L'Année Automobile 2018/2019

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SOMMAIRE 5 ÉDITORIAL

6 INDUSTRIE

118 SPORT

238 CULTURE

8 Instants d’année

120 Instants d’année

240 Instants d’année

ÉCONOMIE

MONOPLACE

ART

16 Une année dans le monde : entre enjeux et incertitudes 20 L’œil de Moscou : spectre élargi 22 En direct de Bombay : l’irrésistible envol de Suzuki 24 Renaissance : un rapide tour d’horizon

128 Formule 1 : les règles du jeu 130 Les protagonistes 136 La saison 2018 course par course 148 Championnat du monde de Formule 1 : 156 Formule E : Jean-Éric Vergne, l’étincelle du renouveau 158 Verizon IndyCar Series : la performance universelle

248 César à Paris : l’art de la récupération 254 Art de vivre : les terres du taureau 258 Steve McQueen : une star est née en 1968

PRODUCTION 32 La prolifération des start-up : bluff ou vraie menace ? 38 Les nouveaux produits 74 Art de vivre : voguent les légendes

CRÉATION 82 Concept-cars aux Invalides : défilé de mode 88 Les nouveaux concept-cars 108 Design et artisanat : subtilement humain 112 Il y a cinquante ans… Les paradoxes de l’année 1968

ENDURANCE 162 Les protagonistes de la saison 2018 170 Course par course 172 Pike’s Peak : nuages électrisés 174 FIA World Endurance Championship 2018 : 180 24 Heures du Mans : 184 IMSA Weathertech Sportscar Championship : endurance à l’américaine… avec une touche française 190 Blancpain GT Series : le grand tourisme dans toute sa splendeur 194 Intercontinental GT Challenge, 24 Heures du Nürburgring, etc. : le grand tourisme dans tous ses états

PATRIMOINE 266 Porsche au Petersen Museum : au nom du père 272 Le marché des automobiles de collection : une grande volatilité 274 Top 10 des ventes de l’année : dix vedettes mises à l’encan 276 Concours d’élégance suisse : évasions esthétiques 282 La course historique de l’année : le fait du prince

288 Remerciements

RALLYES 198 WRC : les protagonistes 200 Course par course 208 Championnat du Monde des Rallyes (WRC) 214 Rallyes-raids : sous le sable, la crise

TOURISME 220 WTCR-FIA World Touring Car Cup : le succès de la simplification 224 Deutsche Tourenwagen-Masters (DTM) : un adieu sur une victoire 228 Nascar, Super GT, Australia supercars : populaires !

RÉSULTATS

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ÉCONOMIE

ÉCONOMIE

UNE ANNÉE DANS LE MONDE

Entre enjeux et incertitudes

Soumise à rude épreuve mais portée par la croissance des principaux marchés mondiaux, l’industrie automobile vit une révolution comme elle n’en a pas vécu depuis sa naissance, il y a plus de cent ans. Les investissements gigantesques imposés par l’accélération de la transition écologique et le développement de la voiture autonome laissent augurer de nouvelles alliances stratégiques et technologiques. À moins que le secteur ne soit à l’aube d’un nouveau mouvement de concentration ou de la disparition des marques incapables de suivre la course à l’innovation ? Par Sylvain Reisser.

L’

industrie automobile se rapproche de la barre symbolique des 100 millions de voitures produites en une année. Ce cap devrait être franchi en 2019. La croissance du secteur est tirée par la bonne tenue des marchés émergents, la Chine et l’Inde en tête. L’année 2017 s’est terminée par le hold-up de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. Le groupe franco-japonais a revendiqué la première place du secteur avec 10,6 millions de véhicules vendus dans le monde. Son président, Carlos Ghosn, l’a lui-même annoncé, lors d’une audition à l’Assemblée nationale française, indiquant que "ce n’était pas un objectif mais une satisfaction". Ces résultats ont déclenché une polémique, le groupe Volkswagen affichant de son côté 10,74 millions d’unités vendues mais avec 200 000 poids lourds qui ne doivent pas être comptabilisés. Au final, le match entre les principaux acteurs du secteur s’est révélé extrêmement serré puisque le groupe

