JUILLET-AOÛT 2021 // L'INDICE BOHÉMIEN // VOL. 12 - NO. 10

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– ÉDITORIAL –

À QUI APPARTIENT LE BEAU TEMPS? ARIANE OUELLET

Mon amie Éliane habite dans un très joli village des Laurentides. « La chance que tu as! » lui dit-on souvent avec envie. C’est vrai que le village est beau et que l’offre touristique y est alléchante. Mais il y a un petit bémol. Au premier jour de canicule de l’été, Éliane et sa famille ne peuvent pas aller se baigner près de leur village parce que tous les terrains qui bordent les lacs du coin sont privés. À l’époque où on a développé cette région du Québec, il était normal que les plus beaux endroits soient réservés à une élite économique qui a les moyens de se les payer.

Revenons à cette prise de conscience qui s’opère tranquillement au sujet des richesses publiques comme les lacs, les rivières, les forêts et les espaces verts. Beaucoup de villes visionnaires ont innové en réservant les plus beaux espaces à l’usage public plutôt que de les soumettre aux appétits de l’aménagement immobilier ou du développement économique. En 1995, la Ville de Montréal s’engageait dans la transformation d’une carrière et d’un site d’enfouissement au cœur de la ville en ce qui allait devenir le parc Frédéric-Back, un des plus grands espaces verts de Montréal. La Ville de Québec inaugurait en 2008 la promenade Samuel-de-Champlain afin de redonner aux citoyens l’accès au fleuve et du même coup, de restaurer un segment dégradé des berges du Saint-Laurent.

À Amos, celui qui a l’occasion de visiter la ville à partir de la rivière Harricana a longtemps eu comme paysage la cour arrière du garage municipal, la cour arrière d’une vitrerie, des Dans un même esprit de conservation du patrimoine naturel, de préservation de la biodiversité clôtures de broche à foin et des entrepôts. Malgré les aspirations sociales d’envergure dont se et d’amélioration de la qualité de vie, le Québec vient tout juste d’atteindre, en décembre 2020, ses cibles d’aires protégées pour lesquelles il s’était engagé targuaient les dirigeants à une certaine époque, il était resté dans en 2002. Toutefois, le manque de collaboration du ministère des la mentalité que la rivière est un lieu pour installer un moulin à scie Est-ce un relent colonialiste Forêts, de la Faune et des Parcs a rendu le processus précaire et laisser les berges devenir des entrepôts à ciel ouvert. Ça a pris les qui fait que l’humain occidental et difficile, en étant plus soucieux de « préserver la possibilité Jeux du Québec de 2005 pour qu’on réalise le potentiel gaspillé de ce joyau naturel et qu’on commence à en aménager les rives pour moyen est incapable de concevoir forestière » que le reste des possibilités de la forêt debout. C’est y installer des infrastructures publiques dignes de ce nom. l’utilisation d’un espace sans en comme si l’industrie lourde avait préséance sur tous les autres usagers de la ressource et qu’on ne pouvait envisager de faire chercher la propriété? autrement que de toujours vendre ce qui peut avoir une valeur en À Rouyn-Noranda, le lac Osisko a lui aussi été longtemps considéré comme un endroit idéal pour déverser les rejets toxiques de la tant que matière première. fonderie Horne. Les poissons, on s’en fout. L’écosystème… quessé ça? Dans un passé pas si lointain, ses berges étaient aussi colorées que le Grand Canyon, étalant au soleil une palette Pour en avoir fait l’expérience, personne n’a le goût d’aller camper dans le parc La Vérendrye de couleurs allant du jaune soufre au orange cadmium. Même les canards s’en méfiaient. pour se faire réveiller en panique à 6 h du matin par le vrombissement infernal des camions Aujourd’hui, les berges ont été reverdies, une piste cyclable y a vu le jour et un projet de bois chargés à bloc qui dévalent les chemins à quelques mètres des terrains de camping. audacieux de réhabilitation du lac se dessine. Les temps changent, les citoyens changent, les Personne n’a le goût d’aller chasser dans une coupe à blanc. Personne n’a le goût d’aller pêcher dans une rivière où se déverse un parc à résidus miniers. Pourtant, cette économie-là est bien visions changent. réelle (et plus durable), s’il faut parler la langue des affaires pour se faire entendre. Selon des renseignements recueillis sur le site de l’Action boréale, « une étude menée par l’institut Ce portrait désolant de notre territoire fait partie intégrante de notre histoire. Il est le reflet d’une mentalité de prospecteur qui a le réflexe de s’approprier la ressource comme si elle était Pembina conclut que, en matière de dollars, la valeur des services fournis naturellement par nécessairement à prendre, sans l’intention de fonder une famille dans ce coin du pays. L’idée de un écosystème boréal est trois fois et demie plus importante que la valeur des retombées par laisser en héritage un territoire en santé n’effleure l’esprit de personne, contrairement à l’esprit de l’exploitation immédiate de ses ressources ». l’agriculteur qui s’engage dans une relation à long terme avec son pays. L’architecture de l’Abitibi fait d’ailleurs écho à cette intention de prendre, mais de ne pas rester. Est-ce un relent Alors que le confinement tire à sa fin, que tout le Québec est pris d’une frénésie de voyager et colonialiste qui fait que l’humain occidental moyen est incapable de concevoir l’utilisation de redécouvrir ses merveilles, que la Sépaq croule sous les réservations depuis le mois de février, d’un espace sans en chercher la propriété? on a besoin de savoir que toute cette pandémie aura servi à prendre de meilleures décisions pour la santé des écosystèmes. On a besoin de savoir qu’on peut apprendre de nos erreurs.

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