La Shoah et expériences des camps

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La Shoah et expériences des camps Primo Levi ; Elie Wiesel

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Contenus Articles Shoah

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Primo Levi

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Si c'est un homme

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Elie Wiesel

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La Nuit (Wiesel)

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Littérature de la Shoah

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Références Sources et contributeurs de l’article

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Source des images, licences et contributeurs

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Licence des articles Licence

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Shoah

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Shoah La Shoah (hébreu : ‫האוש‬, « catastrophe »), connue également sous le nom d’Holocauste[1] , est l'extermination systématique par l'Allemagne nazie des trois quarts des Juifs de l'Europe occupée[2] , soit les deux tiers de la population juive européenne totale et environ 40 % des Juifs du monde, pendant la Seconde Guerre mondiale ; ce qui représente entre cinq et six millions de victimes selon les estimations des historiens[3] . Ce génocide des Juifs constituait pour les nazis « la Solution finale à la question juive » (die Endlösung der Judenfrage). Le terme français d’Holocauste est également utilisé et l’a précédé. Le terme « judéocide » est également utilisé par certains pour qualifier la Shoah.

Destruction du ghetto de Varsovie, avril 1943.

L'extermination des Juifs, cible principale des nazis, fut perpétrée par la faim dans les ghettos de Pologne et d'URSS occupées, par les fusillades massives des unités mobiles de tuerie des Einsatzgruppen sur le front de l'Est (la « Shoah par balles »), au moyen de l'extermination par le travail forcé dans les camps de concentration, dans les « camions à gaz », et dans les chambres à gaz des camps d'extermination. L'horreur de ce « crime de masse »[4] a conduit, après-guerre, à l'élaboration des notions juridiques de « crime contre l'humanité »[5] et de « génocide »[6] , utilisé postérieurement dans d'autres contextes (génocide arménien, génocide des Tutsi, etc.). Le droit international humanitaire a également été enrichi avec l'adoption des Conventions de Genève de 1949, qui protègent la population civile en temps de guerre[7] . L'extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale se distingue par son caractère industriel, bureaucratique et systématique qui la rend unique dans l'histoire de l'humanité[8] . Paroxysme d'antisémitisme, ce génocide a voulu éliminer radicalement la totalité d'une population qui ne représentait aucune menace militaire ou politique pour les bourreaux. Les femmes, les enfants (y compris les bébés) et les vieillards furent tout aussi systématiquement traqués et voués à la mort de masse que les hommes adultes. En particulier, 1500000 enfants furent victimes de l'anéantissement[9] . L'extermination physique des Juifs fut aussi précédée ou accompagnée de leur spoliation systématique (aryanisation) et de la destruction d'une part considérable de leur patrimoine culturel ou religieux. Perpétré sur l’ordre d’Adolf Hitler, le crime a principalement été mis en œuvre par la SS et le RSHA dirigés par Heinrich Himmler, ainsi que par une partie de la Wehrmacht, et par de nombreux experts et bureaucrates du IIIe Reich. Il a bénéficié de complicités individuelles et collectives dans toute l’Europe, notamment au sein des mouvements collaborationnistes d’inspiration fasciste ou nazie, et de la part de gouvernements ou d’administrations ayant fait le choix de la collaboration d'État. L'ignorance du début puis les passivités indifférentes ou lâches de beaucoup ont aussi indirectement aidé à son accomplissement. Parallèlement, de nombreux anonymes souvent au péril de leur vie, se sont dévoués pour sauver des persécutés. Certains d'entre eux reçurent après-guerre le titre honorifique de « Juste parmi les nations » Le Troisième Reich a aussi exterminé en masse les handicapés mentaux (leur gazage massif lors de l’aktion T4 a précédé et préfiguré celui des Juifs d'Europe), les Tziganes (Porajmos), les homosexuels et les populations slaves notamment polonaises et soviétiques, mais seul le massacre des Juifs a été conduit avec acharnement jusqu'aux derniers jours des camps.


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La Shoah constitue l'un des événements les plus marquants et les plus étudiés de l'histoire contemporaine. Son impact moral, historique, culturel et religieux a été immense et universel, surtout depuis sa redécouverte à partir des années 1960-1970. À côté de l'investigation historique, la littérature de la Shoah offre quelques pistes aux nombreuses interrogations posées à la conscience humaine par la nature et l'horreur exceptionnelles du génocide.

La Shoah comme terme d'un processus Dans La Destruction des Juifs d'Europe, Raul Hilberg analyse la Shoah comme un processus, dont les étapes sont la définition des Juifs, leur expropriation, leur concentration, et enfin leur destruction[10] .

Apposition d'affiche indiquant le boycott des magasins juifs en 1933

Le boycott des magasins juifs en 1933

Boycott officiel des magasins juifs par les SA, Berlin, printemps 1933.

La première étape est loi sur la restauration de la fonction publique du 7 avril 1933 (gleichschaltung) qui a pour but l'élimination de l'État national-socialiste de tous les adversaires du régime et en premier lieu les Juifs[11] . La loi stipulait la mise à la retraite de tous les fonctionnaires non aryens[12] . Suivirent les lois dites de Nuremberg,[13] en 1935. Les Juifs y sont définis par la législation nazie selon la religion de leurs ascendants et leur propre confession. Toute personne ayant trois ou quatre grands-parents juifs est considérée comme juive. Une personne ayant deux grands-parents juifs est considérée également comme juive si elle est elle-même de religion israélite, ou si elle est mariée à une personne de cette confession. Si tel n'est pas le cas, ou si la personne n'a qu'un seul grand-parent juif, elle est rangée dans une catégorie spécifique, les Mischlinge[14] . La définition des Mischlinge est arrêtée en 1935. À partir de là, ils restent soumis aux mesures de discriminations concernant les non-aryens, mais échappent en principe aux mesures ultérieures, comme le processus de destruction, qui ne concerneront que les seuls Juifs[15] . À partir de l'automne 1941, les Juifs d'Allemagne doivent porter une étoile jaune, signe rendu également obligatoire en 1942 à travers les territoires européens occupés, où les nazis ont d'emblée fait recenser et discriminer la population juive. Le 28 juillet 1942, alors que l'extermination bat son plein, Himmler interdit à ses experts de continuer à chercher la définition du Juif - afin de ne pas lier les mains aux tortionnaires[16] . En règle générale, les lois de Nuremberg sont rapidement introduites telles quelles par ordonnance allemande dans la plupart des pays vaincus et occupés (Belgique, Pays-Bas, Grèce, etc.). Mais plusieurs pays européens avaient adopté d'eux-mêmes leur propre législation antisémite dès l'avant-guerre, notamment l'Italie fasciste de Mussolini en 1938, la Hongrie de l'amiral Horty, la Roumanie du maréchal Ion Antonescu, la Slovaquie de Mgr Tiso. En France, le gouvernement de Vichy du maréchal Pétain, issu de la défaite de juin 1940, a mis en place un statut discriminatoire des Juifs dès octobre 1940[17] . Toutes ces dispositions n'ont aucun objectif homicide par elles-mêmes, mais


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3 elles prédisposent les gouvernants à collaborer aux futures déportations. Et, en isolant et en fragilisant les Juifs nationaux et étrangers, elles les rendent vulnérables lorsque surviendra la tentative nazie d'extermination.

Autodafé le 11 mai 1933

L'expropriation prend la forme de très fortes incitations sur les Juifs à vendre les entreprises qu'ils possèdent (aryanisation), puis, à partir de 1938, de ventes légalement forcées. La concentration des Juifs du Reich dans des immeubles réservés commence à partir d'avril 1939[18] . Cette phase d'expropriation est également mise en œuvre avec des variantes dues aux circonstances locales dans l'ensemble des pays d'Europe sous domination nazie[19] . La dernière étape, l'extermination physique, se dessine entre 1938 et 1941.

Humiliation publique d'un notable juif à Munich en 1933

Avant-guerre, le but est d'abord de chasser les Juifs par une persécution sans cesse plus radicale. La liste des métiers interdits s'allonge sans fin, celle des brimades et des interdictions aussi : toute vie normale leur est rendue impossible, afin de les contraindre à l'émigration hors du Reich. Mais beaucoup refusent de quitter leur pays, et à partir de 1938, la volonté nazie d'expansion territoriale met cette politique dans une impasse : à chaque agrandissement, le Reich absorbe plus de Juifs qu'il n'en sort de ses frontières[20] .

C'est le cas lorsqu'il annexe l'Autriche en mars 1938 (l'Anschluss est accompagnée d'un déchaînement immédiat de brutalités contre les Juifs, agressés, battus, dépouillés ou humiliés jusqu'en pleine rue), puis lors du rattachement des Sudètes (octobre 1938) et de l'entrée des troupes allemandes à Prague le 15 mars 1939. La conquête de la Pologne, en septembre 1939, fait à elle seule tomber plus de trois millions de Juifs sous la coupe des nazis. Le 1er septembre 1939, Hitler autorise personnellement l'aktion T4, qui entraîne l'extermination par gazage de plus de 150000 handicapés mentaux allemands en deux ans, dans des « centres d'euthanasie » prévus à cet effet. Les forces nazies fusillent en outre systématiquement les malades incurables qu'elles trouvent en Pologne et en URSS occupées. La continuité entre cette politique d'eugénisme criminelle et la Shoah est très importante : nombre de spécialistes de l'euthanasie sont ensuite réaffectés au gazage massif des Juifs, qui survient à son tour à partir de fin 1941. L'élimination physique des Juifs a commencé à partir de la nuit de Cristal du 9 novembre 1938, pogrom planifié d'en-haut qui fait 91 morts à travers toute l'Allemagne et entraîne l'arrestation de 30000 Juifs conduits en camp de concentration, la dévastation de centaines de magasins et la destruction de dizaines de synagogues. Le 30 janvier 1939, pour le sixième anniversaire de sa prise du pouvoir, dans un discours tonitruant devant le Reichstag, Hitler « Timbre de la RFA commémorant la nuit de prophétise » qu'au cas où les Juifs « provoqueraient » une nouvelle Cristal (9 novembre 1938). guerre mondiale, la conséquence en serait « l'extermination des Juifs d'Europe ». Or c'est à l'accomplissement de cette « prophétie » que lui-même comme Goebbels et de nombreux responsables nazis feront de nombreuses références au cours de la guerre.


Shoah En particulier, lorsque la guerre devient mondiale en décembre 1941 avec l'agression japonaise à Pearl Harbor et la déclaration de guerre du Reich aux États-Unis, Hitler et son entourage se persuadent qu'il faut « punir » les Juifs, jugés responsables de la guerre que l'Axe a elle-même provoquée, et donc vus comme coupables des pertes allemandes au front ou des bombardements sur les villes. Hantés par le mythe mensonger du « coup de poignard dans le dos » (l'Allemagne aurait perdu la guerre en 1918 sans être militairement vaincue, mais parce qu'elle aurait été trahie de l'intérieur, entre autres par les Juifs), les nazis veulent aussi anéantir la menace imaginaire que représenteraient les communautés du continent. Beaucoup de tortionnaires seront persuadés de mener contre ces civils désarmés une lutte toute aussi méritoire que celle des combattants au front. Dans son célèbre discours secret de Posen prononcé en octobre 1943, Himmler justifie la nécessité pour les Allemands de tuer aussi les femmes et les enfants en raison du danger que ces derniers exercent un jour des représailles sur eux-mêmes ou leurs propres enfants. C'est à cette occasion qu'il qualifie le massacre en cours de « page glorieuse de notre histoire, et qui ne sera jamais écrite ». À l'heure où ils entrent en guerre totale, les nazis veulent aussi brûler leurs vaisseaux en perpétrant un crime d'une telle gravité qu'il rend impossible tout compromis et ne leur laisse le choix qu'entre se battre jusqu'au bout ou l'assurance de finir tous condamnés et punis. Au-delà, la Shoah est l'aboutissement logique de la haine idéologique absolue des antisémites nazis pour une « race » qu'ils ne jugent pas seulement inférieure, mais radicalement nuisible et dangereuse. Vus comme des « poux » et des « vermines », exclus de l'humanité (au point qu'on ne se donnera jamais la peine d'établir aucun décret les condamnant à mort, a fortiori de le lire aux victimes), les Juifs n'ont pas leur place sur terre - notamment pas dans l'espace vital arraché à l'Est sur les « sous-hommes » slaves. Le judéocide trouve en effet aussi en partie ses origines dans le vaste projet de remodelage démographique de l'Europe mis au point par les nazis, secondés par une pléthore d'experts, de géographes et de savants souvent hautement diplômés. Dans l'espace vital conquis à l'Est, il s'agit de faire de la place pour des colons allemands en déportant les Slaves en masse, mais aussi en les stérilisant et en les réduisant à l'état d'une masse de sous-hommes voués à l'esclavage, tandis que les mêmes territoires doivent être nettoyés des Tziganes et surtout des Juifs par l'extermination. Comme le résume Marc Mazower, « génocide et colonisation étaient inextricablement liés, car le but de Hitler était la complète recomposition raciale de l’Europe ». Ce n'est en rien un hasard si les premières expulsions puis mises à mort massives de Juifs eurent lieu dans les territoires polonais annexés par le Reich et qu'il s'agissait de « nettoyer » et de germaniser au plus vite, ainsi le Warthegau ou les environs de Dantzig, ni si la ville d'Auschwitz, siège du plus grand camp de concentration et d'extermination nazi, devait être aussi redessinée pour accueillir des colons allemands[21] . Ces projets démographiques ne sont toutefois qu'un point de départ. Car à partir du meurtre des Juifs de l'Est, c'est par extension, par pure haine idéologique, tous les Juifs d'Europe et tous ceux du monde entier tombés sous la coupe des hitlériens qui doivent être tués (en 1943, on verra même les nazis déporter par avion 200 Juifs de Tunis vers les camps de la mort, tandis qu'Hitler demandera en vain à ses alliés japonais de s'en prendre aux Juifs allemands réfugiés à Shanghai). Dès la conquête de la Pologne en septembre 1939, près de 10000 Juifs sont fusillés par les Einsatzgruppen (uniquement des hommes adultes, toutefois). Les Juifs polonais sont enfermés dans des ghettos mortifères où la faim, le travail forcé, les mauvais traitements et les exécutions sommaires font des coupes claires.

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Après l'agression de l'URSS le 22 juin 1941, cependant, la violence meurtrière se déchaîne à une échelle sans précédent : ce sont près de 1500000 Juifs qui périssent en quelques mois, fusillés par les Einsatzgruppen, et cette fois-ci, essentiellement des femmes, des enfants, des vieillards ou des hommes adultes non mobilisés. En 1940, le Plan Madagascar des Allemands prévoyait encore une émigration massive et forcée des Juifs d'Europe occupée vers Madagascar qui serait devenue une « réserve juive »[22] . La continuation du conflit avec le Royaume-Uni empêche cette solution à la « question juive » d'aboutir. Début 1941, Hitler songe également à déporter les Juifs en Sibérie : cette solution aurait suffi à entraîner une hécatombe et était donc déjà en elle-même quasi-génocidaire[23] . Mais dès le ralentissement de l'avancée allemande en Russie à l'automne 1941 et avant même l'échec de la Wehrmacht devant Moscou, cette solution n'est plus à l'ordre du jour. L'extermination de la totalité des Juifs d'Europe est décidée dans le Lettre de Göring à Heydrich chargeant ce dernier d'organiser la « solution finale de la question courant de l'automne 1941. Le 31 juillet 1941, le haut chef SS o juive », juillet 1941. Reinhard Heydrich se fait signer par Hermann Göring, n 2 du régime, un ordre officiel secret qui lui confie la recherche et la mise en œuvre d'une « solution finale au problème juif ». Sans doute vers la fin de l'été, Adolf Eichmann est convoqué dans le bureau de Reinhard Heydrich, qui lui dit : « Je sors de chez le Reichsführer Heinrich Himmler ; le Führer Adolf Hitler a maintenant ordonné l'extermination physique des Juifs[24] . » Pour Raul Hilberg, la Shoah est un crime de bureaucrates, qui passent d'une étape à l'autre, minutieusement, logiquement, mais sans plan préétabli. Cette analyse a été approuvée par les autres spécialistes de la Shoah, mais le moment exact où l'intention exterminatrice apparaît fait l'objet de débats, analysés ci-après dans la section « Historiographie » de l'article.

L'extermination des Juifs d'Europe orientale (1939-1941) Les ghettos Après l'invasion allemande de la Pologne, les Juifs de ce pays sont contraints de vivre dans des quartiers clos, les ghettos. Les conditions de vie y sont nettement dures pour trois raisons. D’abord, les responsables de la concentration des Juifs en Pologne sont, souvent, des membres de la NSDAP, et non, comme en Allemagne, des fonctionnaires sans affiliation partisane. Ensuite, les Juifs polonais représentent ce qu’il y a de plus méprisable dans la mythologie nazie, et sont les plus persécutés dès avant la guerre. Enfin, les Juifs étaient beaucoup plus nombreux numériquement et proportionnellement, en Pologne (3.3 millions, dont deux millions dans la zone allemande, sur 33 millions d’habitants dans tout le pays) qu’en Allemagne[25] . Les Juifs de l’Ancien Reich (frontières de 1937) sont également déportés vers les ghettos de Pologne, à partir de 1940.

La construction du mur du Ghetto de Varsovie

Les premiers ghettos sont édifiés dans la partie de la Pologne « incorporée » au Reich, pendant l’hiver 1939-1940, puis dans le gouvernement général, partie de la Pologne administrée par Hans Frank. Le plus ancien est le ghetto de


Shoah Łódź, le plus grand, celui de Varsovie. La ghettoïsation est achevée pour l’essentiel au cours de l’année 1941, et complètement terminée en 1942[26] . À l’intérieur même du ghetto, les mouvements des Juifs sont limités : ils doivent rester chez eux de dix-neuf heures à sept heures. La surveillance extérieure est assurée par la police régulière et la surveillance intérieure par la Police de sûreté (Gestapo et Kripo), elle-même renforcée par la police régulière, à la demande de cette dernière[27] . Dès le 26 octobre 1939, le principe du travail forcé pour les Juifs de Pologne est adopté[28] . Les Juifs sont décimés par la malnutrition, les épidémies — notamment de typhus, de tuberculose, de grippe —, et la fatigue consécutive au travail que leur imposent les autorités allemandes. Par exemple, le ghetto de Łódź, qui compte 200000 habitants à l’origine, compte plus de 45000 morts jusqu’en août 1944[29] . Au cours de l'année 1943, sur l'ordre d'Himmler, les ghettos sont progressivement réorganisés en camps de concentration. Ce ne sont plus les administrations civiles qui s'en occupent mais les SS. En Ostland, les tueries continuent jusqu'à la disparition quasi-totale de Juifs. À partir de décembre 1941, les survivants des ghettos sont déportés vers les centres de mise à mort. Les premiers sont les Juifs du Wartheland, envoyés à Chełmno. En mars 1942, ceux de Lublin sont envoyés à Belzec. À partir de juillet, le ghetto de Varsovie commence à être vidé[30] .

Les unités mobiles de tuerie : la première vague de massacres Le 13 mars 1941, pendant les préparatifs de l'invasion de l'URSS, le feld-maréchal Keitel rédige une série d’« ordre pour les zones spéciales » : « Dans la zone des opérations armées, au Reichsführer SS Himmler seront confiées, au nom du Führer, les tâches spéciales en vue de préparer le passage à l’administration politique — tâche qu'impose la lutte finale qui devra se livrer entre deux systèmes politiques opposés. Dans le cadre de ces tâches, le Reichsführer SS agira en toute indépendance et sous sa propre responsabilité[31] . » En termes clairs, il est décidé que des unités mobiles du RSHA, les Einsatzgruppen, seraient chargées d'exterminer les Juifs — ainsi que les Tziganes, les cadres communistes, voire les handicapés et les homosexuels. Ce passage aurait été dicté par Adolf Hitler en personne[32] . Pendant les premières semaines, les membres des Einsatzgruppen, inexpérimentés en matière d'extermination, ne tuent que les hommes juifs. À partir d'août, les autorités centrales clarifient leurs intentions, et les Juifs sont assassinés par familles entières. Les Einsatzgruppen se déplacent par petits groupes, les Einsatzkommandos, pour massacrer leurs victimes. Ils se placent le plus près possible des lignes de front, quitte à revenir vers l'arrière après avoir massacré leurs premières victimes. C'est le cas, par exemple, de l’Einsatzgruppe A, qui s’approche de Leningrad avec les autres troupes, puis se replie vers les pays baltes et la Biélorussie, détruisant, entre autres, les communautés juives de Liepāja, Riga, Kaunas (en treize opérations successives) et Vilnius (en quatorze attaques)[33] . Dans les premiers mois de l'invasion de l'URSS, les unités mobiles annoncent près de 100000 tués par mois. Les SS sont assistés par une partie de la Wehrmacht. Dans bien des cas, les soldats raflent eux-mêmes les Juifs pour que les Einsatzkommados les fusillent, participent eux-mêmes aux massacres, fusillent, sous prétexte de représailles, des Juifs. Ainsi, à Minsk, plusieurs milliers de « Juifs, criminels, fonctionnaires soviétiques et asiatiques » sont rassemblés dans un camp d’internement, puis assassinés par des membres de l’Einsatzgruppe B et de la Police secrète de campagne[34] . Leur action est complétée par des unités formées par les chefs de la SS et de la Police, ou plus rarement par la seule Gestapo. C’est le cas, notamment, à Memel (plusieurs milliers de victimes), Minsk (2278 victimes), Dnipropetrovsk (15000 victimes) et Riga[35] . Des troupes roumaines participent également aux fusillades, ainsi que le sonderkommando letton de Viktors Arājs: responsable à lui seul de la mort d'entre 50 000 et 100 000 personnes (juives et/ou communistes), Arājs ne sera condamné qu'en 1979.

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Les procédures de massacres sont standardisées pour être rapides et efficaces. Les Einsatzgruppen choisissent généralement un lieu en dehors de la ville. Ils approfondissent un fossé anti-char ou creusent une nouvelle fosse. À partir d'un point de rassemblement, ils amènent les victimes jusqu'au fossé par petits groupes en commençant par les hommes. Les prisonniers remettent alors tout ce qu'ils ont comme objet de valeur au chef des tueurs. Par beau temps, ils doivent donner leurs vêtement et même parfois leur linge de corps. Certains Einsatzgruppen alignent les condamnés face aux fossés puis les mitraillent laissant leurs corps inertes tomber dans la tombe collective[36] . D'autres tirent une balle dans la nuque de chaque condamné.

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Une femme juive et son enfant fusillés par les Einsatzgruppen pendant que d'autres victimes doivent creuser leur fosse. Ivangorod, Ukraine, 1942.

Paul Blobel et Ohlendorf, commandants d’Einsaztgruppen refusent ces méthodes jugées trop stressantes pour les SS et préfèrent les tirs à distance. Ils utilisent ce qui a été appelé le « système des sardines », Ölsardinenmanier : Une première rangée de victimes doit s'allonger au fond du fossé. Elle est fusillée du haut du fossé par des tirs croisés. Les suivants se couchent à leur tour sur les cadavres de la première rangée et la fusillade recommence. À la cinquième ou sixième couche, la tombe est recouverte de terre[37] . Les Einsaztgruppen veulent que leurs actions soient la plus discrète possible et s'efforcent d'agir à l'écart des populations civiles et de la Wehrmacht[38] . Les Einsatzgruppen s’efforcent de susciter des pogroms locaux, à la fois pour diminuer leur charge de travail et pour impliquer une part maximale de la population locale dans l’anéantissement des Juifs. Les bureaucrates du RSHA et les commandants de l’armée ne souhaitent pas que de telles méthodes soient employées, les uns parce que ces formes de tueries leur paraissent primitives et donc d’une efficacité médiocre par rapport à l’extermination soigneuse des Einsatzgruppen ; les autres parce que ces pogroms font mauvais effet. Les pogroms ont donc lieu, principalement, dans des territoires où le commandement militaire était encore mal assuré de son autorité : en Galicie et dans les pays baltes, tout particulièrement en Lituanie. En quelques jours, des Lituaniens massacrent 3800 Juifs à Kaunas. Les Einsatzgruppen trouvent une aide plus importante et plus durable en formant des bataillons auxiliaires dans la population locale, dès le début de l’été 1941. Ils ont été créés, pour la plupart, dans les pays baltes et en Ukraine. L’Einsatzkommando 4a (de l’Einsatzgruppe C) décide ainsi de ne plus fusiller que les adultes, les Ukrainiens se chargeant d’assassiner les enfants. Quelquefois, la férocité des collaborateurs locaux effraie jusqu’aux cadres des Einsatzgruppen eux-mêmes. C’est le cas, en particulier, des membres de l’Einsatzkommando 6 (de l’Einsatzgruppe C), « littéralement épouvantés par la soif de sang » que manifeste un groupe d’« Allemands ethniques » ukrainiens[39] . Le recrutement en Ukraine, Lituanie et Lettonie est d’autant plus facile qu’un fort antisémitisme y sévissait avant la guerre — à la différence de l’Estonie, où la haine des Juifs était presque inexistante[40] . Lorsque les tueurs estiment que l’extermination prendra du temps, ils créent des ghettos pour y parquer les survivants, en attendant leur élimination. Mais dans plusieurs cas, cette création n’est pas nécessaire, notamment à Kiev : 33000 Juifs sont assassinés en quelques jours, près de Babi Yar[41] . De passage à Minsk, le 15 août 1941, Himmler assiste à une opération mobile de tuerie. Ébranlé par le massacre mais pénétré de l'importance supérieure de ses actes, il demande à ses subordonnés de chercher un moyen moins traumatisant pour les SS de remplir leur mission[42] . C'est ainsi que les premiers camions à gaz sont testés. À partir de décembre 1941, deux à trois camions à gaz sont envoyés dans chaque Einsatzgruppe. Le procédé est toujours le même. Les camions sont garés à l'écart. Des groupes de 70 juifs en linge de corps s'entassent à l'intérieur. Les gaz d'échappement sont déversés à l'intérieur faisant suffoquer les victimes. Les camions roulent ensuite jusqu'au fossé où les corps inanimés sont jetés[43] . Mais la pluie met à mal l'étanchéité des camions. Les hommes souffrent de maux de tête en déchargeant les camions, car tous les


Shoah gaz d'échappement ne se sont pas dispersés. La vision des visages défigurés des asphyxiés stresse les SS[44] . Selon le tribunal de Nuremberg, environ deux millions de Juifs ont été assassinés par les unités mobiles de tuerie — une estimation reprise à son compte par Lucy S. Dawidowicz[45] . Raul Hilberg compte de son côté 1.4 million de victimes, et Léon Poliakov 1.5 million, mais cette fois pour la seule URSS[46] .

La deuxième vague (1942) La première vague de massacres s'arrête pour l'essentiel à la fin de l'année 1941, sauf en Crimée où elle se prolonge jusqu'à l'été 1942. Une deuxième vague de tuerie s'amorce dès la fin de l'année 1941 dans les régions de la Baltique et se diffuse tout au long de l'année 1942 dans tous les territoires occupés[47] . Les Einsatzgruppen jouent un rôle moins important. Ils sont placés sous le commandement des chefs suprêmes des SS et de la police. Les effectifs de la police régulière s'accroissent beaucoup pour prendre part à la deuxième vague de massacres. À la fin de l'année 1942, 5 régiments de la police régulières servent sur le front, 4 sont stationnés à l'arrière, renforcés par 6 bataillons supplémentaires qui obéissent tous aux dirigeants SS et de la police[48] . Les villes importantes et les zones rurales des régions occupées fournissent elles aussi des éléments. Ces éléments recrutés sur place sont essentiellement composés de Baltes, Biélorusses et Ukrainiens. Ils forment la Schutzmannschaft (Schuma en abrégé). Son effectif passe de 33270 hommes au milieu de l'année 1942 à 47974 à la fin de l'année[49] . Les SS reçoivent aussi l'appui de la gendarmerie militaire et de la police secrète militaire[50] . Dans l’Ostland, il reste au début de l'année 1942, environ 100000 Juifs. Rapport de Himmler à Hitler faisant état de Environ 68000 vivent dans les grands ghettos, le reste a trouvé refuge l'assassinat de 363211 Juifs de la région de dans les forêts, certains comme partisans. En janvier 1942, les SS et la Białystok entre le 1er octobre et le 1er décembre 1942. police du Nord commencent à ratisser la région méthodiquement, zone par zone, tuant les Juifs des petits ghettos et exécutant ceux des forêts. Seulement quelques milliers parviennent à en réchapper[51] . En même temps, se prépare la destruction des grands ghettos de l’Ostland. La méthode est souvent la même. La veille de la tuerie, un détachement juif creuse des grandes tombes. Dans la nuit ou à l'aube, les forces allemandes pénètrent dans le ghetto et rassemblent les Juifs. Ceux qui tentent de se cacher sont exécutés parfois à la grenade. Ceux qui se sont groupés sont amenés par camions jusqu'aux fosses communes où ils sont exécutés par balle. Fin 1942, il n'y pas plus de Juifs en Ukraine. Malgré toutes les précautions d'Himmler pour garder les tueries secrètes, des photos prises par des soldats alliés, hongrois ou slovaques circulent. Himmler craint aussi que les Soviétiques ne découvrent un jour les charniers, si l'armée allemande recule. Il ordonne à Paul Blobel d'effacer les traces des exécutions des Einsatzgruppen. Le commando « 1005 » reçoit la mission de rouvrir les tombes et de brûler deux millions de cadavres. Mais ce travail est imparfaitement accompli pour de nombreuses raisons[52] .

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Les massacres par balles à l'Est après 1942 Encore en novembre 1943, pour démanteler l'empire économique que son subordonné Odilo Globocnik s'est taillé autour de Lublin grâce à la main-d'œuvre juive servile, Himmler ordonne le massacre de cette dernière : en deux jours, plus de 40000 Juifs sont assassinés au cours de ce qui est connu comme l'opération « Fête des Moissons ».

Autres fusillades de Juifs en Europe occupée La Pologne et les Balkans occupés ont vu de nombreux massacres de Juifs par fusillade, mais aussi par pendaison, noyade ou sévices exercés jusqu'à la mort. Les cas de la Roumanie, de la Serbie et de la Croatie sont décrits ci-après à la sixième partie de cet article. En Europe de l'Ouest, la terreur nazie revêt des formes moins amples et de tels déchaînements publics de sauvagerie sont difficilement pensables. Les massacres collectifs de Juifs en plein air sont de ce fait restés rares ou inexistants. Cependant, les nombreux otages fusillés par les nazis sont souvent pris parmi les Juifs. Serge Klarsfeld a ainsi établi que sur plus d'un millier d'otages assassinés au fort du Mont-Valérien, 174 étaient juifs[53] . Encore en 29 juin 1944, à Rillieux-la-Pape, le chef milicien Paul Touvier fait abattre arbitrairement sept Juifs pour venger[54] la mort de l'orateur collaborationniste Philippe Henriot, exécuté par la Résistance, le 28 juin 1944[55] . Des Juifs italiens figurent parmi les victimes du massacre des Fosses ardéatines à Rome en mars 1944.

Les camps de concentration et d'extermination (1942-1945) Du massacre à l'Est au génocide en Europe (automne 1941) L'élimination physique s'étend au cours de l'automne 1941 aux Juifs allemands puis à ceux de toute l'Europe occupée. C'est le passage décisif d'un judéocide jusque là localisé en URSS à un génocide industriel planifié de l'ensemble du peuple juif et mis en œuvre dans toute l'Europe occupée. À partir de septembre - octobre 1941, des Juifs allemands sont à leur tour déportés dans les ghettos mortifères de l’Est, voire dans les zones de massacre en URSS. 80 convois partent ainsi du Reich avant fin 1941. Dans des conditions épouvantables, 72 trains acheminent leur chargement humain dans des ghettos où les fusillades ont libéré de la place (presque tous périront gazés ou fusillés à leur tour lors des liquidations de ghettos en 1942-1943). 8 autres voient leurs passagers liquidés dès l'arrivée[56] . Ainsi le 15 octobre, près de 5000 Juifs déportés de Berlin, Munich, Francfort, Vienne ou Breslau sont déportés en Lituanie et fusillés par les Einsatzgruppen dès leur descente du train : le rapport Jäger fait état de leur exécution au fort IX de Kaunas les 25 et 29 novembre. Le 18 octobre, d'autres convois quittent Prague, Luxembourg ou Berlin. Tout le Grand-Reich est donc concerné[57] . On bascule un peu plus du meurtre des Juifs d’URSS à ceux de l’espace européen entier lorsque le 2 octobre, Heydrich laisse dynamiter six synagogues de Paris par les collaborationnistes doriotistes du PPF, avec des explosifs fournis par ses services, afin de bien montrer que la France ne sera plus jamais « la citadelle européenne des Juifs » et que ceux-ci doivent craindre pour leur vie partout en Europe occupée. Le 23 octobre, Himmler interdit officiellement l’émigration des Juifs. Ne reste donc plus ouverte que l’option de l'extermination. Le 7 décembre, le premier camp d'extermination est ouvert à Chełmno en Pologne annexée : de fusillades « artisanales », la tuerie passe à l'échelle industrielle. Les victimes, emmenées de tout le Warthegau dirigé par le fanatique gauleiter Arthur Greiser, sont enfermées dans des camions à gaz où elles meurent lentement asphyxiées par les fumées d'échappement, dirigées sur l'intérieur du véhicule. En sept mois, plus de 100000 personnes trouvent ainsi la mort. Au même moment, la construction de Belzec et celle de Sobibor sont lancées.

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La conférence de Wannsee (20 janvier 1942) Convoquée par Reinhard Heydrich, le principal adjoint de Heinrich Himmler, cette conférence réunit alors les secrétaires d'État des principaux ministères. Himmler et Heydrich ont en effet besoin pour la mise en œuvre des déportations dans l'Europe entière de la pleine coopération de l'administration allemande. À cet égard la Deutsche Reichsbahn la société ferrovaire d'état a joué un rôle essentiel. La conférence ne décide pas du génocide, la solution finale de la question juive (die Endlösung der Judenfrage) est déjà activée bien avant même le début de la conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942 (initialement prévue pour le 9 décembre 1941 mais reportée). L'ordre en a été donné en juillet 1941 par Hermann Göring à Heydrich [58] . Chez les nazis, les questions ne se décident nullement au cours de conférences. La seule question dont on discute – et qui ne sera d'ailleurs jamais tranchée – est celle des Mieschehe (Juifs à conjoint aryen) et des Mischlinge (demi-Juifs). Le Protocole montre que la plus grande partie de la conférence a été dédiée à cette question insoluble. L'autre grande question fut celle des Juifs allemands travaillant dans les usines d'armement, qui obtiennent un sursis éphémère à la déportation[59] .

Statistiques des Juifs européens à déporter, dressées lors de la conférence de Wannsee. Musée de la Maison de la Conférence de Wannsee.

Le procès-verbal de la conférence, rédigé par Eichmann, ne laisse aucun doute sur le plan criminel d'extermination systématique. Plus de 11 millions de Juifs de l'Europe entière (y compris les Juifs britanniques, suisses ou portugais, inclus dans le décompte statistique établi minutieusement par Eichmann) doivent être arrêtés et « évacués » vers l'Est où ils trouveront la mort. Ce document est capital aux historiens pour comprendre le processus de décision, même s'il a été épuré pour que rien de trop compromettant ne soit écrit. Déjà les nazis recourent en effet à tout un langage codé spécifique qui leur servira à dissimuler leurs crimes dans les années suivantes : jusqu'à la fin, la déportation-extermination des Juifs sera ainsi désignée par l'euphémisme d’« évacuation », le gazage massif comme un « traitement spécial » (Sonderbehandlung), les détenus livrés à l'extermination par le travail comme des « pièces » (Stück).

Grandes rafles et trains de la mort De grandes rafles synchrones sont menées à travers tout le continent européen pour alimenter les camps d'extermination nouvellement construits. Le processus est partout similaire. Les Juifs de tous âges et de tout sexe sont traqués et raflés chez eux, sur leurs lieux de travail, et jusque dans des orphelinats, des hôpitaux, des asiles d'aliénés ou des maisons de retraite. Beaucoup répondent simplement, surtout au début, aux convocations qui leur sont adressées, par peur, par légalisme, par absence d'alternative, ou dans l'ignorance de ce qui les attend.

Rafle d'enfants conduits au train de déportation, Pologne.

Dans des conditions généralement très sordides, hommes, femmes, enfants et vieillards sont parqués dans des lieux qui font office d'antichambre des camps de la mort nazis : Drancy en France, la caserne Dossin à Malines en Belgique, Westerbork aux Pays-Bas ou encore Fossoli en Italie sont parmi les plus célèbres.


Shoah À Terezín, dans les Sudètes, les nazis ouvrent même le 24 novembre 1941 un camp-modèle destiné à berner (avec succès) les représentants de la Croix-Rouge. Ce ghetto surpeuplé, où les familles ne sont pas disloquées ni le travail forcé imposé, offre des conditions de vie dures mais peu mortifères, et relativement privilégiées par rapport à ce que les Juifs connaissent ailleurs. Mais la plupart des 140000 personnes à y avoir transité, en majorité des Tchèques, ont ensuite été déportées pour Auschwitz où elles seront assassinées, notamment lors de la liquidation du « camp des familles » en avril 1944. Conduits à une gare, les déportés sont partout entassés brutalement dans des wagons à bestiaux délibérément surchargés, dans une promiscuité éprouvante et des conditions sanitaires dégradantes, sans presque rien à manger ni à boire. L'angoisse est accrue par l'ignorance de la destination (Pitchipoï, comme l'appellent les détenus de Drancy) et l'incertitude quant à ce qui attend à l'arrivée, même si peu imaginent la mise à mort industrielle. Le voyage est épouvantable, et plus ou moins long (de quelques heures à une ou deux journées pour les Juifs polonais, trois à quatre jours en moyenne depuis la France, plus de deux semaines pour certains convois de Grèce). Il n'est pas rare que des déportés finissent par boire leur urine ou par lécher leur sueur. Certains meurent en route, d'autres deviennent fous ou se suicident (parfois collectivement). Rares sont ceux qui tentent une évasion, par peur des représailles collectives, par absence de lieu de refuge ou pour ne pas se séparer des leurs, enfin par ignorance de leur sort futur. Ce sont des êtres déjà épuisés et ravagés qui arrivent aux centres de mise à mort. Les compagnies ferroviaires nationales, dont la SNCF, n'ont jamais manifesté de réticences particulières à faire circuler ces trains, pas plus que leurs employés (même si des cheminots eurent des gestes de compassion, ou transmirent aux proches les ultimes billets jetés des convois). Les frais des transports étaient payés sur les biens volés aux Juifs, qui se trouvaient ainsi financer leur propre envoi à la mort[60] . En revanche, rien ne prouve que les nazis aient systématiquement donné la priorité aux convois de déportation sur les convois militaires ou d'importance vitale pour le Reich. Les convois (un millier de personnes en moyenne) sont intégralement gazés s'il s'agit d'un camp d'extermination. Dans les camps mixtes d'Auschwitz-Birkenau et de Maidanek, une minorité est désignée à l'arrivée pour le travail forcé et découvre brutalement l'horreur concentrationnaire. En général, l'extermination par le travail forcé ne leur laisse pas plus de quelques semaines ou de quelques mois à survivre. Ainsi, seuls 7 % des Juifs de France désignés pour le travail forcé ont vu la fin de la guerre. De nombreux convois de Juifs d'Europe roulent déjà vers les camps de la mort dès les premiers mois de 1942. Au 1er mai 1941, 168972 Juifs vivent en Allemagne, il n'en reste plus que 131823 au 1er janvier 1942 et 51257 au 1er avril[61] . En Slovaquie, de mars à août 1942, 75000 des 90000 Juifs du pays sont déjà déportés sur ordre du gouvernement de Mgr Tiso, avant suspension des transports[62] . Ce sont des déportées slovaques qui sont les premières victimes à l'été 1942 de la sélection instituée sur la Jüdenrampe à l'arrivée à Auschwitz. L'été 1942 est particulièrement fatidique, avec les grandes rafles de Juifs presque simultanées qui marquent l'Europe occupée. Au cours de cet été 1942, en effet, 300000 Juifs du ghetto de Varsovie sont déportés en masse à Treblinka et aussitôt gazés. Le premier transport part de l’Umschlagplatz le 21 juillet. Le 15 juillet 1942, 1135 Juifs d'Amsterdam convoqués « pour aller travailler en Allemagne » sont aussitôt déportés les premiers à Auschwitz. La cadence des rafles et des convois est telle que dès septembre 1943, les Allemands proclament la capitale néerlandaise judenrein (libre de Juifs). Sur 120000 Juifs hollandais, 105000 ont été déportés à Auschwitz et Sobibor, dont 5500 seulement ont survécu. 80 % de cette communauté séfarade présente depuis le XVIIe siècle a donc été anéanti.

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Les 16 et 17 juillet, à la demande des Allemands, les forces de l'ordre du régime de Vichy arrêtent 13152 Juifs étrangers au cours de la rafle du Vel' d'Hiv, parmi lesquels 3031 hommes, 5802 femmes et 4051 enfants. Internés à Pithiviers et Beaune-la-Rolande, ils sont pour l'essentiel déportés dans les deux mois qui suivent. D'autres rafles et déportations sans retour ont lieu en zone nord dans les mêmes temps. Le 15 juillet, 200 Juifs sont ainsi arrêtés à Tours, 66 à Saint-Nazaire. À Angers, le Sipo-SD agissant seul en arrête 824 le Rafle de Juifs du 20 aout 1941 à Paris, 20 juillet 1942. À Lille, le 15 septembre, 526 personnes sont déportées antichambre vers Auschwitz : 25 reviendront. À Bordeaux, le préfet régional Sabatier et son secrétaire général pour la Gironde Maurice Papon font partir le 18 juillet un premier convoi de 172 personnes : 10 autres suivront jusqu'au 5 juin 1944, totalisant 1560 victimes. Bien qu'aucun soldat allemand ne soit présent en zone sud, le gouvernement français accepte, cas unique en Europe occupée, de livrer des Juifs qui y résident, qu'ils soient puisés dans les très durs camps d'internement de Gurs, Noé, Récébédou, Les Milles, ou bien qu'ils soient victimes de la grande rafle du 26 août 1942 perpétré à Lyon, Toulouse et autres grandes villes méridionales (5885 Juifs étrangers arrêtés et déportés). Entre le 6 août et le 15 septembre, 3456 internés des camps et 913 travailleurs extraits de 18 GTE (groupements de travailleurs étrangers) sont également déportés à Drancy puis Auschwitz[63] . À partir du 15 août, le SD commence à rafler les Juifs d'Anvers avec la collaboration active des autorités communales. À Bruxelles, où le bourgmestre Jules Coest a refusé d'aider l'occupant, les rafles de septembre donnent des résultats nettement moins satisfaisants. Les deux tiers des Juifs d'Anvers sont déportés, contre un tiers de ceux de Bruxelles[64] . Du 13 au 20 août, de très nombreux Juifs croates sont déportés à Auschwitz par les collaborateurs oustachis[65] . Particulièrement nombreuses donc en 1942, les rafles de Juifs continuent à intervalles réguliers dans pratiquement tous les pays d'Europe, jusqu'à la fin de l'occupation allemande ou de la guerre. En règle générale, les Juifs travaillant pour des entreprises allemandes (notamment dans l'armement) sont déportés en dernier, ainsi que les privilégiés des Conseils juifs. En 1943-1944, les revers militaires et le besoin de main-d'œuvre obligeront les nazis à mettre à part un certain nombre de « Juifs de travail » (Arbeitsjuden) dans des camps de travail assez durs, mais où leur mort n'est pas recherchée et leur déportation au moins retardée. Les fusillades et les camions à gaz avaient permis dès 1941-1942 de déclarer les pays baltes et l'Ukraine judenrein (« nettoyés de juifs »). La cadence des rafles et des déportations est telle que dès 1943 les nazis peuvent déclarer judenrein Berlin le 19 juin, Salonique le 20 août, ou Amsterdam en septembre.

L'action Reinhardt : la liquidation par gazage des Juifs de Pologne (1942-1943)

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Après celui de Belzec, le camp d'extermination de Sobibor est ouvert le 1er mars 1942, celui de Treblinka le 1er juillet, celui de Maidanek près de Lublin à l'automne. Ils sont essentiellement destinés au gazage massif des Juifs de Pologne - même si en raison d'une épidémie de typhus à Auschwitz, 34 convois de Juifs hollandais ont été détournés sur Sobibor en 1943, et donc intégralement anéantis, de même que quatre convois de Juifs de France. Ces camps ne servent qu'à tuer, seuls quelques centaines de déportés sur des centaines de milliers étaient « épargnés » pour aider en tant qu'esclaves au fonctionnement élémentaire du camp. Les victimes sont tuées au monoxyde de carbone (au zyklon B à Maidanek) dans les chambres à gaz où elles sont conduites dès leur descente de train.

Déportation des Juifs du ghetto de Varsovie à Treblinka depuis l’Umschlagplatz, 1942.

Treblinka est surtout destiné aux Juifs de Varsovie, Maidanek à ceux de Lublin, Belzec et Sobibor assumant le massacre industriel des Juifs des autres ghettos Juifs du Gouvernement général;. Le but est de les exterminer systématiquement. Le 17 mars 1942, avec le premier convoi des Juifs de Lublin vers Belzec débute l’« action Reinhardt »[66] décidée le 20 janvier 1942 à la conférence de Wannsee dans la banlieue de Berlin et qui aurait reçu ce nom en hommage à Reinhard Heydrich, abattu par la résistance tchèque fin mai 1942. Elle va faire deux millions de victimes et signifier la mort de plus de 90 % de la communauté juive de Pologne, jusque-là la première du monde. De ce fait, l'année 1942 est de loin l'année la plus meurtrière dans les Liquidation du ghetto de Cracovie par les centres d'extermination (hors Auschwitz). Au 31 décembre 1942, Allemands, 13 mars 1943. 1449000 êtres humains ont trouvé la mort dans les camps à monoxyde de carbone. À leur démantèlement en 1943-1944, 1750000 personnes y auront en tout trouvé la mort[67] .

La centralité du camp d'Auschwitz-Birkenau (1942-1944) À Auschwitz-Birkenau, l'emploi de zyklon B (qui tue 36 fois plus rapidement que le monoxyde de carbone) est testé sur des prisonniers soviétiques dès le 3 septembre 1941. Début 1942, le commandant du camp, Rudolf Höß, reçoit verbalement l'ordre de Himmler de faire du camp, idéalement situé à un nœud ferroviaire, le principal centre de l'extermination des Juifs déportés de toute l'Europe. Plusieurs Krematorium y sont construits, associant les chambres à gaz à des fours crématoires de grande capacité destinés à faire disparaître les corps. Le premier train de victimes françaises part ainsi pour Auschwitz le 28 mars 1942, le premier transport de Juifs de Salonique le 20 mars 1943, le premier de Rome le 16 octobre 1943, cinq semaines après l'occupation de l'Italie, et le premier convoi de Hongrie le 15 mai 1944.

La tour de la Mort à l'entrée de Birkenau.

Avec le démantèlement des autres camps d'extermination fin 1943, Auschwitz devient le principal lieu d'accomplissement du génocide. Sur plus de un million de personnes qui y sont assassinées, 90 % sont juives, de tous les pays.


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Même si seul un sixième des victimes de la Shoah y a trouvé la mort, c'est donc à bon droit qu’« Auschwitz » en est venu à désigner par métonymie l'ensemble du génocide. D'autant que ce camp de concentration et d'extermination, le plus vaste de tous, a laissé des vestiges importants et un certain nombre de survivants, au contraire des principaux camps d'extermination, démantelés et rasés, qui ne comptent aucun survivant hors quelques évadés et miraculés (deux rescapés contre plus de 150000 gazés à Chelmno, quatre contre 650000 morts à Belzec). À partir de juillet 1942, une « sélection » a lieu à l'arrivée de chaque nouveau convoi de déportés. Sur un geste de la main des SS préposés au tri, les déportés valides sont réservés au travail forcé. Ceux jugés inaptes au travail sont immédiatement conduits à la chambre à gaz : bébés, enfants, vieillards, infirmes, femmes enceintes, personnes trop âgées, ou simplement celles qui portent des lunettes ou avouent exercer une profession intellectuelle voire un métier non manuel. Dans ses mémoires, Rudolf Höss estime qu'au moins les trois quarts des déportés périssaient dès l'arrivée, dans la chambre à gaz, dont la majorité des femmes, et la totalité des enfants, vieillards et handicapés. À l'en croire, plus de gens étaient sélectionnés pour le gazage pendant l'hiver, où le camp de concentration avait besoin de moins de main-d'œuvre[68] .

La déportation-extermination planifiée de tous les Juifs d'Europe à Auschwitz-Birkenau. Musée du camp.

Franciszek Piper, historien du camp d'Auschwitz, estime que 65 % des déportés (soit 97000 sur 150000 Juifs occidentaux) ont été gazés à l’arrivée. Il confirme la différenciation sexuelle de la mise à mort : 77,5 % des femmes et filles belges ont été gazées dès l'arrivée, mais 51 % des hommes, soit 49 % d’hommes mis à part et recensés par le service du travail (Arbeitstatistik) d’Auschwitz[69] .

Selon Georges Wellers, sur 61098 Juifs déportés de France entre les 29 juillet 1942 et 11 août 1944, 78,5 % ont été gazés à l’arrivée. Pour l'historienne Danuta Czech, 76,6 % des Juifs grecs ont dû l’être aussi. Quant aux Juifs de Hollande, entre le 17 juillet 1942 et le 5 septembre 1944, 57 convois de Westerbork ont apporté 51130 victimes, dont 18408 ont été désignées aptes au travail, les 64 % autres gazées immédiatement[70] . De façon perverse, les déportés sélectionnés sont conduits aux chambres à gaz sur des paroles rassurantes, et sont persuadés de se déshabiller et d'entrer dans la pièce pour y prendre une douche – mais à la moindre tentative de résistance ou au moindre doute, c'est avec la dernière brutalité qu'ils sont forcés d'y entrer et de s'y entasser. Les victimes meurent en quelques minutes après la fermeture des portes et la diffusion du gaz mortel. Celles qui se trouvent le plus près de l'endroit par où sort le gaz périssent les premières. Beaucoup sont gravement blessées ou meurent piétinées dans les bousculades vaines au cours desquelles les victimes cherchent généralement à forcer les portes ou se disputent les coins où il reste encore un peu d'air[71] . Le Sonderkommando, composé de détenus en majorité juifs et périodiquement liquidés, est chargé d'incinérer les cadavres après avoir récupéré les cheveux et les dents en or. La réduction des victimes en cendres aussitôt dispersées traduit le souci des nazis de dissimuler les preuves de leur crime et symbolise leur volonté d'effacer jusqu'à la dernière trace l'existence des Juifs sur la terre. Des centaines de trains conduisent dans le Reich les biens volés aux assassinés, après stockage à la section dite « Canada » du camp. Les cheveux des victimes sont utilisés pour faire des vêtements. En revanche, la confection de savon à partir de la graisse humaine des incinérés relève de la légende.

Alliances volées aux Juifs tués.


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La destruction des Juifs de Hongrie (1944) L'industrie de la mort atteint son apogée à Auschwitz avec la liquidation en août 1944 des 67000 dernières victimes du ghetto de Lodz, le dernier subsistant encore en Pologne, et surtout avec la déportation en 56 jours de plus de 435000 Juifs hongrois par Adolf Eichmann, du 15 mai au 8 juillet 1944. Plus du tiers des victimes juives d'Auschwitz sont hongroises. La Hongrie connaissait un fort antisémitisme depuis la fin du XIXe siècle, aggravé par la participation de nombreux Juifs à l'éphémère « République des conseils » fondée en 1919 par Béla Kun. En septembre 1919, 3000 Israélites avaient trouvé la mort dans les pogroms de la terreur blanche, et dès 1920, Miklós Horthy, régent du Royaume de Hongrie, édictait la plus précoce législation antisémite d'Europe, radicalisée en 1938-1939 puis en 1941. Depuis 1939, la définition légale du Juif était même raciale, les 100000 Juifs de confession catholique étant donc également victimes des discriminations. À l'été 1941, Budapest fait déporter 18000 Juifs de Hongrie "apatrides" en Ukraine, sur les arrières du front russe. Les 27 et 28 août, plus de 10000 d'entre eux sont exterminés par l'Einsatzgruppen C à Kamianets-Podilskyï, premier massacre de Juifs à atteindre les cinq chiffres, et étape-clé dans le passage à l'extermination à grande échelle. Seuls 2000 à 3000 de ces premiers déportés hongrois survivent à l'été. À la suite de cet épisode, le gouvernement suspend les expulsions en zone allemande. Mais l'armée hongroise exécute de son côté un millier de Juifs dans les territoires annexés à la Serbie, et surtout, elle impose aux Juifs de Hongrie un "Service du Travail" aux armées particulièrement meurtrier: les victimes de ce service ne sont pas officiellement des déportés, et elles conservent par exemple leurs biens et leurs domiciles en leur absence, mais de fait, plus de 42000 personnes emmenées ainsi travailler en Ukraine occupée y décèdent dès avant le tournant de mars 1944[72] .. Certes, à plusieurs reprises, le régent Horthy se refuse à éliminer totalement les Juifs de la vie du pays, pas plus qu'il n'accepte les demandes répétées de Hitler de les déporter ou de leur faire porter l'étoile jaune. La Hongrie fait de ce fait figure d'asile relatif dans l'Europe de la Shoah, certains Juifs venant même y trouver refuge depuis des pays voisins. Bien que 63000 Juifs hongrois et apatrides aient perdu la vie dès avant mars 1944, tout ne change vraiment de façon brutale et radicale qu'avec l'irruption des troupes allemandes, appuyées par les collaborationnistes fascistes, les Croix fléchées. Le 19 mars 1944, en effet, les nazis envahissent leur allié hongrois, qui songe à virer de bord à l'approche de l'Armée rouge. Le nouveau premier ministre, Döme Sztójay, collabore pleinement avec les Allemands. Le processus de concentration et de déportation des Juifs s'y répète sur le même schéma qu'ailleurs depuis 1939 mais de manière particulièrement accélérée : étoile jaune obligatoire, constitution de conseils juifs, enfermement en ghettos, puis déportations. Celles-ci ne concernent que les Juifs des provinces et de la banlieue de Budapest, ceux de la capitale restant pour le moment épargnés. Sur ces 435000 Juifs provinciaux activement déportés du 15 mai au 8 juillet 1944, avec l'aide des forces de l'ordre hongroises, seuls 10 % ont été mis au travail forcé, les autres étant exterminés à l'arrivée à Birkenau[73] . Pour accélérer la cadence de mise à mort, en dérivation de la ligne principale un tronçon de voie ferrée est construit qui, une fois franchi le porche d'entrée en forme de tour entre dans le camp pour aboutir à proximité immédiate des chambres à gaz. On aménage une rampe pour la descente des déportés et la sélection. Cette rampe deviendra l'un des symboles les plus connus d'Auschwitz et du génocide. Les crématoires ne suffisant plus à l'incinération de tous les cadavres à un rythme suffisant, des milliers d'entre eux sont brûlés en plein air sur d'énormes bûchers. À cette période, Auschwitz reçoit jusqu'à quatre trains quotidiens, et les opérations de mise à mort par le Zyklon B tuent jusqu'à 10000 personnes par jour. L'amiral Horthy, qui avait autorisé les transports dans un premier temps, retire son autorisation le 9 juillet, alors que des informations sur l'extermination parviennent en Hongrie et que le Vatican ou les États-Unis multiplient les pressions. Sztójay est limogé par Horthy en août. Les déportations sont suspendues jusqu'au 15 octobre, alors que 150000 Juifs demeurent encore domiciliés ou réfugiés à Budapest, où ils survivent tant bien que mal dans le ghetto, spoliés de tout. Entre mars et octobre 1944, par ailleurs, 150000 Juifs sont encore envoyés au "Service du Travail"

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sous l'égide de l'armée hongroise, dont seulement 20000 reviendront[74] .. Le 15 octobre, Horthy est arrêté par les nazis et remplacé par les collaborationnistes des Croix fléchées, qui instaurent un gouvernement fasciste hongrois. Sous la conduite de leur chef, le nouveau Premier Ministre Ferenc Szálasi, les Croix fléchées relancent la persécution, et multiplient, sur place, les massacres désordonnés de Juifs et les marches de la mort. Un certain nombre de Juifs restés à Budapest sont sauvés par des protections diplomatiques, en particulier grâce à l'action de Raoul Wallenberg. En 1941, 825000 Juifs vivaient sur le territoire hongrois, dont 100000 convertis ou chrétiens d'ascendance juive. 63000 ont perdu la vie dès avant le 19 mars 1944. Après cette date, 618000 ont été victimes de la déportation à Auschwitz, des marches de la mort ou de l'envoi au Service du Travail aux armées : 501500 y ont perdu la vie. 116500 Juifs de Hongrie sont revenus de déportation, 20000 du Service du Travail, et 119000 autres restés à Budapest ont survécu[75] . Au total, si 225000 Juifs de Hongrie ont survécu (soit 31 %), une proportion très forte à l'échelle de l'Europe centrale et orientale, leur communauté a perdu 569507 membres dont 564507 assassinés et 5000 autres exilés.

L'extermination par le travail forcé Les camps de concentration nazis ont été un enfer rarement égalé dans l'histoire humaine. Par un processus systématique et pervers de déshumanisation de leurs victimes, les SS et les kapo visaient à détruire leur personnalité et leur vie en un temps très bref, au moyen de la sous-alimentation, des coups, de l'absence d'hygiène et du travail forcé. Les traitements inhumains ne laissaient aux déportés qu'un laps très court à vivre : en 1942, un déporté d'Auschwitz a trois mois en moyenne d'espérance de survie. Sur quatre trains de plus de 1000 Juifs tchèques chacun arrivés du 17 au 25 avril, et qui n'ont pas connu de sélection pour les gaz à l'arrivée, on ne compte pourtant au 15 août que 182 survivants.

« Le travail rend libre » : la devise cynique du portail du camp d'Auschwitz I.

