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Rue des Beaux-Arts n°64 – Juillet/Août/Septembre 2018

RUE DES BEAUX ARTS Numéro 64 Juillet/Août/Septembre 2018

The Happy Prince, les dernières années d’Oscar Wilde vues par Rupert Everett Sortie en France dans les salles le 3 octobre 2018

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Rue des Beaux-Arts n°64 – Juillet/Août/Septembre 2018

Bulletin trimestriel de la Société Oscar Wilde

RÉDACTRICE : Danielle Guérin-Rose Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle Guérin-Rose, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis On peut trouver les numéros 1-41 de ce bulletin à l’adresse http://www.oscholars.com/RBA/Rue_des_Beaux_arts.htm

et les numéros 42 à 62 ici.

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Rue des Beaux-Arts n°64 – Juillet/Août/Septembre 2018

1 – Éditorial Par Danielle Guérin-Rose

Le Socialisme d’Oscar Wilde

Élevé de façon peu conventionnelle dans une famille bourgeoise, mais anticonformiste, par une mère rebelle qui flirtait avec les révolutionnaires nationalistes irlandais, et un père qui soignait ses patients pauvres sans leur demander le moindre honoraire, Oscar Wilde était bien disposé à poser un regard favorable sur les idéologies gauchisantes. Plusieurs des amis qui l’entouraient se déclaraient socialistes. À Oxford, son maître bienaimé John Ruskin, était un esthète bien connu pour ses préoccupations sociales. En 1857, peu après la naissance de Wilde, ce critique d’art émérite avait fait scandale dans une célèbre exposition artistique de Manchester en prononçant, devant les édiles de la ville effarés, un discours qui se termina par une attaque virulente contre l’accumulation des richesses au détriment du plus grand nombre et par une vibrante 3


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apologie du socialisme. En dépit des critiques et des attaques qui se déchaînèrent alors contre lui et le poussèrent à s’exiler un temps en Suisse, Ruskin n’en continua pas moins à se faire le pourfendeur d’un capitalisme inhumain et de son industrialisation galopante qui réduisait les ouvriers à la misère et à un nouvel esclavage, et à prêcher inlassablement pour l’éducation populaire. À Oxford, où, à partir de 1870, il occupe la chaire Slade pour l’enseignement des Beaux-Arts, Oscar Wilde est son élève. Plus que son élève, son disciple. Et on sait combien l’influence de Ruskin fut déterminante pour Oscar qui, pour lui complaire, ira jusqu’à se salir les mains en participant au terrassement de la route de North Hinksey, initié par son maître, à la fois pour enseigner aux étudiants le « plaisir d’un travail musculaire utile » et pour améliorer la vie des habitants du village en le reliant à Oxford par une route praticable. Issu comme Ruskin d’une riche famille, William Morris, que Wilde connaissait et appréciait comme poète et designer, se tourna lui aussi vers le socialisme, professant l’émancipation des classes ouvrières par l’éducation et l’accès à l’art. Wilde, cependant, n’était nullement un intime de Morris, et du point de vue politique, les liens qui pouvaient les unir semblent assez ténus. L’exposition qui eut lieu en 2000 au Barbican centre, pour le centenaire de la mort de Wilde : « The Wilde Years: Oscar Wilde and the Art of his Time », prétendait que celui-ci avait assisté à plusieurs reprises à des réunions de la Fabian Society1. Cette exposition comportait d’ailleurs une section intitulée « Wilde and Socialism », et la brochure affirmait que Wilde

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Cercle de réflexion et club politique anglais de centre-gauche créé en 1884, de mouvance socialiste et réformatrice. 4


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partageait avec Ruskin, Morris et Crane 2 la croyance qu’il existait une relation directe entre l’art et le socialisme. En tout cas, dans le compte-rendu qu’il fit dans la Pall Mail Gazette du 2 novembre 1888 de la conférence donnée par William Morrris sur le thème 'Carpet and Tapestry Weaving', Wilde apporte tout son soutien à l’affirmation de Morris stipulant que « le mercantilisme, avec son vil dieu au rabais,

son

impitoyable

indifférence

à

l’ouvrier,

sa

vulgarité

intrinsèque innée, est notre ennemi. Si nous voulons tendre vers le bien, nous devons sacrifier quelque chose de notre luxe – nous devons penser plus aux autres. » Wilde a d’abord admiré Morris comme poète. Il le découvre dans les années quatre-vingt comme prédicateur politique, et lui consacrera plusieurs articles.

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Un des principaux acteurs du mouvement artistique « Arts and Crafts », artiste majeur et socialiste convaincu, Walter Crane était un ami de Wilde. Il signa les illustrations de la première édition du « Prince Heureux ». 5


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De toute évidence, Wilde n’était pas un militant, mais on peut certainement le définir comme un sympathisant. Il lui arriva même de s’engager plus nettement lorsqu’il accepta de signer la pétition qui avait été lancée pour demander la grâce des anarchistes de Chicago, condamnés à mort, après les émeutes de Harmarket square. 1

Harper's Weekly : la tragédie de Haymarket Square

Il peut sembler légèrement dérisoire que l’engagement d’Oscar Wilde en faveur des anarchistes se soit borné à une signature au bas d’une pétition, mais le geste n’était pas anodin 2, loin de là, et il fut le seul à accepter de le faire. George Bernard Shaw, qui s’impliqua beaucoup 1

Le 1er mai 1886, des milliers d’ouvriers en grève s’étaient rassemblés devant l’usine McCormick de Chicago. Ils revendiquaient la journée de huit heures de travail quotidien. La manifestation s’achevait quand une charge policière fit un mort et une dizaine de blessés. Un journal anarchiste lança alors un appel à une manifestation de protestation qui eut lieu quatre jours plus tard, où plusieurs anarchistes prirent la parole. Alors que le rassemblement pacifique se dispersait et qu’il ne restait plus que quelques centaines de personnes sur Haymarket Square, 180 policiers commencèrent à charger. À ce moment-là, une bombe fut lancée sur les attaquants qui se mirent aussitôt à tirer sur la foule, provoquant un carnage. Après l’attentat, sept anarchistes furent arrêtés, un huitième étant venu se livrer de lui-même. Tous (sauf un) furent condamnés à mort, après un procès orienté où les preuves étaient inexistantes, et qui se révéla être en fait le procès de l’anarchisme et du mouvement ouvrier. En 1893, alors que quatre des accusés avaient été pendus, on découvrit que l’attentat avait été commandité par le chef de la police pour justifier la férocité de la répression. Après le procès, un vaste mouvement de protestation internationale s’était déclenché. George Bernard Shaw avait déclaré : « Si le monde doit absolument pendre huit de ses habitants, il serait bon qu'il s'agisse des huit juges de la Cour suprême de l'Illinois ». Notons que Frank Harris, un des amis proches d’Oscar Wilde, écrivit un roman « La Bombe », qui retrace ces évènements. 2 Wilde sera bien placé pour le savoir lorsque, des années plus tard, la pétition qui demandait un adoucissement de sa peine recueillit si peu de signatures, la plupart des personnalités contactées s’étant récusés, qu’elle ne put être envoyée. 6


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dans le mouvement Fabien et, qui pourtant, nourrissait avec Wilde des

relations

compliquées1,

lui

en

fut

particulièrement

reconnaissant. « C’était un acte complètement désintéressé de sa part, dira-t-il, et il lui assura ma considération distinguée pour le reste de sa vie. » En juillet 1888, Wilde assista à une réunion de la Fabian Society au Willis, où Crane et Shaw prirent la parole. Dans une lettre à Frank Harris, Shaw laissera entendre que c’est du discours qu’il fit ce jourlà que naquit « L’Âme de l’homme sous le socialisme »2 Robert Ross soutiendra d’ailleurs cette version. Mais certains biographes de Shaw apporteront une nuance, soutenant que le texte avait été conçu après que Wilde eût entendu la conférence de Crane, et en ait discuté par la suite avec Shaw. Cet essai figure comme une sorte d’objet non identifié dans l’oeuvre, pourtant éclectique d’Oscar Wilde. Est-ce un exposé politique ou un manifeste artistique ? Sans doute un peu les deux. La conception du socialisme exposée par l’auteur dans cet ouvrage est en tout cas très personnelle, en ce que pour lui, le socialisme n’est pas une idéologie collective,

mais

l’individualisme :

bien « le

un

épanouissement

principal

avantage

qui

harmonieux

de

découlerait

de

l’établissement du socialisme est sans conteste le fait que le socialisme nous débarrasserait de cette odieuse nécessité de vivre pour autrui qui actuellement pèse si lourdement sur presque tout le monde « , écrit-il d’entrée. Comme Ruskin, il reprend la liaison entre 1

Ils se rencontrèrent d’ailleurs assez peu, sans doute entre dix et douze fois en tout. « L’Âme de l’homme sous le socialisme » (The soul of man under socialism) est un essai d’Oscar Wilde paru en février 1891 dans The Fortnightly Review, qui défend un socialisme individualiste et libertaire. 2

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les conditions de vie et de travail, et le goût de l’art. N’a-t-il pas écrit, en 1889, dans un article consacré au poète et militant socialiste Edward Carpenter : « Il est certain que le Socialisme se lance avec un bel équipage. Il a ses poètes et ses peintres, ses professeurs d’art et ses artistes habiles, ses orateurs éloquents et ses écrivains brillants [...] Il est sûr que ce n’est pas un mouvement banal que celui qui est capable de lier les uns aux autres, en une étroite fraternité, des hommes aux intérêts si divers... »1 Comme toujours avide de contradiction et de provocation, Wilde prône un socialisme dont seraient bannis altruisme et philanthropie, car ils obligent les pauvres à être reconnaissants de la charité qui leur est faite et à se contenter des miettes qui tombent de la table. Or, dit-il « les meilleurs des pauvres ne sont jamais reconnaissants. Ils sont ingrats, insatisfaits, désobéissants et rebelles. Ils ont tout à fait raison de l’être [...] Pourquoi éprouveraient-ils de la gratitude devant les miettes qui tombent de la table du riche ? C’est à table qu’ils devraient être [...] La désobéissance, pour qui connait l’histoire,

est

la

vertu

originelle

de

l’homme.

C’est

par

la

désobéissance que le progrès s’est réalisé, par la désobéissance et par la révolte. On loue parfois les pauvres de leur esprit d’éonomie. Mais recommander aux pauvres d’être économes est à la fois grotesque et insultant. C’est comme de conseiller à un homme affamé de manger moins ». Il prêche pour un socialisme qui ne soit pas autoritaire : « chaque homme doit être laissé totalement libre de choisir son travail. Nulle 1

“Des socialistes poètes ». Cité dans les notes de l’édition de La Pléiade, Gallimard, 1896, p.1788. 8


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forme de contrainte ne doit lui être imposée ». Aussi l’intervention de l’Etat doit-elle être limitée au strict nécessaire. Il se prononce aussi pour l’abolition de la propriété privée car en « faisant l’amalgame entre un homme et ce qu’il possède (la propriété privée) a complètement détourné l’individualisme. Elle lui a donné pour but le gain, et non la croissance. ». Or, pour Wilde, le plus important chez l’homme n’est pas ce qu’il a, mais ce qu’il est. Sans la propriété privée, nul ne perdra plus son temps à accumuler des biens. Et là, Wilde place un de ses célèbres aphorismes : « On vivra. Vivre est la chose la plus rare au monde. La plupart des gens se contentent d’exister. ». Que Wilde n’ait pu s’empêcher de parsemer son essai de traits d’esprits et de formules frappantes a pu desservir sa réflexion politique qui n’a pas toujours été prise au sérieux. D’autant qu’il y mêle aussi la religion, le Christianisme n’étant pas, à ses yeux, incompatible avec le Socialisme tel qu’il l’entend, puisque le Christ a enseigné aux gens à être eux-mêmes, à se déposséder de leurs biens, à libérer leur personnalité. Il y ajoute aussi l’Humanisme de la Renaissance, qui exalte la beauté et la joie. Nous sommes assez loin de Marx et de ce qui deviendra l’idéologie communiste. C’est peu dire que, même inspiré par les penseurs militants de l’époque, comme Morris ou comme Shaw,

le Socialisme de Wilde

était loin d’être conventionnel. C’était un socialisme à la sauce Wildienne, comme il accommodera aussi, dans De Profundis » la religion catholique et ses liens personnels au Christ avec ses propres recettes. Wilde n’a jamais appartenu à aucun mouvement. Il a sans 9


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nul doute éprouvé des sympathies profondes pour le Socialisme. À la fin de sa vie, il a fréquenté quelques anarchistes 1, mais il est toujours resté en marge. Libre. Indépendant. Cavalier seul. Comme il s’est toujours rêvé. Danielle Guérin-Rose

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À ce propos, on peut lire le roman de Sébastien Rutès, « Le linceul du Vieux Monde’ – Editions L’Atinoir, 2008. 10


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2 – Publications Jack Manini – Arthur Cravan, histoire complète. Album BD Bamboo – avril 2018 Collection : Grand Angle ISBN 978 2818944820 Avec sa carrure impressionnante, Arthur Cravan, neveu d’Oscar Wilde, ne passe pas inaperçu dans les salons parisiens des années 1910. D'autant qu'il joue volontiers les critiques d'art, acerbe et virulent. Alors que les combats de la Première Guerre mondiale font rage, Cravan se réfugie en Espagne où il devient boxeur, puis aux États-Unis. Tour à tour poète, chevalier d'industrie, marin sur le Pacifique, muletier, charmeur de serpents, Arthur Cravan passera sa (courte) vie à fuir la guerre, à rencontrer les plus grands artistes du XXe siècle et à faire de sa vie une aventure.

Et ailleurs…

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Colm Tóibín - Mad, Bad, Dangerous to know : The fathers of Wilde, Yeats and Joyce Viking – octobre 2018 ISBN 978 0241354414 Dans « Mad, Bad, Dangerous to Know », Colm Tóibín pose un regard incisif sur trois des plus grands écrivains d'Irlande, Oscar Wilde, W.B. Yeats et James Joyce, et leurs premières influences: leurs pères. Du père docteur de Wilde, un brillant statisticien et archéologue amateur, au père de Yeats, un artiste appauvri et un brillant écrivain qui ne pourra jamais s’épanouir, à John Stanislus Joyce, chanteur, buveur et conteur, incapable de subvenir aux besoins de sa famille.

