Dear George Clooney, tu veux pas épouser ma mère ? - Susin Nielsen

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À tous les membres de ma famille – Nielsen, Fernlund, et Dixon – C'est un privilège de vous avoir dans ma vie.

Pour la présente édition : © hélium, 2011 12, rue de l'Arbalète – 75005 Paris helium-editions.fr Loi no 49 956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse No d'édition : FI 079 ISBN : 978-2-35851-079-0 Dépôt légal : second semestre 2011 Pour l'édition originale, parue au Canada sous le titre Dear George Clooney Please Marry My Mum : © Susin Nielsen, 2010 Publiée en 2011 par Tundra Books Ouvrage traduit avec le soutien du Centre national du livre. Conception graphique et couverture : les Associés réunis, Paris les-associes-reunis.blogspot.com/ Ilustration de couverture : Amélie Fontaine Illustrations intérieures : Oskar Fernlund


Susin Nielsen Traduit de l'anglais (Canada) par Valérie Le Plouhinec



1 QUE LES CHOSES SOIENT BIEN CLAIRES : je n'ai pas fait exprès d'expédier mes deux demi-sœurs aux urgences. Voici ce qui s'est passé : Rosie – ma vraie sœur – et moi-même, nous étions à Los Angeles pour fêter le Faux Noël, notre deuxième Noël de l'année. Nous avions déjà célébré le Vrai à Vancouver avec maman. Le Faux avait lieu le 27 décembre avec papa. Je l'appelais ainsi parce que tout, de la date au sapin en passant par les nichons de Jennica, était bidon. Les cadeaux, par contre, ne l'étaient pas. Ils étaient parfaitement authentiques, et il y en avait des tas. Rosie a eu une poupée qui parle, un déguisement de fée, des jeux vidéo et l'épicerie Playmobil dont elle avait toujours rêvé mais que maman ne pouvait pas lui payer. Avec des mini-concombres, des mini-pommes, des mini-haricots et des mini-bananes à empiler sur un mini-comptoir, et quatre bonshommes en plastique. Même à moi elle me plaisait, cette épicerie, alors que je vais bientôt avoir treize ans. Pour ma part, j'ai eu un iPod Touch et deux paires de Converse montantes : la première couverte de roses et de crânes, l'autre en cuir noir. Démentes. Jennica m'a aussi offert une jupe, que je ne porterai jamais puisque je ne me mets jamais en jupe – toujours en jean et en tee-shirt. Elle pourrait s'en être aperçue, depuis le temps… mais l'idée n'est pas encore arrivée jusqu'à son cerveau. Lola et Lucy aussi ont reçu des tas de cadeaux, même si elles en

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avaient déjà eu des tonnes pour leur Vrai Noël. Jennica ne voulait pas qu'elles se sentent exclues, vous comprenez. Je ne vais pas mentir : la partie « déballage des cadeaux » a été super. La partie moins super, en revanche, a été la soi-disant surprise. Mon père était venu nous chercher à l'aéroport ce matin-là, tout bronzé – limite marron, en fait. – Les filles, j'ai une surprise pour vous, nous a-t-il annoncé en s'engageant sur l'autoroute. Pendant un instant de démence passagère et d'optimisme béat, j'ai cru qu'il allait nous confier qu'il quittait Jennica pour revenir à Vancouver. Mais non : il nous a conduites à Santa Monica, un beau quartier tout au bord de l'océan. Et il s'est garé devant une immense maison moderne au jardin luxuriant. – Elle vous plaît ? Elle est à nous. J'ai compris que par « nous », il ne voulait pas vraiment dire « nous ». – Ouaaah ! a soufflé Rosie. Comme elle n'a que cinq ans, elle ne sait pas cacher sa joie. – Et l'appartement de Burbank, alors ? j'ai demandé. Papa a haussé les épaules. – On commençait à s'y sentir à l'étroit, tous les quatre. Et puis nous n'étions que locataires. La nouvelle maison était splendide. Vaste. La terrasse n'était pas affaissée, les gouttières n'étaient pas cassées, et quelque chose me disait que la toiture n'avait pas besoin d'être refaite. Rien à voir avec notre maison de Vancouver, donc. J'étais en train de chercher quelque chose de méchant à dire, quand l'Épouse no 2 est sortie en courant pour nous serrer dans ses bras. – Quel bonheur de vous voir, les filles ! s'est-elle écriée (ce qui

