La mort du Kim

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LA MORT DU KIM GUY ROUGIER


La mort du Kim de Guy Rougier Juillet 2004 Kim, grand chien de village, retraité des moutons est mort voici un mois. Pas de la canicule dont il se moquait, le Kim, contrairement à ce que de bonnes âmes benêtes redoutaient. Avec une telle fourrure qu'est-ce qu'il doit avoir chaud, le pauvre, entendait-on parfois de ces ignorants du genre à croire que les hommes bleus (et les femmes de la même couleur) vont le cul nu pour mieux supporter la chaleur et décèdent, hélas, prématurément d'un cancer de la peau. Lui, Kim, qui était gris depuis toujours, savait bien que son épaisse laine le protégeait de tous les excès de la température. Isotherme qu'elle était sa vêture naturelle. Comme celle des brebis que l'on pèle pourtant périodiquement , on ne sait trop pourquoi chez les bergers canins. Par erreur, pensait Kim. Donc Kim n'a pas été victime de la canicule comme certains le craignaient bêtement. D'ailleurs la canicule se fait toujours attendre malgré toutes les mesures gouvernementales prises pour lui faire plus digne réception que l'année dernière. Ni d'un mélanome forcément. Et même pas tout à fait de la soif. En tout cas pas directement... Si j'avais su, a dit Madame Moulette, qui s'occupait beaucoup de Kim, j'aurais mis une bassine d'eau sur la place avant de partir rendre visite à mon fils. Mais une bassine au beau milieu d'un village coquet comme Saint-Jacques d'Ambur dans le Puy-de-dôme c'est peut-être pas vraiment indiqué dans le décor. Un Kim, oui, ça c'était un ornement adéquat et flatteur dans cet environnement agreste. Mais maintenant faudra en trouver un autre. ça va pas être facile : au hameau de la Boisse qui domine le plan d'eau du Sioulet y a pas encore de retraité. Et puis c'est sûr qu'il préférerait rester chez lui


s'il y en avait un. Ou une.La vue est si agréable de là-haut, et le calme garanti. Au bourg le Kiki (un chasseur, lui) est mort voici lurette; et le Pacha fait semblant de croire qu'il est toujours utile au troupeau malgré ses semelles tellement usées sur le rustique bitume que les coussinets saignent parfois et lui font traîner la patte. Kim est donc mort parce qu'il avait soif. Et alors vous me direz, y avait que Mme Moulette pour se soucier de l'abreuver ? Ben oui, en quelque sorte parce que les autres, et même ses maîtres, les Perrier, les patrons des moutons, ils ont toujours pensé que Kim, pour trouver de l'eau, -et même autre chose- il se débrouillait parfaitement tout seul. Ce qui était tout aussi parfaitement exact. Et c'est bien ce qui l'a perdu. Le Kim, quand personne, ne lui remplissait son bol (pas une bassine, un bol suffisait pour une lampée...mais pour une seule, hein) il avait l'habitude d'aller se désaltérer à des sources qu'il avait repérées. C'est pas ce qui manque, les sources, dans la région du Kim. Il y en a même pas très loin de chez lui. Une des plus proches c'est celle du "pré de l'église", juste à côté de chez Mme Moulette, et de chez les autres qui sont bien sympas, ceux qui viennent parfois habiter dans la même maison qu'elle, avec une voiture rouge qu'on voit de loin et qui annonce que les peaux de saucissons vont être taillées larges, et les croûtes de fromages pareillement, dans la gamelle du Kim. Donc ce jour-là que la Moulette était partie (dans une voiture, mais pas la rouge), que les Perrier vaquaient comme on dit à leurs travaux d'agneaux et de veaux, sans compter le bébé d'eux-même, une petite fille qui roule en suçant sa peluche dans une voiture aussi, mais de bébé.Et une voiture (mais sans moteur, faut la pousser) de tellement de couleurs qu'on peut pas dire de laquelle elle est, ça embrouille.....Ce jour-là qu'il faisait chaud à vous donner la pépie, le Kim a brusquement interrompu sa sieste près du pilier de la barrière où le Gromi faisait également la sienne... C'était une journée à peu près ordinaire.


