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Emmanuel Pierrat

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IMAGES QUI ONT FAIT SCANDALE


… u e i D Et e m m e f a l a cré Roger Vadim Le film qui propulsa Brigitte Bardot au rang d’icône sexuelle interplanétaire, en même temps que Saint-Tropez au firmament des places to be du système solaire, pouvait difficilement échapper au scandale. Celui-ci est évidemment davantage amorcé par ce que dévoile le film d’une Brigitte Bardot plus affolante que jamais, que par son affiche, ou sa série d’affiches, puisqu’il en existe plusieurs, dont la plus provocante montre un dessin où apparaissent les seins ostensiblement dressés de la jeune actrice. Assez froidement accueilli en France et presque unanimement éreinté par la critique qui trouve à l’actrice des airs de « boniche » (Paul Reboux) et une élocution incertaine, le film embrase d’abord le public américain où des ligues de vertu manifestent avec fougue leur allergie face à la volonté émancipatrice du personnage, à son rejet des conventions, à sa recherche débridée du plaisir et à sa farouche résolution à ne se laisser contraindre par aucune entrave dans sa quête de liberté sexuelle. L’image de la ménagère exemplaire élevant ses enfants tandis que son mari se charge de gagner l’argent du foyer en prend un coup. La nouvelle féminité incarnée par Bardot n’est rien d’autre que l’œuvre du diable pour les instances catholiques de Lake City, par exemple, qui s’emploient à acheter tous les billets du cinéma diffusant le film et menacent d’excommunication les esprits dépravés qui assisteraient à sa projection. En dehors de cet acte de fanatisme, qui s’ancre dans une solide et toujours vivace tradition américaine, on relève l’interdiction pure et simple de Et Dieu créa la femme à Dallas et l’arrestation de deux directeurs de salles à Philadelphie au motif qu’ils ont projeté le film. Toute cette agitation outre-Atlantique attise la curiosité du public français pour celle que le puritanisme américain qualifie de « créature de Satan » – ça ne s’invente pas. La France ne rechigne pas beaucoup à tomber sous le charme. On est au milieu des années 1950, le film est novateur, il véhicule aussi un certain esprit du temps et la vision d’un Sud idyllique proche des romans de Marcel Pagnol ou de Jean Giono. Ce qui peut paraître paradoxal. Pourtant, la liberté désinhibée de l’héroïne se déployant dans ces régions aussi paradisiaques que profondément conservatrices créée une alchimie unique, une espèce d’utopie à portée de main qui entre en résonance avec les aspirations de l’époque. Plus prosaïquement, Brigitte Bardot entre alors dans la légende. Son statut d’emblème sexuel est à l’origine de quelques savoureux morceaux de bravoure : en 1958, à l’exposition Universelle de Bruxelles, le pavillon du Vatican prend pour thème les sept péchés capitaux. Pour symboliser l’horreur du vice et de la luxure, les concepteurs choisissent d’exposer la photo de l’une des plus fameuses scènes de Et Dieu créa la femme, où l’on voit BB danser un mambo, justement endiablé.