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Symbole du succès des SUV, la Peugeot 3008 s’est hissée au troisième rang des immatriculations sur le marché français. (© Peugeot)

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ÉCONOMIE

Toyota, troisième du podium final, a vendu 10,35 millions de véhicules. Cette bataille au coude-à-coude s’est poursuivie au cours du premier semestre 2018. L’Alliance franco-japonaise a continué sa course en tête avec un record de 5,538 millions de véhicules vendus dans le monde, soit une hausse de + 5,1 %. Le groupe allemand Volkswagen a préservé la deuxième place avec 5,519 millions de véhicules (+ 7,1 %). Au sein de l’Alliance, Renault signe la plus forte progression semestrielle, + 9,8 % à 2,07 millions de véhicules. Quant à Volkswagen, sa croissance a été portée principalement par l’espagnol Seat (+ 17,6 %) et par le tchèque Škoda (+ 11,6 %).

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Une lecture approfondie du marché mondial montre de fortes disparités suivant les zones géographiques. Handicapée par une succession de crises, l’Amérique latine continue à avancer en dents de scie. Le

ÉCONOMIE

Brésil concentre l’essentiel de la croissance. La vigueur du marché provient des pays émergents, Chine et Inde en tête, mais le marché ne décroche pas dans les pays matures. Les analystes sont néanmoins partagés sur les prévisions pour l’année 2019. Après avoir terminé l’année 2017 sur un score solide de 17 134 733 véhicules vendus, le marché nord-américain se dirigeait encore (trajectoire à fin septembre) sur une nouvelle année à plus de 17 millions d’unités. Sur les huit premiers mois de l’année 2018, les immatriculations progressaient de + 1,1 % (11 410 854 unités) mais sur le seul mois d’août, il reculait de 3,8 %. General Motors, le premier constructeur automobile américain, voyait ses ventes fléchir de 4,1 % sur trois mois (juin à août). Seul le groupe FCA (Fiat Chrysler Automobile) tirait son épingle du jeu grâce au succès de sa gamme de SUV Jeep mais aussi de ses pick-up Ram. Mais le devenir du groupe italo-américain est au centre de toutes les interrogations depuis le décès de son administrateur délégué Sergio

Marchionne, le 25 juillet. Sachant l’issue irréversible pour le sauveur de Fiat à la tête du groupe depuis quatorze ans, John Elkann, le président de la Agnelli, avait pris les devants dès le 21 juillet en plaçant le Britannique Mike Manley, président de Jeep à la tête du groupe. Et le lendemain, le président de l’empire Agnelli envoyait une lettre aux 234 000 salariés de son groupe pour saluer, avec émotion, "le courage, l’intelligence et la bravoure" de son plus proche collaborateur, "un vrai leader, ce qui est très rare". Le 1er juin 2018, à Balocco, la piste d’essais du groupe implantée entre Milan et Turin, Sergio Marchionne avait présenté son dernier plan stratégique. À l’occasion de cette revue où il s’était affiché pour la première fois en costume cravate, il avait annoncé la fin de l’endettement de FCA, un programme d’investissement de 45 milliards d’euros d’ici à 2022, dont 9 milliards dans la voiture électrique, et un objectif de 7 millions de véhicules dont 1 million de Jeep supplémentaires, la voiture de l’avenir du groupe. La marque historique Fiat faisait clairement les frais de ce plan recentré sur les véhicules à forte marge. Ce nouveau plan prévoyait le doublement de la production des Alfa Romeo (400 000 en 2022) et des Maserati (100 000). De son côté, Ferrari, qui continue de performer en Bourse, a dévoilé le 18 septembre 2018 à Maranello son nouveau plan stratégique aux analystes financiers. La marque italienne — dont la présidence est désormais assurée par John Elkann en personne, et la direction opérationnelle par Louis Camilleri, ex-Philip Morris et administrateur de Ferrari depuis quelques années — ambitionne de porter son chiffre d’affaires à 5 milliards d’euros en 2022, au lieu de 3,4 en 2017, et d’augmenter son revenu net de 38 % sur la même période pour flirter avec les 2 milliards d’euros. L’augmentation des profits repose sur le lancement de quinze modèles dans les quatre années à venir et la rationalisation de l’offre autour de quatre familles : Sport, GT, séries spéciales, "Icona". Sans compter les hypercars, des modèles hors-série destinés à poursuivre la lignée initiée dans les années 1980 avec la 288 GTO. Ferrari a même confirmé l’arrivée d’un SUV, un projet défendu par Marchionne. Son principal rival, Aston Martin, a aussi prévu de commercialiser un modèle de ce type sous la marque Lagonda. C’est pour financer son offensive produits qui doit lui permettre de construire près de 14 000 véhicules en 2023 que la marque préférée de James Bond a placé 25 % de son capital à la Bourse de Londres au prix de 19 £ (21,30 euros), ce qui valorisait la marque à 4,33 milliards de livres (4,82 milliards d’euros).

