Les défis du secteur de la construction se renouvellent perpétuellement tant pour le constructeur et ses soustraitants qui génèrent des risques techniques lourds de responsabilités que pour l’assureur qui accepte d’en assumer la charge financière. Rédigé par une universitaire spécialiste du droit de la construction et un praticien expert en assurance construction, cet ouvrage a pour objectif de rendre intelligible une matière réputée complexe et technique. Sont d’abord envisagés les risques liés à l’acte de construire (intervenants, ouvrage, fondement juridique et régime des responsabilités et garanties), puis la prise en charge de ces risques par les assurances (assurances obligatoires responsabilité
décennale et dommages-ouvrage et assurances facultatives). Véritable outil de travail pour les praticiens, l’ouvrage est enrichi d’encadrés reprenant textes et extraits de jurisprudence, et d’annexes résumant la matière à travers 8 axes fondamentaux et 15 arrêts de principe, ou encore la CRAC dans sa version actualisée. Cette nouvelle édition est à jour des évolutions récentes, qu’il s’agisse du projet de réforme de la responsabilité civile, des conséquences de la crise sanitaire sur les délais de prescription ou encore du déploiement de la modélisation des données du bâtiment ou Building information modeling (BIM).
Directeur du Centre d’études d’assurances (CEA), cabinet de courtage et de conseil spécialisé en assurance construction, Jean Roussel, docteur en droit, préside la commission assurance construction de Planète CSCA et enseigne la matière à l’Institut des assurances de Paris (IAP Paris-Dauphine). Agrégée de droit privé, Professeur à l’Université de Montpellier et à l’ICH-CNAM Occitanie, Solange Becqué-Ickowicz y enseigne le droit de la construction et a dirigé pendant plusieurs années le Master 2 Droit immobilier.
www.reglementation-assurance.com ISBN 978-2-35474-390-1
4e édition
LES
FONDAMENTAUX ASSURANCES DE DOMMAGES
RISQUES ET ASSURANCES CONSTRUCTION Dommages-ouvrage Responsabilité décennale Assurances facultatives
Jean Roussel Solange Becqué-Ickowicz
ÉDITIONS
4e édition
RISQUES ET ASSURANCES CONSTRUCTION
ASSURANCES DE DOMMAGES
RISQUES ET ASSURANCES CONSTRUCTION
ÉDITIONS
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Sommaire
Préface ........................................................................................................................................................................................ 9 Avant-propos........................................................................................................................................................................... 11 Sommaire................................................................................................................................................................................... 15 Introduction générale.......................................................................................................................................................... 17 Première Partie
Les risques Chapitre I – Les intervenants...................................................................................................................................... 79 Chapitre II – L’ouvrage..................................................................................................................................................... 135 Chapitre III – Responsabilités et garanties : fondement juridique............................................................ 175 Chapitre IV – Responsabilités et garanties : régime commun..................................................................... 261
Deuxième Partie
Les assurances Chapitre I – Les dispositions communes aux deux assurances obligatoires...................................... 305 Chapitre II – L’assurance de responsabilité décennale obligatoire........................................................... 347 Chapitre III – L’assurance dommages-ouvrage.................................................................................................... 385 Chapitre IV – Les assurances facultatives................................................................................................................ 443
Annexes....................................................................................................................................................................................... 485 Bibliographie............................................................................................................................................................................. 547 Table des matières.................................................................................................................................................................. 561 Index alphabétique................................................................................................................................................................ 573
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L'ouvrage limiter de manière plus large la responsabilité spécifique aux éléments d'équipement « qui fonctionnent », comme le montre la jurisprudence relative aux travaux de ravalement (V. aussi supra p. 141 et infra p. 201).