Raul Hilberg note que l'extermination par le travail, avec ses sommets de cruauté, n'a cependant constitué qu'une part réduite de la Shoah. Même à Auschwitz, sur 200000 internés juifs, il n’a été enregistré « que » 90000 décès. L’extermination par le travail forcé a donc dix fois moins tué que le gazage de 865000 personnes dans le même camp[76] .


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Séparés de leurs familles (souvent seuls survivants ou presque si les autres membres ont été déjà tués par gazage), les déportés juifs qui ont échappé à la première sélection à l'arrivée sont spoliés de tous leurs biens et de tout souvenir personnel, intégralement tondus, privés de leur nom et affublés d'un uniforme rayé et d'un matricule par lequel ils seront seul appelés. Ils sont exploités dans des usines de guerre au profit de la SS qui les « loue » aux entrepreneurs à des prix dérisoires : c'est ainsi que le géant chimique IG Farben par exemple se compromet gravement dans l'exploitation des déportés d'Auschwitz. Ils peuvent aussi être employés à des travaux absurdement inutiles (creuser des trous rebouchés chaque soir, porter et rapporter des pierres d'un endroit à l'autre…). Ils sont exposés à la sous-alimentation systématique et aux traitements sauvages de kapos souvent recrutés parmi les criminels de droit commun. Esclaves du Reich à Buchenwald.

Ceux qui faiblissent deviennent des « musulmans[77] » rejetés par leurs codétenus et exposés à la liquidation par les médecins SS au Revier (infirmerie) du camp ou à la sélection pour la chambre à gaz. Les rares survivants (en général ceux qui ont été déportés dans les derniers, à un moment où le Reich en péril prolonge un peu plus la vie de sa main-d'œuvre servile) doivent pour s'en sortir s'endurcir moralement, passer inaperçus, avoir beaucoup de chance, travailler dans des kommandos moins pénibles et moins périlleux.

Les marches de la mort (1945) Les derniers gazages ont lieu fin novembre 1944 à Auschwitz, alors que les nazis aux abois commencent à détruire les installations et les preuves du génocide. L'extermination ne s'arrête pas pour autant. Ainsi à partir du 8 novembre 1944, Adolf Eichmann soumet des dizaines de milliers de Juifs hongrois à une « marche de la mort » éprouvante de Budapest à la frontière du Reich. Le 20 janvier 1945, un peu moins de 60000 survivants d'Auschwitz sont évacués à pied vers l'Allemagne à l'approche des Soviétiques. L'évacuation est généralement dépeinte par les survivants comme l'un de leurs pires souvenirs de déportation : sans vêtements ni chaussures appropriés dans l'hiver très rigoureux, épuisés et sous-alimentés, ils doivent marcher jusqu'à plusieurs dizaines de kilomètres par jour. Ceux qui ne peuvent plus suivre sont abattus immédiatement par l'escorte SS. D'autres détenus sont aussi entassés dans des trains qui les transfèrent d'un camp à un autre au prix d'une mortalité considérable. À Ravensbrück, Dachau ou Bergen-Belsen, où échouent nombre d'anciens détenus d'Auschwitz à bout de force, l'épidémie de typhus provoque une hécatombe. La maladie emporte notamment Anne Frank le 12 mars 1945 à Bergen-Belsen. En avril, à l'approche des Alliés, de nouvelles marches de la mort et de nouveaux trains meurtriers évacuent les déportés.

Survivants du génocide découverts par l'Armée rouge à Auschwitz, 27 janvier 1945.

En tout, de janvier à mai 1945, « autour de 250000 Juifs moururent d'épuisement ou de froid au cours de ces marches, quand ils ne furent pas abattus sur place ou brûlés vifs[78] ». Ce sont des survivants hagards et traumatisés, ainsi que des monceaux de cadavres squelettiques, que découvrent généralement des soldats alliés incrédules. 40 % des Juifs libérés seraient morts dans les semaines suivantes : « leur


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état sortait du domaine de compétence de la médecine occidentale[79] ». Avec les tonnes de biens volés aux Juifs assassinés, les fours crématoires ou les vestiges des chambres à gaz, le monde se retrouve en 1945 devant les preuves d'un crime de masse qui devait conduire au procès de Nuremberg à la naissance du concept de crime contre l'humanité.

Trois cas particuliers La Serbie Soumise à l'autorité militaire allemande, la Serbie connaît la Shoah selon des modalités particulières. Les différents responsables allemands (SS, Wehrmacht) de ce territoire mettent un zèle tout particulier à éliminer physiquement les Juifs — et les Tziganes — présents sur le territoire qu'ils administrent. La définition et la concentration des Juifs s'effectuent en quelques mois. Le général Franz Böhme fait exécuter par fusillade l'ensemble des Juifs et des Tziganes de sexe masculin, entre l'automne 1941 et le printemps 1942, reproduisant les ordres donnés aux Einsatzgruppen. Les femmes et les enfants sont raflés et internés dans des camps en novembre et décembre 1941. Ils sont tous assassinés par gazage au monoxyde de carbone entre janvier et mai 1942. En août 1942, le chef d’état-major administratif en Serbie écrit une note pour son nouveau supérieur, mentionnant en particulier ceci : « Serbie, seul pays où question juive et question tzigane résolues. » (« Serbien einziges Land in dem Judenfrage und Zigeunerfrage gelöst. ») Les seize mille Juifs de Serbie ont été anéantis jusqu’au dernier. Si la rapidité et la relative originalité de la destruction des Juifs de Serbie sont dues à l'initiative des officiers locaux, les dirigeants nazis n'ont en rien entravé leur action, bien au contraire : l'idée de fusiller des hommes juifs est suggérée en premier par Adolf Eichmann, et le camion de gazage est fourni par les autorités de Berlin[80] .

La Croatie Après l'invasion de la Yougoslavie par l'Allemagne, Hitler autorise la création de l'État indépendant de Croatie, satellite de l'Allemagne, dirigé par l'organisation fasciste des Oustachis. L'extermination des Juifs, des Serbes et des Tziganes est assurée principalement par les autorités croates, dans des camps de concentration tels que Jasenovac, et ce jusqu'en 1942. Les nazis obtiennent alors l'autorisation du gouvernement croate de déporter les survivants vers les camps d'extermination.

Victimes du camp de Jasenovac.


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La Roumanie Membre de l'Axe, la Roumanie du dictateur Antonescu est responsable de la mort d'environ 200000 Juifs, ce qui fait des collaborateurs roumains les plus importants participants de la Shoah après les nazis et devant les Oustachis croates. La Roumanie abritait avant-guerre la troisième communauté juive d'Europe, selon le recensement de décembre 1930. Une tradition antisémite y était solidement établie : la Roumanie fut le dernier pays à émanciper ses Juifs, en 1919. Peu avant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement entreprend une politique antisémite, excluant les Juifs des chemins de fer, imposant des quotas dans la main-d'œuvre industrielle et révoquant une partie des fonctionnaires de confession israélite[81] . Le 8 août 1940, la persécution prend une dimension raciste : les Juifs convertis au christianisme sont considérés comme juifs au même titre que les personnes de religion juive. Toutefois, les Juifs qui possédaient la nationalité roumaine au 30 décembre 1918, leurs descendants, les Juifs qui avaient combattu pendant la Première Guerre mondiale (soit environ dix mille personnes) étaient exemptés de certaines discriminations[82] .

Le Pogrom de Iaşi - Juifs massacrés par l'armée roumaine à Iassy, 26 juin 1941.

En février 1941, les fascistes de la Garde de fer perpètrent un pogrom « Le Train du mort » Iaşi, 27 juin 1941 sanglant à Bucarest. 118 morts sont identifiés. Les cadavres sont atrocement mutilés[83] . Après l'invasion de l'URSS, l'armée roumaine, alliée de la Wehrmacht, participe activement au massacre massif des Juifs. Le 25 juin 1941, l'armée, le gendarmerie e la police roumaine assassine 7000 Juifs à Iassy. Les massacres d'Odessa Six jours après l'entrée des troupes roumaines à Odessa, un attentat tue le général Glogojanu, commandant d'Odessa et 40 autres militaires[84] . Le soir même, le gouvernement roumain ordonne des représailles implacables. Aussitôt, le nouveau commandant d'Odessa, le général Trestioreanu annonce qu'il va prendre des mesures pour pendre les Juifs et les communistes sur les places publiques. Durant la nuit 5000 personnes sont exécutées. Le 23 octobre, 19000 Juifs sont exécutés et leurs cadavres arrosés d'essence et brûlés[85] . Des milliers d'autres sont emprisonnés comme otages. Le 24 octobre, les Juifs emprisonnés sont transportés en dehors de la ville et fusillés devant des fossés anti-chars par groupes de 40 ou 50. L'opération se révélant trop lente, les 5000 Juifs restants sont enfermés dans trois entrepôts, mitraillés puis les entrepôts sont incendiés. 40000 Juifs sont ainsi tués ce jour-là[86] . Le 24 au soir, le maréchal Antonescu demande que les otages qui ne sont pas encore morts connaissent les mêmes souffrances que les Roumains morts dans l'explosion. Les victimes sont amenées dans un entrepôt, fusillées. L'entrepôt est dynamité le 25 octobre, jour de l'enterrement des Roumains victimes de l'attentat du 22 octobre[87] . Le premier novembre, la ville ne compte plus que 33885 Juifs, essentiellement des femmes et des enfants qui vivent terrorisés dans le ghetto[88] . Les Juifs d'Odessa et de sa région sont ensuite déportés vers la Roumanie à Bogdanovca, Domanevka et Acmecetca. Ils sont logés dans des conditions déplorables, entassés dans des ruines, des étables ou des porcheries. Ils souffrent de nombreuses maladies avant d'être massacrés à partir du mois de décembre[89] .


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La Transnistrie, une région pour l'extermination Cas particulier dans l'Europe du génocide, c'est un territoire entier, la Transnistrie, qui est transformé en territoire d’extermination. 217757 Juifs y meurent, dont 130000 de nationalité soviétique et 87757 Roumains. 139957 des victimes ont été tuées par des Roumains[90] . En revanche, les Juifs vivant dans les frontières de 1940 n'ont été ni fusillés ni déportés. Le gouvernement roumain pense initialement les déporter, mais y renonce ensuite brusquement[91] , sans doute pour ne pas apparaître comme un pur satellite du IIIe Reich.

Déportation des Juifs par l'armée roumaine, Transnistrie, 1941

Le comportement des Juifs pendant la Shoah Raul Hilberg et Hannah Arendt en particulier ont voulu éclairer la responsabilité des victimes elles-mêmes, qui souvent, par leur attitude passive et soumise, ont facilité la tâche des bourreaux[58] . Ainsi, la mise à mort de 1.5 million de Juifs soviétiques n'a pas coûté ne serait-ce qu'un seul blessé aux bourreaux, de même que par exemple, 300000 Juifs du ghetto de Varsovie ont été déportés sans heurts et sans résistance à Treblinka à l'été 1942. La question de la « collaboration » de certains Juifs à la déportation de leur propre peuple a également suscité dès l'époque de dures divisions au sein même des victimes, et des controverses douloureuses après la guerre.

Vivre et mourir au temps de la Catastrophe Les Juifs pensent avant tout à survivre et notamment à se nourrir. Ils connaissent en permanence la peur et la terreur. Chassés de leurs emplois voire de leurs domiciles, privés de tous leurs droits et de leurs moyens de subsistance par l'aryanisation et les lois antisémites, ils sont exclus de toute vie normale par un arsenal sans cesse plus complet d'interdits les plus mesquins. Ils ne peuvent par exemple emprunter certaines rues ni sortir de leur ghetto quand il en existe un, ils ne peuvent pénétrer dans certains magasins ni faire jouer leurs enfants dans les jardins publics, ils ne peuvent faire les courses qu'à certaines heures défavorables, ils sont astreints à des travaux forcés humiliants (balayer les rues, faire des terrassements, etc.), ils ne peuvent posséder de radio ni de bicyclette, ils doivent monter à l'arrière des tramways et des métros (quand ils peuvent encore les emprunter), parfois ils ne sont même pas autorisés à s'asseoir sur les bancs publics ou à utiliser les cabines téléphoniques. Lorsqu'ils se cachent, c'est dans des conditions plus ou moins difficiles, plus ou moins précaires. Certains survivent jusqu'à des années dans des caves, des pièces cachées ou des greniers étroits, ou encore dans des forêts. Visitée aujourd'hui par des millions de personnes, « l'Annexe » où 8 personnes dont Anne Frank vécurent cachés deux ans est en fait relativement confortable par comparaison avec le lot commun de la plupart des Juifs camouflés. Dans des conditions tragiques, les ghettos ont lutté pour maintenir jusqu'au bout une vie culturelle, musicale et artistique riche et remarquable.

Reconstitution de la cachette d'Anne Frank à Amsterdam.

Conscients que leur communauté était vouée à l'anéantissement total et que nul ne pourrait témoigner un jour de leur sort, des archivistes comme Emanuel Ringelblum à Varsovie ont partout tenu chronique de la vie des ghettos, et enterré régulièrement des documents et des objets relatifs au quotidien des futurs assassinés. De nombreux Juifs d'Europe occupée tenaient des journaux au cœur de la


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persécution, telles à Amsterdam la jeune Anne Frank, ou encore Etty Hillesum, connue pour la haute spiritualité qu'elle développa dans l'épreuve. Le Centre de documentation juive contemporaine et le Conseil représentatif des institutions juives de France ont été fondés en 1943 en pleine clandestinité. Sous le Régime de Vichy notamment, le légalisme, l’obéissance traditionnelle à l’autorité et le désir de se montrer bons citoyens ont poussé beaucoup de Juifs à se soumettre aux lois discriminatrices, et à se laisser recenser. Bien d’autres, par fierté, ont refusé de cacher leur judéité, acceptant de se déclarer juifs ou de porter sans rougir l’étoile jaune, et refusant de fuir devant l'ennemi. Beaucoup de futurs déportés croyaient impossible une trahison de leur propre gouvernement, espérant vainement jusqu’au bout qu’ils seraient protégés des Allemands par le prestigieux et charismatique maréchal Pétain. Le patriotisme voire le nationalisme de nombreux Juifs allemands n'a pas moins freiné l'émigration hors du Reich avant-guerre. Malgré les informations et les rumeurs contradictoires qui circulent régulièrement sur les massacres, l'incertitude est complète sur leur destin final, difficilement imaginable ou difficilement crédible, et alors que se mentir à soi-même est parfois tout simplement nécessaire à la survie psychique. Il n'est pas rare que l'on refuse de croire aux fusillades de masses ou aux gazages même en Pologne alors qu'ils se tiennent à quelques dizaines de kilomètres de là. Même l'arrivée à Auschwitz ne suffit pas toujours à en déciller certains. Les nazis savent en outre duper leurs victimes jusqu'aux derniers instants. À l'arrivée à Treblinka, l'illusion d'une gare normale est entretenue aussi par la présence d'un faux guichet, d'une pancarte « destination Byalistock » et d'une fausse horloge dont les aiguilles sont peintes. À Auschwitz, certaines chambres à gaz ont été ornées un temps de faux pommeaux de douche. Beaucoup de Juifs périssent aussi parce qu'ils refusent en connaissance de cause de se séparer de leurs familles, ou parce qu'ils veulent partager le sort de leurs amis, de leur communauté, de leur peuple. Ainsi, malgré l'avertissement que constitue le massacre de 14000 Juifs à Riga le 30 novembre 1941, le grand historien Simon Dubnow refuse de se cacher, et fait partie des 27000 autres Juifs de la ville assassinés le 8 décembre 1941. À Varsovie, le Dr Janusz Korczak, que sa renommée mondiale mettait à l'abri, part volontairement avec les enfants de son orphelinat et meurt avec eux dans les chambres à gaz de Treblinka (5 août 1942). Le chantage n'était pas non plus absent des refus de chercher à s'échapper. Les lettres écrites par Etty Hillesum depuis Westerbork, l'antichambre néerlandaise d'Auschwitz, décrivent comment les candidats à l'évasion étaient découragés par les chefs juifs du camp qui les accusaient de mettre égoïstement en danger la vie d'autres qui seraient déportés à leur place.

Dernière lettre d'une Italienne juive, jetée du train pour Auschwitz.


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Lors de la « Shoah par balles » Étudiant le comportement des Juifs lors de l'invasion allemande de l'URSS en 1941, Raul Hilberg note que les Juifs ne sont pas préparés à se battre contre les Allemands, ni même à fuir. Les autorités soviétiques ont évacué toutes les personnes des zones menacées nécessaires à l'économie du pays. Beaucoup de Juifs figurent parmi elles, ou parmi les mobilisés de l'Armée rouge. Par contre, les moins formés, les plus fragiles, les vieillards, les femmes, les enfants, doivent se débrouiller par eux-mêmes[93] . Or ces Juifs n'ont pas été informés de ce qui se passait pour les Juifs dans l'Europe occupée. Ils ne savent donc pas quels dangers les menacent[94] . Les Einsatzgruppen ont tôt fait de repérer les faiblesses de leurs proies. Ils ne se gênent pas pour utiliser les Juifs afin de mener à bien leurs traques. À Vinnitsa, le chef de l'Einsatzgruppe utilise le rabbin de la communauté. Il lui demande de réunir les Juifs de la ville à des fins d'enregistrement. Après la réunion de tous les Juifs, il les fait fusiller[95] . Ailleurs des affiches sont collées pour rassembler les Juifs à des fins de « réinstallation ». Beaucoup de Juifs qui s'étaient enfuis dans les campagnes avant l'arrivée des nazis, sont obligés de revenir chez eux parce qu'ils ne trouvent aucune aide et aucun refuge. Là, ils sont pris et tués[96] .

Konrads Kalejs, l'un des officiers du sonderkommando Arājs, mort en 2001 sans avoir été en prison. En janvier 1942, il ne restait plus que 4 000 des 70 000 Juifs résidant en Lettonie, le kommando de Viktor Arājs étant responsable [92] de la moitié de ces morts .

Raul Hilberg souligne aussi que dans les actions de l’Einsatzgruppe, il y a en général, entre 10 et 50 victimes pour un tueur. Mais ces tueurs sont bien armés et décidés. Les Juifs ne peuvent pas exploiter leur supériorité numérique[97] . Les Juifs désorientés, sont habitués à obéir. Les exécutions menées par les Einsaztgruppen ne coûtent pas une seule vie aux Allemands[38] .

Le rôle controversé des Conseils juifs Dès l'époque, puis surtout dans les années 1960-1970, de dures controverses ont entouré le rôle des Conseils juifs (Jüdenrate) installés sur une idée d'Eichmann à la tête de tous les ghettos d'Europe, ainsi que celui des forces de polices juives agissant sur leurs ordres. Les associations obligatoires créées sur ordre des nazis pour organiser les communautés des pays occupés (l'Union générale des israélites de France, l'Association des Juifs de Belgique) ont pareillement été accusées d'avoir servi de relais aux nazis. Il a existé en Europe environ un millier de Jüdenrate, dont quelques 10000 personnes ont été membres[98] . D'une collaboration d'abord purement technique et administrative, beaucoup de conseils sont passés à une collaboration à la déportation en elle-même, par illusion qu'une politique de concessions permettrait de sauver « l'essentiel » en sacrifiant une partie des leurs, mais aussi, à terme, pour sauvegarder leurs positions de pouvoir et leurs privilèges, ou tout simplement pour sauver leur propre vie et celle de leurs protégés en démontrant leur bonne volonté et leur efficacité. Héritage de siècles de persécutions, beaucoup de Juifs avaient plus l’habitude de négocier et de plier l'échine silencieusement que de se battre. En Russie et en Pologne, les pogroms du passé leur avaient démontré leur isolement dans une société très antisémite, et ces violences ne tournaient au meurtre que s'il y avait tentative de résistance. Le passé avait aussi habitué les notables juifs à chercher à sauver « l'essentiel » tout en attendant la fin de l'orage, les plus cruelles persécutions ayant toujours eu une fin. Il n'était guère facile de soupçonner voire de penser qu'ils étaient cette fois face à un ennemi résolu à les détruire jusqu'au dernier.


Shoah Assez représentatif de ces illusions est le discours tenu à Vilna par le responsable juif Jacob Gens : « Quand ils me demandent mille juifs, je les donne. Car si nous, les Juifs, nous ne donnons pas de notre propre gré, les Allemands viendront et prendront ce qu’ils veulent par la force. Alors, ils ne prendront pas mille personnes, mais des milliers et des milliers. En en livrant des centaines, j’en sauve un millier. En en livrant un millier, j’en sauve dix mille[99] . » En URSS, les représentants les plus courageux des communautés ont été liquidés avant même l'arrivée des Allemands, qui achèvent de purger l'élite juive de ses représentants les moins dociles. Celle qui reste « tend à être soumise, craintive et délatrice » (Paul Johnston)[100] , d'autant que les responsables recevaient des privilèges alimentaires et matériels, et elle coopère dès lors aux recensements, aux spoliations, aux déportations. À Lodz en Pologne, le très controversé Chaim Rumkovski se comporte en véritable dictateur des quelques 200000 Juifs entassés dans le ghetto, allant jusqu'à faire imprimer un timbre à son effigie. Il choisit d'emblée de mettre le ghetto au service de l'effort de guerre allemand, fournissant la main-d'œuvre de 117 petites usines de textile fabriquant des uniformes pour la Wehrmacht. Sa police participe aux arrestations et aux déportations, des Juifs allant arrêter ainsi leurs propres coreligionnaires, parfois sans ménagement, et traquant ceux qui se Les polices allemande et juive gardent ensemble l'une des entrées du ghetto de Łódź. cachaient ou se montraient réfractaires au départ. Vidé progressivement par les déportations, le ghetto de Lodz survit toutefois jusqu'à aussi tard qu'août 1944. Rumkovski et sa famille furent déportés dans le dernier convoi, et l’homme fut peut-être tué par les déportés eux-mêmes pendant le trajet[101] . De même, le conseil juif d'Amsterdam fut déporté en dernier une fois la ville « nettoyée » de tous ses Juifs. Tous les conseils juifs n'ont pas accepté de se compromettre. Le 30 septembre 1942, le Jüdenrat de Ternopil refuse ainsi de participer à l'organisation des transports vers les camps. À Minsk et à Białystok, les conseils sont même très proches de la Résistance juive et agissent en symbiose avec elle[102] . Symbole de l'impasse tragique où se sont retrouvés beaucoup d'entre eux, le doyen du ghetto de Varsovie, Adam Czerniaków, se donne la mort en juillet 1942 pour ne pas devoir collaborer à la déportation d'enfants et de vieillards. Son geste n'empêchera pas les nazis de vider le ghetto de 300000 de ses habitants dans les semaines suivantes.

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Juifs dans la Résistance, résistances juives et révoltes armées Tous les Juifs n'ont pas passivement accepté leur destin. Un certain nombre se sont suicidés, parfois par familles entières, plutôt que de se laisser déporter. Des Juifs ont refusé d'embarquer lors de transports, ainsi à Przemyśl, à Białystok, etc. En général, ils l'ont payé aussitôt de leur vie[103] . Au rebours des légendes antisémites sur la « lâcheté juive », les israélites sont surreprésentés dans les mouvements de la Résistance intérieure et extérieure, et ce à travers toute l'Europe occupée. Ainsi, les Juifs de France comptent pour 5 % des compagnons de la Libération, alors qu'ils sont moins de 1 % de la population. Des milliers ont laissé la vie dans les Résistances de chaque pays. Toutefois, surtout en Occident, beaucoup de ces résistants juifs sont des « assimilés » qui ne se considèrent pas ou plus comme juifs, et qui ne résistent pas en tant que Juifs. De ce fait, ils se refusent fréquemment à porter une attention particulière au sort des Juifs, de crainte d'être accusés de privilégier un groupe de victimes par rapport aux autres, et de ne se soucier que de leurs coreligionnaires. Généralement, ils ont cru qu'il fallait avant tout se préoccuper de gagner la guerre, et que la victoire arrêterait la persécution et ferait revenir les déportés. Ils n'ont pas eu conscience de l'anéantissement spécifique - et difficilement imaginable - qui attendait leur propre peuple.

Combattantes du ghetto de Varsovie insurgé.

Une Résistance spécifiquement juive a aussi existé, mais elle n'a pas nécessairement non plus fait pour autant de la lutte contre la déportation une priorité. Ainsi les bataillons juifs de la MOI en France, liés au PCF, se sont-ils avant tout investis dans le sabotage ou les attentats contre les forces d'occupation. La résistance armée juive notamment en Europe de l'Est se heurte à d'importants obstacles structurels. Dépourvus d'expérience des armes par des siècles de discrimination, la plupart des Juifs ignorent leur usage, ni ne peuvent souvent se résoudre à briser le tabou culturel et religieux de la violence. Le fatalisme d'inspiration religieuse a parfois pu jouer son rôle. Les éléments les plus susceptibles de se battre ont émigré en Palestine avant-guerre ou, en URSS, sont mobilisés dans l'Armée rouge. Les armes sont extrêmement difficiles à se procurer. On ne peut souvent escompter de l'aide de mouvements de résistance locaux, pas toujours exempts eux-mêmes de préjugés voire de violences antisémites. La terreur permanente fait que beaucoup préfèrent négocier ou plier l'échine que tenter une lutte isolée, sans espoir, radicalement inégale, qui précipiterait des représailles meurtrières. La grande majorité des Juifs cherche d'abord à survivre et à se nourrir. Enfin, les divisions politiques, sociales et religieuses traditionnellement vivaces au sein des communautés n'arrangent rien. En Europe de l'Est, dans les ghettos, la résistance finit cependant par s'organiser : c'est le cas en URSS à Riga, à Kaunas, et même à Vilnius. Dès décembre 1941, l'Organisation des combattants de Minsk rejoint les rangs des premiers partisans soviétiques. Un soulèvement armé est signalé dès le 20 juillet 1942 à Nesvizh en Biélorussie, et plusieurs autres ghettos se révoltent également cet été-là. En général, ces soulèvements s'accompagnent de fuites de masse, mais la plupart sont rattrapés et tués. À l'intérieur même du ghetto de Kaunas (Kovno), une véritable guérilla permanente sévit contre les Allemands. À Varsovie, les débats sont rudes entre ceux qui jugent toute résistance armée suicidaire, et ceux qui veulent témoigner au monde et à la postérité que les Juifs ne se sont pas laissés exterminer sans combat. Le 28 juillet 1942 est fondée l’Organisation juive de combat qui, fait exceptionnel, parvient à regrouper aussi bien les sionistes que les communistes et les bundistes, seuls les sionistes « révisionnistes » (de droite) faisant encore bande à part.


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Soldats nazis lors de la répression du soulèvement du ghetto de Varsovie (avril 1943).

Alors que sur plus de 500000 habitants initiaux du ghetto, il n'en reste que moins de 90000 au printemps 1943, un millier de combattants sous les ordres du jeune et charismatique Mordechaj Anielewicz déclenchent le 19 avril 1943 le soulèvement du ghetto de Varsovie. Sans illusions sur la fin qui les attend tous, ils entendent explicitement démontrer à la postérité qu'une résistance juive a existé. De fait, à la grande fureur de Hitler lui-même, le ghetto insurgé parvient à tenir au moins cinq semaines contre les SS du général Jürgen Stroop. Malgré ses moyens dérisoires, il n'est submergé qu'après une lutte acharnée, là où des États européens entiers avaient capitulé sans combat ou avaient combattu moins longtemps.

Des révoltes armées ont aussi eu lieu en 1943 dans les ghettos de Sosnowiec, Białystok, Czenstochow, Tarnów, Vilnius. Le Chant de Vilnius du poète yiddish et chef partisan Aba Kovner est resté l'hymne des résistants juifs de la Shoah. Les révoltes les plus improbables et les plus spectaculaires ont eu lieu au cœur même des camps d'extermination. Le 2 août 1943, les détenus de Treblinka se soulèvent et une partie parvient à s'enfuir. L'épisode accélère la décision de démanteler ce centre de mise à mort. L'événement se reproduit le 14 octobre 1943 à Sobibor, théâtre d'une révolte remarquablement bien préparée, synchronisée à travers tout le camp. À Auschwitz-Birkenau, le 7 octobre 1944, les détenus du Sonderkommando chargés d'incinérer les gazés parviennent à dynamiter le Krematorium no IV et abattent quelques gardiens avant d'être tous tués.

Le destin des survivants après 1945 Les Juifs rescapés n'ont pas seulement traversé des épreuves traumatisantes, qu'ils aient ou non subi la déportation. Ils ont généralement perdu leur famille, en totalité ou en partie. Souvent ils ont été dépossédés sans pouvoir toujours retrouver leurs biens. À l'Est ou en Hollande, c'est pratiquement toute leur communauté qui a été éradiquée : leur monde même n'existe plus, une culture et un univers ont disparu sans retour. Le « massacre des survivants » en Europe de l'Est En Europe de l'Est, la Shoah n'a pas fait disparaître l'antisémitisme, et les survivants sont souvent insultés à leur retour, voire maltraités ou assassinés s'ils tentent de reprendre les biens qui leur ont été volés en leur absence. Pas moins de 150 Juifs sont assassinés en Pologne libérée dans les quatre premiers mois de 1945, et 1200 avant avril 1946. Le pays voit même se produire de nouveaux pogroms. À Kielce le 4 juillet 1946, le mensonge d'un gamin fugueur accusant les Juifs de l'avoir enlevé à des fins de meurtre rituel provoque le massacre de 42 Israélites par la foule. Ces tragédies accélèrent l'émigration des survivants hors de Pologne, et souvent hors d'Europe. Ainsi, plus de 60000 Juifs polonais se réfugient en Allemagne occupée en 1946-1947. Un pogrom survient aussi en septembre 1945 à Velké Topolcany en Slovaquie, ou en mai 1946 à Kunmadaras en Hongrie[104] . Souvent très nombreux au sein des forces communistes, les Juifs sont facilement assimilés dans leur ensemble par les populations aux régimes qui se mettent en place sous l'égide du nouvel occupant soviétique. Dans les 18 mois qui suivent la fin de la guerre, on tue plus de Juifs en Pologne, en Hongrie et en Tchécoslovaquie que dans les 10 années qui ont précédé le conflit. « Ceux qui ont perdu plus que quiconque se voient blâmer pour la souffrance des autres »[105] . À partir de 1948, Staline cherche à exploiter le ressentiment antijuif populaire en déclenchant en URSS et dans tout le bloc de l'Est une campagne antisémite. Dès 1946, il avait fait censurer le Livre noir écrit par Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman sur les massacres nazis de Juifs en Union soviétique. La judéité des victimes de Babi Yar et autres


Shoah lieux de massacres est gommée, et le principal crime de Hitler sera dissimulé aux populations jusqu'à la fin du monde communiste. Émigration hors d'Europe Si les survivants d'Europe occidentale sont généralement rentrés chez eux et y sont restés, il n'en est pas de même pour ceux d'Europe de l'Est, dont pas grand monde ne veut, et qui se retrouve en plus en butte à la campagne antisémite qui se développe dans le bloc communiste à partir de 1948. Les « DP » (Displaced Persons) juifs sont d’abord traités comme les autres réfugiés et déplacés, sans égards particulier pour la tragédie qu'ils ont traversée. Ce qui veut dire qu'ils sont souvent mis dans les mêmes camps que leurs anciens persécuteurs ukrainiens, baltes, russes, etc., du moins jusqu'en août 1945, où le président américain Truman les fait mettre à part. Un certain nombre de survivants parviennent à émigrer aux États-Unis ou en Europe de l'Ouest. Cependant, si certains aident à combler le besoin de bras, ceux des Juifs orientaux qui ont fait des études ou exercent une profession non-manuelle ne sont pas les bienvenus. Quant aux Britanniques, ils continuent à fermer la Palestine à l'émigration juive, interceptant les clandestins pour les interner à Chypre et à Rhodes. En 1947, le sort de l’Exodus choque l'opinion internationale : ce navire parti de Sète avec plus de 4500 survivants est en effet refoulé par les Britanniques, qui finissent par débarquer de force les passagers, de surcroît dans un port allemand, indélicatesse ultime. Le scandale contribue en partie à la décision de l'ONU de partager la Palestine et d'autoriser la naissance d'un État juif, censé servir notamment de refuge et de nouvelle patrie aux survivants. Entre 1948 et 1951, 332000 Juifs européens partent pour Israël depuis les camps d'Allemagne ou l'Europe de l'Est. 165000 autres iront en France, en Grande-Bretagne, Australie ou en Amérique[106] . Ainsi, 90000 des 200000 Juifs roumains partent entre 1948 et 1951, de même que 39000 des 55000 Juifs slovaques survivants, ou la moitié des 15000 derniers Juifs yougoslaves[107] . Paradoxalement, ce sont des communautés épargnées par le génocide comme celles de Bulgarie ou a fortiori de la Turquie neutre qui connaissent l'émigration la plus massive pour Israël. La disparition de l'aire culturelle séfarade, commencée avec la Shoah, devient ainsi irréversible, ne laissant que quelques milliers de Juifs dans ces pays[108] . De même, la campagne antisémite qui sévit en Pologne communiste après la guerre des Six Jours (1967) acheva de faire partir la quasi-totalité des 300000 Juifs encore présents dans le pays. L'émigration massive acheva donc en bonne partie ce que la Shoah avait poursuivi et accompli par le meurtre : vider l'Europe de l'Est de ses Juifs. Traumatismes, silences et témoignages En général, les survivants de la Shoah n'ont pas été écoutés à leur retour, même lorsqu'ils ont eu le désir ou la force de parler. Peu nombreux et noyés dans la masse des rapatriés ou des victimes de guerre, ils étaient aussi le rappel vivant des compromissions de leurs gouvernements dans la déportation et l'extermination. De surcroît, le moment était à la célébration de l'héroïsme des résistants et des soldats, et non à la valorisation de la souffrance et des victimes. Simone Veil a ainsi témoigné de l'impossibilité pour les témoins de se faire entendre, d'autant qu'il était difficile de regarder en face les atrocités inimaginables dont ils faisaient le récit. Même en Israël, comme l'a établi l'historien Tom Segev (Le Septième Million, 1993), les survivants du génocide se voyaient souvent soupçonnés d'avoir collaboré pour survivre, ils se voyaient reprochés d'être allés dans les camps « comme des moutons à l'abattoir » ou de ne pas avoir émigré en Palestine avant la guerre. L'État hébreu, fondateur dès 1953 de Yad Vashem, se focalisait avant tout sur la célébration des quelques héros du soulèvement du ghetto de Varsovie plutôt que d'insister sur la masse des femmes, des enfants ou des vieillards assassinés.

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Shoah Jusqu'à la redécouverte de la Shoah en Occident dans les années 1970, beaucoup de survivants ont donc préféré garder le silence, ne s'ouvrant souvent même pas de leur passé à leurs propres enfants, amis ou collègues. Plus d'un a été taraudé par la « culpabilité du survivant ». Incapables de surmonter les séquelles psychologiques et morales de leur passé, certains survivants de la Shoah se sont suicidés, devenant ainsi les victimes, parfois des décennies après, d’« assassinats différés » (François Bédarida). Parmi les plus connus figurent le poète Paul Celan, l'écrivain Primo Levi, ou la mère du dessinateur Art Spiegelman. Toutefois, rien n'indique que le suicide ait été particulièrement répandu parmi les survivants de la Shoah. Le devoir de mémoire développé en Occident depuis les années 1970, « Marche des vivants » à Auschwitz-Birkenau, en réaction notamment à la menace négationniste, a souvent permis à 2004 nombre d'anciens déportés de sortir de leur silence et d'aller témoigner devant les médias, dans les écoles et les lycées, ou encore en écrivant leurs souvenirs. Certains sont retournés régulièrement sur les lieux du massacre pour accompagner comme guides des groupes de visiteurs, en particulier jeunes, notamment à Auschwitz. Ce lieu crucial et symbolique a reçu ainsi 25 millions de visiteurs depuis 1945.

Bourreaux, bureaucrates et complices La Shoah constitue un crime d'autant plus déconcertant et traumatisant qu'elle a été perpétrée à l'instigation d'un des pays les plus modernes du monde, célèbre pour ses réussites scientifiques et techniques et pour son abondance d'artistes, de philosophes et d'écrivains. Le haut niveau culturel et intellectuel de maints participants dépourvus d'états d'âme a également frappé la postérité. Les bourreaux de la Shoah sont ainsi devenus le symbole de l'échec de la culture à empêcher l'horreur, et de la remise en question de l'idée même de civilisation. De surcroît, aucun tortionnaire nazi n'a été obligé de participer à la Shoah. Un soldat des Einsatzgruppen ou un garde de camp dont les nerfs craquaient se laissait persuader de continuer, ou bien il obtenait facilement sa mutation. En cas de procès après-guerre, tout en cherchant à minimiser son rôle, aucun n'a nié la réalité de l'extermination. Pratiquement aucun non plus n'a jamais fait acte de regrets ou de repentir. Dans tous les pays d'Europe, il s'est trouvé également des institutions, des groupes ou des individus pour relayer les initiatives nazies et permettre l'accomplissement du génocide. D’autres enfin les ont aidés de leur silence, de leur passivité, ou de leur indifférence et de leur refus de savoir.

Les tortionnaires : identité et mentalités Les fusillades massives sont nerveusement éprouvantes pour des hommes qui finissent par craquer, par se saouler ou par devenir dangereux pour leurs propres complices. Le recours aux camions à gaz puis aux chambres à gaz vise à mettre entre bourreaux et victimes une distance suffisante pour permettre aux premiers de poursuivre plus tranquillement leur besogne jusqu'au bout. À Auschwitz, la division des tâches dilue le sentiment de responsabilité individuelle, puisque chacun n’est qu'un maillon du processus complet d'extermination - chargé uniquement qui de la sélection, qui de conduire les victimes aux gaz, qui d'apporter le poison mortel ou qui de le verser. Les euphémismes du langage officiel (« traitement spécial » pour gazage, « évacuation » pour déportation) permettent aussi un peu plus aux criminels de ne pas regarder leurs actes en face. Comme l'a rappelé le personnage de Max Aue dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell, beaucoup des tortionnaires n'ont rien de brutes incultes. Les chefs des Einsatzgruppen (1000 hommes chacun en moyenne) comptent en leur rang de nombreux intellectuels ou encore des avocats. Otto Ohlendorf était docteur en histoire du droit et diplômé de trois universités. Un commandant du bataillon C, Ernst Biberstein, est un théologien protestant. La plupart des

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Shoah médecins de la mort nazis, à l'instar de Josef Mengele, sont des praticiens très diplômés et respectés dans leur ordre. Beaucoup de SS en poste dans les camps se montrent des amateurs raffinés de musique ou de peinture. Mais beaucoup ont aussi profité de la pleine licence que l’autorité leur donnait d’humilier et de tuer les Juifs pour donner libre cours à leur sadisme et à leur sauvagerie – tout en s’enrichissant personnellement sans vergogne de leurs dépouilles matérielles. Qu’il s’agisse de SS, de policiers, de soldats « ordinaires », de collaborationnistes ou encore de kapo des camps recrutés parmi les criminels de droit commun, d’innombrables photos ou récits démontrent le plaisir souvent pris à faire souffrir leurs victimes par les humiliations les plus perverses, ou en imaginant les supplices les plus cruels. Couper en public la barbe des vieux Juifs religieux, les forcer à des danses grotesques et épuisantes avant de les abattre, prolonger ou aggraver délibérément la souffrance et l’agonie de victimes, poser hilare avec le dernier Juif vivant de telle ville nettoyée avant d’envoyer la photo à sa famille en Allemagne comme une curiosité, sont ainsi pendant la Shoah des pratiques courantes parmi bien d’autres. Dans les camps de concentration, des commandants et des gardes se livrent au quotidien à des pratiques gratuites et non moins barbares. Ainsi, lâcher les chiens policiers sur des détenus (à Sobibor, le sergent SS Paul Grot dresse même son chien à arracher les testicules de ses victimes dès qu’il l’entend crier : « Jude [109] ! »), précipiter certains détenus du haut de l’escalier de la carrière de Mauthausen, en obliger d’autres à s’approcher des barbelés pour mieux les abattre pour « tentative d’évasion ». Les coups de fouet et de gummi (matraques en caoutchouc) pleuvent en permanence, et bien des détenus sont tués pour les prétextes les plus futiles, et par n’importe quel moyen. Cependant, comme le relève une ancienne déportée d’Auschwitz citée Arrestation des gardiennes SS de Bergen-Belsen, par l’historien-témoin Herman Langbein, « tous ceux qui étaient là-bas avril 1945. ont fait aussi une fois ou l’autre quelque chose de bien. C’est ça qui est terrible[110] . » Plus d’un bourreau s’est aussi montré ponctuellement capable d’un attendrissement inattendu, d’un geste d’aide ou de clémence, ou d’une modération épargnant (provisoirement) des vies. Le commandant Rudolf Höß expose dans ses mémoires que pour le bon accomplissement de la tâche confiée par le Führer, il devait refouler sa sensibilité, présenter malgré lui un visage impassible et donner l’exemple de l’endurcissement à tous ses subordonnés[réf. nécessaire]. La culture d’obéissance inconditionnelle à l’autorité a été une condition indispensable du génocide. Doublée d’une absence totale d’interrogation morale et d’une incapacité à recourir à la conscience personnelle, elle a permis à la machine de mort du IIIe Reich de fonctionner sans accroc sérieux et d’atteindre rapidement une bonne part de ses objectifs. Au-delà de la haine antisémite, le culte quasi-religieux voué par les nazis à l’ordre du Führer (Führersbefehl) suffisait à faire taire toute interrogation personnelle sur la légitimité du meurtre de masse.

Allemands et Autrichiens « ordinaires »

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Des enquêtes d'historiens européens ou américains ont d'autre part montré les nombreuses complicités existant dans la société allemande pour la mise en œuvre de la Shoah. Christopher Browning et Daniel Jonah Goldhagen ont par exemple analysé le comportement de bataillons de police composés « d'hommes ordinaires » envoyés en Pologne et qui se comportent en bourreaux consciencieux, et parfois Le médecin SS de la mort Fritz Klein au milieu même zélés, lors des massacres et des déportations. Daniel J. de la fosse commune de Bergen-Belsen. Goldhagen en conclut que les Allemands étaient les « bourreaux volontaires d'Hitler[111] (titre de son ouvrage[112] ). » Cette thèse est critiquée par d'autres historiens, en particulier pour son manque de nuance, car elle présente le défaut de mettre sur le même plan « l'antisémitisme ordinaire » et les manipulations qu'en font les « antisémites radicaux ». Les débats portent aussi sur le rôle des Allemands ordinaires. Au fur et à mesure que l'on se rapproche du front, l'implication de la société n'est pas contestable. La Wehrmacht et la police des zones d'occupation ont participé à la Shoah. Sans l'aide de l'armée, les 3000 hommes des Einsatzgruppen n'auraient pas pu massacrer un million d'hommes. De nombreux soldats venaient regarder les exécutions en voyeurs et y ont même participé[113] . Beaucoup d'Allemands avaient plus ou moins conscience des atrocités que subissaient les Juifs. Les soldats du front Est rapportaient des récits des massacres des Einsatzgruppen lors de leurs permissions dans le Reich. Dans la dernière partie de la guerre, des rumeurs sur le gazage des Juifs circulaient. L'attitude générale a été le repli sur soi et la volonté de ne pas savoir sur ce qui se cachait derrière les rumeurs[114] . Les Autrichiens ont participé au génocide en proportion encore bien plus grande que les Allemands, et ont peut-être tué plus de Juifs que ces derniers. Parmi les chefs nazis, outre Hitler lui-même, on peut citer Eichmann, Kaltenbrunner, Seyss-Inquart. Les Autrichiens ont fourni un tiers des tueurs des Einsatzgruppen, environ 40 % des gardes des camps de concentration, les commandants de quatre des six camps d'extermination, ou encore commandants, ou les chefs de la Gestapo tant aux Pays-Bas (Hans Rautter) qu'en Pologne (Grabner)[115] ,[116] . C'est un policier autrichien, Karl Silberbauer, qui arrêta le 4 août 1944 Anne Frank et sa famille à Amsterdam. Ne s'en posant pas moins après la guerre en « première victime du nazisme », l'Autriche refusera durablement toute responsabilité et toute indemnisation des victimes juives.

Fonctionnaires et « criminels de bureau » Même sans être antisémites, de nombreux Européens des pays occupés ont pris part à la Solution finale en exécutant les ordres du gouvernement en fonctionnaires consciencieux ou zélés dépourvus d’états d’âmes. À travers l’Europe, d’innombrables politiciens, bureaucrates et policiers ont un jour ou l’autre sauvé ponctuellement des Juifs ou sont intervenus en faveur certains d’entre eux, ce qui ne les empêchait pas pour autant de continuer à participer à la Solution finale. À l’approche des Alliés, il devenait banal, surtout parmi les opportunistes et les carriéristes, d’avoir « son » Juif pour se dédouaner lors des futures procédures d’épuration. Selon Raul Hilberg, sauver quelques Juifs d’une main tout en contribuant à la mort de bon nombre d’autres permettaient aussi aux « assassins de bureau » de garder la conscience tranquille et de continuer leur tâche. Sans commettre personnellement de cruautés ni de meurtres, et sans être forcément antisémites ni adhérer nécessairement à l’idéologie nazie, de nombreux hommes politiques, bureaucrates et fonctionnaires du Reich et des États collaborateurs se sont faits les rouages de la Solution finale. Ils ont pu agir avec plus ou moins de zèle selon les individus, les lieux et les moments. Ils ont pu avoir des raisons diverses, ainsi la conviction du régime de Vichy qu'il fallait à tout prix maintenir l'illusion d'une souveraineté française en procédant soi-même aux arrestations et l'illusion qu'en allant de bonne grâce au-devant des volontés allemandes, on obtiendrait une place de choix pour la France dans la nouvelle Europe nazie.

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Le débat sur les responsabilités Pendant longtemps les historiens occidentaux ont attribué la responsabilité des crimes nazis au petit groupe des dirigeants du Reich. Dans les années 1950, seule l'historiographie marxiste posait la question de la responsabilité du peuple allemand dans la mise en œuvre de la violence nazie. Elle pointait du doigt le rôle de l'aristocratie de la bourgeoisie et de l'appareil industriel, mais n'étendait pas les responsabilités au-delà de ce cercle. À partir des années 1960, l'école historique « fonctionnaliste », majoritairement allemande, montre que les questions soulevées par l'origine de la Shoah sont très complexes. Un autre courant historiographique, nommé intentionnaliste, leur reprochera de diluer ce faisant les responsabilités dans l'organisation et la mise en œuvre de la Shoah[117] . Selon les fonctionnalistes, donc, le génocide est le résultat d'un processus décisionnel et organisationnel étalé dans le temps, entre l'été 1941 et l'automne 1942, dans lequel Hitler s'est contenté de donner de vagues directives[118] . Leurs travaux montrent qu'un grand nombre d'acteurs ont pris part à la Shoah, et ils ont renouvelé la recherche en suscitant de nouvelles études. Ian Kershaw explique dans son livre, Hitler, que le Führer a toujours été au centre des décisions, même s'il ne donnait pas tous les ordres lui-même. Göte Aly décrit la marche au génocide des années 1939-1941. Ils montrent que non seulement les SS, mais aussi les Gauleiter ou encore les experts de Berlin, ont joué un rôle dans le déplacement et le massacre des populations juives. D'autres historiens pointent les initiatives locales comme celles qui furent prises en Pologne en 1941. Elles permettent de mieux comprendre l'importance de « l'expérimentation » des méthodes d'assassinat sur le terrain. Par contre, elles ont le défaut de faire croire que les hauts dirigeants du IIIe Reich comme Himmler, Heydrich et Hitler n'auraient pas été indispensables au processus du génocide. Cependant, il ne faut pas oublier qu'Hitler est maître d'un bout à l'autre du processus. Il suggère plus qu'il ne dicte mais cela fait partie de ses méthodes. Saul Friedländer insiste sur ce point. Il raconte que quand l'Allemagne envahit l'URSS, Goebbels et Heydrich se demandent si les Juifs russes doivent porter l'étoile jaune. Ils vont voir Göring : « Trop important, allons en parler à Hitler. » Il reçoit tous les chiffres sur le nombre de juifs assassinés. Après Stalingrad, il insiste auprès de Goebbels pour revenir à la centralité de la question juive[119] . De plus l'intention de tuer est présente dès le début de la guerre. Même les projets de déportation dans la région de Lublin, à Madagascar ou en Sibérie auraient eu comme conséquences la mort de millions de Juifs. Enfin la mise en œuvre de la Shoah se caractérise par des échanges nombreux entre Berlin et les responsables locaux. La somme des initiatives locales n'aurait pas abouti à la Shoah sans coordination au sommet d'hommes comme Göring, Himmler, Heydrich et bien sûr Hitler[114] .

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Traques, procès et fuites des responsables de l'extermination Le suicide de Hitler le 30 avril 1945 et celui de Himmler le 23 mai ont privé le tribunal de Nuremberg de la comparution des deux principaux responsables de l'Holocauste. Nombre de criminels de tout rang ont aussi échappé à la justice en se donnant la mort, à l'image le 1er mai de Goebbels, instigateur de la propagande antisémite, de la nuit de Cristal et de la déportation des Juifs de son fief de Berlin. Se sont aussi tués en 1945 le haut chef SS Odilo Globocnik, ou encore l'organisateur des déportations de France et de plusieurs autres pays Theodor Dannecker. D'autres maîtres-d'œuvre de premier plan ont été abattus pendant la guerre par des résistants, ainsi Heydrich à Prague en mai 1942. Dans les Balkans, des partisans ont aussi tué l'ancien commandant de Belzec Le corps de Himmler, qui se suicide à sa capture Christian Wirth. D'autres ont littéralement disparu dans la tourmente. par les Britanniques, 23 mai 1945. Martin Bormann périt par exemple probablement le 1er mai 1945 au cours de la bataille de Berlin, de même que le chef de la Gestapo pour le territoire allemand Hermann Müller. Les Alliés avaient prévenu dès 1941-1942 que les criminels de guerre seraient poursuivis et punis. Dès 1943-1944, à mesure de la libération de l'URSS, les Soviétiques lancèrent des enquêtes approfondies. Ils jugèrent et condamnèrent des Allemands responsables de massacres et nombre de leurs complices locaux. Les épurations menées dans les différents pays libérés ont permis de juger une partie des responsables de la Solution finale, même si la spécificité et l’ampleur de celle-ci restaient encore floues pour les contemporains, et même si la déportation des Juifs ne constitua pas un problème central pour l’accusation ni pour l’opinion. Certains criminels ayant sévi sur plusieurs pays furent cependant jugés par un État en particulier. Les Slovaques se chargèrent par exemple de condamner à mort Dieter Wisliceny, l’un des bras droits d'Eichmann. Les 16 principaux dirigeants nazis jugés au procès de Nuremberg ont du répondre notamment des chefs de génocide et de crime contre l'humanité. La Shoah a été amplement évoquée par les juges, les victimes et les bourreaux cités à témoin, dont le commandant d'Auschwitz Rudolf Höß, le responsable d'unités mobile de tuerie Otto Ohlendorf ou le général SS Erich von dem Bach-Zelewski. Elle n'occupa pas non plus une place centrale, et aucun Juif ne fut par exemple cité comme témoin. Une série d'autres procès, toujours à Nuremberg, visa entre 1946 et 1951 les chefs des Einsatzgruppen, des industriels responsables de l'exploitation de main-d'œuvre concentrationnaire, ou des médecins nazis criminels. Les tribunaux militaires alliés jugèrent aussi plusieurs dizaines de gardes et certains commandants des camps de concentration, au cours de procès comme ceux de Dachau, Buchenwald ou Ravensbrück. Le premier et principal commandant d'Auschwitz, Rudolf Höß, jugé par les Polonais, fut exécuté en 1947 sur le lieu de ses crimes. Son successeur moins extrémiste, Arthur Liebehenschel, connut le même sort. Le troisième et dernier commandant, Richard Baer, ne fut retrouvé que tardivement, et mourut en prison en 1963 avant son procès. Dans les années 1960, l'Allemagne de l'Ouest jugea à son tour, en trois procès tenus à Francfort, plusieurs anciens gardiens du plus important lieu du génocide. Mais sur 7000 gardes SS passés par Auschwitz, seuls 10 % ont été retrouvés et jugés.

Un détenu identifie un SS arrêté, 1945.

Des criminels nazis en fuite seront traqués et retrouvés. L'ancien commandant de Treblinka, Franz Stangl, fut ainsi extradé du Brésil et mourut en prison à Düsseldorf en 1971[120] . Adolf Eichmann, organisateur des déportations, fut


Shoah enlevé par le Mossad en Argentine et jugé à Jérusalem par la cour suprême de l'État d'Israël. Son procès retentissant en 1961 marqua le début du réveil de la mémoire de la Shoah. Pour la première fois de l'Histoire, par ailleurs, il était rendu compte devant un tribunal juif de « crimes contre le peuple juif ». Parfaitement régulier (Israël alla jusqu'à payer les frais de l'avocat allemand d'Eichmann, après lui avoir permis de s'inscrire exceptionnellement au barreau de l'État hébreu), le procès fut marqué par la présentation d'abondants documents accablants et le témoignage de nombreux survivants. Condamné à mort et pendu en 1962, Eichmann apparut comme un homme terne et ordinaire, incapable du moindre regret ni de la moindre réflexion morale sur ses actes. Il se présenta comme un bureaucrate méticuleux et consciencieux, préoccupé uniquement de l'aspect technique de sa tâche. Son attitude inspira à Hannah Arendt des réflexions célèbres sur la « banalité du mal ». Nombre d'exécutants de la Shoah ne furent jamais inquiétés, et firent de prospères carrières administratives, politiques ou économiques en RFA et en RDA. Ou bien, ils virent les poursuites à leur encontre abandonnées avec le temps, à moins de s'en tirer avec des peines légères et tardives. Bien d'autres sont morts libres après s'être réfugiés en Amérique latine (tels Josef Mengele, le « médecin de la mort » d'Auschwitz) ou dans le monde arabe, par exemple Alois Brunner. Des filières liées à des personnalités du Vatican aidèrent certains criminels de masse à s'enfuir, tels le sanguinaire dictateur croate Ante Pavelić, tandis qu'avec la guerre froide, Soviétiques et Américains ralentirent les poursuites et recyclèrent nombre d'anciens nazis en Europe ou dans leurs services secrets. Klaus Barbie, un des principaux chefs de la Gestapo lyonnaise, entra ainsi au service de la CIA et put se réfugier en Bolivie ; enfin extradé en 1983, il fut jugé à Lyon en 1987 et condamné à perpétuité pour crimes contre l'humanité, en particulier pour la rafle des 44 enfants orphelins d'Izieu. L’imprescriptibilité des crimes contre l’Humanité (intégrée par exemple dans le droit français en 1964), le réveil de la mémoire de la Shoah et l’action tenace de « chasseurs de nazis » tels que Simon Wiesenthal ou encore Serge Klarsfeld ont permis dans les années 1980-1990 la tenue d’une nouvelle série de procès. En particulier, René Bousquet, ancien chef de la police du gouvernement de Vichy et responsable de la majorité des déportations de France, fut abattu par un déséquilibré en 1993 à la veille d’être jugé. Son adjoint Jean Leguay était décédé avant procès. Le milicien Paul Touvier en 1994 et l’ancien haut fonctionnaire Maurice Papon en 1998 furent les premiers Français spécifiquement condamnés pour complicités de crimes contre l’humanité.

Attitude du monde extérieur « Comment tout un peuple en voie d’être exterminé a-t-il pu subir pareil destin ? Comment le monde entier a-t-il pu laisser s’accomplir pareille monstruosité sans tenter d’intervenir pour l’arrêter ou au moins pour la freiner ? Comment l’Europe chrétienne a-t-elle pu laisser périr le peuple d’Israël quand elle n’a pas contribué elle-même à leur massacre ? ». L'historien et ancien résistant catholique François Bédarida résumait en ces termes les questions angoissantes posées à l'humanité par la Shoah[121] . De manière générale, « sauf dans l’esprit d’une poignée de dirigeants nazis, les Juifs n’avaient pas été l’enjeu de la Seconde Guerre mondiale » (Tony Judt)[122] .

L'avant-guerre : frontières fermées et réfugiés refoulés Dans les années 1930, la plupart des pays occidentaux ont fermé leurs frontières aux victimes des persécutions antisémites en Allemagne et en Europe centrale. De 1939 à 1940, bien des Juifs autrichiens et allemands réfugiés ont même été internés comme « ressortissants ennemis » par la Grande-Bretagne et la France. De peur que le monde arabe et ses ressources pétrolifères ne basculent du côté du IIIe Reich, les Britanniques ferment la Palestine à l'émigration juive, et renouvellent sa limitation drastique par le Livre Blanc de 1939, pour la maintenir sans discontinuer pendant la guerre et jusqu'en 1948. En 1939, un navire chargé de réfugiés parti d'Europe, le Saint-Louis, est refoulé par les États-Unis et plusieurs États de l'aire caraïbe avant de devoir repartir pour les Pays-Bas. Les passagers y seront surpris par l'invasion allemande de

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Shoah mai 1940 et les trois quarts d'entre eux exterminés. La conférence d'Évian sur les réfugiés, tenue du 6 au 15 juillet 1938, a constitué la démonstration publique la plus lamentable du refus général d'accueillir les Juifs. L'URSS, l'Italie fasciste et la Tchécoslovaquie n'ont même pas daigné envoyer un représentant. Les observateurs délégués par la Hongrie, la Pologne ou la Roumanie veulent juste savoir si l'on pourrait les aider à se débarrasser de leurs propres Juifs. Les autres pays ne veulent pas accueillir plus de réfugiés. C'est l'époque où le Canada explique qu'aucun réfugié serait encore trop (« none is too many »), où les États-Unis et l'Amérique latine pas encore remis de la Grande Dépression restreignent encore plus les entrées. La Suisse, jugeant par la bouche d'un conseiller fédéral que « la barque est pleine » (« Das Boot ist voll »), négocie avec les nazis pour refouler les réfugiés de son territoire : la Confédération demande elle-même à Berlin, et obtient en octobre 1938, que les passeports des Juifs allemands expulsés soient marqués de la lettre J à l'encre rouge indélébile[123] . Assuré que l’étranger ne portera aucun secours aux Juifs, Hitler peut renforcer sa politique raciste et, parallèlement au succès de Munich, lancer la nuit de Cristal, puis le génocide lui-même.

