Rock Français

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PHILIPPE MANŒUVRE PRESENTE

ROCKFRANÇAIS De NY JOHBNRUNES à BB ALBUMSS 111SSENTIEL E #


1964

JOHNNY HALLYDAY “JOHNNY, REVIENS ! LES ROCKS LES PLUS TERRIBLES”

A

l’été 1964, avant de partir sous les drapeaux, Johnny Hallyday relève le défi que lui a lancé son copain et rival Eddy Mitchell qui a présenté, en octobre 1963, un album incandescent, In London, voué à douze classiques du rock’n’roll. Montrer que l’on est toujours un pur rocker constitue pour les deux hommes une question d’honneur, de fidélité à un engagement tacite. D’ailleurs, en parlant de véritable profession de foi, celui qui a rédigé les notes au verso de la pochette a bien saisi la dimension religieuse du projet (le texte est signé Johnny, mais on soupçonne Lee, son cousin par alliance, d’en être l’auteur). Un album aussi glorieux se doit d’arriver sous une pochette ad hoc. Celle-ci est épatante, avec une photo en plongée, du balcon de l’Olympia, montrant Johnny poussant un cri primal, un bras tendu vers le public. Il est vêtu d’un ensemble en jean dont les revers au pantalon, découvrant des bottes noires, donnent le ton américain et fifties qui convient. Le nom du chanteur n’est pas mentionné, pas la peine… En revanche celui du groupe l’est, et pour une bonne raison : c’est vraiment le disque d’une équipe soudée, en osmose. Alors qu’Eddy est allé enregistrer à Londres avec des musiciens du cru, Johnny reste à Paris, fin avril-début mai 1964 (six jours en tout) au studio Philips du boulevard Blanqui, et s’entoure des Showmen qui l’ont si bien accompagné lors de sa récente série de concerts parisiens – ce dont témoigne Olympia 64, autre classique

du genre. Joey Greco, soliste recruté à New York comme son camarade bassiste, Ralph Di Pietro, mène le jeu. Le rythmique Claude Djaoui, de Marseille, et le pianiste suisse Marc Hemmler étaient déjà présents à l’époque des Golden Stars, le précédent groupe de Johnny. Le batteur anglais, Bobbie Clarke, s’est fait connaître au sein des Playboys de Vince Taylor. Son jeu spectaculaire ne craint pas la flamboyance des solos de guitare ni la puissance de la voix. Une large place est laissée aux morceaux de Little Richard et de Chuck Berry. En français, “Forty Days” donne “Rien que huit jours” et gagne en urgence. “Johnny, reviens !” (“Johnny B. Goode”) fait allusion au départ pour l’armée. L’introduction à la Berry, si caractéristique, fait démarrer le disque sur les chapeaux de roues. Les paroles de “Au rythme et au blues” (“Roll Over Beethoven”) sont moins drôles que celles de “Repose Beethoven” par Mitchell. (Et pourtant, il appert, quelques décennies plus tard, qu’elles sont également dues à Monsieur Eddy !) “Ô Carole” (“Carol”) fonctionne à merveille, comme un boulet de canon. Le texte imaginé par la jeune Manou Roblin, responsable de presque toutes les adaptations, colle avec la musique et Johnny se régale : Ô Carol/ Ne me regarde pas comme ça ! La fulgurante version des Stones, sur le premier album, est sortie en avril 1964, quelques jours avant ces séances… En revanche, leur “Susie Q” paraîtra plusieurs mois après la “Susie Lou” de

