « The Concept of Permanent Establishment in the Courts: Operating Structures Utilizing Commission Subsidiaries », Bull. for int’l tax., 2013, vol. 67, n° 6 ; pour une mise en perspective avec les pays de common law, voy. S. Baranger, L. Henie, M. Sada Garibay, I. Gordillo, M. Gusmeroli, « The 2012 Leiden Alumni Seminar: Case Law on Treaty Interpretation Re Commissionnaire and Agency PEs », European Taxation, 2013, pp. 175 et s. 22. Le paragraphe 6 serait en fait remplacé par deux-sous paragraphes explicatifs du paragraphe 5.
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clairement à l’esprit la jurisprudence française Zimmer et les débats auxquels elle a donné lieu. Si ce projet aboutit, la notion d’établissement stable pourra désormais englober beaucoup plus facilement les commissionnaires. Il incombera donc aux groupes multinationaux de faire évoluer les opérations commerciales fondées sur le recours aux commissionnaires s’ils ne veulent pas voir reconnaître des établissements stables et multiplier les obligations déclaratives dans nombre de juridictions (23).
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La notion d’établissement
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commissionnaires.
Ce rétrécissement de la notion d’agent indépendant provient d’une modification du paragraphe 6 de l’article 5 lui-même. Si l’on se place maintenant sur le terrain des modifications envisagées au paragraphe 5, on assiste cette fois-ci à un gonflement de la notion d’agent dépendant.
B. Le gonflement de la notion d’agent dépendant Le gonflement de la notion d’agent dépendant est illustré par les modifications du paragraphe 5 de l’article 5 et des commentaires y afférents (voir en particulier §§ 32 et s.). Elles s’opèrent à deux niveaux. Le paragraphe 5 substantiellement remanié prévoit d’abord que le « principal » dispose dorénavant d’un établissement stable taxable dans un État si l’agent conclut de façon habituelle des contrats ou joue le rôle principal dans la conclusion des contrats qui sont signés de façon routinière et sans modification importante par le « principal » (24). Si le principe semble simple, son application pratique est ardue en raison de la multiplicité des activités exercées par les différents types d’agents. Le test se concentre sur les modalités de conclusion du contrat limitant, par comparaison avec la version pré23. Les structures mettant en jeu un distributeur à faible risque (« low risk distributor » ou LRD) devraient être analysées à l’aune de BEPS, c’est-à-dire passer les risques et fonctions au tamis pour déterminer ceux qui sont supportés par le producteur et ceux relevant du distributeur. Le cas échéant, un risque de requalification du LRD n’est pas à exclure. 24. Voy. annexe I (texte en version anglaise originale). 2016/1
cédente du projet, les possibilités d’interprétations (25). Il invite à comparer le rôle de l’agent avec celui de l’entreprise étrangère dans la mesure où il demande de déterminer si cette dernière a réalisé des « modifications importantes » dans le contrat. Pour être qualifié d’établissement stable, l’agent ne doit plus jouer « un » rôle principal (ancienne version du projet BEPS) mais « le » rôle principal dans l’établissement du contrat. Ces dispositions imposent donc un test plus strict quant au rôle de l’agent pour déterminer s’il entre dans la catégorie de l’agent dépendant. Dès lors, le test ne peut être appliqué mécaniquement, il sera nécessaire d’interpréter les situations au cas par cas. Selon l’OCDE, ce principe trouve à s’appliquer lorsqu’une personne sollicite et reçoit (mais ne les finalise pas) des commandes qui sont transférées directement à un entrepôt où les biens appartenant à l’entreprise sont livrés et où l’entreprise approuve de façon journalière ces transactions. Toutefois, ce principe ne trouverait pas à s’appliquer dans le cas où une personne se limite à promouvoir et à commercialiser des biens et services d’une entreprise qui ne résulte pas directement dans la conclusion de contrats. Si cet exemple fait la distinction entre solliciter et recevoir des commandes et entre promouvoir ou commercialiser des biens dans le processus de vente, il ne contient aucune indication sur les critères fonctionnels pertinents permettant de distinguer la séparation entre ces notions. Les notions de « rôle principal » et de « modifications importantes » restent aussi à définir, ce qui devrait se révéler compliqué dans les hypothèses où l’entité étrangère et l’agent sont tous les deux actifs dans l’établissement du contrat ou, à l’inverse, sont tous les deux passifs car le contrat est standardisé. S’il ne fallait pas s’attendre à bénéficier de définitions systématiquement clairement établies par le rapport, il était raisonnable de penser que ce dernier illustrerait la manière dont les concepts devraient s’appliquer en pratique. Ce n’est pas toujours le cas. On ajoutera que l’importance accordée uniquement à la conclusion du contrat n’est pas adéquate lorsque le processus est automatique ou, comme précisé ci-dessus, lorsque des contrats standards sont déjà rédigés. L’agent aurait le rôle principal bien que celui-ci soit mineur. Les règles de prix de transfert seraient d’ailleurs également appropriées. Une entreprise sera ensuite qualifiée d’agent dépendant pour la seule raison d’agir exclusivement ou quasi exclusivement pour une entité étroitement liée (26). En 25. Rappr. R. Collier, « More Guidance Needed on PE Threshold Issues », op. cit. 26. OCDE, « Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’Établissement stable », Éditions OCDE, 2015, section A, p. 25, §§ 38 et s. Une personne est considérée comme liée à une entreprise si, en se basant sur un ensemble d’indices, l’une d’elle a le contrôle sur l’autre ou qu’elles sont toutes les deux sous le contrôle d’une même personne (art. 5, § 6).