L’IRRÉSISTIBLE ESSOR DES SUV

Le pick-up de la F-Series de Ford reste le leader indéboulonnable du marché américain. (© Ford)

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Le véhicule de loisirs s’est imposé comme le nouveau standard mondial. Le boom de ces carrosseries plus valorisantes aux yeux des automobilistes va modifier la physionomie des marchés. Vendus plus chers qu’une berline de la même catégorie, les SUV contribuent à relever les marges des constructeurs. Aux États-Unis, alors que les ventes de berlines décrochaient de 11,5 % en 2017 pour ne plus représenter que 6 079 584 unités, la catégorie des trucks (pick-up et SUV) progressait de 4,4 %, s’arrogeant 64,5 % du marché (11 055 149 unités). En Europe aussi, les SUV tirent le marché. En France, pour la première fois, un modèle de ce genre se classait dans le top 3 des immatriculations. À fin septembre, la Peugeot 3008 arrivait derrière la Renault Clio et la Peugeot 208. Une sacrée performance qui témoigne aussi d’une bonne tenue de l’économie et du retour de la confiance. Le SUV sochalien a contribué au redressement spectaculaire de PSA. Au premier semestre 2018, le groupe français a présenté des résultats records. Grâce notamment à l’intégration d’Opel, PSA a réalisé un chiffre d’affaires de 38,6 milliards d’euros, en hausse de + 40,1 %, et un bénéfice net record en hausse de 18 %, à 1,48 milliard d’euros. "Le groupe est ainsi mieux armé pour affronter un retournement du cycle européen dont le ralentissement est déjà visible au Royaume-Uni et en Italie", a prévenu un analyste. Porté par l’Allemagne, la France et l’Espagne, le marché européen enregistrait une progression de 5,9 % sur les

