Jean-Claude Demory
1939-1945 LE RÉGIMENT DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS Pour le Régiment de sapeurs-pompiers de Paris, les combats de la Libération sont l‘apothéose d’une lutte héroïque qu’il mène sans relâche depuis quatre ans. Pendant que gradés et sapeurs des compagnies de combat de Sécurité parisienne font le coup de feu aux côtés des FFI et des soldats de la 2e DB du général Leclerc, leurs camarades des compagnies d’incendie luttent contre les multiples sinistres qui font rage dans Paris et sa banlieue. Depuis que les troupes allemandes sont entrées dans la capitale, le 14 juin 1940, le Régiment n’a cessé d’accomplir une tâche multiforme et quotidienne étendue à l’ensemble du département de la Seine, avec des interventions en province rendues nécessaires par les bombardements, et compliquées par une pénurie constante. Pour cela, le Régiment a dû renoncer à lier son sort à celui des armées, dont il fait partie intégrante, pour se vouer à sa mission traditionnelle de protection des personnes et des biens. Parallèlement, sa position délicate d’unité militaire isolée en zone nord et soumise au contrôle permanent des forces d’occupation n’a pas empêché que se développe en son sein, dès 1940, un très fort esprit de résistance à l’ennemi entraînant des actions de sabotages, de renseignements et de dissimulation d’armes qui réapparaissent quatre ans plus tard pour libérer Paris.
1939-1945 LE RÉGIMENT DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS
Déjà parus chez E-T-A-I
1939-1945 LE RÉGIMENT DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS
ISBN : 979-10-283-0328-0
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9 791028 303280
Jean-Claude Demory
L’auteur Jean-Claude Demory est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont plusieurs consacrés aux sapeurs-pompiers : Pompiers militaires de France, Les Grands Feux du siècle, Profession pompiers, Pompiers dans Paris en guerre. Ancien journaliste chez Bayard-Presse, il est directeur de collections historiques sur le Ier Empire aux éditions Hachette, essayiste et romancier.
E-T-A-I Antony Parc 2 10, place du Général de Gaulle 92160 Antony Téléphone : + 33 (0)1 77 92 92 92 Télécopie : + 33 (0)1 46 99 31 55 www.infopro-digital.com
30/07/2019 16:48
Sommaire 01
Origines d’un corps militaire particulier..... 6
La volonté impériale............................................................ 7 Création du Régiment........................................................ 7 La discipline, force principale des armées….................. 8 Servitude et grandeur…..................................................... 8
02
Le Régiment de sapeurs-pompiers à la veille de la guerre....................................... 10
Le choix des hommes....................................................... 11 Organisation et moyens du Régiment........................... 12 Gardes d’incendie et service quotidien........................ 14 Les interventions................................................................ 14 Le sport............................................................................... 16 La planche........................................................................... 17 Le matériel.......................................................................... 17 Le nouveau quartier central............................................. 19
03
Les prémices de la guerre............................... 20
Situation du Régiment de sapeurs-pompiers............... 21 Le casse-tête de la banlieue............................................ 21 La réponse du Régiment à cette situation.................... 21 La terreur des gaz.............................................................. 22 Une répétition générale................................................... 24 Un événement déterminant............................................. 25
04
La drôle de guerre............................................... 26
Le Régiment mobilisé pour la seconde fois................. 27 L’arrivée des réservistes................................................... 27 Une montagne de difficultés........................................... 29 L’incendie des studios de Joinville................................. 31 Le Régiment s’implante en banlieue.............................. 32 La répartition des moyens de secours.......................... 34 Paris se prépare à la guerre............................................. 34
4
05
La “vraie” guerre commence......................... 38
La surprise du 10 mai 1940.........................................39 Premières bombes sur Paris........................................40
06
Partir ou rester ?................................................... 44
Paris sera-t-il défendu ?.................................................... 45 L’exode des réfugiés......................................................... 45 Le cas de conscience du colonel Barrière..................... 46 Le cas de conscience de la troupe................................. 48 Le Bataillon de marche..................................................... 50
07
Le temps des humiliations............................... 54
Le Régiment, ange gardien des Parisiens..................... 55 Sous la tutelle des Allemands......................................... 56 Le Régiment Sachsen........................................................ 56 Le Régiment désarmé....................................................... 58 Le regard de l’ennemi....................................................... 59 Une démonstration d’efficacité...................................... 59 Missions au Havre.............................................................. 59 Un avenir incertain............................................................. 59 Premières démobilisations............................................... 60 Contrôle permanent et total........................................... 61 Disputer pied à pied chaque exigence......................... 61
08
Ne pas subir............................................................ 62
Les premiers suspects...................................................... 63 Ceux qui ne se résignent pas.......................................... 64 Renseignement et sabotage........................................... 64 Un zèle aux conséquences tragiques............................ 66
09
Chronique des années noires......................... 68
12
Un nouveau chef de corps…........................................... 69 Un nouveau préfet de police........................................... 69 Les Allemands peuvent être dupes, mais…................. 69 Un avion anglais s’écrase en plein Paris........................ 71 Le CRI, gigantesque fabrique de pompiers................. 73 Un revenant commande à Dupleix................................. 73 Le Petit Drapeau................................................................ 74 Un tournant tragique........................................................ 75 Conséquences sur le Régiment de sapeurs-pompiers........................................................ 76 Régler la question juive.................................................... 76 L’action humanitaire des pompiers au Vél’ d’Hiv........ 76 L’instauration du Service du travail obligatoire (STO)............................................................... 77 Le Régiment face au STO................................................ 77 Les Allemands exigent la démilitarisation du Régiment...................................... 78 Le retour clandestin du drapeau au Régiment............ 79 Un feu de cheminée qui réserve des surprises............ 80
Création d’un mouvement de résistance autonome au sein du Régiment....................................................... 119 Reprise intensive des bombardements....................... 120 Soudaine accalmie et… reprise.................................... 121
10
14
Une vigilance qui ne faiblit pas....................................... 83 Boulogne-Billancourt......................................................... 83 Solidarité, dévouement, courage et… propagande........................................................................ 86 Le mortel printemps 1942............................................... 87 Accalmie et réorganisation des secours....................... 88 Reprise des bombardements aériens............................ 88 Les bombes tombent de jour comme de nuit............. 90 Nouvelle stratégie des Alliés.......................................... 91 Bombardement de la gare de triage de Noisy-le-Sec.................................................................. 91 Bombardement de la gare Paris-La Chapelle............... 95 De grands événements se préparent............................ 96 Intervention à Amiens....................................................... 96
Mobilisation du mouvement Sécurité parisienne ..... 127 Composition du groupement Sécurité parisienne.... 127 Les premières heures de l’insurrection....................... 128 Trêve et combats sporadiques...................................... 132 Le lieutenant-colonel Camus, nouveau chef de corps................................................... 133 Tous aux barricades !....................................................... 133 L’incendie du Grand Palais............................................. 134 “Tenez bon, nous arrivons” !.......................................... 134 Le grand jour !................................................................... 136 On se bat aussi en banlieue........................................... 137 25 août après-midi : Paris est libéré............................ 139 26 août : triomphe et fusillade...................................... 139 Le plus grand feu de l’histoire du Régiment.............. 141 Ceux qui sont tombés pour la Libération................... 142
Paris et sa banlieue sous les bombes........ 82
11
Service incendie et vie quotidienne........... 98
Les grands feux.................................................................. 99 Les feux concernant les AO........................................... 100 Un principe inacceptable............................................... 100 Des heurts avec l’occupant............................................ 102 Pas d’ordre de sabotage, mais…................................. 102 Un grave problème : l’usure du matériel.................... 103 Pénurie de tuyaux............................................................ 106 Restrictions alimentaires................................................ 106 Les artistes du Régiment................................................ 107
Rouen, une semaine en enfer..................... 108
Mercredi 31 mai 1944..................................................... 109 Jeudi 1er juin...................................................................... 110 Vendredi 2 juin................................................................. 111 Samedi 3 juin.................................................................... 112 Dimanche 4 juin................................................................ 114 Lundi 5 juin........................................................................ 115 Mardi 6 juin....................................................................... 116 Bilan d’une semaine de lutte......................................... 116
13
Vers la Libération.............................................. 118
Paris se libère...................................................... 126
15
Des lendemains qui ne chantent pas...... 144
Les derniers soubresauts de la guerre........................ 145 Retour du drapeau sur les Champs-Élysées............... 146 Épuration, promotions, polémique….......................... 146
Annexes.................................................................. 152 Remerciements................................................... 160
5
Sommaire 01
Origines d’un corps militaire particulier..... 6
La volonté impériale............................................................ 7 Création du Régiment........................................................ 7 La discipline, force principale des armées….................. 8 Servitude et grandeur…..................................................... 8
02
Le Régiment de sapeurs-pompiers à la veille de la guerre....................................... 10
Le choix des hommes....................................................... 11 Organisation et moyens du Régiment........................... 12 Gardes d’incendie et service quotidien........................ 14 Les interventions................................................................ 14 Le sport............................................................................... 16 La planche........................................................................... 17 Le matériel.......................................................................... 17 Le nouveau quartier central............................................. 19
03
Les prémices de la guerre............................... 20
Situation du Régiment de sapeurs-pompiers............... 21 Le casse-tête de la banlieue............................................ 21 La réponse du Régiment à cette situation.................... 21 La terreur des gaz.............................................................. 22 Une répétition générale................................................... 24 Un événement déterminant............................................. 25
04
La drôle de guerre............................................... 26
Le Régiment mobilisé pour la seconde fois................. 27 L’arrivée des réservistes................................................... 27 Une montagne de difficultés........................................... 29 L’incendie des studios de Joinville................................. 31 Le Régiment s’implante en banlieue.............................. 32 La répartition des moyens de secours.......................... 34 Paris se prépare à la guerre............................................. 34
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05
La “vraie” guerre commence......................... 38
La surprise du 10 mai 1940.........................................39 Premières bombes sur Paris........................................40
06
Partir ou rester ?................................................... 44
Paris sera-t-il défendu ?.................................................... 45 L’exode des réfugiés......................................................... 45 Le cas de conscience du colonel Barrière..................... 46 Le cas de conscience de la troupe................................. 48 Le Bataillon de marche..................................................... 50
07
Le temps des humiliations............................... 54
Le Régiment, ange gardien des Parisiens..................... 55 Sous la tutelle des Allemands......................................... 56 Le Régiment Sachsen........................................................ 56 Le Régiment désarmé....................................................... 58 Le regard de l’ennemi....................................................... 59 Une démonstration d’efficacité...................................... 59 Missions au Havre.............................................................. 59 Un avenir incertain............................................................. 59 Premières démobilisations............................................... 60 Contrôle permanent et total........................................... 61 Disputer pied à pied chaque exigence......................... 61
08
Ne pas subir............................................................ 62
Les premiers suspects...................................................... 63 Ceux qui ne se résignent pas.......................................... 64 Renseignement et sabotage........................................... 64 Un zèle aux conséquences tragiques............................ 66
09
Chronique des années noires......................... 68
12
Un nouveau chef de corps…........................................... 69 Un nouveau préfet de police........................................... 69 Les Allemands peuvent être dupes, mais…................. 69 Un avion anglais s’écrase en plein Paris........................ 71 Le CRI, gigantesque fabrique de pompiers................. 73 Un revenant commande à Dupleix................................. 73 Le Petit Drapeau................................................................ 74 Un tournant tragique........................................................ 75 Conséquences sur le Régiment de sapeurs-pompiers........................................................ 76 Régler la question juive.................................................... 76 L’action humanitaire des pompiers au Vél’ d’Hiv........ 76 L’instauration du Service du travail obligatoire (STO)............................................................... 77 Le Régiment face au STO................................................ 77 Les Allemands exigent la démilitarisation du Régiment...................................... 78 Le retour clandestin du drapeau au Régiment............ 79 Un feu de cheminée qui réserve des surprises............ 80
Création d’un mouvement de résistance autonome au sein du Régiment....................................................... 119 Reprise intensive des bombardements....................... 120 Soudaine accalmie et… reprise.................................... 121
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14
Une vigilance qui ne faiblit pas....................................... 83 Boulogne-Billancourt......................................................... 83 Solidarité, dévouement, courage et… propagande........................................................................ 86 Le mortel printemps 1942............................................... 87 Accalmie et réorganisation des secours....................... 88 Reprise des bombardements aériens............................ 88 Les bombes tombent de jour comme de nuit............. 90 Nouvelle stratégie des Alliés.......................................... 91 Bombardement de la gare de triage de Noisy-le-Sec.................................................................. 91 Bombardement de la gare Paris-La Chapelle............... 95 De grands événements se préparent............................ 96 Intervention à Amiens....................................................... 96
Mobilisation du mouvement Sécurité parisienne ..... 127 Composition du groupement Sécurité parisienne.... 127 Les premières heures de l’insurrection....................... 128 Trêve et combats sporadiques...................................... 132 Le lieutenant-colonel Camus, nouveau chef de corps................................................... 133 Tous aux barricades !....................................................... 133 L’incendie du Grand Palais............................................. 134 “Tenez bon, nous arrivons” !.......................................... 134 Le grand jour !................................................................... 136 On se bat aussi en banlieue........................................... 137 25 août après-midi : Paris est libéré............................ 139 26 août : triomphe et fusillade...................................... 139 Le plus grand feu de l’histoire du Régiment.............. 141 Ceux qui sont tombés pour la Libération................... 142
Paris et sa banlieue sous les bombes........ 82
11
Service incendie et vie quotidienne........... 98
Les grands feux.................................................................. 99 Les feux concernant les AO........................................... 100 Un principe inacceptable............................................... 100 Des heurts avec l’occupant............................................ 102 Pas d’ordre de sabotage, mais…................................. 102 Un grave problème : l’usure du matériel.................... 103 Pénurie de tuyaux............................................................ 106 Restrictions alimentaires................................................ 106 Les artistes du Régiment................................................ 107
Rouen, une semaine en enfer..................... 108
Mercredi 31 mai 1944..................................................... 109 Jeudi 1er juin...................................................................... 110 Vendredi 2 juin................................................................. 111 Samedi 3 juin.................................................................... 112 Dimanche 4 juin................................................................ 114 Lundi 5 juin........................................................................ 115 Mardi 6 juin....................................................................... 116 Bilan d’une semaine de lutte......................................... 116
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Vers la Libération.............................................. 118
Paris se libère...................................................... 126
15
Des lendemains qui ne chantent pas...... 144
Les derniers soubresauts de la guerre........................ 145 Retour du drapeau sur les Champs-Élysées............... 146 Épuration, promotions, polémique….......................... 146
Annexes.................................................................. 152 Remerciements................................................... 160
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03 Les prémices de la guerre
Au début du mois de septembre 1938, la tension s’aggrave entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie dont Hitler veut annexer la province des Sudètes. La paix est menacée. Édouard Daladier, président du Conseil et ministre de la Défense nationale, décide le rappel de cent mille réservistes et le maintien sous les drapeaux de la classe libérable.
Situation du Régiment de sapeurs-pompiers
Au Régiment de sapeurs-pompiers, les permissions sont supprimées le 4 septembre. Les permissionnaires partis avant cette date sont rappelés le 9 septembre. La tension internationale s’accroît. Le 24 septembre sont convoqués les soixante et un officiers de réserve mobilisables au Corps. Le 28, ils sont rejoints par les cinq mille quatre-vingt-quinze réservistes sous-officiers et militaires du rang qui portent le Régiment à son effectif de guerre. Ces réservistes qui se présentent le même jour, il faut les accueillir, les incorporer, les habiller, les équiper, les nourrir et les affecter dans les différentes compagnies. Dans le même temps, il faut procéder aux différentes réquisitions de véhicules et de locaux, prendre en compte le matériel neuf à débloquer en cas de mobilisation, le vérifier, le mettre en œuvre et le répartir dans les unités, prendre livraison et distribuer le carburant, les pièces détachées et les ingrédients. Tout cela dans un délai de trois jours, tout en continuant d’assurer normalement le service d’incendie et en répondant avec l’habituelle célérité aux demandes de secours. Cette tâche considérable se trouve encore alourdie par la mission assignée au Régiment en cas de guerre : prendre en charge le service d’incendie et de sauvetage sur la totalité du département de la Seine.
normalisé, ce qui pose de sérieux problèmes quand des engins de provenances diverses doivent travailler ensemble. Peu de communes possèdent un poste pouvant accueillir en permanence le personnel suffisant pour intervenir dans des délais raisonnables. Cette situation a conduit de nombreux industriels du département à obtenir de faire directement appel aux secours du Régiment en cas de sinistre dans leur entreprise. À peine concevable en période de paix, cette situation devient inacceptable en temps de guerre. Plusieurs chefs de corps communaux se sont déjà prononcés pour leur rattachement permanent au service d’incendie parisien, sans tenir compte de l’opposition de presque tous les maires, qui voient avant tout dans cette mesure l’abandon d’une partie de leurs prérogatives. En fait, la décision d’étendre la compétence du Régiment au département de la Seine a été prise dès 1935, lors de la création de la défense passive (voir encadré). Mais elle ne doit entrer en application qu’en cas de mobilisation, de sorte que tout doit rester théorique en attendant les événements. Ainsi, une mesure essentielle et complexe qui aurait dû être réalisée progressivement durant le temps de paix devra être exécutée dans l’urgence et l’improvisation.
Le casse-tête de la banlieue
Septembre 1938. Le capitaine Féger, à droite, chef du service technique du Régiment, procède à la réquisition du matériel roulant. Le colonel Féger commandera le Régiment de 1947 à 1952. (BSPP)
20
À l’époque, le département de la Seine encercle complètement Paris. Il comprend quatre-vingts communes dont une bonne vingtaine, par le nombre de leurs habitants, figurent parmi les villes les plus importantes de France. On a vu précédemment que deux d’entre elles, Neuilly et Saint-Mandé, avaient obtenu d’être incluses dans la zone d’intervention du Régiment. L’une et l’autre sont résidentielles et sans risques particuliers. C’est loin d’être le cas de nombreuses autres communes où les industries de toute nature sont particulièrement nombreuses. Très imbriquées dans l’habitat, elles sont souvent vétustes et ne font l’objet d’aucun plan d’intervention particulier. Même en temps de paix, elles représentent de très gros facteurs de risques et de propagation. Dans toutes les localités de banlieue, la protection contre l’incendie est assurée par des corps de sapeurs-pompiers communaux presque uniquement composés de volontaires, auxquels ne font défaut ni le courage ni l’esprit de dévouement. Ce qui n’empêche pas la situation du service d’incendie du département de la Seine d’être tout bonnement déplorable. Autant par souci d’économie que par manque d’intérêt de leurs élus, presque toutes les communes sont sous-équipées en matière de lutte contre le feu. Le matériel est ancien, souvent archaïque, insuffisant en nombre et en puissance, rarement
On aperçoit alignés à gauche plusieurs fourgons-pompes Renault acquis au titre de la défense passive et mis à la disposition du Régiment. (BSPP)
La réponse du Régiment à cette situation
L’état-major des pompiers de Paris n’est pas resté les bras croisés. Depuis que sa future mission lui a été signifiée, les contacts avec les corps de banlieue, les inspections et les exercices se sont multipliés. Le matériel des communes a été recensé, les points sensibles reconnus, les établissements dangereux visités et répertoriés, les itinéraires d’interventions étudiés. Des aménagements de points d’eau en Seine, dans les canaux, les lacs et les rivières ont été réalisés pour la mise en aspiration des engins d’incendie.