1956

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d n i m r e Nev Nirvana

1991

Un bébé nu et amphibie, l’air remarquablement épanoui nageant sous la surface des eaux idéalement bleues d’une mer originelle… Incarnation vaguement frelatée de l’innocence ? Pas exactement. Le petit être en question a le regard rivé sur un hameçon, ou plus précisément sur un appât en forme de billet de un dollar, il est comme hypnotisé, et en observant de plus près ce visage effectivement épanoui, il n’est pas difficile d’y déceler la trace d’une préoccupation que l’on a davantage l’habitude de surprendre dans l’attitude presque unanimement partagée des habitants d’un monde d’adultes en quête de gain. Facteur aggravant, le nouveau-né semble bien connaître une érection – proportionnelle à sa taille, bien sûr, mais tout de même… Les hypothèses de Freud en matière de libido infantile se retrouvent brusquement mises au rencard ! La vérité, selon Nirvana, c’est que l’être humain est dorénavant conditionné par la cupidité. Voilà ce qui le fait bander ! Le moins que l’on puisse dire est que la carte postale nihiliste qui sert d’illustration à la pochette de Nevermind, meilleur album de l’un des meilleurs groupes de tous les temps, en a laissé plus d’un dubitatif. En dehors des interprétations plus ou moins fumeuses qu’a suscitées cette pochette sur le matérialisme viscéral de l’espèce humaine, il faut noter que les remous qu’elle a déclenchés ont failli compromettre la commercialisation de l’album. Face à la fronde des grandes surfaces qui refusent de vendre un album affublé d’une telle pochette, la maison de disques enjoint les membres de Nirvana de caviarder le pénis du nourrisson. Le bouillonnant leader du groupe, Kurt Cobain, s’y refuse avec fougue. On trouve un compromis sous la forme d’autocollants destinés à dissimuler l’innocence bafouée. Quoi qu’il en soit, c’est à cet album devenu aussi culte que sa pochette, que le groupe doit sa célébrité planétaire, et le mouvement grunge ses plus belles lettres de noblesse. Cette célébrité, dont on a dit aussi qu’elle avait signé la perte de Kurt Cobain en ne lui offrant pour dernier recours que le suicide contre une reconnaissance universelle qu’il considérait comme la pire des abjections, ou la plus grave des trahisons de l’esprit punk qu’il prétendait incarné, cette célébrité, donc, semble avoir été à l’origine, chez l’artiste, d’une course au scandale et à la provocation. Néanmoins, en dépit de ce que ces deux mots laissent entendre, il n’existe chez Kurt Cobain aucune inclination à la pose. Au contraire. Il n’y a pas de pose, qui reviendrait pour le chanteur à la vulgarité du mensonge, il y a sa foncière honnêteté de poète, sa sincérité adolescente et jusqu’au-boutiste, un désespoir révolté qui l’a fait se perdre, sans retour, dans l’alcool et les drogues.

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e u q i g a r t l Ba mbey o l o àC L’Hebdo Hara-Kiri

1970

Gageons sans prendre de gros risques que, si à l’époque de sa sortie, le film de Pier Giuseppe Murgia suscita un important scandale, l’affiche suffirait aujourd’hui, à elle seule, à mettre en émoi et dans une parfaite unanimité les pouvoirs publics, l’opinion, les médias, l’ensemble de la classe politique… Et de toute façon, le réalisateur n’obtiendrait pas les financements – même s’il se trouve qu’en l’occurrence, ils furent modestes –, serait privé de distributeur, interdit de studio, inscrit sur des listes noires, incarcéré peut-être, interné sûrement ! Car en abordant le passage de l’enfance à l’adolescence sous l’angle d’une sexualité adolescente, ou à peine pubère, débridée, en affichant une nudité enfantine explicite et presque magnifiée par la caméra, le réalisateur italien donne à son sujet une tournure scabreuse et même scandaleuse. C’est le contenu du film qui suscite une forte réprobation à l’époque de sa sortie, la fin des années 1970, pourtant notoirement moins rigoristes en matière de mœurs que ce début de XXIe siècle. Actuellement, l’affiche déclencherait à elle seule une levée de bouclier, quelle que soit la version mise en circulation, germanique (le film est une coproduction italo-allemande), française, italienne ou même japonaise. Sur chacune apparaissent l’une ou l’autre des deux héroïnes dénudées ou dans des situations le suggérant fortement, dans un lit par exemple. Le film met en scène Laura Wendel, âgée de douze ans à l’époque et dont la suite de la carrière consistera pour l’essentiel à apparaître dans des films de série B (ou Z) italiens, éprise de Martin Loeb (dix-huit ans), frère de Caroline, interprète éternelle de C’est la ouate qu’elle préfère. Mais la jeune fille se dérobe aux caresses empressées de son ami, lesquelles finissent par trouver un exutoire auprès de la très peu farouche Eva Ionesco (onze ans), fille d’Irina et déjà nimbée d’une réputation aux odeurs de souffre depuis que sa mère l’a photographiée nue et qu’elle a posé l’année précédente dans Play Boy. Au fil de l’intrigue, Laura devient la souffre douleur des deux amants qui la forcent à assister à leurs ébats. Affranchis de toute tutelle adulte, les trois personnages évoluent dans des paysages de forêts, de prairies et de rochers qui évoquent une sorte de monde primitif fantasmatique et enfantin, avec ce qu’un tel univers implique de cruauté, de sadisme moral même, de masochisme et de jalousie ou de tendresse, imprégnés, en dernier recours, d’une troublante innocence.

