Ecole filles garcons internet

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Justement, on n’a pas vu : les plombs ont sauté ! Ceux de notre salle de classe. Un phénomène étrange en plein Grand Chahut. « Clac ! »… Ce n’est rien, les enfants. Ce sont les plombs !… D’accord, mais une fumée noire est sortie du placard où est enfermé le tableau électrique, près de la porte. Monsieur Brulé nous a demandé de sortir « en ordre et dans le calme », mais après le Grand Chahut ça a été la Grande Pagaille. Bonbec jubile. – « Comment ça marche, les filles ? »… Tu as vu ça ?… Une véritable bombe, ma question !… Elle a fait sauter les plombs ! – Te vante pas. Le maître a dit qu’il y avait eu une fuite d’eau sur le compteur. – N’empêche, ça a bien sauté ! – Bravo ! Grâce à toi, on est dans la cour et on n’a plus de classe. – Le maître va trouver une solution. Faudra bien. Facto a dit qu’on ne pouvait pas retourner dans notre salle. Facto, c’est l’homme à tout faire de l’école. Le factotum quand on veut faire savant. Il sait tout réparer, alors Bonbec ne l’aime pas : « Comme dit mon père : Bon à tout, bon à rien ! » Bref, on s’est retrouvés dans la classe des fins d’études. Les « fins d’études » ce sont les grands qui préparent le certificat d’études. Leur classe est près des ateliers du côté de l’école maternelle. C’est là que j’irai, l’année prochaine, si je n’entre pas au collège. Aucun de mes frères et sœurs n’y est allé et ils ont tous un bon métier. Alors, qu’est-ce que j’irais faire là-bas ?… « M’accompagner ! »… Bonbec voudrait bien être pâtissier, entrer chez un patron en apprentissage, mais ses parents ont dit qu’il pouvait « viser mieux ». Ce sera le collège ou, sinon, la pension. Peut-être même les deux. Quand on est entrés dans la salle des fins d’études avec la classe, on a eu l’impression de tomber dans un piège. Rien n’allait : le tableau, le bureau, les pupitres, les planches au mur, l’odeur, la vue par la fenêtre… Rien !… On était en exil… Pire, en prison pour nous punir du chahut et nous parler… des garçons ! – Attends, il a dit « Après… on verra !… On verra », c’est les filles, c’est sûr ! – C’est toi qui le dis, Bonbec. Mais, en attendant, tu n’as pas eu de réponse à ta question : Comment ça marche, les filles ? – Et alors ?… Toi, qui es si malin : Qu’est-ce que tu aurais dit ? – Rien, Bonbec. Je ne sais pas comment ça marche, les filles, je n’ai que des sœurs. – C’est pareil ! – Sûrement pas ! Une fille, une sœur et une Poule, ça n’a rien à voir. C’est comme si tu disais qu’une Frégate, une Traction et une 203 c’est pareil, parce que c’est une voiture. – Regarde !

1 La mécanique

La Frégate coupée en deux


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– Si tu préfères, Bonbec, chez les Castors on achète une maison pas finie qu’on finit soimême, aidé par d’autres Castors. – Chez vous, avec tout le monde que vous êtes, ce sera réglé en deux coups de cuillère à pot. Mon père ne les voit pas comme Bonbec, les coups de cuillère à pot. « Les Castors, c’est quatre murs, un toit et tous les soirs, les week-ends et vacances à se retrousser les manches ! » Toute la famille, les amis et les voisins seraient prêts à se les retrousser, les manches. Mon père pourrait même rester sur son pliant de pêcheur pour regarder. Mais il ne veut pas. – Même si on la construit cette maison, ça me rapprochera pas du boulot. Mon père travaille à Orly dans les avions. Il doit prendre le train, le métro, le bus. Il rentre tellement fatigué le soir que je suis pour qu’on commence par construire un aéroport à Villemomble avec les Castors. On n’aura pas la maison, mais, au moins, il nous restera les plans. Ma mère les avait fait dessiner à mon frère Michel, le meilleur de mes grands frères en dessin industriel. Elle savait exactement la maison qu’elle voulait: «La même que les Gobert!» Un copain de mon père : un Castor dont on allait régulièrement visiter la maison à Bondy comme pour se faire du mal. Mon père trouvait que c’était « toujours en chantier » et ma mère que c’était « propre, avec de la lumière et de la place pour les gosses ». Dans chaque pièce de chez les Gobert, ma mère nous racontait la vie qu’on aurait et on rentrait chez nous retrouver notre vraie vie. – Ce serait bien que tu sois expulsé, tu pourrais venir habiter chez moi. Pas question. La maison de Bonbec ressemble à celle du « Concours des maisons » dans Le Parisien libéré. Des maisons qu’on trouve que dans le journal. Sa salle de bains ressemble à un illustré de science-fiction. Deux lavabos, une baignoire et un bidet pour laver les chaussettes : et puis quoi encore ? Je n’aimerais pas que mon père utilise un rasoir électrique à la place de son Gillette. C’est surtout le blaireau et la mousse qui me manqueraient. Je préfère la maison que ma mère fait dessiner à Michel. C’est une maison en caoutchouc. On peut l’agrandir comme on veut, changer les pièces de place, ajouter une salle de bains, ajouter une fenêtre… Il suffit d’une gomme et d’un crayon. Alors que si c’était pour de vrai, elle serait en dur avec un soubassement surélevé, un ou deux étages et un grenier. Dans le soubassement, monté en parpaings, il y aurait un garage pour la Traction, un atelier pour mon père, un coin cave pour notre Gévéor et Vin des Rochers, et une buanderie avec réchaud pour la lessiveuse, deux grands bacs en ciment, un étendoir… Moi, j’aime bien qu’on fasse tout ça dans la cour de notre maison d’expulsables, mais ce n’est pas pratique l’hiver : sur le fil, le linge gelé casse comme du verre.