21
03 Les prémices de la guerre
Au début du mois de septembre 1938, la tension s’aggrave entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie dont Hitler veut annexer la province des Sudètes. La paix est menacée. Édouard Daladier, président du Conseil et ministre de la Défense nationale, décide le rappel de cent mille réservistes et le maintien sous les drapeaux de la classe libérable.
Situation du Régiment de sapeurs-pompiers
Au Régiment de sapeurs-pompiers, les permissions sont supprimées le 4 septembre. Les permissionnaires partis avant cette date sont rappelés le 9 septembre. La tension internationale s’accroît. Le 24 septembre sont convoqués les soixante et un officiers de réserve mobilisables au Corps. Le 28, ils sont rejoints par les cinq mille quatre-vingt-quinze réservistes sous-officiers et militaires du rang qui portent le Régiment à son effectif de guerre. Ces réservistes qui se présentent le même jour, il faut les accueillir, les incorporer, les habiller, les équiper, les nourrir et les affecter dans les différentes compagnies. Dans le même temps, il faut procéder aux différentes réquisitions de véhicules et de locaux, prendre en compte le matériel neuf à débloquer en cas de mobilisation, le vérifier, le mettre en œuvre et le répartir dans les unités, prendre livraison et distribuer le carburant, les pièces détachées et les ingrédients. Tout cela dans un délai de trois jours, tout en continuant d’assurer normalement le service d’incendie et en répondant avec l’habituelle célérité aux demandes de secours. Cette tâche considérable se trouve encore alourdie par la mission assignée au Régiment en cas de guerre : prendre en charge le service d’incendie et de sauvetage sur la totalité du département de la Seine.
normalisé, ce qui pose de sérieux problèmes quand des engins de provenances diverses doivent travailler ensemble. Peu de communes possèdent un poste pouvant accueillir en permanence le personnel suffisant pour intervenir dans des délais raisonnables. Cette situation a conduit de nombreux industriels du département à obtenir de faire directement appel aux secours du Régiment en cas de sinistre dans leur entreprise. À peine concevable en période de paix, cette situation devient inacceptable en temps de guerre. Plusieurs chefs de corps communaux se sont déjà prononcés pour leur rattachement permanent au service d’incendie parisien, sans tenir compte de l’opposition de presque tous les maires, qui voient avant tout dans cette mesure l’abandon d’une partie de leurs prérogatives. En fait, la décision d’étendre la compétence du Régiment au département de la Seine a été prise dès 1935, lors de la création de la défense passive (voir encadré). Mais elle ne doit entrer en application qu’en cas de mobilisation, de sorte que tout doit rester théorique en attendant les événements. Ainsi, une mesure essentielle et complexe qui aurait dû être réalisée progressivement durant le temps de paix devra être exécutée dans l’urgence et l’improvisation.
Le casse-tête de la banlieue
Septembre 1938. Le capitaine Féger, à droite, chef du service technique du Régiment, procède à la réquisition du matériel roulant. Le colonel Féger commandera le Régiment de 1947 à 1952. (BSPP)
20
À l’époque, le département de la Seine encercle complètement Paris. Il comprend quatre-vingts communes dont une bonne vingtaine, par le nombre de leurs habitants, figurent parmi les villes les plus importantes de France. On a vu précédemment que deux d’entre elles, Neuilly et Saint-Mandé, avaient obtenu d’être incluses dans la zone d’intervention du Régiment. L’une et l’autre sont résidentielles et sans risques particuliers. C’est loin d’être le cas de nombreuses autres communes où les industries de toute nature sont particulièrement nombreuses. Très imbriquées dans l’habitat, elles sont souvent vétustes et ne font l’objet d’aucun plan d’intervention particulier. Même en temps de paix, elles représentent de très gros facteurs de risques et de propagation. Dans toutes les localités de banlieue, la protection contre l’incendie est assurée par des corps de sapeurs-pompiers communaux presque uniquement composés de volontaires, auxquels ne font défaut ni le courage ni l’esprit de dévouement. Ce qui n’empêche pas la situation du service d’incendie du département de la Seine d’être tout bonnement déplorable. Autant par souci d’économie que par manque d’intérêt de leurs élus, presque toutes les communes sont sous-équipées en matière de lutte contre le feu. Le matériel est ancien, souvent archaïque, insuffisant en nombre et en puissance, rarement
On aperçoit alignés à gauche plusieurs fourgons-pompes Renault acquis au titre de la défense passive et mis à la disposition du Régiment. (BSPP)
La réponse du Régiment à cette situation
L’état-major des pompiers de Paris n’est pas resté les bras croisés. Depuis que sa future mission lui a été signifiée, les contacts avec les corps de banlieue, les inspections et les exercices se sont multipliés. Le matériel des communes a été recensé, les points sensibles reconnus, les établissements dangereux visités et répertoriés, les itinéraires d’interventions étudiés. Des aménagements de points d’eau en Seine, dans les canaux, les lacs et les rivières ont été réalisés pour la mise en aspiration des engins d’incendie.
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essor de l’aviation fait néanmoins présager des raids massifs de bombardements sur les villes situées à l’arrière du front. Personne ne doute que les Allemands les bombarderont avec des gaz asphyxiants. Une tâche supplémentaire, qui sort du cadre du service d’incendie, mais qui est liée à la mission de défense passive, échoit aux pompiers de Paris : celle de distribuer des masques de protection contre les gaz à toute la population civile de l’agglomération parisienne. C’est également au Régiment qu’il incombe de prendre en charge le contrôle et l’entretien de ces quelque cinq millions d’appareils…
Une répétition générale
Exercice d’attaque du feu avec appareils respiratoires isolants. (Getty Images)
Un vent violent activait le feu qui a détruit la toiture des Invalides sur une longueur de 70 mètres. (BSPP)
Le colonel Barrière le dit clairement dans son rapport au ministre de la Défense nationale : ou la prise en compte du département de la Seine par le Régiment se fait maintenant, tant que la paix règne encore, ou la défense des communes de banlieue devra être assurée par d’autres moyens.
Un événement déterminant
Dans la nuit du 13 septembre 1936, un violent incendie avait éclaté à l’Opéra de Paris. Malgré des difficultés considérables, les secours du Régiment étaient parvenus à limiter notablement les dégâts. Dans la nuit du 22 décembre 1938, c’est la toiture de l’hôtel des Invalides qui est attaquée par le feu. La rapidité et l’efficacité de l’intervention des pompiers sont remarquées par
les personnalités présentes sur les lieux, les généraux Bourret et Billotte, respectivement commandant de la 1re région militaire et gouverneur militaire de Paris, les ministres de l’Intérieur et de la Défense, le préfet de police et le président du Conseil municipal. Tous adressent leurs félicitations au colonel Barrière, réitérant les éloges décernés au corps deux ans plus tôt, après le feu de l’Opéra. L’incendie des Invalides, qui vient encore d’accroître son prestige, intervient au moment où le budget du service d’incendie parisien pour l’année 1939 est en discussion. Nul doute que cet événement comptera dans la décision gouvernementale de confier au Régiment la sécurité de l’ensemble de l’agglomération parisienne.
Les prémices de la guerre
03
Le 30 septembre 1938, la conférence de Munich sauve la paix, mais fait triompher les exigences d’Hitler. La guerre s’éloigne. La France respire. Les 7 et 8 octobre, le Régiment de sapeurs-pompiers démobilise et reprend son visage de temps de paix. Les réservistes rentrent chez eux, les groupes scolaires de banlieue sont rendus aux écoliers, les garages et entrepôts à leurs propriétaires. Mais tout ce remue-ménage n’a pas eu lieu pour rien. Il a démontré que certaines choses ne peuvent pas se faire dans la précipitation, car personne ne se leurre, cette mobilisation était une répétition générale. La paix arrachée à Munich n’est qu’un sursis dont il faut profiter pour améliorer ce qui peut l’être encore avant l’arrivée prévisible d’événements encore plus graves.
Les derniers foyers qui subsistent dans la vieille charpente calcinée sont noyés par l’action des petites lances. (BSPP)
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essor de l’aviation fait néanmoins présager des raids massifs de bombardements sur les villes situées à l’arrière du front. Personne ne doute que les Allemands les bombarderont avec des gaz asphyxiants. Une tâche supplémentaire, qui sort du cadre du service d’incendie, mais qui est liée à la mission de défense passive, échoit aux pompiers de Paris : celle de distribuer des masques de protection contre les gaz à toute la population civile de l’agglomération parisienne. C’est également au Régiment qu’il incombe de prendre en charge le contrôle et l’entretien de ces quelque cinq millions d’appareils…
Une répétition générale
Exercice d’attaque du feu avec appareils respiratoires isolants. (Getty Images)
Un vent violent activait le feu qui a détruit la toiture des Invalides sur une longueur de 70 mètres. (BSPP)
Le colonel Barrière le dit clairement dans son rapport au ministre de la Défense nationale : ou la prise en compte du département de la Seine par le Régiment se fait maintenant, tant que la paix règne encore, ou la défense des communes de banlieue devra être assurée par d’autres moyens.
Un événement déterminant
Dans la nuit du 13 septembre 1936, un violent incendie avait éclaté à l’Opéra de Paris. Malgré des difficultés considérables, les secours du Régiment étaient parvenus à limiter notablement les dégâts. Dans la nuit du 22 décembre 1938, c’est la toiture de l’hôtel des Invalides qui est attaquée par le feu. La rapidité et l’efficacité de l’intervention des pompiers sont remarquées par
les personnalités présentes sur les lieux, les généraux Bourret et Billotte, respectivement commandant de la 1re région militaire et gouverneur militaire de Paris, les ministres de l’Intérieur et de la Défense, le préfet de police et le président du Conseil municipal. Tous adressent leurs félicitations au colonel Barrière, réitérant les éloges décernés au corps deux ans plus tôt, après le feu de l’Opéra. L’incendie des Invalides, qui vient encore d’accroître son prestige, intervient au moment où le budget du service d’incendie parisien pour l’année 1939 est en discussion. Nul doute que cet événement comptera dans la décision gouvernementale de confier au Régiment la sécurité de l’ensemble de l’agglomération parisienne.
Les prémices de la guerre
03
Le 30 septembre 1938, la conférence de Munich sauve la paix, mais fait triompher les exigences d’Hitler. La guerre s’éloigne. La France respire. Les 7 et 8 octobre, le Régiment de sapeurs-pompiers démobilise et reprend son visage de temps de paix. Les réservistes rentrent chez eux, les groupes scolaires de banlieue sont rendus aux écoliers, les garages et entrepôts à leurs propriétaires. Mais tout ce remue-ménage n’a pas eu lieu pour rien. Il a démontré que certaines choses ne peuvent pas se faire dans la précipitation, car personne ne se leurre, cette mobilisation était une répétition générale. La paix arrachée à Munich n’est qu’un sursis dont il faut profiter pour améliorer ce qui peut l’être encore avant l’arrivée prévisible d’événements encore plus graves.
Les derniers foyers qui subsistent dans la vieille charpente calcinée sont noyés par l’action des petites lances. (BSPP)
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05
La “vraie” guerre commence
Le dimanche 5 mai 1940, les véhicules du Régiment qui doivent participer au défilé de la Sainte-Jeanne d’Arc sont rassemblés autour de l’état-major. Au premier plan, deux fourgons-pompes à grande puissance Somua. (BSPP)
La surprise du 10 mai 1940
C’est l’une des dernières prises d’armes en présence du drapeau. Dans quelques semaines, la France sera vaincue et le Régiment tombé sous le contrôle des Allemands. (BSPP)
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La météo est au beau fixe. Le début du mois de mai est lumineux et chaud. Le dimanche 5 mai 1940, Paris fête la Sainte-Jeanned’Arc. Les troupes défilent rue de Rivoli devant la statue de la Pucelle nationale. Comme il est de tradition, c’est le Régiment de sapeurs-pompiers qui clôt le défilé. Le colonel Barrière a pris place avec le drapeau du Régiment dans sa voiture de commandement, une Peugeot 402 à carrosserie torpédo, et précède un détachement d’une vingtaine d’engins. Les cuivres et les casques étincellent, les laques rouge et noire des carrosseries impeccablement lustrées reflètent la double haie des Parisiens qui applaudissent le passage des sapeurs-pompiers. Personne alors n’imagine qu’il faudra attendre quatre ans et demi, le 11 novembre 1944, pour revoir le Régiment participer à un défilé militaire. D’ici là, les Parisiens auront vu passer d’autres uniformes… Le vendredi 10 mai, le beau temps persistant promet un superbe week-end de Pentecôte. Vers 5 heures du matin, les Parisiens sont tirés de leur sommeil par le hululement des sirènes. L’aurore est fraîche et radieuse. Pas un avion dans le ciel. Encore une alerte pour rien. Une heure plus tard, toutes les radios diffusent la nouvelle. La grande offensive allemande est déclenchée. Le Luxembourg et la Hollande sont envahis, plusieurs villes françaises sont durement bombardées. La “vraie” guerre a commencé.
Ultime inspection par le colonel Barrière devant qui passe une camionnette Renault d’une UT tractant une motopompe. (BSPP)
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La “vraie” guerre commence
Le dimanche 5 mai 1940, les véhicules du Régiment qui doivent participer au défilé de la Sainte-Jeanne d’Arc sont rassemblés autour de l’état-major. Au premier plan, deux fourgons-pompes à grande puissance Somua. (BSPP)
La surprise du 10 mai 1940
C’est l’une des dernières prises d’armes en présence du drapeau. Dans quelques semaines, la France sera vaincue et le Régiment tombé sous le contrôle des Allemands. (BSPP)
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La météo est au beau fixe. Le début du mois de mai est lumineux et chaud. Le dimanche 5 mai 1940, Paris fête la Sainte-Jeanned’Arc. Les troupes défilent rue de Rivoli devant la statue de la Pucelle nationale. Comme il est de tradition, c’est le Régiment de sapeurs-pompiers qui clôt le défilé. Le colonel Barrière a pris place avec le drapeau du Régiment dans sa voiture de commandement, une Peugeot 402 à carrosserie torpédo, et précède un détachement d’une vingtaine d’engins. Les cuivres et les casques étincellent, les laques rouge et noire des carrosseries impeccablement lustrées reflètent la double haie des Parisiens qui applaudissent le passage des sapeurs-pompiers. Personne alors n’imagine qu’il faudra attendre quatre ans et demi, le 11 novembre 1944, pour revoir le Régiment participer à un défilé militaire. D’ici là, les Parisiens auront vu passer d’autres uniformes… Le vendredi 10 mai, le beau temps persistant promet un superbe week-end de Pentecôte. Vers 5 heures du matin, les Parisiens sont tirés de leur sommeil par le hululement des sirènes. L’aurore est fraîche et radieuse. Pas un avion dans le ciel. Encore une alerte pour rien. Une heure plus tard, toutes les radios diffusent la nouvelle. La grande offensive allemande est déclenchée. Le Luxembourg et la Hollande sont envahis, plusieurs villes françaises sont durement bombardées. La “vraie” guerre a commencé.
Ultime inspection par le colonel Barrière devant qui passe une camionnette Renault d’une UT tractant une motopompe. (BSPP)
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05 Premières bombes sur Paris
Depuis le 16 mai, la région militaire de Paris fait partie de la zone des armées. Les nouvelles de la guerre sont de plus en plus mauvaises, mais Paris n’a encore subi aucune alerte sérieuse. Lundi 3 juin. Ciel d’azur sur la capitale, pas un nuage. À 13 h 17, les sirènes se déclenchent. À 13 h 22, des explosions ébranlent l’air. Les premières bombes allemandes sont tombées sur la ville. D’épaisses colonnes de fumée obscurcissent le ciel. L’extrémité sud-ouest du 15e arrondissement, entre la porte de Versailles et la Seine, semble durement touchée. Les pompiers de la caserne Grenelle sont alertés pour feu au ministère de l’Air, boulevard Victor, et aux établissements Citroën, quai de Javel. Le capitaine Pierret commandant la La torpédo Peugeot 402 du colonel arbore son fanion de commandement qui le suit lors de tous ses déplacements. (BSPP)
Le défilé rue de Rivoli. Un premier-secours Delahaye passe place des Pyramides. Les membres du gouvernement sont massés au pied de la statue de Jeanne d’Arc. (BSPP)
6 e compagnie ordonne au premier-secours de se rendre à la première adresse et au fourgon-pompe de se rendre à la seconde. Il faudra au total établir trente-six grosses lances pour venir à bout du feu chez Citroën. Les dégâts sont considérables. Des hectares d’ateliers et des dizaines de chaînes de montage sont réduits à l’état de ferrailles tordues et calcinées (voir encadré page 42). La situation est également dramatique à l’autre bout de Paris. À Dugny, les établissements Lévy-Finger ont reçu environ trois cents bombes incendiaires d’un kilo. Située sur une vaste étendue à proximité du terrain d’aviation du Bourget, l’usine fabrique de la peinture et du vernis (voir encadré page 43). D’autres secteurs de la capitale et de sa région ont été touchés
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par les bombes allemandes : le 16 e arrondissement, Orly, Villeneuve-Saint-Georges, Nanterre, Colombes, Montrouge, Issy-les-Moulineaux… Les secours du Régiment ont dû combattre huit grands feux, six feux importants et quatre-vingt-dix-neuf débuts d’incendie en menant parallèlement cinquante-deux opérations de sauvetage. Le bilan humain est élevé : deux cent cinquante-quatre tués, dont vingt enfants, et six cent cinquante blessés, dont trente sapeurs-pompiers. Pendant trente minutes, Paris et sa banlieue ont senti passer le souffle brûlant de la guerre. Dans les heures qui suivent, une véritable panique s’empare de la population qui redoute de voir la capitale subir le sort de Varsovie. Les gares et les routes sont prises d’assaut.
Le 3 juin 1940, Paris subit les premières atteintes de la guerre. Les bombes sont allemandes. Les prochaines qui tomberont sur la capitale et sa banlieue seront anglaises, puis américaines. (ECPAD)
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05 Premières bombes sur Paris
Depuis le 16 mai, la région militaire de Paris fait partie de la zone des armées. Les nouvelles de la guerre sont de plus en plus mauvaises, mais Paris n’a encore subi aucune alerte sérieuse. Lundi 3 juin. Ciel d’azur sur la capitale, pas un nuage. À 13 h 17, les sirènes se déclenchent. À 13 h 22, des explosions ébranlent l’air. Les premières bombes allemandes sont tombées sur la ville. D’épaisses colonnes de fumée obscurcissent le ciel. L’extrémité sud-ouest du 15e arrondissement, entre la porte de Versailles et la Seine, semble durement touchée. Les pompiers de la caserne Grenelle sont alertés pour feu au ministère de l’Air, boulevard Victor, et aux établissements Citroën, quai de Javel. Le capitaine Pierret commandant la La torpédo Peugeot 402 du colonel arbore son fanion de commandement qui le suit lors de tous ses déplacements. (BSPP)
Le défilé rue de Rivoli. Un premier-secours Delahaye passe place des Pyramides. Les membres du gouvernement sont massés au pied de la statue de Jeanne d’Arc. (BSPP)
6 e compagnie ordonne au premier-secours de se rendre à la première adresse et au fourgon-pompe de se rendre à la seconde. Il faudra au total établir trente-six grosses lances pour venir à bout du feu chez Citroën. Les dégâts sont considérables. Des hectares d’ateliers et des dizaines de chaînes de montage sont réduits à l’état de ferrailles tordues et calcinées (voir encadré page 42). La situation est également dramatique à l’autre bout de Paris. À Dugny, les établissements Lévy-Finger ont reçu environ trois cents bombes incendiaires d’un kilo. Située sur une vaste étendue à proximité du terrain d’aviation du Bourget, l’usine fabrique de la peinture et du vernis (voir encadré page 43). D’autres secteurs de la capitale et de sa région ont été touchés
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par les bombes allemandes : le 16 e arrondissement, Orly, Villeneuve-Saint-Georges, Nanterre, Colombes, Montrouge, Issy-les-Moulineaux… Les secours du Régiment ont dû combattre huit grands feux, six feux importants et quatre-vingt-dix-neuf débuts d’incendie en menant parallèlement cinquante-deux opérations de sauvetage. Le bilan humain est élevé : deux cent cinquante-quatre tués, dont vingt enfants, et six cent cinquante blessés, dont trente sapeurs-pompiers. Pendant trente minutes, Paris et sa banlieue ont senti passer le souffle brûlant de la guerre. Dans les heures qui suivent, une véritable panique s’empare de la population qui redoute de voir la capitale subir le sort de Varsovie. Les gares et les routes sont prises d’assaut.
