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LA PISTE RATÉE
La formation professionnelle au Maroc.. La piste ratée !
AVEC 117.000 POSTES CRÉÉS ENTRE LE SECOND TRIMESTRE 2017 ET CELUI DE 2018 AU MAROC, LE TAUX DE CHÔMAGE A CONNU UN LÉGER RALENTISSEMENT, PASSANT DE 10,5 % AU PREMIER TRIMESTRE DE L’ANNÉE EN COURS À 9,1% CE 2 ÈME TRIMESTRE. DERRIÈRE CETTE LÉGÈRE EMBELLIE SE CACHE UN MAL PLUS SUBSTANTIEL ET QUI EST LA NON-ADÉQUATION ENTRE LA FORMATION ET LE PROFIL DE L’EMPLOI. TOUR D’HORIZON DU MARCHÉ DE L’EMPLOI AU MAROC ET DES DIFFÉRENTES FORMATIONS.
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Le secteur des « services », principal pourvoyeur d’emplois au Maroc Ce n’est pas un hasard si le Roi Mohammed VI, dans son discours du 20 août dernier, a insisté sur une refonte «en profondeur des spécialités (…) pour qu’elles répondent aux besoins des entreprises. Selon la note d’information du Haut Commissariat au Plan, le chômage a connu un léger ralentissement avec une baisse de 21.000 personnes, 13.000 en milieu urbain et 8.000 en milieu rural, le nombre de chômeurs est passé de 1.124.000 à 1.103.000 personnes entre le 2ème trimestre de 2017 et la même période de 2018. Le taux de chômage est ainsi passé de 9,3% à 9,1% au niveau national, de 14% à 13,7% en milieu urbain et de 3,2% à 3% en milieu rural. Les femmes restent les plus touchées par le chômage, avec 11,1% contre 8% parmi les hommes. L’emploi par secteur révèle que celui des « services » est le principal pourvoyeur d’emplois au cours des dix dernières années avec une moyenne annuelle de 100.000 postes durant la période 2008- 2012 et de 40.000 durant la période 2013-2017, a enregistré une création nette de 53.000 postes cette année. Le secteur de « l’industrie y compris l’artisanat » a, avec une hausse de 1,2% du volume d’emploi du secteur, créé 15.000 postes d’emploi (10.000 en milieu urbain et 5.000 en milieu rural), contre une perte de 44.000 postes l’année dernière. Le secteur de l’ « agriculture forêt et pêche », quant à
lui, a créé 24.000 emplois. Le secteur de l’ « industrie y compris l’artisanat» a créé, quant à lui, 21.000 emplois, 16.000 en milieu urbain et 5.000 en milieu rural (un accroissement de 1,7%), contre une création annuelle moyenne de 16.000 postes au cours des trois dernières années. Ces nouveaux postes ont été créés principalement par la branche des «Industries alimentaires et de boissons». De son côté, le secteur des BTP a créé, entre le 2 e trimestre de 2017 et la même période de 2018, 19.000 postes d’emploi au niveau national, 11.000 en milieu urbain et 8.000 en milieu rural. Par région, cinq régions du Royaume abritent 72,5% de l’ensemble des actifs âgés de 15 ans et plus sur le territoire national. La région de Casablanca-Settat vient en première position avec 22,7% d’actifs, suivie de Marrakech-Safi (14%), Rabat-Salé-Kénitra (13,4%), TangerTétouan-Al Hoceima (11,3%) et FèsMeknès (11,2%). Alors que les trois quarts des chômeurs (74,1%) sont concentrés dans cinq régions du Royaume; Casablanca-Settat vient en première position avec 24% de chômeurs, suivie de Rabat-Salé-Kénitra (16,3%), FèsMeknès (11,5%), Marrakech-Safi (11,3%) et l’Oriental (11,2%). Au-delà des chiffres de l’employabilité au Maroc, un autre grand défi structurel se dresse. Il s’agit de la non-adéquation entre la formation et l’emploi. De plus en plus de diplômés trouvent des difficultés à s’insérer dans le marché de l’emploi ou acceptent un emploi dont les exigences en qualification ne correspondent pas à leur niveau de formation et de leur côté les entreprises accusent un manque de profils adaptés. De plus, il persiste un décalage entre une catégorie de la jeunesse qui sort du système sans diplôme ou qualification et une autre, surdiplômée. Aussi au Maroc, la situation de non -adéquation par groupes de diplômes démontre que le groupe de diplômes le plus en déclassement par rapport aux professions exercées est celui des techniciens