neuf premiers mois de 2018. Les marchés de taille moyenne comme les Pays-Bas, la Pologne et la Suède mais aussi des petits marchés comme la Hongrie, la Grèce, la Roumanie, la Lituanie, connaissaient des hausses significatives. Le Royaume-Uni était le seul grand pays européen à voir ses ventes plonger. Le risque d’un Brexit sans accord faisait planer une menace sur le secteur. Les résultats du marché européen étaient cependant biaisés par la hausse "exceptionnelle" du mois d’août (+ 31,2 %). Les immatriculations en Espagne et en France ont respectivement bondi de + 48,7 % et de + 40 %. Les constructeurs ont anticipé l’introduction du nouveau test WLTP (Worldwide Harmonised Light Vehicle Test Procedures) pour les immatriculations de véhicules neufs à partir du 1er septembre 2018, qui relève la consommation, les émissions de CO2 et les particules, en accordant de gros rabais sur des véhicules qui n’auraient pas pu être commercialisés à partir de septembre ou en immatriculant des véhicules auprès de leur propre réseau de distribution pour les écouler plus tard. L’entrée en vigueur du cycle WLTP va avoir des effets dans les mois à venir. Certains marchés, où la fiscalité (indexée sur le CO2) est jugée confiscatoire, pourraient fortement décrocher. En septembre, les immatriculations européennes plongeaient de 39 %. Une baisse due pour une large part aux retards d’homologation de nombreux modèles. La norme WLTP rend encore difficile l’atteinte des objectifs de CO2 fixés par la Commission européenne en 2020. D’autant que dans le même temps, la part du diesel continue à baisser (44 % du mix). Dieter Zetsche, le président de Daimler, a dit que "le diesel avait encore de l’avenir". L’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA) jugeait, en septembre, l’objectif de réduction des émissions de dioxyde de carbone irréaliste. La transition énergétique est le plus grand défi que doit affronter l’industrie automobile depuis sa naissance, voici plus de cent ans. Le Parlement européen veut à présent aller plus loin et faire voter une baisse de 40 % du CO2 automobile en 2030. Face à cette hystérie collective, partout des initiatives fleurissent pour accélérer le rythme de la transition écologique. Le Danemark veut interdire la vente de voitures à moteur thermique à partir de 2030. En Allemagne, des tribunaux menacent d’interdire les diesels les plus nocifs, dans des dizaines de centres-villes très pollués. Le lundi 1er octobre, la veille de l’ouverture du Mondial de l’Automobile, le président de la République française, Emmanuel Macron, proposait, aux grands patrons de l’automobile qu’il recevait à dîner, un "deal" consistant à desserrer l’étau des baisses de CO2 si les constructeurs réussissaient de façon très concrète à les réduire dans les deux ans qui viennent. Un véritable défi à relever et qui ne pourra pas s’appuyer uniquement sur l’essor de la voiture électrique dont le bilan environnemental peine encore à convaincre.

CONTRE-COURANTS C’est dans ce contexte plein d’interrogations que Donald Trump modifiait le traité de libre-échange nord-américain. Il limite la capacité de la Chine à utiliser le Mexique comme plateforme d’assemblage pour inonder le marché nord-américain. L’année 2018 aura vu Suzuki, à rebours des autres groupes du secteur, se retirer du marché chinois, où ses petites voitures ne font pas recette, préférant concentrer ses efforts sur l’Inde où il est solidement implanté. Principal trublion du secteur, Elon Musk, après avoir annoncé durant l’été 2018 envisager le retrait de Tesla de la Bourse, ce qui a déstabilisé le titre, a été contraint de payer une amende de 20 millions de dollars (autant pour Tesla) et de quitter la présidence de son groupe, à la suite d’une enquête du gendarme de la Bourse de New York. Des ennuis qui interviennent au plus mauvais moment pour Tesla qui peine à augmenter des cadences du Model 3 et qui doit affronter l’arrivée des marques de luxe sur le créneau de l’électrique. Enfin, l’année 2018 a été marquée par l’entrée de Geely dans le capital de Daimler. En déboursant 7,2 milliards d’euros, le groupe chinois est devenu le premier actionnaire (9,69 %) de la maison mère de Mercedes. ●

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ENDURANCE

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Le succès de la Blancpain GT Series repose sur la formidable diversité des plateaux. (© Daimler)

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Le grand tourisme dans toute sa splendeur Cette série ouverte aux voitures de grand tourisme engagées par des écuries privées (catégorie GT3) est sans conteste la plus disputée et la plus diversifiée du calendrier de l’endurance. Un exemple à suivre… Par Stéphane Énout.

Raffaele Marciello – ici aux côtés de Jérôme Policand, créateur du team ASP – est le grand triomphateur de la saison 2018. (© Daimler)

