Volume 9 no 1 édition spéciale, féVrier 2010
L'Hôpital Rivière-des-Prairies,
l’Inter-Mission
situé dans le nord-est de l'ile
est publié par le
de Montréal, est un centre hospitalier de soins psychiatriques, d'enseignement et de recherche, affilié à l'université de Montréal. L'Hôpital offre des services spécialisés et surspécialisés en psychiatrie à une clientèle d'enfants et d'adolescents. Il offre également des
Sommaire
services surspécialisés à une clientèle d'enfants, d'adolescents et d'adultes présentant des pathologies
un amour pas comme les autres Entrevue avec Sylvie Lauzon
psychiatriques ou de sévères problèmes adaptatifs
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associés à une déficience intellectuelle, à un trouble envahissant du développe-
pour ne jamais mourir d’amour
ment ou à un autre trouble neurodéveloppemental
Rupture amoureuse et conduites suicidaires à l’adolescence
complexe.
et du partenariat de l'Hôpital Rivière-des-Prairies 7070, boul. Perras Montréal (Québec) H1E 1A4 514 323-7260 poste 2088 www.hrdp.qc.ca RéDActRIcE En cHEf Johanne Gagnon
RéDActEuRS Stéphane trépanier Jessica Lambert-fandal
RévISIon LInGuIStIQuE france Beaudoin
concEPtIon GRAPHIQuE Johane Roy
IMPRESSIon Imprimerie Héon & nadeau ltée
10 Dépôt légal : Bibliothèque nationale du Québec ISSn : 1705-4575
passion, compassion, érudition Entrevue avec le Dr André Masse
Les opinions émises dans l'Inter-Mission n'engagent en rien le conseil d'administration de l'Hôpital Rivière-des-Prairies.
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diagnostic : passionnément pédopsychiatre Entrevue avec la Dre Pascale Grégoire
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Service des communications
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tantôt manquant, tantôt envahissant, parfois fragile, mais jamais acquis, l’amour est essentiel, quel qu’en soit le mode d’expression. Le mois est propice, le sujet est vaste! un numéro spécial amour pour une publication comme celle-ci, est-ce osé? risqué? ou nécessaire? Dans le traitement de nos jeunes patients, l’amour est omniprésent. Dans le malêtre de certains jeunes que nous soignons, l’amour est omniprésent. Dans la dynamique familiale, dans la dynamique sociale, l’amour est omniprésent. Dans le soin que nous mettons à accomplir notre tâche, l’amour est omniprésent. Dans nos attitudes envers nos collègues, patrons et employés, l’amour est omniprésent. Alors oui, parler d’amour est nécessaire même, et surtout, dans un journal comme celui-ci! vous découvrirez dans cette édition spéciale du journal l’Inter-Mission, l’amour inconditionnel d’une mère, Sylvie Lauzon, envers son fils si différent. L’amour de la profession du docteur André Masse, celui de la docteure Pascale Grégoire pour ses patients, et finalement celui qui blesse et peut conduire à la détresse de l’adolescent fragile. ne mettez pas ce journal de côté… sans le retourner! car au dos y est publié un très beau poème, digne des plus grands artistes. créé par une jeune adolescente qui, l’espace d’un séjour chez nous, a laissé sa souffrance et son amour s’exprimer par des mots et de l’encre. Merci à cette jeune auteure de nous avoir laissé ce souvenir d’elle. Il ne me reste plus qu’à vous dire : Que l’amour et la passion vous accompagnent… tout au long de votre lecture!
JoHAnnE GAGnon cooRDonnAtRIcE DES coMMunIcAtIonS Et Du PARtEnARIAt / johanne.gagnon.hrdp@ssss.gouv.qc.ca
Éditorial
Johanne Gagnon Rédactrice en chef
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Entrevue avec
Sylvie Lauzon Par Stéphane trépanier
Le rôle de parent n’est pas facile à assumer en cette ère de vitesse et de productivité. Les responsabilités, l’éducation, les soins, la conciliation travail/famille, bref l’ensemble de l’œuvre a de quoi démoraliser le plus développé des instincts maternels. Quand s’ajoute à cet engagement la nécessité d’encadrer un enfant autiste qui exige une présence et une patience de tous les instants, qu’advient-il de cet amour, aussi inconditionnel soit-il? Il parvient souvent à s’épanouir malgré une route parsemée d’obstacles, comme une fleur de pavé. c’est la réalité que nous raconte sans faux-fuyant Sylvie Lauzon, mère de Marc-Antoine, son grand garçon différent. Marc-Antoine accompagne sa mère lors de l’entrevue.
Un amour
un beau grand garçon au regard allumé. De prime
inconditionnel… éprouvé
abord, rien ne le distingue des autres préadolescents. Il
« L’amour que je ressens pour Marc-Antoine est incon-
est poli, souriant, curieux et énergique comme le sont les jeunes de son âge. Puis, au fil de la rencontre, on remarque qu’il semble différent. une différence à la fois subtile et marquée. on dirait que certains traits de l’en-
ditionnel, mais il est beaucoup plus éprouvé que celui pour un autre enfant » raconte Sylvie Lauzon. « Je dis toujours que pour son grand frère de 19 ans, j’ai été une mère, alors qu’avec Marc-Antoine j’ai découvert que
fance et de l’adolescence sont plus accentués. Durant
je pouvais être une bonne mère. Même si c’est particu-
l’entrevue, il manifeste son impatience, ce qui au de-
lièrement difficile à certains moments. Marc-Antoine pré-
meurant est parfaitement normal à cet âge, mais avec
sente des réactions sur lesquelles il n’a absolument
une insistance et un acharnement qui dépassent l’at-
aucun contrôle. En une fraction de seconde, il peut de-
tendu. Il frétille sur sa chaise et le premier « est-ce que
venir extrêmement anxieux ou violent. Ça dépasse de
c’est fini? » arrive à peine après cinq minutes. Il parsème
loin tout ce que j’ai vécu dans mon existence. Il y a un
aussi la rencontre de réactions d’une étonnante spon-
coefficient de difficulté parentale très élevé et je n’y étais
tanéité. Parfois très virulentes, parfois hors propos, par-
pas préparée. c’est le défi relationnel le plus grand que
fois d’une grande justesse, ses remarques et ses
j’ai connu dans ma vie. »
questions fusent comme si tout ce qui lui passait par l’es-
Marc-Antoine est un autiste de haut niveau, diagnosti-
prit n’était pas filtré. on commence à prendre la mesure
qué à l’âge de trois ans. Il a une intelligence normale,
de l’énergie qu’il faut déployer pour encadrer un Marc-
sinon supérieure sous certains aspects, et de bonnes ca-
Antoine si paradoxal, aussi dissipé, imprévisible qu’atta-
pacités d’apprentissage. toutefois, ses comportements,
chant. un aperçu de ce que Sylvie Lauzon vit tous les
sa façon de comprendre le monde qui l’entoure et de
jours depuis 12 ans.