spécialisés avec un taux de déclassement de 55,8%, s’en suit En troisième position, il y a le groupe des diplômés des études universitaires générales (DEUG) avec un taux de déclassement de 49,5%. En quatrième position se positionne le brevet de technicien supérieur (BTS) et du certificat des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) avec 39,0%. Ensuite viennent les titulaires de licences avec 35,9% de diplômés en déclassement. Les diplômes du troisième cycle, à savoir DEA/DES/Master, viennent en sixième position avec 22,7% de déclassement et 77,3% d’adéquation. Les titulaires du diplôme du secondaire collégial viennent en septième position avec 21,0% de déclassement. Les deux diplômes de spécialisation et de qualification professionnelle sont en huitième et neuvième position avec respectivement 17,7% et 15,2% comme taux de déclassement. Juste après se trouvent les diplômes d’ingénieur et de cadre supérieur avec 10,1%. Enfin, le
diplôme de doctorat est le moins sujet au déclassement avec un taux de 5,9, et ce selon le dernier rapport du HCP sur l’adéquation entre formation et emploi au Maroc.
Plan d’action : 6 mesures chocs en faveur de l’employabilité nationale Face au fléau de chômage qui sévit Maroc, le gouvernement a entamé une série de mesures, dictées par une vision royale en faveur de la jeunesse marocaine. Ainsi, dans son dernier discours prononcé ce lundi 20 août 2018 à l’occasion de la révolution du Roi et du peuple, le Roi Mohammed VI a évoqué cette question d’importance nationale : « En effet, il est inconcevable qu’un jeune sur quatre soit au chômage en dépit du niveau de croissance économique atteint globalement par le Maroc. » Dans ce cadre, Sa Majesté le Roi que Dieu L’assiste a également manifesté l’engagement pris par le gouvernement et les acteurs concernés à adopter six mesures en vue de l’atteinte des objectifs suivants : Premièrement : entreprendre une refonte globale des mécanismes et des programmes d’appui public à l’emploi des jeunes, pour les rendre plus efficaces et adaptés aux attentes des jeunes. Ce travail de remaniement doit se faire selon le modèle que j’ai préconisé dans le discours du Trône, à propos des programmes de protection sociale. Deuxièmement : donner la priorité aux spécialités qui permettent de trouver un emploi et instaurer un système efficace
d’orientation précoce au niveau de la deuxième ou de la troisième année précédant le baccalauréat. Son rôle est d’aider les élèves, en fonction de leurs aptitudes et de leurs inclinations, à faire l’un ou l’autre des deux choix: s’engager dans une filière universitaire ou une formation professionnelle. Troisièmement : revoir en profondeur les spécialités de la Formation professionnelle pour qu’elles répondent aux besoins des entreprises et du secteur public, et qu’elles soient en phase avec les transformations que connaissent les secteurs industriel et professionnel. Ainsi, les lauréats auront plus de chance de s’intégrer professionnellement. Quatrièmement: Mettre en place des mécanismes pratiques pour améliorer qualitativement les dispositifs incitant les jeunes à créer de petites et moyennes entreprises dans leurs domaines de spécialité et pour appuyer les initiatives d’auto-emploi et de création d’entreprises sociales. Cinquièmement: instaurer de nouveaux mécanismes permettant d’intégrer une partie du secteur informel dans le secteur formel, en assurant au potentiel humain que recèle le premier une formation adaptée et incitative et une couverture sociale et en appuyant ses projets d’auto-emploi ou de création d’entreprise. Sixièmement: mettre en place, au niveau de chaque établissement, un programme obligatoire étalé sur une période de trois à six mois, visant la mise à niveau des étudiants et des stagiaires
