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“ T’AS VU MA GUEULE ? ”

Il est prof de lettres, adulé par ses élèves et loué par sa hiérarchie. Il s’appelle Serge et la coïncidence n’est pas que patronymique : Serge est laid. Raison pour laquelle il n’a jamais eu de vie sentimentale ; ça remonte au lycée où il avait une flopée de potes en raison de son aménité, son intelligence... Mais de copine point, jamais, oki ! Dans les boums, il faisait tapisserie. A 17 ans, après le Bac, il a voulu passer une autre épreuve. “ J’ai toujours été conscient d’être moche. T’as vu ma gueule ? Quelle fille aurait voulu ? Je suis allé rue du Butor ”.

AU MOINS UNE FOIS PAR SEMAINE !

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Ah ! la rue du Butor, son atmosphère sulfureuse, son parfum de péché flottant dans l’air, ses plaisirs tarifés au plus juste, ses petites maisons en bois avec autant de chambres que de gentilles filles au rire ravageur. Serge avait un poste de pion, l’argent n’était plus un problème pour ce rejeton de famille modeste. Cette 1ère fois fut apparemment une totale réussite : “ La fille s’est très bien occupée de moi, ayant vu que j’étais “ novice dans le déduit ”, comme chante

Alain

Brassens. Elle n’a pas eu de mépris pour ma laideur et a gentiment fait semblant de ne pas se rendre compte que je suis vilain. J’y suis souvent retourné. ” Il éclate de rire et explique son hilarité : “ A la fin, je les connaissais toutes par cœur. Depuis ce temps, je fréquente régulièrement les prostituées. Au moins une fois par semaine, souvent plus. Car aucune femme n’est jamais tombée amoureuse de moi. Moi si, mais on ne lutte pas contre l’inéluctable. Je me suis fait une raison ”.

PAS SEULEMENT COMMERCIAL !

Alain a des raisons parfaitement admissibles au demeurant. Sa vie familiale est un enfer, faite de disputes et de reproches incessants. Alain est un tendre qui aime ses enfants et n’a jamais donné une baffe à son épouse. “ Quand la déferlante arrive, je plonge par-dessous la vague, j’attends que ça se passe. Comme après ça il n’y aura plus d’échanges, encore moins de tendresses pendant un bout de temps et que je m’en passe difficilement, je vais chez les filles du Chemin Charrette. On ne fait pas que l’amour. Elles aiment discuter, elles aussi, faut pas croire. Comme je suis disponible, on s’aime bien ”.

JEAN-PIERRE

LE KAMASUTRA ET TOUT ÇA…

La sincérité de Jean-Pierre est plus franche. Parce que pathétique. “ Je ne suis pas un champion des sports amoureux. J’ai pourtant lu des livres, le Kamasutra, tout ça, mais pour les travaux pratiques, c’est zéro ; je ne suis pas un bon amant ”. Son drame est que son épouse (c’est lui qui le dit) lui en fait régulièrement la remarque. A la fin, c’est vrai, ça doit lasser. “ Surtout que malgré nombre de consultations onéreuses chez les spécialistes, je n’arrive pas à me défaire de ma propension à l’éjaculation précoce ! ” Evidemment, se faire chambrer pour ça, il y a de quoi décourager. Ce qui n’améliore rien.

BÊTE À PLEURER !

“ Les filles ne se fichent pas de moi, ne me méprisent pas, c’est tout ce que je demande. Bien sûr, ma vie sexuelle familiale en a pris un sérieux coup. Mi fréquente pu mon madame trop souvent. Mi connais pas comment elle i fait et mi veux pas savoir ! ” Une manière de gentleman agreement dans une vie sentimentale bête à pleurer, car son épouse n’ignore rien de ses escapades thérapeutiques ! Un amour aussi peu partagé peut-il tenir le coup ? “ Pou l’instant, nous na d’zenfants, alors nu reste comme ça. Après, quand zot va quitte la case na voir ”.

On a l’impression qu’Alain paie par habitude plus que par logique commerciale. Car figurez-vous que ce tendre, avant d’aller à l’amour, s’approvisionne en sandwiches et boissons diverses. “ Toutes les filles du périmètre en profitent, ce qui évite les jalousies pénibles. J’ai ma dose de soucis à la maison ! ”

C’est quoi un acte commercial ? La remise d’un bien ou d’un service contre rémunération. Ça n’empêche pas de dire “ bonjour, au revoir ”, de sympathiser... Dans l’amour, c’est du pareil au même. Il y a eu un film comme ça : “ Et la tendresse, bordel ? ”

St Phane

L’APRÈS-BAC, CE FUT LE BOXON !

Stéphane, la cinquantaine, est un nostalgique. Lui aussi conserve un souvenir ému de la rue du Butor, et encore plus de l’ancien Hôtel du Levant. “ La 1ère fois que je suis passé devant, il y avait de jolies filles à l’étage, dévisageant les lycéens s’attardant sur le trottoir, nous lançant des sourires aguichants. Tu imagines les ravages dans nos esprits enfiévrés. Quelques semaines plus tard, papa m’a donné une jolie petite somme pour ma réussite au Bac ”. Pour les uns, l’après-Bac, c’était le monôme ; pour lui, ce fut le boxon. “ La 1ère m’a fait devenir un homme en douceur et a pris son temps. Depuis, j’aime les prostituées. Je me suis marié, j’ai des enfants, une vie de famille harmonieuse. Mais je retourne régulièrement auprès des filles de la rue. Suisje un salaud à ton avis ? ” Qui n’a jamais péché…

Fran Ois Et Ses Potes

Je Rentre Chez Moi Le Corps Tranquille

Antonin, petit commerçant, la quarantaine, avoue sans façon qu’il y va “ pour changer un peu, c’est comme le cari canard de Daniel Vabois ”. Ce renouvellement dans les jeux amoureux lui éviterait de sombrer dans une fâcheuse monotonie. “ Je rentre chez moi le corps et l’esprit tranquilles, je suis calme, disponible pour la famille, les amis ”. Il n’est pas le seul à le dire. Delà à parier sur leur sincérité sémantique, il y a une marge que je vous laisse le soin de franchir.

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