Le 3 juin 1940, Paris subit les premières atteintes de la guerre. Les bombes sont allemandes. Les prochaines qui tomberont sur la capitale et sa banlieue seront anglaises, puis américaines. (ECPAD)
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Partir ou rester ?
Le camion-grue du Régiment se livre à un exercice de relevage d’une torpille aérienne. (BSPP)
Paris sera-t-il défendu ?
Le poste des bateaux-pompes de la Monnaie a été créé le 1er mars 1939 quai Conti, à proximité du Pont-Neuf. Il dépend de la 4e compagnie (caserne Colombier). Comme tout le personnel du Régiment, l’équipage du Paris a repeint ses casques en kaki. (Photo P. Dessenne)
44
C’est la question que se pose tout le monde, à commencer par le général Héring, gouverneur militaire et partisan de la défense “à outrance”. Mais, au cas où il recevrait l’ordre contraire et que Paris serait déclaré ville ouverte, quelle serait la situation des formations militaires indispensables à la vie de la capitale, tel le Régiment de sapeurs-pompiers ? Réponse, le 7 juin 1940, du général Weygand, commandant en chef : “Les éléments militaires en question ont à rester sur place en tout état de cause.” Le 9 juin, le gouvernement quitte Paris et se replie sur Tours. Le 10 juin, l’expression “ville ouverte” est prononcée par Weygand, mais aucune décision n’est officiellement prise. Le 11 juin, les préfets de police et de la Seine s’entendent affirmer par le général Héring : “Pas question d’évacuer sans ordre du gouvernement !” Le 12 juin, Paris est déclaré ville ouverte. Place Jules-Renard, au quartier central des pompiers de Paris, on suit heure par heure les événements. Dès le 4 juin, le colonel Barrière a réuni son état-major. Trois hypothèses ont été retenues : ou bien le statu quo, Paris défendu ou non, le Régiment continuant d’assurer normalement sa mission ; ou bien un repliement total ou partiel ; ou encore la participation à la défense de Paris par la constitution d’un bataillon de marche qui serait doté de l’armement existant au corps, soit 2 588 fusils et 88 fusils-mitrailleurs.
L’exode des réfugiés
En attendant, il s’agit d’assurer une mission d’aide aux populations et de soulager le désarroi et le dénuement des réfugiés qui traversent ou contournent Paris. Sous un soleil de plomb, ils offrent un spectacle poignant : cyclistes harassés, piétons éreintés, mères à demi mortes de fatigue poussant des voitures d’enfant, gamins en pleurs, vieillards exténués.
Les infirmières de la Croix-Rouge et les membres de la défense passive soulagent le dénuement des populations en fuite. (DR)
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Partir ou rester ?
Le camion-grue du Régiment se livre à un exercice de relevage d’une torpille aérienne. (BSPP)
Paris sera-t-il défendu ?
Le poste des bateaux-pompes de la Monnaie a été créé le 1er mars 1939 quai Conti, à proximité du Pont-Neuf. Il dépend de la 4e compagnie (caserne Colombier). Comme tout le personnel du Régiment, l’équipage du Paris a repeint ses casques en kaki. (Photo P. Dessenne)
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C’est la question que se pose tout le monde, à commencer par le général Héring, gouverneur militaire et partisan de la défense “à outrance”. Mais, au cas où il recevrait l’ordre contraire et que Paris serait déclaré ville ouverte, quelle serait la situation des formations militaires indispensables à la vie de la capitale, tel le Régiment de sapeurs-pompiers ? Réponse, le 7 juin 1940, du général Weygand, commandant en chef : “Les éléments militaires en question ont à rester sur place en tout état de cause.” Le 9 juin, le gouvernement quitte Paris et se replie sur Tours. Le 10 juin, l’expression “ville ouverte” est prononcée par Weygand, mais aucune décision n’est officiellement prise. Le 11 juin, les préfets de police et de la Seine s’entendent affirmer par le général Héring : “Pas question d’évacuer sans ordre du gouvernement !” Le 12 juin, Paris est déclaré ville ouverte. Place Jules-Renard, au quartier central des pompiers de Paris, on suit heure par heure les événements. Dès le 4 juin, le colonel Barrière a réuni son état-major. Trois hypothèses ont été retenues : ou bien le statu quo, Paris défendu ou non, le Régiment continuant d’assurer normalement sa mission ; ou bien un repliement total ou partiel ; ou encore la participation à la défense de Paris par la constitution d’un bataillon de marche qui serait doté de l’armement existant au corps, soit 2 588 fusils et 88 fusils-mitrailleurs.
L’exode des réfugiés
En attendant, il s’agit d’assurer une mission d’aide aux populations et de soulager le désarroi et le dénuement des réfugiés qui traversent ou contournent Paris. Sous un soleil de plomb, ils offrent un spectacle poignant : cyclistes harassés, piétons éreintés, mères à demi mortes de fatigue poussant des voitures d’enfant, gamins en pleurs, vieillards exténués.
Les infirmières de la Croix-Rouge et les membres de la défense passive soulagent le dénuement des populations en fuite. (DR)
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Partir ou rester ?
06 Paris sous la suie Le matin du 12 juin, un épais nuage de fumée noire obscurcit le ciel de Paris, formant dans les rues un brouillard de suie grasse qui noircit le visage des passants. Ce brouillard, qui prend des allures de fog londonien, inquiète les Parisiens toujours plus ou moins obsédés par une attaque aux gaz. Les pompiers sont alertés par de nombreux appels téléphoniques. Le capitaine Carbonnier, spécialiste des gaz de combat, et le lieutenantpharmacien Barthélémy se rendent en différents points de la région parisienne afin d’effectuer des prélèvements de cet inquiétant brouillard. L’analyse ne révèle la présence d’aucun gaz toxique. Les Parisiens apprendront bientôt que les dépôts d’hydrocarbures de Rouen et du Havre ont été incendiés et que ce sont les fumées de ces gigantesques incendies qui, remontant la vallée de la Seine, sont venues obscurcir le ciel de la capitale.
de prendre le large. Paris et sa banlieue se vident de leurs habitants. Le 10 juin, cent vingt mille personnes parviennent à quitter la capitale par le train, autant le lendemain. Le 12 juin, toutes les gares parisiennes sont fermées. On dit que les Allemands sont sur l’Oise, à L’Isle-Adam et à Pontoise, à 35 kilomètres à vol d’oiseau de Notre-Dame. C’est le mercredi 12 juin, à 19 heures, que l’état-major du Régiment reçoit enfin un ordre formel de l’autorité militaire. Les services administratifs du corps (trésorerie, effectifs, habillement, etc.) doivent se replier sur Étréchy, au sud de Paris. L’ordre doit être exécuté le 13 juin, à 4 heures du matin.
Assurer aide et assistance aux réfugiés qui fuient l’invasion est devenu l’une des principales tâches du Régiment. (DR)
Malgré l’ordre de réquisition de la préfecture de police, beaucoup de commerçants sont partis et de très nombreux magasins d’alimentation, boulangers, restaurants et cafés ont baissé leurs rideaux. Les cuisiniers des différentes compagnies du Régiment sont mis à contribution. Plusieurs milliers de repas sont préparés et distribués aux réfugiés qui sont également alimentés en eau potable. Sapeurs-pompiers, scouts, religieuses, secouristes de la Croix-Rouge et volontaires de la défense passive distribuent des couvertures dans les gymnases, salles des fêtes, préaux d’écoles ou églises qui ont été hâtivement aménagés en centres d’accueil. Du lait est donné aux jeunes enfants, des soins sont apportés aux éclopés. Les jours passent dans la même incertitude aggravée par l’inexorable avancée des troupes allemandes. La façon quasi clandestine de déguerpir des membres du gouvernement et de la plupart des parlementaires fait réfléchir ceux des Parisiens qui, après le bombardement du 3 juin, avaient résisté à la tentation
46
En marge des événements, la lutte contre le feu ne perd pas ses exigences. Ici, grand feu d’un dépôt de bois, à Aubervilliers, le 27 mai 1940. (BSPP)
Le cas de conscience du colonel Barrière
Outre sa mission de protection de la population, le colonel Barrière doit aussi penser au sort de ses hommes. Que vont faire les Allemands qui seront là d’une heure à l’autre ? Certes, il leur faudra bien maintenir un service incendie, mais ils peuvent aussi considérer purement et simplement les militaires du Régiment comme des prisonniers de guerre. Son devoir, en tant que chef de corps, est donc de soustraire à ce sort le plus grand nombre d’entre eux. Or, Paris étant devenu ville ouverte, les bombardements ne sont plus à redouter. Il suffirait donc de conserver sur place l’effectif suffisant pour assurer un service incendie normal dans Paris et le département de la Seine, soit environ deux mille cent hommes. Quant aux personnels en surnombre, soit cinq mille sept cents, ils pourraient se replier hors Paris avec armes et bagages, et incorporés aux armées combattantes. C’est ce que le colonel suggère au général Dentz, qui a succédé à Héring en tant que gouverneur militaire de Paris. Dentz est d’accord, mais il faut obtenir l’aval du préfet de police, qui continue d’assurer la haute autorité pour tout ce qui concerne la mission de service public. C’est non. Roger Langeron donne l’ordre formel de maintenir sur place le Régiment au complet. Barrière
Le 31 août 1940, un atelier de constructions aéronautiques est détruit par le feu dans l’île de la Jatte, à Neuilly, secteur de Champerret. (BSPP)
s’incline, mais il sait que la décision du préfet de police n’est pas bonne. D’une part, parce que la mission de service public restait de toute façon assurée, d’autre part parce que la cohésion du Régiment risque d’être ainsi compromise. Le colonel connaît ses hommes. Profondément patriotes et imprégnés des principes de l’honneur militaire, les officiers accepteront difficilement de tomber sous l’emprise de l’ennemi sans avoir combattu. Même chose pour les sous-officiers, qui ne sont pas seulement des professionnels expérimentés, mais aussi des militaires de carrière dont le premier devoir est de défendre la patrie. Quant à la troupe, l’esprit de corps et l’ardeur qui l’animent ne lui feront pas accepter sans réagir qu’une ombre soit jetée sur l’honneur du Régiment. Et par-delà toute considération de devoir et de discipline, comment exiger de la part de soldats qu’ils attendent passivement un sort des plus incertains ? Le jeudi 13 juin, à 10 h 30, le colonel Barrière réunit les officiers de l’état-major et leur communique les ordres qu’il a enfin reçus : - Le Régiment reste à son poste et assure sa mission de service public et de sauvetage. - Les armes et les munitions doivent être regroupées dans chaque PC de compagnie, mais restent à la disposition du Régiment.
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Partir ou rester ?
06 Paris sous la suie Le matin du 12 juin, un épais nuage de fumée noire obscurcit le ciel de Paris, formant dans les rues un brouillard de suie grasse qui noircit le visage des passants. Ce brouillard, qui prend des allures de fog londonien, inquiète les Parisiens toujours plus ou moins obsédés par une attaque aux gaz. Les pompiers sont alertés par de nombreux appels téléphoniques. Le capitaine Carbonnier, spécialiste des gaz de combat, et le lieutenantpharmacien Barthélémy se rendent en différents points de la région parisienne afin d’effectuer des prélèvements de cet inquiétant brouillard. L’analyse ne révèle la présence d’aucun gaz toxique. Les Parisiens apprendront bientôt que les dépôts d’hydrocarbures de Rouen et du Havre ont été incendiés et que ce sont les fumées de ces gigantesques incendies qui, remontant la vallée de la Seine, sont venues obscurcir le ciel de la capitale.
de prendre le large. Paris et sa banlieue se vident de leurs habitants. Le 10 juin, cent vingt mille personnes parviennent à quitter la capitale par le train, autant le lendemain. Le 12 juin, toutes les gares parisiennes sont fermées. On dit que les Allemands sont sur l’Oise, à L’Isle-Adam et à Pontoise, à 35 kilomètres à vol d’oiseau de Notre-Dame. C’est le mercredi 12 juin, à 19 heures, que l’état-major du Régiment reçoit enfin un ordre formel de l’autorité militaire. Les services administratifs du corps (trésorerie, effectifs, habillement, etc.) doivent se replier sur Étréchy, au sud de Paris. L’ordre doit être exécuté le 13 juin, à 4 heures du matin.
Assurer aide et assistance aux réfugiés qui fuient l’invasion est devenu l’une des principales tâches du Régiment. (DR)
Malgré l’ordre de réquisition de la préfecture de police, beaucoup de commerçants sont partis et de très nombreux magasins d’alimentation, boulangers, restaurants et cafés ont baissé leurs rideaux. Les cuisiniers des différentes compagnies du Régiment sont mis à contribution. Plusieurs milliers de repas sont préparés et distribués aux réfugiés qui sont également alimentés en eau potable. Sapeurs-pompiers, scouts, religieuses, secouristes de la Croix-Rouge et volontaires de la défense passive distribuent des couvertures dans les gymnases, salles des fêtes, préaux d’écoles ou églises qui ont été hâtivement aménagés en centres d’accueil. Du lait est donné aux jeunes enfants, des soins sont apportés aux éclopés. Les jours passent dans la même incertitude aggravée par l’inexorable avancée des troupes allemandes. La façon quasi clandestine de déguerpir des membres du gouvernement et de la plupart des parlementaires fait réfléchir ceux des Parisiens qui, après le bombardement du 3 juin, avaient résisté à la tentation
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En marge des événements, la lutte contre le feu ne perd pas ses exigences. Ici, grand feu d’un dépôt de bois, à Aubervilliers, le 27 mai 1940. (BSPP)
Le cas de conscience du colonel Barrière
Outre sa mission de protection de la population, le colonel Barrière doit aussi penser au sort de ses hommes. Que vont faire les Allemands qui seront là d’une heure à l’autre ? Certes, il leur faudra bien maintenir un service incendie, mais ils peuvent aussi considérer purement et simplement les militaires du Régiment comme des prisonniers de guerre. Son devoir, en tant que chef de corps, est donc de soustraire à ce sort le plus grand nombre d’entre eux. Or, Paris étant devenu ville ouverte, les bombardements ne sont plus à redouter. Il suffirait donc de conserver sur place l’effectif suffisant pour assurer un service incendie normal dans Paris et le département de la Seine, soit environ deux mille cent hommes. Quant aux personnels en surnombre, soit cinq mille sept cents, ils pourraient se replier hors Paris avec armes et bagages, et incorporés aux armées combattantes. C’est ce que le colonel suggère au général Dentz, qui a succédé à Héring en tant que gouverneur militaire de Paris. Dentz est d’accord, mais il faut obtenir l’aval du préfet de police, qui continue d’assurer la haute autorité pour tout ce qui concerne la mission de service public. C’est non. Roger Langeron donne l’ordre formel de maintenir sur place le Régiment au complet. Barrière
Le 31 août 1940, un atelier de constructions aéronautiques est détruit par le feu dans l’île de la Jatte, à Neuilly, secteur de Champerret. (BSPP)
s’incline, mais il sait que la décision du préfet de police n’est pas bonne. D’une part, parce que la mission de service public restait de toute façon assurée, d’autre part parce que la cohésion du Régiment risque d’être ainsi compromise. Le colonel connaît ses hommes. Profondément patriotes et imprégnés des principes de l’honneur militaire, les officiers accepteront difficilement de tomber sous l’emprise de l’ennemi sans avoir combattu. Même chose pour les sous-officiers, qui ne sont pas seulement des professionnels expérimentés, mais aussi des militaires de carrière dont le premier devoir est de défendre la patrie. Quant à la troupe, l’esprit de corps et l’ardeur qui l’animent ne lui feront pas accepter sans réagir qu’une ombre soit jetée sur l’honneur du Régiment. Et par-delà toute considération de devoir et de discipline, comment exiger de la part de soldats qu’ils attendent passivement un sort des plus incertains ? Le jeudi 13 juin, à 10 h 30, le colonel Barrière réunit les officiers de l’état-major et leur communique les ordres qu’il a enfin reçus : - Le Régiment reste à son poste et assure sa mission de service public et de sauvetage. - Les armes et les munitions doivent être regroupées dans chaque PC de compagnie, mais restent à la disposition du Régiment.
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Chronique des années noires
09 Une insolence qui aurait pu coûter cher Bernard Zitman, deuxième chef au fourgon-pompe de Rousseau, a reçu l’ordre d’établir une petite lance sur les toits du magasin sinistré. Bientôt, les gueulements de rigueur annoncent l’arrivée des représentants de la Feuerschutzpolizei, son chef, le colonel Seifert, accompagné du capitaine Krone et de plusieurs autres officiers du Régiment Sachsen et de la Wehrmacht. Parmi cette suite, un tout jeune lieutenant cherche visiblement à s’attirer la bienveillance du colonel par un zèle intempestif et arrogant. Il aboie dans sa langue des ordres en direction des pompiers qui font mine de ne pas comprendre. Agacé par cette mauvaise volonté manifeste, l’officier s’approche de Bernard Zitman. Tout en vociférant, il lui désigne des débris qui brûlent encore. Le pompier feint de ne pas comprendre et continue imperturbablement à diriger le jet de sa lance dans la direction opposée à celle qui lui est indiquée. Pour se faire mieux comprendre, l’autre le saisit brutalement par le bras. La réaction est immédiate. Zitman se dégage d’un geste brusque et, de sa main libre, le repousse fermement. Hors de lui, l’officier hurle et menace. Zitman tient tête et affronte le regard de son adversaire qui écume de rage. C’est alors qu’intervient le colonel Seifert. C’est un petit homme replet portant lunettes, plus très jeune, l’air bonhomme. Autrichien, Seifert a commandé avant la guerre le corps des sapeurs-pompiers de Vienne et le commandera de nouveau après le conflit. Il s’adresse calmement à Zitman en désignant le même point que son subordonné : “Monsieur, s’il vous plaît… Mettez l’eau là…” Zitman s’exécute, trop heureux de s’en tirer à si bon compte. Sa vive réaction, dictée par un réflexe de dignité, aurait pu lui coûter cher.
