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Pascal Rollet

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Inès Lamunière

Inès Lamunière

Pascal ROLLET ..........................................................

Pascal Rollet Architecte, Professeur à l’ENSA Grenoble, membre de l’Unité de Recherche Architecture, Environnement & Cultures Constructives (AE&CC)

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Discutante - Florence Sarano, architecte, MCF. ENSA Marseille, membre HITLab

Florence Sarano et innovation et éco-conception. Finalement, il tisse les liens entre défis sociétaux et Bonjour à tous, j’ai le grand plaisir de engagements des architectes. Il est diplômé de présenter Pascal Rollet. J’avais préparé cette l’ENSA de Grenoble, puis il enchaîne à la suite présentation, puis j’ai eu la chance de le le CEA en architecture de terre, et le master rencontrer et de pouvoir échanger hier soir en en architecture de l’université de Californie, à amont. Donc, Pascal Rollet réunit les rôles et Berkeley. Il a créé son agence en équipe avec les compétences à la fois d’architecte praticien Florence Lipsky, et nombre de ces projets réalisés mais aussi d’enseignant-chercheur investit dans sont connus, plusieurs fois récompensés, comme l’ENSA de Grenoble. Il développe ainsi les liens Les Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau, le musée entre recherche et projet, cultures constructives des cristalleries de Saint Louis, la bibliothèque et expérimentations, pédagogie et métiers, de sciences de l’université d’Orléans, qui a été

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équerre d’argent en 2005, les 65 logements Amplia à énergie positive de la ZAC Confluence à Lyon, qui ont été pyramide d’argent catégorie « innovation et énergie », ou des rives du parc des logements BBC à Boulogne Billancourt qui ont également été pyramide d’argent en catégorie « innovation ». Il a également obtenu le prix de la prospective en 2016, qui est décerné par l’Académie d’Architecture. De plus, avec son associée, il a publié « les 101 mots de l’architecture, à l’usage de tous ». Ses implications à l’ENSA de Grenoble, en tant que membre du conseil d’administration, s’articulent avec ses responsabilités d’enseignantchercheur. En tant que professeur il a donc été responsable du master architecture et cultures constructives de 1992 à 2014, et il a été codirecteur de l’unité de recherche Architecture, Environnement et Cultures Constructives, autour de la question centrale de la soutenabilité des établissements humains à l’échelle du territoire. Une chose qui a beaucoup marqué son parcours, c’est le prototype d’habitat solaire Canopéa, qui a été imaginé et réalisé par la Team AuvergneRhône-Alpes et qui a remporté la fameuse compétition du Solar Decathlon Europe, à Madrid, en 2012. Il a ensuite été le directeur de l’édition française de la compétition à Versailles en 2014. Aujourd’hui, il vient nous présenter la chaire partenariale d’architecture « Habitat du Futur », basée aux Grands Ateliers, qui est centrée sur la question de la production en grand nombre de logements éco-responsables, économiques et adaptables. Les enjeux, les modalités, les acteurs, et les objectifs de cette chaire, sont structurés et activés par une vision de l’avenir, qui réunit projet, recherche, expérimentation, application, pour permettre à de nouvelles générations d’architectes d’être capable de penser l’avenir. Nous sommes donc tous concernés par ce défi, et nous avons grand plaisir à découvrir cette démarche en tant qu’architecte. Nous remercions Pascal Rollet d’avoir répondu à notre invitation. Ce que je voudrais rajouter, c’est la dimension très humaniste de sa démarche. Merci beaucoup.

Pascal Rollet

Merci pour cette invitation et cette introduction. Je vais vous présenter aujourd’hui, la structure d’un outil de recherche et de développement que nous mettons actuellement en place entre les écoles d’architecture de la région AuvergneRhône-Alpes, c’est-à-dire Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon et Saint-Etienne. C’est une structure partagée, basée aux Grands Ateliers. En 2016, le ministère de la culture a décidé de labelliser des chaires partenariales, c’est-àdire le droit pour les enseignants-chercheurs des écoles d’architecture, d’aller chercher de l’argent dans le secteur privé, en compensation de la réduction de l’argent public, évidemment. La proposition que nous avions faite était centrée sur la question de l’habitat. Entre 2008 et 2016, grâce à plusieurs projets, nous avions passé le cap de la recherche fondamentale sur ce qu’il fallait faire pour produire de l’habitat écoresponsable adaptable aux différents climats et aux différents contextes culturels des régions françaises, mais aussi sous dans d’autres pays. Durant cette période de recherche intense, nous avons étudié les solutions bioclimatiques et techniques à mettre en place, et nous les avons testés sur plusieurs prototypes fonctionnels, notamment dans le cadre des compétitions Solar Decathlon Europe. À partir de 2016, la question qui se posait, et qui est plus que jamais d’actualité, était celle de la production en grand nombre. Répondre à la question du changement climatique et au défi de la transition écologique par quelques très beaux prototypes, très performants, mais très coûteux, exigeait certes beaucoup d’efforts, mais n’était finalement pas

si difficile à réaliser dans le champ restreint de la performance unique. Le vrai défi que nous avions alors devant nous était de produire des millions de logements écologiques, que ce soit en rénovant le parc existant, ou en construisant de nouveaux bâtiments. Le challenge était alors de produire les démonstrateurs permettant d’entrainer tout le secteur du bâtiment en synthétisant collectivement une évolution de toutes les recherches développées séparément, en Allemagne, en Suisse, en Scandinavie, en Angleterre, en Italie, en Espagne ou en France ainsi que dans d’autres parties du monde.

La Chaire Habitat du Futur a été conçue pour participer à cet élargissement et réussir une démocratisation de la réponse afin de permettre à l’Europe d’effectuer le passage au XXIe siècle en faisant émerger une architecture nouvelle… qui n’est pas encore là. J’ai la conviction profonde que nous sommes à l’aube de quelque chose de nouveau et que nous sommes en train de vivre un tournant dans l’histoire de l’architecture et que nous sommes collectivement en train de faire apparaître une nouvelle manière de concevoir nos espaces habités, mais force est de constater que ce n’est pas encore tout à fait ça ; les vieux réflexes modernistes du XXe nous plombent encore. Il fallait donc créer un lieu capable de contribuer à l’émergence de cette nouvelle architecture. Nous avons choisi d’appeler cette chaire « Habitat du futur » parce que le futur, pour nous, c’était de répondre à ce défi de la transition écologique, avec l’objectif de créer de nouveaux « milieux de vie ». En référence à Philippe Descola, je parle ici de « milieux de vie » qui intègrent humains et non humains, c’est-à-dire qui nous obligent à penser aussi la biodiversité intégrée dans les bâtiments, dans les villes, et dans les territoires habités. Au cœur de cette démarche, il nous faut conserver la problématique architecturale qui est la question de l’espace, de la perception des lieux, et de la qualité spatiale, pour ne pas dériver vers une réponse seulement constituée d’une somme de solutions techniques. Il faut continuer à générer du patrimoine, c’est-à-dire un environnement habité qui se projette, certes, dans l’avenir, mais qui n’oublie pas tout ce qui a été fait dans le passé et qui nous permet, comme le disait Xavier Bonnot ce matin, de « marcher sur deux jambes ». Il s’agit donc d’interroger à la fois la matière, la matérialité, les techniques que nous mettons en œuvre, mais en même temps, toute notre mémoire, toute notre culture et toutes les évocations symboliques et culturelles, qui vont avec le fait « d’habiter », fonction primordiale de l’humanité.