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effet, « (…) lorsque une personne agit exclusivement ou quasi exclusivement au nom d’une ou plusieurs entreprises auxquelles elle est liée, cette personne ne doit pas être considérée comme un agent indépendant au sens de ce paragraphe au regard de cette entreprise » (27).
A. Le cantonnement des exceptions lié à leur caractère préparatoire ou auxiliaire
Le projet d’article modifié précise qu’une personne est considérée comme liée à une entreprise si, en se basant sur un ensemble d’indices, l’une d’elle a le contrôle sur l’autre ou qu’elles sont toutes les deux sous le contrôle d’une même personne. Parallèlement, les commentaires sont sensiblement étoffés et précisent la notion d’indépendance économique pour tendre vers une définition plus économique qu’auparavant. Dorénavant, un agent ne pourra plus être qualifié d’agent indépendant s’il réalise plus de 90 % de ses ventes auprès de parties liées (28). On relèvera au passage que cette tendance de coller au plus près de l’économie se retrouve pour d’autres notions de droit conventionnel, comme celle de « bénéficiaire effectif ». Ceci n’est pas sans soulever des difficultés, notamment au regard de la sécurité juridique.
Le cantonnement des exceptions est renforcé d’abord en généralisant la condition de caractère préparatoire ou auxiliaire à l’ensemble des activités du paragraphe 4 de l’article 5. Ainsi, pour éviter l’utilisation abusive de ces exceptions spécifiques, la condition selon laquelle l’ensemble de ces activités doit être exercé de façon préparatoire ou auxiliaire est généralisée dans le corps même du paragraphe 4 qui précise in fine « On considère qu’il n’y a pas « établissement stable » si […] à la condition qu’une telle activité ou, dans le cas du sous- paragraphe f ), l’activité globale de la base fixe d’affaires présente un caractère préparatoire ou auxiliaire ».
Si les contours des représentants dans ce rapport final peuvent être considérés comme plus aboutis que dans les versions précédentes, il n’en reste pas moins que certains aspects mériteront d’être clarifiés. Cette remarque commune à tout effort de législation peut également être transposée lorsque l’on se tourne du côté des exceptions à la notion d’établissement stable, lesquelles sont devenues plus étroites.
II. Des exceptions plus étroites Les exceptions au principe selon lequel les installations fixes d’affaires sont considérées comme des établissements stables sont rendues plus étroites par le projet BEPS. On rappellera qu’en droit positif ces exceptions visent tout à la fois des activités de nature préparatoire ou auxiliaire (paragraphe 4 de l’article 5) et des chantiers qui sont des installations destinées à réaliser un ouvrage déterminé, et qui disparaissent une fois l’ouvrage achevé (paragraphe 3 de l’article 5). Le projet BEPS, d’une part, cantonne le recours aux exceptions du paragraphe 4 en généralisant leur caractère préparatoire ou auxiliaire et, d’autre part, resserre les possibilités de division des contrats de chantier.
