Couiisses du Mans

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HERVÉ GUYOMARD




ANECDOTE

LA RUE DU CIRCUIT EN 1978, un accident violent vit une WM Peugeot franchir les rails de sécurité dans la ligne droite des Hunaudières, se retournant dans le fossé, où les réservoirs d’essence se vidèrent sans causer

E

xit l’épingle de Pontlieue, voici venue la rue du Circuit. En 1929, le tour ne fait plus que 16,340 km. L’ACO a dû négocier avec les riverains d’une petite voie privée, dont la transformation a été menée à sa charge, pour échapper

(en partie seulement) au kilomètre bordé de maisons qui précédait l’épingle de

d’incendie, fort heureusement. Le pilote,

Pontlieue. La voie ainsi créée n’est pas spectaculaire et, la voie originelle n’ayant

extrait de son véhicule, fut réanimé par

pas de nom, le nouveau tracé emprunte désormais la “rue du Circuit”. Cette

l’un de nos médecins spécialisés, arrivé

embellie durera jusqu’en 1931. La sécurité y aura indéniablement gagné et le trafic

sur les lieux en moins de deux minutes grâce au safety car. Hélas, les vapeurs

C’est sur un tracé de 13,492 km que

d’essence eurent raison du médecin,

se déroulent les 24 Heures jusqu’à la guerre,

qu’un confrère dépêché sur les lieux dut réanimer à son tour.

puis à la reprise de l’épreuve, jusqu’en 1955. des spectateurs s’en trouvera fluidifié. Les deux virages de raccordement quasi à angle droit n’apportaient pas sportivement de challenge particulier. Les photos d’époque nous enseignent qu’un tas de sable protégeait des platanes la sortie sur la route de Tours via les Hunaudières, le public ne pouvant se trouver de face au débouché de la nouvelle voie, occultée par un mur de planches. Pour autant, la solution ne donne qu’imparfaitement satisfaction. L’ACO, propriétaire des terrains allant des tribunes à la route de Tours (Hunaudières), comprend que, pour échapper à l’urbanisation galopante, il faut s’exiler beaucoup plus au sud. On fait réaliser une voie de 1 505 m depuis la sortie de la ligne droite des tribunes. Elle escalade la butte du panorama avant de plonger à travers les bois de pins jusqu’au Tertre Rouge où elle rejoint le début des Hunaudières pour 5,5 km de ligne droite qui vont marquer l’histoire de l’épreuve. Ainsi en est-il en 1932.

LA COURBE DUNLOP

E

n 1928, les dirigeants de l’ACO, conscients des difficultés liées à la pénétration nord du circuit des 24 Heures dans les faubourgs de la ville, réalisent une première réduction du parcours original en créant la Rue du circuit. Adieu

donc la célébrissime épingle de Pontlieue, haut lieu du premier tracé, où les bolides dévalant la rue de Laigné n’en finissaient plus de freiner pour négocier l’épingle en première vitesse. Les clichés des Chenard et Walcker, Lorraine-Dietrich ou le “train” des Bentley usine demeurent et résument l’histoire de la course avant la guerre.

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La célèbre passerelle Dunlop et la 4 CV 1063 de Jean Rédélé et Guy Lapchin. Elle finira dix-septième et…

Pour trois ans seulement, le circuit de 16,340 km est utilisé. Dès 1932, un nouveau tracé est imaginé, escaladant la butte du Panorama au terme d’une courbe splendide, d’un rayon de 500 m très précisément. En effet, dès le franchissement des tribunes et des stands de ravitaillement, la piste, grâce à cette rampe à 7 %, rejoint le point culminant du circuit (71 m), puis redescend en ligne droite vers un

ANECDOTE

dernière de l’édition de 1952. (Archives ACO)

DANS LES ANNÉES 1970, la bagarre faisait rage pendant la course entre les équipes officielles, lorsqu’en pleine nuit on découvrit que les pompes à essence de l’écurie Porsche n’étaient plus alimentées. Une main pas innocente avait, dans

esse au milieu des bois. Une courte ligne droite précède enfin un virage à angle

les coursives des anciens stands, coupé

droit pour rejoindre la route nationale : le Tertre Rouge est né.

les vannes d’admission du carburant.