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Noreen Doody - The Influence of Oscar Wilde on W.B. Yeats: "An Echo of Someone Else’s Music" Palgrave Macmillan – Juillet 2018 ISBN 9783319895475 Ce

livre

comment d’Oscar puissante

cherche

à

démonter

l’image

et

l’intellect

Wilde

ont

exercé

influence

une dans

l'imagination créatrice de Yeats qui est restée active tout au long de sa vie. Sandra Mayer – Oscar Wilde in Vienna Brill/Rodopi – Juillet 2018 ISBN 978-9004370425 Dans « Oscar Wilde à Vienne », Sandra Mayer examine l'histoire de la réception et de la représentation des œuvres dramatiques d'Oscar Wilde sur les scènes viennoises du tournant du XXe siècle jusqu'à nos jours.

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3- Expositions

Colours More Than Sentences à Reading Pour célébrer le cent-vingtième anniversaire de la parution de La Ballade de la Geôle de Reading, des illustrations de l’oeuvre d’Oscar Wilde sont exposées au Berkshire Record Office - Coley Avenue, Reading. De nombreux artistes ont travaillé sur ce long poème, et leurs illustrations ont été rassemblées par l’Université de Reading, en particulier par l’expert wildien Michael Seeney.

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L’exposition, qui s’est ouverte le 14 mars 2018, présente plus de trente éditions différentes, provenant de divers pays, tels l’Argentine, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, Hong-Kong et les EtatsUnis. Le titre de l’exposition est inspiré d’une réflexion qu’Oscar Wilde fit à un de ses amis qu’il aimait ‘lines more than words, and colours more than sentences’ («les lignes plus que les mots, et les couleurs plus que les phrases»)

Del Kathryn Barton: The Nightingale and the Rose

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Exposition des dessins que Del Kathryn Barton consacre au conte d’Oscar Wilde : “Le Rossignol et la Rose” du 16 juin au 5 août

2018.

Rockhampton Art Gallery, Gold Room and Range Room – Australie.

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4. Opéra et Musiques,

Dorian Gray, la Belleza non ha pietà De Daniele Martini

Production & Costumes: Pierre Cardin Artistic director & Sets: Rodrigo Basilicati Composer & libretto: Daniele Martini Director: Wayne Fowkes/Emanuele Gamba Avec Dorian Gray | Federico Marignetti Dorian soul | Marco Vesprini

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5 août 2018 à 18H00 Théâtre de la Fenice – Venise

Salomé

Wiener Philharmoniker Direction musicale : Franz Welser-Möst Dramaturgie : Piersandra Di Matteo Avec : John Daszak, Herodes Anna Maria Chiuri, Herodias Asmik Grigorian, Salome Gábor Bretz, Jochanaan

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Julian Prégardien, Narraboth Avery Amereau, Page de Hérodias

20 juillet au 30 août 2018 Festival de Salzburg

En préparation

Le Prince Heureux Conte musical d’Angélique Ionatos

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Porté par Angélique Ionatos (compositrice et chanteuse grecque) et par la MAAD, réunissant huit artistes professionnels (comédiens, chanteurs, musiciens) ce projet met en musique le conte Le Prince Heureux d’Oscar Wilde. Il permettra à 150 enfants de Seine-Saint-Denis, pour beaucoup issus de quartiers prioritaires, d’apprendre le répertoire du conte musical lors d’une dizaine de répétitions, par petits groupes au sein de leur structure, puis tous ensemble à l’occasion d’un concert final en 2019. Ce projet fera se rencontrer des enfants, de 8 à 12 ans, inscrits en conservatoires ou en écoles de musique associatives débutant une pratique musicale, avec des enfants expérimentant une pratique vocale pour la première fois. L’équipe artistique résulte d’un croisement des générations avec des artistes âgés de 28 à 73 ans et de très jeunes choristes (environ 150 enfants, de 8 à 12 ans, pour beaucoup issus de quartiers prioritaires). Voix et personnages Le prince : Angélique Ionatos La récitante : Noëlle Châtelet Le comte de Compte Tout : Henri de Vasselot L’hirondelle : Salomé Châtelet + un grand choeur d’enfants de 8 à 12 ans sous la direction de Pascale Durand Ensemble orchestral

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Angélique Ionatos (guitares) Katerina Fotinaki (guitares) Géraldine Laurent (saxophone alto) Alice Caubit (clarinette) Olivier Ledru (violoncelle) Idriss Agnel (percussions) Thierry Legeai (ingénieur son) Composition, direction artistique, guitares Rôle du prince : Angélique Ionatos.

Juillet 2018 > 4 jours de répétition et 1 concert au Triton (Les Lilas) Février 2019 > 1 jour de répétition et 1 concert à L’Odéon (Tremblay-enFrance) Mars 2019 > 1 jour de répétition et 1 concert au Deux Pièces Cuisine (Le Blanc-Mesnil) Avril 2019 > 1 jour de répétition et 1 concert à l’Espace Georges Simenon (Rosny-sous-Bois) Juin 2019 > 2 jours de répétition et 1 concert au Théâtre des Bergeries (Noisy-le-Sec)

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5 – Théâtre Un Mari Idéal

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Mise en scène : Cathy Guillemin Avec : Jérémie Arcache -Amélie Campovecchio - Isabelle Duvernois -Audrey Morin - Pavlina Novotny Cédric Obstoy Maxime Seynave - Oscar Voisin Du 22 septembre 2017 au 29 juin 2018 – le vendredi (19H45) La Comédie Saint-Michel – Grande Salle

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Maintenant d'Arthur Cravan

Compagnie Melankholia Mise en scène : Céline Marrou Avec : Rémi Pradier

16 au 21 juillet 2018 La Factory – Avignon – Festival off Et toujours...

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Le Portrait de Dorian Gray, par la compagnie Thomas le Douarec, en juillet, les mardis et jeudis à 18H, à la Compagnie des Soies, à Avignon. On a manqué ...

Le Portrait de Dorian Gray

Adaptation et Mise en scène de Stéphane Battle

16 au 27 mai 2018 L’escale – Tournefeuille – 31 170

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Et ailleurs… An Ideal Husband

20 avril 2018 au 14 juillet 2018 Vaudeville Theatre – Londres Diffusé dans les cinémas de Grande-Bretagne le 5 juin 2018

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6 - Réalisation de soi et expression

dans le De Profundis d’Oscar Wilde1 par Emmanuel Halais

Dans le De profundis, sa dernière œuvre en prose, Oscar Wilde peint un portrait de l’âme humaine. L’image, complexe, associe différents styles : lettre d’amour, autobiographie, confession, essai, récit, satire, poésie - autant de techniques, utilisées tour à tour, souvent entremêlées, qui explorent les thèmes de l’amour blessé, du pouvoir de l’imagination, de la différence entre amour et haine, la parenté entre l’art et la religion, le sens de la vie humaine, la valeur de l’individualisme et de la morale. Le traitement de ces thèmes, dans leur union, projette une lumière sur ce qui constitue l’essentiel de l’âme individuelle, selon Wilde : sa réalisation (« self realization »). En dépit des réticences répétées exprimées par l’auteur vis-à-vis de cette discipline, cela fait de l’œuvre une contribution importante pour la philosophie. On ne peut, en effet, réduire la portée du De Profundis à sa volonté de réhabiliter sa réputation en tant qu’homme et artiste, ou à celle d’aider à réformer la vie de Lord Alfred Douglas. Le texte, dans son 1

Toutes les références au texte sont empruntées à la traduction de Jean Gattégno (Oscar Wilde, De Profundis, suivi de Lettres sur la prison, Paris, Gallimard, 1992.) Le texte original se trouve dans les Complete Works of Oscar Wilde, introduced by Merlin Holland, HarperCollins Publishers, 2003, pp.980-1059. J’ai parfois modifié la traduction. Dans ce cas, le texte est suivi de « [trmd] ». 26


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ensemble, présente une réflexion sur le processus dynamique par lequel un être humain parvient (ou échoue) à être lui-même. Cette réflexion comprend tant des éléments théoriques que les descriptions les plus intimes, qui se nourrissent mutuellement. Sans doute estce la seule voie, non seulement ouverte à l’art, mais à la philosophie : si la réflexion n’est pas provoquée ou alimentée par l’expérience subjective, si elle n’en devient pas, sur un autre plan, la transposition, la transformation, elle devient vite creuse, sans enjeu donc sans portée. Wilde pensait appartenir à cette catégorie d’artistes pour lesquels la possibilité de l’écriture dépendait de l’intensification de sa personnalité. La pensée s’applique tout autant à la philosophie. La lettre s’adresse donc à Lord Alfred Douglas, l’amant de Wilde et la cause de sa chute. Son père, Lord Queensberry, avait violement pris à partie Wilde quant à la nature de leurs relations. Douglas força Wilde, contre toute prudence, à l’attaquer en diffamation. Le procès finit par se retourner contre l’artiste, qui se retrouva en prison. Devant le silence de son ancien protégé, Wilde décida au bout de deux ans (approchant le terme de sa peine), de lui écrire. Ainsi le cadre du De profundis, son prétexte et son thème apparents, sont-ils ceux d’une relation, particulièrement destructrice, au moins pour Wilde. Lettre est à charge : aucun mot ne lui paraît trop fort pour qualifier le caractère superficiel, l’inconséquence, l’égoïsme, la méchanceté, le manque d’imagination et de sens artistique, du jeune homme. Il lui prête les pires pensées, y compris celle, dans un accès de haine, d’avoir été tenté de l’assassiner. Cet aspect « à charge » de l’écriture est bien sûr celui de la revanche d’un cœur brisé 27


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(expression que l’on retrouve à plusieurs reprises dans le De Profundis, mais qui est aussi, plus généralement, un thème de son œuvre.) L’effet sur le lecteur est terrifiant, car au-delà de Douglas, c’est à nous que s’adresse l’accusation – Wilde ne concevait pas son texte juste en tant que correspondance privée ; il avait pris des dispositions

pour

qu’elle

soit

publiée.

Dans

sa

description

minutieuse des défauts du jeune homme, on voit se dessiner un premier portrait moral, ou plutôt deux portraits, qui n’ont de sens que par le contraste qu’ils offrent, celui entre l’âme basse et la grande âme. Il y a une différence entre celui qui n’est dirigé que par ses appétits, ses caprices, qui n’a aucune maîtrise sur ses sentiments, et celui qui est dirigé par des mobiles, les mobiles étant intellectuels.

Une

l’asservissement

conséquence

aux

instincts

fatale est

-

qu’ils

pour

Wilde

deviennent

-

des

de lois

auxquelles les autres doivent également se plier, voire être « sacrifiés sans scrupule » - la négation de sa propre liberté par l’âme basse a pour contrepartie la volonté de nier la liberté chez autrui, de le rendre esclave de son propre esclavage, si l’on veut. Il y a une différence entre la paresse et l’aptitude au travail, entre l’incapacité à rester seul et le besoin de solitude et de recueillement nécessaires à l’artiste, entre ne parvenir qu’à la violence de l’opinion et jouer élégamment avec les idées, entre le désir et l’intérêt pour la Vie et pour l’Art ; et parmi les plaisirs, entre ceux dénués d’intérêt, liés au boire et au manger, et ceux liés à l’intellect, à « la création et la contemplation des belles choses ». Derrière chacun de ces 28


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contrastes, on perçoit, outre la stigmatisation d’un mode d’être, la mise en valeur d’un Type conçu par Wilde comme exemplaire. On comprend dès lors que la lettre ne se limite pas à l’accusation. Elle est supposée avoir un effet positif tant sur Lord Alfred Douglas que sur Wilde lui-même. Quant au premier : le but de l’écrivain est d’amener le jeune homme à reconnaître ses erreurs et ses défauts de caractère, à changer du tout au tout son mode de vie. Mais cela demande un retour sur soi. Or, une des caractéristiques de ce caractère, lié à son asservissement au plaisir, est une incapacité à opérer un tel retour. D’où l’exhortation de Wilde, qui reprend ici un ancien thème : « Le vrai sot, celui que raillent ou que perdent les dieux, c’est celui qui ne se connaît pas lui-même. J’en ai été un trop longtemps. Tu en as été un trop longtemps. Cesse de l’être. Ne crains rien. Le vice suprême, c’est d’être superficiel [shallowness]. Tout ce qui est compris [realised] est juste. [trmd]»1 Le but de la lettre, dans la violence même de ses descriptions, est donc, en lui renvoyant son image, de favoriser cette prise de conscience, cette connaissance de soi. La violence même du ton a sa raison d’être. Elle s’oppose à la complaisance passée de Wilde et de la mère du jeune homme, qui n’a eu pour conséquence que d’accentuer ses défauts. Il faut provoquer un choc. Douglas doit lire et relire la lettre jusqu’à ce qu’elle « tue sa vanité »2; et les mots doivent être comme une brûlure ou un coup de scalpel porté dans la chair. 1 2

P.45. P.44. 29


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L’écriture est aussi reliée à la transformation de Wilde. Dès le début, il insiste sur l’importance vitale de ne pas laisser les sentiments négatifs le submerger. Il le répète à plusieurs reprises, le dégoût, l’amertume, le mépris sont des tentations, la dureté du cœur remplaçant l’amour, dans sa situation désespérée. La lettre, exercice d’un véritable examen de conscience (« celui qui ne se connaît pas lui-même », c’était lui aussi), lui permet de revenir sur ses propres défauts, qui non moins que les actions de Bosie, ont provoqué à terme son emprisonnement. Il cherche aussi à anticiper sa vie future d’homme et d’artiste. Il convient de distinguer avec soin ce concept de connaissance de soi de celui de « connaissance » de manière plus générale. Que la connaissance, prise en ce second sens, ne soit pas un but en soi, cela se voit dans la valeur que Wilde refuse au réalisme, et dans son affirmation que Douglas n’en savait pas trop peu, mais trop, sur la vie. Notons aussi que le concept de « connaissance de soi » est relié d’emblée par Wilde à celui de sagesse (« wisdom »), une sagesse qui ne saurait être confondue avec l’érudition. * Pétrification et souffrance - Dans cet examen, Wilde accorde une signification spéciale à la différence entre le point de vue de Douglas sur la vie et le sien. Il n’est en effet habilité à en appeler à la « connaissance de soi » qu’à cause de la spécificité de son état présent (il ne s’agit donc pas d’un examen abstrait auquel tout un chacun pourrait se livrer quand bon lui semble.) L’univers de la 30


