SOMMAIRE PRÉFACE DE JEAN-BAPTISTE DUZAN CHAPITRE 1
L’HÉRITAGE
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LA RÉGIE RENAULT DANS LA TOURMENTE
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CHAPITRE 2 UNE LONGUE GENÈSE 14
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OBJECTIF QUALITÉ LA X54 CONFIRME LA DIRECTION DE PROJET ÇA ROULE… SOYONS RIGIDES AU CŒUR DE LA TOURMENTE LE CHOC “THE SHOW MUST GO ON” VOITURE À VIVRE… À BORD CHANGEMENT DE DIRECTION COMMENT FAIRE ? RENAULT ET X54 AU CŒUR DE LA MUTATION
14 18 20 24 25 29 31 34 38 39 41
CHAPITRE 3
LA PRESSE ET LE LANCEMENT COMMERCIAL 42
LES LONGUES INVESTIGATIONS DE LA PRESSE À L’AFFÛT LA COMMUNICATION RENAULT À L’ŒUVRE NOUVELLE ORGANISATION INDUSTRIELLE CULTURE RENAULT RN, RT, RXE… LA SAFRANE À LA CARTE MARS 1992 : L’ÉVÉNEMENT SAFRANE SOUS LE JUGEMENT DE LA PRESSE
43 45 48 50 53 55 61 63
PRÉFACE
CHAPITRE 4
BACCARA ET BITURBO : LA SAFRANE AU PANTHÉON DE L’AUTOMOBILE FRANÇAISE 68
AU REVOIR MONSIEUR LE PRÉSIDENT ESPRIT DE CONQUÊTE PLUS HAUT, PLUS FORT LA SAFRANE BITURBO, À LA LIMITE FRANCE-ALLEMAGNE LA PRESSE… CRITIQUE
68 70 73 76 77 80
CHAPITRE 5
LA CARRIÈRE DE LA SAFRANE 82
UN CONTEXTE DIFFICILE LA RIPOSTE TRANSITION DEUXIÈME PEAU RENOUVELLEMENT ET SIMPLIFICATION UNE GAMME COHÉRENTE LES JOIES ET LES REGRETS ÉPILOGUE
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CHAPITRE 6 GUIDE D’ACHAT 104
LA CARROSSERIE L’INTÉRIEUR LA MÉCANIQUE LAQUELLE CHOISIR ?
ANNEXES
104 106 108 111
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REMERCIEMENTS 120
Le projet d’une nouvelle voiture, c’est une étape majeure pour l’entreprise et pour ceux qui doivent le mener à bien. Pour l’entreprise, parce qu’un projet peut, à lui seul, modifier profondément son sort. C’est un pari industriel considérable : l’entreprise engage plusieurs milliards en amont, avant d’être soumise au jugement du marché et d’avoir encaissé le premier euro. Dans des situations comparables dans d’autres domaines, les investissements industriels majeurs sont la plupart du temps préfinancés ou définis en accord avec les clients (cf. l’aéronautique, l’espace, etc.). Dans l’automobile, pas de filet. Dans les années 1950, l’échec de la Ford Edsel a failli être fatal à l’entreprise. A contrario, Renault a vécu des années sur le succès de la Mégane. Pour ceux qui font le projet aussi, c’est l’engagement majeur d’une vie professionnelle. Ils y consacrent les meilleures années de leur vie, sous une pression constante, tellement la résolution des contraintes contradictoires (économie, poids, coût, délai, qualité) nécessite des arbitrages toujours difficiles. Ils vivent une vie d’équipe très intense, tournés vers un seul but, la sortie du véhicule. Moi-même, en charge du projet Safrane de 1989 à 1992, j’en ai gardé le souvenir d’une époque aussi exaltante que difficile. C’est pour résoudre cette difficile équation du développement d’un véhicule que les constructeurs se sont astreints à une organisation par projet. Pour faire travailler ensemble jusqu’à mille personnes, coordonner le design, les bureaux d’études, la fabrication, puis la commercialisation, le président nomme un chef
d’orchestre, qui parle en son nom, chef d’orchestre qui est une sorte de machine à décider et à arbitrer. Chaque métier de l’entreprise délègue ses représentants au projet. L’organisation en projets n’est pas née sans tâtonnements. Aurélien Chubilleau en démontre bien la genèse. Au départ, c’est un ingénieur coordonnateur, plus chargé de la synthèse que de la conduite du projet, pour aboutir, au final, à un décideur investi du pouvoir total sur l’avancement du projet, sous le contrôle d’une sorte de conseil d’administration interne. La Safrane a été un pari audacieux de Renault. S’imposer dans le haut de gamme est un parcours périlleux, qui a une dimension technologique mais aussi psychologique. La création d’une image crédible est un effort de très long terme. La Safrane a rempli son contrat technique : elle était grande, silencieuse, confortable. Cela n’a pas suffi à imposer le logo Renault comme référence dans ce segment si exigeant. Mais même les meilleurs concurrents se sont heurtés à ce mur. La Lexus, considérée à l’époque comme techniquement proche de la perfection, n’a pas eu de ventes importantes dans les pays où les marques prestigieuses traditionnelles étaient établies. C’est un combat qui se poursuit aujourd’hui. C’est dans cette aventure que nous emmène Aurélien Chubilleau, autour de la Safrane. C’est une histoire de mécanique et de finance. C’est une histoire d’objectifs et d’indicateurs. C’est une histoire de voitures. C’est une histoire d’hommes et de femmes. Suivez le guide. Jean-Baptiste Duzan
En 1989, Jean-Baptiste Duzan est nommé directeur de projet, cette fois directement sous les ordres du P-DG Raymond Lévy. Il devient en quelque sorte le directeur d’une PME au sein de l’entreprise.