L’agenda politique qu’il y a derrière cette démarche est de faire naître une nouvelle génération d’architectes-bâtisseurs ayant la capacité et les compétences de créer des entreprises d’architecture pluridisciplinaires, pleinement opérationnelles d’ici 5 à 10 ans, capables de fournir ces millions de logements dont nous avons besoin, avec une vision holistique qui embrasse large, et dans laquelle, logement, habitat, ville, se connecte (ou se reconnecte) pour s’élargir à la notion de « milieu de vie ». Pour cela, il faut que ces « nouveaux constructeurs » se forment à la recherche, par la recherche, et qu’ils sachent utiliser l’expérimentation en grandeur réelle comme outil de recherche, parce que comme disait Soulages, « ce que je fais me permets de poser les questions de ce que je cherche ». Pour développer ces recherches finalisées, il faut aussi penser à former ensemble des architectes, des ingénieurs, des artistes, des aménageurs, des financeurs. C’est parce qu’ils seront formés ensemble, qu’ils auront un projet commun. Si on continue à les former séparément, ils vont continuer à penser et faire pour eux-mêmes et leur corporation, et chacun finit par détester les autres. Alors que, lorsqu’ils travaillent ensemble sur un même projet, nous avons constaté que tout change : chacun apprend à connaître son rôle en respectant les autres.

Je vais maintenant détailler le contenu des recherches que nous proposons de faire aux Grands Ateliers. Nous avons amorcé certains programmes, d’autres n’en sont encore qu’aux prémisses. Ce que je présente ici est le panel des recherches envisagées, afin de dresser un tableau des besoins de la R&D en architecture dans le domaine de l’habitat. Je retracerai

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ensuite l’historique de comment nous en sommes arrivé là, et je décrirai l’outil que nous avons mis en place pour répondre à ce défi. Pour finir, j’illustrerai certains programmes en donnant des exemples de thèses qui sont actuellement en cours aux Grands Ateliers.

« De quoi avons-nous besoin aujourd’hui pour habiter dans les nouvelles conditions du milieu ? » serait la question de base qui amorce toutes les recherches que nous allons évoquer. Nous avons tout d’abord besoin d’un terrain irrigué par des infrastructures de transport. Nous avons besoin que ce terrain s’inscrive dans un paysage qui comporte toute une biodiversité nous permettant de respirer grâce aux arbres, de manger grâce aux cultures et éventuellement aux animaux (si nous ne devenons pas tous vegans très rapidement… et nous y serons peutêtre bien obligés). Nous avons besoin de lumière, d’eau, d’air, qui sont les éléments de bases de la vie, et d’apport d’énergie pour pouvoir fabriquer une chaîne alimentaire qui nous permet de nous nourrir. Nous avons ensuite besoin de vêtements pour nous tenir chaud, de matériaux que nous pouvons transformer grâce à des outils pour fabriquer des enveloppes ou des espaces habitables dans lequel nous venons ajouter des systèmes techniques de maintien du confort hygrothermique, lumineux et sonore. Nous y ajoutons également un peu de mobilier (depuis l’Antiquité), de l’électroménager (depuis les années 50) et des équipements domotiques (depuis les années 2000). Notre mission d’architectes-bâtisseurs, c’est précisément de fabriquer l’enveloppe et d’organiser l’espace qui contiennent tous ces éléments, ainsi que les espaces publics qui les relient en les mettant en cohérence, pour fabriquer des espaces habités intégrés dans un milieu de vie sécure et pérenne. Pris séparément, chacun de ces domaines d’action, chacune de ces technologies, fait l’objet de recherches d’améliorations constantes et d’applications nouvelles pour créer de la nourriture, des textiles dans lesquels tailler des vêtements, des meubles, des enveloppes à opacité variable gérant la limite entre le dehors et le dedans, des systèmes de climatisation pour créer des ambiances confortables, des systèmes intelligents adaptatifs pour gérer ces ambiances avec le minimum d’énergie et le maximum de fiabilité. Notre objectif est de créer des programmes de recherche qui relient tous ces programmes-là et permettent que le tout – l’architecture – soit bien plus que la somme de ses parties.

Nous développons donc des programmes de recherche et développement composites – hybrides - allant chercher des compétences et des résultats d’autres programmes, pour former le liant entre ces composants afin de les mettre en perspective cohérente. Nous faisons de la recherche et développement en assemblant d’autres programmes de recherches et développement, fédérés autour des questions spatiales. C’est donc une R&D de l’assemblage que nous sommes en train de créer. Ce principe n’est pas facile à faire comprendre dans le milieu de la recherche dite « scientifique ». Comme nous sommes sur un mode d’évaluation par discipline verticale - en silo - les gens comprennent très bien que l’on se pose une question spécifique parfaitement cernées et que l’on obtienne un résultat spécifique applicable sous la forme d’une technologie ou d’un produit commercialisable dans le cadre de cette discipline. En revanche, ils ne voient pas forcément très bien, comment en mettant en lien plusieurs question de recherche spécifiques, dans le cadre d’un domaine de connaissances pluridisciplinaire comme l’architecture, on fait aussi de la recherche et développement, mais à un niveau de complexité supérieure. La cohérence que nous essayons d’apporter dans nos programmes, consiste à tenir compte – « en même temps » - et relativement les uns aux autres, des usages, des ambiances, de la