c) Travaux de ravalement ou de peinture À côté du critère de l’importance des travaux, un autre critère plus particulier, propre aux travaux de ravalement d’un immeuble, est celui de la fonction d’étanchéité (V. J.-P. Karila, Travaux de ravalement et de peinture : RDI 2001, p. 201). Ainsi, les travaux de ravalement de l’immeuble qui assurent l’étanchéité sont assimilables à la construction d’un ouvrage et relèvent, en conséquence, de l’art. 1792 du Code civil (Civ. 3e, 3 mai 1990, n° 88-19642 ; Bull. civ. III, n° 105, RCA 1990, n° 335 ; RDI 1990. 373, obs. Ph. Malinvaud et B. Boubli ; Civ. 3e, 4 avril 2013, n° 11-25198 ; Bull. civ. III, n° 45). Cette solution est justifiée car l’étanchéité est à rattacher à la construction du clos et du couvert, donc d'un ouvrage. En revanche, si les travaux de ravalement sont de simples travaux de peinture à visée esthétique, ils ne peuvent être qualifiés d’ouvrage, seule la responsabilité de droit commun pouvant dans ce cas s’appliquer (Civ. 3e, 16 mai 2001, n° 99-15062 ; Bull. civ. III, n° 62 ; RDI 2001, 393, obs. Ph. Malinvaud et B. Boubli ; Civ. 3e, 19 octobre 2011, n° 10-21323 10-24231). Il en ira a fortiori de même pour de simples travaux de peintures intérieures (Civ. 3e, 27 avril 2000, n° 98-15970 ; Bull. civ. III, n° 88) ou d’habillage d’une cheminée (Civ. 3e, 28 mars 2012, n° 11-12537). Récemment, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 février 2020, a distingué fonction d'étanchéité et fonction d'imperméabilisation (Civ. 3e, 13 février 2020, n° 19-10249, P+B+R+I ; RDI 2020, 253, obs. M. Faure-Abbad et 326, obs. D. Noguéro ; Constr.Urb. 2020, n° 53, note M.-L. Pagès de Varenne). Après avoir rappelé qu'un enduit de façade constitue un ouvrage lorsqu'il a une fonction d'étanchéité, elle a ensuite considéré que lorsque la fonction est simplement d'imperméabilisation, l'enduit ne constitue pas même un élément d'équipement, dès lors qu'il « n'est pas destiné à fonctionner ». Elle a alors cassé l'arrêt d'appel ayant retenu la garantie décennale dès lors que le désordre rendait l'ouvrage impropre à sa destination. Civ. 3e, 13 février 2020, n° 19-10249, P+B+R+I Vu l'article 1792 du Code civil : 4. Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. 5. En application de ce texte, un enduit de façade, qui constitue un ouvrage lorsqu'il a une fonction d'étanchéité (Civ. 3e, 4 avril 2013, pourvoi n° 11-25198, Bull. 2013, III, n° 45), ne constitue pas un élément d'équipement, même s'il a une fonction d'imperméabilisation, dès lors qu'il n'est pas destiné à fonctionner. 6. Pour accueillir les demandes, l'arrêt retient que l'enduit litigieux, auquel sa composition confère un rôle d'imperméabilisation, constitue un élément d'équipement et est susceptible d'ouvrir droit à garantie décennale si le désordre trouvant son siège dans cet élément d'équipement a pour effet de rendre l'ouvrage, en son entier, impropre à sa destination, www.reglementation-assurance.com
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Les risques le caractère dissociable ou indissociable de l'élément d'équipement important peu à cet égard. 7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé. La Cour de cassation aurait pu se fonder simplement sur le critère classique du défaut d’ouvrage, en l'absence de fonction d'étanchéité. Elle a préféré écarter purement et simplement la qualification d'élément d'équipement à un enduit qui n'est pas destiné à fonctionner, ce qui semble exclure, de manière radicale, tous les éléments d'équipement inertes (mais qui ne pourraient ainsi plus être qualifié d'élément d'équipement) du domaine de la garantie décennale… et donc finalement du domaine de la responsabilité spécifique (V. infra p. 201). Concernant cette partie, voir tableau récapitulatif en annexe III, p. 499.
2° Localisation du dommage L’autre question relative à la responsabilité des constructeurs en présence de travaux sur existants est celle de savoir où doit être localisé le dommage pour que cette responsabilité puisse s’appliquer. On se trouve en effet en présence de deux générations de travaux, la nouvelle et l’ancienne. La tentation est grande, dès lors, de leur appliquer un régime juridique unique. La question a attisé les esprits, parce que, par ricochet, elle atteignait l’obligation d’assurance décennale des articles L. 241-1 et L. 242-1 du Code des assurances. Il existe plusieurs cas de figure qu’il convient de distinguer, selon que les dommages affectent l’ouvrage neuf réalisé ou les existants.
a) Dommage sur l’ouvrage neuf réalisé A priori, dès lors que le dommage présente un caractère de gravité décennale et qu’il affecte les travaux neufs préalablement qualifiés d’ouvrage, la garantie décennale trouve à s’appliquer sans difficulté. Encore faut-il distinguer selon la cause de ce dommage. Si le dommage affectant les travaux neufs est consécutif à leur mauvaise exécution ou à leur mauvaise conception, il ne fait alors aucun doute qu’il sera soumis au régime spécifique des articles 1792 et suivants du Code civil. Mais le dommage affectant les travaux neufs peut aussi être consécutif à l’état des existants. Il a malgré tout été admis qu’il relève de la garantie décennale de l’article 1792 du Code civil (Civ. 3e, 31 oct. 2001, n° 99-20046 ; RDI 2002, p. 363, note G. Leguay : garantie décennale retenue au préjudice d’un vendeur d’immeuble, sur le fondement de l’art. 1646-1 C. civ., à propos de désordres affectant les combles des appartements aménagés dans le cadre d’une opération lourde de rénovation, par suite d’infiltrations provenant de toitures effondrées, sur lesquelles aucun travaux n’avaient été exécutés). En effet, les constructeurs sont tenus de prendre en compte et d’apprécier l’état de ces existants avant d’effectuer les travaux ; on peut le rapprocher du vice du sol. Cependant, nous verrons que la jurisprudence, sur le terrain de l’imputabilité du dommage, refuse parfois de retenir la garantie décennale dans le cas où le dommage affectant les travaux neufs est imputable à l’existant ou que la cause est restée inconnue. V. infra, p. 207 et s. sur la question de l’imputabilité du dommage. 154 Livre_RAC_2021.indb 154
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L'ouvrage