Une activité n’est plus par nature auxiliaire et préparatoire. Elle n’est auxiliaire et préparatoire que par rapport à une chaîne de valeurs d’un groupe d’entreprises donné. Par exemple, une entreprise qui réalise une activité de distribution de biens et qui, à ce titre, dispose de stocks et de locaux pour les y entreposer, constituera un établissement stable. Elle ne pourra plus bénéficier de l’exonération des activités auxiliaires et préparatoires. En application de cette nouvelle règle, les acteurs de l’économie numérique seraient considérés comme ayant des établissements stables dans les pays dans lesquels ils ont des sites de stockage/distribution (29). L’utilisation abusive des exceptions est prévenue, ensuite, par une clause anti-fragmentation. Cette dernière n’a pas évolué depuis le projet de rapport de mai 2015. Elle prévoit que les exceptions de l’article 5, § 4, ne sont pas applicables pour les entreprises qui en profitent pour exercer sur divers sites des activités complémentaires qui, séparées, ne constituent pas un établissement stable mais qui, une fois prise en compte dans leur globalité, en constituent un dans la mesure où elles font partie d’une « opération d’affaire cohérente » (30). C’est dans cette même veine que s’inscrit le resserrement des possibilités de division des contrats de chantier.
B. Le resserrement des possibilités de division de contrats Le resserrement des possibilités de division de contrats de chantier vise à mettre fin aux techniques cherchant à diviser les contrats afin d’affecter les chantiers à dif-
27. OCDE, « Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’Établissement stable », Éditions OCDE, 2015, section A, p. 16 (traduction non officielle), art. 5, § 6-a. 28. C (5), n° 38.8. 164
29. OCDE, « Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’Établissement stable », Éditions OCDE, 2015, section B, p. 31, § 22. 30. L’expression anglaise n’est guère plus éclairante : « constitute complementary functions that are part of a cohesive business operations », voy. OCDE, « Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’Établissement stable », Éditions OCDE, 2015, section B, p. 39, nouvel article 5, § 4.1.
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férents intervenants et éviter la qualification d’établissement stable (31). La France a déjà mis en place une partie de ces propositions dans sa convention avec la Colombie signée par Manuel Valls le 25 juin 2015 et en cours de ratification (32). Cette convention prévoit notamment que le calcul de la durée d’un chantier ou d’un établissement stable de services, cumulera les durées d’activités exercées par des entreprises liées au sens de l’article 9 de la convention si les activités des entreprises sont dédiées au même projet. Pour que cette clause s’applique, il faudra démontrer que les activités se rapportent à un même projet. En conclusion, et contrairement à ce qui était prévu, aucune disposition spécifique n’adresse le problème des agents d’assurance ni la question de la répartition des profits qui a été reportée à 2016. Le travail portant sur cette règle clarifiera le fonctionnement de la répartition des profits aux commissionnaires et autres structures concernées par les changements dans la notion d’établissements stables. Ainsi, et malgré le fait que les modifications apportées au modèle de la Convention OCDE et aux commentaires ne peuvent s’imposer aujourd’hui aux États (33), il n’en reste pas moins qu’ils ont d’ores et déjà un fort impact ; d’ailleurs, certaines des propositions BEPS ont déjà été intégrées en droit positif : témoins les différents dispositifs adoptés par le gouvernement français, notamment en matière d’anti-hybrides. Si l’action 7 n’est peut-être pas encore une révolution, elle marque sans conteste, avec le reste des dispositions adoptées dans le cadre du projet BEPS, l’entrée de la fiscalité dans le 21e siècle.