La sieste l'un près de l'autre chacun à son étage, Gromi le chat de Mme Moulette, et Kim, le chien des Perrier avaient l'habitude de la faire ainsi longue et fraternelle. Depuis le temps qu'il se connaissaient, ils savaient s'apprécier ces deux-là. Sans témoignage hystérique d'amitié éternelle, non. Mais tranquillement, profondément. De temps à autre Kim ouvrait un oeil sous ses poils et regardait vers le haut. C'était souvent juste au moment où Gromi fendait imperceptiblement ses paupières pour apercevoir son copain d'en-bas. Et chacun refermait les yeux avec bienveillance. Et bougeait une oreille. Non, pas de bruit d'auto à des kilomètres à la ronde. Elle va pas rentrer tôt la Bernadette aujourd'hui on dirait. Mais pas de panique, elle a dû tout prévoir pour la bouffe. On patientera... Et donc, Kim, cette fois-là, ne replongea pas immédiatement dans le sommeil. Mais au contraire se mit sur son séant, puis sur ses quatre grosses pattes. Ce qui contraria Gromi. Qu'est-ce qu'il avait à bouger ainsi alors que rien ne se passait. "Soif" indiqua le Kim en tirant la langue ce qui n'est pas mauvaise manière chez les Briare. Ah bon, se rasséréna Gromi qui guigna un moment son copain s'éloignant nonchalamment vers le "pré de l'église". Curieux, tout de même d'appeler un pré "le pré de l'église" alors que l'église est de l'autre côté, se fit Gromi en aparté silencieux dans sa tête de chat sans plus s'attarder à cette réflexion. Il lui fallait renouer au plus vite avec un rêve merveilleux où il était question d'une boîte magique, plus belle encore que le camion du boucher, et remplie de saucisses toutes molles et odorantes, et de pâtés fleurant délicieusement le Ronron, mais plus coulants, moins étouffe-minet, et de croquettes gorgées de lait, et... Gromi se laissa couler vers ces délices et s'y complut. Puis un souci, vague d'abord, et de plus en plus précis et tiraillant, le fit réintégrer les temps d'ici qui ne sont pas si dépourvus d'attraits non plus... Kim n'était toujours pas là. Ce n'était pas du tout dans ses façons de lambiner en route. Il avait peut-être le cheminement un peu lent (sauf s'il y avait des autos à chasser dans le secteur) mais on ne pouvait pas dire qu'il était chien à perdre du temps en faisant des détours. Gromi tendit l'oreille : rien ne signalait le retour de Kim. Mais la maison faisait écran. Gromi s'étira rapidement, sauta et se mit sur la trace de Kim.


Quand Mme Moulette revint le soir tard, plusieurs heures après l'Angélus, elle ne comprit pas pourquoi Gromi miaulait avec tant de force et d'insistance et ne touchait pas à son assiette. Et grattait à la porte pour sortir aussitôt après être entré, et grattait à nouveau de l'autre côté pour qu'on lui ouvre, et redemandait à passer dehors, et s'enrouait à force de cris... Elle s'étonna mais prit cette attitude pour la mauvaise humeur d'un vieux chat bougon qui n'appréciait pas ses escapades et ses abandons. Puis elle finit par le tancer et le laissa à se lamenter dans la nuit qu'il rendit jusqu'au matin sonore et désespérée. Le lendemain à son réveil la Bernadette ne vit point son chat comme d'ordinaire. Gromi ne fut pas au rendez-vous du petit-déjeuner qu'il loupait rarement. Il doit se reposer dans l'ancienne écurie, pensa-t-elle, après la séance de cette nuit il doit être fourbu ce sacré Gromi. Elle ne vit pas non plus Le gros Kim qui d'habitude était présent au premier service des repas quotidiens de la Bernadette qui trouva aussi une explication : Il a dû avoir un menu spécial chez ses maîtres aujourd'hui. Hier ils ont reçu du monde, Kim apprécie les restes des repas de gala. Chez les Perrier on ne s'inquiétait pas non plus : il doit être encore chez Mme Moulette. Faudra tout de même qu'on mette le holà à ces assiduités, c'est pas normal ce chien qui tous les jours va manger chez la voisine, ça devient gênant. Ce n'est qu'à la fin de l'après-midi que la Carole Perrier discuta avec la Bernadette Moulette qui était en train de chercher son chat. Ainsi s'aperçut-on aussi de la disparition de Kim. Et le village se mit en quête des deux amis. Gromi réapparut alors fort opportunément; personne ne savait d'où il sortait. On ne peut pas dire qu'il guida les recherches. Les hommes ne suivent pas un chat dans ces cas-là. Ils pensent d'ailleurs que les chats -trop occupés selon eux de leurs petites personnes- sont incapables de trouver quoi que ce soit. Et surtout pas un chien. Mais Gromi était là, sautant bizarrement, donnant de la voix comme pendant la dernière nuit, s'agitant près de ceux qui appelaient Kim, surtout de ceux qui inspectaient les taillis du côté du "pré de l'église" où ils finirent par entrer. Gromi se mit alors à hurler à se


briser les cordes vocales en rageuses plaintes. On le regardait avec surprise : il est fou ce chat! Qu'est-ce qu'il lui prend ? On comprit lorsqu'on trouva le corps de Kim, au mitan du pré. Dans un trou d'eau qui fut vasque d'un ancien lavoir prétendent les plus âgés du village. Kim, trop pataud, trop lourd, tellement moins leste que du temps des moutons avait glissé dans le piège et, pris dans la boue, s'était épuisé à tenter de s'en tirer. Il était mort noyé tandis que son ami Gromi qui avait découvert son infortune essayait de ramener de l'aide. Sans succès. Gromi qui n'était déjà pas chat à aimer se laisser caresser, même dans le sens du poil, est encore plus rapide aujourd'hui à sortir les griffes quand on approche la main. On dirait qu'il en veut à tout le monde. Même un peu à la Bernadette.


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