Depuis le mois de mai 1942, le Centre Régimentaire d’instruction (CRI) est installé à la caserne Dupleix, dans le 15e arrondissement. (M. Chislard)
Le CRI, gigantesque fabrique de pompiers
L’avion, un Avro-Lancaster, appartenait au 57th Bomber Group et rentrait d’une mission de bombardement sur l’Allemagne. (Getty Images)
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En octobre 1941 est créé le Centre Régimentaire d’instruction (CRI). Jusqu’alors, les compagnies procédaient elles-mêmes à la formation des jeunes pompiers qui leur étaient affectés dès leur incorporation au Régiment. Avec la guerre, la nécessité d’alléger les charges supportées par les unités a conduit le commandement à regrouper les recrues en un même lieu. Selon l’expression de Jean Meunier qui l’a fréquenté au début de l’année 1942, le CRI est une “gigantesque fabrique de pompiers” où, tous les deux mois, cent cinquante piafs débarquent pour y accomplir les quatre mois de “l’instruc” qui fera d’eux des pompiers de Paris à part entière, pour autant qu’ils satisfassent aux épreuves d’admission du service incendie. Après quoi, ils seront répartis dans les différentes compagnies du Régiment. À sa création, le CRI occupe les installations du quartier Fontenoy, une ancienne caserne de cavalerie située derrière l’École militaire, sur l’emplacement des actuels bâtiments de l’Unesco. Jean Meunier évoque les “énormes chambrées sans plafond, directement sous charpente, inchauffables, inhumaines avec leurs bat-flanc d’un autre âge, les robinets d’eau froide en batterie sur les réservoirs, l’immensité du plateau central représentant chaque jour des kilomètres de pas cadencés en tenue de feu, de gym ou en treillis”.
En mai 1942, le CRI quitte le quartier Fontenoy pour s’installer quelques centaines de mètres plus loin, à la caserne Dupleix. Celle-ci n’a pas non plus été conçue pour héberger des pompiers. Du moins les installations y sont-elles moins spartiates qu’à Fontenoy.
Un revenant commande à Dupleix
Après son retour de captivité, le capitaine Sarniguet a effectué un bref passage à la tête de la 21e compagnie (Bagneux), avant de prendre, le 5 avril 1943, le commandement du CRI à la caserne Dupleix. Après ses deux incarcérations successives, il n’est plus question pour cet officier de se livrer à une activité de résistance, car les Allemands le tiennent définitivement dans leur ligne de mire. Mais l’action résistante peut être aussi le fait d’un état d’esprit, d’un comportement, d’une attitude, d’un exemple. Ce sont là des armes efficaces contre lesquelles on ne peut pas grand-chose et que Lucien Sarniguet ne va pas se priver d’utiliser. Il faut d’ailleurs remarquer l’arrogante naïveté des occupants. Ils se mêlent de tout, surveillent tout, interviennent dans tout, examinent jusqu’aux plus insignifiants détails, exercent un contrôle systématique qui paralyse et retarde la moindre décision. Ainsi, le chef de bataillon Charrat, major du Régiment, se voit menacé d’arrestation pour une simple erreur
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Chronique des années noires
09 Une insolence qui aurait pu coûter cher Bernard Zitman, deuxième chef au fourgon-pompe de Rousseau, a reçu l’ordre d’établir une petite lance sur les toits du magasin sinistré. Bientôt, les gueulements de rigueur annoncent l’arrivée des représentants de la Feuerschutzpolizei, son chef, le colonel Seifert, accompagné du capitaine Krone et de plusieurs autres officiers du Régiment Sachsen et de la Wehrmacht. Parmi cette suite, un tout jeune lieutenant cherche visiblement à s’attirer la bienveillance du colonel par un zèle intempestif et arrogant. Il aboie dans sa langue des ordres en direction des pompiers qui font mine de ne pas comprendre. Agacé par cette mauvaise volonté manifeste, l’officier s’approche de Bernard Zitman. Tout en vociférant, il lui désigne des débris qui brûlent encore. Le pompier feint de ne pas comprendre et continue imperturbablement à diriger le jet de sa lance dans la direction opposée à celle qui lui est indiquée. Pour se faire mieux comprendre, l’autre le saisit brutalement par le bras. La réaction est immédiate. Zitman se dégage d’un geste brusque et, de sa main libre, le repousse fermement. Hors de lui, l’officier hurle et menace. Zitman tient tête et affronte le regard de son adversaire qui écume de rage. C’est alors qu’intervient le colonel Seifert. C’est un petit homme replet portant lunettes, plus très jeune, l’air bonhomme. Autrichien, Seifert a commandé avant la guerre le corps des sapeurs-pompiers de Vienne et le commandera de nouveau après le conflit. Il s’adresse calmement à Zitman en désignant le même point que son subordonné : “Monsieur, s’il vous plaît… Mettez l’eau là…” Zitman s’exécute, trop heureux de s’en tirer à si bon compte. Sa vive réaction, dictée par un réflexe de dignité, aurait pu lui coûter cher.
Depuis le mois de mai 1942, le Centre Régimentaire d’instruction (CRI) est installé à la caserne Dupleix, dans le 15e arrondissement. (M. Chislard)
Le CRI, gigantesque fabrique de pompiers
L’avion, un Avro-Lancaster, appartenait au 57th Bomber Group et rentrait d’une mission de bombardement sur l’Allemagne. (Getty Images)
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En octobre 1941 est créé le Centre Régimentaire d’instruction (CRI). Jusqu’alors, les compagnies procédaient elles-mêmes à la formation des jeunes pompiers qui leur étaient affectés dès leur incorporation au Régiment. Avec la guerre, la nécessité d’alléger les charges supportées par les unités a conduit le commandement à regrouper les recrues en un même lieu. Selon l’expression de Jean Meunier qui l’a fréquenté au début de l’année 1942, le CRI est une “gigantesque fabrique de pompiers” où, tous les deux mois, cent cinquante piafs débarquent pour y accomplir les quatre mois de “l’instruc” qui fera d’eux des pompiers de Paris à part entière, pour autant qu’ils satisfassent aux épreuves d’admission du service incendie. Après quoi, ils seront répartis dans les différentes compagnies du Régiment. À sa création, le CRI occupe les installations du quartier Fontenoy, une ancienne caserne de cavalerie située derrière l’École militaire, sur l’emplacement des actuels bâtiments de l’Unesco. Jean Meunier évoque les “énormes chambrées sans plafond, directement sous charpente, inchauffables, inhumaines avec leurs bat-flanc d’un autre âge, les robinets d’eau froide en batterie sur les réservoirs, l’immensité du plateau central représentant chaque jour des kilomètres de pas cadencés en tenue de feu, de gym ou en treillis”.
En mai 1942, le CRI quitte le quartier Fontenoy pour s’installer quelques centaines de mètres plus loin, à la caserne Dupleix. Celle-ci n’a pas non plus été conçue pour héberger des pompiers. Du moins les installations y sont-elles moins spartiates qu’à Fontenoy.
Un revenant commande à Dupleix
Après son retour de captivité, le capitaine Sarniguet a effectué un bref passage à la tête de la 21e compagnie (Bagneux), avant de prendre, le 5 avril 1943, le commandement du CRI à la caserne Dupleix. Après ses deux incarcérations successives, il n’est plus question pour cet officier de se livrer à une activité de résistance, car les Allemands le tiennent définitivement dans leur ligne de mire. Mais l’action résistante peut être aussi le fait d’un état d’esprit, d’un comportement, d’une attitude, d’un exemple. Ce sont là des armes efficaces contre lesquelles on ne peut pas grand-chose et que Lucien Sarniguet ne va pas se priver d’utiliser. Il faut d’ailleurs remarquer l’arrogante naïveté des occupants. Ils se mêlent de tout, surveillent tout, interviennent dans tout, examinent jusqu’aux plus insignifiants détails, exercent un contrôle systématique qui paralyse et retarde la moindre décision. Ainsi, le chef de bataillon Charrat, major du Régiment, se voit menacé d’arrestation pour une simple erreur
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Paris et sa banlieue sous les bombes
Boulogne-Billancourt. Le Régiment a engagé cinq cents hommes et quarante-trois engins. (BSPP)
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Une bombe est tombée devant le CS Boulogne, bloquant le départ des secours et blessant le stationnaire. (BSPP)
Une vigilance qui ne faiblit pas
Si, au début de l’année 1942, le public ne croit plus au risque de bombardements, la défense passive et les sapeurs-pompiers continuent d’en prévoir l’éventualité. Il est en effet prévisible que, pour vaincre l’Allemagne, les Alliés s’attaqueront un jour à son économie. Depuis l’automne de 1940, les ports de la Manche et les installations militaires et industrielles situées près des côtes n’ont pas cessé d’être régulièrement pilonnées par les bombardiers britanniques. On a vu qu’un détachement du Régiment avait d’abord été envoyé au Havre. Mais l’intensité des raids ne s’était pas relâchée, à tel point que les services d’incendie allemands, débordés, avaient demandé au Régiment de dédoubler le détachement du Havre afin de renforcer les pompiers de Cherbourg. Placés sous les ordres d’un lieutenant, trente hommes avec un fourgon-pompe avaient pris, le 6 mai 1941, leurs quartiers à la pointe du Cotentin. Outre le port et la ville, leur mission s’étendait à tout le département de la Manche. Durant l’été 1941, le détachement de Cherbourg a dû combattre quatorze gros incendies et procéder au sauvetage de nombreuses victimes civiles. Dans les premiers mois de 1942, les autorités militaires allemandes ayant décidé de mettre un terme aux missions des deux détachements, ceux-ci ont quitté Cherbourg et Le Havre et sont rentrés à Paris respectivement le 29 mars et le 30 avril 1942. À ce moment, nul ne peut raisonnablement douter que la région parisienne et son énorme potentiel industriel sur lequel les occupants ont fait main basse resteront encore longtemps hors d’atteinte. D’autant que les événements s’amplifient. L’attaque japonaise sur Pearl Harbour, le 7 décembre 1941, a provoqué l’entrée en guerre des Américains qui vont tout mettre en œuvre pour battre le Reich et commencer par démolir son outil de production.
Le 4 mars 1942. Les ruines de Boulogne-Billancourt. (BSPP)
Boulogne-Billancourt
À partir du mois de février 1942, l’avis de danger aérien est devenu de plus en plus fréquent, le plus souvent au milieu de la nuit. Aussitôt, dans tous les centres de secours, les stationnaires sonnent au feu, les pompiers de garde prennent leur place dans les véhicules en attendant l’ordre de départ. Au dehors, les sirènes mugissent, tirant de leur sommeil les Parisiens et habitants de la banlieue qui descendent dans les caves ou se précipitent aux abris. Le mardi 3 mars 1942, à 21 heures, l’avis de danger aérien est envoyé par l’état-major à tous les centres de secours du Régiment. À 21 h 30, l’artillerie antiaérienne allemande se déchaîne au sud de Paris. Tout semble pourtant se calmer, mais l’alerte n’est pas pour autant levée, chacun reste à son poste. L’attente se prolonge. À 22 h 38, des éclatements sourds ébranlent la nuit tandis que de grandes lueurs rouges illuminent le ciel vers le sud-ouest. Paris vient de recevoir ses premières bombes depuis vingt et un mois. À 22 h 40, plusieurs observatoires signalent des
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Paris et sa banlieue sous les bombes
Boulogne-Billancourt. Le Régiment a engagé cinq cents hommes et quarante-trois engins. (BSPP)
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Une bombe est tombée devant le CS Boulogne, bloquant le départ des secours et blessant le stationnaire. (BSPP)
Une vigilance qui ne faiblit pas
Si, au début de l’année 1942, le public ne croit plus au risque de bombardements, la défense passive et les sapeurs-pompiers continuent d’en prévoir l’éventualité. Il est en effet prévisible que, pour vaincre l’Allemagne, les Alliés s’attaqueront un jour à son économie. Depuis l’automne de 1940, les ports de la Manche et les installations militaires et industrielles situées près des côtes n’ont pas cessé d’être régulièrement pilonnées par les bombardiers britanniques. On a vu qu’un détachement du Régiment avait d’abord été envoyé au Havre. Mais l’intensité des raids ne s’était pas relâchée, à tel point que les services d’incendie allemands, débordés, avaient demandé au Régiment de dédoubler le détachement du Havre afin de renforcer les pompiers de Cherbourg. Placés sous les ordres d’un lieutenant, trente hommes avec un fourgon-pompe avaient pris, le 6 mai 1941, leurs quartiers à la pointe du Cotentin. Outre le port et la ville, leur mission s’étendait à tout le département de la Manche. Durant l’été 1941, le détachement de Cherbourg a dû combattre quatorze gros incendies et procéder au sauvetage de nombreuses victimes civiles. Dans les premiers mois de 1942, les autorités militaires allemandes ayant décidé de mettre un terme aux missions des deux détachements, ceux-ci ont quitté Cherbourg et Le Havre et sont rentrés à Paris respectivement le 29 mars et le 30 avril 1942. À ce moment, nul ne peut raisonnablement douter que la région parisienne et son énorme potentiel industriel sur lequel les occupants ont fait main basse resteront encore longtemps hors d’atteinte. D’autant que les événements s’amplifient. L’attaque japonaise sur Pearl Harbour, le 7 décembre 1941, a provoqué l’entrée en guerre des Américains qui vont tout mettre en œuvre pour battre le Reich et commencer par démolir son outil de production.
Le 4 mars 1942. Les ruines de Boulogne-Billancourt. (BSPP)
Boulogne-Billancourt
À partir du mois de février 1942, l’avis de danger aérien est devenu de plus en plus fréquent, le plus souvent au milieu de la nuit. Aussitôt, dans tous les centres de secours, les stationnaires sonnent au feu, les pompiers de garde prennent leur place dans les véhicules en attendant l’ordre de départ. Au dehors, les sirènes mugissent, tirant de leur sommeil les Parisiens et habitants de la banlieue qui descendent dans les caves ou se précipitent aux abris. Le mardi 3 mars 1942, à 21 heures, l’avis de danger aérien est envoyé par l’état-major à tous les centres de secours du Régiment. À 21 h 30, l’artillerie antiaérienne allemande se déchaîne au sud de Paris. Tout semble pourtant se calmer, mais l’alerte n’est pas pour autant levée, chacun reste à son poste. L’attente se prolonge. À 22 h 38, des éclatements sourds ébranlent la nuit tandis que de grandes lueurs rouges illuminent le ciel vers le sud-ouest. Paris vient de recevoir ses premières bombes depuis vingt et un mois. À 22 h 40, plusieurs observatoires signalent des
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Ci-dessus. Le 9 septembre 1943. Les communes de La Garenne-Colombes, Bois-Colombes et Courbevoie sont particulièrement touchées. (BSPP) À droite. Le 15 septembre 1943. Cinq cent cinquante bombes sont tombées sur la banlieue ouest de Paris. (BSPP)
Les bombes tombent de jour comme de nuit
Comme s’il avait été le signal d’une nouvelle stratégie des Alliés, ce bombardement du 4 avril 1943 marque la reprise des raids aériens sur la région parisienne. Ils vont s’intensifier, de jour comme de nuit, les Américains se réservant les interventions diurnes et laissant aux Anglais les raids nocturnes. Mercredi 14 juillet. Vers 8 heures du matin, l’aviation largue un millier de bombes simultanément sur les aérodromes du Bourget, de Villacoublay, au nord et au sud de Paris. Les communes limitrophes de Drancy, Bièvre et du Petit-Clamart sont également touchées. Lundi 16 août. À 10 h 15, l’aérodrome du Bourget est de nouveau attaqué. Les dégâts sont importants aux alentours. Drancy, Stains, le Blanc-Mesnil et particulièrement Dugny sont durement éprouvés. Mardi 24 août. À 20 h 30, raid aérien sur l’aérodrome de Villacoublay. Pas de victime. Vendredi 3 septembre. À 9 h 45, cent cinquante bombes sont larguées sur Boulogne, Issy-les-Moulineaux, Vincennes et Saint-Maur, où les installations de l’organisation Todt sont gravement endommagées. Un avion en difficulté qui lâche ses
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bombes sur Paris fait des victimes et des dégâts dans les 6 e et 15e arrondissements. Très grand feu aux usines Ripolin, à Issy-les-Moulineaux, où dix-neuf grosses lances sont mises en œuvre. Au total, mille cent soixante-seize militaires du Régiment sont mobilisés pour cette alerte qui fait cent quarante et un morts parmi la population. Jeudi 9 septembre, 10 h 09. Temps radieux. Plusieurs vagues d’avions survolent Paris à très haute altitude et lâchent leurs bombes sur les communes de Colombes, Bois-Colombes, Courbevoie et Puteaux : soixante-quinze immeubles sont détruits. Il y a soixante-six morts. Et toujours la poignante détresse des sinistrés, telle cette jeune fille que le lieutenant Sivadier rencontre dans une rue bordée de pavillons, près de la gare de Bécon-les-Bruyères, devant l’entonnoir de bombes où gisent les corps de ses parents sous les ruines de leur maison et les débris de tous leurs biens : “Elle n’avait pas d’argent, pas de titre de ravitaillement, pas de vêtements de rechange. Elle n’attendait personne et ne savait où aller. Pensive, les yeux secs, elle regardait le trou béant. Elle n’avait plus rien.” Mercredi 15 septembre, 19 h 40. Mêmes objectifs que la semaine précédente. Sont particulièrement visées les usines HispanoSuiza à Bois-Colombes, Mazda, Berliet, Castrol à Courbevoie, Caudron-Renault à Boulogne-Billancourt, Citroën à Paris… Cinq cent cinquante bombes sont lancées, mille cinq cent quarantesept immeubles sont touchés. Le Régiment fait intervenir quatre-vingt-cinq engins divers et mille trois cent quatre-vingtquatre hommes. Lourd bilan parmi la population : deux cent quatre-vingt-trois morts. Dimanche 3 octobre, 15 heures. Une formation de cinq appareils des Forces aériennes françaises libres attaque en rase-mottes une station de transformateurs électriques à Chevilly-Larue, dans la proche banlieue sud de Paris. Trente bombes atteignent leurs objectifs et provoquent un monstrueux incendie qui ne sera maîtrisé que le 5 octobre au soir. Touché par la DCA, un des avions français va s’écraser dans la Seine, face au quai de Bercy. Trois membres de l’équipage sont repêchés, mais tombent aux mains des Allemands. Le quatrième se noie. Son corps sera retrouvé le lendemain. Vendredi 31 décembre, 12 h 30. Courbevoie, Neuilly, Bois-Colombes, Levallois, Vitry, Ivry, Alfortville, Charenton… Mille bombes larguées sur ces secteurs font du dernier raid aérien de l’année l’un des plus meurtriers qu’ait jamais connu la région parisienne. On relève deux cent trente morts. Les opérations de sauvetage et d’extinction des incendies mobilisent six cent soixante-dix militaires du Régiment jusqu’au 3 janvier 1944 à midi.
Nouvelle stratégie des Alliés
Sur le plan des bombardements aériens, les premiers mois de l’année 1944 sont relativement calmes. Les choses sérieuses reprennent début avril. Le 10 avril, à 0 h 15, la gare de triage de Villeneuve-Saint-Georges reçoit plus d’un millier de bombes. Désormais, ce ne sont plus tant les objectifs industriels qui sont visés, mais surtout les gares, les ponts et les voies de communication. Le haut commandement allié commence ainsi à mettre
Paris et sa banlieue sous les bombes
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Le 18 avril 1944. Bombardement de Noisy-le-Sec. (BSPP)
en place sa stratégie d’isolement de la zone où aura lieu le futur débarquement afin de gêner l’arrivée des renforts et détruire le maximum de matériel et d’installations ferroviaires. Les attaques les plus graves qui concernent la région parisienne se produisent les 18 et 21 avril sur les gares de triage de Noisy-le-Sec et de Paris-La Chapelle.
