Que fait-on quand il pleut ? - Ralph Doumit

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Pour Loucine, née en hiver Pour Herminée, née en été R. D. Pour Ewan, déjà grand lecteur breton chéri J. W.

© hélium / Actes Sud, 2022 Loi no 49 956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse helium-editions.fr No d’édition : FI 294 ISBN : 978-2-330-16896-4 Dépôt légal : second semestre 2022

Couverture et illustrations intérieures : Julia Wauters Conception graphique et réalisation de la couverture : Guillaume Renon


Ralph Doumit

que faiton

quand il

pleut

?

Illustrations de Julia Wauters


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Chapitre 1 Sueurs froides sur sable chaud Il était quinze heures lorsque Otto, un jeune oiseau, entra au cinéma. Il avait choisi le petit cinéma du 14 bis, boulevard Nord : le Majestic. Il s’y rendait souvent, lorsque le brouhaha de la ville l’incommodait. Il aimait ses sièges bois de rose et le plancher de la scène, devant l’écran : Le Majestic était aussi, parfois, une salle de théâtre. Les rues baignaient encore dans la lumière blanche d’une fin d’été. Si bien qu’en pénétrant dans le hall du cinéma, plongé,

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lui, dans la pénombre, Otto se sentit déjà dans un autre monde. Il n’y avait pas foule au guichet. Les animaux de la ville préféraient les séances du soir. Seul un chien, d’un certain âge et portant un chapeau fédora qui s’enfonçait jusqu’à ses sourcils broussailleux, attendait impassible, billet en main, que s’ouvrent les portes de la salle. Le guichetier était un jeune renard. Otto était un habitué, mais c’était la première fois qu’il le voyait. Le renard sourit entre les poils de ses fines moustaches lorsque Otto se présenta. — C’est pour la séance de l’après-midi ? Otto acquiesça. Le cinéma avait programmé ce jour-là la première de Sueurs froides sur sable chaud. Voici plusieurs semaines qu’Otto attendait la sortie de ce film dont l’action se déroulait sur les plages de sable blanc du Pays chaud. Il trépignait d’impatience à l’idée de s’abandonner, deux heures durant, dans ces décors qu’il connaissait si bien et qui lui manquaient terriblement. Car Otto était un oiseau migrateur. Comme tous ses semblables, il séjournait la moitié de l’année là-bas, au Pays chaud. Pour tout dire, les six autres mois (ceux qu’il passait en ville) lui semblait n’être qu’une longue, une interminable attente. Dès son retour en ville, il comptait les mois qui le séparaient de la prochaine migration. Puis, la saison froide approchant, il comptait les semaines. Enfin les jours.

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Le jeune renard, quittant son guichet, s’en alla ouvrir les portes de la salle. Otto laissa poliment le vieux chien entrer le premier, avant de lui emboîter le pas. Il choisit une place bien au centre. Le chien, quant à lui, s’était affalé sur un siège en retrait, à l’arrière, dans les rangées latérales. Comme aucun autre spectateur ne semblait arriver, les lumières tamisées de la salle s’éteignirent assez rapidement. Lorsque les premières images de la mer apparurent à l’écran, les yeux d’Otto se mouillèrent d’émotion. C’était comme s’il sentait le doux vent salé lui caresser les plumes. Happé sur-le-champ par le film, il s’imaginait lui aussi sur le sable brûlant des plages. C’est à peine s’il ne voyait pas, dans la salle de cinéma pourtant vide, ses amis de là-bas : Bernard le singe, Lise la perroquet et Jules l’hippopotame. Il était en ville, mais il était déjà au Pays chaud. Tandis que la projection avait débuté depuis quinze minutes, la porte de la salle s’entrouvrit pour laisser entrer un troisième spectateur. Otto jeta en sa direction un regard furtif. Mais la pénombre l’empêchait d’identifier l’arrivant. Tout juste devinat-il un ciré jaune, dont la capuche lui couvrait encore le visage. Se couvrir ainsi alors qu’il fait encore bon, pensa Otto, c’est étrange. Les images sur le grand écran étaient baignées de soleil et le contraste en était d’autant plus frappant. Comment Otto aurait-il pu se douter que là-haut, dans les rues qu’il venait de quitter, la ville s’était subitement métamorphosée ? —8—