communiquer sont différents et, pour le commun des PAGE 5
mortels, déroutants. Surtout lorsqu’il doit entrer en relation avec les autres. « Au début, le diagnostic ne m’a pas bouleversée. À deux ou trois ans, il avait l’air d’un enfant comme les autres, sauf qu’il ne parlait pas beaucoup. J’ai vécu les premières années dans l’urgence de le stimuler et de comprendre ce dont il avait besoin pour se développer. Ma priorité était qu’il apprenne à parler. À partir de là, pour moi, il était sauvé » raconte Sylvie Lauzon. « Aujourd’hui, il n’a aucun problème à s’exprimer. Au contraire. Il est très bon en français. En bas âge, ça allait donc relativement bien. L’entrée à la maternelle a été un peu plus difficile à cause des relations sociales, mais sans plus. c’est davantage vers sept ou huit ans que les comportements sont devenus problématiques. À ce moment, j’ai réalisé que le reste de sa vie et de la mienne allait être un grand défi. Aujourd’hui, je vis un peu toujours en me disant qu’il y a une crise qui va arriver. c’est dans cette perspective que je fonctionne depuis près de trois ans et plus particulièrement durant la dernière année. » Aimer une petite bombe Sylvie Lauzon aime une bombe à retardement à la mèche courte qui saute souvent. « La plupart du temps
en 2008-2009, Marc-Antoine devait être retiré de la classe parce que la simple présence des autres le dérangeait et le rendait agressif. Il a aussi continuellement besoin d’être rassuré. Il vérifie souvent où je suis dans la maison et m’appelle la nuit pour se calmer. Je réponds et il se rendort. PAGE 6
ces temps-ci, il panique facilement. Au moindre bruit d’auto, il se cache. Quand il cherche un objet et ne le trouve pas, il peut paniquer instantanément. tout ce qui représente un effort est également difficile pour lui. comme s’il avait une peur viscérale de ne pas réussir, une résistance nettement exagérée aux tâches. Mais quand il se décide, le travail est généralement très bien fait. Pour ajouter au tableau, il y a la préadolescence qui s’installe depuis peu » explique Sylvie Lauzon. toutes ces préoccupations n’altèrent pas l’amour qu’elle ressent pour son fils, mais elles le mettent à l’épreuve… jusqu’à la prochaine réconciliation avec les joies de la vie de famille : « Les frontières sont difficiles à négocier quand par la force des choses on devient le thérapeute de son enfant. on ne ressent pas nécessairement davantage d’amour pour un enfant différent, mais on réalise que l’amour inconditionnel, c’est vraiment un puits sans fond. Je me couche découragée, épuisée, en me demandant comment je vais faire demain. Et miraculeusement, le lendemain, je me lève et les batteries sont rechargées », dit-elle. car heureusement, il y a un équilibre qui peut s’installer même dans l’adversité. Pourvu que la mère soit à l’écoute de la femme et de ses besoins. Rester quelqu’un un des dangers qui guettent les parents d’un enfant différent, c’est de s’oublier en tant que personne. « La meilleure preuve d’amour que je peux donner à mon fils différent, c’est de continuer à me réaliser. Il me faut
rester quelqu’un. Si, parce que MarcAntoine a plus de besoins qu’un autre, je néglige qui je suis, que je fais toutes les concessions à mon détriment, je ne l’aiderai pas à se construire. ce n’est pas facile, mais je mène ma carrière et ma vie de famille de front. Les enfants, quand ils regardent les adultes, ont besoin de voir des gens heureux qui se réalisent. c’est le meilleur exemple à leur donner. J’ai évidemment fait des compromis, mais je n’ai pas tout mis de côté. Il faut dire toutefois que je me suis un peu isolée. Mais aussi étrange que ça puisse paraitre, mon salut à moi est passé par cet isolement. Quand ça va mal, j’ai naturellement besoin de dormir en fœtus et de me replier sur moi. Je suis une solitaire qui s’écoute. J’aime lire, peindre, ça me fait du bien et c’est plus facile à organiser qu’une partie de volleyball à 12 personnes! » L’important étant de se préserver un espace à soi. Faire confiance malgré la différence Pour n’importe quel parent, il y a le réflexe de la surprotection qui plane au-dessus des bonnes intentions. Dans le cas d’un enfant vulnérable, le risque est encore plus grand de le serrer si fort contre son cœur que l’amour vient à l’étouffer. un péril dont se méfie Sylvie Lauzon : « Même
si je vis parfois un peu en symbiose avec mon fils, je considère que trop aimer, c’est davantage du contrôle que de l’amour. Mettre au monde un enfant, c’est avoir envie de le voir grandir, se développer et devenir à sa façon la personne qu’il est.
Sylvie Lauzon est marraine de la fondation les petits trésors de l’Hôpital Rivière-des-Prairies, animatrice, journaliste et mère de Marc-Antoine, 12 ans.
Le principe vaut autant pour Marc-
rendu compte que les thérapeutes
nir camionneur et de fonder sa propre compagnie de transport. Peu d’enfants de son âge ont les rêves aussi assumés, c’est admirable. »
avaient beaucoup moins d’à priori
Pas toujours visible,
Antoine. Il me faut faire attention pour ne pas le surprotéger. Je me suis
que moi quant à ses capacités et son autonomie. c’est moi qui avais des limites, parce qu’au fond, il est capable de plein de choses. c’est plus difficile de le laisser voler de ses propres ailes que pour mon plus vieux. Mais c’est nécessaire ».
« Il me faut ne pas regarder
Marc-Antoine est bourré de talent, de
trop loin en avant.
soupçonnées. Il n’est pas qu’une
une semaine, un jour, parfois
source d’inquiétude. Il est avant tout
une heure à la fois.
une source de fierté pour sa mère :
Marc-Antoine est brillant, mais son comportement, s’il ne
qualités et de capacités parfois in-
« À 11 ans, il a relevé plus de défis
que la plupart des adultes. Souvent, on lui demande des choses que des
parvient pas à l’améliorer,
hommes murs sont incapables de
pourrait le limiter dans ses
faire. Je lui demande par exemple
choix. À certains moments,
d’apprendre à reconnaitre les signes en lui qui annoncent qu’une crise s’en
c’est comme s’il n’y avait pas
vient. Je suis certaine que plein de
moyen d’accéder à sa tête.
gens dans la vingtaine sont loin
Alors, je dois lâcher prise et cesser d’imaginer qu’il pourrait devenir quelqu’un d’autre. Me libérer du sentiment d’échouer s’il n’emprunte pas le chemin de mes ambitions pour lui. Me centrer sur nos
d’avoir ses capacités d’introspection. Il a aussi une connaissance encyclopédique de plein de sujets et un très large vocabulaire. Il reconnait tous les véhicules et s’oriente sur toutes les routes. Avec lui, je ne suis jamais perdue. c’est mon GPS personnel. c’est aussi un excellent observateur. Il cerne bien les personnalités. Il me fait
nombreux bons moments.
souvent le portrait fidèle d’une per-
c’est beaucoup mieux ainsi,
sonne qu’il vient de rencontrer. J’ai
pour lui et pour moi.