Bombardement de la gare de triage de Noisy-le-Sec
Mardi 18 avril 1944, 23 h 05. Les sirènes se déclenchent. À 23 h 06, des vagues d’avions mettent le cap vers le nord-est de la capitale. Le dispositif d’intervention est déclenché. Les recoupements des informations transmises par les observatoires désignent trois objectifs possibles : les gares de triage de Pantin, de Noisy-le-Sec et de Drancy-Le Bourget. Le détachement d’intervention du bataillon Nord, stationné à Château-Landon, est mis en alerte.
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Ci-dessus. Le 9 septembre 1943. Les communes de La Garenne-Colombes, Bois-Colombes et Courbevoie sont particulièrement touchées. (BSPP) À droite. Le 15 septembre 1943. Cinq cent cinquante bombes sont tombées sur la banlieue ouest de Paris. (BSPP)
Les bombes tombent de jour comme de nuit
Comme s’il avait été le signal d’une nouvelle stratégie des Alliés, ce bombardement du 4 avril 1943 marque la reprise des raids aériens sur la région parisienne. Ils vont s’intensifier, de jour comme de nuit, les Américains se réservant les interventions diurnes et laissant aux Anglais les raids nocturnes. Mercredi 14 juillet. Vers 8 heures du matin, l’aviation largue un millier de bombes simultanément sur les aérodromes du Bourget, de Villacoublay, au nord et au sud de Paris. Les communes limitrophes de Drancy, Bièvre et du Petit-Clamart sont également touchées. Lundi 16 août. À 10 h 15, l’aérodrome du Bourget est de nouveau attaqué. Les dégâts sont importants aux alentours. Drancy, Stains, le Blanc-Mesnil et particulièrement Dugny sont durement éprouvés. Mardi 24 août. À 20 h 30, raid aérien sur l’aérodrome de Villacoublay. Pas de victime. Vendredi 3 septembre. À 9 h 45, cent cinquante bombes sont larguées sur Boulogne, Issy-les-Moulineaux, Vincennes et Saint-Maur, où les installations de l’organisation Todt sont gravement endommagées. Un avion en difficulté qui lâche ses
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bombes sur Paris fait des victimes et des dégâts dans les 6 e et 15e arrondissements. Très grand feu aux usines Ripolin, à Issy-les-Moulineaux, où dix-neuf grosses lances sont mises en œuvre. Au total, mille cent soixante-seize militaires du Régiment sont mobilisés pour cette alerte qui fait cent quarante et un morts parmi la population. Jeudi 9 septembre, 10 h 09. Temps radieux. Plusieurs vagues d’avions survolent Paris à très haute altitude et lâchent leurs bombes sur les communes de Colombes, Bois-Colombes, Courbevoie et Puteaux : soixante-quinze immeubles sont détruits. Il y a soixante-six morts. Et toujours la poignante détresse des sinistrés, telle cette jeune fille que le lieutenant Sivadier rencontre dans une rue bordée de pavillons, près de la gare de Bécon-les-Bruyères, devant l’entonnoir de bombes où gisent les corps de ses parents sous les ruines de leur maison et les débris de tous leurs biens : “Elle n’avait pas d’argent, pas de titre de ravitaillement, pas de vêtements de rechange. Elle n’attendait personne et ne savait où aller. Pensive, les yeux secs, elle regardait le trou béant. Elle n’avait plus rien.” Mercredi 15 septembre, 19 h 40. Mêmes objectifs que la semaine précédente. Sont particulièrement visées les usines HispanoSuiza à Bois-Colombes, Mazda, Berliet, Castrol à Courbevoie, Caudron-Renault à Boulogne-Billancourt, Citroën à Paris… Cinq cent cinquante bombes sont lancées, mille cinq cent quarantesept immeubles sont touchés. Le Régiment fait intervenir quatre-vingt-cinq engins divers et mille trois cent quatre-vingtquatre hommes. Lourd bilan parmi la population : deux cent quatre-vingt-trois morts. Dimanche 3 octobre, 15 heures. Une formation de cinq appareils des Forces aériennes françaises libres attaque en rase-mottes une station de transformateurs électriques à Chevilly-Larue, dans la proche banlieue sud de Paris. Trente bombes atteignent leurs objectifs et provoquent un monstrueux incendie qui ne sera maîtrisé que le 5 octobre au soir. Touché par la DCA, un des avions français va s’écraser dans la Seine, face au quai de Bercy. Trois membres de l’équipage sont repêchés, mais tombent aux mains des Allemands. Le quatrième se noie. Son corps sera retrouvé le lendemain. Vendredi 31 décembre, 12 h 30. Courbevoie, Neuilly, Bois-Colombes, Levallois, Vitry, Ivry, Alfortville, Charenton… Mille bombes larguées sur ces secteurs font du dernier raid aérien de l’année l’un des plus meurtriers qu’ait jamais connu la région parisienne. On relève deux cent trente morts. Les opérations de sauvetage et d’extinction des incendies mobilisent six cent soixante-dix militaires du Régiment jusqu’au 3 janvier 1944 à midi.
Nouvelle stratégie des Alliés
Sur le plan des bombardements aériens, les premiers mois de l’année 1944 sont relativement calmes. Les choses sérieuses reprennent début avril. Le 10 avril, à 0 h 15, la gare de triage de Villeneuve-Saint-Georges reçoit plus d’un millier de bombes. Désormais, ce ne sont plus tant les objectifs industriels qui sont visés, mais surtout les gares, les ponts et les voies de communication. Le haut commandement allié commence ainsi à mettre
Paris et sa banlieue sous les bombes
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Le 18 avril 1944. Bombardement de Noisy-le-Sec. (BSPP)
en place sa stratégie d’isolement de la zone où aura lieu le futur débarquement afin de gêner l’arrivée des renforts et détruire le maximum de matériel et d’installations ferroviaires. Les attaques les plus graves qui concernent la région parisienne se produisent les 18 et 21 avril sur les gares de triage de Noisy-le-Sec et de Paris-La Chapelle.
Bombardement de la gare de triage de Noisy-le-Sec
Mardi 18 avril 1944, 23 h 05. Les sirènes se déclenchent. À 23 h 06, des vagues d’avions mettent le cap vers le nord-est de la capitale. Le dispositif d’intervention est déclenché. Les recoupements des informations transmises par les observatoires désignent trois objectifs possibles : les gares de triage de Pantin, de Noisy-le-Sec et de Drancy-Le Bourget. Le détachement d’intervention du bataillon Nord, stationné à Château-Landon, est mis en alerte.
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Service incendie
et vie quotidienne
Feu d’entrepôts à Bonneuil. (BSPP)
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En marge des bombardements, qui caractérisent cette période exceptionnelle définie par l’état de guerre, la vie quotidienne de la capitale et de sa banlieue continue d’apporter son lot habituel d’accidents, d’événements et de drames qui requièrent la participation des sapeurs-pompiers.
Les grands feux
Plusieurs grands feux, qui sont sans rapport avec les aléas du conflit, marquent ces années-là. Il faut préciser que, dans la terminologie “pompiers de Paris” de l’époque, l’expression “grands feux” s’applique aux sinistres requérant la mise en œuvre de dix grosses lances et plus, ce qui est considérable. Au-dessus de quatre grosses lances, on parle de feux importants. Les feux moyens sont ceux qui nécessitent soit plusieurs petites lances soit entre une et trois grosses lances. Voici quelques exemples de grands sinistres pour l’année 1943… Dans le 19e arrondissement, deux raffineries de sucre sont la proie des flammes en moins d’une semaine. Ce sont d’abord, le 13 avril, rue Riquet, les établissements François qui brûlent. Causé par l’explosion de la poussière de sucre, l’incendie entraîne la destruction complète d’un bâtiment de trois étages et provoque la mort d’une ouvrière. Très violent, le feu nécessite la mise en œuvre de cinq grosses lances par les casernes Bitche, Château-Landon, Pantin et Montmartre. Une deuxième explosion ayant des causes analogues se produit le 19 avril aux établissements Lebaudy, 145 rue de Flandres. Elle n’occasionne que des dégâts matériels, mais provoque un incendie qui entraîne la perte regrettable en cette période de pénurie de 15 tonnes de sucre. Autres pertes alimentaires à Nanterre, le 9 mars, lors d’un feu d’usine de conserves qui appelle la mise en œuvre de trois grosses lances, puis, le 17 mars, à Levallois, où une autre usine de conserves est détruite lors d’un grand feu. Plusieurs sinistres touchant des produits chimiques et des hydrocarbures requièrent la mise en œuvre de moyens importants. Le 9 janvier, une explosion suivie d’un incendie ravage une usine de peinture, rue des Cités, à Aubervilliers, et cause la mort de deux ouvriers. Le 27 mars, ce sont des bacs d’hydrocarbures qui s’enflamment aux usines Gnome et Rhône, boulevard Kellermann (13e arrondissement), provoquant une très longue intervention du fourgon à mousse mécanique de la caserne Champerret.
Incendie des Magasins généraux d’Aubervilliers. (BSPP)
Le 1er juin, les secours du Régiment sont demandés à Saint-Ouenl’Aumône, en Seine-et-Oise, où un réservoir métallique contenant 28 000 hectolitres d’alcool est la proie des flammes. Le feu, qui s’est déclaré à 5 heures du matin, est éteint à 15 heures après la mise en œuvre de douze grosses lances. Le 20 octobre, une catastrophe est évitée de justesse rue Victor-Hugo à Courbevoie, où un feu d’usine menace de se propager à deux vastes ateliers renfermant une vingtaine d’essoreuses et huit cuves contenant chacune 3 000 litres de benzine. Combattu par dix grosses lances, le feu est éteint au bout de trois quarts d’heure de lutte. Très grand feu de chantier de bois, le 8 septembre, à Bagnolet. Les secours de Charonne, Ménilmontant, Montreuil et Chaligny établissent cinq grosses lances et huit petites. Il n’est pas question de dresser ici un inventaire complet des feux importants de l’année 1943, mais de brosser un rapide aperçu de l’activité incendie du Régiment.
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Service incendie
et vie quotidienne
Feu d’entrepôts à Bonneuil. (BSPP)
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En marge des bombardements, qui caractérisent cette période exceptionnelle définie par l’état de guerre, la vie quotidienne de la capitale et de sa banlieue continue d’apporter son lot habituel d’accidents, d’événements et de drames qui requièrent la participation des sapeurs-pompiers.
Les grands feux
Plusieurs grands feux, qui sont sans rapport avec les aléas du conflit, marquent ces années-là. Il faut préciser que, dans la terminologie “pompiers de Paris” de l’époque, l’expression “grands feux” s’applique aux sinistres requérant la mise en œuvre de dix grosses lances et plus, ce qui est considérable. Au-dessus de quatre grosses lances, on parle de feux importants. Les feux moyens sont ceux qui nécessitent soit plusieurs petites lances soit entre une et trois grosses lances. Voici quelques exemples de grands sinistres pour l’année 1943… Dans le 19e arrondissement, deux raffineries de sucre sont la proie des flammes en moins d’une semaine. Ce sont d’abord, le 13 avril, rue Riquet, les établissements François qui brûlent. Causé par l’explosion de la poussière de sucre, l’incendie entraîne la destruction complète d’un bâtiment de trois étages et provoque la mort d’une ouvrière. Très violent, le feu nécessite la mise en œuvre de cinq grosses lances par les casernes Bitche, Château-Landon, Pantin et Montmartre. Une deuxième explosion ayant des causes analogues se produit le 19 avril aux établissements Lebaudy, 145 rue de Flandres. Elle n’occasionne que des dégâts matériels, mais provoque un incendie qui entraîne la perte regrettable en cette période de pénurie de 15 tonnes de sucre. Autres pertes alimentaires à Nanterre, le 9 mars, lors d’un feu d’usine de conserves qui appelle la mise en œuvre de trois grosses lances, puis, le 17 mars, à Levallois, où une autre usine de conserves est détruite lors d’un grand feu. Plusieurs sinistres touchant des produits chimiques et des hydrocarbures requièrent la mise en œuvre de moyens importants. Le 9 janvier, une explosion suivie d’un incendie ravage une usine de peinture, rue des Cités, à Aubervilliers, et cause la mort de deux ouvriers. Le 27 mars, ce sont des bacs d’hydrocarbures qui s’enflamment aux usines Gnome et Rhône, boulevard Kellermann (13e arrondissement), provoquant une très longue intervention du fourgon à mousse mécanique de la caserne Champerret.
Incendie des Magasins généraux d’Aubervilliers. (BSPP)
Le 1er juin, les secours du Régiment sont demandés à Saint-Ouenl’Aumône, en Seine-et-Oise, où un réservoir métallique contenant 28 000 hectolitres d’alcool est la proie des flammes. Le feu, qui s’est déclaré à 5 heures du matin, est éteint à 15 heures après la mise en œuvre de douze grosses lances. Le 20 octobre, une catastrophe est évitée de justesse rue Victor-Hugo à Courbevoie, où un feu d’usine menace de se propager à deux vastes ateliers renfermant une vingtaine d’essoreuses et huit cuves contenant chacune 3 000 litres de benzine. Combattu par dix grosses lances, le feu est éteint au bout de trois quarts d’heure de lutte. Très grand feu de chantier de bois, le 8 septembre, à Bagnolet. Les secours de Charonne, Ménilmontant, Montreuil et Chaligny établissent cinq grosses lances et huit petites. Il n’est pas question de dresser ici un inventaire complet des feux importants de l’année 1943, mais de brosser un rapide aperçu de l’activité incendie du Régiment.
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Ci-contre de haut en bas. Incendie dans une fabrique de la rue Miollis, dans le 15e arrondissement (secteur Grenelle). (BSPP) Une grosse lance en action à Saint-Denis. (BSPP) Page de droite de haut en bas. Feu dans une usine de peinture à SaintDenis. (BSPP)
Service incendie et vie quotidienne
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Panorama de Paris, dans la soirée du 22 juin 1944, après un bombardement des quartiers nord de la capitale. (Archives de l’auteur)
Les feux concernant les AO
Tout se complique lorsqu’un incendie, même accidentel, éclate dans un établissement travaillant pour les AO, les autorités d’occupation… On a déjà vu qu’en pareil cas, le premier chef de garde sur les lieux doit le signaler dans son premier message de situation, ce qui provoque l’intervention immédiate de représentants de la Feuerschutzpolizei. Dès le mois de juin 1940, celle-ci a édicté un code des urgences qu’elle entend imposer aux sapeurs-pompiers parisiens lors de toute intervention et qui peut se résumer ainsi : le feu d’abord, les sauvetages après. De plus, si plusieurs immeubles ou bâtiments sont en feu et que l’un d’eux héberge un service ou un cantonnement allemand, ou bien si les flammes ravagent une usine ou un atelier travaillant pour le Reich, c’est sur eux que les sauveteurs doivent en priorité braquer leurs lances.
Un principe inacceptable
Or, il se trouve que la classification “feu d’abord, sauvetages après” est absolument opposée à ce qui est habituellement appliqué au Régiment, comme chez tous les sapeurs-pompiers du monde, qui privilégient la sauvegarde des vies humaines à la protection des biens. Dans la pratique, lorsque c’est possible, sauvetages et extinction s’accomplissent simultanément. Mais lorsque les deux opérations ne peuvent pas être menées de front, les sauvetages ont systématiquement la priorité. C’est évidemment cette attitude qui continue de prévaloir chez les sapeurs-pompiers de Paris, lesquels entendent ne pas déroger aux règles du devoir et de la morale professionnelle, ni mentir à leur devise “Sauver ou périr”. Et les innombrables notes de service, rappels et avertissements par lesquels la Feuerschutzpolizei essaiera d’imposer sa hiérarchie des tâches resteront toujours lettres mortes. Cette question déclenche la colère des Allemands lors des opérations de La Chapelle. L’officier de liaison de la Feuerschutzpolizei, le capitaine Krone, vient à la voiture PC protester auprès du directeur des secours, le commandant Carbonnier, chef du bataillon Nord. Le ton monte entre les deux officiers à tel point que les Allemands exigeront que Carbonnier soit relevé de son commandement.
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Ci-contre de haut en bas. Incendie dans une fabrique de la rue Miollis, dans le 15e arrondissement (secteur Grenelle). (BSPP) Une grosse lance en action à Saint-Denis. (BSPP) Page de droite de haut en bas. Feu dans une usine de peinture à SaintDenis. (BSPP)
Service incendie et vie quotidienne
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Panorama de Paris, dans la soirée du 22 juin 1944, après un bombardement des quartiers nord de la capitale. (Archives de l’auteur)
Les feux concernant les AO
Tout se complique lorsqu’un incendie, même accidentel, éclate dans un établissement travaillant pour les AO, les autorités d’occupation… On a déjà vu qu’en pareil cas, le premier chef de garde sur les lieux doit le signaler dans son premier message de situation, ce qui provoque l’intervention immédiate de représentants de la Feuerschutzpolizei. Dès le mois de juin 1940, celle-ci a édicté un code des urgences qu’elle entend imposer aux sapeurs-pompiers parisiens lors de toute intervention et qui peut se résumer ainsi : le feu d’abord, les sauvetages après. De plus, si plusieurs immeubles ou bâtiments sont en feu et que l’un d’eux héberge un service ou un cantonnement allemand, ou bien si les flammes ravagent une usine ou un atelier travaillant pour le Reich, c’est sur eux que les sauveteurs doivent en priorité braquer leurs lances.
Un principe inacceptable
Or, il se trouve que la classification “feu d’abord, sauvetages après” est absolument opposée à ce qui est habituellement appliqué au Régiment, comme chez tous les sapeurs-pompiers du monde, qui privilégient la sauvegarde des vies humaines à la protection des biens. Dans la pratique, lorsque c’est possible, sauvetages et extinction s’accomplissent simultanément. Mais lorsque les deux opérations ne peuvent pas être menées de front, les sauvetages ont systématiquement la priorité. C’est évidemment cette attitude qui continue de prévaloir chez les sapeurs-pompiers de Paris, lesquels entendent ne pas déroger aux règles du devoir et de la morale professionnelle, ni mentir à leur devise “Sauver ou périr”. Et les innombrables notes de service, rappels et avertissements par lesquels la Feuerschutzpolizei essaiera d’imposer sa hiérarchie des tâches resteront toujours lettres mortes. Cette question déclenche la colère des Allemands lors des opérations de La Chapelle. L’officier de liaison de la Feuerschutzpolizei, le capitaine Krone, vient à la voiture PC protester auprès du directeur des secours, le commandant Carbonnier, chef du bataillon Nord. Le ton monte entre les deux officiers à tel point que les Allemands exigeront que Carbonnier soit relevé de son commandement.