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prison en est un de souffrances et de ténèbres, un univers qui ressemble à celui des morts. C’est de ce point de vue que ressort la vérité sur la vie humaine qui s’oppose au caractère « superficiel », et ainsi à la conception superficielle de la vie. Cette vérité, Douglas n’en a eu jusqu’à présent qu’un accès très indirect, déformé. Il a eu la chance de « contempler les formes étranges et tragiques de la Vie comme l’on voit les ombres dans un cristal »1. Cet accès indirect est lié au monde dans lequel évolue le jeune homme, qui est le monde de la vie, mais une vie dont l’aisance, au sens strict, aveugle. Le monde de la vie, c’est ce qui a été ôté à Wilde : « La tête de Méduse qui change en pierre tout être vivant, tu as pu te contenter de la voir regarder dans un miroir [celui de Persée]. Tu as pu, quant à toi, te promener librement parmi les fleurs. On m’a quant à moi, enlevé le monde admirable de la couleur et du mouvement. »2 Le monde « de la couleur et du mouvement » est un monde de beauté et de joie, celui de l’univers visible auquel Wilde était tant attaché. Par contraste, la tête de Méduse renvoie à l’immobilité de la mort. La pétrification évoque tant l’immobilité physique (l’enfermement) qu’émotionnelle (durcissement du cœur). L’image

sera

encore

employée

par

Wilde,

pour

désigner

« l’insensibilité absolue » dans laquelle peut se pétrifier « une nature dénuée d’imagination » (113), comme celle de Douglas, puis p.139, à nouveau

1 2

à

propos

de

P.45. Pp. 45-46. 31

la

vie

en

prison :


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« Ce qu’elle a de plus terrible, ce n’est pas qu’elle vous brise le cœur - les cœurs sont faits pour être brisés - mais qu’elle vous donne un cœur de pierre. » Par contraste, cette fois, avec l’Humilité, la vie en prison change donc le cœur en pierre, « turns one’s heart into stone ». (L’Humilité, dont on verra qu’elle est une des vertus suprêmes pour Wilde, est rendue difficile à entretenir par un prisonnier dont la tendance est de se révolter contre sa condition. Paradoxalement, la prison sera aussi l’épreuve rendant possible, en fin de compte, l’Humilité.) Il y a d’autres pistes à creuser, concernant l’évocation de Méduse. Une caractéristique du récit d’Ovide dans Les métamorphoses est que Persée est épargné, contrairement aux autres, parce qu’il la regarde dans son bouclier/miroir. Quiconque entre en contact visuel avec la face du monstre est changé en pierre, donc meurt. Mais on peut relever une autre connotation : la face paralyse d’effroi – c’est même le but de sa présence sur l’égide de Minerve. Voici encore une autre connotation, qui me semble particulièrement s’appliquer au cas de Wilde : Ovide insiste, dans sa description, sur le fait que les victimes sont figées pour toujours dans leur attitude, leur pose, leur expression (qu’elle soit de terreur ou autre). 1 Or, le fait d’être figé dans son expression me semble être un thème qui hante le De profundis, en un sens dont l’expression faciale ou corporelle n’est que le symbole. Wilde se voit comme un être dont l’essor, artistique et vital, a été figé – l’artiste est la manifestation des forces dynamiques de la vie – et l’effort de l’écriture de la lettre vise à 1

Cf. Ovide, Les métamorphoses, Livres IV et V. 32


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déjouer cette paralysie, à retrouver son expressivité. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce thème. La caractéristique principale de cette vie pétrifiée est la souffrance. Cette notion, qui est l’objet de réflexion privilégié de Wilde, est introduite, non comme une composante parmi d’autres de la vie carcérale, mais comme son essence même. Elle est reliée au thème de

la

vie

paralysée.

La

souffrance,

écrit-il,

est

« un

long

moment unique » (106). Il évoque alors l’ « immobilité paralysante de la vie », liée à la routine cyclique, mécanique, des activités, cette « qualité immobile » qui va jusqu’à envahir les forces du monde extérieur, qui sont celles d’un « changement incessant ». La souffrance est, en prison, « la seule chose qui existe ». Mais c’est aussi l’unique accès au monde et à soi. Elle est la seule, écrit-il dans un autre passage, « mesure du temps », et ce sont les seuls « souvenirs amers » qui se détachent, à un point tel que Wilde avance qu’il serait incapable de se rappeler sa vie avec Douglas, si elle n’était justement tissée de souvenirs douloureux : elle est ce qui relie l’existence passée à l’existence présente, « la seule preuve de notre existence », de la permanence de l’identité. Par contraste, la joie (qui reste le privilège de Douglas, et donc de son point de vue), est totalement absente : « Un abîme me sépare du souvenir de la joie, qui n’est pas moins profond que celui qui me sépare de la joie dans sa réalité. »1 De cette souffrance, il forme le thème principal de sa vie, lui donne sens, reconstruisant à son aune sa vie passée et la vie présente sous 1

P.66. 33


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la forme d’une unité, celle de l’œuvre d’art, ce qui lui permet d’en concevoir la nécessité de chaque instant, de le justifier. Le vocabulaire de la musique est mis à profit : les événements liés à Douglas sont reconçus comme un « prélude qui s’harmonise avec ces divers modes d’angoisse qu’il [lui] faut chaque jour éprouver [trmd] » (66), l’ensemble de sa vie comme « une véritable Symphonie de Douleur, enchaînant ses mouvements liés entre eux rythmiquement jusqu’à sa résolution assurée […]. [trmd]» (67)1 * L’imagination - En raison de son caractère, Douglas serait incapable d’un tel regard artistique, qui seul lui permettrait de donner sens et unité à ce qui lui est (ce qui leur est) arrivé. Ce qui permet de faire de sa vie une œuvre d’art n’est autre que l’imagination créatrice, or il en est dépourvu : le manque d’imagination, écrit Wilde à plusieurs reprises, est le « seul défaut vraiment fatal » de son caractère. Voilà qui peut sembler étonnant. Sauf que, toujours selon Wilde, l’imagination n’est pas limitée à un simple jeu de la fantaisie, elle constitue bel et bien une faculté morale et une faculté de connaissance : c’est elle qui « nourrit l’amour, qui nous rend plus sages que nous ne le croyons, meilleurs que nous ne le sentons, plus nobles que nous le sommes » ; elle qui nous permet « de voir la vie en tant que tout » (un des buts du De profundis est précisément de présenter une telle conception, cf. 132 « […] je ne prends en compte que mon attitude mentale face à la vie prise dans son ensemble », life as a whole, C’est aussi ce qui ressort de sa correspondance, cf. p.15 de l’Introduction.) et les autres « dans leurs relations réelles aussi 1

Sur la notion de souffrance, cf. aussi 106 et 109. 34


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bien

qu’idéales »

(85).

Le

manque

d’imagination

est

relié

à

l’ « égotisme », à l’incapacité de voir la vie et les autres autrement qu’à sa propre mesure.1 L’imagination est reliée à l’amour, le manque d’imagination à la haine. Or, le caractère de Bosie était entièrement dévoré par la haine, en particulier celle pour son père, qui ne laissait à son amour pour Wilde que peu de place. La lutte était inégale et même « impossible », écrit Wilde, en raison de « la dimension de sa haine » et « de sa croissance monstrueuse » (84 [trmd]). Il y a une facilité de la haine, interdite à l’amour : n’importe quoi, selon Wilde, peut la nourrir (comme tout ce que Douglas a mangé et bu en sa compagnie, note-t-il amèrement), alors que seul « ce qui est beau et bellement conçu » peut nourrir l’amour. » (85) Mais alors que l’amour est relié à la vision juste, la haine n’est pas seulement rétrécissement de l’âme, mais de sa perception, elle « aveugle l’homme » : « L’amour sait lire l’avertissement inscrit sur la plus lointaine des étoiles, mais la haine t’aveuglait à tel point que tu ne voyais pas audelà du jardin de tes désirs ordinaires, jardin étroit, jardin clos de murs et déjà flétri par l’esprit de jouissance. Ton terrible manque d’imagination, qui constitue le seul défaut vraiment fatal de ta personnalité, résultait entièrement de la haine qui t’habitait. » (85) Wilde emploie une autre image, écrivant que la haine « rongeait sa nature comme le lichen. » Il voit aussi la haine comme « paralysant » l’imagination (un autre aspect de la pétrification.) Les exemples qu’il donne sont nombreux : c’était une habitude, pour Douglas, de faire des scènes incessantes, d’envoyer des billets odieux. Un exemple particulièrement terrible, qui l’a suffisamment 1

Cf. p.105. Sur un retournement plutôt ironique de situation – Douglas accusant Wilde d’égoïsme (c’est à nouveau le terme « egotism » qui est utilisé dans l’original) – cf. p.69. 35


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frappé pour que son évocation revienne régulièrement dans le texte, est l’occasion où Wilde étant tombé malade, le jeune homme avait non seulement refusé de s’occuper de lui, mais l’avait menacé physiquement. S’ensuivit une lettre contenant les mots « Quand tu n’es pas sur ton piédestal, tu n’es pas intéressant. » C’est aussi la haine pour son père qui a amené Douglas à le placer dans la situation du premier procès, alors qu’il aurait du voir qu’en procédant ainsi, non seulement il réduisait Wilde à un instrument de guerre entre son père et lui, mais qu’il allait le mener à la catastrophe. * Volonté et habitude - Cet élément de haine est donc décrit comme ce qui, dans le caractère de Douglas, en constitue l’aspect destructeur tant pour lui-même que pour Wilde, et comme une prédisposition fatale : un élément qui a crû en crescendo et finit par lui ôter tout libre arbitre. On retrouve ce thème dans la description par Wilde de son propre caractère. Tandis que la haine est la tragédie de l’autre, non la sienne ; parmi ses griefs se trouve le suivant : Douglas a provoqué sa dégradation morale. « La base d’une personnalité, c’est la volonté [will power] et la mienne est devenue totalement soumise à la tienne. »1 C’est bien sûr un reproche qu’il s’adresse aussi à lui-même : c’est lui qui a laissé le jeune homme le dominer, qui lui a permis d’entrer dans sa vie et d’envahir peu à peu celle-ci. Wilde propose alors une analyse de la disparition progressive du pouvoir de sa volonté. Ce qui 1

P.52. 36


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caractérisait son attitude vis-à-vis de l’autre, outre l’amour, était une complaisance qui l’amenait à céder sur tout, à accepter tous les désirs et caprices, et pardonner tous les écarts, toutes les méchancetés. Il a commis ce qu’il décrit comme une « gigantesque erreur psychologique », consistant à croire que le fait de céder « sur de petites choses » était sans importance, qu’il pourrait « réaffirmer sa volonté dans sa supériorité naturelle » quand viendrait un « moment décisif ». Bien sûr, le « moment décisif » fut celui où il aurait dû refuser d’attaquer le père de Douglas en justice, et il était trop tard. C’était précisément le fait de céder sur les détails qui l’a rendu incapable de réagir alors de manière appropriée : « La vie ne connaît pas, en vérité, de choses grandes ou petites. Toutes choses ont même valeur et même calibre. L’habitude que j’avais prise – d’abord essentiellement par indifférence – de te céder sur tous les points était devenue insensiblement partie intégrante de ma nature. A mon insu, elle avait stéréotypé ma personnalité [« temperament »], lui donnant de façon permanente une disposition désastreuse [« fatal »]. »1 C’est la prise d’habitudes qui est désignée comme fatale : le caractère de la répétition transforme un acte (ici, une absence d’acte) au départ accidentel en nécessité. Et la dimension esthétique du tort n’est pas moins présente : dire que dans la vie, il n’y a pas de grandes ni de petites choses, mais qu’elles sont toutes d’égales valeur, cela revient aussi à dire qu’il faut accorder à chacune une égale attention, la discerner dans ce qu’elle a d’unique. La négligence est à la fois morale et esthétique. 1

P.55. 37


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Le caractère néfaste de la prise d’habitudes est mis en relief par la référence de Wilde aux Essais sur l’art et la renaissance de Walter Pater : « Failure is to form habits », échouer, c’est contracter des habitudes ;

phrase

dans

laquelle

une

« merveilleuse

et

terrible vérité » se trouve cachée. Dans l’Epilogue des Essais, Pater présentait en effet une forme d’hédonisme qui a fait scandale. Il écrivait que le monde, en apparence stable, se dissout en divers processus, tels qu’ils sont expliqués par les sciences de la nature, et que nous faisons nous-mêmes partie de cette réalité mouvante et éphémère – nous, et tout ce qui appartient à notre esprit. Il nous faut tenir compte de cette situation, avoir une conscience d’autant plus aigüe de l’instant qu’il va disparaître, rechercher les nouvelles sensations et expériences, en apprécier à chaque fois la singularité. L’art

consiste

en

une

intensification,

un

rehaussement

du

particulier. Voici le passage auquel appartient la citation de Wilde : « Brûler perpétuellement de cette flamme dure, brillante comme une gemme, maintenir cette extase, voilà la réussite d’une vie. On pourrait même dire que la formation d’habitudes est à l’origine de nos insuccès : après tout, l’habitude renvoie à un monde stéréotypé, et c’est la grossièreté de notre œil qui nous fait croire à la similitude de deux personnes, de deux objets, de deux situations. »1 Lorsque Wilde reprend à son compte ce thème, c’est pour remarquer que la formation d’habitudes n’a pas seulement abouti, chez lui, à l’échec, mais à la ruine. (Pater était le maître à penser d’Oscar Wilde. Lorsqu’il y fera à nouveau référence, cependant, ce sera pour prendre de la distance. Il mentionnera Marius l’épicurien comme exemple de volonté de relier la vie artistique et la vie religieuse, mais 1