Cette année-là, l’automne arriva d’un coup. Cela commença aux alentours de quinze heures trente, lorsque de violents coups de vent surprirent les passants. Le ciel se couvrit alors de vastes nuages épais, faisant brusquement chuter la température, et la surprise agita les piétons. Les plus poilus des habitants de la ville, les rongeurs et les ours, résistèrent un moment. Mais bientôt, les rues se vidèrent pour de bon. C’était à qui trouverait le chemin le plus court pour revenir chez soi et s’abriter derrière des volets clos. Pas un n’avait prévu, en sortant de chez lui le matin, de veste ou de pull de laine. Ne parlons pas d’écharpes, de manteaux ou de gants. Dans le cocon de la salle de cinéma, loin de toute cette agitation, Otto avait goûté à chaque plan de Sueurs froides sur sable chaud. L’acte final mettait en scène l’héroïne, une lionne, postée sur la plage face à l’horizon. Elle regardait s’enfuir au large, sur une barque de fortune, son ennemi de toujours, une panthère noire aux yeux perçants, qui ramait, certes vaincue, mais semblait dire « Je reviendrai ! ». Alors que la lionne était cadrée en plan américain, Otto reconnut, à l’arrière, dans un coin de l’image et à flanc de falaise, l’échoppe que son ami Bernard le singe tenait sur la grande plage du Pays chaud. Quelle émotion ! Tout sourire devant cette vision familière, il tourna la tête pour partager son excitation avec le vieux chien. Celui-ci ne remarqua pas le mouvement d’Otto. Il semblait attendre, ennuyé, s’enfonçant progressivement dans son fauteuil comme dans des sables mouvants, que la projection prenne fin. —9—


Otto s’intéressa alors au troisième spectateur, qui s’était assis au bout de sa rangée. Cette fois-ci, il eut droit à un regard, à peine perceptible tant la capuche de son ciré plongeait son visage dans l’ombre. Était-ce un sourire qui accompagnait ce regard ? Otto fixa de nouveau son attention sur l’écran et, plissant les yeux, chercha à reconnaître, en vain, la silhouette de son ami Bernard parmi les figurants. Sacré Bernard, se dit-il, toujours à grimper sur les cocotiers pour impressionner sa clientèle ! Et Jules, ah, Jules l’hippopotame, le roi des cocktails de fruits ! Il rit tout bas au souvenir de ses amis. Il se remémora le jour où Jules l’avait emmené à la rivière jouer des tours aux alligators. Il y avait perdu quelques plumes, mais le jeu en valait la chandelle. La journée s’était achevée par une virée à dos d’alligators, à siroter des cocktails de fruits en chantant, accompagnés au ukulélé. Il faut savoir que les alligators ont de merveilleuses voix de crooners. Au Pays chaud, tout se conclut toujours par une fête, pensa-t-il alors que le générique de fin défilait. Otto sortit de la salle l’esprit empli de soleil, comme enveloppé par l’air marin. Passant devant le guichet, c’est à peine s’il nota que le jeune renard l’interpellait : — Alors, monsieur ? Vous êtes prêt pour demain ? Otto ne prit pas la peine de bien comprendre la question. Il répondit du tac au tac : — 10 —


— Euh… Oui, je viendrai certainement revoir le film. Une petite merveille. Mais peut-être pas demain. Le renard hésita. — Non, je voulais dire… demain… pour le grand départ des oiseaux. La migration. Vous êtes bien un… Otto eut un sourire compatissant. — Ah non, monsieur, vous faites erreur. Le grand départ est encore loin. Cinq… six bonnes semaines, tout au moins ! Otto poursuivit son chemin, avec dans la tête la mélodie entêtante du générique de fin. Il s’imaginait déjà, une fois de retour à son appartement, en retrouver les notes sur sa clarinette pour prolonger la magie de la projection. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, ouvrant la porte du cinéma, il reçut de plein fouet une bourrasque qui le projeta quelques centimètres en arrière. Il s’apprêtait à refermer la porte pour se protéger, mais voilà que l’animal au ciré jaune apparut derrière lui et, d’un geste de la main, la retint. Puis, bousculant un peu Otto, il sortit, confiant, marchant dans le vent violent comme on le ferait sous un soleil de printemps. Sans la moindre hésitation. Otto fronça les sourcils et regarda un instant l’animal s’éloigner. Il n’était que dix-sept heures et pourtant, derrière la baie vitrée du hall du cinéma, il faisait sombre comme si la nuit était déjà tombée. Pris d’un doute, il se retourna en direction du guichetier. — Vous… vous avez dit demain ? — 11 —


— Mais oui, c’est ce que j’essayais de vous dire. Les oiseaux ont pris la décision de partir d’urgence. Regardez : l’hiver est à nos portes.

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Que faire quand on est un oiseau et qu’on a raté le Grand Envol ? Qu’on se retrouve seul sous la grisaille, alors qu’on rêvait de fêtes entre amis sur les plages dorées du Pays chaud ? Désemparé, Otto est prêt à tout pour rejoindre les siens, même à tomber sous le coup des pires escroqueries. À moins qu’un guide laissé à son attention par un inconnu ne le fasse changer d’avis. D’invitations anonymes en joyeux hasards, Otto s’engage à travers la ville sur les traces de son mystérieux propriétaire au ciré jaune !

Ralph Doumit

Illustrations : Julia Wauters

que fait-on quand il pleut ?

Ralph Doumit

helium-editions.fr 14,90 euros ISBN : 978-2-330-16896-4

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