b) Dommage sur les existants C’est surtout lorsque le dommage affecte les existants que la question a agité la doctrine comme la jurisprudence. Si ce dommage n’a aucun lien avec les travaux neufs qualifiés d’ouvrage, il est certain que la responsabilité de l’entrepreneur ayant effectué ces travaux n’a pas lieu de s’appliquer. Mais qu’en est-il lorsque le dommage affecte les existants, mais trouve sa cause dans les travaux neufs, qu’il est consécutif à l’exécution des travaux neufs, par exemple, si des travaux affectant la toiture conduisent à abîmer les murs existants ? La réponse à cette question a évolué. Le Copal avait estimé que « les dommages survenant aux dits existants, du chef de l’exécution des travaux neufs, sont quant à eux, justiciables du régime de responsabilité de droit commun et de lui seul » (avis du 25 nov. 1983 du COPAL, RDI 1984, p. 273). Le Bureau Central de Tarification partageait cette doctrine (Décision du 18 oct. 1995). La jurisprudence a réagi en plusieurs temps. Elle s’est pliée, dans un premier temps, à la doctrine la plus classique en retenant, pour les existants, la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur et, par voie de conséquence l’intervention, non de l’assurance obligatoire des constructeurs mais celle de l’assurance facultative RC Travaux après livraison (Civ. 1 re, 10 mai 1989, RCA 1989, comm. n° 293). Puis, dans un deuxième temps, elle l’a amendée. D’abord, en énonçant que « l’effondrement d’un mur avait son origine dans les travaux de rénovation de l’immeuble, ce dont il résultait que le dommage était de la nature de ceux dont les constructeurs sont responsables, et que par suite il relevait de l’assurance obligatoire des travaux de bâtiment » (Civ. 1re, 3 juill. 1990, RGAT 1990, p. 854, note J. Bigot ; RDI 1991, p. 77, obs. Ph. Dubois ; RCA 1990, comm. n° 392). Ensuite, en s’appuyant sur la théorie de l’indivisibilité qui l’a conduite à amalgamer, aussi bien matériellement que juridiquement, les travaux neufs et les existants afin de les soumettre à la responsabilité décennale de l’article 1792 du Code civil (Civ. 3e, 30 mars 1994, n° 92-11996 ; Bull. civ. III, n° 70 ; D. 1995. AJ. 279, note Raffi). Le critère reposait donc sur l’indissociabilité avec l’ouvrage réalisé : si le désordre porte à la fois sur l’ouvrage réalisé et sur l’existant et que l’on ne peut dissocier les deux, alors la responsabilité spécifique s’applique. La décision, interprétée a contrario, permettait de conclure que les dommages causés aux existants restaient hors du champ de l’article 1792 du Code civil lorsqu’ils étaient dissociables des travaux neufs ou lorsque leur cause résidait dans les existants euxmêmes, sachant qu’en cas de doute sur la cause, ce doute profitait à la victime du dommage puisque la responsabilité était retenue. Enfin, dans un troisième temps, la jurisprudence a opéré un revirement qui a remis en cause ce critère de l’indissociabilité, dans le célèbre arrêt Chirinian. La Première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi fusionné, du point de vue juridique, le régime des existants et le régime des travaux neufs. Elle a en effet, bien qu’ils fussent dissociables des travaux neufs, soumis les existants à l’article 1792 du Code civil, statuant sur la destruction d’un immeuble par un incendie ayant pour origine une malfaçon affectant la partie neuve (Civ. 3e, 29 févr. 2000 ; n° 97-19143 ; Bull. Civ. I, n° 65 ; RGDA 2000, p. 58, note J.-P. Karila ; JCP G, 2000 II 10 299, rapport Sargos ; RDI 2000, p. 203, 494, obs. G. Leguay ; RDI 2000, p. 483, note H. Périnet-Marquet ; RCA 2000, chron. n° 14, G. Courtieu, Responsabilité et assurance de la construction : les « existants » n’existent pas ; Civ. 1re, 4 déc. 2001, RDI 2002, p. 132, obs. G. Durry). www.reglementation-assurance.com
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Les risques
Civ. 3e, 29 février 2000, n° 97-19413 Dès lors que la technique des travaux de bâtiment mise en œuvre par l’entrepreneur a provoqué des dommages de nature décennale dont les conséquences ont affecté aussi bien la partie nouvelle de la construction que la partie ancienne, c’est à bon droit que l’arrêt attaqué a retenu que le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire mettait à la charge de l’assureur l’obligation de garantir le paiement de la totalité des travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l’ouvrage en son entier. La seule condition était donc désormais que les dommages de nature décennale affectent tant la partie neuve que la partie ancienne, et les travaux neufs soient la cause des dommages subis par les existants. Le reproche qu’on pouvait adresser à ce revirement de jurisprudence résidait moins dans l’extension de la responsabilité décennale de l’article 1792 du Code civil aux dommages causés aux existants (car après tout, elle a bien été étendue aux dommages matériels et immatériels consécutifs) que leur incorporation directe dans l’obligation d’assurance de responsabilité (C. assur. art. L. 241-1) ou de dommages ouvrage (C. assur. art. L. 242-1). Or, cette incorporation a eu pour effet de prendre les assureurs de court, puisque, dans leur esprit, la valeur des existants relevait d’une garantie facultative, qui n’était pas, ainsi, comprise dans l’assiette de calcul de la cotisation d’assurance. C’est pourquoi le législateur est intervenu, l’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005 brisant partiellement la jurisprudence de la Cour de cassation. C’est l’objet du nouvel article L. 243-1-1, II du Code des assurances, qui dispose que « Ces obligations d'assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles » (V. infra p. 314). Cette disposition est spécifique à l'assurance, la jurisprudence postérieure continuant à admettre plus largement la responsabilité des constructeurs en cas de dommages affectant les existants imputables aux travaux neufs, sans égard à leur indivisibilité (V. par ex. Civ. 3e, 16 janv. 2008, n° 04-20218). Ainsi, les domaines respectifs de la responsabilité et de l’assurance ne se recoupent pas nécessairement. En témoignent aussi la situation des travaux de génie civil, considérés comme ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil mais exclus par principe du champ d’application de l’assurance obligatoire ou encore des dommages immatériels couverts par la responsabilité des constructeurs, non par l’assurance obligatoire (V. infra p. 312 et 356). Nous avons vu en revanche que dans le cas particulier de l'adjonction d'un élément d'équipement dissociable sur de l'existant, la Cour de cassation a imposé la couverture de ce dommage par l'assurance obligatoire (V. supra, n° 151). On peut tenter de synthétiser la question de la responsabilité des constructeurs en cas de travaux sur existants sous la forme de quatre opérations. Le premier terme de l’opération représente la localisation du dommage (sur le neuf ou sur l’existant), le second sa cause, lorsqu’elle est connue (dommage causé par les travaux neufs ou par l’existant), et enfin le résultat le droit applicable (responsabilité spécifique ou non).