III. Annexe CHANGES TO PARAGRAPHS 5 AND 6 OF ARTICLE 5 Replace paragraphs 5 and 6 of Article 5 by the following (changes to the existing text of Article 5 appear in bold italics for additions and strikethrough for deletions): 5. Notwithstanding the provisions of paragraphs 1 and 2 but subject to the provisions of paragraph 6, where 31. OCDE, « Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’Établissement stable », Éditions OCDE, 2015, section C, p. 42, commentaires complémentaires. 32. Cette convention est disponible sur le site www.impots. gouv.fr dans la rubrique « Textes signés mais non encore entrés en vigueur ». 33. La Commission européenne a déjà adopté une recommandation encourageant les États membres à mettre en œuvre les propositions de modifications à l’article 5 contenues dans le projet BEPS : voy. la recommandation du 28 janvier 2016 (C (2016) 271 final). 2016/1
a person ••other than an agent of an independent status to whom paragraph 6 applies •• is acting in a Contracting State on behalf of an enterprise and has, and habitually exercises, in a Contracting State, an authority to conclude contracts, in doing so, habitually concludes contracts, or habitually plays the principal role leading to the conclusion of contracts that are routinely concluded without material modification by the enterprise, and these contracts are a) in the name of the enterprise, or b) for the transfer of the ownership of, or for the granting of the right to use, property owned by that enterprise or that the enterprise has the right to use, or c) for the provision of services by that enterprise, that enterprise shall be deemed to have a permanent establishment in that State in respect of any activities which that person undertakes for the enterprise, unless the activities of such person are limited to those mentioned in paragraph 4 which, if exercised through a fixed place of business, would not make this fixed place of business a permanent establishment under the provisions of that paragraph. 6. An enterprise shall not be deemed to have a permanent establishment in a Contracting State merely because it carries on business in that State through a broker, general commission agent or any other agent of an independent status, provided that such persons are acting in the ordinary course of their business. a) Paragraph 5 shall not apply where the person acting in a Contracting State on behalf of an enterprise of the other Contracting State carries on business in the first-mentioned State as an independent agent and acts for the enterprise in the ordinary course of that business. Where, however, a person acts exclusively or almost exclusively on behalf of one or more enterprises to which it is closely related, that person shall not be considered to be an independent agent within the meaning of this paragraph with respect to any such enterprise. b) For the purposes of this Article, a person is closely related to an enterprise if, based on all the relevant facts and circumstances, one has control of the other or both are under the control of the same persons or enterprises. In any case, a person shall be considered to be closely related to an enterprise if one possesses directly or indirectly more than 50 per cent of the beneficial interest in the other (or, in the case of a company, more than 50 per cent of the aggregate vote and value of the company’s shares or of the beneficial equity interest in the company) or if another person possesses directly or indirectly more than 50 per cent of the beneficial interest (or, in the case of a company, more than 50 per cent of the aggregate vote and value of the company’s shares
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V.A. Fiscalité directe
Chroniques
V. Fiscalité des services financiers
or of the beneficial equity interest in the company) in the person and the enterprise.
MAKING ALL THE SUBPARAGRAPHS OF ART. 5(4) SUBJECT TO A “PREPARATORY OR AUXILIARY” CONDITION Replace paragraph 4 of Article 5 by the following (changes to the existing text of the paragraph appear in bold italics of additions and strikethrough for deletions): 4. Notwithstanding the preceding provisions of this Article, the term “permanent establishment” shall be deemed not to include: a) the use of facilities solely for the purpose of storage, display or delivery of goods or merchandise belonging to the enterprise; b) the maintenance of a stock of goods or merchandise belonging to the enterprise solely for the purpose of storage, display or delivery; c) the maintenance of a stock of goods or merchandise belonging to the enterprise solely for the purpose of processing by another enterprise; d) the maintenance of a fixed place of business solely for the purpose of purchasing goods or merchandise or of collecting information, for the enterprise; e) the maintenance of a fixed place of business solely for the purpose of carrying on, for the enterprise, any other activity of a preparatory or auxiliary character;
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f) the maintenance of a fixed place of business solely for any combination of activities mentioned in subparagraphs a) to e), provided that the overall activity of the fixed place of business resulting from this combination is of a preparatory or auxiliary character, provided that such activity or, in the case of subparagraph f), the overall activity of the fixed place of business, is of a preparatory or auxiliary character.
NEW ANTI-FRAGMENTATION RULE Add the following new paragraph 4.1 to Article 5: 4.1 Paragraph 4 shall not apply to a fixed place of business that is used or maintained by an enterprise if the same enterprise or a closely related enterprise carries on business activities at the same place or at another place in the same Contracting State and a) that place or other place constitutes a permanent establishment for the enterprise or the closely related enterprise under the provisions of this Article, or b) the overall activity resulting from the combination of the activities carried on by the two enterprises at the same place, or by the same enterprise or closely related enterprises at the two places, is not of a preparatory or auxiliary character, provided that the business activities carried on by the two enterprises at the same place, or by the same enterprise or closely related enterprises at the two places, constitute complementary functions that are part of a cohesive business operation.