»
aussi la chance qu’il soit très affectueux, ce qui n’est pas une caractéristique courante pour un autiste. Ça m’aide beaucoup. Il caresse aussi de beaux projets. Il a l’ambition de deve-
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pas toujours comprise Avec un enfant autiste, les apparences sont souvent trompeuses. À première vue, l’observateur non aguerri ne remarque pas la marginalité d’un Marc-Antoine. Même les proches s’y laissent prendre, constate Sylvie Lauzon : « Des fois, on me fait
sentir que j’exagère. un moment donné, je racontais à un collègue les difficultés que Marc-Antoine avait à l’école. Il m’a répondu que son fils non plus n’aimait pas certains professeurs et que c’était normal. Sauf que le sien ne les frappe pas. Elle est là la différence! Marc-Antoine a l’air d’un enfant adorable quand on le rencontre. Alors, ça génère beaucoup d’incompréhension. Ma famille l’a bien accepté, mais ça n’a pas toujours été évident. Je me rappelle qu’il se faisait un peu ridiculiser et mettre de côté par ses cousins et cousines. Il a fallu que j’organise une réunion de famille pour expliquer les choses. Mon propre père s’est réellement rendu compte des difficultés que je vivais le jour où il a été témoin d’une crise. Après, il m’a proposé, à 73 ans bien sonnés, de prendre Marc-Antoine une fin de semaine par mois pour me donner du répit ». un geste admirable qui ajoute mensuellement du silence bien apprécié dans une maison ordinairement agitée. Avec un diagnostic d’autisme, il faut provoquer les discussions pour élargir la compréhension.
Des spécialistes à l’écoute
Un enfant autiste ça change le
tiques, elles-mêmes très variables
Heureusement, les connaissances
monde, sauf que…
d’un individu à l’autre. Mais elle
en autisme évoluent et la compré-
Les enfants différents ont souvent
hension du phénomène s’affine.
cette capacité de faire grandir leurs
Dans l’entretien du lien filial, les spé-
proches en même temps qu’eux.
cialistes sont d’un précieux secours
Sylvie Lauzon est reconnaissante
pour épauler une mère en quête
envers son grand garçon qui lui
de conseils et de réconfort. ne se-
fournit, pas toujours sans essouffle-
rait-ce que pour continuer la route
ment, des occasions hors du com-
sans se buter aux questions en sus-
mun de se dépasser : « Ça me fait
pend qui minent la meilleure des
grandir à la vitesse de l’éclair. Je me
bonnes volontés. La mère de Marc-
dis que si je suis capable d’amélio-
Antoine s’estime chanceuse d’être
rer ma propre façon d’être, ça va
si bien soutenue : « Même si le
inévitablement l’aider. Je frappe tel-
croit fermement aux vertus de l’ouverture face à ces êtres différents qui, hélas, sont fréquemment considérés à partir de leur diagnostic plutôt que leurs traits de personnalité individuels. Heureusement, l’amour maternel possède une excellente capacité de discernement. « Marc-
que je suis une bien meilleure per-
Antoine a tendance à voir les choses un peu négativement et j’avoue qu’il en a hérité de moi. Le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre. Je ne peux donc pas tout attribuer à l’autisme. Je me reconnais en lui, comme n‘importe quelle mère avec son enfant, mais à la puissance 10 à cause de son état. Avec les années, je tente de demeurer vigilante afin de toujours accueillir Marc-Antoine comme une personne à part entière. car il est facile de projeter ses propres peurs dans son enfant, surtout s’il est différent. va-t-il être capable de vivre sans moi, de travailler, de réaliser ses rêves? Il faut que je me libère du sentiment d’échec s’il n’accomplit pas ce que je projette pour lui. Parce que derrière le diagnostic, il y a quelqu’un. Il y a une personne spéciale que l’on devrait toujours considérer. Bien avant sa maladie ».
sonne grâce à lui ».
Puis, Sylvie et Marc-Antoine ont ter-
Au-delà du diagnostic, il y a un
miné l’entrevue. Marc-Antoine po-
d’obtenir des réponses rapidement.
être humain unique
sant mille-et-une questions sur
En situation de crise, sa présence
Sylvie Lauzon n’est pas du genre à
l’appareil photo qui allait immortali-
est indispensable ». L’amour n’étant
prodiguer des conseils aux parents
Dr Mottron* est une sommité, mes
lement souvent des murs que je
observations sont importantes pour
vois bien où sont mes limites. J’ap-
lui. c’est apprécié parce que je me
prends à les contourner, les sur-
suis toujours considérée être la spécialiste de mon fils. Le médecin connait davantage de choses sur l’autisme, mais je suis la meilleure personne pour interpréter certains des comportements que j’ai vus à répétition. Le Dr Mottron considère que ce que j’amène en consultation a de la valeur. Ça n’a pas toujours été le cas avec les spécialistes que j’ai croisés, et j’en ai rencontrés beaucoup. J’apprécie énormément ce partage. Sans compter l’apport de claudette Poupart, l’infirmière pivot de l’équipe des troubles neurodéveloppementaux de l’Hôpital Rivière-des-Prairies, qui est d’une disponibilité exemplaire. Ça permet
monter, les dépasser. Moi qui voyais toujours le verre à moitié vide, je profite aujourd'hui davantage des bons moments. Le bonheur n’est pas au bout du chemin; il est ici et maintenant. Je ne vois plus non plus la performance de la même manière. c’est quoi au fond réussir? Ça m’a beaucoup apaisée au travail, parce que je me mettais beaucoup de pression pour arriver au sommet. un enfant autiste, ça relativise les priorités. Je prends la vie différemment et c’est MarcAntoine qui me l’a appris. Je pense
pas un sentiment désincarné, au-
d’enfants autistes, jugeant que
dessus des perturbations qui peu-
chaque situation est particulière
vent lui casser l’élan.
malgré les similitudes symptoma-
ser leur visage côte à côte. visiblement heureux d’être ensemble.