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L'ouvrage Neuf + neuf = 1792 et s. C. Civ. Neuf + existant = 1792 s. C. Civ., mais limite par l’exigence d’imputabilité Existant + existant = NON Existant + neuf =/responsabilité : 1792 s. C. civ. à condition qu’il y ait imputabilité /assurance : L. 243-1-1, II C. assur. : non sauf incorporation et indivisibilité Quant aux hypothèses où la cause des dommages est inconnue, la jurisprudence est incertaine : classiquement, la détermination de la cause est inutile pour mettre en œuvre la responsabilité, le doute profitant donc au maître de l’ouvrage ou à l’acquéreur. Mais une fois encore, l’exigence accrue, dans la jurisprudence récente, de l’imputabilité du dommage aux travaux réalisés conduit à nuancer cette affirmation (V. infra, p. 207). Pour que l’ouvrage puisse entraîner la mise en œuvre de la responsabilité spécifique des constructeurs, encore faut-il qu’il soit réceptionné.
Section II – La réception de l’ouvrage La réception de l’ouvrage est définie au premier alinéa de l’article 1792-6 du Code civil, créé par la loi du 3 janvier 1978. Code civil Article 1792-6 al. 1 La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. Il convient d’examiner les modalités de la réception, avant d’en préciser ses fonctions.
I – Les modalités de la réception Le législateur a prévu deux types de réception : soit la réception amiable (ou expresse) ; soit à défaut la réception judiciaire. Mais la réception tacite, déjà créée par la jurisprudence avant 1978, a été maintenue malgré les termes contraires de la loi. La jurisprudence est extrêmement abondante concernant les deux derniers cas de réception, puisque l'existence d'une réception détermine la mise en œuvre de la responsabilité spécifique des constructeurs et de leur assurance.
A – La réception expresse La réception expresse est la plus simple, et heureusement la plus fréquente. Il s’agit de l’acte écrit qui manifeste la volonté du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Le législateur de 1978 a fait de la réception un acte unique, mettant fin, sauf convention contraire, à la dualité de réception de l’ancien régime qui distinguait entre la réception provisoire, laquelle donnait lieu à l’établissement des réserves, et la réception définitive au jour de www.reglementation-assurance.com
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Les risques la levée des réserves, fixant le point de départ des délais de garanties. Une période de garantie d’un an, pour la reprise des malfaçons, séparait en général la réception provisoire de la réception définitive de l’ouvrage. Le législateur a donc condamné la solution antérieure qui régnait en droit privé selon laquelle, en cas de réserves, le point de départ des garanties légales était reporté au jour de la levée des réserves. Le nouvel article ne mentionne en effet qu’une réception, unique, faite « avec ou sans réserves » (pour une illustration : Civ. 3e, 5 déc. 2012, n° 11-23756, Bull. civ. III, n° 179). Civ. 3e, 5 décembre 2012, n° 11-23756 Ayant constaté que la réception avait été prononcée avec réserves le 15 janvier 2003, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de caractériser l’existence d’une réception définitive, expresse ou tacite lors de la levée des réserves, a légalement justifié sa décision de ce chef. Mais en contrepartie de la réception unique, avec ou sans réserves, le législateur a institué, à la charge de l’entrepreneur, une garantie annale de parfait achèvement des travaux (C. civ. art. 1792-6, al. 2, V. infra p. 178). Acte unilatéral du maître d'ouvrage - Le législateur précise qu’il s’agit d’un acte unilatéral du maître d’ouvrage, non d’un contrat. Il doit donc forcément émaner du maître d’ouvrage ou de son représentant. Acte du maître d’ouvrage - La réception effectuée par l’architecte qui n’aurait pas reçu mandat de représenter le maître d’ouvrage, n’est pas valable. A fortiori, la déclaration d’achèvement des travaux d’un architecte ne suffirait pas. La réception ne se confond d’ailleurs pas avec la date d’achèvement des travaux de la construction. Elle est possible avant même l’achèvement, notamment en cas d’abandon de chantier (Civ. 3e, 12 juill. 1989, n° 88-10037 ; Bull civ. III, n° 161 ; Defrénois 1990, p. 376, obs. Souleau ; Civ. 3e, 9 oct. 1991, n° 90-14739 ; Bull. civ. III, n° 230 ; Civ. 3e, 15 janv. 1997, n° 95-10549 ; Bull. civ. III, n° 10 ; Civ. 3e, 11 févr. 1998, n° 96-13142 ; Bull. civ. III, n° 28 ; Civ. 3e, 7 juillet 2015, n° 14-17115). Le danger est alors une volonté frauduleuse d’avancer artificiellement la réception pour permettre la mise en œuvre de la garantie décennale, donc la prise en charge par l’assurance obligatoire. Acte contradictoire - La réception, si elle est un acte unilatéral, doit néanmoins être contradictoire. Elle doit donc en principe se faire en présence des constructeurs, la preuve de cette présence étant en pratique faite par la signature du procès-verbal de réception. Il s’agit néanmoins d’une simple formalité probatoire, non requise pour la validité de la réception, dès lors que la présence des constructeurs aux opérations de réception est certaine (Civ. 3e, 2 févr. 2005, n° 03-16724 ; Constr.-Urb. 2005, n° 62, obs. Pagès de Varenne ; Civ. 3e, 12 janv. 2011, n° 09-70262, Bull. civ. III, n° 3 ; Constr.-Urb. 2011, n° 43, obs. Pagès de Varenne). La preuve de la réception expresse, par des documents écrits qu'une partie qualifie de procèsverbal de réception et qu'une partie conteste, est soumise à l'appréciation souveraine des juges du fond (V. Civ. 3e, 14 février 2019, n° 17-28.816, 17-28.994, écartant la qualification de PV de réception ; Civ. 3e, 14 février 2019, n° 18-11185, retenant cette qualification). La question s’est en outre posée de savoir si la présence des divers entrepreneurs était véritablement une condition indispensable pour la validité de la réception, ou si la simple convocation régulière suffisait, comme c’est le cas pour l’expertise judiciaire. 158 Livre_RAC_2021.indb 158