W. Pater, Essais sur l’art et la renaissance, tr. A. Henry, Klincksieck, 1985, p. 49. 38


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une volonté restant trop esthétisante, contemplative. Ce reproche est à rapprocher de l’idée, centrale dans la fin du texte, selon laquelle l’attitude appropriée vis-à-vis de la nature n’est pas la contemplation mais l’union.) Au fur et à mesure que le pouvoir de sa volonté cédait, l’empire de l’autre augmentait, et dans sa volonté de domination, il exigeait toujours plus, et ce « jusqu’à [son] existence tout entière ». (54) * Le destin - Nous avons vu comment, reconstruisant en prison sa vie passée, lui donnant sens et unité comme œuvre d’art, Wilde prétendait la « justifier » et en montrer la nécessité : cette dernière est sensible dans la manière dont il décrit les caractères de Douglas, le sien (il faudrait ajouter ceux des autres protagonistes, comme les parents de Douglas), comme étant déterminés négativement : le premier par la haine, le second par la faiblesse. Cette détermination, ainsi que l’inflation croissante de l’une comme de l’autre, contribuent à donner un sens de l’inévitable aux événements dramatiques qui se sont produits. (Cela permet aussi de comprendre en quoi en peut penser qu’avoir une âme et avoir un destin, c’est la même chose.) L’inévitable est montré dans la manière dont Wilde a essayé, à plusieurs reprises, de mettre fin à sa relation, sans jamais y parvenir, en étant sans cesse rattrapé. Il est mis en mots par Wilde à travers le vocabulaire de l’intervention des Dieux, des « puissances invisibles ». Pour le défaut de son caractère, Wilde estime avoir subi une « punition », et il est évident que cette punition est d’un ordre 39


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tout autre que celle correspondant à sa seule condamnation par un tribunal humain. Sur cette punition, il lui faut réfléchir, elle constitue une énigme. Mais ironiquement, l’idée du Destin n’est pas seulement liée à la rétribution. En une occasion, Wilde avait pris la décision de rompre, et il aurait peut-être cette fois réussi. C’est alors qu’est survenue la mort du frère de Douglas. Par amour, il a voulu apporter à ce dernier aide et réconfort (il a voulu faire sienne la peine du jeune homme, pour l’aider à la supporter. C’est la première allusion du texte à une parenté entre la personnalité du Christ et la sienne propre). Mais il s’est trouvé de nouveau sous son empire. On trouve, sous la plume de Wilde, l’idée d’un caractère « étrange » des Dieux : « Les dieux sont bizarres [« strange »]. Ce n’est pas seulement de nos vices qu’ils se servent pour nous châtier. Ils provoquent notre chute en se servant de ce qui en nous est bon, doux, humain, aimant. »1 Dans le même passage, Wilde accentue l’imagerie de l’inévitable : évoquant non seulement le « Destin » (« Destiny ») mais la Fatalité (« Doom »), « qui s’éloigne toujours rapidement, car elle se hâte vers le carnage. [trmd] » (Ibid.) ; associant la famille de Douglas aux Atrides, une famille marquée par la violence et le malheur, qui s’étendent à tous ceux qui lui sont associés. On retrouve alors le thème de l’importance égale de toute chose, mais formulé cette fois d’une manière différente : s’il n’y a pas de chose sans importance, c’est parce que tout obéit à cette Fatalité, en « toutes les circonstances infimes où [leurs] vies se sont croisées ; sur chacun des sujets, qu’il 1

P.75. Cette idée, qui paraît choquante, fait partie des choses qu’il lui faut comprendre, c’est-à-dire accepter (dans le De Profundis la compréhension est toujours liée à l’acceptation). Cette compréhension-acceptation est essentielle à sa transformation, celle qu’il doit opérer – ce qu’il « doit faire », cf. p.130, l’idée connexe : « […] il me faut accepter que l’on soit puni du bien que l’on a fait comme du mal que l’on a fait. Je ne doute pas qu’il soit tout à fait juste que les choses se passent ainsi. » Je reviendrai sur le thème de la « transformation ». 40


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fût important ou qu’il parut trivial », les plus menus accidents étaient les instruments de sa perte (75). Douglas n’est pas moins déterminé

que

Wilde,

il

est

vu

comme

une

« marionnette [« puppet »] », actionnée par « une main secrète et invisible [trmd] » (80). Pourtant, cela ne lui ôte en rien sa responsabilité,

car

les

marionnettes

elles-mêmes

« ont

leurs

passions » : « Elles ajoutent leur propre intrigue à celle qu’elles présentent, et dérèglent l’ordonnance des péripéties [« vicissitudes », changement des choses qui se succèdent] pour complaire à tel caprice ou tel appétit qui leur est propre. »1 On retrouve ici une idée classique : Douglas - et par extension, tout être humain - doit être adéquatement décrit comme à la fois entièrement libre, et comme déterminé, « entièrement sous l’emprise de la loi ». C’est là, écrit Wilde, « l’éternel paradoxe de la vie humaine, dont nous nous rendons compte à chaque instant » (Wilde lui-même était à chaque instant, libre de se détacher de lui. En un autre sens, c’est sa liberté qu’il a exercée en le laissant s’imposer dans sa vie). Ce paradoxe constitue « la seule explication possible » de la nature de Douglas ; mais il est caractéristique de cette explication qu’elle n’en constitue pas vraiment une (pas plus qu’on ne peut réellement comprendre pourquoi les Dieux utilisent tant nos vertus que nos vices pour nous mener à notre perte), ou plutôt, la seule explication possible d’une âme est celle qui n’en dissipe pas le caractère mystérieux. Elle révèle la nature du jeune homme ;

1

P.80. 41


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« […] si du moins il existe une explication possible aux mystères profonds et terribles d’une âme humaine, hormis celle qui rend le mystère encore plus extraordinaire [« marvellous »]. »1 Ici, la pensée butte sur une difficulté essentielle, mais qui n’est pas incompatible avec l’impératif de connaissance de soi que Wilde décrit au début du texte, bien au contraire : il s’agit plutôt une manière particulière d’interpréter cet impératif ; et même, pour Wilde, la seule manière possible. Quand, plus tard, il reprendra ce thème, ce sera pour insister sur le fait que pour celui dont le but est la réalisation de soi, par contraste avec ceux dont la vie est toute tracée, il n’est pas d’aperçu du chemin qu’il doit suivre. L’auteur rappellera alors la nécessité « de l’oracle grec » de la connaissance de soi, qui est « la première réalisation de la connaissance », mais pour aussitôt le retourner contre lui-même : « Mais reconnaître qu’une âme humaine est inconnaissable, voilà l’ultime réalisation à laquelle puisse parvenir la sagesse. Notre mystère ultime, c’est soi-même. [trmd] »2 * Illusion ; comédie et tragédie - La connaissance de soi passe par la levée d’un certain nombre d’illusions, tant sur soi-même que sur les autres. C’est bien là le rôle de l’imagination, dont nous avons vu qu’elle comportait une dimension directement cognitive, elle qui, pour ceux qui en sont pourvus, « pénètre l’apparence extérieure des choses » (« penetrate the mere outward of things ») et fait « éprouver de la compassion » (171). Douglas, prisonnier d’illusions, « vivait même au milieu d’elles » et « au travers de leurs brumes changeantes 1 2

P.80. P.164. 42


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et

de

leurs

voiles

colorés »,

il

voyait

« toutes

choses

métamorphosées » (81). Il pensait en particulier être dévoué à Wilde, au détriment de sa famille, et en dépit de son père. Mais Wilde était aussi aveugle : « Moi aussi j’avais mes illusions. Je croyais que la vie allait être une comédie étincelante et que tu en serais être un des nombreux personnages pleins de grâce. J’ai découvert que c’est une tragédie révoltante, répugnante […] »1 Le thème de la conception de la vie comme comédie et tragédie, la première identifiable à un masque recouvrant la seconde, traverse toute l’œuvre. Il apparaît notamment lorsque Wilde évoque le surnom, « Fleur de Lys », sous lequel Douglas a fini par se rappeler à son bon souvenir: un surnom sans doute parfaitement adapté à la conception de la vie comme comédie, mais qu’il aurait évité d’employer de nouveau s’il avait eu la moindre compréhension de la situation réelle de Wilde en prison : « Tu te voyais toujours en prince charmant d’une comédie banale [« trivial »] et non pas en sombre figure d’un spectacle tragique. »2 On comprend qu’il ne s’agit pas de deux conceptions équivalentes : la conception de la vie comme tragédie est plus juste que la première, qui est un mensonge, qui limite singulièrement la perspective. La comédie, « triviale », porte l’accent sur l’enveloppe superficielle de l’homme. Juste après le passage où il écrit qu’il a découvert que la vie « est révélée une tragédie révoltante, répugnante », Wilde ajoute : 1 2

P.83. P.99. 43


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« […] et la sinistre cause de la grande catastrophe - sinistre par sa concentration sur un objectif unique et par la force de volonté extraordinairement

restreinte

qu’elle

manifestait

-

c’était

toi,

dépouillé de ce masque de joie et de plaisirs qui m’avait, non moins que moi, trompé et dévoyé. »1 Pourtant, Wilde réunira lui-même les deux perspectives, insistant sur ce qui, dans la misérable condition humaine, relève du grotesque, prête à rire : « Notre habit même nous rend grotesques. Nous sommes les bouffons de la douleur. Nous sommes des clowns au cœur brisé. »2 * Illusion et plaisir - L’illusion consistait donc à voir la vie uniquement sous l’aspect du plaisir. Wilde insiste sur le fait que c’était bien là sa conception. C’était, en un sens, chose naturelle : nous avons une propension à rechercher le plaisir et rejeter les réalités déplaisantes. Lorsque nous commençons à vivre, nous faisons la différence entre ce qui est doux et ce qui est amer, et ce qui est doux « nous est si doux », et ce qui est amer « nous est si amer », que spontanément, « nous orientons tous nos désirs vers le plaisirs. » (137) Il n’y a rien là de mauvais en soi, sinon que nous avons tendance à aligner la suite de notre vie sur cette attitude initiale. Cela n’est pas sans prix : nous ignorons alors que nous pourrions par-là « affamer notre âme. » (Ibid.) Ainsi, ce qui est mauvais n’est pas tant la vie de plaisir, ou la vie vue à travers le plaisir, que celle qui s’y cantonne, ne va pas chercher au-delà. Reprenant plus loin la métaphore de la nourriture, Wilde se décrit comme ayant « voulu goûter les fruits de tous les 1 2

P.83. P.169 44


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arbres du jardin du monde ». Il s’est en réalité, ajoute-t-il, borné « aux arbres du côté ensoleillé du jardin », ou qui paraissait l’être. Or, en tant qu’étape, cette attitude est justifiée - et justifiée après coup par Wilde : « Je ne regrette pas un seul instant d’avoir vécu en quête de plaisirs. Je l’ai fait pleinement, et il faut toujours faire pleinement tout ce que l’on fait. Il n’y a pas de plaisir dont je n’aie fait l’expérience. »1 (Cette affirmation est cependant contrebalancée par d’autres, où Wilde s’accuse d’avoir ruiné sa vie par concupiscence. Ici, nous ne devons pas oublier qu’un des buts du De profundis est, comme nous l’avons vu, de rendre nécessaire le passé. L’ambiguïté montre que cette donation de sens de la vie par l’art ne peut pleinement aboutir, que certaines fractures ne peuvent être réduites. C’est après tout ce que Wilde lui-même semble nous dire à la fin, lorsqu’il relie le caractère passionné et désordonné de son texte au fait qu’il est encore loin d’être parvenu à la sagesse. Mais il y a une autre possibilité, ouverte par le De profundis : celle de nous présenter cette ambiguïté comme inévitable, et de refuser de la résoudre à notre place.) Wilde voit une continuité entre cette (sa) vie de plaisir et celle qu’il mène en prison, celle où il goûte les fruits de l’autre côté du jardin, le côté sombre. Il parle de sa « vie nouvelle » comme d’un « prolongement », un « développement », une « évolution » de sa vie passée, là où nous pourrions ne voir qu’une simple rupture. Il se transforme de victime en acteur :

1

P.140. 45


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« Mais c’eut été une erreur de poursuivre la même vie, car c’eût été une limitation. Il me fallait aller plus loin. Pour moi aussi l’autre moitié du jardin avait ses secrets. »1 Ce parcours est rendu par le concept de la réalisation de soi. L’ « humilité » à laquelle il est parvenu est le résultat d’une prise de conscience de la signification de la souffrance subie. Elle succède à la révolte, à l’amertume et à la tentation du suicide. Cela lui semble être « le point de départ d’un nouveau développement » (124) Il ne la conçoit pas comme accidentelle ou provenant de l’extérieur (« si l’on me l’avait apportée, je l’aurais refusée »), mais comme provenant de son être propre, comme étant arrivée « au moment opportun ». L’humilité intervient comme un passage de l’ancienne vie à la vie future : « De toutes choses c’est la plus étrange. On ne peut la donner et on ne peut la recevoir d’autrui. On ne peut l’acquérir qu’en renonçant à tout ce que l’on possède. C’est seulement quand on a tout perdu qu’on sait qu’on la possède. »2 Elle est l’occasion d’une clarté nouvelle, ainsi que la révélation de ce qu’il « devrait faire », ce que « effectivement

[il lui faut] faire ». Là

encore, ce devoir exclut toute référence à une extériorité, mais renvoie à une nécessité interne : « Et quand j’emploie une expression comme celle-là, je n’ai pas besoin de te préciser que je ne fais allusion à aucune sanction, aucune autorité extérieure. Je n’en reconnais aucune. Je suis bien plus individualiste que je ne l’étais autrefois. Rien ne me paraît avoir 1 2

P.141. P.124. 46


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de valeur, hormis ce que l’on tire de soi-même. Ma nature recherche à l’heure actuelle un nouveau mode d’épanouissement [« a fresh mode of self-realisation »]. Voilà tout ce qui m’intéresse. »1 Le lien entre individualisme et réalisation de soi est étroit. La poursuite

de

la

réalisation

de

soi

est

la

recherche

d’un

individualisme plus poussé que celui qu’on lui reprochait. S’il avait été réellement individualiste, il n’aurait pas fait appel aux lois de la société pour qu’elles l’aident – elles se sont retournées contre lui (ce qu’il décrit même comme sa « seule action déshonorante » (171)). Bien plus, dans une perspective individualiste, aucun fait extérieur n’a plus d’importance (125). Quant à la conception de sa propre vie, ainsi que de la vie en général, elle doit aussi passer par des modes de compréhension qui lui sont propres. Les symboles… « … doivent avoir été créés par moi. Seul ce qui crée sa propre forme est spirituel. Si je ne puis en découvrir le secret en moi, jamais je ne le découvrirai. Si je ne le possède pas déjà, jamais il ne viendra jusqu’à moi. »2 * Réalisation de soi et absorption - L’humilité, que Wilde présente comme son état présent, intervient, nous l’avons vu, alors qu’il se trouve dans un dénuement extrême. Il a tout perdu ; jusqu’à la garde de son fils, ce qui est pour lui le coup de grâce. Mais cet état lui permet d’accueillir, toutes les expériences, et non juste celles du côté ensoleillé (c’est là le prolongement, non la négation, de la première philosophie.) Cette plus grande disponibilité, qui le conduit 1 2

