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Du tram hippomobile au Léman Express
L’idée du Léman Express date du 19e siècle. Enterré pendant des décennies, le projet a connu un nouvel élan lorsque la ville de Genève s’est retrouvée au bord de l’asphyxie.
Texte: Dr.Christophe Vuilleumier Relier la Suisse au Chablais savoyard, en France voisine, bassin versant naturel de Genève depuis des siècles, a nécessité 169 ans. L’idée esquissée à partir des années 1850 devait connaître un premier avatar en 1876 avec la création d’une ligne de trams hippomobiles reliant la modeste gare des Eaux-Vives, au cœur de la Cité de Calvin, à Moillesulaz, aux portes de la Suisse. Des trams à vapeur vinrent rapidement remplacer les chevaux, atteignant la ville française d’Annemasse en 1888. La ligne était électrifiée en 1896.
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Mais si cette première ligne était créée sur la rive gauche de la ville, elle n’était pas connectée à la gare Cornavin sur la rive droite, construite en 1858, qui reliait Genève à Lyon et au reste de la Suisse. Les chemins de fer ralliant Genève restaient déconnectés de la ligne du Tonkin, au sud du lac Léman, qui avait été créée par la Compagnie française des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée entre 1857 et 1886 et qui rejoignait le Valais par Le Bouveret. Genève était ainsi devenue peu à peu une impasse ferroviaire, toutes les lignes finissant contre un heurtoir.
Christophe Vuilleumier est historien. Ses publications portent principalement sur le 17e et le 20e siècle. Il est l’auteur de «ChêneBourg. Entre passé et avenir» (Slatkine, Genève, 2019). Il a également publié avec Gérard Duc une histoire du CEVA: «Du CEVA au Léman Express. Le chantier du siècle» (Slatkine, Genève, 2020).
La boucle ferroviaire
Les projets pour pallier le chaînon manquant allaient alors se succéder. À une époque où le chemin de fer représentait non seulement un atout économique majeur, mais également un rôle militaire stratégique de premier ordre pour le transport de troupes, nombreux furent ainsi les scénarios ferroviaires impliquant la création de nouvelles gares et d’ouvrages d’art. Mais il fallut attendre 1907, date de l’abandon du projet de tunnel ferroviaire au Mont-Blanc par les autorités françaises, pour que la Suisse estime que le col de la Faucille, dans le massif du Jura, puisse représenter une alternative crédible comme voie d’accès au Simplon. Une convention franco-suisse fut dès lors passée en 1909 dans cette perspective, entraînant trois ans plus tard la Convention du 7 mai 1912 entre la Confédération et le canton. Cet accord constituait en effet une promesse de raccordement entre la gare principale de Cornavin et la gare des Eaux-Vives, finalisant ainsi la boucle ferroviaire à l’ouest du Léman. Les CFF s’engageaient à assumer un tiers des frais, le solde de l’investissement nécessaire devant être assuré par la Confédération et le canton de Genève, à raison d’un tiers chacun.
Un besoin d’agir urgent
Deux guerres mondiales, la démocratisation de l’automobile et l’essor phénoménal de celle-ci allaient se charger d’enterrer durablement ces projets de liaison ferroviaire durant des décennies. Ce n’est qu’à la fin du 20e siècle que cette idée revint sur la table. L’expansion de son urbanisation, la croissance exponentielle du transport automobile et l’augmentation progressive du nombre de travailleurs provenant de l’extérieur du canton avaient en effet mené Genève au bord de l’asphyxie, nécessitant une refonte des principes de sa mobilité. Et l’axe fort de cette réflexion se cristallisa dans un premier temps sur le tram, un moyen de déplacement qui avait été très largement dédaigné au cours des années qui avaient suivi la Seconde Guerre mondiale. La planification des transports publics allait être ainsi entièrement tournée vers la création de nouvelles lignes de tram devant irriguer le canton. L’idée d’une liaison ferroviaire par le sud du Léman semblait ainsi oubliée, étouffée par un flot ininterrompu d’expertises et de rapports mêlant inextricablement intérêt public, volontés régionales et principes idéologiques contraires. Et à cette équation particulièrement ardue, s’ajoutait encore un aspect singulièrement compliqué, la dimension transfrontalière.
Ce devait être toutefois grâce à la volonté de l’association Alprail qui avait déterré la Convention de 1912, qu’un scénario ferroviaire refit surface en 1993. Ce scénario allait progressivement convaincre tant des députés provenant de partis politiques différents que les autorités françaises régionales, ou le nouveau conseiller d’État Robert Cramer, élu en 1997. Profitant de la dynamique générée par le Projet d’agglomération défini en 2004, le scénario, intitulé alors ‹CEVA – Cornavin–Eaux-Vives–Annemasse›, allait progressivement s’imposer aux décideurs genevois avant d’être adopté par le Conseil fédéral, les CFF et Paris.
La naissance du Léman Express
Le premier coup de pioche était donné le 20 septembre 2005, inaugurant ainsi la première étape du projet, devant de nombreux représentants politiques, et notamment la conseillère d’État zurichoise Rita Fuhrer et son homologue tessinois Marco Borradori qui s’étaient déplacés afin de marquer l’unité de l’alliance conclue l’année précédente entre les trois cantons pour la réalisation de leurs projets ferroviaires respectifs. Six ans plus tard, le 15 novembre 2011, la seconde étape du projet était entamée en présence de la Conseillère fédérale Doris Leuthard, annonçant l’achèvement du projet du CEVA et la naissance d’une nouvelle ligne ferroviaire, le Léman Express.
Celui-ci entrait en activité le 12 décembre 2019, voyant 14 kilomètres de chemin de fer bâtis sur le territoire suisse, cinq nouvelles gares – dont quatre souterraines voir page 8 –, 2,5 kilomètres de tunnels excavés, 3,6 kilomètres de tranchée couverte supportant une voie verte, et six cents arbres replantés. Une révolution dont les effets demeurent pourtant difficiles à estimer une année plus tard puisque les mois qui suivirent l’inauguration de la nouvelle ligne devaient être marqués par une pandémie historique paralysant la société et faussant toute observation statistique. ●
Le début d’un nouveau chapitre
La ligne Cornavin–Eaux-Vives–Annemasse (CEVA) a été inaugurée en décembre 2019 à Genève. Pour cette ville où la voiture est reine, ce fut une étape majeure dans le développement des transports publics. Le CEVA comble une lacune en structurant les différentes lignes en un seul réseau, le Léman Express. Genève ouvre aujourd’hui un nouveau chapitre de son histoire. Dans vingt ou trente ans, les Genevoises et les Genevois n’en reviendront pas de constater combien le Léman Express aura modifié et façonné leur environnement quotidien. Ce cahier part à la rencontre de la nouvelle liaison ferroviaire et de ses gares impressionnantes. Il retrace son histoire et présente les premiers ouvrages et les projets qui s’inscrivent dans la ligne directe du CEVA.