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Un accélérateur de projets

La région entière bénéficie d’une nouvelle accessibilité grâce au Léman Express. Les lieux de vie et d’activités environnants font l’objet de nombreux développements.

Texte: Hervé Froidevaux, Julien Thiney Graphiques: Wüest Partner

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Environ trente minutes, voilà approximativement le temps qu’il fallait pour rejoindre Annemasse au quartier des Eaux- Vives, il y a deux ans. Des moyens de transport différents et une frontière séparaient ces territoires pourtant distants de seulement 1,5 kilomètre. La mise en service du Léman Express, projet phare du Grand Genève, laisse entrevoir depuis 2019 l’avenir d’une mobilité simplifiée et plus respectueuse de l’environnement. Aujourd’hui, la promesse est tenue puisque les gares d’Annemasse et des Eaux-Vives sont reliées en moins de dix minutes par une ligne ferroviaire souterraine, dont l’ancien tracé en surface a été aménagé pour la fameuse voie verte dédiée aux piétons et aux cyclistes. Une véritable révolution pour la population locale et les territoires limitrophes. L’ensemble de la région bénéficie d’une accessibilité nettement renforcée. La réduction des temps de trajet augmente l’attractivité des zones résidentielles et des lieux d’activités environnants qui font l’objet de nombreux développements. Mais au-delà de renforcer le poids de certains secteurs dans le maillage territorial, les réseaux de transport ont aussi cette particularité de créer ponctuellement, au travers de leurs gares, de nouvelles centralités qui drainent un flux important de voyageurs. Jusqu’au début de la crise sanitaire, pas moins de 45 000 passagers voyageaient quotidiennement sur le réseau du Léman Express. Les points d’accès deviennent alors des lieux de forte intensité à l’échelle de la ville et leur planification relève d’un enjeu majeur dans la construction de la ville durable de demain. Ces microsituations gagnent sensiblement en attractivité sur le marché immobilier.

Déséquilibre entre les deux territoires

L’impact sur les marchés immobiliers est d’autant plus intéressant que le Léman Express s’inscrit entre deux territoires en fort déséquilibre. La région genevoise attractive pour ses salaires, sa qualité de vie et sa prospérité attire de nombreux travailleurs. En 2015, avant l’anticipation du Léman Express par les usagers, le revenu brut médian s’élevait à 79 000 francs dans le quartier des Eaux-Vives contre 25 000 francs dans la cité française d’Annemasse. Avec un marché immobilier encore saturé et des prix élevés, la Suisse peine à loger cette main-d’œuvre face à une France où le coût de la vie est moins élevé et les logements sont plus abordables. En 2018, juste avant l’ouverture des nouvelles lignes, le prix d’un appartement en propriété équivalait à 3600 francs par mètre carré à Anne masse contre 15 100 francs dans le quartier des Eaux- Vives. Le taux de logements vacants s’élevait à 7,5 %

à Anne masse contre 0,7 % aux Eaux- Vives. Nombreuses sont donc les personnes qui s’installent en France et passent la frontière quotidiennement. Entre 2001 et 2011, on estime que le nombre de déplacements transfrontaliers a augmenté de 20 %. Ce constat se retrouve dans l’évolution démographique avec une croissance annuelle de 1,8 % à Annemasse sur les dix dernières années. Selon l’Insee, la Haute-Savoie est le département le plus dynamique de la France métropolitaine.

Impact sur le marché immobilier

Ce dynamisme influence le marché immobilier où l’annonce du Léman Express a indiscutablement accéléré la construction de nouveaux projets, bien avant sa mise en service. En France, les investisseurs ont largement anticipé l’amélioration de la mobilité, Annemasse étant la première ville impactée avec une croissance de 2,1 % du parc de logements depuis dix ans. Cette évolution s’est encore confirmée peu avant l’arrivée du Léman Express. En 2018, ce n’est pas moins de 4,1 % du parc de logements d’Annemasse qui a été autorisé à la construction avec des projets d’importance dans le centre-ville. Les grues visibles dans le paysage français témoignent de cette effervescence, rendue possible grâce à une disponibilité importante de zones à bâtir.