perception psychophysique, de la biophilie, des aspects énergétiques, de la mobilité des transports, de la qualité environnementale, donc des bilans sur les ressources, les techniques qu’on utilise pour transformer et mettre en place la matière et déterminer une forme. Dans un même domaine de connaissances on interroge plusieurs disciplines et on met en rapport des dimensions parfois très éloignées les unes des autres, comme une forme urbaine et le dessin d’une poignée de porte. C’est ce qu’on appelle faire un projet d’architecture. Beaucoup préfère dissimuler la complexité de cette synthèse en la désignant comme un art, ce qui permet – dans nos sociétés industrielles qui vénèrent le produit et le brevet commercial - de lui ôter le statut scientifique et de la démonétiser. Résultant d’une inspiration tombée du ciel, et non d’un patient travail développé selon des protocoles vérifiables, répétables et patentables, elle ne saurait en effet justifier la mobilisation d’autant d’argent que la R&D numérique, pharmaceutique ou aérospatiale pour ne citer que quelques exemples. La R&D concernant l’habitat ne fait donc pas recette. Pourtant l’aspect économique est crucial. Comment arriver à mobiliser assez d’énergie pour que ces systèmes complexes assemblés fonctionnent en créant une économie circulaire qui fonde des sociétés stables et prospères et, au bout du compte, participe de l’enjeu énorme de la santé ? Ces habitats doivent en effet nous permettre de protéger, héberger, accueillir, nourrir, réchauffer, et maintenir les gens dans une zone de confort favorisant un état de santé le plus stable possible, tout en les protégeant

contre les épidémies et les maladies d’origine environnementale (qualité de l’air, qualité de l’eau, radiations, virus…)

Les questions de recherche qui se posent alors sont simples et radicales :

1 - Quel habitat développer nous permettant de rendre une forte densité supportable ? Nous ne voulons plus toucher au territoires naturels d’une part, et agricole d’autre part, parce que nous avons besoin de ces surfaces pour nous nourrir. Nous nous rassemblons donc dans des villes de plus en plus denses. Mais si la densité augmente, comment fait-on pour se supporter les uns les autres ? Dans tous les projets sur lesquels nous travaillons, nous avons constaté, dès que l’on évoque une densification de la ville, l’expression véhémente d’un rejet unanime motivé par une peur de la perte symbolique d’un espace vital. Mais les question urbaines ne se limitent pas à la densité. Comment mixer habitat et lieux de travail pour réduire les déplacements ? Quelle place faire à la nature et à l’agriculuture en ville ? Quel métabolisme urbain est le plus soutenable ? Voilà autant de questions montrant que la forme des villes est un enjeu crucial pour l’avenir.

2 - Quels matériaux biosourcés renouvelables peut-on utiliser pour réduire les émissions de CO2 ? À l’occasion de la COP21, tous les pays se sont mis d’accord pour réduire les émissions de gaz à effet de serre , mais pour l’instant les résultats ne sont pas là et nous sommes en route pour un réchauffement climatique beaucoup plus sévère que celui espéré. Il y a donc une prise de conscience collective qui doit s’opérer et, dans le domaine de la construction, générer un changement drastique des pratiques constructives en favorisant l’utilisation des matériaux renouvelables. La révision de nos systèmes constructifs, et par là-même, de nos cultures constructives est un passage obligé de notre évolution.

3 - Comment gérer nos ressources limitées ? C’est une question fondamentale qui nous est posée à tous. Comment gérer les déchets et les

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recycler. Comment réemployer les matériaux réutilisables ? Comment épargner à la planète le poids de nos industries en mettant en place des cycles lus frugaux et plus vertueux qui ne gaspillent pas les ressources ? La manière dont nous organisons l’économie du secteur du bâtiment – du grec oikonomia signifiant littéralement « gestion avisée de la maison commune » - est donc un enjeu environnemental majeur des prochaines décennies.

4 - Quels types d’enveloppes de bâtiment devons-nous imaginer ? Nous avons besoin d’enveloppes qui soient 100% actives capables de stocker l’énergie, de filtrer de l’air, d’être isolantes en même temps que transparentes et facilement ouvertes ou fermées. Comment peuvent-elles s’adapter et être flexibles pour que les bâtiments puissent devenir des dispositifs respirant beaucoup plus adaptables aux évolutions du climat ? Comment peuventelles constituer des espaces intermédiaire tampons entre l’intérieur et l’extérieur ? Voilà une question très architecturale qui soulève beaucoup de questions techniques et d’usages, tout en embarquant la problématique fondamentale de la relation entre le dedans et le dehors. Son objet d’étude, la façade, relève directement du domaine de compétence de l’architecte en associant forme, fonction, matérialité et sens symbolique.

5 - Au bout du compte il y a enfin la question de la production : comment fait-on pour produire en grand nombre ? Est-ce qu’on industrialise ? Est-ce qu’on multiplie l’artisanat ? Est-ce qu’on combine les deux ? En travaillant sur ces questions, il faut convoquer un grand nombre de gens pour essayer d’y répondre, et les approches sont automatiquement pluridisciplinaires. L’enjeu est sociétal et nous concerne tous car il relève de notre rapport au monde et questionne la manière de nous comporter vis-à-vis de notre environnement.

Nous avons commencé à aborder toutes ces questions aux Grands Ateliers, construits en 2001 par le ministère de la culture à Villefontaine dans le nord Isère, entre Grenoble et Lyon. Ce lieu représente un ensemble entremêlant bâti et paysage sur une surface d’environ 4 500m 2 d’ateliers, d’espaces d’expérimentation intérieurs et extérieurs, de salles de cours, et de bureaux de chercheurs. C’est un lieu hybride entre un atelier de préfabrication, un petit théâtre et un laboratoire de recherche. Le lieu a dernièrement été complété par la Maison des Compagnons du Devoir et du Tour de France Rhône-Alpes pour les professionnels du BTP. Les compagnons sont venus s’installer ici parce qu’il y avait Les Grands Ateliers. Ce qui fait que tout d’un coup, non seulement les étudiants d’écoles d’architecture, les étudiants d’écoles d’ingénieurs et les étudiants d’écoles d’art, côtoient de jeunes apprentis charpentiers, tailleurs de pierre, et menuisiers. Le site a également été complété, très récemment, par la halle « ASTUS » à destination des entreprises du BTP. C’est une sorte de « Grands Ateliers bis » équipée non pas pour la formation et la recherche, mais plutôt pour l’expérimentation professionnelle. Dans l’avenir, nous souhaiterions développer un pôle fonctionnel où des entreprises pourraient venir s’installer pour développer des projets de recherche innovants, afin de créer un lieu fonctionnant comme un incubateur d’entreprises du futur en quelques sorte. Aujourd’hui, nous ne parlons plus uniquement des Grands Ateliers en tant que tels, mais plutôt du « Campus de la Construction Durable » qui est un rassemblement de toutes les fonctions de formation à tous les niveaux, R&D, expérimentations, tests et diffusion auprès du grand public. Pour ceux qui ne connaissent pas, les Grands Ateliers sont composés d’une grande dalle béton capable de supporter des poids lourds.