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n ne présente plus SRO (Stéphane Ratel Organisation), l’organisation qui fait depuis plus de vingt ans le succès des courses de Grand Tourisme en Europe, et maintenant dans le monde. Depuis 2014 et l’implication grandissante de l’horloger Blancpain, Stéphane Ratel ne cesse de faire évoluer son produit et, depuis deux ans, propose une recette qui garantit des grilles richement garnies de véhicules de la catégorie GT3, chaussés de pneumatiques Pirelli. Le concept ? Dix épreuves réparties équitablement selon un format endurance et sprint, mettant en scène Mercedes-AMG GT, Audi R8, Porsche 911, Ferrari 488, Lamborghini Huracan, Ferrari 488, Lexus RC F, BMW M6, Aston Martin V12 Vantage, McLaren 650 S, Nissan GT-R, Honda NSX, Jaguar XK et autres Bentley Continental GT… La Blancpain GT Series Endurance Cup met ainsi aux prises les concurrents lors de quatre épreuves de trois heures, soit 1 000 km, deux arrêts aux stands obligatoires, avec en point d’orgue les 24 Heures de Spa. La Blancpain GT Series Sprint Cup est quant à elle jugée lors de cinq manches, de deux courses d’une heure disputées par deux pilotes. De nombreux titres sont attribués en fin de saison – Pro, Pro-Am, Team… dans les deux formules – et pour inciter à effectuer un double programme, la récompense suprême se présente sous la forme d’une couronne coiffant le champion absolu de la Blancpain GT Series. "Il s’agit de loin de la série GT la plus attractive au monde, qui se classe dans le top 10 des championnats les plus compétitifs de la planète", nous confie le Français Tristan Vautier, membre de l’écurie AKKA ASP, basée à Rabastens dans le Tarn, championne 2018, et qui aligne des Mercedes. "Par rapport à mon expérience passée, cela me rappelle l’IndyCar, car le plateau est incroyablement serré, et chaque week-end, une quinzaine

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ENDURANCE

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La Lamborghini Huracan du GRT Grasser Team a remporté la première manche de la Sprint Cup à Zolder. (© Lamborghini)

BMW a décroché la victoire la plus prestigieuse de la saison sur la piste de Spa-Francorchamps. (© BMW)

de voitures est capable de jouer la gagne." La concurrence, on l’a vu, est pléthorique. Quel est donc le petit plus nécessaire pour faire de vous un champion, et notamment en endurance ? "En Blancpain GT Series, c’est l’homogénéité d’un équipage qui fait la différence. Il est très difficile de doubler, et à ce titre, les qualifications sont très importantes car la grille est déterminée selon la moyenne des chronos des trois pilotes qui disposent chacun de leur propre séance. Cette homogénéité doit permettre de se qualifier parmi les cinq premiers pour avoir une chance de l’emporter. Cette tâche n’est pas évidente, car en qualifications il y a plus de cinquante concurrents en piste, voire plus aux 24 Heures de Spa, et il est difficile de boucler ne serait-ce qu’un tour sans être gêné. Les pilotes doivent donc savoir rester calmes et garder leur sang-froid en toutes circonstances." C’est ainsi que Tristan fut sacré cette saison en endurance avec son équipier italien Raffaele Marciello, pour sa part également titré au

général. "Cette homogénéité fut la marque de notre équipage. Nous nous sommes toujours qualifiés dans le top 10, cela nous a permis de partir devant, et nous n’avons commis aucune erreur en course. Bien que nous n’ayons décroché qu’une victoire lors de la dernière manche à Barcelone, cette régularité nous a permis de triompher. Comme il n’y a que cinq courses, le moindre faux pas est très pénalisant."

LES CONSTRUCTEURS EN FILIGRANE Avec treize modèles présents sur la grille, il serait naturel que les constructeurs soient impliqués pour que leur marque figure au firmament de l’univers du GT. Pour assurer la pérennité de son championnat, Stéphane Ratel a souhaité une présence différente. "Ils ne sont pas là en sous-marin, mais ils apportent un véritable support à des écuries privées, nous explique Tristan Vautier. Cela se traduit par la présence d’un ingénieur au sein de chaque structure, mais il n’y aura jamais une Emil Frey Racing a fait le bon choix avec la Lexus RC F qui figure dans le peloton de tête. (© Lexus)

La Mercedes-AMG GT3 de l’écurie AKKA ASP Team domine la série Blancpain GT à la fois en endurance et en sprint. (© Daimler)

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L’Audi R8 LMS du Belgian Audi Club Team WRT a occupé les places d’honneur tout au long de la saison. (© Audi)