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L’HÉRITAGE
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Avant guerre déjà, Renault avait bâti une tradition du haut de gamme, et l’on retient d’emblée la fameuse lignée des 40 CV, de 1908 à 1928, puis les Vivastella et Viva Grand Sport. Le livre Un siècle de tradition haut de gamme, paru en 1992 à l’occasion de la présentation de la Safrane, ne manque pas de le rappeler ; comme s’il s’agissait d’exhumer des racines profondes, quitte à faire passer en second plan la filiation plus directe dans laquelle s’inscrit la Safrane. Dans l’esprit des communicants, en 1992, il semble important de légitimer la place de Renault dans le clan des constructeurs haut de gamme, en se référant à un passé plus lointain, pour mieux tourner la page d’un passé récent tourmenté, durant les années 1980. Pourtant, à n’en pas douter, la Renault Safrane s’inscrit bien dans l’histoire d’une montée en gamme de la Régie Renault, puis dans celle des années troubles, et enfin celle de la transition vers la privatisation. Ainsi, la Renault Safrane naît-elle au sein de la Régie nationale des usines Renault, pour vivre et terminer sa carrière en porte-drapeau de Renault SA. Ses racines, la Safrane les tient à l’évidence de la fameuse Renault 16 de 1965, dont le style est considéré comme l’œuvre majeure de Gaston Juchet. La Safrane partage avec elle sa conception générale et un certain art de vivre l’automobile.
En mai 1992, Renault commande aux éditions Mango un livre : Un siècle de tradition haut de gamme, hommage dont le but est de légitimer la Safrane.
LA SAFRANE DE MON PÈRE
Page de garde du livre Un siècle de tradition haut de gamme.
CHAPITRE 1
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Un grand coffre facilement accessible grâce à un large hayon, un intérieur à la fois douillet et modulable, un confort de haut niveau, une carrosserie à six glaces latérales : la silhouette même de la Safrane évoque avec clarté sa filiation avec la R16. Correctement motorisée tout en ne proposant que de “simples” moteurs à quatre cylindres, la Renault 16 s’est hissée au rang des bonnes routières, non sans proposer un certain luxe moyennant quelques options. Puis elle a généré ensuite, sous la direction stylistique de Gaston Juchet, le duo Renault 20 – Renault 30. Cette dernière marque en mars 1975 un jalon important : l’introduction du moteur V6 PRV, le fameux moteur six cylindres commun à Peugeot, Renault et Volvo. Si la R16 était née comme une familiale à l’esprit jeune, la Renault 30, elle, doit
imposer sa formule de berline modulable et progressiste sur le marché plutôt conservateur du haut de gamme, où les acteurs principaux se nomment Mercedes-Benz, Jaguar, Rover, ou encore Alfa Romeo. À cette époque, BMW commence tout juste à émerger, tandis que Audi reste une marque confidentielle à l’image de Saab quelques années plus tard. En 1975, on parle déjà de marché européen et les constructeurs sont déjà entrés dans une logique de concentration. Renault n’est pas le seul constructeur à viser ce marché : Fiat s’y était aventuré avec la 130, Peugeot se lance au même moment avec la 604, tandis que Ford ou Opel disposent chacun d’un moteur six cylindres – la porte d’entrée pour le marché du haut de gamme.
Originale et innovante, la Renault 16 de 1965 réinvente la berline familiale et devient une routière réputée.