P.125. P.127. 47


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à « tout accepter » (141), correspond à un accroissement de son être ; une absorption, ou une intégration ; contraire d’un rejet dont les corollaires émotionnels seraient l’amertume et la honte, et le corollaire ontologique, un arrêt de l’évolution, « rien d’autre qu’un déni de l’âme » (129) Il n’est pas alors juste question de l’acceptation de toute expérience, mais aussi de sa transformation. Wilde doit muer le négatif en positif, faire du mal une « épreuve spirituelle », sous peine d’être incomplet ou mutilé : « Il n’y a pas une seule dégradation corporelle dont je ne doive essayer de la changer en une spiritualisation de l’âme. » (128) L’image de l’absorption doit ainsi être prise au pied de la lettre, avec celle de la digestion qui lui est associée. Wilde compare les aliments pour le corps et les aliments pour l’âme. Les premiers peuvent être plus ou moins purs (les choses « ordinaires et malpropres », écrit-il, aussi bien que « celles que le prêtre ou une vision a purifiées 129 [trmd] »), il n’en reste pas moins que le corps les change en éléments qui lui sont favorables : en « agilité ou en force », en beaux muscles, en chair « bien moulée »… Le parallèle avec l’âme met en évidence la « spiritualisation » que nous avons relevée : « … l’âme a également ses propres fonctions nutritives, et peut transformer en pensées pleines de noblesse et en passions de haute valeur ce qui en soi est bas, cruel et dégradant […] »1 (Notons que la question de savoir ce qui nourrit l’âme est importante pour Wilde : nous l’avons déjà croisée dans la discussion du 1

P.129. 48


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contraste entre l’amour et la haine.) Ici, il modifie les termes de sa comparaison : dans le cas du corps, toutes sortes de choses, pures ou impures, peuvent le nourrir et à la fois le fortifier et l’améliorer. Mais dans le cas de l’âme, ce sont les extrêmes opposés qui l’intéressent – comment l’âme a la faculté de changer ce qu’il y a de plus bas en ce qu’il y a de plus haut – et cela fait penser à la transmutation du métal vil en or. Allant plus loin, il avance que ce qu’il y a de plus bas peut être la meilleure voie d’élévation pour l’âme : « […] mieux encore : elle peut y trouver ses moyens de s’affirmer les plus augustes, et peut souvent se révéler le plus parfaitement au travers de ce qui était destiné à profaner ou à détruire. [trmd] »1 * Réalisation de soi et perfection - Par cette transformation, l’âme humaine recherche sa perfection, suit « l’inévitable loi de la perfection de soi [trmd] » (148) L’idée imprègne le De profundis, le terme y est fréquemment employé. Si l’épreuve a un sens, c’est parce qu’elle permet d’améliorer son âme. Wilde, évoquant l’acceptation de sa punition - le fait de ne pas être « honteux » - la décrit comme « l’un des premiers stades qu’il [lui] faudra atteindre et pour [sa] propre perfection et parce qu’[il est] tant imparfait [trmd]» (132). Plus loin, il mentionne les « nouveaux développements » qu’il voit dans l’art et dans la vie ; qui sont autant de « mode[s] de perfection » (134). Dans le même passage, concernent son attitude antérieure vis-à-vis de la douleur et de la souffrance, une attitude de fuite et de dégoût, il écrit qu’il les considérait comme des « modes d’imperfection » à exclure de son système, sa philosophie de la vie : une compréhension presque 1

P.129. 49


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symétriquement opposée à celle du De profundis (133). A propos de la justification de la douleur, il écrit que l’âme de l’homme ne pourrait utiliser d’autre moyen afin « d’atteindre la pleine mesure [« the full stature »] de sa perfection. » (138) Chez le Christ, pense Wilde, on trouve une union étroite « de la personnalité et de la perfection » (142), et il considère pêché et souffrance comme des « modes de perfection » (162). Ainsi, la réalisation de soi se comprend comme projection d’un moi « meilleur » à réaliser. Notons cependant que l’idée de perfection ne se laisse pas chez Wilde réduire à une portée strictement morale : « devenir meilleur », voilà qui est aussi moqué d’un ton railleur, tout comme la « réforme » de soi. Cette amélioration morale est qualifiée de « non scientifique » : « unscientific cant » ; signifiant tant le propos hypocrite que le cliché. De manière typique, abordant le thème de la morale, il ne demande pas en quoi elle peut servir à l’humanité en général, mais ce qu’elle peut faire pour lui. Radicalité de la réponse : elle ne peut lui être d’aucune aide, il est fait pour les exceptions, non pour les règles (cf. 126.) Il oppose à l’amélioration morale la possibilité de devenir plus « profond » (126, et 167). Un autre indice contribue à l’impossibilité de la réduction morale de l’idée de perfection : lorsqu’il décrit ses relations avec le monde des jeunes prostitués, qu’il ne regrette pas d’avoir connus, il les montre comme manifestant une forme particulière d’auto-suffisance : « Ils étaient pour moi les plus brillants des serpents dorés. Leur poison était partie intégrante de leur perfection. » (173) *

50


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L’expression - Afin de mieux cerner ce thème de la perfection, on le reliera à un autre thème, aussi présenté comme non-moral (en tous cas : non directement) : celui de l’expression. On ne peut dissocier celle-ci de la définition de l’artiste, qui recherche l’adéquation d’un contenu et d’une forme. Mais elle dépasse cette définition, ou plutôt, chez Wilde, « l’art » excède toujours la simple production d’œuvres d’art. L’artiste recherche un « mode d’existence » : celui où âme (« soul ») et corps (« body ») sont « un tout indivisible ». L’âme alors est incarnée (« the soul made incarnate ») – « esprit » est utilisé comme équivalent de « âme » : dans ce mode d’existence, le corps est rempli d’esprit,

exhale

l’esprit

(« instinct

with

spirit »).

L’extérieur

(« outward ») exprime l’intérieur (« inward »). La forme « se révèle ». La notion d’expression est ainsi essentielle à la compréhension de ce qu’est la vérité en art, et plus largement, la vérité tout court. La vérité en art ne peut en effet être définie comme correspondance (entre idée essentielle, « essential idea », et existence accidentelle, « accidental existence »), ni comme ressemblance – ni « reflet », ni « écho ». La vérité en art, écrit-il, est « l’unité d’une chose avec ellemême » (137). Parmi ces modes d’existence se trouve « la jeunesse » : L’enfance, une fleur, sont des exemples « simples », la musique, où tout sujet « est absorbé dans l’expression sans pouvoir en être dissocié », un exemple complexe. Le but de ce passage est de montrer que la souffrance en est l’exemple privilégié : le « type ultime », à la fois dans la vie et dans l’art. Wilde le montre en désignant l’adéquation du symbole avec lui-même. Derrière la joie, le rire, un « tempérament vulgaire, brutal, insensible » peut se dissimuler - autrement dit, la 51


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joie et le rire peuvent ne pas être les expressions adéquates du caractère, s’ouvre la possibilité d’une distance entre les deux, voire d’une tromperie. Une telle distance n’existe pas dans le cas de la douleur : « Mais derrière la douleur on trouve toujours la douleur. La souffrance, à la différence du plaisir, ne porte point de masque. » (136) L’image du masque est redoublée par la possibilité de l’illusion : une chose sera toujours susceptible de se réduire à une « illusion de l’œil » (qui « l’aveugle ») ou de l’appétit (qui « l’assouvit »). Par contraste, la douleur est à la fois fondement, réalité ultime, et vérité ultime : « […] c’est sur la douleur que les mondes ont été édifiés, et à la naissance d’un enfant ou d’une étoile c’est la douleur que l’on trouve. » (136) La douleur est ainsi le symbole par excellence. Tout être humain, parce qu’il souffre, est en « relation symbolique » avec elle, le « secret même de la vie » : « Car le secret de la vie, c’est la souffrance. C’est ce qui est caché derrière toute chose. » (137) On retrouve le thème de l’expression dans la description que donne Wilde du Christ, dans un contexte où il le place en contraste avec l’artiste. La conception de la vie de ce dernier, on l’a vu, est liée à l’expression ; « pour lui, ce qui est muet [« dumb »] est mort » (150). Ainsi, certaines parties de la réalité sont expressives, au sens strict parlent, et ce sont ces parties que l’artiste privilégie, qu’il comprend. La conception du monde du Christ est à la fois plus profonde et plus 52


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large ; cela fait de lui soit un caractère à part, soit le caractère de l’artiste poussé jusqu’au bout. Pour lui, en effet, rien n’est muet, ou tout parle, dans la réalité : plus précisément, il est celui qui transforme ce qui est muet en langage, l’inexprimé en expression. Il opère d’une manière particulière, se rendant lui-même, son corpsmême, expression : «

[…]

il

prit

[« inarticulate »],

pour

royaume

tout

l’univers

de

l’inarticulé

l’univers sans voix [« voiceless »] de la douleur, et

s’en fit pour l’éternité le porte-parole [« external mouthpiece »]. »1 Se faisant bouche de la souffrance non dite, il l’incarne et la révèle. (Cela rappelle le passage de L’âme humaine où Wilde parlait de ceux que la misère touche vraiment, et auxquels manque la conscience de leur

propre

condition ;

un

éclairage,

un

mode

d’expression,

extérieurs leur sont nécessaires pour qu’ils soient révélés à euxmêmes.) Outre la bouche, organe de l’appel, les organes des sens sont mis à contribution, ouvrant aux autres la connaissance du monde et d’eux-mêmes : « Il a cherché à se changer en yeux pour les aveugles, en oreilles pour les sourds, et en un cri sur les lèvres de ceux dont la langue est enchaînée. »2 Allant plus loin, Wilde identifie le Christ à une œuvre d’art, au sens de la personnification, l’incarnation de la douleur, seule réalité essentielle.

Ainsi

l’incarnation-même

trouve-t-elle

une

valeur

intrinsèque ; celle de la forme qui révèle, en laquelle, on l’a vu, l’extérieur manifeste l’intérieur : 1 2

Pp.150-151. P.151. 53


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« Et comme il sentait, grâce à sa nature d’artiste pour qui la douleur et la souffrance étaient des modes permettant de réaliser sa conception du Beau, qu’une idée est sans valeur tant qu’elle n’a pas pris chair et n’est pas devenue image, il devient lui-même l’image de l’Homme des Douleurs, et en tant que tel a fasciné et dominé l’art à un degré qu’aucun dieu grec n’a jamais atteint. »1 * Expression ; le visible et l’invisible - Le thème de l’expression intervient aussi dans la double conception du monde comme visible et invisible. A la fin du texte, Wilde imagine ce que sera sa vie audehors. Il redécouvrira le charme et la beauté des décors naturels, en particulier des fleurs et des couleurs, ces éléments précieux du monde visible, auxquels sa nature « répond », « en vertu d’une sympathie subtile avec l’âme même des choses » (205). Mais cette beauté visible n’est, il le comprend à présent, pas l’essentiel. Elle n’est que l’expression d’une réalité plus fondamentale : « Il n’empêche qu’aujourd’hui j’ai conscience que derrière toute cette beauté, aussi satisfaisante qu’elle soit, se cache un esprit dont les formes peintes ne sont que des modes de manifestation, et c’est avec cet esprit que je souhaite être en harmonie. »2 Ce passage recèle plusieurs idées essentielles. La première, on l’a relevé, est une distinction entre une réalité visible et une autre, dont la première n’est que l’expression. Mais l’on voit aussi que cette distinction, loin de se limiter à une portée toute théorique, engage l’être entier de celui qui la forge. En effet, dans un cas comme dans 1 2

Ibid. P.205. 54


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l’autre, ce n’est une réalité qu’en tant qu’elle est reliée à une âme (la « sympathie » pour le monde visible, « l’harmonie » avec l’autre) : et la différence de hiérarchie entre les deux se marque par le progrès d’une âme passant d’un niveau à l’autre. Enfin, le passage de l’âme au-delà les apparences est rendu par l’image des « formes peintes », derrière lesquelles se trouve « l’esprit caché ». Cette nouvelle compréhension s’accompagne d’une réévaluation de l’expression, au sens linguistique cette fois, du terme. Dans ces lignes, on aperçoit un quasi-renversement de l’image du Christ Porte-parole de l’inexprimé (« inarticulate »), Bouche pour l’inexprimé. Wilde y manifeste un surprenant rejet du langage, fatigue ou dégoût : « Je suis las des propos travaillés des homes et des choses. (I have grown tired of the articulate utterances of men and things) »1 Comme si la véritable intelligence devait s’accompagner de silence, ou comme si le langage, approprié à l’expression de la beauté du monde visible, ne l’était plus à celle de “l’esprit caché”. Or ce silence est celui du Mystique : « Le mystique dans l’art, le mystique dans la vie, le mystique dans la nature, voilà ce que je recherche, et c’est peut-être dans les grandes symphonies de la musique, dans cette initiation qu’est la souffrance, dans les profondeurs de la mer, que je le trouverai. Il est absolument nécessaire pour moi de le trouver quelque part. »2

1 2

Ibid. Ibid. 55


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Ainsi, un des épilogues du De profundis est cette perspective d’union silencieuse et paisible avec la nature, la nature comme refuge. Je cite tout le passage : « La société, telle que nous l’avons constituée, n’aura nulle place pour moi, n’en a aucune à m’offrir, mais la nature, dont les douces pluies tombent également sur le juste et l’injuste, aura dans les rochers des anfractuosités où je puisse me cacher, et des vallées secrètes dans le silence desquelles je puisse pleurer sans être dérangé. Elle accrochera au ciel des étoiles pour que je puisse marcher dans la nuit sans trébucher, et fera se lever le vent sur l’empreinte de mes pas de façon que personne ne puisse me suivre à la trace et me faire mal. Elle me lavera dans de grandes eaux, et au moyen d’herbes amères me rendra la santé. »1 * L’idéalisme - La conception mystique du rapport à la nature est reliée à ce que l’on pourrait appeler l’idéalisme de Wilde, tel qu’il est exposé à la toute fin du texte. Il y reprend le thème du passé et de sa réappropriation.

