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Objectifs communs
Ariane Widmer, planificatrice cantonale, met en évidence l’impact du Léman Express sur la région, sur les déplacements liés au travail et sur la ville du quart d’heure.
Interview: Hervé Froidevaux, Julien Thiney Véritable jalon de l’infrastructure de transport, le Léman Express façonnera aussi la carte de la ville et de la région de Genève. Ariane Widmer explique en détail les réflexions de planification qui vont orienter le développement.
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Après plus d’une année d’activité pour le Léman Express, êtes-vous satisfaite de ce projet structurant pour la région?
Ariane Widmer: Le Léman Express est d’abord très certainement un aboutissement symbolique. Après cent ans de réflexions et de négociations, et malgré les difficultés de démarrage, force est de constater que la première réussite de ce projet est celle de la coopération. Il constitue le premier maillon d’un réseau qui doit encore se développer, dépasser les frontières pour offrir de nouvelles possibilités de mobilités durables, adaptées à l’organisation urbaine du bassin de vie genevois. Ensuite, d’un point de vue territorial, si la ligne s’implante dans des espaces déjà bâtis, elle a tout de même permis de développer de nombreux projets urbains autour des nouvelles gares (Praille-Acacias-Vernets, Eaux-Vives, Chêne-Bourg) et a aussi été l’occasion de réunir différents acteurs autour de projets et de stratégies communes. La Tour Opale, nouveau repère urbain de la commune de Chêne-Bourg, a osé être pensée grâce à la projection de cette nouvelle ligne de transport. Le Léman Express est ainsi un catalyseur hors-pair – et ce n’est pas fini. Son impact dépasse d’ailleurs les seuls périmètres accessibles des gares. Il s’inscrit dans un vrai projet territorial et a été réfléchi dans un système global.
Est-ce que le ralentissement des dynamiques de déplacement liées à la Covid-19 remet en cause l’émergence de ces centralités autour des gares?
Il est probable que ce que nous vivons depuis plus d’une année va influencer nos déplacements et la manière dont nous allons aménager la ville et ses quartiers. À l’échelle de la Suisse, certaines régions périphériques vont peutêtre se réactiver et c’est quelque chose de positif. En revanche, du point de vue de la mobilité, je crois que les effets seront moins importants qu’imaginés. L’expérience positive du télétravail a montré ses limites et nombreux sont ceux qui attendent avec impatience un retour à une vie sociale plus active, et cela aussi au niveau professionnel. Les déplacements liés au travail existeront toujours, mais se feront de manière plus flexible et moins cadencée. Le modèle de la ville et des centralités reste donc le plus cohérent. Il préserve le collectif et continue à être le meilleur modèle pour faire face aux enjeux contemporains de la durabilité. Par ailleurs, si ces nouvelles dynamiques peuvent influencer la répartition spatiale des habitants, elles offrent en particulier l’opportunité d’un retour à la ville du quart d’heure, avec des quartiers mixtes favorisant
«Le nombre d’arbres a été augmenté au détriment de surfaces destinées au stationnement.»
Ariane Widmer
les déplacements de proximité. Le développement vers l’intérieur reste la stratégie incontournable qui trouve son fondement dans notre cadre légal, autant en Suisse qu’en France. La ville va tirer une leçon de cette crise et développer des stratégies. Non seulement au travers d’aménagements nouveaux mais aussi dans la manière d’y vivre. Le monde du travail devra intégrer des aspects comme la flexibilité. Cette période a aussi été l’opportunité d’opérationnaliser plus vite des intentions depuis longtemps inscrites dans nos outils de planification (mobilité douce, par exemple). Il s’agit aujourd’hui de faire une vraie avancée dans l’amélioration de l’environnement des habitants de la ville. Nous devons plus que jamais offrir des espaces apaisés et de respiration. Nous devons veiller à ce que la ville continue à offrir des lieux de sociabilité et de solidarité, des espaces publics de qualité, pour contrer les effets de repli et d’isolement de la pandémie.
Les nouvelles centralités autour des haltes du Léman Express sont en grande partie minéralisées. Avec la croissance des enjeux environnementaux, aurait-on fait différemment aujourd’hui?