* Le Dr Laurent Mottron est médecin et chercheur au Programme des troubles neurodéveloppementaux de l’Hôpital Rivière-des-Prairies
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Rupture amoureuse et conduites suicidaires à l’adolescence
Par Stéphane trépanier
Dans les conduites suicidaires des adolescents, la rupture amoureuse est souvent invoquée pour expliquer leur désespoir. Les jeunes qui reçoivent des services de la clinique des troubles de l’humeur (ctH) de l’Hôpital Rivière-des-Prairies n’échappent pas à la tendance. Est-ce à dire que l’on doit davantage se méfier de la gravité des blessures qu’infligent les flèches de cupidon avant l’âge adulte? visite guidée au pays de l’amour souffrant et des enjeux de la rupture amoureuse à l’adolescence en compagnie du Dr Réal Labelle, psychologue à la ctH et professeur titulaire au Département de psychologie de l’université du Québec à Montréal. Les premières amours sont-elles nécessai-
détachement d’une relation dans laquelle
rement kamikazes à l’âge de l’estime de soi
on avait fondé beaucoup d’espoir. Et tout
fragile et des émotions à fleur de peau?
comme le deuil, elle comporte différentes
faut-il craindre alors pour la vie des ado-
étapes. Ainsi, la majorité des jeunes en-
lescents éconduits? Heureusement, la plu-
deuillés du cœur vivront un état de choc
part du temps, bien sûr que non. La très
(hébétude, protestation), un état de dé-
large majorité des jeunes en peine
prime (tristesse, impuissance) et un état de
d’amour, malgré une douloureuse visite
restitution (intégration de la perte, retour
au pays du romantisme, se remettra sur
au bienêtre). » un processus confrontant,
pied une fois les pleurs évacués. Plus so-
mais à la conclusion heureuse qui s’impo-
lide et plus mature qu’avant. Appelons
sera d’elle-même à l’intérieur d’une pé-
cela le dur apprentissage de la vie. un pas-
riode d’environ deux mois. Pour une
sage obligé et nécessaire puisque le pre-
minorité malheureusement, la démarche
mier amour est rarement le dernier. c’est
s’annonce plus souffrante et plus longue.
généralement la première grande peine
Au point de compromettre l’intégrité de la
qui, néanmoins, se vivra sans consé-
personne, explique le Dr Labelle : « Dans
quence irrémédiablement dramatique,
ces cas difficiles, la peine d’amour ébranle
À la clinique des troubles de l’humeur, les
même si nous convenons tous du pénible
sérieusement le fonctionnement, voire l’or-
adolescents qui consultent vivent de nom-
tourment que cette expérience impose
ganisation interne de l’individu. Dès lors,
breuses pertes relationnelles, parmi les-
aux apprentis amoureux. Pour certains
il y a effondrement soit du fonctionne-
quelles les ruptures amoureuses occupent
ment psychique, du fonctionnement émo-
une place significative. À cet égard, le
tionnel ou même des deux simul-
Dr Réal Labelle soutient qu’une association
tanément. Et il peut s’en suivre des
significative a été observée entre les idéa-
Selon le Dr Labelle « une rupture amou-
conduites suicidaires »
tions suicidaires et la rupture avec un(e)
reuse, c’est en quelque sorte un deuil, le
fres… encourageants).
jeunes toutefois, l’épreuve est plus difficile. Du normal au pathologique
(voir : Quelques chif-
Un déclencheur, mais pas la cause une peine d’amour n’est pas la cause des conduites suicidaires, mais elle en est souvent le déclencheur, soutient Réal Labelle: « Il faut comprendre que derrière un geste
aussi excessif qu’une tentative de s’enlever la vie, il y a habituellement un jeune vulnérable qui présentait, bien avant la rupture amoureuse, d’importants facteurs de risque. facteurs de risque qui se révèlent dans le contexte d’une relation affective intense. » comme si le coup de foudre mettait à jour la fragilité de fondations déjà largement fissurées
(voir : Des facteurs qui in-
teragissent).
ami(e) dans une étude menée en milieu PAGE 11
pandu et déterminant à considérer dans
est tout de même propice à la résurgence d’une souffrance intense au moment de l’apprivoisement de l’amour et de la découverte de la sexualité. une souffrance qui se vivra différemment selon le sexe
le désarroi de certains jeunes1.
(voir : Les différences entre les filles et les garçons
scolaire en 2008. De surcroit, plus la rupture était récente, plus son impact était grand. ce qui tend à confirmer qu’il s’agit bel et bien d’un facteur précipitant ré-
Dans ce contexte, la ctH accueille deux
face à la rupture amoureuse).
types de jeunes. Le premier groupe est
Trop de stress en même temps
plus hypothéqué et présente à la fois un
L’autre catégorie qui consulte à la ctH regroupe des adolescents aux assises psychiques plus solides, les liens d’attachement étant moins problématiques, mais qui ont à composer avec d’innombrables stresseurs. n’étant pas encore bien équipé pour affronter l’adversité, l’adolescent qui vit par exemple en même temps la séparation de ses parents, un déménagement, des difficultés scolaires…, présentera une vulnérabilité situationnelle importante. Si de surcroit la rupture amoureuse survient à ce moment charnière, la relation amoureuse représentant le refuge affectif par excellence, le fragile équilibre peut basculer vers un état de crise. Les circonstances modifiant dangereusement le rapport de force entre les facteurs de risque et les facteurs de protection (voir article de l’Inter-Mission, volume 8, numéro 1, disponible sur le site Internet de l’HRDP : www.hrdp.qc.ca).