Mais

cette

fois,

l’argument

est

strictement

métaphysique, portant non pas sur le contenu du passé, mais sur le passé lui-même, son concept. Or, le passé n’est pas « irrévocable », il ne faut pas croire ceux qui le prétendent. Il vise ici l’opinion commune. Plus haut déjà, dans son explication de la personnalité du Christ, il s’attaquait à cette idée, prenant comme cible la pensée Grecque : les aphorismes gnomiques stipulant que « Les Dieux euxmêmes ne peuvent modifier le passé. » (cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, VI, 2)2. Il répliquait que selon le Christ, le moindre 1 2

P.206. Précision due au traducteur, J. Gattégno. 56


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pécheur, par le repentir, le peut toutefois (162). A l’issue du De Profundis,

reprenant

le

thème,

Wilde

cherche

à

modifier

la

conception linéaire du temps du lecteur ; notre conception du temps comme succession du passé, du présent et du futur. En effet, sous un autre aspect, tous les moments ne sont qu’un : « Le passé, le présent et le futur ne sont qu’un moment unique au regard de Dieu, et c’est sous son regard qu’il nous faut essayer de vivre. »1 Autrement dit, ce changement de perspective est illustré par la différence entre le simple point de vue humain et le point de vue divin sur les choses, mais suggérer cette différence permet aussi à Wilde d’en marquer une autre entre deux points de vue humains, qui sont autant de manières humaines de vivre : l’ordinaire, et celle ouvrant au type de synthèse qu’il recherche. On pourrait appeler le second point de vue (même s’il n’emploie pas ici le terme) celui de l’éternité. Si l’on cherche ce que signifie alors vivre « sous le regard de Dieu », voici ce que, me semble-t-il, on peut dire : suivant la première conception, la séparation des moments en passé, présent, futur, entraîne le caractère irrévocable du passé, donc l’idée de son extériorité, il ne peut être à moi. Ce caractère implique aussi une impossibilité de voir sa propre vie comme une unité ; ce que seule une conception du temps comme un (tous les moments n’en sont qu’un) permet d’opérer. Maintenant, la conception du temps ouverte au second point de vue est typiquement idéaliste, en ceci qu’elle dénie non seulement au temps, mais aussi à l’espace - et donc à ce qu’ils contiennent - une 1

P.208. 57


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existence indépendante, autonome, par rapport à l’individu ; mais les font dépendre de la pensée : « Le temps et l’espace, la succession et l’étendue, ne sont que des conditions accidentelles de la pensée. [trmd] »1 Dans un premier temps, les implications ontologiques en sont plutôt négatives. Nous avons déjà relevé que les « faits extérieurs », dans une perspective individualiste, n’ont plus d’importance (125). Cette affirmation est réitérée : les choses ont « peu d’importance », et même manquent d’une « existence réelle », écrit Wilde, ajoutant avec ironie que, pour une fois, la métaphysique nous apprend quelque chose. Cependant, c’est par contraste avec « l’esprit » qu’elles ne comptent guère (165). Cette mise en balance entre les objets et l’esprit aboutira à la fin du texte à une revalorisation de l’objet. Revenons en effet au dernier paragraphe. Par contraste avec une pensée qui se concentrerait sur, se réduirait à, cette simple dimension « accidentelle » d’elle-même, existe la possibilité d’une pensée dépassant l’espace et le temps ; tout comme, par contraste avec

l’idée

d’objets

déterminés

temporelles

(donnés

une

fois

par pour

leurs toutes

conditions tels

qu’ils

spationous

apparaissent dans l’espace et le temps), existe la possibilité, pour ces objets, de modes d’être insoupçonnés : « L’imagination peut les transcender, et atteindre une libre sphère, d’existences idéales. [trmd] »2

1 2

P.208. Ibid. 58


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Il est significatif que cette dimension non-accidentelle de la pensée se nomme l’imagination. Eloignée d’une pensée dégagée du sensible et impersonnelle, c’est elle qui atteint le cœur des choses, en ce qu’elle a tant de créateur – on ne peut séparer la perception des choses du fait de les créer, c’est ce que signifie « existence idéale », existence liée à l’idée – et de personnel – voir un objet sens le plus plein, c’est la même chose que de m’y investir le plus possible. D’où cette conséquence: la conception du monde, en ce sens, est subjective : « Les choses également sont dans leur essence ce que nous décidons de faire d’elles. Une chose est, en fonction des modalités selon lesquelles on la regarde. »1 Pour Wilde, ce serait une erreur que de voir cette dimension subjective comme une limitation. Elle est plutôt une ouverture du champ de la perception. C’est ce qu’indique la citation de Blake qui suit : « Là où d’autres ne voient que l’Aube arrivant par-dessus la montagne, je vois les fils de Dieu pousser des cris de joie. » L’imagination permet, nous dit Wilde, la transformation de soi. Aussi bien, le « soi » qui est à transformer ne se réduit pas, justement, à sa succession dans le temps. Il y a en effet une congruence curieuse et intéressante entre ce que dit Wilde sur le temps à la fin du De profundis, et ce qu’il dit plus haut des dimensions temporelles du sujet. Dans ce passage, qui demanderait à être étudié pour luimême, Wilde remarquait à quel point la signification de la souffrance était anticipée dans la plupart de ses œuvres. Il identifiait alors totalement l’évolution de son œuvre et son évolution personnelle – 1

P.209. 59


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évoquant ce qui était en germe, dans sa vie et son art. Il écrivit alors : « Il ne pouvait en aller autrement. A chaque instant de notre vie, nous sommes tout autant ce que nous allons être que ce que nous avons été. L’art est un symbole parce que l’homme est un symbole. »1 * L’adéquation à soi-même - La question de l’expression est aussi celle du rapport à soi-même. Elle se pose en termes de distance ou de proximité. La distance s’exprime dans l’idée qu’il est « tragique de constater combien si peu de gens « sont en possession de leur âme » avant de mourir. », la possession signifiant une forme d’adéquation à soi-même (148) Tout comme mon âme peut ne pas m’appartenir, mes actes le peuvent, ce que traduit directement la citation d’Emerson : « Rien n’est plus rare chez un homme, qu’un acte qui lui appartienne en propre. » (Ibid.) Wilde reprend à son compte cette altérité de l’individu vis-à-vis de lui-même : « La plupart des gens sont des gens autres. Leurs pensées sont les opinions d’autres personnes, leur vie n’est qu’une copie, leurs passions, des citations. »2 Par contraste, on peut atteindre son âme dans son caractère unique, ce que lui a permis sa propre épreuve : « C’était bien entendu mon âme, en son essence dernière, que j’avais atteinte. A bien des égards, j’avais été son ennemi, mais je découvris qu’elle m’attendait en amie. Quand on entre en contact avec l’âme,

1 2

P.141. P.148. 60


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on devient aussi simple qu’un enfant, comme Jésus a dit qu’il fallait l’être. »1 Cette notion d’adéquation est inséparable de celle d’expression. Celle-ci lui est aussi nécessaire que les feuilles aux branches des arbres : « Entre mon art et le monde s’étend à présent un large fossé, mais entre l’art et moi-même il n’y en a pas. J’espère du moins qu’il n’y en a pas. »2 C’est là un second épilogue, celui de la continuation de l’expression artistique, ou plutôt de la projection de cette continuation. * Religion - Je terminerai cette étude par quelques remarques concernant la pensée de Wilde sur la religion. Certes, il la rejette dans un premier temps, au même titre que la morale : l’une comme l’autre ne lui sont « d’aucun secours ». La formule de désaveu ressemble à une profession de foi sensualiste : « La religion ne m’est d’aucune aide. La foi que d’autres accordent à l’invisible, je l’accorde au palpable, au visible. »3 Dans le même passage, Wilde évoque même, en jouant un peu lourdement sur le paradoxe, la possibilité de créer une Eglise athée. Mais ce qu’il rejette exactement n’est pas explicité. En revanche, il considère que « toute chose doit, pour être vraie, devenir une religion. » (127) Cette idée étrange d’un devenir-religion pourrait être un symbole du mouvement général du texte : tout, dans le De 1

Ibid. P.169. 3 P.126. 2

61


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profundis, vise, on l’a vu, à la transmutation de l’expérience par le verbe, et cette transmutation est explicitement associée à la purification. Or, il faudra attendre la fin pour que soient pleinement assumés le mysticisme et l’idéalisme que nous avons décrit. Mais alors, tout se passe comme si le concept de « religion » lui-même devait être transformé et purifié, comme si le mouvement ne concernait pas seulement l’expérience mais le langage lui-même. Le concept de religion ne peut être un concept extérieur, tout comme la vie ne doit pas être une copie, ni les passions des citations. La religion, en définitive, n’a pas tant à être rejetée que réappropriée, en un sens qui, peut-être, se rapproche de l’athéisme, ou serait considéré comme tel par certains, mais qui peut en réalité mêler les deux sens pour créer quelque chose de neuf, qui ne se réduit pas à la seule superposition des sens : « Mais qu’il s’agisse de foi ou d’agnosticisme, il ne peut s’agir de quelque chose qui me soit extérieur. Ses symboles doivent avoir été créés par moi. Seul ce qui crée sa propre forme est spirituel. » 1 « Its symbols must be of my own creating »: cela signifie qu’on ne les trouvera pas dans les textes sacrés, ou bien que ce qui se trouve dans ces textes devra être rendu subjectif, dépouillé de toute signification étrangère. « Only that is spiritual which makes its own form »:

les

dimensions

esthétiques

et

existentielles

sont

inséparables : il faut trouver pour sa propre vie une allure singulière, qui manifeste l’unité de l’être avec lui-même (l’artiste, créateur de formes, est lui-même forme, se créée lui-même.) Et dans sa description du Christ - on a beaucoup parlé du parallèle qu’il établissait entre sa propre personne et celle du Christ - Wilde s’empare du matériau connu ou supposé concernant Jésus pour le 1

P.127. 62


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fondre, en artiste, en une autre forme, cette élaboration, ce travail de forge, lui servant à créer la sienne propre, comme un miroir idéal qu’il se tendrait à lui-même - Jésus lui-même comme premier artiste, ou artiste primordial. (C’est aussi pour cela que cela n’a guère de sens, par exemple, de se demander si le Jésus qu’il décrit correspond à un Jésus « historique » - pas plus, on le soupçonne, que de demander si le Douglas qu’il décrit est un Douglas « réel » ; on peut toujours poser ces questions, mais les voir comme des enjeux centraux revient à passer à côté du rôle de l’imagination créatrice dans le texte, et de ce que Wilde attendait de cette imagination.) Nul doute que l’élaboration du Christ ne soit un travail de projection : mais c’est ce en quoi consiste tout l’intérêt de cette élaboration. On retrouve en ce symbole, ramassés, mis ensemble et en forme, chacun des traits appartenant au concept de réalisation de soi épars dans le texte. Le Christ est l’individualiste suprême, et la seule manière de l’imiter reviendrait à être absolument soi-même (142). Cela, en soi, revient à expliquer ce qu’est ou peut être l’exemplarité :

non

pas

la

reproduction

des

actions,

des

comportements - on pourrait le faire de manière automatique, passive, sans que notre être intérieur soit vraiment impliqué. Mais si imiter le Christ revient à être soi-même, alors le Christ joue un rôle de révélateur de personnalité. On pourrait presque tourner cela à la manière d’une énigme : comment imiter le plus quelqu’un revient à être le plus soi-même ? « A vrai dire, et au bout du compte, c’est là le charme de Jésus. Il est lui-même tout à fait semblable à une œuvre d’art. Il n’enseigne pas

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vraiment quelque chose, mais lorsqu’on se retrouve en sa présence, on devient quelque chose. »1 « One becomes something »: c’est bien un déplacement du concept de morale que l’on voit s’esquisser. Wilde écrivait aussi que s’il n’y a rien de mal dans ce que l’on fait, il peut y avoir quelque chose de mal dans ce que l’on devient. L’imitation véritable nous laisse ainsi livré à nos propres ressources, l’action exercée par le Christ s’associe au magnétisme, suit des voies qui ne peuvent être prévues, ni forcées (chacun d’entre nous est prédestiné à le rencontrer une fois dans sa vie, dit Wilde, sur le chemin d’Emmaüs : en soi, cela montre l’aléatoire mêlée à la nécessité de la rencontre). Mais la remarque de Wilde s’applique au De Profundis lui-même (justement, en tant qu’œuvre d’art) : « Il n’enseigne pas vraiment quelque chose, mais lorsqu’on se retrouve en sa présence, on devient quelque chose. » Ici, il y a un impensé de l’œuvre, une fracture : ce que dit Wilde ne s’applique pas au principal destinataire de l’œuvre : on ne retrouve nullement dans ses injonctions à Douglas ce caractère libre de l’influence bénéfique, mais son contraire : la volonté crispée, dure, de forcer l’autre à devenir lui-même, ou un lui-même meilleur. Pour Douglas, la simple présence du Christ/Wilde/œuvre d’art ne suffit pas : il faut lui donner des ordres, lui dire quoi faire. Mais je ne pense pas que ce soit une limitation de l’œuvre, si c’en est une de l’auteur. Il se peut que Wilde échoue de manière empirique à traduire sa volonté de réformer Douglas autrement que sous la forme de la contrainte, une forme qu’il rejette par ailleurs. Mais c’est une force, et une caractéristique de l’œuvre, que de nous présenter vivante cette contradiction. Une fois encore, nous sommes laissés à 1