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L'ouvrage La Cour de cassation a récemment eu l’occasion de se prononcer, en faveur de la solution la plus souple, autrement dit de la simple convocation régulière (Civ. 3e, 3 juin 2015, n° 14-17744, P+B ; Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-12221, Publié au Bulletin). Civ. 3e, 3 juin 2015, n° 14-17744 Ayant retenu que le procès-verbal de réception signé par la SCI le 26 octobre 2005 caractérisait la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir les quinze bâtiments collectifs, la cour d’appel, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a relevé à bon droit que, dès lors que M. Y... avait été dûment convoqué aux opérations de réception, son absence le 26 octobre 2005 ne saurait priver ce procès-verbal de son caractère contradictoire. Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-12221 Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'entreprise avait été convoquée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (…), la cour d'appel, qui a retenu, à bon droit, que la réception prononcée en présence du maître de l'ouvrage et du maître d'oeuvre, alors que l'entrepreneur avait été valablement convoqué, était contradictoire, a légalement justifié sa décision de ce chef. Cette solution est opportune, puisqu’elle permet de ne pas faire dépendre la réception du bon vouloir des entreprises. Réception partielle - Si, on l’a vu, la pratique de la double réception, provisoire et définitive, a été supprimée par la loi de 1978, on s’est néanmoins interrogé sur la faculté d’admettre, dans les opérations importantes de construction qui s’étalent dans le temps, la pratique des réceptions partielles, par tranche d’immeuble ou d’ouvrage achevé, par lot ou par corps d’état. La lettre de l’article 1792-6, évoquant simplement la réception de « l’ouvrage », semble l’interdire, de même que l’esprit de la loi, qui a été d’unifier le point de départ des délais de garantie. D’un autre côté, l’on pourrait admettre une réception pour chaque catégorie d’ouvrage (de clos, de couvert, etc.) réalisé par un entrepreneur distinct. On s’est aussi demandé si, en présence de réceptions fragmentées, il ne fallait pas les récapituler dans un acte unique à la fin des opérations de construction afin de réaliser ainsi, une réception globale, tous corps d’état confondus. La jurisprudence a admis la réception partielle lorsque l’ouvrage se décompose en réalité en plusieurs immeubles, ce qui se justifie car l’on peut considérer alors qu’il y a plusieurs ouvrages, chacun étant réceptionné à une date différente (Civ. 3e, 2 mars 2011, n° 10-15211, Bull. civ. III, n° 27 ; RDI 2011, 287, obs. Ph. Malinvaud ; Defrénois 2012, 40 289, obs. H. Périnet-Marquet ; Constr.-Urb. 2011, n° 75, obs. Pagès de Varenne). Allant plus loin, elle l’a également admis dans le cas de marchés par lots séparés pour la construction d’un seul immeuble, estimant au visa de l’article 1792-6 du Code civil que « la réception partielle par lots n’est pas prohibée par la loi » (Civ. 3e, 10 nov. 2010, n° 10-10828 ; RDI 2011, 285, obs. Ph. Malinvaud, qui admet la réception de la toiture alors que la maison dans son ensemble n’a pas été réceptionnée ; solution réitérée par Civ. 3e, 21 juin 2011, n° 10-20216, RDI 2011, 573, obs. Ph. Malinvaud). Cette solution a été critiquée par la doctrine car elle fait varier le point de départ de la prescription et est donc source de complication. Elle semble malgré tout assez rare en pratique, les maîtres d’ouvrage, du moins professionnels, imposant généralement à tous les entrepreneurs une date de réception unique au moment de l’achèvement de l’ouvrage. www.reglementation-assurance.com
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Les risques La Cour de cassation a même récemment admis cette faculté de réception partielle, même convenu tacitement, dans l'hypothèse où plusieurs lots avaient fait l'objet d'un même marché (Civ. 3e, 5 novembre 2020, n° 19-10724). Civ. 3e, 5 novembre 2020, n° 19-10724 Vu l'article 1792-6 du code civil : 4. Selon ce texte, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. 5. Pour dire qu'il n'y a pas eu réception des travaux effectués par la société [...], l'arrêt retient, d'une part, que rien n'établit que les parties étaient convenues d'une réception par tranche de travaux, par dérogation au principe d'unicité de réception, et qu'il n'y a donc pas lieu d'opérer une distinction entre les travaux de charpente et ceux de la couverture, d'autre part, qu'il ne saurait y avoir de réception par lots en l'espèce, dans la mesure où les travaux ont fait l'objet d'un seul et même marché et que c'est donc le même entrepreneur qui a réalisé à la fois la charpente et la couverture en vertu du même devis, la première n'étant d'ailleurs que le support de la seconde. 6. En statuant ainsi, alors que les parties peuvent déroger expressément ou tacitement au principe d'unicité de réception et que la réception partielle par lots n'est pas exclue lorsque plusieurs lots font l'objet d'un seul marché, la cour d'appel a violé le texte susvisé. En revanche, une réception partielle n'est pas envisageable à l'intérieur d'un même lot (Civ. 3e, 2 février 2017, n° 14-19729, Publié au Bulletin ; Constr.-Urb. 2017, n° 57, obs. M.-L. Pagès de Varenne). Civ. 3e, 2 février 2017, n°14-19729 Mais attendu qu’en raison du principe d’unicité de la réception, il ne peut y avoir réception partielle à l’intérieur d’un même lot.