dysfonctionnement psychique et émotionnel dans lequel l’organisation de la personnalité est affectée. Il représente plus de la moitié des jeunes qui consultent. Le deuxième groupe présente un dysfonctionnement psychique, victimes situationnelles de circonstances de vie devenues soudainement éprouvantes et caractérisées par un haut niveau de stress. Des failles dans l’attachement « La première cohorte se caractérise gé-
néralement par un déficit dans les rapports d’attachement. Issus de milieux souvent désorganisés, abusifs, invalidants, conflictuels, ces jeunes malaimés peinent à établir des relations interpersonnelles saines et équilibrées. Si dans l’enfance ils n’ont pas développé des liens d’attachement relativement sécures avec leurs parents, fondements de la confiance en soi, il est fort à parier que leur réaction aux premiers échecs amoureux sera amplifiée. Les situations de rejet étant vécues d’une façon extrêmement pénible » explique Réal Labelle. Dans leur cas, la rupture ramène en quelque sorte à la surface le sentiment intolérable de leur piètre valeur. ce sentiment teinte la plupart de leurs relations avec les autres, avec au premier chef celles qui mettent en jeu les rapports d’intimité. évidemment, cette vulnérabilité ne conduit pas systématiquement jusqu’à un comportement suicidaire, mais le terreau PAGE 12
La couleur de l’adolescence L’adolescence n’est pas à proprement dit à l’origine des conduites suicidaires. Il n’y a pas de gênes potentiellement funestes qui s’activent à la puberté. Mais les caractéristiques de cet âge transitoire peuvent alimenter un feu qui couve. « c’est entre autres l’étape de la quête identitaire, caractérisée par des questionnements sur la capacité à séduire autrui. La sensibilité à l’opinion et au regard des autres, surtout de ses pairs, en est décuplée. Les blessures
à l’amour propre n’en sont que plus vives. Les mécanismes adaptatifs, peu évolués faute d’expériences antérieures, n’offrent pas non plus la protection de ceux d’un adulte accompli » explique Réal Labelle. Il importe alors d’entourer l’adolescent d’oreilles attentives et d’épaules réconfortantes pour l’aider à faire la part des choses au milieu des tumultes de l’amour. Parents, réseau d’amis, mentors et autres personnes significatives peuvent jouer un rôle déterminant et salvateur dans les circonstances. L’isolement étant contrindiqué pour le jeune éclopé du cœur, surtout s’il présente des facteurs de risque. Quant à l’impulsivité que l’on associe généralement à l’adolescence, il n’est pas clairement établi qu’elle marque autant qu’on le suppose cette période de la vie. Mais ce qui est néanmoins documenté, c’est que les adolescents aux traits impulsifs sont à surveiller, prompts qu’ils sont à réagir inconsidérément à un état de détresse. Attention à la fusion Autre danger à ne pas négliger : les rapports fusionnels. Selon le Dr Labelle, lorsque l’espace individuel est littéralement envahi par le jeune couple, au point de reléguer activités, famille et amis dans un coin reculé de l’agenda, le choc de la chute à la rupture n’en sera que plus dommageable. D’abord parce que le surinvestissement dans une seule relation lui donne une importance démesurée. Le vide créé par l’absence sera nécessairement immense, tout comme le vertige qu’il ne manquera pas de susciter. Ensuite, en mettant tous ses œufs dans le même panier, l’adolescent compromet sa capacité de recourir à ses facteurs de protection au moment du désarroi, notamment
en ayant repoussé son réseau de soutien
désir de vivre. ces facteurs touchent les di-
peut alors s’amorcer. À tout petits pas.
en marge de sa vie. L’avertissement vaut
mensions individuelle, familiale et sociale
Mais déjà la menace plane moins.
particulièrement pour ceux qui, ayant hé-
de chacun. Que ce soit en renforçant son
rité d’une faible estime de soi, auront le ré-
réseau de soutien, en valorisant ses com-
flexe de vouloir remplacer le parent
pétences personnelles ou en abordant ses
ce n’est pas tant dans l’apprentissage de
absent. Parce que carencés en affection et
valeurs, on espère rétablir l’équilibre entre
la rupture amoureuse que dans le
en valorisation parentale, leur appétit in-
les facteurs de risque et de protection à
contexte dans lequel il s’inscrit, que se
satiable se tournera vers ce nouvel objet
l’avantage de ces derniers. cela vaut au-
loge le péril des conduites suicidaires à
d’amour qui, on s’en doute, sera difficile à
tant pour les deux clientèles de la ctH.
l’adolescence. Alors que la première
car d’autres tempêtes il y en aura, prédit
flamme se pointe à l’horizon, peut-être est-
rassasier. À ce stade, les conflits et l’échec amoureux sont presque écrits dans le ciel. La douleur est annoncée et le drapeau rouge est levé. Et contrairement à la croyance répandue, l’instigateur de la rupture n’est pas nécessairement plus à l’abri d’une évolution problématique que celui ou celle qui la subit. car habité par des sentiments partagés, se considérant responsable de la tristesse de l’autre, en plus de la sienne, et sujet aux jugements d’autrui, l’instigateur de la rupture pourra
Réal Labelle : « nous travaillons simultané-
ment sur les symptômes de la dépression, les traits de personnalité et les habiletés
le feu aux poudres. une poudre explosive
tion est le développement des habiletés
constituée d’évènements de vie perturba-
personnelles de chacun à vivre l’adversité
teurs et marquants, hélas pas toujours vi-
sans s’écrouler. comme pour la fable du
sibles au premier regard.
pêcheur, on leur apprend à pêcher plutôt qu’à attendre l’arrivée du poisson tout
timents négatifs que la personne laissée.
ment, c’est une tâche intensive, mais Tomber en amour…
relativement circonscrite dans le temps.
et s’en relever
ces patients présentant des fondations
Depuis 2005, la clinique des troubles de
psychiques solides. Mais pour le deuxième
suicidaires. Elle ne traite pas spécifiquement les peines d’amour. un évènement
Dans le cas des jeunes en peine d’amour
rien négliger. Mais notre cible de prédilec-
jeures au plan des rapports d’attache-
vention auprès des jeunes dépressifs et
pas saturée de vapeurs inflammables. suivis à la ctH, disons que l’étincelle a mis
cuit. Pour les jeunes sans atteintes ma-
s’est forgée une solide expertise en inter-
il prudent de s’assurer que la pièce n’est
personnelles. Dans ce combat, il ne faut
éprouver autant sinon davantage de sen-
l’humeur de l’Hôpital Rivière-des-Prairies
Une étincelle et du combustible
groupe avec des atteintes importantes au plan des rapports d’attachement, c’est une
« un désespoir d’amour n’est éternel que
si l’on meurt tout de suite » disait le dramaturge Jacques Deval2. Preuve que la peine d’amour est en soit une affection bénigne qui n’est préoccupante qu’en fonction de conditions associées. on s’en sort généralement bien en quelques semaines. Mais si ça se complique, alors il faut chercher de l’aide au plus tôt.
tâche plus ardue. on tente aussi d’outiller ces jeunes, mais avant même d’aborder le processus de changement, il faut obliga-
certes éprouvant, mais un parmi la longue
toirement prendre le temps de tisser un
liste des déclencheurs potentiels. Quand
lien de confiance, un fil à la fois. une dé-
l’amour frappe dans la zone des pensées
marche à plus long terme ». car ces
de mort, l’équipe de la ctH explore les
jeunes sont des écorchés relationnels, mé-
motifs sous-jacents à cette réaction ex-
fiants comme des bêtes sauvages blessées.
trême et tente d’équiper le jeune pour
Hypersensibles au moindre indice de ce
que, la prochaine fois, il soit à même d’ab-
qu’ils interprètent comme un geste de
sorber le choc sans en appeler au pire des
rejet. Le thérapeute est donc très soucieux
scénarios. comment? En l’aidant à déve-
d’établir un lien affectif avec le jeune. ce
obtenus avec l’aide de c. Berthiaume.