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V.B. Fiscalité indirecte
V.B. Fiscalité indirecte C.J.U.E., 16 JUILLET 2015, BETEILIGUNGSGESELLSCHAFT LARENTIA + MINERVA MBH & CO, AFF. C-108/14 ET C-109/14 Sabrina Le Normand-Caillère Maître de conférences à l’Université d’Orléans Co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité
Deux affaires (1) portant sur la même question relative à la déduction de la TVA dans les holdings animatrices ont été soumises sur renvoi préjudiciel à l’expertise de la Cour de justice de l’Union européenne. Dans la première, une société holding allemande a fourni à deux de ses filiales, qu’elle détient à hauteur de 98 %, des prestations de services administratifs et commerciaux à titre onéreux. Elle a également perçu des dividendes situés hors du champ d’application de la TVA. La société a déduit l’intégralité de la TVA grevant les prestations de services lui ayant permis de réunir les capitaux nécessaires à l’acquisition de ses deux filiales. L’administration fiscale allemande a remis en cause une telle déduction. Selon elle, le droit de la société serait partiel au motif que les dépenses sont en partie affectées à l’activité non économique de la détention des titres. S’estimant lésée, la société holding a formé un recours devant le tribunal administratif, lequel l’a rejeté le 12 mai 2011. Dans la seconde affaire, des frais d’émission liés à une augmentation de capital ont donné lieu au paiement de la TVA. La même année, la société holding a acquis des parts de quatre sociétés de navire en commandite. Elle a également participé à la gestion commerciale de celles-ci moyennant rémunération. Au titre de cette activité, la société holding a déduit l’intégralité de la TVA acquittée en amont. L’administration fiscale ayant refusé la déduction de la TVA, la société a formé un recours. Le tribunal administratif a fait droit à sa demande le 10 décembre 2012. Dans ces deux affaires, les juridictions de renvoi ont sursis à statuer et ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour les mêmes questions. D’une part, la Cour a dû déterminer la méthode de calcul utilisable par une société holding pour la déduction de la TVA acquittée en amont sur des prestations liées à l’acqui1.
C.J.U.E., 16 juillet 2015, aff. 108/14, Beteiligungsgesellschaft Larentia + Minerva mbH & Co. KG et 109/14, Marenave Schiffahrts AG.
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sition de capitaux destinés à l’achat des parts dans des filiales lorsque la holding fournit ultérieurement à ces sociétés des prestations soumises à la TVA. D’autre part, la Cour a dû préciser la portée de l’article 4 de la sixième directive relatif au groupement de TVA (2), notamment sur la possibilité pour les États membres d’exclure les sociétés de personnes du bénéfice d’un tel dispositif et exiger un lien de subordination des filiales par rapport à l’organe faîtier. S’agissant de la première question, la Cour rappelle la situation fiscale des holdings à l’égard de la TVA en faisant référence paragraphe après paragraphe à sa jurisprudence (3). Au regard des articles 4 (4) et 17 (5) de la sixième directive, une société dont l’activité consiste à gérer ses participations, sans s’immiscer directement ou indirectement dans la gestion de ses filiales, n’a pas la qualité d’assujetti et partant, ne peut exercer de droit à déduction. La simple acquisition ou détention de parts sociales ne constitue pas, au regard de la directive TVA, une activité économique. Il en va différemment lorsque la participation s’accompagne d’une immixtion directe ou indirecte dans la gestion de ses filiales et cela, sans préjudice des droits que détient l’auteur des participations en sa qualité d’actionnaire ou d’associé. L’immixtion de la société holding dans la gestion de ses filiales peut dès lors constituer une activité économique lorsqu’elle implique la mise en œuvre de transactions soumises à TVA. Ces transactions peuvent se matérialiser par la fourniture de services administratifs, financiers, commerciaux et techniques par la holding à ses filiales. Le droit à déduction s’exerce alors sur la totalité de la taxe ayant grevé les opérations en amont. Les limitations du droit à déduction sont expressément prévues par la directive TVA et s’appliquent de manière similaire à l’ensemble des États membres. Pour que l’exercice du droit à déduction soit possible, encore 2.
Voy. l’article 4, § 4, de la sixième directive (désormais art. 11 de la directive 2006/112 du 28 novembre 2006). 3. Voy., notamment, C.J.C.E., 27 septembre 2001, aff. C-16/00, Cibo Participations SA, Dr. fisc., 2001, n° 47, comm. 1083 ; C.J.U.E., 6 septembre 2012, aff. C-496/11, Portugal Telecom SGPS SA c. Fazenda Publica, point 2, Dr. fisc., 2012, n° 37, act. 360 ; Europe, 2012, comm. 453, obs. M. Meister. 4. Voy. l’article 4, § 4, de la sixième directive (désormais art. 11 de la directive 2006/112 du 28 novembre 2006). 5. Voy. l’article 17 de la sixième directive (désormais art. 167 de la directive 2006/112 du 28 novembre 2006).