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e n g a p m a C c a b a t i t an Pier Giuseppe Murgia

2011

Gageons sans prendre de gros risques que, si à l’époque de sa sortie, le film de Pier Giuseppe Murgia suscita un important scandale, l’affiche suffirait aujourd’hui, à elle seule, à mettre en émoi et dans une parfaite unanimité les pouvoirs publics, l’opinion, les médias, l’ensemble de la classe politique… Et de toute façon, le réalisateur n’obtiendrait pas les financements – même s’il se trouve qu’en l’occurrence, ils furent modestes –, serait privé de distributeur, interdit de studio, inscrit sur des listes noires, incarcéré peut-être, interné sûrement ! Car en abordant le passage de l’enfance à l’adolescence sous l’angle d’une sexualité adolescente, ou à peine pubère, débridée, en affichant une nudité enfantine explicite et presque magnifiée par la caméra, le réalisateur italien donne à son sujet une tournure scabreuse et même scandaleuse. C’est le contenu du film qui suscite une forte réprobation à l’époque de sa sortie, la fin des années 1970, pourtant notoirement moins rigoristes en matière de mœurs que ce début de XXIe siècle. Actuellement, l’affiche déclencherait à elle seule une levée de bouclier, quelle que soit la version mise en circulation, germanique (le film est une coproduction italo-allemande), française, italienne ou même japonaise. Sur chacune apparaissent l’une ou l’autre des deux héroïnes dénudées ou dans des situations le suggérant fortement, dans un lit par exemple. Le film met en scène Laura Wendel, âgée de douze ans à l’époque et dont la suite de la carrière consistera pour l’essentiel à apparaître dans des films de série B (ou Z) italiens, éprise de Martin Loeb (dixhuit ans), frère de Caroline, interprète éternelle de C’est la ouate qu’elle préfère. Mais la jeune fille se dérobe aux caresses empressées de son ami, lesquelles finissent par trouver un exutoire auprès de la très peu farouche Eva Ionesco (onze ans), fille d’Irina et déjà nimbée d’une réputation aux odeurs de souffre depuis que sa mère l’a photographiée nue et qu’elle a posé l’année précédente dans Play Boy. Au fil de l’intrigue, Laura devient la souffre douleur des deux amants qui la forcent à assister à leurs ébats. Affranchis de toute tutelle adulte, les trois personnages évoluent dans des paysages de forêts, de prairies et de rochers qui évoquent une sorte de monde primitif fantasmatique et enfantin, avec ce qu’un tel univers implique de cruauté, de sadisme moral même, de masochisme et de jalousie ou de tendresse, imprégnés, en dernier recours, d’une troublante innocence. Quelques temps après sa sortie sur les écrans, le film a été diffusé à la télévision française dans sa version intégrale. Puis il a été prohibé à cause des scènes érotiques parfaitement explicites jouées par des mineurs, ce qui lui a valu d’être qualifié de pédophile et immoral. On le trouve cependant désormais en version censurée et interdit aux moins de seize ans. *(Maladolescenza) 26