lopper notamment ses facteurs de protec-
n’est qu’une fois que ces jeunes se sentent
2. Jacques Deval, dramaturge, scénariste et
tion. Sentinelles de garde au service du
compris et acceptés que la métamorphose
réalisateur français (1892-1972)
1. ces résultats secondaires sont tirés de deux études menées par J.J. Breton, R. Labelle et collaborateurs à la ctH et ont été
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Quelques chiffres... encourageants tirés des statistiques du centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie
Entre 1976 et 2000, on estime que le suicide chez les adolescents âgés de 15 à 19 ans a augmenté de près de 100 % avec des taux allant de 9,7 à 18,2 pour 100 000 (St-Laurent et Bouchard, 2004). toutefois, des données récentes font état d’un revirement de la situation avec une diminution du taux de suicide de près de 50 % entre 2000 et 2007. Le groupe âgé de 15 à 19 ans serait celui qui enregistre la plus forte diminution du taux de suicide si les données provisoires de 2006 et 2007 se confirment (Gagné et St-Laurent, 2009). Même si le taux de décès par suicide est nettement plus élevé chez les adultes que chez les adolescents, le suicide constitue la deuxième cause de mortalité chez les jeunes Québécois. En 2006, il représentait 16,5 % de l’ensemble des décès chez les jeunes âgés de 15 à 19 ans (Institut de la Statistique du Québec, 2009). Les décès par suicide sont plus fréquents chez les garçons que chez les filles (taux de 14,5/100 000 comparativement à 3/100 000) (Gagné et St-Laurent, 2009), mais les filles présenteraient un taux deux fois supérieur aux garçons pour ce qui concerne les tentatives de suicide (221/100 000 comparativement à 87/100 000 en 1998-1999) (Langlois et Morrison, 2002).
Des facteurs qui interagissent chercheurs et intervenants s’entendent sur le fait que les conduites suicidaires s’expliquent par une multitude de facteurs qui interagissent entre eux, à un moment critique de la vie de l’adolescent. ces facteurs sont habituellement classés en quatre catégories :
1 Les facteurs prédisposants rendent le jeune vulnérable. Ils sont de trois ordres :
a Facteurs personnels, comme les troubles psychiatriques, les tentatives de suicide antérieures, les deuils non résolus, etc.
b Facteurs familiaux, comme les antécédents familiaux de suicide, de violence, d’abus, de pertes vécues en bas âge, etc.
c Facteurs extérieurs, comme l’isolement, le manque de liens significatifs, la banalisation du suicide, etc. PAGE 14
2 Les facteurs contribuants augmentent la vulnérabilité du jeune en le maintenant dans un cercle vicieux. Il s’agit ici d’abus de substances de toutes sortes, de l’instabilité familiale, du manque de ressources dans son milieu immédiat, etc.
3 Les facteurs précipitants viennent exacerber le malêtre du jeune en le déstabilisant et en l’entrainant dans une situation de désorganisation. À ce stade, il est possible de se référer aux expériences d’échec, d’humiliation, de rejet, etc. La rupture amoureuse apparait bien en évidence dans la liste.
4 Les facteurs de protection réduisent ou neutralisent l’impact des facteurs de risque et augmentent la capacité du jeune à trouver des solutions de rechange à sa situation. Il peut s’agir ici de modèles sains, d’une disponibilité des ressources dans l’entourage, de bonnes habiletés d’adaptation, etc.
Les différences entre les filles et les garçons face à la rupture amoureuse Les fiLLes Plus enclines à éprouver de la
Présentent généralement deux
détresse et à vivre un épisode de
types de réactions opposés. Ils
dépression. S’attribuent plus la responsabilité de la rupture. ont davantage de réactions émotionnelles. Expriment davantage leurs sentiments. Recherchent davantage le soutien du réseau social. Plus enclines à ruminer la
co
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AMIS coMMunAuté SocIété
fAMILLE écoLE cuLtuRE
EnvIRonnEMEnt
Les garÇons
éprouvent plus de détresse, pleurent davantage, font plus d’insomnie et pensent plus
affrontent leurs problèmes ou le nient. Misent davantage sur l’effet bénéfique du temps. ont tendance à être dans l’action, à sortir et à se divertir. consomment davantage de drogue, d’alcool ou de médicaments pour surmonter leur chagrin. ont davantage tendance à être agressifs, violents, verbalement et physiquement. Se suicident davantage.
souvent au suicide. font davantage de tentatives de suicide.
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Entrevue avec
Dr André Masse Par Stéphane trépanier
Le Dr Masse est de cette catégorie de médecins humanistes qui, malgré le temps qui lui manque, n’hésite pas à le suspendre pour entrer en relation avec un être humain. Son expertise étant reconnue et recherchée, le Dr Masse est un homme sollicité. un érudit de la psychiatrie doublé d’un spécialiste des troubles neurodéveloppementaux.
Quand on parvient à le rencontrer, on
nombre de patients que je peux suivre. Je
comprend sa popularité. Alors que l’on
m’émerveille encore de voir comment les
pourrait légitimement s’attendre à ce qu’il
gens se développent, grandissent, évo-
expédie l’entrevue sous la pression d’un
luent. Je suis fasciné par leur parcours de
est directeur clinique
agenda qui déborde, le psychiatre nous
vie et surpris de constater qu’une per-
au Programme
accorde immédiatement toute son atten-
sonne n’a pas pris la direction anticipée.
des troubles neuro-
tion, comme si nous étions la personne la
Sur ce plan, mon travail me comble. » Le
développementaux
plus importante du moment présent. Sa
Dr Masse possède cette curiosité de l’autre
de l’Hôpital
qui ne s’émousse pas avec le temps et qui
Rivière-des-Prairies
qualité d’écoute est tout simplement confondante. Sa clientèle est entre bonnes mains! « J’aime spontanément les
sert admirablement sa profession.
gens, les histoires de vie, l’originalité, les
Générer des rencontres
profils atypiques, les différentes cultures.
déterminantes
J’ai tendance à aller spontanément vers
Le Dr André Masse
les gens et à être curieux de ce qu’ils sont,
Que ce soit l’histoire de cette jeune fille
avec un préjugé favorable. Il faut même
qui est parvenue, malgré ses limites ma-
que je me retienne, car il y a une limite au
jeures, à développer son potentiel au PAGE 17
maximum et même à vivre en appartement, ou de cet enfant avec des troubles de comportement, kidnappé par un père délirant, qui des années plus tard écrit des essais philosophiques à la Sorbonne, le Dr Masse n’a de cesse de s’intéresser à ce qui se trame dans le
Je les accueille en leur disant : « Donnez-moi
votre problème et on va trouver une solution. c’est mon travail. »
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marche pas, on va recommencer et on va trouver. notre modèle est trop intéressant et il a trop souvent fait ses preuves pour penser qu’on est dans l’erreur. Il s’agit simplement de l’adapter au contexte qui nous est présenté ».