en langues étrangères; favoriser une intégration linguistique accrue à tous les niveaux d’études, plus particulièrement dans l’enseignement des matières scientifiques et techniques. Il apparait clair qu’une volonté Royale se dessine pour l’amélioration de la situation de la jeunesse marocaine. Celle-ci est appuyée par la vision du gouvernement et du chef de l’Etat, Saad-Eddine El Othmani qui a récemment abordé la question. Ainsi, El Othmani a déroulé le programme exécutif qui comprend des mesures pratiques basées sur le soutien destiné à la création de nouveaux emplois, le maintien d’emplois existants, une meilleure formation des lauréats pour l’accès au marché d’emploi ainsi que l’amélioration des conditions de travail et des relations d’emploi. Il a également rappelé que parmi les mesures incitatives prévues par ledit plan national figurent surtout le rapprochement de la distance entre les demandeurs d’emploi et les opportunités d’intégration professionnelles, l’incitation des entreprises à l’insertion et leur appui dans le processus de l’emploi, ainsi que l’accompagnement et le soutien des porteurs de projet d’entreprise. Par ailleurs, le Ministère du Travail et de l’Insertion Professionnelle a mis en place des programmes actifs pour la promotion de l’emploi. Aussi pour l’amélioration de l’employabilité, le Programme TAEHIL a été ouvert aux diplômés titulaires au minimum du baccalauréat et aux lauréats de la formation professionnelle.
Celui-ci vise à améliorer l’employabilité des demandeurs d’emploi, en leur permettant d’acquérir des compétences professionnelles pour occuper des postes d’emploi dûment identifiés ou potentiels dans des entreprises du secteur privé ou dans des ONG et coopératives. Il est organisé en 3 types de formation : Une Formation Contractualisée pour l’Emploi (FCE) ou Formation à la Carte; Une Formation Qualifiante ou de Reconversion (FQR) ; Une Formation d’appui aux Secteurs Emergents (FSE). Dans la même lignée, Le Programme National d’Appui à la Création d’Entreprises « Moukawalati » vise d’une part l’appui des porteurs « de projet de création d’entreprises, et d’autre part à assurer la pérennité progressive du tissu économique régional, à travers un dispositif de suivi des entreprises créées au cours de la période critique de démarrage. Des avantages sont mis en place dans le cadre de ce programme, à savoir 1) l’accompagnement pré et post création, des jeunes porteurs de projets 2) la prise en charge par l’Etat des frais d’accompagnement à hauteur de10.000 DH par projet 3) la garantie à hauteur de 85% du crédit bancaire et 4) une avance sans intérêts représentant 10% de l’investissement et dans la limite de 15.000 DH remboursable sur six ans dont trois de grâce. Le troisième programme mis en place est le Programme « Idmaj », visant d’une part, à accroître l’employabilité des demandeurs d’emploi, diplômés par l’acquisition de compétences professionnelles nouvelles, notamment à travers une première expérience en entreprise et d’autre part, à développer les ressources humaines de l’entreprise et améliorer son encadrement.
Stratégies sectorielles créatrices d’emplois Les stratégies sectorielles ont été établies comme un réél moteur de développement économique du pays, créant de la valeur ajoutée et de l’emploi. Ainsi, dès l’année 2005, ces stratégies sectorielles ont vu le jour, avec le Plan Émergence qui a mis l’accent sur sept secteurs exportateurs (automobile, aéronautique, offshoring, électronique, transformation des produits de la mer, agroalimentaire, textile et cuir) puis le Plan d’accélération industrielle pour la période 2014-2020 visant à créer des écosystèmes intégrés. D’autres plans sont venus se greffer à la stratégie d’industrialisation du pays, à l’instar du Plan Maroc vert qui a été lancé en 2008 avec pour objectif d’ériger le secteur agricole en véritable levier du développement socioéconomique au Maroc. Ou encore la Stratégie énergétique 2030, reposant sur une vision prospective dont l’objectif est de garantir la sécurité énergétique du pays à travers la diversification des sources d‘énergie nationales, par le recours à des énergies alternatives.