Notons d’abord que les projets des interfaces du Léman Express ont déjà, dans la mesure du possible, tenu compte de cet enjeu et des améliorations ont été faites en cours de processus. Les surfaces de pleine terre et le nombre d’arbres ont par exemple été augmentés au détriment de surfaces destinées au stationnement. Mais généralement, la minéralisation découle du fait que les places sont situées sur les dalles des infrastructures ferroviaires. La résistance des matériaux répond à la forte fréquentation des lieux et aux besoins d’entretien. Par ailleurs, attendons aussi la suite des aménagements, seuls les espaces autour des émergences ont à ce jour été mis en service. Les espaces publics s’étendront davantage, en laissant plus de place à la pleine terre, et se connecteront à la ville environnante comme à Lancy-Bachet avec la place haute entièrement végétalisée, ou à Chêne-Bourg avec les ‹Jardins de la Tour›. À terme, ce seront vingt hectares de nouveaux espaces publics et 400 arbres plantés qui seront offerts à la ville. Prenons le temps de les voir grandir, tout comme la vie de quartier.
Le Léman Express s’inscrit dans un réseau, quelle dynamique entretient-il avec Lausanne?
Historiquement, comme d’autres communes situées sur la rive du lac Léman, Lausanne a établi des déplacements nord-sud sur son territoire, entre le lac, les vignes, le bourg, les forêts et les pâturages. La ligne M2 s’inscrit par exemple dans ce mouvement. La dynamique est-ouest est quant à elle plus contemporaine, une véritable pulsation qui suit le Léman en laissant son empreinte sur le territoire, et le Léman Express y participe. Il est très structurant pour le territoire lausannois et y joue aussi un rôle de transport de proximité. La nouvelle halte de Prilly-Malley s’est implantée dans un territoire avec un fort potentiel de densification. De manière générale, les haltes, nouvelles ou réaménagées, induisent des dynamiques de requalification et de densification autour d’elles. Notons aussi que pour l’agglomération lausannoise les plus grands territoires d’expansion se trouvent à l’ouest. Enfin, le Léman Express améliore aussi la relation de Lausanne avec d’autres territoires, notamment avec Genève et les villes transfrontalières. On peut facilement habiter Lausanne et aller au théâtre à Genève. Vue depuis la gare de Lausanne, la cité de Calvin était perçue comme un terminus. Elle est devenue aujourd’hui un point d’articulation majeur entre la région lémanique et la Méditerranée, une porte qui ouvre l’horizon des déplacements. À l’échelle de l’Arc lémanique, le Léman Express permet de vivre, d’expérimenter de nouveaux territoires.
L’impact du Léman Express sur le territoire est souvent abordé sous l’angle du logement, qu’en est-il de la planification des activités?
Le développement des quartiers autour des gares prend en compte la dimension des activités. Pensés selon le principe de la mixité, les projets urbains planifient également des surfaces de bureaux, de commerces et de services. Dans le cadre du Léman Express, la planification des activités a été thématisée en fonction des différentes situations, avec toujours ce principe de mixité pour favoriser la proximité et réduire les besoins en déplacement.
Ariane Widmer
Cette variété dans la programmation urbaine est nécessaire pour créer une animation à l’échelle locale. Dans une perspective de ville durable, les affectations ne doivent plus être pensées selon un angle monofonctionnel. Cela vaut non seulement pour les quartiers de logements mais aussi, dans la mesure du possible, pour les secteurs d’activités et dans tous les cas pour les bureaux. Le quartier des Eaux-Vives en est un exemple magnifique: c’est un quartier dense, un véritable pôle mixte où chaque activité, occupation, tire partie de la dynamique des autres. Nous devons être capables de reproduire ce genre de lieu de vie apprécié par ses habitants et usagers.
Ariane Widmer
Architecte et urbaniste, Ariane Widmer est directrice de la planification cantonale de Genève depuis 2019 après avoir été responsable du Schéma directeur de l’Ouest lausannois pendant 16 ans. Elle a également été cheffe design d’Expo.02 et a publié différents ouvrages sur des questions actuelles de développement urbain et territorial. Ariane Widmer est membre de plusieurs associations dont le comité central de la Société suisse des ingénieurs et des architectes (SIA) et le conseil de la Fondation Culture du bâti Suisse.