Les Alliés et la Solution finale Des hommes courageux ont bravé toutes les difficultés pour tenter de prévenir les Alliés. Ainsi le résistant chrétien Kurt Gerstein, entré dans la SS pour la combattre de l'intérieur, qui tente d'alerter le monde dès l'été 1942 sur les gazages qu'il a vu en personne à Belzec, et qui se suicide en 1945. Ainsi Jan Karski, délégué à Londres par la résistance polonaise. Depuis la Suisse, le télégramme Riegner du 8 août 1942 informe Londres et Washington de la Solution finale en cours. De façon générale, ces informations n'ont pas ou peu été crues, et n'ont suscité aucune réaction particulière des gouvernements et des opinions des pays alliés. Même des organisations juives ont refusé de croire les chiffres et les descriptions qui leur étaient faites de la machine de mort nazie[124] . Samuel Zygelbojm, représentant du Bund auprès du gouvernement polonais en exil à Londres, se donne la mort le 11 mai 1943 : « Par ma mort, je voudrais, pour la dernière fois, protester contre la passivité d’un monde qui assiste à l’extermination du peuple juif et l’admet ». L'incrédulité pouvait s'expliquer par le souvenir des excès de la propagande et du « bourrage de crâne » sous la Grande Guerre. Au-delà, elle a été encouragée par l'absence de précédent comparable et par le caractère inouï et impensable du crime. Les informations sur l'extermination des Juifs ont aussi circulé dès 1941 et surtout 1942 à la BBC, dans la presse anglo-saxonne et jusque dans une partie de la presse clandestine des pays occupés. Mais elles se mêlaient sans traitement spécifique à d'autres récits d'atrocités et à l'évocation d'autres enjeux et problèmes[125] . Les Alliés n'ont pas non plus toujours conscience de la spécificité du sort qui frappait le peuple juif. Ils n'ont dès lors pas voulu donner l'impression qu'ils privilégiaient une catégorie de victime par rapport à une autre. Winston Churchill, dont les services pouvaient déchiffrer les messages codés allemands grâce au système Enigma, savait dès l'été 1941 que les Einsatzgruppen massacraient systématiquement les Juifs soviétiques, mais dans ses discours publics, il dénonça ces horreurs sans jamais mentionner le caractère juif des victimes. Les Anglo-Saxons, sans parler des Soviétiques, n'ont pas non plus voulu donner l'impression qu'ils faisaient la guerre pour les Juifs, de peur notamment des réactions antisémites d'une partie de leur population. En URSS, l'antisémitisme traditionnel et le regain de nationalisme voire de chauvinisme suscité par la lutte contre l'Allemagne ne laissait guère de place à l'évocation spécifique du sort des Juifs. Aux États-Unis, une poussée d'antisémitisme dans l'opinion (certains taxaient le New Deal de Roosevelt de Jew Deal). Mais de manière plus générale, c'est aussi que l'attention des populations, attachés à survivre ou à gagner la guerre, n'était pas disposée à faire une priorité du sort d'une minorité (1 % de la population de France, 10 % de celle de Pologne). « Sauf dans l’esprit d’une poignée de dirigeants nazis, les Juifs n'[ont] pas été l’enjeu de la Seconde Guerre mondiale[122] . »

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Shoah En décembre 1942, la quasi-totalité des gouvernements alliés font une déclaration commune solennelle contre le massacre des Juifs en Europe, et préviennent les responsables qu'ils seront poursuivis. Moins explicitement, le pape Pie XII dénonce dans son message radio de Noël la mort des innocents qui ont été voués à la mort en raison de leur seule race. Mais en 1943-1944, ces déclarations sont beaucoup plus rares ou inexistantes, alors que l'extermination continue à battre son plein. D'abord absorbés par la poursuite d'objectifs militaires, les Alliés semblent avoir pensé que la fin rapide de la guerre était la meilleure manière d'arrêter la persécution, sans saisir que le rythme industriel du massacre risquait de ne laisser que peu de Juifs encore en vie à la victoire. En 1944, au plus fort de la déportation des Juifs de Hongrie, Churchill se montre favorable à un bombardement sur les rails et les chambres à gaz d'Auschwitz, mais veut consulter d'abord les Américains : le projet est facilement bloqué à un niveau gouvernemental inférieur, sans même parvenir à Roosevelt. Que le bombardement d'Auschwitz ait pu ou non changer quoi que ce soit au sort des victimes, le fait est que son enjeu moral intrinsèque n'a guère été perçu, ni le silence des Alliés rompu[126] . Dans l'ensemble, la passivité et l'indifférence ont prévalu, sans conscience de la gravité exceptionnelle du crime en cours. Du 19 au 30 avril 1943, ainsi, la conférence qui se tient aux Bermudes sur l’aide possible aux Juifs d’Europe a lieu loin de tout et de tous, sans qu'aucune organisation juive ne soit représentée, ni les conférenciers aucun pouvoir de décision mais juste de recommandation. Elle s'en tient à des paroles. Le département d'État américain, dirigé par Cordell Hull, se montre d'une passivité particulièrement accablante, alors que les rapports officiels et officieux lui parviennent depuis 1942. Le ministre Henry Morgenthau, lui-même d'origine juive, n'ose pas intervenir longtemps en faveur des Juifs d'Europe, de peur d’être taxé de partialité. Mais c'est son rapport explosif de janvier 1944 contre l'inaction du département d'État qui fait tardivement réagir Roosevelt : le 22 janvier 1944, le président américain fonde le War Refugee Board (Bureau des réfugiés de guerre), dirigé par John Pehle. En 18 mois, le WRB sauvera des dizaines de milliers de personnes. Son envoyé en Roumanie, Ira Hirschmann, réussit à faire libérer les 48000 Juifs survivants de Transnistrie et à les faire partir en Turquie. Iver Olsen depuis la Suède fait sauver de nombreux survivants des pays Baltes et dépêche à Budapest Raoul Wallenberg. Il reste permis de se demander combien d'autres personnes auraient pu être sauvées si la prise de conscience et la volonté d'agir avaient été plus précoce[127] .

Les Églises et le Vatican du pape Pie XII Les chrétiens ont été l'un des plus importants groupes à fournir des Juste parmi les nations. Mais sur le plan institutionnel, l'attitude des Églises d'Europe face à la Shoah a été contrastée en fonction des pays, des hommes et des dignitaires. Des Églises nationales ont fermement protesté en tant que telles contre la persécution des Juifs : ainsi l'Église d'État luthérienne en Norvège, dont les évêques démissionnent collectivement en 1942 par rejet du gouvernement collaborateur de Quisling, ou encore les hiérarchies catholiques et protestantes des Pays-Bas en juillet 1942. Dans la France du régime de Vichy, le loyalisme de l'épiscopat envers le régime réactionnaire du maréchal Pétain a fait taire bien des langues. Seuls cinq évêques sur plus d'une centaine ont publiquement protesté contre les rafles de l'été 1942, dont l'archevêque de Marseille Mgr Delay, le cardinal Gerlier, primat des Gaules, à Lyon, Mgr Moussaron à Albi, Mgr Pierre-Marie Théas à Montauban, et surtout Mgr Jules Saliège à Toulouse. Toutefois, la peur d'un conflit avec l'Église a joué son rôle dans la décision de Pierre Laval de diminuer les déportations à partir de l'automne 1942[128] . Dans le Reich, où le concordat de 1933, le patriotisme en pleine guerre et le respect de l'ordre établi lient les mains à l'épiscopat national, les mêmes personnalités qui avaient condamné en chaire l'extermination des handicapés mentaux, à l'image de Mgr Clement von Galen, n'ont pas eu un mot en public sur le sort des Juifs. Les prêtres, pasteurs ou évêques qui se sont engagés dans le secours aux Juifs voire dans la Résistance l'ont généralement fait de leur seule initiative et sans encouragement aucun de leur hiérarchie.

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Shoah Le pape Pie XII était sans doute le chef d'État le mieux informé sur le génocide, grâce aux informations qui pouvaient remonter à Rome depuis de multiples paroisses et diocèses de toute l'Europe. Son silence officiel lui a toutefois été beaucoup reproché, surtout à partir des années 1960.[réf. souhaitée] Les institutions religieuses de Rome ont abrité de nombreux Juifs, et le Saint-Siège, soutenue par l'épiscopat local, est intervenue par exemple pour obtenir l'arrêt des déportations dans la Slovaquie de Mgr Tiso, ou encore en Hongrie. Mais aucune protestation officielle ni aucune dénonciation publique claire du sort des Juifs n'a eu lieu, en dépit de l'immense prestige moral et diplomatique du Saint-Siège, et même lorsqu'une rafle eut lieu dans l'ancien ghetto de Rome « sous les fenêtres du pape » le 16 octobre 1943. On ne peut pas dire que la papauté ait débordé de sympathie à l'égard des juifs : elle n'avait pas particulièrement bien traité les juifs du Comtat ou des autres Etats pontificaux (cf ). Encore en 1940, des siècles d'antijudaïsme chrétien se faisaient sentir au Vatican. Pie XII n'était sans doute pas radicalement hostile aux juifs mais il donnait clairement la priorité à la défense de ceux d'entre eux qui s'étaient convertis au catholicisme. Les raisons de son silence énigmatique face à la Shoah semblent avoir été complexes, et restent difficile à cerner tant que toutes les archives vaticanes relatives à ce pontificat ne seront pas disponibles. Parmi les raisons les plus fréquemment avancées par les historiens figurent la sous-estimation du sort qui attendait les Juifs et le refus de faire de leur sort une question prioritaire (ce qui fut le cas de tous les dirigeants alliés ou clandestins de la Seconde Guerre mondiale), le choix par tempérament de la diplomatie sur la confrontation et sur la parole de dénonciation, la peur d'attirer des représailles sur une Église allemande qu'il connaissait bien comme ancien nonce à Berlin, la focalisation sur le danger d'expansion du communisme athée (même si le pape refusa toujours de soutenir la « croisade » nazie contre l'URSS, il était beaucoup plus anticommuniste qu'antinazi), l'espérance (finalement illusoire) enfin de servir d'intermédiaire dans de futures négociations de paix entre Alliés et Axe[129] [réf. insuffisante].. À cette heure, la polémique qui entoure le « silence de Pie XII » n'est toujours pas éteinte[130] .

Les pays neutres L'Espagne du dictateur Franco, allié non-belligérant de Hitler, a tantôt accepté tantôt refoulé les réfugiés juifs. En 1926, le dictateur Primo de Rivera avait annulé le décret d'expulsion de 1492 à l'origine de la diaspora séfarade,(Décret d'Alhambra) et restitué la nationalité espagnole aux descendants qui en faisaient la demande, sous condition qu'ils ne reviennent pas vivre dans la péninsule. Cette disposition a permis à certains Sépharades des pays occupés de survivre à la Shoah. Par ailleurs, des diplomates et consuls espagnols ont ponctuellement secouru des descendants de Juifs d'Espagne là où ils étaient en poste, même si aucun ordre ne leur a jamais été donné en ce sens depuis Madrid. De nombreux espagnols ne se rendaient pas compte qu'une grande partie des réfugiés traversant les Pyrénées étaient Juifs. Le nombre de Juifs ayant échappé au génocide en passant par l'Espagne à partir de 1940 est estimé entre 20000 et 35000[131] . Au Portugal, 40000 Juifs étaient réfugiés dès 1940. Seuls 10000 parviendront à partir en Amérique, les États-Unis se refusant à desserrer les quotas. À Bordeaux et Bayonne, pendant l'exode de juin 1940, le consul portugais Aristides de Sousa Mendes désobéit à son gouvernement en délivrant des milliers de visa transit à des réfugiés notamment juifs. Sa carrière fut aussitôt brisée, et le dictateur Salazar devait s'acharner sur lui et sur sa famille bien après la guerre, le contraignant à mourir dans la misère. La Suisse affirmera pendant un demi-siècle avoir accueilli les réfugiés qu'elle pouvait et s'être tenue prête à se battre en cas d'invasion nazie. Mais les Helvètes ont dû faire face dans les années 1990 à la redécouverte d'une réalité historique en demi-teinte.[précision nécessaire] De fait, le pays n’a accueilli en réalité que 30000 Juifs[132] , dont 7000 seulement avant la guerre, et il a refoulé en pleine guerre ceux qui cherchaient secours chez elle, notamment les Juifs non accompagnés de leurs enfants - c'est ainsi que les parents de Saul Friedländer furent refoulés à l'été 1942 : retombés aux mains du gouvernement de Vichy, ils périrent déportés en octobre. Les réfugiés juifs acceptés n'avaient pas le droit de travailler, et devaient vivre sur les taxes spéciales prélevées par la Confédération sur ses riches résidents juifs. Elle en refoula 20000[132] .

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Shoah Par contre, Carl Lutz, un diplomate suisse, délivra 50000 certificats d'immigration permettant de mettre 50000 Juifs sous la protection suisse à Budapest[133] . Les banques du pays ont aussi abrité et recyclé en connaissance de cause l’or pillé aux Juifs déportés, contribuant ainsi substantiellement à financer l’effort de guerre allemand. En revanche, contrairement à une légende, aucun train de déportés n'a transité par la Suisse[134] . La Suède a accueilli des milliers de réfugiés juifs et résistants, dont l'intégralité de la communauté danoise évacuée en septembre 1943, et plusieurs centaines de Juifs norvégiens[135] . Toutefois, son gouvernement social-démocrate a continué jusqu'au bout à fournir le Reich en minerai de fer. La Turquie n'a jamais connu de son histoire de persécution des Juifs en tant que juifs[136] , et elle sera l'un des rares pays musulmans à reconnaître Israël dès sa fondation. Si des milliers de Juifs ont trouvé asile en Turquie avant et pendant la guerre — en particulier des universitaires et des artistes, qui participèrent de façon décisive à la modernisation de la Turquie[137] —, et si des milliers d'autres ont immigré clandestinement en Palestine (les chiffres varient de 12 000 à 100 000[138] ), grâce à une action conjointe des autorités turques et des organisations sionistes, certains épisodes ont donné à des interprétations divergentes et à des polémiques. Ainsi, en février 1942, les 769 passagers roumains du Struma, qui espéraient passer en Palestine, périssent noyés dans la mer Noire lors du torpillage accidentel de leur navire par un sous-marin soviétique ; certains historiens font porter la responsabilité sur les autorités tant britanniques que turques[139] , d'autres, essentiellement sur les autorités britanniques[140] . Le consul de Turquie à Rhodes, Selahattin Ülkümen (1914-2003), a été fait Juste parmi les nations[141] . La Fondation Raoul-Wallenberg travaille depuis 2008 pour que soient reconnus d’autres diplomates turcs, notamment Behiç Erkin, ambassadeur à Paris et Necdet Kent, consul général à Marseille[142] . Le 11 novembre 1942, la Grande Assemblée nationale turque vota la création d’un impôt sur la fortune ; face à l’ampleur de la fraude, les inspecteurs réévaluèrent arbitrairement le montant à percevoir, de façon plus élevée pour les non-musulmans que pour les autres, et utilisèrent la contrainte par corps au cours de l’année 1943. Le 15 mars 1944, cet impôt fut abrogé, les sommes encore dues annulées et les derniers contribuables incarcérés remis en liberté[143] .

Les communautés juives d'Amérique et de Palestine En mars 1943, Stephan Wise, ami personnel du président Roosevelt qu’il tente régulièrement d’alerter sur le sort des Juifs, rassemble 75000 manifestants à Madison Square Garden, à New York, contre le massacre en cours. Mais ce genre de démonstration reste exceptionnel pendant la guerre. Dans l'ensemble, la communauté juive américaine réputée si puissante n'a que peu poussé son gouvernement à agir en faveur des coreligionnaires d'Europe, par peur de favoriser une poussée d’antisémitisme aux États-Unis[144] . Un des derniers messages du ghetto de Varsovie insurgé, en avril 1943, s'adresse aux Juifs d'Amérique pour déplorer le silence et la passivité dont ils ont fait preuve au moment de la mort de leurs frères d'Europe. Dans son ouvrage Le Septième Million, paru en 1993 en Israël, l'historien Tom Seguev a montré que pour les dirigeants du Yichouv (la communauté juive de Palestine) et futurs fondateurs d'Israël, le sort des Juifs d'Europe n'avait constitué pendant la guerre qu'un problème secondaire. Les futurs fondateurs d'Israël, à commencer par David Ben Gourion, étaient plus soucieux de préparer l'après-guerre et la création de l'État juif, et se sentaient au demeurant impuissants à changer la situation en Europe. En 1944, le Congrès juif mondial a appelé à bombarder les chambres à gaz et les rails menant à Auschwitz, mais assez mollement, Chaim Weizmann se montrant favorables à la requête mais sans insister, et Ben Gourion hostile.

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Sauvetages et Justes des nations La tragédie des Juifs a été généralement proportionnelle à leur degré d’isolement dans la société.

Les populations face à la Shoah À l’Est, ils ont d’autant plus presque tous péri qu’ils étaient abandonnés, ignorés ou méprisés par des populations largement antisémites. Par ailleurs, celles-ci étaient soumises elles-mêmes à une terreur de masse permanente qui mettait en danger de mort immédiat tout auteur d’un geste de compassion ainsi que sa propre famille. Des Polonais ou des Ukrainiens furent sauvagement suppliciés en public pour avoir donné un morceau de pain ou un asile à des Juifs, des familles entières pendues, fusillées ou déportées pour leur être venues en aide. Mais malgré le contentieux antisémite et la terreur nazie, la Pologne compte aussi plus de 5000 Justes des nations reconnus à cette heure par Yad Vashem, soit le plus grand nombre en Europe. En Allemagne, les dénégations d'après-guerre (« Nous ne savions pas ») ne recouvrent pas la réalité historique : lettres du front, journaux intimes, rapports de police (sans oublier en 1945 le spectacle des marches de la mort), permettent d'établir qu'entre la moitié et les deux tiers de la population adulte du Reich ont su que les Juifs étaient non seulement déportés mais exterminés, même si les modalités précises de la mise à mort étaient plus rarement connus, et même si beaucoup ont préféré détourner les yeux par indifférence, par peur, par conformisme, par incrédulité ou par intérêt[145] . La résistance allemande au nazisme n'a pas toujours perçu l'antisémitisme comme une question centrale, et certains conjurés du complot du 20 juillet 1944 contre Adolf Hitler restaient convaincus de l'existence d'une « question juive » voire de la nécessité d'une législation restreignant « l'influence juive ». Mais le programme des comploteurs prévoyait explicitement l'arrêt des persécutions et la restitution des biens volés, et l'échec de la tentative pour renverser Hitler a bien empêché l'arrêt immédiat de la Shoah. Dans le Reich, des individualités courageuses ont fait preuve de compassion, comme Mgr Lichtenberg, mort déporté pour avoir prié à Berlin pour les Juifs. En 1943, dans la Rosenstrasse à Berlin, des conjointes de Juifs manifestent avec succès pour obtenir la libération de leurs maris, un épisode resté toutefois exceptionnel. Malgré les risques et la surveillance totalitaire de la Gestapo, quelques rares milliers de Juifs ont réussi à survivre clandestinement dans les villes allemandes jusqu'à la fin (surnommés les U-Boat ou « sous-marins ») grâce à l'aide d'Allemands « aryens » dévoués. Aux Pays-Bas, pays sans tradition antisémite, une grève générale de solidarité paralyse Amsterdam pour plusieurs jours lorsqu’en février 1941, les Allemands déportent 365 Juifs à Mauthausen et Buchenwald[146] . Cette première grève antiraciste de l’Histoire échoue à sauver les victimes, mais manifeste un refus collectif de la persécution peu fréquent dans l’Europe du temps. La Résistance locale et de nombreux individus viendront en aide à des Israélites, sans toutefois empêcher la mort de 80 % de la communauté. Contrairement à une idée reçue, ce bilan d’échec n’est pas dû à l’absence de montagnes et de forêts pour cacher les persécutés hollandais[147] . En effet, des centaines de milliers de résistants, de réfractaires au STO et de Juifs ont réussi à se cacher dans les villes jusqu’en 1945. Le problème a surtout tenu dans la division traditionnelle de la société néerlandaise en communautés politiques et religieuses très cloisonnées (la « pilarisation », c'est-à-dire les piliers[148] ) : sans relations suffisantes en dehors de leur propre communauté, ghettoïsée puis anéantie, les Juifs hollandais ne pouvaient espérer trouver d’aide extérieure salvatrice. En France et en Belgique, la mise en œuvre de la Shoah prend une dimension éminemment xénophobe, car le régime de Vichy apporte l'aide de sa police à la déportation de Juifs étrangers, en croyant à tort que les Allemands épargneront ainsi les Juifs français (alors même qu’ils n’avaient jamais reçu la moindre promesse ne serait-ce que verbale en ce sens). En Belgique, où la très grande majorité des Juifs n'a pas la nationalité belge, les Allemands ont l’habileté d’exempter les Juifs de nationalité belge des premières déportations[149] . De ce fait, l’administration ne protestera pas, et les seules interventions tardives, comme celles de la reine-mère Élisabeth, ne concerneront que les

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Juifs belges. 44 % des Juifs du royaume trouveront la mort. Toutefois, la Belgique compte aussi plus de 1500 Justes. Et dans l’Hexagone, la mobilisation de nombreux inconnus, d’hommes d’Église, de couvents, de filières de résistance ou de réseaux de solidarité (tout comme le relatif désintérêt des Allemands pour la France en tant que pays de déportation) a permis aux trois quarts des Juifs de France de voir la fin de la guerre, une proportion exceptionnelle en Occident.

Les sauvetages collectifs : Bulgarie et Danemark En Bulgarie en mars 1943, un vaste mouvement d'opinion oblige le roi et le Parlement à reculer et à refuser de livrer les Juifs nationaux aux nazis. Malgré la présence de la Wehrmacht sur le sol de son allié, la communauté bulgare survit intégralement à la guerre. En revanche, Sofia accepte d’arrêter et de déporter plus de 13000 Juifs de la Thrace et de la Macédoine occupés par ses troupes. Au Danemark, le roi Christian X menace de porter lui-même l'étoile jaune si les Allemands cherchent à l'imposer. En septembre 1943, lorsqu'une indiscrétion volontaire d'un diplomate allemand fait connaître le projet de déportation des quelques 7000 Juifs, la population se mobilise pour faire passer la communauté en Suède neutre à travers le détroit de Copenhague. En plusieurs nuits, avec la bienveillance de la police et de l'administration, une flottille de petits navires conduit à bon port ceux qu'une chaîne de complicités a permis d'acheminer en cachette jusqu’aux quais.

Des alliés de Hitler entre compromissions et réticences La Finlande, suite au scandale dans l'opinion, n'a finalement livré que 9 des 34 Juifs étrangers prévus, mais un seul de ces neuf survivra. Les Japonais, qui se sont illustrés par d'innombrables crimes de guerre en Asie, ne donnent pas suite pour autant aux demandes de leur allié Hitler de s'en prendre aux 20000 Juifs allemands réfugiés à Shanghai après 1933. L'antisémitisme idéologique des nazis leur reste incompréhensible, et par le plan Fugu, ils tentent au contraire d'utiliser ces réfugiés souvent hautement qualifiés pour mettre en valeur la Mandchourie occupée. D’autres alliés de Hitler se sont arrêtés à mi-chemin dans leur participation active à la Shoah. En Hongrie, bien que soumis à une législation antisémite depuis l'entre-deux-guerres, les Juifs hongrois ne sont pas livrés à la déportation tant que la Wehrmacht n’envahit pas le pays en mars 1944. L’amiral Horthy s’oppose à nouveau aux déportations, qui sont suspendues en juillet, mais elles reprennent à l’automne quand il est évincé par les nazis au profit des collaborationnistes fascistes, les Croix fléchées. La Roumanie, qui a massacré plus de 200000 Juifs hors de ses frontières, a refusé de livrer ses Juifs nationaux, qui ont survécu. État antisémite, la Slovaquie de Mgr Tiso, satellite du Reich, a d'abord livré par dizaines de milliers ses ressortissants Juifs au début de l'année 1942, avant de se raviser, notamment sous la pression du Vatican, et de suspendre les déportations. Après l’écrasement du soulèvement national slovaque d’août 1944, les nazis et les collaborationnistes reprennent les déportations racistes. L'Italie fasciste de Mussolini se voit généralement gratifiée d'avoir protégé les Juifs dans ses zones d'occupation. Ainsi, dans les sept départements français occupés par l'armée italienne entre novembre 1942 et le 8 septembre 1943, l'administration militaire a refusé toute déportation et n'a pas hésité à rappeler à l'ordre les autorités du régime de Vichy quand elles s'en prenaient à des Israélites. De ce fait, de nombreux Juifs de France affluent dans la zone italienne, où les rafles et les déportations commencent en revanche à leur tour dès l’arrivée des Allemands.

Camp d'internement pour Juifs italiens à Fossoli, une des antichambres d'Auschwitz.


Shoah Toutefois, l'historiographie récente a nuancé fortement cette représentation d'un fascisme protecteur des Juifs. Ainsi qu'elle l'a démontré, Mussolini était devenu personnellement raciste et antisémite au moment de la conquête de l'Éthiopie (1935-1936) puis avec la radicalisation de son régime dans un sens totalitaire, à la fin des années 1930. De ce fait, les lois antijuives adoptées en Italie en 1938 ne doivent rien à une volonté d'imiter son allié Hitler, et répondent à une conversion réelle du régime à l'antisémitisme. Plus appliquées que ce que l'on a longtemps cru, elles ont fragilisé les Juifs italiens et préparé en partie le terrain aux Allemands. Elles étaient d’autant plus graves que l’Italie n’avait pas de tradition antisémite et que les Juifs étaient traditionnellement nombreux et bien acceptés dans l’armée, dans l’administration ou dans le mouvement fasciste lui-même. D'autre part, le refus des Italiens de livrer les Juifs doit beaucoup plus à une volonté de se saisir de l'occasion pour montrer aux Allemands qu'ils étaient les maîtres dans leurs zones eux qu'à une quelconque sympathie pour les Juifs, selon les historiens actuels. Aucune instruction de protéger les Juifs ne fut jamais donnée par le gouvernement de Rome, et il arriva même que les troupes italiennes livrent en certains endroits des Juifs aux nazis, ainsi lors de la déportation des Juifs de Tirana en Albanie. Après l'invasion de l'Italie en septembre 1943, les très violentes milices fascistes de la République de Salo collaborent activement à la traque et à l'assassinat des Juifs. Près de 9000 Juifs italiens ont été déportés.

Dévouements individuels et organisés Décerné par Yad Vashem, le titre de « Juste parmi les nations » honore les non-Juifs qui ont sauvé des Juifs de la Shoah pour des motifs désintéressés. Ne sont donc pas abordés ici ceux qui ont vendu des faux papiers aux Juifs parfois à prix d’or, ou qui en ont fait passer en Espagne ou en Suisse contre de l’argent - certains passeurs peu scrupuleux vendaient même leurs clients aux nazis après avoir touché la somme due ; la plupart des passeurs, bénévoles et courageux, ont offert leur aide au risque de leur vie ou de leur liberté. À Marseille, l'Américain Varian Fry parvient en 1940 à faire sortir plus de 2000 intellectuels et artistes d'Europe dont de nombreux Juifs. En 1944 à Budapest, le diplomate suédois Raoul Wallenberg sauve plus de 20000 israélites hongrois, notamment en distribuant des passeports de complaisance. Les institutions religieuses sont sur-représentées dans l’aide aux Juifs, souvent dissimulés dans des couvents ou des pensionnats religieux. Des faux certificats de baptême ont été délivrés par d’innombrables curés et pasteurs. Malgré leurs sympathies pétainistes, un grand nombre d’évêques français ont fait donner asile à des Juifs. À Rome, le silence officiel du pape Pie XII n’empêcha nullement les institutions religieuses liées au Vatican d’abriter et de sauver des milliers de pourchassés. D’autres organisations d’inspiration religieuse étaient plus proches de la Résistance spirituelle. Ainsi de nombreux enfants raflés à Lyon ont-ils été sortis en une nuit du camp de Villeurbanne (28 août 1942) par l’Amitié chrétienne de l’abbé Glasberg et du R.P. Pierre Chaillet, fondateur de Témoignage chrétien.

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40 Des villages entiers sont parfois venus au secours des persécutés, comme les villages protestants de Nieuwlande aux Pays-Bas, de Dieulefit dans la Drôme et du Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire, ce dernier étant collectivement reconnu comme Juste. Minorité jadis persécutée par le pouvoir royal, les protestants français ont été particulièrement nombreux à se dévouer aux nouveaux proscrits.

Des fonctionnaires, des policiers, des soldats, des entreprises ont refusé de participer à la persécution, à la spoliation ou à la déportation. Quelques policiers échappés de la préfecture où ils étaient consignés réussissent à avertir et sauver des Juifs parisiens à la veille de la rafle Une rescapée de la Shoah montre le nom du Juste du Vel’ d’Hiv’. Des responsables de la préfecture, le 18 juillet 1942, ont qui l'a sauvée, Yad Vashem, Jérusalem. sauvé la quasi-totalité des centaines de Juifs visés par la rafle manquée de Nancy. Oskar Schindler, employeur allemand de main-d’œuvre forcée juive à Cracovie, sauve 1200 d’entre eux de la mort lorsqu’il comprend le sort qui leur est réservé. Surtout à l’Ouest, beaucoup d’Européens sont venus en aide aux Juifs comme à une catégorie de parias parmi d’autres, sans avoir conscience eux-mêmes du sort spécifique qui les attendait par rapport aux prisonniers évadés, aux résistants ou aux réfractaires au STO. Même lorsqu’ils sauvaient des gens de l’extermination, peu d’individus et de mouvements ont été à l’époque particulièrement conscients des projets réels de Hitler et de la centralité du racisme et de l’antisémitisme dans l’idéologie nazie.

Bilans Culturel La Shoah est, entre autres, un anéantissement culturel. Le yiddishland d'Europe centrale et orientale a pratiquement disparu, et l'on estime que les trois quarts des locuteurs du yiddish ont disparu pendant la guerre. La France a perdu le quart de sa population juive, même si le monde israélite français en tant que tel continue d'exister (des synagogues et des écoles juives sont même restées ouvertes à Paris toute l'Occupation), en revanche, les communautés juives d'Amsterdam, Berlin, Vienne, Budapest ou Vilnius ont été éradiquées à plus de 80 ou 90 %. À Vilnius, ce sont 32000 Juifs qui sont assassinés lors des pogroms du début du conflit[150] . Les nazis ont aussi cherché à effacer toute trace du passé juif multiséculaire en spoliant leurs victimes de tous leurs biens et œuvres d'art, en détruisant les synagogues, en brûlant des livres de prières, en retournant les cimetières. Ce n'est pas le peuple juif qui a perdu un grand nombre de ses enfants, mais les rares survivants qui ont perdu leur peuple et leur univers, sans Restes du ghetto de Varsovie en 1945. retour possible[151] .[réf. incomplète]. Marek Edelman, un des rares chefs survivants du soulèvement du ghetto de Varsovie, déclarera ainsi devant la destruction de 97 % de la communauté polonaise : « Dans le monde, il n'y a plus de Juifs. Ce peuple n'existe pas. Et il n'y en aura pas[152] . »


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Bilans chiffrés des victimes Les estimations du nombre de Juifs tués lors de l'Holocauste varient pour les spécialistes entre 5.1 millions (l'historien Raul Hilberg) et 6 millions (l'économiste et statisticien Jacob Lestchinsky). On parle de 6 millions de victimes en référence au chiffre cité dès le procès de Nuremberg, justifié dans Le Bréviaire de la Haine de Léon Poliakov[153] et repris au procès d'Adolf Eichmann. Le Yad Vashem a pu retrouver le nom d'un peu plus de 4 millions d'entre elles[154] , selon ses propres estimations.

L'Europe du génocide.

À la fin de son ouvrage La Destruction des Juifs d'Europe, Raul Hilberg tente de chiffrer globalement les victimes. Il répartit les chiffres en trois catégories[155] : 1. Morts consécutives aux privations, en particulier, la faim et la maladie dans les ghettos. 2. Morts par fusillades. 3. Morts consécutives aux déportations vers les camps d'extermination. Les estimations proviennent de rapports émanant notamment des services allemands, des autorités satellites et des conseils juifs. Ils ont ensuite été affinés grâce aux comparaisons entre les statistiques d'avant-guerre et celles d'après-guerre. Hilberg s'efforce de faire des corrections pour ne prendre en compte que les Juifs victimes de la Shoah et écarter ceux dont la mort peut être imputée à la guerre. Cette dissociation est souvent délicate. Ainsi, lorsque l'Allemagne envahit l'URSS, un million et demi de Juifs quittent leur domicile, au même titre qu'un nombre plus important de non-juifs parmi lesquels la mortalité est supérieure à la normale. Un autre problème dans l'estimation du nombre de victimes tient au fait que 70 % des victimes proviennent de la Pologne et de l'URSS et que les frontières de ces deux pays ne cessent d'évoluer tout au long de la guerre si bien que les statistiques de la bureaucratie nazie se réfèrent souvent à des territoires dont les frontières sont mouvantes[156] . En résumé, l'ampleur du génocide lui-même, les circonstances de la persécution et de la guerre, l'ambiguïté même de la qualité de Juif rendent impossible de chiffrer précisément le nombre de victimes, encore moins de les catégoriser : Hilberg donne finalement l'estimation de 5.1 millions de victimes juives.


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Les victimes par pays Les chiffres du tableau de Lucy Dawidowicz montre le nombre de victimes comparée à la population d'avant guerre de chaque pays, et le pourcentage de tués par pays:[157]

La proportion des morts de l'Holocauste sur l'ensemble des crimes nazis.

Pays

Population Juive estimée avant guerre

Population Juive exterminée

Pourcentage de tués

Pologne

3,300,000

3,000,000

90

Pays Baltes

253,000

228,000

90

Allemagne et Autriche

240,000

210,000

90

Bohême & Moravie

90,000

80,000

89

Slovaquie

90,000

75,000

83

Grèce

70,000

54,000

77

Pays-Bas

140,000

105,000

75

Hongrie

650,000

450,000

70

RSS de Biélorussie

375,000

245,000

65

RSS d'Ukraine

1,500,000

900,000

60

Belgique

65,000

40,000

60

Yougoslavie

43,000

26,000

60

Roumanie

600,000

300,000

50

Norvège

2,173

890

41

France

350,000

90,000

26

Bulgarie

64,000

14,000

22

Italie

40,000

8,000

20

Luxembourg

5,000

1,000

20

RSFS de Russie

975,000

107,000

11

Finlande

2,000

22

1

Danemark

8,000

52

<1

Total

8,861,800

5,933,900

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D’après Raul Hilberg dans Selon les frontières d’avant guerre[158] . Les quelques pourcentages indiqués sont tirés du site du CCLJ[159] : • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Pologne : plus de 3000000 (8 % de survivants) URSS : plus de 700000 Roumanie : 270000 Tchécoslovaquie : 260000 Hongrie : plus de 180000 Lituanie : jusqu'à 130000 Allemagne : 130000 Pays-Bas : plus de 100000 (25 % de survivants) France : 75000 Lettonie : 70000 Yougoslavie : 60000 Grèce : 60000 Autriche : plus de 50000 Belgique : 24000 Italie (Rhodes comprise) : 9000 Estonie : 1000 Norvège : moins de 1000 Luxembourg : moins de 1000 Ville libre de Dantzig : moins de 1000

Total : Environ 5122000 Le tableau se réfère aux frontières de 1937. Les Juifs convertis au christianisme sont compris dans ces chiffres et les réfugiés sont comptés dans les pays à partir desquels ils ont été déportés. Selon Jacob Robinson[160] : • Pologne et URSS : 4565000 • Allemagne : 125000 • Autriche : 65000 • Tchécoslovaquie (dans les frontières de 1937) : 277000 • Hongrie (dans les frontières de 1942) : 402000 • France : 83000 • Belgique : 24000 • Luxembourg : 700 • Italie : 7500 • Pays-Bas : 106000 • Norvège : 760 • Roumanie : 40000 • Yougoslavie : 60000 Les noms des victimes sur les murs de la synagogue Pinkasova à Prague.

• Grèce : 65000 Total : 5820960


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Les victimes par année D'après Hilberg[158] • • • • • •

1933-1940 : < 100000 1941 : 1100000 1942 : 2600000 1943 : 600000 1944 : 600000 1945 : > 100000

Total : 5100000

Nombre de victimes selon la cause du décès D'après Hilberg[161] . • Constitution de ghettos et privations : plus de 800000 • Ghettos de l'Europe de l’Est sous occupation allemande : plus de 600000 • Theresienstadt et privations à l'extérieur des Ghettos : 100000 • Colonies de Transnistrie (Juifs roumains et soviétiques) : 100000 • Fusillades à ciel ouvert : 1300000 • Camps : 3000000 • Camps d'extermination créés par l'Allemagne • Auschwitz : jusqu'à 1000000 • Treblinka : jusqu'à 750000 • Belzec : 550000

Charnier de Bergen-Belsen, avril 1945.

• Sobibor : plus de 200000 • Chełmno (Kulmhof) : 150000 • Majdanek (Lublin) : 50000 • Camps responsables de quelques dizaines de milliers de victimes ou moins : 150000 • Camps créés par la Roumanie : 100000 • Camps créés par la Croatie et autres : moins de 50000 Total : 5100000, dont 2700000 dans les chambres à gaz.

Les victimes en France Selon des chiffres établis par l'association des Fils et filles de déportés juifs de France présidée par Serge Klarsfeld et publiés en 1985 • 75721 Juifs, dont près de 11000 enfants, ont été déportés de France de mars 1942 à août 1944, la plupart vers le camp d'Auschwitz. • 74 convois au total sont partis en direction des camps de concentration ou d'extermination, le premier de Compiègne le 27 mars 1942 et le dernier de Clermont-Ferrand le 18 août 1944. • Près de 90 % de ces 76000 Juifs ont été déportés de France vers Auschwitz. Les 43 convois déportés en 1942, l'ont été en direction d'Auschwitz-Birkenau. En 1943, sur 17 convois de déportés, 13 étaient à destination d'Auschwitz et 4 de Sobibor. En 1944, les 14 convois étaient aussi à destination d'Auschwitz, sauf un parti pour Kaunas et Reval (voir convoi 73). • 2566 survivants étaient comptabilisés à la Libération en 1945, soit environ 3 % des déportés.


Shoah • Avec les 3000 morts dans les camps d'internement avant la déportation et le millier d'exécutions de Juifs, le bilan de la « solution finale » en France a atteint 80000 victimes. • Les nationalités les plus touchées parmi les Juifs déportés de France ont été les Polonais (environ 26000), les Français (24000 dont plus de 7000 sont des enfants nés en France de parents étrangers), les Allemands (7000), les Russes (4500), les Roumains (3300), les Autrichiens (2500), les Grecs (1500), les Turcs (1300), les Hongrois (1200). • Au moins 85 % des Juifs déportés de France ont été arrêtés par les forces de police françaises.

Conséquences et mémoire de la Shoah L’importance centrale de la Shoah dans la mémoire occidentale ne fut acquise qu’à partir de sa redécouverte dans les années 1970, et d’une meilleure compréhension de sa spécificité[162] . À l’heure actuelle, comme le note l’historien Tony Judt, la Shoah est devenue une pierre angulaire de l’identité européenne : « nier ou rabaisser la Shoah, c’est s’exclure soi-même du champ du discours public civilisé. (…) Sa mémoire est devenue la définition et la garantie même de l’humanité restaurée du continent[163] . »

Impact sur le droit international La Shoah marque un tournant historique car elle est l'occasion d'une prise de conscience internationale amenant plusieurs faits majeurs : • la création d'un tribunal international pour juger les crimes nazis, qui a servi de modèle au Tribunal de Tokyo, et à la cour pénale internationale de La Haye ; • la création de la notion juridique de crime contre l'humanité, imprescriptible ; • un mouvement de sympathie pour la création d'un État juif, Israël, au Proche-Orient ; • la proscription de l'antisémitisme en Occident : très répandu et considéré comme une opinion parmi d'autres avant la Shoah, il est désormais un tabou dans la sphère publique et un délit passible des lois, de même que dans certains pays la négation du judéocide ; • la création du concept de génocide, appliqué a posteriori à des phénomènes antérieurs (génocide arménien, génocide des Hereros), puis postérieurs (génocide au Rwanda, massacre de Srebrenica, etc.). Ce concept ne figure pas dans l'acte final du procès de Nuremberg, afin d'éviter des critiques juridiques sur la non-rétroactivité des lois pénales.

Réparations morales et reconnaissance du passé Les pays communistes refusèrent longtemps toute indemnisation des victimes juives, gommèrent l’identité juive des victimes du nazisme et n’admirent aucunement la responsabilité de leurs États dans les crimes passés. La RDA rejeta ainsi la responsabilité du crime sur les capitalistes ouest-allemands, et ne reconnut la responsabilité du peuple allemand dans la Shoah qu’après les premières élections libres de 1990, à la veille de disparaître. Après-guerre, le procureur de Hesse Fritz Bauer ne fut pas avare de ses efforts afin d'obtenir justice et compensations aux victimes du régime nazi. En 1958, il réussit à obtenir qu'un procès en action collective certifié ait lieu; le recueil des nombreuses réclamations individuelles de victimes aboutira aux procès dits “d'Auschwitz” de Francfort, dont la procédure débuta en 1963. Bauer fonda également, avec Gerhard Szczesny, le Syndicat Humaniste, une organisation des droits de l'Homme, en 1961. Après la mort de Bauer, l'Union fit un don pour financer le Prix Fritz Bauer. De plus, l'Institut Fritz Bauer, fut fondé en 1995, une organisation à but non lucratif consacrée aux droits civils, qui se concentre sur l'histoire et les conséquences de l'Holocauste. En 1970, le chancelier ouest-allemand Willy Brandt s’agenouilla spectaculairement devant le monument à la mémoire du ghetto de Varsovie.

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En 1995, lors d'un voyage en Israël, la reine Beatrix des Pays-Bas évoqua publiquement le sort des Juifs du pays, exterminés à 80 %. L'État avait attendu 1972 pour accepter de verser une indemnité aux rescapés[164] . En juillet 1995, le président Jacques Chirac reconnut la responsabilité de l’État français dans la rafle du Vel’ d’Hiv’ et la déportation des Juifs, évoquant la « dette imprescriptible » à leur égard. Dès sa première élection en 1990, le président polonais Lech Wałęsa s'est rendu en Israël pour dénoncer devant la Knesset l'antisémitisme passé et présent en Pologne, message confirmé en juillet 1991 pour l'anniversaire du pogrome de Kielce (juillet 1946). Néanmoins, il ne prononce pas une seule fois le mot « juif » lors de son discours au 50e anniversaire de la libération d’Auschwitz en 1995. Son successeur Aleksander Kwaśniewski a prononcé en juillet 2001 un discours solennel à l'occasion de l'anniversaire du massacre, à Jedwabne en 1941, d'un millier de Juifs par leurs voisins polonais, et a reconnu la responsabilité des Polonais dans ce crime et fait acte de repentance. Ces prises de position font suite à d'intenses débats publics dans le pays, notamment à propos du pogrome de Jedwabne[165] , au développement de la recherche historique et des actions associatives et éducatives depuis l'avènement de la démocratie[166] . En 2005, à la veille de l’entrée de son pays dans l’union européenne, le président Ion Iliescu reconnaît que la Roumanie a participé à la Shoah[167] . Le rapprochement judéo-chrétien conduit depuis l'entre-deux-guerres et relancé par le concile de Vatican II (1962-1965) (où la Shoah, encore peu redécouverte en Europe, n'a pas été évoquée) a parfois butté sur la question de l'attitude de la Papauté et d'une partie du clergé et des fidèles pendant le génocide. L'installation du carmel d'Auschwitz dans l'enceinte du camp, dans les années 1980, a provoqué une controverse longue de dix ans, les organisations juives dénonçant une tentative de gommer la spécificité juive du lieu au profit d'une « christianisation » et d'une récupération de la Shoah. Jean-Paul II, ancien archevêque de Cracovie et qui s'est rendu plusieurs fois à Auschwitz, mit fin à la polémique en 1993 en ordonnant le départ des carmélites. En septembre 1997, l'épiscopat français publiait à Drancy une déclaration de repentance pour les réactions insuffisantes de l'Église de France pendant la persécution raciale. En 1998, après plus de dix ans de travaux d'une commission d'historiens et d'hommes d'Église, la publication par le Vatican du document Souvenons-nous : une réflexion sur la Shoah n'apporta pas pleine satisfaction aux représentants juifs. Toutefois, la condamnation répétée de l'antisémitisme par Rome et par les Églises nationales (y compris polonaise), les demandes de pardon pour le long antijudaïsme du passé et les voyages de Jean-Paul II et Benoït XVI à Auschwitz ont démontré la rupture officielle de l'Église avec toute tentation antisémite. En mars 2008, la chancelière allemande Angela Merkel a évoqué la Shoah dans un discours devant la Knesset. « Nous autres, Allemands, la Shoah nous emplit de honte. Je m’incline devant ses victimes, ses survivants et ceux qui les ont aidés à survivre[168] ».

Réparations financières et restitutions des biens volés Dès l'après-guerre, une partie des biens volés aux Juifs ont pu être restitués. Mais c'est dans les années 1990 que l'aryanisation a commencé à faire l'objet d'études historiques spécifiques et d'enquêtes publiques approfondies, ainsi avec la mission Mattéoli mise en place en 1997 par le gouvernement français. En 1953, un traité signé entre la RFA et Israël prévoie le versement par Bonn d'une importante indemnité. Il est ratifié malgré l'opposition d'une partie de la classe politique allemande et de certains Israéliens choqués que Ben Gourion ait négocié directement avec les Allemands

Chaussures récupérées par les nazis sur les déportés gazés, Maidanek.


Shoah et Adenauer. Le traité sera scrupuleusement appliqué, avec 845 millions de dollars versés en 1965, 5000 employés fédéraux occupés à traiter 4276000 demandes. En 1973, le travail est considéré comme achevé à 95 %. Les réparations ont occupé jusqu'à 5 % du budget fédéral de l'Allemagne de l'Ouest[169] . À la fin des années 1980, près de 30 milliards de dollars d'indemnisations ont été versés, ce qui était conforme et même supérieur aux attentes des signataires du texte de 1953[170] . Les industries qui avaient exploité la main-d'œuvre concentrationnaire juive ont refusé après-guerre de reconnaître la moindre responsabilité morale et de verser la moindre indemnité. Selon Paul Johston, les grandes entreprises allemandes « ont résisté pied à pied à toute demande d’indemnisation dans un étonnant mélange de mesquinerie et d’arrogance ». 13 millions de dollars avaient été versés au milieu des années 1980 à moins de 15000 Juifs rescapés (les anciens esclaves d'IG Farben touchant 1700 $ chacun, ceux d'AEG Telefunken 500 $, d'autres encore moins) et rien n'avait été versé aux familles de ceux morts d’épuisement. Ce n'est qu'en 1999 qu'un fonds de compensation sera mis en place en Allemagne et en Autriche pour les anciens travailleurs forcés juifs des camps de la mort et des camps de travail, voire pour une partie des travailleurs civils amenés de force en Allemagne. Les États communistes refuseront de reconnaître la moindre responsabilité dans un crime attribué au capitalisme occidental, et a fortiori de verser la moindre indemnité jusqu'à leur disparition. L'Autriche, dont les foules avaient réservé un accueil triomphal à Hitler en 1938 et qui a fourni de loin la plus forte proportion de militants du NSDAP et de tueurs de la Shoah, se présentera comme « première victime du nazisme » et refusera durablement toute reconnaissance morale et financière.

Mémoire de la Shoah De l'occultation... Dans les premières années de l'après-guerre, la notion récente de génocide est loin d'être comprise par tout le monde, et beaucoup de contemporains n'ont pas conscience de la spécificité du sort qui a frappé le peuple juif, quand ils ne refusent pas de croire ou d'écouter les survivants, ou quand ils ne soupçonnent pas ceux-ci d'exagérer ou d'avoir collaboré pour survivre. Bien des rescapés, déjà fort peu nombreux, n'ont aucune envie d'insister eux-mêmes sur leur particularité, et préfèrent afficher leur appartenance retrouvée à la communauté nationale. C'est ainsi qu'en France, les victimes des déportations sont souvent absurdement déclarées « mortes pour la France », comme si enfants, vieillards et femmes étaient morts au champ d’honneur[171] . Le camp paradigmatique de l'enfer nazi n'est pas alors Auschwitz, lointain et maintenant inaccessible derrière le rideau de fer, mais Buchenwald, haut-lieu du martyre de la Résistance européenne. Antisémitisme officiel à l'Est oblige, rien sur le monument de Babi Yar en URSS ou de Birkenau en Pologne n'indique le caractère juif des victimes, et le musée national d'Auschwitz présente le camp comme le lieu de martyre des résistants de Pologne et d'Europe. Birkenau, où se trouvaient les chambres à gaz, est délaissé par les guides et les visiteurs jusqu'aux années 1990, et livré aux mauvaises herbes et à l'abandon relatif, après avoir été déjà saccagé en partie à la libération par des civils polonais à la recherche de « l'or juif » et de matériaux à récupérer. L'occultation se retrouve aussi de l'autre côté de l'Europe. C'est l'époque où Nuit et brouillard d'Alain Resnais (1955) peut montrer les chambres à gaz sans parler des Juifs. À la fin des années 1970, lors de l'élaboration du pavillon français à Auschwitz, un fonctionnaire obtient encore qu'il ne soit pas fait plus mention des Juifs que d'autres catégories, et que la collaboration et les divisions civiles françaises soient escamotées[172] . Le chef-d'œuvre de Primo Levi, Si c'est un homme (1945), a eu le plus grand mal à trouver un éditeur puis un public jusqu'aux années 1970. Le succès mondial dès les années 1950 du Journal d'Anne Frank et de ses adaptations théâtrale et filmique fait exception, en partie parce qu'il s'arrête à l'arrestation de la jeune fille et ne décrit ni la déportation ni l'extermination. En France, dès 1951, Léon Poliakov publie la première grande étude de la politique d'extermination des Juifs menée par les nazis dans son ouvrage Le Bréviaire de la Haine, préfacé par François Mauriac.

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Globalement, les États et les peuples préfèrent après-guerre mettre l'accent sur l'héroïsme des résistants et des combattants, plutôt que sur la souffrance et les victimes. Implicitement, ceux qui ont enduré la déportation sans avoir rien fait sinon naître juifs sont perçus comme forcément moins méritants que les résistants qui savent pourquoi ils ont été déportés[171] . Même Israël ne se référa pas à sa naissance à la Shoah, et préféra insister sur les quelques héros qui ont combattu les nazis les armes à la main plutôt que sur la masse de ceux tués sans pouvoir se défendre. Significativement, le génocide est commémoré le 19 avril, anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie, et sous le nom de « Jour des Héros ». ...à la centralité La perspective ne se renverse qu'à partir du procès d'Adolf Eichmann en 1961, de la guerre des Six Jours (1967) avant laquelle l'opinion mondiale a sincèrement craint un « nouvel Auschwitz » en cas de victoire arabe, du réveil de la mémoire juive avec le changement de génération, et surtout des années 1970, où la spécificité de l'Holocauste et sa centralité sont désormais mieux établis par les historiens et mieux portés à connaissance d'un large public. La diffusion de la série télévisée Holocauste (1979) eut ainsi un énorme impact sur le public notamment américain ou allemand, comme ultérieurement les succès de La Liste de Schindler de Steven Spielberg ou de La Vie est belle de Roberto Benigni. En 1985, le documentaire Shoah de Claude Lanzmann eut un impact tel que le mot servit désormais à désigner le judéocide dans la plupart des langues, sauf les pays-anglo-saxons restés fidèles au terme d'Holocauste (cf. infra pour précisions). La nécessité de lutter contre les faussaires négationnistes à partir des années 1970 a également stimulé les travaux historiques et poussé de nombreux témoins à sortir de leur silence. Aucun nazi n'a jamais nié le crime lors de son procès, confirmé par les témoignages des victimes et de maints bourreaux, et les preuves matérielles et documentaires surabondaient, y compris de la main même des plus hauts responsables (journal de Goebbels, rapports et discours secrets de Himmler, testament de Hitler). Mais à partir des années 1970, dans le sillage de pionniers tels que les écrivains Maurice Bardèche (fasciste revendiqué) ou Paul Rassinier (ancien élu SFIO ensuite passé à l'extrême droite), de pseudo-historiens dont l'un des chefs de file est Robert Faurisson ont entrepris, notamment en France, de nier la réalité du génocide des Juifs. Leurs attaques se sont portées notamment sur l'existence des chambres à gaz (bien qu'au demeurant, celles-ci n'aient tué qu'un peu moins de la moitié des victimes, les autres ayant été affamées ou fusillées).

L'une des chambres à gaz d'origine, intacte, à Maidanek.

Selon les hommes et les groupes, leurs motivations premières ont pu être l'antisémitisme, la réhabilitation du nazisme, l'antisionisme radical (la Shoah présentée comme mensonge pour légitimer l'État d'Israël), ou un anticommunisme fanatique désireux en niant les crimes nazis et en gommant la spécificité de la Shoah de prouver que rien n'avait été pire que le communisme[173] . La contre-attaque menée par les historiens, les témoins et les pouvoirs publics a définitivement fait litière de leurs thèses. Elles continuent toutefois à trouver une audience favorable dans certains mouvements de l'extrême-droite européenne (plusieurs cadres du Front national, dont Jean-Marie Le Pen, ont régulièrement défrayé la chronique et été condamnés en justice pour des propos pour le moins ambigus sur la Shoah[174] ). À la faveur du conflit israélo-palestinien, elles sont très répandues dans le monde arabe et musulman. Élu en 2005, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a particulièrement multiplié les provocations sur la Shoah, qu'il a qualifié plusieurs fois de mythe, lançant un concours de caricatures sur l'Holocauste ou convoquant en 2007 une conférence négationniste à Téhéran. Malgré l'opposition d'une partie des historiens de la Shoah, certains États occidentaux ont adopté des lois


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contre la négation des crimes contre l'humanité nazis, ainsi Israël, l'Allemagne, l'Autriche ou encore la France avec la loi Gayssot de 1990. En réaction aux négationnistes, le président américain Jimmy Carter lance à Washington, en 1979, la construction de l'United States Holocaust Memorial Museum, le plus grand musée de l'Holocauste du monde. Inauguré en 1993, il avait été précédé en 1951 par le mémorial du martyr juif inconnu à Paris, ancêtre du mémorial de la Shoah ouvert en 2005, ou encore en 1953 par Yad Vashem à Jérusalem. Le phénomène récent de l'« américanisation de la Shoah » a été noté par les historiens de la mémoire telle Annette Wieviorka. Le terme désigne la place considérable prise par l'Holocauste dans la vie Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe, ouvert publique américaine, l'importance du cinéma hollywoodien dans la au cœur de Berlin en 2005. mise à portée du génocide à un vaste public, le rôle de plus en plus grand de l'historiographie américaine, soutenue par les abondants moyens difficilement égalables des universités locales (les États-Unis sont un des rares pays où existent des chaires d'histoire de la Shoah)[175] . Controverses contemporaines et avenir d'une mémoire Largement reconnue comme le principal crime des nazis et, au-delà, comme l'un des plus grands crimes de l'Histoire, la Shoah, par son exceptionnalité même, a parfois aussi à son tour occulté ou renvoyé au second plan d'autres crimes des hitlériens[176] . La « querelle des historiens » (Historikerstreit), dans la RFA des années 1980, a tourné autour des propos controversés de quelques historiens conservateurs et nationalistes tels Ernst Nolte, accusés par d'autres tels Jürgen Habermas de vouloir « banaliser » la Shoah et « normaliser » le passé nazi, en gommant la spécificité génocidaire du judéocide, afin de mieux mettre en équivalent les crimes nazis et ceux du communisme et dédouaner à terme l'Allemagne des premiers au profit d'une dénonciation des seconds. Dans les pays de l'Est ex-communistes, la fin du système ancien s'est souvent accompagnée de résurgences publiques d'antisémitisme et de tentatives ouvertes de réhabilitation des anciens collaborateurs de Hitler. De surcroît, l'autovictimisation et la dénonciation virulente des décennies passées sous le communisme risque de laisser peu de place à la mémoire de la Shoah ni des compromissions de chaque pays dans la persécution[177] . La culpabilité liée à la Shoah en Allemagne a aussi pu être ressentie comme une impossibilité à parler des souffrances endurées par la population civile. Il est significatif que ce soit un historien de la Shoah, Jörg Friedrich, qui se soit senti autorisé à publier aussi la première somme sur les bombardements alliés sur le Reich[178] , ou un écrivain peu suspect de complaisance pour le nazisme, Günter Grass, qui ait pu évoquer dans un roman le torpillage du Wilhelm Gustloff et de ses milliers de réfugiés. La centralité prise par la question du génocide se reflète aussi par la multiplication des polémiques autour d'hommes et d'institutions accusés de complicité. Parmi les cas célèbres, le président autrichien et ancien secrétaire général de l'ONU Kurt Waldheim, les procès intentés par certains anciens déportés à des compagnies nationales de chemins de fer dont la SNCF, l'ouvrage retentissant démontrant qu'IBM a vendu aux nazis un système très perfectionné de fichage[179] , etc. D'autres controverses ont entouré les silences et les passivités d'acteurs accusés d'avoir négligé le sort des Juifs. On ne compte plus aujourd'hui les ouvrages et les discussions autour du silence du pape Pie XII, de celui du Comité international de la Croix-Rouge, de l'enlèvement de Raoul Wallenberg par les Soviétiques (sans grande réaction de sa Suède natale), du refus des Anglo-Saxons de bombarder Auschwitz, de la lenteur des États-Unis ou des responsables sionistes de Palestine à se préoccuper des déportations en Europe, de l'absence de toute action de la Résistance française pour arrêter les trains de déportation…


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Après l'Allemagne, chaque pays a eu aussi à redécouvrir son propre passé et ses propres compromissions dans le génocide, ou tout simplement ses passivités. La Suisse a ainsi redécouvert dans les années 1990 l'époque où elle refoulait les réfugiés juifs et acceptait d'abriter l'or volé dans les camps. La Belgique a redécouvert la compromission des autorités communales d'Anvers, là où celles de Bruxelles s'étaient refusé à coopérer. La France a redécouvert l'ampleur des compromissions du régime de Vichy dans la Solution Finale depuis les travaux de Robert Paxton (La France de Vichy, 1973) et d'une nouvelle génération d'historiens, qui ont démontré que les lois antisémites avaient été adoptées sans pression des Allemands, que les pouvoirs publics français étaient allés souvent spontanément au-devant de leurs exigences, que la police française a participé seule à la rafle du Vel’ d’Hiv’ ou que Pierre Laval a insisté pour que les Allemands emmènent les Juifs de moins de 16 ans dont ils ne voulaient pas au départ. Toutefois, ont été aussi redécouvert les efforts de nombreux inconnus pour sauver les Juifs : en témoigne l'inauguration au Panthéon, en janvier 2007, d'une inscription à la gloire des Justes de France. À l'heure de la disparition des derniers témoins de la Shoah, la question de la transmission de la mémoire aux futures générations est posée. En France, après une proposition controversée[180] du président Nicolas Sarkozy[181] , le 13 février 2008, de confier la mémoire d'un enfant juif déporté à chaque enfant élève de CM2, qui n'a pas été mise en application, le ministère de l'Éducation nationale a ouvert le 5 décembre 2008 un site web dédié à l'enseignement de la Shoah[182] . Il comprend une brochure et plusieurs documents pédagogiques et fait suite aux propositions d'un rapport[183] .