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Johnny ! Un indispensable salut au maître, Gene Vincent, est rendu avec “Franckie et Johnny”. Hallyday n’a jamais fait mystère de son admiration pour Presley et rentre dans “My Baby Left Me” (“Tu me quittes”) avec un naturel sidérant. Il retrouve trois morceaux qui figuraient déjà à son répertoire en 1959. “(Let Me Be Your) Teddy Bear” avait alors été adapté en “Ton petit ours en peluche”, supplique d’un dominé à sa maîtresse. La mouture de 1964, “Celui que tu préfères”, est plus sage. “Party” (“Oh ! Laisse-la partir”) était également interprété cinq ans auparavant, ainsi que “Ready Teddy” (“Belle”). Même si d’autres versions peuvent faire référence (on songe à Presley mais également à Vince Taylor), il s’agit évidemment d’un original du génial Little Richard, tout comme “Sally” (Long Tall Sally”). Les soufflants – Jean Tosan au saxo et Yvan Jullien à la trompette – sont d’une totale discrétion, à peine remarqués au cours de “Lucille”, qui doit plus aux frères Everly qu’à son compositeur, Little Richard. Laissant derrière lui cette bombe sonique, le rocker part faire son service. Une mise au vert (kaki) qui lui laisse le temps de composer les musiques de Johnny chante Hallyday, autre très beau disque, digne successeur des Rocks les plus terribles. JEAN-WILLIAM THOURY


1964

RONNIE BIRD “RONNIE BIRD”

A

vec un peu d’expérience, on peut sans trop se tromper juger un album à sa pochette. Ce n’est pas une provocation mais une réalité, et le Ronnie Bird peut servir de parfait exemple. D’abord, la coupe de cheveux. Toujours une indication capitale ! Ici, la frange lissée sur les sourcils annonce sans ambiguïté le fan de Brian Jones. Le petit pull en shetland sur la chemise à rayures blanches et roses trahit le Parisien dans le coup, style bande du Drug. La pose devant un store vénitien indique une exigence d’esthète. Le regard par en dessous comme la cigarette sont des marques d’insolence… Conclusion ? Nous sommes en présence d’un rocker moderne et élégant. La manière dont son nom est imprimé, en grosses lettres noires, rappelle le verso du premier Lp des Stones, qui sont ainsi confirmés dans le rôle de référents. Pourtant, aussi parlant soit-il, le décryptage du recto ne prépare qu’imparfaitement au choc que provoque la découverte du contenu, sa ferveur, son intensité ! Ronnie Bird a beau se présenter comme un artiste solo, sa manière est celle d’un chanteur de groupe. Ses orchestrations ne s’écartent pas de la formule magique guitare-basse-batterie, avec comme épices quelques interventions d’orgue, de piano ou d’harmonica. Cette discipline garantit un son uni, reconnaissable d’une plage à l’autre. C’est aussi, de surcroît, un passeport pour l’éternité puisque, comme il a été constaté à maintes reprises, la simplicité est la meilleure arme pour affronter les ans.

C’est une forme de justice, l’authenticité finit par payer… Si les arrangements sont brillants, c’est en grande partie grâce à un travailleur émigré, le guitariste noir américain Mickey Baker qui, en studio, a déjà joué pour Screaming Jay Hawkins, Ray Charles, les Drifters, entre de nombreux autres tout aussi prestigieux. La voix de Ronnie se fond dans l’accompagnement, ce qui n’est pas sans rappeler le parti pris de certains groupes anglais de cette époque, et l’effet est enthousiasmant. Le site américain allmusic.com définit Ronnie Bird, né Ronald Méhu en 1946, comme The best 60’s French rock singer. Pas moins. Cette accolade est probablement en grande partie due à un excellent niveau général ; d’une chanson à l’autre, la qualité et l’énergie sont constantes. La voix, juste et bien en place, se double parfois elle-même. Elle ne dramatise pas. Même dans les blues, quand les paroles sont naturellement plus tristes, Ronnie sait rester en retrait, sans froideur mais avec une distanciation chic, ne se départant jamais d’une distinction vraie, l’une de ses caractéristiques principales. Il est plus musicien que comédien. Nourri de rock anglosaxon, il interprète à sa manière des airs importés. Aux inévitables Stones, il emprunte « The Last Time » (« Elle m’attend ») et « Down Home Girl » (« Pour être à toi »), qu’avait créé Alvin Robinson. Comme eux fasciné par James Brown, il chante « Je voudrais dire » d’après « I’ll Go Crazy », également aux répertoires des Moody Blues,