B – La réception judiciaire La réception de l’ouvrage, nécessite, parfois, une intervention judiciaire en cas de désaccord entre les parties contractantes. Cette faculté de réception judiciaire a également été consacrée dans le contrat de construction de maison individuelle (Civ. 3e, 21 novembre 2019, n° 14-12299, publié au Bulletin). Civ. 3e, 21 novembre 2019, n° 14-12299 Mais attendu que les dispositions applicables au contrat de construction de maison individuelle, qui n'imposent pas une réception constatée par écrit, n'excluent pas la possibilité d'une réception judiciaire ; qu'ayant relevé que M. et Mme O... n'avaient pas réceptionné amiablement l'ouvrage, aucun écrit n'ayant été formalisé, la cour d'appel a pu prononcer la réception. Classiquement, la réception judiciaire peut être prononcée, par le juge, avec ou sans réserves, à la condition que l’ouvrage soit « en état d’être reçu », faute de quoi le refus du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage n’est pas abusif. 160 Livre_RAC_2021.indb 160
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L'ouvrage La jurisprudence est constante sur l’exigence de ce critère : le juge doit ainsi préciser à quelle date les travaux étaient en état d’être reçus pour prononcer la réception à cette date (V. par ex. : Civ. 3e, 30 oct. 1991, préc., Civ. 3e, 30 juin 1993, n° 91-18696 ; Bull. civ. III, n° 103 ; Civ. 3e, 22 mai 1997, n° 95-14969 ; Bull. civ. III, n° 107 ; Gaz. Pal. 1999, II, Somm. 418, note M. Peisse ; Civ. 3e, 14 janv. 1998, n° 96-14482 ; Bull. civ. III, n° 5, p. 4, Gaz. Pal. 1999, I, Somm. 112, obs. M. Peisse, RCA 1998. n° 122 ; Civ. 3e, 21 mai 2003, n° 02-10052 ; Bull. civ. III, n° 105 ; Civ. 3e, 9 mai 2012, n° 10-21041 ; Civ. 3e, 20 novembre 2013, n° 12-29981 ; Civ. 3e, 10 décembre 2015, n° 13-16086 ; Civ. 3e, 21 janvier 2016, n° 14-23393 ; Civ. 3e, 24 mars 2016, n° 14-29759) ; Civ. 3e, 2 février 2017, n° 16-11677 ; Civ. 3e, 18 octobre 2018, n° 17-24278 ; Civ. 3e, 30 janvier 2020, n° 18-19763, cassant pour manque de base légale un arrêt retenant la date du jugement pour le prononcé de la réception judiciaire d’une maison individuelle, au motif que l’immeuble était affecté de dommage de nature décennale excluant la fixation d’une date antérieure, sans préciser si l’immeuble était en état d’être reçu au jour du jugement). L’existence de malfaçons, même importantes, n’empêche pas la réception judiciaire, dès lors que l’ouvrage est malgré tout en état d’être reçu (Civ. 3e, 26 janv. 2010, n° 08-70220, qui admet la réception judiciaire dès lors que l’ouvrage –en l’occurrence des cours de tennis– est en état d’être reçu, même si des malfaçons et des défauts de conformité substantiels compromettaient l’utilisation et la pérennité de l’immeuble ; Civ. 3e, 6 mai 2014, n° 13-10338 13-13624, jugeant que l’existence de non-conformités n’empêche pas le maître d’ouvrage de jouir de son immeuble et que le non-respect des prescriptions du permis de construire n’empêche pas la construction d’être habitable ; Civ. 3e, 25 mars 2015, n° 14-12875, cassant un arrêt ayant refusé de prononcer la réception judiciaire en raison des nombreux désordres, reprochant à la Cour d’appel de s’être fondée « sur l’importance des désordres, sans rechercher si, compte tenu de leur nature, l’ouvrage n’était pas en état d’être reçu »). Si le juge estime l'ouvrage en état d'être reçu malgré les désordres, il prononce alors la réception judiciaire assortie de réserves (V. par ex. Civ. 3e, 19 janvier 2017, n° 14-27957 ; Civ. 3e, 12 juillet 2018, n° 17-16961). Mais il a été jugé que, si les maîtres d’ouvrage n'ont pas émis de réserves pour un désordre dont le caractère apparent est évident à la date fixée pour la réception, alors ce désordre est considéré comme purgé, la Cour d'appel « ne pouvant se substituer aux maîtres d’ouvrage pour émettre les réserves » (Civ. 3e, 5 juillet 2018, n° 17-17902, 17-19348, 17-19513). Cette solution peut sembler sévère, dans la mesure où précisément c’est le juge qui fixe la date de réception. En revanche, l'ampleur des désordres peut empêcher cette réception, le critère de l'habitabilité n'étant alors pas rempli (Civ. 3e, 11 janv. 2012, n° 10-26898, qui casse l’arrêt d’appel ayant prononcé la réception au visa de l’article 1792-6 : « alors qu’elle relevait que les désordres affectaient la solidité de l’immeuble et compromettaient non seulement sa destination […] mais également sa pérennité…, ce dont il résultait que l’immeuble ne pouvait pas être mis en service et n’était pas en état d’être reçu » ; Civ. 3e, 17 janvier 2019, n° 17-20616, 17-27185, approuvant les juges du fond d’avoir écarté la réception judiciaire, les maisons n’étant pas habitables compte tenu des très nombreux travaux à reprendre ou à terminer ; Civ. 3e, 27 juin 2019, n° 18-14249 : « ayant souverainement retenu, sans se fonder exclusivement sur une expertise amiable, que les immeubles étaient affectés de nombreuses non-conformités extérieures ou intérieures dont certaines rendaient les biens inhabitables et ne pouvaient être régularisées sans démolir tout ou partie des immeubles, la cour d'appel, qui a pu […] refuser de prononcer la réception judiciaire »). Classiquement, la réception judiciaire venait contrecarrer le refus abusif du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage (Civ. 3e, 30 oct. 1991, n° 90-12659, Bull. civ. III, n° 260). Mais la jurisprudence a ensuite admis le prononcé d'une réception judiciaire à la demande du maître d’ouvrage (Civ. 3e, www.reglementation-assurance.com