équipe complète d’un constructeur. Chez AKKA ASP, par exemple, nous bénéficions du même soutien que Black Falcon. Toutes les voitures badgées Mercedes AMG Performance Team – la n° 88 chez nous ou la n° 4 chez Black Falcon – profitent en effet d’un package qui est le même dans chaque écurie." Afin d’offrir les meilleures chances à chacun, est mis en place depuis de nombreuses années une balance de performance (BoP)… qui fait l’objet de nombreuses discussions. Si les Blancpain GT Series se produisent sur les plus beaux circuits européens tels que le Paul Ricard, Monza, Barcelone ou Silverstone, celui de Spa qui accueille les 24 Heures reste à part. "La compétitivité du plateau, c’est la recette du succès de cette course. Il y a beaucoup de prétendants à la victoire, et le monde attire le monde. Cette rivalité est un vrai challenge, mais il concerne également la météo, le circuit, et de devoir gérer la présence de 65 voitures en piste."

Plus difficile que les 24 Heures du Mans ? "C’est différent, car il y a là-bas une soixantaine de voitures en piste, mais réparties dans des classes différentes, et le tracé est plus long. À Spa, toutes les autos ont les mêmes spécifications et les dépassements sont très difficiles, même sur un "amateur". Pour pimenter le tout, avec ce mix de pilotes pros et amateurs, on ne sait pas qui est derrière le volant et il faut gérer cette différence de niveau. Cela implique une approche très particulière dans la prise de risque. Et à Spa, il faut en prendre si l’on veut gagner. En roulant à 95 %, on peut envisager le top 5. À 100 %, la victoire. C’est pour cela que les constructeurs placent des pilotes maison, qui ont cette expérience, dans les teams de pointe. Bien sûr, parfois, la chance doit s’en mêler pour que ça sourie…" Ce n’est pas ce qui a manqué à la BMW M6 GT3 Walkenhorst Motorsport de Tom Blomqvist, Christian Krognes et Philipp Eng qui ont apposé cette année leur nom au double tour d’horloge spadois ! ●

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ART

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CÉSAR À PARIS

L’art de la récupération

La rétrospective de l’œuvre de César, présentée par le Centre Pompidou, de décembre 2017 à mars 2018, coïncidait avec le vingtième anniversaire de la mort de l’artiste. Une opportunité de découvrir ou de reconnaître le travail d’un explorateur de la forme et de la matière dont les recherches ont agi comme une respiration émancipatrice pour l’art. Par Yves Le Ray. César, Bas-relief, 1961. Fer soudé et tôle peinte, format : 252 x 281 x 45 cm. Achat de l’État à l’artiste, 1962. (© Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris)

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l est certains artistes dont le nom est associé pour la postérité, par la reconnaissance populaire de leur pratique, à des sujets, des substances, des thèmes, des choses ou des appareillages. S’extasiant devant les charmes d’une femme échappant à l’anorexie consensuelle on évoque un "Maillol" ; une gueule foutraque ou asymétrique est un peu rapidement classée parmi les "Picasso" ; un emballage de toiles et de cordes mal ficelées est reconnu comme un "Christo" ; une collection d’objets de même type devient par leur entassement un "Arman", un bleu intense est spontanément qualifié de "Klein" ; alors qu’une tôle emboutie, accidentée ou froissée suggère avant toute chose un "César".

CÉSAR ET LES FERRAILLEURS (1959-1970)

César, une vraie personnalité au-delà de l’artiste. (DR)

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"Après l’Académie, j’étais trop pauvre pour acheter des matériaux nobles ou pour faire fondre des pièces en bronze, alors j’ai atterri dans les décharges, dans les casses et les dépotoirs. Je récupérais tout ce que je trouvais de métallique, pour l’assembler ensuite. Comme je n’avais pas d’atelier, je travaillais sur le lieu de mes trouvailles avec des outils de chaudronnier. C’est là que j’ai appris la soudure à l’arc. C’est une technique laborieuse : on procède par ajout, par surcharge comme pour le modelage de la terre. Je ne savais jamais exactement quelle pièce j’allais inventer, pas d’esquisse, pas de croquis, j’imaginais en faisant mon marché. Chaque déchet de métal trouvait sa place et immédiatement en appelait d’autres." Bizarrement, l’origine des Compressions remonte à 1958, lorsque César va chercher sa matière brute chez les ferrailleurs, il tombe par hasard sur deux petits cubes d’acier compressés, il les rapporte chez lui, s’en