Elle est surmontée d’une structure métallique portant un grand toit transparent protégeant des ateliers aménagés dans un bâtiment en dur, et une grande halle d’expérimentation équipée d’un pont roulant de 5 tonnes, permettant de construire des prototypes à l’échelle 1. On voit ici la nouvelle halle ASTUS construite juste à côté des Grands Ateliers. C’est une plateforme similaire capable de supporter des prototypes fonctionnels de bâtiment complet. Elle est équipée d’un portique roulant de 20 tonnes qui, comme sur un chantier naval, permet de préfabriquer à l’abri et de sortir les éléments construits à l’extérieur.

Voyons maintenant comment s’est opérée la mise en place de cet outil, ce qui va petit à petit, nous amener à évoquer la création de la chaire Habitat du Futur qui constitue le cœur de ma présentation aujourd’hui.

Les Grands Ateliers sont dédiés à la formation initiale et à la recherche par l’expérimentation. Différentes écoles d’architecture y emmènent leurs étudiants, dont l’école de Montpellier, d’ailleurs. Voici quelques exemples de ce qui s’y fait. À l’école de Grenoble par exemple, pour commencer leurs études d’architecture, nous emmenons les premières années pendant une semaine découvrir les gestes basiques de la construction. Nous leur faisons expérimenter la construction de masse en utilisant différents appareillages en briques, et les systèmes à ossature en réalisant des petites charpentes en bois, ou de grandes tentes à partir de toiles de Lycra. L’enjeu est de leur faire comprendre comment la matière se déploie dans l’espace et quels types d’espaces cela génère. C’est l’occasion de convoquer immédiatement des références historiques en évoquant les maisons antiques de Mari, les murs à double courbure d’Eladio Dieste, les structures tridimensionnelles de Buckminster Fuller et les structures tendues de Frei Otto. C’est aussi l’occasion d’expliquer que la force du nombre permet de faire un grand bâtiment de 24 m x 12 m comme celui-ci en moins de 8 heures. En s’y mettant à 120 et en organisant la répartition et l’ordonnancement des tâches, tout se monte dans la journée. Ces approches mettent en jeu plusieurs processus cognitifs, comme le rapport physique à la matière (l’expérience du poids de la matière)

amorçant la compréhension de la descente de charges qui reste un phénomène assez simple ; et comme la perception qui permet de faire une synthèse entre la vision et la perception kinesthésique du corps dans l’espace pour aboutir à la compréhension globale de la géométrie, de la mesure et de l’échelle d’un lieu. En travaillant sur des références historiques, ou sur des récits de constructions manifestes, on fabrique de la culture constructive qui n’est pas simplement de la culture technique, mais une forme de culture spatiale informée d’histoire et de philosophie. Les étudiants découvrent ainsi la signification et la portée symbolique d’actes aussi fondamentaux que celui de fabriquer son propre habitat, ou celui de transformer le monde autour de soi.

À partir de cette formation initiale en licence, nous avons développé une formation plus professionnelle en master, ce qui nous a amenés à développer la recherche partenariale aux Grands Ateliers, notamment à travers les concours du Solar Decathlon Europe. Ce concours a été pour nous une aubaine pédagogique, puisqu’il s’agissait de monter des équipes pluridisciplinaires composées d’architectes, d’ingénieurs, de constructeurs, d’aménageurs et de financiers pour réaliser un projet commun de sa conception à sa réalisation. Les projets étaient évalués suivant dix critères allant de l’architecture à la durabilité (au sens anglo-saxon de sustainability), en passant par l’ingénierie, la consommation électrique,

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le bilan carbone, les usages domestiques, la communication au grand public, la faisabilité économique et l’innovation. Il s’agissait de concevoir et construire des habitats entièrement opérationnels, évalués par un système de points, certes discutable, mais présentant l’énorme avantage pour les étudiants en architecture, de faire prendre conscience de l’importance de tous les paramètres entrant en jeu dans la notion d’habitat, autres que ceux de l’architecture et de la qualité spatiale, tout en gardant le rôle central du projet architectural comme fédérateur de toutes les énergies et de tous les arbitrages décisifs.

Voici Armadillo Box®, le premier prototype opérationnel réalisé aux Grands Ateliers, qui a fini quatrième au premier Solar Decathlon Europe de 2010, à Madrid. Il constitue la première étape de la mise en place d’un réseau de partenaires permettant la recherche partenariale. Cinquante-sept partenaires institutionnels, professionnels, entrepreneurs ou industriels ont participé à son financement et sa réalisation soit sous forme de dons de matériaux, de temps d’expertise, ou d’argent. Ils ont permis à vingt-cinq étudiants qui passaient leur diplôme, de concevoir et construire ce composant modulaire d’un bâtiment collectif et de l’emmener à Madrid. Frustrés de finir juste au pied du podium malgré un beau parcours, nous avons décidé de recommencer. En 2012, nous avons élargi la question centrée sur l’échelle du logement par le règlement de la compétition, pour l’emmener vers la question de l’étalement urbain, très sensible à

Grenoble puisque la ville est située entre des montagnes limitant fortement les possibilités d’implantation, ce qui oblige les gens à aller vivre dans les vallées périphériques et amplifie les problèmes de déplacements. Les trois autoroutes qui conduisent à la ville connaissent tous les matins et soir, des bouchons qui durent pratiquement 1h-1h30. On constate ainsi qu’une grande part de la population part à la campagne pour habiter dans une maison individuelle (ce qui est d’ailleurs le rêve de 86% des français), mais que cela devient complètement illogique au niveau des transports. La question de recherche que nous avons alors posé à l’équipe était la suivante : comment créer dans une ville dense, un habitat qui aurait les qualités de la maison individuelle ? Comment construite sur les derniers terrains qui nous reste au pied des montagnes pour réaliser ces conditions de vie tout en ménageant une densité acceptable ?