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des Kingsmen, de Zoot Money et des Standells. « Don’t Bring Me Down » des Pretty Things se mue en « Tu perds ton temps » sans rien perdre de sa sauvagerie. Plus intéressé par la valeur intrinsèque des morceaux de référence que par leur placement dans le top, Ronnie aborde des thèmes relativement obscurs tels « Find My Way Back Home » des Nashville Teens (« Tu perds ton temps ») ; « Black Night » d’Arthur Alexander (« Tout seul ») ; « Sporting Life » de Brownie McGhee (« Ma vie s’enfuit »)… Même internationalement, « Come On Back » est désormais plus célèbre en français (« Où va-t-elle ? ») que par les Hollies ! Mickey Baker apporte deux compositions, « Je ne mens pas » et « On s’aime en secret » qu’agrémentent des interventions de guitare fulgurantes sur tempo survolté. En ce qui concerne les textes, l’équipe reste performante en s’appuyant sur Claude Righi, un auteur qui a parfaitement saisi les règles du jeu. De même que les lecteurs de Disco-Revue, le magazine français qui le soutient à bloc, de même Ronnie garde une tendresse pour le rock des pionniers et salue avec une sincérité indubitable la mémoire de Buddy Holly par « Adieu à un ami », judicieusement placé juste après une version de « Love’s Made a Fool Of You » (« L’amour nous rend fou »). Le tout forme un album vif, cohérent, fluide, intelligent, équilibré et smart… Un album stylé ! La pochette ne mentait pas : nous sommes en présence d’un rocker moderne et élégant. JEAN-WILLIAM THOURY


1968

SERGE GAINSBOURG “INITIALS B.B.”

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et album est la réunion de trois super 45 tours. En janvier 1966, Gainsbourg quitte définitivement les styles rive gauche, jazz et typique pour s’adonner à la musique beat qui a permis aux chevelus d’outre-Manche de conquérir la planète. On est dans le coup ou on ne l’est pas. C’est ce qu’il exprime très bien dans l’emblématique « Qui est “in”, qui est “out” ». Lui a choisi son camp et le proclame à grand renfort de guitare fuzzée ! Le texte multiplie les références à l’univers branché de l’époque, le Bus Palladium, club parisien dans le vent ; Barbarella, héroïne de bande dessinée incarnée au cinéma par Jane Fonda ; les P’tits Gars de Liverpool… Il a remplacé son orchestrateur habituel, Alain Goraguer, par un Anglais, Art Greenslade, qui lui assure le sound voulu. Le tempo ne faiblit pas quand arrive « Marilu », première incarnation de la Lolita que l’on retrouvera à maintes reprises dans l’univers gainsbourien. Laisser Paris pour Londres ne déplaît pas à celui qui se reconnaît snob, donc anglophile, notamment en ce qui concerne les cigarettes et les voitures. L’ambiance anglaise le pousse à se pencher sur le cas du Docteur Jekyll. Comment ne pas reconnaître dans cette parabole le cas de l’artiste lui-même, qui a tué sa première incarnation d’homme timide, complexé par son physique, pour devenir son contraire ? Les mots clés sont matraqués par des choristes à l’accent charmant, un procédé que Gainsbourg utilise à profusion. Sur la rythmique alerte, l’orgue électrique est

omniprésent. En matière de rock stricto sensu, l’artiste n’ira jamais aussi loin qu’avec le frénétique « Shu ba du ba loo ba » ! Trop occupé ailleurs, notamment par la comédie musicale Anna, Gainsbourg attend juillet 1967 pour faire sortir un nouveau disque, réalisé à Londres avec David Whitaker. Les quatre titres ont une consonance anglaise. Pour le public rock français, le tempo dans le vent, c’est alors celui du rhythm’n’blues façon Stax. Cela n’a pas échappé à la sagacité de Gainsbourg, qui l’adopte pour « Chatterton » (une liste de personnages qui se sont donné la mort), « Hold-up » (on n’y vole que des baisers), « Torrey Canyon » (inspiré par le naufrage d’un pétrolier, reportage écologiste et direct à la manière de Dylan quand il proteste). Le titre principal du recueil, « Comic Strip », bénéficie de la présence de Brigitte Bardot, qui se charge des onomatopées importées de l’univers de la bédé : Clip, crac, shibann, paho, blop, wizz… Les quatre morceaux font, parallèlement, l’objet d’une belle production signée Georgio Gomelsky, avec des guitares trop en retrait mais un généreux emploi de l’orgue à la Brian Auger et des parties de cuivre bien présentes. On découvrira ce travail en 1996, en bonus sur une réédition en CD. Avec B. B., Gainsbourg enregistre ensuite un vrai duo, « Bonnie and Clyde ». Selon son propre aveu, Bardot, c’est la Rolls. De leur histoire d’amour, il ne se remettra jamais totalement et cela lui inspire les fameuses