cerveau humain et de tenter d’en in-
Tendre l’oreille derrière
fluencer positivement le développe-
le symptôme
ment. Avec les années, il a acquis l’assurance tranquille de celui qui sait qu’il peut aider. Quand un parent désespéré ou un jeune en souffrance le consulte, il les aborde avec une confiance rassurante : « En troisième
ligne, les clients pensent qu’on a une solution que les autres professionnels n’ont pas encore proposée. Ils ont raison. Mais il faut qu’ils nous expliquent ce qu’ils veulent, qu’ils nous donnent des indices pour que nous connections leur expérience à nos connaissances. Avec ces données, nous allons essayer de leur proposer quelque chose d’intéressant. très humblement, avec l’équipe que j’ai ici, je pense qu’on a développé un système qui nous permet d’aller loin dans la compréhension de la problématique et d’apporter des solutions originales et pertinentes. Je les accueille en leur disant « donnez-moi votre problème et on va trouver une solution. c’est mon travail. Des autistes on en a vu des centaines. J’ai des modèles dans la tête pour savoir comment ça fonctionne. Même si pour chacun la situation est unique, j’en ai vu 5-10-20 autres qui lui ressemblent. Si ça ne
cette grande écoute, ce sens de l’observation et cette longue expérience, alimentés par une avidité continuelle d’élargir ses connaissances, ont donné lieu à une innovation clinique dont le psychiatre est particulièrement fier : « Plusieurs changements peuvent se
produire avec un soutien pharmacologique, grâce parfois à une approche différente de ce que la profession propose généralement. comme, par exemple, de considérer que le trouble du comportement en autisme est en grande partie dû à des problèmes d’anxiété plutôt qu’à des problèmes de contrôle. À partir de ce constat, je ne souhaite plus ralentir le patient pour diminuer son agressivité, mais plutôt le rendre plus réceptif afin qu’il accepte ce qu’on va lui communiquer. Je vais donc chercher le meilleur médicament dans cette perspective pour traiter ce qu’il y a en dessous du symptôme. Dans ces cas, ça marche bien dans un nombre important de situations. Il y a des écoles qui ont changé leurs pratiques et leur environnement suite à cela. Il y avait des choses connues, mais on n’avait
pas fait l’exercice d’aller au bout de ce raisonnement. Avec l’équipe des troubles neurodéveloppementaux, on a développé des techniques pour mesurer plus précisément l’anxiété. on s’aperçoit aujourd’hui qu’en diminuant l’anxiété, les comportements inadéquats s’estompent et disparaissent, en quelques semaines parfois ». La fascination de l’autisme Le Dr Masse est captivé par les paradoxes de l’autisme. comme tout ce qui touche le cerveau, le développement, l’intelligence et l’immense variété des comportements humains. un boulimique de la connaissance qui, chaque semaine, consulte près de 200 publications scientifiques. un érudit qui assiste, comme si de rien n’était, à une conférence sur l’existentialisme aux états-unis en langage des signes, un mode de communication qu’il a appris pour mieux évaluer de jeunes patients sourds. « c’est fascinant de voir que les
autistes ont souvent un potentiel cognitif extraordinaire, parfois parfaitement inutile, comme de savoir que le 16 janvier 1608 était un mardi, mais qu’ils sont en même temps incapables de choses aussi élémentaires que de prononcer deux mots de salutations, d’être attentif à l’émotion de l’autre ou de reconnaitre les expressions du visage. Ils ont besoin de l’apprendre, comme une langue étrangère. Même un bébé de huit mois comprend déjà quand sa
maman est un peu énervée. L’autiste ne peut pas organiser naturellement une communication pertinente, développer une perception de ce qu’il est lui-même. c’est dramatique parce que c’est un domaine éminemment humain et que c’est très handicapant quand on vit en société. comme s’il y avait un commutateur qui ne marchait pas dans ces cerveaux. une tache aveugle au milieu du reste qui se développe normalement. Ça me renverse. »
Le Dr Masse n’a de cesse de s’intéresser à ce
Le docteur Masse se démarque par son
qui se trame
humanité et ses connaissances. un cer-
dans le cerveau
veau de fer qui possède une écoute de velours. une compétence acquise à la sueur de sa compassion et de sa curiosité. Jusque dans les petits détails qui se conjuguent dans l’espoir de changer le monde, un patient à la fois. comme
humain et de tenter d’en influencer positivement le développement.
pour ces parents reconnaissants qui, dans l’approche du Dr Masse, ont reconnu la signature d’un psychiatre différent. c’était la première fois qu’un médecin s’adressait directement à leur enfant autiste et déficient. Ils n’ont pas oublié.
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Entrevue avec
Dre Pascale Grégoire Par Stéphane trépanier
Elle est de cette nouvelle génération de psychiatres qui, tout en poursuivant l’œuvre des mentors qui l’ont formée et inspirée, insuffle de l’énergie à la profession. Souriante, chaleureuse, enthousiaste, on lui confierait volontiers ses enfants pour leur mettre du soleil dans la tête tellement elle semble engagée à travailler à leur mieux-être. La pédopsychiatrie s’est imposée à elle comme le meilleur moyen d’aider les adultes de demain à se réaliser pleinement, nonobstant les problèmes de santé mentale que certains d’entre eux rencontreront à l’enfance et à l’adolescence. Intervenir pour assurer leur avenir. c’est la tâche à laquelle elle s’emploie… passionnément. La Dre Grégoire croit que l’intervention
L’importance de l’acuité
précoce a le pouvoir de changer les des-
du premier regard
tinées. celles des petits et des grands
Pascale Grégoire accorde à la justesse et à la précision du diagnostic initial une importance cruciale. Elle s’en fait d’ailleurs une spécialité en étant souvent sollicitée pour évaluer des situations complexes. De ce geste premier dépendra l’orientation réussie du parcours clinique de ses jeunes patients et ultimement de ses conséquences à long terme. En mettant un soin méticuleux à bien circonscrire dès le départ la complexité des multiples maux qui affligent les jeunes patients de l’unité d’hospitalisation du Programme de pédopsychiatrie de l’HRDP, la Dre Grégoire considère qu’elle défriche un
jeunes qu’elle prospecte quotidiennement. c’est d’ailleurs cette certitude qui l’a menée à la pédopsychiatrie : « Initiale-
ment, je pensais faire carrière en psychiatrie adulte. Mais j’ai vite réalisé que ce qui me tentait vraiment, c’était de pouvoir intervenir le plus tôt possible dans la vie des gens pour leur donner une chance d’être moins malades plus tard. Afin d’éviter une dégradation des problèmes en intervenant pendant qu’ils sont encore jeunes et davantage… réceptifs ».
Je suis vraiment contente d’être pédopsychiatre. Je me lève le matin en pensant à mes patients et en cherchant à leur trouver des solutions. Et ce n’est pas du tout un stress matinal.