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Une lutte épuisante et toujours à recommencer… (BSPP)
Rouen,
une semaine en enfer
Les engins sont mis en aspiration dans la Seine. (BSPP)
108
Mercredi 31 mai 1944
14 heures. Le préfet régional de Rouen adresse un appel au préfet de police de Paris, Amédée Bussière. Depuis la veille, la grande ville normande est soumise à des bombardements incessants de l’aviation alliée, qui cherche à couper les communications entre les deux rives de la Seine. Atteinte en de nombreux points, la ville est ravagée par les flammes. Les sapeurs-pompiers locaux, auxquels se sont joints les corps de plus de trente autres villes de la Seine-Inférieure et des départements voisins, sont impuissants à maîtriser le formidable incendie qui dévore les quartiers historiques du centre de la ville et menace la cathédrale. Le jour même, une nouvelle attaque a détruit plusieurs véhicules des sapeurs-pompiers, écrasé les tuyaux sous des tonnes de décombres et allumé de nouveaux sinistres. Devant cette situation alarmante, le préfet régional demande le concours du Régiment parisien. 15 h 30. Un premier détachement quitte Paris. Il est placé sous les ordres du capitaine Sarniguet et comprend les lieutenants Masséi (10e compagnie) et About (6e compagnie), sept sous-officiers et trente-deux caporaux et sapeurs. Le matériel est composé des ensembles grande puissance de Château-Landon et Grenelle, d’un camion de ravitaillement avec cuisine roulante de Dupleix, d’une camionnette de dépannage de Champerret, d’une voiture de liaison et de deux motocyclettes. 18 h 30. Rouen. Les quartiers du centre ne sont qu’un gigantesque brasier dominé par un immense panache de fumée dans lequel disparaît la flèche de la cathédrale. La direction des secours est assurée par le capitaine Chanteaud. Détaché à la direction de la protection incendie du ministère de l’Intérieur, cet officier a commandé la 27e compagnie (Bois-Colombes) au plus fort moment des raids aériens en 1942-1943. La ville est très éprouvée.
Les différents corps de pompiers qui luttent à Rouen Pour la Seine-Inférieure, outre les sapeurs-pompiers de Rouen : Barentin, Bois-Guillaume, Bolbec, Caudebec-en-Caux, Darnetal, Déville-lès-Rouen, Dieppe, Duclair, Elbeuf, Fontainele-Bourg, Grand-Couronne, Grand-Quevilly, Le Havre, Lillebonne, Mesnil-Esnard, Malaunay, Montville, Neufchâtel-en-Bray, Notre-Dame-de-Bondeville, Oissel, Pavilly, Petit-Quevilly, SaintAubin-en-Elbeuf, Yvetot. Pour le département de l’Eure : Bernay, Conches, Étrépagny, Évreux, Gisors, Le Neubourg, Les Andelys, Louviers, Pont-Audemer, Vernon. Pour le département de l’Oise : Beauvais. Pour le département du Calvados : Caen. Nota : le département de Seine-Inférieure est devenu SeineMaritime depuis le 20 janvier 1955.
Des monceaux de gravats, des poutres calcinées encombrent les rues étroites. Il règne une chaleur de fournaise. Depuis la veille souffle un vent très fort qui attise l’incendie et projette dans tous les sens une multitude de brandons incandescents qui propagent le feu. Les vieilles maisons moyenâgeuses avec leurs colombages de bois flambent comme des allumettes, faisant irrémédiablement disparaître un patrimoine historique inestimable. 19 heures. Le détachement Sarniguet reçoit pour mission de combattre les différents incendies de la rive droite, autour de la cathédrale et du Gros-Horloge, et de procéder au sauvetage
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Une lutte épuisante et toujours à recommencer… (BSPP)
Rouen,
une semaine en enfer
Les engins sont mis en aspiration dans la Seine. (BSPP)
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Mercredi 31 mai 1944
14 heures. Le préfet régional de Rouen adresse un appel au préfet de police de Paris, Amédée Bussière. Depuis la veille, la grande ville normande est soumise à des bombardements incessants de l’aviation alliée, qui cherche à couper les communications entre les deux rives de la Seine. Atteinte en de nombreux points, la ville est ravagée par les flammes. Les sapeurs-pompiers locaux, auxquels se sont joints les corps de plus de trente autres villes de la Seine-Inférieure et des départements voisins, sont impuissants à maîtriser le formidable incendie qui dévore les quartiers historiques du centre de la ville et menace la cathédrale. Le jour même, une nouvelle attaque a détruit plusieurs véhicules des sapeurs-pompiers, écrasé les tuyaux sous des tonnes de décombres et allumé de nouveaux sinistres. Devant cette situation alarmante, le préfet régional demande le concours du Régiment parisien. 15 h 30. Un premier détachement quitte Paris. Il est placé sous les ordres du capitaine Sarniguet et comprend les lieutenants Masséi (10e compagnie) et About (6e compagnie), sept sous-officiers et trente-deux caporaux et sapeurs. Le matériel est composé des ensembles grande puissance de Château-Landon et Grenelle, d’un camion de ravitaillement avec cuisine roulante de Dupleix, d’une camionnette de dépannage de Champerret, d’une voiture de liaison et de deux motocyclettes. 18 h 30. Rouen. Les quartiers du centre ne sont qu’un gigantesque brasier dominé par un immense panache de fumée dans lequel disparaît la flèche de la cathédrale. La direction des secours est assurée par le capitaine Chanteaud. Détaché à la direction de la protection incendie du ministère de l’Intérieur, cet officier a commandé la 27e compagnie (Bois-Colombes) au plus fort moment des raids aériens en 1942-1943. La ville est très éprouvée.
Les différents corps de pompiers qui luttent à Rouen Pour la Seine-Inférieure, outre les sapeurs-pompiers de Rouen : Barentin, Bois-Guillaume, Bolbec, Caudebec-en-Caux, Darnetal, Déville-lès-Rouen, Dieppe, Duclair, Elbeuf, Fontainele-Bourg, Grand-Couronne, Grand-Quevilly, Le Havre, Lillebonne, Mesnil-Esnard, Malaunay, Montville, Neufchâtel-en-Bray, Notre-Dame-de-Bondeville, Oissel, Pavilly, Petit-Quevilly, SaintAubin-en-Elbeuf, Yvetot. Pour le département de l’Eure : Bernay, Conches, Étrépagny, Évreux, Gisors, Le Neubourg, Les Andelys, Louviers, Pont-Audemer, Vernon. Pour le département de l’Oise : Beauvais. Pour le département du Calvados : Caen. Nota : le département de Seine-Inférieure est devenu SeineMaritime depuis le 20 janvier 1955.
Des monceaux de gravats, des poutres calcinées encombrent les rues étroites. Il règne une chaleur de fournaise. Depuis la veille souffle un vent très fort qui attise l’incendie et projette dans tous les sens une multitude de brandons incandescents qui propagent le feu. Les vieilles maisons moyenâgeuses avec leurs colombages de bois flambent comme des allumettes, faisant irrémédiablement disparaître un patrimoine historique inestimable. 19 heures. Le détachement Sarniguet reçoit pour mission de combattre les différents incendies de la rive droite, autour de la cathédrale et du Gros-Horloge, et de procéder au sauvetage
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11 heures. Alerte aérienne. Une importante vague de bombardiers survole la ville. Le personnel est mis à l’abri. L’alerte dure une demi-heure. Quand les pompiers reviennent à leur poste, deux gigantesques reprises de feu embrasent la rue Jeanned’Arc et la rue des Cordeliers. 15 heures. Le feu se rallume sur la plate-forme de la flèche de la cathédrale, nécessitant la mise en œuvre d’une petite lance à 80 mètres de hauteur. Grimpés sur la toiture de la nef, trois pompiers abattent plusieurs petits foyers à la hache. Dans le secteur de la Bourse et rue Camille-Saint-Saëns, la section du lieutenant Durand doit faire face à une importante reprise du feu. 18 heures. Nouvelle alerte aérienne. Des avions attaquent en piqué et visent le pont Boieldieu. Une motopompe est projetée dans la Seine par le souffle d’une bombe. Le pont demeure intact. Une bombe frappe la Bourse, côté rue Camille-SaintSaëns. Un mur s’effondre sur une équipe de la 3e compagnie (Port-Royal). Le caporal-chef Jean, les sapeurs Carré, Cerisier, Séguy et Lafons sont ensevelis sous des tonnes de pierre et tués sur le coup. Le lieutenant Durand, les caporaux Prévot et Guilleminot, les sapeurs Rebeix et Cornet sont sérieusement blessés. Le souffle des déflagrations et le vent qui ne désarme pas redonnent vigueur aux multiples foyers. Toute la nuit, la lutte se poursuit avec opiniâtreté. Tout le monde est exténué. Une sourde impression d’impuissance et de découragement commence à poindre. Pour vaincre la lassitude et le doute qu’ils sentent monter chez leurs hommes, le lieutenant-colonel Serrant, les capitaines Sarniguet et Jean mettent la main à la manœuvre, ici ils prennent
Un compte rendu éloquent
le relais d’un porte-lance, là ils aident au remplacement des tuyaux pris sous les décombres, ailleurs ils participent à l’établissement ou au déplacement de nouvelles lignes.
Samedi 3 juin
1 h 30. Un feu très violent se déclare rue de la Harenguerie et exige la mise en œuvre de six grosses lances par l’équipe du sergent-chef Vanesbeck (3 e compagnie), de la section Rossigneux, et par un détachement des pompiers d’Yvetot. 4 heures. Depuis une heure environ, les agents de liaison de tous les secteurs se succèdent au PC, porteurs d’un message laconique : “Maîtres du feu” ! 6 h 30. Enfin, le message tant attendu : “Feux éteints” ! Oui, mais en surface, car tout le monde sait que des foyers couvent encore sous les décombres et que la situation tient à deux facteurs qu’il n’est pas possible de contrôler : le vent, qui s’est calmé, mais pourrait à nouveau se lever, et un éventuel nouveau raid aérien. Le lieutenant-colonel Serrant ordonne le maintien en activité d’un grand nombre de lances afin de noyer les foyers en profondeur. Il sera ensuite possible de procéder au déblai et de traquer les foyers résiduels. Il s’agit d’une action ingrate et épuisante qui peut durer plus de vingt-quatre heures et qui exige donc la venue d’une nouvelle relève. 10 h 45. Les combles d’un immeuble de la rue Saint-Éloi s’embrasent et menacent tout un îlot voisin. Cinq grosses lances manœuvrées par l’équipe du sergent Mercier (1re compagnie) et par les pompiers de Neufchâtel-en-Bray en viennent à bout en moins d’une heure. 12 heures. On ne signale plus de feux. Pour la première fois depuis qu’ils sont engagés, les sapeurs-pompiers peuvent prendre un peu de repos en se relayant par équipes. Rassemblés sur les quais à proximité des engins dont les pompes n’ont pas cessé de tourner depuis plus de soixante heures, ils mordent Toilette et détente pour le personnel de l’EGP de Château-Landon. (Archives de l’auteur)
Le secteur pris en charge par le lieutenant Rossigneux est délimité par la rue aux Ours, la place de la Pucelle, la rue SaintÉloi et les quais. Le compte rendu qu’il fait de la situation aux premières heures de la matinée du 2 juin est significatif de la violence du feu et des moyens mis en œuvre : “Deux grands feux d’immeubles rue de la Vicomté (six grosses lances et quatre petites) ; - Huit ou dix foyers dans les décombres de la rue Jeanne-d’Arc dont un assez important dans les décombres de la Société générale (huit petites lances) ; - Deux foyers menaçant de prendre une certaine ampleur aux Messageries Hachette et dans l’immeuble contigu, rue aux Ours (deux grosses lances et trois petites) ; - Un feu de combles angle nord rue des Charrettes et rue SaintÉloi (trois petites lances) ; - Quelques petits foyers en nette régression dans la partie haute de la rue Saint-Éloi, la place de la Pucelle, vers la rue de la Vicomté et l’annexe du Comptoir d’escompte.” Les volontaires des équipes nationales ravitaillent les pompiers. (BSPP)
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Rouen, une semaine en enfer
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avidement dans les casse-croûte que leur distribuent les dames de la Croix-Rouge et les scouts. L’espoir renaît. Le vent souffle modérément. Le ciel, qui annonce la pluie, est vide d’avions. On commence à démonter le matériel et à le rassembler par détachement. 17 h 30. Alerte aérienne. Des bombes tombent sur la rive gauche et sur le pont Boieldieu. Plusieurs impacts sont signalés rue Jeanne-d’Arc où une reprise du feu est combattue par les pompiers de Neufchâtel-en-Bray. Pendant ce temps, une partie du détachement parisien est dirigée vers l’école de la rue Poisson pour y prendre du repos et faire un brin de toilette. Les hommes, qui luttent depuis trente-six heures presque sans une minute de répit, sont fourbus, couverts de poussière, de plâtre et de boue. Des paillasses, des matelas ont été disposés par le personnel de la Croix-Rouge. Écrasés de fatigue, ils tombent dans un sommeil profond. Ils sont au repos jusqu’à minuit. 21 h 15. Debout ! Le feu a repris rue aux Ours et menace de nouveau la centrale électrique. Tout le détachement est
rappelé. Rechausser les bottes au cuir racorni est un supplice. La lutte reprend, épuisante, désespérante… Il faut, de nouveau, établir à bras depuis les quais deux grosses lances qu’on hisse au cinquième étage d’un immeuble qui surplombe la centrale, pendant que deux autres lances manœuvrent de plain-pied depuis la rue Cabot. De leur côté, les pompiers de Déville-lès-Rouen établissent deux grosses lances qui crachent depuis la rue du Fardeau. Même chose pour le détachement de Caen qui agit depuis la rue des Cordeliers. Le capitaine Jean et le sous-lieutenant Plançon se partagent la direction du secteur. 22 heures. Un détachement de la Feuerschutzpolizei en provenance d’Évreux prend position dans la rue aux Ours et met en place deux lances grande puissance qui complètent le dispositif autour de la centrale électrique. Pendant ce temps, le lieutenant Rossigneux intervient avec sa section et le personnel du fourgon-pompe de Notre-Dame-de-Bouteville sur un feu très violent qui ravage les Messageries Hachette, à l’autre extrémité de la rue aux Ours.
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11 heures. Alerte aérienne. Une importante vague de bombardiers survole la ville. Le personnel est mis à l’abri. L’alerte dure une demi-heure. Quand les pompiers reviennent à leur poste, deux gigantesques reprises de feu embrasent la rue Jeanned’Arc et la rue des Cordeliers. 15 heures. Le feu se rallume sur la plate-forme de la flèche de la cathédrale, nécessitant la mise en œuvre d’une petite lance à 80 mètres de hauteur. Grimpés sur la toiture de la nef, trois pompiers abattent plusieurs petits foyers à la hache. Dans le secteur de la Bourse et rue Camille-Saint-Saëns, la section du lieutenant Durand doit faire face à une importante reprise du feu. 18 heures. Nouvelle alerte aérienne. Des avions attaquent en piqué et visent le pont Boieldieu. Une motopompe est projetée dans la Seine par le souffle d’une bombe. Le pont demeure intact. Une bombe frappe la Bourse, côté rue Camille-SaintSaëns. Un mur s’effondre sur une équipe de la 3e compagnie (Port-Royal). Le caporal-chef Jean, les sapeurs Carré, Cerisier, Séguy et Lafons sont ensevelis sous des tonnes de pierre et tués sur le coup. Le lieutenant Durand, les caporaux Prévot et Guilleminot, les sapeurs Rebeix et Cornet sont sérieusement blessés. Le souffle des déflagrations et le vent qui ne désarme pas redonnent vigueur aux multiples foyers. Toute la nuit, la lutte se poursuit avec opiniâtreté. Tout le monde est exténué. Une sourde impression d’impuissance et de découragement commence à poindre. Pour vaincre la lassitude et le doute qu’ils sentent monter chez leurs hommes, le lieutenant-colonel Serrant, les capitaines Sarniguet et Jean mettent la main à la manœuvre, ici ils prennent
Un compte rendu éloquent
le relais d’un porte-lance, là ils aident au remplacement des tuyaux pris sous les décombres, ailleurs ils participent à l’établissement ou au déplacement de nouvelles lignes.
Samedi 3 juin
1 h 30. Un feu très violent se déclare rue de la Harenguerie et exige la mise en œuvre de six grosses lances par l’équipe du sergent-chef Vanesbeck (3 e compagnie), de la section Rossigneux, et par un détachement des pompiers d’Yvetot. 4 heures. Depuis une heure environ, les agents de liaison de tous les secteurs se succèdent au PC, porteurs d’un message laconique : “Maîtres du feu” ! 6 h 30. Enfin, le message tant attendu : “Feux éteints” ! Oui, mais en surface, car tout le monde sait que des foyers couvent encore sous les décombres et que la situation tient à deux facteurs qu’il n’est pas possible de contrôler : le vent, qui s’est calmé, mais pourrait à nouveau se lever, et un éventuel nouveau raid aérien. Le lieutenant-colonel Serrant ordonne le maintien en activité d’un grand nombre de lances afin de noyer les foyers en profondeur. Il sera ensuite possible de procéder au déblai et de traquer les foyers résiduels. Il s’agit d’une action ingrate et épuisante qui peut durer plus de vingt-quatre heures et qui exige donc la venue d’une nouvelle relève. 10 h 45. Les combles d’un immeuble de la rue Saint-Éloi s’embrasent et menacent tout un îlot voisin. Cinq grosses lances manœuvrées par l’équipe du sergent Mercier (1re compagnie) et par les pompiers de Neufchâtel-en-Bray en viennent à bout en moins d’une heure. 12 heures. On ne signale plus de feux. Pour la première fois depuis qu’ils sont engagés, les sapeurs-pompiers peuvent prendre un peu de repos en se relayant par équipes. Rassemblés sur les quais à proximité des engins dont les pompes n’ont pas cessé de tourner depuis plus de soixante heures, ils mordent Toilette et détente pour le personnel de l’EGP de Château-Landon. (Archives de l’auteur)
Le secteur pris en charge par le lieutenant Rossigneux est délimité par la rue aux Ours, la place de la Pucelle, la rue SaintÉloi et les quais. Le compte rendu qu’il fait de la situation aux premières heures de la matinée du 2 juin est significatif de la violence du feu et des moyens mis en œuvre : “Deux grands feux d’immeubles rue de la Vicomté (six grosses lances et quatre petites) ; - Huit ou dix foyers dans les décombres de la rue Jeanne-d’Arc dont un assez important dans les décombres de la Société générale (huit petites lances) ; - Deux foyers menaçant de prendre une certaine ampleur aux Messageries Hachette et dans l’immeuble contigu, rue aux Ours (deux grosses lances et trois petites) ; - Un feu de combles angle nord rue des Charrettes et rue SaintÉloi (trois petites lances) ; - Quelques petits foyers en nette régression dans la partie haute de la rue Saint-Éloi, la place de la Pucelle, vers la rue de la Vicomté et l’annexe du Comptoir d’escompte.” Les volontaires des équipes nationales ravitaillent les pompiers. (BSPP)
112
Rouen, une semaine en enfer
12
avidement dans les casse-croûte que leur distribuent les dames de la Croix-Rouge et les scouts. L’espoir renaît. Le vent souffle modérément. Le ciel, qui annonce la pluie, est vide d’avions. On commence à démonter le matériel et à le rassembler par détachement. 17 h 30. Alerte aérienne. Des bombes tombent sur la rive gauche et sur le pont Boieldieu. Plusieurs impacts sont signalés rue Jeanne-d’Arc où une reprise du feu est combattue par les pompiers de Neufchâtel-en-Bray. Pendant ce temps, une partie du détachement parisien est dirigée vers l’école de la rue Poisson pour y prendre du repos et faire un brin de toilette. Les hommes, qui luttent depuis trente-six heures presque sans une minute de répit, sont fourbus, couverts de poussière, de plâtre et de boue. Des paillasses, des matelas ont été disposés par le personnel de la Croix-Rouge. Écrasés de fatigue, ils tombent dans un sommeil profond. Ils sont au repos jusqu’à minuit. 21 h 15. Debout ! Le feu a repris rue aux Ours et menace de nouveau la centrale électrique. Tout le détachement est
rappelé. Rechausser les bottes au cuir racorni est un supplice. La lutte reprend, épuisante, désespérante… Il faut, de nouveau, établir à bras depuis les quais deux grosses lances qu’on hisse au cinquième étage d’un immeuble qui surplombe la centrale, pendant que deux autres lances manœuvrent de plain-pied depuis la rue Cabot. De leur côté, les pompiers de Déville-lès-Rouen établissent deux grosses lances qui crachent depuis la rue du Fardeau. Même chose pour le détachement de Caen qui agit depuis la rue des Cordeliers. Le capitaine Jean et le sous-lieutenant Plançon se partagent la direction du secteur. 22 heures. Un détachement de la Feuerschutzpolizei en provenance d’Évreux prend position dans la rue aux Ours et met en place deux lances grande puissance qui complètent le dispositif autour de la centrale électrique. Pendant ce temps, le lieutenant Rossigneux intervient avec sa section et le personnel du fourgon-pompe de Notre-Dame-de-Bouteville sur un feu très violent qui ravage les Messageries Hachette, à l’autre extrémité de la rue aux Ours.