Condamnation de la négation de la Shoah par l'ONU Le 23 janvier 2007, l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies a adopté la résolution 61/L.53 condamnant la négation de l'Holocauste en ces termes : L’Assemblée générale, […] Notant que le 27 janvier a été désigné par l’Organisation des Nations unies Journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l’Holocauste, 1. Condamne sans réserve tout déni de l’Holocauste ; 2. Engage vivement tous les États membres à rejeter sans réserve tout déni de l’Holocauste en tant qu’événement historique, que ce déni soit total ou partiel, ou toute activité menée en ce sens[184] .

Évocation de la Shoah dans les arts L'ampleur de l'atrocité révélée au monde à la libération des camps et au cours du procès de Nuremberg marque profondément les esprits. Ce sentiment d'horreur ou de désolation s'exprime dans la production artistique de le seconde moitié du XXe siècle, d'abord par la publication de témoignages de victimes puis par la représentation explicite ou métaphorique de la Shoah.

Musique • A Survivor from Warsaw, oratorio d'Arnold Schönberg (1947) • Different Trains, pièce pour quatuor à cordes et bande de Steve Reich (1988)


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Historiographie du génocide Tendances générales Les ouvrages pionniers entre tous furent le Bréviaire de la Haine de Léon Poliakov, publié pour la première fois en 1951, et La Destruction des Juifs d'Europe publié dès 1955 par l'historien américain Raul Hilberg ; ces deux ouvrages ont connu plusieurs rééditions à chaque fois enrichies par leur auteur. À partir du réveil des années 1970, la Shoah est devenue de loin l'un des événements les plus étudiés de l'Histoire contemporaine, sinon de l'Histoire universelle. Traditionnellement, deux historiographies parallèles étaient consacrées l'une à l'étude des bourreaux, l'autre à celle des victimes. Au premier courant peuvent se rapporter les travaux de Omer Bartov, Philippe Burrin, Christopher Browning, Daniel Goldhagen, Jean-Claude Pressac, Ian Kershaw, Christian Gerlach, ou encore Léon Poliakov. Au second se rattacheraient plutôt les ouvrages, pour la France, de Anne Grynberg, Serge Klarsfeld, Michael Marrus, ou Renée Poznanski. La somme de Saul Friedländer, L'Allemagne nazie et les Juifs (1997-2007), dresse la première synthèse des deux courants, en intégrant et en articulant à la fois de très nombreux témoignages personnels de victimes, des aperçus généraux et les points de vue des décideurs et des exécutants. Ces dernières années, les travaux historiques les plus neufs ont porté sur la mémoire de la Shoah (Annette Wieviorka notamment), sur l'aryanisation (Philippe Verheyde, Jean-Marc Dreyfus, Florent Le Bot, etc.), sur la redécouverte des crimes de guerre de la Wehrmacht (une exposition itinérante allemande démontrant la compromission des officiers et des soldats allemands dans les massacres de Juifs et autres atrocités à l'Est a considérablement contribué à détruire, à partir de 1997, le mythe d'après-guerre d'une « Wehrmacht aux mains propres » qui aurait mené une guerre honorable au contraire des SS). Une autre tendance importante est le regain d'intérêt pour la « Shoah par balles », mise en lumière auprès du grand public par les efforts du père Patrick Desbois et de son équipe, dans les années 2000, pour retrouver et ouvrir en ex-URSS les fosses communes des Juifs fusillés par les Einsatzgruppen, et pour mettre à profit les paroles des derniers témoins, ainsi que les archives soviétiques désormais accessibles plus facilement aux chercheurs occidentaux. Il faut cependant remarquer que cette « Shoah par balles » était déjà connue et étudiée par les historiens[185] .

Le débat sur la genèse de la Shoah Dans les années 1980 surtout, la discussion sur la genèse précise du génocide a opposé intentionnalistes et fonctionnalistes. Pour les premiers, l'intention d'exterminer les Juifs d'Europe a précédé la déclaration de guerre. C'est le cas, notamment, de Léon Poliakov, de Saul Friedländer, d'Eberhard Jäckel, de Lucy S. Dawidowicz, ou de Daniel Jonah Goldhagen. Ils s'appuient sur plusieurs textes de Hitler, notamment des lettres de 1919 et 1920[186] . Dans un premier texte antisémite de 1919, Hitler développe un « antisémitisme rationnel ». Dès cette époque, il explique qu'on « doit faire des Juifs des étrangers par la loi » et que le but ultime est « l'expulsion des Juifs » du corps social[187] . Le schéma des persécutions des Juifs du IIIe Reich est déjà tracé. S'appuyant sur les thèses racialistes l'antisémitisme rationnel s'oppose aux pogroms. À la violence populaire fondée sur le rejet et l'exécration, il choisit la légitimité objective et rationalisée de la loi dans le but de marginaliser puis de criminaliser les Juifs et donc de justifier et légaliser leur persécution, ce qui sera appliqué à partir de son arrivée au pouvoir[188] . Les historiens s'appuient aussi sur des passages de Mein Kampf[189] , ou le discours du 30 janvier 1939, selon lequel une nouvelle guerre mondiale conduirait à « l'anéantissement de la race juive en Europe »[190] . En opposition à cette thèse, plusieurs historiens, en particulier Martin Broszat, Arno Mayer et Philippe Burrin, pensent que les nazis n'avaient pas choisi la Solution finale avant 1941. L'antisémitisme extrême des nazis est, d'après cette thèse, la condition nécessaire de la Shoah plutôt que sa cause directe. Les nazis auraient décidé d'exterminer seulement après que l'invasion de la Pologne et de l'URSS a placé des masses considérables de Juifs sous leur autorité, et après une

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Shoah émulation au sein de la « polycratie nazie » (Martin Broszat). Après le début de la guerre, Himmler écrit dans son journal, à la suite d'une rencontre avec Hitler le 18 décembre 1939 : « Question juive ! À exterminer comme des partisans. » Il s'agit de ce qui se rapproche le plus, en langue codée, d'un ordre du Führer pour éliminer tous les Juifs d'Europe[191] . Dans les années 1990 et 2000, d'autres historiens, tels Ian Kershaw, ont tenté de dépasser ce débat[192] . Selon Kershaw, le Führer, doté de son « pouvoir charismatique » d'un genre inédit, est l’homme qui rend possible les plans caressés de longue date à la « base » : sans qu’il ait nullement besoin de donner d’ordres précis, sa simple présence au pouvoir autorise les nombreux antisémites d’Allemagne à déclencher boycotts et pogroms, ou les médecins d’extrême-droite tels Josef Mengele à pratiquer les atroces expériences pseudo-médicales et les opérations d’euthanasie massive dont l’idée préexistait à 1933. C'est ainsi aussi que sur le terrain, l’extermination des juifs a été souvent le fait d’initiatives locales, allant souvent au-devant des décisions du Führer. Ces dernières ont été notamment l'œuvre d’officiers de la SS et de gauleiters fanatiques pressés de plaire à tout prix au Führer en liquidant au plus tôt les indésirables dans leurs fiefs. Les gauleiters Albert Forster à Dantzig, Arthur Greiser dans le Warthegau ou Erich Koch en Ukraine ont ainsi particulièrement rivalisé de cruautés et de brutalités, les deux premiers concourant entre eux pour être chacun le premier à tenir leur promesse verbale faite à Hitler de germaniser intégralement leur territoire sous dix ans[193] . Au-delà, Adolf Hitler, personnage fort peu bureaucratique et dépourvu de tout goût pour le travail suivi, laisse chacun libre de se réclamer de lui et d'agir à sa guise pour peu qu'il aille dans le sens global de ses volontés (ce qu'un fonctionnaire nazi résuma de la formule : « marcher en direction du Führer »). Chaque individu, chaque clan, chaque bureaucratie, chaque groupe rivaux font de la surenchère, et essayent d’être les premiers à réaliser les projets fixés dans leurs grandes lignes par Hitler. C’est ainsi que la persécution antisémite va s’emballer et passer graduellement de la simple persécution au massacre puis au génocide industriel[194] . Sans son pouvoir charismatique, Hitler n'aurait jamais pu lancer la Shoah sans rédiger un seul ordre écrit. Aucun exécutant du génocide ne demanda jamais, justement, à voir un ordre écrit : le simple Führersbefehl (ordre du Führer) était suffisant pour faire taire toute question, et entraînait l’obéissance quasi-religieuse et aveugle des bourreaux. Mais sans maints « Allemands ordinaires », SS ou généraux ayant intégré un discours hitlérien que beaucoup ne demandaient qu'à entendre, jamais les massacres des Einsatzgruppen ni Auschwitz ou Treblinka n'auraient été possibles.

Archives de la Shoah Les archives de la Shoah sont conservées dans plusieurs établissements, notamment[195] : • En Allemagne, à Bad Arolsen, Potsdam, Coblence et (depuis 1996) Berlin. Ces centres ont récupéré la plupart des documents conservés, jusqu’à la fin des années 1960, les Archives nationales des États-Unis. • Au Centre de conservation des documents historiques de Moscou. • Au Yiddish Institute for Jewish Research (YIVO) et au Leo Abeck Institut, tous deux établis à New York. • Dans les archives de la police israélienne (documents produits pour le procès d’Adolf Eichmann) et à l’Institut de Yad Vashem (documents écrits et témoignages oraux de survivants). • Au Centre de documentation juive contemporaine, de Paris (documents nazis et juifs). Les débats tenus lors du procès de Nuremberg, ainsi que les documents utilisés à cette occasion, ont été intégralement reproduits dans Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international : Nuremberg, 14 novembre 1945-1er octobre 1946, ouvrage en 25 volumes publié à Nuremberg de 1947 à 1949 et réimprimé en 1993. Peu de collectes systématiques des témoignages oraux ont été faites. La Fondation Spielberg a toutefois entrepris depuis 1997 d'interroger tous les survivants possibles, chacun se voyant demander deux heures d'entretien sur la vie avant, pendant et après la Shoah[196] .

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Origine du mot « Shoah » « Shoah » est un mot hébreu qui signifie « anéantissement », « cataclysme », « catastrophe », « ruine », « désolation ». Il n’apparaît pas dans la Torah, mais trois fois dans les Nevi'im (Isaïe, 10, 3[197] et 47, 11 Sophonie 1, 15) et trois fois dans les Ketouvim (Psaumes 35, 8 et 63, 10, Job, 30, 3). Il est désormais préféré en France à « Holocauste », connoté religieusement et signifiant « sacrifice ne laissant subsister aucune trace de la victime ». D'autres pays, dont les pays anglo-saxons, de même que l'Organisation des Nations unies, continuent d'employer de préférence le terme d'« Holocauste ». C'est dans le quotidien israélien Haaretz que le mot hébreu « Shoah » a été employé pour la première fois pour désigner les crimes nazis[198] . La Shoah est un génocide, terme initialement formé en 1944 par le juriste Raphael Lemkin afin de désigner l'extermination des Juifs d'Europe. Le terme français d’Holocauste est également utilisé et l’a précédé. L’utilisation du terme Shoah a surtout été constatée depuis les années 1990, consécutivement à la sortie du film de Claude Lanzmann, Shoah, en 1985. Il s'agit d'un film documentaire de neuf heures trente composé de témoignages. Ce film est exempt de tout document d'archives. C'est ce documentaire qui a imposé en français l'usage du nom « Shoah » après le choix par le réalisateur du mot hébreu qu'on trouvait déjà, par exemple, dans le texte hébreu de la Déclaration d'indépendance de l'État d'Israël de 1948. Claude Lanzmann justifie le titre de son film de la façon suivante : « Si j’avais pu ne pas nommer ce film, je l’aurais fait. Comment aurait-il pu y avoir un nom pour nommer un événement sans précédent dans l’histoire ? Je disais 'la chose'. [...] Ce sont des rabbins qui ont trouvé le nom de Shoah. Mais cela veut dire anéantissement, cataclysme, catastrophe naturelle. Shoah, c’est un mot hébreu que je ne comprends pas. Un mot opaque que personne ne comprendra. Un acte de nomination radicale. Un nom qui est passé dans la langue, sauf aux États-Unis[199] . » Si le génocide juif perpétré pendant la Seconde Guerre mondiale est aujourd'hui communément appelé Shoah, certains récusent l'emploi de ce terme. C'est le cas du linguiste et traducteur Henri Meschonnic. Il précise que le terme « shoah » signifie « catastrophe naturelle » et ajoute : « Le mot "Shoah", avec sa majuscule qui l'essentialise, contient et maintient l'accomplissement du théologico-politique, la solution finale du "peuple déicide" pour être le vrai peuple élu. Il serait plus sain pour le langage que ce mot ne soit plus un jour que le titre d'un film »[200] . Elie Wiesel conteste aussi ce terme autant que celui d'« holocauste » même s'il l'emploie également. Dans ses entretiens avec Michaël de Saint Cheron, en 1988, il dit lui préférer le terme « hourban », qui, dans la littérature yiddish portant sur l'événement, signifie également « destruction » et se réfère à celle du Temple de Jérusalem. Par leur origine, ces trois termes soulignent la spécificité juive de l'événement[201] . Le terme « Holocauste » est encore moins juste puisque il désigne un sacrifice rituel (ce qui n’a pas empêché les Américains de baptiser en 1993 leur musée United States Holocaust Memorial Museum). Le terme « judéocide » est aussi employé, notamment par l'historien Arno Mayer dans La « Solution finale » dans l'histoire[202] .

Notes et références [1] En France, l'usage a consacré l'usage du terme « Shoah », de préférence à celui d'« Holocauste ». Ainsi Le Petit Larousse (2004) précise-t-il à l'entrée « Holocauste » : « génocide des Juifs d'Europe perpétré par les nazis et leurs auxiliaires de 1939 à 1945 […]. On dit plus couramment Shoah. » Et à l'entrée « Shoah » : « mot hébreu signifiant "anéantissement" et par lequel on désigne l'extermination systématique de plus de cinq millions de Juifs par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. » De même, l’Encyclopædia Universalis indique à l'entrée « Shoah » : « En hébreu, shoah signifie catastrophe. Ce terme est de plus en plus employé, de préférence à holocauste, pour désigner l'extermination des juifs réalisée par le régime nazi. » Cf. Encyclopædia Universalis, extrait en ligne (http:/ / www. universalis. fr/ encyclopedie/ C010055/ SHOAH. htm). [2] Donald Niewyk et Francis Nicosia, The Columbia Guide to the Holocaust, Columbia University Press, 2000, p. 45 : « The Holocaust is commonly defined as the murder of more than 5000000 Jews by the Germans in World War II » : « Le mot "Holocauste" désigne communément l'assassinat de plus de 5000000 Juifs par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. » The Columbia Guide to the Holocaust (http:/ / books. google. ca/ books?id=lpDTIUklB2MC& pg=PP1& dq=Niewyk,+ Donald+ L. + The+ Columbia+ Guide+ to+ the+ Holocaust& sig=4igufxQHRCNrkjwRuMt1if_mf5M#PPA45,M1), extraits en ligne. [3] Le chiffre de six millions de victimes a été présenté lors du procès de Nuremberg (Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, éd. La Découverte, 2005, p. 27). L'historien Raul Hilberg, dans son ouvrage La Destruction des Juifs d'Europe (éd. Gallimard, collection Folio, 2006 Tome III, p. 2251), arrive au chiffre de 5.1 millions de morts, au minimum, après avoir dépouillé les archives du IIIe Reich .

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Shoah [4] « Comme le crime en question est aussi énorme que complexe, qu’il supposait la participation d’un grand nombre de personnes, à différents niveaux et de différentes manières — les auteurs des plans, les organisateurs, les exécutants, chacun selon son rang — il n’y a pas grand intérêt à faire appel aux notions ordinaires de conseils donnés ou sollicités dans l’accomplissement du crime. Car ces crimes furent commis en masse, non seulement du point de vue du nombre des victimes, mais aussi du point de vue de ceux qui perpétrèrent le crime et, pour ce qui est du degré de responsabilité d’un de ces nombreux criminels quel qu’il soit, sa plus ou moins grande distance par rapport à celui qui tuait effectivement la victime ne veut rien dire. Au contraire, en général le degré de responsabilité augmente à mesure qu’on s’éloigne de l’homme qui manie l’instrument fatal de ses propres mains. » Jugement de la Cour israélienne au terme du procès d'Adolf Eichmann, cité par Hannah Arendt in Eichmann à Jérusalem (Gallimard, 1966 ; Folio histoire traduction révisée 2002, p. 431) [5] voir la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, adoptée par les Nations unies en 1968 Texte de la Convention (http:/ / www. cicr. org/ dih. nsf/ FULL/ 435?OpenDocument). [6] voir la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par des Nations unies en 1948. [7] Les précédentes Conventions de Genève (de 1929), en vigueur durant la Deuxième Guerre mondiale, concernaient uniquement les combattants blessés ou malades (sur terre et sur mer) ou faits prisonniers. [8] Voir à ce sujet la querelle des historiens allemands et par exemple les réflexions de Zygmunt Bauman dans Modernité et Holocauste [9] [réf. incomplète]Renée Neher-Bernheim, Histoire juive de la Révolution à l'État d'Israël, Seuil, 1992 [10] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, Gallimard, collection Folio, 2006 Tome I, chapitre 3, Les Structures de la destruction, p. 100-113 [11] Eugene Kogon, Hermann Langbein, les chambres à gaz, secret d'état, Point Seuil, 1987, p.266 [12] raul hilberg, la dstruction des Juifs d'europe, Folio gallimard, tome I, p.79 [13] Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe Folio, 2006 Tome I, chapitre 3, Définition par décret, p. 114-142 [14] Pour la définition des Mischlinge, Voir Hilberg, Folio 2006, p. 121-142 [15] Hilberg, Folio 2006, p. 127 [16] Daniel Bovy, Dictionnaire de la barbarie nazie et de la Shoah, Éditions Luc Pire, Liège, 2006, p. 75 [17] Hilberg, Folio 2006, T2, p. 1134-1135 [18] Pour la seule Allemagne, voir Hilberg, Folio, 2006, p. 143-274 [19] C'est ce que montre Hilberg dans le tome 2 de La Destruction des juifs d'Europe lorsqu'il passe en revue les pays sous domination nazie [20] François Bédarida, Le Nazisme et le génocide. [21] Marc Mazower, Le Continent des ténèbres. Une histoire de l'Europe au XXe siècle, p. 186 [22] Raul Hiberg, La Destruction des Juifs d'Europe, T.2, Foliohistoire, 2006, p. 718 [23] Ian Kershaw, Hitler, t. II, Flammarion, 2000 [24] Adolf Eichmann, Ich, Adolf Eichmann, p. 178-179, cité dans Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, éd. Gallimard, 2006, tome II, p. 726 [25] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, op. cit., p. 331/334 [26] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, op. cit., p. 394/395 [27] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, op. cit., p. 398/399 [28] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, op. cit., p. 448 [29] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, op. cit., p. 481/487 [30] Lucy S. Dawidowicz, La Guerre contre les Juifs, op. cit., p. 647/648 [31] Lucy S. Dawidowicz, La Guerre contre les Juifs, éd. Hachette, 1977, p. 197. [32] Lucy S. Dawidowicz, La Guerre contre les Juifs, op. cit., p. 198. [33] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, op. cit., tome I, p. 521/522. [34] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, op. cit., tome I, p. 524/542. [35] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, op. cit., tome I, p. 525/534. [36] Raul Hilberg, T.1, p. 570 [37] Raul Hilberg, T.1, p. 571 [38] Raul Hilberg, T.1, p. 572 [39] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, op. cit., tome I, p. 553/563. [40] Lucy S. Dawidowicz, La Guerre contre les Juifs, op. cit., p. 650/653 [41] Lucy S. Dawidowicz, La Guerre contre les Juifs, op. cit., p. 653/654 [42] Raul Hilberg, T.1, p. 597-598 [43] Raul Hilberg, T.1, p. 601 [44] Raul Hilberg, T.1, p. 602 [45] Lucy S. Dawidowicz, La Guerre contre les Juifs, op. cit., p. 209 [46] Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme, éd. du Seuil, 1993, tome II, p. 526. [47] Raul Hilberg, T. 1, p. 663 [48] Raul Hilberg, T. 1, p. 664 [49] Raul Hilberg, T. 1, p. 665 [50] Raul Hilberg, T. 1, p. 666 [51] Raul Hilberg, T. 1, p. 686-688

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Shoah [52] Raul Hilberg, T. 1, p. 706 [53] (fr)Annette Lévy-Willard, « Mont Valérien : Klarsfeld corrige le nombre de fusillés (http:/ / www. liberation. fr/ france/ 0109134619-mont-valerien-klarsfeld-corrige-le-nombre-de-fusilles) » sur www.liberation.fr (http:/ / www. liberation. fr), 30 mars 1995. Consulté le 18 avril 2011. [54] (fr) Armelle Thoraval, « Paul Touvier restera en prison. La cour de cassation a rejeté le pourvoi des avocats de l'ex-milicien. (http:/ / www. liberation. fr/ france/ 0109144961-paul-touvier-restera-en-prison-la-cour-de-cassation-a-rejete-le-pourvoi-des-avocats-de-l-ex-milicien) » sur www.liberation.fr (http:/ / www. liberation. fr), 2 juin 1995. Consulté le 18 avril 2011. [55] (en) Carroll Franklin Terrell, À companion to the Cantos of Ezra Pound, vol. 2, t. 2, University of California, 1980-1984, 800 p. (ISBN 0-520-04731-1) , p. 465 [56] Article "Génocide", in Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, Bruxelles, Éd. Verlag, 2008 [57] Joël Kotek, Les origines de la solution finale, in Une si longue nuit. L'apogée des régimes totalitaires en Europe, dirigé par St. Courtois, Éd. du Globe, 2000 [58] Philippe Burrin, article Shoah, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007 [59] Joël Kotek, op. cit. [60] Ce point est analysé par Raul Hilberg dans le film Shoah de Claude Lanzmann, 1985. [61] Chronique de l'Humanité, Éditions Chronique, 1986, rééd. 1996, p. 1076 [62] Lucy S. Dawidowicz, La guerre contre les Juifs, Hachette, 1975, p. 612 [63] François Bédarida,Le Nazisme et le génocide. [64] Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, op. cit. [65] Elie Barnavi (dir.), Histoire universelle des Juifs, Hachette, 2002, p. 233 [66] les chambres à gaz, secret d'état, Eugene Kogon, Hermann Langbein, Seuil 1987 p.151 [67] Article « Génocide », in Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, op. cit. [68] Le commandant d'Auschwitz parle, La Découverte, 1988. [69] Article « Génocide », in Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, éd. Verlag, 2008. [70] Chiffres cités par Hermann Langbein, Hommes et femmes à Auschwitz, Fayard, 1975, p. 59. [71] Des Voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommados d'Auschwitz-Birkenau, présentés par Georges Bensoussan, Calmann-Lévy, 2005. [72] Paul Gradvohl, "Les déportations de Hongrie", in Laurent Joly, Tal Brutmann et Annette Wieviorka, Qu'est-ce qu'un déporté ?, CNRS Editions, 2009, p. 236-237 et p. 244 [73] Ibidem, p. 236 [74] Ibidem, p. 240 et p. 244 [75] ibidem, p. 245 [76] Cité par l'article « Génocide », in Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, op. cit. [77] Dans l'argot des camps, ce jeu de mots à partir de l'allemand signifie : détenus mentalement et physiquement épuisés. [78] Saul Friedländer, L'Allemagne nazie et les Juifs. Les années d'extermination, Seuil, 2008, p. 793 [79] Tony Judt, Après-Guerre. Une histoire de l'Europe depuis 1945, 2007, p. 40 [80] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, op. cit., tome II, p. 1264/1284 [81] Raul Hilberg, T. 2, p. 1409-1410 [82] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, op. cit., p. 1410/1411 [83] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, op. cit., p. 1414/1415 [84] Raul Hilberg, T. 1, p. 545 [85] Raul Hilberg, T. 1, p. 546 [86] Raul Hilberg, T. 1, p. 547 [87] Raul Hilberg, T. 1, p. 548 [88] Raul Hilberg, T. 1, p. 549 [89] Raul Hilberg, T. 1, p. 676 [90] Paul Johnson, Une histoire des Juifs, Robert Laffont, 1986 [91] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, op. cit., tome II, p. 1406 et 1409 [92] Raul Hilberg cité in Konrad Kalejs: Target for Nazi hunters (http:/ / news. bbc. co. uk/ 2/ hi/ uk_news/ 589304. stm), BBC, 3 janvier 2000 [93] Raul Hilberg, T. 1, p. 563 [94] Raul Hilberg, T. 1, p. 566 [95] Raul Hilberg, T. 1, p. 567 [96] Raul Hilberg, T. 1, p. 568 [97] Raul Hilberg, T. 1, p. 569 [98] Paul Johnston, Une histoire des Juifs, 1986, p. 546 [99] Paul Johston, ibidem, p. 547 [100] Paul Johston, ibidem [101] Paul Johston, ibidem, p. 537 [102] Elie Barnavi (dir.), Histoire universelle des Juifs [103] Élie Barnavi (dir.), Histoire universelle des Juifs, op. cit.

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Shoah [104] [105] [106] [107] [108] [109] [110] [111] [112] [113] [114] [115] [116] [117] [118] [119] [120] [121] [122] [123] [124] [125]

56 Tony Judt, op. cit., p. 60 Tony Judt, Après-Guerre, op. cit., p. 230 Tony Judt, Après-Guerre, op. cit., p. 50 Tony Judt, op. cit., p. 43 Esther Benbassa, Histoire des Juifs sépharades, Points-Seuil, 1989, p. 389 Chronique de la Seconde Guerre mondiale, Éditions Chronique, 1990, p. 291 Hermann Langbein, Hommes et femmes à Auschwitz, Fayard, 1975, p. 313. Édouard Husson, p. 88. Traduction française parue aux Éditions du Seuil en 1997 (ISBN 978-2020289825). Raul Hilberg, p. 584-585 Édouard Husson, p. 90 Tony Judt, Après-Guerre. Une histoire de l'Europe depuis 1945, 2007, p. 73 Paul Johnston, Une histoire des Juifs, 1986 Voir : Querelle des historiens. Édouard Husson, p. 86. Laurent Theis, « L'industrie de mort nazie », Le Point, 21 février 2008 Richard J. Evans, Le IIIe Reich 1939-1945, Flammarion, p. 864 François Bédarida, Le Nazisme et le génocide, introduction Tony Judt, Après-Guerre, 2007, p. 952 François Bédarida, Le Nazisme et le génocide, Pockett, 1997 L’attitude des alliés pendant le génocide (http:/ / pagesperso-orange. fr/ d-d. natanson/ allies. htm) Stéphane Courtois et Adam Rayski, Qui savait quoi ? L'extermination des Juifs 1941-1945, La Découverte, 1987

[126] Élie Barnavi (dir), Histoire universelle des Juifs, op. cit., « Bombarder Auschwitz ? » [127] Renée Neher-Bernheim, Histoire juive de la Révolution à l'État d'Israël, Points-Seuil, 1992, p. 1180 sq [128] Serge Klarsfeld, in Vichy-Auschwitz, bien que Michael Marrus et Robert Paxton, in Vichy et les Juifs, 1982, accordent moins d'importance au rôle de l'Église. [129] Pour Saül Fridelander, in Les Années d'extermination, Seuil, p. ?? [130] « Un rabbin dénonce le silence de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale », 6 octobre 2008, lire en ligne (http:/ / fr. news. yahoo. com/ rtrs/ 20081006/ twl-vatican-synode-rabbin-bd5ae06. html) [131] (es) El Holocausto pasó por España (http:/ / www. elpais. com/ articulo/ espana/ Holocausto/ paso/ Espana/ elpepuesp/ 20090131elpepunac_6/ Tes), article del País du 31 janvier 2009 [132] Site internet « Mémorial de la Shoah » in « La fuite hors de l'Europe occupée » http:/ / memorial-wlc. recette. lbn. fr/ wlc/ article. php?lang=fr& ModuleId=218 [133] Site internet « Mémorial de la Shoah » in « Raoul Wallenberg et le Sauvetage des Juifs à Budapest » http:/ / memorial-wlc. recette. lbn. fr/ wlc/ article. php?lang=fr& ModuleId=68 [134] Tony Judt, Après-Guerre. Une histoire de l'Europe depuis 1945, 2007, in « Épilogue : de la maison des morts ». [135] Lucy S. Dawidowicz, op. cit., pp. 600-603 ; Raul Hilberg, op. cit., tome II, pp. 1017-1042. [136] Stanford J. Shaw, The Jews of the Ottoman Empire and the Turkish Republic, Londres-New York, Macmillan/New York University Press, 1992. [137] Dirk Halm et Faruk Sen, Exil sous le croissant et l’étoile, Paris, Turquoise, 2009 ; Arnold Reisman, Turkey's Modernization. Refugees from Nazism and Atatürk's Vision, Washington, New Academia Publising, 2006 ; Stanford J. Shaw, Turkey and the Holocaust: Turkey’s Role in Rescuing Turkish and European Jewry from Nazi Persecution, 1933-1945, Londres-New York, Macmillan/New York University Press, 1993, pp. 4-14, 353-369 et passim ; Frank Tachau, « German Jewish Emigrés in Turkey », dans Avigdor Levy (dir.), Jews, Turks, Ottomans. A Shared History, Fifteenth Through the Twentieth Century, New York, Syracuse University Press, 2002, pp. 233-245. [138] Arnold Reisman, op. cit., pp. 304-305. [139] Saül Friedlander. Les Années d'extermination, Seuil, 2008, p. 417-418 [140] Arnold Reisman, op. cit., p. 290 ; Stanford J. Shaw, « Turkey and the Jews of Europe during World War II », dans Avigdor Levy (dir.), op. cit., p. 257 ; et Turkey and the Holocaust, op. cit. [141] http:/ / www1. yadvashem. org/ righteous_new/ turkey/ ulkumen. html [142] « Turks saved Jews from Nazi Holocaust » (http:/ / www. raoulwallenberg. net/ highlights/ turks-saved-jews-nazi/ ), Turkish Daily News, 25 octobre 2008. [143] Bernard Lewis, Islam et Laïcité. L’émergence de la Turquie moderne, Paris, Fayard, 1988, pp. 261-264 ; Stanford Jay Shaw et Ezel Kural Shaw, History of the Ottoman Empire and Modern Turkey, New York-Cambridge, Cambridge University Press, tome II, 1978, p. 399. [144] Renée Neher-Bernheim, Histoire juive de la Révolution à l'État d'Israël, Points-Seuil, 1992, p. 1180 [145] Peter Longerich, Nous ne savions pas. Les Allemands et la Solution finale. Un aveuglement assassin, tr. fr. Éd. Héloïse d'Ormesson, 2008 [146] Hilberg, éd. 2006, tome 2, p. 1068 [147] Robert Paxton évoque cette question dans la comparaison entre la situation en France et la situation en Hollande, La France de Vichy, édition du Seuil, 1997, p. 426


Shoah [148] Dans le tome 2 de la Destruction des Juifs d'Europe, p. 1045-100 de l'édition de 2006, Hilberg cite L'ouvrage de référence , Louis de Jong, Het Koninkrijk der Nederlangen, vol. 8, non traduit en anglais [149] Raul Hilberg, T.2, p. 1108 (nationalité), p. 1118 (premières déportations juillet 42), p. 1120 (directive déporter aussi nationalité belge, déc. 1942) [150] (de)Norbert Elias, Studien über die Deutschen, Suhrkamp, 1992, p. 399. [151] Annette Wieviorka, L'Ère du Témoin, Hachette, Pluriel [152] Cité par Annette Wieviorka, L'Ère du Témoin, Hachette, Pluriel, p. 78 [153] Calmann-Lévy, 1951, rééd. 1974, p. 491-505. [154] (en) How many Jews were murdered in the Holocaust? (http:/ / www1. yadvashem. org/ about_holocaust/ faqs/ answers/ faq_3. html), FAQs au sujet de l'Holocauste, Yad Vashem [155] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, éd. Gallimard, collection Folio, 2006 Tome III, p. 2251. [156] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, éd. Gallimard, collection Folio, 2006, tome III, p. 2258. [157] Dawidowicz, Lucy. The War Against the Jews, Bantam, 1986.p. 403 [158] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, éd. Gallimard, collection Folio, 2006 Tome III, p. 2273. [159] Les différentes formes de l'antisémitisme occidental [pdf] (http:/ / www. cclj. be/ regards/ img/ etudes/ etude_73. pdf) [160] Encyclopædia Judaica, vol. VIII, p. 890, repris dans Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme, éd. du Seuil, 1993, tome 2, p. 527 [161] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, éd. Gallimard, collection Folio, 2006, tome III, p. 2272. [162] Annette Wieviorka, « Comment la Shoah est entrée dans l'histoire », dans L'Histoire, no 294, Janvier 2005 [163] Tony Judt, Après-Guerre. Une histoire de l'Europe depuis 1945, 2007 [164] Tony Judt, op. cit., p. 941 [165] Jan T Gross, Sasziedzi [Voisins],Sejny, 2000 ; Pawel Machcewicz, Krzysztof Persak, Wokol Jedwabnego [Autour de Jedwabne], 2 volumes, Warszawa, IPN,2002 [166] Jean-Yves Potel, La fin de l'innocence,Paris, Editions Autrement, 2009, p. 29-63 [167] Tony Judt, ibidem [168] 18 mars 2008 M.B. (lefigaro.fr) avec AFP (http:/ / www. lefigaro. fr/ international/ 2008/ 03/ 18/ 01003-20080318ARTFIG00560-le-discours-historique-d-angela-merkel-a-la-knesset. php) [169] Paul Johnston, Une histoire des Juifs, 1986, p. 554 [170] Ibidem [171] Annette Wieviorka, Déportation et génocide, Hachette, 1995 [172] Annette Wieviorka, Auschwitz. La mémoire d'un lieu, Hachette, Pluriel, 2005 [173] Henry Rousso, Le Syndrôme de Vichy de 1945 à nos jours, Points-Seuil, 1996. Voir aussi Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, 2001, ou encore Nadine Fresco, Fabrication d'un antisémite, sur l'itinéraire de Paul Rassinier, résistant d'extrême-gauche rescapé de Buchenwald et devenu le père paradoxal du négationnisme. [174] « L'affaire du « point de détail » — La cour d'appel de Versailles aggrave les peines prononcées contre M. Le Pen », Le Monde, 20 mars 1991 ; « JUSTICE : confirmation de la condamnation de Jean-Marie Le Pen à verser une indemnisation à onze associations après ses propos tenus à Munich », Le Monde, 15 septembre 1999 ; « Un ancien élu frontiste condamné à six mois de prison », Le Monde, 5 janvier 2006 ; « La Cour de cassation “juge” constitutionnelle la loi sur les crimes contre l'humanité », Le Monde, 9 mai 2010. [175] Annette Wieviorka, L'Ère du Témoin, Hachette, 1991 [176] Ainsi le sort des déportés non-juifs dans les camps de concentration (résistants, Témoins de Jéhovah, homosexuels allemands, etc.), l'extermination des Tziganes (Porajmos), des handicapés mentaux ou des prisonniers de guerre soviétiques, la réduction des Polonais et des Soviétiques en « peuples de sous-hommes », ou encore le travail forcé auxquels furent soumis des millions de prisonniers de guerre et de travailleurs du STO et des pays de l'Est. [177] Tony Judt, Après-Guerre, op. cit., p. 960 [178] Jörg Friedrich, L'Incendie. L'Allemagne sous les bombes, 2004 [179] Edwin Black, IBM et l'Holocauste - L'alliance stratégique entre l'Allemagne nazie et la plus puissante multinationale américaine, Robert Laffont, 2001 [180] Shoah : confusion autour de la question des parrainages (http:/ / tempsreel. nouvelobs. com/ actualites/ politique/ 20080227. OBS2459/ shoah__confusion_autour_de_la_question_des_parrainages. html), Nouvelobs.com [181] Discours de M. le président de la République (http:/ / www. elysee. fr/ documents/ index. php?mode=cview& press_id=1043& cat_id=7& lang=fr) lors du dîner annuel du CRIF, 13 février 2008 [182] Mémoire et histoire de la Shoah à l'école (http:/ / www. shoah. education. fr/ ) [183] Rapport sur l'enseignement de la Shoah à l'école primaire (http:/ / www. education. gouv. fr/ cid21471/ rapport-sur-l-enseignement-de-la-shoah-a-l-ecole-primaire. html), Hélène Waysbord-Loing, juin 2008 [184] Voir Texte de la Résolution sur le site de l'ONU [pdf] (http:/ / daccessdds. un. org/ doc/ UNDOC/ LTD/ N07/ 218/ 57/ PDF/ N0721857. pdf?OpenElement) [185] Voir C. Ingrao et J. Solchany, La Shoah par balles : les historiens oubliés, le 5 juin 2008 sur nonfiction.fr (http:/ / www. nonfiction. fr/ article-1172-la_shoah_par_balles__les_historiens_oublies. htm) ; consulté le 23 décembre 2008. Voir également l' exposition virtuelle (http:/ / www. memorialdelashoah. org/ upload/ minisites/ ukraine/ index. htm#) montée par le Mémorial de la Shoah de Paris.

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Shoah [186] « L’antisémitisme fondé sur des motifs purement sentimentaux, trouvera son expression ultime sous forme de pogroms. L’antisémitisme selon la raison doit, lui, conduire au combat législatif contre les privilèges des Juifs et à l’élimination de ces privilèges… Son but ultime doit, immuablement, être l’élimination des Juifs en général. » (lettre du 16 septembre 1919, Adolf Hitler, Sämtliche Aufzeichnungen. 1905-1924, textes édités par Eberhard Jäckel et Axel Kuhn, Stuttgart, 1980, Doc 61, p. 88 et sqq., passage cité dans G. Miedzianagora et G. Jofer, Objectif extermination, Frison Roche édition, 1994, p. 13) ; « Le Juif en tant que ferment de décomposition (selon Mommsen) n’est pas à envisager comme individu particulier, bon ou méchant, [il est] la cause absolue de l’effondrement intérieur de toutes les races, dans lesquelles il pénètre en tant que parasite. Son action est déterminée par sa race. Autant je ne peux faire reproche à un bacille de tuberculose, à cause d’une action qui, pour les hommes signifie la destruction, mais pour lui la vie, autant suis-je cependant obligé et justifié, en vue de mon existence personnelle, de mener le combat contre la tuberculose par l’extermination de ses agents. Le Juif devient et devint au travers des milliers d’années en son action une tuberculose de race des peuples. Le combattre signifie l’éliminer. » (lettre du 3 juillet 1920, Hitler, op. cit., Doc 116, p. 15, cité dans G. Miedzianagora et G. Jofer, op. cit., p. 14). Voir aussi Lucy S. Dawidowicz, La Guerre contre les Juifs, éd. Hachette, p. 39 et sqq. [187] Eberhard Jäckel et Axel Kuhn, Hitler, Sämtliche Aufzeichnungen, 1905-1925, Stuttgart, 1980, p. 88-90 [188] Lire dans l'article Histoire des Juifs en Allemagne, le paragraphe Discriminations et persécutions. [189] En particulier celui-ci : « Si l'on avait, au début et au cours de la guerre, tenu une seule fois douze ou quinze mille de ces Hébreux corrupteurs du peuple sous les gaz empoisonnés que des centaines de milliers de nos meilleurs travailleurs allemands de toute origine et de toutes professions ont dû endurer sur le front, le sacrifice de millions d'hommes n'eût pas été vain. Au contraire, si l'on s'était débarrassé à temps de ces quelques douze mille coquins on aurait peut-être sauvé l'existence d'un million de bons et braves Allemands pleins d'avenir. » (Adolf Hitler, Mon combat, Nouvelles éditions latines, 1934, p. 677-678) [190] Eberhard Jäckel, Hitler idéologue, éd. Gallimard, coll. « Tel », 1995, p. 83 [191] Christian Gerlach, Sur la conférence de Wannsee, de la décision d'exterminer les Juifs d'Europe, Liana Levi, 1999, p. 53-69 [192] Dominique Vidal, Les Historiens allemands relisent la Shoah, éd. Complexe, 2002 [193] Ian Kershaw, Hitler, t. II, op. cit., passim [194] Ian Kershaw, Hitler, 2 vol. , Flammarion, 2000 [195] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, op. cit., p. 2275/2287 [196] Annette Wieviorka, L'Ère du témoin [197] Texte hébreu (http:/ / sefarim. fr/ ?Library=Prophètes& Book=Isaïe& Chapter=10& Verse=3) et traduction du Rabbinat dans Sefarim [198] Polémique sur la présence d'Israël au Salon du Livre. Un entretien exclusif avec Benny Ziffer (http:/ / www. nonfiction. fr/ article-781-polemique_sur_la_presence_disrael_au_salon_du_livre_un_entretien_exclusif_avec_benny_ziffer. htm) - Benny Ziffer est rédacteur en chef du supplément littéraire d’Haaretz, nonfiction.fr, 1er mars 2008 [199] « Shoah » de Claude Lanzmann sur les écrans à New York (http:/ / www. france-amerique. com/ articles/ 2010/ 12/ 11/ lanzmann. html) France-Amérique, 11 décembre 2010 [200] Pour en finir avec le mot "Shoah" (http:/ / www. larevuedesressources. org/ spip. php?article1193) - Henri Meschonnic, Le Monde, 24 février 2005, republié dans La revue des ressources le 9 avril 2009 [201] Vincent Engel dans « Holocauste, Shoah ou judéocide ? » - Le Nouvel Observateur Hors-Série de janvier 2003 - décembre 2004 [202] La Découverte, 2002, 568 p.

Bibliographie Ouvrages généraux • François Bédarida (dir.), La Politique nazie d'extermination, Albin Michel, 1989 ;Le Nazisme et le Génocide. Histoire et enjeux, éd. Nathan, 1989 • Georges Bensoussan, Histoire de la Shoah, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? » 2006 (1re éd., 1996) • Lucy S. Dawidowicz, La Guerre contre les Juifs, Hachette, 1977 • Saul Friedländer, L’Allemagne nazie et les Juifs, éd. du Seuil, 1997, 2007 ; tome 1 : Les Années de persécution : L'Allemagne nazie et les Juifs, 1933-1939 ; tome 2 : Les Années d'extermination : L'Allemagne nazie et les Juifs : 1939-1945 • Marek Halter (prés.), Les Révoltés de la Shoah : Témoignages et récits, collection « Omnibus », 2010 • Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, Gallimard, 2006, coll. « Folio »-histoire, 3 vol. ; Exécuteurs, victimes, témoins, Gallimard, coll. « NRF »-essais, 1994 et « Folio »-histoire, 2004 • Léon Poliakov, Bréviaire de la haine : le IIIe Reich et les Juifs, Presses Pocket, 1993 (1re éd., Calmann-Lévy, 1951) • Gerald Reitlinger, The Final Solution, New York, Vallentine, Mitchell & Co, 1968

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• Robert Satloff, Among the Righteous : Lost Stories from the Holocaust's Long Reach into Arab Lands, Public Affairs, 2006 • Colloque de l’École des hautes études en sciences sociales, L’Allemagne nazie et le génocide juif, Gallimard/Le Seuil, 1985

Historiographie • • • • • • • • •

Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires, Les Belles Lettres, 1994. Philippe Burrin, Hitler et les Juifs. Genèse d’un génocide, éd. du Seuil, 1989, et « Points »-histoire, 1995. Philippe Burrin, Ressentiment et apocalypse. Essai sur l’antisémitisme nazi, éd. du Seuil, « Points »-histoire, 2007. Collectif, Devant l’histoire. Les documents de la controverse sur la singularité de l’extermination des juifs par le régime nazi, éd. du Cerf, 1988. Lucy S. Dawidowicz, A Holocaust Reader, New York, Behram House, 1976. Id., The Holocaust and The Historians, Harvard University Press, 1981, rééd., 1983. Id., “Perversions of The Holocaust”, Commentary, octobre 1989, p. 56-61. Gerald Fleming, Hitler et la Solution finale, éd. Julliard, 1988. Saul Friedländer, From Antisemitism to Extermination : A Historiographical Studie of Nazi Policies Toward the Jews, Yad Vashem Studies, XVI, 1984, p. 1-50.

• Daniel Goldhagen, Les Bourreaux volontaires de Hitler, éd. du Seuil, 1997 et « Points », 1998. • Édouard Husson, Une culpabilité ordinaire ? Hitler, les Allemands et la Shoah. Les enjeux de la controverse Goldhagen, éd. François-Xavier de Guibert, 1997. • Id., Comprendre Hitler et la Shoah. Les historiens de la République Fédérale d'Allemagne et l'identité allemande depuis 1949, Presses universitaires de France, coll. « Perspectives germaniques », 2000, rééd., 2002 (préface de Ian Kershaw). • Eberhard Jäckel, Hitler idéologue, éd. Calmann-Lévy, 1973, rééd. Gallimard, « Tel », 1995. • Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d'interprétation, éd. Gallimard, coll. « Folio » histoire, 1997, chapitre 5, « Hitler et l'Holocauste ». • Peter Longerich, « Nous ne savions pas ». Les Allemands et la Solution finale 1933-1945, Éditions Héloïse d'Ormesson, 2008, 596 p. • Arno J. Mayer, La « Solution finale » dans l’histoire, éd. La Découverte, 1990 et 2002. • Kevin P. Spicer, Antisemitism, Christian Ambivalence, and the Holocaust, Indiana University Press, 2007. • (en)Dean, Martin: Robbing the Jews - The Confiscation of Jewish Property in the Holocaust, 1935 - 1945, Cambridge University Press, 2008.

Monographies • Danutha Czech et alii, Auschwitz. Geshichte und Wirkilchkeit der Vernichtungslager, Hambourg, 1980 • Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, éd. Fayard, 1996 (1re éd. 1963) • Tuwia Friedman, Sobibór, ein NS-Vernichtungslager im Rahmen der "Aktion Reinhard" : eine dokumentarische Sammlung von SS-Dokumenten, Haïfa, Institute of documentation in Israel for the investigation of nazi war crimes, 1998 • Eugen Kogon, Hermann Langbein et Aldabert Rückel, Les Chambres à gaz, secret d'État, éd. du Seuil, « Points »-histoire, 2000 (1re éd., 1987) • Raul Hilberg et Joël Kotek (dir.), L'Insurrection du ghetto de Varsovie, éd. Complexe, 1994 • Eberhard Jäckel et Lea Rosch, »Der Tod ist ein Meister aus Deutschland«. Deportation und Ermordung der Juden, Kollaboration und Verweigerung in Europa, éd. Komet, 1990 • Helmut Krausnick et Hans-Heinrich Wilhem, Die Truppe des Weltanschauungskrieges, Stuttgart, 1981 • Ralf Ogorreck, Les Einsatzgruppen. Les groupes d’intervention et la genèse de la solution finale, Calmann-Lévy, 2007


Shoah • Léon Poliakov, Auschwitz, éd. Gallimard, 1973 ; rééd., 2006 • Jean-Claude Pressac, Auschwitz. Technique and operation of the gas chambers, The Beate Klarsfeld Foundation, New York, 1989 • Id., Les Crématoires d’Auschwitz. La machinerie du meurtre de masse, éd. du CNRS, 1993 • Richard Rhodes, Extermination, la machine nazie. Einsatzgruppen, à l'Est, 1941-1943, éd. Autrement, 2004 • Annette Wieviorka, Auschwitz, soixante ans après, éd. Robert Laffont, 2004 • Georges Wellers, Les chambres à gaz ont existé : des documents, des témoignages, des chiffres, éd. Gallimard, 1981 • Frédéric Rousseau, L'enfant juif de Varsovie. Histoire d'une photographie, Paris, Éditions du Seuil, 2009 (collection "L'Univers historique") (ouvrage primé par la Fondation Auschwitz (Bruxelles)" (http://www. auschwitz.be/index2.htm) au printemps 2009)

La Shoah dans les pays satellites • Frederick B. Chary, The Bulgarian Jews and the Final Solution, Pittsburg, 1972 • Carol Iancu, La Shoah en Roumanie, Publications de l'université de Montpellier, 2000 • Roanid Iadu, La Roumanie et la Shoah. Destruction et survie des juifs et des Tsiganes sous le régime Antonescu, 1940-1944, Maison des sciences de l'homme, 2003 • Ladislaus Hory et Martin Broszat, Der Kroatische Ustacha-Staat. 1941-1945, Stuttgart, 1964 • Laurent Joly, Vichy dans la Solution finale. Histoire du commissariat général aux questions juives (1941-1944), éd. Grasset, 2006 (ouvrage issu d'une thèse de doctorat en histoire) • Ladislav Lipscher, Die Juden im Slowakischen Staat. 1939-1945, Munich, 1980 • Michael Marrus et Robert Paxton, Vichy et les Juifs, éd. Calmann-Lévy, 1981, rééd. Librairie générale française, « Le Livre de poche », 1990 et 2004 • Marie-Anne Matard-Bonucci, L'Italie fasciste et la persécution des Juifs, éd. Perrin, 2007 • Edmond Paris, Genocide in Satellite Croatia. A Record of Racial and Religious Persecutions and massacres, Translated from the French by Louis Perkins, American Institute for Balkan Affaires, Chicago 1961

Victimes et témoins de la Shoah Un grand nombre d'œuvres a été recensé dans les articles suivants : Liste de témoignages et journaux intimes écrits pendant la Shoah et Liste de récits de rescapés de la Shoah. Le lecteur peut aussi consulter utilement. • Primo Levi, Si c'est un homme, traduction de Martine Schruoffeneger, Julliard, 1987; puis réédition en 2002, augmentée d'une interview de l'auteur par Philip Roth et deux autres textes inédits • Schlomo Venezia, Sonderkommando, ed. Albin michel 2007. • Hermann Langbein, Hommes et femmes à Auschwitz, Fayard, 1975. • Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman (dir.), Le Livre noir sur l’extermination scélérate des juifs par les envahisseurs fascistes allemands dans les régions provisoirement occupées de l’URSS et dans les camps d’extermination en Pologne pendant la guerre de 1941-1945 : textes et témoignages, éd. Actes sud, 1995, rééd. Librairie générale française, « Le Livre de poche », deux volumes, 2001 • Saul Friedländer, Kurt Gerstein ou l'ambiguïté du bien, Tournai, éd. Casterman, 1967 • Itzhok Noborski et Annette Wieviorka (éd.), Les Livres du souvenir : mémoriaux juifs de Pologne, éd. Julliard, coll. « Archives », 1983 • Georges Gheldman, 16 juillet 1942, 2005, Berg International. On trouve en annexe de cet ouvrage la retranscription intégrale du témoignage de Georges Gheldman lors du procès de Maurice Papon. • Les Disparus de Daniel Mendelsohn, la recherche par l'auteur de témoins du destin de partie de sa famille disparue dans la Shoah en Ukraine

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La Shoah, les grandes puissances et les pays neutres • • • • • • • •

Carlo Falconi, Le Silence de Pie XII, éd. du Rocher, 1965 Saul Friedländer, Pie XII et le IIIe Reich, éd. du Seuil, 1964 Guenter Lewy, L'Église catholique et l'Allemagne nazie, éd. Stock, 1965 Michael Fayer, L’Église et les Nazis. 1930-1965, Liana Levi, 2002 (traduit de l’anglais des États-Unis par Claude Bonnafont) Martin Gilbert, Auschwitz and the Allies: A Devastating Account of How the Allies Responded to the News of Hitler's Mass Murder, Owl Books, 1990 Jean-Pierre Richardot, Une autre Suisse, 1940–1944, éditions du Félin, 2002 Stanford Jay Shaw, Turkey and the Holocaust: Turkey's Role in Rescuing Turkish and European Jewry from Nazi Persecution, 1933-1945, New York University Press, 1993 David S. Wyman, L'Abandon des Juifs. Les Américains et la solution finale, éd. Flammarion, 1987

Annexes Articles connexes • Littérature de la Shoah • • • • • •

Cinéma et Shoah Système de marquage nazi des prisonniers Négation de la Shoah | Négationnisme | Révisionnisme Devoir de mémoire Histoire des Juifs en Allemagne Porajmos | Programme Aktion T4

Liens externes Sites généraux • Chronologie de la Shoah, des origines à Nuremberg (http://www.herodote.net/frises_theme/chrono. php?theme=Shoah) • Les Juifs d’Europe (1941-1945) : Chronologie de la destruction (http://www.akadem.org/photos/contextuels/ 6941_05_Extermination_chronologie.pdf) - Akadem.com [pdf] • (fr) Encyclopédie multimédia de la Shoah (http://www.ushmm.org/wlc/fr/) United States Holocaust Memorial Museum (USHMM) • Site du mémorial de la Shoah (http://www.memorialdelashoah.org/) - Archives, documents pédagogiques, témoignages • Site de la Fondation pour la mémoire de la Shoah (http://www.fondationshoah.org/) (la Fondation pour la Mémoire de la Shoah est créée par décret du gouvernement français le 26 décembre 2000. Présidente d'honneur Simone Veil) • Une approche thématique et chronologique de la Shoah (http://www.histoiredesjuifs.com/categories. asp?category=19) - HistoireDesJuifs.com • Site de l'Association Fond Mémoire d'Auschwitz (afma) (http://www.afma.fr/) • Ressources documentaires sur le génocide nazi et sa négation (http://www.anti-rev.org/textes/) • (en) Reexamining The Wannsee Conference, Himmler's Appointments Book, and Tunisian Jews (http://www. nizkor.org/hweb/people/s/shaked-edith/re-examining-wannsee.html) La Shoah par balles • La Shoah par balles, les victimes juives des Einsatzgruppen en Europe de l'Est (http://www.shoahparballes. com/) - Recherches de l'équipe du Père Patrick Desbois, président de Yahad In Unum (http://www.


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yahadinunum.org) • Exposition « La Shoah par balles » (http://www.memorialdelashoah.org/upload/minisites/ukraine/index.htm) au Mémorial de la Shoah Les victimes • Exil ordinaire (http://www.exilordinaire.org/) - Les réfugiés juifs autrichiens et allemands en France et en Belgique, avant la déportation, une vie d'exil • Extermination par fusillade en Lettonie (http://usdin.dumes.net/linkfourd.html) • La musique dans les camps de concentration (http://www.voixduregard.org/13-Surin.pdf) [pdf] • Sonderkommando.info (http://www.sonderkommando.info) - Un site consacré aux prisonniers des Sonderkommandos d'Auschwitz-Birkenau Les bourreaux • Les Einsatzgruppen, une introduction (http://www.phdn.org/histgen/einsatzintro.html) - Pratique de l’Histoire et Dévoiements Négationnistes (PHDN) • L'Extermination au jour le jour dans les documents allemands (http://www.phdn.org/negation/documents/ nazisdoc.html) - Pratique de l’Histoire et Dévoiements Négationnistes (PHDN)

Primo Levi Primo Levi Activité(s)

écrivain

Naissance

31 juillet 1919 Turin Royaume d'Italie

Décès

Langue d'écriture Genre(s) Distinctions

11 avril 1987 Turin Italie italien roman, essai, autobiographie prix Strega (1978) pour La clé à molette Œuvres principales

• • • •

Si c'est un homme (1947) La Trêve (1963) Le système périodique (1975) La clé à molette (1978)

Primo Levi, né le 31 juillet 1919 à Turin et mort le 11 avril 1987 à Turin, est un écrivain italien ainsi que l'un des plus célèbres survivants de la Shoah. Juif italien de naissance, chimiste de formation (il est docteur en chimie), de profession et de vocation, il devint écrivain afin de témoigner, transmettre et expliciter son expérience concentrationnaire dans le camp d'Auschwitz, où il fut emprisonné à Monowitz au cours de l'année 1944. Son livre le plus célèbre, Si c'est un homme (Se Questo è un Uomo, publié aux États-Unis sous le titre de Survival in Auschwitz) a été décrit comme « l'une des œuvres les plus importantes du vingtième siècle[1] . » Auteur désormais reconnu, il diversifia sa production littéraire, écrivant des histoires courtes, poèmes et romans.