Les étudiants ont répondu par ce projet appelé « Canopea®, une nanotour au pays des nanotechnologies », qui est une petite tour fine de dix étages, faite d’un empilement de maisons individuelles, avec des commerces à RDC, des bureaux au R+1, et un espace commun au dernier niveau. Ce sont ces deux derniers niveaux – un logement et l’espace partagé - qui ont été construits et emmenés à Madrid pour le SDE 2012. Cette fois nous avons gagné la première place. Nous l’avons gagné notamment parce que nous avions déplacé la question de recherche, car le projet n’était pas simplement un habitat solaire très performant tel que l’envisageait le règlement. Nous répondions aussi à une question urbaine en l’inscrivant dans un quartier doté d’un maillage de services partagés intelligent capable de gérer des mutualisations d’énergie, de transports et d’équipements urbains. Je dois d’ailleurs remercier Glenn Murcutt, qui était président du jury d’architecture de SDE 2010, qui nous avait titillé en nous disant : « vous, en Europe, ce n’est pas une question de maison, c’est une question de ville à laquelle vous devez répondre. Posez-vous la question de comment répondre à l’habitat urbain dense dans le futur ». Nous avons suivi son conseil en poussant la logique le plus loin possible par rapport à notre

contexte de référence. Voilà donc un exemple de R&D par le projet d’architecture qui est valable à un endroit - qui n’a pas vocation d’être répété partout - mais qui est une référence potentielle associant à la fois la question de la durabilité, de la densité, de l’économie et de la production d’énergie, mais aussi de la production de nourriture par le biais de l’intégration d’une ferme urbaine. Avec Canopéa®, nous sommes passés à plus de 70 sponsors, et nous avons créé un club des partenaires des Grands Ateliers pour les fidéliser. Parmi eux, il y a les fidèles qui nous

suivent d’opération en opération, il y a ceux qui viennent pour développer un de leur produit ou système spécifique en convergence opportune avec un de nos projets de recherche, et il y a ceux qui viennent pour se tenir au courant des tendances et éventuellement prendre des idées. C’est le jeu normal de la recherche partenariale. Après Canopéa®, la critique des étudiants a été assez virulente. « C’était très bien comme projet, mais quand même, à chaque fois qu’on avait le choix entre deux solutions, on a toujours pris la plus chère ! » nous ont-ils reproché. Le projet a coûté globalement 1.8 millions d’euros, ce qui est effectivement très élevé rapporté au mètre carré. Ils nous ont alors dit : « on aimerait bien faire le même genre d’opération, mais cette fois en essayant de faire le projet le plus lowtech et le plus économique possible ». Ceux qui avaient participé au montage des deux précédents Solar Decathlon, sont devenus enseignants vacataires chercheurs et ont décidé de monter une nouvelle opération, avec le soutien du LABEX AE&CC, à l’occasion de la conférence internationale « Lyon capitale de la terre ». Ils ont alors monté l’opération « Terra Nostra » qui est un prototype d’habitat collectif écologique, construit en bois et en terre, le plus économique possible. Terra Nostra a coûté trois fois moins cher que Canopea® pour une surface double. Même si ce coût de construction n’est pas encore en rapport avec la réalité du marché, ce projet a, en tous cas, revisité les standards mis en place avec Canopéa® qui était conçue un peu comme une Ferrari démonstrative peu réaliste au niveau économique. Le prototype « Terra Nostra » est revenu à Grenoble, pour devenir la maison du projet de l’éco-quartier de la ZAC Flaubert où il remplit aujourd’hui toujours cette fonction. Il comporte un logement fini à RDC, avec des loggias partagées et une circulation commune ; et un logement en cours de finition à l’étage. Là, les gens peuvent voir comment le bâtiment est construit et apprendre comment ils peuvent assurer la finition de certaines parties. C’est un projet d’habitat social qui a été développé avec la Métropole de Grenoble, avec l’idée de faire participer les habitants, une idée désormais très ancrée dans la culture des nouvelles générations. Le projet a été soutenu par 46 partenaires puisés dans le réservoir des partenaires du club créé précédemment. Même sur un projet pourtant moins porteur au niveau de la communication, nous avons vu revenir des entreprises qui

souhaitaient rester engagés dans une démarche de R&D partenariale. À partir de là, nous avons réalisé que la région Auvergne-Rhône-Alpes constituait un écosystème porteur possédant un potentiel pour monter des programmes de recherche et développement, et des doctorats sur ce modèle partenariale. Elle regroupe en effet des centres de recherche institutionnels de premier plan comme l’Institut National de l’Énergie Solaire (INES) au Bourget-du-Lac,

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le CSTB et le CEA à Grenoble. La région, les métropoles, les communautés de commune sont sensibles à la question de l’innovation et notamment à celle se situant dans le domaine de la construction durable. Les exemples que je vous ai montré jusqu’ici ont été réalisés dans le cadre de studios de projet de master. Avec l’installation de programmes de R&D partenariale s’est profilé la perspective de doctorats en architecture conduit par le projet, et utilisant l’expérimentation comme méthode de test et de vérification des hypothèses de travail.

Je vais maintenant passer à une phase un peu plus aride de ma présentation, qui est de l’ordre de l’ingénierie pédagogique et financière, pour aborder la question : « comment construit-on un tel outil ? ». C’est ce qui m’a principalement occupé pendant quatre ans. Le début de la chaire « Habitat du Futur » a en effet surtout consisté à monter les outils juridiques, administratifs et financiers pour arriver à faire ce type de recherche. Les Grands Ateliers était un GIP - groupement d’intérêt public - créé en 2002, pour une durée de vie programmée de 15 ans. Il s’est donc arrêté fin 2016. À partir de là, le ministère s’est posé la question de savoir quelle forme donner à la suite. Il s’est trouvé une conjonction de personnes et d’orientations politiques qui ont abouti au choix d’une Fondation GAIA sous l’égide de la Fondation pour l’Université de Lyon, visant à promouvoir à l’échelle nationale et internationale, la recherche dans le domaine de l’architecture, de la construction, de l’urbanisme et du paysage, permettant de drainer de l’argent sous forme de mécénat. L’objectif était de collecter et gérer des fonds privés, dans le cadre d’une comptabilité de type privé très spécifique dans un but d’intérêt public. En France l’argent privé a une réputation plutôt diabolique, mais l’argent public est de plus en plus rare. Pour gérer ces fonds avec souplesse suivant le modèle des sociétés de valorisation des écoles d’ingénieurs, en parallèle de la Fondation GAIA, le ministère a doté Les Grands Ateliers d’une SAS - société par action simplifiée - dont les actionnaires sont des écoles d’architecture. Les deux premières écoles architecture qui ont participé sont SaintEtienne et Grenoble. Elles ont mis 1 euro chacun pour créer cette société, qui est une filiale dit « in house », c’est à dire une filiale qui est la partie privée d’un établissement public, capable de gérer des contrats de prestation, de vendre du service, et de faire des bénéfices reversés à ses actionnaires.