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Chroniques
V. Fiscalité des services financiers
faut-il que les opérations réalisées en amont présentent un lien direct et immédiat avec les opérations en aval ouvrant droit à déduction. Les dépenses réalisées pour acquérir ceux-ci doivent faire partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction. Toutefois, un droit à déduction est également admis en l’absence de lien direct et immédiat lorsque les coûts des services font partie des frais généraux de l’assujetti et sont en tant que tels des éléments constitutifs du prix des biens ou des services qu’il fournit. En l’espèce, les sociétés sont assujetties à la TVA pour les prestations qu’elles fournissent à titre onéreux au profit de leurs filiales. Selon la Cour, les frais acquittés par la société holding animatrice, ayant la qualité d’assujetti, doivent être considérés comme affectés à l’activité économique de cette société dans leur intégralité. La TVA acquittée sur ces frais ouvre droit à déduction intégrale sous réserve que les opérations économiques réalisées en aval ne soient pas exonérées de TVA.
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Le critère à prendre en
considération pour la déduction de la TVA dans les holdings est l’immixtion dans la gestion de la filiale.
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Cette décision vient confirmer que le critère à prendre en considération pour la déduction de la TVA dans les holdings est l’immixtion dans la gestion de la filiale. La perception de dividendes n’entraîne pas en soi une diminution du droit à déduction à la TVA de la société holding dite animatrice. Cette solution était admise depuis longtemps par l’administration fiscale. Dans son instruction du 23 octobre 2011 (6), celle-ci admettait le principe de la déductibilité de la TVA grevant les dépenses exposées par les entreprises assujetties au titre de leurs opérations à leur capital social et à leur participation dans le capital d’autres entreprises. La simple perception de dividendes n’entraînait pas de conséquence s’agissant de l’étendue du droit à déduction. Suite à la décision du 13 mars 2008 rendue par la Cour (7), certains services de l’administration fiscale se 6. 7.
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Instruction du 23 octobre 2001, 3 D-4‑01. Ella été codifiée au BOFIP : OI-TVA-DED-20‑10‑20, n° 490. C.J.U.E., 13 mars 2008, aff. C-437/06, Securenta Göttinger Immobilienanlagen und Vermögensmanagement AG, RJF, 6/08 n° 764).
sont toutefois émancipés de cette position et ont invoqué une limitation du droit à déduction des sociétés holdings de direction compte tenu de la perception de dividendes. Lors de l’affaire Ginger, le Conseil d’État a validé cette dernière position (8). Il a ainsi abandonné le critère de l’immixtion pour lui préférer celui de la détention des titres. Les hauts magistrats administratifs ont ainsi cassé la décision délivrée par la Cour administrative d’appel de Paris, laquelle avait exclu l’application de l’ancien prorata pour la déduction de la TVA grevant des frais généraux au regard de la qualité d’assujetti de la société holding de direction (9). Lors du renvoi, suite à la cassation par le Conseil d’État de sa décision (10), elle a modifié son analyse. Dans son arrêt du 4 juillet 2013, elle a ainsi indiqué qu’il convient d’appliquer une clé de répartition pour évaluer la quote-part de la dépense affectée à l’activité non économique consacrée à la perception des dividendes (11). Suite à cette décision Ginger, certains auteurs ont craint que toutes les sociétés holdings soient tenues de dégrader leurs droits à déduction compte tenu de leur qualité d’actionnaire et de la perception de dividendes (12). Cette décision a été dénoncée compte tenu de la difficulté pour déterminer les dépenses affectées à la perception de dividendes. Lors de cette décision Larentia + Minerva, la Cour de justice de l’Union européenne pose clairement la présomption selon laquelle les frais engagés par une société holding pour l’acquisition de filiales dans la gestion desquelles elle s’immisce en facturant des prestations service constituent des frais généraux et ouvrent droit à déduction. Par cette décision, la Cour de justice de l’Union européenne met fin à la dérive de certains États membres souhaitant imposer une clé de répartition en présence de société holding animatrice percevant des dividendes. Désormais, les sociétés holdings animatrices ne doivent plus les prendre en compte pour déterminer l’étendue de leurs droits à déduction. Ces dépenses doivent être traitées comme étant inhérentes à l’activité économique et cela, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve que les coûts soient répercutés sur l’ensemble des recettes de l’activité économiques. Cette solution Larentia + Minerva est sûrement annonciatrice d’un changement de position du Conseil d’État dans les mois à venir. Elle permettra d’assurer à terme la neutralité fiscale de la TVA en la matière. En rappelant C.E. (8e et 3e s.