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Pendali kézako ?
from Magazine WOPE
by Hervé BAUM
Pendiali est une déesse hindoue très importante à La Réunion. Avec Marliamen et Karli, elle rythme le calendrier des fidèles malbars tout au long de l’année. Sa couleur est le jaune et son symbole, le feu. Dans la mythologie hindoue, Pendiali aurait marché sur des braises pour prouver sa virginité à son futur époux, Aldunin.
En attendant, le bûcher se met en place au centre du temple. Une montagne de rondins de bois d’une vingtaine de centimètres de circonférence se dresse. Le prêtre y met le feu. Signe de départ d’une journée riche en préparatifs. Sylvestre le sait. Avec ses dalons, eux aussi marcheurs, il surveille le brasier comme du lait sur le feu. Rapidement, les flammes atteignent presque 5 mètres de hauteur. Impressionnant mais pas le temps de s’extasier. Les petites mains s’affairent en coulisse.
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Marlépoutou, karlon, char… Tout doit être prêt pour 17h30. Gervais Banor exhorte ses troupes : “Il faut commencer à décorer le char qui va abriter les statues des divinités sans plus tarder. Chacun sait ce qu’il a à faire”. Sylvestre est chargé du bûcher. Sa tâche ? L’alimenter pour que le tapis de braises soit parfait pour le soir. En attendant, les autres préparent les “marlépoutou”, des longs colliers d’œillets jaunes et oranges. Derrière la bâtisse, les hommes de la fratrie confectionnent les “karlons”.
“Un karlon est un grand pot appelé ‘godron’ rempli d’eau, d’un citron, d’une pièce et de graines de pak, empaqueté dans des feuilles de lilas taillées. Les marlépoutou sont ensuite enroulés autour de la structure”, explique Yohan Calciné, neveu du prêtre. Un exercice qui demande un sacré coup de main. “Cela fait des années que je m’exerce à construire des karlons. Je perpétue la tradition que m’a apprise mon tonton”, précise le jeune homme, alors que la procession démarre. Direction le Barachois. Dernière ligne droite… C’est parti. Le char décoré des statues de divinités et Pendiali s’avance sur le radier en contrebas du temple. Sylvestre ouvre la marche. Il porte un cube de camphre allumé sur un plateau. “Je suis content d’avoir un rôle important mais la fumée du camphre qui brûle est difficilement respirable. Mes poumons sont fatigués”, décrit-il à bout de souffle.
Pour certains, c’est une façon de montrer la valeur de leur foi face aux obstacles. Ensuite, certains fidèles font des “promesses”. Ils demandent l’aboutissement d’un projet à la déesse. En échange, ils doivent marcher sur les braises pour satisfaire et remercier la divinité invoquée. D’autres bravent le feu pour expier leurs fautes ou demander pardon en honorant les dieux. Enfin, une dernière catégorie de marcheurs : les curieux. Assez rares, il faut dire.
Il cède finalement sa place à Vans Daleau, son interprète d’un jour, pour les quelques minutes de marche restantes. Une fois sur la place du Barachois, le prête bénit les carlons et “leur donne vie”.
À peine les chants ésotériques commencés, l’atmosphère se fait solennelle. Etrangement, la mer semble se réveiller tandis que le ciel devient plus ténébreux que jamais. En un clin d’œil, c’est le déluge. Le programme reste inchangé. Les marcheurs se “purifient” dans la mer avant de reprendre la direction du temple, carlons sur la tête. Enfin. Le mot est sur toutes les lèvres. Au temple, le bûcher est presque prêt. Le bois a brûlé à petit feu et les braises rougeoyantes et fumantes sont à point. Sur une surface de 7 mètres sur 3 environs, les cendres sont étalées pour créer un tapis uniforme. Les visages sont fermés. Même Sylvestre, boute-en-train tout le long de la journée, est sérieux. “Je suis un peu stressé. Je sais que j’ai fait ce qu’il fallait faire mais mon cœur bat la chamade”, admet-il sans fards. C’est le moment.
Sans la foi, on est condamné à échouer
Le prêtre Banor ouvre le portillon qui donne accès au carré central et ouvre la marche. Sylvestre se lance rapidement. Une grande fourche surmontée de citrons galets à la main, il traverse les braises. En toute humilité. Presque au ralenti. Tout le monde est unanime : pour une première marche sur le feu, Sylvestre a été exemplaire. Il n’a pas couru face à la chaleur. Bien au contraire.
Dans la ferveur la plus totale, ses pas étaient lourds, son regard droit vers l’horizon, comme perdu dans une “autre dimension”, image-t-il. Il foulera le feu à 5 longues reprises. Tout le monde se succède et c’est la délivrance. Les cris de joie et les congratulations fusent de toute part. Sylvestre, lui, retrouve instinctivement son sourire dans les bras de ses frères. Il est fier. “Tout s’est passé à merveille. Je n’ai senti qu’une infime chaleur sous les pieds. Ils ne souffrent d’aucune brûlure”, fanfaronne-t-il en exhibant la plante de ses pieds. Ses deux fils le félicitent.
L’émotion est palpable. Pour parachever la cérémonie, un cabri est décapité en face du mausolée des ancêtres pour assurer le bonheur de ceux qui ont bravé la chaleur et les cloques. La bête sera cuisinée et partagée le lendemain. Pour le plus grand bonheur de Sylvestre, marcheur sur le feu émérite et carnivore de son état. “Je vais enfin pouvoir manger de la viande. Je vais rattraper le retard que j’ai accumulé pendant les 18 jours de carême. Et si j’abuse, je ferai un régime. Mais de mon propre chef cette fois...”
Le feu sous le déluge
Dans ce cas-là, il faut protéger le feu à tout prix. Le brasier a été alimenté avec d’énormes bûches de bois sec. Jusqu’au dernier moment, elles n’ont pas été bougées. Car en dessous de ces rondins imposants, dans la fosse profonde d’une vingtaine de centimètres, des flammes couvent. Au dernier moment, des fidèles enlèvent les morceaux qui n’ont pas brûlé. Ils éparpillent les cendres et les braises rouges. Enfin, tout est égalisé pour que le brasier soit partout le même. A ce moment pas question de traîner. Une fois éparpillées, les braises se refroidissent vite.