P.163. 64


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nos propres ressources, à la fois pour comprendre le livre, et pour l’appliquer à notre propre devenir. La question du rapport à autrui est également déplacée. Comprendre l’individualisme, le véritable individualisme, revient à comprendre qu’il n’a rien en commun avec l’égoïsme. Mais cela demande explication. On trouve chez Wilde autant d’importance accordée à l’autre et à ses souffrances que chez l’ « altruiste » le plus déclaré. Encore faut-il saisir la forme toute particulière que prend chez lui cet élan. Il rejette notamment l’idée qu’il faudrait aider autrui, que ce serait là un devoir moral, que l’on pourrait poser en principe. En revanche il y a, nous l’avons vu, un lien entre l’imagination et l’amour. C’est la même imagination, dans son intensité, qui permet au Christ d’être pleinement lui-même, et d’entrer dans un rapport de compréhension profonde aux autres, de se rapprocher d’eux par « sympathie imaginative » (143). Ainsi le rapport moral à autrui est-il avant tout non pas l’affaire d’une rationalité, mais de l’exercice de l’imagination (d’une capacité esthétique) ; n’est pas avant tout l’affaire d’une action à accomplir, mais d’une perception aimante, qui se décline : « Il a compris la lèpre du lépreux, les ténèbres de l’aveugle, la cruelle infortune de ceux qui vivent pour le plaisir, l’étrange pauvreté du riche. » (143) Aussi l’imagination permet-elle, au sens strict, l’identification à l’autre. Elle permet de comprendre que les séparations entre les êtres ne sont qu’apparentes. Ici, je voudrais insister sur ce qui pourrait ne sembler constituer qu’une banalité. Ce n’est une 65


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« banalité » que parce qu’on a souvent vu cette formule écrite, ou qu’on l’a souvent entendue. Il est en réalité très difficile de comprendre ce qu’elle implique parce que, pourrait-on dire, il est très difficile d’être ce qu’elle implique. Je crois que spontanément, nous nous concevons, plus ou moins instinctivement, comme individus séparés. Plus exactement, la poursuite de nos intérêts personnels, qui est un motif permanent, tentaculaire, omniprésent dans nos existences, produit cette séparation, circonscrit notre être spirituel un peu comme nos corps circonscrivent notre être physique. Cela ne signifie pas que nous ne sommes qu’égoïstes : parmi nos élans se trouve aussi celui consistant à essayer de comprendre et d’aimer l’autre, à passer outre cette frontière (et il y a aussi des gens pour lesquels cela est plus facile, plus naturel ou même plus coutumier, que pour d’autres). Cela ne signifie pas non plus que la poursuite de l’intérêt personnel soit en soi une mauvaise chose : il nous faut bien, en tant qu’individus, poursuivre des buts, et ces buts sont nos buts, particuliers, personnels. Cependant, ils donnent une forme à la vie, et cette forme est celle de la séparation. Que chacun soit isolé, voilà qui est parfois déploré (solitude, angoisse) mais qui n’est jamais remis fondamentalement en question, c’est le mode d’être enraciné, familier. Nos manières d’être en société produisent rarement autre chose que des agrégats, les communautés sont communautés d’individus (d’intérêts), non des modes de fusion. Aussi l’idée que la séparation entre les êtres n’est qu’apparente n’est pas du tout une évidence : c’est tout le contraire, elle est radicalement contre-intuitive, elle ne correspond à rien de ce que nous vivons le plus souvent, à rien de ce que nous sommes le plus souvent. 66


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Selon Wilde, il faut une personnalité comme celle du Christ pour abolir cette séparation. C’est au sens strict une révolution que de concevoir vraiment l’identité de notre être avec celui des autres. De concevoir que : « Tout ce qui arrive à autrui t’arrive à toi-même. » (143) Pour comprendre cela, il faut l’imagination de l’artiste, tout comme pour la création de l’idée d’humanité, non comme races divisées, mais comme une (« tout ce qui arrive à autrui t’arrive à toi-mêmes », cela doit être réalisé, aucune psychologie empirique ne peut nous livrer cette idée sur un plateau. Et l’ « humanité » n’est pas une notion biologique, pas quelque chose que l’on trouve dans la nature comme on collecte des faits.) Jésus est à la fois artiste et œuvre d’art. Ainsi, écrit Wilde, il éveille en nous le « sens du merveilleux auquel a de tout temps parle le romanesque » (144) Emmanuel Halais

Docteur et agrégé en philosophie, maître de conférences en philosophie du langage et de la connaissance à l’UPJV, membre du CURAPP, Emmanuel Halais est l’auteur de Individualité et valeur dans la philosophie morale anglaise (2006), Wittgenstein et l’énigme de l’existence (2007), Une certaine vision du Bien (2008) ; de traductions de la philosophe américaine Cora Diamond (dont L’importance d’être humain,2011) et d’Iris Murdoch ; d’articles, dont « Le scepticisme et la nature des valeurs » (Raison publique, 2016).

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Thèmes de recherche : philosophie de la connaissance, philosophie du langage, éthique, esthétique, métaphysique. Partant de la tradition de la philosophie analytique, sont abordées les grandes questions concernant la nature du monde, le rapport entre le langage et le monde, la signification, la vérité. Ces questionnements s’appliquent aussi à l’éthique et l’esthétique, notamment à partir de Moore, Wittgenstein, Schopenhauer et Iris Murdoch : quelle est la nature des valeurs ? Qu’est-ce qu’un point de vue esthétique sur le monde ? L’auteur a travaillé sur les liens conceptuels entre l’œuvre de Wittgenstein et celle de Schopenhauer. Plus récemment, il entreprend une réflexion sur l’expression, à travers sa notion de « ligne d’expression ». Il s’interroge aussi sur les liens entre philosophie et littérature, à travers des études, notamment, sur Hermann Hesse, Tennesse Williams, Oscar Wilde.

« Réalisation de soi et expression dans le De Profundis d’Oscar Wilde », in Le travail de la littérature. Usages du littéraire en philosophie, Rennes, Presse Universitaires de Rennes, collection « Aesthetica », sous la direction de Daniele Lorenzini et Ariane Revel, septembre 2012, pp. 195-218.

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7 - The critic as artist Par Victoria Cohen

Salomé. version moderne. D’après Oscar Wilde. Par la compagnie Diversités. Mise en scène par Leonardo Alejandro Hincapié Assisté de Jean-Marc Dethorey

Sortie du spectacle enchantée et éblouie! Alors que j’avais réservé ma place sans grande conviction. Le titre annonçait une version moderne de Salomé. Pour les inconditionnels d’Oscar Wilde telle que je m’imagine l’être, cela ne pouvait empêcher ma réserve. Pourtant quelle ne fut pas ma surprise! À commencer par le lieu lui-même. Le Théâtre de Verre qui n’avait rien de verre, mais de 69


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ciment, de pierre, de poutres et de ferraille en tout genre. Pour accéder à la scène, Il nous faut monter des étages sans grâce, des escaliers qui ressemblent en tout point à ceux de mon école primaire. Une désuétude inquiétante. À l’issue de cet étrange voyage dans le passé, s’ouvre une salle, et immédiatement la magie opère! Un espace moderne, nu, droit, immense, carré, frappant par sa géométrie

égale.

Et

puis

froid,

sobre,

brut,

minimaliste.

Tout autour sont installées des chaises de style Louis XV en velours or et au bois ivoire ciselé. L’opposition des styles est magnifiante et promet un spectacle d’ineffable plaisir. Salomé entre en scène. Déconcertant! Il y a trois Salomé! Salomé diffractée! C’est inouï et ça marche! Parfaitement

inattendu,

incroyablement

moderne,

remarqua-

blement maîtrisé. Une variation nouvelle, une mise en scène augmentée. Tout au long de la pièce les Salomé rayonnantes et séductrices sont l’une, tour à tour, plus belle que l’autre. Indicible impétuosités aux corps

ondoyants

dans

une

70

exquise

sensualité.


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Arrive le moment phare de la pièce où j’attends, dans l’impatience qui me définit, la danse de Salomé pour Herode. Mais Salomé chante! C’est

Je

ressens

pourtant

un

la

morsure

chant

suave,

de

la

délicat

déception... et

jazzy.

Heureusement, à la fin de la chanson, une autre Salomé entame une danse! Je craignais qu’elle ne dansât pas! Mais en voilà une autre,

incroyable,

altière

qui

se

meut

longuement

langoureusement. Un moment suspendu de grâce...

71

et


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Je voudrais parler aussi d’Iokanaan. J’ai juste envie de dire que Philippe Legall a été le meilleur Iokanaan, le plus convaincant que j’ai eu l’occasion de voir sur scène. Largement inspiré par son rôle, il nous livre un jeu puissant, concentré, dans une maîtrise totale. Prodigieux!

Une formidable manifestation

de l’art pour

l’art.

Je suis ressortie conquise, heureuse, avec le désir ardent de revenir voir la pièce encore.

J’ai appris dernièrement que le directeur du musée Gustave Moreau 72


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était fort intéressé pour produire la pièce dans l’antre de son musée au milieu des neuf peintures de Salomé! Je vous laisse deviner l’effet! Bonheur suprême! En attente d’une représentation inestimable... Victoria Cohen, une fervente admiratrice

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8 – Bibliographie Quelques articles sur Oscar Wilde et le Socialisme Auteur Bruce Bashford

Titre

Editeur

Lieu

Oscar Wilde’s The Soul of Man: A Politics for Aestheticism? Reinterpreting Oscar Wilde's Concept of Utopia: The Soul of Man under Socialism Oscar Wilde: The Man of Soul under Socialism

The Oscholars

James Sonderholm (ed.): Beauty and the Critic, Æsthetics in an Age of Cultural Studies

University of Alabama Press

Lawrence Danson

The Soul of Man Under Socialism

Lawrence Danson: Wilde's Intentions : The Artist in His Criticism

Clarendon Press

Laurence Davis

Morris, Wilde, Utopian Studies and Le Guin on 20.2 (2009) Art, Work, and Utopia

The Oscholars, Réédité avec l’aimable autorisation de the Utopian Studies En ligne

A. E. Dyson

Oscar Wilde: Irony of a Socialist Æsthete

A. E. Dyson : The Crazy Fabric: Essays in Irony

Macmillan

The Soul of

St John Ervine:

Allen & Unwin

Matthew Beaumont

Paul A. Cantor

St John

En ligne

Printemps 2010

Janvier 2004

Utopian Studies 15.1 (2004)

74

Date

1997

Tuscaloosa

1997

Oxford

Printemps 2010

1985

Londres 1985


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Ervine

Magali Fleurot

Tony W. Garland

Man under Socialism

Oscar Wilde – A Present Time Appraisal

Individualistic Socialism according to Edward Carpenter and Oscar Wilde

Trevor Harris (ed.): Art, Politics and Society in Britain 18801914 : Aspects of Modernity and Modernism

Londres

Cambridge Scholars Publishing Newcastle

The Paradoxical Vision of Oscar Wilde’s Aesthetic Socialism Oscar Wilde Chapter 4 of Anarchist Seeds Beneath the Snow: LeftLibertarian Thought and British Writers from William Morris to Colin Ward (Liverpool: Liverpool University Press, 2006). Wilde and Morris: Saving Socialism's Soul

The Oscholars En ligne

Josephine M. Guy

"The soul of man under socialism": a (con)textual history

University of Toronto Press

Josephine M. Guy

Reflections on Editing The Soul of Man Under Socialism ‘Socialism and

David Goodway

Ben Granger

James

Joseph Bristow (ed.) Wilde's Writings: Contextual Conditions

75

2009

Printemps 2010

The Oscholars Réédité avec l’aimable permission de Liverpool University Press.

The Wildean 42

2013

Londres

The Oscholars En ligne

Printemps 2010

The Oscholars

Printemps


Rue des Beaux-Arts n°64 – Juillet/Août/Septembre 2018

Horrox

Emelie Jonsson

the Soul of Man: Gustav Landauer’s Wilde Translations The Soul of Moderna Språk Man under 103.1 (2009): 1Socialism: 11. Oscar Wilde, Art and Individualism

En ligne

The Oscholars Réédité avec l’aimable autorisation de Moderna Språk, www.modernasprak.c om.

2010

Printemps 2010

En ligne Ruth Kinna

The Limits of The Soul of Man Under Socialism

François L’Yvonnet

The Oscholars En ligne

Avant-propos à “L’Ame humaine sous le Socialisme” – L’Herne

2013

Suzette Macedo

Fernando Pessoa’s O Banqueiro Anarquista and The Soul of Man under Socialism

Portuguese Studies 7

Gregory Mackie

Textual Dissidence: The Occasions of Wilde's ‘The Soul of Man under Socialism’

Mémoires du livre 4 : 2

Sir John Mortimer

Oscar Wilde and Socialism

The Wildean 12

Brian Nicholas

Two Nineteenth Century Utopias: The Influence of Renan’s L’Avenue de

Modern Language Review 59

76

Printemps 2010

1991


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Science’ on Wilde’s ‘Soul of Man under Socialism’ Aaron Noland

Oscar Wilde and Victorian socialism

Robert N. Keane (ed): Oscar Wilde: The Man, His Writings, and His World

AMS Press

D.R. O’Connor Lysaght

Oscar Wilde and the Human Soul Under Capitalism.