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t n i l F y r Lar Milos Forman Avant qu’un malade proche de l’extrême droite américaine ne tente de l’assassiner en 1978, Larry Flynt était un gaillard bien portant, à l’image de Woody Harrelson, l’acteur qui l’incarne dans le film de Milos Forman et que l’affiche montre, l’air réjouit et simplement vêtu d’un drapeau américain entortillé autour de la taille, les bras en croix sur l’entrejambe géant d’une femme. À près de soixante-dix ans, Larry Flynt n’a, grâce au ciel, rien perdu de sa gaillardise, bien que ses blessures l’aient privé d’une part notable de sa mobilité en le contraignant à se déplacer en fauteuil roulant… et de sa virilité puisqu’il en est resté impuissant. Le prince américain du porno est un homme complexe, une sorte de concentré diabolique des contradictions de la société américaine. Au milieu des années 1960, il ouvre des bars où œuvrent des hôtesses complètement nues ; au début de la décennie suivante, il fonde la Hustler Newsletter, modeste bulletin chargé de fournir aux clients de ses bars de justes informations sur les danseuses – qui rappelle évidemment certain Almanach des adresses des demoiselles de Paris de tout genre et de toutes les classes en vogue avant la révolution française –, puis il lance le magazine Hustler, version plus conséquente, plus explicite aussi que son aînée la Newsletter et par ailleurs rude concurrent des très softs (en comparaison) Playboy et Penthouse. « Des hypocrites prétentieux qui prétendaient faire de l’art avec des filles hors de portée pour l’homme de la rue, déclare l’avisé patron de presse. Pour moi, les organes génitaux ont toujours été la partie la plus érotique de l’anatomie féminine. » Le succès est fulgurant, surtout après la publication de photos de la veuve de JFK, remariée à Aristote Onassis, se baladant à poil sur une île grecque, qui propulse les ventes du numéro à un million d’exemplaires. La fortune de Larry Flynt est faite. Il se déplace dorénavant en jet privé et sur une chaise roulante plaquée or, voit sa quatrième épouse mourir du sida et d’une probable overdose d’héroïne, mais il se convertit au christianisme à la suite d’une vision mystique dans laquelle Dieu lui apparaît flanqué de l’apôtre Paul, et il affirme vouloir dénoncer l’industrie de la pornographie – à laquelle, faut-il le rappeler, il doit l’ensemble de sa fortune – en publiant en couverture de Hustler l’image d’une femme dans un hachoir à viande ! Après la sortie du film de Milos Forman en 1996, on aurait pu croire le bouillonnant tycoon un peu assagi. Pourtant, deux ans plus tard, en pleine procédure d’impeachment visant le président Bill Clinton dans le cadre du scandale Monica Lewinsky, il offre un million de dollars à quiconque lui apportera la preuve de l’implication d’un haut responsable politique américain dans une affaire sexuelle. Il réitère en juin 2008, et pousse encore plus loin le bouchon au cours de l’été, alors que l’Amérique se prépare à élire son premier président noir, en annonçant le tournage d’un film X avec Sarah Palin pour héroïne… du moins une actrice jouant le rôle de la gouverneure de l’Alaska. Milos Forman a été à la hauteur du matériau exceptionnel qu’il avait entre les mains : il n’a pas échappé au scandale ! Son affiche montrant le magnat du porno crucifié sur un string laisse les associations catholiques de France dubitatives. L’affaire se poursuit devant la Cour d’Appel, avant que Milos Forman ne remplace l’affiche incriminée par celle qu’il avait (prudemment ?) choisie pour la sortie américaine, où l’on voit en gros plan le visage de Woody Harrelson bâillonné par le drapeau américain.

1996

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e m è i v u Ne e r u he Maurizio Cattelan

1999

Un bébé nu et amphibie, l’air remarquablement épanoui nageant sous la surface des eaux idéalement bleues d’une mer originelle… Incarnation vaguement frelatée de l’innocence ? Pas exactement. Le petit être en question a le regard rivé sur un hameçon, ou plus précisément sur un appât en forme de billet de un dollar, il est comme hypnotisé, et en observant de plus près ce visage effectivement épanoui, il n’est pas difficile d’y déceler la trace d’une préoccupation que l’on a davantage l’habitude de surprendre dans l’attitude presque unanimement partagée des habitants d’un monde d’adultes en quête de gain. Facteur aggravant, le nouveau-né semble bien connaître une érection – proportionnelle à sa taille, bien sûr, mais tout de même… Les hypothèses de Freud en matière de libido infantile se retrouvent brusquement mises au rencard ! La vérité, selon Nirvana, c’est que l’être humain est dorénavant conditionné par la cupidité. Voilà ce qui le fait bander ! Le moins que l’on puisse dire est que la carte postale nihiliste qui sert d’illustration à la pochette de Nevermind, meilleur album de l’un des meilleurs groupes de tous les temps, en a laissé plus d’un dubitatif. En dehors des interprétations plus ou moins fumeuses qu’a suscitées cette pochette sur le matérialisme viscérale de l’espèce humaine, il faut noter que les remous qu’elle a déclenchés ont failli compromettre la commercialisation de l’album. Face à la fronde des grandes surfaces qui refusent de vendre un album affublé d’une telle pochette, la maison de disques enjoint les membres de Nirvana de caviarder le pénis du nourrisson. Le bouillonnant leader du groupe, Kurt Cobain, s’y refuse avec fougue. On trouve un compromis sous la forme d’autocollants destinés à dissimuler l’innocence bafouée. Quoiqu’il en soit, c’est à cet album devenu aussi culte que sa pochette, que le groupe doit sa célébrité planétaire, et le mouvement grunge ses plus belles lettres de noblesse. Cette célébrité, dont on a dit aussi qu’elle avait signé la perte de Kurt Cobain en ne lui offrant pour dernier recours que le suicide contre une reconnaissance universelle qu’il considérait comme la pire des abjections, ou la plus grave des trahisons de l’esprit punk qu’il prétendait incarné, cette célébrité, donc, semble avoir été à l’origine, chez l’artiste, d’une course au scandale et à la provocation. Néanmoins, en dépit de ce que ces deux mots laissent entendre, il n’existe chez Kurt Cobain aucune inclination à la pose. Au contraire. Il n’y a pas de pose, qui reviendrait pour le chanteur à la vulgarité du mensonge, il y a sa foncière honnêteté de poète, sa sincérité adolescente et jusqu’au-boutiste, un désespoir révolté qui l’a fait se perdre, sans retour, dans l’alcool et les drogues.