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Les risques 24 novembre 2016, n° 15-26090, Publié au bulletin ; Civ. 3e, 12 octobre 2017, n° 15-27802, Publié au Bulletin). Civ. 3e, 12 octobre 2017, n° 15-27802, Publié au Bulletin Vu l’article 1792-6 du Code civil ; Attendu que, pour refuser la réception judiciaire des travaux, l’arrêt retient que le prononcé de celle-ci suppose que les travaux soient en état d’être reçus mais aussi un refus abusif du maître d’ouvrage de prononcer une réception expresse sollicitée par le constructeur ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de réception amiable, la réception judiciaire peut être ordonnée si les travaux sont en état d’être reçus, la cour d’appel a violé le texte susvisé. L'unique condition pour prononcer la réception judiciaire est donc désormais que l'ouvrage soit en l'état d'être reçu, même si la demande de réception émane du maître d’ouvrage. Cette solution nous semble critiquable, dans la mesure où ce dernier a toujours la possibilité de réceptionner expressément, ou même tacitement, l'ouvrage ! Il y a ici une forme d'instrumentalisation de la réception judiciaire, pour permettre au maître d’ouvrage, ayant jusqu'à présent refusé de réceptionner l'ouvrage pour ne pas avoir à payer le solde du prix, d'invoquer la garantie décennale contre les constructeurs et leurs assureurs. L'intérêt pour lui de se fonder sur une réception judiciaire est en effet de faire remonter a posteriori la date de réception dès le moment où l'ouvrage est devenu habitable, ce qui permet d'intégrer des dommages existants dans la garantie décennale (alors que ces dommages seraient considérés comme apparents s'il acceptait l'ouvrage de manière expresse ultérieurement)… et ce sans avoir à payer le prix, condition requise pour constater la réception tacite. La réception judiciaire ne doit pas, en effet, être confondue avec l’hypothèse de la réception tacite, dont les critères sont différents (La Cour de cassation est ainsi fréquemment amenée à rappeler que l’habitabilité n’est pas un critère de la réception tacite : voir par ex. Civ. 3e, 18 décembre 2012, n° 11-23590, 11-23591 ; Civ. 3e, 16 janvier 2013, n° 11-19605).
C – La réception tacite La Cour de cassation a reconduit, sous la loi nouvelle, sa jurisprudence antérieure sur la réception tacite, alors même que la lettre de l’article 1792-6 ne prévoit que deux réceptions, expresse ou judiciaire (Civ. 3e, 12 oct. 1988, n° 87-11174 ; Bull civ. III, n° 137 : « l’article 1792-6 du Code civil n’exclut pas la possibilité d’une réception tacite »). La réception tacite est constatée en présence d’une volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Même si le juge ne prononce pas ici la réception (comme dans le cas de la réception judiciaire), le recours au juge est en pratique requis pour faire constater cette réception tacite, le juge devant alors fixer la date de cette réception. Cette date doit en principe être fixée précisément (jour, mois, année : Civ. 3e, 30 mars 2011, n° 10-30116). Mais la Cour de cassation a néanmoins fait preuve de souplesse dans une affaire où la date exacte n’avait guère d’intérêt, dès lors que la réception tacite était intervenue avec certitude moins de dix ans avant l’introduction de la première demande en justice (Civ. 3e, 23 mai 2012, n° 11-10502). Le contentieux est chaque année abondant (pour l’admission de la réception tacite, voir par ex. : Civ. 3e, 14 mai 2013, n° 12-17983 ; Civ. 3e, 21 octobre 2014, n° 13-23482 ; Civ. 3e, 13 novembre 2014, n° 13-24316 ; Civ. 3e, 9 décembre 2014, n° 13-24688 ; Civ. 3e, 162 Livre_RAC_2021.indb 162
