Si petits soient-ils, les bébés qui naissent prématurément livrent une immense quantité d’informations. Les chercheurs de l’Hôpital pour enfants malades de Toronto, au Canada, ont développé un programme capable d’enregistrer et d’analyser ces données afin de prévenir les risques d’infection et autres complications susceptibles de mettre en danger la vie des nourrissons. Une nouvelle révolution que le monde médical doit au Big Data. À l’origine de cette découverte, le docteur Carolyn McGregor. Elle débute ses
ARTEMIS : LE BIG DATA DU NOURRISSON Par Hélène Martinez
DIFFUSÉ À GRANDE ÉCHELLE, LE PROGRAMME ARTEMIS POURRAIT ÊTRE TRÈS EFFICACE POUR FAIRE BAISSER LA MORTALITÉ DES PRÉMATURÉS.
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— ARTEMIS, LE PROGRAMME DE COLLECTE DE DONNÉES SUR LES NOUVEAU-NÉS PRÉMATURÉS MIS AU POINT AU CANADA PAR LE DOCTEUR CAROLYN MCGREGOR, EST UNE APPLICATION MÉDICALE CONCRÈTE DU BIG DATA. —
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recherches dans les contrées reculées de son Australie natale en 1999, avec la volonté d’améliorer la capacité des médecins à réagir rapidement et efficacement face aux risques présentés par les naissances avant terme. Et ce, grâce aux données issues des bébés eux-mêmes. LE PROGRAMME ARTEMIS Promue en 2007 à la tête du pôle de recherche en santé et informatique de l’Institut technologique de l’université d’Ontario, à Toronto, Carolyn McGregor s’est lancée dans le développement d’un programme de pointe : Artemis. Cette plate-forme analytique extrait les mesures physiologiques des nourrissons en temps réel. L’outil crée ensuite des algorithmes destinés à détecter les prémices d’une quelconque anomalie développée par les nouveau-nés. Venus au monde plusieurs semaines avant le terme, ils présentent de plus grands risques d’infection que les autres nourrissons en raison d’un système immunitaire encore fragile. « Environ un quart des bébés prématurés vont déclarer une infection et 10 % d’entre eux vont en mourir. C’est un véritable problème », a expliqué le docteur McGregor au média canadien Global News. Artemis enregistre plus de 1 000 données par seconde : pulsations cardiaques, rythme respiratoire, tension, température... Un prématuré émet 7 000 battements de cœur et 2 000 respirations par heure. Malgré l’aide des moniteurs actuels, il est impossible pour le corps médical d’observer les signes avant-coureurs d’une infection pourtant existants vingt-quatre heures avant que celle-ci se déclare. Capturé et synthétisé, le flot de ces informations, s’il montre des changements significatifs, aiguille les médecins sur le danger encouru par le bébé. Mis en place en 2009 dans l’unité néonatale de soins intensifs de l’Hôpital pour enfants malades de Toronto, ce programme tend à se développer à plus grande échelle. En 2010, le Women and Infants Hospital de Rhode Island, aux États-Unis, accueille une nouvelle version nommée « Artemis Cloud ». Dans ce service, plus de 250 bébés ont été soumis à une étude sur l’instabilité néonatale. Le programme est aussi partagé via un système de télécommunication en réseau avec les hôpitaux pédiatriques de Shanghai et de Shenzhen, en Chine. Les équipes du docteur McGregor collectent ainsi les informations
CAPTURÉ ET SYNTHÉTISÉ, LE FLOT D’INFORMATIONS FOURNI PAR LE BÉBÉ LUI-MÊME, S’IL MONTRE DES CHANGEMENTS SIGNIFICATIFS, AIGUILLE LES MÉDECINS SUR LE DANGER QU’IL ENCOURT.
à distance dans leur laboratoire d’Oshawa, avant de livrer leurs analyses. PALLIER LA MORTALITÉ DES PRÉMATURÉS À long terme, selon Carolyn McGregor, ce système permettrait aux pédiatres locaux d’être avertis des risques à venir pour intervenir rapidement et parfois éviter le transfert des nourrissons. Une façon aussi d’offrir une meilleure assistance dans les zones rurales. Au Canada, par exemple, en dehors des villes, beaucoup de futures mères vivent à deux heures du premier hôpital. Une étude réalisée par l’Institut canadien d’information sur la santé montre que la plupart des femmes en milieu rural font appel à leur médecin traitant et non à un obstétricien, un gynécologue ou une sage-femme. Ces femmes étant privées de l’accès à une unité néonatale, la technologie du docteur McGregor pallierait la mortalité croissante des prématurés. En partenariat avec le centre de recherche et développement d’IBM-Canada, la chercheuse australienne et son équipe envisagent de mettre ces plates-formes d’analyse à disposition d’un plus grand nombre d’hôpitaux. Elle espère ainsi contribuer à l’évolution des technologies de santé. Près de 8 % des bébés naissent avant terme chaque année au Canada. Dans ce pays, le coût des soins intensifs pour un prématuré représente environ 15 000 dollars par jour. Artemis illustre l’avance du Canada sur le Big Data de la santé, gage de progrès sanitaires et économiques. L’Organisation mondiale de la santé estime à 15 millions le nombre de bébés prématurés chaque année, soit plus d’un sur dix. Un million d’entre eux ne survivent pas. La mortalité due à la prématurité touche en première ligne les pays en voie de développement. u 21