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« Initials B.B. ». La chanson est enregistrée à Londres avec l’aide d’Art Greenslade. Un reportage télévisé d’époque montre Gainsbourg en studio, travaillant sur la musique. Devant la caméra, il a soudainement l’inspiration pour cette fameuse orchestration qui caractérise le morceau… Les férus de musique classique ont dû bien rigoler en le voyant ainsi manipuler son monde, ce qu’il vient d’inventer étant tout simplement le premier mouvement de la « Symphonie no 9 » Du nouveau monde de Dvorak ! Cette petite guignolade ne retire rien au génie de Gainsbourg, qui a toujours su puiser à la bonne source, au bon moment, avec un discernement farouche et un savoir-faire plein de tact. Ne revendiquant ni authenticité ni crédibilité, il hume le vent de la mode et s’adapte en fonction sans pour autant passer pour un suiveur servile. Opportun plus qu’opportuniste. « Initials B.B. » sort en 45 tours, accompagné de trois autres r&b gainsbouriens, aux titres évidemment brittolâtres, « Bloody Jack » (sur un autre mythe anglais, Jack the Ripper), « Ford Mustang » (la voiture convoitée par les jeunes gens dans le coup) et « Black and White » (une jolie fable contre le racisme). « Initials B.B. » connaît suffisamment de succès pour donner son titre à un album composé des trois 45 tours en question. Ainsi réunis, ils constituent le disque le plus rock du grand Serge. JEAN-WILLIAM THOURY


1973

MAGMA

“MEKANIK DESTRUKTIW KOMMANDO” o werï wïsëhndo woraï. C’est par ces quelques mots de kobaïen, au-dessus d’un martèlement impressionnant et inquiétant, que démarre Mekanïk Destruktïw Kommandöh, troisième disque du groupe Magma, sans doute le plus abouti, le plus puissant, le plus dense et le plus célèbre. Mais qu’est-ce que le kobaïen ? Une langue inventée par le batteur, pianiste, chanteur et compositeur Christian Vander lorsqu’il fonde Magma, en 1969, deux ans après la mort du saxophoniste John Coltrane, à qui il voue une admiration sans bornes. Cette invention d’un langage décrivant un univers de science-fiction lui permet de travailler encore plus librement sur les sons et les rencontres musicales que ne l’aurait autorisé le français ou l’anglais. Batteur, il est fasciné par les rythmes du compositeur russe Igor Stravinsky et par la scansion des chœurs monumentaux de l’Allemand Carl Orff. Il réunit donc un aréopage de musiciens exceptionnels, venus du rock et du jazz : Klaus Blasquiz au chant, Claude Engel à la guitare, François Cahen au piano, Francis Moze à la basse et une section de cuivres avec Teddy Lasry, Richard Raux et Alain Charlery. Sous sa direction, ils enregistrent, sur Philips, un premier et double album simplement intitulé Magma, paru en 1970. S’ensuivent d’innombrables concerts à travers toute la France, en particulier dans le circuit des MJC (Maisons des Jeunes et de la Culture). En ces temps de rock libertaire et de communion avec le public, les prestations scéniques de Magma atomisent les spectateurs et les prennent à contre-pied par leur