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L'ouvrage 27 janvier 2015, n° 13-27243 ; Civ. 3e, 10 mars 2015, n° 13-26896 14-10053 ; Civ. 3e, 10 mars 2015, n° 13-19997), et l'on peut souligner une évolution de la jurisprudence concernant les critères de la réception tacite. Classiquement, les juges doivent rechercher la manifestation de cette volonté non équivoque du maître d’ouvrage et peuvent pour cela utiliser plusieurs critères : paiement du prix, prise de possession, absence de contestation… En revanche, l'achèvement de l'ouvrage n'est pas une condition de la réception tacite (Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11260 ; Publié au bulletin ; Civ. 3e, 14 février 2019, n° 17-31083 ; Civ. 3e, 25 juin 2020, n° 19-15780). Le critère prépondérant est le paiement du prix et non la prise de possession. Mais plus récemment, la Cour de cassation a érigé en présomption la réception tacite, lorsque les deux critères se cumulent, du moins en l'absence de contestation du maître d’ouvrage. Tout d'abord, plusieurs arrêts ont rejeté la réception tacite alors même qu’il y avait prise de possession de l’ouvrage, car cette prise de possession peut s’expliquer en raison de contraintes économiques, exclusives de la volonté du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage (V. par ex. Civ. 3e, 28 févr. 2012, n° 11-15197 ; Civ. 3e, 27 mars 2012, n° 11-15070 ; Civ. 3e, 11 avril 2012, n° 11-12505 ; Civ. 3e, 12 sept. 2012, n° 09-71189 ; Civ. 3e, 14 mai 2013, n° 12-12064 12-18451 ; Civ. 3e, 28 janvier 2014, n° 12-22091 ; Civ. 3e, 12 février 2014, n° 13-10930 ; Civ. 3e, 8 avril 2014, n° 13-16250 ; Civ. 3e, 25 novembre 2014, n° 13-2456 ; Civ. 3e, 16 décembre 2014 [deux arrêts], n° 13-26049 et n° 13-16170 ; Civ. 3e, 19 mai 2016, n°15-14776 ; Civ. 3e, 21 décembre 2017, n° 16-26051 ; Civ. 3e, 27 juin 2019, n° 17-20464. Rappr. Civ. 3e, 19 mai 2016, n° 15-15801, au visa de l’article 1792-6 du Code civil, qui refuse la réception tacite par le maître de l’ouvrage vendeur d’immeuble à construire du fait de la livraison dans les délais de l’ensemble des lots aux acquéreurs, alors qu’il avait refusé de payer le solde dû, avait formulé des griefs sur les désordres et livré les appartements « à seule fin de respecter ses propres obligations contractuelles »). La jurisprudence administrative considère également que « la prise de possession de l’ensemble de l’ouvrage n’entraîne par elle-même aucune conséquence sur la réception » (CE, 8 nov. 2000, RDI 2001, p. 88, obs. F. M). En revanche, le paiement intégral ou quasi-intégral du prix peut manifester cette volonté (Civ. 3e, 16 mars 1994, n° 92-10957 ; Bull. civ. III, n° 50 : paiement du coût de la construction ; Civ. 3e, 23 mai 2012, n° 11-10502 ; Civ. 3e, 12 sept. 2012, n° 11-17564 ; Civ. 3e 30 septembre 2015, n° 14-24552 ; Civ. 3e, 10 mars 2016, n° 15-14149). Encore faut-il que ce paiement ne se manifeste pas couplé à une contestation au sujet de désordres. Dans cette hypothèse en effet, le fait que le maître de l’ouvrage ait intégralement payé les travaux n’a pas été jugé suffisant pour caractériser la réception tacite (Civ. 3e, 30 sept. 1998, n° 96-17014 ; Bull. civ. III, n° 175 ; Civ. 3e, 11 mars 2014, n° 13-1181 ; Civ. 3e, 30 juin 2015, n° 13-23007 13-24537). Ainsi, la Cour de cassation a refusé de constater la réception tacite, alors même qu’il y avait prise de possession et paiement intégral des factures, en présence de contestations des maîtres d’ouvrage sur la qualité des travaux, les privant ainsi de leur recours contre l’assureur décennal de l’entrepreneur (Civ. 3e, 24 mars 2016, n° 15-14830, P+B). Civ. 3e, 24 mars 2016, n° 15-14830 Mais attendu qu’ayant relevé que M. et Mme X... avaient toujours protesté à l’encontre de la qualité des travaux, la cour d’appel, qui a pu retenir que, malgré le paiement de la facture, leurs contestations excluaient toute réception tacite des travaux, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision. www.reglementation-assurance.com
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Les défis du secteur de la construction se renouvellent perpétuellement tant pour le constructeur et ses soustraitants qui génèrent des risques techniques lourds de responsabilités que pour l’assureur qui accepte d’en assumer la charge financière. Rédigé par une universitaire spécialiste du droit de la construction et un praticien expert en assurance construction, cet ouvrage a pour objectif de rendre intelligible une matière réputée complexe et technique. Sont d’abord envisagés les risques liés à l’acte de construire (intervenants, ouvrage, fondement juridique et régime des responsabilités et garanties), puis la prise en charge de ces risques par les assurances (assurances obligatoires responsabilité
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Directeur du Centre d’études d’assurances (CEA), cabinet de courtage et de conseil spécialisé en assurance construction, Jean Roussel, docteur en droit, préside la commission assurance construction de Planète CSCA et enseigne la matière à l’Institut des assurances de Paris (IAP Paris-Dauphine). Agrégée de droit privé, Professeur à l’Université de Montpellier et à l’ICH-CNAM Occitanie, Solange Becqué-Ickowicz y enseigne le droit de la construction et a dirigé pendant plusieurs années le Master 2 Droit immobilier.
www.reglementation-assurance.com ISBN 978-2-35474-390-1
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