Nos Histoires de France

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Daniel Picouly Nos Histoires de France


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Le temps des Gaulois, c’est le camping à la ferme de 150 à 1100 avant J.-C. Le camping deux mille ans avant le Front populaire ! Dans ma famille, chaque été, pour les vacances, on fait les Gaulois. On part en vacances en camping. Le plus difficile c’est de faire entrer au chausse-pied dans notre Traction : parents, tentes, enfants et matelas pneumatiques. Le coffre et la galerie sont chargés jusqu’à la gueule. Il pousse des valises dans le ciel ! – Tiens, v’là les congés payés ! Notre voisine, Madame Larget, n’est pas méchante. Elle est seule. Ses enfants ne viennent pas la voir. C’est étrange d’oublier l’adresse de sa mère. Nous aussi, pendant un mois, on va oublier notre adresse. Adieu, le 93 avenue Meissonier, vive le lac de Vassivière! C’est dans le Limousin. Pas loin de l’Auvergne: «Le pays des Arvernes» au temps des Gaulois. J’aime bien les Gaulois. En ce moment, je suis gaulois à plein temps depuis que Picard m’a craché en plein cours: «Nos ancêtres les Gaulois! Ça te regarde pas, toi… Et pourquoi?… T’as vu ta tête?… Qu’est-ce qu’elle a ma tête?… On dirait un sésame… Tu veux dire un Sarrasin. T’es comme le frère d’Ali Baba, tu t’es trompé de graine à Poitiers… Il n’a pas compris… Je vois pas pourquoi ta dégaine de Viking débarqué en drakkar te fait plus gaulois que moi dont la mère est née à Toucy-Moulins et le père à Tarbes… N’empêche, avec ta tête tu peux pas être gaulois. » Donc, je suis devenu gaulois puisqu’on me refusait d’en être un. Pour préparer nos vacances en pays arverne, j’avais recopié sur une feuille la carte de « La Gaule vers 60 avant J.-C. ». Je l’avais pliée en accordéon façon carte routière, au 1/200 000. Sur le rabat, j’avais collé un petit bonhomme Michelin avec un casque de Gaulois découpé sur un paquet de cigarettes. Je venais de fabriquer la première carte Michelin de la Gaule. Je l’ai baptisée « Bibendum ». J’avais préparé notre itinéraire de Villemomblius jusqu’à Vassivierum. (Le latin c’est facile, en ajoutant « ius » et « um » on le parle couramment.) On sortait de Lutetia par la porte d’Italie, puis la direction de Genabum, jusqu’à Avaricum. Là, on pouvait prendre par Augustoritum ou Gergovie. Ça avait quand même plus de gueule que Paris-Orléans-Bourges ! – Ce serait plus joli par Augustoritum. Ma mère parlait latin comme une des élégantes «vaguement tristes et lasses» des cités galloromaines, descendant de leur litière pour aller prendre le café chez une voisine. – Ce serait plus court par Gergovie. Mon père pensait à sa moyenne. Moi, à la bataille de Gergovie en 52 avant J.-C. où les légions romaines avaient dû se replier devant Vercingétorix: chef des tribus arvernes, et premier à avoir réuni « les tribus indisciplinées de Gaule ». Monsieur Brulé nous avait prévenus :

Au temps des Gaulois Le camping à la ferme


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Village gaulois.


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Roland Ă Roncevaux.


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Le château fort est attaquÊ.


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Le peuple construit sa cathĂŠdrale.


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J’étais déçu. C’était la première fois que Monsieur Brulé utilisait les vieux restes d’une phrase pour introduire un chapitre. Surtout un chapitre si important. Le plus important : la Révolution française ! Monsieur Brulé manquait de mots pour dire la période de l’histoire de France qui en contient le plus ! La Révolution française de 1789 est ma période préférée. La seule pour laquelle je n’accepte pas de ne pas être le meilleur en classe. La Révolution, c’est comme le football à la récréation, la composition de rédaction et le grimper de corde : il faut être le premier. Pour débuter ce chapitre, j’aurais préféré : « Mokarex sed lex ! » Les soldats Mokarex sont des figurines que je trouve dans les paquets de café du même nom. Il y a Mirabeau, Danton, Robespierre, Marat (sans sa baignoire), Desmoulins (avec sa chaise), Saint-Just (le plus beau nom de la Révolution), Axel de Fersen (le chéri de la reine), Louis XVI (le cocu de la reine), Marie-Antoinette (la reine et le dauphin), la princesse de Lamballe (favorite de la reine), Bonaparte et Napoléon (comme deux frères dont l’un aurait grossi) et Fouquier-Tinville (l’accusateur public), le plus beau, le plus gros. Il est debout devant sa table, coiffé de son chapeau à plumes. Dans les échanges, un Fouquier-Tinville vaut facilement trois Bonaparte ou Napoléon. Mais quand on a un Fouquier-Tinville en double, on le garde. C’est le personnage le plus important de la Révolution. Celui qui décide qui aura la tête coupée. Il en a fait tomber des milliers, mais lui, on ne l’a guillotiné qu’une fois. C’est injuste. Le choix des Mokarex, aussi, est injuste. Pourquoi tel personnage a droit à une figurine et pas tel autre ? Qui en décide ? L’histoire, comme la justice, devrait être représentée les yeux bandés. Monsieur Brulé nous avait expliqué que l’histoire était racontée de façon différente selon les époques. « L’histoire est à géométrie variable. » Je lui rappellerai quand il trouvera mes parallélogrammes pas très parallélogrammes. « Pour bien apprendre, il faut apprendre à désapprendre ! » Phrase directement classée dans mon cahier sous la rubrique « Formules fumeuses ». Dès que je trouve un Mokarex, je commence par regarder ses dates au dos du socle et ensuite je monte dans notre cerisier et je cherche la vie du personnage dans mon dictionnaire. Je regarde qui étaient ses amis, ses ennemis de façon à raconter des histoires à peu près « plausibles » à mes deux petites sœurs. En fait, je leur raconte toujours la même avec des variantes. Savoir qui détestait qui m’aide à ranger mes Mokarex, le soir, dans ma boîte à jouets. J’évite les risques de chamailles pendant la nuit.