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puissance phénoménale, leur architecture, leur apparence martiale et l’attitude provocatrice des Kobaïens (voir leurs tenues et leur manière de saluer). Cette musique originale surgie de nulle part, cet étrange rock qui ne ressemble à rien de connu, ses postures vaudront à Vander & Co des imprécations et des rejets violents, mais aussi un véritable culte voué par des adorateurs inconditionnels. On aime Magma de façon absolue ou on le déteste. En 1971, la sortie de 1001° Centigrades élargit encore le cercle des admirateurs, mais c’est deux ans plus tard, avec Mekanïk Destruktïw Kommandöh, que le groupe gagne vraiment en notoriété et en popularité. Enregistré au Manor Studio de Virgin et aux studios Aquarium à Paris, le disque est produit par Giorgio Gomelsky, un des personnages les plus étonnants des scènes rock françaises et anglosaxonnes. Il prit en charge un temps aussi bien la carrière des Rolling Stones que celles de Soft Machine et de Gong, managea et produisit les Yardbirds, Julie Driscoll… et créa plusieurs labels. En trois ans, la formation a beaucoup évolué, ce sera l’une des caractéristiques de Magma au fil des années, des dizaines de musiciens y ayant transité. Outre Vander, Lasry et Blasquiz sont toujours là. Sont arrivés : Claude Olmos à la guitare, Jannik Top à la basse, Jean-Luc Manderlier aux claviers, René Garber, clarinette et voix, et Stella Vander (oui, la jeune chanteuse d’« Un air du folklore auvergnat » à l’heure du yéyé et femme de Christian) qui dirige les chœurs. On pourrait commencer la description des différents morceaux par « Hortz Fur Dëhn

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Stekëhn West » et finir par « Kreühn Köhrmahn Iss de Hündin », mais, en réalité, bien qu’il ait lui-même subdivisé son œuvre, on prend l’ensemble comme un bloc, une météorite en pleine gueule. On l’affronte avant d’être totalement submergé par les déferlantes sonores et de s’y immerger. Toute résistance est broyée par la force percussive insufflée par Christian Vander, batteur inégalable, presque sans équivalent dans le monde. Les voix, omniprésentes, sont elles-mêmes utilisées comme des percussions au milieu d’instruments propulsés à des vitesses de plus en plus vertigineuses, à la recherche de la note suprême, peut-être ce long sifflement aigu qui précède le silence final. Personne n’en sortira indemne. Unique. Publié sur Vertigo, l’album bénéficie également d’une diffusion en Europe et aux États-Unis, ce qui lui permet, au-delà des ventes, qui restent relativement modestes, de se constituer un réseau de fans un peu partout dans le monde. Alternant périodes d’activité et mises en sommeil qui laissent du temps à Christian et à Stella Vander pour se consacrer à des projets parallèles, Magma est toujours bien vivant, d’autant qu’avec la création de Seventh Records les fans accèdent régulièrement aux nouveautés et à de nombreuses archives. Enfin, assister à un concert du groupe (quelle qu’en soit la composition) reste aujourd’hui encore une expérience à ne pas manquer. PHILIPPE THIEYRE


1974

JACQUES HIGELIN “BBH75”

J

acques Higelin n’est pas vraiment un nouveau venu lorsque sort, en 1974, ce BBH75. Après avoir fait ses débuts dans le monde du spectacle comme acteur, il se tourne vers la chanson grâce à ses rencontres avec le guitariste de jazz Henri Crolla, puis avec Pierre Barouh. Ses premiers enregistrements datent du milieu des années 60 et sont principalement consacrés à Boris Vian, avant de prendre une voie plus originale en compagnie du percussionniste Areski Belkacem et de la chanteuse Brigitte Fontaine pour trois productions sur le label Saravah. En dépit du (relatif) succès de titres comme « Cet Enfant que je t’avais fait », il ne jouit pas encore d’une énorme reconnaissance publique, se situant au confluent de la chanson à textes, qu’on qualifiait à l’époque de rive gauche, et de l’underground, qui expérimente toutes les formes de spectacle dans les années post-68, y compris dans des lieux inhabituels. S’impliquant à fond dans ces nouveaux modes de vie, il se retire un temps pour s’immerger dans la vie communautaire. Pour son retour discographique, BBH75 est un titre qui désigne simplement les trois musiciens présents : Simon Boissezon, responsable de la plupart des musiques, à la basse et à la guitare, un ancien membre du groupe Crouille Marteau de Jean-Pierre Kalfon ; Charles Benarroch, passé par Zoo et bien d’autres, aux percussions, et Jacques Higelin au chant. Gravé dans les studios Pathé, ce disque marque un changement radical pour celui-ci, aussi bien dans le look, cheveux courts, maquillage et blouson de cuir, que musicalement, un trio de rock électrique