Cette croissance de l’offre a permis pendant quelques années de stabiliser les prix des logements en propriété qui, sur les dix dernières années, n’ont augmenté que de 16,1 %. Dès la mise en service du Léman Express, la tendance à la hausse s’est sensiblement accélérée. Entre 2019 et 2021, les prix ont ainsi progressé de 7,3 %. Du côté suisse, l’impact du projet sur la construction est plus modéré avec une croissance de 0,6 % dans le quartier des Eaux-Vives. Dans un territoire plus dense, les opportunités de constructions dépendaient fortement de la réalisation des gares et des quartiers environnants.

Malgré une légère hausse des prix en France, les écarts restent encore importants. En 2020, le prix d’un appartement en propriété dans le quartier des Eaux- Vives était de 15 200 francs par mètre carré, contre 4100 francs à Annemasse. L’accessibilité des communes françaises, cumulée à des conditions de prêts plus souples qu’en Suisse invite à penser que les prix continueront de croître parallèlement à la forte pression démographique, entraînant une certaine gentrification. Il est toutefois difficile d’imaginer que l’arrivée du Léman Express puisse aboutir à un rééquilibrage complet du marché immobilier. D’importantes barrières administratives et réglementaires continueront à limiter la perméabilité et la mobilité entre la France et la Suisse. La fermeture temporaire des frontières lors de la pandémie en 2020 l’a clairement démontré.

Centralité et mixité des activités

Au-delà d’être un accélérateur de projets, le Léman Express est aussi l’occasion de repenser la trame ur baine et de répondre aux objectifs du développement dur able. Le gain d’attractivité donne l’opportunité de penser une ville plus intense en favorisant le développement de projets misant sur la mixité des activités et la qualité de vie en milieu urbain. Dans quelques années, le projet d’extension de la gare de Cornavin et de son parvis viendra redessiner un point stratégique du centre de Genève. Pour l’heure, ce sont principalement les gares de Lancy- Pont- Rouge, Lancy-Bachet et des Eaux-Vives qui bénéficient de cette dynamique de redéveloppement. Étendu entre Lancy-Bachet et Lancy-Pont-Rouge, le grand projet Praille- Acacias-Vernets accueillera dans quelques années plus de 10 000 logements, complétés par des surfaces récréatives, administratives, commerciales, artisanales et logistiques. À ces éléments viendront s’ajouter de nouveaux espaces verts et des cheminements piétonniers visant à favoriser les mobilités douces et à rendre la vie en ville plus attractive. Le futur secteur de l’Étoile, qui accueille

déjà des entreprises internationales de renom est d’ores et déjà considéré comme le futur centre-ville de Genève. En direction d’Annemasse, le projet O’Vives est lui aussi un parfait exemple de centralité mixte, jouxtant la Nouvelle Comédie et sa place centrale. Implanté au-dessus de la gare des Eaux-Vives, il offre 2785 mètres carrés d’espaces de bureaux, 3105 mètres carrés dédiés aux commerces ainsi que 88 logements.

Ces nouvelles centralités mixtes ont pour conséquence d’accroître les prix des surfaces de vente et de bureau. Autour de la gare de Lancy-Pont-Rouge, ces dernières atteignent un prix avoisinant 500 francs le mètre carré par an alors qu’une majorité des nouvelles grandes surfaces s’échangent pour moins de 400 francs dans le canton. Quant à savoir si cette mixité retrouvée permettra de limiter les flux liés au shopping et aux loisirs, la question est posée. L’arrivée du Léman Express facilite les déplacements entre deux pays aux écarts économiques im portants, par conséquent, la planification mixte des secteurs centraux du Grand Genève constitue un enjeu majeur dans le renouvellement de l’offre immobilière. ●

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