Annemasse
La ville d’Annemasse est située dans le département français de la Haute-Savoie, en région Auvergne-Rhône-Alpes. Elle se trouve à la frontière franco-suisse et fait partie de l’agglomération transfrontalière Grand Genève. Aujourd’hui, Annemasse compte environ 36 000 Annemassiennes et Annemassiens. La population de toute l’aire urbaine englobant les communes françaises proches de la banlieue genevoise s’élève, pour sa part, à près de 310 000 habitants. Le développement d’Annemasse est intimement lié au chemin de fer. L’ouverture de la voie ferrée Bellegarde–Evian en 1880 et les lignes menant à Annecy et à Saint-Gervais-les-Bains
Point de vue d’un élu politique
Avec plus d’un million d’habitants et plus de 500000 emplois, le Grand Genève est l’une des métropoles les plus dynamiques d’Europe. L’urbanité se vit au quotidien et les interdépendances économiques, sociales et culturelles sont multiples. Ainsi, une coopération étroite qui s’affranchit des frontières géographiques et institutionnelles joue un rôle déterminant pour trouver des solutions concrètes aux besoins des habitants. À travers le projet d’agglomération franco-valdo-genevois, les élus locaux et les parte-
Christian Dupessey ont poussé les premières entreprises industrielles à s’y implanter. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la population croît de 1500 à 8000 habitants. La ville connaît un nouveau bond en avant dans les années 1950. Au tournant du 21e siècle, environ 28 000 personnes y vivent. À partir de 2006, la courbe grimpe de nouveau en flèche. Quant aux transports, Annemasse était, entre 1921 et 1959, raccordée au réseau de trams genevois par la ligne 12. Achevée en 2019, la ligne 17 a repris le flambeau. Grâce au CEVA, la gare d’Annemasse devient le deuxième pôle ferroviaire le plus important dans l’aire du Grand Genève.
naires franco-suisses travaillent ensemble depuis près de quinze ans autour d’objectifs communs: développer des actions et services en matière de mobilité, coordonner urbanisation et environnement, afin d’améliorer la qualité de vie sur l’ensemble du territoire.
Les flux de déplacements reflètent la structure multipolaire du Grand Genève en tant que bassin de vie, de consommation et d’emplois. Dans cette région qui compte plus de 3 millions de personnes se déplaçant quotidiennement, dont 635000 pendulaires qui franchissent les frontières du canton, la mobilité durable représente une priorité absolue. Le Léman Express apporte une réponse forte et essentielle pour la mobilité du quotidien et la mobilité de loisirs. Il est désormais possible d’aller passer la journée à Annecy, Chamonix ou Évian, depuis Annemasse, Valserhône, Genève ou Coppet, avec le même billet de transport. Le Léman Express est un élément structurant pour notre territoire. En reliant 45 gares parmi les principales centralités françaises et suisses, il devient la colonne vertébrale sur laquelle s’appuient et s’organisent des transports publics complémentaires comme les lignes de bus, le réseau en développement de tramways transfrontaliers (avec la mise en service du tram Genève–Annemasse, les travaux engagés pour celui de Saint-Julien-en-Genevois et la perspective du tram Grand-Saconnex–Ferney-Voltaire), mais aussi les modes de mobilité active comme la voie verte du Grand Genève, les vélostations, l’appli Geovelo, les services d’autopartage, etc. À ce titre, plusieurs projets développés dans le Genevois français ont bénéficié de cofinancements de la Confédération suisse au regard de leur intérêt transfrontalier majeur. Plus globalement, cette révolution de la mobilité dans le Grand Genève a permis d’engager de profondes transformations urbaines, permettant de repenser les espaces publics, de promouvoir la ville des courtes distances et la nature en ville, et de renforcer ainsi l’attractivité de nos centres-ville. La métamorphose du quartier gare, du centre-ville ou des quartiers populaires du Perrier ou le long de l’avenue de Genève à Annemasse en sont la parfaite illustration.
Plus d’un an après sa mise en service, malgré la situation sanitaire et la baisse des déplacements dus à la généralisation du télétravail, le bilan de fréquentation du Léman Express est positif: ce nouveau réseau a été largement adopté par la population avec 31200 voyageurs par
«Un seul billet suffit pour se déplacer dans le Grand Genève.»
Christian Dupessey
jour en moyenne en 2020, année de pandémie. Rappelons que les objectifs initiaux visaient 45 000 voyageurs par jour, un chiffre qui a été atteint au mois de janvier 2020. Les défis de la transition écologique nous amènent à réviser complètement la mobilité du quotidien. Le Léman Express, les transports publics et les modes de mobilité active constituent de formidables leviers. ●
Christian Dupessey
Le maire de la Ville d’Annemasse est président du Pôle métropolitain du Genevois français.