Durant les quatre années qui viennent de s’écouler, nous avons passé un temps non négligeable, à définir quels étaient les programmes de formation qui allaient se développer sur la nouvelle plateforme GAIA, et quels étaient les programmes de recherche et développement dont la chaire Habitat du Futur allait se préoccuper, et dans lesquels les thèses pressenties allaient s’inscrire. Nous avons défini quatre programmes de formation :

1. La formation initiale des écoles d’architecture, basée sur l’apprentissage expérientiel. C’est le cœur de mission des ENSA. Il est en place et doit se perfectionner. 2. La formation continue à destination des générations déjà en exercice (architectes, ingénieurs, constructeurs) dispensée notamment par Amàco, association domiciliée aux Grands Ateliers, créée pour gérer un IDEFI financé par l’ANR dans le but inventer des formations innovantes dans le domaine de la construction durable. Amàco diffuse actuellement des formations sur les techniques de construction en terre, en paille, en fibres. 3. La formation professionnelle des nouvelles générations dispensée par les Compagnons et par les diverses fédérations du bâtiment (FFB, CAPEB). Il faut favoriser la porosité de cet axe avec les autres formations. 4. Une formation transversale sur le numérique, avec comme objectif, de penser comment la robotique et l’intelligence artificielle vont changer les conditions du chantier et les conditions de la production ; sujet qui intéresse à la fois les entreprises, les compagnons, les architectes, les constructeurs.

R&D pour la chaire « Habitat du Futur » :

1. Enveloppes 100% actives travaille sur la définition d’enveloppes capables de protéger les bâtiments contre les intempéries (pluies, vents et rayonnements solaires), de capter de l’énergie (solaire et éolienne), de récupérer de l’eau de pluie, de filtrer l’air et de favoriser la biodiversité tout en créant des espaces intermédiaires habitables et adaptables. Il est basé sur une approche constructive par le projet. 2. Habiter léger pas cher et bio porte sur la construction légère en matériaux biosourcés. Par « construction légère », j’entends consommant le moins de matière possible, tout en produisant le plus d’espace possible. « Architecture should touch the earth lightly », nous reprenons cette idée de Glenn Murcutt qui nous encourage à concevoir des architectures qui se posent de façon presque provisoire, construite en consommant le moins de ressources possible, même si ce sont des ressources lourdes, au sens du poids propre. 3. Milieux de vie durable fait la connexion avec les instituts d’urbanisme de Grenoble et Lyon, et développe une réflexion sur les mobilités et les espaces habités en lien avec la géographie. On retrouve ici des connexions avec ce qui a pu être décrit précédemment par Inès Lamunière sur l’histoire du grand territoire, même si nous ne sommes pas des spécialistes de ces échelles, cela reste un thème auquel il faut rester connectés pour garder la cohérence globale. 4. Dessin-Chantier 2.0 se préoccupe des conditions d’augmentation de notre capacité de production de logements, et des outils à mettre en place pour répondre aux besoins futurs. Est-ce que c’est de l’industrialisation ? Est-ce que c’est de l’artisanat ? Est-ce que c’est de l’industrialisation pour certaines parties et de l’artisanat pour d’autres ? Comment fait-on intervenir l’auto-finition, l’auto-production ? Autant de questions extrêmement importantes qui se posent, et notamment sur le plan juridique. 5. Numérique-Robotique est centré sur les apports du numérique et de la robotique au niveau des méthodes de conception et de construction. Il est directement relié avec les préoccupations de R&D de la chaire Digital RDL de l’ENSA de Grenoble. 6. Habitat et Santé est un thème est émergent qui se développe très vite, en tout cas à Grenoble. Il a reçu beaucoup d’échos du côté des départements de la santé et de la médecine, par rapport à la question de l’intégration de l’habitat dans la chaîne du Care. Nous avons détecté tout un champ de recherche à mener rapidement autour des nouvelles interfaces patients/logement à partir du constat que toute une part de la médecine allant se faire désormais à distance, les gens vont se soigner de plus en plus souvent chez eux. Du point de vue architectural nous devons donc nous interroger sur ce que cela implique au niveau de l’organisation des logements, des immeubles collectifs, des villes et plus globalement de l’habitat. Je n’ai aucune réponse à vous présenter à ce stade. Nous avons seulement identifié le fait des questions qui méritent des travaux de recherches approfondies. Par exemple, si vous faites une consultation à distance, avec un médecin, que vous êtes chez vous, où vous mettez-vous ? Dans la salle de bain ? Dans les toilettes ? Dans le séjour devant tout le monde ? Ce sont des questions qui vont, d’une manière ou d’une autre, changer l’habitat. Si on réfléchit économiquement, si un habitat bien conçu permet d’éviter de dépenser de l’argent en médicaments, il y a un énorme impact financier sur la chaîne immobilière et sur notre conception des espaces habités. Réfléchir à comment le cadre de vie, le logement, mais aussi l’environnement urbain et naturel, peuvent faire partie du système de soin et du maintien de la santé, est une nouvelle façon d’appréhender l’habitat. Les médecins apprennent chaque jour un peu plus comment beaucoup de maladies sont liées à des causes multifactorielles parmi lesquelles l’environnement est souvent concerné au premier chef.

Voici donc le cadre dans lequel les thèses de la Chaire Habitat du futur peuvent se développer. Elles peuvent n’explorer qu’un seul des thèmes annoncés, ou en croiser plusieurs. Le montage

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des projets de recherche partenariale doit être pensé d’une manière agile et très adaptable. L’écosystème autour des GAIA permet, en fonction de la question de recherche, d’assembler un consortium de différents partenaires intéressés se groupant pour soutenir le projet. Chaque fois que la question change, l’organisation change. La géométrie de chaque consortium est variable en fonction du projet. La compétence spécifique de la SAS GAIA réside dans sa capacité à combiner les partenaires dans un cadre contractuel efficace et équilibré. C’est à la fois un peu complexe à penser, mais c’est surtout très complexe à monter.