Primo Levi

Biographie Les jeunes années de Primo Levi Primo Michele Levi naît dans le quartier de la Crocetta à Turin le 31 juillet 1919, 78 Corso Re Umberto, dans une famille juive de la moyenne bourgeoisie. De ses origines juives sépharades, il retient surtout les figures de ses ancêtres dont les attitudes et paroles sont devenues proverbiales, et leur dialecte judéo-piémontais, qu'il qualifie de langue hybride, fortement comparable au yiddish par son évolution. Conservant les traditions, comme les fêtes juives, il leur arrive, assez fréquemment, d'enfreindre avec plus ou moins de remords les lois de la cacheroute. Son père Cesare, ingénieur et lecteur avide, travaille pour la firme Ganz, et passe beaucoup de temps en Hongrie où la firme était basée. Sa mère, Ester "Rina" Luzzati a fait ses études à l'Istituto Maria Letizia, est elle aussi friande de livres, parle couramment le français et joue du piano[2] . Leur mariage avait été arrangé par le père de Rina[2] , qui leur offrit la « maison familiale », l'appartement de la distinguée Via Re Umberto maintes fois évoquée dans l'œuvre de Primo Levi, où il naquit, vécut la plus grande partie de sa vie, et mourut. Sa sœur, Anna Maria, naît en 1921. Ils furent proches toute leur vie. En 1925, il entre à l'école primaire Felice Rignon à Turin. De constitution délicate, il est mal dans sa peau, mais excellent sur le plan scolaire. Son état de santé lui impose de longues périodes d'absence, durant lesquelles son instruction se fait à domicile par les bons soins d'Emilia Glauda puis Marisa Zini, la fille du philosophe Zino Zini[3] . Il passe ses étés avec sa mère dans les vallées au sud-ouest de Turin, où Rina louait une ferme. Son père, éprouvant peu de goût pour la vie campagnarde, demeure à Turin, où il peut s'adonner librement à ses infidélités[4] . En septembre 1930, il entre au Gymnase Royal Massimo d'Azeglio, avec un an d'avance sur l'âge requis[5] . Étant le plus jeune, le plus petit et le plus intelligent de sa classe, en plus d'être le seul Juif, il est fréquemment brimé par ses camarades[6] . Il suit également, moins par conviction que par respect des traditions, une formation de deux ans au Talmud Torah de Turin pour chanter à la synagogue lors de sa Bar Mitzva, qui a lieu en août 1932. En 1933, il est inscrit, comme beaucoup de jeunes Italiens, dans le mouvement des Avanguardisti des jeunesses fascistes. Il parvient à éviter les exercices de maniement du fusil en rejoignant la division de ski, ce qui lui permet de passer chaque samedi de la saison d'hiver sur les pentes au-dessus de Turin[7] . Adolescent, Primo Levi souffre d'infections pulmonaires à répétition, qui ne l'empêchent pas de manifester du goût pour les activités physiques, et de participer à des compétitions d'athlétisme clandestinement menées avec des amis, dans un stade de sport abandonné. En juillet 1934, à l'âge de 14 ans, il présente l'examen d'admission au liceo classico Massimo d'Azeglio et y est reçu en candidat libre. Ce lycée fut connu pour avoir des professeurs anti-fascistes affirmés, parmi lesquels Norberto Bobbio et, pendant quelques mois, Cesare Pavese, qui deviendra plus tard l'un des romanciers les plus connus d'Italie[8] . Bien que n'étant plus le seul Juif de sa promotion, Primo Levi demeure la bête noire de ses condisciples[9] . En lisant Concerning the Nature of Things de William Henry Bragg, il se découvre une vocation de chimiste[10] , souhaitant par le biais de cette science découvrir les secrets du monde. Levi est diplômé de l'école en 1937, mais mis en cause pour avoir ignoré une convocation de la Marine Royale Italienne la semaine précédant ses examens, et peut-être pour des raisons d'ordre antisémite, il devra repasser son diplôme, à la fin de l'été 1938. En octobre de la même année, il s'inscrit à l'Université de Turin, pour étudier la chimie. Les quatre-vingts candidats durent passer un examen oral, ce qui réduisit leur nombre à vingt. Primo Levi est admis en février après avoir suivi le cursus de chimie à plein temps. Bien que l'Italie soit un pays fasciste et que ce régime promulgue des lois antisémites, il n'y a pas de véritables discriminations envers les Juifs dans les années 1930. La communauté juive italienne est historiquement l'une des plus assimilées par son pays d'accueil, et les Italiens non-Juifs, sans particulièrement les apprécier ni farouchement les détester, ignorent ou contournent toute loi raciale, par esprit d'opposition aux Allemands qu'ils rendent, à tort, responsables de ces lois. Cependant, en 1938, le gouvernement fasciste déclare que les Juifs sont une impureté au sein du peuple italien, et promulgue en juillet de cette année des lois raciales, dont l'une a pour effet de restreindre, avant d'interdire totalement aux citoyens juifs, de s'inscrire dans les écoles publiques. Toutefois, les Juifs ayant déjà

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Primo Levi entamé leurs études sont autorisés à les poursuivre, ce qui est le cas de Primo Levi. En 1939, Primo Levi commence à pratiquer activement la randonnée en montagne[11] , que lui apprend son ami Sandro Delmastro, futur héros de la lutte partisane. Tous deux passent de nombreux weekends sur les montagnes au-dessus de Turin. L'exercice physique, le risque, la lutte contre les éléments lui fournissent une soupape de décompression par rapport à toutes les frustrations qu'il rencontre dans la vie. S'ajoutent bientôt à celles-ci les bombardements de Turin, qui commencent quelques jours après que l'Italie a déclaré la guerre à la Grande-Bretagne et la France, et le cancer du côlon qui se déclare chez son père et le cloue au lit. Du fait de la montée croissante du fascisme, et des lois antisémites, Primo Levi éprouve de fortes difficultés à trouver un superviseur pour sa thèse de fin d'études, qui porte sur l'inversion de Walden, une étude sur l'asymétrie de l'atome de carbone. Finalement chaperonné par le Docteur Nicolo Dallaporta, il obtient son diplôme en été 1941 avec la plus haute mention, ayant en outre soumis des études sur le rayonnement X et l'énergie électrostatique. Cependant, son diplôme mentionne que le docteur Primo Levi est « de race juive, » et les lois raciales ne lui permettent pas de trouver un emploi approprié. En décembre 1941 son ancien appariteur, Caselli, lui obtient un poste dans une mine d'amiante de San Vittore. Le projet dont il a la charge est d'analyser la teneur en nickel des résidus de la mine et d'en optimiser l'extraction, un défi qu'il accepte avec plaisir, bien qu'il se doute qu'en cas de succès, il contribuera à l'effort de guerre allemand, qui a besoin de nickel pour l'industrie de l'armement[12] . Pour cause de secret militaire, Primo Levi doit travailler sous un faux nom, avec de faux papiers. C'est au cours de son séjour à la mine qu'il rédige ses deux premières histoires courtes, qui seront réintégrées bien des années plus tard dans Le Système périodique. En mars 1942, tandis qu'il travaille à la mine, son père Cesare Levi meurt. En juin 1942, la situation ne pouvant évoluer davantage à Turin, Primo Levi quitte la mine et tente sa chance à Milan. Il est recruté par la firme suisse de A. Wander sur un projet d'extraction d'un composé anti-diabétique d'extraits végétaux, sur la recommandation d'une ancienne camarade de l'université de Turin, les lois raciales ne s'appliquant pas aux compagnies suisses. Il devient cependant rapidement évident que le projet, s'appuyant sur les élucubrations dépourvues de fondement d'un scientifique proche du IIIeReich, n'a aucune chance de réussir, mais qu'il n'est dans l'intérêt d'aucun employé que cela se sache[13] . Un an plus tard, à Turin, Primo Levi se réunit fréquemment avec un cercle d'amis juifs turinois, écrivant poème sur poème dans son désœuvrement. La situation évolue brutalement en septembre 1943 lorsque Mussolini est démis de ses fonctions et que son remplaçant, le maréchal Pietro Badoglio, signe l'armistice avec les Alliés. Le dirigeant déchu, Benito Mussolini, est rapidement libéré par les Allemands et installé à la tête de la République de Salò, un état fantoche mais d'une extrême violence établi dans l'Italie du Nord occupée par l'Allemagne. Les opposants au fascisme exhortent les Italiens à la révolte active. Primo Levi rentre à Turin pour découvrir que sa mère et sa sœur se sont réfugiées dans leur maison de campagne La Saccarello dans les collines hors de Turin. Ils embarquent tous pour Saint-Vincent dans la vallée d'Aoste où ils peuvent se cacher mais, poursuivis par les autorités, ils se réfugient à Amay dans les Colle di Joux. Amay se trouve sur la route de la Suisse, et est empruntée par les Alliés et les réfugiés qui fuient les Allemands. Les mouvements de la Résistance italienne deviennent de plus en plus actifs dans la zone occupée. Primo Levi et quelques camarades prennent le chemin des Alpes et rejoignent en octobre le mouvement partisan Giustizia e Libertà, d'orientation libérale. Inexpérimenté, bénéficiant d'une publicité qu'il ne mérite pas, son petit détachement est infiltré par un agent des forces fascistes. Celui-ci prend la tête d'une rafle de la milice fasciste le 13 décembre 1943 à Brusson, dans le Val d’Aoste. Primo Levi "préfère déclarer sa condition de citoyen italien de race juive" (Si c'est un homme). Celui-ci est donc transféré dans le camp d'internement des Juifs de Fossoli, près de Modène, où il demeure deux mois, puis il est déporté en février 1944 à Auschwitz.

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Primo Levi

Auschwitz La déportation de Primo Levi dans le camp d'extermination d'Auschwitz est l'événement déterminant de sa vie, devenant le principal thème de son œuvre, mais aussi l'aune à laquelle il mesure les événements ultérieurs de son existence. Le 11 février 1944, les 650 « pièces » du camp de Fossoli sont transportées à Auschwitz dans douze wagons à bestiaux surchargés. L'espérance de vie d'un prisonnier ayant échappé à la Selektion, qui désigne d'emblée les personnes destinées à la chambre à gaz, est de trois mois. De ces 650 Juifs italiens, seuls vingt reverront l'Italie. Levi est assigné au camp de Monowitz, un des camps auxiliaires d'Auschwitz dont la principale mission est de fournir la main d'œuvre au chantier de construction d'une usine de caoutchouc appartenant à IG Farben, la Buna. Soumise à de nombreux bombardements, l'usine de la Buna n'entrera jamais en activité. Levi attribue sa survie à une « concaténation de circonstances », dont la moindre n'est pas d'avoir été déporté à une période où il avait été décidé de rallonger quelque peu la vie des prisonniers et d'arrêter les exécutions arbitraires. Possédant quelques notions d'allemand de par sa formation scientifique, il parvient - à l'aide d'un prisonnier italien plus expérimenté (qu'il paye en rations de pain) - à les développer et à s'orienter dans la vie du camp sans trop attirer l'attention des Prominente, les prisonniers privilégiés du système. A partir de novembre 1944, sa formation professionnelle lui permet d'obtenir un poste relativement privilégié d'assistant dans le laboratoire de l'usine de production de caoutchouc de la Buna. Surtout, il reçoit pendant plusieurs mois, de Lorenzo Perrone, un civil italien, maçon de son état, une ration de soupe et de pain, lui permettant de survivre jusqu'à l'évacuation du camp devant l'avancée du front soviétique. Lors de celle-ci, Primo Levi, atteint de scarlatine, est abandonné à son sort dans l'infirmerie du camp au lieu de partir pour la marche de la mort, où meurent la plupart de ses compagnons. Il parvient à survivre en créant avec deux camarades de chambrée une organisation permettant de subvenir un minimum à leurs besoins. Le 27 janvier 1945, alors qu'ils partent enterrer le premier mort de leur chambre, ils sont libérés par l'Armée rouge. Primo Levi ne regagnera cependant pas Turin avant le 19 octobre de cette année, après avoir passé un certain temps dans un camp soviétique pour anciens prisonniers des camps, et au terme d'un long périple en compagnie d'anciens prisonniers de guerre italiens capturés sur le front russe. Il traverse en train la Pologne, la Russie, la Roumanie, la Hongrie, l'Autriche et l'Allemagne.

Après Auschwitz 1946-1960 Revenu à Corso Re Umberto, où personne ne l'attendait, Levi est méconnaissable. Vêtu d'un vieil uniforme de l'Armée rouge, la malnutrition a bouffi son visage, mangé par une barbe hirsute. Si les mois suivants lui permettent de se reconstituer physiquement, de prendre contact avec des survivants et de chercher du travail à Milan, il est traumatisé par son expérience concentrationnaire, au cours de laquelle ont péri nombre de ses amis et une personne chère à son cœur. Il raconte des histoires d'Auschwitz aux passagers qu'il rencontre dans le train et écrit des poèmes, dont celui qui donnera son titre à son premier livre. Lors de la fête du Nouvel An juif en 1946, il rencontre Lucia Morpurgo qui lui propose de lui apprendre à danser. Primo Levi en tombe amoureux. Le 21 janvier 1946, il commence à travailler à la DUCO, une compagnie de peintures et vernis, située en dehors de Turin. Les communications ferroviaires sont si rudimentaires qu'il passe la semaine dans le dortoir de l'usine, écrivant ses souvenirs sans relâche. C'est là qu'il écrit le premier jet de Si c'est un homme, sans avoir encore l'intention d'en faire un livre[14] . D'abord tragique, son écriture sur le Lager devient, sous l'influence de ses sentiments pour Lucia, celle d'un scientifique, délaissant le témoignage à la première personne pour l'analyse et la tentative de description avec lucidité et détachement. Il écrit sur tous les bouts de papier qui lui tombent sous la main, y compris les tickets de train. À la fin de février, il possède dix pages sur les dix jours séparant le départ allemand de la libération du camp par l'Armée rouge. Il écrit ce qui sera son livre pendant les dix mois qui suivent.

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Primo Levi Le 22 décembre 1946, le manuscrit est complété. Entre-temps, Lucia lui a retourné ses sentiments. Elle l'aide à l'éditer sous une forme plus fluide[15] . En janvier 1947, Primo Levi propose le manuscrit aux éditeurs, mais les blessures ne sont pas encore cicatrisées, et il n'a pas de passé littéraire lui garantissant une réputation d'auteur. Un ami de sa sœur lui permet d'être édité chez Franco Antonicelli[16] , éditeur amateur et anti-fasciste ardent. En juin 1947, Primo Levi démissionne brutalement de DUCO et s'associe à un vieil ami, Alberto Salmoni, pour diriger un bureau de consultation en chimie, dont les locaux sont situés au dernier étage de la maison des parents de Salmoni. Ses expériences professionnelles de cette époque donneront matière à des ouvrages ultérieurs. Il gagne sa vie en fabriquant et fournissant du chlorure d'étain pour des ateliers de miroiterie[17] , livrant le composé instable en triporteur jusqu'au bout de la ville. De même, les tentatives de fabriquer des rouges à lèvre à partir d'excreta reptiliens et de l'émail coloré pour enduire les dents seront racontés dans des histoires courtes. Les manipulations de chimie dans le "laboratoire" emplissent l'appartement exigüe d'odeurs désagréables et d'émanations corrosives. En septembre 1947, Primo Levi épouse Lucia Morpurgo. Un mois plus tard, le 11 octobre, Si c'est un homme est tiré à 2500 exemplaires. En avril 1948, alors qu'il attend son premier enfant, Primo Levi décide d'interrompre sa carrière de chimiste indépendant et postule dans l'entreprise familiale de peintures et vernis de Federico Accatti, dont les produits sont commercialisés sous le nom de SIVA. En octobre 1948 naît Lisa Levi. Bien que sa vie se soit indéniablement améliorée, le passé subsiste et revient souvent à lui, particulièrement lorsque l'un de ses amis d'Auschwitz a des ennuis ou meurt. Parmi ceux-ci, Lorenzo Perrone, le bienfaiteur de Primo Levi au Lager ; incapable de surmonter le passé, il sombre dans la misère et l'alcoolisme. Il meurt suite à la négligence de lui-même en 1952, malgré les nombreux efforts de Levi pour le tirer de sa déchéance[18] . Autre sujet de détresse, Auschwitz, au lieu d'entrer dans l'histoire, semble s'enfoncer dans un oubli voulu par ceux qui l'ont perpétré comme ceux qui l'ont subi, et sa dimension échappe au monde. En 1950, ayant fait la preuve de son talent chez Accatti, il est promu directeur technique de SIVA[19] . En sa qualité de chimiste principal de SIVA, et de sa fonction de résoudre les difficultés techniques, il réalise de nombreux voyages en Allemagne ou il rencontre des homologues allemands du monde professionnel et scientifique. Il prend soin de porter des chemises à manches courtes, laissant paraître son matricule d'Auschwitz tatoué sur son avant-bras. Il les amène souvent sur le terrain de la dépravation des nazis, et du manque de repentir et de recherche de rédemption manifesté par la plupart des Allemands, y compris de nombreux agents de l'exploitation de la main-d'œuvre esclave des camps. Il milite également activement pour ne pas laisser le souvenir des camps s'éteindre, visite Buchenwald en 1954 lors du neuvième anniversaire de la libération des camps nazis, ainsi que les années suivantes, répétant inlassablement le récit de son vécu. En juillet 1957 naît son fils Renzo, probablement nommé d'après son sauveur, Lorenzo Perrone. En dépit de critiques positives, dont celle d'Italo Calvino dans L'Unità, seules 1500 copies de Si c'est un homme s'écoulent et Primo Levi est déjà catalogué comme auteur unius libris. Il devra attendre 1958 pour qu'Einaudi l'édite dans une édition revue. En 1958 également, John Stuart Woolf traduit, en collaboration étroite avec Levi, Si c'est un homme en anglais. En 1959, Heinz Riedt en fait de même en allemand, sous la surveillance serrée de l'auteur[20] . Cette traduction s'accompagne d'une préface ; l'un des buts de Levi en écrivant son livre ayant été de faire prendre conscience à la nation allemande de l'ampleur des actes commis en son nom, et d'en accepter la responsabilité au moins à titre partiel, elle revêt pour lui une importance particulière. Quarante lecteurs allemands lui écriront et seront accueillis avec sympathie, à l'exception de Herr T.H. qui tente une justification teintée de révisionnisme. C'est également cette version que lira le docteur Müller, l'un des civils que Levi avait le plus souvent rencontrés à la Buna.

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Primo Levi 1961-1974 Levi commença à écrire La Trève, l'histoire de son retour mouvementé en Italie, en 1961 et le publia en 1963, presque seize ans après son premier livre. Le succès fut au rendez-vous, l'auteur se voyant décerner la même année le premier Prix Campiello. La réputation de Levi, auteur de Si c'est un homme mais aussi de nombreux articles à La Stampa, le journal de Turin, allait grandissant. C'est aussi à cette époque qu'il commença à varier ses sujets littéraires, évoquant notamment l'Italie d'avant-guerre, la résistance au fascisme et son métier de chimiste. Il connut en 1963 son premier épisode dépressif majeur. Père de deux enfants, responsable d'un travail important, figure publique effectuant de nombreux voyages, il demeurait tourmenté par son passé. De plus, l'on ignorait à l'époque le lien entre stress, anxiété et dépression. Les traitements prescrits au cours des années furent d'efficacité variable, et non dépourvus d'effets secondaires. En 1964, il collabore à une émission radiophonique de la RAI basée sur Si c'est un homme. En 1966, le livre est adapté au théâtre. Il publie deux volumes de courts récits de science-fiction, Storie naturali (Histoires naturelles, 1966) et Vizio di forma (Vice de forme, 1971), sous le nom de plume de Damiano Malabaila, où il explore des questions éthiques et philosophiques, imaginant l'impact sur la société d'inventions que beaucoup auraient jugées bénéfiques, mais en lesquelles il voit des implications sérieuses. Certaines de ces histoires inspireront par la suite plusieurs scénarios de films de science-fiction, dont "Total Recall". En 1974, il prend une semi-retraite de la SIVA afin de se consacrer à l'écriture et de se libérer de la responsabilité de l'usine[21] . 1975-1987 En 1975 paraît une collection des poèmes de Levi sous le titre de L'osteria di Brema. Il écrit également deux autres mémoires fort bien accueillis, le Système périodique, faisant référence avec une ironie propre à l'auteur au tableau périodique de Mendeleev, où chaque élément recèle un moment de la vie du chimiste juif turinois, et, en 1978, Lilith, où il revient sur des personnages et moments d'Auschwitz qu'il n'a pas évoqués dans ses livres précédents. Le Système périodique a été salué par le Royal Institute de Londres, le 19 octobre 2006, comme « le meilleur livre de science jamais écrit[22] . » En 1978, il écrit le roman La chiave a stella (La Clé à molette). Le livre prend la forme d'un dialogue entre un technicien turinois, qui est envoyé en déplacement dans le monde entier pour l'installation de machineries industrielles, dans le cadre des grands projets d'ingénierie, qui dans les années 1960 et 1970 voyaient les entreprises italiennes souvent protagonistes, et l'auteur, lors d'un séjour dans la ville Russe où les deux se trouvaient pour des raisons professionnelles. Leurs souvenirs de travail y sont racontés. La philosophie de ce livre est que la fierté du travail bien fait est nécessaire à une vie épanouie. Primo Levi dut faire face aux critiques proches de la gauche, car dans son approche élégiaque du travail comme moyen d'épanouissement personnel, il avait négligé d'évoquer les aspects plus sordides de l'exploitation de la classe ouvrière, ainsi que tout élément de critique sociale[23] . Néanmoins, le livre lui valut le prix Strega en 1979, et un succès auprès des lecteurs à l'avenant. En 1984, il écrit son autre roman, Se non ora, quando? (Maintenant ou jamais), s'inspirant d'une rencontre, brièvement mentionnée dans La Trève avec un groupe de sionistes qui avaient accroché leur wagon au train des rapatriés italiens. Maintenant ou jamais relate les tribulations d'un groupe de partisans juifs évoluant derrière les lignes allemandes durant la Seconde Guerre Mondiale, cherchant à lutter contre l'occupant et survivre. Lorsque l'idée de gagner la Palestine et de participer à la construction du foyer national juif devient clairement leur objectif, l'équipée gagne la Pologne puis l'Allemagne, avant que les survivants du groupe ne soient officiellement reçus dans un territoire aux mains des Alliés en tant que personnes déplacées. Ils parviennent à rejoindre l'Italie, pénultième étape sur le chemin vers la Palestine. Le roman est récompensé par les prix Campiello et Viareggio. Primo Levi est alors au faîte de sa célébrité en Italie. La Trève est incluse dans le programme scolaire italien. Si c'est un homme est également suivi d'un carnet résultant des discussions avec les étudiants. Il se lit également à l'étranger.

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Primo Levi En 1985, il se rend en Amérique pour un cycle de conférences de 20 jours, qui l'éprouve fortement. En revanche, l'Union des républiques socialistes soviétiques boude ses livres, où les soldats russes sont présentés trop humains par rapport au canon héroïque des Soviets. En Israël, où la société israélienne ne prend pleinement conscience de l'ampleur de la Shoah qu'avec le procès d'Eichmann à Jérusalem et est longtemps ambivalente face à ces Juifs dont on dit qu'ils se sont laissés mener à l'abattoir sans résistance, ses livres ne seront traduits qu'après sa mort. En 1985 paraît un recueil d'articles précédemment publiés dans La Stampa, sous le titre L’altrui mestiere (inclus en français dans L'asymétrie et la vie). S'y trouvent des fictions courtes, des réflexions sur des curieux phénomènes naturels, ou des revues de livre. Parmi ces dernières, figure son analyse de l'autobiographie de Rudolf Höß[24] , insérée en introduction à la publication de l'édition italienne. Il y dénonce la tentative faite par Höß pour se reconstruire un passé d'exécutant servile, entré au NSDAP par enthousiasme, arrivé à Auschwitz par ignorance et tentant d'obéir aux ordres avec « conscience ». En 1986, il publie I sommersi e i salvati (Les naufragés et les rescapés). Écrit « quarante ans après Auschwitz, » le livre revient sur son expérience concentrationnaire, d'un point de vue analytique plutôt que biographique, s'interrogeant sur la fidélité de la mémoire, tentant de comprendre la « zone grise » dans laquelle se trouvait les prisonniers des camps collaborant au régime, de la place de l'intellectuel à Auschwitz. Comme dans ses autres livres, il n'émet pas de jugement, présente les faits et pose les questions. Également en 1986, il publie un autre recueil, Racconti e saggi (également inclus dans L'asymétrie et la vie). En avril 1987, il travaille sur une autre sélection d'essais appelés Le Double Lien, qui prennent la forme d'une correspondance épistolaire avec « La Signorina[25] ». Ces essais portent sur des thèmes très personnels. Cinq ou six chapitres du manuscrit existent. Carole Angier, qui a consacré une biographie à Primo Levi, écrit en avoir lu quelques-uns, mais la majorité, distribuée par Levi à des amis proches, n'a pas été divulguée au public, et certains pourraient même avoir été détruits.

Décès Primo Levi meurt le 11 avril 1987 suite à une chute qu'il fit dans l'escalier intérieur de son immeuble. La plupart de ses biographes (Angier, Thomson) abondent dans le sens du légiste, qui conclut que Levi s'est suicidé. Lui-même avait déclaré souffrir de dépression. Des facteurs de risque auraient pu être sa responsabilité envers sa mère et sa belle-mère, le fait de partager le même logement et son passé de déporté. Cependant, un sociologue d'Oxford, Diego Gambetta, a établi douze ans plus tard un dossier détaillé[26] remettant en cause ce qu'il considère comme un lieu-commun n'étant étayé ni par des faits ni par des preuves indirectes. Levi n'a pas laissé de lettre d'adieux, et n'a jamais fait part d'idées noires. En outre, des documents et témoignages semblent indiquer qu'il avait des projets avant sa mort. Diego Gambetta penche donc pour une mort accidentelle. La question de la mort de Primo Levi est importante. En effet, son œuvre est communément interprétée comme une puissante affirmation de la vie face à des puissances violentes et guerrières organisées. Le fait qu'il soit mort volontairement ou par accident constitue donc un commentaire final sur la validité de son propre message, lucide, positif et humaniste. L'interprétation d'Elie Wiesel, qui défend la thèse du suicide, a été acceptée jusqu'à ce jour, sans que l'on sache encore si elle est fondée sur des faits ou sur une intuition personnelle.

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Primo Levi

Thèmes de son œuvre Le caractère d'Auschwitz Primo Levi a écrit Si c'est un homme car survivre et témoigner sont pour lui inextricablement liés. Lisant de nombreux témoignages, assistant à de nombreuses réunions d'anciens déportés, se rendant dans plus de 130 écoles, il devient une figure symbolique, non seulement de la victime juive du fascisme italien, mais aussi et surtout de la lutte contre le fascisme. Selon Levi, les agents de la Shoah ont, outre leur tentative d'annihilation totale d'un peuple indépendant par une race dite "supérieure", sciemment calculé que cette tentative tomberait dans le déni ou l'oubli une fois la guerre terminée, alors qu'il s'agissait, et Primo Levi le répète à plusieurs reprises, d'un terrain expérimental pour une entreprise hautement organisée et mécanisée, qui a poussé la récupération des sous-produits jusqu'à l'utilisation des cendres produites par la crémation des corps pour construire des routes[27] . Le camp d'Auschwitz n'était pas un acte isolé mais un prototype qui aurait été appliqué à l'Europe entière si Hitler avait gagné la guerre. Il demeurerait de toute façon une caricature paroxystique mais fidèle des règles féroces du capitalisme moderne. Il lutte donc farouchement auprès du public, et de la jeunesse surtout, contre toute tentative de banalisation ou de révisionnisme des camps, décriant le négationnisme de Robert Faurisson, et rejetant toute proposition d'équivalence entre Goulag soviétique et Lager nazi après la publication de l'Archipel du Goulag et autres œuvres d'Alexandre Soljenitsyne à la fin des années 1960. Bien qu'il s'agisse effectivement de « deux types d'enfer[28] , » qu'on y soit soumis à des conditions de travail inhumaines, en inadéquation totale avec une pitance dérisoire, Levi estime que leur nature est différente, personne n'étant censé sortir du Lager, alors que ce n'était pas le cas du Goulag, et que la mortalité dans le goulag s'élevait à 30% au pire contre 90-98% dans les camps nazis[29] . De plus, le « crime » d'être Juif ne pouvait être effacé, étant considéré comme affaire de « race, » c'est-à-dire de naissance, plutôt que de religion et, « cas unique parmi toutes les atrocités de l'histoire de l'humanité, » touchait même les enfants qui furent massacrés par milliers[28] .

La judéité Primo Levi, ainsi que la plupart des intellectuels juifs de Turin, connaissait la Bible, mais n'était ni religieux ni croyant. Ce sont les lois raciales du fascisme qui lui font prendre conscience de l'importance que revêt sa judéité. C'est par l'évocation de celle-ci qu'il débute le Système périodique, retraçant un bref historique de ses folkloriques ancêtres juifs piémontais, ainsi que l'anthologie personnelle La Recherche des racines contenant l'extrait du livre de Job, celui qui remet en question les actions d'un Dieu qu'il s'est peut-être inventé, un thème qui revient également dans sa préface au Chant du peuple juif assassiné d'Ytshak Katznelson. Le Juif agnostique qu'il est ne sera tenté de faire appel à Dieu qu'une seule fois, lors d'une selektion. Puis, « réalisant la monstruosité de la chose, » il y renonce tout aussi vite, et fustige un de ses codétenus qui remercie Dieu de ne pas avoir été « choisi. »

Œuvres

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Primo Levi

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Titre

Années

Type

Traduction française

Prix

Se questo è un uomo

1947 et 1958

Mémoires

Si c'est un homme (US: Survival in Auschwitz )

La tregua

1963

Mémoires

la Trêve (US: The Reawakening )

Prix Campiello

Storie naturali (sous le pseudonyme de Damiano Malabaila)

1966

Histoires courtes

Histoires naturelles

Prix Bagutta

Vizio di forma (sous le pseudonyme de Damiano Malabaila)

1971

Histoires courtes

Vice de forme

Il sistema periodico

1975

Histoires courtes

Le Système périodique

L'osteria di Brema

1975

Poésie

Lilìt e altri racconti

1978

Histoires

Lilith

La chiave a stella

1978

Roman

La clé à molette (US: The Monkey's Wrench )

La ricerca delle radici

1981

Anthologie personnelle

La recherche des racines

Se non ora, quando?

1984

Roman

Maintenant ou jamais

Dialogo

1984

Entretiens

Dialogue (avec le physicien Tullio Regge)

L'altrui mestiere

1985

Essais

Compilé dans L'asymétrie et la vie

I sommersi e i salvati

1986

Essais

Les naufragés et les rescapés

Racconti e Saggi

1986

Contes et réflexions

Le fabricant de miroir (publié à titre [30] posthume)

L'Asimmetria e la vita

2002

Articles

L'Asymétrie et la Vie

Notes et références de l'article [1] Socialist Review, January 1997. (http:/ / pubs. socialistreviewindex. org. uk/ sr204/ writers. htm) [2] Angier, p. 50. [3] Angier, p. 44. [4] Angier, p. 62. [5] Thomson, p. 40. [6] Thomson, p. 42. [7] Thomson, p. 48. [8] . Pavese aurait été le professeur d'italien de Primo Levi. Ces allégations sont fortement récusées par Thomson (2002). [9] Thomson, p. 55. [10] The Search for Roots, p. 31. [11] Thomson, p. 93. [12] Angier, p. 174. [13] Thomson, p. 119. [14] Thomson, p. 229. [15] Thomson, p. 241. [16] Thomson, p. 246. [17] Thomson, p. 249. [18] Thomson, p. 246. [19] Angier, p. 487 [20] Thomson, p. 287. [21] Thomson, p. 366. [22] The Guardian, 21 October 2006 (http:/ / books. guardian. co. uk/ news/ articles/ 0,,1927916,00. html) [23] Thomson, p. 400. [24] Rudolf Höss, Le commandant d'Auschwitz parle

Prix Strega


Primo Levi

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[25] Angier, p. 80. [26] Primo Levi's Last Moments (http:/ / www. bostonreview. net/ BR24. 3/ gambetta. html) [27] Les Naufragés et les Rescapés, p. xxx. [28] Primo Levi, appendice à Si c'est un homme, p. 202. [29] Primo Levi ne donne pas de sources à ces estimations, voir appendice à Si c'est un homme, pp. 201-202, Juillard, 1987, ISBN 2-266-02250-4. [30] Levi avait voulu ce nom pour le recueil en français : Le fabricant de miroirs, Livre de Poche, 1989

Si c'est un homme Si c'est un homme

Auteur

Primo Levi

Genre

Récit autobiographique

Version originale Titre original

Se questo è un uomo

Éditeur original

Enaudi (1958)

Langue originale

Italien

Pays d'origine

Italie

Lieu de parution original

Turin

Date de parution originale

1947

Version française Traducteur Éditeur Date de parution

Martine Schruoffeneger Julliard 1987

Si c'est un homme (Se questo è un uomo) est un récit autobiographique de Primo Levi, écrit entre décembre 1945 et janvier 1947.

Genèse de l'œuvre Primo Levi avait été chargé en 1945, avec un autre déporté, de rédiger un rapport technique sur le fonctionnement du camp d'extermination d'Auschwitz pour les Alliés. Ce travail lui servira de base pour la rédaction de Si c'est un homme (Se questo è un uomo), ainsi que des brouillons rédigés à l'intérieur du camp. Il lui fut difficile de trouver un éditeur italien. Finalement le livre parut en 1947, publié à 2 500 exemplaires et passa inaperçu. Ce n'est qu'à la publication de son second livre La Trêve (La Tregua), en 1963, que Primo Levi fut remarqué, et que Se questo è un


Si c'est un homme uomo trouva sa place et fut traduit en de nombreuses langues. Ce n'est qu'en 1987 qu'il fut traduit en français[1] .

Le récit Si c'est un homme raconte l'expérience de son auteur dans le camp d'extermination d'Auschwitz pendant la Seconde Guerre mondiale. Primo Levi explique, à partir de son quotidien dans le camp, la lutte et l'organisation pour la survie des prisonniers. Tout au long de ce récit, il montre les horreurs de la déshumanisation des camps. Ce livre comprend de nombreuses citations et rappels de La Divine Comédie de Dante : là où Dante descend dans les neuf enfers avant de retrouver le paradis, Primo Levi s'enfonce dans l'horreur de ce camp d'extermination. Il est considéré comme un des meilleurs témoignages sur la Shoah, car contrairement à d'autres récits, Primo Lévi ne raconte pas la vie des camps de manière linéaire mais l'explique sur un ton neutre et dépassionné presque à la manière d'un sociologue. L'auteur est arrêté en décembre 1943, en Italie, alors qu'il débutait des activités de résistant, dans un groupe très peu organisé. Il est déporté à Auschwitz. Ayant échappé de justesse à la sélection qui conduisait à l'élimination pure et simple, il est assigné au camp de Monowitz (Auschwitz III). De son récit se dégagent l'humiliation, la perte de dignité humaine que les nazis ont fait subir aux Juifs. Il explique le rôle des kapos qui sont en fait bien souvent des prisonniers de droit commun, sélectionnés pour leur violence. Il explique aussi les hiérarchies à l'intérieur du camp, le « système » de promotion interne, les combines et ainsi pourquoi certains prisonniers ont pu survivre au "Lager" plusieurs années alors que la plupart y moururent en quelques mois. Son témoignage est aussi marqué par cette crainte du froid, la faim tenace, le désintérêt complet des prisonniers pour les plus faibles d'entre eux. Dans le camp, la solidarité était totalement absente. Heureusement, grâce à sa formation de chimiste et essentiellement à sa chance (selon Primo Levi), il va se trouver une place plus protégée. Malade de la scarlatine à l'évacuation du camp par les nazis, il échappe ainsi aux terribles marches de la mort, et organise avec deux autres camarades encore valides la survie de son « Block » à l'infirmerie, où il passe ses derniers jours avant la libération du camp par les soviétiques. Un appendice a été ajouté à partir de 1976 à certaines éditions de Si c'est un homme, où Primo Levi essaie de répondre aux questions récurrentes posées lors de ses conférences.

Extrait Rongé par la soif, l'auteur se saisit d'un bloc de glace qu'il espère pouvoir lécher. « [...] je n'ai pas plus tôt détaché le glaçon, qu'un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas dehors vient à moi et me l'arrache brutalement. « Warum ? », dis-je dans mon allemand hésitant. « Hier ist kein warum » [ici, il n'y a pas de pourquoi] » Cette phrase est devenue, avec Arbeit macht frei (le travail rend libre), l'un des symboles de la folie concentrationnaire nazie et du désespoir des déportés.

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Si c'est un homme

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Poème placé en exergue de Si c'est un homme Vous qui vivez en toute quiétude Bien au chaud dans vos maisons, Vous qui trouvez le soir en rentrant La table mise et des visages amis, Considérez si c'est un homme Que celui qui peine dans la boue, Qui ne connaît pas de repos, Qui se bat pour un quignon de pain, Qui meurt pour un oui ou pour un non. Considérez si c'est une femme Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux Et jusqu'à la force de se souvenir, Comme une grenouille en hiver. N'oubliez pas que cela fut, Non, ne l'oubliez pas : Gravez ces paroles dans votre cœur, Pensez-y chez vous, dans la rue, En vous couchant, en vous levant ; Répétez-les à vos enfants,[2] Ou que votre maison s'écroule, Que la maladie vous accable, Que vos enfants se détournent de vous. 1947, Primo Levi

Notes et références [1] P. Levi, Si c'est un homme, trad. de Martine Schruoffeneger, Julliard, 1987; puis rééd., en 2002, augmentée d'une interview de l'auteur par Philip Roth et deux autres textes inédits. [2] Les vers en gras reprennent presque mot pour mot le texte du Shema Israël, profession de foi juive, insistant comme lui sur l'impérative nécessité de transmettre le message aux suivants.

Articles connexes • Shoah • Œuvre littéraire inspirée par la Seconde Guerre mondiale


Elie Wiesel

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Elie Wiesel Elie (Eliezer) Wiesel, né à Sighet (Roumanie) le 30 septembre 1928, est un écrivain américain de langues française, hébraïque, yiddish et anglaise. Il est lauréat du prix Nobel de la paix et consacre une partie de son œuvre à l'étude de la Shoah dont il est rescapé.

Elie Wiesel (2010)

Biographie

Sighet - La maison natale, aujourd'hui maison commémorative d'Elie Wiesel''

Elie Wiesel a une enfance pauvre mais heureuse[1] à Sighet, dans la région de Marmatie (Roumanie) d'abord épargné par la guerre. Mais à 15 ans, comme tous les juifs de la zone hongroise de Transylvanie, il est déporté avec sa famille par les nazis à Auschwitz-Birkenau, puis Buchenwald. Il y perdra ses parents et sa sœur. Le récit de cette captivité se retrouve dans l'ouvrage La Nuit. Libéré par les Américains, il passe une dizaine d'années en France, durant lesquelles il fait des études de philosophie à la Sorbonne. Apatride, il écrit pour le quotidien israélien Yediot Aharonot, ce qui lui permet de parcourir le monde et de rencontrer d'importantes personnalités, des artistes, des philosophes, et des chefs d'États ; il se lie d'amitié avec François Mauriac (qui l'aidera à publier sa toute première œuvre, La Nuit) et Golda Meir.


Elie Wiesel

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À trente ans, il commence à décrire son expérience concentrationnaire, à témoigner pour les victimes de la Shoah. Ainsi commence une longue œuvre littéraire. Outre une quinzaine de romans, Elie Wiesel est l'auteur de trois pièces de théâtre[2] , de nombreux essais traitant de sujets d'actualité, de judaïsme (avec notamment la série des Célébrations : hassidique, biblique, talmudique, prophétique, en attendant un prochain volume « mystique »), le lien entre tous ces ouvrages se situant dans la défense de la Mémoire. Plus qu'un romancier, un dramaturge ou un essayiste, Elie Wiesel se définit avant tout comme un conteur. Devenu citoyen américain en 1963, il obtient une chaire en sciences humaines à l'université de Boston. Il a entre autres soutenu la cause des juifs d'Union soviétique.

Elie Wiesel (7e homme couché sur la 2e rangée en partant du bas) lors de la libération du camp de Buchenwald

Il se marie à l'âge de 41 ans et est père d'un enfant, Elisha. Il fonde en 1980 le conseil de l'Holocauste américain. Décoré en 1984 en France de la Légion d'honneur, ayant reçu la Médaille du Congrès américain, fait docteur honoris causa par plus de cent universités, il reçoit le Prix Nobel de la paix en 1986. Témoin lors du procès Barbie qui s'est tenu à Lyon du 11 mai au 4 juillet 1987 (extraits du Procès visionnés au Centre d'Histoire de Lyon [3]), il inaugure le Centre d'histoire de la résistance et de la déportation le 15 octobre 1992. Peu après avoir reçu le prix Nobel, il fonde avec son épouse la Fondation Elie Wiesel pour l'humanité[4] . Durant plus de deux décennies, cette Fondation lutte pour la mémoire de l'Holocauste et contre l'indifférence, l'intolérance et l'injustice, en particulier en organisant des actions de dialogue international et de sensibilisation de la jeunesse[4] . Mais en décembre 2008, la Fondation annonce que la quasi-totalité de ses fonds propres (équivalant à 15,2 millions de dollars) se sont évaporés dans l'escroquerie montée par Bernard Madoff[5] . Il a alors eu des propos particulièrement durs à l'égard de Madoff, expliquant que "Psychopathe est un mot trop gentil pour le qualifier" et justifiant même une forme de torture psychologique à son égard "Il devrait être placé à l'isolement pendant au moins cinq ans avec un écran sur lequel seraient diffusées des photos de ses victimes [...] Il faudrait inventer n'importe quoi pour le faire souffrir"[6] . Il préside, depuis sa création en 1993, l'Académie universelle des Cultures. Elie Wiesel au Congrès américain

Ses œuvres ont également reçu plusieurs prix littéraires.

Le 12 mars 2003, il écrit dans le San Francisco Chronicle[7] : « Bien que je sois opposé à la guerre, je suis favorable à une intervention quand aucune autre option n'est possible, et telle est la situation présente, en raison des louvoiements de Saddam Hussein et de sa constante procrastination ». Elie Wiesel affirme croire Colin Powell, « un grand soldat est un homme qui n'aime pas la guerre », quand il affirme que l'armée irakienne possède des armes de destruction massives. Il a depuis regretté cette prise de position[8] .


Elie Wiesel En octobre 2006, le Premier ministre israélien Ehud Olmert lui a proposé le poste de Président de l'État d'Israël, en remplacement de Moshe Katsav. Elie Wiesel a refusé l'offre en expliquant qu'il n'est « qu'un écrivain »[9] . Toujours en 2006, il est fait Chevalier commandeur honoraire de l'Ordre de l'Empire britannique (KBE)[10] . En 2010, il publie Rashi, ébauche d'un portrait[11] (en mars) et son quinzième roman, Otage (en août)[12] . Elie Wiesel est membre d'honneur du Club de Budapest[13] .

Bibliographie Œuvres publiées en yiddish • Un di Velt Hot Geshvign (littéralement : Et le monde se taisait, témoignage en yiddish vernaculaire, traduit/condensé en français sous le titre La Nuit - 1956)

Œuvres publiées en français • La Nuit témoignage, éditions de Minuit - 1958 ; réédition en 2007 avec une nouvelle préface d'Elie Wiesel, ISBN 978-2-7073-1992-0) • L'Aube récit, éditions du Seuil - 1960 • • • • • • • • • • •

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Le Jour (roman, éditions du Seuil - 1961 La Ville de la chance (roman, éditions du Seuil - 1962, Prix Rivarol 1964 Les Portes de la forêt (roman, éditions du Seuil - 1964 Le Chant des morts (nouvelles et textes, éditions du Seuil - 1966 Les Juifs du silence (témoignage, éditions du Seuil - 1966 Le Mendiant de Jérusalem (roman, éditions du Seuil - 1968, Prix Médicis 1968 Zalmen ou la folie de Dieu (théâtre, éditions du Seuil - 1968 Entre deux soleils (essais et récits, éditions du Seuil - 1970 Célébration hassidique : portraits et légendes, éditions du Seuil, 1972, 285 p. Le Serment de Kolvillàg (roman, éditions du Seuil - 1973) Ani Maamin : Un chant perdu et retrouvé (cantate, édition bilingue Random House - 1973), repris dans Un juif aujourd'hui (Voir la Cantate Ani Maamin sur une musique de Darius Milhaud pour chœur, orchestre, 4 comédiens : le récitant, Abraham, Isaac et Jacob. ed. Eschig) Célébration biblique, portraits et légendes, éditions du Seuil, 1975 Un Juif aujourd'hui, récits, essais, dialogues, éditions du Seuil, 1977 Le procès de Shamgorod tel qu'il se déroula le 25 février 1649, théâtre, éditions du Seuil - 1979 Le Testament d'un poète juif assassiné, roman, éditions du Seuil - 1980, Prix Livre Inter 1980, Prix des Bibliothécaires 1981 Contre la mélancolie (Célébration hassidique II, éditions du Seuil - 1981 Paroles d'étranger, textes, contes, dialogues, éditions du Seuil - 1982 Le Golem, illustré par Mark Podwal (récit, éditions du Rocher - 1983, publié en français en 1998 Le cinquième fils (roman, éditions Grasset - 1983, Grand prix du roman de la Ville de Paris 1983 Signes d'exode (essais, histoires, dialogues, éditions Grasset - 1985 Job ou Dieu dans la tempête, avec Josy Eisenberg (essai, éditions Fayard-Verdier - 1986 Discours d'Oslo (éditions Grasset - 1987 Le crépuscule, au loin (roman, éditions Grasset - 1987 Silences et mémoire d'hommes (essais, histoires, dialogues, éditions du Seuil, 1989 L'oublié, roman, éditions du Seuil - 1989

• Célébration talmudique (portraits et légendes, éditions du Seuil - 1991 • Célébrations (édition reliée, éditions du Seuil - 1994

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Tous les fleuves vont à la mer (Mémoires I, éditions du Seuil - 1994 Mémoire à deux voix, avec François Mitterrand (dialogues, éditions Odile Jacob - 1995 Se taire est impossible, avec Jorge Semprún (dialogue, éditions Arte / Mille et Une Nuits - 1995 ... Et la mer n'est pas remplie (Mémoires II, éditions du Seuil - 1996 La Haggadah de Pâque, illustré par Mark Podwal (commentaires, éditions Le Livre de poche - 1997 Célébration prophétique (portraits et légendes, éditions du Seuil - 1998 Les juges (roman, éditions du Seuil - 1999 Le mal et l'exil : 10 ans après, avec Michaël de Saint-Cheron (dialogues, éditions Nouvelle Cité - 1999 Le roi Salomon et sa bague magique, illustré par Mark Podwal (récit, éditions Le Rocher-Bibliophane - 1999 D'où viens-tu ? (textes, essais, dialogues, éditions du Seuil - 2001 Le chant qui habite le chant, commentaires des Songes, énigmes et paraboles de Rabbi Nahman de Bratslav (essai, éditions Daniel Radford -Bibliophane - 2002) Le temps des déracinés (roman, éditions du Seuil - 2003 Et où vas-tu ? (textes, essais, dialogues, éditions du Seuil - 2004 Un désir fou de danser (roman, éditions du Seuil - 2006 Entretiens avec Elie Wiesel, avec Michaël de Saint-Cheron (dialogues, éditions Parole Silence - 2008 Le cas Sonderberg, roman, éditions Grasset - 2008

• Rashi, Ébauche d'un portrait,essai/biographie, éditions Grasset - 2010[11] • Otage, roman, éditions Grasset, 2010[12] Elie Wiesel a aussi participé non pas à la rédaction de livres mais à leur enrichissement en accordant à l'auteur un long entretien : • Monsieur Chouchani, L'énigme d'un maître du XXe siècle (Salomon Malka - 1994 • Le Roi David : une biographie mystique, Laurent Cohen, 2000 Enfin, certains essais sur Elie Wiesel contiennent des entretiens et/ou des textes inédits d'Elie Wiesel : • • • • •

Elie Wiesel. Qui êtes-vous ?, Brigitte-Fanny Cohen - 1987 Elie Wiesel : Variations sur le silence, Myriam B. Cohen - 1988 Présence d'Elie Wiesel, David Banon - 1991 Une parole pour l'avenir, Michaël de Saint Cheron - 1996 Elie Wiesel en hommage, Ariane Kalfa et Michaël de Saint Cheron - 1998

Œuvres publiées en anglais La bibliographie en anglais ne correspond pas toujours à celle éditée en français, notamment pour les essais. Avec exact équivalent en français : • • • • • • • • • •

Night (témoignage - 1960) Dawn (roman - 1961) The Accident (roman - 1962) The Town Beyond the Wall (roman - 1964) The Gates of the Forest (roman - 1966) The Jews of Silence (témoignage - 1966) A Beggar in Jerusalem (roman - 1970) The Oath (roman - 1973) Zalmen, or The Madness of God (théâtre - 1975) A Jew Today (essais - 1978)

• The Trial of God (théâtre - 1979) • The Testament (roman - 1980) • The Golem (récit - 1983)

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The Fifth Son (roman - 1985) The Nobel Speech (discours - 1987) Twilight (roman - 1988) The Forgotten (roman - 1992) A Passover Haggadah (1993) All Rivers Run to the Sea (Mémoires - 1995) Memoir in Two Voices (dialogues avec François Mitterrand - 1996) King Solomon and His Magic Ring (récit - 1999) And The Sea Is Never Full (Mémoires II - 1999) The Judges (roman - 2002) The Time of the Uprooted (roman - 2005) A Mad Desire to Dance (roman - 2009) Rashi (essai/biographie - 2009)[11] The Sonderberg Case (roman - 2010)

Sans équivalent en français : • Dimensions of the Holocaust (essai, avec Lucy Dawidowicz, Dorothy Rabinowitz et Robert McAfee Brown 1977) • A Journey of Faith (dialogues avec le Cardinal C. O'Connor - 1990) • Conversations with Elie Wiesel (dialogues avec H.J. Cargas - 1976 et 1992) • Hope Against Hope (entretiens de Johann Baptist Metz et d'Elie Wiesel avec Ekkehard Schuster & Reinhold Boschert-Kimming - 1999) • Conversations with Elie Wiesel (dialogues avec R. Heffner - 2001) • After the Darkness (essais - 2002) • Confronting Anti-semitism (essai, co-rédigé avec Kofi A. Annan - 2006) Avec plus ou moins d'équivalent en français : • • • • • • • • • • • • • • •

Legends of Our Time (essais - 1968) One Generation After (essais - 1971) Souls on Fire (essais - 1972) Ani Maamin, (cantate - 1973) Messengers of God: Biblical Portraits & Legends (essais - 1976) Four Hasidic Masters (essais - 1978) Images from the Bible (essais - 1980) Five Biblical Portraits (essais - 1981) Somewhere a Master (essais - 1982) Against Silence: The Voice & Vision of Elie Wiesel (essais - 1985) The Six Days of Destruction (essais - 1988) From the Kingdom of Memory (essais - 1990) Sages and Dreamers: Portraits & Legends (essais - 1991) Evil and exile with Michaël de Saint-Cheron (conversations - 2000) Wise Men and Their Tales (essais - 2003)

De plus, comme pour les œuvres publiées en français, il y a des essais sur Elie Wiesel contenant des textes de lui ou des entretiens inédits : • Telling the Tale: A Tribute to Elie Wiesel (sous la direction de Harry James Cargas - 1993) • Elie Wiesel: Conversations (Robert Franciosi, editor - 2002)

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Préfaces Elie Wiesel est également l'auteur de nombreuses préfaces, postfaces, avant-propos (liste non exhaustive) : • • • • • • • • • • • • • • •

Veilleur, où en est la nuit ? (Alexandre Donat - 1967) La mémoire oubliée (Guy Suarès - 1979) Jérusalem l'irremplaçable (Jagodnik Franklin - 1980) Les enfants du Buchenwald (Judith Hemmendinger - 1984) Un monde disparu (Roman Vishniac - 1986) Histoire du Ghetto de Venise (Ricardo Calimani - 1988) Ces enfants qui nous manquent/Izieu, 6 avril 1944 (Antoine Spire - 1990) Le sionisme trahi ou les Israéliens du dimanche (Roger Ascot - 1991) Ma vigne à moi (Miriam Akavia - 1991) Why my Father died (Annette Kahn - ed. Simon and Schuster New York 1991) L'abandon des Juifs (David S. Wyman - 1992) Le Testament de Liou-Lio-Lian (Léon Leneman - 1992) La Prison n° 5 (Mehdi Zana - 1995) Un maillon dans la chaîne (André Neher - 1995), Ed.: Septentrion, coll.: Racines & modèles, (ISBN 2859394761) Coupable d'être née adolescente à Auschwitz (Simone Lagrange - 1997)

• Holy Brother. Inspiring Stories And Enchanted Tales About Rabbi Shlomo Carlebach (Yitta Halberstam Mandelbaum - 1997) • Le Roi Salomon (Laurent Cohen - 1997) • L'Âme d'Israël (Schlomoh Brodowicz - 1998) • Le Livre et l'épée (David Weiss Halivni - 1999) • L'homme qui ne s'arrêtait jamais (Pierre Huth - 1999) • Être juif (Manès Sperber - 1999) • Migrations et Errances (Académie universelle des cultures - 2000) • Les Emeraudes de l'Étoile (Jean-Pierre Allali - 2001) • Sauvé par le dessin : Buchenwald (Walter Spitzer - 2004) • L'Alliance et l'exil (Ariane Kalfa - 2004) • Convoi N° 6 : Destination : Auschwitz 17 juillet 1942 (Antoine Mercier - 2005) • Là où il n'y a pas d'hommes, tâche d'être un homme... (Yael Vered - 2006) • The Righteous Among the Nations: Rescuers of Jews During the Holocaust (Mordecai Paldiel - 2007) • Lettres à maman, Par-delà l'enfer (Ingrid Betancourt - 2008) • Preventing Genocide (David A. Hamburg - 2008) • La Boxe ou la Vie (Noah Klieger - 2008) • A Lucky Child: A Memoir of Surviving Auschwitz As a Young Boy (Thomas Buergenthal - 2009) • (fr) Alain Vincenot, Les larmes de la rue des Rosiers, Syrtes, 2010, 281 p. (ISBN 2845451547, 9782845451544)

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Sur Elie Wiesel La liste n'est pas exhaustive : • The Vision of the Void. Theological Reflections on the Works of Elie Wiesel (Michael Berenbaum - 1979) ISBN 0-8195-6189-4 PA • Rire dans l'univers tragique d'Élie Wiesel (Joë Friedemann - 1981) • Elie Wiesel : un message à l'humanité (Robert McAfee Brown - 1983) • Elie Wiesel. Qui êtes-vous ? (Brigitte-Fanny Cohen - 1987) • Elie Wiesel : Variations sur le silence (Myriam B. Cohen - 1988) • Fou de Dieu ou dieu des fous. L'œuvre tragique d'Elie Wiesel. (Vincent Engel - 1989) • Présence d'Elie Wiesel (David Banon - 1991) • Telling the Tale: A Tribute to Elie Wiesel (sous la direction de Harry James Cargas - 1993) • La Paix pour destin (Daniel Morgaine - 1995) • Une parole pour l'avenir (Michaël de Saint-Cheron - 1996) • Au nom du père, de Dieu et d’Auschwitz ; regards littéraires sur des questions contemporaines au travers de l'œuvre d'Elie Wiesel (Vincent Engel - 1997) • Elie Wiesel en hommage (Ariane Kalfa et Michaël de Saint-Cheron - 1998) • Elie Wiesel : L'homme de la mémoire (Michaël de Saint-Cheron - 1998) • • • •

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Celebrating Elie Wiesel. Stories, Essays, Reflections. Alan Rosen - 1998) Elie Wiesel: Spokesman for Remembrance (Linda Bayer - 2001) Elie Wiesel: Conversations (Robert Franciosi, editor - 2002) Choisir le français pour exprimer l’indicible. Elie Wiesel (Olivier Rota) [14], in Mythe et mondialisation. L’exil dans les littératures francophones, Actes du colloque organisé dans le cadre du projet bilatéral franco-roumain « Mythes et stratégies de la francophonie en Europe, en Roumanie et dans les Balkans », programme Brâcuşi des 8-9 septembre 2005, Editura Universităţii Suceava, Suceava, 2006, rééd. in Sens, dec. 2007 Elie Wiesel And the Art of Storytelling (Rosemary Horowitz - 2006) Is God Man's Friend?: Theodicy And Friendship in Elie Wiesel's Novels (Carole J. Lambert - 2006) Elie Wiesel: A Holocaust Survivor Cries Out for Peace (Sarah Houghton - 2007) Elie Wiesel: Witness for Humanity (Rachel A. Koestler-Grack - 2009) Elie Wiesel : Un témoin face à l'écriture (Delphine Auffret - 2009)[15] .

Documentaires Elie Wiesel a participé à plusieurs documentaires. On citera trois films ayant pour sujet Elie Wiesel lui-même : • Elie Wiesel ou La ferveur hassidique (Marlène Bertin, Marie Grinewald - 1982) • Dire l'indicible : la quête d'Élie Wiesel (Judit Elek - 1997) • Elie Wiesel - Messager de la mémoire (Emmanuel Descombes et Guy Job - 2008)[16] .