Les Hunaudières commencent là, et le tracé mesure 13,492 km. La courbe des tribunes ne présente alors pas de difficulté particulière dans des circonstances normales de course. Par temps de pluie par contre, l’écoulement des eaux pluviales se traduit parfois par des coulées obliques rendant piégeuse la trajectoire tendue.

Aujourd’hui, le circuit du Mans mesure 13,626 km.

Une première modification consécutive à la catastrophe de 1955 amène même à déplacer, sur des rails, la passerelle Dunlop, et la longueur du circuit passe à 13,461 km. Petit rappel historique : en 1955, après quelque quatre heures et demie de course, une Mercedes percute devant les tribunes l’arrière d’une Austin Healey, plus lente. La Mercedes décolle et s’écrase sur le talus séparant la piste du public. La voiture explose et propulse beaucoup de pièces métalliques dans la foule, faisant quatre-vingts morts et trois cents blessés, dont la

LE DÉCOR LE CIRCUIT DES 24H LE MANS 17


Les carrosseries fermées, les pontons à effet de sol des Lola T600 et T610, bientôt repris chez March et Rondeau, ainsi que les roues arrière carénées des Jaguar, Mazda et Lancia ouvrent des voies nouvelles aux aérodynamiciens, ce qui se soldera en 1988 par un record de 405 km/h, signé par WM. En 1987, une Chevron s’aligne toutes roues carénées, sans succès hélas ! LES VOITURES (1988-2017) Pas ou peu d’évolutions spectaculaires ou du moins visibles à l’aube d’une nouvelle décennie, mais sous les robes (et même les jupes) des bolides les châssis évoluent. Les coques en carbone ont renvoyé les bons vieux châssis tubulaires ou coque alu nid-d’abeilles dans les musées. En 1988, c’est la première fois que, depuis l’origine de l’épreuve, aucune voiture n’est issue d’un modèle routier. Les aérodynamiciens développent tous les formes à partir des mêmes logiciels, d’où une certaine uniformité des silhouettes en général. En 1992 toutefois, la pauvreté du plateau permet d’admettre les petits spyders Peugeot à poste de pilotage central, qui feront des miracles. L’année précédente, ce sont les moteurs V10 maison qui avaient ravivé une flamme française éteinte depuis les V12 Matra. L’année 1993 voit l’apparition du freinage ABS sur les Porsche, qui signe aussi le retour des voitures catalogue (modèle 961). Bugatti est de retour en 1995 avec un 4x4, mais la voiture est moins puissante qu’en série et c’est la McLaren qui remporte la palme avec la F1 GTR, une étrange trois places frontales à pilotage central. En 1996, back to the future pour la Riley Scott à l’antique châssis tubulaire masqué par des panneaux en carbone. Batman est de retour avec les étranges Panoz (dont une Q9 Hybrid) à moteur avant et poste de pilotage relégué très en arrière : ce sera en 1999, une première depuis 1963. Nouveau siècle et nouvelle technologie qui voit les Cadillac équipées d’un dispositif de vision nocturne. En 2003, l’actu c’est une Reynard, dont le V8 turbo fonctionne au bioéthanol d’origine végétale. Plus fort encore l’année suivante : elle revient avec un V10 et toujours au bioéthanol, alors qu’une Lola s’équipe d’un moteur Caterpillar turbo diesel, carburant disparu aux 24 Heures depuis 1950. Peugeot annonce d’ailleurs un prototype diesel pour bientôt. Le bouillonnement récent annonce l’arrivée en 2006 des Audi turbo diesel, qui raflent la mise, sans grande concurrence, il faut l’avouer. Il faudra attendre 2009 pour que le Lion de Peugeot rugisse le plus fort. En 2010 renaît la légendaire Ford GT 40 avec une version “remasterisée” baptisée Ford GT. L’année 2012 sera une grande année avec l’apparition de la DeltaWing, car on commençait à douter du pouvoir des ingénieurs et aérodynamiciens de nous surprendre. Ce sera chose faite avec l’esthétisme. Pour la performance, il faut encore travailler. L’apparition des voitures du futur, les hybrides, révolutionnera les 24 Heures. On verra en 2014 une curiosité de Nissan, baptisée ZEOD RC. Elle reprend dans une variante à carrosserie fermée le même concept que la DeltaWing, qui avait inauguré le cinquante-sixième stand, deux ans auparavant. La ZEOD RC réalise le vingt-sixième temps. En 2015, nouvelle révolution avec la Nissan GT-R LM Nismo équipée d’un wind tunnel qui la transperce dans l’axe, d’un moteur avant et de pneus aux dimensions inversées, dont le marketing a peut-être précipité la venue aux 24 Heures. Les 24 Heures du Mans 2016 apportent une formidable bouffée d’optimisme grâce à Frédéric Sausset. Quadri-amputé et allocataire du cinquante-sixième stand, il tient parfaitement son rôle pendant un tiers de l’épreuve au volant d’une