en remplacement des cheveux longs, de l’allure baba et des instruments acoustiques. S’agit-il d’une sensation de végéter dans un style qui s’essouffle ? Du triomphe international du rock théâtralisé et urbain de David Bowie et de Lou Reed ? Ou de la fréquentation assidue de la bande de la Coupole avec Jean-Pierre Kalfon, l’acteur Pierre Clémenti, Valérie Lagrange ? Quoi qu’il en soit le résultat est là. La première chanson, « Paris - New York, New York Paris », dont les paroles évolueront au fil des concerts et des localités traversées, donne le ton et est suivie d’une pause à la structure plus proche de la chanson traditionnelle, « Cigarette », avant de repartir de plus belle vers le rock et des sonorités plus agressives, « Mona Lisa Klaxon » et « Chaud, Chaud, Bizness Show ». Rythmique de fer et guitare de feu, tout s’enchaîne sur un rythme binaire avec des intitulés coups de poing, « Est-ce que ma guitare est un fusil ? », « ŒsophageBoogie, Cardiac’blues », pour finir en apothéose sur « Boxon ». Les mots claquent comme les sons, sans perdre leur sens. C’est là que résident la force et l’originalité d’Higelin, cette capacité à savoir jouer avec les textes, à les modeler pour les faire s’accorder poétiquement, tout en les recrachant avec violence au milieu d’un furieux mur du son. Le résultat des ventes du disque n’affiche pas de prime abord des chiffres record, mais le chanteur, qui a conservé ses contacts, entame une série de concerts qui attireront de plus en plus de monde. Le groupe s’est étoffé et prend l’appellation de Super Goujats : après un intermède Jean-Pierre Kalfon, Boissezon

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retrouve sa place de guitariste aux côtés d’un nouveau venu, Louis Bertignac. Benarroch est remplacé par Patrick Giani. Certaines prestations laissent une impression indélébile sur un grand nombre de spectateurs, c omme celles de la Fête de l’Humanité ou du Pavillon de Paris à La Villette. D’autres fois, cela se passe moins bien. Le chanteur joue parfois les rock stars agressives ou les divas, et il lui arrive alors de quitter la scène après seulement quelques morceaux. Cependant, en général, ses shows énergétiques, à travers toute la France, lui valent d’élargir considérablement son public, d’autant qu’un nouvel et excellent opus, Irradié, en 1975, dans la lignée du précédent, conforte son image. Alors que Bertignac part fonder Téléphone, Higelin, de plus en plus en confiance, va prendre totalement en charge textes et musiques pour les disques suivants. Le rock s’y est adouci et le succès populaire devient de plus en plus considérable pour Alertez les Bébés, en 1976, et No Man’s Land, en 1978, avec des titres comme « Géant Jones », « Je veux cette fille », « Le Minimum », « Denise », « Pars », « Banlieue boogie blues ». Même si, à partir des années 80, le chanteur est revenu à une approche plus traditionnelle de la chanson, sans rien perdre de son énergie, BBH75 a profondément modifié le paysage à la fois de la chanson et du rock français, en faisant éclater les clivages. PHILIPPE THIEYRE


1977

TELEPHONE “TELEPHONE”

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n 1977, le punk français est mort. Les velléités anarchisantes des Métal Urbain, Guilty Razors, Stinky Toys, Asphalt Jungle et autres groupuscules sont tuées dans l’œuf par un clown belge. Plastic Bertrand, une épingle de nourrice habilement plantée à sa joue gauche, incarne aux yeux du grand public l’esprit de révolte censé animer le rock. Les Téléphone, de leur côté, récoltent le travail de défrichage de ce mouvement. Leur rhythm’n’blues aux réminiscences stoniennes séduit la classe adolescente, celle qui achète les disques, et leur premier 33 tours est le seul à véritablement marquer de son empreinte cette année-là. Deux ans plus tard, le 2 avril 1979 très exactement, paraît leur deuxième opus, intitulé “Crache Ton Venin”. Devenus les porte-parole d’une génération, leurs refrains vont faire le tour des cours de récréation. Faut dire que les médias sont déjà entièrement acquis à leur cause et que le public est devenu fidèle à la moindre de leurs apparitions. Même Jacky Berroyer leur consacre un livre, “Rock’n’Roll Et Chocolat Blanc”, et JeanMarie Périer un film, “Téléphone Public”. Le thème général de cette livraison tourne autour des problèmes de la puberté, ce mal de vivre que l’on ressent à quinze ans, lorsque le cocon familial devient par trop étouffant. “Mets tes patins, r’tire tes chaussures/ Attention tes mains sur les murs/ Ne t’assieds pas sur le canapé/ T’as les cheveux sales tu vas l’tacher/ J’suis parti d’chez mes parents/ J’en avais marre de faire attention” sonne un brin