Voici, pour finir, quelques exemples des thèses qui ont été lancées dès 2016, car nous n’avons pas attendu que l’outil soit complètement au point pour pouvoir commencer. Actuellement, trois thèses sont en cours et deux autres en projet. Je montrerai d’abord celle de Mathilde Padilla, doctorante de l’école d’architecture de Lyon, qui travaille avec une copropriété sur un immeuble d’habitation situé au 44 rue de la Favorite à Lyon. C’est un très beau bâtiment moderne construit par les architectes lyonnais FrançoisRégis Cottin et Alain Chastel. Le bâtiment a une façade légère et mince conçue par Jean Prouvé. Elle ne fait que 5 cm d’épaisseur. Elle est exposée plein ouest et plein est, ce qui veut dire qu’en été, c’est un four, et en hiver un lieu de déperditions thermiques phénoménales. Tous les habitants aiment leur façade classée patrimoine du XXe siècle, mais ils ne peuvent plus vivre derrière, parce qu’il fait trop froid en hiver ou trop chaud à la belle saison. Il y a donc un vrai sujet de recherche sur l’enveloppe : comment réhabiliter une façade légère de Jean Prouvé en la mettant au standard de confort et de consommation d’énergie actuels sans dénaturer ses qualités patrimoniales ? Pour développer cette recherche, Mathilde travaille au sein de l’agence d’architecture Archipat, spécialisée dans les interventions sur le patrimoine, dans le cadre d’une bourse CIFRE. Elle est encadrée par Philippe Dufieux et Olivier Balaÿ, professeurs à l’ENSAL. Le BRAUP et la copropriété ont financé la fabrication d’un premier prototype. Le travail des Grands Ateliers et de la chaire HdF, a été de construire les partenariats avec les différents industriels. Le premier prototype est prévu pour le mois de juin prochain. La deuxième thèse est menée par Malaury Forget au sein de l’unité de recherche AE&CC de l’école de Grenoble, sous la direction d’Anne Coste. Elle relève d’une approche plus classique puisqu’il s’agit d’une analyse historique des expérimentations développées dans la ville nouvelle de Milton Keynes dans les années 70. Le projet prévoit la réalisation d’un prototype, mais cette phase n’est pas encore engagée.

La troisième thèse en cours est celle de Rémi Junquera, dirigée par Olivier Balaÿ, financée par une bourse CIFRE au sein de l’agence Tangram Architectes, dans le cadre d’un partenariat signé avec Alliade Habitat et l’agglomération d’Annemasse pour une ferme urbaine décentralisée.

Une quatrième thèse présentée par Charlotte Laffont, encadrée par Olivier Balaÿ, est en cours de montage pour une étude de la conception de logements coopératifs en milieu urbain dense sous l’angle des proxémies sonores. Et un cinquième sujet est à l’étude pour une thèse en partenariat avec la société Textiles Serge Ferrari sur les enveloppes de protection solaire à rapporter sur de bâtiments existant en créant des espaces intermédiaires.

Il y a d’autres programmes de recherche en cours de développement que je voulais également vous montrer, même s’ils n’ont pas encore donné lieu à des thèses. Voici par exemple, un travail sur Firminy-Vert que mène Franck Le Bail, enseignant-chercheur à l’école de Grenoble, avec des étudiants de fin de Licence. Il examine la question de la rénovation des barres d’habitation construites dans les années soixante. C’est un sujet assez générique qui concerne tout un pan du patrimoine du XXe siècle. L’OPH de Firminy a mis à sa disposition deux travées vides d’un immeuble de FirminyVert. Le quartier connaît un important phénomène de vacance. Il y a alors une réorganisation possible des espaces habités. Le projet proposé

aux étudiants consiste à vider les travées afin de repenser la manière de les aménager en ménageant des vides ou en organisant des appartements plus grands. Franck a mis en place tout un processus de co-conception avec les habitants. Il teste avec l’OPH et le LabCDC, les outils méthodologiques permettant d’inviter les gens à participer à la construction et à la conception. Il fabrique aussi un concept général sur les espaces communs partagés, à partir d’une analyse détaillée des besoins. le projet s’est concrétisé sous la forme d’un volume test aux Grands Ateliers permettant de se rendre compte des effets spatiaux dus à des variations en hauteur et en largeur de l’espace habitable dans une trame constructive très serrée. La chaire HdF a participé à l’assemblage des partenaires autour du sujet et à la mise en place des participations financières de chacun. Pour conclure, ce que je vous ai présenté là est un outil au service de la recherche et développement pour les écoles d’architecture. Il est, pour l’instant, centré sur AuvergneRhône-Alpes parce que le ministère a souhaité d’abord travailler avec les écoles qui étaient déjà fortement impliquées dans Les Grands Ateliers et qui avaient un peu d’expérience

dans le domaine du partenariat. Mais c’est un outil national largement ouvert à d’autres écoles. La chaire HdF est un lieu ouvert à tous les candidats désireux de faire une thèse sur un sujet qui serait proche, ou qui s’inscrirait sur un des thèmes définis dans le programme, voire plusieurs qui se croiseraient. Les personnes intéressées sont donc invitées à venir nous rejoindre et à faire un doctorat dans le cadre de la chaire « Habitat du Futur ». Je vous remercie.

Florence Sarano

Merci beaucoup pour cette présentation. J’aurais envie qu’on continue à se projeter dans l’avenir et peut-être poser la question, de ce que tu imagines de toute cette organisation, toutes ces différentes formations, toutes ces visions du monde, ces espérances, mais aussi ces utopies ? Qu’est-ce que tu imagines que ça peut avoir comme impact sur la recherche en architecture, sur les métiers, et sur l’enseignement ? Si tu te projetais un peu plus loin, à quoi ça aboutirait ?

Pascal Rollet

Je vois trois sujets : Le premier c’est la place de l’architecte dans la société et les compétences qu’il assume ; comment les jeunes architectes en formation, ou ceux qui sortent juste, vont pouvoir exercer leur métier. Je pense que le mode d’agence classique est en fort déclin, voire obsolète, en tout cas économiquement il est très dur à tenir. Je pense que mes collègues qui ont une agence ici, savent que nos honoraires sont passés de 10-12 % à 6-7%, ce qui est juste intenable. Parallèlement à cette baisse, nous avons une augmentation de la complexité du travail à fournir, qui est exponentielle. Il faut donc réorganiser les choses différemment. Mon espoir c’est que le lien avec l’artisanat se refasse. Peut-être que je me trompe, mais ce n’est pas l’industrialisation à outrance, ce n’est pas la centralisation et la capitalisation à outrance qui nous sauvera, c’est au contraire le « small is beautiful » et la reconnexion avec un artisanat « upgradé » grâce aux nouvelles technologies