The Oscholars En ligne

Printemps 2010

Martin Page

Le Scandale du Plaisir

Basé sur l’introduction de l’auteur à son édition de The Soul of Man Under Socialism (SD 2005) Préface à l’édition de “L’Ame Humaine” chez Arléa (2004)

The Oscholars En ligne Traduction de David Rose

Printemps 2010

Ruth Robbins

The Genders of Socialism: Eleanor Marx and Oscar Wilde

in John Stokes (ed.): Eleanor Marx (1855-1898)

Ashgate

D.C. Rose

Oscar Wilde. Socialite or Socialist?

in Uwe Böker, Richard Corballis & Julie A. Hibbard (edd.) : The Importance of Reinventing Oscar, Versions of Wilde during the Last 100 Years

Rodopi

Horst Schroeder

A Printing Error in the Soul of Man Under Socialism

Notes and Queries New Series 43

1996

Carlos Semprun Maura

Le robot et le prolétaire

Editions Moraïma Cercle des amis des livres

1995

77

2000

Aldershot

2002

Amsterdam


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Derrmot Sreenan

Oscar Wilde's Socialism

Workers Solidarity No 53

1998

Jérôme Vérain

La prémonition du martyre

Postface à l’édition de « L’âme humaine sous le socialisme » Mille et une nuits

2013

Peter van der Kamp

Notes on Wilde and Socialism

The Crane Bag vii/1

François Weisman Kristian Williams

Manuel Yang

Dublin

Préface à « L’Ame de l’homme » Moraïma ‘The Roots of Wilde's Socialist Soul: Ibsen and Shaw, or Morris and Crane Between Utopian Socialism and Incarcerated Proletarian Solidarity: Oscar Wilde’s The Soul of Man Under Socialism and the Libertarian Socialist Tradition

78

1995

The Oscholars En ligne

2010

The Oscholars En ligne

2010


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9 – Mad Scarlett Music Une nouvelle Salomé lyrique voit le jour en Suisse par Tine Englebert

79


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Du 18 au 22 avril 2018, la Compagnie Kaleidos présentait Salomé dans le Théâtre Oriental-Vevey en Suisse. La mise en scène était assurée par Leili Yahr et c’est le compositeur suisse, Gérard Massini, qui signait la musique de cet opéra de chambre d’après la pièce éponyme d’Oscar Wilde. Puis, Salomé était à découvrir au Pulloff Théâtres à Lausanne du 22 au 27 mai 2018. Dans la continuité de sa recherche pluridisciplinaire, Salomé est la troisième création de la compagnie Kaleidos dirigée par Leili Yahr après Swing! (Théâtre Oriental-Vevey 2015) et MEDEA (Théâtre Oriental-Vevey et Théâtre du Galpon Genève 2013). Gérard Massini et Leili Yahr créaient une version scénique contemporaine et condensée de l’opéra, dans une esthétique onirique et exigeante, où trois acteurs-chanteurs et trois musiciens se confrontent à un lyrisme acéré, tout en clair-obscur. Début 2017, des auditions avaient permis de réunir une équipe aux talents étourdissants. Salomé était portée par de jeunes talents ayant pris leurs marques au sein, entre autres, des prestigieux Arts Florissants de Paris ou du Béjart Ballet Lausanne. Sophie Chabert (Salomé, soprano), Marion Jacquemet (Naraboth / Hérodias, mezzo) et Yannis François (Iokanaan / Hérode et chorégraphie) chantaient ; les musiciens étaient Gérard Massini (piano), Dominique Bettens (contrebasse) et Didier Métrailler (percussions). Gérard Massini naît en 1983. Compositeur et pianiste de talent, ses œuvres sont jouées régulièrement en concert. Ses compositions variées, parfois classiques, parfois mêlées de jazz, sont toujours appréciées du public et saluées par la critique. Fort de l’obtention en 2011 d’une bourse SSA pour la composition d’une oeuvre lyrico80


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dramatique, Massini compose Salomé, un opéra pour orchestre symphonique et solistes en trois actes dont il présente des extraits à l’Abbaye de Montheron en 2014. C’est à cette occasion qu’il rencontre Leili Yahr et que tous deux décident de collaborer afin de créer une version scénique contemporaine et condensée de l’opéra, en vue de partager cette expérience avec un public pas forcément familier des salles d’opéra.

La musique de Gérard Massini et l’aspect visionnaire des créations de Leili Yahr mêlent un souci de classicisme et de dialogue avec le temps présent. Loin de tout dualisme, cette pièce atemporelle met en scène des personnages aux prises avec leurs excès, abordant des thèmes aussi brûlants d’actualité que la religion, les rapports de sexes/genre et la révolte générationnelle contre l’ordre établi. Le souhait profond de proposer cet opéra inédit, porté par une équipe à la fois jeune et confirmée, à un large public, a été réalisé par crowfunding.

81


Rue des Beaux-Arts n°64 – Juillet/Août/Septembre 2018

Bien sûr il existe de nombreuses adaptions du mythe de Salomé, dans la littérature, le théâtre et les autres arts, mais Massini a choisi de partir du texte d’Oscar Wilde. Tout le livret respecte parfaitement ce texte. Il a suffi de faire des coupes pour être réalisable. Le compositeur et le metteur en scène ont travaillé ensemble sur cet opéra et ont réécrit ensemble le livret. Pourquoi montrer Salomé aujourd’hui ? On connait la version de Richard Strauss qui est magnifique et qui a fait scandale en 1905 parce qu’il y avait des choses donc on ne pouvait pas parler. Maintenant, on vit dans un monde où il s’en est beaucoup passé : pensons aux Harvey Weinsteins de toute sorte. Pour Massini ce n’était pas effrayent d’adapter un œuvre si théâtrale qui a été adaptée par Strauss et qui est un des grands opéras du panthéon de l’opéra. C’était peut-être intimidant, en tout cas Massini voyait de belles perspectives dans le travail d’un texte dont Strauss a retenu le coté hystérique. Massini a essayé de donner au mythe de Salomé une dimension plus humaine (ni blanc ni noir), moins hystérique à ses personnages, à la femme-enfant Salomé, à la reine Hérodias qui est un peu dépassée par les évènements, et à Hérode. Sa version est un poème tragique teinté d’humour, figurant une Salomé qui revendique pleinement son désir sacrilège face à un pouvoir autoritaire. Massini a conçu deux versions de son opéra Salomé : une version symphonique de trois heures et une version de chambre d’une heure et un quart qui a été réalisée en avril et mai en Suisse. Au départ Massini avait une vision très large de l’opéra: un opéra symphonique 82


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avec beaucoup de personnages, inspiré par la bourse destinée

à

l’écriture d’une œuvre dramatique. Puis il a commencé à réfléchir à quelque chose qui puisse se réaliser au théâtre. L’orchestre symphonique a été remplacé par un trio instrumental qui ressemble un peu au jazz avec la contrebasse, le piano et les percussions comme le marimba, les timbales, les congas. C’est quelque chose qui donne une dimension un peu plus moderne par rapport à l’orchestre classique, qui permet de donner des couleurs comme dans l’opéra de Strauss. La couleur jazz a un rôle à jouer dans ce Salomé. Massini a travaillé avec beaucoup de plaisir sur ses arrangements pour cette musique : il y a de nombreux duos avec timbales et contrebasse, marimba et piano. C’est un univers qui est différent de celui du classique. Mais en même temps les instruments restent dans un contexte classique. Il y a plusieurs thèmes brefs dans la musique : celui du vent qui est toujours là, un thème un peu sombre de prophétie qui revient régulièrement. Ce sont des thèmes qui peuvent relier une section à une autre.

83


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La musique de Massini pour Salomé est très postromantique. On y retrouve un peu d’influence de Strauss, de Debussy, de Puccini, de Verdi. Tout ça a sa place mais l’essentiel est toujours la prosodie : pouvoir comprendre ce qu’on chante. C’est un opéra sans surtitres, chanté en français, sans beaucoup de vocalises pour les chanteurs. Il n’y a pas un orchestre symphonique qui va voiler les voix. Pour Massini tout devait s’avancer comme au théâtre, les mots ne sont pas dits deux fois. Massini a commencé à adapter le texte de Wilde du début, voulant seulement

raconter

une

histoire.

Finalement

il

voyait

les

personnages se créer, prenant un caractère. C’était une composition 84


Rue des Beaux-Arts n°64 – Juillet/Août/Septembre 2018

assez facile pour aménager la version qui se jouait en avril et mai, la composition était très fluide sauf pour la danse des sept voiles. Yannis François, qui est aussi chorégraphe, a écrit une chorégraphie de six minutes. Espérons que cette nouvelle Salomé atteigne le théâtre en France ou en Belgique. Quelques extraits sur Youtube : https://www.youtube.com/watch? time_continue=6&v=mArNHbEr11k https://www.youtube.com/watch?v=I6Fr81WAVtI

10 – Témoignage d’époque Léon Daudet Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux/L’Entre-deux-guerres/Chapitre VIII1

1

Nouvelle Librairie Nationale, 1920 85


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[...] Peu de temps après, éclata le scandale attendu du malheureux Oscar Wilde. Je dis attendu, car sa folie morale était notoire, et il est notoire aussi que l’Angleterre ne badine pas avec ce genre de débauche. Comme quoi on peut avoir des parties de grand artiste et, faute de caractère, finir en « observation » dans un recueil de psychopathie. Schwob et Sherard, qui admiraient Wilde et qui avaient de la sympathie pour sa personne, firent mille démarches, d’abord pour le tirer d’affaire, ensuite pour obtenir une atténuation de sa peine. Ils se brisèrent contre l’indignation de la société londonienne, irritée surtout d’avoir mis au pinacle un gentleman aussi « bad form ». Il n’est pas douteux que le persiflage qui lui était naturel aggrava le cas de Wilde et indisposa ses juges à l’extrême. Alas, alas, poor Oscar ! Lui aussi était de souffle court. Lui aussi avait une grosse figure bouffie. Lui aussi traînait un mauvais rêve. Mais sa fin, tout aussi tragique, fut beaucoup plus morne que celle

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de son confrère en hérédité chargée. Il était fait, non pour le château, plutôt pour le sanatorium d’Elseneur.1

1

Ce texte suit la narration d’un voyage à Elseneur que fit Léon Daudet avec son frère Lucien et Georges Hugo, dont il épousera la soeur Jeanne, petite fille du grand auteur. 87


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11 – Wilde au théâtre The last days of Oscar Wilde De Bernard J. Taylor

Comme son titre l’indique, The Last days of Oscar Wilde met en scène les derniers jours d’Oscar Wilde en exil à Paris. La pièce examine les relations avec sa femme Constance, ainsi que les relations avec Bosie Douglas et Robbie Ross.

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Elle a été créée à l’Overtime Theatre de San Antonio en mars 2017, dans une mise en scène de Derek Berlin, avec la distribution suivante : Marc Daratt.........

Oscar Wilde

Stephen Poer.......

Robbie Ross

Jonathan Schell.... Thomas Wilshire Chris Champlin..... Le critique Ray Baird.............. Justice Wills Carlos Saavedra.... Le serveur

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12 – Une nouvelle Société Oscar Wilde Nous sommes heureux de saluer la naissance d’une Société Oscar Wilde italienne qui a son siège à Bologne. L’ ITALIAN OSCAR WILDE SOCIETY a été fondée par quatre personnes : Gino Scatasta, Elisa Bizzotto, Laura Giovannelli, Pierpaolo Martino.

Nous lui souhaitons longue vie. Il existe donc maintenant trois associations Oscar Wilde en Europe, la plus ancienne – et la plus importante – étant la Oscar Wilde Society Londonienne, fondée en septembre 1990, tandis que la nôtre a été créée en 2008. Nous aimerions beaucoup que ces associations dédiées à Wilde se multiplient. Nous attendons tout particulièrement 90


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une Société Irlandaise (mais nul n’est prophète en son pays !). Une société Américaine a existé, mais semble à présent réduite à un website.

Alors, à qui le tour à présent : L’Allemagne, l’Espagne ? Et pourquoi ne pas pousser jusqu’au Japon ? Wilde est multiculturel ! En tout cas, tous nos voeux à la nouvelle Italian Oscar Wilde Society !!!

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13 – Cinéma – Télévision

Le film « The Happy Prince », mis en scène par Rupert Everett, qui retrace les dernières années d’Oscar Wilde à Paris et à Naples, commence enfin à sortir dans les salles, après une gestation longue et difficile. Il a d’abord été montré au Festival de Sundance (Etats-Unis), le 21 Janvier 2018, puis au Festival international du film de Berlin, le 17 février 2018.

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Les sorties nationales commencent avec l’Italie le 12 avril 2018.

Elles se poursuivent par l’Autriche, la Suisse allemande et l’Allemagne le 24 mai 2018.

Les sorties anglaise et irlandaises sont prévues pour le 15 juin 2018. 93


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En Hollande, la sortie du film est prévue pour le 19 juillet 2018. Enfin, la sortie française aura lieu le 3 octobre 2018, juste avant les Etats-Unis, le 5 octobre.

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Les

critiques

qui

sont

déjà

parues

louent

unanimement

l’interprétation de Rupert Everett dans le rôle d’Oscar Wilde, et dans un article du Guardian du 5 juin 2018, Merlin Holland, le petit fils de Wilde s’est déclaré très ému : “I found myself terribly moved by it.”

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Robbie Ross (Edwin Thomas) et Reginald Turner (Colin Firth)

Oscar Wilde (Rupert Everett ) et Bosie Douglas (Colin Morgan)

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The Happy Prince – un film de Rupert Everett Avec : Rupert Everett (Oscar Wilde), Colin Firth (Reginald Turner) – Emily Watson (Constance) – Colin Morgan (Lord Alfred Douglas) – Edwin Thomas (Robbie Ross) – Tom Wilkinson (Fr Dunne) – André Penvern (M. Dupoirier).

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14 – The Oscholars www.oscholars.com abritait un groupe de journaux consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle. Le rédacteur en chef en était David Charles Rose (Université d’Oxford). Depuis 2012, les membres du groupe sont indépendants, et le site, délaissé par son webmaster, ne reste plus sous le contrôle de M. Rose. THE OSCHOLARS est un journal / site de web international en ligne publié par D.C. Rose, consacré à Wilde et à ses cercles. Il compte plusieurs milliers de lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007 jusqu’à Juillet 2010.

Les numéros de juin 2002 à

octobre 2003, et d’octobre 2006 à décembre 2007 sont abrités par le site

www.irishdiaspora.net.

Vous

y

découvrirez

une

variété

d’articles, de nouvelles et de critiques : bibliographies, chronologies, liens etc.

L’appendice ‘LIBRARY’ contient des articles sur Wilde

republiés des journaux. Les numéros jusqu’à mars 2010 étaient en ligne

ici,

mais plusieurs pages ont été détruites par le ci-devant

webmaster, et l’accès est interdit. Depuis l’automne 2012, on peut trouver THE OSCHOLARS sous cette adresse :

http://oscholars-oscholars.com/

en train d’y être republiées.

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et toutes les éditions sont


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15. Signé Oscar Wilde « Apportez-moi les deux objets les plus précieux de la ville », demanda Dieu à l’un de ses anges ; et l’ange lui apporta le cœur de plomb et l’oiseau mort. (Le Prince Heureux)

« Bring me the two most precious things in the city », said God to one of His Angels ; and the Angel brought Him the leaden heart and the dead bird. (The Happy Prince)

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