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m'a rappelé qu'elle est très mauvaise actrice). Super, tes cheveux, Violette. Ça te va bien de les porter un peu plus longs. Dès que je rentre, je demande à maman de me les recouper, me suis-je aussitôt juré. Comme les jumelles faisaient la sieste, papa et Jennica nous ont fait faire le tour du propriétaire. Toutes les pièces étaient au rezde-chaussée, mais c'était un rez-de-chaussée pour géants. Je ne reconnaissais presque aucun meuble. – Nos vieilles affaires n'allaient plus dans le décor, nous a expliqué Jennica en passant la main dans ses longs cheveux blonds. Et puis cette maison est teeeeellement plus grande que l'appart ! Ils nous ont fait traverser le salon, avec ses canapés design aux couleurs moka ou taupe, et nous avons débouché dans la vaste cuisine lumineuse tout en acier brossé. Ensuite, ils nous ont montré les chambres, tout au bout de la maison. La leur était immense, avec un lit king size et un dressing aussi grand que la chambre que je partage avec Rosie, chez maman, mais sans le plafond en pente. Les vêtements de mon père occupaient environ un huitième de l'espace : le reste du dressing était bourré de fringues appartenant à Jennica. Elle en avait plus que ma mère, Rosie et moi réunies. Les jumelles se partageaient la chambre voisine. Jennica a ouvert tout doucement la porte pour nous permettre de jeter un œil à l'intérieur. – Je voulais une chambre de conte de fées, a-t-elle murmuré. Les petites dormaient à poings fermés, couchées dans deux lits à baldaquin assortis, avec des barres de sécurité pour les empêcher de tomber. Les baldaquins et les couettes étaient en tissu rose scintillant. On pouvait lire « Princesse Lola » en lettres argentées audessus d'un des lits, et « Princesse Lucy » au-dessus de l'autre. Devant la fenêtre, une alcôve était remplie de coussins rose et argent. Des étoiles et des lunes étaient peintes sur tout le plafond. Les étagères intégrées croulaient sous les jouets. – Et voici la vôtre, nous a annoncé Jennica avec un grand geste

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du bras vers la pièce du fond, telle Victoria Silvstedt dans La Roue de la fortune. Les murs beiges étaient nus, à l'exception d'une terne aquarelle représentant un coucher de soleil, suspendue entre les lits jumeaux IKEA. Lorsque les petites ont été réveillées, nous avons déballé les cadeaux dans le nouveau salon, assises par terre à côté du faux sapin. L'opération étant terminée dès trois heures de l'après-midi, papa nous a ensuite emmenées dehors. Derrière, le jardin était encore plus grand que devant. Il y avait des balançoires, un bac à sable aussi vaste qu'un terrain de jeux, et une piscine en forme de haricot entourée d'une barrière. Dans notre jardin de Vancouver, il y a un trampoline rouillé avec un pied cassé. Et de la gadoue. – Je ne savais pas que Jennica aimait le jardinage, ai-je dit à mon père en observant la profusion de plantes et de fleurs colorées. Il a éclaté de rire. – Elle n'aime pas ça. Le jardin était déjà là quand nous avons acheté. Heureusement, la nounou a la main verte. J'avais oublié la nounou. – Il fait un peu froid pour se baigner, a-t-il ajouté. Et si vous alliez jouer dans le bac à sable ? En tant que quasi-ado, j'étais très moyennement attirée par cette perspective, mais Rosie et les jumelles, elles, ont adoré l'idée. Donc, nous avons retiré le couvercle du bac et nous sommes toutes entrées dedans. Lola et Lucy étaient mignonnes à pleurer. Elles allaient avoir deux ans, et elles avaient hérité du meilleur des gènes parentaux : l'épaisse chevelure blonde et les grands yeux noisette de Jennica, la fossette au menton et le sourire à cent mille dollars de mon père. Rosie et moi avons eu moins de chance à la loterie génétique. Bien que nous ayons le même père et une très jolie mère, nous