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13
Vers la libération
La caserne Poissy, PC de la 2e compagnie à laquelle appratient le lieutenant Blanc. Le premier-secours Delahaye est un prototype mis en service au Régiment en 1938. (DR)
118
Création d’un mouvement de résistance autonome au sein du Régiment
Le 6 décembre 1941, le lieutenant Frédéric Curie a été libéré du fort d’Hauteville, à Dijon, où il purgeait une peine infligée le 8 octobre 1940 par le tribunal militaire allemand de Paris (voir chapitre 8). Le Régiment a récupéré ce bouillant élément que l’intermède carcéral n’a pas dissuadé de lutter contre l’occupant. Nommé capitaine, Curie a pris le commandement de la 22e compagnie à Vitry-sur-Seine, le 15 janvier 1942. En quelques mois, les deux cent cinquante hommes qui la composent sont acquis aux convictions de leur chef et forment l’embryon du projet d’envergure auquel il travaille, à savoir la mise sur pied d’un mouvement de résistance armé et autonome au sein du Régiment. À l’automne de 1942, Curie a contacté le lieutenant René Blanc, de la 2e compagnie (caserne Poissy), pour s’assurer de son adhésion. Il a jaugé ce jeune officier de vingt-cinq ans arrivé aux pompiers dès sa sortie de Saint-Cyr. Blanc lui a donné son accord. Curie est également entré en relation avec d’autres officiers, le capitaine Beltramelli, le lieutenant Charron et le commandant Camus. Après avoir commandé la 26e compagnie (Saint-Denis), le premier a été nommé à la tête de la 3e compagnie (Port-Royal). Le deuxième est l’adjoint du capitaine Sarniguet au centre d’instruction de la caserne Dupleix. Quant au commandant Camus qui, jusqu’alors, a partagé sa carrière entre la Légion étrangère et le Régiment, il commande depuis le 1er novembre 1943 le bataillon Sud, dont le PC est à Colombier. Tous trois se sont, eux aussi, prononcés en faveur d’une organisation résistante interne. Cette organisation, indépendante de tout autre mouvement extérieur, il est grand temps de la créer si l’on veut maintenir la cohésion absolue qui doit régner dans toute unité militaire, à plus forte raison chez les sapeurs-pompiers. Ils sont en effet de plus en plus nombreux ceux qui, impatients d’agir, désertent
La caserne Colombier, PC du bataillon Sud commandé par le chef de bataillon Camus. (DR)
pour rejoindre le maquis en province ou les réseaux “action” d’autres mouvements. Au train où vont les choses, on risque d’aboutir rapidement à une hémorragie des effectifs. C’est une situation analogue à celle de 1940 qui menace de se reproduire et qui va empirer à mesure qu’approchera le moment de livrer combat pour la Libération. De cela, les autorités de la France libre sont conscientes et approuvent la création d’un groupement de résistance armée au sein du Régiment, ce qui répond à deux objectifs complémentaires : - retenir à l’unité des effectifs indispensables à sa mission traditionnelle de service public, car la libération du territoire, et notamment de la capitale, n’ira pas sans bombardements ni sans combats qui entraîneront des destructions, des incendies et des dommages pour la population ; - disposer sur place, le jour venu, d’une force organisée, instruite et disciplinée, prête à intervenir aux côtés des armées libératrices. Ce groupement armé autonome portera le nom de “Sécurité parisienne”.
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Vers la libération
La caserne Poissy, PC de la 2e compagnie à laquelle appratient le lieutenant Blanc. Le premier-secours Delahaye est un prototype mis en service au Régiment en 1938. (DR)
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Création d’un mouvement de résistance autonome au sein du Régiment
Le 6 décembre 1941, le lieutenant Frédéric Curie a été libéré du fort d’Hauteville, à Dijon, où il purgeait une peine infligée le 8 octobre 1940 par le tribunal militaire allemand de Paris (voir chapitre 8). Le Régiment a récupéré ce bouillant élément que l’intermède carcéral n’a pas dissuadé de lutter contre l’occupant. Nommé capitaine, Curie a pris le commandement de la 22e compagnie à Vitry-sur-Seine, le 15 janvier 1942. En quelques mois, les deux cent cinquante hommes qui la composent sont acquis aux convictions de leur chef et forment l’embryon du projet d’envergure auquel il travaille, à savoir la mise sur pied d’un mouvement de résistance armé et autonome au sein du Régiment. À l’automne de 1942, Curie a contacté le lieutenant René Blanc, de la 2e compagnie (caserne Poissy), pour s’assurer de son adhésion. Il a jaugé ce jeune officier de vingt-cinq ans arrivé aux pompiers dès sa sortie de Saint-Cyr. Blanc lui a donné son accord. Curie est également entré en relation avec d’autres officiers, le capitaine Beltramelli, le lieutenant Charron et le commandant Camus. Après avoir commandé la 26e compagnie (Saint-Denis), le premier a été nommé à la tête de la 3e compagnie (Port-Royal). Le deuxième est l’adjoint du capitaine Sarniguet au centre d’instruction de la caserne Dupleix. Quant au commandant Camus qui, jusqu’alors, a partagé sa carrière entre la Légion étrangère et le Régiment, il commande depuis le 1er novembre 1943 le bataillon Sud, dont le PC est à Colombier. Tous trois se sont, eux aussi, prononcés en faveur d’une organisation résistante interne. Cette organisation, indépendante de tout autre mouvement extérieur, il est grand temps de la créer si l’on veut maintenir la cohésion absolue qui doit régner dans toute unité militaire, à plus forte raison chez les sapeurs-pompiers. Ils sont en effet de plus en plus nombreux ceux qui, impatients d’agir, désertent
La caserne Colombier, PC du bataillon Sud commandé par le chef de bataillon Camus. (DR)
pour rejoindre le maquis en province ou les réseaux “action” d’autres mouvements. Au train où vont les choses, on risque d’aboutir rapidement à une hémorragie des effectifs. C’est une situation analogue à celle de 1940 qui menace de se reproduire et qui va empirer à mesure qu’approchera le moment de livrer combat pour la Libération. De cela, les autorités de la France libre sont conscientes et approuvent la création d’un groupement de résistance armée au sein du Régiment, ce qui répond à deux objectifs complémentaires : - retenir à l’unité des effectifs indispensables à sa mission traditionnelle de service public, car la libération du territoire, et notamment de la capitale, n’ira pas sans bombardements ni sans combats qui entraîneront des destructions, des incendies et des dommages pour la population ; - disposer sur place, le jour venu, d’une force organisée, instruite et disciplinée, prête à intervenir aux côtés des armées libératrices. Ce groupement armé autonome portera le nom de “Sécurité parisienne”.
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3 août. 19 h 15. Les secours du Régiment sont demandés à Melun par le préfet de Seine-et-Marne. Un très violent incendie allumé par un bombardement ravage les brasseries Grüber. L’ensemble grande puissance de Chaligny est sur place à 20 h 30 et met en œuvre plusieurs grosses lances pendant une partie de la nuit. Il est de retour à Paris le 4 août à 5 h 45. 7 août. 12 h 45. L’attaque sur le dépôt d’hydrocarbures de la Société française des carburants, à Saint-Ouen, provoque un incendie d’une telle violence que les pompiers doivent établir trente grosses lances pour en venir à bout. Trois trains de carburants stationnés en gare des Docks sont également la proie des
flammes. Un avion en difficulté lâche ses bombes sur Noisyle-Sec, faisant treize morts. 10 août. La gare de La Courneuve et son dépôt d’essence reçoivent des bombes qui ne causent pas de gros dommages. 18 août. Un raid provoque l’incendie d’un train de carburant en gare de Bonneuil-sur-Marne.
Vers la Libération
13
Ici s’arrête la triste litanie des attaques aériennes alliées sur la capitale. La prochaine fois que des bombes tomberont sur la région parisienne, elles ne seront plus anglaises ni américaines, mais allemandes, car entre-temps Paris se sera libéré.
Le 10 mai 1944, le bateau-pompe Île-de-France alimente les lances qui luttent contre le feu des établissements Wattelez, à Colombes. (BSPP)
La gare de Sartrouville, après le bombardement du 11 juin 1944 sur le nord-ouest de la banlieue parisienne. (BSPP)
122
Incendie des bâtiments de la gare de La Chapelle, après la chute d’un avion américain, le 22 juin 1944. (Archives de l’auteur)
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3 août. 19 h 15. Les secours du Régiment sont demandés à Melun par le préfet de Seine-et-Marne. Un très violent incendie allumé par un bombardement ravage les brasseries Grüber. L’ensemble grande puissance de Chaligny est sur place à 20 h 30 et met en œuvre plusieurs grosses lances pendant une partie de la nuit. Il est de retour à Paris le 4 août à 5 h 45. 7 août. 12 h 45. L’attaque sur le dépôt d’hydrocarbures de la Société française des carburants, à Saint-Ouen, provoque un incendie d’une telle violence que les pompiers doivent établir trente grosses lances pour en venir à bout. Trois trains de carburants stationnés en gare des Docks sont également la proie des
flammes. Un avion en difficulté lâche ses bombes sur Noisyle-Sec, faisant treize morts. 10 août. La gare de La Courneuve et son dépôt d’essence reçoivent des bombes qui ne causent pas de gros dommages. 18 août. Un raid provoque l’incendie d’un train de carburant en gare de Bonneuil-sur-Marne.
Vers la Libération
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Ici s’arrête la triste litanie des attaques aériennes alliées sur la capitale. La prochaine fois que des bombes tomberont sur la région parisienne, elles ne seront plus anglaises ni américaines, mais allemandes, car entre-temps Paris se sera libéré.
Le 10 mai 1944, le bateau-pompe Île-de-France alimente les lances qui luttent contre le feu des établissements Wattelez, à Colombes. (BSPP)
La gare de Sartrouville, après le bombardement du 11 juin 1944 sur le nord-ouest de la banlieue parisienne. (BSPP)
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Incendie des bâtiments de la gare de La Chapelle, après la chute d’un avion américain, le 22 juin 1944. (Archives de l’auteur)
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Paris se libère
L’une des six compagnies de Sécurité parisienne est commandée par l’adjudant Pierre, à droite, en képi. (BSPP)
Mobilisation du mouvement Sécurité parisienne
Le commandant Camus (premier à gauche) a rassemblé les cadres et sapeurs ayant adhéré à des organisations clandestines extérieures au Régiment. (BSPP)
126
L’heure de la Libération approche. L’évacuation précipitée de certains services administratifs allemands et du personnel féminin de la Wehrmacht, surnommé par les Parisiens “souris grises” en raison de la couleur de son uniforme, en est le signe éloquent. Le Régiment est délivré de la tutelle de la Feuerschutzpolizei, dont le départ a lieu dans la plus grande discrétion. Mais ce n’est que le 18 août qu’Oberg et les chefs de la SS quittent Paris pour Vittel. Le 10 août, les cheminots se mettent en grève, suivis par la poste et le métro. Le 14 août, c’est au tour de la police, il n’y a plus un seul gardien de la paix en uniforme dans les rues de Paris et de la banlieue. Le 16 août, Jacques Chaban-Delmas, délégué militaire du général de Gaulle, prend son poste dans la capitale. Le 17 août, Charles Luizet, nouveau préfet de police, arrive à son tour. Le 18 août, le parti communiste appelle “le peuple de Paris et de sa grande banlieue à l’insurrection libératrice”. Le même jour, le général Hary, alias Henri-Martin, prend le commandement des forces “gouvernementales” qui se composent de la Garde républicaine, de la Gendarmerie et du Régiment de sapeurs-pompiers de Paris. Ce dernier est déjà mobilisé et se tient prêt à agir sous l’autorité du commandant Camus pour qui il importe plus que jamais de faire revenir dans le giron du corps les gradés et sapeurs
qui ont adhéré à des organisations clandestines extérieures. Des consignes très strictes sont données. Toute mission qui ne relève par directement du service incendie ne peut être fixée que par des chefs dûment mandatés. Toute désertion au profit d’un groupe extérieur au Régiment est considérée comme un abandon de poste. “Nous dépendons directement de l’état-major du commandement militaire en France, proclame Camus dans son ordre du jour du 15 août. Aucune formation n’a autorité pour donner un ordre quelconque aux gradés et sapeurs du Régiment.”
Composition du groupement Sécurité parisienne
Les six cent cinquante et un officiers, sous-officiers, gradés et militaires du rang qui composent le groupement Sécurité parisienne sont répartis en fonction de leurs compagnies d’origine en six compagnies clandestines d’intervention numérotées de 1 à 6 et commandées respectivement par les capitaines Jacquemin, Wending et Blanc, le lieutenant Charron, l’adjudant Pierre (nommé sous-lieutenant quelques jours plus tard) et le capitaine Muet. Signe de reconnaissance, un brassard bleu, blanc, rouge, frappé des initiales SP, d’une croix de Lorraine et d’un numéro d’identification à quatre chiffres correspondant respectivement à la compagnie, à la section, au groupe et au porteur.
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Paris se libère
L’une des six compagnies de Sécurité parisienne est commandée par l’adjudant Pierre, à droite, en képi. (BSPP)
Mobilisation du mouvement Sécurité parisienne
Le commandant Camus (premier à gauche) a rassemblé les cadres et sapeurs ayant adhéré à des organisations clandestines extérieures au Régiment. (BSPP)
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L’heure de la Libération approche. L’évacuation précipitée de certains services administratifs allemands et du personnel féminin de la Wehrmacht, surnommé par les Parisiens “souris grises” en raison de la couleur de son uniforme, en est le signe éloquent. Le Régiment est délivré de la tutelle de la Feuerschutzpolizei, dont le départ a lieu dans la plus grande discrétion. Mais ce n’est que le 18 août qu’Oberg et les chefs de la SS quittent Paris pour Vittel. Le 10 août, les cheminots se mettent en grève, suivis par la poste et le métro. Le 14 août, c’est au tour de la police, il n’y a plus un seul gardien de la paix en uniforme dans les rues de Paris et de la banlieue. Le 16 août, Jacques Chaban-Delmas, délégué militaire du général de Gaulle, prend son poste dans la capitale. Le 17 août, Charles Luizet, nouveau préfet de police, arrive à son tour. Le 18 août, le parti communiste appelle “le peuple de Paris et de sa grande banlieue à l’insurrection libératrice”. Le même jour, le général Hary, alias Henri-Martin, prend le commandement des forces “gouvernementales” qui se composent de la Garde républicaine, de la Gendarmerie et du Régiment de sapeurs-pompiers de Paris. Ce dernier est déjà mobilisé et se tient prêt à agir sous l’autorité du commandant Camus pour qui il importe plus que jamais de faire revenir dans le giron du corps les gradés et sapeurs
qui ont adhéré à des organisations clandestines extérieures. Des consignes très strictes sont données. Toute mission qui ne relève par directement du service incendie ne peut être fixée que par des chefs dûment mandatés. Toute désertion au profit d’un groupe extérieur au Régiment est considérée comme un abandon de poste. “Nous dépendons directement de l’état-major du commandement militaire en France, proclame Camus dans son ordre du jour du 15 août. Aucune formation n’a autorité pour donner un ordre quelconque aux gradés et sapeurs du Régiment.”
Composition du groupement Sécurité parisienne
Les six cent cinquante et un officiers, sous-officiers, gradés et militaires du rang qui composent le groupement Sécurité parisienne sont répartis en fonction de leurs compagnies d’origine en six compagnies clandestines d’intervention numérotées de 1 à 6 et commandées respectivement par les capitaines Jacquemin, Wending et Blanc, le lieutenant Charron, l’adjudant Pierre (nommé sous-lieutenant quelques jours plus tard) et le capitaine Muet. Signe de reconnaissance, un brassard bleu, blanc, rouge, frappé des initiales SP, d’une croix de Lorraine et d’un numéro d’identification à quatre chiffres correspondant respectivement à la compagnie, à la section, au groupe et au porteur.
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allemande, prise sous un tir de la préfecture, lui coupe la route et s’écrase sur le mur de l’Hôtel-Dieu. Le conducteur est tué. Son passager, un officier, jaillit de la voiture, hagard, affolé. Pistolet au poing, il monte sur le marchepied du fourgon, ouvre l’une des portières pour y chercher refuge. À ce moment, un FFI bondit de l’autre côté du véhicule et tire sur l’officier qui s’écroule, tué net, au milieu des pompiers frappés de stupeur.