démago. Quoi qu’il en soit, cette œuvre fait mouche. Elle se vend comme des petits pains, assurant aux quatre musiciens la pérennité de leur statut de rock-star. Le 5 novembre 1980, un double disque de platine leur est même remis pour les 500 000 ventes de “Crache Ton Venin”. C’est une grande première pour un groupe de rock français. Grâce à eux, ce genre dénigré va enfin pouvoir se réinstaller avec fierté dans le paysage audiovisuel hexagonal. Téléphone est plus qu’un simple groupe, c’est un phénomène qui incarne le renouveau d’un style, au même titre qu’un Jacques Higelin. Par la suite, Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac, Richard Kolinka et Corine Marienneau enregistreront de jolies choses (“Cendrillon”, “Le Jour S’est Levé”) mais plus jamais d’album conceptuel. Ils avaient au moins compris une chose, c’est que l’on ne peut rester jeune toute sa vie. Les velléités anarchisantes des Métal Urbain, Guilty Razors, Stinky Toys, Asphalt Jungle et autres groupuscules sont tuées dans l’œuf par un clown belge. Plastic Bertrand, une épingle de nourrice habilement plantée à sa joue gauche, incarne aux yeux du grand public l’esprit de révolte censé animer le rock. Les Téléphone, de leur côté, récoltent le travail de défrichage de ce mouvement. Leur rhythm’n’blues aux réminiscences stoniennes séduit la classe adolescente, celle qui achète les disques, et leur premier 33 tours est le seul à véritablement marquer de son empreinte cette année-là. Deux ans plus tard, le 2 avril 1979 très exactement,

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paraît leur deuxième opus, intitulé “Crache Ton Venin”. Devenus les porte-parole d’une génération, leurs refrains vont faire le tour des cours de récréation. Faut dire que les médias sont déjà entièrement acquis à leur cause et que le public est devenu fidèle à la moindre de leurs apparitions. Même Jacky Berroyer leur consacre un livre, “Rock’n’Roll Et Chocolat Blanc”, et Jean-Marie Périer un film, “Téléphone Public”. Quoi qu’il en soit, cette œuvre fait mouche. Elle se vend comme des petits pains, assurant aux quatre musiciens la pérennité de leur statut de rock-star. Le 5 novembre 1980, un double disque de platine leur est même remis pour les 500 000 ventes de “Crache Ton Venin”. C’est une grande première pour un groupe de rock français. Grâce à eux, ce genre dénigré va enfin pouvoir se réinstaller avec fierté dans le paysage audiovisuel hexagonal. Téléphone est plus qu’un simple groupe, c’est un phénomène qui incarne le renouveau d’un style, au même titre qu’un Jacques Higelin. Par la suite, JeanLouis Aubert, Louis Bertignac, Richard Kolinka et Corine Marienneau enregistreront de jolies choses (“Cendrillon”, “Le Jour S’est Levé”) mais plus jamais d’album conceptuel. Ils avaient au moins compris une chose, c’est que l’on ne peut rester jeune toute sa vie. JEAN-WILLIAM THOURY


1992

NOIR DESIR “TOSTAKY”

ù veux-tu qu’je r’garde ?” Toujours plus à l’Ouest. Dès le premier mini-LP, en 1987, la ligne d’horizon était toute tracée et depuis, les Bordelais n’ont cessé de fixer la mer, les yeux tournés vers le Nouveau Monde. C’est de là qu’est venu, par des chemins détournés, leur premier ange gardien, Théo Hakola, producteur et moteur, la main sur les manettes et le coup de pouce vers une maison de disques. La mer encore était là pour leur premier grand succès commercial et l’autre continent également, plus au sud, mais tous deux par erreur, via un “Aux Sombres Héros De L’Amer” transformé en “Sombrero De La Mer”. Qu’importe le lapsus, le succès, lui, n’avait rien d’une erreur. Plus dures à supporter furent les critiques injustes qui accompagnèrent l’album suivant, “Du Ciment Sous Les Plaines”, critiques s’attaquant aux paroles, par facilité et paresse.