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n'avons hérité que des cheveux châtain terne de papa et de sa myopie. Il porte des lentilles ; nous, des lunettes. J'ai même réussi à récolter ses grands pieds et ses grandes oreilles, ainsi que ses gros genoux d'homme. Tous ces traits lui vont très bien, à lui, mais transplantés sur une maigrichonne comme moi, c'est gravement moche. Nous avons joué longtemps avec les jumelles dans ce bac à sable. Elles adoraient passer du temps avec Rosie et moi, et je les aurais aimées de tout mon cœur si je ne les avais pas détestées à ce point. Après le dîner, nous nous sommes attardés dans la « pièce familiale », qui était aussi vaste que le salon mais plus relax. Papa lisait son journal dans le canapé, mais quand Lucy et Lola sont arrivées à quatre pattes derrière lui, il l'a posé et les a prises toutes les deux dans ses bras, en les appelant « mes petites étoiles » et en les chatouillant jusqu'à ce qu'elles soient écroulées de rire : on ne voyait plus qu'une masse de petits bras et de petites jambes. Rosie, assise à côté, observait la scène, les lèvres pincées. Quand Jennica a emmené les jumelles au bain, elle s'est jetée sur lui. – Mon papa ! a-t-elle crié en sautant sur ses genoux. – Aïe ! s'est exclamé papa. Dis donc, Rosie, qu'est-ce que tu as grandi ! Assieds-toi à côté, d'accord ? Tu es trop lourde pour moi. Il l'a soulevée et l'a reposée près de lui. Puis il a repris son journal et s'est remis à lire. La lèvre inférieure de Rosie a trembloté, mais elle n'a pas prononcé un mot. – Au fait, Violette, j'allais oublier… m'a dit papa, caché derrière le cahier sports. Ça t'ennuierait d'aller remettre le couvercle sur le bac à sable ? Tous nos voisins ont des chats. – Pas de problème. Je suis sortie de la pièce. Mais au lieu d'aller dehors, je me suis glissée dans la gigantesque salle de bains de papa et de Jennica, et j'ai fait pipi sans tirer la chasse.

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Au moment du coucher, Rosie m'a fait faire le guet à la porte de notre chambre pendant qu'elle enfilait une culotte-couche sous son pyjama. – Tu ne le diras à personne, hein ? m'a-t-elle demandé en fourrant son pouce dans sa bouche. Je lui ai enlevé son pouce. – Jamais. – Croix de bois, croix de fer, si tu mens, tu vas en enfer ? – Voilà, tout ça. Le lendemain matin, après le petit déjeuner, les jumelles ont voulu retourner au bac à sable. J'ai empoigné leurs petites mains potelées et je les ai entraînées dehors, Rosie nous suivant à quelques pas. Papa et l'Épouse no 2 sont restés dans la cuisine, à boire du cappuccino. On jouait depuis quelques minutes quand Lola a demandé : – Quoi ça ? Elle montrait du doigt deux grosses crottes de chat à moitié ensablées. QUE LES CHOSES SOIENT BIEN CLAIRES : je ne suis pas fière de ce que j'ai fait après. Mais je ne pense pas non plus que cela méritait l'hystérie qui s'est ensuivie. Voici ce qui s'est passé : quand Rosie a commencé à répondre, j'ai plaqué une main sur sa bouche. – Des crottes en chocolat ! j'ai dit. Ça doit être le Père Noël qui les a déposées. Regardez, il y en a une pour chacune ! Les jumelles ont enfoncé les mains dans le sable. Elles ont ramassé les crottes. Elles les ont portées à leur bouche. Elles ont mâchouillé. Elles ont avalé. Elles se sont mises à brailler. Papa et Jennica sont sortis comme des fusées. Quand elle a appris ce qui s'était passé (merci, Rosie, qui ne saurait pas mentir même si sa vie en dépendait), Jennica a voulu que papa appelle les