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l e a h c i M on s k c Ja Allemagne À l’automne 2010, le Théâtre des 2 Ânes promeut son nouveau spectacle en recourant à une formulation dont la causticité sème une belle pagaille au sein de la régie publicitaire de la RATP : « Légion d’honneur, enveloppes garnies, île paradisiaque et comptes en Suisse… Après Plus Belle la Vie, les chansonniers sont tombés sous le charme de la nouvelle success story française : l’Affaire Bettencourt. » L’affolement qui s’empare du personnel des transports parisiens s’alimente aussi à l’affiche accompagnant la sulfureuse présentation. La figure vieillissante de l’héritière de l’empire mondial des cosmétiques est posé sur un corps d’affriolante jeune fille gambadant au milieu d’un bucolique paysage, portant au bras un panier d’où émergent les visages réjouis de Nicolas Sarkozy, Éric Woerth, François-Marie Banier et Patrice de Maistre. Difficile de dire dans ces conditions si le panier contient le quatre heures de la vieille dame (indigne) ou si c’est plutôt elle qui doit servir à nourrir les quatre passagers clandestins – d’un navire gouvernemental en grande perdition… Quoiqu’il en soit, la RATP est déterminée à conserver une stricte neutralité – et même un peu plus que cela – dans l’affaire qui a transformée les vacances estivales du gouvernement en nid de vipères. Média transports refuse de diffuser sur son réseau de bus et de métro l’affiche de la pièce de théâtre, au motif que « le caractère diffamatoire [va] bien au-delà de l’humour et de la caricature, en ce qu’il met en cause la réputation de deux personnages de l’État par assimilation avec deux personnes poursuivies (sic) dans le cadre de procédures judiciaires » Jacques Mailhot, directeur du Théâtre des 2 Ânes et épigone de la grande tradition des chansonniers français, exprime, avec une candeur dont on se demande jusqu’à quelle point elle est feinte, sa stupéfaction : « On est tombé du lit en l’apprenant. Cette affiche n’est ni plus ni moins caustique que d’autres. C’est purement du zèle. Mais pour quelle raison ? Je n’en sais rien. […] Il [l’avocat de la partie adverse] nous reproche d’associer deux personnages mis en examen avec deux personnages de l’État. Mais alors pourquoi nos affiches ont-elles été acceptées par Pariscope et JC Decaux sur les colonnes Morris ? » Il ajoute : « C’est de la censure très arbitraire ! Nous avons déjà fait des affiches plus dérangeantes, c’est totalement disproportionné ! » Les scrupules un peu excessifs de la RATP pousse le patron outragé des 2 Ânes à envisager, un temps, de poursuivre le censeur. Mais il semble bien que le zèle déployé par ce dernier ait contribué, au moins pour une part, au succès considérable de la pièce. C’est toujours la même chose, en croyant pouvoir étouffer dans l’œuf les germes du scandale, le censeur ne fait que lui apporter un surcroît de publicité, généralement inespéré.

2002

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