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Un accueil médiatique mitigé, comme pour contrebalancer l’enthousiasme suscité par le précédent. Une méfiance déniée en bloc par le public, plus chaleureux que jamais. Mais une méfiance usante, comme les tournées trop longues et trop intenses. Autant d’éléments qui imposaient une pause. Né du doute ou de la confiance retrouvée, après une période de silence ressemblant à s’y méprendre à un split, “Tostaky” remet les pendules à l’heure. Glissée au détour de la chanson homonyme, une petite phrase, “Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien”, restera

le mot d’ordre de cet album foudroyant. L’air de rien, on le pose sur la platine, sans se douter... et ce n’est certes pas de la désinvolture qui saute à la gorge : une claque magistrale sur toute la ligne. Chacun a rechargé ses batteries dans son coin, laissé traîner ses oreilles dans différentes directions, accumulé les flashes. Puis ils ont vidé leurs bagages, mis les trésors en commun, amalgamé les souvenirs individuels pour se recréer une mémoire collective et tout recracher en vrac : les soirs de cuite, les champs de bataille d’une fille à soldats, les cordes décapantes façon tribu US, une excellente reprise d’un morceau des Nus... Longue attente avant de recommencer, les guitares ont enflé. Le son aussi. Ça se bouscule comme un trop plein d’énergie, jaillit brut et violent comme le sang d’une artère sectionnée, la fureur d’un torrent en crue, un flot de paroles et de décibels trop longtemps contenus. Les meilleures chansons du groupe, les plus abouties, sont ici alignées, qui prouvent un progrès constant et ajoutent à notre impatience d’entendre la suite. Toujours plus à l’Ouest. Dès le premier mini-LP, en 1987, la ligne d’horizon était toute tracée et depuis, les Bordelais n’ont cessé de fixer la mer, les yeux tournés vers le Nouveau Monde. C’est de là qu’est venu, par des chemins détournés, leur premier ange gardien, Théo Hakola, producteur et moteur, la main sur les manettes et le coup de pouce vers une maison de disques. La mer encore était là pour leur premier grand succès commercial et

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l’autre continent également, plus au sud, mais tous deux par erreur, via un “Aux Sombres Héros De L’Amer” transformé en “Sombrero De La Mer”. Qu’importe le lapsus, le succès, lui, n’avait rien d’une erreur. Plus dures à supporter furent les critiques injustes qui accompagnèrent l’album suivant, “Du Ciment Sous Les Plaines”, critiques s’attaquant aux paroles, par facilité et paresse. Glissée au détour de la chanson homonyme, une petite phrase, “Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien”, restera le mot d’ordre de cet album foudroyant. L’air de rien, on le pose sur la platine, sans se douter... Chacun a rechargé ses batteries dans son coin, laissé traîner ses oreilles dans différentes directions, accumulé les flashes. Puis ils ont vidé leurs bagages, mis les trésors en commun, amalgamé les souvenirs individuels pour se recréer une mémoire collective et tout recracher en vrac : les soirs de cuite, les champs de bataille d’une fille à soldats, les cordes décapantes façon tribu US, une excellente reprise d’un morceau des Nus... Longue attente avant de recommencer, les guitares ont enflé. Le son aussi. Ça se bouscule comme un trop plein d’énergie, jaillit brut et violent comme le sang d’une artère sectionnée, la fureur d’un torrent en crue, un flot de paroles et de décibels trop longtemps contenus. Les meilleures chansons du groupe, les plus abouties, sont ici alignées, qui prouvent un progrès constant et ajoutent à notre impatience d’entendre la suite.J H.M.


De NY JOHBNRUNES à BB ALBUMSS 111 SENTIEL ES #

ROCKFRANÇAIS

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