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secours. Je vous jure. Il l'a ramenée à la raison, enfin, si on peut dire. C'est-à-dire qu'au lieu d'ameuter une équipe de sauveteurs ils ont conduit eux-mêmes les petites à l'hôpital. Ne me demandez pas ce que s'imaginait Jennica. Qu'un médecin urgentiste leur donnerait du bain de bouche surpuissant ? Rosie et moi nous sommes donc retrouvées seules dans la maison pendant plus de deux heures. Nous sommes allées dans la pièce familiale et avons allumé la télé à écran plat. Je savais que j'étais dans les ennuis jusqu'au cou. Je savais que maman serait mise au courant. Et je savais que j'aurais dû avoir honte de ce que j'avais fait. Et pourtant non. Je ne sentais que du vide : si vous aviez regardé en moi à ce moment-là, il n'y aurait rien eu à voir. Juste un grand blanc. Nous regardions depuis un quart d'heure Toy Story 2 quand Rosie m'a dit, sans quitter l'écran des yeux : – Tu ne m'as jamais fait manger du caca, à moi. – Non, Rosie, lui ai-je répondu en retirant son pouce de sa bouche et en lui prenant la main. Je ne te ferais jamais ça. À leur retour, Jennica ne voulait même pas me regarder. Ce soir-là, j'ai entendu papa au téléphone avec maman. Il lui parlait de mes « troubles du comportement persistants ». Le lendemain matin, j'ai annoncé que je voulais rentrer à Vancouver. Personne ne m'a retenue. Rosie n'avait pas envie de partir, mais vu qu'elle est trop petite pour voyager seule, elle n'a pas eu le choix. J'ai remis dans nos valises toutes nos affaires plus tous nos cadeaux, sauf la jupe, que j'ai fourrée sous le lit. Nous étions de retour à Vancouver à temps pour le dîner. Le Faux Noël avait duré à peine plus de vingt-quatre heures.


Susin Nielsen

Dear GeorGe Clooney tu veux pas épouser ma mère ? Maman est arrivée avec un DVD et un sac de nourriture thaïe de chez saswadee, comme tous les vendredis soir. Rosie a étalé une couverture devant la télévision, et j’ai disposé le repas dessus. C’était notre habitude immuable, toutes les semaines, et j’adorais ça. Car voyez-vous, le vendredi soir est la Soirée officielle des Femmes Gustafson. C’est LE soir de la semaine où maman est toujours libre pour rester avec Rosie et moi. Pas de rencards, pas d’invités, pas même Phoebe, Karen ou Amanda. Rien que nous trois. Donc, hier soir, nous étions à une demi-heure du début d’ocean’s eleven, avec George Clooney, quand le téléphone a sonné. Nous ne sommes pas censées répondre au téléphone pendant la Soirée officielle des Femmes Gustafson. Mais quand maman a vu le numéro, elle a pourtant décroché...

Violette a une mère qui ne sort qu’avec des losers depuis son divorce. Violette n’en peut plus, mais sa mère a désespérément envie de refaire sa vie et continue à accepter de nouveaux rendez-vous. Ce soir-là, le rendez-vous s’appelle Dudley Wiener, illico surnommé la Saucisse. Il adore les vide-greniers et les blagues nulles, et ne plaît pas DU TOUT à Violette qui décide de prendre les choses en main. Elle va donc écrire à George Clooney pour lui demander un petit service et filer Dudley : si la Saucisse a un cadavre dans son placard, elle le trouvera !

Illustration de couverture : Amélie Fontaine Conception graphique : les Associés réunis

ISBN : 978-2-35851-079-0

13,90 €

Traduit de l’anglais (Canada) par : Valérie Le Plouhinec

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