-s.), 27 juin 2012, n° 350526, SA Groupe Ingénierie Europe Ginger dite Sté Ginger, Dr. fisc., 2012, n° 39, comm. 456, note G. de Cordes et A. Moraine, RJF, 10/2012, n° 907. 9. CAA Paris (10e ch.), 3 mai 2011, n° 09PA06657, Sté Ginger, JurisData, n° 2011‑016693 ; Dr. fisc., 2012, n° 3, comm. 66. 10. C.E. (8e et 3e s.-s.), 27 juin 2012, n° 350526, SA Groupe Ingénierie Europe Ginger dite Sté Ginger, op. cit. 11. CAA Paris (9e ch.), 4 juillet 2013, n° 12PA02858, Sté Ginger, BDCF, 2/2014, n° 15, concl. A. Bernard ; C. Acard, « Fiscalité financière », Dr. fisc., 2014, n° 23, 364, n° 6. 12. G. de Cordes et A. Moraine, Dr. fisc., 2012, n° 39, comm. 456. 8.
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expressément l’importance du critère de l’immixtion, cette décision devrait sécuriser davantage la situation des sociétés holdings. Il appartiendra aux juridictions nationales et à l’administration fiscale française d’en prendre acte et d’en tirer les conséquences.
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Cette décision n’est pas
un blanc-seing permettant d’assurer un droit à déduction sans limite aux sociétés holdings
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mixtes.
Pour autant, cette décision n’est pas un blanc-seing permettant d’assurer un droit à déduction sans limite aux sociétés holdings mixtes. Le droit à déduction intégral est réservé aux seules dépenses engagées pour les services rendus aux filiales par des sociétés holdings animatrices. Il en va différemment si une société holding engage des frais pour l’acquisition de filiales dans la gestion desquelles elle ne s’immiscerait que pour certaines d’entre elles uniquement. Dans cette dernière hypothèse, les dépenses ne pourraient être qualifiées de frais généraux exclusivement affectés à l’activité économique. Les sociétés holdings se doivent en tel cas de déterminer une clé de répartition distinguant la part se rapportant aux activités économiques de celle dédiée aux activités non économiques. En l’absence de précision dans la directive TVA, ces règles sont à déterminer par les États membres. Ces derniers peuvent imposer soit une clé de répartition selon la nature de l’investissement, soit une clé de répartition selon la nature de
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l’opération, soit toute clé appropriée sans être tenue à une seule de ces méthodes. Les États se doivent toutefois de tenir compte de la finalité et de l’économie de la directive TVA. La clé se doit de refléter la part d’imputation réelle des dépenses en amont à chacune des deux activités. Cette clé se traduit en France par le coefficient d’assujettissement prévu par l’article 206 II de l’annexe II du Code général des impôts. Ce texte précise que le « coefficient d’assujettissement d’un bien ou d’un service est égal à sa proportion d’utilisation pour la réalisation d’opérations imposables. Les opérations imposables s’entendent des opérations situées dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu des articles 256 et suivants du Code général des impôts, qu’elles soient imposées ou légalement exonérées ». Une fois déterminé ce coefficient, il appartiendra à la société de déterminer le prorata général des déductions lorsque certaines des opérations n’ouvrent pas droit à déduction. S’agissant de la deuxième question, la Cour de justice considère que l’article 4, § 4, de la sixième directive s’oppose à ce qu’un État membre réserve la possibilité de constituer un groupement de personnes aux seules entités dotées de la personnalité morale et liées à l’organe faîtier de ce groupe dans un rapport de subordination. Toutefois, selon les juges, ces conditions peuvent se justifier si elles apparaissent comme une mesure nécessaire et appropriée dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Cette précision intervient après l’arrêt Skandia délivré quelques mois plus tôt par la Cour de justice (13) par lequel les juges européens avaient apporté une exception notable à la non-taxation des flux transfrontaliers établis entre un siège et sa succursale. Selon cette dernière décision, les prestations de services fournies par un établissement principal établi dans un pays tiers à sa succursale localisée dans un État membre constituent des opérations imposables quand cette dernière est membre d’un groupement de TVA. 13. C.J.U.E., 17 septembre 2014, Skandia America corp. (USA) Filial sverige, aff. C-7/13, R.I.S.F., 2015/3, pp. 117, comm. S. Le Normand-Caillère.