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César, Dauphine 1959, 1970. Automobile compressée, tôles et matériaux divers, format : 410 x 190 x 60 cm. MAMAC, Nice. (© Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris)

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sert de presse-papiers, puis les abandonne. "Je les avais vus mais pas intellectualisés, entre ces deux démarches, il y a une frontière que je ne parvenais pas à franchir." En 1960, il découvre que la Société française des ferrailles de Genne­ villiers dispose d’une presse hydraulique géante importée des ÉtatsUnis, capable de broyer une voiture entière. Au Salon de Mai, César présente trois balles de voitures compressées regroupées sous un titre unique 3 tonnes ; l’ensemble provoque scandales et vastes polémiques, mais le critique d’art Pierre Restany y voit l’amorce d’un geste décisif dans l’histoire de la sculpture moderne. Le jeudi 27 octobre 1960, Pierre Restany et le peintre Yves Klein posent les fondements du Nouveau Réalisme et convient Arman, César, Dufrêne, Hains, Raysse, Rotella, Spoerri, Tinguely et Villeglé à venir signer le Manifeste inspirateur de ce mouvement. Ils leur abandonnent la tâche obscure de trouver, au travers de leur pratique individuelle, "la conscience de leur singularité collective". On devine que certaines affinités "artisanales" rapprochèrent un temps Arman, César et Tinguely, mais lorsque le 6 juin 1962, Yves Klein succombe à une troisième crise cardiaque les Nouveaux Réalistes perdent toute réalité. Les cinq années qui suivent les Compressions inaugurales sont faites de doutes pour César, déchiré entre une radicalité du geste avant-gardiste et un retour à un ouvrage plus traditionnel sur ses ferrailles. S’ajoutent à cet état les réticences de Claude Bernard, son marchand historique, qui réclame pour sa galerie des pièces faites selon l’ancienne manière. Une collaboration complexe qui s’achèvera en 1967, lorsque César reprend la technique des Compressions parallélépipédiques en l’élargissant à d’autres matériaux, tubes d’aluminium, câbles de cuivre, emballages métalliques… jusqu’à l’œuvre extrême en 1970, une Dauphine 1959, véritable galette d’acier qui préserve l’identité (couleur et contour) du véhicule original. César, Compression Facel-Véga, 1962. Automobile compressée, tôle et matériaux divers, Musée d’art moderne de la Ville de Paris. (© Serge Bellu/Grand Tourisme)

César, Compression Volvo, 1977. Automobile compressée, tôle et matériaux divers, collection Fondation Pierre Gianadda, Martigny. (© Serge Bellu/Grand Tourisme)

Un aplatissement qui augure l’immédiateté des Expansions, une fulgurante incursion dans le pop art – happenings publics à l’américaine et coulées de mousse de polyuréthane –, que l’artiste réalisera à travers le monde durant deux ans, en parallèle à ses premières expositions-rétrospectives.

CÉSAR ET LES CONSTRUCTEURS (1976-1998)

César, Compression Yellow Buick, 1961. Tôle, automobile compressée, format : 151,1 x 77,7 x 63,5 cm. Don de M. et Mme John Rewald, 1961. Museum of Modern Art, New York. (© Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris)

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César, Compression Ricard, 1962. Tôle, automobile compressée, format : 153 x 73 x 65 cm. Don de Pierre Restany, 1968. (© Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris)