Notes et références [1] Cf. Tous les fleuves vont à la mer [2] On connaît les deux pièces Le procès de Shamgorod et Zalmen ou la folie de Dieu, il en existe une troisième, Il était une fois, publiée dans le recueil Entre deux soleils, jouée pour la première fois en France à Avignon en 2008 : hebreu.net (http:/ / www. hebreunet. org/ wiesel/ wiesel. htm) [3] http:/ / chrd. lyon. fr/ chrd/ sections/ fr/ expositions/ proces_barbie_1 [4] Page de présentation sur le site de la Fondation (http:/ / www. eliewieselfoundation. org/ aboutus. aspx). [5] Communiqué de la Fondation (http:/ / www. eliewieselfoundation. org/ madofffraudstatement. aspx) par rapport à la fraude Madoff. [6] Bernard Madoff est un "psychopathe", selon Elie Wiesel (http:/ / www. lemonde. fr/ ameriques/ article/ 2009/ 02/ 27/ il-faudrait-faire-souffrir-madoff-selon-elie-wiesel_1161401_3222. html) [7] Traduction de l'article d'Elie Wiesel sur le site d'une université canadienne (http:/ / classiques. uqac. ca/ contemporains/ leroux_georges/ lettre_ouverte_weisel/ lettre_ouverte_weisel_texte. html#Anchor-47857)

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[8] Lire : le magazine littéraire. L'actualité de la littérature française et de la littérature étrangère (http:/ / www. lire. fr/ entretien. asp?idC=50054& idR=201& idTC=4& idG=) [9] francematin.info (http:/ / www. francematin. info/ Elie-Wiesel-prefere-rester-un-homme-libre_a8030. html?print=1) [10] (en) Britain honours Professor Elie Wiesel, 30/11/2006 (http:/ / www. fco. gov. uk/ resources/ en/ press-release/ 2006/ 11/ fco_npr_301106_beckettwiesel) [11] Rashi sur le site des Éditions Grasset (http:/ / www. grasset. fr/ Grasset/ CtlPrincipal?controlerCode=CtlCatalogue& requestCode=afficherArticle& codeArticle=9782246762218& ligneArticle=4) [12] Otage sur le site des Éditions Grasset (http:/ / www. grasset. fr/ Grasset/ CtlPrincipal?controlerCode=CtlCatalogue& requestCode=afficherArticle& codeArticle=9782246775812& ligneArticle=4) [13] (en) Elie Wiesel, membre d'honneur du Club de Budapest (http:/ / www. clubofbudapest. org/ p-amb-wiesel. php) [14] http:/ / iefr. univ-artois. fr/ spip. php?article46 [15] (fr) Elie Wiesel : Un témoin face à l'écriture (http:/ / www. editionsbdl. com/ Wiesel Elie. html) sur Éditions le Bord de l'Eau. Consulté le 11 mars 2010 [16] (fr) Documentaires : Elie Wiesel messager de la mémoire (http:/ / wiki. france5. fr/ index. php/ EMPREINTES_-_ELIE_WIESEL_-_MESSAGER_DE_LA_MEMOIRE) sur France 5. Consulté le 11 mars 2010

La Nuit (Wiesel) « Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp, qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n'oublierai cette fumée. Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet [...] Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais[1] . » La Nuit Auteur

Elie Wiesel

Genre

Autobiographie, Shoah

Version originale Titre original

Langue originale Pays d'origine Date de parution originale

‫טלעװ יד ןוא‬... ‫ןגיװשעג טאה‬ (...Un di Velt Hot Geshvign) Yiddish Argentine 1955

Version française Éditeur

Éditions de Minuit

Collection

Documents/Double

Date de parution Type de média Nombre de pages ISBN

1958/2007 Imprimé (broché) 200 978-2-7073-1992-0

Chronologie L'Aube

La Nuit est un récit d'Elie Wiesel fondé sur son expérience lorsque, jeune juif orthodoxe, il fut déporté avec sa famille dans le camp d'extermination nazi d'Auschwitz, puis dans le camp de concentration de Buchenwald[2] , dont


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il fut libéré le 11 avril 1945, à l'âge de 16 ans. Issu d'un milieu fortement religieux, sa confiance en Dieu et en l'humanité fut fortement ébranlée par l'expérience concentrationnaire, qu'il décida de ne pas évoquer pendant dix ans. Il la transcrivit au terme de cette période sous forme d'un manuscrit en yiddish, qui fut publié en 1955 sous le titre d’...Un di Velt Hot Geshvign (...Et le monde se taisait), puis traduit (ou, selon certains, adapté pour un public plus large[3] ) en français. Cinquante ans plus tard, le volume de 178 pages[4] , décrit comme « dévastateur dans sa simplicité[5] », est considéré comme un pilier de la littérature de la Shoah, aux côtés de Si c'est un homme de Primo Levi et du Journal d'Anne Frank. La Nuit est le premier volume d'une trilogie – La Nuit, L'Aube, et Le Jour – reflétant l'état d'esprit de l'auteur pendant et après la Shoah. Les titres marquent sa transition de l'obscurité à la lumière[6] , selon la tradition juive de compter le début d'un nouveau jour à partir du crépuscule, en suivant Gen 1:5 : « Il y eut un soir et il y eut un matin : jour un. » « Dans La Nuit », dit Elie Wiesel, « je souhaitais montrer la fin, la finalité de l'événement. Tout tendait vers une fin – l'homme, l'histoire, la littérature, la religion, Dieu. Il ne restait rien. Pourtant, nous recommençons avec la nuit[7] ».

Sujet du livre Elie Wiesel est né le 30 septembre 1928 à Sighet, une ville dans les Carpates de la Transylvanie du Nord, qui fut annexée à la Hongrie en 1940 et abritait une communauté juive majoritairement orthodoxe d'environ 10000 - 20000 membres depuis 1640[8] . Fils de Shlomo[9] et Sarah Wiesel, il avait deux sœurs plus âgées, Hilda et Bea, et une sœur cadette, Tzipora (Judith sur son acte de naissance[10] ), âgée de 7 ans. Lorsque l'Allemagne envahit la Hongrie à minuit le 18 mars 1944, peu de gens se crurent en danger ; La Nuit s'ouvre avec Moshé-le-Bedeau, survivant d'une opération de tuerie mobile, pressant en vain ses voisins de se sauver. Alors que les Alliés se préparaient à libérer l'Europe en mai et juin de cette année, la famille Wiesel, ainsi que les 15 000 Juifs de Sighet et 18 000 autres Juifs des villages alentours, étaient déportés par les Allemands à Auschwitz[11] . Sa mère et sa soeur Tzipora furent immédiatement envoyées dans les chambres à gaz. Hilda et Béa survécurent, séparées du reste de la famille. Elie et Shlomo Wiesel parvinrent à demeurer ensemble, survivant aux coups, aux privations, aux sélections et à la longue marche dans la neige jusqu'à Buchenwald, où Elie Wiesel vit son père Shlomo agoniser puis mourir, quelques semaines avant que les Alliés ne libèrent le camp. Sighet sur la carte d'Europe

Elie Wiesel reviendra également sur ces événements, ainsi que sur le processus d'écriture de La Nuit lui-même, dans le premier tome de ses mémoires[12] .


La Nuit (Wiesel)

L'histoire d'Elie Wiesel, telle qu'il la raconte dans La Nuit On l'appelait Moshé-le-Bedeau « Juifs, écoutez-moi ! C'est tout ce que je vous demande. Pas d'argent, pas de pitié. Mais que vous m'écoutiez ![13] . » Le narrateur de La Nuit est Eliezer, un jeune juif orthodoxe, studieux et profondément pieux, qui étudie le Talmud chaque jour, et court la nuit à la synagogue pour « pleurer la destruction du Temple[14] . » Il y retrouve aussi Moshé-le-Bedeau, responsable (chamach en hébreu) de l'entretien de la synagogue hassidique locale fréquentée par les Wiesel, et le plus pauvre Sighet La maison natale, aujourd'hui maison commêmoratif d'Elie habitant de la ville ; possédant la « gaucherie du [15] Wiesel clown », mais très apprécié – qui lui enseigne la Kabbale et les mystères de l'univers. Moshé considère que « l'homme s'élève vers Dieu par les questions qu'il Lui pose » et que « toute question possède un pouvoir qui ne repose pas dans la réponse[14] ». La Nuit revient fréquemment sur ce thème d'une foi spirituelle nourrie, non par les réponses mais les questions. Lorsque le gouvernement hongrois décrète l'expulsion des Juifs incapables de prouver leur citoyenneté, Moshé-le-Bedeau et d'autres Juifs étrangers sont entassés dans un train de bestiaux et déportés en Galicie, dit-on. On pleure un peu, on oublie et l'on apprend qu'ils travaillent et sont satisfaits de leur sort[16] . Cependant, un Moshé hagard reparaît quelque temps plus tard à Sighet. « Il ne chantait plus. Il ne me parlait plus de Dieu ou de la Kabbale, mais seulement de ce qu'il avait vu[13] . » Courant d'un foyer juif à l'autre « pour vous raconter ma mort[17] », il leur apprend le destin du train des déportés : pris en charge par la Gestapo, la police secrète allemande, après avoir traversé la frontière polonaise, les Juifs furent menés en camions dans la forêt de Galicie, près de Kolomaye, où on leur fit creuser de larges fosses. Sitôt fini, les hommes de la Gestapo les abattirent sans passion ni hâte. Chaque prisonnier devait s'approcher du trou et présenter sa nuque. Des bébés étaient jetés en l'air et servaient de cibles aux mitraillettes. Moshé leur parlait de Malka, la jeune fille qui avait agonisé trois jours durant, et Tobias, le tailleur, qui avait supplié d'être tué avant ses fils. Lui-même, Moshé avait par miracle été blessé à la jambe et laissé pour mort[18] . Mais les Juifs de Sighet « refusaient non seulement de croire à ses histoires, mais encore de les écouter. Il essaye de nous apitoyer sur son sort. Quelle imagination... » Ou bien : « Le pauvre, il est devenu fou. » Et lui, il pleurait[13] . »

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La vie redevient cependant « normale[17] » jusqu'au printemps 1944 ; la prise du pouvoir par le parti Nyilas, l'arrivée des Allemands à Sighet, que l'on trouve civilisés, cela ne suffit pas à inquiéter les Juifs de Sighet. « Les Allemands étaient déjà dans la ville, les fascistes étaient déjà au pouvoir, le verdict était déjà prononcé et les Juifs de Sighet souriaient encore[20] . » Au septième jour de la Pâque, les Allemands arrêtent les chefs de la communauté juive, les assignent à domicile, confisquent leurs biens et leur imposent le port de l'étoile jaune. Consulté sur la situation par des notables de la communauté, Shlomo Wiesel, qui a des relations dans la police hongroise, tente de dédramatiser la situation : « L'étoile jaune ? Eh bien, quoi ? On n'en meurt pas... » (Pauvre père ! De quoi es-tu donc mort ?)[21] » Les mesures répressives se succèdent : restrictions de l'accès aux restaurants ou à la synagogue, couvre-feu à partir de six heures du soir. Il est ensuite décidé de transférer tous les Juifs de Sighet dans deux ghettos, dirigés conjointement comme une petite ville, possédant chacun son propre conseil, ou Judenrat.

Un ghetto vidé de ses Juifs « Le dernier convoi quitta la gare un dimanche matin. [...] Trois semaines à peine avant l'invasion de la Normandie par les Alliés. Pourquoi nous sommes-nous laissés prendre ? Nous aurions pu fuir, nous cacher dans les montagnes ou dans les villages. Le ghetto n'était pas très bien gardé : une évasion en masse aurait eu toutes les chances de réussir.Mais nous ne savions [19] pas .»

« Les barbelés qui, comme une muraille, nous encerclaient ne nous inspiraient pas de réelle crainte. Nous nous sentions même assez bien : nous étions tout à fait entre nous. Une petite république juive [...] Les autorités établirent un Conseil juif, une police juive, un bureau d'aide sociale, un comité du travail, un département d'hygiène – tout un appareil gouvernemental. Chacun en était émerveillé. Nous n'allions plus avoir devant nos yeux ces visages hostiles, ces regards chargés de haine. C'en était fini de la crainte, des angoisses. Nous vivions entre Juifs, entre frères... Ce n'était ni l'Allemand ni le Juif qui régnait dans le ghetto : c'était l'illusion[22] . » En mai 1944, le Judenrat est informé que le ghetto sera fermé sans préavis, et ses résidents déportés. On ne leur dit rien de leur destination ; seulement qu'ils peuvent chacun prendre quelques effets personnels[23] . Le lendemain matin, à 8 heures, Eliezer, dont la famille ne doit partir qu'avec le dernier convoi, voit ses amis et voisins entassés dans la rue, encadrés par des gendarmes hongrois qui les frappent sans distinction ni raison. « C'est en cet instant que j'ai commencé à les haïr, et ma haine est la seule chose qui nous lie encore aujourd'hui[24] . » Lentement, la procession quitte le ghetto. « Et j'étais là, sur le trottoir, à les regarder passer, incapable de faire un mouvement. Voilà le grand rabbin, le dos voûté, le visage rasé, le balluchon sur le dos. Sa seule présence parmi les expulsés suffisait à rendre cette scène irréelle. Il me semblait voir une page arrachée à quelque livre de contes, à quelque


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roman historique sur la captivité de Babylone, sur l'Inquisition en Espagne. Ils passaient devant moi, les uns après les autres, les maîtres d'étude, les amis, les autres, tous ceux dont j'avais eu peur, tous ceux dont j'avais pu rire un jour, tous ceux avec lesquels j'avais vécu durant des années. Ils s'en allaient déchus, traînant leur sac, traînant leur vie, abandonnant leurs foyers et leurs années d'enfance, courbés comme des chiens battus[25] . »

Te souviens-tu de Madame Schächter dans le train ? « Juifs, écoutez-moi : je vois un feu ! Quelles flammes ! Quel brasier[26] ! » Eliezer et sa famille ne sont pas déportés tout de suite. Ils arrivent d'abord dans le petit ghetto de Sighet, qui n'est pas gardé, et dont chacun peut entrer et sortir librement. Leur ancienne bonne Maria vient les y trouver pour proposer de les cacher dans son village. Ils refusent, ne voulant pas se séparer[27] . Leur départ est prévu pour le samedi. Le Conseil juif a obtenu l'autorisation d'organiser le départ, afin que les Juifs ne soient pas soumis aux coups des gendarmes hongrois. « Sur le quai déambulaient deux officiers de la Gestapo, tout souriants ; somme toute, cela s'était bien passé[28] . » Entassés dans des wagons à bestiaux, où règne une promiscuité intolérable et une terreur permanente, leur voyage est rendu encore plus pénible par les cris de madame Schächter, une quinquagénaire autrefois paisible, dont le mari et les deux fils aînés ont été déportés deux jours plus tôt, par erreur. Cette femme qui n'a pas cessé de gémir depuis le départ, réveille soudain les occupants du train lors de la troisième nuit de voyage. « Un feu ! Je vois un feu ! Je vois un feu[26] ! » On tente de la tranquilliser, de la battre, de la faire taire, elle n'en continue pas moins de pousser ces cris par intervalles toute la nuit, et le lendemain. Le train arrive en gare d'un lieu nommé Auschwitz. Deux hommes du train, envoyés pour chercher de l'eau reviennent avec des nouvelles rassurantes : les familles ne seront pas disloquées, seuls les jeunes iront travailler dans la fabrique, les vieillards et les malades seront occupés aux champs. Cependant, la nuit, madame Schächter se remet à crier : « Juifs, regardez ! Regardez le feu ! Les flammes, regardez ! Et comme le train s'était arrêté, nous vîmes cette fois des flammes sortir d'une haute cheminée, dans le ciel noir[29] . » Soudain, les portes s'ouvrent et de « curieux personnages vêtus de vestes rayés[29] » les font sortir à coups de bâton. « Les objets chers que nous avions traînés jusqu'ici restèrent dans le wagon et avec eux, enfin, nos illusions[30] . »

L'entrée d'Auschwitz-Birkenau

Yitgadal veyitkadach chmé raba... (Kaddich) « Quelqu'un se mit à réciter le Kaddich, la prière des morts. Je ne sais pas s'il est déjà arrivé, dans la longue histoire du peuple juif, que les hommes récitent la prière des morts sur eux-mêmes[...] Yitgadal veyitkadach chmé raba... Que Son nom soit béni et sanctifié [...] Pour la première fois, je sentis la révolte grandir en moi. Pourquoi devais-je sanctifier Son Nom ? L'Éternel [...] se taisait, de quoi allais-je Le remercier[31] ? »


La Nuit (Wiesel) Eliezer est arrivé avec ses parents et ses sœurs en Pologne au camp d'Auschwitz-Birkenau, également connu sous le nom d'Auschwitz II, le camp de la mort (Todeslager), l'un des trois principaux camps et des 40 sous-camps du Konzentrationslager Auschwitz, érigé par les Allemands sur les ruines de baraques de l'armée polonaise à l'abandon[32] . Hommes et femmes sont séparés à l'arrivée ; Eliezer et son père à gauche ; sa mère, Hilda, Béatrice, et Tzipora à droite. Il apprit après la libération que sa mère et Tzipora avaient été, ainsi qu'il s'en était douté[33] , envoyées directement dans la chambre à gaz. « Hommes à gauche ! Femmes à droites ! Quatre mots dits tranquillement, indifféremment, sans émotion. [...] Pendant une fraction de seconde, j'aperçus ma mère et mes sœurs s'éloigner à droite. Tzipora tenait la main de Mère. Je les vis disparaître au loin ; ma mère serrait la chevelure blonde de ma sœur... et je ne savais pas qu'en cet endroit, à ce moment, je me séparais de ma mère et de Tzipora pour toujours[30] . » Lui et son père sont également envoyés à la Selektion. Un ancien détenu leur enjoint de mentir sur leur âge et occupation. Un autre les insulte[34] . En apercevant la « cheminée » et les flammes, une velléité de révolte se manifeste parmi quelques jeunes, rapidement éteinte par les plus vieux. Eliezer et son père se retrouvent devant le docteur Mengele – « officier SS typique, visage cruel, non dépourvu d'intelligence, monocle[35] » –, qui les envoie après un examen de quelques secondes « à gauche », c'est-à-dire vers le crématoire. Lui et son père doivent s'aligner dans une file aboutissant à une fosse où l'on met le feu. Il voit un camion passer derrière la fosse et délivrer sa charge dans le feu : « des petits enfants. Des bébés[35] ,[36] ! ». Cependant, son père récite le Kaddich, prière se disant traditionnellement pour les morts. Eliezer se révolte contre Dieu pour la première fois. Il envisage de se jeter contre la clôture électrifiée et prononce lui-même le Kaddich. Cependant, à deux pas de la fosse, on ordonne à lui et à son père d'aller dans une baraque. Mais « l'étudiant talmudiste, l'enfant que j'étais, s'était consumé dans les flammes. Il ne restait qu'une enveloppe qui me ressemblait[37] . » « Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp, qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n'oublierai cette fumée. Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n'oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi. Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre. Jamais je n'oublierai ces instants qui assassinèrent mon Des enfants juifs déportés Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert. Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais[1] . » « Je jetai un coup d'œil vers mon père. Comme il avait changé ! [...] La nuit avait complètement passé [...] Tant d'événements étaient arrivés en quelques heures que j'avais complètement perdu la notion du

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La Nuit (Wiesel) temps. Quand avions-nous quitté nos maisons ? Et le ghetto ? Et le train ? Une semaine seulement ? Une nuit – une seule nuit[37] ? » En août 1944 ou aux alentours de cette date, Eliezer, qu'on ne connaît plus que par son numéro, A-7713, et Shlomo sont transférés depuis Auschwitz II-Birkenau vers Monowitz-Buna. Sur le trajet, il s'aperçoit que la vie continue, que leurs gardiens taquinent les jeunes Allemandes, qui rient, heureuses. « Pendant ce temps, au moins nous n'avions à subir ni cris ni coups de crosse[38] ». Dans le camp de travail, leur vie se réduit à éviter autant que possible les coups, à maintenir leurs maigres privilèges (des souliers neufs, une couronne dentaire, une cuillère, etc.) et à chercher de la nourriture en permanence. « Le pain, la soupe – c'était toute ma vie. J'étais un corps. Peut-être moins encore : un estomac affamé[39] . » Elie Wiesel attribue essentiellement sa survie[40] aux efforts de son père et lui pour ne pas être séparés, pour ne pas même se perdre de vue ; cependant, à sa honte et douleur, son père décline ; à mesure que leur relation change et que le jeune homme devient le soutien du père, sa colère et sa culpabilité, parce qu'il craint que l'existence de son père menace la sienne propre. Lorsqu'Idek, le Kapo s'en prend brusquement à Shlomo, c'est à ce dernier et non au Kapo qu'il en veut, pour n'avoir pas su éviter la crise d'Idek[41] . Plus l'instinct de survie physique d'Eliezer grandit, plus les liens qui le relient aux autres s'amenuisent, et à sa perte de foi dans les relations humaines correspond sa perte de foi en Dieu, non dans Son existence mais dans Sa Présence au côté de Ses enfants. Du reste, il n'est pas le seul : Akiba Drumer, juif dévot et kabbaliste, ainsi qu'un rabbin polonais font part du même désespoir[42] . L'espoir n'est cependant pas mort, lorsque le camp et les usines de la Buna sont bombardés — « On ne craignait plus la mort, en tout cas, pas cette mort-là. Chaque bombe qui éclatait nous remplissait de joie, nous redonnait confiance en la vie[43] . » Eliezer n'a pas non plus totalement oublié Dieu. Lors d'un appel, les prisonniers du camp sont obligés d'assister à une pendaison, spectacle habituel, ordinaire, n'éveillant en eux aucune sensibilité particulière[44] . Seulement, parmi les condamnés se trouve cette fois un petit pipel de 12 ans[45] qui, ne pesant pas assez lourd pour que le poids de son corps brise sa nuque, agonise lentement, « luttant entre la vie et la mort ». Eliezer, passant devant lui comme le veut le cérémonial, voit sa langue toujours rose, ses yeux toujours clairs et pleure. « Derrière moi, j'entendis le même homme demander : — Où donc est Dieu ? Et je sentais en moi une voix qui lui répondait : — Où Il est ? Le voici – Il est pendu ici, à cette potence[] . » Lorsque vient la veille de Rosh Hashana, des milliers de Juifs se rassemblent pour prier mais Eliezer ne parvient pas à y prendre part. « Béni soit le nom de l'Éternel ? Pourquoi, mais pourquoi Le bénirais-je ? Toutes mes fibres se révoltaient. Parce qu'Il avait fait brûler des milliers d'enfants dans ses fosses ? Parce qu'Il faisait fonctionner six crématoires jour et nuit, les jours de Sabbat et les jours de fête ? Parce que dans Sa grande puissance, Il avait créé Auschwitz, Birkenau, Buna, et tant d'usines de la mort ? Comment Lui dirais-je : Béni sois-Tu, l'Éternel, Maître de l'Univers, qui nous a élus parmi les peuples pour être torturés jour et nuit, pour voir nos pères, nos mères, nos frères finir au crématoire ? [...] Autrefois, le jour du Nouvel An dominait ma vie. Je savais que mes péchés attristaient l'Éternel, j'implorais Son pardon. Autrefois, je croyais profondément que d'un seul de mes gestes, d'une seule de mes prières dépendait le salut du monde. Aujourd'hui, je n'implorais plus. Je n'étais plus capable de gémir. Je me sentais, au contraire, très fort. J'étais l'accusateur. Et l'accusé : Dieu. Mes yeux s'étaient ouverts et j'étais seul, terriblement seul dans le monde sans Dieu, sans hommes[46] ,[5] .

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La Nuit (Wiesel) L'office s'acheva par le Kaddich. Chacun disait Kaddich sur ses parents, sur ses enfants, sur ses frères et sur soi-même[46] . »

La marche de la mort « J'aperçus un vieillard qui [...] venait de se dégager de la mêlée. [...] Il avait sous sa veste un bout de pain. [...] Une ombre venait de s'allonger près de lui. Et cette ombre se jeta sur lui. [...] Méir, mon petit Méir, tu ne me reconnais pas ? Je suis ton père [...] Le vieillard [...] mourut, dans l'indifférence générale. Son fils le fouilla, prit le morceau et commença à le dévorer. [...] Deux hommes l'avaient vu et se précipitèrent sur lui. [...] Lorsqu'ils se retirèrent, il y avait près de moi deux morts côte à côte, le père et le fils. J'avais seize ans[47] . » En janvier 1945, après avoir échappé à une Selektion qui emporta Akiba Drumer et faillit en faire de même avec son père, Eliezer se trouvait à l'infirmerie pour un abcès au pied droit[48] . Le lendemain de son opération, le bruit courut que l'Armée rouge fonçait vers la Buna. Un voisin de lit tempéra cependant la joie des occupants de l'infirmerie, leur rappelant qu'Hitler avait juré d'anéantir tous les Juifs avant le douzième coup de l'horloge, et qu'il était « le seul à avoir tenu ses promesses, toutes ses promesses, au peuple juif[49] . » L'après-midi de ce même jour, il fut confirmé que les Allemands avaient décidé, devant l'approche incessante de l'armée soviétique, d'évacuer le camp et ses 60000 prisonniers, Juifs pour la plupart, dans des camps en Allemagne, au cours de ce qui serait connu comme les marches de la mort. Eliezer, convaincu que les malades qui demeureraient à l'infirmerie seraient abattus, marcha avec Shlomo, malgré son genou ensanglanté, jusqu'à Gleiwitz, où ils furent fourgués dans un wagon de marchandises à destination de Buchenwald, près de Weimar. Les malades qui étaient restés à l'hôpital[50] furent libérés par les Russes neuf jours après l'évacuation. « Un vent glacé soufflait avec violence. Mais nous marchions sans broncher. [...] Nuit noire. De temps à autre, une détonation éclatait dans la nuit. Ils avaient l'ordre de tirer sur ceux qui ne pouvaient soutenir le rythme de la course. Le doigt sur la détente, ils ne s'en privaient pas. L'un de nous s'arrêtait-il une seconde, un coup de feu sec supprimait un chien pouilleux. [...] Près de moi, des hommes s'écroulaient dans la neige sale. Coups de feu[51] . » Au cours d'une halte après avoir marché 80 kilomètres, Rab Eliahou, un « homme très bon, que tout le monde chérissait au camp, [...] le seul rabbin qu'on n'omettait jamais d'appeler rabi à la Buna[52] », demande si personne n'aurait vu son fils, qu'il a perdu dans la cohue sur la route. Ils étaient demeurés ensemble pendant trois ans, « toujours près l'un de l'autre, dans la souffrance, dans les coups, pour la ration de pain, pour la prière[52] », mais le rabbin l'avait perdu de vue lorsqu'il était resté en arrière dans la colonne, à bout de force. « Je n'avais plus la force de courir. Et mon fils ne s'en était pas aperçu. Je ne sais rien de plus[52] . » Ne trouvant pas son fils parmi les agonisants, ni dans la neige, il s'adressait à chacun. Eliezer se souvient, après que Rab Eliahou fut parti, qu'il avait couru aux côtés de son fils, et que celui-ci avait vu le rabbin rétrograder et avait pressé le pas, creusant l'écart entre eux. « Une pensée terrible surgit à mon esprit : il avait voulu se débarrasser de son père ! ... [Il] avait cherché cette séparation pour se décharger de ce poids, pour se libérer d'un fardeau qui pourrait diminuer ses propres chances de survie [...] Et, malgré moi, une prière s'est éveillée en mon cœur, vers ce Dieu auquel je ne croyais plus. — Mon Dieu, Maître de l'Univers, donne moi la force de ne jamais faire ce que le fils de Rab Eliahou a fait[53] . » Les prisonniers, encouragés par les SS, marchent jusqu'à Gleiwitz, où ils passent trois jours dans des baraques exiguës sans nourriture, boisson ou chaleur, dormant littéralement les uns sur les autres, de sorte qu'au matin, les vivants se réveillent sur des amas de cadavres. Un violoniste juif polonais fait ses adieux au monde en jouant un fragment d'un concert de Beethoven, musique interdite aux Juifs. Ensuite, il y a une autre marche jusqu'à la gare, une selektion au cours de laquelle Shlomo est envoyé du mauvais côté. Cependant, Eliezer, ne voulant pas se séparer de son père, est poursuivi par les SS, « créant un tel tohu-bohu

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La Nuit (Wiesel) que bien des gens de gauche purent revenir vers la droite – et parmi eux, mon père et moi. Il y eut cependant quelques coups de feu, et quelques morts[54] . » Les prisonniers sont entassés dans un wagon à bestiaux sans toit et sans espace pour s'asseoir ou se coucher, jusqu'à ce que les SS ordonnent de jeter les morts en contrebas. « Je ne m'éveillai de mon apathie qu'au moment où des hommes s'approchèrent de mon père. Je me jetai sur son corps. Il était froid. Je le giflai. Je frottai les mains, en criant : — Père ! Père ! Réveille-toi. On va te jeter du wagon... Son corps demeurait inerte [...] Je me remis de plus belle à le frapper. Au bout d'un moment, mon père entrouvrit ses paupières sur des yeux vitreux. Il respira faiblement. — Vous voyez, m'écriai-je. Les deux hommes s'éloignèrent[55] . » Le voyage dure dix jours et dix nuits, ponctué de longues haltes, pendant lesquels la neige tient lieu de pain. Lorsqu'ils traversent des localités allemandes, des ouvriers s'amusent en jetant quelques bouts de pain pour observer les luttes sans pitié qui s'ensuivent. Lors d'une de ces mêlées, Eliezer voit un fils tuer son père pour un bout de pain, avant d'être tué à son tour. Lui-même manque d'être étranglé la troisième nuit, et ne doit sa survie qu'à un ami de son père encore assez vigoureux. Cependant, celui-là même s'effondre en pensant à son fils, qui lui avait été enlevé lors de la première selektion, et meurt le dernier jour du voyage. De la centaine d'occupants du wagon, seuls 12 arrivèrent vivants à Buchenwald, dont Eliezer et Shlomo.

Buchenwald « Je ne bougeai pas. Je craignais, mon corps craignait de recevoir à son tour un coup. Mon père eut encore un râle et ce fut mon nom : "Eliezer"[56] » Les officiers SS attendaient les nouveaux arrivants à la porte du camp avec des porte-voix, et firent l'appel. Un ancien de Buchenwald explique qu'ils prendraient une douche chaude. Cependant, il n'était pas si facile d'arriver à cette douche et Shlomo, épuisé, se laissa tomber dans la neige, incapable de bouger. « J'aurais pleuré de rage. Avoir tant vécu, tant souffert ; allais-je laisser mon père mourir maintenant ? Maintenant qu'on allait pouvoir prendre un bon bain chaud et s'étendre ? [...] Il était devenu pareil à un enfant : faible, craintif, vulnérable [...] Je lui montrai les cadavres autour de lui : eux aussi avaient voulu se reposer ici [...] Je hurlai dans le vent [...] Je sentis que ce n'était pas avec lui que je discutais mais avec la mort elle-même, avec la mort qu'il avait déjà choisie[57] . » Une alerte sonne, les lumières s'éteignent dans tout le camp, et Eliezer, épuisé, suit le mouvement vers les blocks, et Eliezer s'endort. Lorsqu'il se réveille, il fait déjà jour ; il se rappelle qu'il a un père, qu'il l'a abandonné pendant l'alerte à bout de forces et part à sa recherche. « Mais au même moment s'éveilla en moi cette pensée : « Pourvu que je ne le trouve pas ! Si je pouvais être débarrassé de ce poids mort, de façon à pouvoir lutter de toutes mes forces pour ma propre survie, à ne plus m'occuper que de moi-même. » Aussitôt, j'eus honte, honte pour la vie, de moi-même[58] . » Eliezer retrouve son père qui se trouve dans un autre block, fiévreux et malade, rongé par la dysenterie. Son état est tel que les distributeurs de soupe ne jugent pas nécessaire d'en gâcher pour lui. « Je lui donnai ce qui me restait de soupe. Mais [...] je sentais que je lui cédais contre mon gré. Pas plus que le fils de Rab Eliahou, je n'avais résisté à l'épreuve[59] . » Shlomo s'affaiblit de jour en jour, et veut faire ses dernières recommandations à son fils. « Le médecin ne veut faire », correction, « ne peut rien faire pour lui[60] ». D'autres occupants du lit, un Français et un Polonais, battent Shlomo parce qu'il ne peut plus se traîner dehors pour déféquer. Eliezer est incapable de le protéger. « Une plaie de plus au cœur, une haine supplémentaire. Une raison de vivre de moins[61] . » Trois jours plus tard, Shlomo, qui n'a pas bougé de son lit est battu par un officier de la SS pour l'avoir troublé en demandant de l'eau, parce qu'il a fait trop de bruit.

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Eliezer, couché sur le lit supérieur, n'ose pas intervenir. Au matin, le 29 janvier 1945, Eliezer trouve un autre invalide étendu à la place de son père. On avait dû enlever Shlomo avant l'aube pour le porter au crématoire, alors qu'il était peut-être encore vivant. « Il n'y eut pas de prière sur sa tombe. Pas de bougie allumée pour sa mémoire. Son dernier mot avait été mon nom. Un appel, et je n'avais pas répondu. Je ne pleurais pas, et cela me faisait mal de ne pas pouvoir pleurer. Mais je n'avais plus de larmes. Et, au fond de moi-même, si j'avais fouillé les profondeurs de ma conscience débile, j'aurais peut-être trouvé quelque chose comme : enfin libre ![56] ... »

La libération Le père d'Eliezer ne manqua sa liberté que de quelques semaines. Les Soviétiques avaient libéré Auschwitz 11 jours avant sa mort et les Américains étaient en route vers Buchenwald. Après la mort de Shlomo, Eliezer fut transféré dans le bloc des enfants, où il se retrouva avec 600 autres occupants, dans une oisiveté totale, la tête vide, rêvant parfois d'un supplément de soupe. Le 5 avril 1945, les prisonniers furent tous appelés pour apprendre que le camp serait liquidé sous peu et évacué – une autre marche de la mort – avant que les Allemands ne fassent exploser le camp dans une tentative de dissimuler ce qui s'y est passé.

Elie Wiesel à Buchenwald, seconde rangée, septième à partir de la gauche, 16 avril 1945

Le 11 avril, alors qu'il ne restait que 20000 prisonniers dans le camp et que les SS les rabattaient vers la place de l'appel, un mouvement juif de résistance s'improvisa et prit le contrôle du camp. À 18 heures de ce même jour, les premiers tanks américains arrivaient, suivis de la Sixième division lourde de la Troisième Armée des États-Unis. Eliezer était libre. « Notre premier geste d'hommes libres fut de nous jeter sur le ravitaillement. On ne pensait qu'à cela. Ni à la vengeance, ni aux parents. Rien qu'au pain. Et même lorsqu'on n'eut plus faim, il n'y eut personne pour penser à la vengeance. Le lendemain, quelques jeunes gens coururent à Weimar ramasser des pommes de terre et des habits — et coucher avec des filles. Mais de vengeance, pas trace. [...] Je voulais me voir dans le miroir [...] Je ne m'étais plus vu depuis le ghetto. Du fond du miroir, un cadavre me regarda. Le regard dans ses yeux, comme ils regardaient dans les miens, ne me quitte plus.[62] »


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Écriture et publication de La Nuit De Buchenwald, Elie Wiesel comptait se rendre en Palestine mandataire, mais les restrictions britanniques sur l'immigration, le Livre blanc, l'en empêchèrent. Refusant de retourner à Sighet, il fut envoyé à l'Œuvre de secours aux enfants avec 400 autres orphelins, d'abord en Belgique, puis en Normandie, où il apprit que ses sœurs aînées, Hilda et Béatrice, avaient survécu[11] . À partir de 1947-50, il étudia le Talmud avec monsieur Chouchani[63] , avant de se former à la philosophie et la littérature à la Sorbonne, suivant les conférences de Jean-Paul Sartre et Martin Buber. Afin de subvenir à ses besoins, il enseigna l'hébreu et travailla comme traducteur pour l'hebdomadaire yiddish militant Zion in Kamf (la Lutte de Sion), qui lui facilita l'accès à une carrière de journaliste[11] . En 1948, âgé de 19 ans, il fut envoyé en Israël comme correspondant de guerre par le journal français L'Arche, et après la Sorbonne, il devint le correspondant étranger du journal Yediot Aharonot basé à Tel Aviv. Il ne parla de son expérience avec personne pendant dix ans : « Si pénible était ma peine que je fis un vœu : ne pas parler, ne pas toucher à l'essentiel pour au moins dix ans. Assez longtemps pour voir clair. Assez longtemps pour apprendre à écouter les voix qui pleuraient en moi. Assez longtemps pour regagner la possession de ma mémoire. Assez longtemps pour unir le langage des hommes avec le silence des morts[64] ». C'est en 1954, à bord d'un bateau faisant route vers le Brésil, où il devait effectuer un reportage sur l'activité missionnaire chrétienne dans des communautés juives pauvres, qu'il écrivit son récit en yiddish sur son expérience concentrationnaire. Il l'avait commencé en hébreu quelques mois plus tôt. « Fiévreux et comme hors d'haleine, j'écris vite, sans me relire. J'écris pour témoigner, pour empêcher les morts de mourir, j'écris pour justifier ma survie […] Mon vœu de silence arrivera bientôt à terme ; l'an prochain, ce sera le dixième anniversaire de ma libération […] Des pages et des pages s'entassent sur mon lit. Je dormais peu, je ne participe pas aux activités du bateau ; je ne fais que taper, taper sur ma petite machine à écrire portative[65] … » Le manuscrit, de 862 pages, s'intitulait ...Un di Velt Hot Geshvign (Et le monde se taisait)[66] . Lors d'une escale, une amie lui présenta Mark Turkov, un éditeur de textes en yiddish, qui emporta son manuscrit[67] . Il fut publié sous forme d'un volume de 245 pages à Buenos Aires, 117e livre de la collection Dos poylishe yidntum (« la judéité polonaise »), une série de mémoires rédigés en yiddish sur l'Europe et la guerre. Ruth Wisse écrivit dans The Modern Jewish Canon qu'il se démarquait des autres livres de la collection, qui étaient des hommages aux victimes, comme un « récit hautement sélectif et isolé », influencé par les lectures existentialistes d'Elie Wiesel[5] . Il ne revit plus le manuscrit, mais en reçut un exemplaire en décembre de la même année[68] . Le livre ne suscita cependant aucun intérêt littéraire, et Elie Wiesel continua sa carrière journalistique. En mai 1955, il souhaita, afin de pouvoir approcher du premier ministre français, Pierre Mendès France, réaliser une interview du romancier et lauréat du prix Nobel François Mauriac, qui était un ami proche du premier ministre. « Le problème était que Mauriac aimait Jésus. C'était la personne la plus correcte que j'aie jamais rencontrée en ce domaine – en tant qu'écrivain, écrivain catholique. Honnête, intègre, et amoureux de Jésus. il ne parlait que de Jésus. Quoique je demande – Jésus. Finalement, je lui dis, "Et Mendès-France ?" Il dit que Mendès-France, comme Jésus, souffrait… Avec ce Jésus, c'en fut trop, et pour la seule fois dans ma vie, je fus discourtois, ce que je regrette encore aujourd'hui. Je lui dis, « M. Mauriac », on l'appelait maître, « il y a de cela dix ans à peu près, j'ai vu des enfants, des centaines d'enfants Juifs, qui ont souffert plus que Jésus sur sa croix, et nous n'en parlons pas ». Je me sentis soudain gêné. Je fermai mon bloc-notes et me dirigeai vers l'ascenseur. Il me rattrapa. Il me retint ; il s'assit dans sa chaise, moi dans la mienne, et il se mit à gémir. J'avais rarement vu un vieil homme pleurer de la sorte, et je me sentais si bête… Et puis, à la fin, sans rien dire d'autre, il dit, "Vous savez, vous devriez peut-être en parler[69] ". » Dans ses mémoires, Elie Wiesel écrit qu'il traduisit ...Un di Velt Hot Geshvign et envoya le nouveau manuscrit à François Mauriac dans le courant de l'année. Cependant, même avec l'appui et les contacts du maître, aucun éditeur ne put être trouvé. Ils trouvaient cela trop morbide, disant que personne ne le lirait. « Personne ne veut entendre ces

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La Nuit (Wiesel) histoires », disaient-ils à l'auteur[69] . En 1957, Jérôme Lindon des Éditions de Minuit, accepta de publier une traduction française de 178 pages, réintitulée La Nuit, dédiée à Chlomo, Sarah, et Tzipora, préfacée par François Mauriac[66] , et la même difficulté se représenta pour trouver un éditeur américain. « Pour les uns, l'ouvrage est trop mince (le lectorat américain semble raffoler des gros volumes) et trop déprimant pour les autres (le lectorat américain semble préférer les livres optimistes) ; ou bien il traite d'un sujet trop connu, à moins qu'il ne le soit pas assez [70] . » En 1960, Arthur Wang, de Hill & Wang – qui croyait « encore en la chose littéraire comme d'autres croient en Dieu[71] » – accepta de payer un acompte de 100 dollars pro forma, et publia le livre aux États Unis en septembre de la même année sous le titre de Night. Il ne vendit que 1046 exemplaires au cours des 18 mois, mais suscita l'intérêt des critiques, menant à la réalisation d'interviews télévisées d'Elie Wiesel, et à des rencontres à d'autres grandes figures littéraires comme Saul Bellow. « La traduction anglaise parut en 1960, et la première édition était limitée à 3000 exemplaires », dit Elie Wiesel dans une interview. « Et cela prit trois ans à les écouler. À présent, je reçois 100 lettres par mois venant d'enfants à propos du livre. Et il y a beaucoup, beaucoup d'exemplaires sous presse[2] . » En 1997, Night se vendait à 300000 exemplaires par an aux États-Unis[72] ; en mars 2006, six millions avaient été vendus, et avaient été traduits en 30 langues[5] . Le 16 janvier 2006, Oprah Winfrey choisit le « roman » pour son book club. Un million d'exemplaires supplémentaires à couverture souple et 150000 à couverture cartonnée furent imprimés, avec l'estampille Oprah's Book Club. Ils comportaient une nouvelle traduction, réalisée par Mme Marion Wiesel, l'épouse de l'auteur, et une nouvelle préface de celui-ci[73] Au 13 février 2006, Night figurait en tête de la liste établie par le The New York Times dans la catégorie paperback non-fiction. En janvier 2007, les Éditions de Minuit publiaient en poche (collection « Double ») cette nouvelle édition, avec une préface d'Elie Wiesel qui commence par ces mots : « Si de ma vie je n'avais eu à écrire qu'un seul livre, ce serait celui-ci[74] . »

Analyse du livre Elie Wiesel choisit pour décrire son expérience un style narratif épars et fragmenté, avec de fréquents changements de point de vue[75] . C'est le style « des chroniqueurs des ghettos où il fallait tout faire, dire et vivre rapidement, dans un souffle : on ne savait jamais si l'ennemi n'allait pas frapper à la porte pour tout arrêter, pour tout emporter vers le néant. Chaque phrase était un testament…[76] » Son livre peut se lire comme un sacrifice d'Isaac[77] , mais c'est un sacrifice inversé. Dans le récit biblique, Dieu demande à Abraham de Lui sacrifier son fils. Abraham accepte, ainsi qu'Isaac[78] , mais un ange de Dieu l'appelle et retient sa main au dernier moment. Dans La Nuit, l'autel est « d'un autre genre, d'une autre dimension[79] » ; des enfants y sont menés à la mort, mais Dieu ne Se manifeste pas ; les enfants innocents brûlent vivants, et avec eux la foi du narrateur : « [l]a souffrance et la mort des enfants innocents ne peuvent que mettre en question la volonté divine. Et susciter la colère et la révolte des hommes[80] . » Le fils accompagne le père, mais c'est le père qui décline vers un état désespéré, soutenu par son fils adolescent avec de moins en moins de bonne grâce[58] , et le fils revient seul, laissant son père seul avec les ombres[79] . » Croire en Dieu ? Le condamné hongrois de l'infirmerie préfère croire en Hitler : lui a tenu ses promesses, toutes ses promesses aux Juifs[49] . Le narrateur ne se révolte pas seulement contre Dieu : l'humanité même le dégoûte, l'enfant frappe l'adulte, les chefs trop humains sont démis de leurs fonctions, les prisonniers s'entretuent, tout est inversé, toutes les valeurs sont détruites, particulièrement les rapports entre les fils et les pères. « Ici, il n'y a pas de père qui tienne, pas de frère, pas d'ami. Chacun vit et meurt pour soi, seul[60] . » Selon Ellen Fine, la première nuit au camp[1] , dont La Nuit tire son nom, en concentre tous les thèmes : la mort de Dieu, des enfants, de l'innocence, de lui-même. Avec la perte de la conscience de soi, thème récurrent de la littérature de la Shoah, Eliezer perd aussi la notion du temps[81] . Ces éléments sont encore plus manifestes dans ce qu'elle considère être l'événement central de La Nuit, la pendaison du petit pipel. Cet épisode, dont Alfred Kazin écrit qu'il a « rendu le livre célèbre[82] », évoque, selon Ellen Fine, un

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La Nuit (Wiesel) sacrifice religieux, Isaac lié sur l'autel, Jésus sur la croix[83] . « C'est la mort littérale de Dieu, » ajoute Kazin[82] . Et c'est l'épisode dans lequel Eliezer, dont la foi était nourrie de questions, est plein de réponses[84] . Cependant, écrit Elie Wiesel, « [l]es théoriciens de « la mort de Dieu » ont fait abusivement référence à mes propos pour justifier leur refus de la foi. Or, si Nietzsche pouvait crier au vieillard de la forêt « Dieu est mort », le Juif en moi ne le peut pas. Je n'ai jamais renié ma foi en Dieu [...], j'ai protesté contre Son silence, parfois contre Son absence, mais ma colère s'élevait à l'intérieur de la foi, non au-dehors[80] . » « Comment croire en Dieu après Auschwitz ? » lui demande Primo Levi[85] , qui est, lui, incroyant. Elie Wiesel comprend son point de vue, mais il fait remarquer que Primo Levi, étant chimiste, avait une utilité pour le système, et était donc relativement privilégié par rapport au « rien du tout » qu'était Elie Wiesel; il n'avait donc pas besoin de Dieu[85] . Lorsqu'Elie Wiesel posa cette question au Rabbi Menahem Mendel Schneersohn de Loubavitch, celui-ci lui répondit : « Après Auschwitz, comment peut-on ne pas croire en Dieu ? » Au premier abord, la remarque m'a paru fondée : puisque tout le reste a échoué — civilisation, culture, éducation, humanisme — comment ne pas se tourner vers le ciel ? Et puis, je me suis ressaisi : « Si vous paroles constituent une question, je l'accepte volontiers ; si elles se veulent réponse, je la récuse[86] . »

Mémoires ou roman ? « La Nuit n'est pas un roman[87] », écrit Elie Wiesel dans ses mémoires, mais sa « déposition[88] , » et il s'insurge contre quiconque suggèrerait qu'il puisse s'agir d'une œuvre de fiction[5] . Il se veut témoin, et ne peut « faire autrement[89] » que de présenter la vérité intouchée. Si l'on peut relever certaines différences entre La Nuit et Tous les fleuves vont à la mer, comme une « hésitation » sur son âge ou la blessure qui se produit au pied dans La Nuit, au genou dans Tous les fleuves vont à la mer[48] , elles sont expliquées par une technique permettant à Elie Wiesel de se différencier, si peu que ce fût, d'Eliezer, afin de se distancier du traumatisme et de la souffrance qu'il décrit[90] . Plusieurs imprécisions, notamment sur l'âge d'Eliezer, ont été attribuées à la première traduction anglaise, et la factualité du récit a été défendue par l'auteur et ses éditeurs[91] . Cependant, ces points rendent les critiques quelque peu réticents à considérer La Nuit comme une autobiographie et le compte-rendu historique d'un témoin oculaire. Dans Fantasies of Witnessing: Postwar Efforts to Experience the Holocaust, Gary Weissman de la East Carolina University écrit[72] que La Nuit a été appelé « roman/autobiographie », « roman autobiographique », « roman non-fictionnel », « mémoires semi-fictionnels », « roman fictionnel-autobiographique », « mémoires autobiographiques fictionnalisés », et « mémoires-roman ». Il finit par estimer que le livre défie toute catégorisation, citant Irving Abrahamson : « La Nuit est un livre sans précédent, le commencement de quelque chose de nouveau en littérature, voire en religion[92] . » C'était déjà ce qu'écrivait François Mauriac dans la préface à la première édition française de La Nuit: « ce livre est différent, distinct, unique […] un livre auquel nul autre ne pourrait être comparé, » bien qu'il l'ait lui aussi considéré comme un « roman[87] » C'était aussi l'opinion d'A. Alverez dans son Commentaire à la première édition américaine, qui écrivait que ce livre était « douloureux de façon presque insoutenable, et certainement au-delà de toute critique[93] . »

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Version yiddish et version française Revenant sur le processus de création littéraire de son récit[94] , Elie Wiesel mentionne quantité de passages supprimés par l'éditeur de la traduction française de son manuscrit yiddish, qui était pourtant passé de 862 pages à 245. Parmi ces passages, le début du récit, « Au commencement fut la foi, puérile ; et la confiance, vaine, et l'illusion, dangereuse. Nous croyions en Dieu, avions confiance en l'homme, et vivions dans l'illusion que, en chacun de nous est déposée une étincelle sacrée de la flamme de la Shekhina, que chacun de nous porte, dans ses yeux et en son âme, un reflet de l'image de Dieu. Ce fut la source – sinon la cause – de tous nos malheurs[95] . » Cette entrée en matière était suivie de deux pages retraçant le décret de refoulement des Juifs incapables de prouver leur nationalité hongroise en 1942, dans lesquelles le narrateur déplore que l'« illusion, la maudite, avait conquis nos cœurs », et empêcha les Juifs de Hongrie d'imaginer leur destin. Figurait aussi l'agonie de son père, qui l'appelle en vain. Le livre ne finissait pas par le reflet dans la glace, mais par la colère du narrateur, qui se demande s'il a bien fait de casser le miroir car « Aujourd'hui, l'Allemagne est un État souverain. L'armée allemande a été ressuscitée... Les criminels de guerre déambulent dans les rues de Hambourg ou de Munich... Allemands et antisémites déclarent au monde que l'« histoire » des six millions de victimes juives n'est qu'un mythe et le monde, dans sa naïveté, y croira, sinon aujourd'hui, demain ou après-demain[95] . » Il y eut d'autres coupures, puisqu'on arriva à 178 pages. Selon Elie Wiesel, Jérôme Lindon eut raison d'effectuer ces raccourcissements et remaniements, lui-même « redout[ant] tout ce qui pouvait paraître superflu » : « raconter trop m'effrayait plus que de dire moins », expliquerait-il dans la préface à l'édition américaine de La Nuit (2006[96] ). Cependant, « Les passages supprimés [du texte] n'en sont pas absents. Dans le cas d'Auschwitz, le non-dit pèse plus que le reste[97] . » Ce n'est cependant pas l'avis de Naomi Seidman, professeur de culture juive à la Graduate Theological Union de Berkeley : elle écrit, dans un article du Jewish Social Studies paru en 1996, que contrairement à la version yiddish, œuvre d'un témoin-survivant, La Nuit est celle d'un écrivain-théologien. Le survivant rejetait la Kabbale, le théologien fait de la Shoah un « évènement religieux théologique », où « suite à l'abdication de Dieu, le site et l'occasion de cette abdication – la Shoah – prend une tournure théologique, et le "témoin" devient "prêtre et prophète de cette nouvelle religion". (Elie Wiesel avait dit qu'« Auschwitz est aussi important que le Sinaï[3] . ») ». La conclusion de Naomi Seidman, qu'il y avait non un mais deux survivants de la Shoah, « un Yiddish et un Français, [...] chacun racontant sa propre histoire » fut repris par des négationnistes pour suggérer qu'Elie Wiesel ne rapportait pas fidèlement certaines scènes[5] et valut à Naomi Seidman elle-même d'être accusée de révisionnisme dans des lettres à l'éditeur[98] . Interviewée par le Jewish Daily Forward, Naomi Seidman précisa donc son point de vue : selon elle, la Nuit est une réécriture et non une simple traduction d’... Un di Velt Hot Geshvign, une adaptation en vue de la publication en France. Elie Wiesel y aurait substitué à un « survivant en colère [...] qui voit son témoignage comme une réfutation de ce qu'ont fait les Nazis aux Juifs », un autre, « hanté par la mort, dont la plainte principale est dirigée contre Dieu, et non le monde [ou] les Nazis[98] . » Elle compare les textes ayant « survécu à la purge éditoriale » et pointe ce qu'elle considère comme des différences significatives : par exemple, dans la version yiddish, Moïshele ne joue qu'un rôle de témoin, alors que dans la version française, ses enseignements kabbalistiques préfigurent les camps, selon un procédé littéraire. Ailleurs, Elie Wiesel écrit qu'après la libération de Buchenwald, certains survivants des camps, les « garçons juifs », s'étaient précipités pour « fargvaldikn daytshe shikses » (« violer les shiksas allemandes »), tandis que le texte français ne mentionne que des « jeunes gens » qui vont « "coucher avec des filles[62] "[3] . » Elle réitère donc sa conclusion : il y a eu « deux versions (yiddish et française) écrites pour des publics différents », la version yiddish étant destinée à un lectorat juif avide de vengeance, tandis que pour le reste du monde – largement chrétien – la colère est retirée, ce ne sont que des jeunes hommes dormant avec des filles[3] . Elie Wiesel, conclut-elle, a

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La Nuit (Wiesel) délibérément supprimé, suivant peut-être les conseils de François Mauriac, un catholique, ce que son lectorat juif voulait lire : le besoin de vengeance ; mais « cela valait-il la peine de traduire la Shoah hors de la langue de la majeure partie de ses victimes, et dans la langue de ceux qui furent, au mieux, absents et, au pire, complices du génocide[3] ? » Son point de vue est cependant considéré comme « définitivement minoritaire[99] . » Ruth Franklin estime elle aussi que du fait de cette réédition qui a précisément donné au livre cette structure « exquise », La Nuit ne peut être qu'un roman : son impact est tributaire de son langage, qui est franc, mais dont « chaque phrase semble pesée et délibérée, chaque épisode soigneusement choisi et délimité. Sa brièveté choque également ; il peut être lu en une heure, et porté en poche. On a le sentiment d'une expérience distillée sans pitié jusque dans son essence… Le lire, c'est perdre sa propre innocence à propos de l'Holocauste une fois de plus[5] » ; cette simplicité et ce pouvoir de narration se sont faits au détriment de la vérité littérale : la version yiddish était plus historique que littéraire, elle était politique et emplie de colère. La Nuit n'évoque pas ces considérations, et le matériel a été, afin de procéder à la publication du livre en France, expurgé par Elie Wiesel et son éditeur de tout ce qui n'était pas entièrement nécessaire ; il en a émergé, conclut Ruth Franklin, une œuvre d'art plutôt qu'un récit fidèle[5] .

Date de la première version Une autre réticence provient de la confusion à propos du moment où la première version fut écrite. Werner Kelber de la Rice University écrit que cette question débouche immanquablement sur une autre, savoir si La Nuit est un « cri du cœur », un « élan primal suivant une décennie de silence », comme le présente Elie Wiesel, ou un texte « littérairement médié » avec une « composition élaborée, une histoire éditoriale et traduite[100] ». Elie Wiesel a déclaré dans des interviews que c'est sa rencontre en 1955 avec François Mauriac qui l'a poussé à briser son vœu de silence. Dans une telle interview publiée par l’American Academy of Achievement, il dit : « [Mauriac] me prit dans l'ascenseur et m'embrassa. Et cette année, la dixième année, je commençai à écrire mon récit. Après qu'il fut traduit du yiddish en français, je le lui envoyai. Nous fûmes des amis très, très proches jusqu'à sa mort. Cela me fit non publier, mais écrire[69] . » Toutefois, Elie Wiesel avait écrit[67] , ainsi que le note Naomi Seidman, que Mark Turkov, l'éditeur argentin avait reçu le manuscrit yiddish en 1954 — un an avant la rencontre d'Elie Wiesel avec François Mauriac[3] . Il écrit en outre qu'il avait donné le manuscrit original de 862 pages à Mark Turkov. Bien que celui-ci lui ait promis de lui remettre le manuscrit original, Elie Wiesel ne l'aurait plus revu, mais il explique plus tard avoir coupé le manuscrit original de 862 pages aux 245 de la version yiddish publiée[66] . Naomi Seidman écrit que « ces rapports embrouillés et peut-être contradictoires des différentes versions de La Nuit ont généré une chaîne de commentaires critiques tout aussi embrouillés[3] ». Toutefois, l'une de ces « contradictions » se résout lorsqu'Elie Wiesel écrit avoir reçu une épreuve de son livre en décembre 1954[68] .

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Vérité et mémoire Gary Weisman rapporte un dialogue entre Elie Wiesel et le Rebbe (rabbin hassidique) de Wishnitz, qu'il n'avait pas vu depuis 20 ans. Celui-ci veut savoir si les histoires que raconte Elie Wiesel sont vraies, c'est-à-dire si elles sont vraiment arrivées. Comme il lui dit que certaines ont été pratiquement inventées du début à la fin, le rabbin soupire, avec plus de tristesse que de colère : « Alors, tu écris des mensonges ! » « Je n'ai pas immédiatement répondu. L'enfant grondé en moi n'avait rien à dire pour sa défense. Cependant, je devais me justifier : "Les choses ne sont pas si simples, Rebbe. Certaines choses sont arrivées mais elles ne sont pas vraies ; d'autres sont vraies, et pourtant, elles ne sont jamais arrivées[101] ." » Selon Ruth Franklin, la remise à l'honneur de La Nuit par Oprah Winfrey survint à un moment délicat pour le genre des mémoires, lorsqu'il fut démontré que James Frey, précédemment choisi par l'Oprah's Book Club, avait en partie forgé son autobiographie, A Million Little Pieces. Choisir La Nuit était dans ce contexte un « Elie Wiesel s'adressant au Congrès des États-Unis geste osé » d'Oprah Winfrey, peut-être dans le but de restaurer le crédibilité de son book club avec un livre considéré comme « au-delà de la critique ». La Nuit, ajoute-t-elle, a une importante leçon à donner sur les « complexités des mémoires et de la mémoire. » L'histoire même de sa rédaction « révèle combien de facteurs entrent en jeu dans la création de mémoires – l'obligation de se souvenir et de témoigner, certainement, mais aussi l'obligation artistique et même morale de construire une persona crédible et de façonner une belle œuvre. Les faits, nous le savons, peuvent être plus étranges que la fiction ; mais la vérité en prose, tel qu'il apparaît, n'est pas toujours la même chose que la vérité dans la vie[5] ».