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Chroniques
V.B. Fiscalité indirecte
Chroniques
V. Fiscalité des services financiers
C.J.U.E., 22 OCTOBRE 2015, SKATTEVERKET CONTRE DAVID HEDQVIST, AFF. C-264/14 Régis Vabres
Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne Franche Comté CREDIMI – UMR 6295 CNRS L’apparition récente des monnaies virtuelles, dont le bitcoin n’est qu’une illustration parmi d’autres, soulève de nombreuses interrogations et inquiétudes (1), notamment parce que les catégories juridiques utilisées dans le domaine bancaire et financier ont dû mal à appréhender un tel phénomène (2).
le prix auquel l’opérateur concerné achète les devises et, d’autre part, le prix auquel il les vend à ses clients. En d’autres termes, le « vendeur » de bitcoins est assujetti à la TVA, car son activité entre par nature dans le champ d’application de celle-ci. Le vendeur fournit ainsi une prestation de services à titre onéreux.
“
Une telle solution permet
ainsi de soumettre tous les moyens de paiement
La sphère fiscale est aussi confrontée à la nécessité de qualifier cette nouvelle forme d’activité économique (3). Ici, on sait que deux techniques sont susceptibles d’être mises en oeuvre : l’obtention gratuite de « bitcoins » en raison de la participation du contribuable au système, en tant que « mineur » (4) ; l’acquisition à titre onéreux de « bitcoins » en raison de l’échange effectué contre de la monnaie ayant cours légal. Dans les deux cas, l’administration fiscale française considère que les « bitcoins » ainsi détenus peuvent être le support d’une activité économique. Dans le prolongement de l’analyse réalisée par l’adminsitration française, la C.J.U.E. vient de rendre un arrêt très intéressant qui concerne l’appréhension de cette activité sous l’angle de la la taxe sur la valeur ajoutée. Dans une décision du 22 octobre 2015, la Cour décide ainsi que constituent des prestations de services effectuées à titre onéreux, les opérations qui consistent en l’échange de devises traditionnelles contre des unités de la devise virtuelle « bitcoin », et inversement, effectuées contre le paiement d’une somme correspondant à la marge constituée par la différence entre, d’une part, 1.
Banque de France, « Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du Bitcoin », Focus, n° 10, 5 décembre 2013 ; EBA, Warning to consumers on virtual currencies, EBA/WRG/2013/01, 12 December 2013. 2. P. Storrer, « Crowdfunding, bitcoin : quelle régulation ? », Recueil Dalloz, 2014, p. 832. 3. R. Vabres, « Le statut fiscal de la “monnaie virtuelle” en droit français », R.I.S.F., 2014/4, p. 48. 4. L. Desmedt, « Le bitcoin et les crypto-monnaies : nouveaux modèles, questions persistantes », R.I.S.F., 2014/4.
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au même régime fiscal et cela que leur nature soit légale ou
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conventionnelle.
Toutefois, la Cour relève que si ces devises non traditionnelles ne sont pas des moyens de paiement légaux, il n’en demeure pas moins qu’elles constituent des moyens de paiement alternatifs. Sans être un moyen de paiement reconnu par la loi, elles poursuivent la même finalité que les dépôts, les chèques ou encore les virements. Or, la directive TVA exonère les opérations concernant notamment « les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce » (dierctive 2006/112, art. 135, 1, e). Dès lors, selon la C.J.U.E., une interprétation téléologique des dispositions de la directive TVA doit conduire à exonérer de TVA les opérations consistant à échanger des bitcoins contre des devises. Une telle solution permet ainsi de soumettre tous les moyens de paiement au même régime fiscal et cela que leur nature soit légale ou conventionnelle. La Cour n’hésite donc pas à retenir une interprétation autonome du texte, faisant fi des différences de traduction constatées d’un État à l’autre (5). 5.
T. Guillebon, « Quel régime fiscal pour les bitcoins », Dr. fisc., 2015, act. 514.
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