Dans un mouvement feuilletonesque de va-et-vient entre le désormais classicisme de son œuvre et la recherche d’une confrontation avec de nouvelles expériences, César reprend les Compressions en 1976, s’empare cette fois de déchets urbains collectés au hasard de ses déambulations. Il amasse cageots, cartons d’emballage, chiffons, sacs, filets, cordes, bois et autres matériaux récupérés, les assemble imbibés de colle avant de les presser ; leur primitive fragilité s’en trouve convertie au bénéfice d’une rigidité durable, qui leur autorise la possibilité d’une station verticale stable… ainsi les Compressions deviennent murales. En décembre 1985, à la demande de Jean Todt – directeur de Peugeot-Talbot Sport –, qui souhaite offrir une postérité prestigieuse aux épaves accidentées des quatre 205 T16 pilotées par Ari Vatanen, César accepte de renouer avec le métal pour une série intitulée Championnes basée sur le principe de la ligne plate inaugurée en 1970 avec la Dauphine 1959. Écrasées, émincées dans l’épaisseur en plaques de 30 cm, équarries sur les côtés de manière rectiligne, les Championnes, dressées sur socle ou posées sur chant à même le sol, conservent le filigrane de leur tumultueux passé mais engagent César sur le chemin d’une abstraction immatérielle jusqu’à présent absente de son œuvre. L’artiste va délibérément résister à cette alternative… Quand il revient

César, Championne Argentine n° 2, 1985. Automobile compressée, tôle et matériaux divers, format : 190 × 132 cm. Collection particulière. (© Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris)

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Ici, les Compressions de César sont transposées en deux dimensions sur la carrosserie d’une McLaren F1 GTR. Pilotée par Jean-Luc Maury-Laribière, Hervé Poulain et Marc Sourd, la n° 42 finira à la treizième place aux 24 Heures du Mans 1995. (© archives Grand Tourisme)

César, Blu Francia 490, 1998. Automobile compressée, tôle peinte, format : 170 × 84 × 80 cm. Collection particulière. (© Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris)

à l’automobile avec la Renault 977 VL 06 en 1989, sa Compression a oublié la légèreté des Championnes et leur extraordinaire liberté, le nouveau parallélépipède d’acier est référencé par des éléments aisément identifiables : capot, portières, pare-chocs, jantes, pneus sont en place et préservent l’accessibilité à l’image originelle de la voiture. En juin 1995, Catherine Millet – commissaire du Pavillon français à la 46e Biennale de Venise – donne corps au projet d’installation monumentale que César avait un temps envisagé pour le Salon de Mai de 1960 et auquel il avait dû renoncer : un ensemble de 520 tonnes d’automobiles compressées érigées en pyramide (7,40 m × 5,60 m de base sur une hauteur de 4,10 m). En 1998, César ne le sait pas encore mais il réalise son œuvre ultime, la Suite milanaise, quinze Compressions de coques de Fiat Marea. Peintes au sortir de la presse selon le nuancier

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chromatique en usage chez le constructeur, chaque sculpture recevra le nom de la laque métallisée qui l’enrobe. Exécutée en quelques jours, du 4 au 12 mai, dans l’usine de Carate Brianza à Milan, la Suite milanaise est exposée juste trois jours plus tard à la Fondazione Mudima de Milan (jusqu’au 10 novembre). Le 6 décembre 1998 César meurt à son domicile parisien. L’exposition-rétrospective, cette année au Centre Pompidou, commémore donc implicitement les vingt ans de sa mort, et définit un épilogue tardif (ou un repentir) face à la frustration qui pointait dans l’entretien qu’il avait accordé, en 1991, pour Télérama, à Olivier Cena. À la question : "Qu’est-ce que ça vous fait d’être un artiste reconnu et très médiatique ?", César avait répondu : "Connu de qui ? J’ai soixante-dix ans et le plus grand musée de mon pays, Beaubourg, ne m’a jamais exposé !" 

Une autre voiture dispute les 24 Heures du Mans 1995 avec un décor inspiré par César, mais inachevé ; une Venturi 600 LM. Celle-ci n’aurait pas dû courir, car elle avait été refusée à l’issue des essais préliminaires. Elle fut finalement repêchée mais ne termina pas la course. (© archives Grand Tourisme)

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