Une liaison de la plus haute importance
Le 23 août. Le Grand Palais est en feu. (DR)
L’incendie du Grand Palais
Mercredi 23 août. Belle et chaude matinée d’été. Depuis les bords de la Seine, un lourd panache de fumée noire monte dans le ciel bleu. À 9 h 45, les pompiers de la caserne Colombier sont alertés pour feu au Grand Palais. Sur place, la situation est complexe. Les Allemands sont en train d’attaquer l’édifice afin d’en déloger des FFI qui se seraient réfugiés à l’intérieur. Ils sont parvenus à défoncer l’une des portes à l’aide d’un char télécommandé Goliath. Le feu a pris dans les installations d’un cirque allemand qui occupe l’immense piste du rez-de-chaussée. Les Allemands s’opposent à l’intervention des pompiers. Pendant que le lieutenant Thévret-Guillaumin, de la 4e compagnie, tente de parlementer avec l’officier qui commande l’attaque, l’adjudantchef Leconte, chef de garde à Colombier, parvient à faire mettre en œuvre deux grosses lances. Pendant ce temps, les secours affluent des casernes Malar, Grenelle, Saint-Honoré, Champerret, Dupleix et Dauphine. 10 h 20. Après de nombreuses palabres, les pompiers sont enfin autorisés à intervenir. Le feu, qui a pris des proportions considérables, doit être combattu par dix-sept grosses lances et six petites. Il ne sera définitivement éteint que le soir, à 21 h 50. Au cours des opérations, les pompiers parviennent à faire sortir les FFI, auxquels ils prêtent casques et vestons de peau, en leur faisant gagner la rue par les grandes échelles dressées le long de la façade. Un stock d’armes peut également être évacué et transféré à la caserne Dupleix par le sergent Frochot et le sapeur Beauregard. Ceux-ci éprouvent une frayeur rétrospective quand ils s’aperçoivent, en déchargeant leur cargaison, que la goupille de sécurité d’une grenade défensive ne tenait plus que par un seul ergot… 15 h 30. Sur l’île de la Cité, après avoir éteint un feu dans un café voisin de la préfecture de police assiégée par les Allemands, le fourgon-pompe de Poissy rentre à la caserne. Une voiture
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Au cours de cette journée du 23 août, le Régiment prête son concours à une mission de toute première importance. Une voiture de liaison du corps conduite par le sergent-chef Lemaire, de la 14e compagnie, quitte Paris avec à son bord le docteur Favreau, alias “Pierre”, chef national du groupe Résistance. Il est mandaté par le préfet de police Charles Luizet pour prendre contact avec le général Leclerc, commandant la 2 e division blindée, afin de lui exposer la situation dans la capitale. Après avoir franchi les lignes ennemies vers Étampes, les deux messagers arrivent l’après-midi à Rambouillet, où le général Leclerc vient d’établir son PC. Favreau apprend alors que le général de Gaulle est également dans cette ville. C’est à lui qu’il remet le message du préfet de police. Après en avoir pris connaissance, de Gaulle renvoie à Paris “le vaillant Favreau”, tel qu’il le désigne dans ses Mémoires, avec la réponse qu’il fait à Luizet : il annonce sa prochaine arrivée dans la capitale à la suite des armées libératrices. Les deux messagers seront de retour à Paris le lendemain.
“Tenez bon, nous arrivons” !
Jeudi 24 août. 7 heures. Les groupements blindés de la division Leclerc quittent Rambouillet sous la pluie et commencent une exaltante chevauchée dont le but est Paris. La libération de la capitale n’est plus qu’une question d’heures. Dans l’aprèsmidi, un Piper Cub survole la préfecture de police et lâche un message : “Tenez bon, nous arrivons.” Le billet est signé du colonel Crépin, de la division blindée du général Leclerc. L’enthousiasme est d’autant plus grand que le bruit se répand aussitôt que ce sont des soldats français qui entreront les premiers dans la ville. Au cours de la journée, plusieurs liaisons sont effectuées entre la capitale et les éléments de la 2e DB par des motocyclistes du Régiment, le sergent Lemaire (homonyme du conducteur du Dr Favreau), le sergent Chauveau et le sapeur Sarte. Cette journée du 24 août s’annonce chargée pour les sapeurs-pompiers, car la Résistance intensifie son action. Les incendies causés par les combats éclatent un peu partout. Nous n’en citerons que quelques-uns…
Le PS de Dauphine intervient rue Copernic pendant un échange de tirs entre FFI et Allemands. (BSPP)
13 h 45. Le fourgon-pompe de Grenelle achève une intervention boulevard Pasteur quand l’arrivée de plusieurs voitures allemandes déclenche une fusillade nourrie. Pris entre deux feux, les pompiers doivent se mettre à l’abri sous leur véhicule. Deux d’entre eux sont blessés, dont le conducteur du fourgon. Malgré le radiateur crevé par les balles, l’adjudant Bideaux prend le volant et parvient à ramener le véhicule à la caserne. Réparé le jour même par les “cambouis” de la compagnie, le fourgon de Grenelle continuera d’assurer ses missions en attendant des temps plus calmes pour s’offrir une remise en état de sa carrosserie dans les ateliers Régimentaires. 16 h 55. Le fourgon-pompe de Saint-Denis intervient pour éteindre un incendie rue de Strasbourg, dans cette localité. Deux camions allemands ouvrent le feu à la mitrailleuse sur une barricade à proximité de laquelle stationne le véhicule des pompiers. Le caporal Leick, qui regagne la voiture pour prendre un outil, s’écroule, percé de balles. Malgré les premiers soins que lui prodigue un infirmier allemand, il meurt quelques heures plus tard à l’hôpital de Saint-Denis.
18 h 33. Les secours d’Auteuil sont demandés au lycée ClaudeBernard, boulevard Murat, où les Allemands ont incendié un dépôt de munitions. Plus de cent cinquante caisses de cartouches, grenades et obus de mortier entassées dans la cour sont la proie des flammes. Les pompiers se rendent maîtres du feu en une demi-heure et écartent tout danger d’explosion. 20 h 35. Un gigantesque incendie dévaste un camp militaire allemand de 60 000 m2, route de Noisy, à Romainville. Quatorze baraquements servant de dépôts d’habillement sont la proie des flammes qui menacent de se propager à d’autres magasins. Huit grosses lances et trois petites sont mises en œuvre par les secours de Pantin, Bondy, Ménilmontant et École centrale au milieu des balles qu’échangent soldats allemands et FFI. Le feu n’est éteint qu’au petit matin. 21 h 32. Un obus a frappé un appartement, 13, boulevard Voltaire, et provoqué un violent incendie qui risque de se propager à tout l’immeuble. Les barricades et la fusillade qui fait rage dans le quartier ralentissent l’arrivée des secours. Le feu est éteint par le PS et le fourgon-pompe de Parmentier sous les ordres de l’adjudant Simon. 21 h 33. Le feu d’un dépôt de munitions au Fort Neuf de Vincennes est éteint au moyen d’une grosse lance mise en manœuvre par le fourgon-pompe de Charonne sous les ordres de l’adjudant Sommier. 21 h 43. À l’heure même où toutes les cloches de Paris sonnent pour annoncer l’arrivée, place de l’Hôtel-de-Ville, des premiers chars de la division Leclerc sous les ordres du capitaine Dronne, les pompiers sont appelés pour explosion suivie de feu au central téléphonique, 8, rue Saint-Amand. Les Allemands, qui ont fait sauter le central, s’apprêtent à quitter les lieux au moment où se présente le PS de Plaisance. Les pompiers sont aussitôt entourés par plusieurs soldats qui, sous la menace de leurs armes, les obligent à leur servir de guides jusqu’à la porte de Versailles. Le fourgon-pompe et l’échelle qui arrivent à leur tour sont accueillis par un feu violent. L’adjudant-chef Taxile ordonne à ses hommes de se mettre à l’abri dans la clinique de la place d’Alleray. Le capitaine Bonnard, commandant la 6e compagnie, se présente avec les secours de Grenelle. Il s’avance seul en reconnaissance et entreprend de parlementer avec les Allemands dont quatre sont blessés. Il suggère de les faire soigner à la clinique d’Alleray. La tension s’apaise. Les blessés sont pris en charge par des infirmières de la clinique. Les autres soldats sont las et hésitants. Le capitaine Bonnard leur donne sa parole d’officier que s’ils se rendent ils seront traités en prisonniers de guerre. Dix-neuf prisonniers, trente armes diverses, un camion, du carburant, tel est le bilan d’une victoire remportée sans effusion de sang par le capitaine Bonnard. Quant au feu, il est éteint à l’aide de trois petites lances, mais le central est en partie détruit. 23 h 45. Alors qu’il vient d’éteindre un feu, avenue de la République à Fresnes, le sergent Moyal, chef de garde du fourgon mixte d’Antony, reçoit l’ordre d’un lieutenant de la 2e DB de se rendre avenue Paul-Vaillant-Couturier, à Antony, où brûle un char Sherman touché lors des combats. Les flammes sont vite maîtrisées, mais un tir d’artillerie allemand oblige les pompiers à se mettre à l’abri. Lorsqu’ils reviennent, le char qu’ils viennent de sauver du feu est complètement détruit.
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allemande, prise sous un tir de la préfecture, lui coupe la route et s’écrase sur le mur de l’Hôtel-Dieu. Le conducteur est tué. Son passager, un officier, jaillit de la voiture, hagard, affolé. Pistolet au poing, il monte sur le marchepied du fourgon, ouvre l’une des portières pour y chercher refuge. À ce moment, un FFI bondit de l’autre côté du véhicule et tire sur l’officier qui s’écroule, tué net, au milieu des pompiers frappés de stupeur.
Une liaison de la plus haute importance
Le 23 août. Le Grand Palais est en feu. (DR)
L’incendie du Grand Palais
Mercredi 23 août. Belle et chaude matinée d’été. Depuis les bords de la Seine, un lourd panache de fumée noire monte dans le ciel bleu. À 9 h 45, les pompiers de la caserne Colombier sont alertés pour feu au Grand Palais. Sur place, la situation est complexe. Les Allemands sont en train d’attaquer l’édifice afin d’en déloger des FFI qui se seraient réfugiés à l’intérieur. Ils sont parvenus à défoncer l’une des portes à l’aide d’un char télécommandé Goliath. Le feu a pris dans les installations d’un cirque allemand qui occupe l’immense piste du rez-de-chaussée. Les Allemands s’opposent à l’intervention des pompiers. Pendant que le lieutenant Thévret-Guillaumin, de la 4e compagnie, tente de parlementer avec l’officier qui commande l’attaque, l’adjudantchef Leconte, chef de garde à Colombier, parvient à faire mettre en œuvre deux grosses lances. Pendant ce temps, les secours affluent des casernes Malar, Grenelle, Saint-Honoré, Champerret, Dupleix et Dauphine. 10 h 20. Après de nombreuses palabres, les pompiers sont enfin autorisés à intervenir. Le feu, qui a pris des proportions considérables, doit être combattu par dix-sept grosses lances et six petites. Il ne sera définitivement éteint que le soir, à 21 h 50. Au cours des opérations, les pompiers parviennent à faire sortir les FFI, auxquels ils prêtent casques et vestons de peau, en leur faisant gagner la rue par les grandes échelles dressées le long de la façade. Un stock d’armes peut également être évacué et transféré à la caserne Dupleix par le sergent Frochot et le sapeur Beauregard. Ceux-ci éprouvent une frayeur rétrospective quand ils s’aperçoivent, en déchargeant leur cargaison, que la goupille de sécurité d’une grenade défensive ne tenait plus que par un seul ergot… 15 h 30. Sur l’île de la Cité, après avoir éteint un feu dans un café voisin de la préfecture de police assiégée par les Allemands, le fourgon-pompe de Poissy rentre à la caserne. Une voiture
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Au cours de cette journée du 23 août, le Régiment prête son concours à une mission de toute première importance. Une voiture de liaison du corps conduite par le sergent-chef Lemaire, de la 14e compagnie, quitte Paris avec à son bord le docteur Favreau, alias “Pierre”, chef national du groupe Résistance. Il est mandaté par le préfet de police Charles Luizet pour prendre contact avec le général Leclerc, commandant la 2 e division blindée, afin de lui exposer la situation dans la capitale. Après avoir franchi les lignes ennemies vers Étampes, les deux messagers arrivent l’après-midi à Rambouillet, où le général Leclerc vient d’établir son PC. Favreau apprend alors que le général de Gaulle est également dans cette ville. C’est à lui qu’il remet le message du préfet de police. Après en avoir pris connaissance, de Gaulle renvoie à Paris “le vaillant Favreau”, tel qu’il le désigne dans ses Mémoires, avec la réponse qu’il fait à Luizet : il annonce sa prochaine arrivée dans la capitale à la suite des armées libératrices. Les deux messagers seront de retour à Paris le lendemain.
“Tenez bon, nous arrivons” !
Jeudi 24 août. 7 heures. Les groupements blindés de la division Leclerc quittent Rambouillet sous la pluie et commencent une exaltante chevauchée dont le but est Paris. La libération de la capitale n’est plus qu’une question d’heures. Dans l’aprèsmidi, un Piper Cub survole la préfecture de police et lâche un message : “Tenez bon, nous arrivons.” Le billet est signé du colonel Crépin, de la division blindée du général Leclerc. L’enthousiasme est d’autant plus grand que le bruit se répand aussitôt que ce sont des soldats français qui entreront les premiers dans la ville. Au cours de la journée, plusieurs liaisons sont effectuées entre la capitale et les éléments de la 2e DB par des motocyclistes du Régiment, le sergent Lemaire (homonyme du conducteur du Dr Favreau), le sergent Chauveau et le sapeur Sarte. Cette journée du 24 août s’annonce chargée pour les sapeurs-pompiers, car la Résistance intensifie son action. Les incendies causés par les combats éclatent un peu partout. Nous n’en citerons que quelques-uns…
Le PS de Dauphine intervient rue Copernic pendant un échange de tirs entre FFI et Allemands. (BSPP)
13 h 45. Le fourgon-pompe de Grenelle achève une intervention boulevard Pasteur quand l’arrivée de plusieurs voitures allemandes déclenche une fusillade nourrie. Pris entre deux feux, les pompiers doivent se mettre à l’abri sous leur véhicule. Deux d’entre eux sont blessés, dont le conducteur du fourgon. Malgré le radiateur crevé par les balles, l’adjudant Bideaux prend le volant et parvient à ramener le véhicule à la caserne. Réparé le jour même par les “cambouis” de la compagnie, le fourgon de Grenelle continuera d’assurer ses missions en attendant des temps plus calmes pour s’offrir une remise en état de sa carrosserie dans les ateliers Régimentaires. 16 h 55. Le fourgon-pompe de Saint-Denis intervient pour éteindre un incendie rue de Strasbourg, dans cette localité. Deux camions allemands ouvrent le feu à la mitrailleuse sur une barricade à proximité de laquelle stationne le véhicule des pompiers. Le caporal Leick, qui regagne la voiture pour prendre un outil, s’écroule, percé de balles. Malgré les premiers soins que lui prodigue un infirmier allemand, il meurt quelques heures plus tard à l’hôpital de Saint-Denis.
18 h 33. Les secours d’Auteuil sont demandés au lycée ClaudeBernard, boulevard Murat, où les Allemands ont incendié un dépôt de munitions. Plus de cent cinquante caisses de cartouches, grenades et obus de mortier entassées dans la cour sont la proie des flammes. Les pompiers se rendent maîtres du feu en une demi-heure et écartent tout danger d’explosion. 20 h 35. Un gigantesque incendie dévaste un camp militaire allemand de 60 000 m2, route de Noisy, à Romainville. Quatorze baraquements servant de dépôts d’habillement sont la proie des flammes qui menacent de se propager à d’autres magasins. Huit grosses lances et trois petites sont mises en œuvre par les secours de Pantin, Bondy, Ménilmontant et École centrale au milieu des balles qu’échangent soldats allemands et FFI. Le feu n’est éteint qu’au petit matin. 21 h 32. Un obus a frappé un appartement, 13, boulevard Voltaire, et provoqué un violent incendie qui risque de se propager à tout l’immeuble. Les barricades et la fusillade qui fait rage dans le quartier ralentissent l’arrivée des secours. Le feu est éteint par le PS et le fourgon-pompe de Parmentier sous les ordres de l’adjudant Simon. 21 h 33. Le feu d’un dépôt de munitions au Fort Neuf de Vincennes est éteint au moyen d’une grosse lance mise en manœuvre par le fourgon-pompe de Charonne sous les ordres de l’adjudant Sommier. 21 h 43. À l’heure même où toutes les cloches de Paris sonnent pour annoncer l’arrivée, place de l’Hôtel-de-Ville, des premiers chars de la division Leclerc sous les ordres du capitaine Dronne, les pompiers sont appelés pour explosion suivie de feu au central téléphonique, 8, rue Saint-Amand. Les Allemands, qui ont fait sauter le central, s’apprêtent à quitter les lieux au moment où se présente le PS de Plaisance. Les pompiers sont aussitôt entourés par plusieurs soldats qui, sous la menace de leurs armes, les obligent à leur servir de guides jusqu’à la porte de Versailles. Le fourgon-pompe et l’échelle qui arrivent à leur tour sont accueillis par un feu violent. L’adjudant-chef Taxile ordonne à ses hommes de se mettre à l’abri dans la clinique de la place d’Alleray. Le capitaine Bonnard, commandant la 6e compagnie, se présente avec les secours de Grenelle. Il s’avance seul en reconnaissance et entreprend de parlementer avec les Allemands dont quatre sont blessés. Il suggère de les faire soigner à la clinique d’Alleray. La tension s’apaise. Les blessés sont pris en charge par des infirmières de la clinique. Les autres soldats sont las et hésitants. Le capitaine Bonnard leur donne sa parole d’officier que s’ils se rendent ils seront traités en prisonniers de guerre. Dix-neuf prisonniers, trente armes diverses, un camion, du carburant, tel est le bilan d’une victoire remportée sans effusion de sang par le capitaine Bonnard. Quant au feu, il est éteint à l’aide de trois petites lances, mais le central est en partie détruit. 23 h 45. Alors qu’il vient d’éteindre un feu, avenue de la République à Fresnes, le sergent Moyal, chef de garde du fourgon mixte d’Antony, reçoit l’ordre d’un lieutenant de la 2e DB de se rendre avenue Paul-Vaillant-Couturier, à Antony, où brûle un char Sherman touché lors des combats. Les flammes sont vite maîtrisées, mais un tir d’artillerie allemand oblige les pompiers à se mettre à l’abri. Lorsqu’ils reviennent, le char qu’ils viennent de sauver du feu est complètement détruit.
Paris se libère
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Jean-Claude Demory
1939-1945 LE RÉGIMENT DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS Pour le Régiment de sapeurs-pompiers de Paris, les combats de la Libération sont l‘apothéose d’une lutte héroïque qu’il mène sans relâche depuis quatre ans. Pendant que gradés et sapeurs des compagnies de combat de Sécurité parisienne font le coup de feu aux côtés des FFI et des soldats de la 2e DB du général Leclerc, leurs camarades des compagnies d’incendie luttent contre les multiples sinistres qui font rage dans Paris et sa banlieue. Depuis que les troupes allemandes sont entrées dans la capitale, le 14 juin 1940, le Régiment n’a cessé d’accomplir une tâche multiforme et quotidienne étendue à l’ensemble du département de la Seine, avec des interventions en province rendues nécessaires par les bombardements, et compliquées par une pénurie constante. Pour cela, le Régiment a dû renoncer à lier son sort à celui des armées, dont il fait partie intégrante, pour se vouer à sa mission traditionnelle de protection des personnes et des biens. Parallèlement, sa position délicate d’unité militaire isolée en zone nord et soumise au contrôle permanent des forces d’occupation n’a pas empêché que se développe en son sein, dès 1940, un très fort esprit de résistance à l’ennemi entraînant des actions de sabotages, de renseignements et de dissimulation d’armes qui réapparaissent quatre ans plus tard pour libérer Paris.
1939-1945 LE RÉGIMENT DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS
Déjà parus chez E-T-A-I
1939-1945 LE RÉGIMENT DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS
ISBN : 979-10-283-0328-0
Retrouvez tous nos ouvrages sur notre site internet www.editions-etai.fr
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9 791028 303280
Jean-Claude Demory
L’auteur Jean-Claude Demory est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont plusieurs consacrés aux sapeurs-pompiers : Pompiers militaires de France, Les Grands Feux du siècle, Profession pompiers, Pompiers dans Paris en guerre. Ancien journaliste chez Bayard-Presse, il est directeur de collections historiques sur le Ier Empire aux éditions Hachette, essayiste et romancier.
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30/07/2019 16:48