MADE IN ROMANS Hélène Martinez
— À ROMANS-SUR-ISÈRE (DRÔME), LA CAPITALE DE L’INDUSTRIE DE LA CHAUSSURE, AUJOURD’HUI SINISTRÉE, UN ATELIER DE FABRICATION HAUT DE GAMME RELANCE LES SAVOIR-FAIRE LOCAUX, SOUS L’IMPULSION DU GROUPE ARCHER, ACTEUR DE L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE. —
Fabriquer des souliers à Romanssur-Isère, c’est une tautologie. Fleuron de la commune drômoise depuis plus d’un siècle, la mono-industrie de la chaussure a connu des décennies prospères jusqu’au départ des célèbres chausseurs Stéphane Kélian et Charles Jourdan, en 2005 et 2007. La crise de la fin des années 2000 apporte le coup de grâce. Ébranlées par la concurrence étrangère, la plupart des firmes délocalisent leur production et laissent derrière elles de nombreux Romanais au chômage. Quand,
des ressources. Le groupe mène ses premières expériences de reprise d’entreprises en liquidation, de portage d’activités et de maintien d’activités menacées de délocalisation. En 2007, il entame une stratégie de développement local de l’emploi et crée une holding, SAS Groupe Archer. « Notre comité d’éthique et nos actionnaires ont très vite su qu’il fallait s’intéresser au marché de la chaussure », explique Christophe Chevalier, PDG du groupe, directeur général de l’association Archer et gérant
« IL Y A TOUJOURS DE LA PLACE POUR L’ARTISANAT DE LA CHAUSSURE À ROMANS. SA CULTURE EST INSCRITE DANS L’ADN DE LA VILLE. »
en 2008, sous l’impulsion du groupe Archer, un petit atelier de chausseurs se lance dans la résurrection de cette industrie quasi éteinte sous l’étiquette Made in Romans… MATÉRIAUX RÉGIONAUX Créé dans la même ville en 1987, le groupe Archer est une association de réinsertion qui agit pour la prise en charge des personnes éloignées de l’emploi et soutient le développement économique du territoire en lien avec les chefs d’entreprise et les collectivités locales. Au début des années 1990, il se lance dans la création d’entreprises d’insertion. Dix ans plus tard, il n’est plus seulement question d’accompagner les chômeurs, mais aussi de générer
et Christian Dior. Les lacets, les formes, les œillets et les outils de découpe proviennent également du Romanais. Seules les semelles viennent de plus loin – de Cholet, dans le Maine-et-Loire. De l’artisanat de très haute qualité. Une qualité qui incite plusieurs marques françaises à y sous-traiter la fabrication de certains modèles. Par exemple Dessine-moi un soulier, un concept de chaussures sur mesure pour femmes. Les collections propres de l’entreprise romanaise sont distribuées dans des boutiques du bourg et de grandes villes françaises. « Notre clientèle redécouvre avec nostalgie des chaussures durables fabriquées et vendues en France. C’est l’apanage du fait main et de l’expérience de nos artisans », précise Christophe Chevalier. L’atelier compte sept salariés : des professionnels aguerris réembauchés après la fermeture de leurs anciennes usines, mais aussi des jeunes qui se forment aux métiers de la chaussure.
des sociétés « filles ». Soutenu par Claude Alphandéry, le héraut français de l’économie sociale et solidaire, le projet prend forme avec le rachat d’une ligne de fabrication des anciennes entreprises Jourdan et le dépôt, en 2008, de la marque Made in Romans. « Il y a toujours de la place pour l’artisanat de la chaussure à Romans, explique le PDG. Sa culture est inscrite dans l’ADN de la ville. Nous ressentons une réelle émotion collective autour de cette dynamique. » Dans l’atelier de Made in Romans, ouvert en octobre 2008, les chaussures sont fabriquées avec des matériaux régionaux : les cuirs proviennent de la tannerie Roux, implantée dans la ville depuis 1803 et qui fournit Louis Vuitton
PLUS DE 90 % DES MATIÈRES PREMIÈRES PROVIENNENT DE LA RÉGION DE ROMANS. UNE ÉTHIQUE DÉVELOPPÉE PAR CHRISTOPHE CHEVALIER (CI-DESSOUS).
LE PDG DU GROUPE ARCHER, CHRISTOPHE CHEVALIER, VEILLE SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA QUALITÉ DES CHAUSSURES « MADE IN ROMANS ».
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PROFITS RÉINVESTIS Cette réussite a initié un mouvement. Dans ses locaux, l’entreprise accueille depuis plus d’un an l’association Romans Cuir, qui structure la filière cuir, chaussure et maroquinerie du bassin romanais. Au sein de ce regroupement de chefs d’entreprise, des créateurs restés ancrés dans des niches telles que la chaussure d’escalade, de danse ou le nu-pied témoignent de leur envie de collaborer. « Lorsque nous avons débuté notre activité, aucun projet lié à la chaussure n’avait vu le jour en vingt ans. Aujourd’hui, on voit en apparaître de nouveaux. Si les PME d’un même territoire coopèrent, elles apporteront de l’excellence, de la survie et du développement pour chacun », s’enthousiasme l’entrepreneur. Made in Romans affiche déjà une production annuelle de 3 500 paires, et un chiffre d’affaires de 180 000 euros.
« LA CHAUSSURE REPRÉSENTE UN ENJEU ÉCONOMIQUE CRUCIAL POUR LA RÉGION, PARTICULIÈREMENT EN MATIÈRE D’EMPLOI. NOUS VOULONS MONTRER QUE LA COOPÉRATION ÉCONOMIQUE FONCTIONNE. »
Dans un audit réalisé bénévolement, le cabinet de conseil en stratégie BCG table sur des objectifs ambitieux. La marque doit pour cela travailler son image et diffuser son message principal : le made in France. Christophe Chevalier y croit : « La chaussure représente un enjeu économique crucial sur le bassin, particulièrement en matière d’emploi. Nous voulons montrer que la coopération économique fonctionne. Main dans la main avec les acteurs du secteur, nous développons un modèle solidaire inspiré des coopératives sociales italiennes. » Les valeurs de Made in Romans sont en effet celles de l’économie sociale et solidaire : les dividendes sont limités au taux du livret A et les profits sont réinvestis dans l’entreprise. Avec une dizaine d’autres chausseurs, Made in Romans a récemment répondu à un appel à projets lancé par le ministère du Redressement productif sur le thème du made in France pour guider de nouvelles initiatives dans d’autres secteurs industriels ou artisanaux, ailleurs en France. u Groupe Archer est membre du réseau Entrepreneurs d’avenir
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WE DEMAIN INITIATIVE