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Morgan LMP2 spécialement équipée, démontrant que l’électronique embarquée peut désormais compenser les handicaps les plus lourds. D’autres histoires, innovations et surprises ne manqueront pas de rythmer ces prochaines années et décennies.

Les acteurs de 2019. (Alexis Goure, ACO)

LE DÉCOR LES INCONTOURNABLES 89


ANECDOTE

IL Y A CENT ANS, L’ACO LANÇAIT LA COURSE MOTO LA SONORISATION arrive aux 24 Heures du Mans 1926. Le préposé aux haut-parleurs donne quelques renseignements de temps en temps, à peine audibles d’ailleurs. Il faut attendre 1928

C

ertes, quelques motos avaient été engagées dans le kilomètre lancé de Sillé-le-Guillaume depuis 1906, dont, en 1907, une Peugeot pilotée par Carrère qui relégua avec un temps de 44 secondes 2/5 toutes les voitures

à plus de 8 secondes. En 1908, quelques motos encore participent au kilomètre

pour que la sonorisation placée en plein

lancé de Fresnay-sur-Sarthe, et en 1909 la victoire de l’ingénieur Chabal sur sa

air, au pied de l’immense panneau d’affi-

Motosacoche précédera une pause dans les compétitions de deux-roues, par

chage, accueille un speaker ; le “parleur

manque de concurrents.

inconnu”, qui officie tel un DJ aux

L’année 1912 marque le vrai lancement des courses motocyclistes dans la Sarthe,

platines, est alors un certain Dehorter,

avec la première Coupe internationale des motocyclettes. Le sport motocycliste

reporter sportif. À cette époque, la retransmission se fait aussi sur la TSF

est déjà bien installé en Grande-Bretagne, mais la France a tardé à se lancer. Le

entrecoupée par les réclames. Après la

8 septembre 1912, sur un circuit dit des Épinettes inauguré pour la circonstance

guerre, ce seront les ténors du journa-

par l’ACO, se déroule cette grande première. De forme triangulaire, le tracé de

lisme sportif qui s’y consacreront, tels

8 km passe par la Lune de Pontlieue, Ruaudin, Mulsanne au terme d’une traversée

Georges Briquet, Raymond Marcillac,

des bois de pins et retour par les Hunaudières. Les arrivées et départs ont lieu à

Roger Couderc et Georges de Caunes.