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terrain à partir duquel le meilleur traitement pourra s’appliquer. Les bons diagnostics initiant à la manière d’un premier sillon les bonnes trajectoires. Elle évalue donc toute la gamme des pathologies psychiatriques en recevant une clientèle aux multiples profils. Le bonheur dans la diversité et la complexité
tous les jeunes reçoivent les services dont ils ont besoin dans des délais raisonnables. ce sont les problèmes d’accessibilité aux soins qui me touchent le plus.
fort de comprendre pourquoi les choses ne vont pas bien. Ça fait partie de mon travail et j’aime ça. Pas tant pour que les jeunes se conforment au concept de normalité, mais afin qu’ils parviennent à se venir ».
constituée autant de jeunes psycho-
De l’horizon dans l’intervention
tiques, de suicidaires, d’anxieux que
La route pour y parvenir peut prendre de
d’adolescents aux prises avec des
multiples directions et la Dre Grégoire
problèmes de comportement, de délin-
n’hésite pas à sillonner toutes les avenues
quance, de consommation de subs-
avec une grande ouverture d’esprit :
tances ou même présentant des troubles
« Avant d’arriver ici il y a sept ans, j’ai eu
neurodéveloppementaux. Les défis cli-
la chance de travailler à plusieurs en-
niques ou diagnostiques ne l’intimident
droits. Ça m’a permis de réaliser qu’il
pas,
existe toutes sortes de bonnes idées. ce
aussi
exigeants
soient-ils.
Au
contraire : « Je suis vraiment contente
d’être pédopsychiatre. Je commence souvent mes journées en pensant à mes patients et en cherchant comment les aider à trouver des solutions. Et ce n’est pas du tout un stress matinal. chaque patient amène un enjeu, apporte sa couleur et sa personnalité. Il n’y a pas de routine qui s’installe dans mon travail. Il me faut constamment réaménager les solutions cliniques et thérapeutiques, repenser ma façon d’intervenir, revoir l’angle par lequel j’aborde un problème. J’aime me remettre en question et j’éprouve un
PAGE 22
Elles me motivent à essayer encore plus
rapprocher de ce qu’ils ont le gout de de-
Elle adore la diversité de sa clientèle
Je souhaite que
je n’ai pas peur d’affronter les difficultés.
qui m’intéresse ce n’est pas d’apprendre une seule façon de faire, une recette, mais d’explorer sans appréhension tout ce qui existe, dans le but d’aider les patients au meilleur de mes connaissances. De réunir dans un amalgame les bonnes idées puisées un peu partout. c’est justement ce que j’apprécie à l’HRDP : on a la possibilité d’innover, de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs et de proposer des pistes de solution. ce n’est pas partout que l’on montre autant de souplesse et d’ouverture au changement. J’aime tra-
réel plaisir à résoudre des problèmes. Il y
vailler dans ces conditions, dans des mo-
a beaucoup de place pour la créativité
dules et des cliniques où l’on essaie
ici, même en appliquant des standards
continuellement de développer de nou-
rigoureux. Je suis comblée quand un pa-
veaux concepts, notamment pour élargir
tient va bien, mais si ce n’est pas le cas,
l’accès à la clientèle ».
S’impliquer en amont
Débusquer les sourires
des consultations
À l’écouter parler avec nostalgie et affec-
La Dre Grégoire s’emploie aussi à élargir
tion de ses patients anonymes, on croirait
sa zone d’influence positive au-delà de la relation thérapeutique. un engagement citoyen pourrait-on dire. c’est d’ailleurs une des ambitions de la pédopsychiatre : mettre à profit son expertise pour réformer les structures afin de donner de l’oxygène et du temps à l’intervention directe auprès du jeune patient. car si elle
qu’elle exerce le plus beau métier du monde. Avec une compétence redoutable à laquelle s’ajoute peut-être une dose d’affection derrière l’empathie démontrée. ne souhaite-t-on pas le meilleur de la vie pour ses enfants, particulièrement pour les plus vulnérables d’entre eux? La psychiatre prend un soin jaloux de la jeunesse qu’on lui confie. on ne s’étonne
savoure chaque consultation avec un
donc pas de la découvrir un tantinet
constant plaisir professionnel, elle souffre
émue lorsqu’elle parle de ses jeunes à
à l’idée que pour un patient qui la ren-
l’âme
contre, il y en a d’autres qui doivent
évoque cette jeune fille, au départ mal-
prendre leur mal en patience. « Je sou-
heureuse comme les pierres, qui lui a of-
haite que tous les jeunes reçoivent les
fert un cadeau inattendu au retour d’un
services dont ils ont besoin dans des dé-
congé. « J’ai traité une adolescente psy-
meurtrie.
comme
lorsqu’elle
abstraction de l’écho de la souffrance qui
chotique un certain temps. une jeune fille très agressive qui faisait peur aux gens et qui ne souriait jamais. une patiente grandement malade, figée, prostrée dans son coin. La progression était graduelle. Le travail d'équipe aidait énormément. un jour, au retour d'une brève absence, lorsque je l'ai retrouvée, elle m’est apparue soudainement détendue. À mon arrivée, elle était en train de danser et de chanter. Elle m’a regardé dans les yeux et m’a dit, le visage illuminé : « Ah bonjour Dre Grégoire. Merci! » c’était la première fois que je la voyais sourire. Ça m’a fait un peu l’effet que l’on ressent quand on assiste au premier sourire de son enfant. »
résonne de l’autre côté de la porte de
Et la Dre Grégoire repart à la conquête
son bureau.
d’autres sourires enfouis…
lais raisonnables. ce sont les problèmes d’accessibilité aux soins qui me touchent le plus. comment tous les rencontrer? Alors, je m’implique dans l’organisation des services. J’ai collaboré à développer le module d’évaluation liaison (MEL) et j’ai participé à la création du guichet unique de pédopsychiatrie (GuP). on n’a pas de temps à perdre dans de la « structurite ». Je cherche donc à exercer ma créativité sur le système en tentant d’y développer des façons d’aider davantage de patients et pour les orienter plus rapidement. » Quand on est une passionnée de la relation d’aide, il est difficile de faire
J’ai vite réalisé que ce qui me tentait vraiment, c’était de pouvoir intervenir le plus tôt possible dans la vie des gens pour leur donner une chance d’être moins malades plus tard.
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J’aurais voulu te crier qui je suis ou simplement te mentir, mais seul le silence est venu sur mes lèvres. Pourtant je ne suis pas que silence. Je suis le vacarme de ta vie. Au grand désespoir de celui qui croyait m’avoir vaincue de son sourire de glace. Mais je vocifèrerai toujours que j’ai mon rôle et personne le prendra. T’auras beau me dénigrer j’aurai compris. La seule chose que je ferai c’est te donner une petite poussée pour te permettre, à ton tour, de t’envoler.