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qui instaure une bonne compréhension du rôle de chacun. C’est ce qui va nous permettre de retrouver foi en quelque chose qui est plus de l’ordre du bâtisseur du Moyen-Age. J’oublie le dôme de Florence, j’oublie le fait qu’il y a un des maîtres maçons ou maître charpentiers qui a dit un jour : « je vais vendre le dessin plutôt que la construction », ce qui a fabriqué un ressentiment très fort de ceux qui bâtissent par rapport à ceux qui dessinent. Il faut qu’on retrouve cette connexion intelligente, collective, partagée avec la matière, la construction, et le chantier. Je vais même aller franchement plus loin, en disant quelque chose qui peut nous amener en prison actuellement, c’est le fait qu’il faut qu’on

devienne des promoteurs. Il faut aussi qu’on arrête de penser qu’il y a des gens, qui, parce qu’ils ont assez d’argent pour faire du bénéfice sur la construction, sur le dos des habitants, vont produire ce qu’il faut des logement de bonne qualité. C’est juste l’inverse qui se passe. Les seuls qui font à peu près de la qualité, ce sont les gens de l’habitat social, parce qu’ils ont une mission sociale, et un intérêt à avoir des bâtiments pérennes qu’ils gardent en gestion directe. La promotion actuelle conçoit l’habitat comme un produit financier, alors que je considère que le logement est un produit de première nécessité, ce qui signifie - au passage – qu’il ne devrait pas être soumis à la TVA (ça ferait déjà baisser le prix d’au moins 15%). Les architectes, les constructeurs, les bâtisseurs et les artisans, au lieu de fonctionner par corporation verticale en silo, s’ils se regroupent en horizontal, ont une force de frappe énorme, complètement sous-estimée. Nous l’avons vu avec le Solar Decathlon, dès qu’on faisait travailler ensemble une équipe de 50-60 architectes, ingénieurs, bâtisseurs sur un même projet, on voyait une différence considérable dans la manière de travailler et dans le résultat qui en sortait. Le projet Canopéa®, a été construit en 1 mois et demi, alors qu’actuellement pour faire une maison équivalente, il faut 1 an, avec des prêts financiers, des frais financiers, de la perte de temps, et de la frustration. Je prendrai un autre exemple, qui me motive dans cette croyance, parce que c’est un peu du domaine de la foi : c’est le Danemark. Vous allez au Danemark, l’habitat est déjà 20% moins cher parce qu’il n’y a pas de TVA dessus (c’est une question d’organisation politique), mais surtout une même maison que ce qu’on achète chez nous 250 000 euros, coûte au moins 30-40% moins cher parce qu’au lieu d’être produite en 1 an, elle est produite en 4 mois, par des équipes cohérentes et intégrées, qui font tout en un seul coup. Ils sont maçons, briquetiers, chauffagiste, plombiers et électricien. Ce sont des entreprises intégrées et ils ont les concepteurs qui travaillent avec eux, que ce soit des architectes, et des bâtisseurs. Cette organisation ressemble au temps où l’on construisait les cathédrales au Moyen-Age. C’est un peu mon rêve, certainement une utopie, mais je pense qu’il y a quelque chose à faire. On voit comment réagissent à la fois les habitants et à la fois les entrepreneurs sur ces expérimentations, ils sont demandeurs, alors qu’au départ ils étaient très frileux.

Le second c’est la formation. Cela veut dire qu’il faut qu’on forme ces corps de métier ensemble, car si on continue à former les gens séparément, on ne fait qu’encourager les inimitiés potentielles. C’est à dire que dès que vous arrivez avec un jeune architecte, à qui on dit, le projet il faut le faire et le refaire sans arrêt, et qu’il faut absolument le pousser à fond, et que de l’autre côté vous avez quelqu’un à qui on a demandé en permanence d’optimiser son précieux temps de travail, il y a conflit financier de base. Alors que dès qu’ils travaillent ensemble au début, ou qu’ils ont une habitude de collaboration, et que chacun trouve sa place, on trouve alors un équilibre. Je pense que s’ils ont un intérêt commun, il y a redistribution financière tendant vers un meilleur équilibre.

Il faut créer les lieux où cette co-création est possible. Je pense qu’on en a un embryon possible aux Grands Ateliers. On est capable de monter des programmes de première année, où on a 50 compagnons et 50 étudiants en architecture qui vont découvrir ce que c’est que de fabriquer un escalier en une semaine, en produisant une maison aux escaliers, avec écrit en gros sur la façade la définition de Gustave Flaubert : « Architectes. Tous des imbéciles. Oublient toujours l’escalier ». En faisant ce projet ensemble, ils vont comprendre les problématiques, à la fois spatiales, constructives et symboliques. Parce qu’une rampe qui s’enroule autour d’un mur de pierres, ce n’est pas la même chose qu’un escalier avec un demitour à volées droites, ou un escalier balancé qui épouse la marche et le déplacement du corps, ou un escalier à vis qui est un tuyau permettant de passer très rapidement de l’étage à un autre. La troisième c’est la recherche en architecture. Elle doit émerger. Je pense que la recherche en architecture fait partie de ce qu’on appelle la recherche finalisée. Dans le processus de recherche classique - fondamentale et appliquée - on est plutôt dans le top down, c’est-à-dire que le chercheur se pose une question, il met au point une technologie qu’il propose sur le marché. La recherche finalisée fait partie de la recherche appliquée, mais c’est une façon inversée de prendre les problèmes. Dans un processus en bottom up le chercheur considère que c’est la société qui pose des questions auxquelles il répond par une recherche. Les questions que nous posent la société aujourd’hui, sont pour moi, très simples. Comment va-t-on faire l’habitat qui va nous permettre de survivre demain ? Avec quelle quantité de matériaux ? Dans quelles conditions de confort ? Sur quel territoire par rapport aux risques naturels ? Comment se protéger des feux dus aux sècheresses ? Comment gérer l’eau ?

Je ne veux pas être catastrophiste, mais nous sommes face à un problème de survie. On n’a pas un problème de survie à 50, on a un problème de survie à 7 milliards, ce n’est pas du tout la même chose ! Ce ne sont pas du tout les mêmes stratégies à adopter ! La loi des grands nombres change tout. Mettre en place des stratégies pour qu’on passe ce cap et qu’on se mette en sécurité, ou mieux, que l’on retrouve un équilibre du monde qu’on a déséquilibré, à 7 milliards, il faut beaucoup de recherches pour apporter des réponses sensées et efficaces. On sait faire des objets bâtis performants d’un point de vue environnemental, mais je ne suis pas sûr qu’on sache faire des quartiers, même si ça commence à aller. Les villes quant à elles, ne sont pas encore au point. Et puis alors les territoires, les pays ou encore les continents, là,

c’est encore c’e

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