Avant le HCP, la Cour des comptes a alerté sur la situation en 2011 La Cour des comptes a pointé du doigt à plusieurs reprises les défaillances du système ou de la gestion de l’OFPPT, l’office chargé de la mise en œuvre de la stratégie de la formation professionnelle. Dans son rapport annuel relatif à 2011 par exemple, il y a donc sept ans, la Cour des comptes reprochait à l’OFPPT de ne pas procéder «au suivi de l’insertion des lauréats pour proposer les formations les plus adaptées aux besoins du marché. Ceci se manifeste à plusieurs niveaux: - Le suivi de l’insertion des lauréats à la remise des diplômes par les établissements de formation ne s’effectue pas systématiquement. En effet, parmi les établissements visités, seuls quelques-uns assurent ce suivi et disposent de données sur l’insertion de leurs lauréats. De plus, aucune centralisation ou traitement des données collectées au niveau du dispositif n’est assuré, sachant qu’auparavant, les EFP disposaient de structures dédiées à cette tâche ; -Lorsque ces informations sont disponibles au niveau des établissements, elles sont à l’état brut, ce qui rend difficile leur exploitation pour l’exercice de l’adaptation de l’offre de formation ; -Les résultats des études du suivi et de l’insertion des lauréats accusent des retards considérables. En effet, les derniers résultats, dont dispose l’OFPPT, concernent la promotion 2008/2009 ; -Les résultats de ces études ne sont pas communiqués aux établissements pour adapter leurs propositions aux besoins du marché. «Ces lacunes font que les établissements maintiennent des formations présentant des taux d’insertion faibles, ou proposent l’implantation d’autres formations en méconnaissance des tendances de leur environnement socioprofessionnel», a conclu la Cour des comptes. Ceci n’est qu’un échantillon des reproches faits à la gestion de l’OFPPT de ce dossier de la formation professionnelle. Certains partenaires de l’Office n’hésitaient pas à dire tout bas que «l’Office avait dévié de sa mission principale qu’est la formation et s’est transformé en promoteur immobilier, multipliant les centres et les établissements sans prendre vraiment en considération les besoins réels et concurrençant les établissements accrédités qui devaient lui donner un coup de main dans sa mission». La Cour des comptes a publié un nouveau rapport en 2017 (relatif à l’année 2015), cette fois sur le département ministériel chargé de la formation professionnelle (DFP). Les conclusions là aussi sont alarmantes. Voici un aperçu: - Depuis sa création en 1995, le DFP ne s’est pas doté d’une stratégie intégrée et concertée sur la FP. - Difficulté dans la maîtrise des besoins du marché du travail. - Absence d’un répertoire national des emplois/métiers. - Réalisation des études sectorielles par plusieurs partenaires et sans concertation préalable avec le DFP. - Accompagnement insuffisant des stratégies sectorielles. - Le DFP ne dispose pas de système d’information intégré sur le dispositif de la FP qui lui permettrait le suivi de l’évolution de la carte de formation et les indicateurs clés. Le quart des lauréats de la formation professionnelle est au chômage, contre 16% de ceux de l’enseignement général. Par ailleurs, 33% occupent des emplois sous-qualifiés, contre 11% chez ceux de l’enseignement général. Ces chiffres, récemment dévoilés par le HCP, en ont choqué plus d’un. Ils montrent surtout les limites du modèle actuel. La stratégie 2021 du secteur ambitionne de porter la part de la formation alternée à au moins 50%, contre 29% en 2014-2015. Cependant, il faudra réussir à impliquer les entreprises, et à les pousser à ouvrir leurs portes aux jeunes stagiaires.