La Révolution Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument… surtout les révolutions.


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Pire ! Les planches qu’on nous montre en classe sont des faux de faux, puisque Monsieur Brulé nous a expliqué que les dessinateurs les avaient réalisées à partir des tableaux. Et on voudrait qu’on s’y retrouve ! Faux exemplaire: le pont d’Arcole. Le pont n’a jamais été franchi et Bonaparte s’est retrouvé le cul dans le fossé avant d’être peint, tout beau tout propre, en Jeanne d’Arc héroïque, par un certain Antoine-Jean Gros qui n’était pas là. Et comme Gros n’était pas là non plus pour « la bataille d’Aboukir », « le champ de bataille d’Eylau » ou « Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa », il en avait fait des tableaux. Plus tard, Gros se suicidera en se jetant dans la Seine, mais personne n’était là pour peindre un faux de la scène. Autre faux : le sacre de Napoléon, qui est en fait le sacre de Joséphine. Il mesure 10 mètres sur 6 mètres. « Pas facile à caser chez soi ! » Ma mère a raison. David, premier peintre de l’Empereur en titre, avait mis trois ans pour «oublier» des gens qui étaient présents et en ajouter d’autres qui étaient absents, comme Letizia, la mère de Napoléon fâchée avec son fils. Sans parler du pape Pie VII qu’il avait fallu amener de force tellement il avait honte de son nom. Pourtant, c’est grâce à lui qu’il est passé à la postérité jusque dans les cafés, avec un coup interdit au baby-foot : la Pie VII souvent mal orthographiée en « pissette ». – Ne te moque pas du pape ! Pourtant, ma mère avait été la première à trouver ridicule qu’en l’an de grâce 1958, pour rénover l’Église, on nomme un Jean XXIII de 77 ans ! Celui-là, Napoléon n’aurait jamais osé l’attraper par le col. Bonaparte et Napoléon n’auront jamais 77 ans. Ils ont trop mal vieilli. Jeunes, ils ont fait la Révolution et vieux l’Empire. Avec tout le tralala : les titres, les costumes, les courbettes et le ridicule qui va avec. « La cour de Napoléon, c’était Versailles Empire ! » Monsieur Brulé avait dû écrire son jeu de mots au tableau pour qu’on le comprenne. Ma mère aimait bien « Madame Sans-Gêne », la femme du maréchal Lefebvre, duchesse blanchisseuse de Dantzig qui n’avait pas sa langue dans sa poche, même devant Napoléon. Ma mère avait vu la pièce de Victorien Sardou avec mes petites sœurs au Châtelet. Si mon père était devenu duc de Villemomble après la bataille du Raincy, j’aurais aimé être une petite souris pour entendre ma mère discuter avec Napoléon. Je sais la première question qu’elle lui aurait posée : T’as mangé, mon gars ? Même si je ne les aime pas, Bonaparte et Napoléon sont de grands hommes : surtout pour le Code civil (par un militaire!), la Légion d’honneur (que mes parents mériteraient), les défilés militaires (pourquoi y a-t-il toujours un petit chien joyeux pour les regarder passer ?) et… les batailles ! Il suffit de regarder la planche « L’empire de Napoléon » pour comprendre : on dirait le Guide bleu de la Route des batailles : Wagram, Austerlitz, Iéna, Leipzig, Eylau, Friedland, À droite : Le couronnement de Napoléon Ier.




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À gauche : L’école à l’époque de Jules Ferry.


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Verdun : les nouvelles armes.


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