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Nous faisons notre entrée dans la classe de Madame Véron, accompagnés par le directeur, et la trouille dans le fond du short. Première constatation : ça sent bon chez les filles ! Deuxième constatation : elles ne se moquent pas de nous. Troisième constatation : on n’en mène pas large, surtout moi. J’ai les poches pleines de billes d’un côté et de ma Talbot Lago Dinky Toys de l’autre. J’ai l’impression que le tout descend vers les genoux. La honte. J’essaie de me souvenir de l’état de mon slip. – Prenez place au fond, Messieurs ! Bonbec ne peut s’empêcher, au passage, de faire un sourire à sa Poule qui passe aussitôt au rouge. Quatrième constatation : elle n’a pas été punie pour complicité de mur. Nous nous installons au dernier pupitre de la rangée près de la fenêtre. C’est rassurant d’apercevoir l’école des garçons. Par contre, c’est la première fois que je suis en classe derrière des boucles d’oreilles et des barrettes. Je trouve ça drôlement osé de regarder la nuque des filles. – Messieurs, vous nous faites l’honneur de votre visite au moment où nous allions aborder la leçon sur l’aménagement du foyer à partir de cette planche. « Le plan de la maison » est accroché au centre du tableau, avec une colonne « Vocabulaire » de chaque côté. Madame Véron a piqué ça à Monsieur Brulé. Même les maîtres copient les uns sur les autres ! – Regardez-le bien et dressez, par écrit, une liste de remarques : d’un côté ce qui vous paraît intéressant et de l’autre ce qui pourrait être amélioré. Par contre, avec Monsieur Brulé, on lance tout de suite la discussion. Ça fuse, il laisse la pagaille, et nous calme. Chez les filles on commence par le calme. Elles notent sur leur cahier, alors, nous aussi. On nous a donné de quoi. Au bout de dix minutes de silence parfumé, Madame Véron claque dans ses mains. – Eh bien, qui veut commencer ? Je crois que par galanterie nous devrions donner la parole à ces messieurs. Je croyais que c’était masculin, la galanterie. Trente-six paires de boucles d’oreilles se tournent et trente-six paires d’yeux se plantent sur nous. Bonbec se lance. – Il faut ajouter un atelier dans le garage et retirer le bidet de la salle de bains. Mon père dit que ça ne sert à rien. – C’est intéressant… Nous pourrons en discuter… Et votre voisin, que pense-t-il de ce plan ? Bonbec a piqué mes deux remarques. J’improvise. – Ça coûte combien, une maison comme ça ?

7 La maison

Le bidet a disparu


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La maîtresse présente la planche de la cuisine comme si elle ouvrait la porte d’un palais extraordinaire où une fée manie une baguette magique en forme de poêle à frire. – On fait des crêpes, Madame ? – Bonne idée, Josette, mais ce n’est pas la Chandeleur. – On n’a pas le droit de faire des crêpes les autres jours ? – Si, bien sûr, mais ce ne sera pas la Chandeleur. – C’est comme manger de la dinde sans que ce soit Noël ? – Parfaitement, Jeanne. La Chandeleur est une fête qui a lieu le 2 février. À l’origine, c’était la fête des Chandelles, la Festa Candelarum en latin. Encore le latin ! J’ai l’impression qu’on ne peut rien apprendre sans qu’il y ait du latin en dessous. – « À la Chandeleur l’hiver se meurt ou prend vigueur ! » – Très juste, Martine. À la Chandeleur on fêtait la fin de l’hiver. On voit bien sur cette image que c’est toujours une fête pour ces trois enfants. – Comme par hasard, Madame, il y a encore deux garçons et une fille. Et si on a une seconde fille, qu’est-ce qu’on fait : on la noie ? – Henriette, je vous ai fait rentrer en classe, mais si vous préférez être dans le couloir… _ Non, Madame, mais je me disais qu’au lieu de nous donner la recette de la famille idéale, il ferait mieux de nous donner celle des crêpes. – Justement, les ingrédients d’une pâte à crêpes sont sur la table de la cuisine : lait (1/2 l), farine (250 g), œufs (4), beurre (50 g), sel (une pincée). On y ajoutera un sachet de sucre vanillé et une cuillère à soupe de rhum. – De la Martinique ! – Bien sûr, jeune homme. – Et un louis d’or pour les faire sauter : « Or en main, argent demain ! » Bonbec veut montrer que lui aussi connaît des proverbes. – Et si on n’a pas de louis d’or ? – Tout le monde a une grand-mère qui en a ! Avec Bonbec, il faut être riche aujourd’hui si on veut l’être encore plus demain. – Mesdemoiselles, concentrez-vous maintenant sur cette illustration de la cuisine. Que remarquez-vous ? – La maman fait des crêpes avec ses hauts talons. _ D’accord, Muguette, mais détaillez plutôt les ustensiles. – Il faut avoir tout ça, Madame ?

11 La cuisine

Le palais de la Femme



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