Notes et références • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Night (book) [102] » (voir la liste des auteurs [103]) [1] Elie Wiesel, La Nuit, p.78-79, Les Éditions de Minuit, éd. 2007 (ISBN 978-2-7073-1992-0) [2] « Winfrey selects Wiesel’s ‘Night’ for book club » (http:/ / msnbc. msn. com/ id/ 10879079/ ), Associated Press, 16 janvier 2006. Bien que La Nuit soit couramment considéré comme un roman, Elie Wiesel a clairement affirmé l'inverse ; cf. Tous les fleuves vont à la mer, pp. 377-378. [3] Naomi Seidman, « Elie Wiesel and the Scandal of Jewish Rage », Jewish Social Studies, décembre 1996. [4] 200 avec l'avant-propos de François Mauriac et la préface de l'auteur dans la nouvelle édition de 2006. [5] Ruth Franklin, « A Thousand Darknesses » (http:/ / www. powells. com/ review/ 2006_03_23. html), The New Republic, 23 mars 2006 accédé le 4 septembre 2007, nécessite une souscription. [6] « Jewish holidays » (http:/ / www. jewfaq. org/ holiday0. htm), Judaism 101. [7] Elie Wiesel, cité par Morton Reichek, « Elie Wiesel: Out of the Night », Present Tense, 3 (1976), p. 46. [8] Tous les fleuves vont à la mer, p. 12 [9] Chlomo dans l'édition de 1958 [10] Tous les fleuves vont à la mer, p.27 [11] Ellen S. Fine, Legacy of Night: The Literary Universe of Elie Wiesel, State University of New York Press, 1982, p. 5. [12] Elie Wiesel, Tous les fleuves vont à la mer, Mémoires tome 1, 1996, éd. Le Seuil, collection « Points », 622 pages, (ISBN 2-02-028521-5) [13] Nuit, p. 37. [14] La Nuit, p. 32. [15] La Nuit, p. 31. [16] La Nuit, p. 35.

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La Nuit (Wiesel) [17] La Nuit, p. 38. [18] La Nuit, p. 36. [19] « Elie Wiesel: First person singular » (http:/ / www. pbs. org/ eliewiesel/ photo/ death_3. html), Public Broadcasting Service, accédé le 11 juin 2006. [20] La Nuit, p. 42. [21] La Nuit, p. 43-44. [22] La Nuit, pp. 44-45. [23] Entre le 16 mai et le 27 juin 1944, 131641 Juifs furent déportés depuis la Transylvanie du Nord vers Auschwitz-Birkenau. Au cours de la même période (15 mai-9 juillet), un total de 438000 Juifs dans 147 trains furent déportés de la Hongrie vers Auschwitz, où quatre trains sur cinq étaient directement destinés aux chambres à gaz ( « Transylvanie » (http:/ / 64. 233. 179. 104/ search?q=cache:GC8_Rvi1K6oJ:www1. yadvashem. org/ odot_pdf/ Microsoft%20Word%20-), Shoah Resource Center, The International School for Holocaust Studies, accédé le 11 juin 2006). [24] La Nuit, p. 56-57. [25] La Nuit, p. 53. [26] La Nuit, pp. 64-65 [27] Revenant sur ces faits dans Tous les fleuves vont à la mer, Élie Wiesel ajoute : « Mon père a raison : restons ensemble. Comme tout le monde. La sauvegarde de l'unité familiale fait partie de nos traditions ancestrales. Et l'ennemi le sait bien. Aujourd'hui, il s'en est servi en faisant répandre dans le ghetto le bruit que la population juive serait transférée dans un camp où, c'était l'essentiel, les familles resteraient ensemble... Et nous l'avons cru. Ainsi, ce qui contribua pendant des siècles à la survie de notre peuple – la solidité du lien familial – devint instrument entre les mains de son exterminateur. » – Elie Wiesel, Tous les Fleuves vont à la mer, Mémoires I, p. 100, éditions du Seuil, septembre 1994, (ISBN 2-02-021598-5) [28] La Nuit, p. 61 [29] La Nuit, p. 69. [30] La Nuit, p. 71. [31] La Nuit, p. 77. [32] Entre 1940 et 1945, environ 1,1 million de Juifs, 75000 Polonais, 18000 Roms, et 15000 prisonniers de guerre soviétiques y furent tués ( « Auschwitz » (http:/ / www. ushmm. org/ wlc/ article. php?lang=en& ModuleId=10005189), United States Holocaust Memorial Museum, accédé le 1er août 2006) [33] Tous les fleuves vont à la mer, p. 139. [34] Car Rudolf Vrba et Alfred Wetzler ont réussi à s'évader d'Auschwitz, et ont dressé un rapport sur le camp ; les Juifs de Hongrie auraient donc dû « savoir » - Tous les fleuves vont à la mer, p. 110. [35] La Nuit, p. 75. [36] « Je n'ai pas précisé s'ils étaient vivants [...] Puis je me disais : non, ils étaient morts, autrement j'aurais perdu la raison. Et pourtant [...], ils étaient vivants lorsqu'on les jetait dans les flammes », et le fait a été confirmé par des historiens, dont Telford Taylor — Préface d'Elie Wiesel à la nouvelle édition, La Nuit, p. 20. [37] La Nuit, p. 83. [38] La Nuit, p. 97 [39] La Nuit, p. 106. [40] Elie Wiesel, Tous les fleuves vont à la mer, pp. 115 & 135-136. [41] La Nuit, p. 109. [42] La Nuit, pp. 141-143. [43] La Nuit, p. 118. [44] La Nuit, p. 122-125. [45] Son nom était Léo-Yehuda Diamond. Les deux autres condamnés étaient Nathan Weisman et Yanek Grossfeld — Tous les fleuves vont à la mer, p. 481. [46] La Nuit, pp. 128-129 [47] La Nuit, pp.178-179 [48] Dans le passage parallèle de Tous les fleuves vont à la mer, pp. 128-129, il s'agit cependant du genou. [49] La Nuit, p. 148. [50] Dont Primo Levi ; voir Si c'est un homme, Pocket, 1988 (ISBN 978-2-266-02250-7) [51] La Nuit, pp. 155-156. [52] La Nuit, pp. 163-164. [53] La Nuit, p. 165. [54] La Nuit, p. 172. [55] La Nuit, p. 176. [56] La Nuit, pp. 194-195. [57] La Nuit, p. 185. [58] La Nuit, p. 186. [59] La Nuit p. 188

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La Nuit (Wiesel) [60] La Nuit, p. 192. [61] La Nuit, p. 191. [62] La Nuit, pp. 199-200. [63] Elie Wiesel Interview - Academy of Achievment (http:/ / www. achievement. org/ autodoc/ page/ wie0int-1) [64] Wiesel 1979, p. 15. [65] Tous les fleuves vont à la mer, p. 333. [66] Tous les fleuves vont à la mer, p. 451 [67] Tous les fleuves vont à la mer, p. 335. [68] Tous les fleuves vont à la mer, p.386 [69] "Elie Wiesel" (http:/ / www. achievement. org/ autodoc/ page/ wie0int-3), interview with Weisel, Academy of Achievement, récupéré le 11 juin 2006. [70] Tous les fleuves vont à la mer, p. 463. [71] Tous les fleuves vont à la mer, p. 464. [72] Gary Weissman, Fantasies of Witnessing: Postwar Efforts to Experience the Holocaust, Cornell University Press, p. 65. [73] Carol Memmott, « Oprah picks 'Night' » (http:/ / www. usatoday. com/ life/ books/ news/ 2006-01-16-oprah-book-club_x. htm?csp=N009), USA Today, 16 janvier 2006. [74] La Nuit, p. 2 [75] Ellen S. Fine, Legacy of Night: The Literary Universe of Elie Wiesel. State University of New York Press, 1982, p. 7. [76] Elie Wiesel, Tous les fleuves vont à la mer, p. 457, éd. du Seuil, Coll. Points - 1994. [77] Elie Wiesel, 1983 - quatrième de couverture de La Nuit, éditions de Minuit, 2006. [78] cheela.org, responsum 12530 (http:/ / www. cheela. org) [79] Tous les fleuves vont à la mer, p. 13. [80] Tous les fleuves vont à la mer, p. 120. [81] Ellen S. Fine, Legacy of Night: The Literary Universe of Elie Wiesel, State University of New York Press, 1982, p. 15-16. [82] Alfred Kazin, Contemporaries, Boston: Little, Brown & Co., 1962, pp. 297-298, cité dans Fine, 1982, p. 28. [83] Ellen S. Fine, Legacy of Night: The Literary Universe of Elie Wiesel, State University of New York Press, 1982, p. 28. [84] SparkNotes: Night: Analysis of Major Characters (http:/ / www. sparknotes. com/ lit/ night/ canalysis. html) [85] Tous les fleuves vont à la mer, p. 186. [86] Tous les fleuves vont à la mer, p.121. [87] Tous les fleuves vont à la mer, pp. 377-378. [88] Tous les fleuves vont à la mer, p. 114. [89] Tous les fleuves vont à la mer, p. 336. [90] Analysis of Major Characters - Eliezer (http:/ / www. sparknotes. com/ lit/ night/ canalysis. html) [91] Edward Wyatt, "The Translation of Wiesel's 'Night' Is New, but Old Questions Are Raised" (http:/ / www. nytimes. com/ 2006/ 01/ 19/ books/ 19nigh. html?ex=1295326800& en=183395875f51727c& ei=5088& partner=rssnyt& emc=rss), The New York Times, 19 janvier 2006 [92] Gary Weissman, Fantasies of Witnessing: Postwar Efforts to Experience the Holocaust, Cornell University Press, p. 67. [93] A. Alverez, Commentary, cité dans R. Franklin, 2006. [94] Tous les fleuves vont à la mer, chap. Écrire, pp. 451-456. [95] Elie Wiesel, ... Un di velt hot geshvign, Buenos Aires, 1956, cité dans Tous les fleuves vont à la mer, pp. 451-456 et R. Franklin, 2006. [96] Préface à La Nuit, nouvelle édition, édité en français aux Éditions de Minuit en 2007 [97] Tous les fleuves vont à la mer, p. 456. [98] Peter Manseau, « Revising Night: Elie Wiesel and the Hazards of Holocaust Theology » (http:/ / www. killingthebuddha. com/ dogma/ hazards_holocaust. htm), Killing the Buddha, non daté, accédé le 4 septembre 2007. [99] Analyse de la préface de François Mauriac sur Sparknotes (http:/ / www. sparknotes. com/ lit/ night/ section1. html) [100] Werner H. Kelber, « Memory's Desire or the Ordeal of Remembering: Judaism and Christianity », Bulletin for Contextual Theology, University of Natal. [101] Gary Weissman, Fantasies of Witnessing: Postwar Efforts to Experience the Holocaust, Cornell University Press, pp. 67-68. Voir aussi Tous les fleuves vont à la mer, p. 384. [102] http:/ / en. wikipedia. org/ wiki/ En%3Anight_%28book%29?oldid=151133158 [103] http:/ / en. wikipedia. org/ wiki/ En%3Anight_%28book%29?action=history

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Littérature de la Shoah « De tant de morts donnez-moi la mémoire, de tous ceux-là qui sont devenus cendre, d’une génération donnez-moi la mémoire, sa dernière fureur, sa dernière douleur ». Isaïe Spiegel, Donnez-moi la mémoire[1] . La littérature de la Shoah est constituée par les ouvrages littéraires qui témoignent directement ou évoquent l'anéantissement des Juifs par le nazisme entre 1939 et 1945. Cet événement, qui est souvent considéré comme une marque distinctive du XXe siècle, a reçu différents noms (« génocide juif », « Holocauste ») avant que le terme Shoah ne s'impose dans le monde et plus particulièrement en France à travers le film de Claude Lanzmann datant de 1985. La littérature de la Shoah commence, avant même l'anéantissement dans les camps de concentration et d'extermination, dans les ghettos où sont entassés les Juifs de toute l'Europe allemande. « Tout le monde écrivait » dans les ghettos, note l'historien Ringelblum[2] . Ce dernier crée d'ailleurs l’Oyneg Shabbos, organisation clandestine, suscitant et recueillant les archives du ghetto de Varsovie, un ensemble de témoignages, d'œuvres littéraires et d'analyses sur les conditions de vie, d'alimentation et de création.

Stèle en mémoire des Juifs anéantis à Majdanek

Après la guerre, la Shoah est devenu un objet littéraire et philosophique de premier plan. Les textes de la Shoah se heurtent à la difficulté de raconter un événement sans précédent, avec des actes parfois tellement horribles qu'ils instillent chez les auteurs la peur de ne pas trouver les mots pour décrire et faire comprendre leur vraie nature. Mais les survivants ressentent l'impératif de dire ce qui s'est passé, de témoigner, de garder vivante la mémoire des disparus. En fait, la diversité de la production littéraire, du témoignage à l'essai philosophique et à la poésie a permis de rendre palpable l'horreur de la Shoah, la souffrance et le désespoir des victimes. De Primo Levi qui narre le plus sobrement possible son combat quotidien pour survivre dans un camp de travail d'Auschwitz, au lyrisme désespéré de Katzenelson, le lecteur peut appréhender une part du vécu et des sentiments des victimes et des témoins de la Shoah. Depuis 1945, témoignages, romans, poèmes, essais continuent à être publiés rencontrant des succès divers auprès du public.

Les traditions littéraires juives et la littérature de l'anéantissement Rupture ou continuité des traditions littéraires juives? Les soubresauts de l'histoire juive : diaspora, persécutions régulières dès la première croisade, mises au ban de la société, pogroms, avaient conduit l'imaginaire juif à élaborer au cours des siècles de multiples figures pour dire le désastre. De plus, la culture religieuse juive nourrit une injonction mémorielle liée à l'exil, celle du Zakhor (« souviens-toi »). Cette injonction qu'on retrouve dès le Moyen Âge dans les Memorbücher vise à préserver les traces du peuple juif menacé de destruction. Elle reflète aussi le culte de l'écrit née d'une conception théologique du langage. La transposition de cette loi dans le monde civil est déjà à l'œuvre au moment des pogroms d'Europe orientale et d'Ukraine autour du début du XXe siècle. Shalom Anski et Isaac Leib Peretz lancent alors un appel pour écrire et conserver les traces du monde juif. La nouvelle difficulté réside dans le témoignage d'une destruction totale.


Littérature de la Shoah Cela donne à l'écrit un caractère sacré et définitif nouveau[3] . Les langues juives, l'hébreu et le yiddish utilisent les références aux textes sacrés pour évoquer les catastrophes qui jalonnent leur Histoire, se chargeant de significations nouvelles, proposant des raccourcis où passé et présent se télescopent : Élection et Alliance, Déluge, Job, Akedah (le sacrifice d'Isaac), Hourban (la destruction du Temple). Mais chaque chute était suivie d'une restauration. L'anéantissement, lui, échappe à toute tentative de dénomination. Il ne trouve pas sa place dans des canons préexistants et peut pas s'inscrire dans un temps cyclique de la Bible. La brutalité et la soudaineté de l'extermination suppriment non seulement la possibilité d'un présent et de l'avenir, mais également le passé. Les anciens codes, jadis immédiatement déchiffrables par la communauté ashkénaze, se révèlent soudain inappropriés, et pourtant irremplaçables. « Après Auschwitz, écrire de la poésie est barbare. » affirme Theodor Adorno peu après la catastrophe[4] . De même, le survivant français qui veut témoigner par la littérature se trouve « privé de toute référence [...] Ce qui frappe c'est [...] l'absence de matrice littéraire, due d'ailleurs à l'étrangeté d'un phénomène, celui du camp de concentration, totalement extérieur à la culture politique et littéraire française »[5] . Elie Wiesel affirme : « Auschwitz nie toute littérature, comme il nie tous les systèmes, toutes les doctrines ; l'enfermer dans une philosophie, c'est le restreindre, le remplacer par des mots, n'importe lesquels, c'est le dénaturer. La littérature de l'Holocauste ? Le terme est un contre-sens »[4] . Charlotte Wardi, professeur de littérature à l'université de Haïfa et rescapée de la Shoah, dénonce toute tentative d'esthétisation de la Shoah. Pour elle, la tentation de « faire du beau avec la Shoah » est dangereuse[6] .

La mort du yiddish À la fin du XIXe siècle, le yiddish était devenue la langue d'une grande partie des Juifs d'Europe. Il y avait, en 1930, huit millions de yiddishophones principalement en Europe centrale et orientale[7] . Sur les six millions de Juifs assassinés, au moins 5,4 millions étaient des yiddishophones. Le yiddish a donc été presque entièrement anéanti en Europe en même temps que le monde juif pendant la Shoah, appelée le khurbn en yiddish. Les lieux de la vie juive (écoles, théâtres, journaux, synagogues, centres culturels, shtetlech...) ont eux aussi été détruits, Le shtetl de Lakhva, en Pologne, en 1926 ainsi que l'immense patrimoine littéraire de l'YIVO de Vilnius[8] . C'est pourquoi Rachel Ertel[9] parle d'anéantissement, car d'une part dynamique de la culture européenne, il ne reste plus que des traces après 1945. Dans ce contexte, écrire en yiddish, prend un sens encore plus lourd. L'écrivain yiddish parle d'une double mort : la mort du peuple et la mort de la langue[10] . L'écrivain se trouve face à l'insoluble : impossibilité d'écrire dans une langue morte s'il veut être entendu, impossibilité d'écrire en toute autre langue pour évoquer les morts, ce qui revient à écrire sans filiation. Une grande partie de la littérature yiddish a donc surgi de la mort, fait sans équivalent dans l'Histoire. Face à la mort du monde ashkénaze, l'écrivain sacralise les modes de vie détruits, les lieux abolis, les disparus exterminés. Certains de ces témoignages sont collectifs, comme lesYizker Bikher, ou livres du souvenir, écrits par les membres survivants d'une communauté disparue dans la Shoah. Écrits les plus souvent en yiddish, ils sont un témoignage de la splendeur de la vie juive détruite, de l'occupation nazie et du martyre de leur ville ou de leur village, le shtetl. On trouve aussi une liste des membres de la communauté morts pendant la Shoah[11] . L'écrivain yiddish a aussi tendance à la sacralisation du yiddish lui-même, la langue réduite en cendres. L'écrivain doit aussi affronter le tabou de la mort à laquelle il a échappé.

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La culpabilité des survivants Les écrits des survivants de la Shoah sont marqués par la culpabilité qui croît au fil des années. Elle fait partie de ce que Primo Levi nomme la « zone grise » : « Tu as honte parce que tu es vivant à la place d'un autre ? Et en particulier d'un homme plus généreux, plus sensible, plus sage, plus utile, plus digne de vivre que toi ? »[12] . Déjà dans Si c'est un homme, sa première œuvre majeure sur la Shoah, il expliquait que, dans le camp, la survie passait par l'absence de solidarité entre les détenus et que les plus malins, n'hésitaient à dépouiller les plus faibles (les « Musulmans » dans le langage du camp) ou les plus naïfs de leur maigres moyens de survie. L'on recherchait aussi par tous les moyens, fussent-ils préjudiciables à autrui, à monter dans la « hiérarchie, » ce qui permettait d'obtenir des rations supplémentaires ou, à tout le moins, de se voir attribuer les travaux les moins épuisants.

Adolf Hitler représenté en chat par Art Spiegelman.

Cette déshumanisation, qui ne permet pas de tracer une séparation nette entre le bourreau et sa victime (laquelle se retrouve donc souvent dans cette « zone grise »), ne cesse de culpabiliser l'auteur. Elie Wiesel écrit : « Je vis donc je suis coupable ; si je suis encore là, c'est parce qu'un ami, un camarade, un inconnu est mort à ma place [...] le système de Selekzion dans les camps ne tendait pas seulement à en décimer périodiquement les populations mais aussi à amener chaque prisonnier à se dire : cela aurait pu être moi, je suis la cause, peut-être la condition de la mort d'autrui. »[13] Cette culpabilité touche non seulement les générations contemporaines du cataclysme mais aussi celles qui lui sont postérieures. Ainsi, la philosophe Sarah Kofman, spécialiste de Nietzsche et de Freud, publie en 1993 son autobiographie[14] . Il s'agit du récit de son enfance juive sous l'occupation nazie. Elle exprime la détresse longtemps muette qu'elle a ressentie après la déportation et la mort à Auschwitz de son père rabbin. Peu de temps après elle se suicide. Même Art Spiegelman exprime dans la bande dessinée Maus, sa culpabilité d'avoir une meilleure vie que ses parents survivants polonais de la Shoah[15] . Il admire son père d'avoir survécu ; ce à quoi Pavel, le psychanalyste de Spiegelman, répond : « La vie est toujours du côté de la vie et d'une certaine manière on en veut aux victimes. Mais ce ne sont pas les MEILLEURS qui ont survécu, ni qui sont morts. C'était le HASARD[16] ! » La culpabilité se retrouve même dans l'écriture romanesque. Par exemple dans La Nuit des Girondins de Jacques (Jacob) Presser[17] l'auteur montre sa honte et sa culpabilité d'avoir survécu dans la clandestinité tandis que sa femme mourait dans les camps.

Des témoignages pour la Mémoire et pour l'Histoire Les bourreaux ayant tout fait pour que l'extermination des Juifs soit cachée à la face du monde, comptant même sur son incrédulité devant l'énormité de la chose, la voix des victimes est d'autant plus importante. Les témoignages ont commencé dès les premières années de persécution et dès la naissance des ghettos : des cahiers, des lettres, des feuillets, des journaux intimes ont été écrits et conservés parfois dans des conditions extrêmes, dans des caves, greniers, cheminées, doubles cloisons... Michel Borwicz, un des premiers à avoir étudié les témoignages, a constaté que le nombre d'écrits augmente en 1942 : jusque là, les Juifs des ghettos croyaient en une prochaine défaite de l'Allemagne, et au salut de la plupart d'entre eux. Cependant, c'est en 1942 que commence la déportation vers les camps de la mort ; les Juifs ont alors la conviction qu'ils mourront tous avant d'avoir vu la défaite nazie. Conserver la mémoire d'événements défiant l'imagination devient alors un impératif aux yeux de beaucoup[11] .


Littérature de la Shoah Cet impératif se retrouve même au cœur des chambres à gaz : les Rouleaux d'Auschwitz[18] , carnets manuscrits, enfouis près du crématoire III d'Auschwitz, ont été enterrés par les membres du Sonderkommando : Zalman Gradowski[19] , Zalmen Lewental, et Leib Langfus[20] ont écrit en yiddish ; Haïm Herman en français ; Marcel Nadsari en grec[21] . Ces cinq textes ont été retrouvés après la guerre. Aucun de leurs auteurs n'a survécu, les équipes étant liquidées et remplacées à intervalles réguliers. Ils n'ont pas l'idée d'un récit ordonné des scènes atroces qu'ils décrivent. Ils cherchent juste à décrire l'horreur dans laquelle ils sont plongés. Tous les manuscrits retrouvés parlent de la terreur qui règne à Birkenau, du silence, de l'absence d'évasion, de ce monde à l'envers où le meurtre est devenu la norme. Atypique à plus d'un égard, le Rapport Vrba-Wetzler est le premier témoignage écrit de première main sur Auschwitz à être parvenu en Occident. Cependant, il ne fut, contrairement au souhait des auteurs, deux évadés d'Auschwitz (seules cinq personnes y parvinrent au cours de l'existence du camp), pas diffusé, ce qui aurait permis d'éviter, selon Rudolf Vrba, la déportation des Juifs de Hongrie.

Journaux intimes d'adolescentes Les journaux intimes, écrits au jour le jour pendant les périodes noires permettent de mieux appréhender l'état d'esprit des victimes et de comprendre de l'intérieur une partie de leur vécu. Le plus connu de ces journaux intimes est celui d'Anne Frank, retrouvé par des amis hollandais après la déportation de la famille Frank. Avec une maîtrise de l'écriture époustouflante pour une adolescente, elle y reflète ses émotions et ses aspirations face aux épreuves. Elle écrit ainsi : « Pourtant je m'y accroche, malgré tout, car je continue à croire à la bonté innée de l'homme. Il m'est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion »[22] . Il existe aussi d'autres journaux intimes de jeunes filles possédant, ou non, la même force et la même qualité d'écriture mais qui sont beaucoup moins célèbres. Ana Novac fut déportée à l'âge de quatorze Timbre allemand à l'effigie d'Anne Frank ans à Auschwitz où elle réussit à tenir un journal. C'est le seul journal [23] jamais sorti d'un camp d'extermination nazi . L'auteur y décrit le côtoiement continuel de la mort. Elle fait preuve d'une remarquable lucidité sur les misères de l’homme, sur l’absurdité de la guerre, sur l’intangibilité de la frontière entre bourreaux et victimes. Il y a également le journal de Mascha Rolnikaite[24] qui avait le même âge qu'Anne Frank au moment de l'entrée des Allemands à Minsk, tint un journal qu'elle apprit par cœur pour échapper à la surveillance des bourreaux. Elle le transcrivit de mémoire, à la Libération. Outre son talent de narratrice, elle possède la capacité de se mettre à la place des autres et de donner une voix à leurs souffrances[25] . Rutka Laskier, surnommée la « Anne Frank polonaise » évoque la ghettoïsation puis la déportation de la communauté juive de Będzin vers Auschwitz, où elle sera gazée avec son frère et sa mère, dès leur arrivée[26] . Il convient de citer aussi les journaux intimes d'Abraham Cytryn[27] du ghetto de Lodz et de Mary Berg[28] du ghetto de Varsovie, ainsi que celui d'Hélène Berr à Paris. De nombreux témoignages ont été retrouvés dans des caves, greniers, cheminées, doubles cloisons. Tous ne sont pas publiés. C'est le cas du journal d'Elsa Binder conservé à l'institut historique juif de Varsovie. Dans son journal intime, la jeune fille de 18 ans évoque le massacre des Juifs de Stanislawow en Galicie perpétré par les Einsatzgruppen, le 12 octobre 1941, dans le cadre des opérations mobiles de tuerie qui accompagnent l'opération Barbarossa. Lorsqu'elle parle de son amie Tamarczyk assassinée, elle écrit simplement : « J'espère que la mort s'est bien passée pour elle [...] Et qu'elle n'a pas dû souffrir comme sa camarade Esterka qui, comme on l'a vu, a été

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Littérature de la Shoah étranglée[29] . »

Chroniques et journaux intimes D'autres journaux ont été rédigés pendant cette période comme celui de Leyb Rokhman du ghetto de Minsk[30] . Le journal débute le 17 février 1943. Leyb Rokhman y décrit la résistance, d'abord juive autonome, ensuite commune avec Russes et Polonais puis l'extermination des Juifs. Avraham Tory[31] , avocat de formation, était secrétaire du Judenrat du ghetto de Kaunas. À ce titre il a accès aux décrets imposés par les nazis, aux réunions secrètes ou non du Judenrat, qu'il consigne à l'insu des autres membres dans son journal : Les unités de tueries mobiles (Einsatzgruppen) en « J'écrivais à toute heure, dans les premières heures du matin, dans URSS mon lit la nuit, entre les réunions du Judenrat. Durant les réunions, j'écrivais quelquefois l'ordre du jour, des citations, des résumés, des dates le nom des lieux et des personnes sur des bouts de papiers ou un carnet de notes de peur d'oublier »[32] . Tory parvient à s'échapper du ghetto de Kaunas en 1944 après avoir caché son journal. Il expliqua plus tard : « Je cachais dans une caisse ce que j'avais écrit avec frayeur et anxiété car cela pouvait servir de preuve, de corpus delicti, temoignage accablant quand le jour du jugement viendrait ». À Varsovie, le président du Judenrat Adam Czerniakow[33] tient également son journal, ainsi que le pédagogue Janusz Korczak[34] , et d'autres anonymes, dont Chaim Kaplan[35] , Abraham Lewin[36] . Shloyme Frank[37] fournit un témoignage du ghetto de Lodz. Il faut aussi parler du bibliothécaire Hermann Kruk[38] , qui, à Vilnius, prend la tête des Brigades des papiers et s'efforce de soustraire aux Allemands tous les biens culturels qu'il peut. Beaucoup de notes prises par les victimes ont été enfouies puis déterrées par les survivants, sont souvent fragmentaires, incomplètes, partiellement illisibles à cause des intempéries. Certains prennent la forme d'invocations, plaintes ou cris d'alarme et de détresse. Par ailleurs, le journal de Victor Klemperer[39] est une œuvre particulière et de premier plan. Vivant en Allemagne, Victor Klemperer, Juif allemand converti, a échappé à la déportation parce qu'il était marié à une non-juive. Il a tenu au jour le jour un journal de sa vie à Dresde. Exclu de l'université parce que Juif, Klemperer rédige son journal tous les matins. Il y consigne tout ce qu'il a observé et entendu la veille : « Je me disais : tu écoutes avec tes oreilles et tu écoutes ce qui se passe au quotidien, juste au quotidien, l'ordinaire et la moyenne, l'anti-héroïque sans éclat [...] »[40] . Son journal a été publié sans avoir été retouché.

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Les archives des ghettos Témoigner devient parfois un travail minutieux d'historien ou d'archiviste. L'historien Emanuel Ringelblum, le fondateur de l'Oyneg Shabbos rassemble tous les documents qu'il peut trouver sur le ghetto de Varsovie. L'objectif était d'élaborer une étude exhaustive de la vie et de l'histoire des Juifs sous l'occupation nazie. Sauvées des ruines du ghetto, elles forment un ensemble de 25000 pages appelé les Archives Ringelblum dont les 6000 pièces sont conservées à l’Institut historique juif de Varsovie. Une partie seulement a été publiée en français[41] . Le groupe de Ringelblum a fait un véritable travail d'archivage en collectant aussi bien des documents officiels (annonces des autorités d'occupation, formulaires, cartes de rationnement) et personnels (cartes d'identité, cartes de logement ou certificats d'embauche) que tous des document relatifs aux actions commerciales ou culturelles. D'autre part, Le groupe a mené des enquêtes et couché par écrit des témoignages concernant la situation des différents groupes professionnels et des différentes tranches d'âge[42] . On y trouve aussi des écrits littéraires, poèmes, proses, pièces de théâtre.

Vieux Juif dans le ghetto de Varsovie

Ces archives ont été enfouies avant la destruction du ghetto et ont été exhumées après la guerre. Presque tous les auteurs des documents des Archives Ringelblum sont morts, soit dans le ghetto, soit dans les camps d'extermination. Il convient également de citer les chroniques quotidiennes du ghetto de Lodz, chronique minutieuse de quelque 6000 pages écrites par les membres du Département des archives dans la clandestinité et qui retrace la vie quotidienne dans le ghetto. Ces émanations clandestines du Judenrat, apportent des informations capitales sur une période sombre de la vie d'une communauté juive. Selon Saul Friedländer, ces journaux intimes ont été insuffisamment exploitée par les historiens[43] . Pour lui, la « fonction perturbatrice est essentielle à la représentation historique de l'extermination de masse [...] et peut ébranler l'idée confortable que nous nous étions faite auparavant d'événements historiques extrêmes ». Les témoins cherchent pourtant à retranscrire le plus fidèlement possible ce qu'ils ont vécu.

La mémoire des rescapés La voix des rescapés fait écho à celle des disparus. Elle cherche à traduire pour les vivants le langage des exterminés qu'ils ont laissés là-bas, celui des survivants qu'ils sont devenus, mais avec ce quelque chose de mort en eux qui parle. Le témoignage écrit permet à son auteur de prendre le temps de raconter son histoire et de la comprendre. Roger Gouffault déporté à Mauthausen l'exprime de la sorte : « L’écrit reste. L’écrit est une trace, tandis que les paroles s’envolent. Le livre, qui est un écrit long, permet de prendre le temps. Démontrer la progression, l’évolution des choses. Et donc de les comprendre »[44] . Nadine Heftler[45] explique : « Je me suis seulement contentée de me remettre dans les événements, depuis que la Gestapo a frappé à ma porte jusqu'à la fin de la guerre »[6] . La dureté du témoignage des premiers écrits tranche avec la plus grande retenue des écrivains des années 1970.


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Les récits d'après-guerre Dans le monde yiddish, les survivants écrivent par centaines. Mordekhai Strigler[46] , dans son livre publié en yiddish en 1947, relate son expérience dans le camp de travail et d'extermination de Majdanek où il a été détenu pendant plusieurs semaines avant d'être envoyé dans un autre camp. L'auteur ne s'est pas contenté d'un simple récit factuel de la vie et des souffrances des déportés, il a aussi profondément réfléchi à la psychologie et aux réactions tant des victimes que des bourreaux confrontés à des situations exceptionnelles. Il faut aussi parler d'Avrom Sutzkever[47] rescapé du ghetto de Vilnius, de l'acteur de théâtre Jonas Turkow[48] , membre de l'Oneg Shabbat pour lequel il écrivit un essai sur le théâtre dans le ghetto de Varsovie ou d'Élie Wiesel. Ce dernier écrit tout d'abord son témoignage en yiddish, paru en 1955 sous le titre de ...Un di Velt Hot Geshvign (« Et le monde se taisait »), avant de le rééditer en français sous le titre de La Nuit[49] , considéré depuis comme l'un des piliers de la littérature de la Shoah. Il existe aussi de nombreux témoignages qui n'ont pas été écrit en yiddish. Le témoignage de Pelagia Lewinska[50] relate les exactions des SS et de leurs exécutants en mettant en lumière les fournées successives qui doivent disparaître. Elle explique qu'il faut éliminer au plus vite les plus faibles en ajoutant aux « appels » meurtriers des scènes de sport imposées à celles qui chancelaient[51] . On retrouve les mêmes considérations sur le sadisme des bourreaux dans le récit de Moshé Garbarz[52] . Il y décrit l'habitude des SS consistant à tuer systématiquement celui qui ne se relevait pas pendant un tabassage. Les récits des déportés reprennent indéfiniment la scène de l'arrivée dans le camp de concentration, la course hors du train, l'attente interminable, debout, dans la neige ou sous le soleil, l'appel dans la cour du camp au milieu des prisonniers hébétés, l’abandon des bagages, la perte des objets personnels, le déshabillage, le rasage de la Survivant d'un camp de concentration tête aux pieds, la désinfection, la douche, la distribution de vêtements et de galoches, le froid des longs hivers... L'accent est mis sur la déshumanisation que subissent les prisonniers, réduits au rang de bêtes de sommes affamées et hagardes, iniquement occupées à survivre le plus longtemps possible. Les témoignages ont été très nombreux dans l'immédiat après-guerre et dans les années 1970-2000. Après guerre, les rescapés pensaient qu'ils avaient le devoir impérieux d'exposer l'inouï à la face du monde. Primo Levi[53] et Robert Antelme[54] , déporté politique, sont les deux auteurs les plus connus. La précision de leur témoignage atteint une grande profondeur philosophique comme le montre cet extrait : « Nous sommes complètement épuisés, incapables même de courir […] La colonne marche dans l’ordre, puis le Blockführer SS qui se trouvait en tête descend vers le milieu de la colonne. Il s’arrête sur le bord de la route, les jambes écartées, et regarde la colonne passer. Il observe. Il cherche. « Du, komm hier ! » C’est un autre Italien qui sort. Sa figure est devenue rose. J’ai encore ce rose dans les yeux. Personne ne le tient au corps […] il attend Fritz, il va se donner à Fritz. La « pêche » continue […] On croirait qu’on est de connivence avec eux […] On a vu la mort sur l'Italien. Il est devenu rose après que le SS lui a dit « Du, komm hier ! » Le SS qui cherchait un homme, n’importe lequel, pour faire mourir, l’avait « trouvé », lui […] On ne parle pas. Chacun essaie d’être prêt. Chacun a peur pour soi […] Prêt à mourir, je crois qu’on l’est, prêt à être désigné au hasard pour mourir, non. Si ça vient sur moi, je serai surpris et ma figure deviendra rose comme celle de l’Italien[55] . »

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Littérature de la Shoah Les deux hommes ont ressenti cruellement la difficulté d'être entendus et crus dans leurs efforts de reconstituer la réalité et établir pour l'Histoire la matérialité des faits. La France de l'après-guerre immédiat est un pays traumatisé par la défaite et l'occupation. Elle a envie de tourner la page. De même, l'Italie panse les plaies des années de fascisme. De ce fait, les premiers témoignages peinent à trouver un éditeur et des lecteurs. La première édition de Si c'est un homme, de Primo Levi (réédité en Pocket), n'excède pas 2500 exemplaires, en 1947[6] . Sur la difficulté de se faire comprendre David Rousset écrit : « Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible. Même si les témoignages forcent leur intelligence à admettre, les muscles ne suivent pas. [...] La mort habitait parmi les concentrationnaires toutes les heures de leur existence. Elle leur a montré tous ses visages. Ils ont touché tous ses dépouillements [...] Ils ont cheminé des années durant dans le fantastique décor de toutes les dignités ruinées. Ils sont séparés des autres par une expérience impossible à transmettre[56] . » Les oeuvres des témoins ont toute en commun une économie de moyen au service d'une écriture réaliste. Ces écrits sont influencés par les bouleversements de la littérature du XXe siècle. L'écriture de David Rousset rappelle celle du roman objectif américain. Beaucoup de textes ont été réécrits entre la première édition et la première réédition. C'est le cas de Si c’est un homme de Primo Levi. Entre la version écrite en 1946 et publiée en 1947, et la seconde, la standard, écrite entre 1955 et 1956 mais publiée en 1958, il existe des différences notables. De plus, un retour à la rationalité caractérise cette littérature[57] .

Les derniers témoins À partir des années 1970, conscients de l'imminence de leur décès et de la nécessité de transmettre, les derniers témoins oculaires ont pris la parole. Marek Edelman, un des commandants de l'insurrection du ghetto de Varsovie, qui avait toujours gardé le silence et refusé toute participation officielle aux commémorations, livre ses souvenirs en 1977 dans un entretien avec Hannah Kroll[58] . « Antek » Itzhak Zukerman, membre du mouvement juif de résistance du ghetto de Varsovie Ha'Chalutz attend les dernières années de sa vie pour dicter ses souvenirs du soulèvement du ghetto de Varsovie. Aba Kovner, combattant du ghetto de Vilnius, rédige les siens[59] . Parmi les témoignages les plus terribles, se trouve celui de Filip Müller, l'un des rares survivants des Sonderkommandos d'Auschwitz [60] . Il décrit sa sinistre tâche : sortir les corps des chambres à gaz, vérifier la présence d’or (dentaire inclus) et tous objets de valeur qui seraient remis aux SS, tondre les cheveux des femmes puis incinérer les corps. Il est plus facile pour ces derniers témoins de communiquer leur expérience. Les temps ont changé. L'écoute et la compréhension sont plus importantes. Seule Ruth Klüger bouscule le consensus sur le devoir de témoigner. Dans son livre Refus de témoigner[61] , paru en 1992, cette spécialiste de la littérature allemande cherche à tordre le cou à ce qu'elle appelle des idées reçues. Pour elle, le souvenir, pour qu'il existe, demande un lien. Mais il est difficile à établir car il y a « un intervalle béant ». Il est aussi difficile et même « absurde » de décrire les camps avec des mots car « le langage humain a été inventé pour autre chose ». Ses souvenirs n'évoquent que très peu les nazis et les camps de concentration[62] . Dans le marché du livre de la décennie 2000, la publication de nouveaux témoignages pose problème : beaucoup n'ont pas les qualités littéraires qui font un bon livre ; le nombre des ventes est très limité, rarement plus de 1000 exemplaires. De fait, l'édition de ce genre d'ouvrages s'apparente à un acte militant et se heurte à la conviction que « la Shoah n'est pas seulement l'affaire des Juifs et des fédérations de déportés »[63] . De plus, bien qu'il possède la légitimité de la souffrance vécue, le récit du déporté demeure souvent, aux yeux des historiens, l'expression individuelle d'un malheur collectif. Il est donc susceptible de distorsions. L'historien Raul Hilberg déclare à ce sujet : « Bien que je me sois assez peu servi des témoignages, ils m'ont fait commettre des erreurs[6] ».

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Penser la Shoah La Shoah, un événement unique dans l'histoire ? Le génocide des Juifs a eu des conséquences dans le domaine de la pensée philosophique. Ainsi, Adorno s'est posé la question : « Comment penser après Auschwitz ? ». Pour lui la pensée occidentale, issue de la Renaissance et des Lumières est devenue caduque. En effet, la philosophie occidentale a maintenu des rapports autres qu’épisodiques avec les structures totalitaires ayant pour conséquence Auschwitz. Aimé Césaire avance, quant à lui, que la pensée que révoque Adorno devant la barbarie nazie frappant en Europe des Européens tout blancs est la même qui philosophait tranquillement des siècles durant, se souciant éperdument de la barbarie européenne sévissant dans d'autres contrées où elle pensait qu'il n'y avait des hordes sauvages sans foi ni loi et surtout sans droit[64] . Ainsi se trouve posée d'une manière radicale la question de l'unicité de la Shoah. Alan S. Rosenbaum[65] reprend les arguments en faveur de l'unicité de la Shoah : l'intention délibérée d'un État moderne d'exterminer un peuple ; l'instrumentalisation à cette fin d'un antisémitisme installé depuis des siècles ; la mobilisation de tout un appareil social et administratif ; l'effort immense pour rafler dans les pays occupés tous les Juifs pour les soumettre à un processus pour les réduire en esclavage et de les éliminer[64] . Christian Delacampagne pense que l'entreprise génocidaire obéit à quatre critères : volonté de détruire physiquement un groupe en tant que tel pour des raisons d'ordre national, ethnique, racial ou religieux, utilisation, à ces fins, des ressources de la bureaucratie et de la technologie, des moyens d'action « collectifs et modernes[66] ». Dans cette acception, le génocide arménien, la Shoah et le génocide rwandais sont de même nature.

La Shoah et la question humaine La Shoah est une telle négation de l'Homme[67] dans ses fondements sociaux, moraux et philosophiques qu'elle amène les témoins à se pencher sur la question humaine. De fait, Primo Levi et Robert Antelme s'interrogent tous deux en 1947 afin de savoir « si c'est un homme » et ce qu'est « l'espèce humaine ». Bruno Bettelheim a connu en 1938, la déportation à Dachau puis à Buchenwald avant de pouvoir émigrer aux États-Unis en 1939[68] . Il consacre plusieurs livres à ce qu'il nomme l'analyse de « l'expérience de l'extrême », des effets de la terreur, de l'humiliation, et à la dégradation psychologique et morale Ruine du crématoire IV qu'ils entraînent chez les victimes[69] . Hannah Arendt débarrasse l'extermination de toute dimension mystique ou théophanique dans sa [70] thèse célèbre sur la banalité du mal . Elle analyse les nazis comme des serviteurs du crime, simples rouages d'une énorme machine administrative devenue folle et inhumaine. Les interrogations sur la nature de l'espèce humaine nées après Auschwitz continuent à questionner les philosophes et les intellectuels. Pour Giorgio Agamben, un philosophe italien né en 1942, Auschwitz est « un lieu où l’état d’exception coïncide parfaitement avec la règle, où la situation extrême devient le paradigme même du quotidien[71] ». Pour lui, ni les règles de droit, ni la morale, ni les référence culturelles ou philosophiques ne peuvent expliquer le réel alors que le musulman, celui qui est chargé dans le camp de gérer les chambres à gaz et le four crématoire ne le peut plus[72] . Les philosophes questionnent le lien entre l'humain et l'inhumain. La culpabilité n'est pas seulement celle des rescapés, elle est ici celle des survivants qui ont perdu des proches[67] . Les psychanalystes se sont eux aussi emparés de la Shoah à travers les notions de perlaboration, de travail du deuil, de résilience. Parmi les nombreux ouvrages consacrés à ce sujet on peut citer L'Absence de Pierre Fédida[73] et Ce Temps qui ne passe pas Jean-Bertrand Pontalis [74] .

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Dieu et la Shoah La Shoah a poussé un bon nombre de Juifs à s'interroger sur le silence de Dieu. En effet, pour beaucoup de Juifs, à l’heure de l’épreuve, le silence de Dieu est un scandale. Cette question est majeure à l’intérieur même du judaïsme et pour tout juif croyant, la foi juive se fondant précisément dans la présence de Dieu dans l'Histoire. L'une des réponses est celle du psychiatre juif Henri Baruk : la Shoah peut se concevoir comme une théophanie, c'est-à-dire une manifestation divine, mais négative. Elle serait l'application des menaces de Dieu à Moïse en cas de rupture de l'Alliance. Selon Baruk, Marx et Freud, ces deux dissidents du judaïsme que la Bible désigne sous le nom de « faux prophètes » sont les grands responsables de cette rupture de l'Alliance qui entraîne une menace contre l'existence même du peuple juif. La Shoah est donc interprétée comme une punition. D'autres « prophétisaient » cette « punition » lors de la réforme du judaïsme entreprise par Abraham Geiger[75] . Cette notion de punition est également adoptée par Zalman M. Schachter, bien qu'elle s'adresse à tous les Juifs, qui n'ont pas condamné l'Allemagne. Des Juifs laïcs de la jeune génération répondent à cela que « s’il y avait un Dieu, il aurait sauvé au moins les observants, les fidèles, les priants »[76] . Pour eux, ainsi que leurs aînés, la Shoah est simplement une preuve de plus infirmant l’existence de Dieu[77] . Dans une ligne proche, bien que dans une optique plus religieuse, André Néher parle à propos de la Shoah d'un « échec de Dieu. » Cependant, ces deux types de réponses sont irrecevables pour Emil Fackenheim, rabbin progressiste, héritier de la pensée de Franz Rosenzweig et de Martin Buber, et tributaire des interrogations d'Elie Wiesel. Pour ce dernier, né dans une famille juive orthodoxe, élevé dans le monde des Hassidim, et bercé dans la Kabbale, le « Dieu de son enfance, » Celui qui sauve toujours Ses enfants in extremis, est mort. Cependant, ce n'est pas le cas de Dieu Lui-même : la colère de Wiesel s'élève à l'intérieur de la foi, et « les questions que je m'étais autrefois posées à propos du silence de Dieu, elles demeurent ouvertes [...] je maintiens que la mort de six millions d'êtres humains pose une question à laquelle aucune réponse ne sera jamais apportée[78] . » Fackenheim affirme quant à lui que seule la tradition juive peut, et doit, répondre à la question : malgré le mal, Dieu est-il présent dans l’histoire ? Pour lui, les Juifs sont « Témoins pour Dieu et pour l'homme, même si nous (les Juifs) sommes abandonnés par Dieu et par l'homme »[79] . Ces réflexions sont le fruit d'une longue maturation. En 1938, Emil Fackenheim, emprisonné avec d’autres Juifs, se fait interpeller par l’un d’eux : « Vous avez étudié la théologie juive, n’est-ce pas Fackenheim ? Vous en savez donc bien plus que nous tous ici. Alors je vous demande ce que le judaïsme pourrait nous dire aujourd’hui ». Fackenheim se promit alors de pouvoir répondre un jour à cette question. Après Auschwitz, il pense que pour ne pas donner à Hitler la victoire à titre posthume, il est interdit au Juif de désespérer de l’homme et de son monde et de s’évader dans le cynisme ou dans le détachement[80] . Si l'on peut parler, avec Martin Buber, d’éclipse de Dieu, il n’y a pas lieu de s’attarder sur la mort de Dieu, car cette image de Dieu est bien éloignée de la représentation que s'en fait le judaïsme[81] . Le philosophe allemand Hans Jonas propose une réponse fort différente dans Le Concept de Dieu après Auschwitz[82] . Pour lui, une certitude émerge du désastre : si l'existence de Dieu ne doit pas être remise en question après Auschwitz, le concept de la toute-puissance divine doit en revanche être abandonné. Les hommes doivent accepter un Dieu faible en devenir et en souffrance, un Dieu qui « s'est dépouillé de sa divinité »[83] , seule hypothèse alternative acceptable à celle d'un Dieu tout-puissant, qui a donc voulu ou permis l'extermination des Juifs.

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Le témoignage et le Dire L'essai, forme hybride entre document historique, récit biographique et réflexion philosophique, est devenu une des formes majeures de l'écriture de la Shoah. C'est un genre autonome qu'on peut retrouver dans le roman et même de la poésie. Adorno, en s'interrogeant sur la possibilité d'écrire de la poésie après Auschwitz ouvre un champ qui mobilise une grande partie de la réflexion contemporaine sur l'esthétique. Les essais se multiplient : Maurice Blanchot s'interrogent sur L'Écriture du désastre[84] . Jacques Derrida consacre plusieurs livres à la question : L'Écriture et la différence (1967), Schibboleth (1986), Feu la cendre (1986), Sauf le nom (1993), Khôra (1993), Apories (1996). Le philosophe Paul Ricœur a développé une Stolperstein à Hambourg (Max Eichholz) philosophie de la mémoire, définissant le devoir de mémoire comme une certaine forme d'injonction à se souvenir d'événements horribles, qui ne prend son sens que par rapport « à la difficulté ressentie par la communauté nationale, ou par des parties blessées du corps politique, à faire mémoire de ces événements de manière apaisée ». Il relève qu'il y a un glissement du bon usage à l'abus du « devoir de mémoire », lorsque « le devoir de rendre justice, par le souvenir, à un autre que soi », aux victimes à l'égard desquelles nous avons une dette à payer, s'érige en « direction de conscience qui se proclame elle-même porte-parole de la demande de justice des victimes » par une sorte de « captation de la parole muette des victimes »[67] . L'interrogation sur la possibilité ou l'impossibilité du Dire traverse donc tous les essais, toutes les réflexions sur la Shoah. Comment dire le néant ? « Effectivement. Comment peut-on décrire des choses qui « ne peuvent se décrire » et pour lesquelles « il n'y a pas de mots » ? Et pourtant il a fallu trouver des mots, parce que hormis les mots, il n'y avait presque rien[...] »[85] . C'est un musicien, Simon Laks qui le dit.

La littérature romanesque de la Shoah Les questions posées par la littérature romanesque de la Shoah peuvent être résumées en deux phrases. La première d'Adorno : « Quelle est la légitimité de l'art confrontée à la souffrance extrême ? ; La seconde d'Aharon Appelfeld : « Seul l'art a le pouvoir de sortir la souffrance de l'abîme[86] ».

L'écriture romanesque des rescapés des camps et des ghettos Les romans en yiddish

Les ruines du ghetto de Varsovie photographiées en 1945

Les premières œuvres romanesques sont, comme les témoignages, dictées par la volonté de transmettre, de rendre cette expérience intelligible mais cette fois-ci dans une reconstitution utilisant les codes fictionnels. C'est en Yiddish que sont écrits les premiers romans. Chava Rosenfarb publie L'Arbre de vie (Der boym fun lebn ; ‫םיוב רעד‬ ‫)ןבעל ןוֿפ‬, trilogie commencée dans le ghetto de Lodz et achevée en 1972. Elle est aussi l'auteure de poèmes écrits à Auschwitz où elle fut internée en 1944. Mordekhai Strigler relate sous forme romancée sa vie dans le camp de travail de Skarzysko-Kamienna où il fut envoyé après avoir passé sept semaines à Majdanek[87] . Il écrit ensuite Fabrique C


Littérature de la Shoah en 1950 et les deux volumes de Destins en 1952. Isaïe Spiegel écrit plusieurs séries de nouvelles : Lumière d'abîme en 1952, Vent et racines en 1955 et Les Flammes de la terre[88] en 1966. Yehiel De-Nur utilise la forme romanesque pour livrer ses souvenirs sous le nom de « Ka-Tzetnik 135633 » ce qui signifie KZ (Konzentrationslager) 135633 en référence au numéro que les nazis ont tatoué sur son bras à son arrivée dans le camp d'Auschwitz.. Son œuvre sur la Shoah donnera naissance à un cycle de six romans étalés dans le temps. En 1946, Il écrit Salamandra[89] , où il décrit le sadisme des nazis à Auschwitz. La Maison de filles de 1955 raconte l'histoire de Daniella, quatorze ans au début du récit, qui finit par aller travailler dans « la Maison de filles »[90] . Ka-Tzetnik évoque dans ce roman écrit d'après le journal écrit par une jeune fille qui a péri dans les camps de la mort, un bordel de prostitution forcée situé à l'intérieur du camp, un quartier cyniquement appelé « Division de la Joie » (en anglais, Joy Division), d'après la terminologie nazie. Sont décrites les atrocités subies par les jeunes filles et les femmes juives, recrutées par les officiers nazis dans les camps pour être violées. Rachmil Bryks écrit des nouvelles en yiddish traduites en anglais sous le titre de A Cat in the Ghetto : Four Novelettes[91] . Elles parlent de la mort lente dans le ghetto. Témoignages romanesques dans d'autres langues D'innombrables romans sont écrits en diverses langues. Le Français David Rousset écrit ses souvenirs d'ancien déporté dans Les Jours de notre mort[92] et dans Le pitre ne rit pas[93] . Il montre l'horreur et la grandeur humaine qui se côtoient dans les camps. En langue allemande, on peut citer Lion Feuchtwanger, l'un des chefs de file des intellectuels allemands qui luttent contre le nazisme avant guerre. Réfugié en France puis aux États-Unis à partir de 1940, il publie Le Diable en France[94] en 1942. Il y raconte son internement en 1940 au Mémorial à tous ceux morts en tentant de s'enfuir camp des Milles, près d'Aix-en-Provence ; il évoque les humiliations du camp. Une sculpture semblable est exposé au que la France a fait subir aux Allemands et Autrichiens antinazis qui Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem en Israël avaient, en 1933, choisi ce pays comme terre d'asile[95] . Fred Uhlman, exilé d'Allemagne en 1933 écrit L'Ami retrouvé[96] . Anna Seghers avec Transit (1944) livre aussi sous forme romanesque son histoire de réfugiée en France[97] . Ils ont décrit dans des œuvres de facture classique l'étouffement progressif des exilés et des condamnés[67] . En langue tchèque, l'écrivain le plus emblématique est Jiri Weil. En 1949, il publie plusieurs livres sur le thème de la Shoah et de l'exclusion des Juifs du monde par les nazis : un roman d'inspiration autobiographique Vivre avec une étoile[98] , un impressionnant collage littéraire, Complainte pour 77 297 victimes (Žalozpev za 77297 obetí) (1958) et un roman posthume Mendelssohn est sur le toit[99] (1960). En langue polonaise, il faut citer deux auteurs : Tadeusz Borowski qui fait revivre l'horreur des camps avec une cruauté à peine soutenable dans un recueil de nouvelles L'Adieu à Marie (Pożegnanie z Marią), ou Le Monde de Pierre[100] ; Adolf Rudnicki qui montre la vie du ghetto avec un regard plein de compassion dans les Fenêtres d'or[101] . Ida Fink, née en 1921 à Zbarav a pu s'échapper du ghetto de Lwow en 1942. Elle écrit en polonais uniquement sur la Shoah. Dans Le Jardin à la dérive[102] , un recueil de nouvelles, elle trace le portrait de gens ordinaires confrontés à l'inimaginable. Dans Le Voyage[103] , elle raconte sous une forme romanesque son odyssée douloureuse sous l'identité d'une petite fille catholique pour échapper à ses bourreaux. En 1945, Joaquim Amat-Piniella écrit en catalan K.L. Reich, récit saisissant de ses cinq années de captivité dans le camp de Mauthausen. Ce n'est qu'en 1963 que le livre sera publié dans une version expurgée par la censure de la dictature de Franco. La version complète ne sera publiée qu'en 2001. L'écriture romanesque de ces écrivains décrit parfois avec un hyper-réalisme les situations, parfois même des visions de cauchemar, relevant de la littérature de l'horreur[67] . Comme dans les récit des déportés, les scènes d'arrivée dans le camp de concentration reviennent comme dans des cauchemars. On peut citer le roman de Ka-Tzetnik 135633, La Pendule au-dessus de la tête, paru en 1961.

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Littérature de la Shoah Les œuvres romanesques écrites en langue française par les rescapés de la Shoah empruntent différentes voies littéraires. Le Sel et le soufre d'Anna Langfus, paru en 1960, évoque son périple pendant la guerre, ses qualités littéraires retiennent immédiatement l'attention de la critique et du public. Elle reçoit pour ce livre le prestigieux prix Charles Veillon. Le roman suivant, Les Bagages de sable obtient le prix Goncourt en 1962. Elle y présente sous la forme d'une aventure amoureuse râtée, le douleur d'une rescapée de la Shoah incapable de revenir au monde. Piotr Rawicz, né en Ukraine et exilé à Paris en 1947 après avoir miraculeusement survécu à l’extermination des Juifs d’Europe, cherche à élucider les raisons de sa survie dans Le Sang du ciel, un roman étonnant qui oscille entre macabre et grotesque, violence et tendresse[104] . Le premier roman de Jorge Semprún Le grand voyage[105] , écrit à 40 ans, a comme thème la déportation. Ce roman autobiographique a la structure d'un récit oral. La trame chronologique est sans cesse perturbée par des digressions qui apparaissent au gré de la mémoire, par des mots-clés ou même une volonté rationnelle de souvenir. La narration est une odyssée de cinq jours dans le cadre unique d'un wagon de marchandise entre Compiègne et le camp de concentration de Buchenwald. Gérard, le narrateur repense à son passé et raconte des événements relatifs[106] . Les enfants de la Shoah Ceux qui ont vécu la Shoah enfants livrent un regard différent. Ainsi Uri Orlev, né en 1931, survivant du ghetto de Varsovie et du camp de Bergen-Belsen, invente l'histoire d'Alex, gamin débrouillard, qui parvient à survivre avec sa souris blanche dans un abri clandestin qu'il a lui-même construit au sein du ghetto de Varsovie, Une île, Rue des Oiseaux. Jaroslaw Marek Rymkiewicz, né en 1935, livre dans une œuvre inclassable, La dernière gare, Umschlagplatz[107] , à la fois roman, essai et récit autobiographique ses souvenirs d'enfant polonais vivant tout près du ghetto de Varsovie. Umschlagplatz, la « place du Transbordement » est le lieu d'où sont partis vers les camps de la mort, 310000 Juifs en 1942. L'œuvre d'Henryk Grynberg, né en 1936 à Varsovie, a été caché pendant la guerre dans des familles « aryennes ». Il témoigne de ses expériences à travers des nouvelles et des romans comme L'enfant de l'ombre[108] où il raconte l'errance éperdue de son enfance, Drohobycz, Drohobycz and Other Stories : True Tales from the Holocaust and Life After, un ensemble de nouvelles qui racontent entre autres l'assassinat de l'artiste Bruno Schulz[109] ou Children of Zion (Jewish Lives) où il raconte l'évacuation d'enfants d'Union soviétique vers la Palestine en 1943[110] . Louis Begley, né en 1933, se penche sur son passé dans Une éducation polonaise''[111] . Il évoque « sa propre honte d'être en vie », la blessure d'une enfance polonaise passée dans la peur, le mensonge, le secret. Jerzy Kosiński, autre enfant caché raconte lui aussi dans son premier roman, L'Oiseau bariolé[112] , en 1966, l'épopée d'un enfant juif dans les campagnes polonaises durant la Seconde Guerre mondiale. Le lecteur est confronté à une suite de scènes atroces dans lesquelles la violence et la cruauté atteignent leur paroxysme. Les tortures, tant morales que physiques, subies par l'enfant, sont contées avec monotonie dans un style sec, toujours sur le même tempo, comme si elles étaient les conséquences d'un mal inéluctable qui habite l'homme[113] . Le hongrois Imre Kertész, né en 1929 dont l'œuvre est profondément marquée par son expérience des camps, est le témoin incroyablement neutre de ce qu'il a vécu. Dans son roman Être sans destin[114] , le héros est un adolescent juif de quinze ans, comme lui à l'époque de son internement, Le jeune homme est arrêté puis déporté dans un camp de concentration nazi. Là, il considère les événements qui s'y déroulent comme quelque chose de « naturel compte tenu des circonstances ». De ce fait, la barbarie qu’il subit ne semble susciter en lui qu’indifférence (comme dans L'Étranger de Camus). Kertész raconte, sans aucun effet pathétique, les crimes atroces qui se déroulent dans le camp. Il tente au contraire de s'en distancier, et de garder le point de vue d'un adolescent étonné. L'auteur pense qu'il est impossible d'écrire un roman sur la réalité d'Auschwitz sans choquer le lecteur. On ne peut que tenter de faire comprendre, par le trouble que suscite le récit, cette monstruosité humaine[115] .

