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Pas de temps pour les loisirs

Marie Chuppa, de son vrai prénom Nagaman, a élevé 11 enfants. Elle n'a jamais été à l'école, mais a enseigné à tous ses enfants le goût du travail. A Saint-André, non loin de l'usine de cannes, où elle a toujours vécu, elle se raconte.

Par Linda Saci

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“Mi té travaille dan bitation*. Ma pa trouv un demi journée lécol ”, regrette Marie Chuppa, 83 ans, en repensant à ses camarades qui se rendaient en classe, sans elle.

“ A la place d'un stylo, elle a eu une pioche ”, poursuit sa première fille Aliette, 63 ans, à ses côtés. La vieille dame de Saint-André n'a jamais appris à lire, mais elle a eu à cœur d'envoyer 9 de ses 11 enfants à l'école.

Le travail rien que le travail

Les chiffres, Marie connait, elle sait négocier, c'est d'ailleurs grâce aux bonbons piments qu'elle vend aux plus aisés qu'elle élève ses enfants. Elle fait également des ménages, élève des animaux et travaille la terre...

Les loisirs ? Une perte de temps, selon elle. Le travail est un plaisir, une véritable obsession qu'elle transmet à ses enfants. D'ailleurs, sa petite fille Carol confirme : “ Ce sont presque tous des drogués du travail dans la famille ”. C'est seulement à l'âge de la retraite qu'elle part en voyage à Paris avec son mari et profite de son temps libre. Marie ne se plaint pas, elle se montre exigeante encore aujourd'hui. De sa misère est né son caractère et son courage. Et pour Marie, les gens vivent, aujourd'hui, dans l'opulence.

Alcide et Marie Chuppa, leur quatre premiers enfants, et la mère de Marie, à droite.

Son père, lui, ne se manifeste que deux fois. Durant la seconde guerre mondiale, il vient lui apporter un coupon pour s'approvisionner en nourriture. Et bien des années plus tard, hasard de la vie, son mari est hospitalisé dans le même établissement que le père de Marie, “ son cœur a sauté lorsqu'il a entendu son nom”, raconte Aliette, leur fille. Marie lui rend visite, une dernière fois, refusant de s'occuper de lui, comme il a refusé de s'occuper d'elle lorsqu'elle était enfant.

A l'âge de 11 ans, Marie part vivre et travailler comme “ petite bonne ” chez son parrain, qui a de bons revenus. Elle y apprend quelques notions scolaires, grâce à l'une des deux filles de la maison.

Mais Marie a la peau claire, contrairement à l'une des filles légitimes, ce qui créée la confusion pour les étrangers. Un malaise s'installe : “ Ma marraine et ses deux filles étaient jalouses de moi ”, se souvient Marie, un peu moqueuse. De retour chez sa mère, remariée à un autre homme, elle ne se sent pas acceptée non plus au milieu de ses demifrères et sœurs. Ils la rejetteront également à l'âge adulte : “ Certains ne nous disaient même pas bonjour, tellement nous étions pauvres ”, se remémore Aliette de son enfance avec ses parents et ses 5 sœurs et 5 frères.

“ Té tap, té quit, té revien ”, raconte Aliette, au sujet de ses parents. A 17 ans, elle met au monde leur premier enfant. Et lorsqu'elle attend leur deuxième bébé, Alcide décide de se fiancer à une autre. Mais la saint-andréenne explique, avec fierté, qu'elle ne s'est pas laissé faire. Elle demande à quelqu'un de rédiger un courrier pour annoncer aux parents de la promise la situation qui était la sienne. Alcide voit alors les deux kilos de maquereaux, envoyés à ses futurs beaux parents, renvoyés illico.

Alcide deviendra son mari après leur quatrième enfant. “ La religion la dress a li ”, s'écrie la vieille dame au sujet de son seul amour. Aujourd'hui encore, elle ne sait pas pourquoi il se montrait si réticent à l'idée de leur mariage. Depuis le décès de son époux, il y a vingt ans, Marie n'a pas souhaité refaire sa vie. Et aujourd'hui encore, elle suit les conseils de son époux défunt : “ Un capitaine ne quitte jamais son bateau ”, disait Alcide, et Marie a jeté l'ancre dans sa petite maison au milieu des cannes, où elle a vécu avec lui.

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