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UN ENFANT, DEUx écolEs

De fait, dans la famille mahoraise, l’enfant n’a pas la parole. En plus de l’éducation qu’il reçoit à la maison, l’enfant est confronté à deux schémas d’apprentissage : le modèle réflexif de l’école républicaine centrée sur le développement de l’enfant, avec pour but sa valorisation, d’un côté, et, de l’autre, celui de la madrasa (école coranique), modèle descendant basé sur la répétition et la mémorisation, où l’éducation vient d’en haut. Un bon élève ne prend pas la parole, il écoute. D’ailleurs, certains enseignants en déduisent que l’élève ne sait pas, donc qu’il est en difficulté linguistique et qu’il a besoin d’aide. En arrivant à la Réunion, les jeunes mahorais sont confrontés à une langue de socialisation qui n'est pas le français, à savoir le créole. Cela crée de nouvelles interférences qui n'existaient pas lorsqu'ils étaient à Mayotte.

Des dispositifs d'accueil et d'accompagnement des primo arrivants existent, les CLIN (Classes d’initiation) dans le premier degré et les CLA (Classes d’accueil) dans le second degré. “ 90% des élèves de CLIN sont des enfants mahorais, certains étant nés à la Réunion ” affirme Thierry Gaillat, maître de conférence à l’université du Tampon au département FLE (Français Langue Etrangère) et FLS (Français Langue Seconde). “

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Certaines aides qui partent d’un bon sentiment ont leurs effet pervers, car elles identifient ces élèves comme différents, leur renvoient qu’ils sont moins français que ce qu’ils étaient à Mayotte ” explique l’enseignant-formateur. Avec le repli sur soi que cela entraîne. Loin de s’opposer aux dispositifs existants, Thierry Gaillat préconise plus de réflexion sur la langue et la culture mahoraises et une plus grande coordination entre les enseignants pour éviter les orientations parfois trop hâtives et systématiques.

3 questions à Chakila Yssouf

Secrétaire de l’Association des femmes mahoraises de Saint-Denis et présidente de Mowama, (Mouvement des jeunes des îles).

1 Où en s O nt les Mah O rais auj O urd’hui ?

- On est en perte d’identité. On est au milieu de l’histoire, au milieu d’un conflit politique. On voit Mayotte évoluer mais nous on n’évolue pas, il y a un problème du passé non réglé qu’on relègue à nos enfants. On n’arrive pas à s’ouvrir, à construire sur les débris de l’histoire politique. On est des Français sans âme, on a laissé nos racines à Mayotte, ici on essaie de faire comme les Réunionnais qui eux-mêmes ne savent pas où ils en sont. Il y a un travail individuel à faire pour aller de l’avant. Les Mahorais, c’est comme les Réunionnais, on n’a pas confiance en nous, on ne sait pas se valoriser entre nous. On vit tous ensemble mais on ne sait pas se dire qu’on s’aime.

2 Que dire des jeunes ?

- On ne se sent pas chez nous, les Réunionnais nous le rappellent, et on n’est pas à notre place dans notre famille où il y a un conflit de génération. Le jeune n’y trouve pas sa place et va s’identifier, retrouver une famille auprès de jeunes qui boivent, qui fument. La cellule familiale est en crise. Il n’y a pas de dialogue dans les familles mahoraises, c’est toujours les engueulades. Il n’y a pas de relation d’affection, les parents ne savent pas donner l’amour, ce n’est pas naturel de se serrer dans les bras, on voit ça dans les familles occidentales. Et puis on ne parle pas de la sexualité, c’est tabou, on change de chaîne à la TV. On ne parle pas de prévention, les jeunes filles tombent enceintes et c’est une honte pour la famille qui les renie parfois.

3 Quel avenir à la r éuni O n?

- Actuellement à la Réunion, on se tolère, il n’y a pas de partage. Pourtant quand on regarde l’histoire, les Mahorais et les Comoriens n’y sont pas étrangers. Les gens qui disent “ Comores dehors ”, c’est de la mauvaise foi, ils savent très bien. C’est pas qu’ils ne veulent pas de nous, ce sont les conditions sociales qui font ça –le chômage, les jeunes n’ont pas d’espoir, comment tu veux qu’ils nous accueillent ?-. E puis ce sont des gens qui ne sont pas sortis. Je crois que la départementalisation va débloquer des choses, créer un pont de dialogue avec les Réunionnais. Dans leur tête maintenant, on est pareil. Ils sont passés par là avant nous, ils sont là pour nous guider. Les mentalités évoluent, il y a aussi beaucoup de couples Réunionnais-Mahorais.

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--- “ Les gens ne parlent jamais directement de leurs problèmes intimes, on y accède par les enfants à l’école ”, constate-t-il. Ces enfants expriment à travers différents symptômes –hyperactivité, troubles du langage- des angoisses parentales : la survie au quotidien, la nourriture, le logement, la scolarité mais aussi les ruptures conjugales.

Ces troubles sont considérés par beaucoup de familles comme “ la suite d’une attaque sorcière, des sorts qu’on leur a lancés là-bas et qui continuent à agir ici, explique l’ethno-psychologue. La Réunion est ainsi perçue comme un lieu où l’on peut être protégé ”.

De fait, les problèmes ont souvent commencé à Mayotte. Les femmes fuient un mari peu présent ou au contraire tyranique, une co-épouse malveillante. A la Réunion, ces femmes s’installent dans une précarité autant physique que psychique. Quand Nicole Humblot, adjointe au maire en charge de l’intégration à Saint-Denis rend visite aux familles mahoraises une fois établies, elle constate leur instabilité : “ Il y a toujours une valise dans un coin. On sent qu’elles ne sont pas assises ”. Comme si elles étaient en permanence sur le qui-vive. “ Là-bas, certaines ont un petit terrain, une activité, ici, elles attendent le 5 du mois ”, commente encore l’élue. Avec en plus, pour certaines d’entre elles, l’aide de colis alimentaires. Souvent ces femmes se sentent découragées, humiliées et hésitent : rester ou repartir ?

Des enfants vulnérables

Il faut dire que l’adaptation est particulièrement difficile. En arrivant à la Réunion, les Mahorais forgés par une triple culture –africaine, française et musulmane- voient tous leurs schémas exploser.

Les repères qui les structuraient à Mayotte, notamment familiaux, n’existent plus. Le mode de vie clanique est remplacé par un modèle nucléaire ou monoparental. Les enfants ne sont plus pris en charge par le groupe familial ou la communauté. Plus enfermés, on leur impose plus d’interdits.

“ A Mayotte, l’enfant appartient à tout le monde, ici l’autorité parentale est lourde ”, explique Nicole Humblot. Les enfants sont ainsi les plus vulnérables. Ils suivent, sans être associés au projet de migration, ballotés dans un “ ping-pong ” culturel. (Voir encadré).

Au final, “ les familles ne sont pas préparées à être isolées, surtout les mères célibataires ”, déplore l’ethno-psychologue Jacques Brandibas. Certaines mères se retrouvent dans une grande détresse. “ Je connais une maman qui a quatorze enfants, avoue l’adjointe, eh bien les quatorze sont placés ”.

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