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On doit à Gaston Juchet les formes de la Renault 16. Entré chez Renault en 1958, il a connu la création et le développement du bureau de style, dont il a terminé directeur de 1985 à 1987. (© Renault Communication/ Droits réservés)
De la Renault 16, la Safrane a hérité l’état d’esprit ; de la Renault 30, les enjeux de conquête de ce marché haut de gamme européen. Dans cette bataille à grande échelle, la plupart des constructeurs, y compris Mercedes-Benz, n’ont pour autant pas négligé de proposer des versions à moteur quatre cylindres de leurs modèles. C’est ainsi que dès 1976, la Renault 30 est déclinée en une version simplifiée, la Renault 20, normalement destinée à remplacer la R16. La Renault 20 TS inaugure en 1977 le moteur J, appelé à connaître un grand destin dans la production française, durant les années 1980 et 1990, tant dans ses versions essence que Diesel. Des R20
LA SAFRANE DE MON PÈRE
Gaston Juchet dans les années 1960, esquissant les formes de la Renault 16.
et R30, les Safrane des premières années ont aussi hérité les moteurs, le V6 PRV et le moteur J, également appelé “Douvrin”, ou encore “Française de Mécanique”, c’est-à-dire le nom de la fonderie du Pas-de-Calais alors commune à Renault et au groupe PSA. En dépit de certains commentaires rencontrés au détour de quelques articles par trop critiques, la Renault 20, en tant que familiale prolongeant l’esprit de la Renault 16, a connu un honnête succès, avec 622 514 exemplaires produits. À vrai dire, la Renault 20 a toujours dû composer avec une forte concurrence interne, au point de rendre le catalogue Renault peu cohérent : la très populaire R16 s’est accrochée au catalogue jusqu’en 1980, tandis qu’une Renault 18 à coffre classique est venue dès 1978 capter la clientèle plus réticente à la formule cinq portes. Tout cela n’a pu qu’entraîner une dispersion des ventes au détriment de la Renault 20, et a rendu son statut dans la gamme peu lisible. La Renault 30, elle, avec seulement 160 193 voitures fabriquées, n’a pas remporté le succès escompté. Il y a, certes, eu les conséquences de la crise pétrolière de 1973, mais celle-ci n’a pas empêché les marques allemandes de prospérer. Grâce à la brillante Renault 16 TX, Renault n’était pourtant pas en déficit d’image – y compris en Allemagne –, mais ce bénéfice n’a pas profité à la R30 : on a pu lui reprocher un manque de raffinement, tant sur le plan mécanique que sur celui de la présentation. Dès lors, la direction de Renault a tiré de cet échec des conclusions durables, dont les intonations ont résonné jusqu’aux études de la Safrane. Entre la Renault 30 et la Safrane, l’on ne saurait oublier un important jalon : la Renault 25. En 1975, la direction de la Régie Renault nomme un transfuge de Citroën à la tête de la direction du Style : Robert Opron. Sa mission est de coordonner le style de toutes les branches du groupe Renault, dont les secteurs poids lourds et véhicules agricoles. À ce titre, il chapeaute bien sûr la branche automobile. Gaston Juchet devient donc son subordonné. Avec Robert Opron, le style Renault se modernise, se développe et prend une orientation
À la fin des années 1960, Renault explore la voie du haut de gamme et entame les études jusqu’au stade du prototype d’une grande berline de haut de gamme équipée d’un moteur V8. Le projet est abandonné à l’aube des années 1970.
Robert Opron (ici en 1984 lors d’une présentation de style) a été directeur du Style Renault de 1975 à 1985.
nouvelle, en faisant notamment appel à des consultants extérieurs de renom, entre autres Gandini et Giugiaro. Même si, en 1977, l’on enregistre déjà l’insuccès de la Renault 30, on décide malgré tout de poursuivre les efforts sur le marché exigeant du haut de gamme : la Renault 25 est donc mise en chantier. Sur le plan technique, elle n’est que la prolongation des R20 et R30 car elle en reprend l’architecture avant dite “arbalète”, dans le jargon des ingénieurs Renault, et le train arrière type MacPherson. Mais une habile optimisation de l’ensemble des organes transfigure le comportement routier, pour en faire une des références de sa génération. Sur le plan du style, la rupture avec sa devancière est très nette. Plus élégante et raffinée grâce à un style très affirmé, dotée dans ses versions les plus onéreuses d’un équipement particulièrement fourni, elle ne manque pas de faire sensation, dès sa présentation à la presse en décembre 1983. Les communiqués de presse revendiquent sa qualité de fabrication, on n’hésite pas à montrer la chaîne de production à Sandouville, pour mieux souligner combien Renault a tiré leçon du manque d’image de feu la Renault 30.
L’HÉRITAGE
Du discours à la réalité, la Renault 25 n’a pourtant pas été sans connaître quelques déboires – nous y reviendrons. Mais malgré cela, grâce à ses qualités réelles et à son élégance naturelle, elle s’est hissée parmi les voitures préférées des Français. Avec elle, Renault a su conquérir sur le marché national sa légitimité en haut de gamme, avec une carrière toujours
Ci-dessous : une maquette au 1/5e datée de 1968, certainement du projet H. La face avant rappelle celle de la R16, et cette proposition exploite le thème de la cinquième porte. (© Renault Communication/ Droits réservés)
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