Open data de santé, l'état critique? 0214

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OPEN DATA SANTÉ : L’ÉTAT CRITIQUE ? Par Hélène Martinez

En identifiant les mots les plus recherchés sur leur moteur de recherche, les ingénieurs de Google ont démontré qu’il était possible d’observer la progression des épidémies de grippe en temps réel. À l’instar du géant du Web, le flux d’informations détenu par l’Assurance maladie constituerait un outil de surveillance épidémiologique d’une rare efficacité. À condition d’être exploité. Pour le moment, le ministère de la Santé freine l’ouverture de cette manne d’informations, invoquant les possibles défaillances liées au respect de la vie privée des patients. Un leurre pour certains. Si le Big Data effraie parfois, l’Open Data répond en revanche à une philosophie selon laquelle les données publiques seraient un bien commun. Ainsi, de nombreux acteurs du secteur se mobilisent pour un accès libre

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— L’ÉQUATION EST SIMPLE : 65 MILLIONS DE FRANÇAIS ET PRESQUE AUTANT DE CARTES VITALES. SOIT 1,2 MILLIARD DE FEUILLES DE SOINS, 500 MILLIONS D’ACTES MÉDICAUX ET 11 MILLIONS DE SÉJOURS HOSPITALIERS PAR AN ENREGISTRÉS DEPUIS PRÈS DE QUINZE ANS PAR LES SYSTÈMES D’INFORMATION DE L’ASSURANCE MALADIE. LA FRANCE DÉTIENT L’UNE DES DIX BASES DE DONNÉES LES PLUS CONSÉQUENTES AU MONDE. EN THÉORIE, L’HEXAGONE AFFICHE AINSI UNE RÉELLE AVANCE SUR LE BIG DATA DE SANTÉ. DANS LES FAITS, LES AUTORITÉS TÂTONNENT ET CES DONNÉES SOMMEILLENT. JUSQU’À QUAND ? —

aux données. L’Initiative transparence santé – fondée par l’UFC-Que choisir, 60 millions de consommateurs et le Collectif inter­ associatif sur la santé (CISS), avec trois entreprises privées, Santéclair, Fourmi Santé et Celtipharm – tente de faire entendre la nécessité de l’Open Data santé au nom d’une meilleure information sur le fonctionnement de notre système de soins. Aux yeux de Marianne Binst, PDG de Santéclair, « l’Open Data santé représente un enjeu de démocratie citoyenne et permettrait aux entreprises de créer des services à valeur ajoutée pour les consommateurs ». Mais le ministère de la Santé se refuse encore à laisser le libre accès et la diffusion des données de santé aux acteurs de la société civile et aux médias. Dans son discours prononcé en octobre 2012 en ouverture du 40e congrès des mutuelles, Marisol Touraine affirmait « la responsabilité des pouvoirs publics de permettre aux Français d’accéder à une information claire, lisible et

indépendante sur notre système de santé ». Avant d’ajouter : « Il n’est pas normal que la transparence soit d’abord ou principalement assurée par des acteurs privés. […] Il revient aux pouvoirs publics de rassembler des informations sur la qualité des établissements, sur la qualité des produits de santé, sur les tarifs pratiqués par les professionnels et de les mettre à disposition. » Cette vision n’est pas partagée par tous. Selon Marianne Binst, l’ouverture des données de santé mettrait à jour les lacunes de la Sécurité sociale. « L’Open Data révélera des zones d’ombres, voire quelques scandales. Pourtant, c’est inéluctable. Les gens supportent de moins en moins la rétention d’informations qui les concernent. C’est une véritable question de droit : à qui appartiennent ces informations  ? Notre

idée est qu’elles appartiennent à tous. Le risque lié aux données personnelles est un prétexte. Elles n’ont jamais été demandées par quiconque et sont très bien protégées par l’Institut des données de santé (IDS). Les seules données nominatives utiles seraient celles des prescripteurs. » Une telle transparence aurait probablement permis d’éviter les préjudices causés par le Mediator et la pilule de troisième génération. Éclairer les citoyens sur les pratiques constituerait l’une des principales vertus de l’Open Data. Une étude publiée par l’UFC-Que choisir rend compte de la croissance moyenne de 1,7 % des dépassements d’honoraires entre 2012 et 2013 et « appelle les pouvoirs publics à enfin cesser la politique d’inaction complaisante face à la fracture sanitaire fran-

WE DEMAIN INITIATIVE

çaise ». Récemment, le quotidien Libération pointait du doigt la surmédication des personnes âgées. Dans notre pays, 90 % des plus de 80 ans consomment en moyenne dix médicaments par jour. Marianne Binst réagit : « Combien de prothèses auditives pourrait-on mieux rembourser si l’on arrêtait de prescrire n’importe quoi aux personnes âgées  ? Combien d’abus sur le montant des appareillages dentaires  ? L’Open Data est aussi une façon de mieux gérer l’argent public. Les associations d’usagers ont besoin de ces outils pour challenger la Sécurité sociale et le ministère de la Santé sur son rôle de protection à travers une meilleure action de contrôle et de sanctions éventuelles. » L’Initiative transparence santé déplore la surconsommation de médicaments et les prescriptions injustifiées, qui représentent un coût d’environ 10 milliards d’euros pour la collectivité chaque année. Et pire, la cause probable de quelque 6 000 décès. « Les dysfonctionnements sont photosensibles. Mis en lumière, ils s’améliorent. Beaucoup d’acteurs limiteront leurs abus lorsque ceux-ci seront visibles. Il en va de l’intérêt collectif », explique Marianne Binst. L’Initiative transparence santé salue la récente mesure sur la mise en ligne d’une base de données publique des médicaments. Mais regrette dans le même temps que des mesures plus concrètes ne soient pas prises. Un arrêté promulgué en juillet 2013 élargit les conditions d’accès et d’utilisation du Système national d’information inter­ régimes de l’Assurance maladie, le SNIIRAM. L’Institut de veille sanitaire (InVS) peut désormais y effectuer des recherches et la Haute Autorité de santé (HAS) dispose maintenant d’un accès à toutes les données de la base. Toutefois, cette percée ne concerne qu’un échantillon d’acteurs du secteur public de la santé et aucune entité privée ; et elle reste très surveillée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), chargée de veiller à la protection de la vie privée des individus. Le 7 novembre dernier, Marisol Touraine annonçait le lancement d’un débat sur l’ouverture des données publiques de santé en collaboration avec Etalab (service du Premier ministre chargé de l’ouverture des données publiques et du développement de l’Open Data). Quelques jours avant la rencontre, qui se tenait le 21 novembre, l’Initiative transparence santé n’avait pas été sollicitée. Il faudra attendre avril 2014 pour connaître ses conclusions. u

ET AILLEURS ?

Au-delà de nos frontières, au Canada et dans les pays scandinaves notamment, l’ouverture des données de santé est déjà instaurée, avec toujours un principe d’anonymat préservé. En décembre 2012, le Royaume-Uni a inauguré le UK Open Data Institute, qui accueille dans ses locaux cinq nouvelles start-up. Grâce à ses algorithmes, l’une d’entre elles a révélé une possible économie de l’ordre de 200 millions de livres sterling (232 millions d’euros) pour le pays, si le service public avait imposé la prescription d’une classe de médicaments génériques en lieu et place de leurs équivalents brevetés. Aux États-Unis, les effets positifs de l’Open Data santé sur l’activité et l’emploi dans la ville de New York ont été salués par la ministre française déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique Fleur Pellerin.

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