La route autrefois

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OLIVIER DARMON

LA ROUTE

autrefois


Le déroulé de la chaussée sur l’écran du pare-brise, un spectacle hypnotique qui fascine le dévoreur d’asphalte.


Au volant Au cours des deux premières décennies du XXe siècle, l’éviction des animaux de la route permet d’offrir à la locomotion nouvelle une chaussée débarrassée de ses obstacles les plus imprévisibles. Pour autant, les questions relatives à la sécurité routière au sens le plus large sont loin d’être résolues. L’accroissement du trafic automobile impose l’élaboration d’un système adapté à ce moyen de déplacement individuel qui favorise une mobilité étendue jusqu’aux campagnes les plus isolées. Il suppose la création des infrastructures nécessaires au bon déroulement des trajets : un réseau d’approvisionnement en carburant, de stations d’entretien, de garages de réparation. Il stimule l’aménagement de routes sûres comme d’auberges susceptibles d’accueillir convenablement les voyageurs. Et il ordonne la conception d’un code de la circulation, son enseignement et son respect… Car l’automobile, lourde machine qui permet d’atteindre des vitesses jusqu’alors inédites sur route, se révèle aussi une source d’accidents d’une gravité sans précédent.

U

ne fois les animaux évincés de la route, les automobilistes se retrouvent dépourvus d’un coupable idéal. Privée de cette faune mobile aux réactions incontrôlables, l’instruction du dossier des dangers de la locomotion nouvelle se reporte sur des pistes déjà identifiées. À la fin des années 1920, le comportement des autres usagers de la route, piétons et cyclistes, n’est pas loin d’être présenté comme un modèle de perversion, une préméditation diabolique et suicidaire. « Jamais vous n’obligerez un cycliste à garder sa droite, si, sur sa gauche, il a quelque chance de se faire écraser », observe le journaliste Georges de la Fouchardière. « Le piéton, en vérité, c’est l’individu dont la fonction naturelle est d’empoisonner la vie de ceux qui possèdent une automobile, ironise Sacha Guitry, il attendra patiemment au bord du trottoir l’arrivée d’une voiture pour enfin traverser. » Jusqu’au milieu des années 1930, l’accident, source d’inspiration pour les humoristes, est certes déploré mais souvent minimisé. Quand les premières statistiques dénombrent 2 200 décès sur les routes de France en 1926, les commentaires relèvent aussitôt qu’il s’agit d’un chiffre deux fois moindre qu’en Angleterre. En 1932, la revue de l’Automobile Club médical n’hésite pas à demander à ses lecteurs de leur envoyer le récit de leur plus bel accident afin de le publier.

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A PPRENDRE

LES

CANDIDATES

En 1961, le chiffre des 500 000 candidates au permis de conduire est dépassé pour la première fois en France, elles étaient 41 000 en 1930.

BRÉVIAIRE

L’édition 1959 du guide de la route.

À CONDUIRE

L’apprentissage de la conduite reste longtemps rudimentaire. Dans les années 1910, on apprend à piloter en écoutant les explications du vendeur à la livraison de sa voiture et ses recommandations sont amplement suffisantes pour obtenir l’examen de capacité requis. Apparues avant guerre, les premières auto-écoles sont créées par les concessionnaires et agents des constructeurs. En l’absence d’une réglementation circonstanciée adaptée à la circulation automobile, leur enseignement est essentiellement pratique. Il s’agit d’apprendre aux clients, ou à leurs chauffeurs, le bon usage des instruments de bord – la manette des gaz, les freins –, mais également comment monter une roue de secours ou nettoyer un carburateur. Au cours des années 1920, les quelques auto-écoles ayant pignon sur rue se trouvent rapidement saturées par l’essor de l’automobile. La profession n’étant pas réglementée, chacun peut s’improviser instructeur pourvu qu’il soit titulaire du permis de conduire, une opportunité exploitée par les mécaniciens, mais également par les cafetiers. Cette nouvelle fonction, qui leur permet de donner rendez-vous dans leur établissement, diversifie et accroît leur clientèle de façon substantielle. En trois ou quatre leçons de conduite ne dépassant pas la demi-heure, le moniteur estime son candidat apte à obtenir l’examen. Souvent à juste titre, car cette épreuve est alors si sommaire qu’elle relève de la formalité. Ce n’est qu’en 1958 qu’il est jugé nécessaire de normaliser la profession à l’échelon national. La nouvelle réglementation impose désormais une séparation de l’activité d’auto-école de celles de vente de voitures ou de débit de boissons auxquelles elle était généralement associée. Un diplôme d’enseignant à la conduite est instauré. Simultanément, entre 1954 et 1958, un code de la route moderne s’est constitué sur la base d’une réglementation internationale. Le folklore débonnaire de la Belle Époque disparaît, apprendre à conduire commence à devenir une chose sérieuse.

COURS

DE CONDUITE

1930

Et voici le volant, organe essentiel qui permet de diriger la voiture…

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TROYES, 1965

L’auto-école vient de recevoir un nouveau véhicule, une belle Fiat 850.

SHEILA

L’école est finie, elle se concentre sur sa première leçon de conduite.

LA

PRIORITÉ

Pages de l’édition 1959 du Guide de la route de la Prévention routière.

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I NTRA - MUROS ,

LA VOITURE EN VILLE

Jusque dans les années 1920, les voitures à bras ou à cheval, équipées d’attelages variés, les cyclistes et les cavaliers forment avec les automobiles des flux hétérogènes. Contrairement aux premiers arrêtés municipaux des bourgades rurales empreintes de méfiance à l’égard de la locomotion nouvelle, les mesures adoptées par les grandes villes entendent conférer à l’automobile la place qu’elle mérite. Cela est particulièrement significatif à Paris, capitale de l’automobile par excellence. Soucieuse de composer avec la noria de constructeurs installés en proche banlieue, Clément-Bayard, Delage ou Mathis à Levallois-Perret, De Dion-Bouton à Puteaux, Darracq à Suresnes, Hispano-Suiza à Bois-Colombes, Renault à Billancourt et, bien entendu, Citroën, quai de Javel, la préfecture et la municipalité font acte de compréhension. Rapidement, la circulation des voitures à bras et de quatre-saisons est restreinte à certaines heures, quant aux voitures à cheval, elles ont obligation de tenir la droite de la chaussée. L’essor de l’automobile

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LES

CLOUS

Ces passages pour piétons apparaissent en 1925.


PAUVRE

PIÉTON

La condition périlleuse du piéton devient un symbole de l’insécurité routière.

PARIS, 1952

On roule surtout dans des véhicules d’avant-guerre.

L’EMBOLIE « Si, semblables à des glaçons flottants en rangs de plus en plus serrés, les voitures en circulation à Paris ne se sont pas encore soudées en une banquise définitivement immobilisée, c’est grâce aux souples dispositifs que l’on sait : multiplication des rues à sens unique, stationnement unilatéral dans certaines voies, et limité dans d’autres, déchargement des poids lourds autorisé seulement aux heures matinales, synchronisation des signaux lumineux sur les artères à grand débit [...]. Mais la plupart de ces remèdes ne sont, hélas ! que des palliatifs, des ballons d’oxygène qui permettent au malade de respirer, mais ne le guérissent pas. » Revue du Touring Club de France, 1951 FEU

ROUGE

Installation d’un des premiers feux de signalisation au carrefour du boulevard Sébastopol, 1922.

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