proximité du champ de courses hippiques, à peu près où, en 1925, s’érigeront les tribunes et stands des troisièmes 24 Heures du Mans. Peugeot, qui a remporté le matin même le titre en automobile, a failli faire coup double. Perrin, leader de l’équipe Peugeot à moto, était en tête dans le dernier tour avant de chuter. Les espoirs français envolés, les Britanniques rafleront le titre avec la victoire de Devay sur une… Triumph, devant South sur Rudge-Whitworth (la firme deviendra le premier sponsor des 24 Heures) et Bailey sur Douglas. En 250 cm3 par contre, l’honneur est sauf pour les Français, qui s’adjugent un beau doublé avec Decaup et Stoffel sur Alcyon. En side-car, Vanella sur René Gillet est vainqueur. Les départs des courses de motocyclettes étaient donnés à intervalles de trente secondes. On notera que les cylindrées retenues pour les compétitions resteront en vigueur pendant des décennies. En Grand Prix, les 250 cm3 demeureront longtemps, les 350 cm3 ayant résisté jusque dans les années 1970. Quant aux side-cars, ils ont disparu du meeting des Grands Prix depuis quelques années seulement, ce qui n’empêche pas la manche française du championnat du monde de faire halte sur le Bugatti. Autre sujet d’intérêt, les dossards que portent les concurrents. De couleurs différentes selon les cylindrées, ils permettent aux officiels, en particulier aux chronométreurs, et au public de mieux suivre le déroulement de la course. Il faudra attendre 1913 pour assister aux départs en peloton des motos et des autos. Le spectacle y gagnera, et la simplicité des calculs et classements aussi. Paradoxe de l’histoire, c’est le départ lancé de type Indianapolis qui sera choisi. Autre clin d’œil de l’histoire : si, pour les motos, c’était une voiture pilote qui lançait le départ, pour les autos, ce fut une moto au Grand Prix de 1923, la moto-start. Encore une fois, l’ACO innovait, et ce fut une cause de plus gagnée par l’association.

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En 1912 a lieu la 1re Coupe internationale des motocyclettes. Les départs étaient échelonnés. (Archives ACO)

Le règlement inclut alors les classes désormais traditionnelles, 250, 350 et 500 cm3, sauf pour les side-cars qui acceptent les 350, 500, 750 et même 1 000 cm3. Preuve du sérieux du règlement, la possession du certificat de capacité et de la licence délivrée par l’Union française de motocyclisme ou la FICM sont obligatoires, tout comme les équipements suivants : freins indépendants, sacoches à outils, garde-boue efficaces, selle ou siège, y compris pour le passager des side-cars (le singe), pied support et silencieux dont l’efficacité est laissée au jugement des commissaires, l’échappement ne devant pas soulever la poussière. Le circuit choisi est cette fois celui du Grand Prix automobile, soit 54 km que parcourront six fois les motos, 324 km donc. Le circuit est gardé par mille cinq cents hommes, militaires et gendarmes, équipé de passerelles, de 12 km de clôture et, pour empêcher la poussière, ce sont plus de 60 tonnes de chlorure qui ont été utilisées comme revêtement. Deux cents ouvriers, contrôleurs et plus de cent employés ont été mobilisés pour la circonstance. Les premiers engagements sont Magnat-Debon, Clément, Alcyon, Peugeot, Terrot, Griffon, en side-cars, BSA et Indian. Innovation majeure, les départs seront donnés en une seule fois, série par série : les 500, puis les 350, les 250 cm3, puis les side-cars et enfin les cyclecars ; ce qui fait écrire à la presse que l’Automobile Club de la Sarthe et de l’Ouest est un réservoir d’innovations précieuses. Le pesage se déroule place de la République. Pour la première fois aussi, on officialise les postes de commissaires, lesquels ont trois drapeaux à disposition : jaune, bleu et rouge. Le recrutement s’organise parmi les membres du Club. La foule est énorme et enthousiaste, le succès sera éclatant grâce à une organisation impeccable :

LE DÉCOR LES CLASSIQUES DES CIRCUITS DU MANS 111



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