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Littérature de la Shoah Les impostures littéraires et la Shoah La portée de la Shoah, et l'impact des témoignages, ont encouragé certains auteurs à publier des récits purement fictifs en les faisant passer pour d'authentiques récits de survivants. Parmi ceux-ci, Monique De Wael, dite Misha Defonseca s'invente une odyssée pédestre de la Belgique à la Russie à la recherche de ses parents déportés[116] . Cet ouvrage pourtant de piètre qualité littéraire s'est vendu à 200000 exemplaires tant l'histoire de cette petite fille adoptée par des loups plus accueillants que les humains de l'époque a provoqué l'emerveillement des lecteurs. L'auteure a reconnu le caractère fictionnel de son œuvre[117] suite à la polémique déclenchée autour du livre Survivre avec les loups, et du film qui en avaient été tiré[118] . Elle avait été précédée en la matière par Bruno Grosjean, qui avait publié ses « souvenirs » sous le nom de Binjamin Wilkomirski[119] , avant que les incohérences et le caractère fictionnel du récit dont il faut souligner la qualité littéraire ne soient définitivement établis en 1999[120] .

La Shoah, un thème fictionnel devenu universel Le choc de la Shoah a été tel dans le monde que de nombreux romanciers en ont fait un thème central pour leurs fictons romanesques. tous les pays d'Europe ont été touchés ainsi que toutes les communautés juives du monde. Mais pour la plupart de ces auteurs, qui n'ont pas fait l'expérience des camps, toute tentative de représentation directe semble impossible, voire indécente. Il faut donc trouver d'autres moyens pour parler de la Shoah, sans décrire les camps et ce qui s'y passait. Les pionniers La première tentative indirecte est certainement due à Saul Bellow, l'un des maîtres du roman juif américain. Dans son premier roman, L’homme de Buridan (Dangling Man) publié en 1944, il évoque les exactions des Gardes de fer roumains pendant la Seconde Guerre mondiale[121] . En 1946, Zvi Kolitz publia Yossel Rakover s'adresse à Dieu[122] , poignant réquisitoire d'un combattant du ghetto de Varsovie, texte salué par Emmanuel Lévinas. En Israël, Haïm Gouri s'inspire de ses expériences européennes en 1947[123] , pour écrire L'Affaire chocolat. Il y dépeint deux survivants se retrouvant dans la Varsovie d'après-guerre, Robi, débordant d'initiative et d'esprit d'entreprise, qui réalise l'affaire en question, tandis que son compagnon Mordy se laisse submerger par la douleur et en meurt. Edward Lewis Wallant met en scène dans son deucième roman, Le préteur sur gages (1961) un rescapé de la Shoah, Sol Nazerman, survivant de Dachau et de Bergen-Belsen qui s'est installé comme préteur sur gages à Harlem. Wallant analyse les conséquences psychologiques de la Shoah chez un survivant. Il fait un parallèle entre la situation des Juifs et celle des noirs américains victimes de l'esclavage et de la ségrégation. Ce parallèle a provoqué une vive controverse au moment de la sortie du roman[124] . Saul Bellow et Bernard Malamud reviendront plusieurs fois dans leur œuvre sur la Shoah, le premier dans La Planète de M. Sammler[125] , le second dans L'Homme de Kiev en 1966 et La Grâce de Dieu, son dernier roman en 1982. Ils ouvrent la voie à toute une série de romans qui sans avoir comme sujet principal la Shoah, y font références par les biais d'un personnage ou d'un retour en arrière. Lorsque André Schwarz-Bart publie Le Dernier des Justes en 1959, la littérature romanesque de la Shoah en est encore à ses balbutiements en France. Ce roman qui raconte par le truchement une saga familiale, l'histoire des Juifs d'Europe du XIIe siècle à Auschwitz connaît un succès phénoménal (plus d'un million d'exemplaires vendus et un prix Goncourt). Le public français prend conscience de l'horreur du génocide juif qu'il peut situer dans la perspective historique du vieil antisémitisme européen. L'impact fort de ce livre est tel que le « Kaddish » qui termine le livre est aujourd'hui inscrit en lettres géantes sur un mur de Yad Vashem[126] .

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Littérature de la Shoah Les romanciers anglo-saxons Philip Roth dont les romans racontent l'histoire de Juifs américains, évoque souvent le souvenir de la Shoah. Dans son premier opus, Goodbye, Columbus[127] , la Shoah apparaît dans une des six nouvelles, Eli le Fanatique. Dans le petite communauté de Woodenton, Eli Peck, un avocat juif assimilé de la petite ville, est chargé de faire partir une communauté juive fraîchement émigrée d'Europe de l'Est. Il se retrouve face à une communauté qui a tout perdu[128] . Par la suite, l'écriture de Philip Roth n'aborde la Shoah que sous les formes de l'absurde, du grotesque, du macabre. Roth donne naissance à son double littéraire dans L'écrivain des ombres, « Nathan Zuckerman ». Celui-ci rencontre une belle inconnue qu'il imagine être une Anne Frank rescapée de Bergen-Belsen qui, apprenant sur le tard la survie de son père lors de la publication de son fameux journal, choisit de garder le silence pour laisser à son témoignage « posthume » toute sa force d'impact sur la prise de conscience de la Shoah[129] . Dans Opération Fresque de Yad Vashem Shylock l'écrivain aborde une nouvelle fois le thème de la judéïté au XXe siècle et se demande comme être Juif au XXe siècle, après l'holocauste, alors qu'un État juif, existe désormais. Le narrateur, Philip Roth lui-même, apprend qu'un certain « Philip Roth » sévit en Israël, donnant des conférences sur le diasporisme ou le retour des Juifs ashkénazes dans leurs patries respectives. Dans Le complot contre l'Amérique (2004), Roth écrit un « roman historique » dans lequel le narrateur, un certain Philip Roth, raconte l'histoire de sa famille alors que Charles Lindbergh, connu pour son antisémitisme et ses sympathies nazies est devenu président des États-Unis en 1940. Cynthia Ozick propose une œuvre, elle aussi étonnante. Le héros du Messie de Stockholm est un critique littéraire suédois qui se prend pour le fils naturel de Bruno Schulz, l'écrivain polonais assassiné par les nazis. Il recherche le manuscrit d'un roman mythique et perdu de son père imaginaire, Le Messie[130] . Le Châle, tourne autour de Rosa Lublin. survivante d'un camp de la mort, elle ne se remet pas de la perte de son bébé qu'elle avait enveloppé dans un châle pour le cacher aux nazis : « Ma nièce Stella, énonça lentement Rosa, dit qu’en Amérique les chats ont neuf vies, mais nous, nous sommes moins que les chats, alors nous en avons trois. La vie avant, la vie pendant, la vie après[131] . » Un des derniers romans d'importance américain sur la Shoah est L'Histoire de l'amour[132] de Nicole Krauss, publié en France en 2005. Dans ce roman où plusieurs trames de narrations se croisent, un des protagonistes, Léopold (Léo) Gursky survit à la Shoah en restant caché dans les forêts polonaises tandis que sa bien-aimée, Alma, a pu partir pour New York avant l'invasion allemande. Après la guerre, Léo rejoint à son tour l'Amérique. Alma, enceinte de lui et qui le croyait mort s'est mariée avec un autre. Son ami, Zvi Litvinoff a publié le manuscrit qu'il lui avait confié, L'Histoire de l'amour en s'en attribuant la paternité. Léo Gusky survit en portant le deuil de tout ce qu'il perdu, son amour, son fils, son oeuvre, comme si la shoah l'avait écarté de son destin. Chez les auteurs anglais, la Shoah n'apparait que très tardivement comme thème romanesque. D.M. Thomas écrit en 1981, L'hotel blanc[133] livre au ton ironique et grave, mélant la psychanalyse et la Shoah[134] .

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Littérature de la Shoah La littérature israëlienne de la Shoah Comme dans tous les pays d'accueil, les rescapés qui émigrent en Israël arrivent plein de récits horrifiques et comme partout ailleurs, ils constatent vite qu'« une barrière de sang et de silence » les sépare de leurs compatriotes[135] . Pourtant, on estime qu'un Israélien sur trois est un survivant de la Shoah à la fin de 1949, soit 350000 personnes environ. Ce n'est qu'en 1953 que la Knesset vote la loi sur la Shoah et accorde officiellement à Yad Vashem la fonction de « réunir, rechercher et publier l'ensemble des faits relatifs à la Shoah[136] ». Mais la parole des témoins reste peu audible. Il n'est donc pas étonnant que Fresque de Yad Vashem les écrivains israéliens de langue hébraïque se soient lancés tard dans l'évocation romanesque de la Shoah. Le réveil vient avec le procès d'Adolf Eichmann qui s'ouvre à Jérusalem. Gideon Hausner, le procureur général israélien convoque à la barre un grand nombre de témoins qui bouleversent l'auditeur lors de leur passage à la barre. Ils provoquent l'identification aux souffrances des victimes[135] . Mais il faut encore beaucoup de temps pour que les écrivains israéliens de langue hébraïque évoquent la Shoah dans leurs œuvres, à l'exception notable d'Aharon Appelfeld et de Haim Gouri. L'Affaire Chocolat[137] de ce dernier évoque le traumatisme des deux survivants juifs, sans les nommer, et l'impossibilité à l'effacer, sinon le surmonter. Yoram Kaniuk l'évoque également dans Le Dernier berlinois et Adam ressuscité. De jeunes auteurs, n’ayant vécu la Shoah que dans la mémoire collective d'Israël, se mettent eux aussi à en parler : Savion Liebrecht dans son recueil de nouvelles, Un toit pour la nuit, ou surtout David Grossman dans Voir ci-dessous Amour. Amir Gutfreund introduit une dose d'ironie et de tendresse dans Les gens indispensables ne meurent jamais[138] . Deux enfants, plein de vie, y harcèlent de questions de vieux survivants pour leur arracher, bribe après bribe, leurs souvenirs de ces années tragiques. Aharon Appelfeld est né en 1932 en Roumanie avec comme langue maternelle l'allemand. Il a émigré en 1946 en Israël, après avoir perdu ses deux parents durant la Shoah. Ses romans inscrivent l'anéantissement dans l'imaginaire littéraire hébreu, langue qu'il a appris à l'âge de quatorze ans[67] . Il n’évoque pas directement la Shoah, un événement réellement innommable, mais le temps d’avant et d’après la tragédie. Ses héros sont des Juifs assimilés, qui ne se reconnaissent pas dans une identité juive. Ils sont d'autant plus désarmés lorsqu’ils doivent affronter leur destin de Juifs. Aharon Appelfeld décrit aussi des rescapés incapables de se libérer d’un passé douloureux qui les poursuit, incapables de se forger une vie nouvelle. Pour montrer l'écroulement du monde autour de ses personnages il décrit un monde inquiétant[67] .Le Temps des prodiges[139] en est le parfait exemple. Le roman montre la désagrégation d'une famille de juifs autrichiens assimilés, refusant de voir la montée des périls, au travers des souvenirs du narrateur, un enfant puis s'arrête au moment où la communauté juive de la ville est déportée pour reprendre des années plus tard avec le retour du narrateur sur les lieux de son enfance. Il y est confronté à l'indifférence et à un antisémitisme larvé.

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Littérature de la Shoah La Shoah dans la littérature allemande Mis à part, Peter Weiss, Juif allemand ayant échappé à la Shoah, il est impossible aux écrivains allemands d'affronter la Shoah autrement qu'en dénonçant son aspect destructeur sur la société allemande. Hans Fallada, dans son roman , Seul dans Berlin, paru en 1947, évoque le sort d'une vieille juive victime de bassesse humaine de raté qui voient dans le nazisme une occasion de revanche sur la vie[140] . Heinrich Böll, le premier, à une époque où la RFA veut oublier son passé récent et honteux, explore dans ses nouvelle la culpabilité allemande et les désastres psychologiques et humains engendrés par le nazisme et la Des SS surveillant des déportés dans le camp de guerre. Ce catholique aussi sincère qu’atypique, déserteur de la Buchenwald Wehrmacht, livre dans un court roman publié en 1953, Rentrez chez vous Bogner ! le portrait d'une Allemagne qui ne croit plus en rien et où rôde l'ombre des crimes du nazisme[141] . Dans Les enfants des morts[142] , il offre la peinture quotidienne d’une nation blessée dont la guerre a désorganisé les structures et démoli les familles. Il dénonce une Allemagne qui refuse d'assumer sa culpabilité, qui masque l'innommable derrière la facade d'une démocratie factice dont la prospérité se construit sur les cadavres[67] . Peter Weiss, dont la famille s'est exilée en Suède en 1938, écrit après une visite à Auschwitz : « C'est une localité à laquelle j'étais destiné et à laquelle j'ai échappé[143] . » Il assiste au procès de vingt-deux responsables du camp d’Auschwitz à Francfort. Comme le procès d'Eichmann à Jérusalem, ce procès de vingt mois (20 décembre 1963-19 août 1965) joue un rôle important dans la prise de conscience de la population allemande. À partir de ses notes et de la transcription intégrale des débats dans le Frankfurter Tageszeitung, Weiss écrit L’Instruction qui appartient au genre du théâtre documentaire. Les témoignages, les plaidoyers sont organisés sous forme de pièce de théâtre[144] . Günter Grass a reçu le prix Nobel de littérature en 1999 « pour avoir dépeint le visage oublié de l'histoire dans des fables d'une gaieté noire ». Les années de chien[145] (1963) racontent l'évolution de l'Allemagne entre 1920 et 1955. C'est l'occasion de montrer le mal qui culmine en ce tas d'ossements « [...] un monticule blanchâtre, une usine fumant lourdement »[67] . Mais l’aveu tardif par Günter Grass de son engagement dans la Waffen SS[146] , à 17 ans, à la fin de la guerre, a causé de nombreux remous et interrogations sur le sens de l'œuvre de l’écrivain, dénonciation ou rideau de fumée sur son passé ? Le dramaturge Thomas Bernhard dénonce, quant à lui l'hypocrisie de l’Autriche. Le Liseur (Der Vorleser) de Bernhard Schlink publié en Allemagne en 1995 est une œuvre complexe, c'est à la fois le récit de l’initiation amoureuse du narrateur (15 ans au début du roman) par une femme de 36 ans qui le quitte mystérieusement, quelques années plus tard, elle se révèle être une ancienne gardienne de camp, puis celui de son arrestation et de son procès. Au-delà du récit qui tourne autour d'un secret soigneusement cachée par la femme, le livre a pour thème les difficultés à comprendre la Shoah pour les générations postérieures à celle-ci, et demande si elle peut se comprendre par le seul langage. La littérature française et la Shoah Une grande diversité d'auteurs La littérature française de la Shoah prend des formes diverses. Plus de 20 ans après Schwartz-Bart, Marek Halter renoue avec le genre de la saga familiale en racontant l'histoire d'une famille ballotée par les persécutions et les aléas de l'histoire de 70 à l'insurrection du ghetto de Varsovie dans La mémoire d'Abraham[147] . À partir des années 1970, on assiste à une résurgence de la mémoire juive de l'Occupation et de la Shoah, qui va de pair avec une profusion de romans et de récits. La « génération d'après », celle des enfants de survivants et des survivants-enfants de la Shoah prend la plume. Dans L'Homme suivi[148] , Serge Koster, né en 1940, raconte l'histoire de deux enfants nés pendant la guerre, un Juif, l'autre non dont le père s’est compromis pendant l'Occupation. Élisabeth Gille dont la mère Irène Némirovsky est morte à Auschwitz en 1942, écrit en 1992 Le Mirador, un livre qui prend la forme d'un roman qu'elle sous-titre « Mémoires rêvés » où, à la première personne, elle raconte l'histoire de sa mère. En 1996, avec Un

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Littérature de la Shoah paysage de cendres, Élisabeth Gille revient sur son enfance dévastée. Berthe Burko-Falcman, enfant cachée qui ne le savait pas, évoque dans L'Enfant caché[149] la difficulté à retrouver son identité quand on a été caché son un faux nom pendant les années d'enfance. Philippe Grimbert évoque dans Un Secret les mêmes difficultés pour un enfant né après-guerre auquel son identité juive a été soigneusement cachée, jusqu'à son nom, par des parents dont une partie de la famille a disparu dans les camps et les Stalag[150] . Il convient aussi de citer Myriam Anissimov[151] , Robert Bober[152] . Les interrogations sur la shoah et les disparus s'incarnent aussi dans l'écriture théâtrale. Liliane Atlan puise son inspiration dans les traditions juives : Les Musiciens-les Émigrants (1993) et Un opéra pour Terezin (1997) sont ses oeuvres les plus marquantes évoquant la Shoah. Jean-Claude Grumberg dont le père est mort en déportation sans qu'il ne sache vraiment ni où, ni quand évoque dans son théâtre les brûlures de cette absence et de cette énigme. Dans L'Atelier, des femmes juives attendent le retour de leurs maris de la déportation. Dans Amorphe d'Ottenburg[153] , le père Hans est une allégorie de la politique nazie envers les Juifs. Dans Rêver peut-être[154] , titre emprûnté à Hamlet, le père disparu hante le héros de la pièce. Daniel Zimmermann, qui se vécut survivant du nazisme, fit des camps le sujet de son roman L'Anus du monde. Trois écrivains majeurs Les écrivains les plus emblématiques de la littérature française de la shoah sont Georges Perec, Patrick Modiano et Henri Raczymow. Ces auteurs se heurtent comme leurs confrères étrangers à la difficulté de parler d'un événement qu'ils n'ont pas, ou très peu vécu, et qui n’a été transmis que fort difficilement, comme absence ou comme disparition. Cette « mémoire absente » est au cœur même leur œuvre. Elle s’exprime à travers une poétique proche des recherches formelles d’Oulipo et du Nouveau Roman[155] . Georges Perec est un enfant caché et un orphelin de la Shoah. Il utilise la contrainte littéraire de l'oulipo et les constructions intellectuelles pour nommer l'indicible (la mort de sa mère, la douleur de l'absence) tout en l'enfouissant au plus profond du texte. Ainsi La disparition, célèbre roman en lipogramme écrite en 1969, n'évoque pas seulement la disparition de la lettre E, jamais utilisée dans le roman, mais celle de ses parents. W ou le souvenir d'enfance est une œuvre restée longtemps méconnue qui alterne (un chapitre sur deux) une intrigue autour de jeux sportifs, à la fois mystérieuse puis horrifique et le récit autobiographique de l'enfance et de l'adolescence de l'auteur. Le rapport des deux récits n'est jamais nommé mais reste implicite, et cela de façon lancinante[156] . Chez Modiano, né en 1945, la recherche des traces de la persécution des Juifs passe par l'exploration des rues de Paris. dans La Place de l’Étoile, la rive droite est liée aux activités les plus louches de l’Occupation : c’est le domaine de la Gestapo, de son pendant français, et de la collaboration. La rive gauche est par contre associée avec la Résistance qui avait son quartier général dans le XIVe arrondissement[157] . Il s’oriente ensuite vers le récit-enquête dont le modèle le plus fascinant est certainement Rue des Boutiques Obscures (1978). Un narrateur amnésique y mène une enquête sur son passé qui le ramène à la période de l’Occupation en France et semble reconstituer peu à peu quelques données de son ancienne vie parmi lesquelles l’événement responsable de son amnésie, une tentative vaine de passer en fraude la frontière suisse avec sa compagne. Le roman se construit ainsi autour d’un vide central, d’une rupture à combler, d’un mystère qu’il s’agit de résoudre. Il renvoie à la conscience d’une cassure historique que constituent les événements de la Seconde Guerre mondiale. Le rôle de la littérature est ici posé comme essentiel, puisqu’elle permet de conserver des traces du passé et de ce qu’on veut effacer. Elle « répare » ces morts, et elle porte témoignage. Le roman peut imaginer, faire de la fiction pour combler des lacunes dues au temps, à l’oubli, à l’extermination, tout en restant dans un esprit de vérité, dans une fidélité aux disparus et à leur vie. Avec Dora Bruder ce travail est encore plus net. Le réalisme est impuissant à exprimer l'histoire de la disparue. Il reste alors la représentation allégorique, indirecte, fragmentaire d’une expérience vécue que le lecteur est appelé à déchiffrer dans des récits d’énigme où tout est trace et indice d’autre chose, où tout est déplacement dans la représentation[158] . Dora Bruder devient une sorte de symbole, présente et absente à la fois, des horreurs des années noires, et surtout de la participation française à la Solution finale allemande. Car l’effort du romancier de découvrir le sort d’une Juive française lui révèle l’anéantissement de beaucoup d’autres[159] .

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Littérature de la Shoah Henri Raczymow, le moins connu des trois, entreprend dans Contes d’exil et d’oubli[160] de restaurer la mémoire juive avant la Shoah. Dans Un cri sans voix, il explore les conséquences de la shoah dans la vie présente. Les références religieuses : Jéricho dont le mur s'est effondré, Le Livre d'Esther, Les prophéties d'Ezéchiel sur Gog et Magog, sont nombreuses. Les obsessions des enfants de la shoah sont mélangées au complexe d'Œdipe[67] . La Shoah vue du côté des bourreaux Philosophes, psychanalystes, historiens, écrivains se sont penchés sur la question : Comment un homme peut-il commettre de telles horreurs ? Quelques écrivains ont essayé de se mettre dans la tête des bourreaux écrivant des fictions toujours dérangeantes. La caractéristique de ces romans est en effet la crudité des détails, qu'on ne retrouve guère chez les romanciers de la Shoah qui n'ont pas connu la terrible expérience concentrationnaire. Ils puisent ces détails dans les récits des survivants mais les intègrent comme une donnée banale pour les bourreaux. Le ton est donc cynique et froid, neutre et détaché dans ces ouvrages où les monstruosités sont accomplies en toute bonne foi avec le sentiment d'agir pour « la bonne cause ». Le premier à s'être essayé au genre est Robert Merle qui publie en 1952 La mort est mon métier. La narration, à la première personne, est prise en charge par Rudolf Lang, commandant du camp d'Auschwitz. Il reçoit l'ordre d'exterminer les juifs et s'acquitte avec conscience de sa tâche sans manifester le moindre remords, même au moment où on le condamne à mort en 1947[161] . Merle a basé son roman sur les interrogatoires de Hoess, le commandant d'Auschwitz, dans sa cellule par un psychologue américain, et sur les documents du procès de Nuremberg. À sa sortie, le livre fut attaqué avec violence par la critique. Ce livre peut servir d'illustration à la thèse d'Hannah Arendt sur la banalité du mal. En 1991, parait La flêche du temps[162] de Martin Amis. Le livre, en mode narratif à la première personne, raconte l'histoire de « Tod Friendly », un vieux monsieur qui traverse sa vie en sens inverse, comme un film qu'on regarde en le rembobinant. Le lecteur découvre alors le métier de médecin, les changements d’identité à répétition, les cauchemars de Friendly pour finalement découvrir son terrible passé de médecin nazi à Auschwitz. Amis dépeint le quotidien d’un médecin et l'univers hospitalier « où les atrocités se succèdent sans qu’on puisse les arrêter, comme s’il fallait de nouvelles atrocités pour valider les atrocités précédentes. » Le romancier ne passe sur aucun détail du quotidien d'Auschwitz. La sortie du roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes a provoqué de nombreuses réactions aussi bien sur le contenu de l'histoire, sur le vernis apparent de culture du roman recélant en fait de nombreuses approximations que sur la qualité esthétique du roman. Comme dans La mort est mon métier, la narration, à la première personne, se fait du point de vue du bourreau, n'épargnant rien au lecteur des massacres des Juifs à l'est. les Bienveillantes a été un grand succès littéraire en 2006, suscitant un grand nombre de questions: s'agit-il d'un attrait morbide pour la barbarie? Pour la figure du monstre?

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La poésie de l'anéantissement « La poésie en tant que témoignage est la voix humaine qui dit l'irréductible humain »[163] . Dans les ghettos et les camps, les poètes juifs mettent en vers la catastrophe qui s'abat sur leur peuple. C'est Ytshak Katzenelson[164] , qui implore les wagons de lui dire où sont partis les juifs du ghetto de Varsovie : Wagons vides ! Vous étiez pleins et vous voici vides à nouveau, Où vous êtes-vous débarrassés de vos Juifs ? Que leur est-il arrivé ? Ils étaient dix mille, comptés, enregistrés – et vous voilà revenus ? Ô dites-moi, wagons, wagons vides, où avez-vous été ? (...) Muets, fermés, vous avez vu. Dites-moi, ô wagons, où menez-vous ce peuple, ces Juifs emmenés à la mort ? Écrivain et poète réputé, Ytshak Katzenelson peut quitter le ghetto de Ytshak Katznelson Varsovie grâce à faux passeport. Il parvient alors de gagner la France. Interné au camp de Drancy puis de Vittel par le gouvernement de Vichy, il est livré aux Allemands avant qu'il ne soit capturé, puis interné au camp de Vittel, antichambre d'Auschwitz pour lui et son fils. C'est à Vittel que l'on retrouve le manuscrit de son poème en yiddish, Le Chant du peuple juif assassiné. Le poète retrouve les accents des prophètes de la Bible pour prendre à parti Ezéchiel, et parler de cette vallée sans ossements ni promesse de résurrection. C'est aussi Avrom Sutzkever qui écrit de nombreux poèmes dans le ghetto de Vilnius publiés après la guerre[165] . Après guerre, il publie un recueil de poésie et de prose[166] . Des ces recueils, il évoque le basculement du monde, la mort de lieux juifs et la mort des juifs dans les rues, les égouts, des camps... Chava Rosenfarb écrit elle aussi dans le ghetto de Lodz et même dans le camp de travail en Allemagne où elle est déportée[167] . Isaïe Spiegel parle lui de « la peau distendue craquelée par la faim »[67] . Wladiyslaw Szengel, de langue polonaise laisse des poèmes bouleversants sur la mort du ghetto de Varsovie comme celui sur le violent du départ de la Maison des Orphelins de Janusz Korczak, le célèbre pédiatre, pour l'Umschlagplatz :

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(...) Et déjà les enfants montaient dans les wagons (...) J'ai songé en ce moment ordinaire, Pour l'Europe un rien insignifiant, sans doute, Que lui, pour nous, dans l'histoire, en ce même moment, Inscrit là la plus belle page. Que dans cette guerre aux Juifs, infâme, Dans cette ignominie sans borne, ce chaos sans issue, Dans ce combat pour la vie à tout prix, Dans ces bas-fonds de tractations-trahisons, Sur ce front où la mort est sans gloire, Dans cette danse de cauchemar en pleine nuit, Il y eu un unique héroïque soldat, Janusz Korczak, tuteur des orphelins[168] . L'affirmation de Theodor W. Adorno sur l'impossibilité d'écrire de la poésie après Auschwitz, et la réticence de Primo Levi vis-à-vis de Janusz Korczak celle-ci[169] , ne sont pas partagée par un grand nombre d'auteurs de langue yiddish après-guerre. Non seulement les poètes survivants des ghettos et des camps continuent à écrire mais la poèsie permet à la langue yiddish de jeter ses derniers feux. Ils continuent de puiser métaphores, rythmes et respiration dans les formes symboliques des traditions littéraires juives qui avaient structuré leur imaginaire. Beaucoup sont inconnus dans le monde francophone et non jamais été traduits en français: Israel Aszendorf, Kalmen Fridman[170] , Binem Heller à la fois parolier et dont certains poèmes ont été adaptés en chanson[171] . Les grands poètes yiddish avant-gardistes Jacob Glatstein[172] et Peretz Markish, assassiné lors des purges staliniennes de 1952 ainsi que le grand théologien Abraham Joshua Heschel[173] ont eux aussi consacrés un recueil de poésie à la destruction des Juifs d'Europe. On peut en connaitre certains au travers des anthologies de poésie yiddish ou de littérature de la Shoah. Les poètes yiddish soviétiques, proches témoins de l'anéantissement des Juifs d'Europe de l'Est n'ont que peu d'années avant la Nuit des poètes assassinés et l'interdiction du yiddish pour évoquer la Schoah. C'est Samuel Halkin qui évoque « les fosses profondes, la glaise rouge », Peretz Markish qui affirme: « En vérité je te le dis nous sommes tous morts à Lublin », Itzik Fefer qui publie « les ombres du ghetto de Varsovie » en hommage aux révoltés du ghetto de Varsovie, une oeuvre animée du souffle de l'épopée, et David Hofstein condamné: (...)à assembler, à ordonner les simples les humbles mots à pétrir tourments et afflictions en paroles[67] ... Le sentiment de culpabilité taraude toute la poésie yiddish des rescapés comme des poètes russes. Tandis que la majeure partie du peuple et sa langue avaient sombré dans l'anéantissement, les rescapés et les survivants étaient menacés d'être engloutis dans la tentation létale du silence ou dans la surdité du monde. L'une des plus célèbres poèmes de l'anéantissement, bien que rejeté par son auteur comme non-représentatif de sa poésie[169] , est la Todesfuge (Fugue de mort) de Paul Celan, poète juif de langue allemande, né roumain et naturalisé français le 8 juillet 1955. Mais le monde des lettres d'outre-Rhin, où l'antisémitisme s'est métamorphosé plutôt qu'il n'a disparu n'accueille pas à bras ouverts un poète plaçant la Shoah au centre de son écriture. La lecture publique de la Fugue de mort) devant les écrivains du "groupe 47", en 1952 à Niendorf, est un fiasco; certains osant comparer la diction de Celan à celle de Goebbels[174] .. Celan confie à son amie, la poétesse autrichienne Ingeborg

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Littérature de la Shoah Bachmann, que ce poème est pour lui pour lui l'« épitaphe » de sa mère (Grabschrift) assassinée au camp de Michailowka en Ukraine. Lait noir de l’aube nous le buvons le soir nous le buvons midi et matin nous le buvons la nuit nous buvons nous buvons nous creusons une tombe dans les airs on n'y est pas couché à l'étroit Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit il écrit quand vient le sombre crépuscule en Allemagne tes cheveux d'or Margarete il écrit cela et va à sa porte et les étoiles fulminent il siffle ses dogues il siffle pour appeler ses Juifs et fait creuser une tombe dans la terre il ordonne jouez et qu'on y danse [...] Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit nous te buvons midi et matin nous te buvons le soir nous buvons nous buvons un homme habite la maison tes cheveux d'or Margarete tes cheveux de cendre Sulamith il joue avec les serpents Il crie jouez doucement la mort la mort est un maître venu d'Allemagne il crie assombrissez les accents des violons alors vous montez en fumée dans les airs alors vous avez une tombe au creux des nuages on n'y est pas couchés à l'étroit [...] tes cheveux d'or Margarete tes cheveux de cendre Sulamith[175]

Bande dessinée et Shoah La bande dessinée, considérée comme un art mineur réservé aux enfants pendant très longtemps, s'est intéressée tardivement à la Shoah. L'album La bête est morte ![176] publié en 1947 et qui raconte la Seconde Guerre mondiale sous forme d'histoire animalière, n'évoque pas du tout la Shoah. En effet, la prise de conscience de la spécificité de la Shoah n'a pas encore eu lieu. De même, le journal catholique Cœurs Vaillants raconte en 1945, sous forme de BD, un épisode de la vie d’un curé à Buchenwald sans que les Juifs ne soient même mentionnés. Ce n'est que depuis la sortie de Maus, Auschwitz et plus récemment, en 2006, Sir Arthur Benton que ce thème devient central dans certains récits de bande dessinée.

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Notes et références [1] Anthologie de la poésie yiddish. Le miroir d’un peuple, Gallimard, 1987 et 2000, p. 441 [2] Emanuel Ringelblum, Chronique du Ghetto de Varsovie, Robert Laffont, 1993, p. 21 [3] Catherine Coquio, « L'émergence d'une « littérature » de non-écrivains : les témoignages de catastrophes historiques », Revue d’Histoire Littéraire de la France, mai 2003 [4] Marc Riglet, « Écrire la Shoah », Lire, mars 2008 [5] Annette Wieviorka, Déportation et génocide, entre la mémoire et l'oubli, Plon, Paris, 1992 ; 1998 [6] Raphaëlle Rérolle, Nicolas Weill , « La parole contre l'extermination », Le Monde, 25 février 1994, mis en ligne le 23 avril 2005 [7] Il y avait onze millions de locuteurs dans le monde, trois millions de yiddishophones ayant émigré en Amérique et en Australie. [8] Conseil de l'Europe, « Le yiddish : langue et littérature (http:/ / assembly. coe. int/ Documents/ WorkingDocs/ doc96/ FDOC7489. htm) » sur http:/ / assembly. coe. int''. Consulté le 27 juin 2008 [9] Docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-VII [10] En 1981, il y avait quatre millions de locuteurs dans le monde. Il n'y en avait plus que 2 millions en 1995 [11] Annette Wievorka, « La mémoire de la Shoah », Cahiers français, no 303, juillet-août 2001, p. 64 [12] Primo Levi, Les naufragés et les rescapés, Gallimard, 1989 [13] Elie Wiesel, Le chant des morts, Seuil, 1966 [14] Sarah Kofman, Rue Ordener, rue Labat, Galilée, 1993. Voir aussi Paroles suffoquées publié en 1987. [15] Art Spiegelman, Maus, Flammarion, 1998, p. 176 [16] Art Spiegelman, p. 205 [17] Jacques Presser, La Nuit des Girondins, Maurice Nadeau, 1998 [18] Collectif, Des voix sous la cendre, Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau, Calmann-Lévy, 2005 [19] Zalman Gradowski, Au cœur de l'enfer, Kime, 2001 [20] Le texte de Leib Langfus, 62 pages cachées dans un récipient de verre, a été retrouvé en avril 1945 par un jeune polonais qui cherchait « l'or des Juifs » dans le camp d'extermination. Il l'a ensuite caché dans son grenier. Son frère l'a retrouvé après son décès en 1970 et l'a remis au musée d'Auschwitz. [21] « Sonderkommando, Auschwitz-Birkenau » (http:/ / www. emilweiss. com/ Presse_Sonderkommando. pdf), consulté le 6 juillet 2008 [22] Anne Frank, Journal, Calmann-Lévy, 1950, p. 279 [23] Ana Novac, Les beaux jours de ma jeunesse, Balland, 2006 et Folio [24] Mascha Rolnikaite, Le journal de Mascha, De Vilnius à Stutthof (1941-1945), Liana Levi, 2003 [25] Volker Ullrich, « Critique du journal de Mascha », Die Zeit, supplément pour la Foire du Livre de Francfort, 2 octobre 2002. [26] Le Journal de Rutka, janvier – avril 1943, suivi de Ma sœur Rutka par Zahava (Laskier) Sherz, et de Les Juifs et la Pologne par Marek Halter, éd. Robert Laffont, (ISBN 2221110277) ; (ISBN 978-2221110270) ; selon une amie de Rutka, elle aurait cependant échappé à la Selektion, et aurait été victime d'une épidémie de typhus, suite à quoi elle aurait été jetée dans un four crématoire – « Journal d’outre-tombe » (http:/ / www. liberation. fr/ transversales/ grandsangles/ 314675. FR. php), par N. Dubois et M. Zoltowska, Libération du 10 mars 2008 [27] Abraham Cytryn, Les Cahiers d'Abraham Cytryn. Récits du Ghetto de Lodz, Albin Michel, Paris, 1995 [28] Mary Berg, Le ghetto de Varsovie. Journal de Mary Berg, Paris, Albin Michel, 1947 [29] Nicolas Weill, « La Shoah ou la solitude des Justes », entretien avec Saul Friedlander, Le Monde, 7 janvier 2007 [30] Leyb Rokhman, Un in dayn blut zolstu lebn : Tog-bukh 1943-1944 ; (Et dans ton sang tu vivras, Journal 1943-1944), Les Amis de Minsk-Mazowiecki, Paris, 1949 (écrit en yiddish) [31] Avraham Tory, Surviving the Holocaust: The Kovno Getto Diary, Harvard University Press, 1991 [32] « The Story of Avraham Tory and his Kovno Ghetto Diary » (http:/ / www. eilatgordinlevitan. com/ kovno/ kovno_pages/ kovno_stories_tory. html), consulté le 27 juin 2008 [33] Adam Czerniakow, Carnets du ghetto de Varsovie, La Découverte, Paris, 1996 [34] Janusz Korczak, Journal du ghetto (1942), Éd. R. Laffont, coll. « Pavillons », 1998 et Éditions 10/18, Paris, 2000 [35] Chaim Kaplan, Chronique du ghetto de Varsovie, Calmann-Levy, 1966 [36] Abraham Lewin, Journal Du Ghetto De Varsovie. Une Coupe De Larmes, Plon, 1990 [37] Shloyme Frank, Journal du ghetto de Lodz, Togbukh fun lodzher geto , Buenos Aires : Association centrale des Juifs polonais en Argentine, 1958 [38] Herman Kruk, Chronicles from the Vilna Ghetto and the Camps, 1939-1944, Yale University Press, YIVO Institute for Jewish Research, 2002 [39] Victor Klemperer, Journal (1933-1945), coffret deux tomes : - Mes soldats de papier 1933-1941 - Je veux témoigner jusqu'au bout 1942-1945, Seuil, 2000 [40] Victor Klemperer, LTI, la langue du Troisième Reich. Carnets d'un philologue, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Idées », 1947 ; rééd. 1996, p. 361 [41] Emanuel Ringelblum, Archives clandestines du ghetto de Varsovie, (traductions du yiddish, de l’hébreu et du polonais), Tome 1 : Lettres sur l'anéantissement des Juifs de Pologne, Tome 2 : Les enfants et l'enseignement clandestin dans le ghetto de Varsovie, Fayard, 2007 [42] « Oneg Shabbat*, la joie des réunions du samedi » (http:/ / www. archiwa. gov. pl/ memory/ sub_ringelblum/ index. php?va_lang=fr& fileid=001_1), consulté le 4 juillet 2008

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Littérature de la Shoah [43] Laurent Theis, « L'industrie de mort nazie », Le Point, 21 février 2008 [44] Roger Gouffault, Quand l’homme sera-t-il humain, Brive, Écritures, 2003, p. 10 [45] Nadine Heftler, Si tu t'en sors, La Découverte, 1992 [46] Mordekhai Strigler, Maidanek, Lumières consumées, Éditions Honoré Champion [47] Avrom Sutzkever, Où gîtent les étoiles, Seuil, 1989 [48] Jonas Turkow, C'était ainsi, 1939-1943, la vie dans le ghetto de Varsovie, Austral, 1995 [49] Élie Wiesel, Et le monde se taisait (témoignage en yiddish, traduit/condensé en français sous le titre La Nuit, 1956) [50] Pelagia Lewinska, Vingt mois à Auschwitz, Éditions Nagel, première édition 1945 [51] Vingt mois à Auschwitz, Nagel, 1945, p. 87-88 [52] Moshé Garbarz, Un survivant Auschwitz-Birkenau, 1942-1945, Ramsay, 2006 [53] Primo Levi, Si c'est un homme, Pocket, première édition, 1947 [54] Robert Antelme : L'espèce humaine, Gallimard, 1947 [55] L’espèce humaine, p. 241-242 [56] David Rousset, L'Univers concentrationnaire, première édition 1947 ; réédition Hachette Littératures, 1998 [57] Philippe Mesnard, Écritures d’après Auschwitz, disponible sur vox poética (http:/ / www. vox-poetica. org/ t/ mesnard. html) [58] Hanna Krall, Prendre le bon Dieu de vitesse, Paris, Éditions Gallimard, 2005 [59] Abba Kovner, The Mission of the Survivors, The Catastrophe of European Jewry, Éd. Yisrael Gutman, Ktav Publishing House, New York, 1977 [60] Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz, Pygmalion, 1997 [61] Ruth Klüger, Refus de témoigner (Weiter leben, 1992, trad. de l’allemand par Jeanne Etoré), Viviane Hamy, 1997 [62] « Fantômes et fantasmes » (http:/ / www. lmda. net/ mat/ MAT02253. html), consulté le 28 juin 2008 [63] François Gèze, PDG des éditions de la découverte qui publie beaucoup de témoignages de rescapés de la Shoah [64] Louis Sala Molins, article « Génocide », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007. [65] Alan S. Rosenbaum, Is the Holocaust Unique? : Perspectives on Comparative Genocide, Westview Press, 1996. [66] Christian Delacampagne, Une histoire du racisme, Le Livre de Poche, 1998. [67] Rachel Ertel, « La littérature de la Shoah », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007 [68] Pamela Tytell, article « Bruno Bettelheim », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007 [69] Bruno Bettelheim, « Comportement individuel et comportement de masse dans les situations extrêmes (1943) », dans Survivre, Robert Laffont, 1979 et Le Cœur conscient, Robert Laffont, 1997 [70] Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Gallimard, 1966, Folio, 1991 — Ouvrage compte-rendu du procès du responsable nazi à l'occasion duquel elle inventa l'expression « banalité du mal » et met en question l'action des Conseils juifs dans la déportation. [71] Giorgio Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz, Rivages/poche, 2003 [72] Agamben, « Ce qui reste d’Auschwitz » (http:/ / remue. net/ spip. php?article116), consulté le 26 juin 2008 [73] Pierre Fédida, L'Absence, Gallimard, Coll. « Connaissance de l'inconscient », 1978 [74] Jean-Bertrand Pontalis, Ce temps qui ne passe pas, suivi de Le compartiment de chemin de fer, Gallimard, 1997 [75] Responsum 20247 sur cheela.org (http:/ / www. cheela. org/ popread. php?id=20247) [76] Sebastian Réjak1, Un trauma de l’identité juive : transmission et intériorisation du vécu de la Shoah dans des familles juives polonaises et américaines, Face A Face - numéro 5, mars 2003, p 103; disponible sur (http:/ / www. ssd. u-bordeaux2. fr/ faf/ pdf/ faceaface_5. pdf) [77] ibid., p.99 [78] Elie Wiesel, Tous les fleuves vont à la mer, Mémoires tome 1, éd. Le Seuil 1996, pp. 120-121 [79] Emil Fackenheim, Penser après Auschwitz, Le Cerf, 1986 [80] C'est aussi, d'une certaine manière le point de vue adopté par Albert Cohen dans Belle du Seigneur (1968). Face à la barbarie nazie, il oppose le retour à la foi juive et à ses valeurs. (voir la page 575 de l'édition Folio 2007) [81] « La Présence de Dieu dans l'histoire » (http:/ / www. editions-verdier. fr/ v3/ oeuvre-presencedieu. html), consulté le 26 juin 2008 [82] Hans Jonas, Le Concept de Dieu après Auschwitz, Paris, Rivages, 1994 [83] André Comte-Sponville, L'esprit de l'athéisme, Albin Michel, 2006, p. 127 [84] Maurice Blanchot, L'écriture du désastre, Gallimard, 1980 [85] Simon Laks, Mélodies d'Auschwitz, Le Cerf, 1991 [86] « Témoignages de la Shoah », Le Monde, 11 mai 2007 [87] Mordekhai Strigler, Dans les usines de la mort, In di Fabriken fun Toit, Buenos Aires Tsentral Farband fun Poilshye yidn in Argentine, 1948 [88] Isaïe Spiegel, Les Flammes de la terre, Gallimard, 2001. Ce roman d'amour, d'horreur et de mort se déroule pendant les derniers mois du ghetto de Lodz (hiver 1943 – été 1944) et correspond exactement à la vérité historique [89] Ka-Tzetnik 135633, Salamandra, Dvir, Tel Aviv, 1946 [90] Ka-Tzetnik 135633, Maison de filles, Gallimard, 1958 [91] Rachmil Bryks, A Cat in the Ghetto : Four Novelettes, Bloch Pub. Co, 1959 [92] David Rousset, Les Jours de notre mort, Hachette Littératures, coll. « Pluriel », 2004 [93] David Rousset, Le pitre ne rit pas, Éditions Du Pavois, 1948 [94] Lion Feuchtwanger, Le Diable en France, Belfond, 1996

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Littérature de la Shoah [95] « Lion Feuchtwanger » (http:/ / www. bibliomonde. com/ auteur/ lion-feuchtwanger-687. html), consulté le 30 juin 2008. [96] Fred Uhlman, Léo Lack, L'Ami retrouvé, Gallimard, 2001 et Coll. « Folio junior », 1999 [97] Anna Seghers, Transit, Le Livre de Poche, 2004 [98] Jiri Weil, Vivre avec une étoile (Život s hvězdou, 1949), Éditions Denoël, 1992 ; réédition Éditions 10-18, Paris, « Domaine étranger » no 2764, 1996 [99] Jiri Weil, Mendelssohn est sur le toit (Na střeše je Mendelssohn, 1960), Éditions Denoël, « Empreinte », 1993 ; réédition 10-18, « Domaine étranger » no 2888, 1997 [100] Tadeusz Borowski, Le Monde de Pierre, 1948, éd. Christian Bourgois, 2002 [101] Adolf Rudnicki, les Fenêtres d'or, 1954 ; Gallimard, 1966 [102] Ida Fink, Le Jardin à la dérive, Point, 1991 [103] Ida Fink, Le Voyage, Robert Laffont, 1992 [104] Henri Meschonnic, « Pour Piotr Rawicz, à l’heure des Bienveillantes, et la mise en crise du langage sur l’art » (http:/ / remue. net/ spip. php?article1907), consulté le 7 juillet 2008 [105] Jorge Semprun, Le grand voyage, Gallimard, 1963 [106] « La structure du roman Le Grand Voyage » (http:/ / www. hoffilux. lu/ memoire/ index. php?part=memoire& page=212), consulté le 7 juillet 2008 [107] Jaroslaw Marek Rymkiewicz, La dernière gare, Umschlagplatz, Robert Laffont, 1989 [108] Henryk Grynberg, Child of the Shadows, Valentine, Mitchell, Londres, 1969 [109] Henryk Grynberg, Drohobycz, Drohobycz and Other Stories : True Tales from the Holocaust and Life After, Penguin, 2002 [110] Henryk Grynberg, Children of Zion (Jewish Lives), Northwestern University Press, 1998 [111] Louis Begley, Une éducation polonaise, Grasset, 1992 [112] Jerzy Kosiński, L'Oiseau bariolé (The Painted Bird), 1966 ; J'ai Lu, 2007 [113] Christophe Mercier, Article « Jerzy Kosiński », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007 [114] Imre Kertész, Etre sans destin (Sorstalanság), Éditions 10/18, novembre 2002 [115] Fridrun Rinner, Article « Imre Kertész », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007 [116] Misha Defonseca, Survivre avec les loups, Robert Laffont, 1997 [117] Survivre avec les loups a été coécrit avec Vera Lee [118] Marc Metdepenningen, « Les Aveux de Misha Defonseca », Le Soir, 28 février 2008 (http:/ / archives. lesoir. be/ t-20080228-00F2CQ. html) [119] (en) Binjamin Wilkomirski, Fragments. Memories of a Childhood, 1939–1948, Schocken Books, New York, 1996 [120] Stefan Maechler, The Wilkomirski Affair: A Study in Biographical Truth, traduit en 2001 de l'allemand par John E. Woods, en appendice au livre de Grosjean, Schocken Books, New York, (ISBN 0-8052-1135-7) [121] En février 1941, les fascistes de la Garde de Fer perpètrent un pogrom sanglant à Bucarest. 118 morts, des Juifs, sont identifiés. Les cadavres sont atrocement mutilés. [122] Zvi Kolitz, Yossel Rakover s'adresse à Dieu, Calmann-Lévy, 1998 [123] Haïm Gouri, L'affaire chocolat, Denoel, 2002 [124] Edward Lewis Wallant, Le Prêteur sur gages, The Pawnbroker, J-C Lattes 1983 [125] Lire le résumé et l’analyse du livre sur saulbellow.org (http:/ / www. saulbellow. org/ NovelOverviews/ Sammler. html) [126] Francine Kaufmann, « André Schwarz-Bart, le Juif de nulle part », L’Arche, no 583, décembre 2006, p. 84-89, disponible sur judaisme.sdv.fr (http:/ / judaisme. sdv. fr/ perso/ schwbart/ arche. pdf) [pdf] [127] Philip Roth, Goodbye, Columbus, Gallimard, 1959 [128] Une analyse intéressante de la nouvelle est disponible dans : Crystel Pinçonnat, Assimilation ou fidélité aux valeurs du Vieux Monde ? La nouvelle et sa représentation de l'immigration juive aux États-Unis, Université de Bretagne Occidentale (Brest), mai 2001 (http:/ / 209. 85. 129. 104/ search?q=cache:S8Uw0diIfBUJ:www. univ-brest. fr/ amnis/ documents/ Pinconnat2001. doc+ "Eli+ le+ fanatique"& hl=fr& ct=clnk& cd=6& gl=fr) [129] « L'écrivain des ombres » (http:/ / www. babelio. com/ critiques/ Roth-LEcrivain-des-ombres/ 10732), consulté le 9 juillet 2008 [130] Cynthia Ozick, Le Messie de Stockholm, Seuil, 2005 [131] Cynthia Ozick, Le Châle, 1991 ; Seuil, 2005 [132] Nicole Krauss, L'Histoire de l'amour, Folio, 2008 [133] D.M. Thomas, L'hôtel blanc (White Hotel), Le Livre de Poche, 1983 [134] Richard Pedot propose une analyse du livre dans : The White Hotel de D. M. Thomas : jeux et enjeux de l'interprétation, Université de Paris X-Nanterre, 2001 (http:/ / www. paradigme. com/ sources/ SOURCES-PDF/ Pages de Sources10-2-2. pdf) [pdf] [135] Nicolas Weill et Annette Wieviorka, « La construction de la mémoire de la Shoah : les cas français et israélien », Les cahiers de la Shoah no 1, 1994 sur anti-rev.org [136] Loi du 9 août 1953 sur la Shoah et la Guevoura [137] Haim Gouri, tard. Rosie Pinhas-Delpuech), L'Affaire Chocolat, éditeur 10/18, 2005, Collection Domaine étranger, ISBN 978-2264039361 [138] Amir Gutfreund, Les gens indispensables ne meurent jamais, Gallimard, 2008 [139] Aharon Appelfeld, Le Temps des prodiges, Tor Ha-Plaot, (roman), Hakibbutz Hameuchad, 1978, Seuil, 2004 [140] Hans Fallada, Seul dans Berlin, Folio, 2004

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Littérature de la Shoah [141] Heinrich Böll, Rentres chez vous Bogner !, Seuil, 1990 [142] Heinreich Böll, Les enfants des morts, Le Seuil, 1955 ; réédition 2001 [143] Peter Weiss, « Meine Ortschaft » dans Du palais à l'enfer, 2000 [144] Peter Weiss, « L’Instruction, théâtre documentaire » (http:/ / remue. net/ spip. php?article1996), consulté le 11 juillet 2008 [145] Günter Grass, Les années de chien, Seuil, 1999 [146] Aveux fait dans En épluchant les oignons, Seuil, 2007, [147] Marek Halter, La mémoire d'Abraham, 1983 ; réédition Pocket, 2005 [148] Serge Koster, L'Homme suivi, Flammarion, 1992 [149] Berthe Burko-Falcman, L'Enfant caché, Seuil, 1997 [150] Philippe Grimbert, Un secret, Hachette, 2007 [151] Myriam Anissimov, La Soie et les cendres, folio, 1991 [152] Robert Bober, Quoi de neuf sur la guerre?, Gallimard, 1995 [153] Jean-Claude Grumberg, Actes-Sud [154] Jean-Claude Grumberg, Rêver peut-être, Actes-Sud [155] Annelise Schulte Nordholt, Perec, Modiano, Raczymow. La génération d'après et la Mémoire de la shoah sur fabula.org (http:/ / www. fabula. org/ actualites/ article24449. php), consulté le 1er août 2008 [156] Harry Mathiews, Article « Georges Perec », Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007 [157] Manet van Montfrans, Dante chez Modiano, une divine comédie à Paris sur revue-relief.org (http:/ / www. revue-relief. org/ index. php/ relief/ article/ viewFile/ 127/ 158), consulté le 1er août 2008 [158] Catherine Douzou, « En quête d'histoire(s); en quête de soi », Cahiers du CERACC, no 1, mai 2002, p. 45-55 [159] Richard J. Golsan, « Vers une définition du roman « occupé » depuis 1990 », Cahiers du CERACC, no 1, mai 2002, p. 57-68 [160] Henri Raczymow, Contes d’exil et d’oubli, Gallimard, 1979 [161] Michel P Schmitt, Article Robert Merle, Encyclopædia Universalis, DVD, 2007 [162] Martin Amis, La Flèche du temps, Christian Bourgois, 1993 [163] Rachel Ertel, Dans la langue de personne, Poésie yiddish de l'anéantissement, Seuil, 1993, p. 28 [164] Ytshak Katzenelson, le chant du peuple juif assassiné, (traduit du yiddish par Batia Baum), présenté par Rachel Ertel ; édition française Zulma, 2007 (ISBN 2-8430-4408-1) [165] Avrom Sutzkever, Di festung : lider un poemes : geshribn in vilner Geto un in vald 1941-1944, New York : Ikuf, 1945, et Lider fun geto, New York : Ykuf, 1946. Ces œuvres ne sont pas disponibles en Français même si Avrom Sutzkever est considéré comme le plus grand poète yiddish de l'après-guerre. [166] Avrom Sutzkever, Où gîtent les étoiles, Dortn vu es nekhtikn di shtern, Seuil, 1989 [167] Chava Rosenfarb, Di balade fun nekhtikn velt, Londres, 1947. [168] Wladiyslaw Szengel, Ce que j'ai lu aux défunts, Ghetto de Varsovie, 10 août 1942. Traduit du polonais par Yvette Métral [169] Primo Levi, À la recherche des racines, anthologie personnelle, éd. Mille et une Nuits, pp.205-207, septembre 1999, ISBN 2-84205-420-2 [170] Kalmen Fridman, Lukhot, Jerusalem, 1964; [171] Binem Heller, Mein chwester 'Hayé:

Ma soeur Khayé avec ses beaux yeux verts, Un allemand l'a brûlée à Tréblinka. Et je suis maintenant dans l'état juif Le dernier à l'avoir un jour connue. [172] [173] [174] [175] [176]

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Sources et contributeurs de l’article

Sources et contributeurs de l’article Shoah Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?oldid=64463185 Contributeurs: (:Julien:), 120, Acélan, Addacat, Adehertogh, Adrien51, Agamitsudo, Ahbon?, Alain Caraco, Alamandar, Alchemica, Alex F., Alibaba, AlphaREX, Alteramos, Am13gore, Amire80, Anne97432, Anti Slash, Antoine Loisel, Apokrif, Apollofox, Archimëa, Arkayn, Arnaud.Serander, Arria Belli, Artavezdès, Asoul, Atpnh, Aurevilly, Auseklis, AuxNoisettes, Auxerroisdu68, Baalshamin, Badmood, Balougador, Banzai, Barraki, Bayo, Benedict, Benichou67, Benoni, Bibi Saint-Pol, Birdie, Blhoum, Blod, Bob08, Bradipus, C2rik, Caknuck, Cansado, Cantons-de-l'Est, Caroline31, Caspi Waltch, Caylane, Ccmpg, CdC, Ceedjee, Celette, Chacal65, Chaoborus, Chico75, Chik-Chak, Chrono1084, Cobra bubbles, CommonsDelinker, Conchita, Costock, Couthon, Coyote du 86, Creasy, Criric, Ctruongngoc, Curtet, Céréales Killer, Daniel*D, Deep silence, Dhatier, DocteurCosmos, Dominique natanson, EdC, Edith Perlman, Effco, El 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Dernier des Trémolins, Le gorille, Leag, Lebob, Lechat, Lefouduvolan, Leparc, Levochik, Lgd, Like tears in rain, Linedwell, Litlok, Littlejazzman, LogicBloke, Lomita, Loudon dodd, Lucrèce, M-le-mot-dit, Maffemonde, Mandrak, Marcoo, Marianna, Markadet, Markov, Masterdeis, Matta Ali, Maurilbert, Meeaad, MetalGearLiquid, Mf9000, Mhue, Michel Louis Lévy, Mike Coppolano, Mirgolth, Mith, Moez, Moumine, Muad, Myler, N'importe lequel, Naevus, Narjis, Nataraja, Necrid Master, Ngagnebin, NicoRay, NicoV, Noel Olivier, Nono64, Not-Pierre, Némésis45, Oblic, OccultuS, Olevy, Olrick, Orthogaffe, Orthomaniaque, Ouicoude, P-e, Padawane, Panoramix, Papillus, Paris75000, Pascalauger, Patou111, Pautard, Peiom, Penjo, Phe, Pierre-Yves Schanen, Pierre.marquis, Pixeltoo, Pok148, Poleta33, Polmars, Pontauxchats, Poppy, Poulos, Pr Rosenbaum, Priper, Pseudomoi, Pso, Pwet-pwet, RS1981, RamaR, Raminagrobis, Reloute, Roby, Romanc19s, Romanceor, Roumeau, Rpa, Rune Obash, Ryo, Rémih, Résonance, Sagsofts, 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